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les théories des crises

Par Martin Anota 

2. Les crises selon les néoclassiques

2.1. Les néoclassiques et l’impossibilité de crises de surproduction


généralisées

Il y a un siècle, les néoclassiques n’arrivaient pas à expliquer les récessions car, pour eux, il était
impossible qu’il y ait une surproduction généralisée. Ils croyaient en effet en la « loi des débouchés »
ou « loi de Say », du nom de l’économiste français Jean-Baptiste Say (1767-1832). Selon ce dernier, la
production de biens génère des revenus qui peuvent être dépensés pour les acheter. Comme ont pu le
résumer certains : « l’offre crée sa propre demande ». Ainsi, il ne peut y avoir de surproduction
généralisée Par contre, Say reconnaît qu’il peut y avoir des crises de surproduction sectorielles, mais
celles-ci ne peuvent être que temporaires. En effet, il se peut qu’un secteur ne parvienne pas à écouler
tous ses produits et accumule des stocks d’individus. Mais cela signifie, dans la logique de Say, que la
demande est par contre excessive dans un autre secteur. La loi de l’offre et de la demande va toutefois
faire disparaître ces déséquilibres. En effet, puisque dans le premier secteur l’offre est supérieure à la
demande, alors les prix et les profits y déclinent, ce qui incite les entreprises à quitter ce secteur.
Parallèlement, comme dans le second secteur la demande est supérieure à l’offre, alors les prix et les
profits y augmentent, ce qui incite les entreprises à entrer dans ce secteur. Ainsi, la crise de
surproduction sectorielle entraîne une réallocation des capitaux qui l’amène à un terme.

2.2. Les nouveaux classiques et les chocs d’offre

A partir des années soixante-dix et surtout des années quatre-vingt, un nouveau courant néoclassique
apparaît. Ses partisans (Lucas, Prescott, Kydland, etc.) sont qualifiés de « nouveaux classiques ». Selon
eux, les cycles trouvent leur origine dans des « chocs » qui touchent (par définition) de façon exogène
l’économie. Ceux-ci incluent notamment les changements météorologiques, les désastres naturels, les
chocs et contre-chocs pétroliers, les guerres, l’instabilité politique, les décisions gouvernementales et
les chocs technologiques. Ces derniers comprennent les changements dans la qualité des facteurs de
production, la modification de l’organisation du travail, le développement de nouveaux produits et
procédés de fabrication, etc. Depuis les années quatre-vingt, les néoclassiques considèrent que les
chocs sont avant tout de nature technologique : une innovation apparaît, elle accroît la rentabilité des
entreprises et rend les travailleurs plus productifs. On retrouve l’idée du progrès technique exogène du
modèle de Solow.

Les chocs sont aléatoires, imprévisibles. Ils modifient l’environnement économique, ce qui amène les
agents à changer de comportement. Un choc d’offre sera positif s’il accroît la rentabilité des
entreprises, s’il les incite à produire et à investir plus, s’il incite les travailleurs à travailler plus, s’il les
rend plus productifs… Par conséquent, un choc d’offre positif se traduira par une hausse de la
production et une baisse des prix. Par contre, un choc d’offre sera négatif s’il tend à augmenter les
coûts de production et à diminuer le profit, s’il incite les travailleurs à moins travailler, s’il les rend
moins productifs. Par conséquent, un choc d’offre négatif entraînera une baisse de la production, une
hausse des prix, donc une « récession ». Par exemple, si l’Etat décide d’accroître la fiscalité, les agents
vont moins consommer, tandis que les entreprises investiront et embaucheront moins, car leur
production devient moins rentable.

3. Les keynésiens et l’insuffisance de la demande

John Maynard Keynes (1883-1946) a publié la Théorie générale en 1936. Il voulait y expliquer la
Grande Dépression et en présenter les solutions. Selon lui, non seulement les économistes
néoclassiques ne peuvent expliquer la récession, mais les remèdes qu’ils préconisent ne peuvent que
l’aggraver. Keynes a démontré que l’intervention de l’Etat était nécessaire pour sortir les économies de
la récession.

Les entreprises produisent en fonction de la demande anticipée, c’est-à-dire de la « demande effective »


selon la terminologie de Keynes. Or, rien n’assure que la demande effective soit suffisante pour que
l’économie soit au plein emploi. Si les entreprises anticipent une faible demande, alors elles réduisent
leur production et leurs dépenses d’investissement, licencient, voire diminuent les salaires. Peut-être
que les entreprises avaient initialement tort, mais leurs craintes (vendre peu et faire peu de profit)
finissent par se matérialiser du fait de leur propre action : on parle d’« anticipations autoréalisatrices ».
En plus, si les entreprises produisent moins, elles dépensent moins en consommation intermédiaire
(composants, matières premières, etc.) et elles investissent moins (car il ne sert à rien d’accroître les
moyens de production si on a déjà du mal à vendre ce que l’on produit), or cela réduit également leurs
débouchés.

Lors d’une récession, les ménages consomment moins. D’un côté, ceux qui se retrouvent au chômage
perdent leur salaire, donc ils ont un revenu moindre, voire plus aucun revenu. D’autre part, même
ceux qui sont toujours en emploi vont moins consommer : chacun va chercher à épargner plus car
chacun estime qu’il y a plus de chances qu’il soit licencié. On parle d’épargne de précaution. Mais à la
différence des néoclassiques, les keynésiens ne considèrent pas l’épargne comme une vertu, mais
comme un vice. Or, si tous les ménages épargnent plus, les entreprises vendent encore moins, donc le
chômage augmente à nouveau. Autrement dit, plus un ménage épargne, plus il risque d’être licencié.
Ce que les ménages ont craint (le chômage) se matérialise du fait de leur propre action.

Pour les néoclassiques, s’il y a récession, c’est parce qu’il y a un problème du côté de l’offre, la
production n’est pas suffisamment rentable. Il faut accroître la rentabilité des entreprises pour les
inciter à produire et à embaucher, par exemple baisser les salaires. En plus, s’il y a une déflation, cela
réduit également les coûts de production des entreprises et les ménages gagnent en pouvoir d’achat,
ce qui les incite à consommer plus.

Pour les keynésiens, la déflation des prix et la baisse des salaires ne peuvent qu’aggraver la crise.
D’une part, les entreprises baissent leurs prix car elles ont du mal à vendre. Or, s’il y a déflation, les
ménages vont avoir tendance à reporter leurs achats de biens durables car ils se disent que les prix
seront encore plus faibles à l’avenir : ils épargnent plus. Cela réduit davantage la demande globale,
donc les entreprises sont incitées à réduire davantage leur production, à licencier et à baisser à
nouveau leurs prix. D’autre part, si les salaires baissent, les ménages perdent en pouvoir d’achat,
donc ils consomment encore moins. Bref, les remèdes des classiques ne soignent pas le malade, ils
l’achèvent.

Pour résumer, si l’économie est en récession et s’il y a du chômage, c’est parce que la demande du
secteur privée (les dépenses des entreprises et des ménages) est insuffisante. Les ménages et
entreprises devraient dépenser plus pour que l’économie sorte de la récession et revienne au plein
emploi, mais elles n’en ont individuellement pas l’intérêt : si un ménage n’épargne pas, il risque d’avoir
aucun revenu s’il se retrouve au chômage ; si une entreprise dépense plus alors que son profit est
faible, elle risque de faire faillite. D’ailleurs, les entreprises ne sont pas incitées à investir, car elles ont
des capacités de production (des machines) inemployées. L’économie peut rester durablement dans
une récession : les ménages ne sont pas incités à consommer plus tant qu’il y a du chômage ; les
entreprises ne sont pas incitées à embaucher tant qu’elles n’anticipent pas une forte demande.

La récession constitue une « défaillance de marché » : le secteur privé est incapable de sortir par lui-
même de la crise, le système économique ne parvient pas à s’autoréguler. Cette défaillance justifie
l’intervention publique. Si l’économie connaît une récession et du chômage, l’Etat doit relancer
l’économie en augmentant la demande globale. Soit il l’augmente directement en augmentant les
dépenses publiques, par exemple ses dépenses d’investissement public (construction de nouvelles
écoles, de nouvelles autoroutes, etc.). Soit il cherche à inciter les ménages et les entreprises à
dépenser plus, grâce aux réductions d’impôts, à la hausse des prestations, au versement de
subventions, etc. Lors d’une récession, l’investissement public sera plus efficace pour relancer
l’activité que la baisse des impôts et la hausse des prestations sociales : les ménages risquent
d’épargner leur baisse d’impôts et leur surcroît de prestations sociales, dans la mesure où ils sont
particulièrement incités à accroître leur épargne de précaution.

La banque centrale peut également réduire son taux directeur pour inciter les banques à prêter plus et
à réduire leurs propres taux d’intérêt. Si les taux d’intérêt diminuent, les entreprises (et les ménages)
seront incitées à emprunter plus, donc à investir plus. Si l’investissement augmente, les entreprises
(produisant des biens d’investissement) auront plus de débouchés, ce qui les incitera à embaucher, si
bien que les salariés nouvellement embauchés pourront davantage consommer, si bien que les
entreprises (produisant des biens de consommation) vendront davantage, etc. Toutefois, la politique
monétaire peut se révéler moins efficace que la politique budgétaire. D’une part, ce n’est pas parce que
la banque centrale diminue son taux directeur que les banques diminueront leurs taux d’intérêt et
seront plus enclines à prêter, en particulier lors d’une récession, c’est-à-dire à un moment où les
emprunteurs ont moins de chances de rembourser leur dette. D’autre part, ce n’est pas parce que les
taux d’intérêt diminuent que les entreprises en profiteront pour emprunter plus : lors d’une récession,
la demande globale est faible, si bien que les entreprises ont peu de raisons d’investir pour produire
plus.

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