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Autogestion Et Privatisations en Yougoslavie - Drouet
Autogestion Et Privatisations en Yougoslavie - Drouet
Ouest
Drouet Michel. Autogestion et privatisations en Yougoslavie. In: Revue d’études comparatives Est-Ouest, vol. 23, 1992, n°2-3.
pp. 59-103;
doi : https://doi.org/10.3406/receo.1992.1551
https://www.persee.fr/doc/receo_0338-0599_1992_num_23_2_1551
Abstract
Self-management and privatization in Yugoslavia.
Although in has had a goods and services market since the 1950's, the Yugoslav economic system
was still, until the end of the 1980's, characterized by social ownership of the means of production. This
system of ownership lies at the root of relative inefficiency in the use of resources, particularly capital
(enterprises hampered in their scope for self-financing, a persistently soft budgetary constraint), hence
the urgency of the calls for privatization.
A privatization programme determines the participants from the start of the process, likewise
procedures for the transfer of ownership (free or paying, in the latter case at what price), and what kind
of shareholding is sought (foreign or national, widespread or concentrated). Those programmes drawn
up in Yugoslavia, up until the summer of 1991, cover all possible variations, with the exception of free
distribution of assets, account being taken of self-management and the paucity of national savings. In
practice, they favour the employee shareholder. All of this gives rise to delays in the process of
privatization and limits the positive effects expected of privatization. Consequently, the authorities are
impelled to give priority once more to the restructuring of enterprises which remain social, and to
modify the relationships, inherited from self-management, between enterprises and the banking sector.
Revue d'études comparatives Est-Ouest, 1992, 2-3 (juin-septembre)
pp. 59-104 - Michel DROUET
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en Yougoslavie
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3. Les données pour l'ensemble de la Yougoslavie ne sont disponibles que jusqu'à l'été
ou l'automne 1991. Après une baisse de 8,5 % du Produit Social, concept proche du PIB,
et de 11 % de la production industrielle en 1990 par rapport à 1989, année de stagnation
consécutive à deux années de légères baisses, on estime la baisse pour l'année 1991
respectivement à 15 % et 21 %, Saopstenije Saveznog Zavoda za Statistiku, n°368 du
27/12/1991 ; selon des données plus récentes, le produit social Slovène serait en 1991 de
17 % inférieur à celui de 1989, pour la Serbie-Monténégro de 19 % et celui de Croatie
pour les trois premiers mois de 1992 serait inférieur d'un tiers à la moyenne de 1990.
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Dans un deuxième temps, l'accent sera mis par la théorie des contrats,
théorie des droits de propriété {property rights) et théorie de l'agence9, sur
le comportement effectif de la firme autogérée à partir de ceux des individus
structurés par cette forme organisationnelle et la spécificité de son système
incitatif. De l'absence de droits de propriété clairement définis résultent des
comportements sous-optimaux en matière d'investissement, d'emploi et de
production et donc une inefficacité relative inévitable de la firme autogérée.
Ainsi, pour E.G. Furubotn et S. Pejovich10, tenants de la théorie des
droits de propriété, le rôle du dirigeant et ses relations avec le Conseil ouvrier
deviennent essentiels en l'absence de propriétaires extérieurs à la firme. Dans
la mesure où sa position sociale et monétaire dépend de sa capacité à
satisfaire les exigences de ses salariés, il est conduit à maximiser le surplus
moyen par travailleur à court terme et non, comme un manager d'une firme
capitaliste, le profit global à long terme, d'où le biais, déjà mentionné, en
faveur de la substitution capital-travail et défavorable à l'emploi. Par
ailleurs, investir représente un risque important pour le travailleur puisqu'en
quittant l'entreprise il perd tout droit aux bénéfices futurs ; en découle une
faiblesse de l'épargne volontaire (autofinancement) quel que soit le taux de
profit et une préférence marquée pour le court terme, en particulier pour
l'investissement à courte période de récupération. Ceci est d'autant plus vrai
qu'il n'existe pas, contrairement à l'hypothèse de J. Vanek, de marchés de
capitaux sur lesquels les travailleurs peuvent céder volontairement leurs
droits à une part des bénéfices futurs, selon une valeur déterminée par le
marché en fonction des anticipations de ces profits. Cette préférence pour le
court terme peut également conduire à négliger l'amortissement,
augmentant d'autant le revenu net pouvant être distribué mais hypothéquant
l'avenir; l'obligation légale de préserver la valeur comptable du capital
social paraît insuffisante pour faire face à cette tendance surtout si en
période d'inflation la réévaluation des actifs est peu fréquente ou partielle.
9. Pour un aperçu de ces théories qui sont fort proches, voir d'une part Y. Simon et
H. Tezenas du Montcel, « Théorie de la firme et réforme de l'entreprise : revue de la
théorie des droits de propriété », Revue Economique, 1978, n° 3 ; d'autre part G. Char-
reaux & alii, De nouvelles théories pour gérer l'entreprise, 1987, Economica.
10. E.G. Furubotn et S. Pejovich, « La structure institutionnelle et les stimulants,
économiques de la firme yougoslave », Revue de l'Est, vol. III, 1972, n° 2, pp. 169-200.
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11. M.C. Jensen and W.H. Meckling, «Rights and Production Functions : An
Application to Labor-Managed Firms and Codetermination », Journal of Business, 52,
1979, no 4, pp. 469-510.
12. Voir notamment M. Uvalic, « Le comportement de l'entreprise autogérée en
matière d'investissements », Annales de l'économie publique, sociale et coopérative, n° 1
janv.-mars 1986 et K. & M. Berman, «An Empirical Test of the Theory of the
Labour-Managed Firm », Journal of Comparative Economics, 13, 1989, pp. 281-300.
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* Intervention du politique
et faible capacité concurrentielle des marchés
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20. Voir sur cette évolution systémique, N. Bonnet et A. Gely, « Evolution récente de
la Yougoslavie : tout le pouvoir aux OBTA pour la planification autogestionnaire »,
Economies et Sociétés, série G, 1978, n° 35, pp. 1013-1065 ainsi que C. Samary, Le marché
contre l'autogestion, 1988, Publisud-La Brèche, Paris.
21. Les échanges entre les Républiques vont décliner au cours des années 70 pour
n'atteindre au début des années 80 que 20 à 25 % de la production totale de chacune
d'entre elles, proportion inférieure à celle des échanges entre la plupart des pays de la
CEE ; OCDE, Études économiques-Yougoslavie 1984/1985. Cette proportion semble s'être
accrue au cours des années 80 mais les tensions croissantes entre Républiques à la fin de
cette période se traduiront par des barrières aux échanges plus ou moins ouvertes;
Ekonomska polit ika, n° 2086 du 23 mars 1992.
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22. Notamment dans l'article cité de E.G. Furubotn et S. Pejovich, 1972 ; cette
analyse semble être confirmée par des travaux économétriques : voir J. Mitchell,
« Financial Constraints and the Trade-off between Salaries and Savings in Labor-
Managed Firms», Journal of Comparative Economics, 12, 1988, pp. 362-379 ainsi que
« Credit Rationing, Budget Constraints and Salaries in Yugoslav Firms », Journal of
Comparative Economics, 13, 1989, pp. 254-280.
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23. Voir pour le système bancaire et la politique monétaire, OCDE, Études économiques
de l'OCDE- Yougoslavie 1987/1988, 1988, Paris.
24. OCDE, Études économiques de l'OCDE - Yougoslavie 1 989/ 1990, 1990, Paris ; le
taux d'investissement dans l'industrie a baissé de 13 points de 1980 à 1984, passant de
30,5 % à 17,5 % et n'atteint que 13,2 % en 1988 tandis que la part des intérêts dans la
valeur ajoutée des entreprises passe de 7,4 % au début des années 80 à 25-30 % en 1987 ;
Statisticki Godisnjak Jugoslavije 1990 ainsi que OCDE 1988, op. cit..
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25. 16 000 travailleurs concernés contre une moyenne annuelle de 2 000 entre 1982 et
1986 ; OCDE 1988, op. cit..
26. I. Ribnikar, « Le rôle du système bancaire dans l'économie nationale » (en
serbo-croate), in Z. Pjanic et J. Bajec, Trziste, Kapital, Svojina (Marché, capital,
propriété), 1991, IP Ekonomika, Belgrade, pp. 55-66.
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27. Voir pour les propos des économistes yougoslaves, notamment l'hebdomadaire
économique en serbo-croate Ekonomska Politika, Belgrade ainsi que l'ouvrage collectif
sous la direction de Z. Pjanic et J. Bajec, 1991, op. cit.
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massifs de privatisation d'actifs publics dans les années 80 et comme elle l'est
dans les programmes yougoslaves de privatisation. Elle concerne également
le développement des actifs privés par accumulation d'une épargne propre
ou par apport de capital extérieur, notamment étranger. Cet aspect, s'il
paraît « naturel » à une économie capitaliste, prend une signification
particulière et déterminante à terme dans une économie marquée par la
prépondérance de la propriété collective-sociale ; il pose la question, qui
déborde le cadre de cet article, des réformes structurelles aptes à développer
les mécanismes concurrentiels du marché et la sphère privée. On notera
simplement qu'il n'est pas réaliste d'attendre que ces entreprises privées
constituent rapidement l'essentiel du système productif, en particulier dans
l'industrie28.
Il convient donc de distinguer privatisation par transfert d'actifs sociaux
vers des patrimoines privés, nationaux ou étrangers, - souvent appelée
« privatisation par le haut » - de celle qui repose sur le développement des
actifs privés, appelée « privatisation par le bas ». Cette distinction rejoint
celle des agents économiques qui ont en charge la privatisation, État et
agents privés, si l'on y ajoute «la privatisation spontanée», à savoir
l'appropriation, sans contrôle étatique, par les dirigeants des entreprises
publiques des actifs dont ils ont la charge. La propriété sociale étant le
régime de propriété quasi-exclusif (car les investissements étrangers directs
sont autorisés depuis 1967) des moyens de production existants des
moyennes et grandes entreprises yougoslaves, c'est donc la privatisation de
ces actifs sous forme de sociétés par actions (ou à responsabilité limitée), qui
concentre les débats et qui retiendra en premier lieu l'attention. Nous
verrons ensuite les autres formes envisageables de la privatisation « par le
haut » des moyens de production.
Pour les théoriciens des droits de propriété29, qui partent des hypothèses
néoclassiques de la rationalité des agents économiques, c'est l'existence de
droits de propriété précisément définis qui est la condition essentielle du
développement de l'initiative individuelle et, grâce aux mécanismes
d'incitation qu'ils impliquent, d'une affectation optimale des ressources par le biais
des marchés. Ceci requiert d'une part qu'ils soient exclusifs : opposables aux
28. Le secteur privé regroupe avant tout l'agriculture et l'artisanat; bien qu'en
développement depuis le milieu des années 80, notamment dans le bâtiment, les transports
et le tourisme, il ne représente en 1988 que 15 % du produit social, dont les deux-tiers pour
l'agriculture, 12 % des investissements et 2,6 % des salariés ; Statisticki Godisnjah
Jugoslavije 1990, Belgrade 1990, pp. 96, 99 et 160.
29. Voir notamment H. Demsetz, « Toward a Theory of Property Rights », The
American Economic Review, Papers and Proceedings, 2, 1967, pp. 347-359 ainsi que
E.G. Furubotn and S. Pejovich, « Property Rights and Economic Theory : a Survey of
Recent Literature », The Journal of Economic Literature, 2, 1972, pp. 1 137-1 162.
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30. Voir notamment M.C. Jensen and W.H. Meckling, «Theory of the Firm :
Managerial Behaviour, Agency Costs and Ownership Structure », Journal of Business, 52,
1976, n° 4, pp. 469-51, ainsi que E.F. Fama and M.C. Jensen, « Separation of Ownership
and Control », Journal of Law and Economics, vol. 26, 1983, pp. 301-326.
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actionnaires d'exercer en dernier ressort leur droit à céder leurs titres, ainsi
qu'une capacité adéquate des membres du conseil d'administration pour
exercer leur fonction de surveillance. Ces deux conditions essentielles ne sont
au mieux remplies que très partiellement en Yougoslavie, ce qui constitue à
tout le moins un argument œuvrant en faveur de la prudence quant au
rythme à donner à la privatisation « par le haut ». En outre, un programme
de privatisation doit envisager le degré de diffusion de l'actionnariat
souhaité ; sa plus ou moins grande diffusion détermine en effet non
seulement la capacité de contrôle des actionnaires mais aussi, indirectement, la
stratégie de l'entreprise et l'on peut ainsi opposer le modèle américain qui
correspond à un actionnariat diffus, privilégiant la rentabilité à court terme,
au modèle japonais voire allemand, où l'actionnariat est structuré par les
banques-assurances, ce qui favorise la croissance à long terme de la firme.
La privatisation par cession des actifs à des acteurs privés, dans le cadre
de société par actions, constitue le cœur des programmes de privatisation,
mais il existe d'autres formes de modification du contrôle sur les actifs.
Certaines d'entre elles peuvent cependant être exclues de la privatisation car
elles n'assurent pas l'intégralité des droits de propriété tels que les définit la
théorie des droits de propriété33 ; pour autant, leur importance ne doit pas
être négligée en vue d'améliorer l'efficacité soit des services publics, soit des
entreprises publiques.
Ainsi, au sens strict, ne relève pas de la privatisation le transfert au secteur
privé, sous forme de régies ou même de concessions, d'activités qui
correspondent le plus souvent à des services publics d'intérêt collectif. La régie
n'est en effet qu'une modalité de décentralisation de l'action étatique, qu'elle
soit à l'échelle communale, régionale ou nationale. La concession recouvre
le transfert au privé de la seule gestion de l'activité (des ordures ménagères
aux prisons privées) ou de la gestion et du financement, avec dans ce cas
fixation d'un tarif après négociations avec la puissance publique. Si régies et
concessions peuvent être source de plus grande efficacité dans la production
de services publics, elles ne sont pas des privatisations en ce que le pouvoir
politique peut « encadrer » le droit au revenu du gestionnaire et conserve, à
tout le moins, le droit de cession ou de transformer les actifs, avec
notamment la possibilité de résilier la concession si le cahier des charges n'est pas
respecté.
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34. La loi serbe de privatisation d'août 199 1 retient néanmoins cette possibilité pour les
entreprises autogérées (Ekonomska polit ika, n° 2073 du 23/12/1991) ; on ignore la portée
de sa mise en œuvre.
35. Voir A. Couret et G. Hirigoyen, L'actionnariat des salariés, 1990, PUF-Que
sais-je ?, Paris ainsi que S. Jongen, « L'actionnariat des salariés », Annales de l'économie
publique, sociale et coopérative, n° 2, juin 1988, pp. 229-255.
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privés des actifs collectifs des moyennes ou grandes entreprises. Il convient
maintenant d'en étudier les modalités retenues en Yougoslavie.
36. Ce qui implique en particulier une législation garantissant la stabilité des règles du
jeu et définissant strictement et de façon limitative la possibilité de nationalisation
ultérieure; J.M. van Brabant, 1991, loc. cit. ainsi que J. Kornai, Du socialisme au
capitalisme, 1990, Gallimard- Le débat, Paris.
37. Ekonomska politika, n° 2039/40 du 29/04/1991, n° 2063 du 14/10/1991, n° 2073 du
23/12/1991 et n°2086 eu 23/03/1992 pour la Croatie et la Serbie ainsi que n°2085 du
16/03/1992 pour la Slovénie.
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injuste en cas de valorisation des biens due au travail collectif des dernières
décennies38. Mal résolue, cette question ne peut qu'entraver la privatisation
avec les incertitudes concernant les propriétaires des actifs qui en découlent.
En Yougoslavie, cette question ne peut soulever de difficultés que pour la
privatisation des logements et surtout de la terre, bien que celle-ci soit déjà
à 85 % privée à la fin des années 80 ; il n'en va pas de même pour les actifs
dans les services, encore plus dans l'industrie, compte tenu du faible degré
de développement atteint à la fin des années 40, lors des nationalisations qui
affectèrent d'ailleurs surtout le capital étranger ou celui détenu par l'ex-
minorité allemande. Elle semble pourtant avoir entravé la mise au point du
cadre juridique de la privatisation en Croatie et surtout en Slovénie.
Un programme de privatisation des actifs socialisés implique que soit
donnée une réponse à une série de questions : à l'initiative de qui est engagé
le processus de transfert des actifs vers le privé : l'État ? les dirigeants de
l'entreprise ? ses salariés ? Faut-il procéder par distribution ou par vente des
actifs ? Comment déterminer dans ce cas le prix de vente en l'absence de
marchés financiers, au mieux embryonnaires, et en présence d'un secteur
privé réduit aux petites entreprises et qui, donc, ne peut servir de référence ?
Par ailleurs, à qui vendre ? question qui pour partie découle de la réponse à
celle de qui peut acheter, mais aussi du type d'actionnariat - diffus,
étranger... ? - que l'on souhaite selon le type d'entreprise que l'on veut
privatiser et la nature de sa production.
Des réponses à ces questions dépend le choix des techniques de
privatisation mais ces réponses sont elles-mêmes déterminées par le rythme voulu de
la privatisation et par les obstacles qu'elle peut rencontrer. Ces derniers
permettent de comprendre pourquoi les lois adoptées en Yougoslavie
privilégient de fait la vente des actions aux salariés de l'entreprise - dites
«actions internes» - alors qu'elles retiennent la plupart des techniques
possibles de privatisation hormis la distribution gratuite.
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39. Lj. Madzar in Ekonomska politika, n°2060 du 23/09/1991 ; voir également pour
le cas polonais M. Nuti, « La privatisation des économies socialistes : aspects généraux
et cas de la Pologne » in OCDE, Transformation des économies planifiées, op. cit.,
pp. 59-80.
40. Sur le débat d'une renationalisation, voir Ekonomska politika, n° 2022/23 du
31/12/1990.
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41. Il est vrai que ce secteur public concerne des activités elles-mêmes relevant
fréquemment du secteur public dans les pays capitalistes, telles que l'énergie, le transport
ferroviaire
n° 2079 du 3/02/1992
et les moyens
; pourdelatélécommunication
Croatie n° 2039/40; du
pour
29/04/1991.
la Serbie, Ekonomska politika,
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44. K. Crane, « La réforme des droits de propriété : étude sur la Hongrie », in OCDE,
Transformation des économies planifiées, op. cit., pp. 81-108.
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48. OCDE, 1988 et 1990, Études économiques de l'OCDE- Yougoslavie, op. cit.
49. Ekonomska politika, n° 2022/23 du 31/12/90.
50. En 1989, une entreprise sur quinze concernant presque 10 % des salariés dans les
activités productives était considérée comme insolvable ; OCDE, 1990, Études
économiques de l'OCDE - Yougoslavie, op. cit. ; la politique monétaire restrictive de 1990 et la
situation politico-militaire depuis l'été 1991 n'ont pu qu'accentuer cette proportion.
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à partir d'un prix minimum ou à prix fixe, méthodes de vente qui soulèvent
d'autres difficultés.
Le risque principal dans une vente par offre publique, avec enchères ou
à prix fixe, est celui de l'insuffisance des acquéreurs, ce qui pose la question
abordée plus loin des acheteurs potentiels ; on ne peut y faire face
partiellement que par la sous-évaluation du prix de vente.
La vente directe de gré à gré permet, par définition, d'éviter l'absence-
insuffisance d'acheteurs ; elle présente de plus l'avantage de transférer les
actifs à des acquéreurs qui ont un projet de développement de l'entreprise.
Mais elle renforce le risque de la sous-évaluation du prix de vente même si
elle fait réellement l'objet de négociations à la différence de la privatisation
« spontanée ». La faiblesse du patrimoine des nationaux conduit à ne
l'envisager principalement que pour la petite privatisation ou à s'adresser au
capital étranger, vis-à-vis duquel elle s'avère même indispensable. Dans ce
cas, l'attitude du pouvoir politique doit être nécessairement conciliante s'il
veut privilégier la dynamique du secteur privé et le maintien de l'essentiel de
la production, voire son développement grâce à l'apport technologique,
commercial et financier du repreneur étranger, d'où la faiblesse des recettes
à en attendre ; cet inconvénient peut être partiellement contourné par la
vente de l'entreprise par «appartements», méthode qui peut s'avérer
nécessaire si l'entreprise est globalement déficiaire mais qui renforce le risque
qu'une telle privatisation ne concerne que les fleurons de l'appareil
productif, laissant au secteur socialisé « les canards boiteux », et ne conduise alors
à une extinction rapide de la privatisation par cette voie.
Au total, on voit donc les difficultés que soulèvent les différentes
méthodes de vente des entreprises, avant tout la fixation d'un prix de vente
en l'absence de marché du capital et la présence d'acquéreurs potentiels
limités. Dans la réalité, les programmes yougoslaves de privatisation
prévoient une combinaison des différentes formules évoquées : ventes aux
enchères pour la petite privatisation, vente directe de gré à gré
principalement au capital étranger, offre publique de vente..., cette combinaison ne
permettant pas d'elle-même de remédier à la lenteur du processus de
privatisation dès lors qu'est exclue la distribution gratuite. L'obstacle
majeur demeure, cependant, la situation déficitaire de nombreuses
entreprises.
Dernière possibilité prévue, la vente progressive par ouverture du capital
à des actionnaires privés lors d'augmentations de capital. Cette solution
permet de recapitaliser les entreprises ; elle ne constitue donc pas une source
directe de recettes pour l'État et la collectivité, surtout elle présuppose une
restructuration des entreprises. Elle s'inscrit alors dans une approche
prudente de la privatisation, envisagée comme un processus de long terme
et comme un des éléments (et non plus comme la panacée) visant à renforcer
la discipline par les marchés. Elle conduit cependant à une structure mixte
de la propriété du capital qui peut être source de conflits dans la mise en
œuvre des droits de propriété.
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52. Leur épargne nette d'amortissement est devenue négative à partir de 1987 ; OCDE,
1990, Études économiques de l'OCDE- Yougoslavie, op. cit.
53. B. Stakic, Foreign Investments in Yugoslavia, 1989, Yugoslaviapublic, Beograd ;
M. de Felice, « Les privatisations en Yougoslavie » in W. Andreff, Rapport de
recherche Roses-CNRS, 1991, Paris, miméo, 26 pages.
54. Sur la place que peuvent tenir les entreprises étrangères dans la transition, voir
O. Bouin et B. Coquet, « Les réformes des structures économiques dans les pays de
l'Europe de l'Est», Observations et diagnostics économiques, octobre 1991, n°38,
pp. 207-226.
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57. Pour de telles propositions émises tant en Serbie qu'en Slovénie et qui pour l'heure
demeurent
n° 2086 du principalement
23/03/1992. projets, voir Z. Popov et Lj. Madzar in Ekonomska politika,
58. Ekonomska politika, n° 2022-23 du 31/12/90.
59. A. Babeau, Le patrimoine des Français, 1989, La Découverte - Repères, Paris.
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On peut bien sûr envisager des incitations comme des rabais sur les prix
des actions, ce qui réduira l'apport de capital nouveau pour les entreprises
et soulève la question de l'importance des réductions au regard de l'équité ;
faibles, elles seront peu stimulantes, fortes, elles ne concerneront, en tout
état de cause, qu'une minorité des ménages qui bénéficieront ainsi de
«cadeaux» de la part de la collectivité et, dans ce cas, la distribution
gratuite peut sembler préférable, malgré ses propres limites. L'octroi de
crédits pour acheter des actions pourrait remédier partiellement à
l'insuffisance d'épargne ; il aurait l'avantage de ne pas limiter les achats d'un
acquéreur au montant de son épargne préalable, ce qui permettrait
d'accélérer la privatisation. Il s'agirait alors d'organiser des adjudications financées
par l'emprunt, l'État, en tant que prêteur devenant en quelque sorte le
créancier-rentier des actionnaires60.
Cette méthode pourrait également servir de solution, au moins partielle,
à la chute des réserves de change en Yougoslavie depuis la fin de 1990 qui,
réduites à 3,4 milliards de dollars à la fin de 1991, rendent le système
bancaire, et la Banque centrale en dernier ressort, incapables de faire face à
leurs engagements à l'égard des dépôts en devises des ménages d'environ
9 milliards de dollars ; la convertibilité « interne » ayant été suspendue en
1991, les retraits en devises des ménages qui n'avaient pas été satisfaits au
cours de cette seule année étaient ainsi estimés à 1,5 milliard de dollars61. On
pourrait alors concevoir la transformation d'une partie de cette dette en
devises à l'égard des ménages soit en obligations publiques à long terme,
contrepartie des prêts destinés à l'achat des actifs ou assorties d'une option
d'achat sans restriction des actifs privatisés ultérieurement, soit directement
en actifs collectifs ; mais cette conversion dans le premier cas risque d'être
coûteuse pour les finances publiques puisqu'il faudra garantir un taux
d'intérêt suffisamment attractif, dans le deuxième cas de se porter pour
l'essentiel vers des actifs relevant de la petite privatisation.
Quelles que soient les mesures d'incitation, il n'est pas réaliste d'attendre
qu'une partie importante des ménages deviennent de futurs actionnaires et
la privatisation par ce biais ne peut être que lente. Il est un autre postulat
discutable, à savoir que ces actionnaires seront à même d'exercer leurs droits
de propriété et de contrôler la gestion des entreprises en sorte qu'elle
devienne plus efficace et qu'elle vise à la maximisation de la valeur nette de
l'entreprise. Même si, en étant payant, le recours à l'actionnariat populaire
limite la diffusion du capital par rapport à la distribution des actions à
l'ensemble de la collectivité, il convient de s'interroger sur l'efficacité du
contrôle que ces actionnaires novices peuvent exercer.
Trois facteurs conduisent à accentuer la difficulté du contrôle interne des
dirigeants par les actionnaires telle que l'envisage la théorie de l'agence : la
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propriété privée, rien ne garantit que ces propriétaires feront mieux que
d'autres propriétaires privés et alors pourquoi les avantager en leur
permettant de s'approprier ainsi les actifs collectifs ?
Les lois croate et serbe, en durcissant les conditions pour les salariés et en
renforçant le rôle des agences spécialisées, répondent pour partie à cette
question, notamment la loi croate qui fixe une part maximale du capital
pour les actions internes. Pourtant elles ne résolvent pas la question de la
définition claire des titulaires des droits de propriété puisque celle-ci relève,
dans une proportion imprécise si l'ensemble du capital n'a pas trouvé
acquéreur, des salariés-actionnaires, des acquéreurs extérieurs, et de l'État
par l'intermédiaire des Fonds de développement ; en outre, certains
considèrent, nous l'avons vu, que ces modalités conduisent à entraver la
privatisation et à une nationalisation de l'essentiel des actifs. Ceci montre bien le
caractère contradictoire d'un processus de privatisation qui relève d'une
combinaison instable entre acteurs privés et action étatique.
CONCLUSION
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Autogestion et privatisations en Yougoslavie
Juillet 1992
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