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Recueil Dalloz

Recueil Dalloz 2017 p.2176


Droit bancaire
juillet 2016 - juillet 2017

Didier R. Martin, Agrégé des facultés de droit, Professeur émérite


Hervé Synvet, Professeur à l'Université Panthéon-Assas (Paris-II)

L'essentiel
Une décision malvenue de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (AC PR), un avis mieux inspiré de la C our de
cassation, un jugement sensé sur la question surréaliste des taux d'intérêt débiteurs, et une ambiguïté persistante sur le statut
de codébiteur adjoint, font les points saillants de cette livraison.

I - Aspects institutionnels
Pouvoir de sanction de l'ACPR. Comme on le sait, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) est
investie d'un pouvoir de sanction à l'égard non seulement des établissements de crédit, mais également de
nombreux autres professionnels, parmi lesquels les entreprises d'assurance. C'est la raison pour laquelle il nous
paraît utile de commenter dans ce panorama une décision par laquelle la Commission des sanctions de l'ACPR
prononce un blâme et une sanction pécuniaire à l'encontre d'une société d'assurances (ACPR, 7 févr. 2017,
procédure n° 2016-02) : cette décision adopte une position de principe quant à l'étendue du pouvoir répressif de
l'ACPR qui vaut pour tous ses ressortissants, y compris les banques.
Le contentieux était né de ce qui pouvait apparaître comme une modification unilatérale de contrats d'assurance vie.
La société ACMN Vie avait diversifié son offre en proposant, sur un certain nombre de contrats, plusieurs fonds
cantonnés en euros. Le client avait le choix, au moment de la souscription, entre ces différents fonds et pouvait, en
cours de contrat, réaliser des arbitrages. À un certain moment, ACMN Vie, estimant que l'orientation de la gestion
des fonds avait cessé d'être spécifique, décida de les fusionner. Mais elle se borna à en informer les assurés, sans
recueillir formellement leur accord.

Un contrôle sur place fut alors diligenté par l'ACPR, qui déboucha sur une notification de griefs. L'ACPR y écrivait : «
Cette modification unilatérale des contrats d'assurance vie et de capitalisation proposant des fonds en euros
dynamiques est susceptible de contrevenir aux dispositions de l'article L. 112-3, alinéa 5, du code des assurances ».
Le débat était ainsi placé sur le terrain de l'article L. 112-3, alinéa 5, du code des assurances. Ce texte n'est pas
nouveau. Il trouve son origine dans la loi du 13 juillet 1930 relative aux contrats d'assurance terrestre. Sa première
phrase est ainsi conçue : « Toute addition ou modification au contrat d'assurance primitif doit être constatée par un
avenant signé des parties ». Traditionnellement, la Cour de cassation juge qu'il s'agit d'une simple règle de preuve.
Encore récemment, la deuxième chambre civile rappelait qu'il résulte de cette disposition que « si le contrat
d'assurance constitue un contrat consensuel parfait dès la rencontre des volontés de l'assureur et de l'assuré, sa
preuve est subordonnée à la rédaction d'un écrit », pour censurer une décision de cour d'appel qui avait accepté la
preuve d'une modification du contrat d'assurance par aveu tacite, « alors qu'elle constatait que l'assuré n'avait signé
aucun avenant permettant de prouver qu'il avait accepté la restriction de garantie émanant de l'assureur » (Civ. 2 e ,
17 mars 2011, n° 10-16.553).

C'est sur cette jurisprudence que s'appuyait en l'espèce ACMN Vie pour soutenir que l'ACPR ne pouvait prendre en
compte une règle de preuve jouant dans les relations contractuelles ni, l'extrapolant, en tirer une obligation à la
charge des entreprises d'assurances, sanctionnée disciplinairement.
Pour entrer en voie de condamnation, la Commission des sanctions de l'ACPR a écarté ce moyen. Elle met en avant
deux séries de considérations.
La première est prise des articles L. 612-1 et L. 612-39 du code monétaire et financier, qui donnent à l'ACPR la
mission de veiller au respect par les personnes soumises à son contrôle des dispositions du code des assurances et
le pouvoir de sanctionner les violations qui leur sont imputables. Selon la Commission des sanctions, ces dispositions
« ne limitent pas à certaines dispositions du code des assurances celles dont l'ACPR contrôle le respect et dont la
méconnaissance peut donner lieu à sanction ; (...) il est donc sans incidence que la disposition fondant le
manquement imputé à ACMN Vie figure dans le livre Ier de ce code, relatif au contrat d'assurance, ni, comme il est
soutenu en défense, qu'elle ait valeur d'une règle de preuve et non de fond au sens du droit des obligations ».
Le second motif avancé par la Commission des sanctions participe d'une lecture « volontariste » de l'article L. 112-3,
alinéa 5, du code des assurances. Après avoir rappelé la jurisprudence de la Cour de cassation qui a fixé
l'interprétation de ce texte, la Commission ajoute qu'« il ne se déduit toutefois pas de cette jurisprudence relative à
la recherche de la preuve du consentement dans les litiges civils (...) que la règle d'ordre public énoncée par cet
alinéa soit privée de portée propre ; (...) en exigeant que toute modification du contrat d'assurance soit constatée
par un avenant signé des parties, le législateur a édicté une norme qui s'impose aux assureurs dans un but,
notamment, de protection des assurés et de sécurisation juridique des contrats (...) ; (...) il en va ainsi alors même
que la méconnaissance de ces règles n'est pas nécessairement sanctionnée, en cas de litige entre l'assureur et
l'assuré devant le juge civil, par l'inopposabilité du contrat ou de sa modification ».
Ce raisonnement (qui ne pourra être critiqué devant le Conseil d'État, aucun recours n'ayant été formé contre la
décision de la Commission des sanctions) est non seulement artificiel, mais également dévastateur dans ses
résultats.
L'artifice tient à la découverte dans l'article L. 112-3, alinéa 5, du code des assurances d'une obligation
professionnelle qui n'y figure pas. Cette disposition a été conçue par le législateur comme une règle de preuve en
matière de modification du contrat d'assurance. Elle fait écho, dans un domaine particulier, à la règle de droit
commun gouvernant la preuve des contrats (art. 1315, devenu art. 1359 c. civ.). Elle ne s'adresse d'ailleurs pas à
une partie plutôt qu'à une autre : le texte énonce, de manière non personnalisée, qu'en cas de modification du
contrat d'assurance, il convient d'établir un avenant signé des parties. De 1930 à 2017, nul n'a jamais envisagé que
l'article L. 112-3, alinéa 5, du code civil mît une obligation particulière à la charge de l'assureur (et encore moins par
une règle d'ordre public : le droit de la preuve est en principe supplétif de volonté en matière contractuelle), ni que
celui-ci commît une faute en ne faisant pas signer un avenant. S'il l'omettait, il se mettait en risque de ne pouvoir
prouver l'accord des parties sur la modification du contrat d'assurance ; il n'y avait rien de plus.
Par ailleurs, la doctrine de la Commission des sanctions débouche sur une transformation de la nature de pans
entiers de notre législation, qui dépasse le domaine de l'assurance. Compte tenu de la référence faite à l'article L.
612-1 du code monétaire et financier, elle signifie que tout manquement à une disposition quelconque de l'un des
codes qui y sont énumérés (code monétaire et financier, code des assurances, livre IX du code de la sécurité sociale,
code de la mutualité, livre III du code de la consommation) est susceptible d'être sanctionné disciplinairement,
quand bien même elle aurait été conçue comme une simple règle de droit privé.
C'est la multiplication des pains, version ACPR ! Et c'est conférer à des codes pris dans leur intégralité un caractère
répressif. Il y a là une dérive, au profit de ce qui n'est qu'une administration, au-delà de ce que l'on peut admettre
dans un pays civilisé.
H. S.
II - Aspects fonctionnels
A - Prêts libellés en devises
1 - Jurisprudence française
Le contentieux des prêts en devises aux particuliers, suscité par la crise financière et les remous qui l'ont
accompagnée sur le marché des changes, est parvenu à la Cour de cassation. La première chambre civile a en effet
rendu deux arrêts importants (Civ. 1 re , 29 mars 2017, n° 16-13.050, à paraître au Bull., D. 2017. 1893 , note C.
Kleiner , et 1859, chron. C. Barel ; AJDI 2017. 596 , obs. J. Moreau ; AJ Contrat 2017. 278 , obs. B. Brignon
; RTD civ. 2017. 383, obs. H. Barbier ; JCP 2017. 532, note T. Bonneau ; Gaz. Pal. 2017, n° 22, p. 49, note M.
Roussille ; JCP E 2017. 1267, note J. Lasserre Capdeville ; n° 15-27.231, à paraître au Bull., D. 2017. 1893 , note
C. Kleiner ; AJDI 2017. 596 , obs. J. Moreau ; AJ Contrat 2017. 278 , obs. B. Brignon ; RTD civ. 2017. 383,
obs. H. Barbier), qui prennent parti sur certains des moyens employés par les emprunteurs pour tenter de se défaire
d'obligations devenues à leurs yeux trop lourdes.
Étaient en cause, dans ces deux affaires, les prêts dénommés Helvet Immo que commercialisait, il y a une dizaine
d'années, une filiale de BNP Paribas à travers un réseau de courtiers. Il s'agissait de crédits immobiliers, libellés en
francs suisses et remboursables en euros (pour un montant dépendant de l'évolution du change franc suisse/euro).
Le succès de ce produit avait tenu à la modestie des taux d'intérêt pratiqués, qui elle-même s'expliquait par le
caractère de monnaie refuge reconnu au franc suisse. Mais l'avantage initial se mua rapidement en fardeau, lorsque
l'euro décrocha par rapport au franc suisse (la parité fut un moment frôlée, avant que la Banque nationale suisse
n'intervînt vigoureusement pour faire baisser sa monnaie) : la charge financière pesant sur les emprunteurs, en
capital et intérêts, inchangée en francs suisses, était sensiblement augmentée lorsqu'exprimée en euros. D'où la
recherche par certains emprunteurs de moyens pour échapper à leurs obligations ou, à tout le moins, obtenir que la
responsabilité de la banque fût retenue.
La Cour de cassation se prononce sur trois de ces moyens.

Le premier était tiré du droit monétaire : dans les deux affaires, les emprunteurs soutenaient que la référence au
franc suisse constituait une clause d'indexation illicite.
La jurisprudence existante ne paraissait pas favorable au succès de cette thèse. Certes, la Cour de cassation a
toujours assimilé le choix d'une devise étrangère comme monnaie de compte, dans un contrat interne, à une clause
d'indexation. Elle était ainsi conduite à en apprécier la licéité à la lumière de l'article L. 112-2, alinéa 1 er, du code
monétaire et financier, qui a codifié les dispositions de l'ordonnance n° 59-246 du 4 février 1959 relative aux
indexations. Mais elle avait jugé, à plusieurs reprises, qu'une clause d'indexation est licite lorsque l'indice choisi est
en relation directe avec l'objet de la convention ou l'activité de l'une des parties et qu'il en va ainsi en cas de prêt
bancaire, la fixation de la créance en monnaie étrangère étant alors en relation directe avec l'activité de banquier de
l'un des contractants (Civ. 1 re , 2 janv. 1988, n° 86-11.966, D. 1989. 80, note P. Malaurie ; 11 oct. 1989, n° 87-
16.341, Bull. civ. I, n° 311 ; 11 oct. 1989, n° 87-16.341, D. 1990. 167 , note E. S. de La Marnierre ; Com. 22 mai
2001, n° 98-14.406, Bull. civ. IV, n° 98 ; D. 2001. 2127 ).
Pour échapper à cette conclusion, les souscripteurs de prêts Helvet Immo faisaient valoir que rien ne permettait de
caractériser, en fait, un lien direct entre la clause d'indexation et l'activité de la banque prêteuse. Autrement dit, ils
sollicitaient le passage d'une directive abstraite - la qualité de banquier revêtue par l'une des parties légitime
l'utilisation d'une monnaie de compte étrangère - à une approche concrète - la banque prêteuse se finance-t-elle
effectivement sur le marché international des capitaux ? Dans les arrêts rapportés, la Cour de cassation refuse de
s'engager dans cette voie. La cour d'appel ayant « constaté qu'en l'espèce, la relation directe du taux de change,
dont dépendait la révision du taux d'intérêt initialement stipulé, avec la qualité de banquier de la société BNP
Personal Finance était suffisamment caractérisée », elle « en a déduit, à bon droit, que la clause litigieuse, fût-elle
afférente à une opération purement interne, était licite ».
Cette solution a le mérite de maintenir la continuité de la jurisprudence. Pour en mesurer pleinement la portée, il
convient toutefois d'ajouter deux choses.

Tout d'abord, la solution ne vaut qu'autant que le contrat de prêt utilise la devise comme monnaie de compte. Si la
banque commet l'imprudence de prévoir des paiements en monnaie étrangère, alors que le prêt est interne, elle
risque de s'exposer à des déconvenues, comme le montrent des arrêts de la cour d'appel de Metz (Metz, 6 avr.
2017, nos 15/00409 et 15/00410) : la clause prévoyant un paiement en monnaie étrangère n'est pas licite en
matière interne (règle aujourd'hui codifiée à l'art. 1343-3 c. civ.).

Ensuite, le législateur est intervenu en introduisant dans le code de la consommation un article L. 313-64, selon
lequel un particulier ne peut souscrire un prêt immobilier dans une monnaie autre que l'euro que s'il perçoit
principalement ses revenus ou détient un patrimoine dans cette devise. La jurisprudence de la Cour de cassation ne
vaut donc aujourd'hui qu'en dehors des prévisions de l'article L. 313-64 du code de la consommation. Tout au plus
peut-on poser la question de la conformité au droit européen d'une disposition qui interdit à une banque anglaise ou
suédoise opérant en France en libre établissement ou en libre prestation de services de consentir un prêt libellé
dans la monnaie de son pays d'origine.
Le deuxième terrain sur lequel se plaçaient les emprunteurs était celui des obligations d'information et de mise en
garde pesant sur le banquier prêteur. La Cour de cassation distingue ici en fonction de la qualité de l'emprunteur,
averti ou non averti.

Dans le premier arrêt (n° 16-13.050, préc.), la première chambre civile retient, après avoir rappelé les motifs de
l'arrêt attaqué analysant le « profil » des emprunteurs (un couple, dans lequel le mari était directeur adjoint d'une
chambre de compensation), qu'« en l'état de ces constatations et appréciations, dont elle a pu déduire que, compte
tenu de la profession exercée ou ayant été exercée par M. et Mm e C. et de leur expérience en matière de crédit
immobilier, ceux-ci devaient être considérés comme des emprunteurs avertis, aptes à comprendre les informations
qui leur étaient fournies et capables d'apprécier la nature et la portée de leurs engagements, ainsi que de mesurer
les risques encourus, et que la banque avait satisfait à son obligation d'information, la cour d'appel (...) a décidé, à
bon droit, que la banque n'était débitrice d'aucune obligation de mise en garde ». La Cour de cassation étend ainsi à
l'hypothèse du prêt libellé en monnaie étrangère la construction élaborée en matière d'endettement excessif. On
notera, toutefois, que l'absence d'obligation de mise en garde va de pair avec l'existence d'une obligation
d'information, dont l'exécution permet à l'emprunteur averti d'exercer son jugement sur le produit offert.
Dans la seconde affaire (n° 15-27.231, préc.), il n'était pas contesté que l'emprunteur n'était pas averti ; la cour
d'appel avait néanmoins rejeté ses prétentions au motif que l'évolution défavorable du change n'avait pas pour
conséquence l'augmentation du montant de ses mensualités, mais seulement l'allongement de la durée du prêt.
L'arrêt est cassé : « en se déterminant ainsi, sans rechercher (...) s'il existait un risque d'endettement excessif né de
l'octroi du prêt, au regard des capacités financières de l'emprunteur, justifiant sa mise en garde par la banque, la
cour d'appel a privé sa décision de base légale ». Ici encore, la Cour de cassation se place dans le droit-fil de sa
jurisprudence traditionnelle. Ce n'est pas nécessairement très favorable à l'emprunteur : si, compte tenu de ses
ressources et de son patrimoine, il ne s'expose pas à un endettement excessif, il ne bénéficiera pas d'une mise en
garde sur les dangers de la dérive d'un prêt libellé en monnaie étrangère.
En troisième lieu, les parties croisaient le fer sous l'angle des clauses abusives. Elles le faisaient pour la première
fois devant la Cour de cassation, de sorte que la question se posait de savoir si les juges du fond avaient
l'obligation d'examiner d'office le caractère abusif de la clause monétaire. Dans les deux arrêts commentés, la
première chambre civile répond par l'affirmative, en s'abritant derrière l'arrêt Pannon de la Cour de justice de l'Union
européenne (4 juin 2009, aff. C-243/08, D. 2009. 2312 , note G. Poissonnier , 2010. 169, obs. N. Fricero , et 790,
obs. E. Poillot ; RTD civ. 2009. 684, obs. P. Remy-Corlay ; RTD com. 2009. 794, obs. D. Legeais ). Dès lors, « en
statuant ainsi, alors qu'il résultait des éléments de fait et de droit débattus devant elle que, selon le contrat litigieux,
les mensualités étaient susceptibles d'augmenter, sans plafond, lors des cinq dernières années, de sorte qu'il lui
incombait de rechercher d'office, notamment, si le risque de change ne pesait pas exclusivement sur les emprunteurs
et si, en conséquence, la clause litigieuse n'avait pas pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif
entre les droits et obligations des parties au contrat, au détriment des consommateurs, la cour d'appel a violé le
texte susvisé [l'art. L. 132-1, devenu art. L. 212-1 c. consom.] ».

Il n'est pas sûr qu'il ne s'agisse pas d'une victoire à la Pyrrhus pour l'emprunteur. Selon toute vraisemblance, la
clause monétaire peut jouer aussi bien en faveur (si la monnaie de compte choisie baisse par rapport à l'euro) qu'au
détriment de l'emprunteur. En outre, l'arrêt rendu le 20 septembre 2017 par la Cour de justice de l'Union
européenne, commenté infra, risque d'affaiblir la position des emprunteurs sur le terrain des clauses abusives.

H. S.
2 - Jurisprudence européenne

La Cour de justice de l'Union européenne vient de se prononcer sur l'interprétation à donner à l'article 4, § 2, de la
directive 93/13/CEE du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les
consommateurs, dans le contexte des prêts libellés en devises (CJUE 20 sept. 2017, aff. C-186/16, D. 2017. 1828
).
Selon cette disposition : « L'appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l'objet
principal du contrat ni sur l'adéquation entre le prix et la rémunération, d'une part, et les services ou les biens à
fournir en contrepartie, d'autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible
». L'article 4, § 2, de la directive soustrait ainsi au régime des clauses abusives les stipulations qui définissent l'objet
principal du contrat, à condition que leur rédaction soit claire et compréhensible.

Encore faut-il savoir ce qu'est une clause portant sur la définition de l'objet principal du contrat. Dans l'affaire qui a
donné lieu à question préjudicielle, étaient en cause des contrats de crédit libellés en francs suisses, conclus entre
une banque roumaine et des emprunteurs percevant leurs revenus en lei roumains, en vue de l'acquisition de biens
immobiliers, du refinancement d'autres crédits ou afin de répondre à des besoins personnels. Les emprunteurs,
subissant la dépréciation du leu par rapport au franc suisse, prétendaient que les clauses prévoyant le
remboursement des crédits en francs suisses, en ce qu'elles faisaient peser sur eux le risque de change,
constituaient des clauses abusives. D'où la question préjudicielle posée par une cour d'appel roumaine, afin de
déterminer si l'article 4, § 2, de la directive 93/13/CEE couvre une clause insérée dans un contrat de crédit conclu
dans une devise étrangère entre un professionnel et un consommateur sans avoir fait l'objet d'une négociation
individuelle et aux termes de laquelle le crédit doit être remboursé dans la même devise.
Dans ses conclusions devant la Cour de justice, l'avocat général Nils Wahl avait été particulièrement catégorique. Il
estimait que la clause se rapportait à l'objet principal du contrat. Il avançait en ce sens que : « Le fait qu'un crédit
doit être remboursé dans une certaine monnaie constitue, de toute évidence, un des piliers d'un contrat de prêt, en
particulier d'un prêt libellé en devise étrangère. Par un contrat de crédit, le prêteur s'engage, principalement, à
mettre à la disposition de l'emprunteur une certaine somme d'argent. Ce dernier s'engage, pour sa part,
principalement à rembourser, généralement avec intérêts, cette somme selon les échéances prévues. Ces
prestations essentielles se rapportent donc à une somme d'argent qui doit nécessairement être définie par rapport
à un étalon de valeur précis, à savoir la monnaie de paiement et de remboursement stipulée dans le contrat de
crédit » (pt 44).
La Cour de justice suit son avocat général, mais avec des précisions qui introduisent une certaine incertitude quant
à la portée de son arrêt.

D'un côté, elle dit pour droit que : « L'article 4, § 2, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant
les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens que la notion
d'"objet principal du contrat", au sens de cette disposition, couvre une clause contractuelle, telle que celle en cause
au principal, insérée dans un contrat de prêt libellé en devise étrangère, n'ayant pas fait l'objet d'une négociation
individuelle et selon laquelle le prêt doit être remboursé dans la même devise étrangère que celle dans laquelle il a
été contracté, dès lors que cette clause fixe une prestation essentielle caractérisant ce contrat. Par conséquent,
cette clause ne peut pas être considérée comme étant abusive, pour autant qu'elle soit rédigée de façon claire et
compréhensible ».

Mais, d'un autre côté, la Cour prend soin de souligner que l'interprétation retenue ne vaut que pour les prêts
remboursés dans la devise du contrat (ce qui suppose l'utilisation d'une monnaie de paiement étrangère, pour
reprendre la terminologie française). S'agissant en revanche des « contrats de crédit indexés sur des devises
étrangères », elle indique, en se référant à son arrêt Kásler et Káslerné Rábai (30 avr. 2014, aff. C-26/13, D. 2014.
1038 ; RTD eur. 2014. 715 , et 724, obs. C. Aubert de Vincelles ) qu'« ils ne sauraient être assimilés aux
contrats de crédit en devises étrangères, tels que ceux en cause au principal » (pt 40). Ce qui ne signifie pas que
l'indexation réintroduit nécessairement le crédit dans le champ du régime de la clause abusive : la question semble
rester ouverte, d'autant plus que, dans les deux cas, le risque de change est similaire.

Considéré d'un point de vue français, l'arrêt du 20 septembre 2017 ne constitue donc pas le dernier mot. Il tranche
la question des clauses abusives lorsque le prêt est remboursable dans la devise choisie par les parties, ce qui
correspond à une situation prohibée par la jurisprudence dans les contrats internes. Mais la discussion demeure
possible pour le cas où la devise étrangère est utilisée comme monnaie de compte. On relèvera simplement que
plusieurs arrêts de cours d'appel ont, à l'époque récente, retenu que « la clause monnaie de compte stipulée en
francs suisses n'est pas (...) une modalité d'exécution du prêt, mais qu'elle constitue l'objet principal, l'élément
essentiel du contrat » (Paris, 6 janv. 2017, n° 15/14029 et six autres arrêts de même date ; Metz, 27 avr. 2017,
n os 15/00409 et 15/00410, préc.).

Pour revenir à l'arrêt de la Cour de justice du 20 septembre 2017, celle-ci complète son interprétation de l'article 4, §
2, de la directive 93/13/CEE en précisant le sens de la condition à laquelle est subordonnée l'exclusion du régime
des clauses abusives, à savoir que les clauses concernées « soient rédigées de façon claire et compréhensible ». À
cet égard, la Cour de justice dit pour droit : « L'article 4, § 2, de la directive 93/13/CEE doit être interprété en ce
sens que l'exigence selon laquelle une clause contractuelle doit être rédigée de manière claire et compréhensible
suppose que, dans le cas des contrats de crédit, les établissements financiers doivent fournir aux emprunteurs des
informations suffisantes pour permettre à ceux-ci de prendre leurs décisions avec prudence et en toute
connaissance de cause. À cet égard, cette exigence implique qu'une clause selon laquelle le prêt doit être remboursé
dans la même devise étrangère que celle dans laquelle il a été contracté soit comprise par le consommateur à la fois
sur le plan formel et grammatical, mais également quant à sa portée concrète, en ce sens qu'un consommateur
moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, puisse non seulement connaître la possibilité de
hausse ou de dépréciation de la devise étrangère dans laquelle le prêt a été contracté, mais aussi évaluer les
conséquences économiques, potentiellement significatives, d'une telle clause sur ses obligations financières. Il
appartient à la juridiction nationale de procéder aux vérifications nécessaires à cet égard ».

C'est placer le contrôle des clauses monétaires dans les contrats de prêt aux particuliers sur le terrain adéquat. Il
serait contradictoire de les condamner per se tout en promouvant la construction d'un marché bancaire européen. En
revanche, les dangers qu'elles recèlent pour l'emprunteur profane appellent, au moment de la conclusion du contrat,
une information complète et, surtout, concrète.

H. S.

B - Taux d'intérêt négatif

Enfin une décision raisonnable sur la question dite des « taux d'intérêt négatifs » (TGI Thonon-les-Bains, 30 nov.
2016, n° 16/00506). On sait que, par l'effet de la politique monétaire particulièrement accommodante de la
Banque centrale européenne, des taux négatifs sont constatés sur le marché monétaire, c'est-à-dire que c'est la
banque acceptant des fonds qui est rémunérée. De nombreux prêts étant stipulés à taux variable, et la référence
étant communément un taux du marché monétaire (Eonia, Euribor, Libor...), la question s'est posée de l'incidence du
passage en territoire négatif d'un taux de référence sur l'exécution de contrats de prêt conclus avant la crise
financière, à une époque où l'éventualité de ce passage en territoire négatif n'était à vrai dire pas envisagée.

Au demeurant, la question se dédouble : l'évolution du taux de référence peut-elle conduire à absorber la marge
constitutive d'une partie de la rémunération du prêteur ? Au-delà, l'emprunteur est-il en droit de réclamer au
banquier le paiement de sommes au titre d'un « intérêt négatif » ?

Dans l'affaire soumise au tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains, le prêt litigieux avait été souscrit en
francs suisses, les intérêts étaient stipulés à taux variable, l'index choisi Libor trois mois et le taux initial fixé à 2,05
% l'an. L'emprunteur réclamait l'application de la formule contractuelle.

Le tribunal fit droit à sa demande, mais en fixant un plancher à la baisse du taux d'intérêt.

D'un côté, il se fonde sur les simulations figurant dans la notice remise à l'emprunteur en application de l'article L.
312-8, 2°, du code de la consommation pour interpréter le contrat comme ne garantissant aucune marge au prêteur
: « Si certes les simulations n'ont qu'un caractère indicatif (...) il n'en demeure pas moins que la Caisse de crédit
mutuel du Chablais a envisagé dès la conclusion du contrat que le taux d'intérêt nominal de 2,05 % était variable à
la hausse comme à la baisse et qu'il pouvait baisser de 2 %, ce dont il se déduit qu'il n'y a pas de doute sur
l'interprétation du contrat de prêt, le taux négatif de l'index Libor pouvant diminuer d'autant le montant du taux
d'intérêt initial ».

Mais, d'un autre côté, le tribunal écarte la possibilité d'un intérêt négatif. Il juge que « s'agissant d'un contrat de
prêt, l'emprunteur doit rendre la chose prêtée en même quantité et qualité, au terme convenu, en application de
l'article 1902 du code civil, ce dont il résulte que le capital prêté doit être rendu à la banque et que le taux d'intérêt
conventionnel ne peut être inférieur à 0 %, à défaut le contrat changerait de nature puisque M. X et Mm e Y n'auraient
plus à rembourser le capital emprunté. En outre, le taux d'intérêt conventionnel fixé à 0 % dans le cadre d'un contrat
de prêt conclu entre une banque et des particuliers n'est pas contraire à l'ordre public ».
Ceci est parfaitement dit. Le prêt est, soit gratuit, soit onéreux (pour l'emprunteur). Si la rémunération est due par
celui qui remet l'argent ou la chose, ce n'est plus un prêt, mais un dépôt.

H. S.
C - Affaires conjugales

En matière bancaire, la conjugalité prête à un contentieux spécifique d'inclusion/exclusion : où il est question de


savoir si la personne d'un époux, ou telle fraction de ses intérêts, est, ou non, impliquée dans une affaire nouée au
nom de son conjoint. Deux arrêts illustrent, ici, cette préoccupation.

Le premier (Com. 8 mars 2017, n° 15-15.350, Banque et Droit 2017, n° 174, p. 22, obs. T. Bonneau) est sollicité
de répondre à cette interrogation : les effets personnels d'un contrat souscrit par un époux s'étendent-ils à son
conjoint ? C'est à peu près ce que prétendait une banque, arguant que le compte ouvert par le mari, ainsi que les
relevés périodiques, étaient libellés au nom de « M. ou Mm e X » ; en foi de quoi elle tentait de poursuivre, à
l'encontre de l'épouse aussi, le recouvrement du solde débiteur du compte, comme s'il se fut agi réellement d'un
compte joint des deux époux. Sur pourvoi de l'épouse, condamnée en appel, la Cour énonce, en postulat, que « la
convention de compte joint ne se présume pas », et censure l'arrêt déféré au motif que ladite épouse « n'avait pas
signé de convention de compte joint ».

Sous son apparence anodine, voire futile, l'espèce soulève l'intéressante question de la preuve d'une relation de
compte bancaire. On sait qu'une telle relation doit donner lieu à l'établissement d'une convention ad hoc (art. L. 312-
1-1 c. mon. fin. ; T. Bonneau, Droit bancaire, LGDJ, 12 e éd., n° 489), dont on ignore cependant si elle est requise ad
solemnitatem, ad probationem ou seulement sous réserve de responsabilité éventuelle du teneur de compte. Si la
solennité de l'acte paraît bien exclue, la décision de la Cour semble attacher à la convention de compte formalisée
une finalité probatoire : en effet, si ladite convention « ne se présume pas », c'est que, sauf aveu, elle doit être
prouvée directement par l'écrit, ou l'embryon d'écrit, qui la constate, sans recours possible à une présomption
judiciaire même grave et précise.

En vérité, la preuve de la détention d'un compte résultera suffisamment, en général, de son fonctionnement et des
écritures qu'il comporte (valant, pour certaines, commencement de preuve par écrit : chèque, carte bancaire)
corroborées par de raisonnables indices concordants. Toutefois, la preuve du caractère joint d'un compte bancaire
ne concerne pas son existence, mais sa double - ou multiple - titularité : il ne s'agit plus alors d'une question
matérielle, mais d'une question personnelle pour la résolution de laquelle la signature effective d'une convention
appropriée, ou son défaut, constitue le seul critère incontestable (sur la difficulté très comparable de prouver un prêt
bancaire, Paris, 22 juin 2017, n° 15/07796, D. 2017. 1757, obs. G. Poissonnier ).

Seconde interrogation : le consentement donné par un époux au cautionnement souscrit par son conjoint a-t-il une
incidence sur l'appréciation de la proportionnalité de l'engagement de celui-ci par rapport à ses facultés ? Selon
l'article 1415 du code civil, ce consentement à la sûreté, qui ne fait pas de son auteur une partie à l'acte de garantie,
a pour effet d'étendre l'assiette du gage du créancier bénéficiaire aux biens communs du ménage, outre les biens
propres éventuels de la caution.

Une épouse discutait cependant que son salaire pût entrer en compte dans le calcul de proportionnalité. Elle fondait
son opinion sur la formule même de l'article L. 314-4 ancien du code de la consommation (devenu art. L. 332-1), qui
vise une disproportion manifeste « aux biens et revenus » de la caution, ce qui, selon elle, ne pouvait s'entendre de
sa propre rémunération. Las ! Si son salaire reste à sa libre perception et disposition (art. 223 c. civ.), il n'entre pas
moins en communauté où il participe alors des « biens » assujettis au pouvoir d'engagement de l'époux caution. La
proportionnalité du cautionnement devait donc bien être appréciée, en l'espèce, tant au regard des biens et revenus
propres de la caution que de ceux de la communauté, « incluant les salaires de son épouse » (Com. 22 févr. 2017,
n° 15-14.915, D. 2017. 500 ; Rev. sociétés 2017. 586, note S. Pla-Busiris ; RD banc. fin. 2015. Comm. 72 ; Gaz.
Pal. 2017, n° 22, p. 70, note M. Bourassin).

D. R. M.

D - Cession en garantie

Concurrencée par la nouvelle cession de créance de droit commun (art. 1321 nouv. s. c. civ.), la cession de créance
professionnelle jette-t-elle ses derniers feux judiciaires ? En vérité, cette concurrence a plutôt lieu, encore, au
préjudice de la première à laquelle la fonction de garantie de la seconde a été refusée par la Cour de cassation et
n'a pas été reconnue par la réforme du droit des obligations (M. Julienne, Le régime des obligations après la
réforme, LGDJ, 2017, n° 155). Le temps de cette reconnaissance viendra sûrement un jour où le bordereau de
cession, stipulé à ordre, ne survivra plus alors que par sa vertu d'incorporation des créances qu'il constate, si
précieuse pour le refinancement des établissements de crédit ou assimilés.

C'est à cette fonction de garantie que se raccorde un récent arrêt de la Cour de cassation (Com. 22 mars 2017, n°
15-15.361, D. 2017. 702 , et 1996, obs. P. Crocq ; AJ Contrat 2017. 236, obs. A. Reygrobellet ; RTD civ. 2017.
455, obs. P. Crocq ; RTD com. 2017. 434, obs. A. Martin-Serf ; Banque et Droit 2017, n° 174, p. 26, obs. T. Bonneau
; Gaz. Pal. 2017, n° 22, p. 66, obs. S. Morel et les réf.). Le liquidateur d'une société tentait de résister à la restitution
de sommes indûment perçues de débiteurs cédés, au préjudice du cessionnaire des créances. Il invoquait, à cet
effet, la nullité des cessions, intervenues pendant la période suspecte, au motif qu'elles constituaient des paiements
anormaux. Où l'on voit la fausseté du raccourci de pensée qui consiste, ici, à prendre la constitution d'une sûreté
pour le règlement même de la créance garantie ! Celui-ci peut, certes, procéder de celle-là, mais il y a, de la première
au second, toute la différence d'une chose à faire à une chose faite.
On conçoit cependant qu'avec un brin de mauvaise foi, la confusion des deux états soit alléguée. Ce trompe-l'oeil
tient au transfert de titularité que réalise la cession de créance ; d'où il est tentant d'inférer, par comparaison avec
les sûretés réelles traditionnelles, un mode de paiement, au moins par anticipation, d'une créance non échue. Céder
à cette tentation n'est cependant plus légitime depuis que, par la loi Dailly, renforcée de la réserve de propriété,
l'oeil du juriste s'est accommodé au schéma du transfert de propriété à titre de garantie ; schéma dans lequel le
retour éventuel de la propriété dans le patrimoine du cédant ne s'effectue pas au titre d'un paiement indu, mais d'un
épuisement de la fonction sécuritaire de la cession à raison du règlement normal de la créance garantie, par son
débiteur.

Aussi, la Cour est-elle bien fondée à énoncer que la cession de créance professionnelle à titre de garantie,
impliquant la restitution du droit cédé au cas où la créance garantie viendrait à être payée et n'opérant qu'un
transfert provisoire de la titularité de ce droit, il s'en « déduit qu'elle ne constitue pas le paiement de ladite créance
». Il était superflu, et même équivoque, d'ajouter, comme en redite, que « la restitution de la créance au cédant
[reste] subordonnée à l'épuisement de l'objet de la garantie consentie », car la formule, qui n'est pas fausse,
s'applique plus à une question de restitution qu'à une question de paiement ; elle est maladroitement reprise, par
un copier-coller, d'un arrêt antérieur (Com. 22 nov. 2005, n° 03-15.669, D. 2005. 3081 , obs. X. Delpech , 2006.
2855, obs. P. Crocq , et 2007. 753, obs. D. R. Martin ; RTD com. 2006. 169, obs. D. Legeais ; Banque et Droit
2006, n° 106, p. 67, obs. T. Bonneau).

D. R. M.

E - Figures de subrogation

Le crédit garanti par une cession de créances professionnelles peut l'être aussi, « en même temps », par un
cautionnement. La caution en tire parfois argument pour tenter d'éluder son engagement ou, au moins, d'en alléger
la charge par la perception compensatoire d'une indemnité.
En l'espèce, la demande indemnitaire de la caution était fondée sur l'idée qu'« en cas de cautionnement de la
créance garantie, le cessionnaire commet une faute envers la caution du cédant en ne notifiant pas la cession des
créances à leurs débiteurs ». C'était méconnaître que la notification est de longtemps reconnue comme une simple
faculté ouverte au cessionnaire ; ce que la Cour de cassation réitère en précisant qu'il en est ainsi « même lorsque
le crédit est garanti par un cautionnement » (Com. 27 sept. 2016, n° 14-18.282, RTD civ. 2016. 904, obs. P. Crocq
; RTD com. 2017. 187, obs. A. Martin-Serf ; Banque et Droit 2017, n° 171, p. 12, obs. T. Bonneau).
Plus ambitieuse encore, la même caution espérait échapper à sa condition sur la foi de l'article 2314 du code civil qui
prononce la décharge de la caution lorsque, par le fait du créancier, elle ne peut être subrogée dans ses droits,
hypothèques et privilèges. Elle prétendait à ce bénéfice de subrogation au motif que le défaut de notification de la
cession de ces créances lui aurait fait perdre, par subrogation, un avantage. C'était méconnaître encore que la
notification n'a aucune vertu autre que l'orientation nécessaire du paiement des créances vers le cessionnaire.
Lequel n'en tire aucun gain juridique particulier propre à améliorer sa condition de créancier. De sorte, objecte
justement la Cour, que « la caution qui invoque la subrogation dans les droits du cessionnaire ne justifie pas de la
perte d'un droit préférentiel conférant un avantage particulier au créancier pour le recouvrement de sa créance »
(dans le même sens, Com. 2 nov. 2016, n° 15-12.491, D. 2017. 147 , note M.-P. Dumont-Lefrand ; AJ Contrat
2016. 530, obs. L. Bougerol ; RTD civ. 2017. 195, obs. P. Crocq, 397, obs. H. Barbier ; RTD com. 2017. 187, obs. A.
Martin-Serf ; T. Bonneau, obs. préc. ; RD banc. fin. 2017. Comm. 17, D. Legeais).

Une autre hypothèse de refus de la subrogation est à la fois plus grave et plus discutée. Il s'agit de la subrogation,
ex parte creditoris, du prêteur dans la créance de prix qu'il a acquittée et, accessoirement, dans le bénéfice de la
réserve de propriété garantissant ladite créance. Cette substitution de personne est l'un des schémas auxquels la
pratique bancaire accorde foi pour la sûreté de ses crédits. Or la pertinence juridique de l'accès de l'établissement
de crédit prêteur à la subrogation au créancier et, conséquemment, à la propriété réservée, a été niée par un avis
de la Cour de cassation (Cass., avis, 28 nov. 2016, n° 16-70.009, D. 2016. 2516 , 2017. 877, chron. M. Latina et
E. Le Corre-Broly , et 1996, obs. P. Crocq ; AJ Contrat 2017. 29, obs. J. Lasserre Capdeville ; RTD civ. 2017.
197, obs. P. Crocq) qui déclare « inopérante la subrogation consentie par le vendeur au prêteur dans la réserve de
propriété » d'un véhicule, puisque telle était l'hypothèse de la demande d'avis. Cette opinion, inattendue, a été
reçue par des commentaires plutôt critiques (Gaz. Pal. 2017, n° 287b8, p. 68, note M. Bourassin ; RTD civ. 2017. 197,
obs. P. Crocq, préc. ; JCP 2017. 757, note A. Gouëzel ; LPA 2017, p. 13, obs. L. Andreu, à paraître) ; elle est ainsi
fondée : « n'est pas l'auteur du paiement le prêteur qui se borne à verser au vendeur les fonds empruntés par son
client... ce client étant devenu, dès la conclusion du contrat de crédit, propriétaire des fonds ainsi libérés entre les
mains du vendeur ».

L'erreur de motivation de l'avis est qu'on ne devient pas propriétaire des fonds empruntés « dès la conclusion du
contrat », encore faut-il qu'ils soient délivrés ou, à tout le moins, isolés. Pourtant, l'opinion de la Cour atteste que la
rectitude juridique d'une subrogation conventionnelle du prêteur par le créancier reste douteuse au regard de
l'article 1250, 1°, ancien du code civil et du nouvel article 1346-1 : car les fonds que le prêteur remet au vendeur
auront, dès leur individualisation dans ses livres pour transfert, transité, au moins fugacement, par le patrimoine de
l'acheteur-débiteur-emprunteur. Cette mutation de la propriété monétaire par individualisation s'observe très
nettement, y compris par la Cour de cassation, en matière de virement où le débit du compte du donneur d'ordre
emporte mise en propriété du bénéficiaire (G. Decocq, Y. Gérard et J. Morel-Maroger, Droit bancaire, RB édition, 2 e
éd., n° 510) : elle fait donc obstacle même à la subrogation légale, car le paiement fait par le prêteur le sera
toujours au nom de l'emprunteur des fonds ; en remettant les fonds directement au créancier de son client, le
prêteur n'agit pas à titre personnel, mais en qualité de mandataire de l'emprunteur. Le cas n'est cependant pas
désespéré : il trouve, au prix d'un léger formalisme, sa solution notamment dans la nouvelle hypothèse de
subrogation du prêteur par accord du débiteur-emprunteur et du créancier (M. Latina et E. Le Corre-Broly, Le
transfert de la réserve de propriété par la subrogation de l'article 1346-2, alinéa 1 er, du code civil, D. 2017. 877 ). Il
est, du reste, assez remarquable qu'en 1804, on s'était déjà convaincu qu'en cas d'emprunt « d'une somme à l'effet
de payer sa dette », la subrogation du prêteur dût avoir lieu par le débiteur et non par le créancier : d'où, déjà, le 2°
de l'article 1250.

D. R. M.

F - Codébiteur adjoint

La situation du coobligé solidaire adjoint a donné lieu à un arrêt rare, non dépourvu cependant d'ambiguïté (Com. 8
juin 2017, n° 15-28.438, D. 2017. 1689 , note J. François ; AJ Contrat 2017. 382, obs. T. Douville ; RTD civ.
2017. 660, obs. H. Barbier, et 679, obs. P.-Y. Gautier ; RD banc. fin. 2017. Comm. 163, note D. Legeais ; Bull. Joly
2017. 614, note B. Dondero). En l'espèce, l'acquéreur, par substitution, d'un lot d'actions, étant défaillant, le vendeur
poursuivait le recouvrement du prix contre le substituant qui, par protocole préalable, s'était constitué, au cas de
substitution, garant solidaire de la bonne exécution de la cession et, en particulier, du paiement du prix et du
remboursement du compte courant. Se trouvait ainsi clairement posée la question du statut dudit garant, de la
qualité en vertu de laquelle il était obligé au paiement de la dette d'autrui : celle du cessionnaire défaillant.
Codébiteur ou caution ? La question est d'intérêt majeur pour l'activité bancaire.
Le substituant trouvait un avantage évident à la qualité de caution qu'il revendiquait : elle lui permettait de
contester son engagement, au double motif du non-respect du formalisme du cautionnement et du défaut de
proportionnalité de son engagement avec sa fortune et ses revenus. Il est vrai que cet engagement présentait
plutôt un caractère adjoint, car le substituant s'obligeait à garantir la dette résultant du contrat de cession auquel il
n'était pas parti ; car s'agréger à un rapport contractuel préexistant ou concomitant, mais séparé, qualifie
l'adjonction (P. Briand, Éléments d'une théorie de la cotitularité des obligations, th. Nantes, 1999, n° 94). Or, comme
le souligne J. François, la différence entre le cautionnement solidaire et la condition de codébiteur solidaire adjoint «
s'évanouit », puisque l'engagement de ce dernier a « le même objet et la même cause » que celui d'une caution
(note préc., n° 11). Toutefois, cette assimilation n'est pas reçue par la Cour ; celle-ci confirme l'arrêt entrepris d'avoir
déduit des faits que le substituant « ne s'était pas engagé à payer la dette du substitué - le cessionnaire des
actions -, mais en était demeuré débiteur solidaire, de sorte que son engagement personnel ne revêtait pas un
caractère accessoire et, partant, n'était pas soumis aux règles du cautionnement ».

Faute d'une justification spéciale, dont la Cour garderait le secret, on comprend assez mal que le substituant soit «
demeuré » débiteur solidaire d'une dette qui n'est pas née sur sa tête, mais a été acquise par autrui à la faveur
d'une substitution dans le bénéfice d'une promesse de vente. Toutefois, la solution n'est pas sans rappeler celle que
consacre le nouveau droit contractuel en matière de cession de contrat et de dette : où l'article 1216-1 nouveau du
code civil énonce qu'à défaut de consentement du cédé et de clause contraire, « le cédant est tenu solidairement à
l'exécution du contrat », l'article 1327-2 nouveau dispose qu'à défaut de consentement du créancier, et de clause
contraire, « le débiteur originaire est tenu solidairement au paiement de la dette » cédée. Faut-il voir dans ces cas,
et d'autres encore (J. François, note préc. renvoi 24), des hypothèses d'obligation légale de garantie à titre de
débiteur principal adjoint ? Ce serait, alors au moins, avec dispense pour le garant codébiteur de la charge définitive
de la dette et droit de recours, le cas échéant, contre le cessionnaire (M. Julienne, Le régime général des obligations
après la réforme, LGDJ, 2017, n° 252). On ne reprochera donc pas à la Cour de s'être inspirée du modèle légal, mais
de n'avoir pas, en l'occurrence, aiguisé ses critères de qualification pour une meilleure prévisibilité juridique.

D. R. M.

G - Avatars contractuels

Tous les prêts bancaires n'ont pas un déroulement strictement linéaire et complet. Indépendamment d'éventuelles
turbulences de remboursement, ils subissent parfois des transformations ou des aléas juridiques qui en modifient
l'économie, le cours ou la trajectoire ; ce qu'illustre un florilège de quatre arrêts de la Cour de cassation.

C'est le cas, d'abord, d'un prêt-relais qui se prolonge et s'empâte. Stipulé amortissable au douzième mois, intérêts
compris, pour un montant de 675 500 €, il fait l'objet d'avenants successifs portant la dette à 710 800 €, payables
au douzième mois, puis à 730 000 € payables au sixième mois, avant quoi l'emprunteur défaille. Poursuivi en
recouvrement et vente forcée, il tente, pour alléger la charge de la dette, de faire prononcer une déchéance au
moins partielle du droit du prêteur aux intérêts ; la raison alléguée étant que les modifications successives du capital
devaient faire l'objet de nouvelles offres préalables (art. L. 312-8 anc. c. consom., devenu art. L. 313- 10) et non de
simples avenants (art. L. 312-14-1 anc., devenu art. L. 313-24 c. consom.). En vérité, chaque augmentation de la
dette résultait de la seule addition des intérêts conventionnels courus - ce qui ne correspondait pas à une nouvelle
mise à disposition de fonds - et se doublait d'une simple prorogation de la durée du prêt : où il ne fallait donc voir,
selon la Cour, qu'une « simple négociation du prêt » justiciable des seules dispositions de l'article L. 312-14, alinéa
1 er (Civ. 1 re , 15 mars 2017, n° 15-28.105, AJDI 2017. 362 ).

Le prêt-relais n'est pas davantage générateur, en soi, d'une obligation de mise en garde de l'emprunteur ( Civ. 1 re ,
1 er mars 2017, n° 15-29.009, Gaz. Pal. 2017, n° 22, p. 59, note B. Bury).
Où il est encore question d'avenants. Par deux avenants concomitants, un prêt est scindé en deux portions
respectivement justiciables d'un taux effectif global de 4,91 % pour l'une, et de 4,40 % pour l'autre. Réflexion faite,
le bénéficiaire de l'opération trouve dans cette dualité de taux une raison d'agir en annulation de la stipulation
d'intérêts des avenants, au motif qu'un contrat de prêt ne peut être justiciable que d'un seul taux effectif global.

L'argument tiré de l'unicité du taux ne résistait évidemment pas à la scission du prêt originel, dont il résultait, au
surplus, que chacune des fractions nouvelles était soumise à un régime de remboursement différent. L'occasion est
ainsi donnée à la Cour d'énoncer qu'« aucune disposition légale n'interdit, à la faveur du réaménagement d'un prêt,
sa scission en deux branches soumises à un taux effectif global distinct » (Civ. 1 re , 11 janv. 2017, n° 15-21.015,
AJDI 2017. 128 ). Le carcan consumériste autorise encore quelques interstices de liberté !

Un prêt peut-il survivre à sa résiliation ? Condamnée, par un jugement de 2011, à une indemnité pour résiliation
abusive d'un prêt, la banque en cause n'en a pas moins réclamé, à l'emprunteur, le paiement des mensualités
prétendument échues après la rupture du contrat ! Ajoutant même au désordre, elle lui a ultérieurement délivré une
mise en demeure de payer, a prononcé la déchéance du terme et pratiqué une saisie-attribution du solde de son
compte. Sur la contestation de ces mesures, l'infortuné emprunteur, allait subir l'accablement d'une curieuse décision
d'appel : où il est dit qu'« en suite du jugement [précité] le contrat de prêt liant les parties a repris effet comme s'il
n'y avait pas eu de résiliation et, qu'en conséquence, l'emprunteur devait se remettre à jour du paiement des
échéances » postérieures.

Un tel cumul d'incohérences laisse pantois tant la logique commande que l'anéantissement d'un contrat, pour
quelque cause que ce soit, dont sa résiliation, en paralyse tous les effets. Sans doute aura-t-on cru (naïvement ?)
que, jugée abusive, la résiliation s'en trouvait neutralisée et le contrat restauré. Brouillé par cette commode illusion,
l'arrêt entrepris est censuré pour un motif dont la simplicité même vaut cinglante réplique : « la décision ayant
déclaré abusive la résiliation, dit la Cour, n'avait pas eu pour effet d'annuler cette résiliation, de sorte que le contrat
avait pris fin et que, les parties ayant choisi d'en reprendre l'exécution, aucune mensualité n'était due entre la
résiliation et cette reprise » (Civ. 1 re , 11 janv. 2017, n° 15-24.646). Comme la résolution, la résiliation, dont le
code civil évite désormais le mot, « met fin au contrat » (art. 1229 nouv. c. civ.).

L'interdépendance des contrats concomitants ou successifs qui s'inscrivent dans une opération incluant une location
financière est devenue, depuis 2013 (Cass., ch. mixte, 17 mai 2013, n° 11-22.927, D. 2013. 1273, obs. X. Delpech ,
1658, note D. Mazeaud , 2487, obs. C. Le Stanc , et 2014. 630, obs. S. Amrani-Mekki et M. Mekki ; RTD civ. 2013.
597, obs. H. Barbier ; RTD com. 2013. 569, obs. D. Legeais ), une règle quasi légale. Laquelle est désormais
prolongée par deux dispositions légales. D'une part, l'article 1186 du code civil selon lequel, dans les cas
d'indivisibilité contractuelle, la disparition de l'un des contrats liés rend l'autre caduc. D'autre part, l'article suivant qui
énonce sobrement : « la caducité met fin au contrat ». Confrontée à cette cessation contractuelle par contamination,
la société Minolta n'entend pas s'y résoudre et assigne son client en payement de l'indemnité conventionnelle de
résiliation anticipée. Ce qui péchait par deux côtés : d'abord, par confusion de la résiliation avec la caducité, et,
ensuite, par ignorance (affectée ?) du caractère extinctif de la caducité qui, en l'occurrence, excluait donc «
l'application de la clause du contrat caduc stipulant une indemnité de résiliation » (Com. 12 juill. 2017, n° 15-
27.703, D. 2017. 1468 ; Gaz. Pal. 2017, n° 32, p. 34, obs. D. Houtcieff).

D. R. M.

Mots clés :
BANQUE * Panorama 2017

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