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LA PENSÉE PHILOSOPHIQUE

D’ALBERT CAMUS

« L’absence de Dieu » confrontée à l’idée


irréfutable de sa présence dans le monde

GANGNON Philippine Littérature et pensée philosophique


Máster de Français française au XXème siècle
Universidad Autónoma Patricia Martinez
Pour cette étude sur la pensée philosophique de l’écrivain Albert Camus (1913-1960),
nous aborderons l’idée de Dieu. Nous verrons comment Albert Camus appréhendait celle-ci
dans sa vie comme dans ses livres.

Il sera intéressant de constater que Camus se refuse à aborder le sujet « d’ existence de


Dieu », même s’il se considère étranger à toute religion, il ne veut réfuter l’existence de
quelque chose qui lui échappe et auquel tant de personnes, dans le monde, ont foi : « Je ne
puis nier une chose sans me croire obligé de la salir ou de retirer aux autres le droit d’y
croire »1

Avant d’étudier la pensée philosophique de Camus, il nous faut, tout d’abord,


connaître l’écrivain en tant qu’homme, savoir ce qui l’a mené sur la voie de la philosophie,
découvrir comment lui-même se décrivait : écrivain ? philosophe ? existentialiste ?

Une fois que nous connaitrons davantage le personnage qu’était Camus, nous nous
intéresserons à sa pensée et à comment il imprégnait ses œuvres littéraires de ses idées, ses
opinions.

Dans la première partie de notre analyse, sur la pensée philosophique de notre


écrivain, nous verrons ce que l’on pourrait décrire comme le leitmotiv de l’œuvre entière de
Camus : l’idée concernant « l’absence de dieu », ce silence dans l’univers, laissant tant de
questions sans réponses, cet écho sourd. Pour mieux comprendre cette idée d’absence, nous
étudierons l’opinion de Camus envers l’importance de la figure divine.

Dans une seconde partie, nous confronterons ce leitmotiv de « l’absence de Dieu » à


l’idée irrévocable de la présence de Dieu dans le monde. Nous verrons, comment Camus
décrit l’idée de Dieu comme un besoin de l’être humain.

Enfin, nous constaterons en quoi l’absence de Dieu, son silence, défini, pour Camus,
l’absurde, notion redondante dans ses œuvres. Nous analyserons également la sagesse de
Camus, le véritable mode vie qu’il propose à ses lecteurs pour faire face à la vie, à cet éternel
silence et à notre incontournable finitude, la mort.

En conclusion , nous verrons comment la philosophie de Camus prend place sur sa


littérature réduisant cette dernière à un simple support à son discours philosophique. Nous
terminerons en reconnaissant la tolérance de Camus face à quelque chose qui lui est
totalement étranger et en quoi il ne croit pas.

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1 Camus, Albert, Canigula, Obras, n°1, p.408 (acte ,3 scène 2, Spicion ).
Camus est un écrivain qui ne se laisse aisément enfermer dans des catégories, il refuse
les étiquettes. Même si, parfois, il est difficile de les éviter.

Voyons l’exemple de la philosophie : bien qu’étant licencié en philosophie, de


l’université d’Alger et ayant préparé l’agrégation de la dite matière et assimilant, celle-ci, à la
majorité voire quasi-totalité de ses œuvres, Camus refuse le titre de « philosophe » : « Je ne
suis pas un philosophe et je n’ai jamais prétendu l’ être »2
En réalité, Camus ne se considère pas philosophe comme l’entend décrire son époque.
Il ne se considère pas comme un penseur mais davantage comme un homme d’action, il
précisera : « Je ne suis pas un philosophe, en effet, je ne sais parler que de ce que j’ai vécu ».
Derrière cette citation, on retrouve l’importance de l’action et surtout celle de l’expérience
dont sont inspirés tous ses livres. En comparaison avec d’autres penseurs qui se bornent à
présenter leurs idées, Camus, lui, essaye de les appliquer.

L’autre étiquette dont Camus aura chercher à se défaire, tout au long de sa carrière
littéraire, et de manière beaucoup plus imposante que celle de philosophe, aura été celle qui le
décrivait, à l’image de Sartre, comme existentialiste (*).

Aux vues de l’insistance avec laquelle Camus se voyait caractérisé de la sorte, il


réagit : « Non , je ne suis pas existentialiste, Sartre et moi , nous étonnons toujours de voir
nos deux noms associés […]. Sartre est existentialiste, et le seul livre d’idées que j’ai publié,
Le Mythe de Sisyphe, était dirigé contre les philosophies dites existentialistes».4 Une
confusion si permanente ne saurait être dénuée de cause. Elle provient, en effet, du fait que
certaines notions sont communes, que certains mots-clefs sont identiques et enfin, dans la
définition même de l’existentialisme, on retrouve des idées chères à Camus : l’action et
l’éloignement des doctrines théologiques ; ces dernières, nous le verrons, par la suite, d’après
lui n’aident pas l’homme à faire face à ses interrogations, mais les aveuglent et les détournent
de l’action.

On identifie les notions comme l’absurde et la liberté, tant chez Sartre que chez
Camus. Toutefois, Camus se défend de telles assimilations :

« On accepte pas la philosophie existentialiste parce qu’on dit que le monde est absurde.
[référence à une citation du Mythe de Sisyphe : « L’absurde dépend également de l’Homme et
du Monde, il est pour le moment leur seul lien. »5] A ce compte, 80% des passagers du métro,
si j’en crois les conversations que j’y entends, sont existentialistes».6

____
*existentialisme : Courant philosophique et littéraire qui postule que les individus créent le sens et l’essence de leur vie par leurs actions et
leur courage par opposition à la thèse, que ceux-ci, soient crées pour eux par des doctrines théologiques ou philosophiques.

2Camus, Albert, Actuelles I, p.63.


3Camus, Albert, Actuelles I, p.83.
4Extrait d’interview, relevé dans l’œuvre de Paul Ginestier, Pour connaître la pensée de Camus, p.56 ; laquelle fut relevée dans l’ouvrage
Théâtre , Récits, Nouvelles, 1962, de Roger Quilliot, p.XXXIII.
Si l’on compare les points de vue de Sartre et de Camus qu’en à la notion de
« liberté », on remarque que ces derniers divergent qu’en au sens que chacun accorde à ce
terme.
Pour Sartre, « liberté » se rapproche du sens de sujétion : « Nous sommes seuls, sans
excuses. C’est ce que j’exprimerais en disant que l’homme est condamné à être libre.
Condamné parce qu’il ne s’est pas créé lui-même, et par ailleurs, cependant libre parce
qu’une fois jeté dans le monde, il est responsable de tout ce qu’il fait ».7
Pour Camus, « liberté » tend davantage vers l’idée de libération : « L’absurde
m’éclaire sur ce point. Il n’y a pas de lendemain. Voici désormais la raison de ma liberté
profonde ».8

A partir des conceptions différentes que Sartre et Camus accordent au terme


« absurde » et « liberté », on comprend que bien que Camus partage des notions avec les
existentialistes, il présente des points de vues différents voire diamétralement opposés.

____
5 Camus, Albert, Le Mythe de Sisyphe (M.S), p.113.
6 Référence à Ginestier, p56.
7 Référence à Ginestier, p57, avec une citation de l’œuvre, L’existentialisme est un humanisme, de Sartre.
8 M.S p157.
En premier lieu, nous verrons la relation de notre écrivain avec l’idée de Dieu, pour
enfin terminer avec la représentation de « l’absence de Dieu » dans les œuvres d’Albert
Camus, ce qui nous permettra de justifier nos idées.

« Je ne crois pas en Dieu, mais je ne suis pas athée pour autant – et d’accord avec Benjamin
Constant- je trouve à l’anti-religion quelque chose de vulgaire et d’usé »9

Dans la citation ci-dessus, on peut observer deux informations très importantes pour
comprendre la pensée de Camus. Premièrement, il ne croit pas en Dieu, nous avons déjà
précisé qu’il ne réfute pas son existence, ce qui nous amène à l’idée suivante, la tolérance.
Camus présente beaucoup de respect face à la religion et plus essentiellement aux croyants :
« Je me décrirais comme un esprit extérieur à la religion, mais respectueux de la conviction
d’autrui ».10
S’il est vrai que Camus respecte les croyances d’autrui, il est toutefois, clairement,
étranger à toute doctrine religieuse [dans une troisième partie, nous verrons la sagesse que
propose Camus à ses lecteurs, laquelle s’oppose à celle de l’Eglise]. Pour lui, la religion voile
la vérité et maintient ses adeptes dans l’inaction (activité ou plutôt « non-activité » opposée à
l’objectif camusien) : « Je ne partirai jamais du principe que la vérité chrétienne est illusoire,
mais que je n’ai pas pu y entrer ». 11

« Je ne puis nier une chose sans me croire obligé de la salir ou de retirer aux autres le
droit d’y croire » 12
Comme nous l’avons, précédemment, évoqué, Camus parle d’absence et non de « non-
existence ». Il respecte trop les autres pour nier quelque chose en quoi ces derniers ont tant
foi. Toute personne a le droit de croire en ce qu’il veut, cela renvoie à la liberté de penser,
accordée à tous. Prenons l’exemple du concept de « beauté » dans le cadre de l’art. Kant
refuse le jugement personnel qui tendrait vers l’universel, en effet, comment peut-on dire
qu’une œuvre est « laide » si d’autres la trouve « magnifique, émouvante ». On ne peut que
parler de subjectivité du goût. L’expression « elle ne me plaît pas » serait alors plus
appropriée. C’est ce que dit Camus avec la religion : il se contente de dire qu’il n’intègre pas
ce cercle de pensée. Il expose un constat avec « l’absence de Dieu », parler d’inexistence
serait alors contredire des millions de croyants et apporter un jugement personnel.

Comme nous l’avons abordé, précédemment, la pensée de Camus s’oppose à la pensée


religieuse, en effet, si Camus se décrit davantage comme un homme d’action, qu’un homme
de pensée, il se conçoit surtout comme un homme du présent et non d’avenir, il ne croit pas au
lendemain, et par delà, encore moins à la vie éternelle prônée par l’Eglise.

« […] non pas la fable divine qui amuse et qui aveugle, mais le visage, le geste et le drame
terrestre où se résument la difficile sagesse et une passion sans lendemain »13

« Nous ne l’ignorons pas, toutes les églises sont contre nous. Un cœur si tendu se dérobe à
l’éternel et toutes les églises divines ou politiques prétendent à l’éternel »14

Refuser l’éternel, c’est accepter le temps de la vie, pour ce qu’il est, fini,. Refuser
l’éternel, c’est accepter l’inacceptable, l’impensable, notre fin irrévocable.
L’absence de Dieu constitue, chez Camus, un véritable axiome (vérité indémontrable
qui doit être admise). De la même manière que la souffrance humaine causée par cet éternel
silence est un incontestable leitmotiv dans l’œuvre de l’écrivain.
Voyons, à présent, quelques exemples tirés de l’œuvre de Camus, représentant cette
absence divine :

[Le Malentendu, le premier titre du drame était Budejovice (ou Dieu ne répond pas)] :
« Maria (dans un cri) – Oh ! Mon Dieu ! Je ne puis vivre dans ce désert ! C’est à vous que je
parlerai et je saurai trouver mes mots (elle tombe à genoux). Oui, c’est à vous que je m’en
remets. Ayez pitié de moi, tournez-vous vers moi, entendez-moi, donnez-moi votre main ! »15

A travers cette citation, on constate la détresse et l’appel désespéré de la veuve vers


Dieu, qui ne lui accorde aucune réponse.

[Docteur Rieux, dans la Peste] : « Puisque l’ordre du monde est réglé par la mort, peut-être
vaut-il mieux pour Dieu qu’on ne croie pas en lui et qu’on lutte de toutes ses forces contre la
mort, sans lever les yeux vers ce ciel où il se tait ».16

Si Camus se contente à parler d’absence et non d’existence, il ne peut, toutefois,


s’empêcher de laisser sa pensée influencer son écriture. En effet, dans l’Homme révolté, nous
pouvons observer différentes citations illustrant son point de vue, dont celles-ci-dessous :

« Son existence [de Dieu] supposerait chez lui indifférence, méchanceté et cruauté ».17

Cette citation pourrait expliquer le fait que Camus ne croit pas en Dieu. En effet, la
douleur, la mort, la haine sont des facteurs inadmissibles pour l’écrivain. Les guerres, les
maladies, la mort d’innocents, qui se produisent chaque jour, restent, pour Camus, la preuve
ou du moins l’espérance de l’inexistence de Dieu. Son existence supposerait pour Camus la
haine de ce dernier. En lisant, l’Homme révolté, on découvre une partie très intéressante
également, laquelle reprend une citation de Stendhal disant : « La seule excuse de Dieu, c’est
qu’il n’existe pas ». 18

__________
9 Ginestier p.26, citation, elle-même, relevée dans Théâtre , Récits, Nouvelles, 1962, Roger Quilliot, p. XI .
10 Actuelles I, p.46, extrait Ginestier p.26.
11 Actuelles I, p.212, extrait Ginestier p.26.
12 Ginestier p.26, citation, elle-même, relevée dans Théâtre , Récits, Nouvelles, 1962, Roger Quilliot, p.66.
13 M.S, p.210.
14 M.S, p.167.
15 Le Malentendu, Acte 3, Scène 4, p.79.
16 Ginestier, p.29.
17 L’Homme Révolté (H.R), p.448.
18 H.R, p.476.
Il serait sans intérêt de parler « d’absence » de Dieu et ensuite d’ignorer le fait que
l’idée de sa présence est incontestable partout dans le monde. Camus l’explique comme « une
solide réalité de la psychologie individuelle et sociale ». Revenons sur cette citation de notre
écrivain, « individuelle » parce que chacun pense comme il le souhaite et enfin « sociale »
parce que c’est l’homme qui a créé Dieu : « Rien ne peut décourager l’appétit de la divinité
au cœur de l’homme », L’homme révolté, Camus.

Dans une première partie, nous avons pu constater que, pour Camus, l’idée de Dieu est
respectable. Dans cette seconde partie, nous verrons que pour lui, cette croyance répond,
avant tout, à un besoin de l’être humain : « Il sent que Dieu est nécessaire et qu’il faut qu’il
existe ; mais il sait qu’il n’existe pas et qu’il ne peut exister »19
Camus tente de démontrer au combien Dieu est nécessaire pour les hommes,
nécessaire dans le but d’expliquer rationnellement le monde ( Pourquoi sommes-nous là ?
Comment la vie a-t-elle commencé ? Nous attend-il quelque chose après la mort ? Autant de
questions sans réponses qui résonnent dans la tête de chacun).

En plus d’expliquer le monde, Dieu semble nécessaire, selon Camus, pour « satisfaire
nos aspirations à la justice », faisant ainsi référence à la punition divine. L’écrivain explique
alors que Dieu ne peut « exister » car on ne peut être créateur et juge à la fois : « Devenir
Dieu, c’est accepter le crime »20, « Si le mal est nécessaire à la création divine, alors cette
création est inacceptable»21
Cette pensée de Dieu acceptant le crime n’est pas nouvelle et propre à Camus. En
effet, nous la retrouvons dès le XVIIIème siècle avec Voltaire, dans Candide, où l’auteur le
plus polémique des Lumières, par la voix du précepteur Pangloss fait parler l’Eglise : « tout
va bien dans le meilleur des mondes ». Le monde est plongé dans le chaos, et l’Eglise ferme
les yeux et espère aveugler la majorité de la population, très croyante encore à l’époque, en
France.

Si l’objectif de Voltaire était d’ouvrir les yeux du peuple face à la réalité qui
l’entourait, et qu’il apprenne à penser par lui-même [ ce qui l’amènera à se révolter : Les
philosophes des Lumières comme annonciateurs de la Révolution Française de 1789 ?] ;
Camus, lui, propose une autre révolte [rappelons que notre écrivain est humaniste et n’aspire à
aucune violence quelle qu’elle soit] : pour lui qui ne croit pas en Dieu, il aspire à ce que tout
cet amour, toute cette énergie que l’on accorde à la figure divine, qui pour lui résulte alors
sans grand intérêt, nous la reportions sur des personnes plus réelles, ou des actions plus
concrètes, ce qui nous aiderait à mieux vivre : « Cet amour généreux devenu sans emploi,
Dieu étant nié, on décide alors de le reporter sur l’être humain au nom d’une généreuse
complicité » 22, « Le trône de Dieu étant renversé, le rebelle reconnaîtra que cette justice, cet
ordre, cette unité qu’il cherchait en vain dans sa condition, il lui revient maintenant de les
créer de ses propres mains et, par là, de justifier la déchéance divine ». 23

A travers ces deux citations, on remarque que Camus appelle à l’action et refuse la
position stoïque des croyants
____
19 M.S, p.183.
20 H.R, p.468.
21 H.R, p.466.
22 H.R, p.428.
23 H.R, p.437.
L’illustration, dans l’œuvre d’Albert Camus, de la présence de Dieu est très diverse.
Nous verrons Dieu comme un besoin, le rejet de la figure divine et enfin Dieu vu par les
croyants. On constatera que même si Camus se voit décrit comme un homme très tolérant
envers les croyants ; ces derniers, le plus souvent, n’ont pas les plus beaux rôles dans ses
livres.

« Ce monde tel qu’il est fait, n’est pas supportable. J’ai donc besoin de la lune ou du
bonheur, ou de l’immortalité, de quelque chose qui soit dément peut-être, mais qui ne soit pas
de ce monde » 24

Avec la citation, ci-dessus, on retrouve la notion de besoin. Dieu est une véritable
nécessité pour tenter d’expliquer notre raison sur terre et surtout surmonter l’idée de la mort.
Comment vivre lorsque l’on sait que l’on va mourir, que l’on peut mourir à chaque instant ?
Camus, pour sa part, a trouvé une solution, en refusant l’éternel, il refuse également l’idée du
lendemain et ne croit qu’au moment présent.

« Dieu nie le monde et moi je nie Dieu », L’état de siège, Camus.

Par son silence et son indifférence face à la souffrance du monde, Dieu fini par être nié
totalement.
Toutefois, malgré son silence, une grande majorité de la population mondiale continue
à croire en Dieu (quelle qu’il soit), de le prier, de l’implorer, de le défendre également,
jusqu’à parfois employer la violence et oublier ses commandements, mais n’avait-il pas dit :
Tu aimeras ton prochain ?

Le juge dans l’Etranger : « Il en a tiré un crucifix d’argent qu’il a brandi en revenant vers moi
[…]. Alors il m’a dit très vite et d’une façon passionnée que lui croyait en Dieu, que sa
conviction était qu’aucun homme n’était assez coupable pour que Dieu ne lui pardonnât pas,
mais qu’il fallait pour cela que l’homme, par son repentir devient comme un enfant dont
l’âme est vide et prête à tout accueillir »26

Le père Paneloux, dans la Peste : « Il fallait demeurer, et accepter de s’en remettre à Dieu,
même pour la mort des enfants, et sans chercher aucun recours personnel » 27

A travers de tels personnages, qui représentent un certain pouvoir et une influence


certaine sur le monde, de part la justice et la religion, Camus peint un portrait très sombre de
la religion. En effet, après de telles paroles, il est difficile d’adhérer à la pensée religieuse et
d’aimer un Dieu qui génèrerait tant de violence.

__________
24 Caligula, Acte 1, scène 4, p. 359
25 Ginestier, p.33.
26 Ginestier, p.33.
27 Ginestier, p.33.
Par cette confrontation entre l’absence de Dieu et le besoin perpétuel de l’homme que
celui-ci existe, naît, d’après Camus, « le monde absurde ».

« L’absurde naît de cette confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du


monde », Le Mythe de Sisyphe, Camus.

Par cette citation, on retrouve le conflit dont est imprégnée toute l’œuvre de Camus.
Deux forces qui s’opposent : l’appel humain qui cherche désespérément des réponses à sa
condition ; et le silence de Dieu qui ne fait qu’accentuer les interrogations de l’être humain,
qui entre alors dans l’univers de la métaphysique. L’appel humain, c’est avant tout la
recherche, la quête d’une cohérence (Pourquoi vivons-nous ? D’où venons-nous ?). Or, pour
Camus, il n’y a pas de réponse à ce genre de questions, et il est vain de s’interroger sur celles-
ci, de gaspiller de l’énergie pour n’aboutir à aucun résultat. Par delà, il rejoint la pensée , une
nouvelle fois, de Voltaire : « Quand un homme parle à un autre homme, qui ne comprend pas,
et que celui qui parle ne comprend pas non plus, ils font de la métaphysique », Candide,
Voltaire.

Pour Camus, il n’y a pas de réponses satisfaisantes à ce genre de questions


existentielles. En effet, il ne croit pas aux explications religieuses, celles-ci qui veulent
« créer » du sens, mais qui en réalité ne font que des spéculation et apportent des perspectives
« divines » : « Je ne puis comprendre qu’en termes humains »28

Il se présente, par conséquent, deux solutions pouvant permettre à l’homme de donner


du sens à sa vie, à sa raison d’être: Accepter les religions et les Dieux (quelle qu’il soit selon
les religions), ce que Camus ne conçoit pas, ne croyant pas en Dieu : « Je ne puis faire ce que
je ne comprend pas » 29.
L’autre manière de trouver du sens à son existence serait de : Faire des projets,
établir des buts, et par là-même, croire que la vie puisse se diriger. Or, cette solution se
trouve anéanti par les mots de Camus dans le Mythe de Sisyphe : « Tout cela se trouve
démenti d’une façon vertigineuse par l’absurdité d’une mort possible ». A travers cette idée
de la mort qui peut surgir à tout moment, on retrouve la sagesse, exposée auparavant par
Camus, de vivre le présent et ne pas croire au lendemain. Seul compte le moment présent, ici
et maintenant. Il faut savoir profiter de chaque seconde, chaque instant, sans se préoccuper de
l’avenir.

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28 M.S, p.136.
29 M.S, p.136.
Face à cette éternelle confrontation entre le silence déraisonnable du monde et l’appel
incessant de l’être humain, Camus propose une solution pour mieux vivre. Vivre, car bien que
l’unique façon de taire cet appel, qui désespère l’homme et entraîne l’absurde, serait le
suicide, Camus l’exclus : « Le suicide résout l’absurde ». Or l’absurde, selon Camus ne doit
pas être résolu. L’absurde est générateur d’une énergie et ce refus du suicide, c’est l’exaltation
de la vie, la passion de l’homme absurde qui se sait condamné : « Vivre, c’est faire vivre
l’absurde »30

Heureusement, Camus propose une échappatoire autre que le suicide, « la révolte ».


L’homme ne doit pas renoncer face à sa condition, face à ces questions sans réponses, ou bien
encore face à la mort. L’homme n’abdique pas, il se révolte. La révolte, c’est connaître son
destin, irrévocable, et néanmoins l’affronter, en sachant qu’il ne peut le vaincre : en soit, c’est
le condamné à mort qui refuse le suicide.
A travers cette sagesse, Camus cherche à convaincre ses lecteurs que la révolte est le
seul moyen de vivre une vie constructive dans un monde absurde. Avec ce terme « révolte »,
on retrouve cette idée d’action, de mouvement, si chère à Camus et totalement opposée,
encore une fois, au stoïcisme des religieux et des croyants. Le héros absurde (Sisyphe) fait
face à l’absurdité de sa condition, de sa vie et va même jusqu’à l’apprécier. Nous savons tous
que nous allons mourir et pour autant, cela ne nous empêche pas d’être heureux : « Il faut
imaginer Sisyphe heureux », Camus.

De part le discours de Camus, on constate que bien qu’il ne croit pas en Dieu, comme
il l’avait dit, il n’en est pas pour autant athée. En effet, nous croyons tous en quelque chose,
en un Dieu, quelle qu’il soit, en nous, au destin… Camus, lui, croyait en la révolte, en
l’action, au présent.

__________
30 M.S, p.138
A travers cette étude sur la pensée de Camus, on a pu constater que son œuvre repose,
entièrement, sur ses idées, elle en est imprégnée. Il ne cesse d’essayer de convaincre l’homme
que le silence de Dieu est irrévocable. Il ne cherche pas à lui faire accepter l’idée qu’il
n’existe pas, il reste très tolérant sur ce point, même si les croyants n’illustrent pas toujours
les plus beaux rôles dans ses livres. Ce qu’Albert Camus recherche, c’est faire agir les
hommes, l’amener à profiter de cette vie qui lui est offert, en mettant de côté, voire en
oubliant, ces préoccupations métaphysiques, auxquelles il n’aura jamais de réponse. En nous
disant qu’il ne croit pas au lendemain, Camus nous rappelle que la vie est courte, trop courte
pour que l’on attende, en vain, une réponse du silence.

Derrière les mots de Camus, on découvre une pensée, incontestablement,


philosophique, réduisant la littérature de ce dernier à un simple support permettant d’exprimer
ces opinions qui l’ont rendu célèbre et l’ont démarqué de ses contemporains.

Depuis plusieurs siècles, l’influence de l’Église a diminué considérablement dans de


nombreux pays. Voltaire a réussi son objectif, et aujourd’hui la majorité des hommes pensent
par eux-mêmes et choisissent délibérément de croire en quelque chose ou non. Si aujourd’hui,
pour nombreux d’entre nous, l’idée de Dieu est devenu davantage une nécessité qu’une
conviction, comme l’exprime Camus ; il reste, néanmoins, toujours, à notre époque,
impossible pour l’homme, qu’il soit croyant ou non, d’arrêter de s’interroger. Même s’il sait
qu’il n’obtiendra jamais de réponse, son être tout entier ne peut cesser de chercher des
réponses.

« Un jour seulement le « pourquoi » s’élève et tout commence dans cette lassitude teintée
d’étonnement »31

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31 M.S, p.107.
Bibliographie

CAMUS, Albert, Le Mythe de Sisyphe, Essais, Gallimard, 1965, p89-208


CAMUS, Albert, L’Étranger, Gallimard, 1972, 186p.
CAMUS, Albert, L’Homme révolté, Essai, Gallimard, 1965, p. 428-476.
CAMUS, Albert, El malentendido, Obras, Alianza Editorial, 1996, n°2, p63-79.
CAMUS, Albert, Actuelles I, Essais, Gallimard, 1965, p.63, p.83, p.46, p.212.
CAMUS, Albert, Canigula, Obras, Alianza Editorial, 1996, n°1, p408
VOLTAIRE, Candide (1759), Hatier, 1979, 126p
GINESTIER, Paul, Pour connaître la pensée de Camus, Bordas, 1971, p23-27, p29-30, p33,
p45, p53, p56-57
LOGEART, Agathe, Camus mon père, Le Nouvel Observateur, 2009, n°2350, p.18, p. 22,
p.24, p.26.

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