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« Pour les Nuls » est une marque déposée de John Wiley & Sons, Inc. « For
Dummies » est une marque déposée de John Wiley & Sons, Inc. © Éditions
First, un département d’Édi8, 2015. Publié en accord avec John
Wiley & Sons, Inc.
ISBN : 978-2-7540-7495-7
ISBN Numérique : 9782754082051 Dépôt légal : septembre 2015
La philosophie de l’absurde
Albert Camus (1913-1960) a rendu célèbre la « philosophie de
l’absurde ». Il n’entendait évidemment pas par là que rien
n’avait de sens, mais qu’il y avait entre l’existence de l’homme
et sa compréhension du monde d’une part et le monde lui-même
tel qu’il apparaît d’autre part une étrangeté irréductible (le
roman le plus célèbre de Camus s’intitule justement
L’Étranger).
L’absence de sens
D’une manière générale, l’absurde est ce qui est dénué de sens.
Le sens est la relation que nous sommes capables de reconnaître
ou de faire (la question de savoir s’il existe ou non un sens
objectif indépendamment de l’interprétation divise les auteurs et
les courants de pensée) entre les idées et les valeurs que nous
avons et la réalité que nous expérimentons. Une phrase, par
exemple, a un sens si son contenu a un rapport avec ce que nous
reconnaissons exister dans la réalité. Ainsi, « Hier, je serai
mort » est une phrase dénuée de sens, car nous ne pouvons
logiquement pas mettre ensemble le passé et le futur, exprimés
ici respectivement par le mot « hier » et le temps futur du verbe
« être ». Est absurde également ce qui est incohérent sur le plan
grammatical, comme « Un sourire déchiré jusqu’au fond
chaussettes de bois auparavant bus ».
Ce qui n’a pas de sens peut avoir une
signification
Il est tout à fait possible de faire comprendre quelque chose par
des phrases qui n’ont pas de répondant dans le réel, et qui
néanmoins évoquent en notre esprit une idée ou une situation.
Tel est le cas du fantastique ou de ce que les Anglais appellent
nonsense en littérature. Il est possible, en effet, de décrire un état
du monde qui n’existe pas, comme dans Alice au pays des
merveilles, où Lewis Carroll imagine une reine des cartes
obligeant ses jardiniers à peindre ses roses. « Peindre des roses »
est possible pour un peintre, mais pas possible pour un jardinier,
et pourtant ce membre de phrase a une signification, même pour
lui. Il peut donc y avoir signification sans sens – la signification
étant la relation entre un signe (c’est-à-dire l’élément de
n’importe quel langage) et d’autres signes (ainsi, la définition
d’un mot, dans un dictionnaire, donne la signification de ce
mot), le sens étant la relation entre un signe et ce à quoi il
renvoie dans le réel, c’est-à-dire son référent : « Mammifère
quadrupède à sabots dont le cri est le hennissement » est une
définition de « cheval », le sens du mot « cheval » est de
renvoyer à l’animal réel qui fait perdre beaucoup d’argent à
beaucoup de gens au tiercé et sans lequel les centres équestres
n’auraient plus qu’à fermer leurs portes.
Absurde
L’essentiel en 5 secondes
La crise de l’autorité
La philosophe Hannah Arendt (1906-1975) fut la première à
diagnostiquer, à partir du cas américain, une crise de l’autorité.
Le XXe siècle aura connu, en effet, avec les deux types de
totalitarisme (nazi et communiste), la forme la plus
pathologique, la plus violente et la plus dévastatrice du pouvoir.
Parallèlement à cette barbarie, les sociétés démocratiques
connaissent un désenchantement qui attaque le pouvoir à sa
base. Les citoyens de ces sociétés sont de plus en plus
indifférents, voire hostiles, à la politique.
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La valeur du bonheur
La première question philosophique sur le bonheur n’est pas
celle de sa réalité, mais celle de sa valeur. Face à l’eudémonisme
(d’un mot grec qui signifie « heureux »), qui est une philosophie
de recherche du bonheur conçu comme la finalité de la vie
humaine, il y eut, dès l’Antiquité, des pensées hostiles à ce point
de vue dénoncé comme égoïste et frivole. Le bonheur peut être
en effet contesté au nom de quelque chose de plus élevé : le bien
de la société par exemple, ou le salut de l’âme. En privilégiant
les devoirs du fidèle et le salut de l’âme, les religions
monothéistes ont contesté la valeur du bonheur, dont Einstein
dira qu’il est « un idéal de pourceau ».
Si le bonheur est devenu en Occident puis dans la quasi-totalité
du monde mondialisé un bien en soi, c’est en grande partie au
déclin des valeurs religieuses qu’on le doit : le bonheur a
triomphé de la béatitude. Ceux que l’on appelle les
« intégristes », qui incarnent une forme de fanatisme religieux,
ont une conception tout autre de l’existence humaine : pour
certains, le martyre qui va jusqu’au sacrifice, et dont ils croient
qu’il leur assurera des jouissances éternelles au paradis, est
infiniment supérieur au bonheur corporel et terrestre.
La part du hasard
La division des tâches est ainsi organisée : l’État démocratique
fournit aux citoyens les conditions du bonheur – à charge pour
ceux-ci d’accomplir leur bonheur personnel comme ils
l’entendent. Autrement dit, le bonheur devient une affaire de
volonté – collective et personnelle.
Cette idée de volonté contredit celle de chance, qui est comprise
dans l’étymologie du mot (l’« heur » du bonheur vient d’un mot
latin qui signifie « la chance » et qui a aussi donné « augure » ;
le bonheur est la bonne chance, le malheur, la mauvaise chance).
Nous savons que la part du hasard est fondamentale dans
l’existence des hommes. Hasards de la naissance, hasards des
rencontres et des fréquentations, hasards de la santé et des
catastrophes, etc. Mais le hasard est l’objet d’un déni tout-
puissant – il n’y a guère que la mort pour être l’objet d’un aussi
vigoureux refus de reconnaissance. Le hasard, en effet, ruine
notr e volonté etnosprojets;ilblessenotr e amour-propre et
notr e volontéde puissance . Il est plus satisfaisant de croire que
l’on doit sa bonne fortune professionnelle à son mérite propre
qu’aux multiples hasards de la vie. Ainsi, le bonheur est
véritablement devenu un mythe du monde moderne.
Bonheur
L’essentiel en 5 secondes
Communication et transmission
Avec l’expression, la communication est l’une des deux
fonctions du langage humain. L’expression est la manifestation
du réel par le moyen du langage, la communication est la
transmission d’une expression d’une conscience à une autre.
La technique a multiplié les modes de communication et les a
élargis aux dimensions de la Terre entière. Ce que l’on appelle
« mondialisation » tient en grande partie à l’extension de la
communication à tous les lieux du monde.
Les techniques de communication sont aujourd’hui si puissantes
qu’elles finissent par dévaloriser la valeur de transmission, sans
laquelle aucune culture ne saurait exister véritablement. La
communicationesthorizontale , elle met en relation des
contemporains. La transmission estverticale , son message
vient du passé. La communication met en crise la transmission.
Par ailleurs, il y a un usage idéologique de l’idée de
communication qui finit par la trahir. Lorsque nous disons que
« le gouvernement a communiqué », il ne peut y avoir de
symétrie entre les deux pôles de l’émission et de la réception.
Albert Camus (1913-1960) traduisait déjà cette tendance
lorsqu’il disait : « Nous avons remplacé le dialogue par le
communiqué. »
Communication
L’essentiel en 5 secondes
L’universalité du concept
Une représentation mentale peut être singulière, c’est-à-dire se
rapporter à quelque chose d’unique – être, chose ou événement.
Ainsi, lorsque je pense à un ami, je peux avoir une certaine idée
de cet ami dans mon esprit : on parlera alors d’« image » et non
de « concept ». Le « concept » de mon ami n’a aucun sens.
Le concept, en effet, se rapporte à une pluralité d’êtres, de
choses ou d’événements du même type : le mammifère, le
meuble, la révolution. Je ne dis pas de quel meuble il s’agit : ce
peut être une armoire, une étagère, un lit ou une chaise. Mais il
existe entre ces meubles (au pluriel) un point commun qui fait
que l’on peut parler de « meuble » (au singulier). L’ensemble
des éléments communs des objets auxquels le concept se
rapporte s’appelle la compréhension du concept ; l’ensemble des
choses auxquelles le concept se rapporte s’appelle l’extension du
concept. Ainsi, pour reprendre l’exemple du meuble : en
extension, ce sont les lits, les tables, les chaises, etc. ; en
compréhension, c’est un objet mobile qui, placé dans un espace
de vie, remplit une fonction pratique nécessaire à celle-ci.
Fatalisme, providentialisme et
déterminisme
Le fatalisme, qui repose sur l’idée que tout est prédéterminé
par un Destincontre lequel aucune volonté ne peut prévaloir,
est l’expression la plus forte du nécessitarisme, qui, par
définition, élimine toute contingence, donc tout hasard, donc
toute liberté.
Le providentialisme, selon lequel tout ce qui arrive a été voulu
par un Dieu omnipotent et omniscient (« providence » signifie
« voir à l’avance »), ne doit pas être confondu avec le fatalisme,
car, alors que le Destin est aveugle, la Providence est
suprêmement clairvoyante. Sa nécessité, à la différence de celle
du Destin, laisse une marge de manœuvre à la liberté humaine.
Le déterminisme, en vertu duquel tout ce qui arrive dérive de
causes déterminées, est encore autre chose : alors que le Destin
et la Providence sont des idées religieuses et métaphysiques, les
lois de la nature sont des résultats du travail scientifique.
Contingence
L’essentiel en 5 secondes
✓ La contingence est ce qui pourrait tout aussi bien ne pas exister ou exister sous
une autre forme
Culture
L’essentiel en 5 secondes
Le pouvoir du peuple
On connaît la formule de Lincoln (1809-1865) – rapidement
apparue comme la meilleure des définitions de la démocratie :
« gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ».
Excellente formule, en effet, qui n’a que le défaut de ne jamais
trouver son application concrète. Où a-t-on vu que le peuple
avait le pouvoir ? En dehors des collectifs de petite taille,
comme les villages, ce sont les représentants du peuple qui, dans
le meilleur des cas, prennent les décisions. Seulement, la volonté
ne se délègue pas, faisait observer Rousseau, lequel était un
adversaire décidé de la démocratie représentative. On ne peut, en
effet, vouloir à ma place : je peux exprimer ma volonté et même
mes dernières volontés si je suis à l’article de la mort, mais je ne
peux céder ma volonté à quiconque. Pour Rousseau, donc, il ne
saurait y avoir de démocratie que directe.
Démocratie
L’essentiel en 5 secondes
✓ L'idéal démocratique énonce que c'est le peuple, et non la nature, qui est la
source du pouvoir légitime
Dignité
L’essentiel en 5 secondes
Karl Marx (1818-1883) a été l’un des rares penseurs à avoir donné son
nom à une idéologie –, laquelle l’a plus desservi que servi : le
marxisme.
« Tout ce que je sais, disait l’auteur du Capital, c’est que moi je ne suis
pas marxiste ».
Plus tard, les courants féministes feront observer que les droits
de l’homme ont commencé par exclure « la moitié du ciel »
(l’expression chinoise pour dire « les femmes »). Les
mouvements antiracistes pointeront aussi le fait que l’idéal des
droits de l’homme n’a pas interdit, du moins pas tout de suite, ce
réel crime contre l’humanité que constituait l’esclavage : comme
le constatait amèrement George Orwell (1903-1950) dans La
Ferme des animaux, si tous sont égaux, certains le sont plus que
d’autres.
Toutes ces critiques sont à considérer sérieusement. Cela dit, il
semble difficile, voire impossible aujourd’hui, d’imaginer un
« dépassement » des droits de l’homme. De fait, les
contestations entendues çà et là émanent des pires despotismes
et des pires obscurantismes. D’ailleurs, ces voix finissent par se
taire. Hommage que le vice rend à la vertu, plus aucun État
aujourd’hui n’oserait devant le monde affirmer son hostilité aux
droits de l’homme.
Mais que deviendraient cette idée et cet idéal si « l’homme » tel
que nous le connaissons aujourd’hui doit être dépassé, comme le
disent et le souhaitent les courants du transhumanisme et du
posthumanisme ? Nombre de chercheurs, en effet, pensent que
l’homme doit être dépassé par des moyens biotechnologiques, ce
qui aurait pour effet la destruction de l’unité de l’espèce
humaine, et donc celle de l’idée de droits de l’homme.
Droits de l’homme
L’essentiel en 5 secondes
Égalité et identité
Il convient tout d’abord de distinguer l’égalité et l’identité. Le
principe d’identité (A = A) énonce cette tautologie : une chose
est ce qu’elle est. Mais si A est strictement égal à B, bien que B
ne soit pas A, nous disons aussi que A et B sont « identiques ».
Cette identité comme équivalence absolue entre deux termes
différents n’existe que pour les objets idéels, c’est-à-dire
abstraits, des mathématiques : deux cercles sont identiques s’ils
ont le même rayon, deux carrés sont identiques si leurs côtés ont
la même longueur, etc.
Cette identité n’existe pas dans le monde physique : deux grains
de sable, deux gouttes d’eau présentent toujours des différences
entre eux. Deux jumeaux, deux clones peuvent avoir le même
génome, ils peuvent se ressembler au point que l’on prend l’un
pour l’autre, il n’en reste pas moins vrai qu’ils sont différents.
L’argument de ceux qui contestent le principe d’égalité de la
démocratie par le constat que les hommes sont tous différents
repose sur une confusion entre l’égalité (réelle ou idéale) et
l’identité (qui ne peut être qu’idéelle). Non seulement les
hommes sont tous différents (donc jamais identiques), mais c’est
précisément parce qu’ils sont différents qu’ils sont ou doivent
être égaux.
Il y a égalité et égalité
L’article de la déclaration citée ci-dessus dit : « égaux en
droits ». Il renvoie donc à l’égalité devant la loi, qui est en effet
un principe fondamental de la démocratie. L’inégalité devantla
loi, dont on peut bénéficier et qui était de règle dans les sociétés
d’Ancien Régime, s’appelle privilège (étymologiquement : « loi
privée »).
Karl Marx (1818-1883) a critiqué cette conception
« bourgeoise » de l’égalité réduite à la seule égalité juridique. Il
existe, en effet, une autre forme d’égalité, l’égalité économique,
qui doit mettre un terme à l’inégalité entre les riches et les
pauvres, entre les très riches et les très pauvres. Les penseurs du
communisme et du socialisme ont montré qu’une égalité
juridique dans un contexte de fortes inégalités économiques et
sociales n’était qu’une fiction.
Mais il y a davantage : les inégalités économiques entraînent
toutes les autres : inégalités en matière de défense de ses droits
propres, en matière de santé, en matière d’accès à l’instruction et
aux loisirs. De plus, l’inégalité ruine la liberté de ceux qui font
partie des couches les plus basses de la société : dans une société
trop inégalitaire, seuls les moins démunis peuvent être
réellement libres.
Égalité
L’essentiel en 5 secondes
Environnement
L’essentiel en 5 secondes
Platon (428-348 av. J.-C.) est, avec Aristote, le philosophe grec qui a
eu la plus grande influence sur la philosophie occidentale. Son œuvre
principale La République est à la fois un ouvrage politique et un traité
métaphysique.
État
L’essentiel en 5 secondes
✓ Le hasard est un événement dont les causes sont inconnaissables par avance
✓ Mais il existe aussi des hasards objectifs, qui ne viennent pas seulement du
défaut de notre savoir
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Identité
De la logique à l’existence
Une chose est ce qu’elle est (A = A), tel est le principe
d’identité . Mais cela ne vaut strictement que pour les objets
idéels, comme en mathématiques, pour les objets qui échappent
au temps. En effet, dès qu’il y a changement, l’identité devient
difficile, voire impossible à saisir. Une anecdote historique
l’illustre bien.
Les Athéniens conservaient sur l’Acropole un très vieux bateau
que la tradition disait être celui de Thésée, le héros fondateur de
la cité. Au cours des siècles, le bateau s’abîmait, aussi les
morceaux de bois pourris ou effrités étaient-ils remplacés au fur
et à mesure par des neufs, tant et si bien qu’au bout d’un certain
temps plus aucune pièce du bateau primitif n’était restée en
place. Pourtant, les Athéniens continuaient de nommer cet autre
bateau « le bateau de Thésée ».
La matière, comme l’eau d’une rivière, ne cesse de couler. « On
ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve », disait
Héraclite, lequel avait également raison d’affirmer que chaque
matin c’est un autre soleil qui se lève. Pourtant, une chose est
« la même » pour nous si elle occupe le même endroit
qu’auparavant et si elle est désignée par le même nom : au
même endroit, nous disons que nous nous baignons dans le
même fleuve.
Identité et différence
Entre un être physique à un moment donné et le même être à un
autre moment, entre un être physique et un autre être physique, il
n’y a à rigoureusement parler jamais identité, mais des
différences réelles et de l’égalité possible. La différence qui
existe entre l’égalité et l’identité, c’est que l’égalité implique des
différences, alors que l’identité les exclut. En fait, comme
l’homme a besoin de stabilité – et le langage lui en fournit les
moyens –, l’identité est toujours conventionnelle : les
différences sont négligées.
Le différentialisme
La communauté a changé de sens en perdant l’universel au
profit du particulier. Naguère, « la communauté » signifiait
« tous les hommes », et même lorsqu’elle n’allait pas jusqu’à
l’ensemble du monde et de l’humanité elle désignait toujours un
élargissement idéal des limites du groupe de référence. La
communauté d’aujourd’hui est, à l’inverse, le résultat d’un repli,
sinon d’une sécession. Elle édifie autour de ses membres une
muraille symbolique infranchissable pour ceux que le hasard a
fait naître au dehors.
Le différentialisme, qui définit les êtres humains par leur
communauté d’appartenance et non par l’unité de leur espèce,
est un antiuniversalisme . Il confond l’appartenance, quiest
une relation,avec l’identité , qu’il suppose substantielle. En
effet, dire « Je suis bouddhiste » signifie que j’appartiens à titre
d’élément à l’ensemble des bouddhistes, mais cela ne signifie
pas que la totalité de mon être puisse être définie par cette
appartenance (ce n’est pas par exemple mon bouddhisme qui
expliquera pourquoi je préfère Schubert à Mendelssohn et les
brunes aux blondes). Les fanatiques ont ceci de caractéristique
qu’ils sont incapables d’opérer cette distinction : pour eux,
appartenir à, c’est être complètement.
L’identité conçue comme essence et non comme processus est
régressive : la véritable identité, en effet, vient de ce que l’on est
devenu, et elle n’est qu’une pause dans la durée de la vie, et non
un terme. Dans un monde qui les angoisse à cause de ses limites
transgressées, les hommes ont la tentation de proclamer
l’identité comme un slogan et de la brandir comme un drapeau.
Dès lors que les territoires physiques perdent leur sens
économique et social, ces individus ont tendance à marquer par
compensation des espaces symboliques capables de susciter d’un
côté la reconnaissance entre soi, de l’autre l’exclusion d’autrui.
Identité
L’essentiel en 5 secondes
✓ Il n'y a d'identité entre deux objets que s'ils sont des formes pures, comme en
géométrie
✓ L'identité d'un individu ou d'un groupe est toujours le résultat d'une histoire
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Image
Une seconde présence
« Image » vient du même mot (latin) qu’imiter. L’idée est que
l’image est un double. C’est d’ailleurs cette idée du double que
l’on retrouve dans le terme « représentation » : la « re-
présentation », c’est littéralement une seconde présentation.
Or, l’image n’appartient pas au même plan de réalité que ce dont
elle est image : il y a loin de la photographie d’une femme nue à
la femme nue – quant aux caricatures de Mahomet, n’en parlons
pas ! Il y a simulation lorsque le pouvoir de création de l’image
est oublié ou occulté au profit de son pouvoir de représentation.
Image
L’essentiel en 5 secondes
✓ L'image est ambiguë : elle fait voir mais elle peut aussi cacher
✓ La civilisation de l'image est celle qui donne une valeur économique à n'importe
quelle chose
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Inconscient
De l’adjectif au substantif
Il ne faut pas confondre « phénomène inconscient » et
« l’inconscient ». Mes souvenirs, à l’exception de celui que j’ai
présentement à l’esprit, sont inconscients en ce sens que, bien
qu’ils soient en moi et qu’ils puissent être rappelés à tout
moment, je n’y pense pas. Les automatismes physiques sont
inconscients : lorsque je marche, je ne me dis pas « Mets la
jambe droite devant la jambe gauche et la jambe gauche devant
la jambe droite ». Ces mécanismes, dont on pourrait citer une
multitude d’exemples, n’ont rien à voir avec l’inconscient.
L’inconscient, tel qu’il a été défini par Sigmund Freud,
l’inventeur de la psychanalyse, est la dimension de notre
psychisme qui échappe à notre conscience et qui est constituée
par les pulsions (inconscient primitif) et par les désirs refoulés
(inconscient acquis).
Le refoulement
La plupart des désirs sont destinés à n’être jamais satisfaits : la
jouissance est l’exception plutôt que la règle. Les obstacles
existent aussi bien à l’intérieur de soi qu’à l’extérieur : la
censure que l’on s’inflige à soi-même peut n’être pas moins
forte que celle que l’on subit de la part des autres. Nous croyons
à tort qu’une chose à laquelle nous ne pensons plus n’existe
plus, mais la mémoire avec son très compliqué travail devrait
pourtant nous avertir que ce à quoi nous ne prêtons plus
attention n’est pas pour autant, comme on dit, sorti de l’esprit. Si
l’on excepte le cas des lésions cérébrales et des dégénérescences
neurologiques, les représentations mentales (idées, images,
projets, etc.) ne sont jamais détruites, elles ne sont que
déplacées. À cet égard, l’oubli est semblable à la perte : une clé
perdue n’est pas détruite, elle existe quelque part ; pareillement,
une représentation oubliée n’est pas anéantie, elle existe quelque
part dans le psychisme.
C’est lorsqu’une parole n’a pas pu être dite que l’inconscient
occupe la place. Comment avouer que le cadeau que l’on nous
offre est laid ou sans intérêt ? Cette franchise nous est la plupart
du temps impossible : nous serions en continuel état de guerre
avec les autres si nous devions toujours dire crûment nos envies
et nos dégoûts. Mais nous ne sommes jamais quittes avec la
censure que nous nous imposons – la parole refoulée se
métamorphosera en fantasme (dans le rêve), en geste (dans
l’acte manqué), en symptôme (dans le comportement). Rêver
d’un cadeau enfin beau, casser le cadeau jugé laid, compenser la
déception par une compulsion d’achat – telles sont les trois
façons possibles de dire inconsciemment ce que la parole
consciente n’a pas osé dire : ce cadeau que tu m’as fait n’est pas
un cadeau !
Un rêve, un acte manqué, un symptôme hystérique sont la
revanche de l’inconscient sur un réel qui se fait la malle. Si les
parents ont dit « non » à l’envie de l’enfant, le rêve lui dira
« oui » en lui offrant le jouet ou le gâteau convoité. Vengeance
que l’imaginaire prend sur la réalité.
Inconscient
L’essentiel en 5 secondes
✓ Ce n'est pas parce qu'un phénomène est inconscient qu'il vient de l'inconscient
✓ L'inconscient est constitué par des pulsions et par des désirs refoulés
Individualisme
L’essentiel en 5 secondes
✓ Alors que les sociétés traditionnelles accordaient toute l'importance au groupe, les
sociétés modernes sont centrées sur l'individu
Du négatif au positif
Le mot « infini » est négatif parce que les Grecs, d’où nous le
tenons via le latin, considéraient en effet le fini comme positif.
Chez les Grecs, « fini », « achevé », « parfait » étaient des
notions équivalentes. Par exemple, la beauté à leurs yeux ne
pouvait être que finie : c’est ce caractère que manifestent les
statues des dieux ou l’architecture des temples, l’harmonie et la
mesure immédiatement perceptibles. À l’opposé, l’infini ne
pouvait être que chaotique, donc douloureux. À l’origine des
choses, les quatre éléments (terre, air, eau, feu) étaient mêlés en
un chaos inextricable. Voilà une idée de l’infini que l’on trouve
chez certains philosophes. Inversement, le cosmos – qui renvoie
dans la langue grecque à l’idée d’ordre et de beauté – ne peut
être que fini, d’où l’image du cercle ou de la sphère pour le
figurer.
C’est la religion chrétienne qui opérera une révolution dans la
valeurattachée à l’infini
: de négatif, celui-ci devient positif et
même éminemment positif. Du coup, le fini prendra la charge
négative.
Le caractère infini du Dieu chrétien découle de son caractère
unique. Lorsque les dieux sont nombreux, comme dans les
religions polythéistes, ils se limitent tous les uns les autres dans
leur puissance. Quand il n’y a plus qu’un seul Dieu
(monothéisme), rien ne saurait le limiter. Et c’est pourquoi la
pensée chrétienne reprendra à son compte durant tout le Moyen
Âge la conception finitiste grecque du monde : puisque Dieu a
créé l’univers, celui-ci ne peut être infini, parce que la
coexistence de deux infinis, celui de Dieu et celui de l’univers,
serait contradictoire, car l’un serait la limite de l’autre.
✓ Il y a plusieurs infinis, dont le seul point commun est d'être la négation du fini
Information
L’essentiel en 5 secondes
Intelligence
L’essentiel en 5 secondes
Laïcité et démocratie
Seuls les États démocratiques modernes sont laïques.
L’indépendance du politique et du religieux est, en effet, une
idée récente dans l’histoire – on ne la voit guère apparaître qu’au
XVIIe siècle. Dans toutes les sociétés anciennes et traditionnelles,
la religion a un sens social et éventuellement politique (lorsque
la forme « État » existe). Les empereurs et les rois, pour asseoir
le caractère absolu de leur pouvoir, se présentaient volontiers ou
bien comme de nature divine (c’était le cas de l’empereur inca
ou de l’empereur du Japon, censés descendre du dieu Soleil) ou
bien comme inspirés par les dieux (Alexandre, par exemple, se
croyait investi d’une mission divine). Dans ces sociétés, la
religion est l’identité du peuple, la pluralité des religions et, a
fortiori, l’absence de religion sont inimaginables.
L’idée de laïcité est issue des guerres de Religion qui, aux XVIe
et XVIIe siècles, ont secoué la quasi-totalité de l’Europe. À la
différence des hérésies qui avaient ébranlé le dogme catholique
au Moyen Âge, pour la première fois un courant dissident (la
Réforme) s’est installé et a gagné des régions entières. Dans les
pays qui, comme la France, sont restés majoritairement
catholiques, une forte minorité protestante a subsisté.
L’idéal de laïcité est un idéal de libertéetde tolé rance en
même temps qu’un idéalde paix. Puisqu’un État ne peut sans
tyrannie ni violence imposer une religion unique, puisque la
croyance est une affaire personnelle et non pas collective, il
convient d’écarter définitivement le politique du religieux et le
religieux du politique. Le chef de l’État ne doit plus avoir de
pouvoir religieux, les autorités religieuses ne doivent plus avoir
de pouvoir politique.
Loin d’être une exception française, comme on l’a vite dit et
souvent répété, la laïcité est devenue peu à peu une valeur
universelle et a fini par gagner la plupart des États et des
peuples. Il n’y a guère aujourd’hui que quelques pays
musulmans pour faire dépendre leurs lois exclusivement de la
religion. Et même là où la charia (la loi islamique) est censée
gouverner le pays, nombre d’arrangements ont été prévus. Les
contestations récentes de la laïcité sont des formations
réactionnelles d’individus ou de groupes qui voient la réalité de
l’histoire leur échapper.
Laïcité
L’essentiel en 5 secondes
✓ C'est un principe républicain historiquement récent mais qui a fini par gagner un
grand nombre de pays
Le libre arbitre
On appelle libre arbitre le pouvoir qu’aurait l’homme de se
décider, même contre les facteurs qui lui feraient préférer une
solution aux dépens d’une autre. Tout penche en faveur de A (un
avantage en termes de plaisir, de pouvoir, de facilité, etc.), et
pourtant l’homme a la capacité de choisir B. Le libre arbitre
déjoue les prévisions : on croit qu’untel répondra « oui », et il
dira « non » ; on imagine qu’il fera ceci, et il fera cela… Hegel
(1770-1831) disait que les circonstances et les mobiles n’ont
jamais sur l’homme que le pouvoir qu’il veut bien leur accorder.
La puissance d’agir
La liberté comme possibilité ou comme simple droit est une
abstraction. Positivement, la liberté est puissance d’agir –
puissance et non pas simple possibilité. La possibilité est
abstraite, la puissance, quant à elle, est concrète : elle englobe
les conditions avec l’objectif à atteindre.
Pour que le pouvoir-faire soit une puissance et non une simple
possibilité, il convient tout d’abord d’assurer aux hommes sur le
plan psychique une éducation solide, sur le plan intellectuel une
instruction minimale (faute de quoi la liberté de penser n’est
qu’un mot creux) et, sur le plan matériel, un revenu minimal,
faute de quoi la liberté d’agir n’est qu’un vain mot. « Libre de
quoi ? Demande-toi plutôt : libre pour quoi ? » disait Nietzsche.
Liberté
L’essentiel en 5 secondes
✓ Mais il est toujours possible à l'être humain de dire « non » aux conditions qui
l'entraînent
25
Machine
Machine et outil
La machine est l’unité de base des techniques modernes. Elle a
pour fonction d’opérer des travaux que les organismes (animaux
ou humains) seraient incapables d’effectuer, ou alors beaucoup
plus lentement, beaucoup moins bien.
Un outil, qui est comme la machine un artefact, c’est-à-dire une
fabrication humaine, est directement actionné par une partie du
corps. Un marteau, une bêche, une scie sont des outils.
Une machine est plus complexe : elle est faite de différentes
pièces qui sont ses rouages, et surtout elle tire son énergie non
de la force mécanique d’un corps mais d’éléments extérieurs –
un moulin à vent et une éolienne sont des machines, ils tirent
leur énergie du vent qui souffle ; une centrale nucléaire est une
machine, elle tire son énergie de la désintégration atomique, etc.
Le test de Turing
Alan Turing (1912-1954) est un mathématicien anglais. Il est
considéré comme l’un des pères de l’informatique. Le test qui
porte son nom est une expérience de pensée mettant en scène
deux sujets d’expérience et un programme de conversation. L’un
des deux sujets, qui sert d’examinateur, est isolé dans une pièce.
Il pose des questions diverses par téléscripteur, sans savoir si la
réponse donnée vient de l’autre homme ou de la machine.
Turing postulait que si, dans au moins la moitié des cas,
l’examinateur est incapable de distinguer les réponses humaines
et les réponses mécaniques, alors la machine qui a donné celles-
ci peut être considérée comme intelligente.
Qu’est-ce qu’un être humain aujourd’hui est capable de vivre et
de faire et dont les machines sont encore incapables ?
Démontrer. Alors qu’une machine peut vérifier une hypothèse
sur des milliards de cas, seul l’esprit humain possède la
puissance de totalité et d’universel. Démontrer, cela signifie que
l’hypothèse est vraie pour tous les cas.
Nier. Seul l’esprit humain est capable de négation logique
(imaginer, c’est déjà nier le réel) et de négation pratique (comme
se révolter).
Éprouver des émotions. Être capable d’empathie, et par voie de
conséquence, avoir un sens moral et pouvoir agir moralement.
Avoir une conscience. Un ordinateur ne sait pas que ses
opérations sont justes.
Bien entendu, la question reste ouverte de savoir si ces capacités
humaines sont des privilèges définitifs ou bien si les machines
seront un jour en mesure de les imiter.
Machine
L’essentiel en 5 secondes
✓ Le test de Turing prévoit qu'une machine pourra réaliser les mêmes performances
qu'un cerveau humain
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Métaphysique
Une origine presque aléatoire
Trois siècles après Aristote (384-322 av. J.-C.), un certain
Andronicos de Rhodes entreprit de classer les livres d’Aristote
dans la bibliothèque dont il avait la charge. Ne trouvant pas de
nom pour donner un titre aux livres traitant de la substance et de
l’accident, de l’origine des choses, de l’être en tant qu’être et
d’autres questions abstraites, il choisit de les appeler par une
expression : méta ta phusika, ce qui signifie en grec « après les
choses physiques ». Ces livres ont donc été placés après ceux
qui traitaient des questions physiques.
Or, il se trouve qu’en grec le préfixe meta signifie également
« au-delà », et que c’est ce sens qui a été conservé pour définir la
métaphysique. La métaphysique est une discipline qui fait partie
de la philosophie et qui traite des réalités qui sont au-delà des
choses naturelles, qui traite des « genres suprêmes », comme
l’Être, la Vérité, le Bien. Kant (1724-1804) la définit comme la
discipline quicherche à se constituer en sciencedes objets
quidépassent notr e expérienc e. Dieu ou l’âme, par exemple,
sont des objets métaphysiques.
Le positivisme et le scientisme
Pour Auguste Comte la métaphysique est l’expression d’un
moment dépassé dans l’histoire du développement de l’esprit
humain. Certes, par ses constructions rationnelles, l’âge
métaphysique représente un progrès par rapport à l’âge religieux
précédent, qui se contentait de fictions. Mais la science, qui s’en
tient au « comment » des choses sans chercher à connaître le
« pourquoi », doit remplacer la métaphysique comme principe
d’explication du monde. À la différence de la métaphysique, la
science est capable d’énoncer les lois universelles qui expriment
le fonctionnement des mécanismes de la nature.
Métaphysique
L’essentiel en 5 secondes
La crise de la modernité
Le terrible XXe siècle, qui a inventé à deux reprises ces deux
horreurs radicales que sont la guerre mondiale et le totalitarisme,
lesquels ont esquissé pour toujours la possibilité d’un
anéantissement total pour l’humanité, a mis l’idée de modernité
en crise, et avec elle toutes les idées qui lui sont liées : celle du
progrès comme loi de l’histoire, celle de l’émancipation
humaine comme fait fatal, celle de la paix comme résultat
nécessaire de l’abondance.
Non seulement les technosciences n’ont pas tenu leurs
promesses, mais elles ont jeté leurs ombres sur l’histoire et sur le
monde. D’où la méfiance à l’encontre de la raison et de ses
pouvoirs, d’où le doute sur l’idée même de sens de l’histoire.
La postmodernité
Des philosophes comme Jean-François Lyotard (1924-1998) ont
pris acte de la fin de la modernité et annoncé une « condition
postmoderne ». D’autres philosophes, comme Jürgen Habermas
(né en 1929), ont développé la théorie selon laquelle le projet
des Lumières est toujours d’actualité.
Certains auteurs ont parlé d’« anti-Lumières » pour désigner
l’ensemble des courants hostiles aux idéaux progressistes du
XVIIIe siècle (la rationalité technoscientifique, les libertés
individuelles, le bonheur comme valeur suprême, etc.). Le
monde arabo-musulman est particulièrement touché par cette
vague réactionnelle et réactionnaire. C’est au XVIIIe siècle, à
l’époque des Lumières, qu’apparaît le wahhabisme, qui constitue
aujourd’hui l’idéologie officielle de l’Arabie Saoudite. C’est
dans les années 1920 que se constitue le salafisme, autre courant
réactionnel et réactionnaire de l’islam. Dans les pays arabo-
musulmans, en effet, la modernité a été perçue comme une
importation étrangère, associée, qui plus est, au colonialisme.
À l’exception de ces courants, qui resteront sans doute
minoritaires, même avec un pouvoir de nuisance mondialisé, les
idéaux et valeurs de la modernité l’ont emporté un peu partout
dans le monde.
Modernité
L’essentiel en 5 secondes
✓ Les horreurs du XXe siècle ont ébranlé l'optimisme issu des Lumières et la foi au
Progrès
✓ La postmodernité voudrait dire que les idéaux des Lumières sont dépassés
28
Mondialisation
Globalisation et mondialisation
Le mot anglais globalization peut être traduit de deux manières
en français. On peut réserver le terme de « globalisation » aux
mécanismes financiers (aujourd’hui, les Bourses du monde
entier sont interconnectées), tandis que le terme de
« mondialisation », beaucoup plus vaste en extension, englobera
l’ensemble des pr ocessus cultur els tendant à unifier le monde
et les sociétés humaines.
La mondialisation est un effet du capitalisme. Le système
capitaliste, apparu avec les premières banques modernes, à la fin
du Moyen Âge, a vocation mondiale. À la différence des
systèmes économiques antérieurs, il ne se contente pas de
perpétuer un fonctionnement efficace destiné à transférer la
richesse produite à un petit nombre de maîtres. Il est pris dans
une dynamique sans fin, aidé en cela par les découvertes de la
science et les inventions de la technique. C’est la synergie de la
connaissance scientifique, de la puissance technique et de
l’exploitation économique (exploitation du travail humain et du
milieu naturel) qui a donné au capitalisme sa formidable
capacité à conquérir le monde entier. Marx (1818-1883) fut le
premier philosophe à avoir compris cette vocation mondiale du
capitalisme : tous les pays sont mis en concurrence, toutes les
marchandises sillonnent toutes les mers du globe. Ce à quoi nous
assistons depuis un demi-siècle, c’est à une formidable
accélération du processus enclenché par Christophe Colomb et
l’apparition du capitalisme.
Le caractère contradictoire de la
mondialisation
La mondialisation aboutit contradictoirement à une unification et
à un déchirement du monde. Unification : désormais les
machines et les produits, les villes et les architectures sont les
mêmes d’un bout à l’autre de la planète. Mais le monde de la
mondialisation est également un monde parcouru par des forces
de dislocation : angoissés à l’idée de perdre leur identité dans ce
chaos du monde, bien des individus se raccrochent à une
communauté fantasmée. Une nouvelle violence extrême est
apparue avec l’hyperterrorisme, produit de la mondialisation de
par son mode d’action, mais réaction extrême face à la
mondialisation identifiée à une occidentalisation, voire à une
américanisation.
L’une des sources du mal actuel, à l’échelle du monde, est le
contraste qui peut exister entre d’une part une mondialisation
économique et technique en pleine expansion, et d’autre part le
maintien des particularismes d’Étatqui empêchent la
traduction en termes politiques de cette mondialisation. C’est
sans doute l’un des grands défis du XXIe siècle que celui d’une
mondialisation achevée et non seulement réduite aux puissances
aveugles du marché.
Mondialisme et cosmopolitisme
La mondialisation affaiblit et détruit même la souveraineté des
États dans certains cas. La technoéconomie leur dicte désormais
en grande partie ses règles et affaiblit d’autant le pouvoir de la
loi.
D’où l’idée que le monde s’achemine vers une unification
politique – dont l’Organisation des Nations unies serait
l’esquisse.
Dans quelle mesure peut-on être citoyen du monde ?
« Cosmopolite » signifie « citoyen du monde », « citoyenneté du
monde ». Mais il n’y a pas de citoyens sans cité. Le monde peut-
il être une cité ? Même si certains philosophes anciens, comme
les cyniques et les stoïciens, se posaient déjà cette question, le
débat ne fait que commencer aujourd’hui.
Antimondialistes et altermondialistes
Les opposants à la mondialisation libérale, peu soucieuse de
justice sociale et destructrice de l’environnement, ont d’abord
été appelés « antimondialistes », alors qu’eux-mêmes plaidaient
pour une solidarité réelle entre les peuples et une globalisation
des solutions à apporter aux colossaux défis d’aujourd’hui.
La substitution du terme d’« altermondialiste » au terme
d’« antimondialiste » a représenté une victoire symbolique.
Comment ceux qui usent de tribunes internationales et de
moyens techniques mondiaux (Internet) pour faire entendre leurs
protestations pourraient-ils être appelés à bon droit
« antimondialistes » ? Même l’antimondialisme des terroristes
d’Al-Qaida n’existerait pas sans les réseaux financiers et
informationnels qui caractérisent l’actuel monde de la
mondialisation.
Mondialisation
L’essentiel en 5 secondes
Nation
L’essentiel en 5 secondes
✓ La mondialisation tantôt affaiblit la nation, tantôt lui redonne vie par réaction
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Nihilisme
Origine de la notion
C’est dans un roman de Tourgueniev publié dans les
années 1860 qu’apparaît en russe le terme de « nihilisme ». Il
désignait un courant révolutionnaire ou anarchiste
particulièrement violent, qui voulait détruire l’ensemble de la
société pour la reconstruire sur des bases entièrement nouvelles.
Un projet exprimé dans un vers de L’Internationale : « Du passé
faisons table rase ! »
Dans l’usage commun du mot en français, qui retrouve son
étymologie (nihil signifie « rien » en latin), le nihiliste est celui
qui, ne croyant à rien, veut tout détruire.
Nietzsche, qui en a été le principal théoricien, a donné un sens
philosophique plus complexe à ce terme de « nihilisme ».
La rage de la destruction
Le concept nietzschéen et l’usage commun peuvent s’articuler
de la manière suivante : lorsque l’individu est trop faible pour
vouloir quelque chose, créer quelque chose, il peut encore
camoufler son impuissance par sa rage destructrice. Ainsi, les
islamistes, ne pouvant créer une culture nouvelle ni changer le
cours d’une modernité qu’ils détestent, sont conduits à semer la
dévastation un peu partout dans un monde dans lequel ils ne
peuvent pas se reconnaître.
Nihilisme
L’essentiel en 5 secondes
✓ Apparu au XIXe siècle en Russie, le nihilisme a d'abord été une forme violente
d'anarchisme
Anormalité et anomalie
Le philosophe des sciences Georges Canguilhem (1904-1995)
établissait une distinction capitaleentr e l’anormalité et
l’anomalie . L’anormalité ruine la possibilité de vie ou de survie
d’un organisme ; elle représente pour lui un handicap grave et
souvent le conduit à une mort précoce : ainsi dira-t-on que la
trisomie 21 est « anormale ». L’anomalie, quant à elle, n’est pas
destruction de la norme mais déviation par rapport à la norme,
et, si elle gêne l’organisme, elle ne le condamne pas. Ainsi, la
polydactylie (un sixième doigt, surnuméraire) est une anomalie,
comme la différence de couleur entre les deux yeux.
L’une des tendances actuelles inquiétantes, renforcée par les
biotechnologies modernes, tient à la confusion entre l’anomalie
et l’anormalité : à partir du moment où l’être humain a la
possibilité de choisir entre un grand nombre d’embryons, donc
entre un grand nombre de possibilités génétiques, il sera
fatalement amené à prendre « le meilleur » et à écarter celui qui
présente la moindre anomalie, voire le moindre risque
d’anomalie. Or, les espèces vivantes doivent une bonne part de
leurs forces, et donc de leur capacité de survie, à des mutations
génétiques qui, par définition, ont été des anomalies : les
individus qui, bien qu’infectés par le virus du sida, n’ont jamais
développé la maladie sont « anormaux », et semblable cas n’est
pas si rare qu’on le croirait. Certaines anomalies représentent de
réels avantages sélectifs pour les organismes qui en sont
porteurs. C’est pourquoi un eugénisme pratiqué sur une grande
échelle, au nom de normes fixées à l’avance, risquerait d’être –
outre son caractère antiéthique – terriblement contre-productif.
Normalité
L’essentiel en 5 secondes
L’opinion publique
L’opinion publique est chose récente ; elle est contemporaine de
la démocratie et de l’économie de marché, lesquelles lui ont
donné titre de noblesse en même temps qu’existence. Ainsi, la
philosophie s’est trouvée en porte-à-faux par rapport à elle :
depuis Platon, l’opinion était opposée à la pensée et à la vérité ;
or, l’idée d’opinion publique est inséparable d’une raison
populaire. En outre, le postulat de base du système capitaliste est
que le comportement du consommateur est rationnel lui aussi :
la consommation économique et l’élection politique donnent à
l’opinion raison.
La démocratie est un idéal politique qui repose sur l’idée qu’en
matière d’organisation de la vie collective nul autre que le
peuple ne peut savoir ce qui lui convient le mieux.
Implicitement, cela signifie que la gestion des affaires publiques
n’a pas la rigueur d’une science vraie ou d’une technique
toujours performante : on est dans le domaine du probable et de
l’incertain, pas dans celui de la vérité.
Si la critique de Platon nous apparaît toujours valide sur le plan
scientifique (la connaissance objective et la preuve excluent en
effet l’opinion, même collective), elle ne nous apparaît en
revanche plus acceptable en ce qui concerne le domaine
pratique. Pourtant, les démocraties contemporaines sont de plus
en plus des technocraties : le personnel politique est
professionnalisé, et les experts jouent le rôle le plus important
dans les prises de décision. L’opinion n’a plus guère d’influence
que par le biais des sondages, qui dialectiquement la forment en
même temps qu’ils nous informent sur elle. L’opinion publique,
en effet, n’est pas une donnée naturelle, absolue, qu’il suffirait
d’observer comme on le ferait d’une éclipse de Lune : elle est un
phénomène éminemment variable, capable de s’autoentretenir
(bien des personnalités sont populaires d’abord à cause de la
popularité que leur supposent… les sondages d’opinion !). La
« dictature de l’opinion » n’est peut-être qu’un mythe entretenu
par ceux qui détiennent le réel pouvoir, pour donner à penser que
les démocraties sont le gouvernement du peuple. Les sondages
d’opinion font aussi l’opinion.
Opinion
L’essentiel en 5 secondes
✓ Ce n'est pas parce que l'opinion est subjective qu'elle est personnelle
33
Philosophie
Qu’est-ce que la philosophie ?
Pour l’opinion publique, un philosophe est un intellectuel qui
intervient dans les débats de société. C’est une conception qui
remonte au siècle des Lumières. Pour Gilles Deleuze (1925-
1995), un philosophe estun créateur de concepts . Entre ces
deux pôles, le philosophe essayiste engagé et le philosophe
artiste, tout un éventail de définitions et de positions est
possible.
Science et philosophie
À la différence de la science, la philosophie ne peut exposer des
connaissances admissibles par tous. On n’y trouve ni lois ni
théorèmes. Pire : dès qu’un philosophe dit quelque chose, on
peut être sûr qu’un autre philosophe se lèvera pour dire le
contraire. Stérilité des débats philosophiques – d’où
l’interminable et insupportable rhétorique qui rend illisibles, aux
yeux du plus grand nombre, la plupart des ouvrages de
philosophie.
Certes, il n’y a pas que la science. Mais la philosophie ne peut
même pas, comme la religion, se prévaloir du sens qu’elle donne
aux choses et à l’existence, puisque, au lieu d’apporter des
réponses définitives aux questions que les hommes se posent, les
réponses qu’elle donne – lorsqu’elle en donne – sont contestées
et de fait contestables.
Alors, si la philosophie n’est pas capable d’apporter des vérités
comme la science ni de fournir un sens comme la religion,
qu’est-ce qu’elle peut bien être et à quoi peut-elle bien servir ?
Le mot et l’idée de « philosophie » sont apparus en Grèce avec
Pythagore, mais ils ont des équivalents en Inde et en Chine.
Dans la tentative de définir la philosophie, on butera aussitôt sur
une difficulté. Premier cas de figure, l’interprétation étroite : la
philosophie est une activité rationnelle critique qui s’exprime
dans des textes caractérisés par une certaine unité conceptuelle.
Dans ce cas, la philosophie ne concerne que quelques
civilisations, celles qui disposent de l’écriture (ce qui implique
l’absence de philosophie orale) et celles qui se sont
suffisamment libérées de l’emprise religieuse pour mener une
activité de pensée rationnelle détachée des mythes et des dogmes
(ce qui pourrait rendre contestable l’appellation de
« philosophes » pour les théologiens du Moyen Âge – car leur
pensée dépendait de la dogmatique chrétienne).
À l’autre bout, l’interprétation laxiste accordera le label de
« philosophie » à toute activité de pensée. Conséquence : la
philosophie est partout, même dans les mythologies, même dans
les conversations de café.
Philosophie
L’essentiel en 5 secondes
Développement et croissance
Après Auschwitz et Hiroshima, comment croire encore que le
progrès soit la loi de l’histoire ? De fait, nous parlons
aujourd’hui de croissance plutôt que de « progrès ». L’objectif
est plus modeste : la croissancene renvoiequ’à la sphèr e
économique . Dans le domaine technique, une prudence
analogue semble de mise : l’« innovation », plus neutre, a
remplacé le « progrès ». Ceux qui rappellent que la finalité de
l’existence collective des hommes sur terre n’est pas d’ajouter
des points au PIB militent pour le développement, qui ne serait
pas oublieux de l’humain.
Rares désormais seront ceux qui continuent à voir dans le
progrès le sens de l’histoire. D’abord parce que l’histoire
humaine est si longue, si diverse et si contradictoire que lui
appliquer un seul mot pour lui donner sens revient à la simplifier
à outrance. Il y a desprogrès dans l’histoire, il n’ya pas de
progrès de l’histoire.
Par ailleurs, pour reprendre l’idée de Kant, le progrès n’est pas
une idée explicative, mais une espérance. Elle ne donne pas la
loi de notre passé ; elle peut en revanche constituer l’idéal
dynamique de notre avenir. En d’autres termes, il faut, envers et
contre tout, croire au progrès – malgré les guerres et les actions
terroristes, les injustices et les famines, sans oublier les menaces
qui pèsent sur l’environnement – malgré elles et, pourrait-on
dire, à cause d’elles.
Progrès
L’essentiel en 5 secondes
✓ Les catastrophes historiques du XXe siècle ont ruiné l'idée du progrès comme loi
de l'Histoire universelle. Restent le développement et la croissance.
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Racisme
Le terrible mot de « race »
« Race » est l’un des mots qui caractérisent le plus les drames de
l’histoire contemporaine. Le racisme réduit l’autre à une nature
immuable : le Juif, le Noir. Sont oubliées ou violemment niées à
la fois la singularité de la personne et l’histoire des sociétés. Le
racismeestun essentialisme . Il forge une nature imaginaire (le
Noir, l’Arabe) qui prétend qualifier l’individu à partir de cette
nature. Le racisme ne juge l’homme ni par ce qu’il est ni par ce
qu’il fait mais par le seul critère d’appartenance. Pour le nazi, le
musicien juif ne pouvait que composer de la « musique
juive »…
Racisme
L’essentiel en 5 secondes
✓ Aujourd'hui, il représente une réaction contre l'idée d'une unité humaine, réalisée
par la mondialisation
✓ Le point commun entre les religions est la croyance en l'existence d'un domaine
sacré, opposé au profane
✓ Il n'y a pas, contrairement à ce que croit une opinion reçue, de retour du religieux
aujourd'hui
République et démocratie
Une république n’est pas nécessair ement démocratique : elle
peut être aristocratique, c’est-à-dire gouvernée par un petit
nombre d’individus. Tel était le cas de la plupart des républiques
italiennes, dont la république de Venise était la plus fameuse.
Mais, avec les révolutions des XVIIe et XVIIIe siècles, la différence
entre république et démocratie a tendu à s’atténuer : l’Angleterre
n’est pas une république (mais une monarchie), elle est pourtant
plus démocratique que bien des républiques. La distinction
néanmoins conserve un sens politique : les deux partis qui
alternent au pouvoir aux États-Unis s’appellent « démocrate » et
« républicain ». Alors quel’id éal démocratique estdéfinipar
la volonté populaire, c’est-à-dire par la base du pouvoir
politique, l’idéalrépublicainestdéfinipar le bien public,
c’est-à-dire par la finalité du pouvoir politique. Alors que la
démocratie n’acceptera la délégation de pouvoir que comme un
moindre mal dicté par des considérations techniques (dans un
État de vastes dimensions, il est impossible que le peuple exerce
directement le pouvoir), la république admet qu’il puisse y avoir
des représentants susceptibles de réaliser ce bien public – fût-ce
contre l’opinion publique majoritaire. L’abolition de la peine de
mort en France fut décidée contre l’avis de la majorité de la
population, cette mesure ne peut donc être qualifiée de
« démocratique » ; elle est en revanche éminemment
républicaine.
On pourrait également prendre les exemples de l’instruction
publique et des campagnes de vaccination qui ont été voulues
par des responsables politiques contre l’opinion dominante de
leur époque. Un républicain ne gouverne pas les yeux rivés sur
des sondages d’opinion.
Le républicanisme accorde au politique une confiance de
principe : un êtr
e humain n’est pas seul
ement un travailleur
ou un consommateur , il estégalement,d’abord,un citoyen,
c’est-à-dire un membr e d’une collectivité politique.
Le
libéralisme anglo-saxon tend, lui, à l’inverse, à réduire la
politique à ses fonctions sécuritaires. L’économie prend par
conséquent le pas sur la politique.
La laïcité est peut-être la valeur centrale de la république, parce
qu’elle repose sur la distinction et l’indépendance de la sphère
politique et de la sphère religieuse. La démocratie anglo-saxonne
s’accommode très bien de l’expression publique des différentes
croyances privées du moment qu’elles n’entravent pas le
mouvement des affaires. Elle favorise donc plutôt l’idéal de
tolérance.
République
L’essentiel en 5 secondes
La société du risque
Le sociologue allemand Ulrich Beck (1944-2015) a écrit un
ouvrage intitulé La Société du risque, dans lequel il établit que
les sociétés modernes sont, à cause de leurs innovations
technoscientifiques illimitées, des sociétés créatrices de risque et
en même temps des sociétés soucieuses de sécurité.
Le risque est inhérent à l’activité humaine. Mais plus l’outillage
technique est puissant, plus les risques encourus sont graves et
nombreux. On appelle « risque global » le risque caractérisé par
une intensité particulière et par le fait que, à la différence des
risques « classiques », nécessairement localisés, il concerne la
Terre et l’humanité entière. Le risque nucléaire appartient à cette
catégorie.
Risque
L’essentiel en 5 secondes
✓ Nous vivons dans une société du risque et nous sommes en même temps de plus
en plus soucieux de sécurité
DJ
péiînéî
Science et savoir
La science est une forme élaborée de la pensée et du savoir. Elle
est née de l’écriture : il peut y avoir un savoir oral, il ne saurait y
avoir une science sans écriture. Le calcul est un savoir qui peut
se transmettre par la parole à condition d’être simple. Il est en
revanche impossible d’imaginer un théorème ou une loi
physique sans écriture.
Le poète allemand Hölderlin (1770-1843) disait : « L’homme
qui songe est un dieu, celui qui raisonne est un mendiant. » La
science est à la fois la plus orgueilleuse et la plus humble des
activités – la plus orgueilleuse car elle prétend que tout problème
a sa solution, et la plus humble car, à la différence de la religion
et de la philosophie, elle ne prétend pas dire d’un mot le dernier
mot de tout.
La rupture épistémologique
Bachelard appelle rupture épistémologique le renversement des
obstacles épistémologiques. Toute science naît d’une rupture
épistémologique : c’est l’astronomie de Copernic face à
l’astrologie et à l’astronomie de Ptolémée, c’est la physique de
Galilée face à la physique d’Aristote, c’est la chimie face à
l’alchimie, etc.
Les éléments de la rupture épistémologique sont : le primat de la
théorie sur les considérations pratiques (une science n’est pas un
ensemble de recettes mais un ensemble de descriptions et de
lois), le dépassement de la perception sensible d’origine
humaine (d’où l’utilisation des instruments d’observation et de
mesure), le dépassement de l’anthropocentrisme et de
l’anthropomorphisme (voir les choses telles qu’elles sont en soi
et non telles qu’elles sont pour nous, les hommes), le travail
critique infini de la pensée (rien n’est jamais définitivement
établi en science, à la différence de ce que l’on voit avec les
religions), la substitution d’une conception quantitative à une
conception qualitative des choses (d’où l’usage des
mathématiques), le primat des relations sur les substances
séparées (tous les grands concepts de la physique – force,
énergie, champ, espace-temps… – sont de type relationnel).
La patience de la science
On a comparé le travail de Pasteur à l’enquête d’un détective
remontant la piste du mystérieux assassin. Seulement, pour
résoudre une énigme policière, il n’est pas nécessaire
d’introduire des éléments qui n’appartiennent pas au monde déjà
connu : à la différence d’un problème scientifique dont la
solution est au départ ignorée de tout le monde, l’énigme
implique au moins une personne pour qui elle n’est pas
énigmatique (en somme, le policier doit parvenir au même
savoir que l’assassin). De plus, lorsque l’énigme est résolue, le
travail est terminé, tandis que lorsque la solution d’un problème
scientifique est donnée le travail ne fait que commencer.
Jamais la science n’a trouvé d’aussi beaux et grands résultats
que durant le dernier siècle écoulé. Pourtant, il n’y a plus de
savants parmi les scientifiques, il n’y a plus que des chercheurs :
manière de se prémunir contre le péché d’orgueil ? Le savant est
aussi devenu un chercheur à partir du moment où, en économie,
l’investissement l’a emporté sur le capital fixe.
La phénoménotechnique
C’est un autre néologisme introduit par Gaston Bachelard, pour
rendre compte d’une révolution de la science contemporaine.
Alors que la science classique étudiait des phénomènes
observés, la science contemporaine fabrique des phénomènes.
On appelle « phénomène » (un mot d’origine grecque) tout ce
qui apparaît, sans préjuger du fait que ce qui apparaît est ou non
la traduction de la réalité elle-même.
Désormais, la science ne se définit plus comme une entreprise
visant à connaître le monde, mais comme une ingénierie dont la
fonction est de configurer autrement le monde. C’est ce dont
rend compte le terme de « technosciences » : la dichotomie entre
la science contemplative, purement théorique, d’une part et la
technique pratique, utilitaire, d’autre part n’est plus de mise. Les
biotechnologies et les nanotechnologies rendent obsolète la
distinction entre les sciences et les techniques. Les laboratoires
de recherche aujourd’hui sont des grandes machineries.
Science
L’essentiel en 5 secondes
La démocratie et la mondialisation
L’idée que le peuple est souverain et que la souveraineté ne peut
venir que de lui est moderne. Il a fallu pour cela que Dieu fût
mis hors jeu.
Lorsqu’une souveraineté l’emporte sur toutes les autres, on dit
qu’il y a hégémonie. Avec la diminution relative du pouvoir
d’État, dans le monde de la mondialisation, la souveraineté s’est
trouvée radicalement contestée. Dans de nombreuses régions du
monde, la plupart des États ont dû renoncer à une bonne partie
de leur souveraineté : dans la zone euro, par exemple, les États
ont dû renoncer à posséder leur propre monnaie (élément et
symbole central de la souveraineté) ; partout les États ont dû
composer avec des législations et réglementations
internationales qui ont rogné une bonne part de leur
souveraineté. Est-ce à dire que la souveraineté n’appartiendra
plus qu’à une poignée de grandes puissances ?
Souveraineté
L’essentiel en 5 secondes
Définition de la subjectivité
La subjectivité peut être comprise de manière générale comme
une capacité qu’a le sujet de penser comme n’importe quel autre
sujet. Cela dit, dans le langage courant, « subjectif » renvoie à
« personnel », donc faux possible, tandis qu’« objectif » renvoie
à la vérité acceptable par tous.
La subjectivité n’est pas nécessairement personnelle – au sens
où ses représentations seraient à la fois uniques et largement
incommunicables –, puisque elle seule est aussi capable
d’objectivité : seul le sujet peut en effet considérer l’objet tel
qu’il existe en lui-même, indépendamment de l’image que l’on a
de lui. C’est cette objectivité que s’efforce d’atteindre la
connaissance scientifique. « La science c’est nous, l’art c’est
moi », disait Victor Hugo. Si Newton était mort à l’âge de trente
et un ans, l’âge auquel Schubert est mort, un autre que lui aurait
découvert plus tard la gravitation universelle, tandis que les
œuvres que Schubert « aurait pu » composer s’il avait vécu
autant que Newton (soit quatre-vingt-cinq ans), personne ne les
a jamais composées.
Le libéralisme
Ce programme fut celui du libéralisme : dans une existence
soumise au travail et à la recherche du bonheur, les seuls conflits
admissibles sont ceux de la libre concurrence. Ainsi, le facteur
religieux passe au second plan. Tant qu’ils commercent
ensemble, disait Voltaire, le juif, le mahométan (on appelait ainsi
le musulman à son époque) et le chrétien ne songeront plus à
s’égorger mutuellement.
Pierre Bayle (1647-1706) ira plus loin que Locke dans son
combat pour la tolérance en admettant la possibilité de la
coexistence entre croyants et athées – ce que Locke, par
exemple, le père du libéralisme, se refusait à admettre. Bayle
choqua ses contemporains (on est à la fin du XVIIe siècle, sous le
régime de Louis XIV, qui fut l’un des monarques les plus
intolérants de toute l’histoire de l’Europe) en affirmant qu’un
athée peut être vertueux, et donc que la religion n’est pas le
fondement indispensable de la morale.
Tolérance
L’essentiel en 5 secondes
Métamorphoses du travail
Le philosophe François Dagognet (né en 1924) observe que le
travail traditionnel connaissait les mêmes trois unités que la
tragédie classique : l’unité d’action (un même métier), l’unité de
temps (de la journée à l’existence entière), l’unité de lieu (le
champ, l’usine, l’atelier, le bureau).
Ces unités sont en train de disparaître : le travail se fragmente, se
disperse, se délocalise. Significativement, nous parlons de plus
en plus d’« emplois », et de moins en moins de « métiers ».
Quant au mot de « carrière », qui exprimait à lui seul le triomphe
d’un travail progressif accompli toute une vie durant, il nous
semble caractériser un monde révolu.
Par ailleurs, le changement de l’objet du travail explique pour
une bonne part celui de ses conditions. L’homme du XIXe siècle
travaillait sur de la matière, l’homme du XXe siècle travaillait sur
de l’énergie, l’homme du XXIe siècle travaille sur de
l’information. On ne manipule pas des statistiques comme du
métal fondu, même quand on est un fondu de statistiques.
La fin du travail ?
Depuis le XIXe siècle, des auteurs prévoient qu’avec la
mécanisation le temps moyen de travail baissera de manière
continue. Certains envisagent même la fin du travail.
Mais d’autres font remarquer que la technique ne cesse de créer
des emplois nouveaux tout en détruisant les emplois anciens.
Par ailleurs, la thèse de la fin du travail implique que celui-ci,
contrairement à ce qu’exposaient des philosophes comme Karl
Marx, n’est pas une donnée anthropologique nécessaire.
Travail
L’essentiel en 5 secondes
✓ Le travail est une activité humaine consciente qui transforme la réalité de départ
La crise de l’universel
Le relativisme est la conception selon laquelle l’universel n’est
qu’une idée abstraite et trompeuse. Selon lui, les valeurs et
l’adhésion qu’on leur porte n’existent que d’un point de vue
particulier, et la valeur d’universel ne saurait faire exception.
Il existe un relativisme épistémologique, pour lequel les absolus
de la science ne sont que des fictions. Il convient de le distinguer
du scepticisme, lequel ruine l’idée même de vérité. Selon le
relativisme épistémologique, la vérité existe, mais elle est
relative à tout un ensemble de conditions culturelles, sociales,
historiques, etc.
Le relativisme moral est le point de vue selon lequel aucune
valeur en termes de bien et de mal ne saurait être définie d’un
point de vue absolu. Le relativisme politique est une application
du relativisme moral aux collectivités. Selon lui, la déclaration
dite « universelle » des droits de l’homme n’est qu’une pièce
dans l’idéologie de l’Occident, lequel cherche à dominer le
monde par ses illusions et ses mensonges. Dans la même
optique, on a entendu dire que la démocratie n’était bonne que
pour l’Occident.
Que ce soient les pouvoirs politiques et religieux les plus
rétrogrades qui aient pris des positions antiuniversalistes, avec
des motivations et pour les intérêts que l’on peut facilement
deviner, cela donne à l’inverse aux idéaux universalistes une
force inentamée.
Universel
L’essentiel en 5 secondes
✓ L'universel est la catégorie logique qui touche la totalité des éléments d'un
ensemble
Le mépris de l’utile
Le mépris de l’utile est une attitude que l’on rencontre dans de
nombreuses traditions culturelles. Une certaine sagesse le
cultivait. L’ascétisme, par exemple, qui est un type de
comportement religieux consistant à se priver volontairement
des plaisirs et même des nécessités de la vie (plaisir sexuel,
alimentation, sommeil…) repose sur le refus de ce que la société
considère comme utile.
L’utilitarisme
À la fin du XVIIIe siècle, une philosophie « utilitariste » est née
en Angleterre sous l’impulsion de Jeremy Bentham (1748-
1832). Rameau dérivé du libéralisme, l’utilitarisme définit le
bonheurcomme un ensemble de satisfactions supérieur à
l’ensembledes déplaisirs , et la société heureuse comme celle
dont le plus grand nombre de membres jouit du plus grand
nombre de satisfactions. À l’objection selon laquelle un porc
pourrait être plus heureux qu’un philosophe, John Stuart Mill
(1806-1873) répliquait par une hiérarchie des utilités : le plaisir
de l’esprit peut être placé plus haut que celui du corps par l’être
humain.
Il existe un utilitarisme naïf spontané, diffus dans les sociétés
actuelles. « À quoi ça sert ? » est la question par excellence,
comme si l’utilité immédiate suffisait à justifier n’importe quelle
activité, et que inversement son absence suffisait à l’invalider. À
quoi sert la philosophie ? À cette question, Vladimir
Jankélévitch (1903-1985) répondait : « On peut vivre sans
philosophie comme on peut vivre sans amour ou sans musique –
mais pas aussi bien. »
Utilité
L’essentiel en 5 secondes
✓ L'utilitarisme est une philosophie libérale qui définit le bonheur comme une
somme de plaisirs dépassant une somme de déplaisirs
47
Vérité
Une femme nue
L’allégorie ancienne représentait la Vérité sous l’apparence
d’une jeune femme nue ou très légèrement vêtue d’une gaze
transparente au fond d’un puits et tenant dans sa main un miroir.
La nudité représente la réalité telle qu’elle est, sans masque (ne
dit-on pas « le voile du mensonge » ou « l’écran de l’erreur » ?).
Le puits renvoie à la profondeur cachée : la vérité n’est pas
immédiatement accessible. Quant au miroir, il symbolise la
conscience de soi : lorsque je connais la vérité, je sais que je la
connais, alors que, à l’inverse, le propre de l’erreur est d’être
inconsciente (c’est ce qui différencie l’erreur du mensonge, qui
est conscient et intentionnel).
Certitude et conviction
On définit traditionnellement la certitude comme la conscience
de la vérité. Or, s’il n’y a de vrai que ce qui peut être vérifié,
nous ne pourrions être certains que de ce que nous avons vérifié.
Pourtant, bien que nous n’ayons pas les moyens de vérifier notre
date de naissance, nous avons sur elle une absolue certitude.
Pour sortir de cette difficulté, on distinguera la conviction, qui
estde l’ordr e du sentiment , et la certitude, qui estde l’ordre
de la connaissance . En ce sens, on parlera de « conviction » et
non de « certitude » politique ou religieuse. Le croyant est
convaincu de l’existence de Dieu, il n’en est pas à proprement
parler certain. Le fanatique pousse à l’extrême sa conviction. Le
fanatisme nous interdit de reconnaître dans la sincérité une
valeur sans défaut : nul n’est plus sincère qu’un fanatique, en
effet.
Le doute sceptique
On appelle scepticisme la philosophie selon laquelle : a) la vérité
n’existe pas ; b) si la vérité existe, elle est inconnaissable ; c) si
la vérité est connaissable, elle est incommunicable.
Les arguments sceptiques sont les suivants : la contradiction des
opinions – je dis « blanc », mon voisin dit « noir », et il n’y a
rien pour nous départager ; le cercle vicieux (appelé
« diallèle ») – A renvoie à B qui renvoie à C qui renvoie à A,
c’est l’expérience souvent faite des définitions du dictionnaire ;
la régression à l’infini – je prouve A par B et B par C et C par D,
sans fin ; la nécessité des postulats invérifiables – pour stopper
la régression infinie, je décide arbitrairement que telle
proposition a une validité absolue (en mathématiques, on
l’appelle axiome). D’où cette contradiction : ma démonstration
repose elle-même sur des propositions indémontrées, voire
indémontrables.
Vérité
L’essentiel en 5 secondes
✓ Un énoncé vrai est un énoncé qui peut être vérifié soit par démonstration, soit par
expérimentation, soit par argumentation
La vie et la mort
La vie se définit à la fois par opposition à l’inerte et par
opposition à la mort. Pour nous, ces limites sont évidentes, mais
il n’en a pas toujours été ainsi. Les peuples anciens ont attribué
la vie aux astres : ne brillent-ils pas (la chaleur et la lumière sont
des signes de vie) ? Ne se déplacent-ils pas (le mouvement est
lui aussi signe de vie) ? L’animisme prêtait vie aux montagnes,
aux éléments (feu, air, eau, terre), à certains rochers, etc.
L’univers lui-même était volontiers considéré dans son tout
comme un grand vivant. Alors que nous avons tendance
aujourd’hui à considérer la vie comme plutôt exceptionnelle
dans la nature (nous n’avons toujours pas trouvé signe de vie
ailleurs que sur terre), les hommes autrefois pensaient à l’inverse
la vie comme la manifestation même de la nature dans sa
totalité. Quant à l’opposition entre la vie et la mort, elle est à la
fois évidente et contestable : nous faisons tous la différence entre
un vivant et un cadavre, mais lorsqu’un animal meurt les cellules
qui le composent ne s’arrêtent pas toutes en même temps de
fonctionner. Par ailleurs, la mort n’est pas seulement
l’événement dramatique qui vient mettre brutalement fin à
l’existence de l’organisme : elle l’accompagne à chaque instant,
car c’est à chaque instant que l’animal meurt, en parties, par
morceaux. La vie et la mort sont tellement intriquées l’une dans
l’autre qu’il est pratiquement impossible de les départager.
Par rapport à son milieu physique, la vie manifeste une capacité
de création qui semble aller à rebours de la loi de la
thermodynamique selon laquelle un système physique clos
s’achemine inéluctablement vers sa destruction – une voiture
laissée à l’abandon pendant des années se dégradera ; et, si elle
est rouillée, on ne la verra jamais se repeindre toute seule. Le
vivant, lui, non seulement est capable de se régénérer (il n’y a
dans le monde matériel aucun équivalent au phénomène de
cicatrisation), mais au fil des âges il est aussi capable
d’engendrer des organismes supérieurs à ceux qui les ont
précédés. L’évolution elle non plus n’a pas d’équivalent dans le
monde de la physico-chimie.
Vie
L’essentiel en 5 secondes
La violence et le droit
Toute société a intérêt à maintenir la violence à son degré le plus
bas possible – et, pourtant, toute société est (plus ou moins)
violente, et toute société cultive (dans une certaine mesure) la
violence. Le sociologue allemand Max Weber (1864-1920)
définissait l’État comme l’ensemble des pouvoirs qui disposent
du « monopole de la violence légitime ». La société, en effet,
n’est pas tant contre la violence en général que contre celle
qu’elle ne contrôle pas ni ne commande. Elle interdit aux
hommes de tuer mais leur ordonne de faire la guerre. Les
relations du droit et de la violence sont un bon exemple de
dialectique.
Les relations contradictoires que la violence entretient avec le
droit ne font en un sens que traduire l’ambivalence de la
répulsion et de la fascination dans laquelle la violence nous
place tous. La première fonction du droit dans une société est
d’en garantir l’ordre : la violence sera par conséquent hors la loi
à cause du trouble qu’elle représente. Mais, d’un autre côté, la
violence est source de droit (les guerres et les révolutions
débouchent souvent sur un réaménagement des lois) ; de plus, la
violence accompagne le droit (voir le glaive symbolique que
brandit l’allégorie de la Justice). De fait, aucun régime politique
ou social n’a jamais été contre la violence en tant que telle, mais
seulement contre la violence incontrôlable.
D’une part, le droit écarte la violence, et la violence supprime le
droit. Les lois par exemple vont interdire les crimes.
Corollairement, les crimes sont la transgression de l’interdit.
Mais, d’autre part, le droit peut légitimer une certaine violence
par le système de sanctions qu’il légitime (peine de mort,
torture, prison, etc.). Corollairement, la violence est volontiers
source de droit : la plupart des Constitutions des États dans le
monde sont nées du sang des guerres et des révolutions. Il y
aurait par conséquent des violences fécondes, profitables, qui
finissent par être légitimées, tandis qu’il y aurait des violences
inutiles, d’autant plus intolérables qu’elles n’ont débouché sur
aucun ordre durable. Les crimes de Staline n’ont jamais paru
aussi horribles que depuis l’effondrement du communisme en
Union soviétique.
La non-violence
La non-violence a été à partir du XIXe siècle justifiée comme un
moyen d’action sociale et politique efficace. Plaçant la violence
du camp d’en face en porte-à-faux, elle repose sur l’idée que la
violence est contre-productive et qu’elle finit par s’anéantir elle-
même (ainsi, la répression d’une manifestation non violente
affaiblit le pouvoir en place, car elle crée des solidarités
proliférantes).
L’action non violente rencontre néanmoins rapidement sa propre
limite : elle présuppose l’absence de barbarie chez l’adversaire.
Or, face à la barbarie – telle que celle dont le nazisme fut
l’incarnation –, la non-violence est évidemment réduite à la plus
tragique des impuissances.
Il y a eu dans l’histoire contemporaine bien des maîtres et des
puissants pas du tout impressionnés à l’idée d’écraser des
innocents désarmés.
Violence
L’essentiel en 5 secondes
✓ La violence est signe de faiblesse et non de force. Elle porte la mort en elle.
Volonté et désir
Il est courant d’opposer la volonté rationnelle et réaliste au désir
irrationnel et irréaliste. Alorsqu’on peutdésir erl’impossible
(l’immortalité par exemple), on ne peut vouloir que le possible .
Le désir est de l’ordre du rêve, du fantasme (ce qui ne signifie
pas qu’il soit toujours irréalisable). Il pose le but atteint sans se
soucier des moyens. Ainsi, le prisonnier qui désire s’évader
pourra s’imaginer en train de se promener dans la forêt ou de
batifoler avec sa petite amie. En revanche, le prisonnier qui
voudra s’évader aura déjà adopté toute une stratégie active
(soudoyer les gardiens, faire venir en fraude des outils,
communiquer un plan avec l’extérieur, etc.).
Un concept récent
Le concept de « volonté » est beaucoup plus récent qu’on
pourrait le penser. Car, si les Grecs distinguaient clairement ce
que l’on fait malgré soi et ce que l’on fait de son plein gré, ils ne
disposaient pas de cette notion de « volonté » qui, depuis saint
Augustin, son véritable inventeur, renvoie à une force ou à une
faculté inhérente à l’être humain.
Ce n’est pas un hasard si c’est la question du péché, dont le
concept fut lui aussi littéralement construit par saint Augustin,
qui permet la théorisation de la volonté. Il n’y a, en effet, pas de
péché concevable sans volonté d’agir contre l’ordre de Dieu.
Le volontarisme
L’individualisme, qui signale l’avènement de la civilisation
moderne, à partir du XVIe siècle, est un volontarisme. L’être
humain est un animal que ne satisfont pas les hasards et les
nécessités de la nature, auxquels il tendra à substituer les objets
de sa volonté propre. Ainsi, on peut interpréter l’histoire des
techniques comme la somme des efforts effectués par l’être
humain pour imposer sa volonté au monde des choses.
À partir du XVIIIe siècle, le volontarisme s’est exercé de manière
particulièrement ardente dans le domaine historique, ainsi qu’on
le voit avec les multiples projets révolutionnaires comme avec
les diverses utopies – lesquelles ne sont plus conçues comme des
fictions littéraires mais comme de véritables programmes
d’action. Peut-être l’échec de l’utopie révolutionnaire
communiste a-t-elle donné un coup d’arrêt définitif à cette
volonté historique. D’où le retour aux classiques conceptions
fatalistes d’une histoire et d’une société auxquelles on ne
pourrait rien changer.
Du côté des techniques, en revanche, la volonté a efficacement
fait la chasse aux hasards et aux destins. L’homme moderne a
réalisé le rêve de Descartes : il est devenu le maître et le
possesseur de la nature, au risque de ravager son environnement.
Mais la volonté s’est également exercée sur le corps propre :
alors que celui-ci était conçu comme le résultat nécessaire de
forces extrahumaines où se conjuguaient là aussi les hasards et
les nécessités, à présent il fait l’objet de manipulations sans
limite (pharmacie, chirurgie et bientôt génie génétique).
Désormais, la naissance d’un enfant et la mort d’un vieillard
sont programmées, c’est-à-dire qu’elles sont le résultat d’une
décision.
Par ailleurs, les innovations technoscientifiques qui accordent à
l’être humain une puissance démultipliée tendent à confondre
avec la volonté la sphère des envies, des désirs et des fantasmes.
Volonté
L’essentiel en 5 secondes
Bonheur
Éthique
Information
Normalité
Transcendance
Violence
Volonté
Sommair e
Couverture
50 notions clés sur la philosophie pour les Nuls
Copyright
1 - Absurde
À l’opposé de la raison, sous ses deux aspects
La philosophie de l’absurde
L’absence de sens
2 - Autorité
Pouvoir et autorité
La crise de l’autorité
3 - Bonheur
La hiérarchie des vécus positifs
La valeur du bonheur
La part du hasard
4 - Communication
Qui dit « communication » dit « commun »
Communication et transmission
5 - Concept
Rendons à la philosophie ce que le commerce lui a volé
L’universalité du concept
6 - Contingence
Usage commun et usage philosophique du mot
Essence et accident
7 - Culture
Origine et sens du mot
8 - Démocratie
Le mot, l’idée et le fait
Le pouvoir du peuple
La démocratie directe
9 - Dignité
Une invention philosophique
10 - Droits de l’homme
Origine et sens de la notion
11 - Égalité
Le principe de la démocratie
Égalité et identité
Il y a égalité et égalité
12 - Environnement
Entre nature et culture
13 - État
Une institutionnalisation du pouvoir
14 - Éthique
Éthique et morale
15 - Hasard
Le rejet du hasard
16 - Identité
De la logique à l’existence
Identité et différence
Le différentialisme
17 - Image
Une seconde présence
18 - Inconscient
De l’adjectif au substantif
Le refoulement
19 - Individualisme
Le mot et le fait
20 - Infini
Les infinis
Du négatif au positif
21 - Information
Une première mise en forme
22 - Intelligence
Qu’est-ce que l’intelligence ?
L’adaptation et la bêtise
23 - Laïcité
L’origine et le sens de la notion
Laïcité et démocratie
24 - Liberté
Une valeur d’aujourd’hui
Idée abstraite ou réalité concrète ?
Être libre, est-ce faire ce qui nous plaît ? Ce que l’on veut ?
Le libre arbitre
La puissance d’agir
25 - Machine
Machine et outil
Le test de Turing
26 - Métaphysique
Une origine presque aléatoire
Le positivisme et le scientisme
27 - Modernité
Origine de la notion de modernité
La crise de la modernité
La postmodernité
28 - Mondialisation
Globalisation et mondialisation
Mondialisme et cosmopolitisme
Antimondialistes et altermondialistes
29 - Nation
Qu’est-ce qu’une nation ?
Nation et nationalisme
30 - Nihilisme
Origine de la notion
La rage de la destruction
31 - Normalité
Une notion équivoque
Anormalité et anomalie
32 - Opinion
La doxa
L’opinion publique
33 - Philosophie
Qu’est-ce que la philosophie ?
Science et philosophie
34 - Progrès
Les deux dimensions du progrès
Développement et croissance
35 - Racisme
Le terrible mot de « race »
36 - Religion
Difficultés à définir la religion
Définition de la religion
Intégrisme et fondamentalisme
37 - République
Origine historique de l’idée
République et démocratie
38 - Risque
Qu’est-ce que le risque ?
La société du risque
39 - Science
Science et savoir
La rupture épistémologique
La patience de la science
La phénoménotechnique
40 - Souveraineté
Essence de la souveraineté
La démocratie et la mondialisation
41 - Subjectivité
Une idée récente
Définition de la subjectivité
42 - Tolérance
Naissance d’un idéal
Le libéralisme
43 - Transcendance
La définition classique
44 - Travail
Définition du travail
Métamorphoses du travail
La fin du travail ?
45 - Universel
Les catégories aristotéliciennes
La crise de l’universel
46 - Utilité
Qu’est-ce que l’utilité ?
Le mépris de l’utile
L’utilitarisme
47 - Vérité
Une femme nue
Certitude et conviction
Le doute sceptique
48 - Vie
Extraordinaire ou banale ?
La vie et la mort
49 - Violence
La force et la violence
La violence et le droit
La non-violence
50 - Volonté
Une intuition
Volonté et désir
Un concept récent
Le volontarisme
Index