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I Un moment de vérité
1) L’organisation du passage
Tout le passage s’organise autour des réflexions de Renée face à son miroir: Zola
plonge le lecteur dans la pensée même de son héroïne : Il envisage d’abord le retour
que Renée fait sur son passé: « Sa vie se déroulait devant elle » , « elle assistait » ,
« elle se rappelait bien son enfance » . Certaines formules manifestent l’emploi du
style indirect libre: ainsi de l’emploi des démonstratifs, du verbe « devoir » ou même
du terme « certes » qui renvoie à l’oralité.
« cette sève, la plante de ces pieds l’avait prise..sur toute cette soie et tout ce velours,
où elle marchait depuis son mariage »
« Les pas des autres devaient avoir laissé là ces germes de poison »
2) La conscience de la faute
Cependant dans cette analyse d’elle- même, on remarque que Renée passe de « se
mettre nue » (dernière phrase du paragraphe qui précède le texte à expliquer) à « Qui
donc l’avait mise nue? » (de sujet, Renée devient objet).
II Le dédoublement
1) L’opposition du présent et du passé
En revenant sur son passé, Renée l’envisage comme une période associée à
l’innocence et à la pureté, grâce aux figures rassurantes de la tante Elisabeth et de so n
père: sa tante est évoquée sous des couleurs maternelles: « elle entendait le tic-tac des
aiguilles de la tante » (figure assise, immobile, occupée à des travaux féminins
« traditionnels »), tandis que l’expression « au fond de la sévérité noire de l’hôtel
Béraud » suggère la silhouette de son père, indissociable du lieu même, de la couleur
noire, et de la solitude extrême que suggère la précision « au fond de » . De cette
enfance, elle ne retient que « des curiosités » dont elle diminue l’importance par
l’emploi des la formule « ne…que » .
A cette période elle oppose ce qui s’est passé après son mariage: le luxe ( la calèche,
les tapis, toute cette soie et ce velours), et la chair appuyée sur la répétition de la
couleur « rose » associée aux parties du corps: « ses cuisses roses« , « ses hanches
roses » , « cette étrange femme de soie rose » .
Mais très vite, cette opposition au lieu d’être purement temporelle devient
caractéristique du personnage: Renée est elle- même double. Il y a finalement deux
sangs en elle: « le sang de son père, ce sang bourgeois », le sang pur si l’on peut dire
et celui qui a été contaminé et que Zola mentionne en ces termes: « ces germes de
poison, éclos dans son sang » .
Dès lors, ce dédoublement finit par faire de Renée une victime qui n’est pas
responsable: tout le passage la présente comme objet, subissant l’action: « qui était
monté en elle » , « elle lui avait lassé les membres » , « mis au cœur » , fait
pousser« ; « ce viol qui l’avait jeté au mal » . Et c’est ce qui aboutit à la question
finale: « qui donc l’avait mise nue? ».
L’image que Zola utilise tout au long du texte pour manifester cette transformation
non voulue, c’est celle de la dégénérescence. Ainsi on constate un très large champ
lexical du corps: « genoux » , « ventre » , « lèvres » , « tête » , « crâne » ,
« me mbres » , « cœur » , « cerveau » , « plante des pieds » , « sang » , « veines » ,
qui se combine soit avec l’image de la maladie qui se répand « ces germes de
Ainsi, Renée n’a eu aucun contrôle sur ce qui est advenu: les « germes de poison,
éclos à cette heure dans son sang, et que ses veines charriaient » intériorisent le
mal comme désormais installé, et complètement répandu dans tout son être. La
deuxième phrase du passage qui évoque également « ce tapage de l’or et de la
chair » qui l’a envahie, se développe sur plusieurs lignes avec des compléments
circonstanciels et des propositions relatives qui miment en quelque sorte cette invasion
progressive devant aboutir à l’asphyxie.
1) l’hallucination
Là encore, Zola utilise un certain nombre d’images qui symbolisent cette folie:
d’abord la noyade, le flot qui submerge Renée, « en lui battant le crâne à coups
pressés » (noter la violence des consonnes:b; p; k,r). Peut-être un souvenir d’Ophélie?
Ensuite, il compare Renée à une plante malade: on retrouve là toute une thématique
fréquente dans la Curée: la plante, saine, qui devient monstrueuse et finit animale:
« mis au coeur des excroissances de honteuses tendresses, fait pousser au cerveau
des caprices de malade et de bête« . On retrouve le même schéma avec l’évocation
de la serre: les plantes « dénaturées » se développent avec exagération et finissent par
ressembler à des animaux monstreux (crapauds, serpents). La mention ici du
« cerveau » montre bien la maladie mentale qui se développe.
La dernière image forte est celle de la poupée de son. On peut penser ici aux Stryges,
ces créatures mythologiques qui dévorent les êtres humains et ne laissent derrière elles
que des mannequins remplis de paille. C’est bien ce qu’est devenue Renée: « une
grande poupée dont la poitrine déchirée ne laisse échapper qu’un filet de son« ,
« une femme de soie rose » à « la peau de fine étoffe« . Toute puissance des
apparences, vide intérieur absolu, impossibilité de toute manifestation de révolte. On
peut bien sûr penser à l’ambivalence du « filet de son ». Même la révélation de
l’inceste n’a pas choqué Saccard. L’image qui est donnée de Renée est donc celle
d’une femme déchirée, que l’on a même privée de toute possibilité de parole.
Conclusion
Cette prise de conscience au soir du bal marque l’aboutissement du roman. Le dernier
chapitre me fait que confirmer tout ce qui est déjà inscrit dans cette dernière scène:
Renée ne meurt pas (on n’est pas dans une tragédie, l’époque est trop vulgaire pour
cela), elle continue sa vie excessive, mais désormais avec des « vices » tristes et banals
(le jeu, un peu la boisson). Elle continue ses folies de vêtements, s’attache
démesurément à sa femme de chambre, vieillit. De manière significative, elle meurt
d’une méningite aiguë (inflammation des méninges, une partie du cerveau).