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Annales de Géographie

Ressources et vie de relation du Sahara : l'exemple du Souf


Claude Bataillon

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Bataillon Claude. Ressources et vie de relation du Sahara : l'exemple du Souf. In: Annales de Géographie, t. 69, n°375, 1960.
pp. 493-507;

doi : https://doi.org/10.3406/geo.1960.14732

https://www.persee.fr/doc/geo_0003-4010_1960_num_69_375_14732

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RESSOURCES ET VIE DE RELATION DU SAHARA :
L'EXEMPLE DU SOUF

Depuis cinq ou six ans l'évolution sociale du Souf a sans doute été une
des plus rapides du Sahara Est-algérien. En effet ce pays était archaïque
— sinon replié sur lui-même — et le niveau de vie de ses 100 000 hab. était
particulièrement bas. On pourrait dire que les bouleversements sont
circonstanciels, liés au conflit algérien. Mais ici comme ailleurs cette conjoncture
devient permanence et en fin de compte il y a installation dans les
bouleversements ; l'équilibre ancien est définitivement détruit.
Le fait majeur est le flot de capitaux surtout publics qui se déverse sur
l'Algérie et ГО. C.R.S. Plus exactement cet apport financier concerne la
plus grande partie de PO. C.R.S. et des secteurs étroits de l'Algérie, surtout
les villes du Tell. Même si c'est une partie limitée du pays et de la population
qui connaît cet aspect des bouleversements, la situation de l'ensemble de
l'Algérie en est transformée. Quand certains proposent que des régions
privilégiées soient séparées de l'ensemble, il peut être utile de montrer à quel
point une région saharienne a pu devenir algérienne.
L'étude est centrée sur les revenus et la vie de relation dans le Souf :
en un sens le salaire et la route sont à la base des bouleversements, bien
entendu dans un contexte politique exceptionnel et de longue durée1.
Dans les évaluations des ressources et des dépenses du Souf2, certains
éléments méritent défiance et discussion, même sans tenir compte de la
valeur plus ou moins exacte des chiffres. En premier lieu, l'augmentation
des chiffres absolus est imputable pour un tiers sans doute à la hausse des
prix et des salaires modernes dans l'économie globale de la France et de
l'Algérie. D'autre part le poste des importations est toujours très incomplet
à cause de sa variété ; d'ailleurs il s'est qualitativement transformé de fond
en comble.
C'est l'évolution des exportations et des ressources non commerciales
qui nous donne la clef des bouleversements. Des tendances existaient déjà,
mais l'ensemble a littéralement basculé. Tout d'abord la consommation
des produits locaux, restée stable en gros, passe de plus de la moitié à moins
du tiers du revenu global : la dépendance du Souf a augmenté dans ces
proportions. Ensuite les rentrées d'argent qui provenaient pour plus de 4/7 des
exportations, n'en proviennent plus que pour moins du tiers (ce poste a été
multiplié par 2,2 tandis que les rentrées d'argent non commerciales qui
couvrent le reste se sont multipliées par 5,5). C'est la non-rentabilité du Souf
qui s'accroît dans ces proportions, pour des besoins considérablement accrus
bien entendu. Enfin le produit de l'émigration est multiplié par 4,2, tandis
que les salaires publics, surtout militaires se sont multipliés par 7 ; ainsi
1. Il n'est pas indifférent de noter que l'Erg oriental a été une des régions les moins troublées.
Cette étude se veut une mise au point par rapport à un travail rédigé voici sept ans sur la
même région. Tous mes remerciements vont à M. Luce Catineau à qui je dois à la fois un court
séjour au printemps 1960 et une documentation administrative abondante.
2 Voir tableau : Bilan de l'économie du Souf.
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l'émigration qui comptait pour presque 2/3 des rentrées non commerciales,
compte actuellement pour un peu plus de la moitié. C'est du contexte
directement politique dont dépend de façon accrue le pays, car ce développement
du secteur public n'est compensé que pour moins du dixième par les rentrées
fiscales.
Bilan de l'économie du Souf.

1953 1959
(En millions de francs légers)

AUTOCONSOMMATION
Dattes ghars 750 2 6001
Viande 1001 240»
Total 850 840
IMPORTATION
Céréales 325< 591»
Carburant 0 303
Viande sur pied 104»
Huile, thé, tissus, sucre 800 ! 3201
Total 405 1 045
EXPORTATION
Dattes ghars 353 6S
Tabac . 598 140»
Deglet-Nour (dattes) 2002 6002
Artisanat 25* 46
Total 319 750
DÉFICIT THÉORIQUE
295
RENTREES NON COMMERCIALES
Contrebande thé 162 400»
0
Salaires armée 31»
— administration 50 ! 330»
Émigration 180
903 785
180»
dont Tunisie 485»
— France 0
— Algérie-Sahara 902 1202
Total non commercial 277 1 515

1. Chiffre estimé. 2. Calculé par extrapolation. 3. Chiffre connu précisément. 4. Sous-estimé sans doute
pour l'orge 5. Seuls les tapis restent comptés.

Gomment n'être pas frappé par le caractère typiquement algérien qu'a


pris en sept ans l'économie d'un pays encore récemment archaïque ? La
disparition de l'isolement, le recours à l'extérieur faute de ressources locales
et enfin l'assistance pure et simple sont le fait de certains secteurs de l'Algérie
qui prennent une étrange figure de prospérité et de déséquilibre ; mais
certains traits sont bien sahariens ici : la faiblesse relative de la masse de
population ainsi que la profondeur du dénuement dans l'archaïsme au cours de
la précédente décade, tout ceci a fait que la masse financière déversée sur
RESSOURCES ET VIE DE RELATION DU SAHARA 495
le Souf a accru exceptionnellement vite les ressources d'une société
exceptionnellement pauvre.
Les bouleversements apportés ont sans doute été plus brutaux qu'ailleurs,
car le conservatisme était ici plus fort qu'ailleurs au Sahara constantinois.

PÉNÉTRATION ADMINISTRATIVE ET SCOLAIRE1

Les bouleversements administratifs ont consisté avant tout en une


prodigieuse mise en fiche d'une société jusque-là mal connue et considérée
comme sous-administrée. Le recensement de plus en plus précis a embrassé
tous les éléments chiffrables, permettant un progrès considérable de la
connaissance des hommes ; connaissance exacte sinon profonde. Les détails
des attaches familiales et tribales, de la répartition locale, de la propriété
foncière, de la composition démographique, de l'activité professionnelle,
des rythmes de nomadisme et de migration, tout ceci est apparu clairement,
là où l'on devait se contenter de sondages et d'évaluations auparavant.
Mais c'est une réalité de plus en plus contrôlée et codifiée qui apparaît. Le
nomadisme est mieux connu dès qu'il est surveillé, donc entravé. Il en est
de même pour les migrations. La connaissance des équilibres des tribus,
mouvants et fragiles, aboutit nécessairement à des solutions définitives et
tranchées, cristallisées par l'état civil, qui n'admettra plus les nuances et
les faux fuyants de l'adoption et de l'emboîtement des noms de groupe.
Depuis quatre ans a été mis en place un découpage administratif à base
locale, supprimant le pouvoir des chefs de « tribus » sans éliminer d'ailleurs
souvent les hommes qui ont été réintroduits dans le nouveau système. Celui-ci
prend acte de la très large sédentarisation des vieux groupes tribaux, crée
des communes aussi bien là où des villages anciens guidaient la réforme,
que là où l'émiettement des hameaux de nouveaux sédentaires rendait la
chose plus difficile. C'était s'adapter à la nouvelle configuration du
peuplement, mais peut-être en y plaquant une suradministration. Car il y a mise
en place de méthodes calquées sur celles de la France, coûteuses au-delà
des possibilités locales et vivant donc de fonds extérieurs, dont la gestion
échappe à la commune. Celle-ci apparaît plus comme un rouage
administratif, mieux adapté sans doute, que comme un foyer créateur d'initiatives
autonomes. Créations d'écoles, de bâtiments publics ou même frais courants
peuvent être comptés largement, mais par recours constant au pouvoir
central dont on dépend. De plus dans la plupart des cas les «Centres
d'Administration Saharienne » établissent des doubles commandes à côté des communes.
La mesure de francisation la plus importante est sûrement la
multiplication des écoles. Il est impressionnant de savoir que dans le Souf quelque
600 élèves allaient à l'école vers 1946 et qu'en 1960 à peu près 4 000 y vont.
Cet effort considérable apparaît directement lié à des conditions extérieures
au pays, politiques surtout ; une première étape rapide a été franchie dans
1. Ces renseignements proviennent en partie de : Bulletin de Liaison saharienne, Alger,
décembre 1958, 10 ans de réalisations communales dans l'annexe d'El Oued.
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l'atmosphère de la Libération et du statut de l'Algérie (1946-1950) ; la seconde,


plus rapide, date des cinq dernières années, l'abondance des crédits
mesurant en somme l'intensité des crises.
Cet effort n'est d'ailleurs pas particulier au Souf ; en cinq ans, 59 classes
ont été construites dans l'Oued Rhir1 contre 27 ici, pour des populations
comparables. Quoi qu'il en soit, les résultats sont supérieurs à la moyenne
du Sahara algérien car plus du cinquième des enfants est scolarisé.
La scolarité est dans l'ensemble calquée sur celle de la France ; le point
central est l'usage exclusif du français comme langue scolaire. Cependant
dans le détail certains aménagements veulent éviter que l'élève ne connaisse
qu'autrui et non son propre milieu : l'enseignement de l'histoire et de la
géographie porte pour moitié sur l'Algérie. Le bagage de l'élève fait en somme
de l'école un apprentissage de l'émigration ; toutes les connaissances, mais
avant tout celle du français, orientent soit vers des emplois administratifs
limités soit vers l'extérieur.
Le métier idéal que se proposent les enfants2 est bien soit l'émigration
vers la France, soit la recherche des salaires proposés sur les chantiers
pétroliers de Hassi Messaoud ou d'ailleurs, cette dernière possibilité devant rester
nécessairement limitée après la phase de recherches et de forages.
Au total la langue française est un outil moderne, mais non pas neutre :
c'est le véhicule d'une culture étrangère au pays, dont l'emprise est
formidable. Le remplacement du cheikh avec sa rudimentaire comptabilité en
arabe par le secrétaire de mairie, ancien élève, l'école, moyen d'accéder
aux hauts salaires de France ou du pétrole saharien, tout ceci est
puissamment novateur, mais implique une option culturelle et politique que le bilan
économique du Souf laissait déjà apparaître.

Bouleversement des ressources


En présentant le bilan économique du Souf en 1953 et en 1959, nous avons
insisté sur l'importance de plus en plus grande des rentrées d'argent non
commerciales, dépendant étroitement de l'assistance de l'état et de la
conjoncture politique. Il nous faut essayer de voir comment la vie de la
collectivité est atteinte dans le détail par ces bouleversements. L'arrivée de
capitaux, finalement distribués sous forme de salaires et l'envoi de fonds par
les émigrés sont, au moins à leur échelle actuelle, des événements
totalement neufs. Au contraire la vie rurale dont dépend encore pour moitié la
vie économique3 du Souf relève de l'adaptation et du réaménagement de
très vieilles habitudes de travail. La cohésion de ce milieu et ses capacités
de transformation sont considérables4.
1. Ibidem, mars 1959, Touggourt, capitale du pétrole.
2. Renseignements obligeamment communiqués par MM. les instituteurs d'El Oued et
d'Amiche.
3. Autoconsommation (840 millions) + exportations (740 millions), soit 1 580 pour 1 515
millions de ressources non commerciales.
4. Cette cohésion apparaissait en 1953 comme si puissante qu'on n'imaginait guère de
transformations profondes préservant en partie la tradition rurale ; c'est pourtant à cela qu'on
assiste sans doute.
RESSOURCES ET VIE DE RELATION DU SAHARA 497

Transformation de la culture du palmier, adaptation ou modernisation


radicale? — La culture traditionnelle se fait sans irrigation (« en bouř »),
les palmiers sont plantés dans des creux ou entonnoirs (ghouts) ce qui permet
aux racines d'atteindre directement la nappe phréatique. Sans qu'on puisse
s'en étonner, au contraire, cette technique reste intacte. Les plantations
s'étendent assez peu actuellement : c'est plutôt dans les jardins existant
que les arbres ont été multipliés. La transformation essentielle est
l'importance croissante des espèces destinées à l'exportation (deglet nour) par
rapport aux espèces de consommation locale (ghars essentiellement). Cette
adaptation déjà ancienne s'est accélérée. En 1953 la proportion globale de deglet
atteignait 12 p. 100 selon les impositions et l'on en trouvait près de 30 p. 100
dans un jardin assez ancien de Tiksebt, plus de 30 p. 100 dans un jardin
plus récent de Kouinine. Le mouvement aboutit en 1958-59, d'après un
levé cadastral détaillé, à une proportion globale de 23 p. 100 des arbres
et de 34 p. 100 des jeunes arbres. La plupart des plantations actuelles
concernent la datte d'exportation, comme l'indique le commerce des rejets à
planter (hachanes).
Cette réorientation certaine comporte des exceptions : des centres de
culture anciens, où l'on ne plante plus, gardent une production traditionnelle ;
on y trouve peu d'arbres jeunes et peu de Déglet-Nour1. Mais l'importance
des dattes de consommation locale subsiste aussi dans les régions occupées
par les semi-nomades. Ces plantations datent souvent de moins de trente ans,
mais leurs propriétaires ont vu en elles de façon persistante une ressource
alimentaire complémentaire de leur troupeau, sans être tentés par une
spéculation commerciale2. Au total la production de dattes Ghars a dû diminuer
légèrement, comme le nombre d'arbres de cette espèce3 tandis que la
production de Déglet-Nour a certainement augmenté, en poids comme en valeur.
Ce sont les conditions d'emploi de la main-d'œuvre qui ont été le plus
rapidement bouleversées en quelques années. Le manœuvre creusant et
transportant les déblais pour la plantation des arbres recevait vers 1953
un salaire quotidien de 100 F. Dans ces conditions une partie importante
du travail était faite à dos d'homme. Actuellement les salaires des mêmes
manœuvres montent à 1 000 F par jour, plus un casse-croûte comme
autrefois. On accroît toujours maintenant le rendement de l'homme en- lui
confiant un âne ou un mulet. Celui-ci qui était une bête de luxe devient de plus
en plus courant4.
1. Région ancienne de Ghamra (Horra), 1/10 de Deglet-Nour et 1/28 de jeunes arbres au
total; Zgoum et El Oued, 1/6 de Deglet-Nour et respectivement 1/7 et 1/10 de jeunes arbres.
2. Bayada, vieux centre d'attache des semi-nomades, comporte 1/9 de Deglet-Nour. Debila,
plus récent et de population partiellement semi-nomade : 1/5 ; à El Aoueissa (Nord-Ouest),
Touam et Moui Moulahoum (Sud-Ouest), tous centres récents de semi-nomades, on a
respectivement 1/7, 1/10 et 1/5 de Deglet-Nour.
3. Le dénombrement précis des plantations a été fait en 1958-59. Comme il est le premier
du genre, ses résultats ne sauraient être comparés que très approximativement aux évaluations
fiscales précédentes.
4. Ce salaire agricole quotidien de 1 000 F se retrouve à El Golea, où le travail se payait
déjà autour de 250 F il y a 5 ans ; l'augmentation massive s'accompagne d'une égalisation
car ce sont les salaires modernes qui font les prix et non plus les conditions locales.
ANN. DE GÉOG. LXIXe ANNÉE. 32
498 ANNALES DE GÉOGRAPHIE

La valorisation du travail humain s'est réalisée brusquement en partant


de très bas, grâce à la concurrence des emplois non agricoles. Dans ces
conditions nouvelles, seule la culture des Deglet-Nour serait rentable, mais
cet aspect comptable n'est certainement pas perçu par l'ensemble des
cultivateurs. A cette adaptation massive qui concerne une palmeraie totale
de 503 000 palmiers — et la totalité de la population du Souf — s'oppose
la tentative de création totalement nouvelle de culture irriguée par la CAPER ;
si la plantation réalisée s'élève à 9 000 palmiers, certains projets ont pour
but de décupler ce chiffre comme nous le verrons.
Plus apte à suivre les bonds de la conjoncture commerciale, la culture
du tabac s'est elle aussi développée. La production est passée de 2 000 à
4000 q en sept ans, tandis que les prix montaient, assez peu compte tenu
de la disparition des ventes de contrebande très rémunératrices autrefois1.
Bien adaptée au commerce moderne, cette culture est un élément de stabilité
rurale dans la région de Guemar.
Une tentative de modernisation radicale des cultures apparaît avec les
réalisations de la CAPER2. La découverte d'eau artésienne dans le Souf
même, après d'autres forages réussis mais trop éloignés pour avoir un intérêt
agricole notable3, permet bien des espoirs. Un forage réalisé à Hobba donne
un débit permettant la plantation de 25 000 palmiers, en comptant la
réutilisation partielle des eaux de drainage, car celui-ci s'avère indispensable.
Actuellement 9 000 palmiers sont en terre. L'eau abondante rejoint la nappe
phréatique. Le niveau de celle-ci, qui s'était abaissé à 4 m depuis les
plantations en « bour » dans la région a remonté à 80 cm du sol et même affleure
par endroit. Si l'on veut éviter la destruction des plantations traditionnelles
il faut obtenir un rabattement par drainage jusqu'à 1,80 m ; ce sont les
Deglet-Nour qui souffrent le plus du niveau trop élevé de l'eau. La mise
au point du drainage se poursuit.
Les lots distribués sont d'une centaine d'arbres dont 60 p. 100 de Deglet-
Nour. Leurs attributaires reçoivent en outre un salaire mensuel de 10 000 F
pendant sept ans, puis ils rembourseront à l'état 70 000 F par an quand
le jardin arrivera en production, jusqu'à un total d'un million. Outre des
expériences de cultures nouvelles, chaque cultivateur est tenu à certaines
cultures annuelles de tabac, orge, tomates. La principale difficulté provient
du manque de capitaux des bénéficiaires : ceux-ci sont d'anciens
propriétaires de 10 à 15 arbres4. Les 10 000 F mensuels apparaissent plus comme

1. La récolte se vendait officiellement en 1952, 220 F le kilo, mais 300 à 400 F en


contrebande, donnant un prix de vente moyen global de 300 F. Actuellement le prix officiel est de
330 F. Les limites de cette hausse montrent la différence entre la puissance de l'industrie du
tabac à priser en Algérie et celle des paysans du Souf qui ont le monopole de fait pour la culture
de ce tabac. Une unique coopérative contrôlée par l'État les groupe cependant.
2. Caisse d'accession à la propriété et à l'exploitation rurale.
3. Le forage de Hezoua, contre la frontière tunisienne, est inexploité pour des raisons
militaires ; celui de Sif el Menadi a permis des plantations limitées.
4. C'est moins que la moyenne du Souf. Outre des « anciens combattants » on trouve une
moitié de villageois Ouled Saoud (Taghzout, Kouinine, Ourmes) et des sédentaires plus récents
d'El Oued, Ouled Djama surtout. Les originaires de Guemar sont l'exception, ce qui étonne.
RESSOURCES ET VIE DE RELATION DU SAHARA 499

un salaire de subsistance que comme une avance de fonds pour


l'aménagement du jardin.
Quoi qu'il en soit de la faible marge laissée à l'initiative paysanne dans
cette réalisation, on admet que la moitié du capital est donnée par l'Ëtatr
l'autre remboursée1. La formule est coûteuse sans doute ; mais surtout elle
concentre le progrès technique sur une centaine de familles actuellement2.
Des réalisations analogues sont envisagées à Debila, à Hassi Khalifa et à
Amiche3, ce qui ferait une palmeraie totale de 100 000 arbres, soit un
cinquième de la palmeraie traditionnelle. Ce serait un appoint sérieux, mais
en quelque sorte porté à bout de bras par l'État pendant une bonne dizaine
d'années4.

Les emigrants : algériens en France6

L'on peut évaluer que les entrées d'argent envoyé par les émigrés ont
plus que quadruplé, d'après le montant des mandats payés dans les bureaux
de poste du Souf6. L'augmentation est générale, y compris pour les mandats
provenant de la Tunisie. L'émigration vers la France, presque inexistante
en 1953, est devenue massive et représente actuellement plus de la moitié
des rentrées d'argent : les mandats sont de l'ordre de 10 000 F et l'on évalue
que l'homme qui rentre apporte avec lui pour 50 000 F d'économies. Les
gens vont avant tout vers la région parisienne, mais aussi dans la vallée du
Rhône, autour de Lyon et dans le Bas-Dauphiné, ainsi que dans la région
de Strasbourg. La Tunisie a gardé de l'importance, puisque les mouvements
de fonds ont augmentés, malgré la fermeture presque complète de la frontière
actuellement. C'est là que de tout temps des gens se fixaient en plus grand
nombre ; ce caractère ne peut que s'accentuer. Les villes de l'Algérie gardent
comme auparavant un rôle secondaire.
L'émigration est de plus en plus une ressource pour des centres restés
longtemps repliés sur eux-mêmes et vivant de la culture et de l'élevage
nomade. Reguiba a vu doubler le chiffre des partants entre 1956 et 1958 ;
il a baissé l'année suivante à la suite de la multiplication des contrôles
administratifs en France même. Les faits sont analogues à Amiche, où les salaires
des usines de France remplacent ceux des mines de phosphate tunisiennes.

étant donnée la" forte tradition agricole de la population de ce village. L'un d'eux a planté
des arbres fruitiers, cultive des asperges, etc., sur les conseils des moniteurs agricoles : capacité
d'initiative, mais aussi réserve de capitaux puisqu'il emploie 2 ou 3 ouvriers.
1. Réalisations communales, loc. cit. p. 377.
2. Et sur 200 à 250 familles en pleine utilisation du forage.
3. Au Nord de Nakhla.
4. Ces paragraphes sont dus aux renseignements obtenus auprès des services agricoles à
Hobba et à El Oued, ainsi qu'à M. du Jonchay.
5. Nous n'avons effectué aucun décompte général des émigrés permettant une analyse
systématique. Voir sur ce sujet : Bulletin de Liaison saharienne, juin 1960, J.-R. Vanney
Note sur l'émigration des Souafa.
6. Pour les arrivées d'Algérie et de ГО. C.R.S., la difficulté est de faire la part des règlements
commerciaux dans le total des mandats ; cette question ne se pose ni pour la Tunisie ni pour
a France.
500 ANNALES DE GÉOGRAPHIE
Ces centres, surtout celui d'Amiche envoient aussi des travailleurs vers
les chantiers de Hassi Messaoud. Si le prestige du pétrole est très marqué,
ce n'est qu'à peine 1/10 des partants qui est absorbé par ce secteur.
L'émigration vers la France a une conséquence évidente : l'effondrement
du particularisme local. Ceux qui étaient Soufîs en Algérie ou en Tunisie
deviennent Algériens en France. Ils apparaissaient différents des autres
Nord-Africains aux yeux de ceux-ci comme d'eux-mêmes1. En France ils
sont maintenant Algériens, différence majeure2 qui efface les nuances et leurs
contacts avec les organisations d'Algériens sont nombreux.

Investissements ou assistance financière


Les sociétés pétrolières, l'administration et l'armée déversent un flot
de salaires sur le Souf comme sur les régions semblables du Sahara. Si l'argent
dont disposent les pétroliers est l'objet d'un respect particulier, c'est moins
ici par sa masse totale que par le caractère fabuleux de certains salaires
précis3. L'administration paye globalement une somme de l'ordre de 330
millions4 et l'armée quelque 400 millions6. Au niveau où nous nous plaçons
l'ensemble de ces sommes est distribué sous forme de salaires. Mais si la
consommation est également stimulée par l'ensemble de ces ressources, il n'y a
création de richesse et donc investissement que dans certains cas.
La qualification d'investissement est évidemment légitime pour la
prospection et les installations pétrolières. D'autre part une partie des dépenses
de l'administration est créatrice de richesses pour le pays. Constructions
scolaires et hospitalières, équipement des transports et forages des nappes
d'eau sont dans ce cas. C'est d'ailleurs avant tout la circulation et le commerce
qui sont stimulés. Par ailleurs une partie plus ou moins importante des
bâtiments nouveaux révèle la lourdeur de l'appareil administratif moderne
évoqué plus haut6. Enfin les dépenses d'assistance et les soldes de l'armée
accroissent simplement la consommation, surtout ces dernières. Elles sont
le résultat de la conjoncture politique7.
1. Ce particularisme apparaissait nettement à Metlaoui et Redeyef comme dans les hautes
plaines constantinoises.
2. L'enquête, l'autobiographie et le roman ont décrit cette situation qu'il n'est plus utile
d'esquisser.
3. L'on cite un a bricoleur » capable de dépanner des postes de radio engagé pour 150 000 F
par mois « à Hassi Messaoud ». •
4. En 1958, dont 196 de dépenses courantes, 99 de chantiers, 35 pour les œuvres de secours.
5. Le prélèvement fiscal sur le Souf est évidemment modeste en comparaison : quelque
35 millions sur l'agriculture, autant sur le commerce sans doute.
6. Si les évaluations manquent "au Souf, pour l'Oued Rhir des chiffres peuvent être indiqués
d'après « Touggourt, capitale du pétrole », loc. cit. En 5 ans, 8 730 millions ont été payés, soit
une moyenne de 1 746 millions par an. Le décompte est le suivant :
Transports 5 130
Pétroliers 1 500
Écoles, hôpitaux, etc 620
Équipement rural 385
Bâtiments administratifs et logements 1 055
7. L'effectif recruté sur place est passé de 100 à 1 000 hommes environ. Ceux-ci ont le
choix entre les unités régulières (retraite, avancement, etc.) et les harkas (salaire moyen fixe).
RESSOURCES ET VIE DE RELATION DU SAHARA 501

Ce phénomène semble avoir des effets bien plus explosifs que dans le
Tell algérien, car la main-d'œuvre disponible est ici très limitée et vite
employée en totalité. Les salaires, partis de très bas, ont d'autant plus
augmenté. La rentabilité de l'agriculture traditionnelle est menacée tandis
que les bergers nomades deviennent introuvables et que le prix du bois local,
ramassé par les nomades, passe de 400 à 1 500 F la charge de 2 q environ
en quelques années1.
Ainsi la production locale toute entière a été transformée par l'afflux
de plus en plus massif de fonds extérieurs, gain des émigrés ou manne plus
ou moins circonstantielle de l'état. La consommation locale et le commerce
en ont été stimulés de façon explosive.

Commerce et vie de relation


Consommation. — La consommation du pays s'est accrue de façon
massive ; elle aurait triplé en sept ans, sans qu'il soit facile de préciser2.
On a vu sur quelles ressources fragiles elle repose : aisance remarquable
bien sûr, mais fort instable en même temps. Le maintien d'une franchise
douanière pour la région facilite par ailleurs les importations à bas prix.
Les dépenses traditionnelles ont augmenté : les achats de céréales ont
presque doublé, de plus en plus sous forme de farines et de semoules.
L'ensemble provient du commerce de gros, car les caravanes des Nememcha
ont cessé3. De plus le pays importe maintenant du bétail4. Dans l'ensemble
l'alimentation s'est améliorée sans se transformer beaucoup. L'usage des
conserves s'accroît cependant. La construction de maisons absorbe aussi
une part des revenus. L'habitation reste modeste, traditionnelle par son
plan et son mode de construction ; si bien que c'est surtout chez les semi-
nomades que la maison apparaît comme une nouveauté et un luxe : elle
n'est du reste souvent pas habitée pendant le séjour d'automne à la
palmeraie.
Ce sont les dépenses nouvelles qui sont les plus importantes. Elles
concernent les salariés, mais aussi un cercle de parents proches. On est frappé
par la variété des produits dont le besoin se fait brusquement sentir par
comparaison avec la monotonie des achats traditionnels5. Le vêtement
nouveau, de type moderne, s'est imposé à tous les salariés, employés surtout.
Au contraire le développement du « luxe oriental » dans le costume de fête
des filles est remarquable6. Les aspects les plus neufs sont évidemment les
1. Le ramassage — et l'arrachage — du bois étend de plus en plus loin du Souf la destruction
des arbres et des buissons qui constituent le pâturage des troupeaux des nomades. La vente
a été stimulée par la fabrication du plâtre pour la construction locale, privée ou publique. Ce
ramassage est fait en camion le long de la route de Biskra.
2. En particulier, quelle part du revenu est économisée?
3. Ce qui a atteint entre autres le commerce de Magrane.
4. L'état des troupeaux des nomades du Souf est-il en cause ? Il s'agit sans doute
globalement d'une consommation de viande accrue.
5. Essentiellement : tissus, thé, sucre.
6. Noté au moment de l'Aïd Seghir : tissus transparents de couleurs tendres remplaçant
le noir et orange traditionnel.
502 ANNALES DE GÉOGRAPHIE
achats de radios ; par les militaires méharistes elles pénètrent sous les tentes
nomades ; puis les réfrigérateurs de certains employés sont des objets de
prestige autant que de confort. Ainsi apparaît surtout un luxe destiné à
affirmer le rang social1.

Réseau de relation. — La voie ferrée — Decauville — a été remplacée


par des routes goudronnées. Des pistes carossables relient presque tous les
centres : on passe ainsi partout de l'âne à l'auto. Les véhicules immatriculés
au Souf s'élève à 300 voitures légères, 109 camions, 5 ou 6 cars. Quand la
piste prédominait sur la route goudronnée, les camions étaient plus
nombreux que les autos. Les liaisons sont quotidiennes entre El Oued d'une
part et Biskra, Hassi Khalifa, Magrane d'autre part ; des taxis font le
complément.
Le réseau des communications intérieures se complète sous d'autres
formes : une ligne électrique doit relier El Oued-Hobba-Reguiba.
L'implantation administrative s'étend par une douzaine de mairies2, mais l'essentiel
des opérations passe par El Oued. De même près de la moitié des 89 classes
d'école sont à El Oued, dont le rôle centralisateur est complété par un Cours
complémentaire et des classes techniques ; un internat a donc été nécessaire.
C'est enfin la diffusion du commerce et sa centralisation à El Oued qui
nous arrêteront le plus. L'organisation de ce commerce apparaît sous deux
aspects : le groupement des échoppes d'artisans et les souks hebdomadaires
dont l'activité est révélée par le montant des adjudications des taxes de
marché3. Dans tous les domaines, El Oued domine largement4.
Il est normal que la prospérité de tous les souks ait augmenté, cependant
la stagnation de certains centres est notable : Zgoum est un village qui se
dépeuple, Taghzout est trop proche de Guemar ; ce dernier se dépeuple aussi
et subit lourdement la rivalité d'El Oued. Enfin nous verrons la situation
particulière de Magrane. D'autre part les ventes de viande se dispersent
dans des centres où le marché hebdomadaire ne s'est jamais constitué ou
a dépéri6. Les boutiques et échoppes d'artisans se multiplient sans cesse
et se dispersent dans des hameaux de quelques centaines d'habitants.
Trois souks appartenant à des agglomérations de nomades sédentarisés
depuis une trentaine d'années présentent un intérêt particulier. L'activité
commerciale de Bayada se développe auprès d'une population en partie
nomade, ce qui explique l'ampleur des ventes de viande. L'artisanat est
peu développé et surtout peu varié : quelques tailleurs surtout. Le contenu
des boutiques présente peu de nouveautés, l'habillement reste
traditionnel. De plus la proximité d'El Oued est menaçante, certains
commerçants y sont partis. La route toute récente est desservie par deux taxis ;
1. Les puissants d'autrefois restaient peu sensibles à cette forme de prestige.
2. « Guidées » par trois Centres d'administration saharienne.
3. Partout les souks ont lieu le vendredi.
4. Voir fig. 1. L'adjudication de 1960 a été enlevée à El Oued pour 7 millions et demi, mais
aurait pu monter à 10 millions.
5. Hassi Khalifa, Debila.
{eýéída.
-Ц Messaaba

Fig. 1. — Commerce du Soup.


1, Limite des palmeraies. — 2, Villages et hameaux. — 3, Artisanat : la surface du carré
est proportionnelle au nombre d'artisans dans l'agglomération (sur la légende : 5 artisans) ;
Souks : surface des carrés proportionnelle à l'adjudication des taxes de marché. — 4, Souk
secondaire (sur la légende : 100 000 F d'adjudication). — 5, Souk important (sur la légende :
500 000 F d'adjudication). — 6, Route goudronnée.
504 ANNALES DE GÉOGRAPHIE

un car d'El Oued vient ramasser la clientèle le vendredi seulement, trois


abonnements téléphoniques suffisent au village1. Néanmoins on voit
apparaître ici les légumes et les fruits du Tell.
Magrane au contraire dépérit. Pourtant les liaisons routières sont ici
mieux assurées2. L'artisanat est varié. Cependant les arrivées de céréales
depuis les Nememcha ont été désorganisées par la guerre3, tandis que la
fructueuse contrebande du thé et du tabac a cessé. Seule région directement atteinte
par les combats, elle contraste avec les centres où les affaires sont prospères.
Reguiba enfin s'affirme. On y trouve une halle à viande, un marché aux
tissus ; les boutiques au nombre d'une centaine ont triplé en quatre ans.
C'est devenu le quatrième centre du Souf pour son artisanat, le troisième
pour son souk. On y trouve deux bijoutiers, un meunier s'installe. Au moins
une grosse fortune y est née du commerce : ancien commis d'un juif de
Sedrata, l'homme s'est lancé dans le camionnage à grande distance : il importe
depuis Philippeville les légumes et le poisson pour El Oued et Guemar.
Hameau il y a quarante ans, Reguiba est devenu gros village actif et
prospère, assez loin d'El Oued pour éviter la concurrence ; le car est néanmoins
quotidien, complété par trois taxis et cinq camions.
El Oued. — Pour l'administration, l'école, le commerce, El Oued est
la capitale. Nulle part ailleurs les bouleversements ne sont aussi frappants.
Le bâtiment est un premier signe de prospérité. Les besoins scolaires,
administratifs et militaires ont provoqué l'accroissement des quartiers français ;
entre les cratères des jardins, près du souk, la place libre a été bâtie ; la
banlieue s'accroît vers le nord, en particulier à Lasnam où se sont groupés
des militaires; bien des huttes consolidées de tôles et des tentes se dispersent,
occupées elles aussi par des militaires.
L'essentiel du commerce de gros se trouve ici, en particulier celui de
l'exportation des dattes et celui de l'importation des produits revendus par les
innombrables épiciers4 ; le vendredi à midi s'éloignent du souk des charrettes
à deux pneus tirées par un mulet : l'épicier en rapporte 2 ou 3 q de grain,
un demi quintal de ghars, du thé..., des cahiers et des cartables en plastique.
Pour le commerce de détail traditionnel, on trouve à El Oued le tiers
des boutiques du Souf, pour l'artisanat le cinquième des échoppes. Mais
la distribution des produits modernes s'affirme : les 9 électriciens, 8
mécaniciens, 4 photographes sont les seuls du pays5. Ce commerce moderne est
centré sur les routes goudronnées, face au Bordj administratif et militaire
surtout et sur l'arrivée de la route de Biskra.
La vente des produits modernes a fait la fortune d'un novateur du
commerce6. Il a débuté dans un kiosque, à un carrefour bien placé où il vendait
1. La mairie, une boutique, la Zaouia de la confrérie Tidjania.
2. Deux lignes quotidiennes de cars depuis El Oued, plus, le vendredi, 3 autos sur place.
3. Avant 1956, 2 à 3 caravanes de 10 à 15 chameaux par semaine ; une par mois actuellement.
4. 600 commerçants environ payent patente au Souf ; sans doute 400 sont épiciers
(hanout) ; à El Oued on trouve 230 commerçants, dont 141 épiciers.
5. Un des deux horlogers, 10 bijoutiers sur 14, 7 peintres sur 10.
6. Renseignements' pour une part dus à l'obligeance de M. Nasri lui-même.
RESSOURCES ET VIE DE RELATION DU SAHARA 505

tabac, papeterie, parfumerie, etc. : c'est la première devanture du Souf


en 1952. Il possède maintenant huit boutiques bien situées, dont l'une est
louée à la Compagnie Algérienne de Crédit et de Banque ; deux ou trois sont
exploitées par lui-même. Il concurrence directement l'hôtelier qui était
seul commerçant « moderne », avec un bar et un magasin. Les deux
concurrents ont dû vendre une centaine de réfrigérateurs, des radios ; près de
800 bouteilles de gaz sont fournies chaque mois1. Seul représentant de
véhicules, ce commerçant a vendu en un an 10 camions, 30 voitures légères.
Le souk d'El Oued enfin traite au moins les 2/3 des affaires « foraines »
du Souf. Mieux qu'ailleurs on mesure l'activité des échanges : on sent la vie
du vieil El Oued : nouvelles reçues et données par les nomades qui vendent
et achètent peu, rencontre d'un groupe particulariste et varié à la fois.
L'activité nouvelle s'y mêle, multipliant clients et marchandises. Une partie
de la foule est venue par la route en car, camion ou taxis, les détaillants
ont rangé une vingtaines de charrettes au bord de la cuvette du jardin où
sont attachés plus de 200 ânes ou mulets.
L'afflux des gens et des marchandises commence dès le jeudi soir, pour
se calmer à la tombée de la nuit, moment où l'on cause encore autour des
radios dans les boutiques proches. Le vendredi, dès 7 heures, les vendeurs
s'installent, mais la foule n'est à son maximum qu'à 11 heures. Elle s'écoulera
au début de l'après-midi. La place borde la ville2 ; elle s'ouvre sur les palmiers
à l'Est, s'entoure de boutiques sur les autres côtés : ce sont surtout des
épiciers, demi-grossistes, des quincailliers et des marchands de tissus, sans
spécialisation très poussée. Chacun a débordé vers l'espace libre et expose parfois
au milieu de la place. Un photographe montre ses œuvres, deux rebouteux
sont très écoutés, l'un illustrant son discours grâce à une gravure
représentant un écorché.
Le Sud est le domaine des nomades vêtus de laine blanche. 200 chameaux,
portant surtout la marque de la tr:Lu des Rebaia, ont apporté le bois, le
crottin et le fourrage vendus dès le matin. La vente des moutons par les nomades,
des chèvres par les sédentaires dure un peu plus. Le cœur de la place est
occupé par les céréales dont les tas débordent de la halle couverte. Au Nord
la halle aux viandes est entourée par les produits agricoles : les toisons, les
dattes en caisses, en vrac ou tassées dans les peaux de mouton ; les étriers,
bâts, paniers ; surtout les boutures de palmiers entourées d'une foule très
dense. Tout ce secteur est occupé par des paysans cossus venus pour affaire
sérieuse, vêtus de tissus européens, mais coupés selon la tradition.
Au centre la variété devient désordre. Au pain et aux légumes s'ajoutent
en fin de matinée des ventes de fèves cuites. Aux tapis et tentures3 font
1. Un concurrent s'installe au marché. M. Nasri veut monter des dépôts à Reguiba, Kouinine,
Guemar, Behima. Les ventes s'étendent déjà à l'ensemble du Souf, pour plus de la moitié a
des gens du pays. Le prix de l'échange de bouteille est égal à celui de la charge de bois et
dure plus longtemps. Le fait est d'importance pour la préservation de la végétation.
2. Voir fig. 2.
3. Importés : l'artisanat des tapis locaux n'a guère de débouchés sur place. De même les
chaussons nomades brodés de poil de chèvre {hafane) ne se vendent plus guère car ils coûtent
plus cher que la chaussure de tennis en caoutchouc.
506 ANNALES DE GÉOGRAPHIE
suite les laines, la friperie. Les épices sont vendues en même temps que les
produits de bazar : à la parfumerie traditionnelle s'associe le jouet et l'usten-

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"^ Le trait
écorces,
grains.
écrasées,
—etc.
etc.).
5, gras
(cueillette).
Halle
Alimentation
limite
aux viandes.
les
— surfaces
3,: 8,Chameaux
Fig.
— 6,bâties.
Pain, 2.Boutures
fèves
—deNomades
Souk
cuites.
bât de
(bois,
d'El
palmier
—: 9,herbe,
1, Oued.
Légumes.
Chèvres
(hachane).
etc.).et—
—moutons.
10,
Agriculture
— Boutiques
7, Dattes
— 2,: :4,Sauterelles,
(en
V,Halle
caisses,
aux

Vanneries (Zembil, couffin porté par l'âne) ; Б, épiceries ; C, quincaillers ; F, produits de forge (mors,
etc.) ; T, tailleurs ; R, postes de radio. Éventaires : 11, Tapis couvertures, etc. —12, Friperie. —
13 B.'pièces de bicyclettes ; 13 P, Photographe. — 14, Bazars épiciers. — 15, Pharmaciens.

sile en plastique, jusqu'au collier de napoléons en carton. Non loin de là,


ferraille, outillage et pièces de vélos voisinent avec le sel, le tanin et les
sauterelles sèches. Tout le monde flâne ici : nomades ayant réglé leurs affaires,
enfants, promeneurs qui regardent sans acheter.
RESSOURCES ET VIE DE RELATION DU SAHARA 507

Ainsi l'activité d'échanges s'est amplifiée, stimulée par les transports


et l'argent des salaires. Mais c'est El Oued et son souk qui bénéficient en
définitive du bouleversement. Habitudes traditionnelles du négoce et de
l'information orale ou besoins nouveaux rassemblent au souk une
population à la fois dure au travail et âpre au gain. Mais on ne peut oublier que tout
l'édifice économique si frappant à El Oued repose sur une fragile inflation
des ressources.

Conclusion
Dans les ressources comme dans la vie de relation, les attaches lointaines
s'affirment et le Souf, c'est l'Algérie. La fragile et spectaculaire prospérité
font penser à Alger. Pour une part sans cesse accrue de la population, le
particularisme perd son sens ; si la région possède peu d'« intellectuels »,
leur orientation vers l'Algérie est indéniable, comme celle de certains
commerçants, ceux-ci formant une « élite » active plus nombreuse. La position des
émigrés est analogue nous l'avons vu. Les contacts des nomades avec la
région des Nememcha sont difficiles, mais persistent. L'écoute de la radio
joue aussi son rôle considérable1 dans cet élargissement des perspectives.
Si l'on avait pu noter voici quelques années l'attraction majeure de Tunis
et de la Tunisie, ce sont les liens avec l'Algérie que nous voyons se forger
actuellement.
Claude Bataillon.

1. L'écoute d'Alger et du Caire semble plus importante que celle de Tunis.

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