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Analyse linguistique de textes littéraires et journalistiques

LES DESSINS ET CARICATURES


HUMORISTIQUES DANS LA PRESSE
FRANÇAISE ET ESPAGNOLE

GANGNON Philippine
Master de Français Universidad Autónoma
M. Dolores Vivero 2009-2010
Pour ce travail sur l’humour, nous nous proposons de traiter les dessins et caricatures
dans la presse française et espagnole. Pour ce faire, nous avons relevé plus d’une centaine de
dessins et caricatures de différents quotidiens des deux pays : essentiellement du Monde pour
la France avec Plantu et Pessin mais aussi du Parisien avec Ranson ; Pour l’Espagne, nous
avons concentré notre analyse sur les dessins de Jorges, pour El País (nous ferons allusion
également à d’autres dessinateurs de ce quotidien comme el Roto, Peridis ou encore Ramon),
et enfin sur les croquis d’Antonio Mingote, dit Amingote, pour le quotidien ABC. [Il est
possible que nous fassions référence à d’autres dessinateurs pour illustrer un argument ou une
tendance particulière.]

L’objectif de notre étude est double : dans un premier temps, elle permettra
l’application pratique des lectures, préalablement étudiées, concernant la représentation de
l’humour dans la presse ; enfin elle nous amènera également à une comparaison entre le genre
des chroniques et celui des dessins-caricatures humoristiques. Nous verrons si comme pour
l’humour dans les chroniques, l’humour en image a ses limites, ses tabous, premièrement en
général puis ensuite, selon les différentes cultures.

La quasi-totalité des dessins et caricatures présents dans notre corpus ont une charge
critique, et par delà il est important de préciser que les dessinateurs, de ces célèbres
quotidiens, qu’ils soient français ou espagnols, sont avant tout des journalistes, lesquels ont
pour principal objectif la mise en cause des idéologies actuelles.

Jacques Faizant, dessinateur pour le Figaro de 1960 à 2005 : « Je dis rarement que je suis
dessinateur, je dis que je suis journaliste, je fais passer ce que j’ai envie de dire par le
truchement du dessin, je suis d’abord journaliste ; ensuite je dois illustrer l’évènement d’une
façon claire, vraie amusante, comme un chroniqueur. »

A partir de cette citation, on constate que l’objectif de l’auteur est avant tout de
transmettre un message, que le dessin camoufle [Kameniak : « La façade n’étant là que pour
détourner l’attention et faire passer l’essentiel »]. L’auteur veut faire réfléchir ses lecteurs sur
l’actualité, sur le monde. On remarquera, au fil de notre analyse, que cette volonté peut
parfois entraîner la production de dessins ambigües, provocateurs, voire choquants pour un
certain public.

Nous verrons également qu’il est quelques fois difficile de cerner l’humour dans
certains dessins de presse. En effet, ces derniers peuvent susciter la surprise, la délectation,
provoquant ainsi le rire ou un simple sourire au lecteur. Mais il arrive aussi que le lecteur ne
partage pas le même point de vue que l’auteur et se sente mal à l’aise ou s’offusque face aux
dessins et à la portée de ces derniers. Par delà, nous reviendrons, a posteriori, sur l’idée de
réception et d’interprétation, car comme disait Gérard Genette : « Ce qui fait rire les uns ne
fait pas nécessairement rire les autres ».
Afin d’analyser au mieux notre corpus, notre étude se fera en trois parties : dans un
premier temps, nous chercherons à identifier les différents procédés, énonciatifs et descriptifs,
qu’illustrent les différents dessins et caricatures relevés; ce qui nous permettra de constater si
ces dits procédés restent semblables à ceux utiliser dans la presse écrite française et celle
espagnole.

Dans une seconde partie, nous analyserons les différentes thématiques abordées par
nos dessinateurs, pour vérifier si, comme dans les chroniques, il existe des tabous, dans
l’humour « imagé ».

Enfin, dans une troisième et dernière partie, nous verrons les objectifs, « les visées »
des dessinateurs. En France comme en Espagne, les chroniques ont une tendance avant tout
critique ; voyons, par conséquent ce qu’il en est pour les dessins et caricatures humoristiques,
que se cache –t-il derrière « las viñetas » ? Une simple envie de faire rire autrui ou une
critique pointue ?

Cette ultime partie, nous permettra de conclure sur l’idée de réception et


d’interprétation des messages, implicites ou explicites, contenus dans les dessins
humoristiques, selon les contextes culturels.
Avant d’analyser les différents procédés (énonciatifs et descriptifs) qu’illustrent nos
dessins et caricatures humoristiques, rappelons les prédominances de ces derniers dans la
presse écrite (et dans les chroniques plus précisément, thème que nous avons préalablement
étudié). Cette démarche nous permettra de constater si la France utilise autant l’ironie et
l’Espagne, autant l’insolite et le paradoxe.

Dans notre étude sur l’humour dans les chroniques, nous avions pu observer que
nombreux procédés énonciatifs y étaient représentés. En effet, on y notait une préférence pour
l’ironie en France et l’abondance du sarcasme dans « las columnas » espagnoles. L’ironie est
décrite comme un véritable trait culturel français : « l’humour à la française ». Nous
reviendrons, a posteriori sur ce procédé car s’il abonde dans la presse écrite française, dans les
dessins et caricatures il semble moins récurrent.

En ce qui concerne les procédés descriptifs, nous avions vu qu’en France brillait
l’insolite mais surtout le paradoxe qui soulignait avec brio les contradictions entre faits et
discours dans les chroniques. En Espagne dominait, essentiellement, l’insolite qui s’associait
le plus souvent au sarcasme, cherchant à dévaloriser au mieux la réalité.

Ainsi, pour en arriver à l’analyse de notre corpus de dessins humoristiques, si, dans les
chroniques françaises, on décrit l’ironie comme marque de l’humour national, on est forcé de
constater la discrétion de ce procédé dans les dessins humoristiques. Même si Pessin lui
accorde quelques croquis, l’ironie reste en second plan.
En effet, on retrouve davantage le sarcasme. Ceci peut s’expliquer par une intention
davantage critique dans les dessins et caricatures humoristiques. Dans nos lectures sur
l’humour, nous avons pu remarquer que l’ironie se rapporte à un point de vue positif, quand,
au contraire, le sarcasme accentue une vision négative. Les dessins de Plantu, dans le Monde,
étant beaucoup plus axés sur la critique sévère du gouvernement, on peut comprendre qu’il
préfère le sarcasme à l’ironie, pour transmettre un message direct et sans détours aux lecteurs.
Utiliser l’ironie serait prendre le risque que le lecteur comprenne le contraire et passe à côté
de la critique. En effet, dans les chroniques, l’auteur peut jouer davantage avec l’ironie, car il
peut construire son argument, le faire évoluer, commencer par l’ironie pour terminer son
article en ne laissant plus aucun doute sur son opinion. Le dessinateur lui a peut de temps et
d’espace pour construire sa critique, son message.

Plantu pour Le Monde

Dans les productions de Mingote et de Jorges, on retrouve cette même abondance que
dans les chroniques, avec le sarcasme. Jorges utilise, essentiellement, ce procédé pour
l’associer aux thèmes comme l’ économie, la crise de l’emploi, alors que Mingote l’oriente
davantage vers l’illustration d’attentats et la guerre. Plantu, suit l’orientation de Mingote, en
allant plus loin, repoussant les limites, jusqu’à illustrer le terrorisme, la violence, la
mort.[Nous reviendrons, dans la seconde partie, sur les thématiques].

Jorges pour El País


Le troisième et dernier procédé énonciatif, trouvant, également, souvent sa place dans
l’humour imagé (et pas seulement écrit), est la parodie. En effet, on la retrouve surtout dans la
caricature de personnages politiques. Plantu ne cesse d’illustrer le président français dans
toutes sortes de représentation de pouvoir : de Napoléon jusqu’au Pape Benoit XVI, illustrant
ainsi sa critique du pouvoir. En Espagne, on le trouve également, mais il reste secondaire,
laissant la primeur au sarcasme.

Dans les caricatures ci-dessus, Plantu se sert de la caricature pour parodier Nicolas
Sarkozy dans des rôles comme celui du Roi-soleil ou encore du Pape, dans une volonté de
critique du pouvoir. Ici la parodie est imagée, mais voyons à présent des exemples de parodie
à partir de texte de dessins humoristiques.

Parodie à travers les textes accompagnant les dessins.

La parodie, dans les dessins espagnols, reste mineur mais nous avons relevé dans notre
corpus un exemple mêlant insolite et parodie :

Parodie de la Bd Lucky Luke et Insolite en illustrant Mariano Rajoy en Lucky Luke et par
delà politique et bande dessinée.
Sans contestation possible, le procédé descriptif majeur, apparaissant dans les dessins
et caricatures, reste l’insolite (rapprochement inattendu de notions ou d’univers différents, qui
permet de dégager au moins un élément commun en général implicite), que ce soit par les
textes ou par les images, ce procédé est récurrent. Tous les moyens sont mis en place pour
surprendre le lecteur.

En effet, autant en France qu’en Espagne, l’insolite semble être le procédé numéro un,
pour illustrer des dessins et caricatures humoristiques. On pourrait expliquer cela par une
volonté de surprendre, d’attirer l’attention du lecteur, premièrement par l’image et ensuite, s’il
est présent, par le texte.

Avec les dessins humoristiques ci-dessus, l’insolite est illustré, essentiellement par
l’image avec le rapprochement d’univers très différents. Dans le premier dessin, on voit
l’alliance de la politique, de la guerre avec le cinéma (ce dessin illustre également le procédé
de la parodie avec le titre de Men in Black II). Le second croquis, relie l’univers du jeu de
société et de la santé avec le virus H5N1.

Avec ce dessin, Plantu utilise l’insolite (homme de couleur présentant tous ses papiers
d’identité y compris une autorisation de respirer (sarcasme)) pour mieux conduire le lecteur à
une critique de la politique intérieure et des préjugés, comme quoi une personne de couleur
n’a pas de papier.
Voyons des exemples de dessins insolites dans les dessins humoristiques espagnols :

Jorges pour El País

Antonio Mingote pour ABC

En effet, il ne faut pas sous-estimer le fait que ce sont des dessins de « presse », le
lecteur achète essentiellement le journal, pour les articles, les informations du jour. En
feuilletant le journal, l’objectif est qu’il s’arrête sur le dessin humoristique pour son côté
insolite, ne vient qu’ensuite, la lecture et la perception, l’interprétation du message. D’où
l’intérêt de rendre son dessin le plus attractif possible [Avec les caricatures, cela est plus
facile parce que le lecteur reconnait un personnage public, (Sarkozy chez Plantu, Zapatero et
Rajoy chez Peridis)].
On constate que, comme dans les chroniques de presse, l’absurde reste quasiment
absent des dessins humoristiques. On peut l’expliquer, comme pour les chroniques, par une
volonté, qu’il soit implicite ou explicite, de transmettre un message. L’absurde n’a pas de
sens, hors l’objectif du dessinateur est de transmettre un message à ses lecteur. De plus, nous
l’avons déjà abordé, le dessinateur a très peu de temps et d’espace pour convaincre son
lecteur, il est d’ailleurs quelques fois difficile de comprendre un dessin humoristique [Nous
reviendrons sur l’idée d’interprétation dans la troisième partie de notre travail] et parfois
même compliqué d’y entrevoir un message. L’absurde si complexe ne ferait qu’égarer le
lecteur, ne l’amuserait pas et celui-ci ne chercherait pas le message caché dans le dessin
(échec de l’objectif du dessinateur).
De la même manière, le paradoxe si utilisé en France, dans les chroniques, se voit
détrôné par l’insolite. Le dessinateur recherche davantage à surprendre en rapprochant deux
univers différents que présenter des contradictions.

Dans cette partie sur les différents procédés utilisés, on constate que, contrairement, à
ce qu’on avait pu observer avec les chroniques, la France et l’Espagne se rejoignent davantage
dans leurs choix. En effet, les deux valorisent l’insolite et le sarcasme pour mieux surprendre,
divertir et/ou critiquer. Si cette alliance des deux procédés, était déjà présente et reconnue en
Espagne, c’est une nouveauté pour la presse française, habituée à l’ironie.
Cette alliance entre l’insolite et le sarcasme n’est pas anodine, en effet, elle permet
d’amuser, de surprendre avec l’insolite mais surtout de critiquer avec le sarcasme, de
dénoncer. Nous verrons, dans une seconde partie, comment Plantu s’appuie sur le sarcasme
pour briser les barrières des thèmes dits tabous et comment la presse espagnole qui faisait
impasse sur des thématiques comme la mort ou le terrorisme s’autorise plus de liberté avec les
dessins.
A travers la lecture des différentes revues concernant l’humour et l’analyse que nous
avions fait des chroniques de presse, nous avions dégagé trois types de catégories
thématiques : la première concernait l’univers des pratiques sociales relevant de la sphère
publique, avec l’homme dans ses rapport à la cité (politique, sciences, médias, société…),
puis venait l’univers correspondant aux pratiques sociales relevant à la sphère privée
représentant l’homme dans ses rapports intimes (famille, travail, transports, vie
quotidienne…), enfin, nous trouvions l’univers des pratiques sociales en rapport avec les
contraintes de la Nature (santé, météo…).

Après l’analyse de notre corpus, nous avons constaté que tout comme pour les
chroniques de presse, les dessins humoristiques sont axés sur la thématique de la vie public.
En effet, nous avons divisé notre corpus en six grandes thématiques ( une concernant
l’économie et la société, une autre sur le pouvoir et la politique, une sur la religion, une autre
sur la mort et la guerre, une sur la santé et la nature et enfin une concernant la vie
quotidienne) et quatre d’entre elles correspondent à l’univers de la sphère publique.

On constate que l’Espagne reste concentrée sur les problèmes concernant l’économie,
la société, la crise en général, comme elle avait tendance à le faire pour ses chroniques.

Jorges pour El País

La France suit le même chemin avec une critique de la société et du pouvoir, plus
essentiellement. Les dessins de Plantu, dans Le Monde, sont pour la quasi-totalité centrés sur
Nicolas Sarkozy, de la même façon que Peridis caricature Zapatero et « Mariano » Rajoy pour
El País.

L’économie et la société représentées dans les dessins humoristiques français avec Pessin et
Faujour.
Sujet prédominant dans les dessins français la politique (importance de la caricature de
personnages politiques)

Peridis est l’un des illustrateurs les plus reconnus en Espagne, avec ses caricatures de
Zapatero et de Rajoy.

Peridis, pour El País


Le thème de la religion (est souvent illustré à travers la caricature des croyants, du
pape, ou même de la figure divine) reste un thème principalement français et très peu illustré
en Espagne. Cette différence peut s’expliquer par le fait que la religion en Espagne a conservé
une importance conséquente, laquelle diminue, chaque jour, un peu plus, en France. Les
dessinateurs illustrent ce thème, le plus souvent, avec beaucoup d’humour et de dérision. La
connivence est régulièrement ludique. Nous verrons dans une troisième partie, l’idée
d’interprétation, car en effet, si pour un français, la représentation burlesque de la figure
Divine peut être reçue avec humour, pour un espagnol catholique pratiquant, elle peut
provoquée froissement et un malaise (blasphème). [Dans notre dernière partie, nous verrons
l’exemple des caricatures du prophète musulman Mahomet].

Caricature parue au lendemain Le choc des cultures


de la mort accidentelle du comique selon Plantu.
Coluche (19/06/86).

Le thème de la religion est très sensible en Espagne, en effet, on ne trouve que très peu
de dessins humoristiques sur cette thématique. Mingote l’introduit en critiquant le côté trop
commercial de la religion, aujourd’hui.

Mingote pour ABC


L’actualité a une influence, inévitablement, décisive dans le choix des sujets abordés.
C’est pourquoi depuis le 11 septembre 2001, essentiellement en France, mais également petit
à petit en Espagne, avec Mingote, on trouve des dessins illustrant le terrorisme, la guerre, la
violence, la mort. Ces dessins sarcastiques, virant sur l’humour noir pour certains, sont
incontestablement critiques et cherchent plus à interpeler les lecteurs, sur la gravité de ces
actions, plutôt qu’à les faire rire. A travers de telles illustrations et les messages qu’ils
englobent, on réalise, encore une fois, que le rôle du dessinateur est double. Il n’est pas juste
dessinateur, il est surtout journaliste, et son rôle est d’informer, sensibiliser ses lecteurs aux
événements du monde. Parfois, en illustrant des sujets plus légers mais aussi en abordant des
thèmes plus sujets à polémique.

La torture La mort

La mort d’enfants
(auparavant nous avons illustré le terrorisme et la guerre)
Cette thématique sur la guerre, le terrorisme, la mort, est intégrée dans le corpus de
dessins espagnols, mais on y trouve une tonalité plus critique, l’humour français pour cette
partie, conservant une incontestable connivence critique, tend davantage vers l’humour noir.

On remarque que les dessins sont plus simplistes alors que les croquis de Plantu sont
beaucoup explicites et violents.

Ce croquis illustrant la mort est réellement une exception dans la presse humoristique
espagnole, mais nous voulions l’ajouter à notre analyse pour démontrer que, au fil des
années, l’Espagne s’autorise la critique et l’illustration de beaucoup plus de chose.
Pour continuer sur cette idée d’influence de l’actualité, on retrouve depuis quelques
mois, et plus récemment avec la conférence de Copenhague, l’émergence du thème sur la
nature : on constate l’apparition de dessins sur des thèmes comme le changement climatique,
mais aussi sur différentes maladies très médiatisées (comme la grippe aviaire, le virus H5N1,
ou encore la grippe A (illustrations françaises, en première partie).

El Roto pour El País

En Espagne le dessinateur Ramon du quotidien , El País, a fait de la protection de la


planète son sujet phare, avec des dessins remplis d’humour mais ne laissant aucunement
échapper une visée critique et engagée. El Roto, également dessinateur au País, dans un style
beaucoup plus sombre voire austère (rappelons que el Roto est connu pour une tendance à
l’humour noir), s’engage également dans la critique de l’action humaine sur la nature.
Enfin, on retrouve la thématique relevant de la vie privée. Cette dernière se voit
essentiellement traitée dans la presse française. Ces dessins humoristiques, qui peuvent faire
référence à des actions de la vie quotidienne, des manies, sont le plus souvent à connivence
ludique. Si en France apparaissent de nombreux dessins en relation avec le sexe, ce thème
reste totalement absent de « las viñetas » espagnoles.

La vie quotidienne

Thème sexuel
A travers l’analyse de notre corpus, on constate une grande liberté thématique, mais
aussi une grande liberté d’expression, laquelle, l’Espagne, ne se serait jamais permise
d’employer autant, il y a encore quelques années.
On constate que la presse française se centre énormément sur les personnages
politiques et plus précisément sur son président, Nicolas Sarkozy, alors que la presse
espagnole se concentre sur des faits de société. On remarque que ce point de vue ne diverge
pas des cibles des chroniques. Rappelons que ces dernières, en France, s’accentuent sur la
critique des puissants, sur le pouvoir, alors que l’Espagne met l’accent sur les actions des
groupes politiques, l’économie, le gouvernement en général.
On peut remarquer que le choix des thématiques, le plus souvent, suit le cours de
l’actualité. D’où l’apparition régulière de nouveaux thèmes comme celui du réchauffement de
la planète, récurrent ces derniers mois, appelant à la mobilisation.
Ce message nous amène à notre troisième partie et à la question suivante : Les dessins
et caricatures ont –ils tous nécessairement un message ? Sont-ils tous critiques ou peuvent-ils
être simplement ludiques ?
Avant de commencer notre analyse, définissons ces deux dominantes que l’on trouve
autant dans les chroniques que dans les dessins de presse : l’humour ludique et l’humour
critique.
La connivence ludique présente le rire comme une finalité discursive. L’intention de
l’auteur est de « rire avec » le destinataire. En effet, la connivence est susceptible d’être
partagée par tous et la cible n’a pas une identité adverse très prononcée, ce qui la distingue de
l’humour critique.
La connivence critique présente le rire comme une stratégie discursive. Cet humour
implique trois personnes, l’auteur, le destinataire, qui rient ensemble au détriment d’une tiers
personne. Si l’humour ludique revient à « rire avec », l’humour critique revient à « rire
ensemble contre ».

Il est évident que les visées (ludiques ou critiques) dépendent du sujet traité, il est
difficile d’imaginer qu’un dessin décrivant un kamikaze puisse être simplement ludique.

En France, on constate une dimension critique quasi-constante, essentiellement, dans


Le Monde avec Plantu (lequel aborde des thèmes très sujets à polémique comme la guerre, la
torture…), mais aussi avec Pessin, Ranson.. La critique est réellement au centre des dessins et
caricatures français.

Critique de la torture, de la TVA, de l’enseignement scolaire.

En Espagne, nous retrouvons la même dominance de dessins à caractère critique avec


Jorges, on constate que tous ses dessins, au même titre que El Roto dénoncent quelque chose.
El País reste, en effet, le journal espagnol le plus engagé dans la critique. Ces auteurs à
l’image de Plantu ou encore de Pessin ou Ranson utilise l’humour pour défendre une cause, ce
qui prouve encore une fois qu’ils sont bien plus que de simples dessinateurs.

Freud : « L’humour : un moyen d’exprimer des vérités désagréables »


Dessins critiques de Jorges, El Roto et Romeu pour le quotidien le plus critique d’Espagne, El
País.

Toutefois, il n’est pas rare de trouver des dessinateurs qui se spécialisent dans la
production de dessins à caractère simplement ludiques, cherchant principalement à provoquer
le rire. Ceci permet aux lecteurs de se détendre en se divertissant. Geluck avec son célèbre
personnage, Le Chat, illustre parfaitement cet humour à connivence ludique. Les dessins
illustrant le thème sexuel sont, également, le plus souvent, conçus dans un objectif simple,
ludique : faire rire les lecteurs.
Le Chat de Geluck

Il existe une troisième dominance dans notre corpus, que l’on retrouve à travers de
nombreux dessins d’Antonio Mingote, dans lesquels le caractère ludique de ces derniers se
combine, s’allie à la critique. Cette démarche a pour but, le plus souvent, d’estomper une
critique « hargneuse » ou encore une prise de position défendue ; le caractère ludique du
dessin n’est alors qu’une façade.
Après avoir étudié un corpus de dessins et caricatures de deux cultures différentes, on
réalise que la réception de certains croquis peut être différente selon les mentalités
[[également suivant la position du destinataire : s’il est pris à témoin ou visé et donc
victime],[le rire comme subjectif et individuel]], mais aussi selon les modes de vie, les
religions. En effet, ce qui peut être perçu comme amusant et ludique dans une culture peut
être reçu et interprété de manière différente chez d’autre : exemple avec une caricature du
pape, pour un pays extrêmement catholique et pratiquant, celle-ci pourrait être reçue comme
un affront, un blasphème honteux.

Prenons, à présent, l’exemple du scandale des caricatures de Mahomet. Le 30


septembre 2005, le journal danois « Jullands Posten » publie douze caricatures qui
représentent Mahomet. Les réactions des musulmans ont été immédiates, en effet ces derniers
se sont sentis bafoués dans leurs croyances. Selon la religion islamique, toute représentation
du prophète est interdite. La polémique deviendra rapidement internationale, en effet auront
lieu de nombreuses manifestations, lesquelles aboutiront aux excuses du journal danois pour
avoir offensé le monde musulman.

Caricature, du prophète musulman, Mahomet, dans le journal danois, Jullands Posten


Cette polémique, autour des caricatures de Mahomet, démontre que certains dessins,
apparemment ludiques et anodins peuvent être interprétés de différentes manière et ainsi la
visée de l’auteur s’en trouve déformée, reconstruite, pouvant atteindre une dimension opposée
à celle de départ. On se rend compte, à travers l’exemple des caricatures du prophète
musulman, que les positions idéologiques du récepteur interviennent grandement dans la
réception des dessins et caricatures humoristiques et comme disait Genette : « Ce qui fait rire
les uns ne fait pas nécessairement rire les autres ».

Jusqu’où peut aller l’humour ? Peut –on rire de tout ?


On constate à travers notre analyse que les dessins humoristiques français et espagnols
utilisent, le plus souvent, les mêmes procédés énonciatifs et descriptifs, avec une
prédominance de la parodie, de l’insolite et du sarcasme. On a constaté que si les dessins et
caricatures espagnols conservent l’attachement des chroniques pour l’union du sarcasme et de
l’insolite ; les dessins français laissent l’ironie aux chroniques pour confronter plus
directement le lecteur au message, à la critique.

On remarque l’influence de l’actualité dans le choix des sujets abordés dans les
dessins, et à la question « où s’arrête l’humour ? » nous pourrions rétorquer « où s’arrête la
violence ? » car, les dessinateurs s’inspirent de cette violence quotidienne. Si leurs dessins ont
un caractère humoristique, ils n’en restent pas moins critiques.
Nous avons pu constater que les dessins espagnols contrairement aux chroniques se
permettent « de faire de l’humour » sur des thèmes comme la guerre, la mort, oubliant les
tabous, les limites de la presse espagnole. Le dessin permet une plus grande liberté. Les mots
attaquent, agressent, alors que le dessin sous des traits exagérés, contourne le côté sensible du
sujet. Le dessin n’est souvent qu’une façade suggérant le véritable message.
Après avoir étudié plus d’une centaine de dessins et caricatures, bien que nous ayons
remarqué une grande liberté thématique, nous avons pu constater également qu’il semble
exister, malgré tout, un tabou commun à toutes les cultures, celui de l’holocauste. Cet
évènement ayant traumatisé le monde entier, il semble intouchable. De plus, de nombreux
personnes touchées par la Shoah sont toujours en vie et l’humour ne semble pas le procédé le
plus adapté pour que les évènements de la guerre 39-45 ne tombent pas dans l’oubli.

Nous avons pu remarquer que la majorité des dessins humoristiques, autant français
qu’espagnols ont un caractère critique tout comme les chroniques. A travers ce point de vue,
on réalise l’importance du dessinateur et l’influence que peut avoir son dessin. En effet, la
plupart du temps, le message, contenu dans les dessins, accuse, dénonce. A partir de là, on se
rend compte, comme nous l’avons dit auparavant, qu’il ne faut pas sous-estimé les dessins de
Plantu, Pessin, Jorges, Peridis, ou encore El Roto, ils sont tous des journalistes à l’affut d’une
nouvelle critique.
Enfin, nous avons vu qu’il faut savoir manier l’humour, camoufler une critique parfois
trop dure. On a pu constater qu’un dessin, une caricature mais aussi un énoncé peut être
interprété différemment selon les mentalités et les cultures. C’est là que l’on s’aperçoit de la
subtilité de l’humour et de la subjectivité d’un dessin en fonction de la position du lecteur,
complice ou victime.

« Si l'humour doit séduire par sa forme, il doit aussi bien convaincre ou informer par son fond »
Georges Elgozy
BIBLIOGRAPHIE

Charaudeau P. : « Des catégories pour l’humour », Questions de communication, n°10,


2006, p.19-41.

Fernandez M. & Vivero García M.D.: « L’humour dans la chronique de la presse


quotidienne », Questions de communication, n°10, 2006, p.81-101.

Vivero García M.D.: « Procedimientos discursivos y formas de humor en las columnas


periodísticas francesas y españolas », Sintagma, 18, Universitat de Lleida, 2006, p.67-80.

El País, Las Viñetas.


Disponible sur : http://www.elpais.com/vineta/, consulté le 4 décembre 2009.

Nous avons feuilleter tant de journaux (ABC, El País, Le Monde, Figaro, Le Parisien, Le
Canard Enchainé…) qu’il nous est impossible de tout énumérer. Nous nous sommes basés
sur les archives, principalement, conservées à l’Institut Français de Madrid.

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