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NOUVELLES
Guy de Maupassant

LIRE L’ŒUVRE
QUESTIONNAIRE DE LECTURE (p. 303)

LE RÔLE DES TITRES


1. Que les titres renvoient à un objet (Le Parapluie), à une situation
(Divorce, La Question du latin) ou enfin à des personnages (Rosalie Pru-
dent, Madame Baptiste, L’Ermite et Saint-Antoine) le lecteur n’est pas
surpris car ces titres renvoient effectivement au contenu de la nouvelle
qu’ils annoncent. Cependant, malgré cette évidente absence de suspens,
on peut effectuer une interprétation différente des titres, une fois la lec-
ture achevée : tout au long de la nouvelle Le Parapluie, il n’est question
que de cet objet ; en revanche, les démarches entreprises par Madame
Oreille pour le remplacer le sont, elles, beaucoup moins. Le titre va donc
souligner de manière ironique le comportement avare de ce personnage.
Divorce et La Question du latin semblent annoncer une réflexion sur des
sujets d’actualité à l’époque de Maupassant. La manière dont ces ques-
tions sont résolues se prête aussi à une lecture ironique : le divorce
n’est plus nécessaire ni souhaitable dès lors que les intérêts pécuniaires
du personnage sont en jeu, même si son honneur se trouve écorné dans
© Hatier, 2003 ISBN 2-218-74224-1

cette affaire. Quant au latin, le père Piquedent fait la démonstration


« qu’il ne nourrit pas son homme ».
Les quatre nouvelles dont le titre annonce des personnages sont toutes
des récits de vies confrontées à la mort, des destins où les personnages
rencontrent le malheur malgré eux.
2. Le narrateur opère une véritable subversion de l’histoire de saint
Antoine (Antoine le Grand, à ne pas confondre avec saint Antoine de
Padoue) et de son cochon. Peut-être Maupassant s’est-il aussi amusé à
donner une version burlesque de cette histoire traitée dans un autre
registre par Flaubert, dans La Tentation de Saint-Antoine.

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Dès le début de la nouvelle, les raisons qu’il nous donne pour expliquer
le fait que l’on a surnommé son personnage Saint-Antoine, sont sans
doute à mettre en relation avec la popularité dont jouissait le saint
Patron des charcutiers dans cette région, la Normandie où l’on sait bien
préparer tous les produits issus du porc. L’arrivée du soldat prussien
qu’Antoine va s’efforcer de gaver, détourne l’histoire du saint d’abord en
une sorte de farce, à la verve « paysanne », bien connue depuis le Moyen
Âge et que Maupassant pratiquait lui-même puisque dans un écrit dédié
à Flaubert, il a même prêté sa plume au cochon de saint Antoine.
Puis la farce devient drame et la brutalité et la lâcheté d’Antoine,
annoncées dès le début de la nouvelle, se révèlent dans toute leur
ampleur. La chute de la nouvelle qui voit l’arrestation et la condamna-
tion d’un innocent aubergiste pour le meurtre du Prussien, tandis
qu’Antoine, grâce à sa rouerie n’est pas inquiété, fait basculer la nou-
velle dans une vision totalement cynique et pessimiste de la nature
humaine : décidément l’homme n’est pas un saint et le Saint-Antoine
de la nouvelle est bien proche de l’animal, c’est même un « cochon »
comme on aurait pu dire dans ces campagnes normandes !

LES CHOIX NARRATIFS


3 a. et b. L’Aveu, Le Petit Fût sont des nouvelles où le narrateur est
omniscient. Il s’agit de récits conduits à la troisième personne.
L’Ermite, lui, est un récit enchâssé où un narrateur premier omniscient
s’inclut dans un « nous » collectif, puis délègue sa parole à un autre
personnage présent à ses côtés qui va prendre alors en charge le récit
à la première personne, selon un point de vue interne, avant de laisser
lui aussi la parole à l’ermite qui va raconter sa tragique histoire, selon
un point de vue interne
Dans La Question du latin, on a affaire à un narrateur qui s’exprime
aussi à la première personne, selon un point de vue interne.
4. D’une manière générale, ces différents choix narratifs évitent l’effet
répétitif et la monotonie qu’engendrerait la reprise de la même forme
narrative.

LA STRUCTURE D’UN RÉCIT


5. Après avoir présenté son personnage de Saint-Antoine en sélection-
nant des détails qui tous auront leur importance dans le déroulement
de la nouvelle (la force, la ruse, la vantardise, l’égoïsme, le fait qu’il
vive seul chez lui) et qui constituent la situation initiale, le narrateur
fait intervenir un élément perturbateur : avec « l’invasion prussienne »,
la contrainte de devoir héberger un soldat ennemi. La manière dont le
fermier se conduit avec son hôte forcé en le gavant pour en faire son

2 NOUVELLES
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cochon constitue les péripéties. Une situation finale paraît s’imposer


avec la mort supposée du Prussien dans la bagarre qui oppose les deux
hommes (alors que le lecteur attendait plutôt la mort du soldat par
indigestion…) mais le narrateur surprend encore son lecteur en faisant
revenir le Prussien à la vie. La situation finale semble dès lors résider
dans cette deuxième mort de l’ennemi. Or, il n’en est rien : ces « deux »
morts ne sont que des péripéties, la véritable situation finale où l’on
voit Antoine continuer à vivre comme avant l’arrivée du Prussien, lais-
sant accuser l’aubergiste à sa place, constitue un retour à la case départ
et ramène le crime commis à une simple péripétie dont l’horreur est
vite masquée par le retour à la vie quotidienne tandis que le lecteur a
pu mesurer toute la lâcheté d’Antoine.
On retrouve cette vision pessimiste de l’homme dans Deux amis. La
nouvelle s’ouvre sur une phrase qui en situe le contexte et qui a la
forme d’un alexandrin : annonce de la tragédie et du statut de héros
auquel les deux boutiquiers vont accéder ? La situation initiale les
trouve rongés par la fin et l’ennui dans Paris assiégé. Le hasard, force
perturbatrice, les fait se rencontrer : les péripéties s’enchaînent alors.
L’absinthe partagée les plonge dans la mélancolie des jours anciens où
ils pouvaient se livrer à leur passion, la pêche, et leur donne l’audace
de solliciter une autorisation pour se rendre au bord de la Seine, près
des lignes prussiennes. Le bonheur d’antan semble alors revenu, mais
le narrateur multiplie les indices menaçants (campagne déserte et
grise, ancien restaurant clos, canonnade du Mont-Valérien). Le lecteur
a peu de doute sur l’imminence d’une rencontre des deux amis avec
l’ennemi. Pourtant leur arrestation oriente la lecture vers une autre
dimension que la simple résolution du suspens : la situation finale va
faire de ces deux personnages sans grande envergure de véritables
héros.
Pourtant, au-delà de cette anecdote assez emblématique du sort que des
civils innocents peuvent connaître en temps de guerre, la narration opère
ici une subversion des rôles, comme dans Saint-Antoine, dont l’ironie
est tragique - ainsi les paroles prémonitoires de M. Sauvage, « nous leur
offrirons une friture » (p. 72, l. 90). Partis pêcher, les deux hommes vont
se retrouver pris à leur tour ; le produit de leur pêche servira bien de fri-
ture aux Prussiens et les deux victimes jetées à la Seine après avoir été
fusillées, serviront peut-être à leur tour de nourriture aux poissons. Ce
fleuve qu’ils aimaient tant deviendra ainsi leur tombeau.
Ainsi, comme souvent dans les nouvelles de Maupassant, à côté d’un
schéma narratif assez classique, on peut en lire un autre palimpseste
qui révèle tout le pessimisme du narrateur quant à la noirceur de l’âme
humaine.

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LES PERSONNAGES
L’onomastique
6. Dans les noms de Sauvage et de Morissot, on retrouve le vocable
sot. Il faut, en effet n’être pas très malin pour se risquer à aller pêcher
sous le feu des canons ennemis, emporté par l’euphorie procurée par
l’absinthe. Le portrait des deux boutiquiers, leurs activités, la platitude
de leurs conversations, tout converge pour faire de nos deux amis un
couple à la façon de Bouvard et Pécuchet, en plus banal. Le contraste
avec leur mort sera d’autant plus saisissant.
7. La première phrase du Lit 29 montre que le capitaine Épivent fait
tourner la tête des femmes dans la rue, au propre comme au figuré ;
comme le vent qui emporte tout sur son passage le capitaine soulève
les cœurs. Il est l’archétype de l’officier séducteur, personnage tradi-
tionnel des villes de garnison à cette époque. De plus, sa « superbe »
moustache a « la couleur » du « blé mûr » (p. 199, l. 5).
Du vent, il a aussi la légèreté et l’inconstance comme le montrera son
comportement face à Irma dont il ne comprendra pas le sacrifice, pré-
férant la fuite à la compromission de sa réputation.
Peut-être peut-on aussi songer à Rabelais et au capitaine Engoulevent
dans la guerre pichrocoline même si Épivent ne se comportera pas en
avaleur de vent pendant la guerre franco-prussienne, Irma le traite
cependant de « capon » à la fin de la nouvelle.
8. On sait que le Père Antoine est décrit comme « un peu couard et fan-
faron » (p. 80, l. 18). Le nom de son chien, destiné à effrayer en en fai-
sant une sorte de monstre assoiffé de sang, conforte le lecteur dans
l’impression que veut lui donner le narrateur face à son personnage,
tout en soulignant la bestialité de ce dernier quand il exécutera le Prus-
sien. Dévorant se contentera de hurler. Son maître le traitera de « sale
rosse » (p. 86, l. 230), ce qui en dit long sur l’animal, et il aura beau
avoir « les crocs au vent » (p. 86 ; l. 228), ce sont les dents de la fourche
qu’Antoine plantera dans le prussien. Ironie, inversion des rôles sont ici
encore présentes comme sans doute aussi dans le fait que c’est le Prus-
sien qui dévore sans cesse et que, comme le chien, il n’a rien de vrai-
ment redoutable !
9. Le moins qu’on puisse dire est que la mère Malivoire porte bien son
nom puisqu’elle n’a pas vu s’arrondir la taille de sa fille… Quant à
Céleste, elle n’a rien qui puisse l’apparenter à une créature séraphique,
préoccupée qu’elle est d’épargner son argent, fût-ce en commettant le
péché de chair…

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La caractérisation des personnages


10. Deux amis. Apparence physique : M. Morissot, plus grand (p. 76,
l. 224) ; M. Sauvage, replet (p. 69, l. 16). Psychologie : M. Morissot,
pantouflard (p. 69, l. 7) paisible (p. 73, l. 136). M. Sauvage, gouailleur
(p. 72, l. 88). Tous les deux ont « des goûts semblables et des sensa-
tions identiques » (p. 70, l. 24) et discutent avec « la raison saine
d’hommes doux et bornés » (p. 73, l. 148). Passé : M. Morissot, mer-
cier (p. 69, l. 17) ; M. Sauvage, horloger (p. 69, l. 4). Tous les deux sont
des « pêcheur (s) fanatique (s) » (p. 69, l. 18).
Madame Baptiste. Mme Paul Hamot née Fontanelle « la petite Fonta-
nelle » (p. 63, l. 80). Apparence physique : « jolie et pâle, grande,
mince distinguée » (p. 65, l. 126). Psychologie : « cœur crevant de cha-
grin » (p. 64, l. 97), taciturne « ne parlait guère, ne riait jamais »
(p. 65, l. 119), « adorait son mari comme un dieu » (p. 65, l. 141).
Passé : Violée à 11 ans par un valet. Enfance solitaire car « marquée
d’infamie » (p. 63, l. 76), « sorte de monstre » (p. 63, l. 79), « pesti-
férée » (p. 64, l. 100), puis « purifiée par la maternité » (p. 65, l. 149).
Le Noyé. La mère Patin, Désirée Auban (p. 291). Apparence physique :
« brune plaisante à voir » (p. 291, l. 12), « bouche rieuse et œil
malin » (p. 292, l. 26). Psychologie : « résignée », « calme » (p. 293,
l. 59). Passé : Pas heureuse en ménage « car son homme la battait
de son vivant » (p. 291, l. 3), « devenue plus maigre, jaune et sèche
qu’un poisson fumé » (p. 294, l. 107), « vit dans une épouvante inces-
sante, dans un tremblement continu de l’âme et du corps. » (p. 294,
l. 102). Fille du père Auban, patron de cabaret, sans le sou alors que
son mari était « riche propriétaire de son embarcation » (p. 292,
l. 39) « traitée comme la dernière des dernières » (p. 293, l. 58)
« accoutumée aux violences paternelles » (p. 293, l. 59) fait preuve
de passivité.
Le Petit Fût. La Mère Magloire. Apparence physique : vieille, « sèche,
ridée, courbée mais infatigable comme une jeune fille » (p. 191, l. 12),
« doigts crochus, noués, durs comme des pattes de crabe » (p. 192,
l. 21), « yeux vifs sous leurs paupières fripées » (p. 192, l. 43). Psy-
chologie : obstiné, méfiante, aime l’argent et ment par ruse, « malice
dans le regard » (p. 195, l. 117). Passé : 72 ans (p. 191, l. 12), « sobre
depuis son enfance » (p. 195, 141), puis prend goût à l’alcool.
11. Dans Deux amis, les personnages de M. Morissot et de M. Sauvage
représentent des types au début de la nouvelle : ceux des boutiquiers
parisiens de cette époque : l’un est « horloger » et l’autre « mercier »,
habitués avant la guerre à aller pêcher au bord de la Seine ; on peut
reconnaître en eux, sans doute, des figures souvent entrevues par Mau-
passant lors de ses propres sorties au bord du fleuve. Ces deux per-

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sonnages, que le narrateur rend interchangeables n’accèdent vraiment


au rang de caractères qu’avec leur mort qui en fait des héros singuliers
malgré eux.
Sans doute, un des aspects qui fait la richesse des nouvelles de Mau-
passant est-il cette fluctuation des personnages entre le type et le
caractère.

LES THÈMES PRINCIPAUX


La guerre
12. Dans chacune des quatre nouvelles évoquant la guerre, les Prus-
siens sont présentés comme une force brutale que l’on craint : Deux
amis « pis que des bêtes » (p. 73, l. 139). Ils sont souvent décrits
comme très grands, « géant(s) velu(s) » (p. 74, l. 171), donc impres-
sionnants et redoutables. Maupassant fait de l’officier qui donne l’ordre
de fusiller les deux pêcheurs un parfait cynique, ce qui rejoint sa vision
de la guerre. Dans Saint-Antoine les Allemands sont décrits comme des
barbares. Le Prussien de Saint-Antoine est, avec l’officier de Deux amis,
une des rares figures ennemies individualisées. Dans les deux autres
nouvelles, Le Lit 29 et Les Prisonniers, les Prussiens sont appréhendés
collectivement. D’ailleurs, dans Les Prisonniers, ils portent des « barbes
rouges » (p. 234, l. 163) et émettent des ronflements « formidables »
(p. 234, l. 187) comme les ogres des contes.
Pourtant, le narrateur exerce aussi contre eux sa verve satirique en en
faisant des « meringues » (p. 233, l. 127), à cause de la neige qui les
recouvre ou des êtres « sages comme des enfants sur les bancs de
l’école » (p. 233, l. 139) dès lors qu’ils sont placés sous la férule de
Berthine.
Les Français militaires ne sont pas présentés comme des héros, on l’a
vu à propos du capitaine Épivent : le narrateur s’attarde plus à décrire
ses assauts amoureux (p. 204, l. 148-156) que ceux qui lui ont valu « la
croix » (p. 204, l. 169) ; le nom de son colonel, Prune, prête lui aussi
à sourire… Dans cette nouvelle, la vision qu’exprime le narrateur est
assez proche de celle des civils qui voient dans l’armée française de
simples traîneurs de sabre.
Les civils français sont souvent mieux traités que les militaires : ce sont
des victimes, capables de se conduire héroïquement. C’est Berthine dans
Les Prisonniers qui se montre la plus courageuse, l’ignorance officielle
de son geste et la suffisance avec laquelle Lavigne, l’ancien mercier
devenu sous-officier, puis autoproclamé « commandant major de la
place » (p. 230, l. 52) s’accaparera le bénéfice de son exploit en disent
long sur les sentiments du narrateur face à ceux qui se servent de la
guerre pour gagner la gloire. Lavigne décoré et Berthine restant dans

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l’ombre témoignent parfaitement du regard que Maupassant porte sur


l’héroïsme militaire.
13. Dans Deux amis, l’héroïsme s’incarne selon la tradition à travers deux
figures masculines. Il n’en va pas ainsi dans Les Prisonniers et dans Le Lit
29 où l’héroïsme s’incarne dans des figures féminines. Si Berthine s’inscrit
naturellement dans la lignée des femmes courageuses, déterminées à
chasser l’ennemi par tous les moyens, en particulier grâce à leur astuce,
Irma Pavolin transgresse la figure de l’héroïsme traditionnel, pour faire
d’une marginale aux mœurs dénoncées par la société bien- pensante une
authentique combattante qui fait le sacrifice de sa vie en contaminant les
Prussiens qui profitent de ses charmes.
La vision que Maupassant nous offre de l’héroïsme est donc assez anti-
conformiste et s’inscrit sûrement dans sa dénonciation de l’héroïsme
militaire et guerrier.
Les femmes
14. De même que les nouvelles de Maupassant offrent une vision
assez complète de la société, celle qu’il présente des femmes s’ins-
crit sous le signe de la diversité. L’Aveu et Le Petit Fût montrent des
paysannes avares et cupides, victimes de ce défaut et de leurs sens ;
nulle compassion de la part du narrateur ne vient atténuer ces por-
traits féroces. En revanche, la cruauté de la société envers la femme
peut se lire dans les destins des personnages issus de milieu popu-
laire ; ceux de Rosalie Prudent et de L’Armoire qui ne peuvent assu-
mer dignement leurs maternités involontaires ; ce sont aussi les
tabous que cette même société entretient à l’égard de la sexualité
qui font des personnages de Madame Baptiste et d’Irma des réprou-
vées, dont on se rit ou que l’on dénonce sans en mesurer le tragique
ou l’héroïsme. Le personnage féminin du Noyé comme celui des Pri-
sonniers (malgré son geste) sont victimes de la domination mascu-
line, physique ou morale.
Les hommes peuvent à leur tour devenir des victimes des femmes
comme dans La Femme de Paul, L’Héritage et Le Parapluie où les rôles
traditionnels sont inversés : Paul se tue par chagrin d’amour, le bellâtre
Maze est manipulé et utilisé comme procréateur malgré lui, M. Oreille
subit les reproches incessants de son épouse comme un enfant.
La société
15. La vie des fonctionnaires dans ces nouvelles est caractérisée par
son extrême médiocrité ; qu’il s’agisse de M. Caravan, de M. Oreille ou
de M. Cachelin ainsi que de ceux qui les entourent dans les bureaux
ministériels, on voit que les tâches sont répétitives : En famille, (p. 8,

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l. 40-43), que la seule et unique question qui les préoccupe, est celle
de leur avancement L’Héritage, (p. 109, l. 1-8). Le reste de l’année, on
s’occupe à parler de la vie privée des uns et des autres comme dans
L’Héritage ou à jouer de vilains tours aux plus médiocres, comme M.
Oreille dans Le Parapluie ou le père Savon dans L’Héritage, promus
alors au rang de boucs émissaires destinés à faire oublier un moment
leur condition aux autres employés.
Avant les théoriciens de l’Absurde au XXe siècle, Maupassant en dénon-
çant l’inanité de ces vies, développe un véritable pessimisme quant à
la condition de l’Homme.
16. Le fonctionnaire des années 1880 se rend chaque jour à la même
heure à son bureau ; rien ne vient jamais le surprendre au milieu de cette
routine. C’est pourquoi le moindre incident susceptible d’apporter un
changement à cette monotonie prend l’allure d’une révolution.
17. Si on se réfère à la totalité des nouvelles de Maupassant dans ce
recueil, aucun milieu ne semble épargné par le trait noir et parfois cruel
du narrateur. L’argent, la vanité et l’hypocrisie semblent des constantes
quelque soit le milieu où vivent les protagonistes. La seule distinction
vraiment pertinente au sein de chaque milieu entrevu, semble être celle
qui s’opère entre victimes et dominateurs.

L’ŒUVRE DANS L’HISTOIRE


GROUPEMENT DE TEXTES : IMAGES DE LA FEMME
À LA FIN DU XIX e SIÈCLE (p. 329)
1. En dépit de l’affirmation de son auteur, l’article (p. 338-340) du Grand
Dictionnaire universel semble développer une argumentation contraire.
Ainsi, on peut voir que la condition de femme mariée met immédiate-
ment fin à l’égalité (l. 28) reconnue précédemment (l. 26-27). De plus,
Pierre Larousse s’interdit d’examiner la question de la liberté de la
femme mariée et le statut juridique qui en découle (l. 29-33).
Sachant que la femme mineure, jusqu’à 21 ans alors, était entièrement
sous la dépendance de son père, ou d’un conseil de famille si elle était
orpheline, on voit que seules les femmes célibataires ou veuves pou-
vaient prétendre à un semblant d’égalité. D’autre part, les femmes se

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mariant souvent avant leur majorité à cette époque, elles passaient


ainsi de la dépendance paternelle à la dépendance maritale.
Par ailleurs, célibataire ou veuve, de nombreuses restrictions limitaient
l’égalité affirmée au début de l’article (l. 51-58). Si on reconnaît des
droits aux veuves sur leurs enfants (l. 41-45) seule la toute puissance
maternelle est reconnue aux mères célibataires dont le père n’a pas
reconnu l’enfant (l. 47-48), c’est-à-dire à celles que la société rejette
avec le plus de mépris. Notons à ce propos les précautions oratoires
dont s’entoure Pierre Larousse pour les désigner : « celle(s) qui devien
(nen) t notre mère sans être épouse » ! (l. 46).
Seule la fin de l’article ouvre timidement la porte du monde du travail
aux femmes (l. 59-65), après les avoir confortées dans leur fonction tra-
ditionnelle, celle d’éducatrice (l. 58). L’article s’achève en réaffirmant la
totale dépendance de la condition de la femme à son mari pour le
meilleur et pour le pire (l. 65-67).
2. Dans l’article de Pierre Larousse, on trouve le mot « honnêtes »
(l. 64). Ce terme semble résumer à lui seul le principe auquel doit obéir
la femme. Ce sont « les mœurs » (l. 64) qui fixent la norme, donc un
critère totalement arbitraire et non fondé juridiquement. Au XIXe siècle,
la dépendance comme la respectabilité liées au statut de femme
mariée, mère et épouse en même temps, semble maintenir celles qu’on
appellera un jour « le deuxième sexe » dans un état de totale soumis-
sion à l’égard de la puissance maritale.
3. Les textes qui illustrent cette conception de la femme honnête et
respectable, sont ceux de Flaubert et de Maupassant (avec Mme de
Marelle) qui nous montrent des femmes mariées, bénéficiant de la
considération sociale. Goncourt, Maupassant, Zola et Schnitzler s’en
écartent en représentant respectivement une femme perdue de répu-
tation, des femmes prostituées ou envisageant de le devenir.
Le texte d’Édith Wharton est moins tranché car si la comtesse Olenska
court le risque d’un discrédit social en divorçant, elle ne l’a pas encore
fait et, pour l’instant, les apparences semblent demeurer sauves.
Le texte 1 (p. 329) montre parfaitement le passage d’une condition
féminine respectable à une autre qui transforme Germinie Lacerteux
en créature vilipendée en raison de son non respect des codes
sociaux. On peut s’appuyer sur la présence de deux champs lexicaux
antithétiques, celui de la respectabilité (l. 13-27), avec aussi l’usage
du polyptote d’honnête (l. 15), et celui de la perdition et du mépris
(l. 28-38).
Le texte 2 (p. 331) montre clairement le rôle que les apparences jouent
par rapport à l’image de la femme et les transgressions morales aux-
quelles cette image peut donner lieu pour être sauvegardée. Madame

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Bovary plonge dans le mensonge pour sauvegarder les apparences


(ligne 25 à 27) et y prend même du plaisir (l. 28-30).
Dans le texte 3 (p. 332), comme Nana ne peut prétendre être une
femme honnête, c’est au théâtre qu’elle veut au moins jouer ce rôle, la
scène parvenant ainsi à lui donner une respectabilité qui sera saluée
par le public (l. 35).
Le texte 4 (p. 333) montre le comportement traditionnel de la société
à l’égard des femmes prostituées, à travers le comportement mépri-
sant de Duroy et dénonce implicitement l’hypocrisie sociale qui permet
à un homme de s’afficher avec une femme adultère en public, sous les
apparences de la respectabilité.
Le texte 5 (p. 335) insiste sur le fait que la respectabilité de la femme
peut être remise en question par manque d’argent : dès lors qu’elle est
seule, sans emploi, sans ressources, il ne lui reste plus qu’à se prosti-
tuer pour survivre ce qui est encore une fois la preuve de sa dépen-
dance à l’égard de l’homme.
Dépendance que souligne également le texte 6 (p. 336) puisqu’en
subissant vraisemblablement un mari adultère, la Comtesse Olenska
ne peut recouvrer la liberté que lui confèrerait un divorce car elle
enfreindrait alors un véritable tabou social, celui du divorce qui ferait
d’elle une paria dans la société new-yorkaise puritaine du XIXe siècle.
Le risque est tout aussi grand pour elle d’être livrée aux calomnies de
son mari que de compromettre sa réputation (l. 43-47).
4. Le paradoxe qui se dégage de ces textes est que les femmes qui
apparaissent honnêtes et respectables aux yeux de l’opinion comme
Madame Bovary, Madame de Marelle et dans une moindre mesure, la
Comtesse Olenska transgressent la morale et les codes sociaux car leur
statut de femmes mariées et la position de leurs maris constituent un
écran qui les protège des médisances, du moins un certain temps : « Et
ce n’est pas pécher que pécher en silence » pourraient-elles dire en
reprenant les mots de Tartuffe…
En revanche, on voit que l’honnêteté est souvent du côté de celles que
la société rejette en particulier Rachel qui, même si elle se prostitue
parvient à garder le sens de sa dignité ou de celles qui en sont les vic-
times parce qu’elles sont seules comme Thérèse dont l’exemple montre
bien que c’est souvent la société de cette époque qui contraint une
femme seule, sans argent, à trouver dans la prostitution une source de
subsistance. De même pour Germinie Lacerteux, c’est la solitude et une
vie sans joie qui la poussent à trouver un peu de plaisir en compagnie
d’un homme plus jeune qu’elle croit aimer.
Sous l’apparence d’un regard objectif, les différents narrateurs, par les
situations qu’ils mettent en scène, expriment une véritable critique à

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l’égard d’une société dont la rigueur morale n’est en fait qu’un jeu
d’apparence, et qui se distingue ainsi par une absolue hypocrisie envers
les règles qu’elle s’est données.

L’ŒUVRE DANS UN GENRE


GROUPEMENT DE TEXTES : LES MARQUES
DU GENRE (p. 354)
TEXTE 8 • La Femme de Paul (l. 53-74, p. 41)
TEXTE 9 • Le Parapluie (l. 135-171, p. 101-102)
TEXTE 10 • Décoré ! (l. 36-69, p. 90-91)
TEXTE 11 • Divorce (l. 269-306, p. 287-289)
TEXTE 12 • Rosalie Prudent (l. 8-29, p. 261-262)
La focalisation
1. Les différents types de focalisation
Texte 8 : focalisation zéro (point de vue omniscient). Le narrateur laisse
aller son regard du couple à l’autre « côté du fleuve » ; en effet, il ne
peut s’agir d’un point de vue interne, celui de Paul, ce dernier faisant
face à sa maîtresse qu’il est trop occupé à contempler pour regarder
le paysage et les gens.
Texte 9 : c’est aussi une focalisation zéro puisque le narrateur connaît
tout de son personnage (l. 18-19, 139-143, 158-159).
Texte 10 : focalisation zéro, le narrateur connaît le passé de son per-
sonnage, sa situation présent, ses aspirations futures.
Texte 11 : focalisation ou point de interne. La narration est conduite à
la première personne par un narrateur qui fait à son notaire le récit de
son infortune conjugale, donc d’une expérience entièrement subjective.
Texte 12 : focalisation zéro, le narrateur se présente comme le rappor-
teur d’un fait divers sans manifester son jugement, apparence de totale
neutralité.
2. Les effets produits
Texte 8 : le narrateur semble préférer s’attarder sur la description
des différents attelages, sur la foule attendant de se rendre dans

L’ŒUVRE DANS UN GENRE 11


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l’établissement de bains, témoignant ainsi de connaissances certaines,


liées sans doute à son habituelle fréquentation des lieux. Cependant,
ce type de focalisation n’implique pas la neutralité : le narrateur par-
vient à installer dans sa description une atmosphère mortifère annon-
ciatrice du dénouement avec l’évocation du « bras mort » de la rivière,
et sans doute aussi celle des aller-retour incessants du « lourd bachot »
(p. 41, l. 70-71), qui peut suggérer la barque du passeur des Enfers.
Texte 9 : même s’il adopte une focalisation zéro, le narrateur a aussi
recours au discours indirect libre, par le jeu de questions (l. 147, 159, 161)
qui nous font pénétrer dans les pensées de son personnage, ainsi qu’au
style direct qui permet de mesurer l’inanité des propos du personnage.
Texte 10 : ici encore, on se rend compte que la focalisation zéro n’est
pas toujours synonyme de neutralité : par le jeu des accumulations, le
narrateur parvient à donner une image totalement loufoque et ridicule
de son personnage (dernier paragraphe) que renforce encore l’usage
du discours indirect libre au 3e paragraphe.
Texte 11 : la focalisation interne permet au lecteur de partager les
confidences de l’ancien notaire à son avocat. L’impression de vécu et
de vérité s’impose.
Texte 12 : on retrouve le point de vue de Maupassant journaliste, rela-
tion de faits précis à l’aide de phrases courtes. On peut ici encore déce-
ler des indices du jugement du narrateur qui se fait sociologue (l. 1),
sélectionnant les informations données sur les patrons de Rosalie,
(l. 22-26), reprend leurs propos « haineu (x) », et termine en donnant
une vision assez positive de l’accusée. Comme dans un journal rappor-
tant des faits divers, le jugement du lecteur est ainsi progressivement
guidé vers l’opinion que le narrateur-journaliste veut lui donner.

TEXTE 13 • Saint-Antoine (l. 211-263, p. 86-87)


TEXTE 14 • L’Armoire (l. 22-56, p. 221-223)
TEXTE 15 • En wagon (l. 49-75, p. 244-245)
L’organisation d’une scène
1. Ces textes sont des scènes car :
Texte 13 : le déroulement de l’épisode est restitué dans sa durée, celle
d’une nuit d’hiver rythmée par les hurlements incessants du chien
Dévorant (l. 211, 218) et la peur d’Antoine (l. 214-215). La chute de la
neige inscrit également le texte dans une temporalité durable (l. 224)
que vient interrompre une suite d’actions brèves (l. 226-263), relatant
dans le détail les instants qui précèdent le meurtre d’Antoine.
Texte 14 : ici aussi, le narrateur stylise la durée de l’épisode avec le
recours à l’imparfait dans les deuxième et troisième paragraphe,

12 NOUVELLES
MAUPASSANT•mep prof 14/07/03 7:38 Page 13

temps qui indique une durée non-limitée, correspondant aux déam-


bulations du personnage dans l’attente d’une rencontre ; celle-ci est
clairement identifiée (l. 41). Les actions qui suivent sont précisément
marquées au passé simple qui en restitue l’enchaînement. L’usage du
présent dans les dernières lignes fait ressurgir la scène dans son ins-
tantanéité.
Texte 15 : les instants précédant le départ du train sont minutieuse-
ment décrits ainsi que les circonstances et les conditions dans les-
quelles s’effectue ce voyage. La recherche de places, dans le deuxième
paragraphe est conduite à l’imparfait pour montrer le soin que met
l’abbé Lecuir à respecter les consignes qui lui ont été données, selon
une durée indéterminée. Comme dans le texte précédent, le passage
au passé simple met en évidence l’importance de la rencontre qui va
justifier le choix des places et préparer les péripéties futures. L’épisode
s’achève au présent qui permet la restitution de la conversation entre
le vieux couple et sa fille en actualisant la scène.
2. Rôle des marqueurs temporels dans la progression des textes
Texte 13 : les nombreux marqueurs temporels (l. 211, 213, 220, 224,
234, 259, 261) permettent d’inscrire le texte dans une vraisemblance
chronologique et, en même temps, contribuent à dramatiser le passage
en créant une tension.
Texte 14 : seule au début est indiquée précisément la durée supposée
de la scène avant la rencontre (l. 22). Ensuite, ce sont les temps ver-
baux (opposition entre imparfait et passé simple) qui servent de
repères temporels en l’absence de repères plus précis. Les indications
« pour la nuit » (l. 43), avec l’usage du présent (l. 53, 56) donnent un
relief particulier à cette rencontre cruciale pour le déroulement de la
nouvelle.
Texte 15 : les indices temporels sont très précis : date, heure du
voyage, soudaineté de la rencontre, ici encore décisive pour la suite.
« Et » (l. 75) peut avoir une double valeur : une valeur temporelle, au
sens de puis, mais la conjonction peut aussi être interprétée avec une
valeur consécutive, anticipant les événements à venir

TEXTE 16 • L’Héritage (l. 140-172, p. 113-114)


TEXTE 17 • Saint-Antoine (l. 1-15, p. 79)
TEXTE 18 • Le Parapluie (l. 1-19, p. 97)
TEXTE 19 • Le Lit 29 (l. 1-28, p. 199-200)
TEXTE 20 • Le Petit Fût (l. 1-29, p. 191-192)

L’ŒUVRE DANS UN GENRE 13


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Les personnages
1. Les aspects des personnages privilégiés par le narrateur
Texte 16 : le narrateur met l’accent sur l’obstination du Père Savon
(l. 40-44) et sur son désarroi dès lors que les choses ne se déroulent
pas comme d’ordinaire. Par ailleurs, il souligne sa niaiserie en lui fai-
sant attribuer ses déboires à la mauvaise qualité des fournitures, et non
à la cruauté de ses collègues. Ce faisant, il le rend cependant pitoyable
(l. 169-172).
Les collègues quant à eux, même s’ils sont nommés, sont tous dépour-
vus de la même absence de dignité, chacun se laissant aller à l’anima-
lité enfouie en lui sous les apparences habituellement policées
(l. 150-155).
Texte 17 : le premier paragraphe insiste sur la vitalité du paysan, le
deuxième sur son allure, le troisième sur sa situation sociale avant
d’évoquer, dans les dernières lignes, la force peu commune du person-
nage d’où il tient son surnom.
Texte 18 : le passage est surtout consacré à souligner l’avarice de
Madame Oreille comme le montre l’abondance du champ lexical de l’ar-
gent qui sature tout l’extrait. Seules les deux dernières lignes s’inté-
ressent à son portrait physique et moral (l. 18-19).
Texte 19 : il s’agit dans cet extrait d’un des portraits les plus détaillés
que Maupassant nous donne à lire dans ces nouvelles, en particulier
concernant les caractéristiques physiques d’Épivent et notamment
sa moustache sur laquelle le narrateur s’attarde longuement, comme
il le fait dans son roman Bel-Ami, à propos de Duroy, au début du
roman.
Texte 20 : la nouvelle s’ouvre sur le portrait physique et psychologique
du premier protagoniste, Maître Chicot, puis sur sa situation sociale et
son obstination à obtenir la ferme de la Mère Magloire, avant de décrire
longuement cette dernière (en insistant sur son endurance (l. 12-13), sa
rapacité implicite (l. 21-23), sa probable ténacité (l. 23-25).
2. Ces personnages comme des types
Ces personnages peuvent être perçus comme des types car tout en
semblant très précis, ils demeurent suffisamment vagues pour corres-
pondre à des modèles très répandus : le Père Savon est caractéristique
de n’importe quel petit fonctionnaire besogneux, et obstiné, dépourvu
de tout recul critique, ce qui en fait la proie facile de ses collègues,
moins fragiles car plus calculateurs. Saint-Antoine apparaît comme le
type du paysan normand vantard et bon vivant, Madame Oreille est un
modèle de femme avare, sèche de corps et de cœur. Le capitaine Épi-

14 NOUVELLES
MAUPASSANT•mep prof 14/07/03 7:38 Page 15

vent est le Don Juan des villes de garnison, homme à femmes en rai-
son de sa belle prestance virile. Maître Chicot et la Mère Magloire cor-
respondent aussi à des types de Normands.
3. Les textes 17 à 20 sont des incipit et présentent donc les person-
nages comme le ferait une scène d’exposition au théâtre. Il faut cepen-
dant remarquer que le narrateur ne se limite pas seulement à cette
présentation ; ses personnages expriment tous des caractéristiques qui
peuvent être lues comme des mises en abyme de la nouvelle : le por-
trait de Saint-Antoine nous apporte tous les éléments qui expliqueront
ses actes futurs comme c’est aussi le cas pour Madame Oreille, le capi-
taine Épivent, Maître Chicot et la Mère Magloire.
Seul le portrait du Père Savon ne figure pas dans l’incipit de la nouvelle
L’Héritage. Le narrateur présente d’abord la vie du ministère, les dif-
férents collègues du bureau entourant Cachelin, avant de s’attarder sur
le Père Savon pour montrer sans doute toute la noirceur médiocre de
ces hommes ; c’est bien sur ce type de comportement que reposera la
nouvelle, en bousculant au passage les rôles puisque Maze se retrou-
vera sans le vouloir dans une situation aussi peu glorieuse que celle du
Père Savon, précédé en cela par Cachelin lui-même et par son gendre
victimes à leur tour de la mauvaise farce de la sœur de Cachelin. Le
portrait du Père Savon constitue lui aussi une sorte de mise en abyme,
celle de son atmosphère délétère.

TEXTE 21 • Les Prisonniers (l. 1-30, p. 229-230)


TEXTE 22 • En famille (l. 1-26, p. 7-8)
Deux incipit
• Texte 21
1. La plupart des éléments qui vont permettre à Berthine de réaliser
son geste sont présents dans cet incipit : dans le premier paragraphe,
le narrateur insiste sur l’isolement du lieu. La forêt et la neige créent
un espace totalement clos, propice à devenir le théâtre d’un face à face
entre la jeune femme et l’ennemi.
Par ailleurs la jeune femme est seule avec sa mère « craintive » (l. 24-
26). Cependant la maison est bien protégée, (l. 20-22) et, une fois close
de l’intérieur, peut devenir un véritable fortin.
Mais c’est surtout la force de Berthine qui est mise en valeur (deuxième
paragraphe), son énergie et sa farouche détermination à ne pas se lais-
ser faire (dernier paragraphe). Tous les indices sont donc réunis, dès le
début de la nouvelle, pour rendre tout à fait plausible la résistance de
Berthine face aux Prussiens.

L’ŒUVRE DANS UN GENRE 15


MAUPASSANT•mep prof 14/07/03 7:38 Page 16

2. L’espace, la forêt couverte de neige, est caractérisé par de nom-


breuses métaphores qui semblent placer cette nouvelle sous le signe du
merveilleux ; on peut songer à un début de conte de fées. Or, même si
le merveilleux n’est pas le registre dominant de la nouvelle, le narrateur
en choisissant d’installer une telle atmosphère dans l’incipit, semble
ainsi montrer son personnage féminin sous un aspect exceptionnel qui
lui autorisera d’accomplir un exploit « merveilleux ». Ainsi, loin d’éga-
rer son lecteur par un registre décalé, le narrateur lui permet d’appré-
hender le personnage de Berthine dans tout ce qu’il a d’exceptionnel.
• Texte 22
1. Une atmosphère particulièrement étouffante s’installe dès les pre-
mières lignes de En famille : on note l’emploi d’un champ lexical de
l’asphyxie (l. 4, 5, 9, 10) lié à la chaleur qui règne dans le tramway et à
l’extérieur. Toute vie semble écrasée et remplacée par la poussière,
créant ainsi les conditions d’un climat mortifère. La vision des passa-
gers à l’intérieur de la voiture conforte cette impression (l. 9-10) ; leur
description s’attache à en faire des êtres dégradés, laids, des sortes de
morts en sursit (l. 15-23) qui habitent déjà des lieux qui semblent être
proches de cimetière (l. 24-26). Tous ces éléments semblent annoncer
l’atmosphère qui règne dans la famille Caravan.
2. Le déplacement en tramway constitue matériellement le support
d’une mise en route de la nouvelle. Il permet aussi au narrateur d’or-
ganiser son regard en fonction du déplacement du véhicule comme le
ferait un voyageur, selon un mouvement incessant de va et vient de
l’extérieur vers l’intérieur. Le narrateur peut ainsi saisir les lieux et les
gens dans un même regard que résume sans doute bien sa dernière
vision : « dépotoirs » (p. 26).

TEXTE 23 a et b • Deux amis (l. 1-21, p. 69 ; l. 232-235, p. 76-77)


TEXTE 24 a et b • Décoré ! (l. 1-20, p. 89 ; l. 184-206, p. 94-95)
TEXTE 24 a et b • L’Aveu (l. 1-32, p. 213-214 ; l. 180-199, p. 218-219)
Situation initiale et situation finale d’une nouvelle
• Texte 23 : dénouement, fin et clausule
1. C’est la mort des Deux amis qui réalise le dénouement (l. 223-227)
Les lignes 228-250 correspondent à la fin de la nouvelle avec la rela-
tion des activités auxquelles se livrent ensuite les Prussiens. La clau-
sule est exprimée à la ligne 251 et semble être une leçon implicite que
le narrateur donne à lire à son lecteur à propos de l’importance de la
vie des civils en temps de guerre : l’officier a déjà oublié la scène

16 NOUVELLES
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cruelle qu’il vient d’ordonner, et se remet à fumer tranquillement dans


l’attente d’une petite friture.
2. La relation entre la situation initiale et la situation finale semble s’or-
ganiser autour de l’idée de faim et de nourriture. « On mangeait n’im-
porte quoi » semble nous renvoyer, avec une ironie très sombre, à la
fin de la nouvelle où l’officier prussien, lui, ne va pas manger « n’im-
porte quoi »… Le tragique se fait ainsi grinçant et permet à Maupas-
sant de dénoncer tout le cynisme barbare de la guerre.
• Textes 24 et 25
3. Texte 24 : l’obsession d’être décoré apparente M. Sacrement à un
enfant (2 e §) ; une fois reçu l’objet de ses rêves à la fin, il se met à
pleurer encore comme le ferait un enfant.
Au début de la nouvelle, on voit que c’est grâce à son argent qu’il a pu
épouser une jolie femme. À la fin, c’est grâce aux charmes de cette der-
nière qu’il obtiendra- involontairement- sa décoration.
Enfin, M. Sacrement est présenté comme un personnage peu brillant
(l. 10) ; sa femme en fait un sot, au sens de Molière, à la fin.
Texte 25 : les deux femmes Malivoire apparaissent au début telles des
bêtes de somme (l. 11-15), la fille derrière la mère (l. 31-32), la fille se
met soudain à pleurer ; une fois l’aveu exprimé, les deux femmes
reprennent leurs activités, la fille suivant la mère en pleurant.
Dans ces deux textes, on voit que malgré les changements notables qui
se produisent dans la situation des personnages rien ne bouge vrai-
ment ; Sacrement demeurera un imbécile désormais décoré et Céleste
restera, soumise à sa mère, tout en continuant à voyager gratuitement
en cédant à Polyte, tant qu’il ne remarquera pas sa grossesse.
Les changements intervenus dans la vie des deux personnages, qu’ils
soient souhaités ou non, ne modifient en rien leur destin. Ceux-ci conti-
nueront à mener les mêmes existences mornes et désespérées :
Que deviendra Sacrement une fois son unique désir exaucé ?
Quelle vie sera celle de Céleste sinon la réplique de celle de sa mère à
peine différente de celle de leur troupeau… La traite des vaches, au
début n’est-elle pas l’annonce de la future maternité de Céleste, confor-
mément aux idées de Maupassant que la maternité répugnait ?
4. Les changements intervenus ne sont donc que de simples désordres
qui renforcent l’impression d’immuabilité que revêt la vie des person-
nages. Ces changements sont d’ailleurs inhérents aux travers des per-
sonnages qu’ils accentuent donc.

L’ŒUVRE DANS UN GENRE 17


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VERS L’ÉPREUVE
ARGUMENTER, COMMENTER, RÉDIGER

GROUPEMENT DE TEXTES :
JUGEMENTS CRITIQUES (p. 363)

TEXTE 26 • Maupassant, Préface de Pierre et Jean (1888) (p. 363)


1. Pour Maupassant, l’écrivain est un artiste ; dont le talent consiste à
styliser la réalité et non chercher à la reproduire mimétiquement
comme le ferait une « photographie ». Selon lui, l’écrivain est donc un
créateur à part entière et non un imitateur servile du vrai.
2. L’écrivain ne doit pas chercher à reproduire la vie réelle mais, tel un
artiste magicien, tenter de créer une impression de vérité à partir d’élé-
ments choisis significativement.
3. Cette conception s’oppose à celle qui cherche à modifier la réalité
en la rendant plus belle comme le faisaient les Romantiques. Dans son
choix, l’écrivain, selon Maupassant, ne déforme pas, pour mieux les
faire accepter, certains aspects de la vie, il ne cherche pas à sélection-
ner certains éléments au nom de critères esthétiques, tout en laissant
dans l’ombre certains aspects choquants, il cherche au contraire à sou-
ligner ce qui mérite de l’être pour rendre son sujet plus convaincant.
Mais, à la différence des Romantiques, s’il prend quelques libertés avec
la vérité, ce n’est pas pour camoufler ses aspects crus mais pour la
rendre plus expressive encore.

TEXTE 27 • Ferdinand Brunetière, Le Roman naturaliste (1892) (p. 365)


1. La question initiale posée par Ferdinand Brunetière est destinée à
créer une connivence culturelle avec le lecteur pour mieux lui faire
accepter ses arguments. On peut, en effet, imaginer le lecteur de Bru-
netière, au XIXe siècle, comme un homme cultivé, amateur d’art et donc
connaisseur de l’ouvrage d’Eugène Fromentin. Cette question est donc
un exemple propice à emporter sa conviction.
2. « La sympathie esthétique » est une expression à rattacher à la ques-
tion initiale. Brunetière file en quelque sorte la métaphore artistique
en voulant persuader le lecteur qu’il convient de « poétiser », de
« transfigurer » la réalité afin de la lui faire accepter, la vulgarité de la
vie ainsi esthétisée pouvant devenir alors acceptable.

18 NOUVELLES
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3. À première lecture, on pourrait certes penser que Brunetière préco-


nise aux écrivains naturalistes d’être des « illusionnistes » puisqu’il
parle « d’ingénieux artifices » (l. 6) mais ses intentions ne sont pas du
tout les mêmes que celles de Maupassant. Si l’auteur des nouvelles
veut donner l’illusion de la vérité, c’est pour mieux en souligner la noir-
ceur tandis que Brunetière souhaiterait que les naturalistes atténuent
les aspects trop prosaïques du quotidien en « enveloppant les objets
d’une lumière diffuse » comme les peintres savent le faire avec la tech-
nique du « clair-obscur ».
Ce texte est donc une condamnation du projet de Maupassant puisqu’il
va totalement à son encontre.

TEXTE 28 • Jean-Paul Sartre, Qu’est-ce que la littérature ? (p. 366)


1. La thèse exprimée par Sartre est très politique et conforme à ses
idées marxistes : les nouvelles de Maupassant, toutes organisées selon
le même schéma sont le reflet d’une société capitaliste qui se croit
pérenne (l. 13-14) et où tout rentre sans cesse dans l’ordre après « un
bref désordre » (l. 26).
2. Les comparaisons, « comme la nuit » (l. 21), « comme si l’eau dor-
mante… » (l. 29). Les métaphores, « dans une bulle de lumière entou-
rée de néant » (l. 6), « faire du miel avec sa souffrance » (l. 22).
Ces comparaisons et ces métaphores sont destinées à montrer à quel
point l’univers de Maupassant, selon Sartre, est lénifiant. La comparai-
son ligne 21 renvoie à l’affirmation des lignes 3 et 4 qui soulignent le
rôle anesthésiant de la nuit. Celle de la fin du texte fait référence au
sommeil de l’eau dont chacun sait que même « dormante », elle n’a
pas de mémoire ; implicitement, Sartre semble filer la métaphore, celle
du sommeil narcotique dans lequel nous plongerait les nouvelles de
Maupassant parce que, reflétant les valeurs de la bourgeoisie, elles
engourdissent la conscience sociale du lecteur comme celle des
« opprimés » absents des milieux mondains décrits par Maupassant.
Les métaphores fonctionnent dans la même perspective : le monde de
la bourgeoisie est un leurre masqué par son éclat. Sartre dénonce donc
l’univers de Maupassant comme une sorte « d’opium » destiné à dis-
simuler la réalité sociale de son époque, incapable d’édifier la
conscience du lecteur aux réalités sociales et politiques.

TEXTE 29 • Dictionnaire des Littératures de langue française (p. 368)


1. Selon les auteurs de l’article, la diversité est la principale caracté-
ristique des nouvelles de Maupassant : elle touche aussi bien le genre
lui-même (l. 3-7) que le registre (l. 7-9) placés l’un et l’autre sous le
signe de l’hétérogénéité.

VERS L’ÉPREUVE 19
MAUPASSANT•mep prof 14/07/03 7:38 Page 20

Cette diversité remet-elle en cause l’unité de l’œuvre ? C’est la ques-


tion qu’il convient de se poser face à cette multiplicité de formes et de
tons dans les nouvelles de Maupassant. Les auteurs de l’article écar-
tent l’idée que l’on puisse trouver une possible unité structurelle dans
l’ensemble des nouvelles et, s’ils reconnaissent la récurrence de cer-
tains thèmes, ils n’y voient pas davantage un facteur d’unité.
2. La démonstration des auteurs de l’article s’organise autour d’une
construction syntaxique concessive qui fait suite aux affirmations (l.
1 à 9) constituant la thèse : les nouvelles de Maupassant sont placées
sous le signe de la diversité. La tournure concessive permet de récuser
des sources éventuelles d’unité dans l’écriture des nouvelles : « s’il
faut… » (l. 10) pour mieux affirmer la suite de la thèse, malgré leur
diversité, « le principe de la répétition, contre l’obsession » (l. 18) et
le « combat » mené contre cette récurrence constituent l’unité poé-
tique des nouvelles. La nature de cette « obsession » est sans doute
à chercher du côté du pessimisme fondamental de Maupassant pré-
sent dans toutes les nouvelles qu’il fédère dans la même noirceur
désespérée.

TEXTE 30 • Antonia Fonyi, Une histoire racontée à peu près trois


cents fois (1993) (p. 368)
1. Premier paragraphe : les nouvelles de Maupassant se passent dans
des espaces clos où se déroulent des vies placées sous le signe de la
fermeture à la vie.
2 e paragraphe : si d’aventure on tente une échappée vers la liberté,
c’est pour mieux retourner ensuite d’où l’on vient.
3 e paragraphe : ces ouvertures sont d’ailleurs légitimées par la société
civile et religieuse comme par la morale, étant donné la complexité des
règles mêmes de la morale.
4 e paragraphe : quoi qu’il en soit, le retour à l’enfermement est iné-
luctable.
Antonia Fonyi défend l’idée que, dans les nouvelles de Maupassant, les
personnages sont irrémédiablement condamnés à l’immobilisme, social
et affectif et, si cet enfermement s’interrompt un moment selon des
codes assez souples, en même temps que licites, il reprend inexora-
blement ensuite.
2. Le présent de l’indicatif utilisé ici est un présent gnomique, dit de
vérité générale. Avec le « on » à valeur universalisante (l. 10), on voit
que l’auteur de ce texte veut, grâce à ces procédés, convaincre le lec-
teur de la vérité de ses assertions en leur donnant une portée généra-
lisée à tous les personnages des nouvelles.

20 NOUVELLES
MAUPASSANT•mep prof 14/07/03 7:38 Page 21

3. Ces trois participes passés possède un pouvoir rhétorique certain :


tous trisyllabiques, pourvus de sonorités assez proches leur conférant
un rythme indéniable, ils permettent de clore l’argumentation en scan-
dant et répétant sous des formes diverses la thèse du texte, tout en
emportant la conviction du lecteur : l’univers des nouvelles de Mau-
passant est bien un monde mortifère.

TEXTE 31 • Anne-Marie Baron, « L’expressionnisme de Maupassant


entre Schopenhauer et Gogol » (1994) (p. 369)
1. Selon Anne-Marie Baron, l’œuvre de Maupassant exprime « le drame
de l’individu schopenhauerien » (l. 6), écartelé « entre la douleur et l’en-
nui » (l. 14), c’est-à-dire que les nouvelles nous donnent à lire un uni-
vers profondément pessimiste, en même temps que lucide, conforme à
la vision de celui du philosophe allemand : les champs lexicaux présents
dans le texte sont ceux de la souffrance humaine (l. 4, 6, 8, 10, 13), de
la déception et du dégoût (l. 1, 9, 16, 17). Le mot « déçu » est utilisé
trois fois comme le mot « pessimisme ». L’expression de la lucidité de
Maupassant face à cet univers sans issue est également très sensible.
2. Qu’elles racontent des tragédies (Madame Baptiste, La Femme de
Paul), des drames (Le Noyé, Saint-Antoine), qu’elles suscitent l’émotion
(Deux amis, L’Ermite) ou le sourire (Décoré !, En wagon, La Question du
latin) qu’elles nous plongent dans un réalisme brutal (Rosalie Prudent,
L’Armoire) ou dans la satire grinçante de la société (L’Héritage, Le Para-
pluie, En famille), qu’elles s’achèvent bien (Les Prisonniers) ou mal (Le
Petit Fût, Le Lit 29), toutes les nouvelles de Maupassant expriment le
plus profond pessimisme quant à la nature humaine, individuelle (Saint-
Antoine, Le Petit Fût, Le Parapluie, L’Aveu) ou collective (Madame Bap-
tiste, Les Prisonniers, L’Héritage). Parce qu’ils s’ennuient, les humains
font souffrir les faibles comme le père Savon, Madame Baptiste ou l’en-
fant dissimulé dans l’armoire qui attend, enfermé que les hommes de
passage aient fini de tromper leur ennui avec sa mère. Quand les nou-
velles ne se terminent pas par la mort physique des personnages, leur
vie future s’ouvre sur un néant d’ennui : Décoré !, La Question du latin, En
famille…

TEXTE 32 • Louis Forestier, Introduction aux Contes et nouvelles


de Maupassant (1996) (p. 370)
1. Louis Forestier reproche à Jean-Paul Sartre de n’avoir pas compris
qu’à la fin des nouvelles de Maupassant si tout semble retrouver son
ordre primitif, après ce que Sartre considère comme « un bref désordre
qui s’est annulé », cet ordre n’est en fait qu’illusoire. Sous les appa-

VERS L’ÉPREUVE 21
MAUPASSANT•mep prof 14/07/03 7:38 Page 22

rences du retour à une immuable stabilité, se cache en fait « un rejet


(te) du monde » (l. 10) sous des formes diverses, « la solitude, le sui-
cide ou la fuite » (l. 11).
2. Pour Sartre, le dénouement des nouvelles de Maupassant est à
l’image d’une société bourgeoise. Pour Louis Forestier, en revanche,
ces dénouements contribuent à accentuer le pessimisme des nouvelles
puisque en voulant s’éloigner du monde, les personnages se lancent
dans « une quête » par avance vouée à l’échec en raison de leur médio-
crité. Les activités qu’ils poursuivront au-delà du dénouement seront
donc vaines puisqu’elles ne feront qu’ajouter encore plus de néant à la
vacuité de l’univers où ils dépérissent peu à peu.
Sartre s’est donc servi de l’univers fictif de Maupassant pour illustrer
sa conception de l’évolution politique de la véritable société alors que
Louis Forestier interroge la poétique de Maupassant pour donner du
sens au monde imaginaire de l’auteur des Nouvelles, même si celles-
ci sont souvent le reflet d’une époque, comme on l’a vu (voir « Le
contexte social, p. 314-317).

SUJETS (p. 371)


INVENTION ET ARGUMENTATION
Sujet 1
La nouvelle En famille s’achève sur la question de M. Caravan :
« Qu’est-ce que je vais dire à mon chef ? » (p. 37). La fausse mort de
sa mère le met, en effet, dans un embarras terrible puisqu’il s’est
absenté croyant devoir effectuer ce jour-là les formalités administra-
tives liées au décès. Il se fait cette réflexion à voix basse, « il mur-
mura », sans doute pour ne pas être entendu de sa femme qu’il redoute
probablement au moins autant que son chef (et aussi sa mère !) Il faut
donc insister sur la couardise du personnage tiraillé entre ces trois
figures d’autorité qu’il ne doit en aucun cas heurter, livrer ses explica-
tions sous forme de monologue intérieur dans lequel Caravan va
débattre avec lui-même, pesant le pour et le contre de chaque expli-
cation envisagée.
Sujet 2
Dans l’attente du plaisir de déguster la friture de goujons pêchés par
les deux amis qu’il vient de faire fusiller, le Prussien fume sa pipe ; on
a affaire à un personnage rendu d’autant plus cynique qu’un décalage
total existe entre la scène qui vient d’avoir lieu et celle qui va avoir lieu,

22 NOUVELLES
MAUPASSANT•mep prof 14/07/03 11:09 Page 23

scène de paix, de bien être, de douceur de vivre après une scène de


guerre inutilement cruelle et barbare. Ces différents éléments sont
donc à prendre en compte, peut-être sous la forme d’un dialogue inté-
rieur, l’homme discutant avec le militaire sur la loi de la guerre, l’officier
finissant par prendre le dessus.
Sujet 3
Le choix de l’attitude moralisatrice implique le recours au vocabulaire
de la bien pensance, de l’hypocrisie sociale. Le journaliste peut se mon-
trer ironique quant aux mœurs dissolues d’Irma et s’indigner devant le
camouflet infligé à un officier de l’armée française. L’article doit alors
mêler deux registres en fustigeant les transgressions de la morale et
en dénonçant les atteintes portées à l’honneur de l’armée française.
L’attitude inverse évoluera dans un registre polémique, dénonçant les
conservatismes sociaux, politiques qui condamnent une femme que sa
condition non seulement a conduit à être exploitée et socialement mar-
ginalisée mais qui se voit en plus privée d’un authentique geste
héroïque qui va lui coûter la vie.
Sujet 4
Toute la difficulté consiste à rédiger une lettre racontant comment des
enfants placés sous l’autorité morale d’un abbé ont pu être initiés « en
direct » aux mystères de la vie. Les précautions oratoires de l’ecclésias-
tique peuvent se référer à la naissance de Jésus et faire des enfants les
témoins involontaires d’une scène sacrée en gommant toute la dimen-
sion intolérablement crue pour l’époque de l’accouchement. L’abbé avec
une bonne volonté pétrie de mauvaise foi transformant cette scène sca-
breuse, en un moment religieusement édifiant pour les enfants.
Sujet 5
Le journaliste doit adopter le registre épidictique et blâmer de manière
argumentée une société qui pousse des mères à en être réduites à de
telles extrémités : soumission de la femme livrée aux caprices de
l’homme par ignorance, puis par nécessité financière, totale désappro-
bation sociale qui fait d’elle une paria, perte de la dignité de la mère
et aussi de l’enfant dans une société qui prônent les valeurs mater-
nelles, toutes ces hypocrisies pourront être relevées.
Sujet 6
Le sujet est à construire sous forme de récit destiné à montrer le
contraste entre une jeune femme opiniâtre, courageuse et discrète face
à quelques figures masculines dont les exploits relèvent plus du gros-
sissement épique que de « l’humble vérité ». La scène peut se dérou-

VERS L’ÉPREUVE 23
MAUPASSANT•mep prof 14/07/03 7:38 Page 24

ler à un moment où pour les hommes, ici résistants de fraîche date,


l’issue de la guerre semble scellée alors que Berthine aura, elle, œuvré
patiemment dans l’anonymat et l’ombre des bois.
Sujet 7
Interrogations oratoires nombreuses destinées à interpeller le père et
aussi le lecteur sur la condition de la femme, sobriété des propos de la
mère Papin, tout dans la bouche de la mère Patin doit constituer un
réquisitoire simple mais très humain, contre l’impuissance de la femme
mariée à se débarrasser d’un mari violent. Il convient de montrer la vio-
lence et le désespoir que peut engendrer chez un être, même appa-
remment résigné, la conscience d’être enfermé dans une situation sans
issue.
Sujet 8 : lecture d’images
1. La caricature souligne la prolixité de l’œuvre de Maupassant : l’écri-
vain, tel un athlète soulevant des haltères, porte en effet à bout de bras
son énorme production. L’encrier et la plume, métonymiques de
l’œuvre de l’artiste, sont peut-être aussi nuancés d’ironie puisque nous
avons affaire à une caricature : Maupassant, ancien journaliste, appa-
raissant ainsi comme un inlassable producteur de copie, une sorte de
recordman de l’écriture.
2. Parmi les titres que l’on aperçoit, on peut reconnaître Une Vie, les
Contes de la bécasse, Mademoiselle Fifi et Boule de Suif. Autant de
titres significatifs des exploits de l’auteur des Nouvelles, lui-même
juché un pied sur un volume de Balzac et l’autre sur un volume de Flau-
bert. La référence à Balzac concerne à la fois le réalisme et l’abondance
de l’œuvre de l’auteur de la Comédie humaine, celle à Flaubert va de
soi puisqu’il s’agit du « maître » revendiqué.
3. La figure de Maupassant occupe la partie centrale de l’image et peut
se distinguer par sa différence de taille avec les autres images,
vignettes qui l’encadrent, trois en tout de part et d’autre du visage. La
signature de l’auteur des Nouvelles placée sous son portrait, vient
comme souligner celui-ci. Sous le paraphe de Maupassant, on distingue
enfin trois personnages, deux personnages féminins et un homme d’un
certain âge.
4. L’affiche du film peut nous renvoyer à certaines nouvelles présentes
dans cette anthologie : la jeune femme dévêtue, en haut, à gauche, est
sans doute assez proche de ce que pouvaient être la jeune prostituée
de L’Ermite ou celle de L’Armoire ; les canotiers renvoient à tous ceux
évoqués dans les nouvelles (L’Armoire, L’Héritage et bien sûr La Femme
de Paul) ; les deux femmes se livrant au jeu des amours saphiques évo-

24 NOUVELLES
MAUPASSANT•mep prof 14/07/03 7:38 Page 25

quent également cette dernière nouvelle. Au-dessus, la femme appar-


tient à la bourgeoisie ou à l’aristocratie car sa tenue permet de lui prê-
ter une certaine aisance mais on ne saurait précisément l’assimiler à
un personnage. Elle conviendrait aussi bien à Madame Sacrement dans
Décoré !, qu’à l’épouse du notaire dans Divorce. On peut aussi prêter
une apparence semblable aux aristocrates de En wagon. Les groupes
de personnages situés respectivement en bas, à droite et à gauche de
la représentation de Maupassant sont à l’image de nombreux groupes
sociaux issus de la bourgeoisie dans les Nouvelles, précis et inter-
changeables.
Enfin, les trois personnages figurant sous la signature de Maupassant,
à savoir une jeune femme triste (Miou-Miou), une femme à l’air déter-
miné (Simone Signoret), un homme aisé à l’air sérieux (Jean Carmet)
pourraient respectivement représenter Madame Baptiste, Madame
Caravan ou un des deux amis ainsi que tout autre personnage offrant
des caractéristiques analogues.
5. La signature de Maupassant vient comme authentifier le projet du
réalisateur qui veut sans doute montrer la vie de l’écrivain en
s ‘appuyant sur son œuvre et qui va ainsi peut -être mêler dans son film
réalité biographique et fiction narrative.

COMMENTAIRES
Sujet 9
TEXTE 33 • En famille (l. 439-473, p. 21-22)
Dans une nouvelle qui se déroule à l’intérieur, ce passage constitue une
des rares sorties vers l’extérieur et contraste par son atmosphère avec
l’univers étouffant où évoluent d’habitude les personnages de En
Famille. Néanmoins, la fin avec les réminiscences évoquées, replonge le
personnage de Caravan dans l’évocation familiale.
1. La description s’organise d’abord autour du déplacement de Cara-
van et du Dr Chenet qui effectuent une sortie nocturne jusqu’à la Seine
après avoir dîné. Le narrateur s’attache à restituer les sensations olfac-
tives sans doute éprouvées par Caravan dans le premier paragraphe
avant d’évoquer son regard qui se perd dans « l’avenue » et semble
ensuite se diriger vers le lointain et l’imaginaire, au bruit d’un train en
route vers « l’Océan ». Après quelques lignes de récit (l. 450-456), la
description reprend et s’enchaîne sur un autre élément aquatique, la
Seine, d’abord perçue par l’odorat avant de l’être par la vue, puis de
nouveau par l’odorat du personnage. Les sensations sont donc un élé-
ment essentiel de l’organisation de cette description.

VERS L’ÉPREUVE 25
MAUPASSANT•mep prof 14/07/03 7:38 Page 26

2. On distingue essentiellement deux champs lexicaux : l’un concerne


l’air sous différents aspects « les souffles » (l. 1, 441, 442, 450) ;
l’autre concerne, l’eau. La brume sans cesse présente donne une unité
à la vision d’ensemble. On peut également mentionner un réseau lexi-
cal assez dense du mouvement dans tout le texte, ainsi que la pré-
sence de termes suggérant le bruit. La nature va donc exalter les sens
de M. Caravan, déjà troublés par l’alcool. Plongé dans un désordre
émotionnel total après le décès de sa mère, il va être en proie à
une sorte d’ivresse propre à lui faire ressentir le moindre élément avec
une très grande intensité et, ainsi, être en état de faire ressurgir le
passé.
3. Il s’agit du célèbre procédé de la réminiscence, déjà utilisé par Rous-
seau et Chateaubriand, puis plus tard par Proust : une sensation éprou-
vée jadis, de nouveau perçue au moment présent permet de faire
renaître « le temps perdu » à partir de cette identité de perception.
4. La nuit, l’eau qui peut faire penser au temps qui passe, la brume qui
associe des éléments différents tout en les fondant dans une sorte de
flou créent une atmosphère mélancolique que renforce encore le sif-
flet du train.
Les réponses à ces questions permettent d’orienter le commentaire
vers le plan suivant :
I. Une description organisée
1. Dans l’espace.
2. En fonction des sens mis en jeu.
3. Noyée dans la brume, association de l’air et de l’eau. Cette brume
oriente la description vers une dimension esthétique particulière.
II. Une vision stylisée de la réalité
1. Des couleurs estompées.
Quelques notes colorées se distinguent sur fond de nuit : « une buée
rouge » au-dessus de la ville (l. 446), les étoiles qui se reflètent dans
l’eau (l. 460), la « brume fine et blanchâtre » de chaque côté de la
rivière (l. 461).
2. Une vision floue.
3. Une « illusion » de réalité à la façon d’un tableau impressionniste
qui, comme dans un rêve, va permettre le ressurgissement du passé.
III. La restitution du souvenir
1. L’eau fil conducteur du souvenir.
2. La mélancolie de l évocation.
3. Le retour du chagrin.

26 NOUVELLES
MAUPASSANT•mep prof 14/07/03 7:38 Page 27

Le personnage de Caravan se retrouve ainsi plongé dans le même état


d’esprit que celui qui était le sien lors de sa sortie, un chagrin irré-
pressible causé par la perte de sa mère ; la vision de l’eau le ramène
loin en arrière, au temps de l’enfance et provoque le retour des larmes
comme s’il était redevenu un enfant. Loin d être pathétique, l’extrait
place une fois de plus un personnage dans une situation qui montre
l’immobilisme de la condition de l’homme et s’inscrit donc parfaite-
ment dans la vision pessimiste de Maupassant.
Sujet 10
TEXTE 34 • La Femme de Paul (l. 109-140, p. 42-43)
1. Les nombreuses énumérations et accumulations parcourent l’extrait
et concernent tous les éléments qui le constituent - l’île, la rivière, et
surtout la population qui fréquente l’endroit. Elles renvoient toutes à
une impression de profond désordre qui évolue progressivement vers
une sorte de désagrégation mortifère, suscitant un sentiment de
malaise chez le lecteur, accablé par ce flot de constatations négatives
qui va crescendo, atteignant son summum dans le dernier paragraphe,
composé exclusivement d’accumulations à caractère négatif, à l’ex-
ception de la dernière phrase rédigée au discours direct qui s’achève
cependant sur le mot « crève ».
2. Les premiers personnages mentionnés sont des soldats désœuvrés,
abîmés dans la contemplation de l’eau, de l’autre côté de l’île (l. 112-115).
Puis, le narrateur évoque l’ensemble de ceux qui sont sur l’île pour
s’amuser, avec des termes collectifs d’abord, « cohue » (l. 116),
« foule » (l. 120), distinguant d’abord « les hommes » (l. 120), puis
« les femmes » (l. 123), avant d’isoler un personnage « un d’eux »
(l. 127) et de revenir à un groupe assemblé de « jeunes gens » (l. 129)
pour de nouveau faire surgir toute une collectivité d’hommes réunis
dans une même allure interlope.
On peut parler de technique picturale car, à la manière d’un peintre, le
narrateur construit son tableau de façon équilibrée, progressive, avec
une figure centrale autour de laquelle semble converger les regards :
le pianiste. Cela donne le ton à l’ensemble, à la fois par son comporte-
ment et par son jeu désarticulés, peu propices à créer une atmosphère
paisible et harmonieuse.
3. Dans ce passage, on remarque la présence de termes ou d’impres-
sions suggérant la mort ou au moins le malaise précédant l’arrivée
d’une menace. L’île est « étranglée », la rivière dangereuse ; les sol-
dats semblent attendre l’exécution d’un destin encore incertain qui va
se dérouler comme l’eau qui passe sous leurs yeux. Ce 1er paragraphe
créé donc un effet d’attente certain.

VERS L’ÉPREUVE 27
MAUPASSANT•mep prof 14/07/03 7:38 Page 28

4. Loin d’évoquer un lieu de plaisir, l’établissement semble plutôt un


endroit où règnent l’ennui et la déchéance. Tout part à vau-l’eau, les
tables sont sales, les gens se laissent aller à leurs instincts primitifs,
ils ne se contrôlent plus, les hommes boivent plus que de raison, deve-
nant « des brutes » et les femmes sont à l’affût d’une proie pour satis-
faire à la fois leurs instinct et leur vénalité. Tout ce monde est gangrené
par l’argent ; tout le champ lexical de la corruption sature le dernier
paragraphe et nous renvoie à un monde en totale décomposition, peu-
plé de créatures animalesques et vulgaires.
Les réponses à ces questions permettent d’orienter le commentaire
dans la direction suivante :
Traditionnellement, la vision maintes fois représentée par les peintres
des guinguettes au bord de la Seine se prête à des tableaux riants où se
manifestent la gaîté et la douceur de vivre. Maupassant, dans ce pas-
sage est en totale rupture avec cette vision puisque l’image qu’il nous
donne de l’établissement de bain fréquenté par Paul et son amie se pré-
sente sous un jour profondément délétère, sans doute annonciateur du
drame qui se jouera à la fin.
I. Un monde où règnent le désordre et l’ennui
1. Au plan spatial.
2. Parmi ceux qui fréquentent l’endroit.
3. Le pianiste, sorte de chef d’orchestre de ce chaos.
II. Une société livrée à ses instincts les plus bas
1. Le bruit et la saleté.
2. Des hommes et des femmes ayant perdu toute retenue.
3. Le lecteur comme étouffé sous le flot d’êtres vils.
III. Une vision dénonciatrice et symbolique à la fois
1. Critique morale et sociale. Le narrateur montre ici encore le pouvoir
destructeur de l’argent sur l’homme et sa capacité à se livrer à l’ani-
malité inhérente à sa nature.
2. Une vision mortifère d’un lieu de plaisir qui va bientôt devenir le lieu
d’un drame.
3. Une mise en abyme, par le biais de l’eau, de la chute de la nouvelle.
L’eau apparaît à la fois comme menace, comme écoulement du destin,
et, puisqu’elle est associée aux plaisirs vulgaires de ceux qui fréquen-
tent l’établissement, comme facteur de la dégradation des humains.
Par les bouleversements des sens qu’elle leur procure, elle livre les
hommes à leurs instincts les plus bas et agit ainsi comme révélateur
de leur nature profonde.

28 NOUVELLES
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Il s’agit d’un passage essentiel tant dans l’économie de la nouvelle,


même si les deux acteurs principaux ne sont pas mentionnés ainsi que
dans l’approche du pessimisme de Maupassant et de l’exploitation qu’il
fait du thème de l’eau.
Sujet 11
TEXTE 35 • Madame Baptiste (l. 159-191, p. 66-67)
1. Le point de vue adopté est celui d’un narrateur second qui raconte
l’histoire de Madame Baptiste à un narrateur premier dans une nou-
velle enchâssée : il s’instaure donc un dialogue entre les deux narra-
teurs, le second faisant partager son point de vue au premier par le
biais de question rhétoriques (l. 162) ou directes (l. 171). Ce dernier
l’approuve « Non » (l. 172) et propose surtout une réflexion destinée
cette fois au lecteur (l. 168-169), dont on peut penser qu’elle est éga-
lement partagée par l’auteur lui-même.
On trouve également des interventions au discours direct, avec l’apos-
trophe du chef de musique, (l. 165-167), de voix anonymes, (l. 176,183)
qui nous rapportent les réactions du public à l’encontre de Mme Bap-
tiste. Ces différents points de vue et discours rapportés font monter la
tension dramatique du récit, et oriente le lecteur vers un sentiment
d’indignation envers la bêtise de cette foule.
2. Madame Baptiste ressemble à un automate (l. 172-175), à une pou-
pée brisée. Ses gestes sont mécaniques, la vie semble la quitter. Le lec-
teur se trouve en situation d’assister, impuissant à un meurtre.
3 a. La violence de la foule est suggérée par le narrateur à l’aide du
champ lexical du désordre et du bruit (l. 165, 176), « cria » (l. 177,
179, 184). L’usage de l’imparfait inscrit la scène dans une durée insup-
portable (l. 179-190). Les phrases dans ce paragraphe sont courtes, le
narrateur recourt à la parataxe qui fait s’enchaîner les actions et rend
ainsi le mouvement de la foule totalement implacable, comme une force
aveugle qui va broyer Mme Baptiste ; usage du « on » (l. 180), des indé-
finis et des pluriels.
3 b. Une fois encore, l’humanité qui est montrée par Maupassant, se
distingue par son animalité : les « gamins » poussent des cris d’ani-
maux.
Après avoir répondu à ces questions, on peut proposer le plan de com-
mentaire suivant :
Il s’agit ici du passage clef de la nouvelle puisque s’y opère un véri-
table retournement de la situation de Madame Baptiste. Socialement
réhabilitée alors, après le crime dont elle a été victime dans son
enfance, elle subit une nouvelle agression, de nature différente puisque

VERS L’ÉPREUVE 29
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celle-ci prend la forme d’un terrible affront public qui va signer sa


deuxième mort : après sa mort sociale, le public va, par ses réactions,
la pousser à se donner la mort.
I. Le récit d’un fait divers
1. Pris en charge dans un dialogue.
2. Rendu plus dramatique par le recours à la polyphonie énonciative.
3. Le contraste avec le silence de la victime.
II. Une véritable agression
1. La vision d’une foule livrée à des instincts cruels.
2. Le deuxième viol de Madame Baptiste.
3. L’émotion du narrateur.
III. Le reflet de l’humanité selon Maupassant
1. Une humanité animalisée.
2. La force des préjugés d’une société hypocrite.
3. Le pessimisme de Maupassant.
On pourra souligner en conclusion que cet extrait, d’une très grande
cruauté, à travers la pathétique figure de Madame Baptiste dénonce
l’hypocrisie sociale qui fait de la malheureuse victime d’un viol, l’objet
des risées d’un public en proie à la plus furieuse grossièreté et, deve-
nant à son tour un assassin.
Sujet 12
TEXTE 36 • Le Noyé (l. 212-244, p. 298-299)
1. Le narrateur convoque le champ lexical de la peur : « défaillir » (l. 216),
« se sauver », « demander du secours » (l. 217), « éperdue », (l. 22), la
mort est évoquée avec une majuscule et enfin, l’hypotypose provoquée
par les phrases courtes et tronquées de la mère Patin, destinées à nous
montrer sa hâte craintive, témoignent de la terreur qu’elle éprouve.
2. La situation bascule avec la question rhétorique posée par le narra-
teur, (l. 225). Dès lors, les asyndètes (l. 226, 231, 233-234), les
constructions anaphoriques de qui, les verbes au passé simple accélè-
rent le rythme de l’action en enchaînant les événements et traduisent
le passage de la terreur à la violence chez la mère Patin.
3. La violence de la mère Patin se déchaîne dès lors qu’elle comprend
que son mari n’est pas revenu pour la tourmenter mais que c’est en fait
le perroquet qu’elle a acheté après la disparition de son mari qui l’in-
sulte comme le faisait son mari : (l. 222). Sa violence est alors à la
mesure de la terreur qu’elle a éprouvée, sans bornes. Non seulement,
elle a été effrayée mais aussi trompée par l’animal « sournois et

30 NOUVELLES
MAUPASSANT•mep prof 14/07/03 7:38 Page 31

mauvais », comme l’était son mari. Elle peut alors faire subir à l’ani-
mal perfide la violence qu’elle n’aurait jamais pu exercer contre son
mari et dont elle ignorait vraisemblablement l’existence en elle, ce qui
explique qu’elle soit aussi « bouleversée » à la fin, sentant que son
geste a quelque chose d’un « horrible crime ».
4. La nouvelle s’achève sans que l’on sache pourquoi le perroquet a pu
prendre le rôle du disparu, en exprimant la même violence verbale.
L’ambiguïté demeure : Patin possédait-il cet oiseau sans que sa femme
le sache et lui a-t-il appris à s’exprimer comme lui ? ou bien s’est-il
réincarné dans le perroquet afin de pouvoir continuer à tourmenter son
épouse une fois mort, comme pour lui faire subir un châtiment sans
fin ? Le narrateur ne résout pas la question, laissant planer un mystère
qui inscrit la nouvelle dans un registre proche du fantastique.

DISSERTATIONS
Sujet 13
Si Marcel Arland insiste sur le dépouillement, la simplicité des sujets
des nouvelles de Maupassant et voit dans ce procédé les raisons de leur
réussite, il ne faut pas cependant oublier qu’il s’agit en fait d’une « illu-
sion » de réalité.
I. La nouvelle, un simple fait divers, dans lequel le narrateur oriente
l’interprétation et l’émotion de son lecteur.
1. Des histoires simples voire parfois banales
2. Généralement inscrites dans une durée assez brève.
3. Permettant d’en dégager une leçon ou du moins une conclusion
implicites sur la nature humaine ou sur l’influence de la société sur les
hommes, par l’émotion provoquée sur le lecteur.
II. En fait, la nouvelle comme une « apparence de rien »
1. L’anecdote vecteur de questions essentielles sur la condition humaine.
2. Le « rien » synonyme de l’absurdité de l’existence.
3. La brièveté de la forme au service de la pérennité de la noirceur de
la destinée.
III. Le « triomphe » non d’un genre mais d’une poétique
1. L’illusion d’une lecture facile.
2. Au-delà de la simplicité, des thèmes récurrents qui constituent une
unité poétique.
3. La vision d’un artiste sur le monde qu’il recrée et ne restitue pas seu-
lement à la manière d’un journaliste évoquant un fait divers.

VERS L’ÉPREUVE 31
MAUPASSANT•mep prof 14/07/03 7:38 Page 32

Sujet 14
I. Solidarité des nouvelles de Maupassant entre la première phrase et
la fin du récit.
1. L’effet d’annonce de la première phrase.
2. La première phrase va permettre une construction enchâssée en
mettant un personnage, parfois le narrateur, dans une situation parti-
culière et lui permettre d’avoir le dernier mot et donner ainsi une unité
au récit.
3. La première phrase comme préparation à la mise en abyme des thèmes
de la nouvelle.
II. Mais une solidarité qui s’étend à l’ensemble de la construction de
la nouvelle
1. Le titre de la nouvelle comme principe essentiel du dénouement.
2. La nouvelle comme un ensemble solidaire organisé autour de la
caractérisation des personnages
3. La nouvelle, une unité narrative dont chacun des éléments est indis-
sociable.
III. Une poétique du puzzle fédérée par des structures et des thèmes
récurrents où la surprise du lecteur est cependant ménagée
1. Dès la première phrase, une structure identifiable mais qui cepen-
dant ne dévoile pas le dénouement.
2. Des thèmes récurrents placés sous le signe du pessimisme.
3. Une correspondance entre le début et la fin qui relève moins de l’in-
tensité dramatique ou de la maîtrise parfaite d’une technique narrative
que d’un désir de placer toute vie humaine sous le signe de l’ennui et
de la souffrance.
En conclusion, si la réflexion de Baudelaire est pertinente, elle est aussi
restrictive et la préparation du dénouement est à lire à travers des élé-
ments beaucoup plus complexes que la seule première phrase.

Impression : EMD S.A. - N° 10954 - Dé pô t lé gal : 38067 - aoû t 2003

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