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ThéoRèmes

Enjeux des approches empiriques des religions


Anthropologie

Les langues du Saint-Esprit


Glossolalie et discernement

Jean-Pierre Cavaillé

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/theoremes/2870
ISSN : 1664-0136

Éditeur
Association de la revue ThéoRèmes

Référence électronique
Jean-Pierre Cavaillé, « Les langues du Saint-Esprit », ThéoRèmes [En ligne], Anthropologie, mis en ligne
le 31 août 2019, consulté le 02 septembre 2019. URL : http://journals.openedition.org/
theoremes/2870

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de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0
International.
Les langues du Saint-Esprit 1

Les langues du Saint-Esprit


Glossolalie et discernement

Jean-Pierre Cavaillé

1 Le parler en langues ou glossolalie est aujourd’hui dans les mouvements charismatiques


et en particulier dans les divers courants pentecôtistes protestants, une pratique des plus
courantes et des plus familières. La glossolalie y est considérée comme la manifestation
du baptême de l’esprit, qui suit ou parfois précède le baptême d’eau (le baptême par
immersion), et ensuite comme le renouvellement de ce baptême spirituel tout au long de
la vie du chrétien. Il s’agit d’une pratique ou plutôt de pratiques très diversifiées, selon les
individus et les groupes, puisqu’elles recouvrent des substances de l’expression allant de
simples séquences d’allitérations, de cris et de plaintes rythmées et modulées, jusqu’à des
formes linguistiques articulées et complexes ayant l’apparence des langues humaines
parlées1. Tantôt ces énoncés sont considérés comme appartenant à des langues
réellement existantes mais inconnues du locuteur, tantôt ils sont perçus comme
appartenant à des langues non parlées sur terre et incompréhensibles par les seuls
moyens humains. Sauf exception, ces énoncés ne sont pas compris des locuteurs et cette
incompréhension même attesterait, selon les Églises qui en promeuvent la pratique,
l’origine surnaturelle de la glossolalie et la possession par l’Esprit Saint.
2 Nous ne nous questionnerons pas ici sur la nature de la glossolalie, qui a donné lieu à de
nombreuses études conduites au sein de plusieurs disciplines, parfois mobilisées
conjointement (linguistique, anthropologie, psychologie...) [Cartledge 2012], et nous nous
en tiendrons aux expressions glossolaliques en contexte chrétien, conçues et reçues
comme ayant une origine surnaturelle. Nous écartons donc d’autres formes d’expression
identifiées également comme parler en langue et/ ou glossolalie : dans la culture spirite,
au sein de mouvements artistiques (glossolalie poétiques, etc.), ou bien encore les
productions paralinguistiques d’aliénés appréhendés comme glossolalie en psychologie et
en psychiatrie [Bobon 1952 ; Samarin 1968 ; Kildahl 1972]2. Les liens entre ces formes sont
certes indéniables, même s’il faut se défier de l’unité de la catégorie induite par l’usage du
même terme, et nous savons bien que les phénomènes religieux auxquels nous nous
intéressons ici, appartenant à l’histoire du christianisme, donnent lieu à des analyses

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linguistiques, anthropologiques ou psychologiques qui permettent de les envisager de


manière transversale et générale3.
3 Il existe néanmoins une indéniable spécificité culturelle de la glossolalie chrétienne dans
les diverses formes qu’elle a pu prendre, au sens où celles-ci entretiennent un lien très
fort, voire déterminant, avec les textes bibliques de référence (Actes des Apôtres 2 ; 1
Corinthiens 14 ; Marc 16,17) et de leurs interprétations théologiques, et dessinent une
tradition proprement chrétienne et, dirons-nous moderne, du parler en langue. Cela
n’implique nullement que nous prenions cette tradition pour la preuve d’une réalité
substantielle transhistorique, telle par exemple que le pentecôtisme protestant se
l’approprie en reprenant plus ou moins le même chemin. Il le fait du reste, en général, de
manière fort succincte et en gommant les épisodes gênants, voire des cas très importants
(par exemple la longue saison des parlers en langue au début du mouvement Mormon4).
L’histoire mythique du parler en langue mérite sans aucun doute d’être déconstruite, et
ces quelques notes peuvent y contribuer. Loin de nous en tout cas d’adopter une approche
essentialiste, qui supposerait l’existence d’un seul et même phénomène identique à lui-
même à travers l’espace et le temps : ce qui justifie notre chronologie et l’association des
cas est le simple fait que des pratiques, à la fois similaires et diverses, aient été pensées et
vécues en constante relation avec les textes bibliques de références et se soient élaborées
en se constituant justement en tradition, enfin, et surtout, qu’elles aient du même coup
rencontré les mêmes difficultés et les mêmes obstacles, et tout particulièrement celui du
« discernement » (infra).
4 La présente démarche relève donc, principalement, de l’histoire des idées et des pratiques
religieuses et dépend étroitement des textes (récits, controverses, etc.). Notre seule
ambition en effet, fort modeste, est d’examiner succinctement et de manière
principalement chronologique, quelques cas et moments émergents de glossolalie
débattus à l’époque moderne, depuis la fin du XVIIe siècle jusqu’à l’avènement des
premières églises du Réveil aux États-Unis au début du siècle dernier, dont certains
épisodes sont mal connus du public francophone (surtout l’Irvingisme et le Réveil, ou
naissance de l’Évangélisme pentecôtiste), en gardant en ligne de mire la question
ancienne et cruciale du discernement des esprits, c’est-à-dire de l’identification débattue
de la source divine, diabolique, voire purement humaine, des manifestations en langues.
5 Certes cette question du discernement est susceptible de nous entraîner dans des
considérations plus générales et spéculatives que nous ne pouvons ici qu’effleurer. Si elle
est cruciale et même centrale, c’est qu’elle ne cesse de se reposer avec insistance à chacun
des moments où émerge une nouvelle vague de parlers en langues, invariablement jugée
suspecte (mais le soupçon est souvent présent au cœur même de ces mouvements) de pas
être inspirée par le Saint-Esprit mais bien plutôt par le malin. Autrement dit, ce parcours
est l’une des nombreuses manières de montrer le lien indéfectible existant entre les deux
sources possibles de manifestations surnaturelles (ou si l’on veut de « possession »
entendu au sens de l’anthropologie [Hell 1999]) dans une personne en régime chrétien et
l’impossibilité d’établir des critères clairs et définitifs permettant d’en décider. Cette
histoire est l’un des moyens pour montrer l’échec des tentatives successives, à l’époque
moderne, visant à élaborer un savoir et des pratiques efficaces de discernement des
esprits. D’emblée d’ailleurs, nous pouvons en apercevoir quelques raisons majeures, dont
la principale est en fait souvent soulignée dans les traités, récits et controverses eux-
mêmes : le malin est par excellence trompeur et prompt à se faire passer pour l’ange de
Lumière, ce qui évidemment implique l’intime proximité, dans la théologie, mais aussi

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dans l’expérience chrétienne du surnaturel, de l’un et de l’autre. Le discernement ne


saurait résoudre le paradoxe du menteur. Mais il est une autre raison, qui en fait dépend
de la première, et concerne le discernement lui-même, car il est considéré à son tour
comme un charisme, un don de l’esprit spécifique, qui permet de connaître si les
manifestations qui se présentent comme relevant des autres dons du Saint-Esprit (de
guérison, de prophétie, des langues, etc.) sont authentiques – d’origine divine – ou non.
Mais comment attester alors l’authenticité de ce don là ? Sur quels critères discerner le
vrai discernement ? La régression à l’infini du discernement est inévitable. Il est toujours
possible de suspecter celui qui affirme en être le dépositaire d’être agi par le malin, ou
bien de n’être qu’un simple imposteur, comme sont susceptibles de l’être ceux dont il
affirme qu’ils sont d’authentiques guérisseur, glossolale, prophète, etc.
6 Car, comme nous verrons, à l’époque moderne, l’interrogation porte aussi, en relation
cette fois avec les modalités de la preuve en droit et dans les sciences de la nature, sur
l’authenticité des relations prétendues au surnaturel, qu’elles soient divines ou
diaboliques. Il s’agit alors de tester, par des ruses et des expériences ad hoc, la vérité des
phénomènes surnaturels, leurs résistances aux dispositifs intellectuels et pratiques de
réduction à des causes naturelles. Et en effet, l’époque moderne voit simultanément se
développer les entreprises visant à piéger et confondre les possessions factices et les
saintetés fictives en les considérant comme de pures impostures, ou bien des atteintes
pathologiques du corps et de l’âme. Il n’est même pas nécessaire de nier l’inspiration
diabolique de ces tromperies humaines ; il suffit de la mettre de côté. Ainsi diverses
hypothèses sont elles élaborées, de réduction des parlers en langues d’origine
prétendument diaboliques ou divines à des productions « naturelles » ; œuvres de
l’imagination (illusions individuelles ou collectives), dérèglements physiques et mentaux,
voire pures simulations intéressées. L’histoire des critiques des prétentions spirituelles de
la glossolalie, comme l’histoire des réductions naturalistes du « prodige » de la
connaissance des langues non apprises par les prétendu(e)s possédé(e)s, est certes celle
de la montée en puissance des sciences de la nature et de leurs applications techniques et
médicales à l’époque moderne. Mais cette histoire nous amène aussi à constater la
persistance et résilience de ces pratiques d’endorcisme et d’exorcisme chrétiens, voire
leur vitalité contemporaine à travers l’expansion, partout dans le monde, du
pentecôtisme.
7 L’histoire de la glossolalie religieuse moderne et contemporaine, que nous esquissons ici,
se déroule principalement dans le monde de la Réforme, mais nous y avons introduit le
cas, sans doute mieux connu, des convulsionnaires glossolales jansénistes, du fait de son
grand retentissement et des échos qu’il a pu avoir jusque dans les rangs de ces dissidents
de la Réforme qui affirment dans le monde anglophone, à partir du XIXe siècle, le retour
ou réveil des dons apostoliques, parmi lesquels le parler en langue occupe une place
prépondérante.
8 Il s’agit autrement dit de présenter un premier repérage, l’esquisse d’un récit relatant un
pan d’histoire religieuse assez méconnu en France, pays de culture catholique, où le
mouvement charismatique catholique est bien présent, mais aussi – et désormais
indubitablement beaucoup plus encore – le pentecôtisme protestant. Tout au plus
souhaiterions-nous poser quelques jalons en vue de conduire à une histoire plus fine et
plus complète des parlers en langues et apporter quelques éléments et références pour les
travaux d’anthropologie comparée consacrés aux pratiques d’endorcisme et d’exorcisme.

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9 Cet article sur les langues du Saint-Esprit fait suite à un précédent, consacré aux langues
du diable, qui traitait de la question de l’usage de langues non connues du sujet parlant
dans les cas de possession diabolique au début de l’époque moderne [Cavaillé 2016]. Nous
y développions notre réflexion à partir du fait que l’un des principaux signes retenus par
les démonologues pour « démontrer » la possession démoniaque était en effet, depuis au
moins la fin de l’époque médiévale, la pratique de « langues inconnues », expression
d’ailleurs ambiguë pouvant recouvrir aussi bien des langues existantes non connues de
ceux qui les parlent que des langues humainement incompréhensibles.
10 Cette ambiguïté, comme on le verra, se retrouve dans le parler en langues attribué à
l’inspiration de l’Esprit-Saint. En effet, le terme de glossolalie recouvre le plus souvent
aussi bien l’usage sous l’action de l’Esprit de langues étrangères non connues du locuteur
que la profération de formes linguistiques, parlées, chantées ou criées, irréductibles aux
langues humaines connues. Pour distinguer ces deux types de parler en langues, certains
auteurs, en particulier dans la tradition des Réveils pentecôtistes et dans le catholicisme
charismatique, réservent le vocable de glossolalie (un terme qui apparaît au XIXe siècle)
aux seules performances en langues « inconnues » et celui de xénolalie à la profération
d’énoncés en des langues existantes mais non connues des personnes qui s’expriment
sous l’inspiration du Saint-Esprit. Dans l’un et l’autre cas, l’ignorance et incompréhension
de la langue par celui qui la parle (mais surtout par celui qui l’entend) peut représenter
naïvement le signe de son origine surnaturelle. Cependant, se pose le problème de la
distinction entre le parler en langues inspiré par Dieu de celui suggéré par le démon et,
enfin, de l’identification d’autres causes possibles purement humaines (simulation,
emprise collective, transe, voire maladie mentale). Dans le cadre de la théologie du retour
des dons apostoliques où s’affirme la glossolalie comme expression de l’Esprit Saint, deux
autres dons ou charismes apostoliques sont alors requis pour résoudre ce problème, en
référence au texte paulinien qui fait autorité en la matière (1 Corinthiens 12, 4-11) : le don
d’interprétation du parler en langues, mais aussi et surtout celui du discernement des
esprits.
11 Pour la démonologie, il arrivait en outre que le démon, dans la possession, produise, en
relation ou non avec des émissions en langues, l’apparence d’une parole prophétique qui
se révèle fausse et trompeuse, sauf lorsque, comme cela se vérifie dans toute une série de
cas de possession du début de l’époque moderne, le diable lui-même devient l’instrument
de la parole divine et entreprend de prêcher et de convertir5. C’est durant les exorcismes
que les démons déclarent être les instruments de la parole divine, comme le fait le démon
Verrine, qui possède l’Ursuline Louise Capeau, lors de l’affaire Gaufridy (1610-1611). Ainsi,
dans la pratique même des exorcismes, et bien au-delà des cas de possession « avérée »,
face à la production d’énoncés prophétiques, la question du discernement des esprits ne
manquait-elle pas de se poser, aussi bien dans le contexte de la Réforme que du
catholicisme.
12 Notre objectif n’est pas ici de nous intéresser à la question de la prophétie proprement
dite, habituellement distinguée, sur la base du texte paulinien (1 Corinthiens 14), du parler
en langues présenté comme une louange à Dieu inspirée par le Saint-Esprit, et non
comme une prophétie6. Cependant, dans les textes bibliques eux-mêmes et leurs gloses,
comme dans les témoignages dont nous disposons (tout comme d’ailleurs dans
l’observation des pratiques pentecôtistes contemporaines), les liens entre l’un et l’autre
don apostolique sont trop étroits pour que l’on puisse traiter de la glossolalie sans
s’intéresser simultanément à la prophétie ni, dans une moindre mesure, aux autres dons

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de l’esprit tels que les énumère l’épître de Paul (1 Corinthiens 12, 4-11) immanquablement
mobilisés dès lors qu’il est question de glossolalie : « parole de sagesse », « parole de
savoir », foi, don de guérison, miracles, interprétation du parler en langues et
discernement. Mais parler en langues et prophétie entretiennent des relations
particulièrement étroites ; après avoir insisté sur la supériorité de la prophétie (qui édifie
l’Église) sur le parler en langues (parole de louange qui n’édifie que celui qui parle), Paul
déclare qu’une fois interprété par qui reçoit le don d’interprétation, le parler en langues
peut à son tour édifier les fidèles et, comprend-on, être considéré alors comme
prophétique. La question de l’interprétation est donc également incontournable. Mais le
discernement des esprits est l’instrument nécessaire à l’authentification de l’origine
divine de tous les dons. Évidemment, en tant que le don est autoproclamé, il est lui-même
fatalement sujet à caution, d’où le long travail théologique pour en faire un « art » ou
« science » (Bona), un savoir acquis et non plus un don réputé pour sa rareté. C’est ce
charisme et ce savoir spécifique qui a pour nom, dans la théologie médiévale et moderne
de discretio spirituum7.
13 Il faut également prendre en compte la tradition qui s’impose dans la plupart des
confessions chrétiennes – et tout particulièrement d’ailleurs dans les Églises réformées
elles-mêmes – selon laquelle une partie des dons octroyés aux disciples lors de la
Pentecôte – et en particulier celui des langues – ne furent accordés qu’aux
commencements du christianisme et réservés aux seuls apôtres du Christ8, ou bien sont-
ils devenus très rares, exceptionnels, le commun des religieux et des fidèles en étant
absolument dépourvu. Cela semble particulièrement le cas des élocutions en langues non
connues du sujet, immanquablement considérées dans les traités de démonologie 9, tout
comme dans les écrits de théologie portant sur le discernement des esprits et dans le
Rituale romanum (1614), comme un signe de possession démoniaque, sans que ne soit
seulement posée la question d’une effusion du Saint-Esprit, du moins dans la littérature
que nous avons pu parcourir.
14 Tout à la fois, la présence exceptionnelle de l’un ou l’autre don apostolique est pourtant
affirmée pour maintes figures de sainteté, en particulier la guérison et la thaumaturgie,
mais on y trouve aussi indiqués le don de prophétie et bien sûr celui des langues, souvent
conçu avec des visées missionnaires de conversion et d’édification (voir la vie de saint
François Xavier, mais la liste serait longue, en partant de saint Pacôme jusqu’à saint
Pierre d’Alcantara et saint François Solano10), ou bien comme attestation de l’authenticité
des effusions mystiques féminines (Elisabeth von Schönau, Catherine de Sienne
[Sluhovsky 2007, p . 185 et 306]). On remarquera cependant que, sauf exception (Elisabeth
von Schönau), il s’agit de saint(e)s canonisé(e)s, et pour lesquels l’origine divine des dons
ne saurait laisser place désormais au moindre doute. Ajoutons que cet état d’inspiration
supposé s’accompagne dans les récits de la compréhension par les locuteurs de leur
propre discours (sans connaître au préalable la langue dans laquelle ils parlent, ils y
expriment ce qu’ils veulent dire, pour convertir les païens par exemple) et se distingue
généralement de l’expérience du glossolale prononçant un discours qui s’impose à lui et
qu’il ne comprend généralement pas lui-même.
15 Ce n’est que dans cette situation, lorsque des simples fidèles et pasteurs produisent des
énoncés en langues étrangères non apprises ou en langues inconnues, en leur donnant
comme origine l’œuvre du Saint-Esprit, que la question du discernement se pose et en fait
s’impose. On peut constater que ces phénomènes, comme phénomènes individuels et
collectifs intégrés à des mouvements de renouveaux dissidents, apparaissent en un temps

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de crise radicale de la démonologie, à partir du XVIIIe siècle seulement. Pour que des
performances en langues inconnues des locuteurs ne soient plus presque
systématiquement interprétées comme signes de possession diabolique, et qu’elles
puissent être envisagées comme un signe opposé d’effusion de l’Esprit-Saint, il fallait sans
doute qu’un fort déficit d’autorité frappât le discours démonologique « classique ».

Des Cévennes à Londres


16 Le fait est que de tels phénomènes ne commencent à être massivement perçus dans leur
contexte d’émergence comme des preuves de la manifestation de l’Esprit Saint qu’à la fin
du XVIIe siècle dans la situation très particulière de la féroce répression des Huguenots
cévenols à la suite de la Révocation de l’édit de Nantes [Vidal 1983].
17 Il faut souligner que ces phénomènes sont d’abord perçus comme relevant de la
prophétie. Les simples, adultes, adolescents, enfants y compris en bas âge (d’où
l’expression de « petits prophètes »), sous l’inspiration du Saint-Esprit délivraient
souvent leurs messages en français, une langue qu’ils affirmaient ne pas connaître (en fait
ces occitanophones ne le parlaient pas, ou fort peu), mais qui était néanmoins celle du
culte11. De nombreux témoignages de ces prophéties délivrées en français, en des
moments décrits comme « d’extase » ou « d’inspiration », exhortant à « l’amendement de
vie » et annonçant la proche délivrance de l’Église opprimée, sont contenus dans
l’ouvrage de Maximilien Misson, Le Théâtre sacré des Cévennes, publié à Londres en 1707.
Un témoin, Jacques Du Bois, affirme avoir vu
plusieurs personnes de l’un et de l’autre sexe, qui, dans l’extase, prononçaient
certaines paroles que les assistants croyaient être une langue étrangère. Ensuite
celui qui parlait déclarait quelquefois ce que signifiaient les paroles qu’il avait
prononcées. [Misson 1707, p. 33]
18 Il s’agissait donc, pour le témoin, de ce que l’on appellerait aujourd’hui xénolalie et
lorsque la langue était interprétée, elle l’était par les inspirés eux-mêmes ; le contenu en
était apparemment prophétique et il n’est jamais question dans ce contexte cévenol de
glossolalie de louange.
19 L’ouvrage fut rapidement traduit en anglais par John Lacy, qui développa lui-même une
activité prophétique, suscitée par la rencontre et fréquentation des « French Prophets »
réfugiés des Cévennes (Cavalier, Fage et Marion) [Schwartz 1980 ; Laborie 2015]. Il se
disait bénéficiaire de la plupart des charismes pauliniens et en particulier du don des
langues. En effet, il affirmait lui-même que dans ses transports il parlait couramment le
Grec et le Latin, dont il n’avait que de très minimes rudiments12. Richard Bulkeley, du
même groupe, relate comment, en compagnie de d’un « mathématicien » nommé Facio
(un ami d’Isaac Newton), il arriva en quelques occasions à Lacy de traduire spontanément
en anglais les oeuvres en latin classique (d’ailleurs fort peu édifiantes comme leurs
opposants leurs reprocheront [Anonyme 1708, p. 95]) que lui récitaient ses amis, alors
qu’il n’avait pratiquement pas étudié cette langue, et qu’usuellement il n’en comprenait
« presque » rien. Bulkeley parle également d’un jeune gentleman du nom de Dutton qui,
saisi par l’esprit, parlait hébreux jusqu’à un quart d’heure de rang sans l’avoir jamais
appris. D’autres, lui a-t-on rapporté, se seraient mis à parler le français, la langue des
prophéties cévenoles, sans le connaître [Bulkley 1708, p. 89 sq.]... L’un des prophètes,
Durand Fage, aurait délivré un énoncé inspiré en langue inconnue (« Tring, Trang, Suing,
Suang, Hing, Hang », que le précité Facio, qui prétendait connaître trente-deux langues,

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supposa être un dialecte hébreux [Bonnaire 1733, p. 108 ; Laborie 2015, p. 82]. Les
critiques des French Prophets et de leurs nombreux disciples britanniques ne
manquèrent pas, les dénonçant comme des « fanatiques » et « enthousiastes », affligés de
troubles mentaux, comme des « imposteurs », mais aussi – avec plus ou moins de
conviction – comme des suppôts de Satan [Hutchinson 1709 ; Knights 2011, p. 212 ;
Sneddon 2017]. Certains de ces contempteurs des French Prophets ne manquèrent pas
d’utiliser la revendication du don des langues, comme une preuve de l’origine diabolique
de leur inspiration [Anonyme 1708].

Les « langues inconnues » des Convulsionnaires


20 Deux décennies plus tard, entre 1727 et 1732 à Paris, dans la France toute catholique,
éclate une polémique plus enflammée encore, autour de celles et ceux que l’on nomme
très vite les « convulsionnaires ». Des femmes surtout sont atteintes de « convulsions »,
« ravies en extases », « inspirées » et guéries miraculeusement de leurs maux dans le
cimetière de Saint-Médard, sur la tombe du diacre janséniste François de Pâris et dans des
demeures privées. Ces phénomènes convulsionnaires se déroulent dans les milieux
jansénistes populaires et bourgeois de la capitale, apparemment sans aucun lien (du
moins au départ) avec la mémoire, mobilisée cependant dès qu’éclate la polémique, avec
« les convulsionnaires des Cévennes » et leurs disciples anglais, d’autant plus que les
motifs d’une telle comparaison ne manquaient pas.
21 Certaines de ces femmes parlent en des « langues inconnues » ; d’autres, parfois les
mêmes, prophétisent en bon français. « Plusieurs convulsionnaires parlent en extase des
langues inconnues et étrangères, dont il est visible qu’ils comprennent alors le sens. ».
Par ailleurs, elles « découvrent les secrets des cœurs », se « livrent à des prédictions »
confirmées par la suite. Sans réclamer le statut de « prophètes », au moins doit-on dire
que les convulsionnaires sont dépositaires de « révélations particulières » [Carré de
Montgeron 1737, p. 54, 75, 79, 84 ; Pozzo 2013, p. 59]. C’est du moins ce qu’affirme
Montgeron, un janséniste embastillé pour le soutien qu’il leur apporte. Il prend des
exemples précis, notamment au sujet des paroles et chants en « langue inconnue » :
Il est de notoriété publique que Mlle Lordelot, sœur d’un Avocat du Parlement, qui
depuis sa naissance a toujours eu une assés grande difficulté de parler, prononce
néanmoins ses discours en langue inconnue, avec toutes les graces et la facilité
possible, malgré nombre d’aspirations et de mots tellement difficiles, que d’autres
personnes ne pourroient les articuler qu’avec beaucoup de peine : et quoiqu’elle
n’ait pas du tout de voix, elle chante très mélodieusement des cantiques en cette
langue. Mlle Dancogné dont les convulsions sont si intéressantes, et qu’on sait aussi
n’avoir jamais eu de voix, chante de même parfaitement bien des cantiques en
langue inconnue et d’une musique extraordinaire qui fait l’admiration de tous ceux
qui l’entendent : mais ce qui surprend encore davantage, il lui arrive souvent, dans
certains temps de ces extases, d’entendre le sens de tout ce qu’on lui dit en quelque
langue qu’on lui parle, et de répondre à tout d’une manière très juste. C’est ce que
quantité de personnes ont éprouvé. [Carré de Montgeron 1737, p. 55 ; cf. Pozzo
2013, p. 70]
22 L’auteur ne manque pas de renvoyer précisément au texte de l’épître paulinienne et
déclare que les dons du « parler en langues », de l’« interprétation » et de l’intelligence
des langues et enfin de la « prophétie » se trouvent associés et accordées en la personne
de certain(e)s convulsionnaires. Celles et ceux qui parlent en langues inconnues parfois
les comprennent et interprètent eux-mêmes. Montgeron, en outre, comme les Cévenols,

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attribue à ces énoncés en langues un statut prophétique : ce sont des expressions de la


colère de Dieu ainsi que des « prédictions » et des enseignements divins dont le sens est
délibérément inaccessible aux profanes13. Ainsi le parler en langue se trouve-t-il utilisé ici
aussi presque exclusivement dans une perspective prophétique, mais s’y ajoute une forte
dimension ésotérique, qui n’apparaissait guère chez les Camisards, où la langue des
prophéties, essentiellement le français, était un moyen de diffusion de la parole du Saint-
Esprit. Quant au recours aux langues anciennes et sacrées des disciples anglais des French
Prophets, il visait à asseoir d’abord l’autorité spirituelle et même culturelle (la récitation et
l’intelligence des poètes païens !) et non à accomplir une quelconque oeuvre de
transmission cryptée des vérités divines. Il n’empêche que la revendication d’être les
dépositaires du charisme des langues et donc, la prétention, assumée ou non, mais tout à
fait effarante aux yeux des détracteurs, d’être les acteurs d’une nouvelle Pentecôte,
unissait les voyants et prophètes cévenols et britanniques d’obédience protestante et
leurs homologues jansénistes.
23 Les pamphlets anticonvulsionnaires ne manquent d’ailleurs pas de rapprocher les
« extravagances » des convulsionnaires jansénistes aux « égarements » des petits
prophètes cévenols, en renvoyant explicitement aux témoignages du Théâtre sacré des
Cévennes ainsi qu’aux controverses anglaises autour des French Prophets et de leurs
disciples (Lacy en particulier)14.
24 Pas plus que les critiques des « French Prophets » en Angleterre, les nombreux
détracteurs des convulsionnaires n’ont de mal à exploiter la tradition de la littérature
démonologique. Dans le récent rituel d’Auxerre (dû à une plume janséniste !), « pour
juger de l’état d’un énergumène que l’on veut exorciser », le premier signe retenu reste la
« compréhension d’une langue inconnue, et de parler une langue inconnue »15. Telle était
déjà à peu de chose près la formulation du Rituel romain, avec l’usage de la même
expression ambiguë « ignota lingua », « langue inconnue », qui peut aussi bien recouvrir
une langue existante inconnue de celui qui la parle, qu’une langue inconnue des hommes.
Rien n’était donc plus aisé que de considérer les convulsionnaires comme des
démoniaques, ou du moins – car nous sommes au XVIIIe siècle – comme des personnes (le
temps n’est plus aux grandes affaires de possession) épisodiquement « obsédées », voire,
en même temps comme des êtres dont les maux relèvent de la médecine et surtout
comme des personnes manipulées par un « parti » semant le trouble dans le royaume et,
comme telles, opportunément envoyées par lettres de cachet à la Bastille. Un élément
supplémentaire qui renvoyait les convulsionnaires à la fois du côté du démon et du
trouble à l’ordre public était le fait que des laïcs et qui plus est des femmes s’y mêlaient de
disserter sur les « divins mystères », voire (du moins les en accusait-on) de les célébrer
[Anonyme 1733, p. 53 et 146 sq].

Les problèmes de l’irvingisme : interpréter et discerner


25 Dans les controverses que nous venons de résumer la question du discernement, face au
charisme prétendu des langues, est mobilisée essentiellement par les contempteurs des
« inspirés », pour les renvoyer tout à la fois du côté de la possession, de l’imposture et de
l’égarement des sens et de l’esprit. On pourrait croire d’ailleurs que la notion de
discernement, avec la large diffusion des critiques du fanatisme et de l’enthousiasme,
était devenue quelque peu obsolète. Mais il devait faire retour, et de manière fort durable

ThéoRèmes , Anthropologie
Les langues du Saint-Esprit 9

(puisque tel est toujours le cas dans le mouvement pentecôtiste) au sein même des
mouvements que l’on qualifie souvent de charismatiques.
26 Ainsi s’imposa-t-il avec une acuité toute particulière en contexte réformé dans les années
1830, aux membres de la congrégation dirigée par Edward Irving au sein de l’Église
d’Écosse (réformée), où le parler en langues joua un rôle crucial, aux côtés des dons de
prophétie et de guérison [Oliphant 1862 ; Stunt 2000 ; Pozzo 2013, p. 257-259]. Les
controverses intenses suscitées par Irving et ses disciples ne manquèrent pas de mobiliser
les précédents des Camisards et des French Prophets et l’on y ajouta une référence aux
Shakers qui dès la fin du siècle précédents, avaient aux États-Unis faits parler d’eux pour
leur prétendu don des langues16. Le phénomène du parler en langues se manifesta d’abord
en Écosse à Port-Glasgow, parmi les fidèles d’une église à laquelle Irving, pasteur très
renommé de la Caledonian Chapel de Londres, était lié, partageant avec le pasteur de
cette église les mêmes convictions millénaristes d’un retour des dons apostoliques : Mary
Campbell, une femme valétudinaire, en mars 1830, se mit à parler lors d’une réunion de
prières privée dans une langue inconnue, qu’elle identifia ensuite elle-même comme
étant celle des îles Palaos en Micronésie, et à prophétiser17. Immédiatement interprété
comme la manifestation du don des langues, l’événement fut suivi de la guérison
« miraculeuse » de Mary Campbell. Un groupe d’observateurs londoniens rapportèrent,
par la plume de l’avocat John Bate Cardale, le futur « premier apôtre » de la Catholic
Apostolic Church, qu’ils assistèrent trois semaines durant, le mois suivant, dans cette
église de Port-Glasgow, lors des réunions de prières, à la performance d’un homme, J. M’D
qui se mit à parler et à chanter un long moment en « une langue inconnue » et prophétisa
ensuite en anglais d’une « voix très forte », suivi de sa servante, qui fit de même, selon la
même succession de parler en langues et de citations bibliques parfaitement articulées les
unes aux autres18. Lors de ce séjour, les Londoniens ne virent pas moins de quatre
personnes bénéficier à leur tour du « don des langues »19.
27 Ce récit, publié en août dans la presse, fit la plus grande impression sur Irving qui, par
ailleurs, était un lecteur assidu du Théâtre sacré des Cévennes et des écrits prophétiques de
John Lacy, et sur certains de ses fidèles qui partageait le même intérêt pour le
renouvellement des charismes, bientôt rejoints par Cardale et sa famille, rejetés par leur
propre Église. La femme de Cardale se mit elle-même à parler en langues et à prophétiser
dès avril 1831, conformément au modèle écossais, lors des réunions de prières matinales.
Un homme, le maître d’école Edward Oliver Taplin, et deux autres femmes, Mrs Hall et
Smith, en firent de même. Les performances de Taplin semblent avoir été très
spectaculaires ; sa voix explosant dans un « stupéfiant et terrible fracas »20, alors que Mrs
Cardale chantait en langue inconnue. Irving insistait en effet sur le fait que les femmes
elles-mêmes pouvaient recevoir et donc devaient pouvoir exercer le double don de langue
et de prophétie. Mais l’exercice de ces dons, accueillis avec un très grand enthousiasme
– et une certaine inquiétude par Irving –, n’était pas autorisé par celui-ci lors du culte
dominical. Cependant, le 9 octobre 1831, ne pouvant résister, Mrs Hall courut dans la
sacristie, au milieu du culte, pour laisser échapper une bruyante effusion en langue
entendue de tous qui provoqua le plus grand émoi du millier de fidèles présents 21. Irving
concéda finalement l’expression de ces dons durant l’office, en les limitant toutefois à
deux séquences par service et à condition que les effusions en langues soient suivies d’un
discours intelligible en anglais.

ThéoRèmes , Anthropologie
Les langues du Saint-Esprit 10

28 Cette décision fut cependant violemment controversée au sein même de la congrégation


et au mois de mai suivant, il fut destitué de sa position de pasteur par l’Église d’Écosse,
pour avoir permis à des laïques d’interrompre le culte.
29 Parallèlement à ces difficultés, dès le début de cette aventure spirituelle, Irving dut
affronter deux problèmes majeurs : celui de l’interprétation et, plus grave encore, celui
du discernement, correspondant à deux dons du Saint-Esprit qui semblent avoir
cruellement manqué dans son Église.
30 En effet les personnes « douées », comme le confessa Taplin par exemple, ne
comprenaient pas leurs propres performances en langues, dont les prophéties qui
suivaient n’étaient pas les traductions [Irving, 1832b]. Irving lui-même reconnaissait
volontiers son incapacité à comprendre ces effusions en langues inconnues. Il manquait à
la congrégation des individus bénéficiant du don d’interprétation, comme en prévoyait
pourtant le texte paulinien, et Irving crut un instant en trouver un en la personne de
George Pilkington qui déclara comprendre les énoncés en langues. Mais celui-ci, comme il
le raconte en détail dans un pamphlet contre Irving, nia posséder un quelconque don : il
appliquait simplement ses connaissances en langues étrangères et prétendait déchiffrer
ces énoncés en y retrouvant des mots plus ou moins déformés issus de l’anglais, de
l’espagnol et du latin [Pilkington 1831, p. 11]. Mais cette prétention à déchiffrer sans don,
par le seul savoir linguistique (et beaucoup d’imagination !), déplut au plus haut degré au
groupe de fidèles « doués » autour d’Irving qui lui intimèrent le silence. C’est que, comme
l’analyse un journaliste de la Monthly Review hostile à Irving, il « était un homme trop
rationnel pour eux, puisqu’il avait découvert une partie de leur système pour la
fabrication d’une langue inconnue, par l’agglomération de mots de différentes langues » 22
et, ce faisant, il ne pouvait que faire apparaître la nature artificielle et donc nullement
surnaturelle des glossolalies. Certains membres de l’Église accusèrent alors Taplin de
tenir ses interprétations du démon.
31 Ainsi, derrière la question du défaut d’interprétation, le problème majeur était bien celui
de la difficulté de discerner la qualité de l’esprit qui se manifestait dans le parler en
langues, plus facilement « contrôlable » dans les prophéties. Irving avait été
profondément marqué par une affaire à laquelle il s’intéressa de très près, d’une fille et
d’un garçon de sept ans, jumeaux, du Gloucestershire qui, en 1830, prophétisaient, mais se
révélèrent, à la faveur d’une mise à l’épreuve (le garçon fut mis en demeure d’affirmer sa
foi en l’incarnation), possédés du démon [Stunt 2015, chap. 4 et 5]. Ainsi, lorsqu’une
prophétie jugée fausse ou suspecte était prononcée dans l’église, la présence d’un esprit
démoniaque était-elle dénoncée. Même le tonitruant Taplin fut accusé, une fois qu’il avait
contredit Irving en prophétisant, de possession ; et Taplin reconnut lui-même avoir été
possédé ce jour-là [Pilkington 1836, p. 246]. Cela ne l’empêchait pas, le cas échéant, de
confondre par son propre usage du parler en langues un étranger à l’église qui s’était
permis de prophétiser et qui se révéla ainsi, au contact de la langue inspirée de Taplin,
souffrir de possession23.
32 Cette anecdote est rapportée par le magistrat Robert Baxter, l’un des principaux
prophètes de l’église, le plus remarquable aux yeux d’Irving, mais que son usage du
« discernement » conduisit à dénoncer l’ensemble des manifestations en langues. Dans les
jours où se produisit cet épisode de faux prophète confondu (1833), Baxter prophétisa
qu’il devait se rendre devant la Cour de la Chancellerie, pour y délivrer un message sous
l’emprise du « pouvoir » et être ensuite jeté en prison. Baxter dut constater, tout comme
Taplin l’avait expérimenté avant lui, qu’il lui fut en ce lieu impossible de parler sous le

ThéoRèmes , Anthropologie
Les langues du Saint-Esprit 11

pouvoir de l’inspiration, et les prophéties qu’il avait faites sur son propre sort (de délivrer
un message et d’être jeté en prison), ne se réalisèrent pas. Il en fut extrêmement troublé,
raconte-t-il, et un énoncé prophétique d’Emily Cardale, une sœur de John Bate Cardale, le
mit sur la voie d’un renversement total de jugement : « C’est le discernement – c’est le
discernement dont tu manques : cherche-le, cherche-le » [Baxter 1833, p. 26]24.
33 Quelques temps auparavant, Irving lui-même avait manifesté auprès de lui des doutes sur
la nature de ses prophéties qu’il jugeait pourtant tant admirables [Baxter 1833, p. 20].
Après mûres réflexions, raconte Baxter, il fut convaincu que les mêmes personnes ne
pouvaient tantôt être visitées du Saint-Esprit et tantôt possédées et qu’en fait toutes les
expressions en langues inconnues et toutes les prophéties étaient fausses – les siennes
propres comprises – et toutes suggérées par le démon [p. 135]25. Le parler en « langue
inconnue » n’était pas du tout une langue, mais « une simple collection de mots et de
phrases » [p. 135]26. L’Église où s’affirmait le retour des dons de l’esprit était devenue à ses
yeux la scène d’une mystification diabolique et de nombreux contempteurs d’Irving, mort
prématurément en 1834, ne manquèrent pas (jusqu’à nos jours27) de lui emboîter le pas
[par ex. Goode 1834]. Cette diabolisation littérale de l’irvingisme, cela mérite à peine
d’être précisé, restait cependant une opinion fort minoritaire, face à l’affirmation des
explications purement rationnelles, mettant en cause soit l’honnêteté des personnes
« douées », soit leur bonne santé mentale.

Les premières Églises du réveil américain : xénolalies


et glossolalies
34 Les Églises du « réveil », telles qu’elles se développent au États-Unis à partir de 1900
surent constituer un encadrement institutionnel et dogmatique permettant une pratique
régulière mais aussi régulée du parler en langues, de son interprétation et de la
prophétie. Elles réussirent (au-delà de toute espérance !) là où l’irvingisme avait échoué, à
créer un modèle théologique et un standard de pratiques reconnues et acceptées.
Cependant, cet encadrement et ce disciplinement de l’expression des dons de la
Pentecôte, bien que résultant d’un long processus d’institutionnalisation et de
normalisation, reste toujours menacé de débordement et de subversion interne, justifié
par les exigences disruptives du Saint-Esprit, mais aussi hanté par la double menace de la
possession démoniaque et des illusions de la chair. A ce titre, Irving, revendiqué comme
un précurseur par les Églises du réveil, semble avoir joué un rôle à la fois de modèle et de
repoussoir [Bennet 2014]. Mais il existe d’autres références en la matière, proprement
américaines, plus difficilement avouables (les adversaires par contre ne manqueront pas
de les rappeler) : en particulier les Shakers – leur fondatrice Ann Lee (1736-1784) ne
prétendait-elle pas parler par effusion de l’esprit pas moins de 72 langues ? – et les
Mormons qui, au début de leur mouvement, pratiquèrent beaucoup le parler en langues,
pour l’abandonner ensuite, là encore essentiellement pour des questions de discernement
et de discipline [Vogel et Dunn 1993]. Cependant l’influence la plus considérable fut sans
aucun doute celle du mouvement méthodiste de John Wesley et de ses successeurs qui
organisait des événements d’enthousiasme collectif (camp meetings, etc.), avec des
pratiques de transes et d’inspiration prophétiques. Ces rencontres parfois très agités ne
semblent pourtant jamais avoir donné lieu à des effusions en langues (du moins attestées
comme telles), alors que le charisme des langues y était régulièrement invoqués à travers
les textes biblique qui en font état [Taves 1999].

ThéoRèmes , Anthropologie
Les langues du Saint-Esprit 12

35 Le pasteur méthodiste Charles F. Parham fut sans doute le premier à concevoir le don du
parler en langues comme le signe certain du baptême du Saint-Esprit28. Telle est l’idée
qu’il communique à ses élèves de l’école biblique qu’il dirige à Topeka (Kansas), appuyée
sur le commentaire des textes testamentaires (Marc, 16. 17 ; Actes 2 et Actes 10. 45-47 ; 1
Corinthiens 14) et en se référant explicitement à un cas récent : celui de Jennie Glassey
dans le Missouri qui se destinait au travail missionnaire et se mit à parler une nuit de
1895 sous « l’emprise de l’Esprit » une langue africaine, mais aussi, par la suite, « grec,
français, latin, hébreu, japonais, chinois et plusieurs dialectes africains », selon le rapport
qui en fut fait et que Parham contribua à diffuser29. Mais ce cas n’était-il pas perçu comme
un apax, d’autres auraient pu être cités, dont ceux gênants (et donc tus!), mais de
notoriété publique, des Mormons, sans parler du souvenir vivant des Camisards, des
French Prophets et des Irvingites30.
36 A la lumière du cas de Glassey, Parham envisage le parler en langues exclusivement, au
moins en un premier temps, comme xénolalie, la pratique spontanée de langues
étrangères non apprises, avec une double finalité apologétique et missionnaire. Le don
des langues est à la fois signe de l’action présente de l’Esprit, preuve à la face du monde
(des croyants, comme des incroyants qui vont « reconnaître » leurs propres langues dans
la bouche de ceux qui ne les connaissent pas), de la puissance de Dieu (le parler en
langues est un miracle continué pour ceux que Dieu a choisi comme apôtres) et
instrument économique de la conversion des peuples en leurs propres langues sans
nécessité d’apprentissage. Il dira plus tard qu’il pensait depuis longtemps que si l’ânesse
de Balaam s’était montrée capable de sermonner le « premier prédicateur » vénal en
arabe (« the junk of all languages » !), il n’y avait pas de raison pour que les missionnaires
d’aujourd’hui ne soient suffisamment « malins pour laisser Dieu utiliser leurs langues et
leurs gorges »31.
37 C’est ainsi que, selon le récit (re)construit par Parham lui-même, les trois jours
précédents le premier de l’an 1900, alors qu’il avait demandé à ses étudiants de réfléchir,
selon ses propres mots, à « l’évidence biblique du baptême du Saint-Esprit de sorte que
nous puissions aller au devant du monde avec quelque chose qui soit indiscutable parce
qu’absolument conforme à la Parole », à son grand étonnement, tous déclarèrent que la
« preuve indiscutable en toute occasion » était le parler en langues32. Le soir même, nuit
de la Saint-Sylvestre, l’une de ses étudiantes, Agnes Ozman, le pria de lui imposer les
mains et, saisie par l’Esprit, se mit à parler une langue étrangère, rapidement identifiée à
du « chinois », puis « à l’écrire », incapable « pendant trois jours », ajoute-t-il, « de parler
anglais »33. Ozman est ainsi souvent considérée, aujourd’hui encore, comme la première
personne du « réveil » pentecôtiste américain ayant parlé en langues.
38 Le 3 janvier suivant, Parham trouva ses étudiants, qui priaient dans la pièce élevée de
l’école de Topeka (double littéral de la « chambre haute » qui accueillait les apôtres le
jour de la Pentecôte) nimbés d’une lumière surnaturelle, priant et parlant en langues ; on
lui dit même que des langues de feu avaient été aperçues sur leurs têtes34. Ainsi
l’expression de « nouvelle Pentecôte » est-elle à prendre au pied de la lettre : revival,
réveil renouvellement des dons apostoliques pour la fin des temps (guérison, prophétie,
etc.), le don des langues étant présenté comme attestant de manière irréfutable
l’authenticité de cette restauration35. Ce soir là, Parham lui-même, qui implorait la grâce
du don, se mit à parler en une langue qu’il dit être le suédois ; ses effusions en plusieurs
langues étrangères inconnues de lui durèrent toute la nuit36.

ThéoRèmes , Anthropologie
Les langues du Saint-Esprit 13

39 Il n’est guère fait état, du moins au début du mouvement, d’expression glossolaliques,


mais nous verrons que Parham les considérait comme suspectes ou du moins étaient-elles
pour lui uniquement légitimes pour la prière privée [Lee 2015].
40 L’idée qu’il se faisait de cette nouvelle Pentecôte, apparemment égalitariste (il récusa
d’ailleurs toute hiérarchie ecclésiale, s’octroyant cependant le statut ronflant de
« Projector of the Apostolic Faith Movement »), était en fait très aristocratique : la
constitution d’une élite d’apôtres employés à la conversion de l’humanité en toutes ses
langues, une élite xénolale polyglotte des deux sexes, mais exclusivement de race
blanche. Parham considérait en effet la race blanche comme la race élue et il était
résolument ségrégationniste. Il le montra bien en acceptant dans son École biblique de
Houston, à la fin de l’année 1905, un pasteur noir, fils d’esclave, William J. Seymour, à la
condition expresse qu’il prenne ses notes dans le couloir, hors de la salle de classe
[Espinosa 200937].
41 Six semaines après, Seymour, avec l’aide de Parham, partit s’installer à Los Angeles pour y
développer la doctrine du baptême de l’Esprit. Mais la version qu’il en donna dans sa
pratique ministérielle, en cette église d’Azusa Street aujourd’hui célébrée par le
mouvement pentecôtiste mondial, était bien différente de celle de son inspirateur :
strictement égalitaire, résolument interraciale, récusant toute discrimination sociale,
culturelle et de genre… [MacRobert 1988 ; French 2014 ; Espinosa 201438]. Attitude
proprement révolutionnaire en ces temps de ségrégation et de « lynchages de nègres »
qui, avec l’exercice spectaculaire de tous les dons de la Pentecôte, attira dans son église
une multitude de fidèles et, hors d’elle, une multitude d’ennemis, parmi lesquels, très
vite, Parham lui-même [Espinosa 2014, p. 56 sq.].
42 La première personne qui se mit à parler, alors que le groupe se réunissait, au tout début
à Bonnie Brae Street, fut un homme nommé Ed Lee (9 avril 1906) suivi de Jennie Evans
Moore, future femme de Seymour, dont il est affirmé qu’elle parla six langues différentes
le même jour sans les avoir apprises : espagnol, français, grec, hébreu, latin, hindoustani
[Espinosa 2014, p. 55]39… A Azusa Street affluèrent blanchisseuses, ménagères, cuisiniers,
concierges, pasteurs en rupture de ban, des noirs, mais aussi des immigrés mexicains et
des blancs de diverses langues et origines. Pour tout converti, femme, enfant, vieillard, le
parler en langues devenait le signe de son baptême dans l’Esprit et sa pratique devint
proprement exponentielle lors d’assemblées qui se prolongeaient souvent pendant plus
de douze heures [Espinosa 2009]40.
43 Dans le premier numéro du journal de l’église de Seymour, The Apostolic Faith (septembre
1906), il est dit explicitement : « Le baptême de l’Esprit saint est un don de pouvoir sur la
vie sanctifiée, de sorte que lorsque nous le recevons nous avons la même preuve que celle
que les disciples ont reçue le jour de la Pentecôte en parlant de nouvelles langues » 41. Par
le parler en langues, tout un chacun est ainsi invité à partager le statut des premiers
disciples du Christ. Une multitude de cas sont mentionnés dans le même numéro de
journal, souvent avec leur noms et prénoms : tel pasteur de 83 ans (Brother Campbell),
telle orpheline noire de huit ans (Viola Price), telle servante vendue comme esclave en
son enfance (Lucy F. Farrow), se mettent tout à coup à parler en langues, tel pasteur parle
spontanément zoulou et l’interprète, telle femme allemande parle une langue indienne
du Mexique, comme un natif l’a attesté sur place, « Frère Johnson a reçu sept langues
différentes, dont l’arabe. Sœur Leatherman parle le turc », etc.42. On le voit, dans cette
littérature édifiante, il n’est question que de xénolalie virtuellement missionnaire :

ThéoRèmes , Anthropologie
Les langues du Saint-Esprit 14

Le don des langues est donné avec la commission, « allez par tout le monde et
prêchez l’Évangile à toute créature ». Le Seigneur a donné des langues au non
lettré : grec, latin, hébreu [on remarque la persistance du prestige des langues
sacrées dans ce contexte pourtant de réforme radicale !], français, allemand, italien,
chinois, japonais, zoulou et langages d’Afrique, hindi, bengali et dialectes d’Inde,
chippewa et autres langues des Indiens, esquimau, le langage des sourds-muets et,
en fait, l’Esprit saint parle toutes les langues du monde à travers ses enfants. 43
44 Des missionnaires, pour l’Afrique, l’Inde, l’Europe, il y en eut, l’expansion mondiale du
pentecôtisme commença très tôt et fut très rapide, mais ils durent déchanter quant à ce
qu’ils pensaient être l’immédiate intelligibilité de ces langues qu’ils ne connaissaient pas,
identifiées le plus souvent par des tiers [Espinosa 2009, p. 37 ; Espinosa 2014, p. 62 et 86 ;
cf Anderson 1992, p. 15-20].
45 Seymour reconnaît aussi la fréquente manifestation, à Azusa Street, de pures glossolalies
inintelligibles, impossibles à confondre avec de véritables xénolalies. Si ces parlers ne
sont pas interprétés par ceux qui les profèrent, ces derniers, dit-il, n’édifient qu’eux-
mêmes et non l’église, et il insiste en outre sur la nécessité de conserver ordre et décence,
fidèle en tout cela à la lettre du texte paulinien44. Il est même à désirer, dit-il, qu’une seule
personne à la fois parle en langues dans l’assemblée, sauf, admet-il, lorsque « Dieu envoie
une vague de l’Esprit sur les saints » [The Apostolic Faith, octobre 1907-janvier 1908 in
Espinosa 2014, p. 198]. Le pasteur en exercice ne saurait en tout cas se laisser aller à des
effusions en langue inconnues dans l’exercice public de son ministère [Doctrines and
discipline (1915), in Espinosa 2014, p. 235].
46 Ce que The Apostolic Faith ne met cependant guère en avant est la présence massive à
Azusa Street, attestée par nombre de témoins, des effusions en pseudo-langues, parfois
simples répétitions de syllabes et de sons, accompagnées de cris, de transes, de postures
et de gestes que beaucoup jugent à l’époque inconvenants et déplacés.
47 Le spectacle de ces « excès » scandalise en particulier Parham lors de sa visite à Los
Angeles en octobre 1906 et une partie de ce à quoi il assiste n’a en effet pour lui rien à voir
avec une authentique expression en langues ; « il en est beaucoup à Los Angeles qui
chantent, prient et parlent merveilleusement en d’autres langues, et il y a ici du charabia
qui n’est pas du tout langues »45. Ses descriptions, biaisées par son racisme effréné46 (il
dénonce par exemple la promiscuité érotique des femmes blanches et des hommes noirs
dans les moments de transes [Espinosa 2014, p. 386-387]) et par son ressentiment face au
succès de Seymour, sont hautes en couleurs : Parham évoque les « orgies religieuses,
scènes surpassant le culte au démon ou aux fétiches », qui prennent place dans « la salle
du haut » (ici aussi en témoignage de la « chambre haute » à Jérusalem le jour de la
Pentecôte)47 ; « on aboie comme des chiens, on pousse des cris de coqs... transes,
tremblements, éructations et toutes sortes de contorsions charnelles avec tics chevalins
et charabia »48.
48 Il y voit des manifestations liées aux pratiques contemporaines de spiritisme, de
mesmérisme et d’hypnose, à travers lesquelles à ses yeux, le démon n’est jamais loin,
même s’il se garde de tout réduire à des phénomènes de possession. « J’y ai trouvé des
influences hypnotiques, des influences d’esprits familiers, des influences mesmériennes,
et toutes sortes de sortilèges, spasmes, transes, etc., toutes choses étrangères et
inconnues dans le mouvement hors de Los Angeles »49. Pour Parham, rien de tout cela ne
peut être mis sur le compte de l’inspiration divine : « L’Esprit saint ne fait rien de contre
nature ou d’incorrect et l’exercice forcé du corps, de l’esprit ou de la voix, ne saurait être

ThéoRèmes , Anthropologie
Les langues du Saint-Esprit 15

le travail du Saint-Esprit, mais de quelque esprit familier ou autre influence s’exerçant


sur le sujet »50. On notera ici d’ailleurs l’usage de la notion de sujet, empruntée à la
psychologie et à la médecine contemporaine. Dans une collection de Sermons publiés en
1911, il va jusqu’à exploiter la notion de « subconscient », mais alors pour expliquer le
processus par lequel le cerveau humain est disposé par le Saint-Esprit a recevoir enfin son
infusion authentique [C. Parham 1911, p. 17 ; Taves 1999, p. 331].
49 Ces remarques montrent que la question du discernement reste toujours brûlante, mais
aussi qu’elle s’est considérablement modifiée avec le développement de la
parapsychologie, manifestement influencée en fait par tout ce dont le pentecôtisme veut
pourtant se distinguer : les pratiques de l’hypnose, le mesmérisme, le spiritisme... Elles
montrent aussi que le critère, en dernier recours, relève de la conformité sociale : le
Saint-Esprit ne saurait contrevenir aux règles de comportement d’un modèle social
naturalisé ; tout ce qui transgresse ces règles de bienséance, naturellement respectées par
l’Esprit saint, les cris et gestes désordonnés, les éructations, les expressions en langues
non policées (et donc, pour Parham, une grande part de la glossolalie), est rejeté du côté
de l’animalité (et en l’occurrence, du « nègre » animalisé) et à la fois de la possession
d’« esprits familiers », dont la nature démoniaque, pour Parham, ne fait aucun doute.
Nous ne pouvons ici rappeler la très longue généalogie de la notion d’ « esprit familier »,
au demeurant si difficile à rendre compatible (sans changer de vocabulaire) avec le
christianisme ; l’enjeu pour Parham semble bien de rejeter les pratiques des « nègres »
inspirés, du côté d’un paganisme primitif suscitant et sollicitant l’intervention d’esprits
démoniaques.
50 Mais la question du discernement ne manquait pas aussi de se poser dans les réunions
d’Azusa Street aux participants eux-mêmes, assemblées qui pouvaient le cas échéant se
transformer en séances d’exorcisme (comme cela est du reste toujours le cas en certaines
églises pentecôtistes aujourd’hui) : « des démons furent chassés de nombreuses personnes
qui étaient oppressées par le diable », est-il rapporté dans The Apostolic Faith, en 1908, et la
formule revient sans cesse dans le journal pour des événements s’étant produits à Azusa
Street ou en d’autres églises au fur et à mesure de l’expansion très rapide du mouvement.
Il est souvent précisé qu’une fois libérées des démons, les personnes reçoivent l’Esprit
saint et se mettent à parler en langues.
51 Les victimes privilégiées de ces possessions, à lire le même journal, sont pour Seymour et
ses proches des individus pratiquant le spiritisme au sein des églises spiritualistes
[Espinosa 2014, p. 64]51 ; le cas est rapporté d’un frère spiritualiste qui vint à l’assemblée
en déclarant son intention de se suicider : il était « possédé sans répit par les démons » et
fut « instantanément libéré du pouvoir du démon » et « empli d’un esprit différent ». Il en
fut de même d’une médium possédée par une légion de démons depuis ses 16 ans... Le
journal ne dit pas s’il arrivait à ces médiums, comme tel était le cas en Europe (je pense
par exemple au cas bien connu de Catherine Müller alias Hélène Smith [Cifali 1988]), de
parler des langues inconnues. Il est d’ailleurs reconnu, dans le même journal, dès 1906,
que « certains parlent en langues du fait du diable » (The Apostolic Faith, 1906, n° 4). Mais
Seymour semble lui-même hésiter en bien des cas, non sur la fausseté de nombre de
baptêmes prétendus de l’Esprit, mais sur leur nature directement démoniaque : ses textes
évoquent plutôt des simulateurs, sans doute poussés par le démon, mais non à
proprement parler démoniaques, surtout emportés par un désir irrépressible de parler en
langues52. Ceux là, à l’en croire, sont aisés à confondre et à conduire à faire l’expérience
du Saint-Esprit en d’authentiques effusions en langues [The Apostolic Faith, décembre 1906,

ThéoRèmes , Anthropologie
Les langues du Saint-Esprit 16

n° 2 in Espinosa 2014, p. 170]. Aussi engage-t-il les fidèles à désirer non le parler en
langues pour lui-même, mais le baptême du Saint-Esprit, qui ne manquera pas de se
traduire, de lui-même, sans effort et sans y penser, par l’expérience des langues [The
Apostolic Faith, mars 1907, in Espinosa 2014, p. 180-182].
52 Au fur et à mesure de l’expansion des Assemblées de Dieu fondées en 1914 et des
Assemblées pentecôtistes du monde (qui se donnent Seymour comme fondateur), la
question du discernement des esprits, dans la pratique des langues et dans la prophétie
comme dans les autres manifestations sensibles des fidèles, ne cessera de revenir – et elle
ne saurait en effet d’aucune façon être évacuée. La meilleure réponse, sinon théorique, en
tout cas viable, concrète, engagée dans les pratiques, est celle de la normalisation et
codification, qui ne pouvait pas ne pas suivre l’institutionnalisation des formes
d’expression en langues et, subsidiairement, de la prophétie. Bien que Seymour, comme
Parham, ait mis en avant la pratique de la xénolalie, celle de la glossolalie, beaucoup plus
instable et disruptive, oscillant entre le cri, les allitérations et la profération de langues
inconnues articulées, ne fut nullement diabolisée comme telle et sans doute ne le pouvait-
elle pas, du fait de sa popularité et – il faut bien le dire – des échecs patents de la xélolalie
missionnaire (le fait, très difficile et presque impossible à reconnaître par les Églises
pentecôtistes, que la xénolalie proprement dite n’existe pas et qu’elle ne présente au
mieux que de vagues ressemblances avec quelques traits phonétiques des langues
prétendument parlées), mais elle fut et reste plus ou moins sévèrement encadrée et
normée lors des réunions et des cultes, limitée dans le temps et accompagnée d’une
syntaxe stabilisée de postures et de substances d’expression, bien que très variable selon
les Églises.
53 Il n’en demeure pas moins que le vieil adage selon lequel le démon se fait passer pour un
ange de lumière continue à travailler le pentecôtisme. Cela est même fatal : vu
l’importance donnée à la présence active du malin, proprement obsessionnelle en
certaines Églises, le soupçon de sa présence dans les voix en langues ne sauraient être
tout à fait éliminé. Certes le désordre du corps, les cris, les mimiques peuvent laisser
soupçonner que le diable pousse sa corne, mais tous ces signes restent foncièrement
ambigus, même si la codification des pratiques de « délivrance » (tel est le mot pour
désigner l’exorcisme dans le pentecôtisme) vise également à opérer une claire
différenciation entre effusion du Saint-Esprit et possession. Quoi qu’il en soit, il n’existe
pas de critère simple et univoque pour déceler une opération démoniaque dans des
effusions en langues suspectes. Si par exemple la fausseté des prophéties révèle, certes
toujours a posteriori, l’oeuvre du démon (voir supra), il n’existe rien de tel pour le parler
en langue, même interprété (car il est alors toujours possible de dire que l’interprétation
est fausse et non les énoncés du glossolale). C’est pourquoi du reste le don charismatique
du discernement reste si important, car les ministres qui pratiquent « les délivrances » se
doivent d’en être les dépositaires.
54 Mais le discernement, depuis les débuts du mouvement, est aussi associé à la non
réductibilité de toute forme de falsification des dons charismatiques à la possession
démoniaque pure et simple. Bien souvent, la seule faiblesse humaine, la « chair » du
péché de la tradition augustinienne, est seule invoquée, qu’il s’agisse d’une simulation
plus ou moins consciente ou inconsciente. Parham parlait déjà de « manifestations de la
chair » pour stigmatiser les excessives glossolalies d’Azusa Street. Un théologien
pentecôtiste contemporain, Larry V. Newman, qui renvoie justement à Parham, écrit qu’il
serait absurde de ramener toute fausse manifestation glossolalique au démoniaque :

ThéoRèmes , Anthropologie
Les langues du Saint-Esprit 17

« l’âme humaine » (soulishness), c’est-à-dire « la chair » (flesh), est tout à fait capable
d’imiter le Saint-Esprit dans la production de parler en langues. « Cela peut arriver dans
le cadre d’une vie de croyant pentecôtiste et de notre culte communautaire […]. Cette
vérité est une chose relative à notre croyance au sujet du Saint-Esprit, dont nous,
pentecôtistes, sommes conscients et que nous devons accepter »53. La chair du péché n’est
l’expression du démon que de manière indirecte et cette appréhension permet de
dédramatiser le doute inhérent aux expressions en langues, concernant la présence
effective du Saint-Esprit. Ce doute est inévitable, malgré l’invocation sans cesse réitérée
de l’expérience, comme contenant en elle-même son propre critère d’évidence et de
certitude. Les fidèles pentecôtistes savent en fait très bien que les phénonèmes
glossolaliques peuvent être imités et que la simulation en fait est aussi une voie possible
pour tenter, non pas le diable mais le Saint-Esprit ; même s’il est difficile d’obtenir de tels
aveux, l’adoption initialement volontaire d’un comportement mimétique peut conduire à
la déprise et à la conviction d’une expérience d’emprise de l’Esprit. Au fond Parham lui-
même tournait autour de cette idée lorsque, tout en dénonçant les glossolalies
« contrefaites », il évoquait les impressions du Saint-Esprit dans le subconscient qui
prépare à la communication directe et immédiate avec la divinité (voir supra, n. 81).
D’ailleurs, il nous semble assez révélateur que dans les réunions pentecôtistes, certains
pasteurs, au moment où, après le prêche, en engageant les fidèles à la prière de louange,
et en accompagnant les effusions individuelles et collectives qui conduisent à l’expression
des parler en langues, vont répétant des énoncés comme : « aujourd’hui, c’est pour de
vrai ; aujourd’hui ce n’est pas de la simulation ! »54. Cela est clairement dû au fait de
l’importance déterminante de l’imitation chez la plupart des glossolales, comme l’ont
montré les travaux de psychologie qui considèrent le parler en langues comme une
conduite acquise (learned behaviour)55.
55 Il faudrait entrer ici dans des considérations plus approfondies sur le lien entre
acquisition, mimétisme et simulation en tenant compte de ces travaux, mais nous
sortirions de notre propos qui se limitait à montrer comment, à travers quelques uns des
moments majeurs de l’histoire moderne du parler en langue, se posait la question du
discernement des esprits. Ce qui revient à se demander du reste comment le diable lui-
même a survécu, dans l’ombre de l’Esprit-Saint, à toutes les mises en cause de
l’authenticité des phénomènes de possession, ce discours critique qui se développe dès le
début de l’époque moderne. D’une part, force est de constater que Satan a très bien
supporté le choc de tous les discours de rationalisation, tant sa présence hante la grande
vague de christianisme évangélique et charismatique qui s’est aujourd’hui répandue sur
toute la surface du globe. Aussi, dans ce mouvement, le discernement des esprits, comme
don charismatique et non plus comme science acquise, est-il toujours d’actualité. D’autre
part, nous pouvons constater que le diable doit composer, au sein même de ce
mouvement, avec les explications rationnelles qui s’imposent partout : en particulier
l’invocation de la simulation, de l’autosuggestion voire de pathologies mentales. Certes, il
est toujours possible d’affirmer – et l’on ne s’en prive pas – que derrière la maladie et à la
source de la simulation, le démon est bien toujours à la manœuvre. Mais il est très
différent de soutenir que le diable lui-même parle à travers l’organe du possédé,
éventuellement en simulant les voies (et les voix) du Saint-Esprit (le diable étant le
simulateur par excellence) et d’assurer qu’il est le responsable, en dernier recours, des
faiblesses et pathologie de la chair dans la production de parlers en langues artificieux.

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Les langues du Saint-Esprit 18

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NOTES
1. Pour des descriptions et analyses serrées de la glossolalie pentecôtiste, voir Samarin [1972] et
surtout Goodman [1972]. Voir également l’étude tout à fait indépendante des précédentes,
consacrée à une église parisienne, Dubleumortier [1997]. Voir également : Fancello [2009].
2. Également Certeau [2013, p. 337-357]. Voir, pour l’approche linguistique, la mise au point de
Courtine [2000, p. 397-408].
3. Pour une approche historique et théorique générale de la glossolalie, voir Pozzo [2013]. Pour
une approche anthropologique, hélas datée, des glossolalies religieuses non chrétiennes voir les
travaux, Carlyle May [1956]. Aussi Jennings [1968].
4. Voir au moins l’article, bien documenté mais émique, de Vogel et Scott [1993].
5. Ce fut tout particulièrement le cas dans l’affaire Gaufridy et Demandols au début du XVIIe
siècle. Voir Fanlo [2017] ; Fragonard [2009] et Houdard [à paraître].
6. « En effet, celui qui parle en langue ne parle pas aux hommes, mais à Dieu, car personne ne le
comprend, et c’est en esprit qu’il dit des mystères. Celui qui prophétise, au contraire, parle aux

ThéoRèmes , Anthropologie
Les langues du Saint-Esprit 22

hommes, les édifie, les exhorte, les console. Celui qui parle en langue s’édifie lui-même ; celui qui
prophétise édifie l’Église. Je désire que vous parliez tous en langues, mais encore plus que vous
prophétisiez. Celui qui prophétise est plus grand que celui qui parle en langues, à moins que ce
dernier n’interprète, pour que l’Église en reçoive de l’édification », 14, 2-5, traduction Louis
Segond.
7. Parmi la centaine de traités consacrés au « discernement », voir en Bona [1673 ; 1675]. Pour la
littérature consacrée au discernement des esprits est abondante, voir Caciola [2003] ; Mangano
[2017] ; Sluhovsky [2007] ; Copeland et Machielsen [2012] ; Caciola et Sluhovsky [2012].
8. Dans le calvinisme orthodoxe, ce que les Évangéliques nomment cessationisme, est très
clairement affirmé dès le début du mouvement. Voir surtout Calvin, Institution de la religion
chrétienne, liv. IV, chap. 19. Dans le monde catholique, voir, à titre d’exemple le jésuite Richeome :
« ... le don des langues, [...] dura seulement quelques années après lesquelles il finit du tout [c’est-
à-dire « complètement »]... », [Richeome 1628, p. 32]. Les sept dons de l’esprit prophétisés par
Isaie (11, 2), toujours actifs parmi les chrétiens, sont la sagesse, la science, La force, le conseil, la
piété et la crainte (références médiévales majeures : Bonaventure, Des Sept dons du Saint Esprit
[Bonaventure 1997] et Thomas d’Aquin, Somme Théologique, IIa, IIae).
9. Par exemple, parce que d’usage très intense (14 réédition entre XVI e et XVIIe siècle), le manuel
de Menghi [1577, liv. I, chap. 2] et de même, Guazzo [1608].
10. « Ce fut alors proprement que Dieu communiqua la première fois à Xavier le don des langues
dans les Indes, au rapport d’un jeune Portugais de Coimbre nommé Vaz [...]. Le saint homme
parlait très bien le langage de ces barbares, sans l’avoir appris ; et, pour les instruire, il n’eut pas
besoin de truchement » [Bouhours 1683, p. 115].
11. Par exemple le témoignage de Jean Vernet au sujet de sa propre mère : « Elle ne parlait que
François, pendant l’Inspiration ; ce qui me causa une grande surprise la premier fois que je
l’entendis ; car jamais elle n’avait essayé de dire un mot en ce language, ni ne l’a jamais fait
depuis, de ma connaissance ; Et je suis assuré qu’elle ne l’aurait pu faire, quand elle l’aurait voulu.
Je puis dire la même chose de mes soeurs... », [Misson 1707, p. 14].
12. Voir Lacy [1707, p. IX-XI]. Ces pages sont bien résumées en français dans les Nouvelles de la
République des Lettres de septembre 1707 : « Ce qui l’a le plus frappé, c’est de voir, que dans les
extases, il a parlé des Langues, comme le Grec & le Latin, dont il a eu dans sa première jeunesse
les premiers principes, mais qu’il lui seroit impossible de parler ou d’écrire hors de ces agitations,
comme il fait, lorsqu’il en est saisi. Il dit même, qu’il se sert souvent de phrases & de mots de sa
propre Langue qui lui étoient inconnus, jusqu’à ce qu’il les prononçât dans ces circonstances.
Toutes ces merveilles l’ont convaincu, que c’étoit le bras de Dieu, qui opéroit en lui, & que ce sont
les arrhes de quelque chose d’encore plus grand que le S. Esprit lui a promis. », p. 333.
13. « Mais que signifie ce signe ? Il n’est que trop visible que c’est un signe de colère : c’est un
signe par lequel Dieu manifeste aux hommes qu’il a résolu de cacher sous un sçeau
presqu’impénétrable les vérités qu’il leur fait annoncer, parce qu’ils se sont rendus indignes de
les connoître : c’est un signe que Dieu veut traiter aujourd’hui la plus grande partie de la gentilité
comme il faisoit autre fois les Israëlites » [Carré de Montgeron 1737, p. 55].
14. Voici comment sont présentés par exemple les « Convulsionnaires des Cévennes » dans un
pamphlet de l’époque : « On en trouvoit un grand nombre qui sans aucune instruction, sans
éducation, sans lumiere, ne pouvant parler ordinairement que leur langage & leur jargon & leur
patois, s’énonçoient dans le tems de ce qu’ils appelloient l’Inspiration, dans les termes les plus
éloquens, disoient les choses les plus sublimes, & citoient très-à-propos les divines Ecritures »
[Anonyme, 1737, p. 83]. La confrontation avec les French Prophets et leurs disciples (Lacy en
particulier) parcourt l’ensemble de l’ouvrage de Bonnaire 1733.
15. « Praecipui possessionis caracteres, ignotam [en fait le Rituel romain, qui est ici la référence, dit
peregrinam, c’est-à-dire étrangère] linguam intelligere, ignoto idiomate loqui, maxime si energumenus

ThéoRèmes , Anthropologie
Les langues du Saint-Esprit 23

longam seriem verborum proferat, et de rebus quae praevidere non potuit aptè respondeat… » [Anonyme
1733].
16. Voir par exemple James Leslie, qui cite un ensemble de textes à ce propos en appendice de
Leslie 1832 ; en particulier un texte très intéressant sur les Shakers [Dwight 1822, p. 160-1] daté
du 19 septembre 1799. Voir, sur les Shakers, Garrett [1998].
17. « When in the midst of their devotion, the Holy Ghost came with mighty power upon the sick
woman as she lay in her weakness, and constrained her to speak at great length and with
superhuman strength, in an unknown tongue, to the astonishment of all who heard, and to her
own great edification and enjoyment in God; `for he that speaketh in a tongue edifieth himself.’
She has told me that this first seizure of the Spirit was the strongest she ever had, and that it was
in some degree necessary it should have been so, otherwise she would not have dared to give way
to it. » [Irving 1832a, p. 6].
18. « He then, in the course of prayer, and while engaged in intercession for others, began
speaking in an unknown tongue; and after speaking for some time he sung, or rather chaunted,
in the same tongue. He then rose, and we all rose with him; and, in a very loud voice and with
great solemnity, he addressed us in the same tongue for a considerable time: he then, with the
same loudness of voice and manner, addressed us in English, calling on us to prepare for trial, for
we had great trials to go through for the testimony of Jesus; to crucify the flesh; to lay aside
every weight; to put far from us our fleshly wisdom, power, and strength; and to stay us in our
God. After he had concluded, a short pause ensued when suddenly the woman-servant of the
M’D.’s arose and spoke (for a space of, probably, ten minutes) in an unknown tongue, and then in
English: the latter was entirely from Scripture, consisting of passages from different parts, and
connected together in the most remarkable manner. », The Morning Watch, vol. 2, n° iv, août 1830,
p. 869-873.
19. Dans une brève apologie pour le parler en langue (une réponse aux premières critiques
émises, en Juin 1831 dans The Edinburgh Review, vol LIII, n° CVI) publié en 1831 il est fait état de 15
personnes de la communauté écossaise pratiquant la glossolalie. Ce fascicule rapporte en outre
un exemple de glossolalie [McKerrell 1831].
20. « … it burst forth from the former with astonishing and terrible crash, so suddenly, and in
such short sentences, that I seldom recovered the shock before the English commenced », écrit
Pilkington. Au mot de « crash », il joint une très intéressante note : « The word Crash is
descriptive of his voice, not only by its meaning, but by its sound ; and without intending to say
there was a monotony in all his utterances, I think the reader may form some idea of the sound
with which the Tongue was delivered by him, if Cras-cran-cra-crash were uttered with a sudden
and rapid vociferation » [Pilkington 1831, p. 5-6].
21. Lire le récit d’une très grande vivacité de George Pilkington, qui parle de 1500 à 2000
personnes [Pilkington 1831, p. 10-11].
22. « … he was too rational a man for them, since he discovered a part of their system for the
fabrication of an unknown tongue, by the huddling together words from different languages »,
The Monthly Review, Volume 127, I, janvier-avril 1837, p. 36.
23. Du moins selon le récit de Baxter : « A man, a stranger to the Scotch Church, came up from
the country and spoke in a power in the midst of the congregation. He was rebuked either by Mr.
Irving or one of those speaking in the Spirit. Afterwards, being called into the vestry, Mr. T.
[Taplin], one of the gifted persons, with Mr. Irving, reasoned with him, to show him, from the
nature of his utterance, that the power could not be of God. The man was obstinate, and would
not yield, when suddenly Mr. T. was made to speak to him in an unknown tongue, in a tone of
rebuke, and the man fell down upon ground, crying for mercy. Afterwards he went to two others
of the gifted persons at their own houses ; and, wishing to come in and speak to them, he was
again rebuked in the power ; and, as if by force of the word, was cast down upon the ground,

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Les langues du Saint-Esprit 24

foaming and struggling like a bound demoniac. The gifted persons were then made to pray in the
power to him, and, after a short interval, he became calmed and went away » [Baxter 1833, p. 26].
24. « It is discernment – it is discernment ye lack : seek ye for it – seek ye for it ».
25. « Indeed, the whole work is a mimicry of the gifts of the Spirit – the utterance, in tongues, a
mimicry of the gift of tongues – and so of the prophesyings, and all the other works of the power.
It is Satan, as an angel of light, imitation, as far as permitted, the Holy Spirit of God… ». C’est là
tout l’objet de son propre ouvrage.
26. « A mere collection of words and sentences ».
27. Voir par exemple le site Blessed Quietness Journal où il est fait de la fausse prophétie, comme
Irving et Baxter du reste le disaient déjà, le signe de la présence du démon et qui à ce titre
considère qu’Irving était possédé ! http://www.blessedquietness.com/journal/housechu/
irving.htm
28. Voir sa biographie hagiographique écrite par sa femme Sarah [Parham 1930].
29. « Sister Glassey has at different times spoken while in the Spirit, in Greek, French, Latin,
German, Hebrew, Italian, Japanese, Chinese, and several African dialects, words and sentences
given her by the Holy Ghost. She has also written many letters of the Greek and Hebrew
alphabet. Words in as many as six of these languages have been recognized as such by one who
has studied classics, thus proving the genuineness of God’s gifts to our sister », Tongues of Fire, 15
juillet 1898, p. 107. « [She] received the African dialect in one night while in the Spirit in 1895,
but could read and write, translate and sing the language while out of the trance or in a normal
condition, and can until now. Hundreds of people can testify to the fact, both saint and sinner,
who heard her use the language. She was also tested in Liverpool and Jerusalem. Her Christian
experience is that of a holy, consecrated woman, filled with the Holy Ghost ». Récit dû à Parham
lui-même in The Apostolic Faith, mai 1899.
30. Il est frappant par exemple d’en trouver mention dans le premier numéro du bulletin de
Seymour en septembre 1906. Sur les antécédents des mouvements de revival aux États-Unis, voir
entre autres Taves 1999. Il ne faut pas oublier non plus l’expérience mormone, largement
occultée par le Réveil Pentecôtiste.
31. « I had felt years that any missionary going to the foreign field should preach in the language
of the natives. That if God ever equipped His ministers in that way, He could do it today. That if
Balaam’s mule could stop in the middle of the road and give the first preacher that went out for
money a ‘bawling out’ in Arabic [then] anybody today ought to be able to preach in any language
of the world if they have horse sense enough to let God use their tongue and throat… » [S.
Parham 1930, p. 51-52 ; C. Parham 1911, p. 67]. Voir à ce sujet Robinson [2014].
32. « Bible evidence of the baptism of the Holy Ghost that we might go before the world with
something that was indisputable because it tallied absolutely with the Word […] To my
astonishment they all had the same story, that while there were different things [which]
occurred when the Pentecostal blessing fell, that the indisputable proof on each occasion was,
that they spake with other tongues » [S. Parham 1930, p. 52].
33. Voir aussi le témoignage de Lilian Thistlewaite, demi-sœur de Parham : « One of the students,
a lady who had been in several other Bible schools, asked Mr. Parham to lay hands upon her that
she might receive the Holy Spirit. As he prayed, her face lighted up with the glory of God and she
began to speak with “other tongues”. She afterward told us she had received a few words while
in the prayer tower, but now her English was taken from her and with floods of joy and laughter
she praised God in other languages. There was very little sleeping among any of us that night.
The next day still being unable to speak English, she wrote on a piece of paper, “Pray that may
interpret” » [S. Parham 1930, p. 60-61].
34. « On returning to the school with one of the students, we ascended to the second floor, and
passing down along the corridor in the upper room, heard most wonderful sounds. The door was
slightly ajar, the room was lit with only coal oil lamps. As I pushed open the door I found the

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Les langues du Saint-Esprit 25

room was filled with a sheen of white light above the brightness of the lamps. Twelve ministers
of different denominations, who were in the school, were filled with the Holy Spirit and spoke
with other tongues. Some were sitting, some still kneeling, others standing with hands
upraised. There was no violent physical manifestation, though some trembled under the power
of the glory that filled them. Sister Stanley, an elderly lady, came across the room as I entered,
telling me that just before I entered, tongues of fire were sitting above their heads. » [S. Parham
1930, p. 52-53]. Lire aussi le compte rendu dans The Apostolic Faith, le journal de Seymour, octobre
1906, p. 1 [Espinosa 2014, p. 305].
35. L’homologie avec les événements fondateurs du Renouveau charismatique catholique en 1967
à Duquesne est frappante. Il est évident que la naissance du mouvement pentecôtiste protestant
s’imposait comme un modèle y compris pour ces jeunes catholiques épris de charisme, mais on y
trouve la même dimension performative du récit de la Pentecôtes dans les Actes des Apôtres (soit
les fameuses paroles de l’enseignant témoin à Duquesne : « je n’ai pas besoin de croire en la
Pentecôte, je l’ai vue ». Voir le récit de Patti Mansfield [Mansfield 1992 ; Bergunder, Droogers,
van der Laan er Anderson 2010, p. 100].
36. « I said, “Lord, I will, if you will just give me this blessing.” Right then there came a slight
twist in my throat, a glory fell over me and I began to worship God in the Swedish tongue, which
later changed to other languages and continued so until the morning » [S. Parham 1930, p. 53].
37. C’est sur cet article synthétique que repose une bonne partie de nos informations sur
Seymour, ainsi que, du même, un ouvrage très complet et très utile pour sa richesse
documentaire [Espinosa 2014].
38. Sur les limites du « féminisme » de Seymour, voir Espinosa [2009, p. 107].
39. Mais voir surtout les très intéressants passages de la thèse de Charles Shumway, soutenue en
1914, témoin direct très critique des événements, A Critical study of ‘the gift of Tongues’ [Espinosa
2014, p. 311].
40. « After services, blacks, whites, Mexicans, Swedes, Irish, English, Russians, Armenians,
Chinese, South Asians, and other immigrants trod upstairs to the Upper Room where they sought
the baptism with the Holy Spirit, the gift of tongues, and spent more time in prayer and quiet
meditation – sometimes for days » [Espinosa 2014, p. 61]. Voir surtout, dans cet ouvrage, chap. 4 :
God makes no difference in color [p. 86 sq.]. Azusa « was a transgressive social space wherein racial-
ethnic minorities, women, the working class, and others could cross some of the deeply inscribed
unbiblical racial-ethnic, class, gender, and national borders and boundaries of the day » [p. 101].
41. « The Baptism with the Holy Ghost is a gift of power on the sanctified life; so when we get it
we have the same evidence as the Disciples received on the Day of Pentecost, in speaking in new
tongues. », The Apostolic Faith, septembre 1906, p. 2.
42. The Apostolic Faith, septembre 1906, p. 1-3.
43. « The gift of languages is given with the commission, "Go ye into all the world and preach the
gospel to every creature." The Lord has given languages to the unlearned Greek, Latin, Hebrew,
French, German, Italian, Chinese, Japanese, Zulu and languages of Africa, Hindu and Bengali and
dialects of India, Chippewa and other languages of the Indians, Esquimaux, the deaf mute
language and, in fact the Holy Ghost speaks all the languages of the world through His
children. », The Apostolic Faith (septembre 1906), p. 1.
44. Voir le long texte de Seymour à ce sujet in The Apostolic Faith, janvier 1907 [Espinosa 2014,
p.174-176]. Voir également le témoignage oral d’Arthur Osterberg (de 1966 !), qui affirme
l’efficacité des admonitions de Seymour : « We had very few loudly speaking tongues… Seymour
taught from the very beginning, « Let him who speaketh in tongues pray that he may interpret ».
That had a restricting influence upon these many women who wanted to get up and talk in
tongues in every Pentecostal meeting… » [Espinosa 2014, p. 320].

ThéoRèmes , Anthropologie
Les langues du Saint-Esprit 26

45. « They are many in LA who sing, pray and talk wonderfully in other tongues, as the Spirit
gives utterance, and there is jabbering here that is not tongues at all » [S. Parham 1930, p. 169 cf.
Taves 1999, p. 330 sq.].
46. Sur l’idéologie racialiste et raciste de Parham, intégrée à sa théologie, voir les textes cités par
Espinosa [2014, p. 380-381].
47. « … religious orgies outrivaling scenes in devil or fetish worship, took place in the upper
room », lettre de juin 1912 [Espinosa 2014, p. 385].
48. « barking like dogs, crowing like roosters, etc., trances, shakes, fits and all kinds of fleshly
contortions with wind-sucking and jabbering », lettre de juin 1912 [Espinosa 2014, p. 385].
49. « I found hypnotic influences, familiar-spirit influences, spiritualistic influences, mesmeric
influences, and all kinds of spells, spasms, falling in trances, etc. All of these things are foreign to
and unknown in this movement outside of LA », lettre de juin 1912 [Espinosa 2014, p. 382].
50. « The Holy Ghost does nothing that is unnatural or unseemly, and any strained exertion of
body, mind, or voice is not the work of the Holy Spirit, but of some familiar spirit, or other
influence brought to bear upon the subject » [Espinosa 2014, p. 383].
51. Article de Seymour, The Apostolic Faith, décembre 1906, n° 2, texte cité dans ce même ouvrage
[Espinosa 2014, p. 170]. Voir aussi ce qu’il dit dans son manuel pour la formation des ministres du
culte Doctrines and discipline (1915) [Espinosa 2014, p. 217].
52. L’expression de « fleshly demonstrations » lui est attribuée par un témoin [Espinosa 2014,
p. 328] et un autre (Rachel Sizelove) raconte qu’en certaines situations, Seymour venait frapper
sur l’épaule de l’orant en lui disant : « brother that is the flesh » [Espinosa 2014, p. 330].
53. « … this can occur within the framework of a Pentecostal believer’s life and our corporate
worship. […]. This truth is something that we Pentecostals are, indeed, aware of and that we must
come to terms with, relative to our beliefs about Spirit-baptism. » [Newman 2009, p. 7].
54. Ce second énoncé a été entendu de manière répétée par l’auteur dans des réunions de Vie et
Lumière, l’Église tsigan[e des Assemblées de Dieu.
55. Voir Gerlach et Hine 1968] ; Samarin [1968] ; Spanos et.al. [1986] ; Kildahl [1975].

RÉSUMÉS
Cet essai propose une mise en perspective historique des phénomènes de « parler en langue » et
de prophétie en contexte chrétien à l’époque moderne, depuis le XVIIe siècle (petits prophètes
cévenols) jusqu’aux Églises évangéliques du Réveil au début du XXe siècle aux États Unis qui ont
produit la matrice à la fois théologique et expériencielle de pratiques aujourd’hui répandues dans
les Églises pentecôtistes et charismatiques. Nous montrons que ces phénomènes posent d’une
manière particulièrement aiguë la question du discernement des esprits. D’autre part, sur un
autre plan, nous insistons sur la dimension sociale et politique de l’émergence de ces
phénomènes en termes de genre, de classes subalternes et de communautés en bute à une forte
discrimination.

This essay establishes a historical account of the phenomena of "speaking in tongues" and
prophecy in Christian context in modern times, since the seventeenth century (little prophets of
the Cévennes) to evangelical Churches of the Revival in the early twentieth century, in the
United States, that have create the theological and experiencial model of contemporary
Pentecostal and Charismatic Churches. We insist that these phenomena raise the problem of the

ThéoRèmes , Anthropologie
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discernment of spirits. On another level, we insist on the social and political dimension of the
emergence of these practices in terms of gender, subordinate class and communities subject to
strong discrimination.

INDEX
Keywords : glossolalia, xenolalia, speaking in tongues, prophecy, Pentecost, charisma,
discernment of spirits, revival churches, Pentecostalism, possession, simulation, alienation
Mots-clés : glossolalie, xénolalie, parlers en langues, prophétie, Pentecôte, charismes,
discernement des esprits, Réveil, pentecôtisme, possession, simulation, aliénation

AUTEUR
JEAN-PIERRE CAVAILLÉ
EHESS

ThéoRèmes , Anthropologie

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