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La méthodologie de la dissertation juridique

La dissertation juridique n’est pas un exercice qui fait peur aux étudiants en droit (contrairement au
commentaire d’arrêt ou au cas pratique). En effet, les étudiants se sentent familiers avec l’exercice
de la dissertation puisqu’ils en ont déjà fait au lycée.

Pourtant, la dissertation juridique n’a pas grand-chose à voir avec une dissertation d’histoire ou de
philosophie. Surtout, trop d’étudiants pensent qu’il suffit de réciter son cours pour avoir une bonne
note, alors que la dissertation implique plutôt de présenter ses connaissances de manière
argumentée pour répondre à une problématique. La dissertation est une démonstration !

L’idée n’est donc pas d’étaler le maximum de connaissances possibles sur le sujet, mais de faire une
synthèse de vos connaissances pour ne garder que celles qui permettent de répondre à la question
posée par le sujet. Par exemple, supposons un sujet de dissertation qui soit le suivant : “L’élection du
Président de la Vème République au suffrage universel direct”. Pour un sujet de ce type, le but n’est
pas de dire tout ce que vous savez sur le Président de la Vème République, quels sont ses pouvoirs,
etc… Le but est au contraire de réfléchir sur le mode d’élection du Président de la Vème République,
de vous demander si l’élection au suffrage universel direct est opportune, pertinente, etc… Dès lors,
ce seront surtout vos connaissances sur le mode d’élection du Président de la République qui vous
seront utiles.

Ceci étant dit, nous pouvons maintenant nous intéresser plus en détails à la méthodologie de la
dissertation juridique.

Cette méthodologie peut être décomposée en 4 étapes :

L’analyse du sujet

L’élaboration du plan et de la problématique

La rédaction de l’introduction

La rédaction du développement

L’analyse du sujet

La première chose est évidemment de bien lire le sujet. Il faut faire attention à chaque mot que
contient le sujet, car chaque mot est important.
Par exemple, un sujet “Faut-il supprimer l’élection du Président de la Vème République au suffrage
universel direct ?” n’est pas le même qu’un sujet “Peut-on supprimer l’élection du Président de la
Vème République au suffrage universel direct ?”.

Dans le premier cas, il s’agit de réfléchir sur le caractère opportun, pertinent, justifiable de l’élection
au suffrage universel direct. Cela revient à se poser la question : Est-ce une bonne idée ? Est-ce une
bonne chose ? Est-ce qu’il ne serait pas préférable d’utiliser un autre mode d’élection ?

Au contraire, le second sujet implique de se demander s’il est possible de supprimer l’élection au
suffrage universel direct. Est-ce qu’une telle suppression serait contraire à la Constitution de la Vème
République ? Si oui, de quelle manière faudrait-il modifier la Constitution ?

De manière générale, si votre professeur vous a donné un certain sujet, c’est qu’il a une idée derrière
la tête. Le sujet soulève une question et votre professeur attend de vous que vous compreniez la
question qui est soulevée.

N’hésitez donc pas à passer du temps sur l’analyse du sujet, afin d’éviter le hors-sujet.

Le plan de la dissertation juridique

La deuxième étape est de construire le plan de votre dissertation.

Pour cela, il est utile de vous souvenir du plan de votre cours, afin de situer le sujet. Néanmoins, le
plan de votre dissertation ne doit pas nécessairement être le même que celui de votre cours (c’est
même rarement le cas !).

Mais alors comment trouver le plan ?

La méthode la plus efficace est sans doute celle du brainstorming.

Vous allez noter au brouillon toutes vos idées, toutes vos connaissances sur le sujet. Si vous avez
droit au Code, vous pouvez vous en servir en guise de complément (après avoir noté tout ce qui vous
passe par la tête). Mais restez bien dans les limites du sujet. Comme expliqué plus haut, ce n’est pas
la peine de détailler les pouvoirs du Président de la République pour un sujet qui concerne l’élection
au suffrage universel direct.
Vous allez ensuite sortir votre arme fatale d’étudiant en droit : j’ai nommé vos surligneurs.

Prenez 4 couleurs différentes, et surlignez d’une même couleur les idées/informations qui sont liées,
qui peuvent être regroupées entre elles.

Vous l’avez deviné : chaque couleur correspond à une sous-partie de votre dissertation. C’est donc le
rassemblement de vos idées/connaissances qui va vous permettre de déterminer vos différentes
sous-parties et donc votre plan.

Prenons un exemple pour mieux comprendre. Imaginons un sujet de dissertation juridique qui soit le
suivant : “Chacun a droit au respect de sa vie privée”.

A la lecture du sujet, je remarque que “chacun” et “droit au respect de la vie privée” sont les termes
essentiels du sujet. Le sujet est une phrase sous forme affirmative, énoncée comme une vérité
absolue : tout le monde aurait le droit au respect de sa vie privée. Pour autant, un droit est souvent
assorti de limites, et le droit au respect de la vie privée ne fait probablement pas exception.

Je commence alors à deviner la problématique : le droit au respect de la vie privée est-il absolu ou
comporte-t-il des limites ?

Je note alors toutes mes idées/connaissances au brouillon.

Après avoir tout noté, je remarque que mes connaissances peuvent être regroupées en 4 catégories
distinctes :

le droit au respect de la vie privée a été consacré tant en droit interne qu’en droit communautaire et
international, et concerne tous les individus

le domaine de la vie privée est vaste et continue d’être étendu par la jurisprudence

le droit au respect de la vie privée ne prime pas toujours sur la liberté d’expression, le principe de
liberté de la presse et le droit à l’information du public

Les atteintes à la vie privée doivent être prouvées et les sanctions ne sont pas toujours efficaces

Logiquement, les deux premiers points constitueront ma première partie qui traitera du principe
général du droit au respect de la vie privée. Les deux derniers points, eux, seront intégrés dans ma
deuxième partie qui concernera les limites du droit au respect de la vie privée.
On voit que mon plan répond à la problématique puisqu’il fait ressortir que le droit au respect de la
vie privée n’est pas totalement absolu et qu’il comporte des limites.

Il s’agit d’un plan de type “Principe/Limites”. De manière générale, beaucoup de plans sont basés sur
des plans bateau du type : “Principe/Exceptions”, “Domaine/Limites”, “Conditions/Effets”, “Droit
positif/Droit prospectif”… en étant simplement un peu plus “habillés” !

Il faut toutefois éviter les plans chronologiques de type “Avant/Après” : le risque est alors de réciter
son cours sans argumentation.

Parfois, le sujet sera une comparaison entre deux notions juridiques distinctes. Par exemple : “Le
droit au respect de la vie privée et la liberté d’expression”.

Il ne faut alors surtout pas consacrer une partie pour chaque notion ! Il faut au contraire essayer de
repérer les éléments communs aux deux notions. Ainsi, pour le sujet “Le droit au respect de la vie
privée et la liberté d’expression”, le plan pourrait être le suivant :

Première partie : Deux principes fondamentaux consacrés en droit interne et international

Première sous-partie : La consécration du droit au respect de la vie privée

Deuxième sous-partie : La consécration de la liberté d’expression

Deuxième partie : Deux principes assortis de limites

Première sous-partie : La liberté d’expression, limite au droit au respect de la vie privée

Deuxième sous-partie : Le droit au respect de la vie privée, limite à la liberté d’expression

Par ailleurs, le plan d’une dissertation juridique doit être simple et clair. Inutile de faire des phrases à
rallonge ou des effets de style ; il faut que le correcteur comprenne sans difficultés là où vous voulez
l’emmener.

Enfin, tenez-vous en au plan en deux parties, deux sous-parties. Faire un plan en trois parties, ou en
deux parties avec trois sous-parties par partie, représente un risque car la grande majorité des
correcteurs y sont réfractaires. Alors ne tentez pas le diable 😉

La problématique de la dissertation juridique

Après avoir déterminé le plan de votre dissertation, vous devez choisir une problématique.
En réalité, comme expliqué ci-dessus, il est possible d’avoir une idée de la problématique avant
même de construire le plan, ou encore de trouver la problématique pendant la phase de
construction du plan.

Toujours est-il qu’il est préférable d’avoir sa problématique avant de s’attaquer à la rédaction de la
dissertation.

A ce titre, la problématique ne doit surtout pas être identique à l’énoncé du sujet. Il faut reformuler
le sujet afin de montrer au correcteur que vous avez compris la question qui se pose.

Par exemple, le sujet “Peut-on supprimer l’élection du Président de la Vème République au suffrage
universel direct ?” pourrait donner lieu à la problématique suivante : “Est-il possible de supprimer
l’élection du Président de la Vème République au suffrage universel direct ?”.

De même, pour le sujet “Faut-il supprimer l’élection du Président de la Vème République au suffrage
universel direct ?”, une problématique pourrait être : “Est-il opportun de supprimer l’élection du
Président de la Vème République au suffrage universel direct ?”.

Ces phases d’analyse du sujet, d’élaboration du plan et de la problématique, devraient vous prendre
environ une heure. Il faut ensuite passer à la rédaction de la dissertation.

La rédaction de la dissertation juridique

La dissertation juridique peut être décomposée en 3 parties distinctes :

L’introduction

La première partie

La deuxième partie

Il ne faut pas faire de conclusion.

L’introduction de la dissertation juridique

L’introduction comprend 6 étapes qui s’enchaînent de manière logique. Ces 6 étapes sont les
suivantes :
L’accroche. Il s’agit ici d’évoquer une actualité, ou de donner une citation. Une bonne accroche
éveille la curiosité et suscite l’intérêt du correcteur. Mais si vous n’avez pas d’idée d’accroche, vous
pouvez directement passer à l’étape suivante. Il vaut mieux ne pas “forcer” son accroche (au risque
qu’elle ne rentre pas dans le cadre du sujet).

Situer le sujet dans son contexte. Il faut situer le sujet dans le droit (contexte juridique), et
éventuellement dans le temps (contexte historique) et dans l’espace (contexte géographique).
N’hésitez pas à utiliser la technique de l’entonnoir : partez du général pour arriver au plus précis.

la définition des termes du sujet. Cette étape est essentielle pour montrer à votre correcteur que
vous comprenez et maîtrisez les notions qui sont en jeu. Il peut parfois y avoir plusieurs définitions
pour un même terme. Par exemple, la loi au sens large désigne une norme générale et abstraite
applicable à tous. Mais au sens strict, la loi est une disposition prise après une délibération du
Parlement (Assemblée nationale et Sénat). Le fait de faire ressortir les différentes définitions
possibles d’un terme juridique peut aider à mieux cerner le sujet et la question qui se pose.

les enjeux du sujet. Cette étape est très importante, puisque c’est à ce moment-là que le correcteur
va avoir une idée de votre compréhension du sujet. Il s’agit de mettre en exergue les différentes
thèses qui s’opposent, les controverses, les interrogations, les intérêts contradictoires qui découlent
du sujet. C’est l’opposition entre ces deux thèses / intérêts contradictoires qui va permettre
d’amener la problématique.

La problématique. Elle est le résultat de la contradiction entre les 2 thèses opposées.

L’annonce du plan. Elle doit être “déguisée” ; il est préférable de ne pas utiliser des termes comme
“Premièrement”, “Deuxièmement”, etc… Par exemple, pour le sujet “Chacun a droit au respect de sa
vie privée”, cela donnerait : “Si le droit au respect de la vie privée a été consacré comme un principe
général (I), il n’en demeure pas moins qu’il est assorti d’un certain nombre de limites (II)”.

L’introduction doit être particulièrement soignée. Comme pour le commentaire d’arrêt, le correcteur
aura déjà une idée de votre note après avoir terminé de lire votre introduction.

Le développement de la dissertation juridique

Après l’introduction, vient le développement.

Très simplement, on entend par “développement” les deux parties de la dissertation juridique.

Ici, il faut se conformer à certaines règles de forme. Ainsi, le plan doit être apparent et facilement
visible pour le correcteur. De plus :

Chaque partie doit débuter par un chapeau afin d’annoncer les deux sous-parties

Les sous-parties doivent être séparées par des petites transitions, et les parties doivent être séparées
par une grande transition
Au final, la structure d’une dissertation juridique est la suivante :

Introduction

I [titre du I]

Chapeau du I

A [titre du I) A]

Petite transition

B [titre du I) B]

Grande transition

II [titre du II]

Chapeau du II

A [titre du II) A]

Petite transition

B [titre du II) B]

Concernant le fond, il n’y a pas vraiment de règles strictes. Chacune de vos sous-parties peut contenir
2, 3 ou 4 idées. De même, le nombre de paragraphes de chaque sous-partie n’a pas nécessairement à
être identique. Il faut toutefois veiller à ce que les sous-parties soient plus ou moins équilibrées.

Gardez bien en tête que la dissertation juridique est une démonstration. Chaque sous-partie doit
viser à démontrer une ou plusieurs idées.

Enfin, pour chaque sujet de dissertation, il y a des textes, des décisions de justice, voire parfois des
théories doctrinales, que votre correcteur s’attend à voir dans votre copie.

Par exemple, pour le sujet sur le droit au respect de la vie privée, il serait préjudiciable de ne pas citer
:

l’article 9 du Code civil selon lequel « chacun a droit au respect de sa vie privée »

l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 23 octobre 1990 selon lequel « toute
personne, quels que soient son rang, sa naissance, sa fortune, ses fonctions présentes ou à venir, a
droit au respect de sa vie privée »

la décision du Conseil Constitutionnel du 23 juillet 1999 qui a fait du droit au respect de la vie privée
un principe à valeur constitutionnelle
l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (“Toute personne a droit au respect
de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance”).

Pour vous assurer de ne pas oublier un de ces éléments importants, je vous conseille de les noter au
brouillon au fur et à mesure qu’ils vous passent par la tête. En outre, avant de commencer à rédiger
votre dissertation, jetez un coup d’oeil à votre Code (si vous y avez droit). Cela pourrait vous
permettre de retrouver un article de loi ou une jurisprudence importante (sous les articles de loi) qui
vous avaient échappé jusque-là.

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