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PIÈGES ET OBSTACLES
Chapitre 3
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Les praticiens ont-il « déterritorialisé » l’économie et la gestion
par cette entrée en religion du coaching ? Qu’est-ce que cette
motivation supérieure dit – et ne dit pas – de la réalité
professionnelle ? Notre hypothèse ici est la suivante : si le choix d’exercer la
profession de coach relève d’une instrumentation de l’immatériel, l’acte de
coaching transcende les stratégies des praticiens et de leurs clients en tant
qu’initiation à une nouvelle gnose managériale.
MIRAGES DE LA CONVERSION
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Professeur associé à l'Université Panthéon-Assas (Paris 2), co-responsable du Master 2 coaching au
CIFFOP (Paris 2), Thierry Chavel est coach de dirigeants, associé au sein du cabinet Alter & Coach, à
Paris. Il enseigne également le développement personnel et professionnel à HEC et au CIFFOP, et a
publié plusieurs ouvrages et contributions sur le développement leadership, dont récemment : Coaching
de soi, éditions d'Organisation, Paris, 2010. Diplômé de l'EM Lyon et titulaire d'un DEA de
Développement des Ressources Humaines (CNAM, Paris), Thierry est docteur ès Sciences de Gestion
(Paris 2). thierry.chavel@alteretcoach.com
Revue Internationale de Psychosociologie 199
les coachs mobilisent un patchwork idéologique dont les leaders d’entreprise
s’accommodent, faute de grille épistémologique et de culture philosophique
suffisantes : de la PNL au bouddhisme (RENAUD-BOULART, 2008), de
l’organisational behavior à la psychogénéalogie, le coach est le ministre-officiant
d’un rite managérial dont la liturgie est floue.
Formulons une hypothèse : devant le recul des idéologies politiques et des utopies
de salut social, le coaching introduit dans l’entreprise la même croyance que le
développement durable dans la société civile : concilier croissance économique et
bien-être humain. Cette noble aspiration a au moins une efficacité, celle d’être
force d’attraction des candidats à un développement « alternatif » du management.
Les coachs, anciens managers, consultants ou psychothérapeutes, invoquent
souvent leur refus de la « violence au travail » – qu’ils l’aient subie ou infligée par
le passé – dans leur orientation vers le coaching. Œuvrer pour un leadership plus
juste en entreprise suffit-il à faire du coaching une vocation pure ?
D’une part, les coachs font vœu de simplicité dans leur logos alors qu’ils
sont un produit hybride, mètissé et complexe du paradigme utilitariste. Certes, les
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dirigeants qui se tournent vers le coaching sont las des présentations froides et des
rapports cartésiens des cabinets de conseil-expert, inaptes à produire une vision
porteuse de sens. Au nom de l’épure du geste et de l’élégance de la pensée
créatrice, certains coachs proposent une sagesse à tiroirs où tout n’est question que
d’« énergie », « awareness » et « lâcher-prise ». On pourrait montrer le danger des
labels de prévention des « risques psycho-sociaux » qui figent des interventions
pseudo-humanistes sur des catégories sociologiquement et psychologiquement très
contestables (RAPPIN, 2005). Ce condensé de mots valises elliptiques fait recette,
du moins la première fois qu’un DRH s’y laisse prendre. En développement
personnel, le soupçon d’imposture n’est désormais jamais loin.
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années, le marché de la formation au coaching est florissant, bien plus que le
marché du coaching lui-même.
Côté offre, dans une profession peu réglementée, offrir une formation au
coaching est devenu un signe de respectabilité professionnelle, comme les
communautés religieuses deviennent une église une fois qu’elles ont leur propre
catéchisme. Les catéchumènes du coaching se disent souvent perdus devant cette
offre peu différenciée : en gage de sérieux, les stages sont souvent très onéreux,
promettent une certification ou un diplôme présentés comme le sésame de
l’exercice de la profession et réunissant des intervenants prestigieux ou
charismatiques qui rassurent mais infantilisent les participants. L’enjeu réel est la
compétition pour la domination d’un champ professionnel (BOURDIEU, 1979). Si
les auto-écoles délivraient leur propre permis de conduire, le code de la route serait
en péril.
On devient coach sur ses failles, non sur ses forces. La position basse,
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gage d’humilité et de suspension de jugement, ne se décrète pas. Aucun label
professionnel ne sanctionne l’authenticité de cette reflectio. En quoi le coaching
relève-t-il d’une « prêtrise invisible » (ABELLIO, 1981) ?
D’une part, par sa dimension de confession. Il y a un continuum de
logique et d’action entre développement professionnel, personnel et spirituel.
Cantonner le premier à la sphère du travail, centrée sur le comportement, et les
deux autres à la vie privée serait naïf, tant la congruence et la porosité de nos vies
le contredisent (SAINT AUGUSTIN, 398). L’intervention du coach produit des
effets sur des volets parfois inattendus de la vie du client. Les querelles
disciplinaires entre professionnels de l’accompagnement n’ont, à cet égard, guère
de sens. Roustang a montré que le freudisme poursuivait la liberté et l’hypnose
ericksonienne la vérité des êtres, et qu’elles aboutissent en pratique aux effets
croisés, paradoxalement : une psychanalyse nous apprend nos quatre vérités sans
toujours nous en détacher, une série de séances de thérapie brève inspirées par le
maître de Palo-Alto nous libère sans toujours donner un sens à nos souffrances
(ROUSTANG, 1991).
D’autre part, par sa dimension d’évangélisation. Tout coaching est didactique de
quelque chose. La personne coachée fait siens les gestes et les attitudes du coach,
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Dans le Master 2 de coaching à l’université de Paris 2, nous concevons la formation diplômante
comme une déconstruction universaliste de la profession, paradoxale et initiatique de la
posture/imposture des coachs dans le monde actuel. Nous posons comme préalable à toute admissibilité
un travail sur soi préalable, une proximité avec la situation managériale en entreprise et un parcours
didactique distinct pour acquérir des techniques et des méthodes opératoires, sans exclusive ni
prosélytisme. Malgré ces précautions, je suis souvent interloqué de voir les réactions vives de celles et
ceux dont les dossiers sont refusés même après l’oral (30% en moyenne des candidatures sont retenues),
qui se mettent parfois dans un double bind d’employabilité et d’orgueil bafoué à l’égard de leur
admission. Au contraire, si un tel fantasme de puissance est à l’œuvre dans la formation au coaching, il
nous semble qu’il est urgent d’ajourner ou de surseoir à cette voie.
202 N° 42, été 2011
du feedback bienveillant au questionnement maïeutique ; de fait, un bon manager-
coach est souvent un ancien manager coaché. Le danger tient à la mise sous
influence quand le transfert dure trop. On rencontre des coachs professionnels qui
ne s’émancipent jamais de leur mentor, et s’en vont colporter la parole du maître –
croient-ils.
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profession de coach demande une ascèse, une discipline et une régularité de
pratique de ce que l’on professe pour autrui. J’ai rencontré des clients plus ouverts
et plus avancés dans leur quête essentielle que leur praticien. La banalisation du
développement personnel est à ce prix.
STIGMATES DE LA SUBVERSION
D’un côté, le coaching participe d’un processus centripète vers les valeurs
racines où s’origine le sens de l’action individuelle. Il contribue ainsi au
développement d’un nouveau leadership. Baptisé « servant leadership », ou
« conscious leadership », ce mouvement voit émerger en entreprise des concepts
étrangers au développement des compétences tels que la bienveillance, la
gentillesse voire l’amour (RENESH, 2002). En s’interrogeant par exemple sur sa
confiance, le leader approfondit un questionnement de plus en plus vaste sur sa
responsabilité tout entière, ses peurs et ses croyances, l’essentiel et l’accessoire, le
vide et le plein, etc. jusqu’à une réflexion proprement métaphysique. Le coach est
un sherpa sur des voies apparemment pragmatiques, mais probablement plus
philosophiques qu’il ne l’imagine candidement quand il se voue à cette carrière
professionnelle. La notion de performance devient un critère, non un objectif dans
cette mise en abyme du leadership.
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De l’autre côté, le coach opère une verticalisation du leadership. Plus le
leader découvre la puissance symbolique, plus son humilité grandit. Les forces
subtiles qui gouvernent l’action sont moins mystérieuses à celui qui sait
reconnaître et accepter la chance, l’énergie vitale, les synchronicités ou la
prophétie autoréalisante comme des ingrédients oubliés de l’efficacité
professionnelle. Cette humiliation volontaire conduit à célébrer, honorer et rendre
grâce à ce qui transcende la volonté propre du leader, dans une vision du travail
plus héliocentrique et recueillie que la vulgate managériale.
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qui est à l’œuvre ici : force est de constater que « ça coache », au sens où Lacan
disait que « ça parle » (LACAN, 1966). Le coach n’est pas l’auteur-compositeur de
sa profession, tout juste est-il l’interprète d’une Gestalt vivante qui se déploie dans
la rencontre entre le coach et son client. Dans cette étrange messe du
développement du leadership, de quoi le coach fait-il office, au juste ?
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destination importe moins que le chemin. Les coachs professionnels ont parcouru
ces chemins avant leurs clients, ils ont trébuché et eu peur parfois bien davantage
que ces derniers. Pour distinguer un éveil de conscience d’un épisode dépressif,
tout dépend du référentiel que l’on emprunte. Mais qui croit encore au
matérialisme scientifique ?
Citons trois cas emblématiques d’un appel d’être bousculant les carcans
socio-professionnels, métaphoriques du coaching. Le cas du peintre et plasticien
Gérard Garouste, celui du baron Empain patron de Schneider et plus récemment
celui du braqueur récidiviste Michel Vaujour ont tous en commun une rédemption
intérieure face aux épreuves rencontrées : la psychose familiale et l’enfermement
psychiatrique pour le premier, l’enlèvement crapuleux et la trahison des siens pour
le deuxième, l’engrenage pénitentiaire et le traumatisme des QHS pour le
troisième. Dans une démarche proche d’un « coaching de soi », au-delà de la
résilience, ils ont éprouvé une vérité nue sur eux-mêmes qui transfigure
littéralement leur existence : Garouste sauvé de la malédiction familiale en
découvrant la kabbale dans la peinture (GAROUSTE, PERIGNON, 2009),
Edouard-Jean Empain renonçant aux artifices de son statut social après le
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dévoilement de la duperie de son existence dorée (BELVAUX, 2009), et Michel
Vaujour faisant l’expérience de la vacuité en méditation profonde pour se libérer
de ses prisons intérieures après ses évasions multiples, non moins redoutables que
les geôles physiques (GODET, 2009).
BIBLIOGRAPHIE
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