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197
PIÈGES ET OBSTACLES
Chapitre 3

Revue Internationale de Psychosociologie


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LE COACHING EST-IL UNE
VOCATION ?
La question de la transcendance en
développement professionnel
Thierry CHAVEL97
Parmi les consultants dissidents et les thérapeutes
défroqués, l’engouement pour le coaching crée des vocations,
comme on dit… Et si le choix d’accompagner les autres relève
souvent d’un engagement libre et sincère, l’ontologie de cette
orientation vocationnelle reste obscure. Faut-il une disposition
particulière (don, génie, grâce) pour être coach professionnel ?
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Les praticiens ont-il « déterritorialisé » l’économie et la gestion
par cette entrée en religion du coaching ? Qu’est-ce que cette
motivation supérieure dit – et ne dit pas – de la réalité
professionnelle ? Notre hypothèse ici est la suivante : si le choix d’exercer la
profession de coach relève d’une instrumentation de l’immatériel, l’acte de
coaching transcende les stratégies des praticiens et de leurs clients en tant
qu’initiation à une nouvelle gnose managériale.

MIRAGES DE LA CONVERSION

Un subtil marketing de l’immatériel

Le coaching est l’enfant illégitime du capitalisme tardif et du


développement personnel à l’âge postmoderne. A la fois symptôme et remède, le
coaching en entreprise procède de la pensée économique qui l’a vu naître :
l’accompagnement professionnel des leaders conduit à élargir et assouplir le
concept de performance professionnelle, non à le critiquer et l’amender.
Philosophie de l’action en quête de légitimité dans la sphère de décision
économique, le coaching ne peut se contenter pour autant du pragmatisme comme
but et comme cause. Dans cette nouvelle économie de l’être (DELEUZE, 1972),

97
Professeur associé à l'Université Panthéon-Assas (Paris 2), co-responsable du Master 2 coaching au
CIFFOP (Paris 2), Thierry Chavel est coach de dirigeants, associé au sein du cabinet Alter & Coach, à
Paris. Il enseigne également le développement personnel et professionnel à HEC et au CIFFOP, et a
publié plusieurs ouvrages et contributions sur le développement leadership, dont récemment : Coaching
de soi, éditions d'Organisation, Paris, 2010. Diplômé de l'EM Lyon et titulaire d'un DEA de
Développement des Ressources Humaines (CNAM, Paris), Thierry est docteur ès Sciences de Gestion
(Paris 2). thierry.chavel@alteretcoach.com
Revue Internationale de Psychosociologie 199
les coachs mobilisent un patchwork idéologique dont les leaders d’entreprise
s’accommodent, faute de grille épistémologique et de culture philosophique
suffisantes : de la PNL au bouddhisme (RENAUD-BOULART, 2008), de
l’organisational behavior à la psychogénéalogie, le coach est le ministre-officiant
d’un rite managérial dont la liturgie est floue.
Formulons une hypothèse : devant le recul des idéologies politiques et des utopies
de salut social, le coaching introduit dans l’entreprise la même croyance que le
développement durable dans la société civile : concilier croissance économique et
bien-être humain. Cette noble aspiration a au moins une efficacité, celle d’être
force d’attraction des candidats à un développement « alternatif » du management.
Les coachs, anciens managers, consultants ou psychothérapeutes, invoquent
souvent leur refus de la « violence au travail » – qu’ils l’aient subie ou infligée par
le passé – dans leur orientation vers le coaching. Œuvrer pour un leadership plus
juste en entreprise suffit-il à faire du coaching une vocation pure ?

D’une part, les coachs font vœu de simplicité dans leur logos alors qu’ils
sont un produit hybride, mètissé et complexe du paradigme utilitariste. Certes, les
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dirigeants qui se tournent vers le coaching sont las des présentations froides et des
rapports cartésiens des cabinets de conseil-expert, inaptes à produire une vision
porteuse de sens. Au nom de l’épure du geste et de l’élégance de la pensée
créatrice, certains coachs proposent une sagesse à tiroirs où tout n’est question que
d’« énergie », « awareness » et « lâcher-prise ». On pourrait montrer le danger des
labels de prévention des « risques psycho-sociaux » qui figent des interventions
pseudo-humanistes sur des catégories sociologiquement et psychologiquement très
contestables (RAPPIN, 2005). Ce condensé de mots valises elliptiques fait recette,
du moins la première fois qu’un DRH s’y laisse prendre. En développement
personnel, le soupçon d’imposture n’est désormais jamais loin.

D’autre part, peu de praticiens savent « d’où ils coachent »,


(FOUCAULT, 2001). L’impensé de leur idéologie personnelle épouse le
relativisme contemporain qui touche le courant du développement personnel plus
que tout autre : tout se vaut dans la quincaillerie du savoir-être pourvu que cela
concoure à une plus grande efficacité professionnelle. En conséquence, beaucoup
de managers viennent au coaching très perplexes, après avoir écumé des stages de
formation managériale aussi farfelus que dangereux pour l’équilibre psychique des
managers, parfois même avec des « papes » de la profession ; il ne suffit pas de
faire des jeux de rôles filmés pour dénouer une crise managériale dans
l’aéronautique, ni de « psychanalyser » un comité de direction de banque
universelle pour que la confiance renaisse (ENRIQUEZ, 2000). A la longue, dans
cette comedia dell’arte racoleuse, seul Arlequin est dupe de lui-même…

Enfin, l’économie du coaching s’accompagne d’un dispositif lucratif aussi


paradoxal qu’angélique. Le marché anglo-saxon du coaching, plus mature qu’en
Europe, préfigure une standardisation d’outils et d’approches d’efficacité
200 N° 42, été 2011
professionnelle sous couvert de démocratisation. Comme dans les mariages express
à Las Vegas, certains de ces coachs industriels ont en commun un cérémonial
grandiose, une facilité apparente et un merchandising à outrance de la sagesse
supposée du Maître : séquences modulaires, manuels et produits dérivés, usage des
technologies nouvelles comme canaux de vente démultipliés, etc. L’idée-même
d’adjoindre des copyrights à des méthodes vulgarisées à partir de traditions bien
antérieures au coaching peut laisser songeur. Mais l’ampleur de la marchandisation
de l’être frise l’escroquerie, les sectes utilisant souvent le développement spirituel
comme appât.

Devenir coach relève d’un projet économique concret, et pas seulement


d’une transmission métaphysique mystérieuse. Mais comment se former aux gestes
et attitudes qui font un bon professionnel ?

Les marchands du temple de la formation au coaching

La vocation n’empêche pas l’apprentissage du sacerdoce. Depuis quelques


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années, le marché de la formation au coaching est florissant, bien plus que le
marché du coaching lui-même.

Côté offre, dans une profession peu réglementée, offrir une formation au
coaching est devenu un signe de respectabilité professionnelle, comme les
communautés religieuses deviennent une église une fois qu’elles ont leur propre
catéchisme. Les catéchumènes du coaching se disent souvent perdus devant cette
offre peu différenciée : en gage de sérieux, les stages sont souvent très onéreux,
promettent une certification ou un diplôme présentés comme le sésame de
l’exercice de la profession et réunissant des intervenants prestigieux ou
charismatiques qui rassurent mais infantilisent les participants. L’enjeu réel est la
compétition pour la domination d’un champ professionnel (BOURDIEU, 1979). Si
les auto-écoles délivraient leur propre permis de conduire, le code de la route serait
en péril.

Côté demande, le coaching n’échappe pas au syndrome du « peuple psy »


(SIBONY, 1993)et des professions de l’aide humaine en général : on se forme à
soigner les autres avec le secret espoir de se guérir soi-même. Mais tout est
question de motivation profonde et de dosage du contre-transfert. Aucune
formation au coaching ne peut remplacer un coaching personnel, elle peut même
faire écran à d’autres symptômes professionnels et d’autres manques personnels.
Les égarés d’un travail de développement individuel qui vont se former dans un
institut privé ou public à la faveur du DIF ne sont pas toujours éconduits, avec les
risques suivants à l’arrivée : dépendance au cursus et à son référentiel plus ou
moins explicite, vagabondage psychique en enchaînant des formations au
développement immatériel, précarité économique et fragilisation dans la vie privée.

Revue Internationale de Psychosociologie 201


Le coaching s’enseigne-t-il ? Si Molière écrivait aujourd’hui, son Tartuffe
serait PDG d’une « Coaching Academy » (MOLIERE, 1669). La seule formation
incontournable et qualifiante au coaching est de travailler sur soi, d’avoir cheminé
en étant accompagné, puis supervisé. Le cœur du métier est trop individuel pour
faire l’économie d’un tel parcours, qu’un curriculum vitæ ne peut attester. Trois E
désignent ce travail plus intérieur qu’extérieur : expérimenter, exercer, entraîner98.
Si les formations remplissent la fonction d’outiller au métier de coach, elles ne
disent pas grand-chose du coaching comme profession : on s’y prépare par la
fréquentation de ses propres ombres, visant une conscience de soi plus acérée
(CHAVEL, 2010). Charité bien ordonnée, on connaît la suite. Un praticien animé
par le souci des autres sans se soucier de lui-même tombe dans le même piège
humanitaire que tous les missionnaires de la foi qui déplaçaient une quête
singulière et intime sur un plan idéologique et politique (DEBRAY, 2001).

Le coaching comme ascèse professionnelle ?

On devient coach sur ses failles, non sur ses forces. La position basse,
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gage d’humilité et de suspension de jugement, ne se décrète pas. Aucun label
professionnel ne sanctionne l’authenticité de cette reflectio. En quoi le coaching
relève-t-il d’une « prêtrise invisible » (ABELLIO, 1981) ?
D’une part, par sa dimension de confession. Il y a un continuum de
logique et d’action entre développement professionnel, personnel et spirituel.
Cantonner le premier à la sphère du travail, centrée sur le comportement, et les
deux autres à la vie privée serait naïf, tant la congruence et la porosité de nos vies
le contredisent (SAINT AUGUSTIN, 398). L’intervention du coach produit des
effets sur des volets parfois inattendus de la vie du client. Les querelles
disciplinaires entre professionnels de l’accompagnement n’ont, à cet égard, guère
de sens. Roustang a montré que le freudisme poursuivait la liberté et l’hypnose
ericksonienne la vérité des êtres, et qu’elles aboutissent en pratique aux effets
croisés, paradoxalement : une psychanalyse nous apprend nos quatre vérités sans
toujours nous en détacher, une série de séances de thérapie brève inspirées par le
maître de Palo-Alto nous libère sans toujours donner un sens à nos souffrances
(ROUSTANG, 1991).
D’autre part, par sa dimension d’évangélisation. Tout coaching est didactique de
quelque chose. La personne coachée fait siens les gestes et les attitudes du coach,

98
Dans le Master 2 de coaching à l’université de Paris 2, nous concevons la formation diplômante
comme une déconstruction universaliste de la profession, paradoxale et initiatique de la
posture/imposture des coachs dans le monde actuel. Nous posons comme préalable à toute admissibilité
un travail sur soi préalable, une proximité avec la situation managériale en entreprise et un parcours
didactique distinct pour acquérir des techniques et des méthodes opératoires, sans exclusive ni
prosélytisme. Malgré ces précautions, je suis souvent interloqué de voir les réactions vives de celles et
ceux dont les dossiers sont refusés même après l’oral (30% en moyenne des candidatures sont retenues),
qui se mettent parfois dans un double bind d’employabilité et d’orgueil bafoué à l’égard de leur
admission. Au contraire, si un tel fantasme de puissance est à l’œuvre dans la formation au coaching, il
nous semble qu’il est urgent d’ajourner ou de surseoir à cette voie.
202 N° 42, été 2011
du feedback bienveillant au questionnement maïeutique ; de fait, un bon manager-
coach est souvent un ancien manager coaché. Le danger tient à la mise sous
influence quand le transfert dure trop. On rencontre des coachs professionnels qui
ne s’émancipent jamais de leur mentor, et s’en vont colporter la parole du maître –
croient-ils.

Enfin, par sa dimension de retraite. Le coaching est au confluent de la vita


activa et de la vita contemplativa chères à Saint Augustin, et reprises par Hannah
Arendt dans sa thèse de doctorat (ARENDT, 1929). Bien souvent, il ne fait
qu’actualiser des techniques de méditation, de visualisation ou de santé holistique
que diverses traditions ont formalisées avant lui. La sophrologie et le rêve éveillé,
la pensée védique et le soufisme, la méditation zen et les exercices ignaciens font
leur entrée en entreprise. Reste à savoir si leur statut y est anecdotique ou si elles
favorisent une transformation intérieure que l’on pourrait qualifier de conversion,
comme à ski. En ce sens, tout coaching est éthique, produisant un retour sur soi en
conduite accompagnée. Le bât blesse si le coach feint d’ignorer son rôle de
directeur de conscience, et les dogmes inconscients qui l’hypostasient. La
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profession de coach demande une ascèse, une discipline et une régularité de
pratique de ce que l’on professe pour autrui. J’ai rencontré des clients plus ouverts
et plus avancés dans leur quête essentielle que leur praticien. La banalisation du
développement personnel est à ce prix.

Bien que la demande de coaching soit professionnelle, le besoin est souvent


plus immatériel. Si la vocation comme prémisse est douteuse, coaching et
exercices de spiritualité profonde vont probablement tisonner le même feu sacré de
l’être (SAINT-IGNACE, 1548). Il est alors légitime de se demander quelle
transcendance il s’agit de convoquer dans l’entreprise.

STIGMATES DE LA SUBVERSION

La boîte de Pandore de la puissance symbolique

Tout fait signe et tout fait sens. Derrière le patchwork psy-spi de


l’accompagnement en entreprise, il y a un double appel : d’un côté une profusion
des sens, favorisée par la société de l’information, qui fait coexister des bribes de
sociologie de terrain avec une pensée psycho-magique, un vernis de culture
philosophique avec les poncifs de la catéchèse judéo-chrétienne. De l’autre côté, il
y a une pauvreté du Sens, puisque ces fragments symboliques s’agglomèrent sans
principe de cohérence ni scientificité expérimentale. Les coachs sont-ils des
« médiologues », au sens de Debray ? Certes, ils travaillent sur des archétypes,
manipulent des codes et des symboles de pouvoir, racontent des légendes
professionnelles qui héroïsent le leader et mythifient la firme exécutent des rites de
passage – sinon, que sont les séminaires d’entreprise ? Cette symbolique est
Revue Internationale de Psychosociologie 203
signifiante sur un plan collectif d’une culture d’entreprise plus incarnée, mais
qu’en est-il de la personne coachée ?

D’un côté, le coaching participe d’un processus centripète vers les valeurs
racines où s’origine le sens de l’action individuelle. Il contribue ainsi au
développement d’un nouveau leadership. Baptisé « servant leadership », ou
« conscious leadership », ce mouvement voit émerger en entreprise des concepts
étrangers au développement des compétences tels que la bienveillance, la
gentillesse voire l’amour (RENESH, 2002). En s’interrogeant par exemple sur sa
confiance, le leader approfondit un questionnement de plus en plus vaste sur sa
responsabilité tout entière, ses peurs et ses croyances, l’essentiel et l’accessoire, le
vide et le plein, etc. jusqu’à une réflexion proprement métaphysique. Le coach est
un sherpa sur des voies apparemment pragmatiques, mais probablement plus
philosophiques qu’il ne l’imagine candidement quand il se voue à cette carrière
professionnelle. La notion de performance devient un critère, non un objectif dans
cette mise en abyme du leadership.
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De l’autre côté, le coach opère une verticalisation du leadership. Plus le
leader découvre la puissance symbolique, plus son humilité grandit. Les forces
subtiles qui gouvernent l’action sont moins mystérieuses à celui qui sait
reconnaître et accepter la chance, l’énergie vitale, les synchronicités ou la
prophétie autoréalisante comme des ingrédients oubliés de l’efficacité
professionnelle. Cette humiliation volontaire conduit à célébrer, honorer et rendre
grâce à ce qui transcende la volonté propre du leader, dans une vision du travail
plus héliocentrique et recueillie que la vulgate managériale.

De toutes parts, le coaching oblige à dépasser un référentiel matérialiste et


individualiste de la performance. Il participe d’un processus de « civilisation des
mœurs » de l’entreprise (ELIAS, 1939). Si cette profession se déploie « dans
l’obédience de l’être » (HEIDEGGER, 1935), c’est qu’elle convoque un niveau de
conscience plus subtil que la rationalité entrepreneuriale. Le coach profane-t-il une
sphère immatérielle, ou consacre-t-il l’avènement d’une mystique managériale ?

Transe et coaching : l’indicible de l’acte professionnel

Étymologiquement, toute conscience professionnelle (profiteor) repose sur


un acte de foi (confiteor) : le coaching l’exhume en utilisant le cheval de Troie de
la « confiance en soi » évoqué plus haut, qui conduit à s’abandonner à plus grand
que soi (que les Jungiens appellent le Soi). Est-ce surprenant ? Nous vivons peut-
être une nouvelle « période axiale » (JASPERS, 1954), dont le coaching serait un
marqueur social : les neurosciences rejoignent les hypothèses des traditions
ésotériques, les pratiques narratives des structuralistes et le Clean Language des
comportementalistes rencontrent les intuitions chamaniques, l’anti-psychiatrie
côtoie les TCC, les médecines alternatives s’approchent de l’allopathie – pour
204 N° 42, été 2011
preuve l’irruption de la méditation et des techniques des mouvements oculaires en
oncologie…

Pendant l’acte de coaching, entendons le moment où un recadrage ou une


métaphore modifient profondément la perception d’une réalité chez la personne
coachée, le coach est en transe, au sens propre : cet état de conscience modifiée est
le fruit des expériences de thérapies nouvelles et de développement spirituel du
coach. D’Esalen à Findhorn, du Mexique à l’Inde, un mouvement d’expansion de
conscience est en marche et s’entraîne par des méthodes reconnues, modélisables
et désormais accessibles (TOLLE, 2000). Stanislas Grof renonça au LSD pour la
respiration holotropique comme Freud à l’hypnose pour le travail dans le transfert,
car ils obtenaient la même efficacité sans recourir à ces tristes (psycho)tropiques
(CASTANEDA, 2002). De ce point de vue, le coaching diffère-t-il du channelling,
aux confins de l’expérience mystique de descente d’un avatar ?

Certes, l’efficacité du coaching reste intangible et pseudo-magique pour les


non-initiés, car vient le moment où le colloque singulier ne rend plus compte de ce
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qui est à l’œuvre ici : force est de constater que « ça coache », au sens où Lacan
disait que « ça parle » (LACAN, 1966). Le coach n’est pas l’auteur-compositeur de
sa profession, tout juste est-il l’interprète d’une Gestalt vivante qui se déploie dans
la rencontre entre le coach et son client. Dans cette étrange messe du
développement du leadership, de quoi le coach fait-il office, au juste ?

D’une part, il remplit une fonction de témoin. Garde-fou ou ange gardien, il


atteste que le client progresse et vit plus intensément son existence à mesure que le
coaching avance. Voyant sur un tableau de bord virtuel du contrat
d’accompagnement, il est aussi celui qui peut témoigner, au sens christique, du
miracle de la transformation personnelle et professionnelle.

D’autre part, il remplit une fonction sacerdotale. Pour qu’il y ait


consécration ou assomption du leader coaché, il faut un medium, une pompe et un
ordre légitime. Les syndicats professionnels de coachs servent à institutionnaliser
et fédérer les praticiens dans cette optique. Le coaching est, de ce fait, un
symptôme du messianisme contemporain dont l’entreprise est un théâtre rêvé :
effondrement des anciens Sanhédrins notamment depuis la crise des subprimes,
radicalisation des Pharisiens et des Zélotes de la génération Y dans leur conception
de l’entreprise. Le coach est l’annonciateur d’un nouveau paradigme, même s’il
participe largement de l’ancien.

Enfin, une fonction de prostitution. Un trafic d’amour inconditionnel


moyennant finances et une pratique honteuse quoiqu’initiatique ne sont pas les
seules raisons de cette allégorie. A la différence du consultant, le coach est dans
l’entreprise mais non de l’entreprise ; il est l’héritier d’une prêtrise féminine, à la
rencontre des ombres et des tabous de l’humanité bafouée dans le management.
Revue Internationale de Psychosociologie 205
Qui se souvient de la fonction des vestales dans la religion romaine ? Vouées au
culte du feu sacré, ces vierges traçaient une filiation du féminin sacré avec d’autres
traditions, dégradée ensuite en prostitution dans l’inconscient collectif. La
proximité de Marie-Madeleine et de Salomé dans certains écrits apocryphes est du
même ordre (LELOUP, 2009).

Le coaching est-il un fait religieux ?

Historiquement, le management a toujours été un univers religieux. Né de


la morale calviniste et du conservatisme des gens de métier, l’entreprise est un lieu
qui s’est toujours cherché des justifications extra-économiques. La Bible est en
bonne place à la bourse de Wall Street, le Beruf (profession) et la Berufung
(vocation) ont partie liée (WEBER, 1905). Dans ce contexte, le coaching
représente-t-il un néo paganisme ou un retour du refoulé religieux dans les affaires
(FREUD, 1930) ?

D’une part, tout coaching s’apparente à un pèlerinage intérieur, dont la


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destination importe moins que le chemin. Les coachs professionnels ont parcouru
ces chemins avant leurs clients, ils ont trébuché et eu peur parfois bien davantage
que ces derniers. Pour distinguer un éveil de conscience d’un épisode dépressif,
tout dépend du référentiel que l’on emprunte. Mais qui croit encore au
matérialisme scientifique ?

D’autre part, le coaching inaugure une nouvelle gnose managériale. Entre


le positivisme des sciences de gestion et la phénoménologie du développement
personnel, la rupture est consommée (HEIDEGGER, 1935). L’expérience
subjective prime la « volonté de faire science » (STENGERS, 1996), le temps
présent célèbre l’éternité et ignore les illusions comptables du calendrier fiscal,
l’ontologie platonicienne fonde un sens à dévoiler plutôt qu’un sens à produire par
deux mille ans de constructivisme aristotélicien, le holisme des traditions
primitives n’a pas dit son dernier mot face à l’individualisme occidental… La
rationalité du coaching se veut plus large que le scientisme, et tente de concilier
stratégie et sagesse (Mc TAGGART, 2005). Le refus de prosélytisme des coachs
en porte quand même un : l’essence de l’entreprise n’est pas dans l’action
manifeste des managers mais dans une force motrice inconsciente qui les
transcende – qu’on l’appelle pulsion de vie, énergie primordiale du cosmos,
présence divine ou providence n’y change rien.
Enfin, le coaching est une voie de rédemption professionnelle. Le croire précède le
faire, et plus encore le transfigure. Comme tout réactionnaire, le coach est souvent
un ancien révolutionnaire repenti. Si la vocation ex ante des coachs est douteuse,
on l’a vu, les clients coachés, quant à eux, parlent volontiers de révélation ex post.
Une légèreté regagnée, une paix intérieure nouvelle, un sentiment de pleine
conscience… L’état perçu n’est pas loin de l’illumination religieuse. Dans une
société de compétition globale, l’idéal de liberté se dégrade en un conformisme de
206 N° 42, été 2011
produits et de comportements. Face la normalisation des « talents », le choix
vocationnel se résume désormais à devenir fou ou artiste, délinquant ou leader
(ELIAS, 1991). Le coaching signale-t-il une voie d’accomplissement intérieur pour
échapper au politiquement correct ?

Citons trois cas emblématiques d’un appel d’être bousculant les carcans
socio-professionnels, métaphoriques du coaching. Le cas du peintre et plasticien
Gérard Garouste, celui du baron Empain patron de Schneider et plus récemment
celui du braqueur récidiviste Michel Vaujour ont tous en commun une rédemption
intérieure face aux épreuves rencontrées : la psychose familiale et l’enfermement
psychiatrique pour le premier, l’enlèvement crapuleux et la trahison des siens pour
le deuxième, l’engrenage pénitentiaire et le traumatisme des QHS pour le
troisième. Dans une démarche proche d’un « coaching de soi », au-delà de la
résilience, ils ont éprouvé une vérité nue sur eux-mêmes qui transfigure
littéralement leur existence : Garouste sauvé de la malédiction familiale en
découvrant la kabbale dans la peinture (GAROUSTE, PERIGNON, 2009),
Edouard-Jean Empain renonçant aux artifices de son statut social après le
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dévoilement de la duperie de son existence dorée (BELVAUX, 2009), et Michel
Vaujour faisant l’expérience de la vacuité en méditation profonde pour se libérer
de ses prisons intérieures après ses évasions multiples, non moins redoutables que
les geôles physiques (GODET, 2009).

Ces traverses du coaching suscitent fatalement la controverse :


l’accompagnement individuel en entreprise subvertit la notion de performance en
convoquant une transcendance qui donne son sens à l’action. Les coachs ont à
choisir leur archétype : Prométhée, le héros humain trop humain qui émancipe les
hommes en dérobant aux dieux le feu sacré, ou Dionysos, le dieu marginal
ordonnateur des mystères de la vie et protecteur des arts ésotériques ? Dans
l’abnégation ou dans la transgression, les coachs praticiens sont appelés à révéler
aux autres que si la professionnalisation des compétences est un purgatoire, c’est
en eux que réside le paradis professionnel.

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208 N° 42, été 2011

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