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Emmanuel Choquette
École de politique appliquée, Université de Sherbrooke
2. On peut penser entre autres à Bernard Voutat, ou à Pierre Favre qui apporte un
regard éclairant sur la place des objets de recherche dans la science politique.
3. La majorité du texte se penche sur la part de politique dans le discours des
humoristes. Cela dit, les références aux termes discours ou propos humoris-
tiques visent essentiellement à élargir le champ considéré comme appartenant
au domaine de l’humour. Ainsi, ce document inclut l’ensemble des procédés
humoristiques, notamment présent au cinéma, dans la caricature ou dans
les arts de la scène. Le critère principal étant avant tout celui de la forme
du message, c’est-à-dire humoristique. On épouse ici la position de Patrick
Charaudeau qui conçoit l’ « acte humoristique ou de discours humoristique
comme stratégie d’échange langagier faisant l’objet de diverses catégories »
(Charaudeau, 2013 : 15).
1. Problématique
Ce document vise ainsi à mettre en exergue ces deux facettes de l’hu-
mour politique et ses principales composantes. La première, celle de
l’humour en tant qu’acte politique, intentionnel ou non, mais qui peut
constituer une manifestation politique sans équivoque. La seconde,
celle de l’humour comme recelant une ou plusieurs dimensions
politiques. Des dimensions parfois, voire souvent plus difficilement
appréciables et caractérisées par un humour dont le propos, pouvant
même être dénué de contenu politique, n’en aurait pas moins des
impacts sociaux. Des effets qui viendraient notamment participer à
la consolidation de valeurs et d’intérêts communs. Des dimensions de
l’humour politique que l’on pourrait d’une certaine façon placer sur
un continuum, lequel comporterait alors l’éventail complet des degrés
de politisation du discours humoristique. Un spectre manifestement
complexe et diversifié.
2. Considérations théoriques
Bien que l’humour (politique ou non) ne soit pas nécessairement au
centre des préoccupations ou des enjeux de recherche en science poli-
tique, on peut tout de même souligner des éléments théoriques pou-
vant s’y appliquer en totalité ou en partie. Si certains auteurs abordent
directement le sujet, d’autres en traitent indirectement ou soulignent
des notions conceptuelles transposables au procédé humoristique et
à ses répercussions. De fait, l’analyse des phénomènes politiques nous
amène à élargir les champs à considérer en tant qu’objets d’étude. On
parlera ici de la part du politique dans l’analyse du discours humo-
ristique. Et c’est ici que se complexifie la tâche.
3. Question et hypothèse
Ce document vise donc à rendre compte de cette interaction ou, de
façon encore plus précise, des dynamiques politiques présentes dans
l’humour. Au final, cette réflexion tourne autour d’une question cen-
trale : quelles dimensions politiques6 sont identifiables dans le discours
humoristique ? On compte ainsi aborder les différents liens entre la
politique et l’humour à travers deux axes (hypothèses), lesquels se
recoupent inévitablement. Le premier vise à considérer l’humour
comme un acte intentionnellement et résolument politique. Dans
cette optique, le propos humoristique possède un objectif clair, celui
de provoquer des changements ou des transformations au sein de
la vie politique d’une collectivité. L’humour apparaît ici comme le
principal véhicule des idées politiques de son auteur. La forme est
secondaire, c’est le message qui importe. À première vue, ce type d’hu-
mour politique apparaît moins présent. Le second axe, sans doute plus
récurent à l’intérieur des manifestations publiques, considère la poli-
tique présente dans le discours humoristique presque par essence. On
épousera alors des perspectives plus larges des phénomènes politiques.
En d’autres termes, le caractère rassembleur de l’humour contribue à
pacifier nos rapports, à concilier nos différences. Du coup, l’humour
politique contribuerait à établir des repères identitaires.
4. Considérations méthodologiques
Comme précédemment évoqué, ce document se veut d’abord une
réflexion sur les principales composantes politiques présentes dans
le discours humoristique. Mais, il présente tout de même une lecture
rigoureuse des propos tenus par une douzaine d’humoristes québé-
cois à travers des extraits de leurs spectacles ou d’entrevues qu’ils
ont accordées (voir tableau 1). Il importe toutefois de préciser que
ces exemples ont été choisis de façon sélective. Ainsi, nous n’avons
pris en considération que les humoristes ou les groupes d’humour
québécois souvent reconnus pour leurs positions engagées, pour leurs
propos à teneur politique ou dont le discours, même ponctuel, porte
clairement sur des questions politiques. La période sélectionnée pour
l’analyse débute en 2001 pour se terminer en 2014. Bien sûr, 2001 est
une année marquante dans l’histoire de la politique et de la géopo-
litique contemporaine, mais le choix de cette période s’est précisé
également en raison des nombreux questionnements entourant notre
rapport collectif à la différence, à la religion, qui a suivi les attentats de
septembre 2001. Cette époque représente, selon certains, une étape de
redéfinition du « vivre-ensemble »7. Il est de fait fort probable que les
discours humoristiques aient été influencés par ces événements. Par
ailleurs, les femmes étant sous-représentées dans le milieu de l’hu-
mour, elles forment également une minorité dans le présent corpus.
Nous n’en comptons que deux plus précisément.
Les cas relatés constituent tout de même un échantillon intéressant
pouvant être représentatif des faits observés. L’observation documen-
taire et l’analyse de discours sont les méthodes de cueillettes de l’in-
formation privilégiées pour ce travail. Le croisement de ces outils de
recherche permet en effet d’identifier et d’opérationnaliser les princi-
paux concepts présents à l’intérieur des diverses citations recueillies.
Dans ces deux cas, les prises de position politique sont manifestes.
Les thèmes que l’on compte aborder sont soumis sans ambages et les
opinions sont clairement exprimées. La forme humoristique est ici au
service du fond. Le genre dépasse le discours humoristique, il devient
discours politique, à la limite du militantisme. Ainsi donc, la volonté
des Zapartistes n’est pas seulement de faire réfléchir, mais aussi d’agir
dans un sens précis. Dans cette perspective, l’humour militant prend
tout son sens. On peut penser que le discours d’Emmanuel Bilodeau
va précisément dans la même direction. Ce désir de prendre position
savoir rire des autres. Elle est une manière de mobiliser les membres
du public autour d’une performance collective au sein de laquelle s’ex-
priment les différences (Quemener, 2013 : 76).
Et cette réflexion sur les différences est bien présente dans les discours
humoristiques au Québec, en ce qui concerne l’intégration ethnique
tout particulièrement. En effet, certains humoristes prennent plaisir
à mettre en lumière les clichés reliés aux minorités culturelles. On
constate également une certaine propension à cibler les communautés
arabes. C’est d’ailleurs en ces mots que l’humoriste Rachid Badouri,
donnant dans l’autodérision, ouvrait son premier numéro au Gala
Juste pour rire à Montréal en 2005.
Bonsoir, mon nom est Rachid Badouri, je suis un Québécois d’origine
arabe… Ça vous casse un gala ça ! Vous serez surpris des stéréotypes et
des clichés qu’on entend lorsqu’on est un Arabe. Ça passe de « les Arabes
tous des terroristes », « les Arabes tous des voilés on dirait des ninjas ».
Incroyables clichés, après clichés, après clichés. J’en parlais dernièrement
à mes 13 femmes, elles n’en revenaient pas (Badouri, 2005) !
blunt), “I just saw two Arabs walking down the street, and they looked
suspicious. You may want to go check ‘em out’ (Jacobs-Huey, 2006 : 60).
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