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Critères de distinction entre les effets de

commerce (1ère partie)


Publié le 10 novembre 2010 par SAYONCOUL

Par Sayon COULIBALY et Collègues

Master Droit des Affaires- FSJES Agdal, RABAT

La différence fondamentale qui existe entre les effets de commerce tient au fait que certains
ont pour vocations d’être des instruments de crédit, tels que la lettre de change et le billet à
ordre. Tandis que d’autres, particulièrement le chèque, sont exclusivement des instruments
dédié au paiement. La lettre de change et le billet à ordre, en dépit d’être des instruments de
crédit, présentent chacun leur particularité(A). Le chèque, instrument de paiement, se diffère
fondamentalement des instruments de crédit surtout de la lettre de change(B).

A- la lettre de change et le billet à ordre :

La lettre de change vieille de plusieurs siècles, a un régime juridique plus élaboré que celui du
billet à ordre. Ces deux instruments de crédit se distinguent surtout au niveau de leur création
et leur émission. a) La création : La création de la lettre de change et du billet à ordre est
soumise à des conditions de forme et de fond. Ces conditions sont les suivantes : D’abord,
pour les conditions de forme, la création d’une lettre de change nécessite le recours
obligatoire à un modèle normalisé établi par la circulaire n°13/G/2006 de la Bank Al-
Maghreb. Cette circulaire détermine les caractéristiques techniques et la forme de la lettre de
change. Le billet à ordre doit aussi être écrit obligatoirement mais une telle normalisation
légale n’existe pas encore pour sa création. Toutefois, un modèle est déjà consacré par la
pratique et qui ressemble beaucoup à lettre de change. La loi exige pour la lettre de change
certaines mentions obligatoires (Art.159 C.C) dont trois sont facultatives (Art 160 CC), parmi
ces mentions, il y a certaines qui illustrent le degré de formalisme dans la lettre de change. Il
s’agit notamment de la dénomination « lettre de change » insérée dans le texte du titre dont
l’absence est sanctionnée par la nullité et cette nullité est d’ordre public pouvant être soulevée
d’office par le juge . Ensuite, l’obligation de mentionner le nom du bénéficiaire (Art.159 al.6
C.C). Excluant ainsi la possibilité de créer une lettre de change au porteur. Toutefois, dans la
pratique la traite peut être créée sans pour autant faire figurer cette mention, soit c’est le tireur
qui se porte bénéficiaire soit la mention sera ultérieurement insérée dans le titre avant son
émission. Contrairement à la lettre de change, la dénomination « Billet à ordre » n’est pas
obligatoire pour la validité du titre. La clause à ordre seule peut suffire (Art.232 al.1 C.C).
Parfois, un titre qui ne contient pas la dénomination « lettre de change » peut constituer un
billet à ordre s’il correspond aux conditions de forme de celui-ci . Quant au fond, la lettre de
change fait intervenir en principe, au moment de sa création, trois personnes. Elle crée un
rapport triangulaire, qualifié de fondamental, entre le tireur, le tiré et le bénéficiaire. Alors que
le billet à ordre, au moment de sa création ne fait intervenir que deux personnes : le
souscripteur (cumulant la qualité de tiré et de tireur) et le bénéficiaire. Le souscripteur, au lieu
de donner l’ordre à une troisième personne, s’engage à payer directement au bénéficiaire la
somme fixée dans le titre. De ce fait, la notion d’acceptation n’est pas concevable, à la
différence de la lettre de change qui peut être acceptée. Toutefois, ce critère de distinction
n’est pas absolu, car la lettre de change peut être valable avec seulement le tiré et le tireur qui
peut se désigner comme bénéficiaire (Art 161 al 2 CC). Par ailleurs, dans la lettre de change la
créance du tireur sur le tiré représente la provision et celle du bénéficiaire sur le tireur
correspond à la valeur fournie. De nombreux auteurs ont considéré que la provision constitue
une garantie de paiement pour le tireur, mais aussi et surtout une garantie appréciable pour le
porteur. En dépit du fait que l’émission du billet à ordre procède généralement d’un rapport
préexistant entre le souscripteur et le bénéficiaire, comme dans la lettre de change entre le tiré
et le tireur, celui-ci ne comporte pas de provision (créance du tireur sur le tiré). Cette créance
constitue en réalité la valeur fournie, c'est-à-dire la contrepartie de chaque transmission d’un
effet de commerce . b) L’émission : En effet, l’émission d’une traite correspond, selon
l’article 9 du code de commerce de 1996, à un acte de commerce par la forme. Ce qui signifie
que la lettre de change est commerciale quelque soit son objet ou la qualité de ses signataires
qui doivent tous avoir la capacité commerciale. Il en va autrement pour l’émission d’un billet
à ordre qui est un acte civil. Sauf si, l’opération pour laquelle elle est souscrite est
commerciale. Pour plus de détails sur les conséquences qui découlent de ce caractère, il
convient de se référer à la seconde partie de l’exposé . Enfin, si les traits de distinction entre la
lettre de change et billet à ordre sont moins évidents, il n’en est pas de même pour le chèque
et la lettre de change où les oppositions sont assez saillantes.

B- Le chèque et la lettre de change :

Le chèque, instrument de paiement à vue , affirme sa singularité par rapport à la lettre de


change, instrument de crédit, au niveau de sa création, de son émission, puis au niveau de son
paiement et des délais de prescription. a) La création et l’émission : Tout d’abord, le chèque
est un « titre bancaire négociable tiré par le tireur sur une banque ou un établissement
assimilé, en vue d’obtenir le paiement au profit du porteur d’une somme d’argent qui est
disponible à son profit » . La particularité du chèque par rapport à la lettre de change réside
surtout dans la qualité du tiré qui, contrairement au tiré de la lettre de change, doit
obligatoirement être une banque ou un établissement assimilé (art 241 CC). Cette exigence
vise à renforcer la garantie du paiement . Sur le plan formel, le chèque ne peut contenir une
échéance, c'est-à-dire un délai à partir duquel il sera payable. Une telle mention est
incompatible avec sa fonction d’instrument de paiement à vue . A l’opposé, l’échéance est
une caractéristique essentielle de la traite. En outre, il est interdit de stipuler de l’intérêt dans
le chèque (Art.245 CC) parce que l’intérêt vise à rémunérer l’usage d’un capital (prêt). La
clause d’intérêt est permise dans la lettre de change, à condition qu’elle soit payable à vue
(Art.162 CC). En plus, la mention du nom du bénéficiaire est facultative dans le chèque ; en
d’autres termes le chèque peut être émis au porteur. Cette possibilité est bannie dans la traite
où la mention du nom du bénéficiaire figure parmi les mentions obligations sans lesquelles le
titre ne vaudra pas comme lettre de change (Art.160 dernier alinéa CC). Le chèque peut être
tiré en plusieurs exemplaires s’il est émis à l’étranger et payable au Maroc, à moins qu’il ne
soit au porteur (Art.292 CC) ; alors que la lettre de change peut l’être peu importe le lieu de
son émission (Art.222 CC). Pour les deux titres, le tirage en plusieurs exemplaires nécessite
de numéroter chaque exemplaire. La pluralité des exemplaires du titre est très risquée et peut
parfois faciliter des fraudes. Toutefois, le tirage en plusieurs exemplaires présente beaucoup
plus d’intérêt pratique dans la lettre de change que dans le chèque. Il permet ainsi au porteur
de la traite d’envoyer un exemplaire à l’acceptation et entre tant négocier le montant de la
traite. En outre, le porteur d’une lettre de change peut en faire des copies reproduisant
exactement l’original avec les endossements et toutes les autres mentions qui y figurent. Ces
copies peuvent être endossées et avalisées au même titre que l’original. Néanmoins, le
paiement du titre nécessite la présentation de l’original (Art.225 CC). A l’opposé, la copie du
chèque ne peut lui tenir place. Les endossements et l’aval doivent être portés sur le titre ou sur
une allonge qui lui sera jointe. Quant au fond, les différences entre chèque et lettre de change
sont fondamentales. Celles-ci concernent la provision et la capacité du tireur. Si la provision
consiste dans les deux titres en une somme d’argent, elle revêt des caractéristiques différentes
selon qu’il s’agisse du chèque ou de la lettre de change. La provision du chèque doit être
préalable, c'est-à-dire disponible au moment de la création de l’effet ou au plus tard au
moment de son émission. En plus de cela, une fois le chèque émis le tireur perd tous les droits
sur celle-ci. Il doit la maintenir à la disposition du porteur jusqu’au paiement ou à la
prescription. Le tireur s’expose à des sanctions pénales sévères s’il se soustrait à ces
obligations , tel n’est pas le cas dans la lettre de change où le tireur a seulement obligation de
faire provision à l’échéance. En cas d’absence de provision à l’échéance, le tireur risque
seulement un recours du bénéficiaire pour le paiement du montant de la traite. Contrairement
à la lettre de change dont l’émission constitue un acte de commerce par la forme, le chèque
reste civil et ne devient commercial sauf si l’opération, à l’occasion de laquelle il est émis, est
commerciale . Par conséquent, la validité du chèque nécessite uniquement au tireur d’avoir la
capacité civile et ne pas être sous le coup d’une interdiction notamment d’émettre un chèque à
la suite d’un incident de paiement. Tandis que pour la lettre de change, la capacité
commerciale est obligatoire. b) Le paiement et les délais de prescription : Le paiement du
chèque et de la lettre de change est soumis à un certain nombre de modalités. Pour la lettre de
change, il s’agit de l’acceptation et de la présentation au paiement à l’échéance. Quant au
chèque, elles concernent la présentation au paiement et l’obligation pour le tiré d’enregistrer
les incidents de paiement. Les délais de prescription sont assez courts pour le chèque que pour
la lettre de change. Pour la lettre de change, la présentation au paiement doit être effectuée à
l’échéance déterminée selon l’une des modalités définies par les articles 181 et suivants du
code de commerce. Les parties peuvent librement déterminer le délai qui les convient et ce
délai peut être souvent assez long. Le porteur peut soumettre la lettre à l’acception du tiré soit
avant la date d’échéance soit à l’échéance. Mais, dans la pratique une traite non acceptée est
difficilement négociable. L’acception est l’acte par lequel le tiré se reconnait comme débiteur
de la lettre de change et s’engage à la payer à l’échéance. Celle-ci est inconcevable dans le
chèque, qui n’est soumis à aucune formalité d’acceptation de la part du tiré (Art.242 CC).
Cependant, on pourrait considérer la certification dans le chèque comme l’équivalent d’une
acceptation . Les délais prévus pour la présentation du chèque au paiement ne constituent pas
des délais d’échéance. Donc, le tiré est tenu de payer le montant du chèque tant que la
provision existe ou de signaler son insuffisance. Ces délais sont de l’ordre de 20 jours pour les
chèques émis au Maroc et payable au Maroc et de 60 jours pour les chèques émis à l’étranger
et payable au Maroc (Art.268 CC). Ces délais sont relativement assez longs en comparaison
avec les délais de présentation en France et en Egypte . L’existence de ces délais de
présentation montre la contradiction qui existe dans notre système : le législateur veut faire du
chèque un instrument de paiement à vue, mais en même temps il ne veut pas qu’il se substitue
à la monnaie. Dans la pratique, le chèque joue un vrai instrument de crédit de court terme
notamment par le biais de l’escompte . En outre, le tiré dans le chèque assume de lourdes
responsabilités au moment du paiement. La loi lui impose notamment d’enregistrer tous les
incidents de paiement. Qu’il s’agisse de l’absence ou l’insuffisance de la provision ou des
irrégularités substantielles touchant le titre. Ensuite, il doit informer le bénéficiaire, le tireur et
Bank Al-Maghreb de l’incident. Dans la lettre de change, ces formalités sont absentes. Le
renforcement de la responsabilité du tiré dans le paiement du chèque dénote de la volonté du
législateur de sécuriser et de renforcer le rôle de cet effet comme moyen de paiement à vue .
En cas de refus d’acceptation ou de non paiement de la traite, c’est le porteur qui assume la
charge de faire passer cet avis aux autres signataires. La prescription de l’action du porteur ou
le bénéficiaire contre le tiré accepteur de la lettre de change se fait à partir de trois ans à
compter de la date de l’échéance. Quant aux actions du porteur contre les endosseurs et le
tireur, elle se fait après une année, à partir de la date du protêt dressé en temps utile ou de
celle de l’échéance, en cas de clause de retour sans frais. Les actions des endosseurs, les uns
contre les autres, se prescrivent par six mois à partir du jour où un endosseur rembourse la
traite ou du jour où il a été lui-même actionné (Art.228 CC). Ces délais de prescription sont
relativement raisonnables et se justifient par la nature du titre. Les délais de prescription
prévus pour les actions résultant du non paiement du chèque sont, par rapport à ceux prévus
pour la lettre de change, très brefs. Ceci pour libérer rapidement les signataires du chèque de
la garantie solidaire du paiement. C’est ainsi que la prescription des actions du porteur contre
le tireur ou tous les endosseurs, intervient après six mois à partir de l’expiration du délai de
présentation. Pour les actions des divers obligés les uns contre les autres, la prescription est
également de six mois à partir du jour où l’obligé a remboursé ou du jour où il a été lui-même
actionné en justice ; alors que celle du porteur contre le banquier tiré est prévue à une année à
partir de l’expiration du délai de présentation (Art 295 CC).

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