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Jean-Pierre Cavaillé
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/theoremes/2870
ISSN : 1664-0136
Éditeur
Association de la revue ThéoRèmes
Référence électronique
Jean-Pierre Cavaillé, « Les langues du Saint-Esprit », ThéoRèmes [En ligne], Anthropologie, mis en ligne
le 31 août 2019, consulté le 02 septembre 2019. URL : http://journals.openedition.org/
theoremes/2870
ThéoRèmes – Enjeux des approches empiriques des religions est mis à disposition selon les termes
de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0
International.
Les langues du Saint-Esprit 1
Jean-Pierre Cavaillé
ThéoRèmes , Anthropologie
Les langues du Saint-Esprit 2
ThéoRèmes , Anthropologie
Les langues du Saint-Esprit 3
ThéoRèmes , Anthropologie
Les langues du Saint-Esprit 4
9 Cet article sur les langues du Saint-Esprit fait suite à un précédent, consacré aux langues
du diable, qui traitait de la question de l’usage de langues non connues du sujet parlant
dans les cas de possession diabolique au début de l’époque moderne [Cavaillé 2016]. Nous
y développions notre réflexion à partir du fait que l’un des principaux signes retenus par
les démonologues pour « démontrer » la possession démoniaque était en effet, depuis au
moins la fin de l’époque médiévale, la pratique de « langues inconnues », expression
d’ailleurs ambiguë pouvant recouvrir aussi bien des langues existantes non connues de
ceux qui les parlent que des langues humainement incompréhensibles.
10 Cette ambiguïté, comme on le verra, se retrouve dans le parler en langues attribué à
l’inspiration de l’Esprit-Saint. En effet, le terme de glossolalie recouvre le plus souvent
aussi bien l’usage sous l’action de l’Esprit de langues étrangères non connues du locuteur
que la profération de formes linguistiques, parlées, chantées ou criées, irréductibles aux
langues humaines connues. Pour distinguer ces deux types de parler en langues, certains
auteurs, en particulier dans la tradition des Réveils pentecôtistes et dans le catholicisme
charismatique, réservent le vocable de glossolalie (un terme qui apparaît au XIXe siècle)
aux seules performances en langues « inconnues » et celui de xénolalie à la profération
d’énoncés en des langues existantes mais non connues des personnes qui s’expriment
sous l’inspiration du Saint-Esprit. Dans l’un et l’autre cas, l’ignorance et incompréhension
de la langue par celui qui la parle (mais surtout par celui qui l’entend) peut représenter
naïvement le signe de son origine surnaturelle. Cependant, se pose le problème de la
distinction entre le parler en langues inspiré par Dieu de celui suggéré par le démon et,
enfin, de l’identification d’autres causes possibles purement humaines (simulation,
emprise collective, transe, voire maladie mentale). Dans le cadre de la théologie du retour
des dons apostoliques où s’affirme la glossolalie comme expression de l’Esprit Saint, deux
autres dons ou charismes apostoliques sont alors requis pour résoudre ce problème, en
référence au texte paulinien qui fait autorité en la matière (1 Corinthiens 12, 4-11) : le don
d’interprétation du parler en langues, mais aussi et surtout celui du discernement des
esprits.
11 Pour la démonologie, il arrivait en outre que le démon, dans la possession, produise, en
relation ou non avec des émissions en langues, l’apparence d’une parole prophétique qui
se révèle fausse et trompeuse, sauf lorsque, comme cela se vérifie dans toute une série de
cas de possession du début de l’époque moderne, le diable lui-même devient l’instrument
de la parole divine et entreprend de prêcher et de convertir5. C’est durant les exorcismes
que les démons déclarent être les instruments de la parole divine, comme le fait le démon
Verrine, qui possède l’Ursuline Louise Capeau, lors de l’affaire Gaufridy (1610-1611). Ainsi,
dans la pratique même des exorcismes, et bien au-delà des cas de possession « avérée »,
face à la production d’énoncés prophétiques, la question du discernement des esprits ne
manquait-elle pas de se poser, aussi bien dans le contexte de la Réforme que du
catholicisme.
12 Notre objectif n’est pas ici de nous intéresser à la question de la prophétie proprement
dite, habituellement distinguée, sur la base du texte paulinien (1 Corinthiens 14), du parler
en langues présenté comme une louange à Dieu inspirée par le Saint-Esprit, et non
comme une prophétie6. Cependant, dans les textes bibliques eux-mêmes et leurs gloses,
comme dans les témoignages dont nous disposons (tout comme d’ailleurs dans
l’observation des pratiques pentecôtistes contemporaines), les liens entre l’un et l’autre
don apostolique sont trop étroits pour que l’on puisse traiter de la glossolalie sans
s’intéresser simultanément à la prophétie ni, dans une moindre mesure, aux autres dons
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de l’esprit tels que les énumère l’épître de Paul (1 Corinthiens 12, 4-11) immanquablement
mobilisés dès lors qu’il est question de glossolalie : « parole de sagesse », « parole de
savoir », foi, don de guérison, miracles, interprétation du parler en langues et
discernement. Mais parler en langues et prophétie entretiennent des relations
particulièrement étroites ; après avoir insisté sur la supériorité de la prophétie (qui édifie
l’Église) sur le parler en langues (parole de louange qui n’édifie que celui qui parle), Paul
déclare qu’une fois interprété par qui reçoit le don d’interprétation, le parler en langues
peut à son tour édifier les fidèles et, comprend-on, être considéré alors comme
prophétique. La question de l’interprétation est donc également incontournable. Mais le
discernement des esprits est l’instrument nécessaire à l’authentification de l’origine
divine de tous les dons. Évidemment, en tant que le don est autoproclamé, il est lui-même
fatalement sujet à caution, d’où le long travail théologique pour en faire un « art » ou
« science » (Bona), un savoir acquis et non plus un don réputé pour sa rareté. C’est ce
charisme et ce savoir spécifique qui a pour nom, dans la théologie médiévale et moderne
de discretio spirituum7.
13 Il faut également prendre en compte la tradition qui s’impose dans la plupart des
confessions chrétiennes – et tout particulièrement d’ailleurs dans les Églises réformées
elles-mêmes – selon laquelle une partie des dons octroyés aux disciples lors de la
Pentecôte – et en particulier celui des langues – ne furent accordés qu’aux
commencements du christianisme et réservés aux seuls apôtres du Christ8, ou bien sont-
ils devenus très rares, exceptionnels, le commun des religieux et des fidèles en étant
absolument dépourvu. Cela semble particulièrement le cas des élocutions en langues non
connues du sujet, immanquablement considérées dans les traités de démonologie 9, tout
comme dans les écrits de théologie portant sur le discernement des esprits et dans le
Rituale romanum (1614), comme un signe de possession démoniaque, sans que ne soit
seulement posée la question d’une effusion du Saint-Esprit, du moins dans la littérature
que nous avons pu parcourir.
14 Tout à la fois, la présence exceptionnelle de l’un ou l’autre don apostolique est pourtant
affirmée pour maintes figures de sainteté, en particulier la guérison et la thaumaturgie,
mais on y trouve aussi indiqués le don de prophétie et bien sûr celui des langues, souvent
conçu avec des visées missionnaires de conversion et d’édification (voir la vie de saint
François Xavier, mais la liste serait longue, en partant de saint Pacôme jusqu’à saint
Pierre d’Alcantara et saint François Solano10), ou bien comme attestation de l’authenticité
des effusions mystiques féminines (Elisabeth von Schönau, Catherine de Sienne
[Sluhovsky 2007, p . 185 et 306]). On remarquera cependant que, sauf exception (Elisabeth
von Schönau), il s’agit de saint(e)s canonisé(e)s, et pour lesquels l’origine divine des dons
ne saurait laisser place désormais au moindre doute. Ajoutons que cet état d’inspiration
supposé s’accompagne dans les récits de la compréhension par les locuteurs de leur
propre discours (sans connaître au préalable la langue dans laquelle ils parlent, ils y
expriment ce qu’ils veulent dire, pour convertir les païens par exemple) et se distingue
généralement de l’expérience du glossolale prononçant un discours qui s’impose à lui et
qu’il ne comprend généralement pas lui-même.
15 Ce n’est que dans cette situation, lorsque des simples fidèles et pasteurs produisent des
énoncés en langues étrangères non apprises ou en langues inconnues, en leur donnant
comme origine l’œuvre du Saint-Esprit, que la question du discernement se pose et en fait
s’impose. On peut constater que ces phénomènes, comme phénomènes individuels et
collectifs intégrés à des mouvements de renouveaux dissidents, apparaissent en un temps
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de crise radicale de la démonologie, à partir du XVIIIe siècle seulement. Pour que des
performances en langues inconnues des locuteurs ne soient plus presque
systématiquement interprétées comme signes de possession diabolique, et qu’elles
puissent être envisagées comme un signe opposé d’effusion de l’Esprit-Saint, il fallait sans
doute qu’un fort déficit d’autorité frappât le discours démonologique « classique ».
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supposa être un dialecte hébreux [Bonnaire 1733, p. 108 ; Laborie 2015, p. 82]. Les
critiques des French Prophets et de leurs nombreux disciples britanniques ne
manquèrent pas, les dénonçant comme des « fanatiques » et « enthousiastes », affligés de
troubles mentaux, comme des « imposteurs », mais aussi – avec plus ou moins de
conviction – comme des suppôts de Satan [Hutchinson 1709 ; Knights 2011, p. 212 ;
Sneddon 2017]. Certains de ces contempteurs des French Prophets ne manquèrent pas
d’utiliser la revendication du don des langues, comme une preuve de l’origine diabolique
de leur inspiration [Anonyme 1708].
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(puisque tel est toujours le cas dans le mouvement pentecôtiste) au sein même des
mouvements que l’on qualifie souvent de charismatiques.
26 Ainsi s’imposa-t-il avec une acuité toute particulière en contexte réformé dans les années
1830, aux membres de la congrégation dirigée par Edward Irving au sein de l’Église
d’Écosse (réformée), où le parler en langues joua un rôle crucial, aux côtés des dons de
prophétie et de guérison [Oliphant 1862 ; Stunt 2000 ; Pozzo 2013, p. 257-259]. Les
controverses intenses suscitées par Irving et ses disciples ne manquèrent pas de mobiliser
les précédents des Camisards et des French Prophets et l’on y ajouta une référence aux
Shakers qui dès la fin du siècle précédents, avaient aux États-Unis faits parler d’eux pour
leur prétendu don des langues16. Le phénomène du parler en langues se manifesta d’abord
en Écosse à Port-Glasgow, parmi les fidèles d’une église à laquelle Irving, pasteur très
renommé de la Caledonian Chapel de Londres, était lié, partageant avec le pasteur de
cette église les mêmes convictions millénaristes d’un retour des dons apostoliques : Mary
Campbell, une femme valétudinaire, en mars 1830, se mit à parler lors d’une réunion de
prières privée dans une langue inconnue, qu’elle identifia ensuite elle-même comme
étant celle des îles Palaos en Micronésie, et à prophétiser17. Immédiatement interprété
comme la manifestation du don des langues, l’événement fut suivi de la guérison
« miraculeuse » de Mary Campbell. Un groupe d’observateurs londoniens rapportèrent,
par la plume de l’avocat John Bate Cardale, le futur « premier apôtre » de la Catholic
Apostolic Church, qu’ils assistèrent trois semaines durant, le mois suivant, dans cette
église de Port-Glasgow, lors des réunions de prières, à la performance d’un homme, J. M’D
qui se mit à parler et à chanter un long moment en « une langue inconnue » et prophétisa
ensuite en anglais d’une « voix très forte », suivi de sa servante, qui fit de même, selon la
même succession de parler en langues et de citations bibliques parfaitement articulées les
unes aux autres18. Lors de ce séjour, les Londoniens ne virent pas moins de quatre
personnes bénéficier à leur tour du « don des langues »19.
27 Ce récit, publié en août dans la presse, fit la plus grande impression sur Irving qui, par
ailleurs, était un lecteur assidu du Théâtre sacré des Cévennes et des écrits prophétiques de
John Lacy, et sur certains de ses fidèles qui partageait le même intérêt pour le
renouvellement des charismes, bientôt rejoints par Cardale et sa famille, rejetés par leur
propre Église. La femme de Cardale se mit elle-même à parler en langues et à prophétiser
dès avril 1831, conformément au modèle écossais, lors des réunions de prières matinales.
Un homme, le maître d’école Edward Oliver Taplin, et deux autres femmes, Mrs Hall et
Smith, en firent de même. Les performances de Taplin semblent avoir été très
spectaculaires ; sa voix explosant dans un « stupéfiant et terrible fracas »20, alors que Mrs
Cardale chantait en langue inconnue. Irving insistait en effet sur le fait que les femmes
elles-mêmes pouvaient recevoir et donc devaient pouvoir exercer le double don de langue
et de prophétie. Mais l’exercice de ces dons, accueillis avec un très grand enthousiasme
– et une certaine inquiétude par Irving –, n’était pas autorisé par celui-ci lors du culte
dominical. Cependant, le 9 octobre 1831, ne pouvant résister, Mrs Hall courut dans la
sacristie, au milieu du culte, pour laisser échapper une bruyante effusion en langue
entendue de tous qui provoqua le plus grand émoi du millier de fidèles présents 21. Irving
concéda finalement l’expression de ces dons durant l’office, en les limitant toutefois à
deux séquences par service et à condition que les effusions en langues soient suivies d’un
discours intelligible en anglais.
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pouvoir de l’inspiration, et les prophéties qu’il avait faites sur son propre sort (de délivrer
un message et d’être jeté en prison), ne se réalisèrent pas. Il en fut extrêmement troublé,
raconte-t-il, et un énoncé prophétique d’Emily Cardale, une sœur de John Bate Cardale, le
mit sur la voie d’un renversement total de jugement : « C’est le discernement – c’est le
discernement dont tu manques : cherche-le, cherche-le » [Baxter 1833, p. 26]24.
33 Quelques temps auparavant, Irving lui-même avait manifesté auprès de lui des doutes sur
la nature de ses prophéties qu’il jugeait pourtant tant admirables [Baxter 1833, p. 20].
Après mûres réflexions, raconte Baxter, il fut convaincu que les mêmes personnes ne
pouvaient tantôt être visitées du Saint-Esprit et tantôt possédées et qu’en fait toutes les
expressions en langues inconnues et toutes les prophéties étaient fausses – les siennes
propres comprises – et toutes suggérées par le démon [p. 135]25. Le parler en « langue
inconnue » n’était pas du tout une langue, mais « une simple collection de mots et de
phrases » [p. 135]26. L’Église où s’affirmait le retour des dons de l’esprit était devenue à ses
yeux la scène d’une mystification diabolique et de nombreux contempteurs d’Irving, mort
prématurément en 1834, ne manquèrent pas (jusqu’à nos jours27) de lui emboîter le pas
[par ex. Goode 1834]. Cette diabolisation littérale de l’irvingisme, cela mérite à peine
d’être précisé, restait cependant une opinion fort minoritaire, face à l’affirmation des
explications purement rationnelles, mettant en cause soit l’honnêteté des personnes
« douées », soit leur bonne santé mentale.
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35 Le pasteur méthodiste Charles F. Parham fut sans doute le premier à concevoir le don du
parler en langues comme le signe certain du baptême du Saint-Esprit28. Telle est l’idée
qu’il communique à ses élèves de l’école biblique qu’il dirige à Topeka (Kansas), appuyée
sur le commentaire des textes testamentaires (Marc, 16. 17 ; Actes 2 et Actes 10. 45-47 ; 1
Corinthiens 14) et en se référant explicitement à un cas récent : celui de Jennie Glassey
dans le Missouri qui se destinait au travail missionnaire et se mit à parler une nuit de
1895 sous « l’emprise de l’Esprit » une langue africaine, mais aussi, par la suite, « grec,
français, latin, hébreu, japonais, chinois et plusieurs dialectes africains », selon le rapport
qui en fut fait et que Parham contribua à diffuser29. Mais ce cas n’était-il pas perçu comme
un apax, d’autres auraient pu être cités, dont ceux gênants (et donc tus!), mais de
notoriété publique, des Mormons, sans parler du souvenir vivant des Camisards, des
French Prophets et des Irvingites30.
36 A la lumière du cas de Glassey, Parham envisage le parler en langues exclusivement, au
moins en un premier temps, comme xénolalie, la pratique spontanée de langues
étrangères non apprises, avec une double finalité apologétique et missionnaire. Le don
des langues est à la fois signe de l’action présente de l’Esprit, preuve à la face du monde
(des croyants, comme des incroyants qui vont « reconnaître » leurs propres langues dans
la bouche de ceux qui ne les connaissent pas), de la puissance de Dieu (le parler en
langues est un miracle continué pour ceux que Dieu a choisi comme apôtres) et
instrument économique de la conversion des peuples en leurs propres langues sans
nécessité d’apprentissage. Il dira plus tard qu’il pensait depuis longtemps que si l’ânesse
de Balaam s’était montrée capable de sermonner le « premier prédicateur » vénal en
arabe (« the junk of all languages » !), il n’y avait pas de raison pour que les missionnaires
d’aujourd’hui ne soient suffisamment « malins pour laisser Dieu utiliser leurs langues et
leurs gorges »31.
37 C’est ainsi que, selon le récit (re)construit par Parham lui-même, les trois jours
précédents le premier de l’an 1900, alors qu’il avait demandé à ses étudiants de réfléchir,
selon ses propres mots, à « l’évidence biblique du baptême du Saint-Esprit de sorte que
nous puissions aller au devant du monde avec quelque chose qui soit indiscutable parce
qu’absolument conforme à la Parole », à son grand étonnement, tous déclarèrent que la
« preuve indiscutable en toute occasion » était le parler en langues32. Le soir même, nuit
de la Saint-Sylvestre, l’une de ses étudiantes, Agnes Ozman, le pria de lui imposer les
mains et, saisie par l’Esprit, se mit à parler une langue étrangère, rapidement identifiée à
du « chinois », puis « à l’écrire », incapable « pendant trois jours », ajoute-t-il, « de parler
anglais »33. Ozman est ainsi souvent considérée, aujourd’hui encore, comme la première
personne du « réveil » pentecôtiste américain ayant parlé en langues.
38 Le 3 janvier suivant, Parham trouva ses étudiants, qui priaient dans la pièce élevée de
l’école de Topeka (double littéral de la « chambre haute » qui accueillait les apôtres le
jour de la Pentecôte) nimbés d’une lumière surnaturelle, priant et parlant en langues ; on
lui dit même que des langues de feu avaient été aperçues sur leurs têtes34. Ainsi
l’expression de « nouvelle Pentecôte » est-elle à prendre au pied de la lettre : revival,
réveil renouvellement des dons apostoliques pour la fin des temps (guérison, prophétie,
etc.), le don des langues étant présenté comme attestant de manière irréfutable
l’authenticité de cette restauration35. Ce soir là, Parham lui-même, qui implorait la grâce
du don, se mit à parler en une langue qu’il dit être le suédois ; ses effusions en plusieurs
langues étrangères inconnues de lui durèrent toute la nuit36.
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Le don des langues est donné avec la commission, « allez par tout le monde et
prêchez l’Évangile à toute créature ». Le Seigneur a donné des langues au non
lettré : grec, latin, hébreu [on remarque la persistance du prestige des langues
sacrées dans ce contexte pourtant de réforme radicale !], français, allemand, italien,
chinois, japonais, zoulou et langages d’Afrique, hindi, bengali et dialectes d’Inde,
chippewa et autres langues des Indiens, esquimau, le langage des sourds-muets et,
en fait, l’Esprit saint parle toutes les langues du monde à travers ses enfants. 43
44 Des missionnaires, pour l’Afrique, l’Inde, l’Europe, il y en eut, l’expansion mondiale du
pentecôtisme commença très tôt et fut très rapide, mais ils durent déchanter quant à ce
qu’ils pensaient être l’immédiate intelligibilité de ces langues qu’ils ne connaissaient pas,
identifiées le plus souvent par des tiers [Espinosa 2009, p. 37 ; Espinosa 2014, p. 62 et 86 ;
cf Anderson 1992, p. 15-20].
45 Seymour reconnaît aussi la fréquente manifestation, à Azusa Street, de pures glossolalies
inintelligibles, impossibles à confondre avec de véritables xénolalies. Si ces parlers ne
sont pas interprétés par ceux qui les profèrent, ces derniers, dit-il, n’édifient qu’eux-
mêmes et non l’église, et il insiste en outre sur la nécessité de conserver ordre et décence,
fidèle en tout cela à la lettre du texte paulinien44. Il est même à désirer, dit-il, qu’une seule
personne à la fois parle en langues dans l’assemblée, sauf, admet-il, lorsque « Dieu envoie
une vague de l’Esprit sur les saints » [The Apostolic Faith, octobre 1907-janvier 1908 in
Espinosa 2014, p. 198]. Le pasteur en exercice ne saurait en tout cas se laisser aller à des
effusions en langue inconnues dans l’exercice public de son ministère [Doctrines and
discipline (1915), in Espinosa 2014, p. 235].
46 Ce que The Apostolic Faith ne met cependant guère en avant est la présence massive à
Azusa Street, attestée par nombre de témoins, des effusions en pseudo-langues, parfois
simples répétitions de syllabes et de sons, accompagnées de cris, de transes, de postures
et de gestes que beaucoup jugent à l’époque inconvenants et déplacés.
47 Le spectacle de ces « excès » scandalise en particulier Parham lors de sa visite à Los
Angeles en octobre 1906 et une partie de ce à quoi il assiste n’a en effet pour lui rien à voir
avec une authentique expression en langues ; « il en est beaucoup à Los Angeles qui
chantent, prient et parlent merveilleusement en d’autres langues, et il y a ici du charabia
qui n’est pas du tout langues »45. Ses descriptions, biaisées par son racisme effréné46 (il
dénonce par exemple la promiscuité érotique des femmes blanches et des hommes noirs
dans les moments de transes [Espinosa 2014, p. 386-387]) et par son ressentiment face au
succès de Seymour, sont hautes en couleurs : Parham évoque les « orgies religieuses,
scènes surpassant le culte au démon ou aux fétiches », qui prennent place dans « la salle
du haut » (ici aussi en témoignage de la « chambre haute » à Jérusalem le jour de la
Pentecôte)47 ; « on aboie comme des chiens, on pousse des cris de coqs... transes,
tremblements, éructations et toutes sortes de contorsions charnelles avec tics chevalins
et charabia »48.
48 Il y voit des manifestations liées aux pratiques contemporaines de spiritisme, de
mesmérisme et d’hypnose, à travers lesquelles à ses yeux, le démon n’est jamais loin,
même s’il se garde de tout réduire à des phénomènes de possession. « J’y ai trouvé des
influences hypnotiques, des influences d’esprits familiers, des influences mesmériennes,
et toutes sortes de sortilèges, spasmes, transes, etc., toutes choses étrangères et
inconnues dans le mouvement hors de Los Angeles »49. Pour Parham, rien de tout cela ne
peut être mis sur le compte de l’inspiration divine : « L’Esprit saint ne fait rien de contre
nature ou d’incorrect et l’exercice forcé du corps, de l’esprit ou de la voix, ne saurait être
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n° 2 in Espinosa 2014, p. 170]. Aussi engage-t-il les fidèles à désirer non le parler en
langues pour lui-même, mais le baptême du Saint-Esprit, qui ne manquera pas de se
traduire, de lui-même, sans effort et sans y penser, par l’expérience des langues [The
Apostolic Faith, mars 1907, in Espinosa 2014, p. 180-182].
52 Au fur et à mesure de l’expansion des Assemblées de Dieu fondées en 1914 et des
Assemblées pentecôtistes du monde (qui se donnent Seymour comme fondateur), la
question du discernement des esprits, dans la pratique des langues et dans la prophétie
comme dans les autres manifestations sensibles des fidèles, ne cessera de revenir – et elle
ne saurait en effet d’aucune façon être évacuée. La meilleure réponse, sinon théorique, en
tout cas viable, concrète, engagée dans les pratiques, est celle de la normalisation et
codification, qui ne pouvait pas ne pas suivre l’institutionnalisation des formes
d’expression en langues et, subsidiairement, de la prophétie. Bien que Seymour, comme
Parham, ait mis en avant la pratique de la xénolalie, celle de la glossolalie, beaucoup plus
instable et disruptive, oscillant entre le cri, les allitérations et la profération de langues
inconnues articulées, ne fut nullement diabolisée comme telle et sans doute ne le pouvait-
elle pas, du fait de sa popularité et – il faut bien le dire – des échecs patents de la xélolalie
missionnaire (le fait, très difficile et presque impossible à reconnaître par les Églises
pentecôtistes, que la xénolalie proprement dite n’existe pas et qu’elle ne présente au
mieux que de vagues ressemblances avec quelques traits phonétiques des langues
prétendument parlées), mais elle fut et reste plus ou moins sévèrement encadrée et
normée lors des réunions et des cultes, limitée dans le temps et accompagnée d’une
syntaxe stabilisée de postures et de substances d’expression, bien que très variable selon
les Églises.
53 Il n’en demeure pas moins que le vieil adage selon lequel le démon se fait passer pour un
ange de lumière continue à travailler le pentecôtisme. Cela est même fatal : vu
l’importance donnée à la présence active du malin, proprement obsessionnelle en
certaines Églises, le soupçon de sa présence dans les voix en langues ne sauraient être
tout à fait éliminé. Certes le désordre du corps, les cris, les mimiques peuvent laisser
soupçonner que le diable pousse sa corne, mais tous ces signes restent foncièrement
ambigus, même si la codification des pratiques de « délivrance » (tel est le mot pour
désigner l’exorcisme dans le pentecôtisme) vise également à opérer une claire
différenciation entre effusion du Saint-Esprit et possession. Quoi qu’il en soit, il n’existe
pas de critère simple et univoque pour déceler une opération démoniaque dans des
effusions en langues suspectes. Si par exemple la fausseté des prophéties révèle, certes
toujours a posteriori, l’oeuvre du démon (voir supra), il n’existe rien de tel pour le parler
en langue, même interprété (car il est alors toujours possible de dire que l’interprétation
est fausse et non les énoncés du glossolale). C’est pourquoi du reste le don charismatique
du discernement reste si important, car les ministres qui pratiquent « les délivrances » se
doivent d’en être les dépositaires.
54 Mais le discernement, depuis les débuts du mouvement, est aussi associé à la non
réductibilité de toute forme de falsification des dons charismatiques à la possession
démoniaque pure et simple. Bien souvent, la seule faiblesse humaine, la « chair » du
péché de la tradition augustinienne, est seule invoquée, qu’il s’agisse d’une simulation
plus ou moins consciente ou inconsciente. Parham parlait déjà de « manifestations de la
chair » pour stigmatiser les excessives glossolalies d’Azusa Street. Un théologien
pentecôtiste contemporain, Larry V. Newman, qui renvoie justement à Parham, écrit qu’il
serait absurde de ramener toute fausse manifestation glossolalique au démoniaque :
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« l’âme humaine » (soulishness), c’est-à-dire « la chair » (flesh), est tout à fait capable
d’imiter le Saint-Esprit dans la production de parler en langues. « Cela peut arriver dans
le cadre d’une vie de croyant pentecôtiste et de notre culte communautaire […]. Cette
vérité est une chose relative à notre croyance au sujet du Saint-Esprit, dont nous,
pentecôtistes, sommes conscients et que nous devons accepter »53. La chair du péché n’est
l’expression du démon que de manière indirecte et cette appréhension permet de
dédramatiser le doute inhérent aux expressions en langues, concernant la présence
effective du Saint-Esprit. Ce doute est inévitable, malgré l’invocation sans cesse réitérée
de l’expérience, comme contenant en elle-même son propre critère d’évidence et de
certitude. Les fidèles pentecôtistes savent en fait très bien que les phénonèmes
glossolaliques peuvent être imités et que la simulation en fait est aussi une voie possible
pour tenter, non pas le diable mais le Saint-Esprit ; même s’il est difficile d’obtenir de tels
aveux, l’adoption initialement volontaire d’un comportement mimétique peut conduire à
la déprise et à la conviction d’une expérience d’emprise de l’Esprit. Au fond Parham lui-
même tournait autour de cette idée lorsque, tout en dénonçant les glossolalies
« contrefaites », il évoquait les impressions du Saint-Esprit dans le subconscient qui
prépare à la communication directe et immédiate avec la divinité (voir supra, n. 81).
D’ailleurs, il nous semble assez révélateur que dans les réunions pentecôtistes, certains
pasteurs, au moment où, après le prêche, en engageant les fidèles à la prière de louange,
et en accompagnant les effusions individuelles et collectives qui conduisent à l’expression
des parler en langues, vont répétant des énoncés comme : « aujourd’hui, c’est pour de
vrai ; aujourd’hui ce n’est pas de la simulation ! »54. Cela est clairement dû au fait de
l’importance déterminante de l’imitation chez la plupart des glossolales, comme l’ont
montré les travaux de psychologie qui considèrent le parler en langues comme une
conduite acquise (learned behaviour)55.
55 Il faudrait entrer ici dans des considérations plus approfondies sur le lien entre
acquisition, mimétisme et simulation en tenant compte de ces travaux, mais nous
sortirions de notre propos qui se limitait à montrer comment, à travers quelques uns des
moments majeurs de l’histoire moderne du parler en langue, se posait la question du
discernement des esprits. Ce qui revient à se demander du reste comment le diable lui-
même a survécu, dans l’ombre de l’Esprit-Saint, à toutes les mises en cause de
l’authenticité des phénomènes de possession, ce discours critique qui se développe dès le
début de l’époque moderne. D’une part, force est de constater que Satan a très bien
supporté le choc de tous les discours de rationalisation, tant sa présence hante la grande
vague de christianisme évangélique et charismatique qui s’est aujourd’hui répandue sur
toute la surface du globe. Aussi, dans ce mouvement, le discernement des esprits, comme
don charismatique et non plus comme science acquise, est-il toujours d’actualité. D’autre
part, nous pouvons constater que le diable doit composer, au sein même de ce
mouvement, avec les explications rationnelles qui s’imposent partout : en particulier
l’invocation de la simulation, de l’autosuggestion voire de pathologies mentales. Certes, il
est toujours possible d’affirmer – et l’on ne s’en prive pas – que derrière la maladie et à la
source de la simulation, le démon est bien toujours à la manœuvre. Mais il est très
différent de soutenir que le diable lui-même parle à travers l’organe du possédé,
éventuellement en simulant les voies (et les voix) du Saint-Esprit (le diable étant le
simulateur par excellence) et d’assurer qu’il est le responsable, en dernier recours, des
faiblesses et pathologie de la chair dans la production de parlers en langues artificieux.
ThéoRèmes , Anthropologie
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NOTES
1. Pour des descriptions et analyses serrées de la glossolalie pentecôtiste, voir Samarin [1972] et
surtout Goodman [1972]. Voir également l’étude tout à fait indépendante des précédentes,
consacrée à une église parisienne, Dubleumortier [1997]. Voir également : Fancello [2009].
2. Également Certeau [2013, p. 337-357]. Voir, pour l’approche linguistique, la mise au point de
Courtine [2000, p. 397-408].
3. Pour une approche historique et théorique générale de la glossolalie, voir Pozzo [2013]. Pour
une approche anthropologique, hélas datée, des glossolalies religieuses non chrétiennes voir les
travaux, Carlyle May [1956]. Aussi Jennings [1968].
4. Voir au moins l’article, bien documenté mais émique, de Vogel et Scott [1993].
5. Ce fut tout particulièrement le cas dans l’affaire Gaufridy et Demandols au début du XVIIe
siècle. Voir Fanlo [2017] ; Fragonard [2009] et Houdard [à paraître].
6. « En effet, celui qui parle en langue ne parle pas aux hommes, mais à Dieu, car personne ne le
comprend, et c’est en esprit qu’il dit des mystères. Celui qui prophétise, au contraire, parle aux
ThéoRèmes , Anthropologie
Les langues du Saint-Esprit 22
hommes, les édifie, les exhorte, les console. Celui qui parle en langue s’édifie lui-même ; celui qui
prophétise édifie l’Église. Je désire que vous parliez tous en langues, mais encore plus que vous
prophétisiez. Celui qui prophétise est plus grand que celui qui parle en langues, à moins que ce
dernier n’interprète, pour que l’Église en reçoive de l’édification », 14, 2-5, traduction Louis
Segond.
7. Parmi la centaine de traités consacrés au « discernement », voir en Bona [1673 ; 1675]. Pour la
littérature consacrée au discernement des esprits est abondante, voir Caciola [2003] ; Mangano
[2017] ; Sluhovsky [2007] ; Copeland et Machielsen [2012] ; Caciola et Sluhovsky [2012].
8. Dans le calvinisme orthodoxe, ce que les Évangéliques nomment cessationisme, est très
clairement affirmé dès le début du mouvement. Voir surtout Calvin, Institution de la religion
chrétienne, liv. IV, chap. 19. Dans le monde catholique, voir, à titre d’exemple le jésuite Richeome :
« ... le don des langues, [...] dura seulement quelques années après lesquelles il finit du tout [c’est-
à-dire « complètement »]... », [Richeome 1628, p. 32]. Les sept dons de l’esprit prophétisés par
Isaie (11, 2), toujours actifs parmi les chrétiens, sont la sagesse, la science, La force, le conseil, la
piété et la crainte (références médiévales majeures : Bonaventure, Des Sept dons du Saint Esprit
[Bonaventure 1997] et Thomas d’Aquin, Somme Théologique, IIa, IIae).
9. Par exemple, parce que d’usage très intense (14 réédition entre XVI e et XVIIe siècle), le manuel
de Menghi [1577, liv. I, chap. 2] et de même, Guazzo [1608].
10. « Ce fut alors proprement que Dieu communiqua la première fois à Xavier le don des langues
dans les Indes, au rapport d’un jeune Portugais de Coimbre nommé Vaz [...]. Le saint homme
parlait très bien le langage de ces barbares, sans l’avoir appris ; et, pour les instruire, il n’eut pas
besoin de truchement » [Bouhours 1683, p. 115].
11. Par exemple le témoignage de Jean Vernet au sujet de sa propre mère : « Elle ne parlait que
François, pendant l’Inspiration ; ce qui me causa une grande surprise la premier fois que je
l’entendis ; car jamais elle n’avait essayé de dire un mot en ce language, ni ne l’a jamais fait
depuis, de ma connaissance ; Et je suis assuré qu’elle ne l’aurait pu faire, quand elle l’aurait voulu.
Je puis dire la même chose de mes soeurs... », [Misson 1707, p. 14].
12. Voir Lacy [1707, p. IX-XI]. Ces pages sont bien résumées en français dans les Nouvelles de la
République des Lettres de septembre 1707 : « Ce qui l’a le plus frappé, c’est de voir, que dans les
extases, il a parlé des Langues, comme le Grec & le Latin, dont il a eu dans sa première jeunesse
les premiers principes, mais qu’il lui seroit impossible de parler ou d’écrire hors de ces agitations,
comme il fait, lorsqu’il en est saisi. Il dit même, qu’il se sert souvent de phrases & de mots de sa
propre Langue qui lui étoient inconnus, jusqu’à ce qu’il les prononçât dans ces circonstances.
Toutes ces merveilles l’ont convaincu, que c’étoit le bras de Dieu, qui opéroit en lui, & que ce sont
les arrhes de quelque chose d’encore plus grand que le S. Esprit lui a promis. », p. 333.
13. « Mais que signifie ce signe ? Il n’est que trop visible que c’est un signe de colère : c’est un
signe par lequel Dieu manifeste aux hommes qu’il a résolu de cacher sous un sçeau
presqu’impénétrable les vérités qu’il leur fait annoncer, parce qu’ils se sont rendus indignes de
les connoître : c’est un signe que Dieu veut traiter aujourd’hui la plus grande partie de la gentilité
comme il faisoit autre fois les Israëlites » [Carré de Montgeron 1737, p. 55].
14. Voici comment sont présentés par exemple les « Convulsionnaires des Cévennes » dans un
pamphlet de l’époque : « On en trouvoit un grand nombre qui sans aucune instruction, sans
éducation, sans lumiere, ne pouvant parler ordinairement que leur langage & leur jargon & leur
patois, s’énonçoient dans le tems de ce qu’ils appelloient l’Inspiration, dans les termes les plus
éloquens, disoient les choses les plus sublimes, & citoient très-à-propos les divines Ecritures »
[Anonyme, 1737, p. 83]. La confrontation avec les French Prophets et leurs disciples (Lacy en
particulier) parcourt l’ensemble de l’ouvrage de Bonnaire 1733.
15. « Praecipui possessionis caracteres, ignotam [en fait le Rituel romain, qui est ici la référence, dit
peregrinam, c’est-à-dire étrangère] linguam intelligere, ignoto idiomate loqui, maxime si energumenus
ThéoRèmes , Anthropologie
Les langues du Saint-Esprit 23
longam seriem verborum proferat, et de rebus quae praevidere non potuit aptè respondeat… » [Anonyme
1733].
16. Voir par exemple James Leslie, qui cite un ensemble de textes à ce propos en appendice de
Leslie 1832 ; en particulier un texte très intéressant sur les Shakers [Dwight 1822, p. 160-1] daté
du 19 septembre 1799. Voir, sur les Shakers, Garrett [1998].
17. « When in the midst of their devotion, the Holy Ghost came with mighty power upon the sick
woman as she lay in her weakness, and constrained her to speak at great length and with
superhuman strength, in an unknown tongue, to the astonishment of all who heard, and to her
own great edification and enjoyment in God; `for he that speaketh in a tongue edifieth himself.’
She has told me that this first seizure of the Spirit was the strongest she ever had, and that it was
in some degree necessary it should have been so, otherwise she would not have dared to give way
to it. » [Irving 1832a, p. 6].
18. « He then, in the course of prayer, and while engaged in intercession for others, began
speaking in an unknown tongue; and after speaking for some time he sung, or rather chaunted,
in the same tongue. He then rose, and we all rose with him; and, in a very loud voice and with
great solemnity, he addressed us in the same tongue for a considerable time: he then, with the
same loudness of voice and manner, addressed us in English, calling on us to prepare for trial, for
we had great trials to go through for the testimony of Jesus; to crucify the flesh; to lay aside
every weight; to put far from us our fleshly wisdom, power, and strength; and to stay us in our
God. After he had concluded, a short pause ensued when suddenly the woman-servant of the
M’D.’s arose and spoke (for a space of, probably, ten minutes) in an unknown tongue, and then in
English: the latter was entirely from Scripture, consisting of passages from different parts, and
connected together in the most remarkable manner. », The Morning Watch, vol. 2, n° iv, août 1830,
p. 869-873.
19. Dans une brève apologie pour le parler en langue (une réponse aux premières critiques
émises, en Juin 1831 dans The Edinburgh Review, vol LIII, n° CVI) publié en 1831 il est fait état de 15
personnes de la communauté écossaise pratiquant la glossolalie. Ce fascicule rapporte en outre
un exemple de glossolalie [McKerrell 1831].
20. « … it burst forth from the former with astonishing and terrible crash, so suddenly, and in
such short sentences, that I seldom recovered the shock before the English commenced », écrit
Pilkington. Au mot de « crash », il joint une très intéressante note : « The word Crash is
descriptive of his voice, not only by its meaning, but by its sound ; and without intending to say
there was a monotony in all his utterances, I think the reader may form some idea of the sound
with which the Tongue was delivered by him, if Cras-cran-cra-crash were uttered with a sudden
and rapid vociferation » [Pilkington 1831, p. 5-6].
21. Lire le récit d’une très grande vivacité de George Pilkington, qui parle de 1500 à 2000
personnes [Pilkington 1831, p. 10-11].
22. « … he was too rational a man for them, since he discovered a part of their system for the
fabrication of an unknown tongue, by the huddling together words from different languages »,
The Monthly Review, Volume 127, I, janvier-avril 1837, p. 36.
23. Du moins selon le récit de Baxter : « A man, a stranger to the Scotch Church, came up from
the country and spoke in a power in the midst of the congregation. He was rebuked either by Mr.
Irving or one of those speaking in the Spirit. Afterwards, being called into the vestry, Mr. T.
[Taplin], one of the gifted persons, with Mr. Irving, reasoned with him, to show him, from the
nature of his utterance, that the power could not be of God. The man was obstinate, and would
not yield, when suddenly Mr. T. was made to speak to him in an unknown tongue, in a tone of
rebuke, and the man fell down upon ground, crying for mercy. Afterwards he went to two others
of the gifted persons at their own houses ; and, wishing to come in and speak to them, he was
again rebuked in the power ; and, as if by force of the word, was cast down upon the ground,
ThéoRèmes , Anthropologie
Les langues du Saint-Esprit 24
foaming and struggling like a bound demoniac. The gifted persons were then made to pray in the
power to him, and, after a short interval, he became calmed and went away » [Baxter 1833, p. 26].
24. « It is discernment – it is discernment ye lack : seek ye for it – seek ye for it ».
25. « Indeed, the whole work is a mimicry of the gifts of the Spirit – the utterance, in tongues, a
mimicry of the gift of tongues – and so of the prophesyings, and all the other works of the power.
It is Satan, as an angel of light, imitation, as far as permitted, the Holy Spirit of God… ». C’est là
tout l’objet de son propre ouvrage.
26. « A mere collection of words and sentences ».
27. Voir par exemple le site Blessed Quietness Journal où il est fait de la fausse prophétie, comme
Irving et Baxter du reste le disaient déjà, le signe de la présence du démon et qui à ce titre
considère qu’Irving était possédé ! http://www.blessedquietness.com/journal/housechu/
irving.htm
28. Voir sa biographie hagiographique écrite par sa femme Sarah [Parham 1930].
29. « Sister Glassey has at different times spoken while in the Spirit, in Greek, French, Latin,
German, Hebrew, Italian, Japanese, Chinese, and several African dialects, words and sentences
given her by the Holy Ghost. She has also written many letters of the Greek and Hebrew
alphabet. Words in as many as six of these languages have been recognized as such by one who
has studied classics, thus proving the genuineness of God’s gifts to our sister », Tongues of Fire, 15
juillet 1898, p. 107. « [She] received the African dialect in one night while in the Spirit in 1895,
but could read and write, translate and sing the language while out of the trance or in a normal
condition, and can until now. Hundreds of people can testify to the fact, both saint and sinner,
who heard her use the language. She was also tested in Liverpool and Jerusalem. Her Christian
experience is that of a holy, consecrated woman, filled with the Holy Ghost ». Récit dû à Parham
lui-même in The Apostolic Faith, mai 1899.
30. Il est frappant par exemple d’en trouver mention dans le premier numéro du bulletin de
Seymour en septembre 1906. Sur les antécédents des mouvements de revival aux États-Unis, voir
entre autres Taves 1999. Il ne faut pas oublier non plus l’expérience mormone, largement
occultée par le Réveil Pentecôtiste.
31. « I had felt years that any missionary going to the foreign field should preach in the language
of the natives. That if God ever equipped His ministers in that way, He could do it today. That if
Balaam’s mule could stop in the middle of the road and give the first preacher that went out for
money a ‘bawling out’ in Arabic [then] anybody today ought to be able to preach in any language
of the world if they have horse sense enough to let God use their tongue and throat… » [S.
Parham 1930, p. 51-52 ; C. Parham 1911, p. 67]. Voir à ce sujet Robinson [2014].
32. « Bible evidence of the baptism of the Holy Ghost that we might go before the world with
something that was indisputable because it tallied absolutely with the Word […] To my
astonishment they all had the same story, that while there were different things [which]
occurred when the Pentecostal blessing fell, that the indisputable proof on each occasion was,
that they spake with other tongues » [S. Parham 1930, p. 52].
33. Voir aussi le témoignage de Lilian Thistlewaite, demi-sœur de Parham : « One of the students,
a lady who had been in several other Bible schools, asked Mr. Parham to lay hands upon her that
she might receive the Holy Spirit. As he prayed, her face lighted up with the glory of God and she
began to speak with “other tongues”. She afterward told us she had received a few words while
in the prayer tower, but now her English was taken from her and with floods of joy and laughter
she praised God in other languages. There was very little sleeping among any of us that night.
The next day still being unable to speak English, she wrote on a piece of paper, “Pray that may
interpret” » [S. Parham 1930, p. 60-61].
34. « On returning to the school with one of the students, we ascended to the second floor, and
passing down along the corridor in the upper room, heard most wonderful sounds. The door was
slightly ajar, the room was lit with only coal oil lamps. As I pushed open the door I found the
ThéoRèmes , Anthropologie
Les langues du Saint-Esprit 25
room was filled with a sheen of white light above the brightness of the lamps. Twelve ministers
of different denominations, who were in the school, were filled with the Holy Spirit and spoke
with other tongues. Some were sitting, some still kneeling, others standing with hands
upraised. There was no violent physical manifestation, though some trembled under the power
of the glory that filled them. Sister Stanley, an elderly lady, came across the room as I entered,
telling me that just before I entered, tongues of fire were sitting above their heads. » [S. Parham
1930, p. 52-53]. Lire aussi le compte rendu dans The Apostolic Faith, le journal de Seymour, octobre
1906, p. 1 [Espinosa 2014, p. 305].
35. L’homologie avec les événements fondateurs du Renouveau charismatique catholique en 1967
à Duquesne est frappante. Il est évident que la naissance du mouvement pentecôtiste protestant
s’imposait comme un modèle y compris pour ces jeunes catholiques épris de charisme, mais on y
trouve la même dimension performative du récit de la Pentecôtes dans les Actes des Apôtres (soit
les fameuses paroles de l’enseignant témoin à Duquesne : « je n’ai pas besoin de croire en la
Pentecôte, je l’ai vue ». Voir le récit de Patti Mansfield [Mansfield 1992 ; Bergunder, Droogers,
van der Laan er Anderson 2010, p. 100].
36. « I said, “Lord, I will, if you will just give me this blessing.” Right then there came a slight
twist in my throat, a glory fell over me and I began to worship God in the Swedish tongue, which
later changed to other languages and continued so until the morning » [S. Parham 1930, p. 53].
37. C’est sur cet article synthétique que repose une bonne partie de nos informations sur
Seymour, ainsi que, du même, un ouvrage très complet et très utile pour sa richesse
documentaire [Espinosa 2014].
38. Sur les limites du « féminisme » de Seymour, voir Espinosa [2009, p. 107].
39. Mais voir surtout les très intéressants passages de la thèse de Charles Shumway, soutenue en
1914, témoin direct très critique des événements, A Critical study of ‘the gift of Tongues’ [Espinosa
2014, p. 311].
40. « After services, blacks, whites, Mexicans, Swedes, Irish, English, Russians, Armenians,
Chinese, South Asians, and other immigrants trod upstairs to the Upper Room where they sought
the baptism with the Holy Spirit, the gift of tongues, and spent more time in prayer and quiet
meditation – sometimes for days » [Espinosa 2014, p. 61]. Voir surtout, dans cet ouvrage, chap. 4 :
God makes no difference in color [p. 86 sq.]. Azusa « was a transgressive social space wherein racial-
ethnic minorities, women, the working class, and others could cross some of the deeply inscribed
unbiblical racial-ethnic, class, gender, and national borders and boundaries of the day » [p. 101].
41. « The Baptism with the Holy Ghost is a gift of power on the sanctified life; so when we get it
we have the same evidence as the Disciples received on the Day of Pentecost, in speaking in new
tongues. », The Apostolic Faith, septembre 1906, p. 2.
42. The Apostolic Faith, septembre 1906, p. 1-3.
43. « The gift of languages is given with the commission, "Go ye into all the world and preach the
gospel to every creature." The Lord has given languages to the unlearned Greek, Latin, Hebrew,
French, German, Italian, Chinese, Japanese, Zulu and languages of Africa, Hindu and Bengali and
dialects of India, Chippewa and other languages of the Indians, Esquimaux, the deaf mute
language and, in fact the Holy Ghost speaks all the languages of the world through His
children. », The Apostolic Faith (septembre 1906), p. 1.
44. Voir le long texte de Seymour à ce sujet in The Apostolic Faith, janvier 1907 [Espinosa 2014,
p.174-176]. Voir également le témoignage oral d’Arthur Osterberg (de 1966 !), qui affirme
l’efficacité des admonitions de Seymour : « We had very few loudly speaking tongues… Seymour
taught from the very beginning, « Let him who speaketh in tongues pray that he may interpret ».
That had a restricting influence upon these many women who wanted to get up and talk in
tongues in every Pentecostal meeting… » [Espinosa 2014, p. 320].
ThéoRèmes , Anthropologie
Les langues du Saint-Esprit 26
45. « They are many in LA who sing, pray and talk wonderfully in other tongues, as the Spirit
gives utterance, and there is jabbering here that is not tongues at all » [S. Parham 1930, p. 169 cf.
Taves 1999, p. 330 sq.].
46. Sur l’idéologie racialiste et raciste de Parham, intégrée à sa théologie, voir les textes cités par
Espinosa [2014, p. 380-381].
47. « … religious orgies outrivaling scenes in devil or fetish worship, took place in the upper
room », lettre de juin 1912 [Espinosa 2014, p. 385].
48. « barking like dogs, crowing like roosters, etc., trances, shakes, fits and all kinds of fleshly
contortions with wind-sucking and jabbering », lettre de juin 1912 [Espinosa 2014, p. 385].
49. « I found hypnotic influences, familiar-spirit influences, spiritualistic influences, mesmeric
influences, and all kinds of spells, spasms, falling in trances, etc. All of these things are foreign to
and unknown in this movement outside of LA », lettre de juin 1912 [Espinosa 2014, p. 382].
50. « The Holy Ghost does nothing that is unnatural or unseemly, and any strained exertion of
body, mind, or voice is not the work of the Holy Spirit, but of some familiar spirit, or other
influence brought to bear upon the subject » [Espinosa 2014, p. 383].
51. Article de Seymour, The Apostolic Faith, décembre 1906, n° 2, texte cité dans ce même ouvrage
[Espinosa 2014, p. 170]. Voir aussi ce qu’il dit dans son manuel pour la formation des ministres du
culte Doctrines and discipline (1915) [Espinosa 2014, p. 217].
52. L’expression de « fleshly demonstrations » lui est attribuée par un témoin [Espinosa 2014,
p. 328] et un autre (Rachel Sizelove) raconte qu’en certaines situations, Seymour venait frapper
sur l’épaule de l’orant en lui disant : « brother that is the flesh » [Espinosa 2014, p. 330].
53. « … this can occur within the framework of a Pentecostal believer’s life and our corporate
worship. […]. This truth is something that we Pentecostals are, indeed, aware of and that we must
come to terms with, relative to our beliefs about Spirit-baptism. » [Newman 2009, p. 7].
54. Ce second énoncé a été entendu de manière répétée par l’auteur dans des réunions de Vie et
Lumière, l’Église tsigan[e des Assemblées de Dieu.
55. Voir Gerlach et Hine 1968] ; Samarin [1968] ; Spanos et.al. [1986] ; Kildahl [1975].
RÉSUMÉS
Cet essai propose une mise en perspective historique des phénomènes de « parler en langue » et
de prophétie en contexte chrétien à l’époque moderne, depuis le XVIIe siècle (petits prophètes
cévenols) jusqu’aux Églises évangéliques du Réveil au début du XXe siècle aux États Unis qui ont
produit la matrice à la fois théologique et expériencielle de pratiques aujourd’hui répandues dans
les Églises pentecôtistes et charismatiques. Nous montrons que ces phénomènes posent d’une
manière particulièrement aiguë la question du discernement des esprits. D’autre part, sur un
autre plan, nous insistons sur la dimension sociale et politique de l’émergence de ces
phénomènes en termes de genre, de classes subalternes et de communautés en bute à une forte
discrimination.
This essay establishes a historical account of the phenomena of "speaking in tongues" and
prophecy in Christian context in modern times, since the seventeenth century (little prophets of
the Cévennes) to evangelical Churches of the Revival in the early twentieth century, in the
United States, that have create the theological and experiencial model of contemporary
Pentecostal and Charismatic Churches. We insist that these phenomena raise the problem of the
ThéoRèmes , Anthropologie
Les langues du Saint-Esprit 27
discernment of spirits. On another level, we insist on the social and political dimension of the
emergence of these practices in terms of gender, subordinate class and communities subject to
strong discrimination.
INDEX
Keywords : glossolalia, xenolalia, speaking in tongues, prophecy, Pentecost, charisma,
discernment of spirits, revival churches, Pentecostalism, possession, simulation, alienation
Mots-clés : glossolalie, xénolalie, parlers en langues, prophétie, Pentecôte, charismes,
discernement des esprits, Réveil, pentecôtisme, possession, simulation, aliénation
AUTEUR
JEAN-PIERRE CAVAILLÉ
EHESS
ThéoRèmes , Anthropologie