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Universidad de Madrid

Departamento de Filología Francesa


Facultad de Filosofía y Letras

TESIS DE MÁSTER

LES BIENVEILLANTES DE JONATHAN LITTELL:


LE MAL REVU PAR UN BOURREAU

De
Philippine Gangnon

realizada bajo la dirección de la


Dra. Margarita Alfaro Amieiro

Madrid – 2011
1
Remerciements : Avant tout de chose, remercier ma directrice,
Margarita Alfaro Amieiro, pour avoir cru en mon projet, pour son
appui ainsi que sa patience.

Dédicace: À ma famille, pour son soutien inconditionnel, et pour


être si proche tout en étant si loin.

À mes amis, pour avoir cru en moi, pour avoir su effacer mes
doutes et encourager mes idées.

Sans oublier tous ces écrivains, poètes, historiens et réalisateurs,


pour leurs ouvrages et pour contribuer chaque jour à notre
enseignement et au travail de mémoire.

2
3
INDEX

REMERCIEMENTS………………………………………………………………………….2

INTRODUCTION……………………………………………………………………………7

CHAPITRE 1 : LA QUESTION DU MAL AU CENTRE DES BIENVEILLANTES…….11

La Banalité du Mal ….………………………………………………………........................12

1.1. Théorie d’Hannah Arendt……………………………………………………………..13

1.1.1 Entre banalité et banalisation du Mal …..………………...………………….............13


1.1.2. Philosophie d’Hannah Arendt ……………………………………………………….14

1.2. L’Anthropologisation du Mal…………………………………………………………..16

1.2.1. Les bourreaux comme « hommes ordinaires »……………………………..………..17


1.2.2. L’expérience Milgram………………………………………………………..............21

1.3. L’inhumain reste humain……………………………………………………………….24

1.3.1. Les excuses avancées par les bourreaux……………………………………………...25


1.3.2. Un mal commit par devoir : l’obéissance………………………………………….....26
1.3.3. Le crime : un mal auquel on s’habitue……………………………………………......28
1.3.4. Participer Ŕ Le Choix : entre banalité du Mal et banalité du Bien…..………………...30

CHAPITRE 2: LES BIENVEILLANTES DONNENT LA PAROLE AUX


BOURREAUX………………………………………………………………………………...34

2.1. Le témoignage……………………………………………………………………….…....35

2.1.1. Origines du genre……………………………………………………………….……..35


2.1.2. Un genre nouveau et censuré…………………………………….…………………...37

2.2. Du témoignage des victimes à celui des bourreaux………………..………………….....38

2.2.1. Le manque de succès des témoins-victimes………..………………………………..…39


2.2.2. Apparition de la figure du narrateur-bourreau…………………………………...……40
2.2.3. À la recherche du sensationnel et des détails……………………………...…………...42
2.2.4. Choix de Littell pour un narrateur-bourreau…………………………….……..………43

2.3. Légitimité des bourreaux et de leurs témoignages …………….…………............…46


4
2.4. Problème éthique..……………………………………………………………………..48

2.4.1. Possible identification du lecteur au narrateur……………………………...………….49


2.4.2. Risques de remise en cause des crimes nazis…………………………………………..50

CHAPITRE 3 : COMMENT PASSER DE L’HISTOIRE À LA FICTION ?.............................52

3.1. Le travail d’investigation de Jonathan Littell……………………………….………..53

3.2. Confrontation entre Histoire et histoire…………………………………….………...54

3.3. La place de la fiction dans le récit de la Shoah…………………………….……...…55

3.4. Le devoir et travail de mémoi………………………………………….…………..…59

CHAPITRE 4 : RÉCEPTION DE L’ŒUVRE…………………………………….……………62

4.1. Des opinions riches et diverses………………………………………….………...….63

4.2. Les enjeux des Bienveillantes………………………………….…………………….66

4.3. Les raisons d’un tel succès……………………………………….…………………..68

CHAPITRE 5 : CONCLUSIONS………………………………………………………………70

CHAPITRE 6 : BIBLIOGRAPHIE DE RÉFÉRENCE…………………………………..……..72

6.1. Œuvres principales…………………………………………………………….…....73

6.2. Œuvres secondaires…………………………………………………………….…...73

6.3. Interviews, Revue, magazine…………………………………………………...….73

6.4. Mémoires………………………………………………………….……………...…75

6.5. Conférences, Séminaires………………………………………….……………..…76

6.6. Reportages, Court- métrages………………………………………………………76

6.7. Films……………………………………………………………….……………..…76

5
« Tout ceci est réel, croyez- le » 1

_______________________
1
LITTELL, Jonathan, Les Bienveillantes, Paris, Gallimard, 2006, p. 377.
6
INTRODUCTION

7
INTRODUCTION

« Frères humains, laissez-moi vous raconter comment ça s’est passé »2. Ainsi
commencent Les Bienveillantes (Les B.)3, ce livre qui crée l’événement lors de sa sortie,
en France en 2006. Le narrateur est à la surprise générale, un officier nazi écrivant ses
mémoires et ce « ça », comme il le définira lui-même dans le prologue, n’est rien de
moins que la Seconde Guerre Mondiale et le génocide des Juifs d’Europe.

À la lecture de ce « roman mémoire », nous serons surpris de voir au combien les


questions soulevées dans celui-ci, dépassent amplement le cadre du simple roman. En
effet, Jonathan Littell (J.L.) 3 conduit son lecteur à s’interroger sur le rapport de
l’Homme au Mal et sur sa « potentialité » à devenir bourreau lorsqu’il s’arrête de penser
et perd toute conscience de lui-même.

Par conséquent, se pose alors au lecteur l’incontournable question, « qu’aurions Ŕ


nous fait sous l’oppression allemande ? Comment aurions nous réagit si nous étions né
allemand lors de la Shoah ? ».
C’est à travers de telles interrogations que J. L. nous confronte à nous Ŕmêmes
tout comme à notre conscience et nous met face à la question du choix. Nous verrons
alors la thèse de l’obéissance ou plutôt de désobéissance, développée par Stanley
Milgram, celle de la perte de soi, inaugurée par Hannah Arendt, mais également celle du
problème social soulevée par J.L.

Nous verrons que le choix d’un personnage nazi, intellectuel, philosophe,


homosexuel, ou encore incestueux, comme narrateur, n’était en rien anodin. En effet, J.
L. cherche à nous démontrer que si nous avons longtemps tenté de rayer de l’humanité
les bourreaux nazis, ils ne restent, néanmoins ni plus ni moins que des hommes, et par
delà nos semblables.
Au vu d’une telle démarche, se pose, inévitablement, un problème moral et
éthique : Comment réagir face à un tel discours ? Comment interpréter de la part d’un
homme ayant participé au plus grand crime de l’humanité : « Je suis comme vous »4 ?

En rappelant à ses lecteurs que la Shoah fut avant tout une histoire d’Hommes,
nous constaterons que ceci suscitera un certain malaise, une gêne voire honte chez la
grande partie du lectorat. Car il est vrai que J. L. réussit à nous écœurer de la nature
humaine, au point de vouloir nier toute relation avec ces animaux, assassins, pourtant
humains : « Frères humains ».
_______________________
2
Ibidem, p. 13.
3
Afin d’éviter la redondance et la lourdeur du récit, nous décidons d’abrévier le nom de l’auteur, ainsi
que le titre de l’œuvre. Chacun apparaitra désormais sous les initiales respectives suivantes: J. L. ou L.
pour Jonathan Littell et Les B. ou B. pour Les Bienveillantes.
4
Ibidem, p. 43.

8
La décision de lire Les B. est pour chaque lecteur un engagement, à la fois
physique, de part la densité du roman, mais surtout moral :

« Car méfiez vous de votre imagination lorsqu’il s’agit de


l’inimaginable, nous avertirent les témoins de la Shoah, car l’horreur
que vous imaginez est encore trop belle pour être vraie ».5

Le roman de J.L. nous permettra également de nous interroger une nouvelle fois
sur le genre du témoignage, sur ce passage de flambeau des victimes aux bourreaux
pour raconter la Shoah. Nous nous interrogerons sur la légitimité, la parole de ces
derniers : « Pouvons nous croire les bourreaux ? ».

Si nous nous interrogerons sur la légitimité des bourreaux à relater les faits
survenus lors de la Seconde Guerre Mondiale, nous nous concentrerons également sur
l’apparition d’une nouvelle tendance apparue dans le monde littéraire de ces dernières
années : une demande des lecteurs à comprendre plus intensément le Mal. Nous
essayerons, en effet, d’analyser l’émergence de ces bourreaux-témoins, qui connaissent
un fort succès et tendent à éclipser le récit des victimes.

Si J.L. relance le débat sur le genre du témoignage, il crée également une


polémique autour de la fiction. Peut-on romancer la Shoah ? N’existe-t-il pas un risque
d’atténuation des crimes nazis ou de perte de réalité. A l’heure où les derniers
survivants des camps de Treblinka, Auschwitz disparaissent, ne serait-il pas mieux de
nous concentrer sur le travail de mémoire ?

Nous dédierons, par delà, une partie de notre étude à cette mission de l’humanité
léguée par les victimes de la Shoah et tenterons d’évaluer si la fiction peut avoir une
place dans l’enseignement du génocide aux générations futures.

Nous verrons également que l’enseignement occupe une place majeure non
seulement dans le travail de mémoire mais surtout dans l’éducation de nos enfants. Car
il est bien beau d’enseigner la Shoah mais il faut surtout faire comprendre ce qu’elle
représente et ce que fut réellement le génocide des Juifs d’Europe.
En effet, il nous faut être conscient que la connaissance d’Auschwitz ne vaccine
pas contre Auschwitz. Les haines et les méfiances se transmettent de génération en
génération. Par conséquent, pour espérer ne plus voir ces atrocités génocidaires
recommencer, il nous faut comprendre pourquoi et comment nous arrivons à de telles
ignominies car « le plus jamais ça » n’a jamais suffi à préserver les générations futures.
Il faut davantage que des bonnes paroles, davantage que des résolutions, davantage que
de bonnes intentions.

_______________________
5
LACOSTE, Charlotte. L'extermination comme matière fabuleuse : Les Bienveillantes ou l'art de rendre
le nazi fréquentable, Paroles gelées, UCLA Department of French and Francophone Studies, UC Los
Angeles, 2008, p .2.

9
Nous terminerons en analysant les différentes et principales réactions qu’aura
suscité le roman de J.L : Nous commenterons autant les opinions dithyrambiques que
celles plus ou moins critiques.
Par cette démarche, nous tenterons d’exposer que si livre de L. est une œuvre
pour le moins polémique, qui aura connu l’éloge et la réprobation, l’objectif de son
écriture était bien précis.
En effet, nous chercherons à démontrer que l’important n’est point que les B.
plaisent ou déplaisent, l’objectif est plus subtil. Nous verrons que cette œuvre est un
véritable roman-thèse, c’est une fois le récit terminé, que commencent réellement la
lecture et l’analyse des B.
Cependant, nous attirons l’attention sur le fait que cette analyse ne devrait se
faire seule, au vu des multiples et périlleuses interprétations possibles et envisageables
considérant que l’auteur n’a cherché à éclairer son lecteur sur le pourquoi des B.

Par conséquent, que vous ayez aimé, détesté, survolé ou encore que vous n’ayez
ni lu les B., tout ceci importe peu.
En réalité, ce que L. a cherché à produire et a amplement obtenu, est d’engendrer
un débat et relancer le devoir de mémoire.
Car si certains ce sont injuriés face aux propos de Max Aue, d’autres ont
compris la démarche de L. et contribuent par leurs articles et interventions à rappeler
que la Shoah fut une histoire d’Hommes et qu’en somme cela peut de nouveau se
produire : Le nazisme n’étant pas une bactérie ayant infecté l’Europe entre 1939 et
1945, mais un problème social, une menace constante.

C’est pourquoi nous devons analyser et comprendre comment des hommes


comme vous et moi, « ordinaires » ont pu commettre le pire, afin de mettre en garde les
générations futures, leur faire prendre conscience du danger. Le danger de l’homme.
C’est arrivé, si nous ne faisons rien de plus, cela arrivera à nouveau, le génocide
du Rwanda en est la preuve.
Les B. permettent ainsi de relancer le devoir de mémoire mais aussi et surtout
d’engendrer une prise de conscience de l’homme face à la réalité de ses actes, en somme
à sa réalité.

10
CHAPITRE 1 :

LA QUESTION DU MAL AU CENTRE DES BIENVEILLANTES

11
CHAPITRE 1 : LA QUESTION DU MAL AU CENTRE DES
BIENVEILLANTES

La Banalité du Mal

A la lecture des Bienveillantes un thème semble incontestablement récurrent,


l’idée selon laquelle nous pourrions tous nous convertir en bourreau :

« Vous ne pouvez jamais dire : Je ne tuerai point, c’est impossible,


tout au plus pouvez vous dire : J’espère ne point tuer. Moi aussi je
l’espérais, moi aussi je voulais vivre une bonne vie utile, être un
homme parmi les hommes, égal aux autres, moi aussi je voulais
apporter ma pierre à l’œuvre commune. Mais mon espérance a été
déçue et […] rien de tout cela ne pourra être réparé, jamais».6

« Je suis coupable, vous ne l’êtes pas, c’est bien. Mais vous devriez
quand même pouvoir vous dire que ce que j’ai fait, vous l’auriez fait
aussi. […] Si vous êtes né dans un pays à une époque où non
seulement personne ne vient tuer votre femme, vos enfants mais où
personne ne vient vous demander de tuer les femmes et les enfants des
autres, bénissez Dieu et allez en paix. Mais gardez toujours cette
pensée à l’esprit : vous avez peut-être eu plus de chance que moi,
mais vous n’êtes pas meilleur ». 7

A la lecture de ce prologue intitulé La Toccata, Max Aue tente de nous faire


comprendre que nous sommes tous égaux face à la possibilité de faire le Mal. Toutefois,
cette thèse bien que plausible ne risquerait Ŕelle pas d’atténuer le crime des nazis et par
delà, remettre en cause l’atrocité de la Shoah ?

Richard Millet : « Une des puissances de votre livre [Les


Bienveillantes] est non pas la banalité du mal sinon l’essence du
mal ».8

_______________________
6
LITTEL, op.cit, p. 43.
7
Ibidem, p. 37.
8
« De l’abjection à la banalité du Mal », à l'Ecole Normale Supérieure de Paris (ENS), avec LITTELL, J.,
DARMON, JC., KRISTEVA, J., BRAUMAN, R., mardi 24 avril 2007. [en ligne].
12
Dans cette première partie de notre étude, nous tenterons d’explorer le Mal
depuis son apparition et tenter de comprendre comment des hommes « ordinaires »
peuvent commettre des crimes contre l’humanité telle que le génocide de la Seconde
Guerre Mondiale. D’où vient le Mal, comment expliquer l’apparition d’un tel fléau ?

Prendre conscience et accepter le fait que l’homme possède la capacité de faire


le Mal et de tuer est primordial. Ainsi le lecteur comprend que nous ne sommes à l’abri
d’un nouveau génocide, si nous ne faisons pas un travail de mémoire en bonne et due
forme. Mais comment l’homme succombe- t-il au Mal ? Que faire pour le combattre ?

Hannah Arendt, philosophe allemande, expose sa thèse, à la clôture du procès


d’Adolf Eichmann en 1962, en Israël.

1.1. Théorie d’Hannah Arendt

« C’est par le vide de la pensée que s’inscrit le Mal »


Hannah Arendt, Le système totalitaire (1951).

1.1.1. Entre banalité et banalisation du Mal

Depuis sa sortie en août 2006, Les B. ont suscité une profonde polémique,
engendrant des opinions aussi dithyrambiques que sévères. Une telle hétérogénéité
d’opinions pousse à la réflexion et engendre un débat avant tout utile et nécessaire, celui
de continuer de raconter la Shoah et ne jamais oublier, refuser le refoulement.

Pour certains, la lecture des B. a été une curiosité pour d’autre une ambition, une
volonté, celle de s’immiscer dans le corps et esprit d’un nazi et tenter de comprendre ce
qui pousse un homme en apparence semblable à soi-même à participer à un génocide.

Le débat autour de ce livre ne nous a pas laissé sans arguments, toutefois, après
lectures de multiples et multiples interviews, colloques, séminaires, entretiens et autres,
un point nous interpelle, les B. pointent Ŕ t- elles du doigt le Mal ou l’Homme ?
Lors du débat autour de ce roman, revient une expression que nous devons à la
philosophe allemande Hannah Arendt : « La banalité du Mmal ». Nombreuses
réflexions sont issues de cette thèse, toutefois, il nous semble important de clarifier cette
expression afin d’éviter tout quiproquo possible.

La banalité renvoie au sujet, à l’homme, lequel voit son esprit humain comme
« modifié », « transformé ». Le Mal quant à lui a toujours la même valeur du point de
vue moral.
13
La banalisation du Mal, quant à elle, renvoie à l’objet, au Mal plus directement.
C’est le Mal lui-même qui se voit mystifié. On fait référence alors à une certaine
dédramatisation du Mal, une idée que l’on a souvent confondu avec la banalité du Mal.

Il faut reconnaître que ces deux notions bien que différentes sont ambigües dans le
roman de J.L. et tendent à déconcerter le lecteur.
En effet, la banalité du Mal est illustrée par l’évolution des nazis face au crime, de
leur passage à l’acte par obéissance à la jouissance de celui-ci ; et la banalisation du
Mal, quant à elle est représentée, bien qu’implicitement critiquée par l’auteur, avec les
actes des nazis (Massacres de Babi Yar ect...).
Bien que L. navigue entre ces deux pôles, il faut comprendre que les B. veulent
avant tout parler de l’Homme et de sa capacité à faire le Mal et en aucun cas remettre en
cause ou encore minimiser le Mal causé par les nazis.

En 1961, lors du procès d’Adolf Eichmann, en Israël, Hannah Arendt tentera de


comprendre comment l’Homme peut arriver à commettre de tels crimes comme ceux de
la Seconde Guerre Mondiale. C’est alors qu’apparaîtra l’expression de « banalité du
Mal », laquelle inspirera bien des auteurs tels que J.L.

1.1.2. Philosophie d’Hannah Arendt

Alors qu’en 1961, le monde entier a le regard rivé sur les témoins, Hannah Arendt,
philosophe allemande, née en 1906 à Linden et naturalisée américaine, se distingue en
regardant l’accusé.

Elle couvre à Jérusalem, le procès du responsable nazi Adolf Eichmann en qui elle
voit l’incarnation de « la banalité du Mal ».
Après avoir suivi pendant 10 mois, pour le journal américain The New Yorker, le
procès d’Eichmann, Arendt publiera en 1963, Eichmann à Jérusalem, compte rendu du
procès de celui qui fut considéré par sa hiérarchie comme le « spécialiste de la question
juive ».

Bien plus qu’un simple compte rendu de procès, Arendt nous offre une étude sur le
Mal ou plutôt sur les ressorts de celui-ci qui ont rendu possible les camps de
concentration. Afin d’orienter son rapport sur ce thème, la philosophe allemande
décidera de sous- titrer son œuvre: « Étude sur la banalité du Mal ».

Arendt estime que loin d’être le monstre sanguinaire qu’imagine et décrit l’opinion
publique, Eichmann est un homme tristement banal, un fonctionnaire ambitieux
entièrement soumis à l’autorité de sa hiérarchie et incapable de distinguer le Bien du
Mal.

14
En effet, Eichmann estime avoir accomplit son devoir, notion sur laquelle nous
reviendrons plus en avant. Il suit les consignes et cesse alors de penser. C’est ce
phénomène que Hannah Arendt décrira comme étant « la banalité du mal » :

Hannah Arendt: “Voir dans l’acte de mise à mort qu’une chose


banale […] l’auto-abrutissement c’est en cela la “ banalité du Mal”
et pour y parvenir, il existe une technique infaillible: “la pure absence
de pensée”.9

L’absence de pensée, tout comme l’absence de soi, lesquelles conduisent à


gommer sa propre identité et à sacrifier ses convictions et sentiments au profit d’un
objectif, auront entraîné Eichmann à participer au génocide de la Seconde Guerre
Mondiale.
Par conséquent « la banalité du Mal » désigne une capacité à commettre des
crimes, laquelle n’est ni « exceptionnelle » ni pathologique mais provient d’un
effacement de la personnalité. Contrairement au bourreau, le héros de la résistance,
quant à lui, reste présent à lui-même et aux autres.

Hannah Arendt démontre également dans son œuvre, Eichmann à Jérusalem.


Rapport sur la banalité du Mal, comment l’officier nazi, était parvenu à « se
convaincre » tout en court-circuitant sa conscience et sa pensée, que la tâche qu’il
accomplissait était un travail comme un autre en somme « banal ».10

En effet, c’était un homme pour qui le respect de la hiérarchie, l’obéissance aux


ordres et par-dessus tout, sa propre carrière étaient des valeurs incommensurablement
importantes à ses yeux:

Eichmann : “ Nous avions l’ordre d’Hitler! Du moment que le chef de


la Sipo et du SD m’en avaient fait part, personnellement, il n’y avait
plus d’hésitations possibles pour moi”. 11

Eichmann : “ Du moment que le chef suprême avait donné un ordre. Il


n’était plus nécessaire d’en rappeler l’objectif”.12

_______________________
9
ARENDT, Hannah. Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal, Paris, Gallimard, collection.
« Folio Histoire », 2002 [1966], p. 495.
10
Ibidem, p.391.
11
Le Procès d’Adolf Eichmann, Michaël Prazan, Infrarouge, 2011, 90 min [en ligne].
12
Ibidem.

15
Toutefois, avant d’approfondir cette idée du devoir, nous voudrions citer
Charlotte Lacoste qui dans son étude, Séduction des bourreaux , nous interpelle et
s’oppose au discours et explication d’Eichmann en répliquant :

« L’obéissance aux ordres n’est pas la cause du génocide, [mais


bien] l’alibi des responsables ».13

Guerres, idéologies meurtrières, pressions de l’autorité, toute situation de mise à


l’épreuve entraîne des choix. Terrifiants pour certains, qui se transforment en bourreaux,
courageux pour d’autres qui parviennent à rester intègres et fidèles à eux-mêmes ainsi
qu’à leurs valeurs.
L’étude d’Hannah Arendt nous confronte à nous-mêmes et nous rappelle de ne
jamais cesser de penser et rester fidèles à ce que nous sommes.

Youssef Ferdjani: « La Solution finale est définie comme “un trou


noir de l’esprit ».14

1.2. L’Anthropologisation du Mal

« On saura jamais ce qu’on a vraiment


dans nos ventres – Caché derrière nos
apparences – L’âme d’un brave ou d’un
complice ou d’un bourreau? – Ou le pire ou
le plus beau? Serions-nous de ceux qui
résistent ou bien les moutons d'un
troupeau ? »
Jean-Jacques Goldman, extrait de
« Né en 17 à Leidenstadt » (1990)

Comme nous l’avons exposé précédemment, l’un des principaux objectifs de L.


est de rappeler à ses lecteurs que cette histoire funeste du nazisme fut une histoire
d’hommes. Dès la première ligne de ce roman-thèse, il donne le ton : « Frères
humains… », mais il n’est pas le seul à vouloir le remémorer :

Jacques Vergès: « Le crime comme un signe d’hominisation et non


d’animalité ».15
_______________________
13
LACOSTE, Charlotte. Séductions du bourreau, Paris, Puf, 2010, p.401.
14
FERDJANI, Youssef, « Les Bienveillantes: Le National-socialisme comme mal métaphysique », Les
Bienveillantes de Jonathan Littell, Études réunies par Murielle Lucie Clément, Cambridge, OpenBook
Publishers, 2010, p. 273.
15
VERGÈS, Jacques, Serial Plaideur, 2008, in LACOSTE, 2010, op.cit, p.248.

16
Max Aue: « Ceux qui tuent sont des hommes, comme ceux qui sont
tués, c’est cela qui est terrible ».16

En donnant la parole à un bourreau et en démontrant que nous sommes tous


humains, L. rend compte de notre capacité à faire le Mal. En effet, il se refuse à faire du
nazi une exception en le décrivant comme un être inhumain ou encore un monstre. Son
objectif est avant tout de rappeler au monde, lequel a souvent voulu l’oublier, que les
nazis étaient des « hommes comme nous », de notre race et non des êtres différents.

Littell: « Comme eux on respire, on mange, on chie, on baise, […]


c’est malheureux, mais c’est comme ça ». 17

Jacques Vergès: « C’est que les assassins, les monstres comme on les
appelle, ne sont pas différents de nous. Ce sont nos semblables et nos
frères, comme dit le poète. En tout état de cause, ils ont comme nous
deux yeux, deux mains, un sexe, mais aussi un cœur pareil au nôtre. Et
quand nous parlons avec eux, les paroles qui sortent de leur bouche
n’ont pas un sens différent de celles qui sortent de la nôtre. Nous
comprenons leur silence, ils comprennent le nôtre. Il n’est pas vrai
que l’humanité se divise en deux : les hommes et les autres. Il y a les
hommes et les hommes. Les malfrats ou les assassins sont des humains
à part entière, ni plus ni moins que vous ».18

Que veut-il nous faire comprendre ? Que nous pourrions avoir commis les
mêmes crimes ? Le débat n’est pas là, certes, il affirme que nous sommes tous capables
de tuer, c’est une de nos macabres capacités (nous reviendrons a posteriori sur la notion
de choix).

En rappelant que le nazi était un homme, Littell rappelle que si le nazisme a


« disparu » en 1945, le mal, lui est encore bien présent. C’est, en effet, une manière de
nous avertir que si la Seconde Guerre Mondiale s’est terminée en 1945, ces acteurs tout
comme le mal, eux, n’ont pas disparus, par conséquent, il faut être vigilant.

_______________________
16
LITTELL, op.cit, p.43.
17
« De l’abjection à la banalité du mal », op.cit.
18
VERGÈS, op.cit. p.248.

17
1.2.1. Les bourreaux comme « hommes ordinaires »

Christopher Browning : « Tous les bourreaux sont des hommes


ordinaires. Or les hommes ordinaires, c’est nous tous. Donc nous
sommes tous des bourreaux ».19

Comment analyser ces vers de Christopher Browning tout comme les paroles de
Max Aue :

« Je suis un homme comme les autres, je suis un homme comme vous.


Allez, puisque je vous dis que je suis comme vous ! ».20

Comment interpréter de la bouche d’un nazi tel que Aue que nous sommes ses
égaux ?
Effectivement, dès le début des B., le narrateur nous parle du Mal comme un
problème universel, et non comme étant propre aux allemands et aux juifs. A travers
cette réflexion, l’auteur nous force à nous interroger sur l’attitude que nous aurions eue
face à la même situation :

« Ça vous concerne, vous verrez bien que ça vous concerne ».21

En plus de nous interpeller sur la place du Mal dans le monde, le narrateur rompt
les frontières entre bourreaux et victimes, en déclarant que nous sommes tous égaux :

«[…] gardez toujours cette pensée à l’esprit : vous avez peut-


être eu plus de chance que moi, mais vous n’êtes pas meilleur ». 22

_______________________
19
BROWNING, Christopher. Des Hommes ordinaires. Le 101e bataillon de réserve de la police
allemande et la Solution finale en Pologne, Paris, Tallandier, collection Texto, dans LACOSTE, 2010,
op.cit, p.3.
20
LITTELL, op.cit, p.43.
21
Ibidem, p.13
22
Ibidem, p.37.

18
Si L. parle de « potentialité du bourreau », le réalisateur Patrick Rotman parle
pour sa part d’ « ennemi intime », qui donnera titre à son documentaire consacré aux
tortionnaires français lors de la Guerre d’Algérie. Rotman mena une longue enquête
auprès d’anciens soldats français ayant exercé en Algérie, dans le but de comprendre
comment avaient-ils pu basculer dans le monde de la torture ?

Rotman: « Plus j’avançais dans les profondeurs de ce film, plus je


sentais qu’il m’échappait, ou plus exactement, qu’à son propos initial
décrire les mécanismes politiques et historiques qui avaient permis
l’engrenage de la violence extrême, s’en superposait un autre, plus
trouble, plus dérangeant sur la banalité du mal et la part d’animalité
qui hante l’homme : le salaud, ce n’est pas l’autre ; il est tapi en nous,
tapi dans notre ambre ».23

Aue s’interroge longuement sur cette notion de potentialité, ce passage à l’acte,


ce basculement qui a conduit à un des plus grands massacres jamais perpétré par
l’homme. Une barbarie extrême, une barbarie d’une ampleur exceptionnelle dont les
auteurs n’étaient pourtant, en apparence, que des « hommes ordinaires ».

Par delà la question suivante : Comment un homme ordinaire en somme un


homme comme les autres, un homme comme vous et moi se tourne t-il vers la guerre, la
violence, le crime, le Mal... Comment l’atrocité surgit-elle non pas chez les fous, ou des
pervers mais chez des hommes ayant toutes capacités mentales et physiques ? Comment
un homme ordinaire, sans apparente prédisposition à faire le Mal, peut-il être amené à
perpétrer des crimes contre l’humanité ?
Nous verrons que rentrer dans l’esprit d’une personne illustrant cette collision
entre l’ordinaire et le surréaliste, est un des facteurs du succès des B. En effet, on
découvre chez le lecteur une soif de curiosité, d’envie de comprendre, d’explorer
l’esprit du mal.

Nous verrons que L. parle du mal comme un problème social, qui se doit d’être
géré par les sociétés, en effet, il ne croit pas au mal comme cause mais plutôt comme un
résultat. Selon lui, il n’existe pas de personnes mauvaises en soi :

« Ce qui est vrai pour le mal individuel, l’est encore davantage pour
le mal collectif, quand le bourreau est entouré de gens qui lui
renvoient l’image que ce qu’il fait est bien. Toutes les collectivités ont
le pouvoir de faire le mal. […] Je crois que potentiellement, chacun
est capable de faire le mal. Si j’étais né quelques années plus tôt,
j’aurais été envoyé au Vietnam pour tuer des enfants vietnamiens ».24
_______________________
23
ROTMAN, Patrick. L’ennemi intime, Paris, Le Seuil, collection Points, 2007, p.11, dans LACOSTE,
op.cit. p.271.
24
Entretien de LITTELL Jonathan avec DUPLAT Guy, « Le phénomène Littell », La libre Belgique, 28
septembre 2006. [En ligne]

19
Henri Alleg, écrivain connu pour ses œuvres sur le génocide cambodgien rejoint
J.L. concernant le problème social, mais pousse sa réflexion en s’exprimant :

« Ce n’est pas le mal, sommeillant en chacun brusquement réveillé,


qui transforme, l’ange en bourreau et le « brave bidasse » en
tortionnaire, mais c’est la mise en condition morale et politique, dans
le cadre du système colonial et de la guerre qui pervertit toutes les
valeurs et légitime le crime, au nom de la défense de la
civilisation ».25

Pour Rotman, tout comme pour Henri Alleg, le basculement vers le mal et
l’apparition de cet « ennemi intime » est principalement dû à l’endoctrinement d’autrui
par une personne de confiance ou un supérieur hiérarchique. Ce qui revient à une mise
en situation d’incapacité réflexive et un conditionnement idéologique qui décérèbre tout
sens critique ou encore moral et par delà toute conscience de soi, ce qui nous ramène à
la théorie d’Hannah Arendt et sa « banalité du mal ».

Rotman « Vous venez d’arriver lieutenant, vous verrez, vous


changerez, comme nous tous ».26

Henri Alleg: « Dès qu’ils arrivaient de l’autre côté de la


Méditerranée [les jeunes soldats français] étaient pris en main par
des officiers de carrière dont beaucoup avaient participé à la guerre
d’Indochine et ils étaient mis en condition. On cultivait chez eux
l’esprit raciste et colonial. On tentait de faire appel, […] à des
instincts sauvages, à un désir de vengeance primitif […] : « Votre
copain a été tué par des fells, son cadavre a été profané, si vous ne le
vengez pas, vous n’êtes pas des hommes ! C’était le genre de discours
que des officiers tenaient à des appelés tout juste sortis de
l’adolescence et jetés dans un pays inconnu où , à chaque pas, ils
rencontraient la haine, la violence et la peur».27

Face au discours de Rotman, nous voyons comment le discours d’une personne


de confiance ou appartenant à notre hiérarchie parvient à nous convaincre d’agir en
allant à l’encontre de nos principes et valeurs.

_______________________
25
ALLEG Henri, Retour sur La Question. Entretien avec Gilles Martin, Bruxelles, Éd. Aden, p.58, dans
LACOSTE, 2010, op.cit, p.29
26
ROTMAN, 2007, op.cit, p.13 in LACOSTE, 2010, op.cit, p. 273.
27
ALLEG, Henri, Retour sur La Question. Entretien avec Gilles Martin, Bruxelles, Éd. Aden, p.42-43,
dans LACOSTE, 2010, op.cit, p. 301.

20
Alors que l’on pensait cette époque, vécue lors de la Première Guerre Mondiale
derrière nous, l’ère de la « propagande noire » s’ouvre à nouveau. Pour cette raison,
nous avons besoin d’œuvre comme celle des B. pour nous rappeler qu’il faut toujours
être vigilant face à la parole d’autrui et ne pas prendre pour parole d’évangile tout ce
que peut nous transmettre une personne de confiance ou encore un supérieur
hiérarchique. L. nous met en garde face au phénomène de « Mouton de Panurge », et
une fois encore, nous retrouvons la pensée d’Hannah Arendt : penser par nous-mêmes.

Nous illustrerons cette thèse, par un fait survenu aux Etats-Unis : En 1972, en
pleine guerre d’Indochine, et après le massacre de My Lai, deux américains, Kelman et
Lawrence, se prêtent à une étude censée évaluer l’efficacité de la propagande lancée par
le gouvernement américain. Celle-ci qui justifiait la guerre du Vietnam comme étant
une nécessité pour sauver le monde libre s’est révélée si efficace que 51% des
Américains répondirent qu’ils se seraient exécutés si on leur avait donné l’ordre de tuer
tous les habitants, enfants compris, d’un village vietnamien. 28

Gitta Sereny, journaliste et historienne, ayant principalement écrit sur la Shoah,


évoque, pour sa part, une autre thèse, celle que certaines personnes ont une
prédisposition pour faire le Mal, en effet, elle déclare après son entretien avec le
commandant de Treblinka, Franz Stang (publié en 1974) :

« Je suis convaincue que ces bourreaux- là [nazis] avaient en eux une


inclination vers le mal, une sorte de faiblesse au départ, je dirais un
manque de caractère moral, le besoin d’être admiré, d’être différents
des autres » 29

A travers ces différents témoignages et opinions, nous réalisons que les


criminels nazis, étaient essentiellement humains dans leur capacité à faire le mal. Bien
que nous ayons tenté de déshumaniser ces criminels de guerre, ils restent et resteront
malheureusement à jamais des Hommes.

A travers la théorie d’Hannah Arendt et les diverses opinions en rapport avec


l’émergence du mal, nous arrivons à la conclusion essentielle, que l’homme doit rester
fidèle à lui-même à ses valeurs et ne jamais arrêter de penser, et ce par lui-même, sans
l’influence d’autrui.

_______________________
28
MILGRAM, Stanley, Soumission à l’autorité. Un point de vue expérimental, Paris, Calmann- Levy,
collection Liberté de l’esprit, 1974, p. 229.
29
SERENY, Gitta, « Il aimait ce travail devenu une addiction » in De la Shoah au Rwanda. Héros
Bourreaux. Deux visages de l’humanité, Philosophie Magazine, nº12, septembre 2007, p. 47.

21
1.2.2. L’expérience Milgram

Chacun d’entre nous s’est posé, au moins une fois, cette question, « LA »
question : « Qu’aurais-je fait entre 1939 et 1945, face à l’oppression nazie ? Aurais- je
été capable de mettre ma vie en danger pour en sauver une autre ? Ou aurais-je, au
contraire, succombé à la peur, à la délation, à la complicité ? Aurais-je dénoncé mes
voisins, mes collègues, mes amis ?

À moins de présumer de sa bravoure ou de sa lâcheté, il est difficile de décrire le


comportement que nous aurions adopté au moment venu. Conscients de cet inconnu,
nous ne persistons pas moins à penser, pour la plupart, que nous aurions rejoint la
résistance et affronter l’ennemi nazi. En effet, il est toujours plus facile de rejoindre le
camp des victimes, plutôt que celui des bourreaux. Toutefois est-t-il si certain que nous
n’aurions pas chuté ?

Les génocides du passé comme du présent, les guerres d’indépendance présentes


dans l’actualité tout comme les faits divers de chaque jour, démontrent qu’il est aisé de
transformé un individu « ordinaire » en tortionnaire.

A partir de 1960, à l’Université de Yale, le psychologue américain Stanley


Milgram, décide de procéder à une expérience afin d’évaluer le degré
d'obéissance (nous verrons qu’il s’intéressera, en réalité, essentiellement à la notion de
désobéissance) d'un individu devant une autorité qu'il juge légitime ; et ce dans le but
d’analyser le processus de soumission à l'autorité du sujet.

L’expérience compte trois acteurs, « un expérimentateur » qui amène le sujet


« professeur » à infliger des chocs électriques à un autre participant « élève », lorsque
celui-ci donne une réponse erronée à une question formulée par le professeur. Les
décharges électriques pouvaient aller de 40V jusqu’à 450V.

Lors de l’expérience, à laquelle plus de 40 personnes participèrent, femmes et


hommes âgés entre 20 et 50 ans, les participants ont été soumis à l’autorité de
l’expérimentateur et aux interpellations de ce dernier en cas d’hésitation :

« Veuillez continuer s'il vous plaît. », « L'expérience exige que vous


continuiez. », « Il est absolument indispensable que vous continuiez. », « Vous n'avez
pas le choix, vous devez continuer. ».

Si l’opinion publique ne s’est focalisée que sur les cas d’obéissance, Milgram
quant à lui s’est davantage centré sur le refus d’obtempération, en autres termes, sur les
cas de désobéissance :

« A une très forte majorité, les sujets ont administré les chocs les plus
faibles, quand ils ont eu la liberté d’en choisir le niveau. Pas « un n’a
profité » des ordres pour continuer l’expérience » 30
_______________________
30
MILGRAM, op.cit, p.95
22
Toutefois, nous sommes forcés de reconnaître et de prendre conscience que la
majorité des participants s’est laissée convaincre par l’expérimentateur et a cédé à
l’autorité supérieure, lorsque celle-ci était présente à ses côtés, pourtant conscients du
mal exercé sur « l’élève ».

Les conclusions de Milgram quant à son expérience rejoignent les théories de


Jonathan Littell, Henri Alleg et Hannah Arendt. En effet, l’obéissance est une question
avant tout social et d’éducation.
Il est prouvé lors de l’expérience Milgram, que les classes sociales plus
défavorisées rencontrent plus de difficultés à contredire l’autorité et tendent à suivre
plus scrupuleusement les instructions de l’expérimentateur. Voyons l’exemple de Pascal
Gino, employé à la compagnie des Eaux qui décharge un choc électrique de 450V, après
les ordres de l’expérimentateur néanmoins sorti de la salle à cet instant :

« Bon, c’est une expérience et les professeurs de Yale savent ce qu’ils


font. S’ils pensent que c’est bien, ce n’est pas à moi de dire le
contraire. Ils en savent plus que moi… » 31

La manière dont une personne est éduquée est également cruciale à l’heure
d’étudier le cas de l’obéissance. Prenons l’exemple d’un participant de carrière militaire
et par conséquent habitué à suivre et exécuter les ordres donnés :

« Quand on a ouvert la porte, j’étais persuadé que ce monsieur était


mort. Lorsque je l’ai vu, je lui ai dit « Bravo, je suis content ! Mais ça
ne m’aurait pas mis sens dessus dessous si on l’avait trouvé mort.
Moi, j’avais fait ce qu’on m’avait dit de faire ». 32

Comme le précisera Milgram, dans son œuvre, Soumission à l’autorité. Un point


de vue expérimental :

« La soumission est une condition d’intégration dans l’armée.


L’entrainement [l’obéissance] dont le but fondamental est d’abolir en
lui toute trace d’individualité, est à l’origine de « rétrécissement du
champ cognitif » qui permet de mener à bien la mission confiée ». 33

L’expérience aura également permis à Milgram d’aboutir à une autre conclusion,


que nous approfondirons lorsque nous étudierons la notion de « Choix ». Celle que la
soumission à l’autorité n’est pas une chose inéluctable en soi, pour qui n’en fait pas une
caractéristique de la nature humaine et s’intéresse à la possibilité de rébellion plutôt
qu’à la soumission.

_______________________
31
Ibidem, p. 114.
32
Ibidem, p.114
33
Ibidem, p. 223

23
Il démontrera également dans son rapport que l’influence du groupe peut libérer
l’individu de son assujettissement au contrôle de l’autorité et lui permettre d’agir en
accord avec ses valeurs :

« Dans l’expérience nº17, le sujet est entouré de deux autres


« moniteurs» qui se retirent de l’expérience à 210V […] 30 individus
sur 40 ont ainsi refusé d’obéir à l’expérimentateur ».34

Nous reprendrons l’argument d’Hannah Arendt et sa théorie sur la banalité du


mal : nous devons toujours rester fidèles à nous-mêmes et ne jamais cesser de penser
par notre propre chef et non celui d’autrui. L’expérience ayant démontré que l’autorité
supérieure peut profiter de la naïveté, de la vulnérabilité du sujet comme de son
assujettissement.

Tzvetan Todorov : « Un être qui ne fait qu’obéir aux ordres n’est pas
une personne ».35

1.3. L’inhumain reste humain

« L’inhumain fait partie de l’humain »


Leslie Kaplan, extrait du journal « Libération », 22 janvier 2000

Nous entendons souvent parler d’atrocité humaine, de monstres, à l’heure


d’évoquer les criminels, les terroristes et nazis. Il est en effet rassurant de se dire que ces
personnes ne sont pas comme nous, que nous ne ferions ce qu'ils font ou ont fait.
Néanmoins, le concept d'inhumain ne serait-il pas un moyen de nous protéger de
cet autre jugé inhumain mais finalement si semblable à nous-mêmes ? Ne serais-ce une
façon de nous rassurer que de penser qu’ils « ne sont pas comme nous », qu'ils ne sont
pas humains ? Cependant, rappelons les dires de Max Aue dans la Toccata :

« Je suis un homme comme les autres, je suis un homme


comme vous. Allez, puisque je vous dis que je suis comme vous ! ».36
_______________________
34
Ibidem, p.146-147.
35
TODROV, Tzvetan. Face à l’extrême, Paris, Seuil, 1991, p.180 in DELORME, Julie, « Les
Bienveillantes: une parole qui donne la voix au bourreau », Les Bienveillantes de Jonathan Littell, Études
réunies par Murielle Lucie Clément, 2010, op.cit, p.35
36
LITTELL, op.cit, p.43.

24
Il est essentiel de rappeler que les criminels restent humains, et par delà qu’une
fois ceux-ci immobilisés, arrêter, le problème ne s’arrête pas là. Il nous faut éduquer le
monde de telle façon que cela ne se reproduise plus.

Sans doute a-t-on longtemps négligé que l’inexcusable crime des bourreaux
nazis ne les excluait pas de l’humanité. Peut-être même a-t-on tenté d’oublier, voire de
d’occulter, en tenant loin de nous cette possibilité, implacable et terrible, que toute cette
boucherie administrativement organisée avait été conduite par des hommes.

Noemi Paiss, directrice de communication du musée de Washington revendique


l’exposition à la mémoire des victimes des « camps de la mort » comme :

« Le but ultime du musée, c’est une compréhension massive et


générale. Nous ne parlons pas de ce que les Allemands ont fait aux
Juifs, mais de ce que l’Homme à fait à l’Homme ».37

1.3.1. Les excuses avancées par les bourreaux

A expliquer le génocide de la Seconde Guerre Mondiale comme étant un acte


inhumain ou encore due à la méchanceté humaine, nous ne faisons que diluer la faute, la
responsabilité s’étendrait alors à l’humanité entière (victimes comprises) et les vrais
coupables s’en trouveraient dédouanés, l’inhumain et la méchanceté faisant avant tout
partie de l’humain.

Le narrateur des B., disqualifie également « l’inhumain » comme conclusion des


actes commis, car « mettre les massacres sur le compte de l’inhumanité ne résout ni
n’explique rien, parce que le concept n’existe pas » :

« On a beaucoup parlé, après la guerre, pour essayer d’expliquer ce


qui s’était passé, de l’inhumain. Mais l’inhumain, excusez-moi, cela
n’existe pas. Il n’y a que de l’humain et encore de l’humain. ». 38

Après nous avoir démontré que les bourreaux nazis était des personnes « comme
nous » dans le sens d’être « humains », et de quel manière apparaissait le Mal chez
l’homme, L. a cherché à étudier les excuses apportées par les génocidaires pour
expliquer leurs crimes. Par delà, nous retrouverons la pensée d’Hannah Arendt ainsi que
la confirmation de l’analyse de Stanley Milgram, avec la notion d’obéissance.

_______________________
37
WIEVIORKA, Annette, L’ère du témoin, Paris, Plon, 1998, p. 159, in LACOSTE, 2010, op.cit, p.298.
38
LITTELL, op.cit, p. 542.

25
Nous verrons que la majorité des bourreaux tendent à minimiser leurs
responsabilité dans l’action collective, en effet, nous verrons comment L. s’est
également engagé à condamner le processus de déresponsabilisation utilisé par les
bourreaux afin d’atténuer voir même de pardonner et dissoudre leurs actes.

A travers une citation tirée des B., nous verrons comment la majorité des
bourreaux rejetèrent la faute sur autrui ou prétendirent n’avoir fait que leur travail. Ainsi
les choses ou plutôt le plus grand génocide de l’histoire se serait produit par lui-même,
sans l’aide de quiconque, sans personne en conclusion un acte sans acteurs :

« Les malades sélectionnés dans le cadre d’un dispositif légal étaient


accueillis dans un bâtiment par des infirmières professionnelles, qui
les enregistraient et les déshabillaient ; des médecins les examinaient
et les conduisaient à une chambre close ; un ouvrier administrait le
gaz ; d’autres nettoyaient ; un policier établissait le certificat de
décès. Interrogée après la guerre, chacune de ces personnes dit : Moi,
coupable ? L’infirmière n’a tué personne, elle n’a fait que déshabiller
et calmer les malades […], le médecin non plus n’a pas tué, il a
simplement confirmé un diagnostic […].
Le manœuvre qui ouvre le robinet du gaz, celui donc qui est le
plus proche du meurtre dans le temps et l’espace, effectue une
fonction technique sous le contrôle de ses supérieurs et des médecins.
Les ouvriers qui vident la chambre fournissent un travail nécessaire
d’assainissement, […] le policier suit sa procédure, qui est de
constater un décès […] Qui est donc coupable ? Tous ou
personne ? ».39

Après le processus de déresponsabilisation vient celui de l’atténuation de leurs


responsabilités : En effet, nous verrons que la parade devenu classique du bourreau est
de dissoudre sa propre responsabilité dans la responsabilité collective : « J’agissais
comme mes collègues »40

Ou nous verrons une nouvelle fois, comme l’ont évoqué Stanley Milgram et
Hannah Arendt, l’excuse de l’obéissance :

Eichmann : « Il fallait obéir aux ordres » 41, ou encore justifier son


crime comme l’ayant accompli par devoir : Max Aue : « Je ne
regrette rien : j’ai fait mon travail, voilà tout » 42 ;

_______________________
39
Ibidem, p.35-36.
40
VITTORI, Jean-Pierre, On a torturé en Algérie, Paris, Ramsay, 2007, p. 14 in LACOSTE, 2010, op.cit,
p.69.
41
TERESTCHENKO, Michel, « L’engrenage du pire » in De la Shoah au Rwanda. Héros Bourreaux.
Deux visages de l’humanité, Philosophie Magazine, nº12, septembre 2007, p. 48.
42
LITTELL, op. cit, p.15.
26
« Ce que j’ai fait, je l’ai fait en pleine connaissance de cause, pensant
qu’il y allait de mon devoir et qu’il était nécessaire que ce soit fait, si
désagréable et malheureux que ce fut. ». 43

1.3.2. Le mal commit par devoir : l’obéissance

Dans le roman de J.L, on constate que les officiers nazis en arrivent à organiser
l’extermination de milliers de Juifs sans avoir, pour la plupart, le moindre penchant
criminel mais agissent par loyauté ou obéissance vis-à-vis du régime nazi :

Max Aue : « Je songeai à ces Ukrainiens : comment en étaient-ils


arrivés là ? […] Ils devaient avoir rêvé d’un avenir meilleur, et voilà
que maintenant, ils se retrouvaient dans une forêt, portant un
uniforme étranger et tuant des gens qui ne leur avaient rien fait, sans
raison qu’ils puissent comprendre. Pourtant, lorsqu’on en donnait
l’ordre, ils tiraient, ils poussaient les corps dans les fosses et en
amenaient d’autres, ils ne protestaient pas. Que penseraient-ils de
tout cela plus tard ? ».44

Tôt dans le roman, Aue s’interroge sur les massacres des civils juifs et sur le
fonctionnement du passage à l’acte chez les soldats allemands. « Si certains tuaient par
« plaisir », la plupart le faisaient par « devoir », d’autres encore, considérant les Juifs :

« […] comme des bêtes, les tuaient comme un boucher égorge une
vache […] Et moi alors ? Moi je ne m’identifiais à aucun de ces trois
types, mais je n’en savais pas plus, j’aurais eu du mal à articuler une
réponse […puis,] je m’en rendis compte un jour avec effroi, j’étais
curieux, je cherchais à voir quel effet cela aurait sur moi, et j’étais à
la fois cette caméra, l’homme qu’elle filmait et l’homme qui ensuite
étudiait le film ».45

_______________________
43
Ibidem, p.34.
44
Ibidem, p.130.
45
Ibidem, p. 105-106.
27
Ce sentiment de devoir implique de surmonter tout scrupule d’ordre moral, toute
compassion ou humanité, ceux-ci étant perçu comme une forme de faiblesse.

« Dans tout cela, la souffrance humaine ne doit compter pour rien


[disait Nagel] : « Oui, mais tout de même, elle compte pour quelque
chose ». C’était cela que je [Aue] ne parvenais pas à saisir : la
béance, l’inadéquation absolue entre la facilité avec laquelle on peut
tuer et la grande difficulté qu’il doit y avoir à mourir. Pour nous
c’était une sale journée, pour eux, la fin de tout ». 46

L’échelle des valeurs est inversée, le courage est pour le nazi de surmonter son
humanité. En somme, il leur fallait oublier d’être humain ou en aucun cas, considérer
l’autre comme tel : Dans la forêt de Kiel, Aue déclare « épier ceux qui venaient se
promener par là, les autres, les humains »47, comme s’il ne se considérait plus comme
tel.

« Sa violence (celle du SS) croît et tourne au sadisme lorsqu’il


s’aperçoit que le détenu, loin d’être un sous-homme comme on le lui a
appris, est justement, après tout, un homme, comme lui au fond, et
c’est cette résistance, vous voyez, que le garde trouve insupportable,
cette persistance muette de l’autre et donc le garde le frappe pour
essayer de faire disparaitre leur humanité commune ».48

«Tout cela démontrait que l’autre existe, existe en tant qu’autre, en


tant qu’humain, et qu’aucune volonté, aucune idéologie, aucune
quantité de bêtise et d’alcool ne peut rompre ce lien, ténu mais
indestructible. Cela est un fait, et non une opinion».49

En essayant d’analyser ses actes comme ceux de ses collègues nazis, Aue
s’interroge sur la conscience des hommes de la SD [Service de renseignement de la SS].
À travers cette analyse nous retrouvons la thèse d’Hannah Arendt et constatons
une intrusion de la pensée de l’auteur, s’étant lui-même inspiré du travail de la
philosophe:

« J’avais voulu servir, j’avais accompli pour ma nation et mon peuple


et au nom de ce service des choses pénibles, affreuses, contraires à
moi-même ». 50
_______________________
46
Ibidem, p. 125.
47
Ibidem, p. 163.
48
Ibidem, p. 574.
49
Ibidem, p. 217.
50
Ibidem, p. 489.
28
« Moi aussi, je savais prendre mon plaisir lorsque je le voulais, non,
c’était sans doute à leur manque effrayant de conscience de soi, cette
façon étonnante de ne jamais penser aux choses, les bonnes comme
les mauvaises, de se laisser emporter par le courant, de tuer sans
comprendre pourquoi et sans soucis non plus […]. Voilà ce que moi je
ne comprenais pas, moi, mais on ne me demandait pas de le
comprendre ».51

Nous retrouvons les notions d’absence de pensée, de la perte de conscience de


soi-même sous l’influence d’autrui. Nous constatons que les nazis n’ont pas cherché à
comprendre et ont suivi leurs supérieurs illustrant alors l’expression « mouton de
panurge » [personne suivant un mouvement ou une majorité sans réfléchir]. Nous
constatons une nouvelle fois l’importance de penser par soi-même et savoir se rebeller
lorsqu’une action nous semble mauvaise, injuste ou encore contre nature.

Si nombreux bourreaux ont tenté de justifié leurs actes par les notions
d’obéissance, devoir ou encore ont cherché de minimiser leurs actes et témoigner de
l’horreur que leur inspirait leur travail ; il semblerait que le plus dur aurait été le premier
pas vers le crime, vers la torture. En effet, la plupart, s’étant arrêté de penser,
paraissaient s’être habitués à leur travail, devenu « banal » au quotidien.

1.3.3. Le crime : un mal auquel on s’habitue

Aue explique à plusieurs reprises qu’il existe deux sortes d’exécutants, ceux qui
prennent du plaisir à tuer et ceux que cela répugne, mais qui agissent par devoir,
obligation, dévouement à la nation. 52 Il va jusqu’à citer dans la première catégorie un
homme qui éjacule à force de battre les détenus.53

Aue observe, avec le docteur Wirths, que la pratique de la violence fait passer
beaucoup d’hommes d’une catégorie à une autre, comme si elle faisait émerger une
pulsion souterraine:

«Même les hommes qui, au début, frappaient uniquement par


obligation, finissaient par y prendre goût. [...] Ces camps sont une
pépinière de maladies mentales et de déviations sadiques; après la
guerre, quand ces hommes rejoindront la vie civile, nous nous
retrouverons avec un problème considérable sur les bras». 54
______________________
51
Ibidem, p. 135.
52
Ibidem, p.97-98 ; p.105-106.
53
Ibidem, p. 574.
54
Ibidem, p. 573.
29
En ce qui concernait les autres, ceux qui avaient décidé de s’acquitter de leur
tâche par sens du devoir, qu’ils soient indifférents ou dégoutés par rapport à ce qu’on
leur demandait, trouvaient également une forme de plaisir ; non pas dans ce qu’ils
faisaient mais plutôt dans leur dévouement, dans leur capacité à surmonter la tâche
difficile qui leur était soumise.

Face à de telles actions, paroles des participants et collaborateurs du génocide, il


semblerait que les nazis avaient substitué la règle d’or [Ne fais pas à autrui ce que tu ne
voudrais pas qu’il te fasse] par la règle de fer [Ce que tu es prêt à t’imposer, tu peux
l’imposer à autrui, le sacrifice de ta vie que tu es prêt à faire, tu peux y exposer autrui].

Aue qui ne se reconnait dans un aucun de ces cas, connaît cependant le


tiraillement de Léonte, partagé entre le désir de voir les corps morts et le dégoût qu’ils
lui inspirent. A travers cette idée de « l’angoisse de Léonte », pourrait s’expliquer le
succès des B. et des bourreaux- narrateurs (thème sur lequel nous reviendrons dans une
troisième partie intitulée, « Les B. donnent la parole aux bourreaux »), l’envie de voir,
de toucher des doigts le mal tout en étant dégouté par celui-ci :

« Les soldats semblaient [quant à eux] rarement éprouver l’angoisse


de Léonte, seulement son désir, et ce devait être cela qui dérangeait la
hiérarchie, l’idée que les hommes pussent prendre du plaisir à ces
actions ». 55

Plus l’on avance dans le roman et plus l’agressivité, la violence, les crimes des
nazis se font présents. En effet apparaît la sensation que le premier meurtre est le plus
difficile et que par la suite, les soldats s’y habituent. Aue va jusqu’à le reconnaître
lorsqu’il assiste à des exécutions :

« Ce sentiment de scandale [s’use] de lui-même et on en


prenait, en effet, l’habitude ».56

« Les officiers eux-mêmes se laissaient aller. Une fois, tandis que les
Juifs creusaient, je surpris Bohr en train de chantonner : « La terre
est froide, la terre est douce, creuse, petit Juif, creuse ». Le
Dolmetscher traduisait, cela me choqua profondément. Je connaissais
Bohr depuis quelques temps maintenant, c’était un homme, normal, il
ne nourrissait aucune animosité particulière contre les Juifs, il faisait
son devoir, comme on le lui demandait, mais visiblement, cela le
travaillait, il réagissait mal ».57

_______________________
55
Ibidem, p. 148.
56
Ibidem, p. 170.
57
Ibidem, p. 133.

30
Si jusqu’ici nous avons parlé uniquement de banalité du mal, de la violence, de
la torture, du crime, de la pure et simple absence de pensée, il nous parait important
sinon essentiel de reconnaître le courage de ceux qui, loin de se considérés comme des
héros, affrontèrent le mal afin que triomphe le bien.
Ces hommes et ces femmes qui démontrèrent pour toujours à nos générations et
celles à venir qu’il existe toujours la notion de : «choix ».

1.3.4. Participer – Le choix : entre banalité du Mal et banalité du Bien

Qu’est ce qui fait que des individus basculent dans la barbarie et que d’autres
soient prêts à donner leur vie pour en sauver d’autres, sauver leurs principes, leurs
valeurs, leur pays ?

Comme nous l’avions annoncé, au début de notre étude, l’œuvre de L. dépasse le


cadre du roman. Loin de relativiser les crimes nazis, il nous confronte simplement au
mal et plus précisément au rapport de l’homme à ce dernier.
Il confronte le lecteur à la question suprême : aurions-nous collaboré ou aurions-
nous combattu le nazisme ? Donnerons-nous crédit à la parole de Max Aue ?

Avec ce roman, L. veut également mettre en avant la liberté de participation,


d’adhésion à la pensée nazie et valorise l’importance du choix, l’individualité de pensée,
la désobéissance et la confrontation à l’autorité lorsque les choix de celle-ci nous
semblent erronés.

Nous voulons par delà décréditer l’alibi des bourreaux, et soutenir l’opinion de
Charlotte Lacoste selon laquelle : « l’obéissance aux ordres n’est pas la cause du
génocide, [mais bien] l’alibi des responsables ».58

Prenons l’exemple d’Adolf Eichmann, qui durant son procès construit sa défense
sur le fait qu’il n’a fait que respecter les ordres, comme s’il n’aurait pu faire autrement :

« Je devais bien sûr m’acquitter de ma tâche » ; « Du moment que le


chef suprême avait donné un ordre... il n’était plus nécessaire d’en
rappeler l’objectif »59

« Où serait la logique de tuer une génération d’adulte si on laisse en


vie une génération de vengeurs potentiels qui pourraient par la suite
recréer la race ». 59

_______________________
58
Ibidem, p. 401
59
TERESTCHENKO, op.cit, p.48.
31
A travers ces quelques citations, nous ne voyons aucune trace d’un homme
luttant contre son destin ou sa condition de bourreau. En effet, nous apparait un homme
assumant totalement ses actes et par delà son choix de participer à l’extermination des
Juifs, une personne ayant fait exactement ce qu’elle a voulu et par conséquent ce qu’elle
a fait.

De plus, nous verrons qu’au visionnage de son procès, il nous révèle un de ses
principes fondamentaux : « Chacun est libre de vivre comme il l’entend ». Eichmann a,
pour sa part, fait le choix de servir aveuglement une hiérarchie, quelque soient les
conséquences.

Comme dira Primo Levi, dans son œuvre A la recherche des racines :

« Ils [les bourreaux] n’ont pas un sang différent au nôtre mais ils ont
pris, consciemment ou non, un chemin risqué, le chemin de la
soumission et de l’acquiescement qui est sans retour ».60

Si les B. illustrent la banalité du mal, notre capacité à torturer, à tuer, à sa


lecture, inévitablement nous revient le souvenir de ceux qui contrairement à Max Aue
décidèrent de rester maîtres de leur corps et de leur pensée et par conséquent
affrontèrent le nazisme.

Le philosophe Jean-Pierre Vernant, devenu chef de l’armée secrète de la région


de Toulouse déclare:

« Sans avoir le sentiment de faire un choix, on se trouvait jeté au


premier rang. Dans le cours des évènements, quelque chose entre en
jeu qui s’impose et vous dépasse ».61

A travers un tel discours, on comprend que le sentiment de choix chez ses


hommes, que le monde considère aujourd’hui et à jamais comme des héros, n’existe
pas, c’est pour eux une évidence.
Le « héros » est celui qui parvient à agir en accord avec ses convictions, à
raisonner par lui-même et non d’après les normes sociales en vigueur. Ces hommes qui
agissent sans chercher la gloire, l’ascension sociale ou hiérarchique tel qu’Eichmann
sont les « véritables héros » de la Seconde Guerre Mondiale, appelés encore aujourd’hui
« Les Justes parmi les Nations ».
À l’inverse des nazis, ils illustrent « la banalité du bien » sans réaliser pour la
plupart le fruit de leurs actions, celles-ci leur semblant « normales ».

_______________________
60
LEVI, Primo. A la recherche des racines, trad. par Marilène Raila, Paris, Mille et une nuits, 1999
[1981] p.215, in LACOSTE, 2010, op.cit, p.279.
61
ELTCHANINOFF, Michel et LEGROS, Martin, « Deux visages de l’humanité » in De la Shoah au
Rwanda. Héros Bourreaux. Deux visages de l’humanité, Philosophie Magazine, nº12, septembre 2007,
p.43.

32
Ne pouvant regrettablement, énumérer chaque geste et action de courage de ces
hommes, femmes et enfants, nous avons choisis d’illustrer deux figures caractéristiques
de la Résistance.

En premier lieu, Giorgio Perlasca, commerçant italien qui a sauvé des milliers de
Juifs. Interrogé sur les raisons qui l’animaient, il ne trouva rien à dire sinon qu’il « ne
pouvait faire autrement ». 62 Une expression qui revient dans la plupart des discours des
Justes tout comme dans ceux des criminels nazis.
Toutefois, ce qui dans un cas, n’était comme nous l’avons exposé, qu’un alibi
pour dissimuler une responsabilité, était dans l’autre l’expression d’un individu qui a agi
avec une spontanéité, un naturel à la fois « banal » et héroïque.

La seconde figure nous paraissant importante d’illustrer afin de démontrer que


quelque soit notre nationalité, notre culture, notre religion, français, espagnol,
catholique, protestant, athée ou encore allemand, tous, avons un droit fondamental, celui
du choix, de faire comme dirait Eichmann « de vivre comme nous l’entendons ».

Oskar Schindler, industriel allemand et appartenant au début de la guerre au parti


nazi, prend conscience de l’action de celui-ci et décide de sauver des centaines de Juifs
en les engageant dans son entreprise.
Ce personnage, porté à l’écran par Steven Spielberg en 1993 dans l’œuvre
cinématographique La Liste de Schindler, a démontré au monde entier qu’il est possible
de se laisser convaincre, de suivre la foule et de décider finalement de rompre ce lien, et
suivre sa propre voie, sa propre pensée et rester fidèle à soi-même et ses convictions.
Oskar Schindler n’hésitera pas à se mettre en danger pour sauver à l’époque
ceux qui représentaient son pire ennemi, une menace à sa race.
Empêcher la mort des juifs deviendra le principal objectif de Schindler et delà
verra le jour, la célèbre Liste de Schindler. A la libération, sa contribution lui paraitra
très insignifiante face à ce que, selon lui, il aurait pu et du faire :

« J’aurais pu en sauver plus, j’aurais dû en sauver plus, je n’en ai pas


fait assez. Pourquoi, j’ai gardé cette voiture ?… 10 personnes de plus,
cette insigne, c’est de l’or, deux personnes de plus… ».63

Schindler poursuivi pour crimes contre l’humanité après la guerre, recevra en


1993, après le témoignage de centaines de juifs en sa faveur, le titre de « Justes parmi
les nations ».
Nous reviendrons sur cette œuvre cinématographique dans notre partie sur la
place de la fiction dans le récit de la Shoah.

_______________________
62
TERESTCHENKO, op.cit. p. 49.
63
Schindler's List, [La liste de Schindler], SPIELBERG, Steven, avec Liam Neeson, Ben Kingsley et
Ralph Fiennes, États-Unis, 1993, Drame-Histoire, 183 min. minutes 170-173.

33
Nous conclurons ce chapitre sur la banalité du mal sur cette citation des B. :

« Sans les Höss, les Eichmann, les Goglidze, les Vychinski, mais aussi
les aiguilleurs de trains, les fabricants de béton et les comptables des
ministères, un Staline ou un Hitler n’est qu’une outre gonflée de haine
et de terreurs impuissantes ».64

Par conséquent, suivons l’exemple des Justes et n’oublions jamais que notre
destin nous appartient et qu’il est vital de rester fidèle à nous-mêmes.

_______________________
64
LITTELL, op. cit. p.38.
34
CHAPITRE 2 :

LES BIENVEILLANTES DONNENT LA PAROLE AUX


BOURREAUX

35
CHAPITRE 2 : LES BIENVEILLANTES DONNENT LA PAROLE AUX
BOURREAUX

2.1. Le témoignage

« Nous ne pouvons pas vivre sans témoins,


une histoire non racontée, n’a pas eu lieu »
François Poirié, Comme une apparition
(2007).

Alors que dans le cadre de la littérature, le récit de la Seconde Guerre Mondiale


et la représentation de la vie dans les camps ont essentiellement, été fait à travers des
discours testimoniaux donnant la parole aux victimes, Les B. de J.L. rompent cette
tradition en cédant la parole aux bourreaux.

Dans ce chapitre, nous dédierons une grande partie de notre étude au genre du
témoignage et tenterons de comprendre cet improbable passage d relai des victimes aux
bourreaux pour décrire l’horreur de la Shoah et par delà le choix de J.L. pour cet étrange
narrateur, source de nombreuses et vives controverses, lors de son apparition à
l’automne 2006.

2.1.1. Origines du genre

Le genre du témoignage apparaît lors de la Première Guerre Mondiale, afin de


révéler la réalité des tranchées, des combats et par conséquent décréditer la propagande
mensongère diffusant l’idée que la Guerre sera facile et que les soldats reviendront tous
en héros:

« Partis tout « turbulents d’épopée » en quête de sublimes combats,


les soldats ne reconnurent à leur arrivée sur les champs de bataille
aucun des signes de la guerre telle qu’ils l’avaient imaginée d’après
ce qu’ils avaient lu et entendu, et ils déchantèrent sur-le-champ »65

_______________________
65
BERNIER, Jean. La Percée. Roman d’un fantassin, 1914-1915, 1re éd. Albin Michel, republié par les
Éditions Agone, coll. « Marginales », 2000 [1920] p. 18, in LACOSTE, 2010, op.cit, p12.

36
Jean Norton Cru, écrivain principalement connu pour avoir encouragé les
témoins à écrire leurs expériences dans les tranchées et dévoiler la réalité de la Guerre,
est un des premiers à dénoncer cette propagande et à revendiquer les écrits des témoins
comme une véritable œuvre à part entière et par delà considérer « le témoignage »
comme genre.

En 1918, le témoignage des combattants est un genre absolument nouveau,


« neuf », en effet, peu écrivent, la plupart se découragent persuadés par l’idée que :

« L’essentiel de la Guerre est ce qui n’a jamais été dit parce que cela
ne peut se traduire en paroles humaines ».66

En effet, il leur fallait trouver les mots alors qu’il n’existait alors encore aucun
modèle, aucune référence en matière de témoignage. Il fallait également surmonter
l’angoisse de n’être pas lu, pas cru ou encore mal interprété.

Jean Bernier: « Que dire ? Je suis déchiré entre le désir de me confier


absolument et la peur de n’être pas compris ».67

Néanmoins, nous verrons que certains trouverons la force de témoigner afin


d’informer, de démystifier l’idée de la Grande Guerre. Les premiers témoignages des
poilus se caractérisent par l’humilité de leurs discours, en effet, ils ne retracent pas
d’actions éclatantes, mais l’humble vie de l’homme dans les tranchées, leur triste
quotidien. Ces auteurs s’imposent alors, bien que peu lus à leur époque, comme les
pionniers du genre du témoignage.

Meyer: « Je n’ai voulu faire une œuvre documentaire ou encore


historique- j’en serais bien incapable- ni une œuvre à tendance car les
tendances de la guerre ne sont nées qu’après la guerre et non pas une
œuvre littéraire ; ma seule intention quand j’ai relu et corrigé, si peu,
ces bouts de papiers chiffonnés […] fut d’apporter, comme témoin au
sens fort du mot, l’hommage dû à ces Hommes, morts ou vivants, à ces
paysans, puisque s’en étaient presque tous, à ces « bonshommes ».68

_______________________
66
CRU, Jean Norton. Témoin. Essai d’analyse et de critique des souvenirs de combattants édités en
français de 1915 à 1928, 1ère édit. Paris, Les Étincelles, Presses universitaires de Nancy, 2006 [1929],
p.225, in LACOSTE, 2010, op.cit, p17.
67
BERNIER, op cit, p. 177 in LACOSTE, 2010, op.cit, p.17.
68
MEYER, Jacques, La Biffe, Paris, Albin Michel, 1928, p. 25 in LACOSTE, 2010, op.cit, p.26.

37
2.1.2. Un genre nouveau et censuré

Durant la Première Guerre Mondiale, le témoignage, comme œuvre littéraire,


passe totalement inaperçu. En effet, il faudra attendre la Seconde Guerre Mondiale pour
que ce genre soit reconnu comme tel et que le monde lui accorde l’attention et le succès
qu’il méritait.
Nous le verrons alors illustré par des auteurs, aujourd’hui incontournables, tel
que Primo Levi et son livre « Si c’est un homme », écrit entre 1945 et 1947 ou encore Le
Journal d’Anne Frank, publié pour la première fois, en Hollande, en 1947.

A l’heure d’étudier le récit de la Shoah, il nous semble important de rappeler les


caractéristiques du témoignage, se définissant par un récit sobre et précis des
souffrances physiques et morales endurées par le survivant, qui endosse le rôle de
témoin et porte-parole des morts.
Le témoignage a pour objectif premier de décrire ce que le survivant à vu,
entendu, senti et pensé au contact de la mort et sous les tortures qui lui furent infligées
par l’homme. Dans le but que les générations à venir, mieux instruites, en soient
épargnées, et soient conscientes de la réalité de l’Histoire.

Il s’agit par conséquent, d’un genre éthique fondé sur la responsabilité du


survivant vis-àŔvis des vivants. C’est également un genre critique, visant à mettre en
garde les mystificateurs et ceux qui croyaient pouvoir imaginer et informer sur la guerre
et l’extermination, sans l’avoir vécu. En autre, le genre du témoignage apparait afin de
contredire l’idée propagée de la guerre.

Toutefois, si certains ne vivent que pour transmettre la vérité, d’autres sont


décidés à les en empêcher et les témoignages des survivants sont victimes (une nouvelle
fois) de la censure.
En effet, les récits trop sincères sans doute, trop poignants, trop réels, dérangent,
font peur, démoralisent.
Le gouvernement et l’armée craignant que les hommes désertent ou alors
refusent de s’engager, décident de censurer certains passages de leurs mémoires, sans
pour autant « interdire » la parution des ouvrages. Leurs récits se trouvent, par
conséquent, dénués de tout sentiment d’horreur, de peur en somme de toute réalité.

Galtier- Boissière : « Après avoir follement exposé sa peau, chacun


s’est repris et veut à tout prix la sauver [censuré]. Cherchons à
échapper au vainqueur, à ne pas être pris, à sortir vivant de cet
enfer ! Le flot des fantassins qui roule pêle-mêle dans ce fossé
tragique ne connait plus de chefs [censuré]. Il n’y a plus que des bêtes
traquées… »69

_______________________
69
GALTIER-BOISSIÈRE, Jean. En rase campagne, 1914. Un hiver à Souchez, 1915-1916, Paris, Berger-
Levreault, coll. « La Guerre. Les récits de témoins », 1917, p.70-71 in LACOSTE, 2010, op.cit, p.27.

38
Défendeur des droits des témoins, Jean Norton Cru entend réunir les écrits des
poilus dans une œuvre qu’il publiera en 1929, intitulé, Témoins: essai d’analyse et de
critique des souvenirs de combattants édités en français de 1915 à 1928, afin de
dénoncer la censure et faire valoir leurs droits d’expression :

« Je les présente comme témoins dans toute la force du mot ».70

Ces témoignages regorgeant de souffrances, d’humilité et avant tout de vérité,


annoncent ceux des victimes et rescapés des camps de concentration et d’extermination
de la Seconde Guerre Mondiale. Un genre est né celui du : « témoignage ».

2.2. Du témoignage des victimes à celui des bourreaux

« La faiblesse humaine est d’avoir des


curiosités d’apprendre des choses qu’on ne
voudrait pas savoir »
Jean- Baptiste Poquelin, dit Molière,
Amphitryon, II, 3, Sosie (1668).

Premièrement censurés, puis peu lus ou encore mal interprétés, incompris, les
témoignages des victimes des Grandes Guerres connaissent peu de succès durant la
première moitié du XXème siècle.
En effet, il semblerait que l’histoire des victimes de guerre n’intéresse pas les
lecteurs. Mais alors comment expliquer le succès d’une autre figure emblématique et
non moins controversée de la guerre ?

En effet, à première vue l’image du bourreau semble attirer davantage le


lectorat. Comparons le succès des B., œuvre incontestablement reconnue par le monde
littéraire ayant obtenue le Prix de l’Académie Française ainsi que le Prix Goncourt en
2006, à celui du chef d’œuvre de Primo Levi, Si c’est un homme, lors de sa première
parution en 1947 : Nous constatons que la première édition de Si c’est un hommes s’est
vendue à moins de 2.000 exemplaires en dix ans, soit un taux environ 350 fois inférieur
aux B., celles-ci s’étant vendues en un peu moins d’un an à plus de 700.000
exemplaires.71

Dans ce chapitre, nous tenterons d’expliquer cet intérêt soudain et préférence


pour le « témoignage » du bourreau et par delà le choix de L. pour un bourreau-témoin.
Tout en analysant, également, le problème d’un point de vue éthique que ce choix a pu
engendrer.
_______________________
70
CRU, op.cit., p. 183 in LACOSTE, 2010, op.cit, p.27.
71
LACOSTE, 2010, op.cit, p.7

39
2.2.1. Le manque de succès des témoins-victimes
« La retenue de leur style, la simplicité de leurs récits nuisit à la
reconnaissance de leur mérite et leur voix discrète se trouva étouffée
dans le tumulte des vantardises héroïques ou des dénonciations
sensationnelles ».72

A l’origine du témoignage et après la censure des textes de la Première Guerre


Mondiale, les témoins sont à présent, confrontés, non à l’impossibilité de dire mais à
une impossibilité, une incapacité à se faire entendre. Le message des témoins est passé
sous silence. Nous sommes face à un symptôme de non-communication.

Primo Levi: « C’est peine perdue, je m’aperçois que mes auditeurs ne


me suivent pas. Ils sont même complètement indifférents. Ils parlent
confusément d’autre chose entre eux, comme si je n’étais pas là ».73

En effet, après 1945, le public ne veut plus entendre parler ni des camps, ni de la
résistance, ni de tout ce que la Guerre a produit, consentit. Le monde semble vouloir
oublier, fermer les yeux (à nouveau).
Nous revenons alors au sentiment d’horreur, de culpabilité, de honte de n’avoir
pas fait plus, d’avoir laissé faire, d’avoir fermé les yeux. Les témoignages des victimes
sont reçus comme des décharges électriques nous mettant à nouveau face à notre
responsabilité, face à notre réalité. Apparait alors l’idée contradictoire qu’on en a trop
entendu :

« Encore ! Vont dire les blasés, ceux pour lesquels les mots « chambre
à gaz », « sélection », « torture » appartiennent non pas à la réalité
vivante mais au vocabulaire des années passées, vocabulaire à ranger
au « décrochez-moi-ça » de la Résistance. Oui, il faut encore parler
avant que les bleuets d’Auschwitz (aussi bleu que ceux des blés de
France) aient absorbé tout la cendre humaine d’où ils surgissent ».74

Face à une telle réaction, peu écriront et les rares survivants à avoir trouvé les
ressources nécessaires pour mener à bien leur entreprise testimoniale verront alors se
réaliser leur pire crainte, car non seulement on refusera de les croire mais on refusera de
les entendre.

_______________________
72
CRU, op.cit, p.113 in LACOSTE, 2010, op.cit, p. 28.
73
LEVI, Primo, Si c’est un homme, Paris, Julliard, 1987 [1947], p.76 in LACOSTE, 2010, op.cit, p.32.

40
74
WORMER, Olga. Le journal France d’abord, le 28 août 1946, in LACOSTE, 2010, op.cit. p.34.
Michaël Goldman, ayant été torturé par un officier S.S. à coup de fouet au camp
d’Auschwitz alors qu’il n’était qu’un enfant, désormais devenu policier et présent lors
du procès d’Eichmann à Jérusalem témoigne :

« Pourquoi n’as-tu jamais raconté ça ? » – « Je [Michaël Goldman]


n’ai jamais raconté ça, sauf une fois où je suis arrivé en Israël.
L’homme était assis avec sa femme et il a dit, en hébreu : « Ces gens
là ont vécu des choses tellement terribles pendant la Shoah
qu’apparemment il mélange le fantasme et la réalité. Quand on m’a
demandé pourquoi je n’avais pas raconté, j’ai répondu : Ce que j’ai
entendu de la bouche de cet homme qui ne m’a pas cru ça a été le
81ème coups [de fouet], mais ce n’est pas seulement moi qui est le reçu
le 81ème, mais tous ceux qui étaient arrivés en Israël et qui avaient
raconté ce qui était arrivé dans les ghettos et qui n’ont pas été cru par
les gens qui se trouvaient en Israël à ce moment là ». 75

Il faudra attendre les années 80 avec la seconde parution de Si c’est un homme


pour que le témoignage des Poilus et des victimes de la Shoah connaissent enfin le
succès qui leur était dû.

Toutefois, nous verrons que leur succès fut de courte durée et même si le roman
de Primo Levi est reconnu comme un chef d’œuvre et une pièce maitresse du genre du
témoignage, les lecteurs semblent lui préférer une autre figure de la Shoah : le bourreau.

2.2.2. Apparition de la figure du narrateur –bourreau

Treblinka, la révolte d’un camp d’extermination, de Jean- François Steiner, Les


médecins nazis. Le meurtre médical et la psychologie du génocide, de Robert Jay Lifton
ou encore Le Commandant d’Auschwitz parle, de Rudolf Höss, autant d’œuvres qui
illustrent l’invasion de la figure du bourreau dans le monde littéraire de la deuxième
moitié du XXème siècle (1962-1986-1995). En s’imposant d’une manière aussi écrasante
dans le récit des crimes de masses, les bourreaux ont pris indubitablement la place de la
victime.

Avant de connaître cet effet raz-de-marée, la figure du bourreau n’était pas


totalement étrangère au monde littéraire, en effet, les génocidaires ont toujours
fascinés : La mort est mon métier de Robert Merle, publié en 1952, en est le parfait
exemple, en publiant une autobiographie du commandant du camp d’extermination
d’Auschwitz, Rudolf Höss.
_______________________
75
Le Procès d’Adolf Eichmann, Michaël Prazan, Infrarouge, 2011, 90 min [en ligne].
41
Mais aussi à Dominique Gaussen qui dans, Le Kapo publié en 1965, fera parlé le
tristement célèbre commandant de Treblinka, Franz Stangl, ou encore l’œuvre d’Erich
Maria Remarque qui dans l’Etincelle de vie parue en 1952, mettra l’accent sur la cruauté
des gardiens.

L’écriture du « bourreau- témoin » serait- elle une nouvelle tendance littéraire ?


Aue illustre cette position se considérant lui-même comme un témoin, un « curieux »,
rien d’autre qu’une caméra qui filme la scène :

« Je ne suis pas plus qu’un officier de liaison, ce qui me convient.


J’observe et je ne fais rien, c’est ma posture préférée ». 76

Il est observateur des autres et de lui-même : cet état constant d’examen et


d’introspection participe à la connaissance de lui- même. En choisissant, un narrateur de
point de vue interne, Littell, ne cherche pas à ce que le lecteur s’identifie à son
personnage mais l’invite à procéder à ce même travail intérieur.

Plus en avant dans son récit, Aue cherche à justifier ce statut d’observateur en
déclarant qu’il regarde autrui :

« […] non pas avec un regard narcissique, ni avec un regard


critique, qui fouille les défauts mais avec un regard qui cherche
désespérément à saisir l’insaisissable réalité de ce qu’il voit – un
regard de peintre ».77

Par delà, il cherche à nous convaincre qu’il observe non pas par voyeurisme
mais afin de comprendre les actes de ses semblables (nous préciserons que cette
recherche de compréhension n’est acceptable qu’au début du roman, compte tenu que
Max Aue finit par passer à l’acte en participant directement à l’extermination des juifs
et de plus en commettant des assassinats individuels et gratuits).

Il semblerait que cette nouvelle tendance, et par delà apparition du bourreau


comme narrateur-témoin, réponde à une demande d’un lectorat à la recherche d’un
discours plus direct, plus tranchant, plus barbare, plus « sensationnel ».

Nous revenons alors sur la notion de curiosité, cette même curiosité que Max
Aue connait à la vue des massacres de Babi Yar, ce tiraillement de Léonte : entre la
volonté de voir et la répugnance qu’un tel récit peut nous inspirer. Le lecteur guidé par
son envie de comprendre comment l’homme a pu causer un tel mal, cherche à entrer
dans l’esprit du coupable, du mauvais, en somme du bourreau.

_______________________

76 LITTEL, op.cit, p. 367.

77 Ibidem, p. 1278.
42
Albert Mingelgrün: « Le bourreau présente l’avantage, si j’ose dire,
de montrer, de faire regarder, de faire voir en tant que témoin
privilégié ».78

Christian Ingrao : « Si l’on veut comprendre les massacres, les


atrocités, il faut en passer par le discours des bourreaux, pas par
celui des victimes innocentes par définition ». 79

Il semblerait que le lecteur ait assez lu les témoignages des victimes, et cherche
désormais à comprendre comment l’homme arrive à un tel acte de barbarie ? Nous
verrons qu’à part des raisons de curiosité, de recherche de vérité et par delà de
compréhension, certains lecteurs semblent être partenaires d’une forme de voyeurisme
littéraire. Celui-ci s’explique par une curiosité malsaine, qui rappelle le « tiraillement de
Léonte », de vouloir voir le mal, la souffrance, la haine, la douleur, l’agonie, la mort,
alors qu’ils nous répugnent.

2.2.3. A la recherche du sensationnel et des détails

Compte tenu du fait qu’elle témoigne, la victime est Ŕtelle obligée ou plutôt
contrainte de donner tous les détails de sa vie dans les camps, sans négliger aucun détail
à son lecteur ? Ne pouvons-nous pas lui accorder le reste de pudeur qu’elle conserve
après tant de souffrances ?

Il semblerait qu’il n’en ait pas le droit, en effet, les lecteurs lasses des ellipses
des victimes, décident de chercher les détails chez l’ennemi. En effet, la légende
culturelle semble croire qu’à travers les récits des bourreaux, nous en apprendrons plus,
nous comprendrons davantage ce qui nous parait impossible, incompréhensible.

Toutefois, ne nous trompons-nous pas de personnage pour comprendre les


génocides ? Quelle est la légitimité de leurs paroles ? Nous reviendrons sur cette idée a
posteriori.

_______________________
78
LECHÂT, B., MINGELGRUN, A., ROLAND, H., MOLITOR, M., CNUDDE, H., HACHEZ, T. « De
Degrelle aux Bienveillantes, Jonathan Littell et l’écriture de la Shoah » La Revue Nouvelle, nº7-8,
juillet-août 2008, p. 40.
79
LACOSTE, Charlotte, Un cas de manipulation narrative : Les Bienveillantes ou comment éveiller le
génocidaire qui sommeille en chacun de nous, Texto, 2009, p.1 [en ligne].
43
Intéressons-nous, tout d’abord, à cette curiosité malsaine de l’homme, à cette
recherche de détails toujours plus sanglants, dans le but d’assouvir sa soif de violence et
de souffrance. Détails qu’il peine à trouver chez les victimes, de part leurs récits comme
nous les avons définis, humbles :

Primo Levi: « Nous nous dimes alors, en cette heure décisive, des
choses qui ne se disent pas entre vivants ».80

Le lecteur dans sa volonté de comprendre, cherche également du sensationnel, il


cherche à toucher des doigts le Mal : Micheline Maurel, dans Un camp très ordinaire,
témoigne et se surprend:

« -Alors est-ce qu’on vous à violée ? (C’est la question qu’on m’a


posée le plus souvent) - Finalement, je regrettai d’avoir évité cela.
J’avais manqué par ma faute une partie de l’aventure et cela décevait
le public. Heureusement que je pouvais raconter le viol des autres. –
Vous avez beaucoup souffert ? On vous a battue ? On vous a
torturée ? Mais avec quoi vous battaient-ils ? On vous a stérilisée ? Et
les Russes, ils étaient méchants ? Quoi, vous n’aviez pas d’autres
vêtements ? Et quand vous aviez vos règles alors ? Et dites un peu
entre prisonnières, il y avait des homosexualités ? Et comment n’êtes
vous pas mortes ? ».81

A travers de tels témoignages, nous constatons que plutôt qu’écouter,


comprendre, aider, partager la souffrance des victimes, nous aurons davantage fait
preuve d’égoïsme et de maladresse à leur égard.
Ne devrions-nous pas les écouter, apprendre de leurs souffrances et combats et
l’enseigner pour que cela n’arrive plus jamais, plutôt que de vouloir à tout prix assouvir
notre curiosité.

A présent, cherchons à comprendre le choix d’un bourreau nazi pour étudier le


crime d’état, par un écrivain juif. Quel était l’objectif de J.L. en créant le personnage de
Max Aue ?

______________________
80
LEVI, 1987, op.cit. p.17-18.
81
MAUREL Micheline, Un camp très ordinaire, Paris, Les Éditions de Minuit, coll. « Documents »,
1957, p. 185 in LACOSTE, 2010, op.cit. p.99.

44
2.2.4. Choix de Littell pour un narrateur-bourreau

Si à sa sortie en 2006, l’œuvre de J.L connait un vif succès, elle anime


également un fort débat, à première vue inépuisable et suscitant d’importantes
controverses. La raison ? Le choix de Littell pour un officier nazi pour relater les
événements de la Seconde Guerre Mondiale.

Son personnage, très controversé, sera fort critiqué de part son caractère nazi ;
mais également pour réunir un nombre de facettes bien étrangères et parfois même
contraires au cliché nazi construit par l’opinion publique.
En effet, celui-ci est docteur en droit, homosexuel, amoureux de sa sœur jumelle,
Una avec qui, il aura des jumeaux, il parle parfaitement français et décrit
l’extermination des juifs comme un « gâchis humain ».82

C’est la complexité même du personnage et les différents rôles qu’il est amené à
exercer qui embarrasse et oblige le lecteur à se poser des questions.
En rompant avec ce cliché du nazi, L. a cherché à présenter, Aue, comme il est
réellement, un être humain.
C’est à partir de là que s’installe le malaise entre lecteur et narrateur, entre le
lecteur et sa conscience : Suis-je comme Aue ? Aurais-je agi de la même manière ?
Nous reviendrons sur ce point dans un chapitre dédié à l’éthique et à la possible
identification du lecteur au narrateur.

En somme, Aue est un personnage peu crédible aux yeux des critiques et tout
particulièrement du cinéaste d’origine juive, Claude Lanzmann, lequel reprochera
maintes fois à L. son choix pour un personnage principal à la fois bourreau et témoin.
Pour le réalisateur de Shoah, un tel narrateur est invraisemblable dans le sens où
les vrais exécuteurs du génocide prétendaient ne pas avoir de souvenirs ou du moins
refusaient de les raconter, comme il a pu le constater lors du tournage de son film.

« Lors du tournage de Shoah, j’ai dû user de mille stratagèmes pour


arracher aux nazis leurs mots et leurs images. Je leur offrais de
l’argent pour qu’ils acceptent de me rencontrer, je les filmais avec
une caméra cachée en prenant les plus grands risques, parfois
j’échouais à les faire parler. Or le « héros » de Littell parle
torrentiellement, pendant 900 pages, cet homme qui ne sais plus ce
qu’est un souvenir, se souvient absolument de tout. On est en droit de
s’interroger : Aue est-il incarné ? Aue est-il un homme ? Aue existe –
t-il ? ».83
_______________________
82
LITTELL, op.cit, 126.
83
Claude Lanzmann, « Claude Lanzmann juge les Bienveillantes », Le Nouvel Observateur, 21 septembre
2006, in DAVIS, J.Marina, « La Shoah en flânant ? », Les Bienveillantes de Jonathan Littell, Études
réunies par Murielle Lucie Clément, 2010, op.cit, p.172.

45
Témoigner semble donc incompatible avec le statut d’ancien bourreau nazi,
lequel se tait par honte, par culpabilité ou par refoulement. Si le but de Littell était de
présenter un SS tel qu’il aurait pu exister, son projet serait donc voué à l’échec, si l’on
en croit Lanzmann, dès le début de son récit, due à la longueur de celui-ci.

Toutefois, Littell répliquera et défendra non moins son personnage que sa


réflexion autour de la construction de son œuvre, lors d’un entretien avec Samuel
Blumenfeld :

« [Si Aue est] un nazi hors norme, peu réaliste et pas forcément
crédible [c’est] parce qu’un nazi sociologiquement crédible n’aurait
jamais pu s’expliquer comme le narrateur », « Je ne recherchais pas
la vraisemblance, mais la vérité. Il n’y a pas de roman possible si l’on
campe sur le seul registre de la vraisemblance. La vérité romanesque
est d’un autre ordre que la vérité historique ou sociologique »84.

A travers cette idée, on constate un fossé entre les récits littéraires et les œuvres
propres aux historiens. En effet, l’œuvre littéraire redonne sa place et son rôle à l’art et
par delà vient sans nul doute la portée du roman.
La place de l’art permet de développer un point de vue sur l’Histoire impossible
pour un historien. Il parvient à éclairer le lecteur sur une part de l’Histoire qu’il n’avait
pu explorer jusqu’ici. Nous approfondirons cette différence entre œuvres littéraires et
historiques plus en avant dans notre étude.

Plus les années passent et plus la figure du bourreau s’installe et continue de


fasciner. La ferveur qui entoure chacune des apparitions des bourreaux fictifs ou réels
sont d’autant plus fortes et attendues qu’ils ont la réputation, comme nous le démontre
Claude Lanzmann de ne jamais s’exprimer.

Or Littell s’oppose à cette idée et déclare lors de la conférence à l’École


Normale Supérieure (ENS) de Paris que les bourreaux parlent, « il y en a même qui
pissent de la copie » :

« Je n’arrive pas à comprendre comment ils [les bourreaux] peuvent


faire ce genre de choses. Ils sont très bizarres, voire complètement
délirants. Un jour à Sarajevo, ma voiture se fait tirer à coup d’obus.
Le lendemain, je vais chez les serbes me plaindre, je trouve le colonel
que je connais qui me dit « vous n’avez pas le droit de prendre cette
route, donc c’est bien fait pour vous » 85

_______________________
84
Entretien avec Samuel Blumemfeld, Le Monde des Livres, 16/11/06 [en ligne].
85
Entretien avec Florent Georgesco, « Jonathan Littell, homme de l'année », Le Figaro, juin 2006. [en
ligne]

46
[…] Après, on a eu une grande discussion, et il m’explique pourquoi il
fait tout ça : « Avant, j’étais pêcheur à la ligne et chez moi à Sarajevo,
j’avais pour 20.000 marks d’appâts : ces sales bougnoules, ils ont
pillé mon appartement, ils ont piqué tous mes appâts ». Et ce type, ça
faisait 3 ans qu’il bombardait Sarajevo, qu’il snipait les gens… pour
une histoire d’appâts » 86

Nous comprenons donc que la figure du bourreau apparait essentiellement pour


répondre à une demande ou plutôt une volonté des lecteurs, celle de comprendre, tout
comme le prétend Philippe Ganier- Raymond, écrivain français, lorsqu’il se dirige à
Darquier de Pellepoix, ex- commissaire général aux questions juives à Vichy :

« Je suis venu vous voir pour essayer de comprendre ce qui se passait


dans une tête comme la vôtre il y a 36 ans ».87

Toutefois, si l’on en croit les dires de Lanzmann et si les bourreaux mentent


constamment pour se déresponsabiliser et inculper les autres : Quelle est la légitimité
des bourreaux à raconter les évènements de la Shoah? Quel crédit pouvons-nous
accorder à leurs paroles ?

_______________________
86
Entretien avec Florent Georgesco, « Jonathan Littell, homme de l'année », Le Figaro, juin 2006. [en
ligne]

87
Entretien entre Philippe Ganier- Raymond et Darquier de Pellepoix, 28 octobre Ŕ 4 Nobrembre 1978,
L’Express, in LACOSTE, 2010, op.cit, p.398.

47
2.3. Légitimité des bourreaux et de leurs témoignages

« Le bourreau tue toujours deux fois, la seconde par l’oubli »


Elie Wiesel

L’apparition de cette nouvelle tendance du bourreau- narrateur, du bourreau-


témoin est accompagnée d’une question éthique : Qu’il soit vraisemblable ou non,
français ou allemand, criminel ou complice, le bourreau a-t-il le droit de témoigner ?
Aue, a-t-il le droit de raconter la Shoah, son expérience de la guerre, confier ses
émotions, ses sentiments ? Pour certains, cette question est avant tout liée à une
question ontologique : le bourreau peut-il être témoin ?

Si l’empêcher de témoigner sera difficile, nous pouvons et devons néanmoins,


faire valoir notre droit de croire ou non son histoire. En effet, donner du crédit aux récits
des bourreaux n’est-ce pas insulter les morts et tromper le discours des victimes ?

Si leur récits assoifferont durant un temps notre curiosité, ils peineront à tromper
notre vigilance, la plupart des bourreaux cherchant à travers leurs mémoires à donner
de la peine aux lecteurs et l’attendrir.

En effet, contrairement à l’humilité des récits des témoins survivants, les


confessions de bourreaux sont de véritables lieux de plaintes et de justifications, une
entreprise de victimisation. Si les bourreaux non-fictifs ont peu de mots pour leurs
victimes, ils en ont toutefois, beaucoup pour eux-mêmes.
En aucune façon, ces derniers font preuve de regrets ou encore de culpabilité. Ils
« gaspillent » leur énergie à se plaindre de leur condition.

L’exemple d’Eichmann le prouve lorsque celui-ci insiste sur le caractère


nauséabond de la tâche qui lui avait été confiée. Il tente de montrer qu’il n’a pas
exterminé les Juifs par plaisir et cherche ainsi à souligner « l’injustice » de l’humanité à
son égard. Aussi se plaint Ŕ il d’avoir vu lors du déchargement des victimes de camions
à gaz :

« […] la chose la plus horrible de ma vie, […] C’était épouvantable,


c’était l’enfer ! ».88

Toutefois, il nous parait primordial de rappeler que l’action d’Eichmann a été


effectuée en toute connaissance de cause et avec un objectif clair et précis : l’ascension
hiérarchique.
_______________________
88
Le Procès d’Adolf Eichmann, réalisé par Michaël Prazan, Infrarouge, 2011, 90min.

48
Le désespoir d’Eichmann, lors de son procès, n’est en aucune façon dû aux
regrets, ni à la souffrance d’avoir envoyé à la mort des centaines de milliers de Juifs,
mais au fait que la guerre l’est freiné professionnellement :

« Le sort m’a refusé tout ce que je prévoyais et tout ce que je


voulais. Il a contrecarré toutes mes entreprises, quelles qu’elles
fussent »88.

Après analyse de nombreux écrits de génocidaires ou encore même de complices


de crime, nous nous apercevons que la quasi-totalité des bourreaux se considèrent
comme des victimes, victimes de leur condition, du système, de leurs supérieurs, de la
guerre.

Si Littell démontrera lors de la conférence à l’ENS, comme nous l’avons


précédemment exposé, que les bourreaux :

« […] parlent, il y en a même qui pissent de la copie. Ils


racontent même des choses exactes en termes factuels. La manière
dont le camp de Treblinka était organisé par exemple. Eichmann ne
ment pas dans son procès. Il dit la vérité ».

Il comprendra toutefois qu’à travers le discours d’un bourreau « crédible », il ne


pourra transcrire sa pensée et expliquer le passage à l’acte et le meurtre d’Etat. Les
bourreaux réduisant leur discours à des plaintes et justifications en tout genre.

Un nazi sociologiquement crédible n’aurait jamais pu s’exprimer comme le fait


son narrateur au début des B. et apporter cet éclairage sur les Hommes qui l’entourent.

Toutefois, de par son personnage nazi trop humain aux yeux de la critique,
lequel vient rompre le cliché du génocidaire établi depuis la fin de la Seconde Guerre
Mondiale, L. crée un malaise et apparait un problème éthique, car comment consentir
qu’un personnage tel que Aue s’adresse à nous, aux survivants en somme aux victimes
de cette manière :

« Frères humains […] Je suis comme vous ».89

_______________________
88
Le Procès d’Adolf Eichmann, réalisé par Michaël Prazan, Infrarouge, 2011, 90min.
89
LITTELL, op.cit, p. 13 & p. 43.
49
2.4. Problème éthique

« Chaque lecture est un acte de résistance.


Une lecture bien menée sauve de tout y
compris de soi-même »
Daniel Pennac, Comme un roman (1992).

A travers son œuvre et l’idée d’obéissance autant que de devoir, L. nous force à
nous interroger : qu’aurions nous fait à la place de Aue ? Son personnage nous laisse
entendre qu’il est devenu un meurtrier parce qu’il est né au mauvais endroit, au mauvais
moment. Mais aurions-nous oublié ceux qui ont su rester fidèles à leurs convictions et
ont lutté contre le nazisme tout en étant allemand ? :

« Je serais désolé de vous voir partir Herr Sturmbannführer » - « Moi


non. Ce qu’ils veulent faire est insensé. Je ne suis pas le seul à le
penser […] Non docteur [Aue] suivez mon conseil, partez. Laissez les
bouchers s’occuper de la boucherie ».90

Aurions-nous oublié que certains français ont rejoint la collaboration et soutenu


la pensée antisémite (comme l’écrivain Louis-Ferdinand Céline) et d’autres la
résistance ?

Max Aue tente de nous ramener à sa théorie : celle qu’en temps de guerre, il n’y
a plus de place au choix :

« Je suis coupable, vous ne l’êtes pas, c’est bien. Mais vous devriez
quand même pouvoir vous dire que ce que j’ai fait, vous l’auriez fait
aussi. […] Je pense qu’il m’est permis de conclure comme un fait
établi par l’histoire moderne que tout le monde, ou presque, dans un
ensemble de circonstances donné, fait ce qu’on lui dit; et, excusez-
moi, il y a peu de chances pour que vous soyez l’exception, pas plus
que moi. […] gardez toujours cette pensée à l’esprit: vous avez peut-
être eu plus de chance que moi, mais vous n’êtes pas meilleur ».91

Toutefois, implicitement L., nous met à l’épreuve car rejoindre l’idée de Max
Aue s’est renoncé, obéir, arrêter de penser et tel que l’a démontré Hannah Arendt, c’est
avec la perte de conscience de soi qu’apparait le danger.

_______________________
90
Ibidem, p. 155.
91
Ibidem, p. 27.
50
Les B. sont par conséquent une mise à l’épreuve de notre personnalité face à
l’autorité, face à la propagande : nous laisserons nous convaincre par le discours de Max
Aue, ou nous rebellerons nous ? Arrêterons- nous de penser tel Eichmann et nous
immergerons- nous dans la pensée de Max Aue ? Ou résisterons- nous et resterons-nous
fidèles à nos principes et valeurs tel que nous le recommande la philosophe allemande?

2.4.1. Possible identification du lecteur au narrateur

En valorisant le côté « humain » de son personnage nazi, L. ne risque Ŕt-il pas de


laisser ses lecteurs éprouver de l’empathie pour lui ? D’autre part, en écrivant à la
première personne du singulier, il ne fait qu’installer un contact plus étroit entre
narrateur et lecteur.

Aue profite de ce contact et ne cesse d’interpeller le lecteur :

« Frères humains, laissez moi vous raconter comment ça s’est passé.


On est pas votre frère rétorquerez vous et on ne veut pas le savoir. Et
c’est bien vrai qu’il s’agit d’une sombre histoire [mais] ça vous
concerne : vous verrez bien que ça vous concerne ».92

Comme nous l’avons précédemment démontré, l’objectif de Littell, en


choisissant un narrateur interne était non pas la recherche de l’identification de ses
lecteurs à son personnage mais bien la volonté que ces derniers s’interrogent sur la
nature de l’Homme, sa capacité à faire le mal, et comment l’éviter en ne cessant jamais
de penser et en restant maître de soi.

D’autre part, Maximilien Aue, lui-même, écarte, dès le prologue, la possibilité


de l’identification :

« En fin de compte, même si je m’adresse à vous, ce n’est pas pour


vous que j’écris ».93

_______________________
92
Ibidem, p. 13.
93
Ibidem, p. 20.

51
Aue ne cherche pas à nous attendrir ou encore à obtenir notre absolution.
L’écriture de son expérience en tant qu’officier nazi est pour lui un projet d’élucidation
de soi. L’écriture sert au narrateur à se donner un point de vue sur lui-même, et à porter
un regard extérieur sur ses émotions et ses actions. Il écrit, finalement, par curiosité:

«Peut-être est-ce pour cela que je rédige ces souvenirs: pour me


remuer le sang, voir si je peux encore ressentir quelque chose, si je
sais encore souffrir un peu. Curieux exercice».94

Ceci est le projet de Littell pour ses lecteurs, une manière de se confronter au
Mal, à l’horreur des génocides et des crimes commis par l’humain. Une manière de se
souvenir. Les B. apparaissent comme « un retour du refoulé ». Car nous avons oublié,
bien que nous ayons le sentiment contraire, nous avons fermé les yeux à nouveau sur les
crimes commis par l’homme : La guerre d’Indochine, la guerre d’Algérie, le génocide
rwandais…

Littell cherche à nous « remuer le sang » comme cherche à se l’infliger Aue, afin
de voir si nous pouvons encore ressentir quelque chose face à ces crimes devenus
quotidiens et qui ne semblent plus nous horrifier, ne faisant rien pour les empêcher.

En aucune façon ne doit apparaître ce risque d’identification ou encore celui de


comprendre les actions menées par Max Aue car comme déclarera Primo Levi dans Si
c’est un homme :

« Comprendre la décision ou la conduite de quelqu’un, cela veut dire


(et c’est aussi le sens étymologique du mot) les mettre en soi, mettre
en soi celui qui en est responsable, se mettre à sa place, s’identifier à
lui. Eh bien, aucun homme normal ne pourra jamais s’identifier à
Hitler, à Himmler, à Goebbels, à Eichmann, à tant d’autres
encore ».95

_______________________
94
Ibidem, p. 26.
95
LEVI, 1987, Appendice à Si c’est un homme, p.211-212.

52
2.4.2. Risques de remises en cause des crimes nazis

« On ne peut pardonner ce qu’on ne peut


punir »
Hannah Arendt.

« […] gardez toujours cette pensée à l’esprit: vous avez peut-être eu


plus de chance que moi, mais vous n’êtes pas meilleur. Car si vous
avez l’arrogance de penser l’être, là commence le danger. On se plaît
à opposer l’État, totalitaire ou non, à l’homme ordinaire, punaise ou
roseau. Mais on oublie que l’État est composé d’hommes, tous plus ou
moins ordinaires, chacun avec sa vie, son histoire, la série de hasards
qui ont fait qu’un jour il s’est retrouvé du bon côté du fusil ou de la
feuille de papier alors que d’autres se retrouvaient du mauvais […].
Le vrai danger pour l’homme c’est moi, c’est vous. Et si vous n’en
êtes pas convaincu, inutile de lire plus loin. Vous ne comprendrez rien
et vous vous fâcherez, sans profit ni pour vous ni pour moi ».96

A travers cette citation, nous retrouvons l’idée de « potentialité du bourreau »


avancée par L. lui-même. Si L. utilise son personnage pour rappeler à l’homme que les
nazis étaient humains, il ne cherche pas à ce que ce dernier accède à la pensée nazie et
partage les actions menées par Aue.

Ceci obligerait le lecteur à passer par le meurtre, l’inceste, tout comme au


matricide. Le lecteur lit les B. pour se souvenir, comprendre et contre toute attente est
contraint à travailler sur lui-même. En aucun cas, L. cherche à ce que son lectorat
prenne le parti du nazi, comprenne ses actes ou encore les absolve.

Tout au long de la lecture des B. à chacune de ses pages, le lecteur s’identifie


non pas au bourreau mais au prisonnier creusant sa tombe, à la victime couchée dans la
fosse, à cette petite fille déambulant au milieu du massacre de Kiel. 97

Les B. ont pour rôle de condamner l’idéologie nazie et sa politique, non d’y
adhérer comme certains ont pensé et par delà se sont injuriés contre J.L.

______________________
96
LITTELL, op.cit, p. 37-39.

97
Ibidem, p. 163.

53
En réalité, toutes les observations du narrateur conduisent le lecteur à ce
réquisitoire sans appel contre la barbarie nazie. Cependant, pour ce faire, le lecteur, dans
la fiction comme dans la réalité doit rester attentif, à l’écoute des autres, mais surtout de
lui-même et de sa propre pensée.
Car la lecture des B. n’est pas une lecture facile, elle nous entraîne sur une voie
pétrie de doutes et d’interrogations. Toutefois, si on la comprend correctement, elle
conduit avant tout à la vérité et à la condamnation des bourreaux.

54
CHAPITRE 3 :

COMMENT PASSER DE L’HISTOIRE À LA FICTION ?

55
CHAPITRE 3 : COMMENT PASSER DE L’HISTOIRE À LA FICTION ?

3.1. Travail d’investigation de Jonathan Littell

Si les critiques ont été nombreuses concernant cette œuvre, tous ont été forcés de
reconnaitre l’impressionnant travail de documentation réalisé par J.L., y compris les
plus critiques tel que Claude Lanzmann:

« Littell a lu tous les travaux des historiens, les témoignages des


agents de l’époque, les minutes des procès. Il connait fort bien
« Shoah » dont il dit que ce fut pour lui un évènement déclencheur ».98

Durant cinq ans, l’auteur a construit ses recherches à partir des archives écrites,
sonores ou encore filmées. Il s’est aussi appuyé sur les actes des procès (plus
essentiellement sur celui d’Eichmann et sur l’étude qu’il en sortira d’Hannah Arendt,
laquelle, nous l’avons préalablement précisé, inspirera amplement le travail de L.).
Il étudiera les organigrammes administratifs et militaires mettant en scène les
plus grands génocidaires. Il s’est également rendu à Kiev et Kharkov, en Ukraine, ou
encore en Russie, à Piatigorsk et Stalingrad afin d’obtenir de plus amples informations,
et témoignages tant de survivants comme de bourreaux.
Son roman est également empli de références historiques et de termes allemands
(bien que ceux-ci feront lieu à de nombreuses critiques, L. ne parlant ni comprenant
l’allemand, on y trouve de nombreuses erreurs).
Ce travail de recherche traduit l’importance que L. a accordé à la réalité
historique. Si la crédibilité de son personnage a été abordée, on ne pourra en aucune
façon lui reprocher d’avoir mystifié l’histoire de la Shoah ; comme on aura pu le
reprocher à Jean- François Steiner dans son œuvre, Treblinka, la révolte d’un camp
d’extermination, publiée en 1966.

L’historien Léon Poliakov, s’insurgera en effet, dans Preuves, dans un article


intitulé « Treblinka : vérité et roman, s’étonnant que nous nous soyons obstinés à faire
passer ce roman pour un documentaire en le couvrant d’éloges, sans même se demander
si son auteur s’était effectivement soucié de la réalité historique :

« […] toutes sortes de données fantaisistes concernant les dates, les


chiffres, les acteurs de l’histoire de ce camp d’extermination ». 99

_______________________
98
Claude Lanzmann, « Claude Lanzmann juge les Bienveillantes », Le Nouvel Observateur, 21 septembre
2006, in DAVIS, J.Marina, « La Shoah en flânant ? », Les Bienveillantes de Jonathan Littell, Études
réunies par Murielle Lucie Clément, 2010, op,cit, p. 172.
99
POLIAKOV, Michaël, L’Expérience concentrationnaire. Essai sur le maintien de l’identité sociale,
Paris, Métailié, coll. « Sciences humaines », 2000 [1990] in LACOSTE, 2010, op.cit, p. 4
56
3.2. Confrontation entre Histoire et histoire

« L’historien et le romancier font


entre eux un échange de vérité, de
fictions et de couleurs »
Rivarol

Littell : « Je ne voulais surtout pas écrire ce qu’on appelle un roman


historique, faire de ces évènements un décor de théâtre devant lequel
faire évoluer mes personnages ». 100

Lors de la prise de parole de L. durant la conférence à l’ENS, on comprend que


par ces mots, il entend préserver la mémoire et l’intégrité des victimes.
Il préfère l’expression « roman-mémoire », roman de part son personnage fictif
et mémoire de part le récit de l’expérience lors de la Shoah. On peut imaginer la
difficulté à rendre compte d’un tel réel dans une œuvre fictive. Cette entreprise lui aura,
en effet, valu de nombreuses critiques.

Toutefois ces critiques sont-elles légitimes ? N’avons- nous pas voulu analyser
l’œuvre de L. comme une œuvre historique et non fictive ce qui expliquerait les
accusations envers la crédibilité de son personnage.

Magritt: « Les Bienveillantes n’est pas un ouvrage d’historiens, pas


plus qu’une analyse de la Shoah, c’est une fiction qui restitue
l’univers d’un criminel. Ne lisons donc pas le roman avec des critères
que requiert une œuvre d’historiens mais avec ceux que requiert une
œuvre d’imagination ». 101

A travers l’œuvre de L., on prend conscience que le travail littéraire tout autant
que le travail historique peut apporter au devoir de mémoire, allant même jusqu'à
sensibiliser davantage le lecteur et permettre une analyse plus personnelle et une
identification plus intense.

______________________
100
Entretien avec Nathalie CROM. « Le bourreau bureaucrate, Télérama, n° 2954, 26 août 2006. [en
ligne].
101
« De l’abjection à la banalité du mal », op.cit.

57
Néanmoins, les faits historiques relatés par Max Aue ne sont pas différents de
ceux que nous pouvons trouver dans les livres. Il semblerait, effectivement, que les
écrivains parviennent à attirer davantage l’attention des lecteurs. En ce sens, ces
derniers ont la sensation d’apprendre quelque chose de nouveau.
Avec l’œuvre de L., les lecteurs ont eu l’impression de toucher des doigts le mal,
de redécouvrir les techniques utilisés par les nazis pour exécuter les juifs. En effet, qui
se souvenait du massacre par balles de Baby Yar, des camions à gaz, des fosses creusées
par les juifs eux-mêmes dans les forêts ?

Peu à peu, les historiens se rendent compte de cette neutralité, voire même
froideur qui caractérisent leurs écrits et conduisent à un certain manque d’intérêt,
d’attention des lecteurs :

Sophie Coeuré, professeur d’histoire à l’ENS : « Le problème des


historiens réside dans le balancement entre la compassion qui
procède d’une identification dommageable aux témoins, et une
« rationalisation excessive, qui mène à la banalisation et à un
refroidissement des violences ». 102

Etienne François, historien : « « Le langage convenu » des historiens


nous fait passer à côté du « mystère du mal » ».103

Littell ajoute que « la fiction vient faire avancer sur des lignes que les autres
discours n’ont pas pu faire ».104 De par cette hypothèse, tentons à présent, d’analyser la
place de la fiction dans le récit de la Shoah.

_______________________
102
« Table ronde autour des Bienveillantes de Jonathan Littell », op,cit.
103
LACOSTE, 2010, op.cit, p.157.
104
« De l’abjection à la banalité du mal », op.cit.
58
3.3. La place de la fiction dans le récit de la Shoah

« Le cinéma a trois fonctions vitales : Primo :


divertir, et c’est une noble entreprise.
Secundo : faire réfléchir grâce à une fiction
qui ne privilégie pas seulement le
divertissement. Tertio : être un miroir de
l’existence »
Jonathan Demme.

La fiction est un sujet très controversé lorsqu’il s’agit d’aborder la Seconde


Guerre Mondiale, Les B. réveilleront à nouveau ce débat où de nombreuses figures de
la lutte contre le nazisme se soutiendront et se contrediront :

Poliakov : « A une époque où Auschwitz est devenu un mythe, ne


serait-ce pas plutôt nécessaire d’insister sur el fait que ce n’était pas
« un rêve », ni d’ailleurs une fiction ».105

Claude Lanzmann « Les auteurs de pseudo-reconstitutions


fictionnelles […], le pire crime en même temps moral et artistique, qui
puisse être commis lorsqu’il s’agit de réaliser une œuvre consacrée à
l’Holocauste ».106

Jorge Semprun déclare dans « Framkfurter Allgemein Zeitung »:


« Littell crée la vérité. Et il le fait avec un art et une manière
consommés. Comment apprenons-nous aujourd’hui la guerre de 30
ans ? A la manière dont Brecht la dépeint dans Mère Courage. Sans
fiction, le souvenir meurt ». 107

Au vu d’autant d’opinions aussi certains les unes que les autres, mais ne pouvant
être plus éloignées, nous avons choisi d’étudier avec grande attention, plusieurs œuvres
littéraires, documentaires, reportages, courts-métrages ainsi que des films, tous
construits sur le thème de la Shoah et conclure si une part de fiction pourrait engendrer
la mystification de la guerre et mettre en péril la mémoire de la Seconde Guerre
Mondiale.

_______________________
105
LACOSTE, 2008, p. 11.
106
LACOSTE, 2010, p. 122.
107
« De Degrelle aux Bienveillantes, Jonathan Littell et l’écriture de la Shoah », op.cit. p.41.

59
A partir d’un récit comme les B. nous avons vu que bien qu’il s’agisse d’une
fiction, l’œuvre de L. est caractérisée et reconnue pour la richesse et l’exactitude de ses
références historiques et par conséquent la réalité de la Seconde Guerre Mondiale. Ce
qui ne sera pas le cas, comme nous l’avons décrit, précédemment du roman de Jean-
François Steiner dans son œuvre, Treblinka, la révolte d’un camp d’extermination.

A travers leurs critiques de la fiction, il semblerait que Poliakov et Lanzmann,


redoutent la mystification, l’atténuation des crimes nazis ou la description « grotesque »
des souffrances des victimes.

Nous exposerons deux exemples d’œuvres cinématographiques, qui nous ont


profondément marqué : premièrement celui de la série américaine, Holocauste, diffusée
en 1979 et par la suite le film, la Liste de Schindler de Steven Spielberg, paru en 1993.
Deux œuvres retraçant l’histoire de la Seconde Guerre Mondiale, l’une
fictionnelle, l’autre biographique. Deux succès, un point de vue, et pourtant, l’une nous
a bouleversé et l’autre laissé amer face à sa blancheur, sa pauvreté.

Une série comme Holocauste prête à donner raison à des auteurs comme
Poliakov ou encore Lanzmann. A son visionnage, nous n’avons éprouvé aucune
émotion, à peine avons-nous vu senti l’horreur que nous avions pu éprouver dans les
pages de Littell.

Pour Pierre Nora, directeur de recherches à l'Ecole des Hautes études en sciences
sociales à Paris et auteur d'une vaste enquête sur les lieux de mémoire, décrit dans « Sur
la mémoire du génocide juif » :

"Un film comme Holocauste, a entretenu un mythe, celui de la


concentration, d'une réalité totalisante à un seul lieu, une seule image.
Auschwitz est devenu le synonyme de l'horreur concentrationnaire et
de la mort industrielle. Ce qui est vrai. Mais ce camp nazi ne fut pas
le seul. Le ciblage sur Auschwitz donna lieu à des inexactitudes sur la
réalité. Un exemple parmi tant d'autres est celui du "Petit Robert"
(édition 1991). Auschwitz y est défini comme "Un des plus grands
camps de concentration de Pologne aménagé par les nazis entre 1940
et 1945 où furent tués, dans des chambres à gaz et des fours
crématoires conçus à l'échelle industrielle, qui en font la plus horrible
entreprise d'extermination de l'histoire, env. 4 millions de juifs de tous
les pays occupés". Malheureusement "Le Petit Robert" se trompe et
donne donc des arguments complémentaires aux négateurs. A
Auschwitz, camp de concentration et d'extermination (avec Birkenau),
furent assassinés plus d'un million de Juifs dans les chambres à gaz
(non pas dans les fours crématoires) et par "mort concentrationnaire"
(travail, maladie, exécution sommaire, etc.). Cette erreur involontaire
donne aux négateurs des possibilités d'avoir raison ».108
_______________________
108
Entretien avec Pierre NORA. « Le Soir », Bruxelles, 24 novembre 1992 [en ligne].

60
Contrairement à Holocauste, La liste de Schindler, nous a bouleversé de part sa
réalité historique, la variété des épisodes représentés, contribuant à l’enseignement de
l’Histoire et au devoir de mémoire. Notons que le tournage en noir et blanc apportent
également un degré de réalisme que nous ne trouvons pas dans Holocauste et auquel
nous sommes évidement sensibles.
Nous avons été émus, renversés par l’humilité avec laquelle l’histoire est
racontée. En aucune façon, Spielberg souille la mémoire des victimes en mettant en
scène des tortures démesurées ou encore les viols des femmes...

A travers, La liste de Schindler, contrairement à l’Holocauste, nous pouvons


suivre les différentes étapes de la guerre, l’apparition de l’étoile jaune, la chasse aux
juifs, les délations, l’entrée dans « les » camps de Plaszow, Auschwitz.., la vie dans les
camps, les sélections, les transports en trains. On reste sans voix devant tant de réalisme
et d’émotions.

On verra également à travers ce film, une illustration de notre analyse des


bourreaux comme « homme ordinaires » avec l’illustration de leurs sentiments, avec
l’exemple de Goeth, commandant du camp de Plaszow qui tombe amoureux d’une
prisonnière juive, mais aussi le cas de l’obéissance aux ordres, l’endoctrinement face à
la pensée nazie, la violence des nazis et la jouissance de Goeth à exécuter les prisonniers
et les voir souffrir.

D’autre part, nous découvrons avant tout, avec Oskar Schindler, la


personnification du « choix » et de la théorie d’Hannah Arendt.
Après avoir adhérer comme la majorité de son peuple et de sa classe sociale à la
pensée nazie, il se rendra compte du projet de ces derniers et choisira d’aider les juifs,
en les engageant dans son entreprise de fabrication d’ustensiles de cuisine et d’obus par
la suite. On constate alors que Schindler rompt ce lien avec le parti nazi pour suivre ses
propres valeurs et pense par lui-même.

Si au début du film, on peut décrire son action d’opportuniste, payant moins cher
les juifs que d’autres ouvriers comme les polonais par exemple. On constate, à la fin e
l’œuvre cinématographique que Schindler fait preuve d’une humanité hors du commun
et cherche inlassablement à sauver ses ouvriers de la mort. Il crée alors une liste de
noms, laquelle sauvera de la mort, 1200 prisonniers juifs :

Itzhak Stern, interprété par Ben Kingsley: “Cette liste, c’est le bien
absolue, cette liste, c’est la vie ! Tout autour de ces marges, il y a le
gouffre » ; « Quiconque sauve une vie, sauve le monde entier ».109

_______________________
109
Schindler's List, [La liste de Schindler], SPIELBERG, Steven, avec Liam Neeson, Ben Kingsley et
Ralph Fiennes, États-Unis, 1993, Drame-Histoire, 183 min. minute 170

61
Si les œuvres littéraires et cinématographiques telles que celle de Spielberg,
nous semble percutantes, rien ne nous semble plus essentiel et efficace que les archives
des camps, comme Nuits et Brouillard d’Alain Resnais et Jean Cayrol tout comme les
procès de Nuremberg ou encore celui d’ Adolf Eichmann sans oublier le documentaire
Shoah de Claude Lanzmann.

Pierre Vidal- Naquet : « Pourquoi « Shoah » est-elle une grande


œuvre d’histoire et non par exemple, un recueil de contes ? Il ne s’agit
ni d’une reconstitution romanesque comme Holocauste ni d’un film
documentaire, mais d’un film où des Hommes d’aujourd’hui parlent
de ce qui fut hier ».110

A travers ces documentaires et ces archives, le monde a pu voir par ses propres
yeux et réaliser l’horreur de la Seconde Guerre Mondiale puis connaître la honte et
l’incompréhension.
Toutefois notre horreur à la découverte de ces archives n’est rien face à la
douleur, la souffrance que l’on peut voir, dans Nuits et Brouillards, à travers le regard
de ces hommes, de ces femmes et enfants, filmés par les nazis.

Avec la diffusion des procès de Nuremberg et d’Adolf Eichmann, plus qu’un


jugement, on assistait à une certaine « victoire » (toutefois bien amère) des victimes. Le
procès d’Eichmann ayant permis de mettre en lumière la douleur des rescapés en
libérant leurs paroles et d’attirer une nouvelle fois, l’attention du monde sur l’horreur,
alors que la France était en pleine Guerre d’Algérie et commettait des actes de tortures.

La diffusion de films, de reportages et de documentaires décrivant l’exacte


réalité de la Seconde Guerre Mondiale, nous semble, non importante sinon primordiale
pour le devoir et travail de mémoire et pour qu’ainsi les générations futures n’oublient
jamais ce dont l’homme fut capable.

Nous sommes plus sensibles aux archives étant des photos et vidéos réelles des
camps de concentration et par delà plus percutantes et la preuve ultime devant anéantir
les théories négationnistes.

_______________________
110
VIDAL-NAQUET, Les Assassins de la mémoire, Paris, Maspéro, 1981 in LACOSTE, 2010, op.cit, p.
149.

62
3.4. Le devoir et travail de mémoire

« Nous sommes tous les témoins passifs


d’une barbarie sans cesse renouvelée »
Günter Grass, In Praise of Yasar Kemal

Plus de trois siècles et demi après le célèbre « Nous vivons dans le meilleur des
mondes » de Voltaire (Candide), Max Aue brise l’ironie et déclare :

« En vérité, nous vivons dans le pire des mondes possibles. Bien sur,
la Guerre est finie et puis on a compris la leçon, ça n’arrivera plus.
Mais êtes-vous bien sur qu’on ait compris la leçon ? Etes-vous
certains que ça n’arrivera plus ? ».111

Un demi-siècle s’est écoulé depuis les crimes de la Shoah et nous ne comptons


plus les crimes contre l’humanité que l’homme continue de commettre et tolérer : les
crimes d’Indochine, les tortures en Algérie, le génocide au Rwanda avec le massacres
des Tutsis, et bien d’autres encore qui surviennent en ce moment même.

Les scenarii sont identiques, même si les machettes ont remplacé les chambres à
gaz, le résultat est identique, et les souffrances des survivants continuent d’être
quotidiennes car le passé est en réalité toujours présent. Leurs témoignages semblent
n’avoir entrainé qu’une prise de conscience bien maigre.
Si certains se sont tus par peur de n’être pas crus, quelle sera la déception de
ceux qui auront témoigné et réalisant qu’ils ne sont parvenus à interpeler le monde de
telle façon que ces actes contre l’humanité soient éradiqués à jamais.

Nous restons les mêmes : silencieux, fermant les yeux, espérant que cela passera.
Nous avons oublié et consentit, nous rendant à nouveau complice de part notre
passivité.

Max Aue : « Les gens oublient vite, je le constate tous les jours »112

Cela fait soixante ans que tout le monde dit à propos de la Shoah : « Plus jamais
ça ». Et puis, il y a eu à nouveau « ça ». Le génocide rwandais ayant causé plus de
800.000 morts en moins de trois mois, en est la preuve vivante, ou plutôt sanglante.

_______________________

111
LITTELL, op.cit, p.32.
112
Ibidem, p. 26.

63
Raul Hilberg, spécialiste de la Shoah de renommée mondiale est, à ma
connaissance, le seul historien ayant dédié ses études aux crimes nazis et par delà au
génocide, à avoir réagi face aux horreurs commises au Rwanda.
En effet, il n’est pas resté dans sa bulle académique à étudier la Shoah comme il
aurait étudié Chateaubriand. Car on ne peut se revendiquer spécialiste de la Shoah et
rester impassible face aux évènements que connaissait l’Afrique de l’Est à cette période
de l’Histoire.

Au vu de la tragédie du massacre des Tutsis, Hilberg a ajouté à son œuvre


Destruction des Juifs d’Europe, un chapitre sur le Rwanda, considérant qu’on ne
pouvait passer son temps à dire « Plus jamais ça » et tourner la tête de l’autre côté quand
ça se passait sous nos yeux. 113
Cette prise de conscience démontre la véritable volonté d’Hilberg non seulement
de condamner mais surtout d’anéantir les crimes contre l’humanité.

Par cette étude des B., et par delà de la Seconde Guerre Mondiale, du génocide
et du Mal. Nous avons voulu avant tout condamner l’oubli, car nous avons oublié.
Si nous voulions dédié cette étude aux survivants et leur crier que nous sommes
conscients du Mal qui leur a été infligé et nous excuser pour les avoir négligés, eux et
les victimes, cette étude et cette revendication de la mémoire est également écrite pour
ceux qui, comme nous le commentions en début de chapitre, ont oublié, failli oublier ou
voulu oublier.

Par conséquent, il nous semble crucial de réanimer la mémoire des camps et de


ces victimes, pour que jamais ne meurt le souvenir de la Shoah.
En rappelant le souvenir des victimes, en les nommant, nous leur rendons non
seulement leur dignité d’homme, dignité qui leur a été enlevée avec la vie, mais surtout
nous agissons de telle sorte que leur mort n’est pas été vaine. En enseignant nos enfants
jusqu’où peut aller la barbarie humaine et en les éduquant de telle manière qu’ils
combattent les crimes contre l’humanité nous respectons la mémoire des morts.

Le député de la Knesset (le parlement israélien), Ivo Goldberg fit un long


discours le lendemain de la pendaison d’Adolf Eichmann :

« J’ai perdu ma mère, j’ai perdu mon père, j’ai perdu mes sœurs, j’ai
perdu mes frères, j’ai perdu mes tantes, j’ai perdu mes oncles, j’ai
perdu mes amis il y a 20 ans. J’ai survécu aux camps avec la honte de
m’en être sortir et pas eux. De ma famille et de mes amis, il ne mer
este rien à part leurs souvenirs […]. Eichmann est mort, mais le
souvenir de nos frères de persécution ne doit pas pour autant l’être.
Apprenons aux jeunes ce qui s’est passé pour qu’il n’y ait plus jamais
d’autre Eichmann ».114
_______________________
113
Entretien de l’historienne Annette Wieviorka avec Elisabeth Bouvet, « Disparition de Raul Hilberg »,
RFI, 7 août 2007 [en ligne].
114
Le Procès d’Adolf Eichmann, réalisé par Michaël Prazan, Infrarouge, 2011, 90min.

64
Le devoir de mémoire est le devoir moral pour ne pas dire l’obligation de
l’humanité. Des millions d’hommes sont morts, ceux qui ont survécu, ont témoigné
pour respecter la dernière volonté des disparus et faire qu’ainsi, ils ne soient morts en
vain.
Nous devons enseigner à nos enfants l’histoire de la Shoah, aussi monstrueuse
qu’elle soit et honteux que nous soyons de partager le même sang que ces « hommes ».
Et tout en étant conscients que nous devrons répondre à l’incontournable question de
nos enfants: Comment avons-nous pu les laisser faire ?

Le devoir de transmettre ces témoignages illustrant la réalité historique de la


Shoah, par des romans, des œuvres cinématographiques ou encore des documentaires
reste à jamais la mission de l’humanité, l’héritage des disparus. Il est de notre
responsabilité de transmettre une image réelle et combattre les théories négationnistes.

Yehiel Dirur Katzetnik: « Cette planète de cendres, Auschwitz


demeure dans l’ombre de notre planète terre continuant d’agir sur
elle. Si je suis capable de me tenir devant vous et de relater les
évènements qui se sont produits sur cette planète, si moi, un déchet
radioactif de cette planète, je suis capable d’être ici maintenant, je
crois, avec toute la force de ma foi, que c’est en raison du serment que
j’ai fait aux victimes ».115

_______________________

115 Le Procès d’Adolf Eichmann, réalisé par Michaël Prazan, Infrarouge, 2011, 90min.

65
CHAPITRE 4 :

RÉCEPTION DE L’OEUVRE

66
CHAPITRE 4 : RÉCEPTION DE L’OEUVRE

Comme nous avons pu le constater tout au long de notre étude, depuis sa sortie
en 2006, Les B. n’ont cessé d’alimenter les débats concernant : la potentialité du
bourreau, le mal comme ancré chez l’homme, le crime commis par devoir, l’apparition
de la figure du bourreau dans la littérature, la mise en cause de la crédibilité de Max
Aue, l’éthique des B., le passage de l’histoire à la fiction et enfin le devoir de mémoire.

Nous espérons avoir pu éclairer l’ambiguïté des B. par notre proposition


d’interprétation de ce roman- thèse. En effet si L. décrit son livre comme un roman-
mémoire, nous le considérons pour notre part, davantage comme un roman-thèse.
Comme dans tout roman, il existe d’infinies interprétations et c’est là, la force du roman
de L. De part son ambigüité, il laisse le lecteur seul maitre de son interprétation.

Il est possible qu’une fois refermé ce livre, vous ne l’ayez pas saisi, qu’il vous
est plu ou déçu ou encore révolté. Là est toute la force des B. car l’objectif de L. n’était
pas tant que nous aimions son livre, mais que nous en parlions, ou plus que de son livre,
nous parlions de la Shoah, du rôle de l’homme et par conséquent du nôtre dans ce qui
fut le plus grand crime de l’humanité. Place au débat.

4.1. Des opinions riches et diverses

« On ne fait vraiment l’éloge d’un artiste


que quand on parle assez de son œuvre
pour oublier de louer sa personne »
Emilia Galotti (1772)

« Il n’est pas en matière de littérature une


seule opinion qu’on ne combatte aisément
par l’opinion contraire »
Anatole France, Jardin d’Épicure (1923).

Daniel Cohn-Bendit: « J’ai lu ce livre et j’ai été absolument fasciné.


C’est le Dostoïevski d’aujourd’hui. […]. Un jeune homme qui n’est
pas victime, qui n’a pas vécu cette guerre et s’est immergé dans ce
monde, nous l’a décrit, ouvert, nous a fait comprendre des choses
incroyables. »116

_______________________
116
« De Degrelle aux Bienveillantes, Jonathan Littell et l’écriture de la Shoah », op.cit, p.44.
67
Pour François Busnel, directeur du magazine Lire « C’est sans doute,
le Goncourt le plus intéressant du siècle dernier »117

Jorge Semprun (écrivain espagnol, déporté en 1943, à Buchenwald)


jugera l’œuvre d’exemplaire : « C’est une démarche assez courageuse
et tellement réussie qu’on est admiratif et béat d’admiration devant ce
livre. Pour les générations des deux siècles à venir, la référence pour
l’extermination des Juifs en Europe ce sera le livre de Littell et ça ne
seront pas les autres » 118

En ce qui concerne l’opinion de Semprun, nous ne partageons pas sa pensée


considérant que Les B. pourraient ou devraient devenir la référence du génocide des
Juifs, en matière d’enseignement. En effet, nous jugeons l’œuvre trop longue et surtout
trop complexe pour des jeunes adolescents n’ayant alors qu’une vague idée parfois
même simpliste de la Shoah.
Il nous semble plus cohérent de suivre l’exemple de l’éducation française qui
diffuse aux élèves de collège de troisième, en introduction au programme d’histoire sur
la Seconde Guerre Mondiale, le documentaire, Nuits et Brouillard d’Alain Resnais et
Jean Cayrol.
Pour notre part, nous ajouterions au programme scolaire, une étude du procès
d’Eichmann ou de La Liste de Schindler afin d’ approfondir l’enseignement de la Shoah
et confronter les élèves à la réalité historique à partir de documents écrits, audios et
vidéos d’origine ou biographiques. De manière à rendre plus concrète et plus réel
l’histoire du génocide.

Comme nous l’exprimions dans notre étude, nombreux intervenants du débat sur
les B. ont confondus « banalité » et « banalisation » du mal, mais ont aussi refusé
catégoriquement l’image du narrateur-bourreau et la partie fictionnelle des B., craignant
une mystification de l’histoire et une perte de la réalité historique.

Charlotte Lacoste : « Pour que la réalité reprenne ses droits, il faut


interrompre la litanie du bourreau. Mais dans les romans qui mettent
en scène un narrateur bourreau, ce n’est pas de cela dont il est
question : simplement de se laisser bercer, emporter par une parole
fleuve mystificatrice ».119

Toutefois, l’objectif de L. était absolument contraire à l’interprétation faite par


Charlotte Lacoste.

_______________________
117
BUSNEL, François, « Prix Goncourt », 2006 [en ligne].
118
SEMPRUN, Jorge, « Collectif sur Les Bienveillantes de J. Littell », 1er septembre 2008 [en ligne]

119
LACOSTE, 2010, op.cit, p. 386

68
En effet, nombreux ont également assimilé la pensée de Max Aue à celle de L.,
mais le but de l’auteur était en réalité que le lecteur sache faire preuve d’individualité
lors de sa réflexion, qu’il pense par lui-même et condamne le passage à l’acte de Max
Aue et ce consentement final à la barbarie et au meurtre.
L. a cherché à ce que son lecteur, tout comme Oskar Schindler, se rende compte
que lui est laissé le choix d’adhérer ou non à la collaboration ou à la résistance. Comme
a dit Eichmann « Chacun est libre de vivre comme il l’entend ».

En ce qui concerne les critiques concernant la crédibilité du personnage de Max


Aue comme officier nazi :

Peter Schöttler : « En cause ici, le manque de vraisemblance du


personnage et son rapport artificiel à la langue et la culture
allemande ».120

Nous avons précédemment démontré que L. ne recherchait pas la vraisemblance


mais la vérité, ce qui aurait été impossible avec la mise en scène d’un bourreau nazi
vraisemblable et répondant au cliché social.

Une nouvelle fois, nous constatons que l’enjeu principal de l’œuvre était
d’engendrer un débat et de raviver le devoir de mémoire que l’œuvre ait plu ou non au
lectorat français et international.

Prenons l’exemple de l’Allemagne où lors de sa parution en 2008, l’œuvre fait


l’objet de violentes critiques. Toutefois, Hubert Roland nous démontre dans Revue
Nouvelle:

« Au-delà d’une réception parfois assassine, la presse allemande a su


diversifier ses efforts de pédagogie pour faire de l’évènement
littéraire un vrai moment de débat et de réflexions collectives »121

En ce sens, en plus de contribuer au travail de mémoire, Les B. démontrent que


le travail littéraire de J.L constitue un prolongement complémentaire à celui des
historiens, comme nous l’avons évoqué plus tôt. Au-delà des malaises, des
interrogations et des doutes qu’il peut provoquer, le roman de L., contribue avant tout
au travail de compréhension du présent.

_______________________
120
LECHÂT, B., MINGELGRUN, A., ROLAND, H., MOLITOR, M., CNUDDE, H., HACHEZ, T.
« Entre provocation et Aufklärung. La réception allemande des Bienveillantes » La Revue Nouvelle, nº7-
8, juillet-août 2008, p. 50.
121
Ibidem, p. 34.
69
4.2. Les Enjeux des Bienveillantes

« Je ne campe pas sur le passé, j’en tire des


conclusions pour le présent »
Eric Fisher

« Déranger », c’est bien cela que voulait, que recherchait J.L. « Déranger » pour
mieux mobiliser par la suite. Il a réussi son entreprise, en accusant un succès
incontestable, faisant ainsi lire son livre par des milliers de lecteurs ; et en provoquant
de vives polémiques et engendrant ainsi l’un des débats littéraires, les plus riches de ce
début de XXI ème siècle.

Grâce à ce débat, nous avons constaté que le sujet de la Shoah était un sujet
sensible, cher et présent dans la pensée des français. Toutefois, L. nous reproche d’avoir
refoulé ce souvenir, en somme de ne pas avoir suffisamment appris de la Shoah pour
avoir pu éviter que cela se reproduise comme ce fut le cas au Rwanda.
Si l’on a parlé du devoir comme la mission léguée à l’humanité par les victimes
de la Shoah, nous leur devons également d’apprendre de l’Histoire et interdire que cela
se reproduise.

L’un des principales objectifs de L. était de rappeler également que ce fut une
histoire d’hommes et non que la Shoah soit réduite à un problème entre Juifs et
Allemands. Lors de son entretien avec Guy Duplat, il ajoutera :

« J’aurais pu prendre des exemples plus récents, que j’ai vécu de


près, au Congo, au Rwanda, en Tchétchénie. Mais j’ai pris les nazis
pour prendre un cas de figure ou le lecteur ne pourra pas se défausse
en prétextant que « ah ce sont des noirs ou des chinois ». Il fallait
ancrer ce récit chez des hommes comme nous pour empêcher le
lecteur de prendre de la distance ».122

L’autre entreprise de Littell, était celle de mettre son lecteur face au Mal et face
à lui-même, tout comme le fait Max Aue avec l’écriture de ses mémoires :

« Peut-être est-ce pour cela que je rédige ces souvenirs: pour me


remuer le sang, voir si je peux encore ressentir quelque chose, si je
sais encore souffrir un peu. Curieux exercice». 123

_______________________
122
Entretien avec Guy DUPLAT, op.cit.

123
LITTELL, op.cit, p. 19.

70
S’il est vrai que le roman de L. peut parfois sembler bousculer son lecteur, le
choquer, le réprimander, il a avant tout pour but de le prévenir, de le convertir de
présumé innocent en lecteur averti.
En aucun cas, il cherche à lui faire accepter l’action de Max Aue, mais au
contraire, de lui faire admettre l’importance de penser, de rester fidèle à lui-même et ne
pas se laisser influencer par un beau discours et quelques sourires. Car les plus beaux
discours et les plus beaux sourires peuvent nous conduire au point de non retour :

« Dans la haine nazie, il n'y a rien de rationnel. […] Nous ne pouvons


pas la comprendre ; mais nous pouvons et nous devons comprendre
d'où elle est issue, et nous tenir sur nos gardes. Si la comprendre est
impossible, la connaître est nécessaire, parce que ce qui est arrivé
peut recommencer, les consciences peuvent à nouveau être déviées et
obscurcies : les nôtres aussi. C'est pourquoi nous avons tous le devoir
de méditer sur ce qui s'est produit. Tous nous devons savoir, ou nous
souvenir, que lorsqu'i1s parlaient en public, Hitler et Mussolini
étaient crus, applaudis, admirés, adorés comme des dieux. C'étaient
des « chefs charismatiques », ils possédaient un mystérieux pouvoir de
séduction qui ne devait rien à la crédibilité ou à la justesse des propos
qu'ils tenaient mais qui venait de la façon suggestive dont ils les
tenaient, à leur éloquence, à leur faconde d'histrions, peut-être innée,
peut-être patiemment étudiée et mise au point. Les idées qu'ils
proclamaient n'étaient pas toujours les mêmes et étaient en général
aberrantes, stupides ou cruelles ; et pourtant ils furent acclamés et
suivis jusqu'à leur mort par des milliers de fidèles. […] Il faut donc
nous méfier de ceux qui cherchent à nous convaincre par d'autres
voies que par la raison, autrement dit des chefs charismatiques : nous
devons bien peser notre décision avant de déléguer à quelqu'un
d'autre le pouvoir de juger et de vouloir à notre place. Puisqu'il est
difficile de distinguer les vrais prophètes des faux, méfions-nous de
tous les prophètes ; il vaut mieux renoncer aux vérités révélées, même
si elles nous transportent par leur simplicité et par leur éclat […]. Il
vaut mieux se contenter d'autres vérités plus modestes et moins
enthousiasmantes, de celles que l'on conquiert laborieusement,
progressivement et sans brûler les étapes, par l'étude, la discussion et
le raisonnement, et qui peuvent être vérifiées et démontrées. ».124

_______________________
124
LEVI, 1987 [1947], op.cit, p.211-212.

71
4.3. Les raisons d’un tel succès

« Le succès de l’insuccès est un succès »


Francis Picabin, Écrits (1998).

Comment expliquer un succès si rapide, si éclatant ? Comme le déclarera J.L


dans une interview menée par Samuel Bumerfeld :

« A ce niveau là, ce n’est ni l’éditeur, ni l’écrivain qui peuvent


comprendre, mais l’historien ».125

Il est évident que le thème choisi par le roman, celui de la Seconde Guerre
Mondiale, a été un élément essentiel. Il a rappelé combien ce passage de l’histoire avait
gravé les mentalités et au vu du succès connut en France, quel rapport les français
entretenaient, encore au jour d’aujourd’hui, avec ce moment de l’Histoire.

Une seconde hypothèse, laquelle relève davantage de la littérature, est celle que
J.L a répondu à une demande, cette volonté enfouie chez l’homme de comprendre, de
savoir ce qui se passait dans la tête d’un bourreau nazi lors de la Shoah.
En effet, la question du bourreau est la grande question de la seconde moitié du
ème
XX siècle, toutefois, celle-ci reste sans réponse.
En 2006, avec les B. les lecteurs pensent obtenir une réponse ou du moins un
éclaircissement en se mettant dans la peau du tueur et non plus dans celle des
survivants, des victimes.

Toutefois, en choisissant un personnage comme Max Aue, Littell va surprendre


son lecteur et le prendre à son propre jeu, car si celui-ci lit dans le but d’obtenir un
semblant de réponse à travers le discours de Maximilien Aue, c’est surtout lui-même
qu’il étudiera et mettra à l’épreuve. Une expérience qui le conduira à lutter et
combattre : l’endoctrinement, l’assujettissement et devra l’amener à une conclusion :
celle que l’on ne doit jamais cesser de penser et de prendre ses décisions en suivant nos
convictions personnelles.

Si l’homme est forcé d’admettre sa capacité à faire le mal, L. lui reconnaît


néanmoins un droit, celui de revendiquer le fait d’avoir le choix de le produire ou non :
ce que Max Aue, Eichmann et autres bourreaux ont tenté de nier en évoquant la thèse du
devoir, de l’obligation en somme d’absence de choix.

_______________________

125
Entretien avec Samuel Blumemfeld, op.cit.

72
Enfin, troisième et ultime théorie, nous reviendrons sur cette curiosité malsaine
de l’homme, celle qu’à la lecture des B., les lecteurs espéraient trouver la violence, les
meurtres acharnés, les viols sans pitié. Ils seront bien déçus lorsqu’ils prendront
conscience qu’il ne s’agit en réalité non du procès des nazis sanguinaires mais des
hommes ordinaires devenus génocidaires en perdant la conscience d’eux-mêmes.

Par delà, nous pourrions comprendre le malaise et parfois le dégout qu’a pu


inspirer les B. à certains. Mais plus que le dégoût de l’œuvre, ne serait-ce pas plutôt un
dégoût pour l’homme ?

73
CHAPITRE 5 :

CONCLUSIONS

CHAPITRE 5 : CONCLUSIONS

74
Cela fait plus de 60 ans que tout le monde dit à propos de la Shoah : « plus
jamais ça » et puis il y a eu à nouveau « ça ». Ce livre nous replonge dans l’horreur de la
Shoah provoquée par l’Homme.

Les B., bien plus qu’un simple roman, cherchent à engendrer une prise de
conscience du lecteur. Il lui rappelle que la Shoah fut une histoire d’hommes et non
simplement de « monstres » comme nous avons souvent désignés les nazis.
Bien que nous refusions toute ressemblance avec les génocidaires nazis, L. nous
met face à la réalité, les nazis étaient bien humains, aussi inacceptable que ce soit.

Nous nous rappellerons toujours de la première fois que nous avons vu, Nuits et
Brouillard, notre première réaction : ce n’est pas possible.
Néanmoins, bien obliger de reconnaître l’authenticité de ces archives nazies,
notre seconde réaction sera : comment l’homme peut il faire endurer tant de souffrances
à l’homme ? Comment peut-on arriver à un tel degré de barbarie ?

Nous avons souvent décrit la Shoah comme un « trou noir » de l’esprit, afin de le
combattre et le combler, les écrits d’Hannah Arendt et L. nous demandent de rester
vigilants et nous mettent en garde face à ce vide de la pensée humaine. Pour combattre
ce danger, il nous faut également avertir les générations futures, de ceux qui sont
tombés et ont ainsi participé au plus grand génocide de l’histoire.
S’impose en effet, le devoir de témoigner et de transmettre cette mémoire qui
aura couté la vie à plus de cinq millions de juifs.

Le devoir de mémoire apparait une nouvelle fois comme la mission de


l’humanité, car comme dit Max Aue au début des B. : « ça vous concerne ». Le fait
d’avoir vécu la Shoah n’a pas d’importance, en naissant humain, nous sommes tous
concerner par ce crime qu’ont commis nos semblables et tous d’une certaine manière
responsable. Il est alors de notre devoir de l’assumer et de le dénoncer.

Nous finirons notre étude sur un point qui nous semble crucial : que vous ayez
lu, commencé ou entendu parler des B., l’important n’est pas que l’œuvre vous plaise
mais que vous en débâtiez avec vos proches, votre famille, vos collègues. Pour que cette
œuvre serve au devoir de mémoire ou plutôt au travail de mémoire.

Si les B. auront engendrer un des débats littéraires les plus intensifs de cette
entrée dans le XXIème siècle, ce livre aura surtout permis de replacer la littérature dans
l’actualité et face aux problème sociaux et culturels, car la littérature n’est autre qu’un
reflet de nous-mêmes, de l’homme, tout comme l’aura été la Shoah, en nous démontrant
la partie la plus noire de notre espèce.

75
CHAPITRE 6 :

BIBLIOGRAPHIE DE RÉFÉRENCE

CHAPITRE 6 : BIBLIOGRAPHIE DE RÉFÉRENCE

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Notre étude reposant essentiellement sur l’œuvre en elle-même des Bienveillantes de
Jonathan Littell, nous décidons de la considérer à part en comparaison au reste des
œuvres lues, visionnées, étudiées et consultées.

LITTEL, Jonathan. Les Bienveillantes, Paris, Gallimard, 2006, 1403 p.

6.1. Œuvres principales

ARENDT, Hannah. Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal, Paris,


Gallimard, collection. « Folio Histoire », 2002 [1966], 495 p.

LACOSTE, Charlotte. Séductions du bourreau, Paris, Puf, 2010, 482 p.

LEVI, Primo. Si c’est un homme, Paris, Julliard, Paris, 2009 [1947], 317 p.

6.2. Œuvres secondaires

MILGRAM Stanley. Soumission à l’autorité. Un point de vue expérimental, Paris,


Calmann- Levy, collection Liberté de l’esprit, 1974, p.95-229.

CLÉMENT Murielle Lucie. Les Bienveillantes de Jonathan Littell, Études réunies par
Murielle Lucie Clément, Cambridge, OpenBook Publishers, 2010, 352 p.

6.3. Interviews, Revue, Magazine

Interviews :

Entretien avec Guy DUPLAT. « Le phénomène Littell », La libre Belgique, 28


septembre 2006. [en ligne].
Disponible sur : http://www.lalibre.be/index.php?view=article&art_id=308163

Entretien avec Samuel BLUMENFELD. Le Monde des Livres, 16/11/06 [en ligne].
Disponible sur : http://www.urban-resources.net/pages/jonathan_littell_interview.html

Entretien avec Richard MILLET. « Conversation à Beyrouth », p.22. [en ligne].


Disponible sur : http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=DEBA_144_0004

77
Entretien avec Florent GEORGESCO. « Jonathan Littell, homme de l'année », Le
Figaro, juin 2006. [en ligne].
Disponible sur :
http://www.lefigaro.fr/magazine/20061229.MAG000000304_maximilien_aue_je_pourr
ais_dire_que_c_est_moi.html

Entretien avec Nathalie CROM. « Le bourreau bureaucrate, Télérama, n° 2954, 26 août


2006. [en ligne].
Disponible sur : http://www.telerama.fr/livres/le-bourreau-bureaucrate,15891.php

Entretien avec Pierre NORA. « Le Soir », Bruxelles, 24 novembre 1992 [en ligne].
Disponible : http://www.resistances.be/holocaust.html

Entretien de l’historienne Annette Wieviorka avec Elisabeth Bouvet. « Disparition de


Raul Hilberg », RFI, 7 août 2007 [en ligne].
Disponible sur : http://www.rfi.fr/culturefr/articles/092/article_54956.asp

BUSNEL, François. « Prix Goncourt », 2006 [en ligne].


Disponible sur :
www.dailymotion.com/video/x218pa_jonathan_littell_lesbienveillantes_création

SEMPRUN, Jorge. « Collectif sur Les Bienveillantes de J. Littell », 1er septembre 2008
[en ligne].
Disponible sur : http://www.fabula.org/actualites/collectif-sur-les-bienveillantes-de-j-
littell_22890.php

LACOSTE, C, doctorante en Littérature et Sciences du langage, Université Paris X, par


Macé, M., chercheur au CNRS, enseignante à l'ENS et à l'EHESS, (19-11-2010, France
Culture, Le Journal des Nouveaux Chemins, à propos de Séductions du bourreau.
Disponible sur : http://www.franceculture.com/emission-les-nouveaux-chemins-de-la-
connaissance-le-snobisme-en-etre-ou-ne-pas-en-etre-55-l-artifici#comments

Revue :

Jonathan Littell : de Degrelle aux Bienveillantes, La Revue Nouvelle, nº7-8, juillet


2008, p. 32-56 :

- LECHÂT, B., MINGELGRUN, A., ROLAND, H., MOLITOR, M., CNUDDE, H.,
HACHEZ, T. « De Degrelle aux Bienveillantes, Jonathan Littell et l’écriture de la
Shoah » La Revue Nouvelle, nº7-8, juillet-août 2008, p. 36-45.

- LECHÂT, B., MINGELGRUN, A., ROLAND, H., MOLITOR, M., CNUDDE, H.,
HACHEZ, T. « Entre provocation et Aufklärung. La réception allemande des
Bienveillantes » La Revue Nouvelle, nº7-8, juillet-août 2008, p. 45-56.

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Magazine :

De la Shoah au Rwanda. Héros Bourreaux. Deux visages de l’humanité, Philosophie


Magazine, nº12, septembre 2007, p. 39-55.

- ELTCHANINOFF, Michel et LEGROS, Martin, « Deux visages de l’humanité » in De


la Shoah au Rwanda. Héros Bourreaux. Deux visages de l’humanité, Philosophie
Magazine, nº12, septembre 2007, p. 40-45.

- SERENY, Gitta, « Il aimait ce travail devenu une addiction » in De la Shoah au


Rwanda. Héros Bourreaux. Deux visages de l’humanité, Philosophie Magazine, nº12,
septembre 2007, p. 46-47.

- TERESTCHENKO, Michel, « L’engrenage du pire » in De la Shoah au Rwanda.


Héros Bourreaux. Deux visages de l’humanité, Philosophie Magazine, nº12, septembre
2007, p. 48-49.

- TRUONG, Nicolas, BRAUMAN, Rony, SÉMELIN, Jacques, « De l’intention à


l’acte » in De la Shoah au Rwanda. Héros Bourreaux. Deux visages de l’humanité,
Philosophie Magazine, nº12, septembre 2007, p. 50-53.

- LEGROS, Martin, MOREAU, Anne-Sophie, « Se retrouver un moment sans âme » in


De la Shoah au Rwanda. Héros Bourreaux. Deux visages de l’humanité, Philosophie
Magazine, nº12, septembre 2007, p. 54-55.

6.4. Mémoires

LACOSTE, Charlotte. L'extermination comme matière fabuleuse : Les Bienveillantes ou


l'art de rendre le nazi fréquentable, Paroles gelées, UCLA Department of French and
Francophone Studies, UC Los Angeles, 2008, 31p. [en ligne].
Disponible sur : http://www.escholarship.org/uc/item/57q34629?display=all

LACOSTE, Charlotte.Un cas de manipulation narrative : Les Bienveillantes ou


comment éveiller le génocidaire qui sommeille en chacun de nous, Université de Nancy
2, Paris 8, 20 p. [en ligne].
Disponible sur : http://www.revue-
texto.net/docannexe/file/2133/charlotte_lacoste_les_bienveillantes.pdf

BOBLET, Marie-Hélène. Roman historique et vérité romanesque : Les Bienveillantes.


Comment le romanesque redonne une mémoire à l’histoire ?, Romanesques, nº3, 2008,
p. 221-240. [en ligne].
Disponible sur : http://halshs.archives-
ouvertes.fr/docs/00/46/18/57/PDF/littell_roman_historique_et_verite_romanesque.pdf
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6.5. Conférences, Séminaires

« De l’abjection à la banalité du mal », à l'Ecole Normale Supérieure de Paris (ENS),


avec LITTELL, J., DARMON, JC., KRISTEVA, J., BRAUMAN, R., mardi 24 avril
2007. [en ligne].
Disponible sur : http://www.diffusion.ens.fr/index.php?res=conf&idconf=1727#

« Table ronde autour des Bienveillantes de Jonathan Littell », à l'Ecole Normale


Supérieure de Paris (ENS), avec DARMON, JC., ASSOULINE, P., COEURÉ, S.,
COQUIO, C., FRANÇOIS, E., GÉRARD, V., OGILVIE, B., WERNER, M., WOLFF,
F., mardi 24 avril 2007. [en ligne].
Disponible sur : http://aircrigeweb.free.fr/ressources/representations/conf_Littell_.html#

6.6. Reportages, Court- métrages

Le Procès d’Adolf Eichmann, Michaël Prazan, Infrarouge, 2011, 90 min [en ligne].
Disponible sur : http://www.fluket.com/infrarouge-le-proces-d-adolf-eichmann-tvrip-
megaupload/p427309/

Nuit et Brouillard, RESNAIS Alain, CAYROL Jean, 1955, 30 min [en ligne].
Disponible sur : http://video.google.com/videoplay?docid=-6854113117967578704#

Shoah, LANZMANN Claude, 1986, 75 min [en ligne].


Disponible sur : http://video.google.com/videoplay?docid=-620663269978257298#

6.7. Films

Schindler's List, [La liste de Schindler], SPIELBERG, Steven, avec Liam Neeson, Ben
Kingsley et Ralph Fiennes, États-Unis, 1993, Drame-Histoire, 183 min.

Holocaust [Holocauste], Marvin J. Chomsky, avec Meryl Streep, États-Unis, 1978,


Drame- Histoire, 419 min.

- « La montée des ténèbres (1935Ŕ1940) », 135 min [en ligne].


- « La route de Babi-Yar (1941Ŕ1942) », 94 min [en ligne].
- « La solution finale (1942Ŕ1944) », 89 min [en ligne].
- « Les rescapés (1944Ŕ1945) », 101 min [en ligne].
Disponible sur : http://www.youtube.com/watch?v=0Px2Y12062g

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