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7 novembre 2013, à 18h30, amphithéâtre ... de la Sorbonne : conférence de Cécile van de Velde
→
Pas cours le 21 novembre, cette séance est remplacée par une autre le mercredi où nous
n'avons pas cours avec Demeulenaere, à la place dudit cours dudit Demeulenaere
Validation : Examen oral sur le cours et l'un des ouvrages de la bibliographie (15 minutes de
préparation, 15 minutes de passage ^^).
On peut aussi faire une fiche de lecture, facultative, qui rapporterait un point bonus à l'examen.
Sur la biblio : elle porte sur les pensées critiques contemporaines, mais est bien sûr loin d'être
exhaustive. Des sociologues, des philosophes, des historiens, même des géographes ! …
– Perry Anderson : historien des 60's-70's, a beaucoup travaillé sur l'histoire du marxisme et
des idées critiques en général. Dans les 80's-90's a lieu (surtout dans le monde anglo-saxon)
tout un débat sur la postmodernité, qui se demande si nous avons quitté la modernité et ses
valeurs (la science, le progrès, la justice sociale, le développement économique...) pour
entrer dans une nouvelle ère avec de nouvelles valeurs.
– Giovanni Arrighi : s'interroge sur l'histoire longue du capitalisme, à la manière de Fernand
Braudel. Sa thèse : à chacune des phases du développement du capitalisme correspond un
centre hégémonique d'accumulation du capital : Londres au départ, puis Washington, et
maintenant Pékin et l'Asie en général
– Alain Badiou : Le Siècle est une interprétation du XXe siècle, défini par Badiou comme le
siècle de « la passion du réel » → au XIXe siècle sont apparues un grand nombre
d'idéologies, que le XXe siècle tenta de réaliser (d'où ses petites barbaries...)
– Roger Chartier : professeur d'histoire au Collège de France, s'est beaucoup intéressé à la
question suivante : dans quelle mesure les idées et les idéologies ont-elles une influence sur
les événements historiques, et notamment les révolutions ?
– François Cusset : prof de civilisation anglo-américaine à Nanterre, s'intéresse aux
phénomènes de circulation internationale des idées, ie à la manière dont des auteurs sont
exportés dans des pays autres que leur pays d'origine
– Jacques Derrida : Spectres de Marx date de 1993 (Derrida lui-même est mort en 2004) ;
Thèse de Derrida : qu'on le veuille ou non, la trace de Marx et du marxisme est indélébile
dans la structure de nos civilisations
– Elsa Dorlin : théoricienne féministe française, prof à Paris VIII. S'interroge sur le croisement
de deux types de domination : la domination masculine, et la domination ethno-raciale.
– Luc Ferry et Alain Renault : Alain Renault est prof ici-même à Paris IV
– Nancy Fraser : Représentante de la théorie américaine de la reconnaissance, qui s'interroge
sur les rapports entre redistribution économique et reconnaissance de la dignité des
personnes
– Donna Haraway : Qu'est-ce qu'un cyborg ? Un humain inextricablement mêlé à des
prothèses technologiques ; pour Donna Haraway, nous sommes en train de devenir des
cyborgs
– Axel Honneth : aussi représentant de la théorie de la reconnaissance, et représentant de la
troisième génération des penseurs de l'école de Francfort (ancien assistant d'Habermas,
désormais à la tête du Centre pour la Recherche sociale de Francfort)
– Fredric Jameson : typiquement quelqu'un qui, à partir des réflexions modernes et
postmodernes sur la littérature, se demande ce qu'est l'idéologie
– Achille Mbembe : théoricien camerounais, études à la Sorbonne, basé en Afrique du Sud et
aux US
– Pap Ndiaye : pose, par l'entremise de la question noire, celle de l'universalité politique
– Jacques Rancière : Ancien ami de Badiou, l'ouvrage présenté ici porte sur la pédagogie
– Kristin Ross : théoricienne de la littérature, théoricienne des idées de manière plus générale,
vient à Serpente le 24 octobre !
Une pensée réflexive, notamment quant à ses conditions de production politique et sociale.
Une pensée critique de l'hégémonie d'une pensée dominante.
Quelle est la situation des pensées critiques contemporaines par rapport à la leur dans le passé ?
Cinq considérations :
– Dans les pensées critiques contemporaines, on assiste à la fin de l'hégémonie du
marxisme. Pendant un siècle (1880's-1980's), le marxisme fut le langage dominant, à travers
le monde, dans lequel s'énonça la contestation théorique et politique. Dans toute sa diversité,
le marxisme domina non seulement le courant communisme, mais aussi la social-
démocratie, dans laquelle il fut combiné avec une autre doctrine dominante appelée le
keynésianisme. Mais depuis le dernier tiers du XXe siècle, on assiste à un déclin du
marxisme : il n'est plus aussi influent qu'autrefois parmi les partis politiques, les syndicats,
mais aussi les penseurs critiques. Malgré cela, il continue à être porté par un certain nombre
de théoriciens (notamment anglo-saxons !), mais sur un mode minoritaire : pour la première
fois de son histoire, il n'est plus la pensée critique hégémonique ou dominante. On assiste à
un phénomène de pluralisation des pensées critiques : postcolonialisme, théorie queer...
– On assiste depuis les 70's à une mondialisation des pensées critiques. Autrement dit, les
penseurs critiques contemporains viennent de plus en plus de la « périphérie du système »
(ie des pays dits « en voie de développement », anciennement le Tiers-Monde). Tout comme
on assiste à une mondialisation dans le domaine du commerce, de la finance, de la musique,
les théories critiques suivent le même mouvement. Ainsi, beaucoup des penseurs du
postcolonialisme sont issus d'Inde, d'Afrique, d'Amérique latine... Il existe aujourd'hui une
sorte de marché mondial des pensées critiques
– On assiste à la professionnalisation/l'académisation des pensées critiques : Auparavant,
leurs auteurs étaient des leaders politiques (ou du moins pas des universitaires, Marx n'en
était pas un) ; aujourd'hui, il s'agit, pour la quasi-totalité, d'universitaires. Par conséquent,
cela rend plus problématique notre deuxième critère (rapport à la pratique). En outre, cela
rend plus difficile la réception de ces pensées. (Cela tient probablement en partie à
l'autonomisation du champ politique (ie à la « professionnalisation » des hommes
politiques), ainsi qu'à la massification de l'enseignement supérieur, qui concerne davantage
de catégories de la population)
Judith Butler
Butler a développé son point de vue dans de nombreux ouvrages, son plus connu étant Trouble dans
le genre. Pour un féminisme de la subversion (Gender trouble. Feminism is the subversion of
identity). Dans cette traduction du sous-titre original, est perdu le concept fondamental d'identité ^^'
Pour la résumer en une formule, on pourrait dire que la théorie queer est une critique assez radicale
du féminisme classique, sur lequel elle s'appuie mais qu'elle veut dépasser.
Un exemple de féminisme classique : celui de Simone de Beauvoir dans Le Deuxième Sexe (1949).
Sa thèse la plus connue : « On ne naît pas femme, on le devient » → critique de la biologisation des
sexes, et reprise de la thèse existentialiste de Sartre : « L'existence précède l'essence ».
Dans le langage sociologique contemporain, on formulerait cette idée ainsi : être une femme est une
« construction sociale ». Les caractéristiques qui font que les femmes sont femmes sont construites.
A la fin des 40's, Beauvoir est éminemment scandaleuse, en ce que depuis très longtemps et jusqu'à
très récemment, on considérait que les catégories d'homme et de femme étaient fixées par la nature,
qu'il existait un « éternel féminin » constitué des caractéristiques que les femmes posséderaient du
fait de leur nature biologique (ie beauté, sociabilité, douceur, esprit familial...).
Pour Beauvoir, les femmes possèdent effectivement de telles qualités, mais elles sont construites et
non innées.
C'est une telle position qu'on considérera comme le féminisme « classique ».
(Petite parenthèse : ce geste théorique qui consiste à démontrer que ce qu'on croyait naturel est en
fait social relève du paradigme sociologique qu'on appelle le constructivisme, paradigme dominant
à l'heure actuelle. Le constructivisme consiste à montrer que ce qu'on croyait être naturel est en fait
social, et Simone de Beauvoir en est l'une des précurseurs. On considère qu'il a été fondé en 1966
avec La Construction sociale de la réalité par Berger et Luckmann.)
Butler admet cette position classique comme prérequis, mais la critique radicalement.
Elle commence toutefois par s'accorder avec l'idée de Beauvoir selon laquelle els femmes sont des
entités socialement et culturellement construites. Mais présence d'une idée implicite dans la théorie
de Beauvoir, et c'est cette idée que critique Butler. Elle est la suivante : lorsque Beauvoir dit « On ne
naît pas femme, on le devient », que devient-on au bout du processus de devenir ? Femme. Donc
Beauvoir laisse la catégorie de femme elle-même intacte. Beauvoir se livre donc à un
« remplacement ontologique » : l'objet en lui-même reste, mais on remplace son fondement
ontologique.
Or, pour Butler, il convient non seulement de considérer que les femmes sont des constructions
sociales, mais aussi aller jusqu'au bout de cette logique et abandonner les catégories de genre. Ainsi,
pour Butler, les femmes comme les hommes n'existent pas.
De manière générale, il s'agit dès lors de critiquer toute identité figée, de montrer que l'identité est
un terme sans objet !
L'idéal de Butler est donc un idéal d'infinie singularité, une forme d'individualisme radicale !
Que fait-elle du corps (à part le mettre dans le coffre de la voiture) ? Pour elle, le corps est le lieu
privilégié d'inscription des identités sociales, elle fait évoluer le constructivisme de Beauvoir vers
quelque chose de beaucoup plus corporel, charnel.
On voit comment l'idée d'un monde social où il n'y aurait pas d'identités cristallisées mais
uniquement des flux a pu inspirer les sociologues.
Quels sont les arguments qui permettent à Butler de dire que les genres n'existent pas ?
Elle commence par reprendre au féminisme classique (un peu après Beauvoir) la distinction entre le
genre et le sexe (distinction que l'on doit à Ann Oakley, Sex, Gender and Society, 1972).En quoi
consiste cette distinction ? D'un côté, le sexe renvoie aux différences biologiques entre hommes et
femmes, alors que le genre désigne les différences culturelles, sociales qui les séparent. L'un des
gestes inauguraux du féminisme a consisté à découpler le genre du sexe, et à affirmer que le statut
social des femmes était sans fondement biologique, étant en fait étroitement lié à leur socialisation.
Quelle est la raison profonde qui conduit les féministes à distinguer entre entre sexe et genre ? Cette
distinction permet de lutter contre les inégalités, car ce qui est de l'ordre de la culture tend à être
considéré comme plus facile à modifier que ce qui est de l'ordre de la culture.
(Ce dernier point n'est d'ailleurs pas évident. Ne pourrait-on pas concevoir des transformations de
l'ordre de la nature, de l'ordre biologique qui contribueraient à lutter contre les inégalités hommes-
femmes ? Cf ouvrage de Henri Atlan, L'Utérus artificiel : tout est dans le titre, un tel utérus artificiel
permettrait de réaliser la gestation en dehors de l'utérus de la femme. Et cela pourrait avoir des
implications fondamentales pour la domination masculine, qui repose en partie sur le contrôle du
ventre de la femme
→ on peut agir sur la nature par l'intermédiaire de la technique. Cf Donna Haraway et son techno-
féminisme)
Butler va ajouter que le sexe est en fait tout autant une construction culturelle ! Voici son argument :
la distinction entre le genre et le sexe a été créée par le féminisme. Ceci implique que cette
distinction a une histoire, et que par conséquent elle est elle-même une construction sociale, ainsi
que les deux alternatives qui la composent, dont le sexe.
Autre formulation : le fait que le genre est une construction sociale implique que la distinction entre
lui et le sexe est aussi une construction sociale, et que le sexe l'est aussi.
Butler a un terme pour désigner la manière dont une théorie construit ces objets : la performativité1
(cf Quand dire c'est faire, ouvrage de John Austin ; en VO : How to do things with words? → c'est
lui invente la première théorie de la performativité. Un terme utilisé aujourd'hui également en
sociologie économique, pour l'appliquer à ce que fait la science économique ^^ De manière plus
générale, le concept de prophétie auto-réalisatrice de Merton se rapproche de la performativité : bon
exemple = une crise financière → la croyance se vérifie après coup du fait de l'adhésion des
individus à la croyance.)
Le genre comme le sexe sont ainsi performatifs pour Butler !2
1Le terme « perfomatif » désigne ainsi la situation au cours de laquelle un objet est construit par un
mot, un concept, une représentation.
2 Lorsqu'on parle de Butler, on parle ainsi de post-féminisme, car dans "féminisme" il y a "femme", et pour Butler, les
femmes n'existent pas. Par ailleurs, Butler a longtemps été hostile au mariage gay, car le demander contribuait, pour
Donc pour Butler, tout se joueau niveau de la culture, de la construction sociale. Cette dernière peut
certes être contradictoire, conflictuelle, mais rien ne vient de la nature. Butler remarque évidemment
qu'il existe des différences physiques entre hommes et femmes, mais elle les considère comme sans
importance, inessentielles. Le biologique existe comme une page blanche sur laquelle le social et le
culturel vont inscrire des symboles et des pratiques. Rien de causalement important ne vient de la
biologie.
A partir de là, et c'est ce qui rend la théorie queer intéressante, à peu près tout devient concevable :
la conception du monde social de Butler consiste à considérer le social comme une sorte de matière
infiniment flexible. C'est ce qui conduit Butler à énoncer deux thèses importantes :
1/ La distinction entre hommes et femmes, les relations entre eux et leur mode d'existence évoluent
au cours de l'histoire. En d'autres termes, les catégories de genre sont douées d'historicité (mais
n'évoluent pas nécessairement à la même vitesse).
2/ Hommes et femmes ne sont pas les deux seuls genres concevables ! Ces deux catégories sont trop
réductrices pour rendre compte de la complexité de la situation sexuelle, genrée de chaque individu.
Il faut concevoir homme et femme comme les deux pôles d'un continuum (un peu comme des
idéaux-types à la Weber, qui ne correspondent à rien de réel). Et selon la période de sa vie, un
individu donné peut évoluer sur ce continuum.3
Butler étudie un cas empirique édifiant : les drag-queens et drag-kings, qui sont à l'avant-garde de
la lutte pour la subversion des identités. Mais qu'est-ce qu'une drag-queen ou un drag-king ? To
drag signifie « se travestir » ; donc il s'agit d'un personnage haut en couleurs, vêtu de manière
exubérante, qui propose des spectacles de danse et de chanson dans des cabarets. Dans sa forme la
plus connue, il s'agit d'un homme travesti en femme (drag-queen), mais ce peut être l'inverse, et
même une femme déguisée en femme et un homme déguisé en homme !
Plusieurs caractéristiques sociologiquement et politiquement intéressantes :
– La drag-queen reproduit délibérément et en les accentuant les stéréotypes de la féminité et
de la masculinité → un spectacle fondé sur un jeu avec les clichés
– Les stéréotypes en question vont être reproduits de manière ironique, elle est quelque chose
de fondamental dans le jeu de la drag-queen. Donc ces clichés sont reproduits en tant que
clichés, en indiquant bien qu'il s'agit de clichés et que tout le monde (y compris le public) le
sait. Ceci rejoint (et Butler a été influencée par ceci) la théorie de la distanciation chez
Bertolt Brecht (l'effet de distanciation, c'est l'alliance de l'acteur et du public contre le
personnage, ce qui permet à l'acteur de montrer délibérément au public que ce qu'il joue est
précisément un jeu ; par ex, on joue Hitler en tant qu'homme infâme. Dans le théâtre pré-
brechtien, il n'y a que le public et le personnage)4
– La drag-queen se situe à la limite des identités sexuelles, et ainsi en scène l'existence d'une
frontière problématique entre les genres. Notons que pour décrire l'activité de la drag-queen,
on parle de « performance », terme proche de « performativité » s'il en est ^^
Pour Butler, nous sommes tous des drag-queens ou des drag-kings. Le spectacle de la drag-queen
révèle à tous que le genre et le sexe sont des constructions sociales, il est mise en œuvre du
constructivisme théorisé par Butler.
Dès lors qu'on a identifié un comportement reposant sur un stéréotype, réponse normale = tentative
pour se débarrasser du cliché pour retrouver un comportement plus authentique. Mais il s'agit d'un
elle, à renforcer une institution patriarcale par essence, une catégorie héténormative
3 Pourquoi Butler, qui pense la singularité de chaque individu, parle-t-elle d'un continuum unidimensionnel ? Parce
qu'elle ne sous-estime pas l'emprise des catégories sociales, elle sait qu'il faut les prendre en compte, elles existent et
les individus socialisés ont été socialisés à elles.
4 Cf Politique du spectateur d'Olivier Neveux
geste que Butler rejette, car il supposerait qu'il existe quelque chose d'authentique, et cela, Butler le
récuse. Il n'y a pas d'authenticité ou de nature humaine authentique sous les clichés ; il n'y a que de
la culture, et la culture,c 'est du stéréotype. La dialectique de l'essence et des apparences est refusée
par Butler. Derrière les stéréotypes, il n'y a rien, si ce n'est d'autre stéréotypes. On est donc renvoyé
à une circularité problématique : quelle va être la solution de Butler ?
Il faut jouer avec les stéréotypes : la condition humaine consiste non pas à retrouver une authenticité
perdue, mais à toujours se mettre dans une posture ironique par rapport aux stéréotypes existants.
La solution, c'est donc la créativité.
Notons qu'on va ainsi à l'encontre de la pensée marxiste de l'aliénation, qui est une pensée
essentialiste (une fois libérés de l'aliénation, les individus retrouveront leur condition originelle,
libre et heureuse...).
Le philosophe Charles Taylor note qu'on n'échappe pas à la recherche de l'authenticité. Ainsi, on
peut considérer que la drag-queen cherche elle aussi une forme d'authenticité, un ajustement, un
équilibre par rapport aux normes sociales.
Jusque dans les 60's-70's, le concept principal que l'on trouvait dans les théories critiques, c'était le
concept de classe. Depuis lors, s'y est substitué le concept d'identité, devenu quasiment le concept
central dans les théories critiques les plus contemporaines. La compréhension du monde se fait en
termes identitaires, non seulement dans les théories critiques, mais également dans l'espace
publique (par ex, avec l'éphémère ministère de l'Identité nationale...).
Note : annihiler les catégories de sexe, n'est-ce pas nuisible aux luttes pour l'égalité hommes-
femmes ? La penseuse indienne Gayatri Spivak a élaboré, en réponse à ce problème, le concept de
« réflexivité stratégique », = construction d'une catégorie réflexive par les acteurs d'un mouvement
social (la négritude relève de cela, par ex)
Légèrement plus âgé que Butler, vient donc d'une génération de penseurs différente. Et il est
français, ce qui change la donne, car tout penseur s'inscrit dans un contexte national.
L'un des deux ou trois philosophes français contemporains les plus traduits, débattus et critiqués
aussi ^^
Né dans les 40's, s'est intéressé principalement à trois champs d'investigation théorique :
– la philosophie politique
– la philosophie des arts, au sein de laquelle il se distingue en accordant une très grande
importance au cinéma (comme Deleuze ; mais à un cinéma qu'on pourrait qualifier d'auteur,
d'avant-garde, très légitime) ; aussi à la littérature (Politiques de la littérature)
– la philosophie de l'éducation (ce qu'on appelait autrefois la pédagogie, au sens d'Emile).
Dans ce champ, Rancière s'inscrit dans une tradition qui remonte au moins à Rousseau.
Ouvrage crucial : Le Maître ignorant
Chez Rancière, ces trois domaines d'apparences très disparates sont très bien intégrés dans son
œuvre. Il illustre parfaitement la thèse de Bergson selon laquelle, en définitive, chaque philosophe
défend une seule idée (chez Rancière, ce serait l'égalité).
Rancière est à l'origine un disciple de Louis Althusser (1918-1990), à l'œuvre théorique intéressante,
et à la vie tragique. Il a écrit Lire le capital en 1965 (méga-colloque en 2015 à Princeton pour le
cinquantenaire), ainsi que Pour Marx. Pour résumer, Althusser a été un marxiste, membre du PCF
pendnat longtemps bien qu'ayant eu des problèmes avec sa direction, mais il a aussi appartenu au
grand courant de pensée rival du marxisme, le structuralisme (auquel appartinrent également
Foucault, Lacan, Barthes...).
Althusser se proposa donc d'effectuer une synthèse de ces deux grands courants de pensée, d'où la
qualification de son œuvre comme « structuro-marxiste » ou « structuralo-marxiste ».
Il étrangla aussi sa femme, par accident dit-on.
Lire le capital : un ouvrage collectif, auquel contribuèrent certains de ses élèves de l'ENS de la rue
d'Ulm (Etienne Balibar, Roger Establet, Pierre Malqqc et Jacques Rancière).
Titre de l'article de Rancière dans cet ouvrage : « Le concept de critique et la critique de l'économie
politique, des manuscrits de 1844 au Capital »
Par la suite, Rancière a rejeté cet héritage intellectuel, mais cela ne veut pas dire qu'il n'a pas été
influencé par lui.
En 1974, en pleine période de maoïsme triomphant, Ranière publie un livre dans lequel il officialise
sa rupture avec Althusser : La Leçon d'Althusser. Dans cet ouvrage, il pose les bases de ce qui va
être sa propre théorie.
L'année suivante, il fonde une revue et participe à son collectif d'animation. Le titre de cette revue :
Les Révoltes logiques (l'expression vient du poème « Démocratie » des Illumations de
Rimbaud ; « Nous massacrerons les révoltes logiques » → un poème sur la colonisation, ce sont des
soldats qui disent cela, parlant des « révoltes logiques » de ceux qu'ils colonisent. L'expression a
donc deux sens : les révoltes sont logiques en ce qu'elles apparaissent nécessaires, aisément
compréhensibles ; et elles luttent également contre la logique rigide que le colonisateur tente
d'imposer, et qui empêche de penser
A cette époque, comme d'innombrables intellectuels de sa génération (Robert Linhardt était alors le
chef de file des Mao de la rue d'Ulm), Rancière est un maoïste (cf Génération d'Aron et …)
C'est à partir de la fin des 70's que Rancière se distancie de l'engagement politique immédiat pour se
consacrer à la rédaction de ses ouvrages.
Dont :
– La Mésentente. Politique et philosophie
– La Haine de la démocratie
Une rupture qui tourne autour d'un problème central, qui restera le problème central de l'œuvre de
Rancière : cette question, c'est celle du rapport entre connaissance et politique.
Cette question était également omniprésente dans l'œuvre d'Althusser, mais d'une manière
différente.
Ce dernier défend une variante du marxiste que l'on qualifie habituellement de
« positiviste théoriciste », ie qu'il considère ce dernier comme une science, aussi objective que la
physique. Pour lui, seul le marxisme permet d'accéder à la réalité du mouvement historique, il est la
connaissance historique devenue enfin scientifique. C'est la raison pour laquelle chez Althusser on
constate l'existence d'une distinction extrêmement nette entre d'un côté la science, et de l'autre
l'idéologie. Le contenu des croyances idéologiques peut varier selon les époques, mais l'existence
d'une idéologie par rapport à laquelle se distingue la science objective est un invariant historique.
L'émergence de la science marxiste est en revanche quelques chose de nouveau, qui caractérise le
XIXe siècle. Seul l'intellectuel marxiste, seul le parti politique marxiste est capable de déchirer le
voile d'ignorance de l'idéologie et d'accéder à la réalité objective. Cela implique sans le marxisme,
les intellectuels qui le développe et le parti qui l'incarne, les masses sont condamnées à demeurer
dans la méconnaissance du réel, ie à n'en voir qu'un aspect idéologisé.
Cette distinction entre science et idéologie a au moins trois origines historiques. Althusser s'inscrit
ainsi dans une tradition longue, que l'on peut faire remonter à l'allégorie de la caverne de Platon (les
prisonniers de la caverne ne voient qu'une projection déformée de la réalité, et seul le philosophe
peut leur montrer cette réalité telle qu'elle est).
– Déjà (origine historique la plus proche), en distinguant entre science et idéologie, Althusser
radicalise une idée déjà présente dans le marxisme classique, et en particulier chez Lénine.
Selon ce dernier, la conscience de sa destinée historique doit être introduite dans la classe
ouvrière « de l'extérieur », en quelque sorte. Il distingue ainsi la classe en-soi (définie
objectivement, par un niveau de salaire, une place dans le processus de production...) et la
classe pour-soi (qui se représente elle-même comme acteur historique). La classe ouvrière
livrée à elle-même est incapable de passer de l'étape en-soi à l'étape pour-soi ; pour y
parvenir, elle a besoin d'un parti de « professionnels de la Révolution », d'intellectuels qui
vont informer cette classe ouvrière, la faire prendre conscience de sa capacité à être un
acteur historique. « Il n'y a pas de mouvement révolutionnaire sans théorie de la révolution »
dit-il.
Althusser reprend cette idée en affirmant que le travail des penseurs marxistes est ce qui
permet de passer de l'idéologie à la réalité connue scientifiquement.
– C'est Kant qui distingue pour la première fois entre objets en-soi et objets pour-soi.
Approximativement, on va dire que cette distinction recouvre celle entre phénomène et
noumène. L'en-soi, c'est ce à quoi nous n'aurons jamais accès, jamais. Ce que nous
percevons de la réalité, ce sont les objets pour-soi, les phénomènes, qui sont la matière de
notre connaissance objective, qui résulte de la rencontre objets en-soi et nos catégories de
perception. Lénine reprend cette distinction, et Althusser s'inspire de Lénine, donc
indirectement de Kant
– Platon, donc : la distinction qu'il opère est une distinction entre l'epistémè (la connaissance,
sous-entendue objective et rationnelle) et la doxa (le croire-savoir, qu'on traduit par
« opinion » ou « sens commun »). Chez Platon, l'individu qui permet de passer de la doxa à
l'epistémè est le philosophe (qui tient ainsi le même rôle que le parti politique chez Lénine).
C'est la raison pour laquelle, pour Platon, les philosophes doivent devenir rois ou les rois
pratiquer la philosophie, car la Cité doit être gouvernée selon les principes objectifs et
rationnels de l'epistémè (note : Rancière a ainsi critiqué Bourdieu dans « Le Sociologue-
roi », inclus dans Le Philosophe et ses pauvres)
Des distinctions qui se recouvrent, avec à chaque fois une même solution pour passer du sens
commun à la science.
Le geste inaugural de Rancière consiste donc à identifier toute cette tradition et, on le disait, à la
soumettre à une critique radicale.
Car cette distinction entre doxa et epistémè a un corollaire : la maîtrise, ie l'apparition de la figure
du maître. Qu'est-ce ? Qu'il soit philosophe, sociologue, individuel ou collectif, le maître est celui
qui sait distinguer la connaissance, objective et rationnelle, de la croyance, de l'opinion ; ie
l'espitémè de la doxa. Il sait voir ce qui est vrai. En d'autres termes, il est celui qui est en mesure de
dire à ceux qui ne savent qu'ils ne savent pas, et ce qu'ils ne savent pas. Ie qu'ils sont dans un
rapport fallacieux à la réalité, et quel serait un rapport théorique juste à la réalité.
Le maître est celui qui s'insère dans l'espace ouvert entre la doxa et l'espitémè, et ce faisant en retire
un certain pouvoir !
La distinction entre doxa et epistémè permet donc à cette catégorie d'individus de bâtir son pouvoir.
Rancière s'insère ainsi dans une tradition de philosophie du pouvoir, identifiant ainsi une nouvelle
forme de pouvoir qui n'avait jusque là pas été prise en compte aussi systématiquement par les
philosophes : la maîtrise. On peut dire qu'il ajoute un quatrième type de légitimation de la
domination à la typologie de Weber (même la légitimité légale-rationnelle a quelque chose à voir
avec le savoir, of course).
Notons que Rancière ne critique pas uniquement des « dérives » (pouvoir exorbitant des psychiatres
sur la vie des malades mentaux par exemple), mais la distinction elle-même entre epistémè et doxa
(il s'attelle donc à récuser l'allégorie de la caverne).
Le mot d'ordre théorique que Rancière oppose à cette distinction est « l'axiomatique de l'égalité des
intelligences ». Ce terme d'axiomatique doit s'entendre au sens littéral : il y a égalité des
intelligences qui suppose de ne pas ouvrir l'écart entre epistémè et doxa, et de poser comme axiome
de départ à toute politique d'émancipation que les individus sont tous doués d'une égale intelligence.
Cette axiomatique n'est pour Rancière ni un constat empirique (il y a bien évidemment des
différences de capital culturel), ni un objectif atteignable ou juste idéal. Il s'agit bien d'un principe,
d'un point de départ, d'une condition de possibilité de la pensée émancipée.
Autrement dit, en récusant la distinction entre d et e, ce que cherche à faire Rancière c'est rendre la
position de maîtrise intenable. Si l'on souscrit à l'axiomatique de l'égalité des intelligences, non
seulement la figure du maître est soumise à critique, mais elle devient en fait ontologiquement
impossible.5
(Dans cette perspective de Rancière, le problème d'un Bourdieu allant prendre la parole à la gare de
Lyon en 1995, ou d'un Sartre sur son baril, c'est que le Bourdieu ou le Sartre en question, en voulant
défendre les dominés face au K symbolique des dominants, utilisent leur propre K symbolique,
reconnaissant implicitement son existence, et se battant finalement contre les dominants sur leur
propre terrain, donc entre dominants en quelque sorte.
Rancière ne refuse pas de voir qu'il existe des différences de connaissance entre les individus, ce
n'est pas sur cette question que porte le débat (c'est en cela que son axiomatique de l'égalité des
intelligences n'est pas empirique). La question que se pose Rancière n'est pas celle de l'égalité des
savoirs, de leur transmission, elle est celle des conditions de possibilité de l'émancipation
intellectuelle. Ainsi, un maître ignorant est une figure paradoxale qui va déclencher certaines
opérations, dans le cadre de la relation pédagogique, qui vont avoir pour conséquence sa propre
abolition. Rancière prend l'exemple historique de Joseph Jacotot, théoricien de l'émancipation
intellectuelle du XIXe siècle et qui affirmait qu'on peut enseigner ce qu'on ne sait pas, à condition
de mettre l'élève dans certaines conditions qui lui permettent de prendre conscience de ses capacités
et de son autonomie intellectuelle.
Séance du 05/12/2013
→ retard du RER ^^'
Rancière appelle police l'ordre social existant. Dans le cadre de chaque police, se développe un
discours historiquement situé qui détermine ce qui est intelligible et ce qui ne l'est pas.
Dans ce cadre, les « sans-parts » réclament des parts au nom de l'égalité. Mais Rancière ne réfléchit
pas aux conditions sociologiques, empiriques de possibilité de l'action collective.
L'élément important, dit Rancière, c'est que lorsque les sans-parts manifestent, ils ne se contentent
pas d'exiger la part qui leur revient, une part parmi d'autres qu'il serait possible d'intégrer
raisonnablement et graduellement par la négociation. Les sans-parts exigent toutes les parts, et
s'identifient avec la communauté dans son ensemble. Ceci est pour lui une caractéristique de tout
mouvement politique, au moins depuis la Révolution française.
Lorsqu'ils apparaissent, les sans-parts se mettent à parler au nom de toute la communauté,
s'identifient avec la communauté dans son ensemble, et bouleversent ainsi l'ordre social existant.
5 Un étudiant demande s'il existe un lien entre ça et L'Empire des croyances du sociologue Gerald Bronner
(aujourd'hui professeur à Paris VII). Keucheyan (qui connaît bien Bronner, à ce qu'il dit) répond qu'il y a opposition,
que Bronner tient à la distinction entre science et croyance (bien que ce dernier soit très opposé à Bourdieu et encore
plus à Lénine)
Exemple du Tiers-Etat : il ne se limite pas à exiger sa part des richesse et de la souveraineté en
laissant leurs parts aux autres catégories de la population ; il se débarrasse de ces autres catégories,
du décompte de l'Ancien Régime et invente la souveraineté moderne.
Un élément crucial suggéré ici par Rancière, c'est ce que ce qu'il appelle « le peuple » n'est pas une
catégorie sociologique, c'est « n'importe qui ». En d'autres termes, le peuple ne se définit pas aucune
caractéristique empirique, il ne désigne aucune partie précise de la population, car pour Rancière, il
existe toujours une distance irréductible entre la position de chaque individu au sein de la structure
sociale et l'exercice de la politique. Pour utiliser le langage de Butler, le peuple est queer, ie les
frontières du peuple, sa nature, le type d'individus qui peuvent y être intégrés ou non sont
indéterminés.
Une position anti-sociologique, donc. Pour Rancière, les politiques d'émancipation peuvent avoir,
en principe, pour point de départ n'importe quelle couche sociale.
C'est ce qui conduit Rancière à définir le concept de désidentification : « Toute subjectivation est
une désidentification. L'arrachement à la naturalité d'une place, l'ouverture d'un espace de sujet où
n'importe qui peut se compter, parce qu'il est l'espace d'un compte des incomptés, d'une mise en
rapport d'une part et d'absence de part ».
Cette notion de désidentification témoigne encore une fois de l'importance du concept d'identité
dans les théories critiques, qui remplace progressivement celui de classe sociale à partir des 60's.
Chez Rancière, la notion de désidentification renvoie à une critique de la naturalité des places, ie de
l'idée que tout individu, du fait de sa place dans la stratification sociale, dispose de certaines
caractéristiques qui font qu'il est ce qu'il est, qu'il est capable de ce dont il est capable.
La désidentification permet au contraire aux individus de prendre des distances avec cette identité,
et c'est en fait ce que permet la politique selon Rancière. La politique commence lorsque les
individus prennent des distances avec leurs caractéristiques sociales « naturelles ». Il n'est de sujets
politiques, de mouvement social sans prise de distance par rapport à la naturalité des places
existantes. (Mais Rancière dit que la politique est relativement rare et éphémère, qu'on retombe
rapidement dans les identités. Butler dit la même chose en affirmant qu'on ne se débarrasse jamais
totalement des identités existantes, d'où la nécessité de les appréhender avec ironie)
On s'en souvient, Rancière fit partie du groupe maoïste appelé La Gauche prolétarienne, qui avait
une pratique particulière : l'établissement. C'est ce concept qui a donné son nom à l'ouvrage de
Robert Linhart. Il recouvre la volonté pour les étudiants de l'époque de congédier leur identité
d'étudiant en faisant des « voyages sociaux » pour aller « s'établir » dans la classe ouvrière. On s'est
beaucoup moqué d'eux, mais sans comprendre ce qu'ils cherchaient : ils ne voulaient pas devenir
véritablement des ouvriers, mais accomplir une critique vivante de la naturalité des places en
renonçant à leur statut d'étudiant en entrant dans un processus de rapprochement avec les ouvriers.
Linhart montre notamment que le rapport au corps est essentiel dans cette opération.
C'est à partir de telles pratiques que Rancière pense la désidentification.
On notera que ces processus de désidentification à l'échelle individuelle ont eu lieu dans un contexte
de désidentification collective (Mai 68 notamment).
Pour Rancière, un sujet politique n'est pas un groupe qui prend conscience de lui-même, c'est un
opérateur qui joint et disjoint les régions, les identités, les fonctions, les capacités existant dans les
configurations de l'expérience donnée.
Rancière ne nie donc pas l'existence des groupes sociaux particuliers, mais ce qui l'intéresse, c'est
l'événement : le sujet politique a toujours quelque chose d'événementiel, c'est le moment où l'ordre
social est contesté au nom de l'égalité.
Butler et Rancière n'ont pas exactement le même âge, n'ont pas la même nationalité, l'un a connu
Mai 68 et les années rouges, l'autre non. Mais tous deux semblent exprimer quelque chose de
« l'esprit du temps », à travers leurs problématiques de l'identité.
Ils ne sont ainsi pas des marxistes (bien que Rancière en vienne).
Dans une troisième séquence du cours, nous allons nous intéresser à des thématiques marxistes
proprement dites, et notamment à celles des classes sociales.
Nous allons parler de deux auteurs contemporains, des théoriciens marxistes qui se proposent de
développer un propos novateur sur cette vieille thématique des classes sociales. Leur mise en
rapport va permettre de dégager deux points :
– Le marxiste est bien vivant, et plus intéressant, novateur et créateur que jamais. De fait,
pendant tout le XXe siècle, le marxisme a été adossé à des organisations et partis politiques
prétendant contrôler la théorie. Avec la chute de l'URSS, il est désormais libéré de toute
influence politique immédiate, il est émancipé de la tutelle de l'URSS
– Il existe une pluralité de manières d'être marxiste : des auteurs qui paraissent aux antipodes
les uns des autres peuvent être considérés comme marxistes, le marxisme n'étant pas un bloc
monolithique
Les deux auteurs dont nous allons parler sont Edward Palmer Thompson (historien britannique de
la classe ouvrière, décédé dans les 90's) et Erik Olin Wright (vivant, professeur de sociologie dans
le Wisconsin, était jusque à l'an dernier le Président de l'Association américaine de sociologie).
Tous deux ont consacré leur œuvre à la nature des classes sociales, dans un paradigme globalement
marxiste. Mais chacun conserve des options paradigmatiques différentes : Thompson conserve une
approche constructiviste des classes sociales, tandis que Wright défend une approche analytique des
classes sociales.
Thompson
1/ Les représentations sociales ont une influence sur le mode d'existence de la réalité sociale, sur
l'ontologie des objets. Par ex, dans La Vie de laboratoire, Latour affirme que les entités que
« découvrent » les biologistes sont socialement construites, ie que les représentations des biologistes
ont une grande influence sur la nature même de ces entités, qui n'existent pas indépendamment de
ces représentations.
Christopher Hill s'est ainsi intéressé à la piraterie, et au rapport des pirates à l'émergence du Ksme
en GB au XVIIe-XVIIIe siècle. Les pirates sont en effet des paysans exilés en ville et qui se sont
engagés dans la marine marchande, n'ayant pas trouvé de travail. Après avoir perdu ce travail pour
diverses raisons, ils sont devenus pirates. La piraterie moderne est ainsi une piraterie particulière,
qui trouve son origine dans l'exode rural.
Hobsbawn, quant à lui, s'intéressent aux bandits, et particulièrement à la figure du bandit social
(comme Robin des Bois, synthèse de plusieurs bandits sociaux ayant effectivement existé). Le
bandit social est motivé par des considérations de justice sociale et de redistribution des richesses
(un rancièrien avant la lettre ^^). Ces bandits sociaux prolifèrent dans les phases de transition. Le
bandit social fait reposer ses actes sur un code de l'honneur d'Ancien Régime, mais au moment où
cet Ancien Régime bascule dans le Ksme.
Thompson fut membre du Parti communiste britannique, avec lequel il rompt en 1956, année de
l'insurrection à Budapest réprimée par les chars soviétiques et de la publication par Khrouchtchev
du rapport secret sur Staline.
En quittant le PC, Thompson va devenir une figure importante de la New Left, qui essaime en GB et
ailleurs. Cette New Left refuse de se situer par rapport à l'URSS, et critique même l'ordre social qui
y est en vigueur. Dès lors, Thompson réclame ses travaux de cette New Left.
Comme Rancière, mais en des termes différents, Thompson a radicalement critiqué Althusser. EN
particulier, il a écrit un texte intitulé La pauvreté de la théorie, où il reproche à Althusser in biais
théoriciste excessif et une attention insuffisante à l'histoire, aux faits empiriques.