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LE SYSTEME BANCAIRE ET LA CRISE

C'est un témoignage venu de l'intérieur du système financier.Mr Greed, trader, démonte, pour
Rue89, la mise en place de bulles spéculatives liés à aux prêts immobiliers à risque (les
« subprimes») qui ont commencé à exploser l'an dernier aux Etats-Unis, et qui plombent aussi
les résultats des banques européennes
Après la remise du rapport Ricol sur la crise financière ce mardi au président de la République,
peut-on espérer que l'éthique revienne sur le devant de la scène financière? Ses propositions
seront en tout cas discutées au conseil informel des ministres européens des Finances la
semaine prochaine à Nice.
C'est un rapport très sévère contre les banques et l'ensemble du système financier, responsable
selon son auteur, d'une crise sans lien originel avec l'économie réelle.

Un système fondé sur le toujours plus

L'économie capitaliste tourne bien quand il y a du charbon dans la chaudière, c'est-à-dire quand
les ménages consomment et les entreprises produisent, et que les ménages consomment encore
et toujours plus, etc. Et que ce cycle ne s'arrête jamais.
Aux Etats-Unis, les banques ont décidé d'embarquer tout le monde, même les plus fragiles, dans
le train de la dépense : acheter des voitures, des maisons, de tout ce que vous voulez. Vous
n'avez pas l'argent ? Qu'à cela ne tienne : on va vous faire un crédit aux petits oignons, en
tordant un peu le mode de calcul de votre capacité de remboursement.
Quand une banque estime la capacité de remboursement d'un ménage en fonction de son
revenu disponible (approche de « trésorerie »), elle prend un risque sur la baisse des revenus
(perte d'emplois, etc.) de son client.
Quand elle estime la capacité d'endettement d'un ménage non pas en fonction de son revenu
disponible, mais en fonction de son patrimoine (approche « patrimoniale »), elle prend un risque
sur la conjoncture globale.
Prenons un exemple illustrant cette approche patrimoniale :
1. J'achète une maison et je m'endette à taux révisable avec un délai de grâce de deux
ans (je ne commence les remboursements que dans deux ans). Mon crédit est adossé à
une hypothèque sur la maison qui vaut 100.
2. Deux ans plus tard, je commence à rembourser, et comme les taux d'intérêt ont monté,
je me retrouve au maximum de ma capacité de remboursement, c'est-à-dire que tout mon
revenu disponible passe dans le remboursement de mon crédit immobilier. Pourtant il faut
vivre (nourriture, déplacement, équipement etc…).
3. Dans l'intervalle, le marché immobilier a grimpé en flèche et ma maison dont la
valeur était de 100, est maintenant estimée à 130. Ma banque accepte de réévaluer mon
hypothèque et m'accorde un crédit supplémentaire. Ce crédit supplémentaire est lié à ma
nouvelle situation patrimoniale.
4. Comme mon revenu disponible n'a pas changé, très vite je ne peux plus faire face à
mon endettement et je stoppe les remboursements sur l'un ou l'autre de mes crédits.
Aux Etats-Unis, l'endettement des ménages (par l'approche patrimoniale) a été poussé au
maximum par les banques, et facilité par des politiques monétaires et budgétaires très
accommodantes. A la fin 2007, l'endettement des ménages américains dépassaient très
largement leur revenu disponible, et nombre de foyers ne pouvaient plus faire face aux
remboursements.
Tous ces crédits représentent une masse de créances énorme. Du coté des banques, ces
créances ont été regroupées puis « titrisées » [on en a fait des titres échangeables sur les
marchés, ndlr] et vendues un peu partout, diffusant dans le système financier mondial une masse
considérable de titres toxiques.

La diffusion aux hedge funds

On peut imaginer le circuit simplifié suivant pour illustrer la diffusion :


1. La banque accorde un crédit
2. La banque titrise cette créance
3. Elle vend le titre à un hedge fund [un fonds d'investissement à risques, ndlr]
4. Ce fonds emprunte auprès de la banque pour acheter encore plus de titres émis,
profitant à fond de l'effet de levier [qui permet d'emprunter plus pour gagner plus, ndlr].
5. Quand le débiteur fait défaut ou même qu'on considère que le risque qu'il fasse défaut
augmente, la valeur de la créance titrisée dégringole, mettant en péril le hedge fund.
6. Celui-ci doit financer des pertes et se trouve en situation délicate vis-à-vis de la
banque qui le finance.
7. La banque doit déprécier sa créance sur le hedge fund et lui refuse les nouveaux
crédits dont il a besoin pour financer ses pertes et assurer la continuation de son activité.
8. Le hedge fund fait faillite.
9. A son tour, la banque elle aussi peut se retrouver en difficulté. Elle a tout à coup
besoin d'argent et se tourne vers d'autres banques ; mais ces dernières se méfient car
elles estiment que la situation de leur homologue est très dégradée étant donnée la
nature de ses engagements. Elles refusent de lui prêter ou alors à des conditions très
dures.
C'est l'histoire simplifiée de la faillite de la banque d'investissement américaine Bear Stearns et
le mécanisme de diffusion de la crise à tout le système financier.

Le recours aux fonds souverains incontournable

Pendant les sept dernières années, les banques d'investissements et les banques de détail ont
exigé des rentabilités toujours plus importantes. Elles ont accepté de financer l'activité de fond
d'investissement utilisant des effets de leviers énormes générant des montants d'engagements
colossaux sans réellement mesurer les risques car il s'agissait de satisfaire l'appétit
d'actionnaires et d'investisseurs jamais repus.
Le château de cartes s'est écroulé, et les banques enregistrent des pertes abyssales. Elles
doivent maintenant faire appel aux fonds d'investissements souverains d'Asie et du Moyen-Orient
pour reconstituer leur fonds propres et sauver leur peau.
Et lorsque les banques ou les institutions financières ne trouvent plus de fonds souverains
étrangers ou d'actionnaires privés pour les renflouer, elles appellent au secours les Etats. Ainsi,
le Trésor américain s'active pour sauver les deux géants du crédit hypothécaire, dont les besoins
de capitaux sont estimés à au moins 100 milliards de dollars.
La crise se diffuse, et quand elle commence à coûter aux Etats cela creuse les déficits publics et
limite les possibilités de l'action budgétaire. Si l'Etat américain doit sauver ces deux monstres, il
devra couper drastiquement dans l'investissement public.
Demander à tout le monde de faire des efforts, voilà le résultat moralement difficile à accepter de
la voracité, du court-termisme et des décisions d'investissements hasardeuses des banques pour
qui la privatisation des profits et la socialisation des pertes est une chose normale.
Fannie et Freddie seront quoi qu'il arrive sauvés par l'Etat car ils sont « too big to fail », prouvant
-une fois de plus- que la théorie suivant laquelle les marchés s'autorégulent est fausse.
Ainsi, comme le suggère le rapport Ricol, il semble absolument nécessaire de contrôler le « ratio
de solvabilité » des banques [jusqu'à quel point elles peuvent prêter de l'argent] et d'établir un
nouveau mode de calcul de celui-ci pour limiter l'effet de levier. Un contrôle strict sur les produits
financiers les plus complexes et une régulation des agences de notation semble aussi
indispensable.
Enfin, c'est un trader qui le dit, les principes de rémunération de ceux qui jouent sur ces marchés
ne sont pas seulement indécents, ils sont pousse-au-crime.

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