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Christian Godin

« Pour les Nuls » est une marque déposée de John Wiley & Sons, Inc. « For
Dummies » est une marque déposée de John Wiley & Sons, Inc. © Éditions
First, un département d’Édi8, 2015. Publié en accord avec John
Wiley & Sons, Inc.

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Fax : 01 44 16 09 01
Courriel : firstinfo@efirst.com Internet : www.editionsfirst.fr

ISBN : 978-2-7540-7495-7
ISBN Numérique : 9782754082051 Dépôt légal : septembre 2015

Ouvrage dirigé par Laurent Boudin


Édition : Capucine Panissal
Correction : Ségolène Estrangin
Couverture et mise en pages : Romain Poiré
Fabrication : Antoine Paolucci
Production : Emmanuelle Clément

Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement réservée à


l’usage privé du client. Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, à
titre gratuit ou onéreux, de tout ou partie de cette œuvre est strictement
interdite et constitue une contrefaçon prévue par les articles L 335-2 et
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Ce livre numérique a été converti initialement au format EPUB par Isako
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1
Absurde
À l’opposé de la raison, sous ses deux
aspects
L’idée de stérilité héréditaire est absurde, de même que le projet
d’augmenter de 10 % les impôts sur le revenu payés par les
personnes à cheveux roux. L’absurde, en effet, est ce qui
contrevient aux principes de la raison, que cette raison soit
logique ou pratique. La raison logique a rapport avec l’ordre du
rationnel, dont le premier principe critère est celui de la non-
contradiction. L’idée de cercle carré, comme celle de stérilité
héréditaire, est contradictoire en soi, et c’est pourquoi on la dira
« absurde ». La raisonpratique a rapport avec l’ordre du
raisonnable, dont le premier principe, dans les démocraties
modernes, est celui du respect universel de la dignité de la
personne. Il est donc absurde de taxer les roux sous prétexte
qu’ils ont une couleur particulière de cheveux. En ce sens, le
racisme, même appuyé sur des arguments d’apparence
scientifique, est absurde.

Nous déclarons absurde ce qui nous


choque
Dans la langue courante, nous disons « absurde » une idée, un
discours ou un comportement qui nous scandalise, auquel cas le
terme n’a pas les sens que nous venons de mentionner, mais
constitue un jugement négatif. Nous disons « absurde » ce qui
incarne ou illustre ce qu’il y a de plus opposé à nos idées, à nos
croyances ou à nos valeurs.

La philosophie de l’absurde
Albert Camus (1913-1960) a rendu célèbre la « philosophie de
l’absurde ». Il n’entendait évidemment pas par là que rien
n’avait de sens, mais qu’il y avait entre l’existence de l’homme
et sa compréhension du monde d’une part et le monde lui-même
tel qu’il apparaît d’autre part une étrangeté irréductible (le
roman le plus célèbre de Camus s’intitule justement
L’Étranger).

Albert Camus (1913-1960), né en Algérie, est mort de façon absurde


d’un accident de voiture.

La philosophie de l’absurde est une forme d’existentialisme ,


dont l’idée centrale est la contingence de l’existence, c’est-à-dire
son absence de nécessité – le fait que l’existence en général
comme l’existence de tel ou tel existant en particulier aurait très
bien pu ne pas être.

L’absence de sens
D’une manière générale, l’absurde est ce qui est dénué de sens.
Le sens est la relation que nous sommes capables de reconnaître
ou de faire (la question de savoir s’il existe ou non un sens
objectif indépendamment de l’interprétation divise les auteurs et
les courants de pensée) entre les idées et les valeurs que nous
avons et la réalité que nous expérimentons. Une phrase, par
exemple, a un sens si son contenu a un rapport avec ce que nous
reconnaissons exister dans la réalité. Ainsi, « Hier, je serai
mort » est une phrase dénuée de sens, car nous ne pouvons
logiquement pas mettre ensemble le passé et le futur, exprimés
ici respectivement par le mot « hier » et le temps futur du verbe
« être ». Est absurde également ce qui est incohérent sur le plan
grammatical, comme « Un sourire déchiré jusqu’au fond
chaussettes de bois auparavant bus ».
Ce qui n’a pas de sens peut avoir une
signification
Il est tout à fait possible de faire comprendre quelque chose par
des phrases qui n’ont pas de répondant dans le réel, et qui
néanmoins évoquent en notre esprit une idée ou une situation.
Tel est le cas du fantastique ou de ce que les Anglais appellent
nonsense en littérature. Il est possible, en effet, de décrire un état
du monde qui n’existe pas, comme dans Alice au pays des
merveilles, où Lewis Carroll imagine une reine des cartes
obligeant ses jardiniers à peindre ses roses. « Peindre des roses »
est possible pour un peintre, mais pas possible pour un jardinier,
et pourtant ce membre de phrase a une signification, même pour
lui. Il peut donc y avoir signification sans sens – la signification
étant la relation entre un signe (c’est-à-dire l’élément de
n’importe quel langage) et d’autres signes (ainsi, la définition
d’un mot, dans un dictionnaire, donne la signification de ce
mot), le sens étant la relation entre un signe et ce à quoi il
renvoie dans le réel, c’est-à-dire son référent : « Mammifère
quadrupède à sabots dont le cri est le hennissement » est une
définition de « cheval », le sens du mot « cheval » est de
renvoyer à l’animal réel qui fait perdre beaucoup d’argent à
beaucoup de gens au tiercé et sans lequel les centres équestres
n’auraient plus qu’à fermer leurs portes.

Absurde
L’essentiel en 5 secondes

✓ L'absurde est ce qui est dénué de sens

✓ Albert Camus a rendu célèbre la philosophie de l'absurde

✓ La philosophie de l'absurde est une forme d'existentialisme


2
Autorité
Pouvoir et autorité
Il y a du pouvoir à partir du moment où nous faisons une chose
que nous n’aurions pas faite de nous-mêmes. Le pouvoir ne va
pas sans contrainte de la part de celui qui l’exerce, ni sans
obéissance de la part de celui qui y est soumis.
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Le pouvoir peut prendre des formes extrêmement variées. Il peut
être légitime s’il est accepté par ceux sur qui il s’exerce, ou
illégitime. Comme expression d’une certaine force, il peut être
plus ou moins violent.
Dans sa forme la plus dure, le pouvoir est domination : le mot
vient du dominus latin, qui signifie « le maître ». Dans sa forme
la plus civilisée, il est l’autorité.

Un pouvoir sans violence


On peut définir l’autorité comme une forme bonne de pouvoir ,
car elle fait l’économie de la violence. Non pas qu’elle soit
faible, bien au contraire : l’autorité est forte, car elle apparaît à
ceux sur qui elle s’exerce comme légitime, juste, normale.
L’obéissance à l’autorité, à la différence de l’obéissance à la
domination, n’est pas soumission, mais libre acceptation du
pouvoir. « Qu’ils me haïssent pourvu qu’ils me craignent ! »
s’exclamait Caligula, l’empereur fou. Jamais un homme
d’autorité n’eût prononcé une telle phrase.
L’autorité, en effet, ne va pas sans le respect qu’on lui porte. Il y
a eu dans l’histoire des hommes qui ont joui d’une autorité
extraordinaire, alors qu’ils ne détenaient pratiquement aucun
pouvoir, au sens institutionnel du mot. Gandhi, par exemple,
n’avait aucune fonction officielle dans le parti du Congrès qui
conduisit l’Inde à l’indépendance, et pourtant il bénéficiait d’une
autorité si grande qu’il fut par sa politique non violente de
désobéissance civile l’âme de la lutte de son pays pour sa
libération.

La crise de l’autorité
La philosophe Hannah Arendt (1906-1975) fut la première à
diagnostiquer, à partir du cas américain, une crise de l’autorité.
Le XXe siècle aura connu, en effet, avec les deux types de
totalitarisme (nazi et communiste), la forme la plus
pathologique, la plus violente et la plus dévastatrice du pouvoir.
Parallèlement à cette barbarie, les sociétés démocratiques
connaissent un désenchantement qui attaque le pouvoir à sa
base. Les citoyens de ces sociétés sont de plus en plus
indifférents, voire hostiles, à la politique.
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Hannah Arendt (1906-1975), née juive allemande, s’est réfugiée aux


États-Unis à l’arrivée des nazis au pouvoir. Son travail sur le
totalitarisme a fait d’elle l’une des philosophes majeurs du XXe siècle.

Comment expliquer cette crise de l’autorité qui n’atteint


d’ailleurs pas seulement les responsables politiques, mais aussi
ceux qui naguère exerçaient un pouvoir jugé légitime et qui
étaient respectés (comme les médecins et les enseignants) ?
L’autorité est toujours le signe d’une certaine supériorité (le mot
a la même étymologie qu’« auteur » et dérive de l’idée
d’augmentation). Or, dans une société démocratique de masse,
fondée, comme l’avait vu Alexis de Tocqueville (1805-1859),
sur le principe de l’égalité universelle, l’autorité apparaît comme
une forme de supériorité gênante, voire inadmissible. On le
vérifie dans le domaine des spectacles. Jadis, les grandes
vedettes étaient des « étoiles » (stars), ou des êtres quasi divins
(divas). Désormais, les renommées d’un jour fabriquées à la
télévision ont remplacé les gloires de toujours, et il est de bon
ton dans les magazines people de se moquer des vedettes –
lesquelles ont ainsi, elles aussi, perdu toute autorité.

Alexis de Tocqueville (1805-1859), d’origine et de pensée


aristocratiques, reste, deux siècles après la publication de De la
démocratie en Amérique, le grand philosophe de la démocratie.

Reste ce qui fait autorité


La crise de l’autorité ne signifie cependant pas que plus rien ne
fasse autorité. Seulement, ce qui fait autorité dans le monde
mondialisé d’aujourd’hui, qui a remplacé les mécanismes
classiques de la transmission par les mécanismes modernes de la
communication, ce ne sont pas des individus d’exception comme
autrefois (les saints, les héros, les génies), mais des
individualités que la loi du marché et la pression du groupe ont
fait apparaître comme des porte-parole de l’opinion. Les théories
complotistes qui prolifèrent sur Internet sont un symptôme de ce
processus : les mêmes qui se méfient des médias traditionnels
(journaux, télévisions, radios) vont accorder crédit aux thèses les
plus extravagantes, du moment qu’elles émanent de quelqu’un
qui fait partie de leur tribu.
Autorité
L’essentiel en 5 secondes

✓ L'autorité est une forme civilisée de pouvoir

✓ Elle est un pouvoir sans violence

✓ La crise de l'autorité est un symptôme des sociétés démocratiques


contemporaines
3
Bonheur
La hiérarchie des vécus positifs
Les philosophes grecs divisaient les états vécus par les hommes
en trois catégories : les bons, les mauvais et les indifférents (ni
bons ni mauvais).
Les vécus positifs, qui nous font du bien, constituent une série,
que l’on peut faire commencer au plaisir et à la joie, que l’on
éprouve dans l’instant présent, et qui culmine dans la béatitude
ou la félicité que connaissent par exemple les mystiques. Même
si l’on parle d’« instants de bonheur », le bonheur est un état
durable qui manifeste une certaine réussite de l’existence
humaine.
Il est difficile de définir le bonheur, car rien n’est plus relatif que
lui. Pour celui qui est perclus de douleurs, le bonheur sera la
disparition de celles-ci. Pour celui qui jouit du bien-être
physique, le bonheur devra être quelque chose de plus affirmatif.
L’hédonisme est une philosophie qui définit le bonheurpar le
plaisir , mais nombre de philosophes ont contesté cette
conception en faisant remarquer que le plaisir ne va pas sans
manque ni excitation, lesquels ne sont pas des états heureux.

La valeur du bonheur
La première question philosophique sur le bonheur n’est pas
celle de sa réalité, mais celle de sa valeur. Face à l’eudémonisme
(d’un mot grec qui signifie « heureux »), qui est une philosophie
de recherche du bonheur conçu comme la finalité de la vie
humaine, il y eut, dès l’Antiquité, des pensées hostiles à ce point
de vue dénoncé comme égoïste et frivole. Le bonheur peut être
en effet contesté au nom de quelque chose de plus élevé : le bien
de la société par exemple, ou le salut de l’âme. En privilégiant
les devoirs du fidèle et le salut de l’âme, les religions
monothéistes ont contesté la valeur du bonheur, dont Einstein
dira qu’il est « un idéal de pourceau ».
Si le bonheur est devenu en Occident puis dans la quasi-totalité
du monde mondialisé un bien en soi, c’est en grande partie au
déclin des valeurs religieuses qu’on le doit : le bonheur a
triomphé de la béatitude. Ceux que l’on appelle les
« intégristes », qui incarnent une forme de fanatisme religieux,
ont une conception tout autre de l’existence humaine : pour
certains, le martyre qui va jusqu’au sacrifice, et dont ils croient
qu’il leur assurera des jouissances éternelles au paradis, est
infiniment supérieur au bonheur corporel et terrestre.
La part du hasard
La division des tâches est ainsi organisée : l’État démocratique
fournit aux citoyens les conditions du bonheur – à charge pour
ceux-ci d’accomplir leur bonheur personnel comme ils
l’entendent. Autrement dit, le bonheur devient une affaire de
volonté – collective et personnelle.
Cette idée de volonté contredit celle de chance, qui est comprise
dans l’étymologie du mot (l’« heur » du bonheur vient d’un mot
latin qui signifie « la chance » et qui a aussi donné « augure » ;
le bonheur est la bonne chance, le malheur, la mauvaise chance).
Nous savons que la part du hasard est fondamentale dans
l’existence des hommes. Hasards de la naissance, hasards des
rencontres et des fréquentations, hasards de la santé et des
catastrophes, etc. Mais le hasard est l’objet d’un déni tout-
puissant – il n’y a guère que la mort pour être l’objet d’un aussi
vigoureux refus de reconnaissance. Le hasard, en effet, ruine
notr e volonté etnosprojets;ilblessenotr e amour-propre et
notr e volontéde puissance . Il est plus satisfaisant de croire que
l’on doit sa bonne fortune professionnelle à son mérite propre
qu’aux multiples hasards de la vie. Ainsi, le bonheur est
véritablement devenu un mythe du monde moderne.

L’utilitarisme comme philosophie


moderne du bonheur
« Le plus grand bonheur pour le plus grand nombre » : tel est,
pour l’utilitarisme, l’objectif ultime d’une société démocratique
bien gérée.
Depuis deux siècles, le libéralisme, qui est une philosophie de la
liberté politique et économique, a promu l’idée que, puisque le
bonheur vient de la satisfaction des besoins, il sera assuré par les
progrès matériels.
Seulement, le bonheur tend ainsi à être confondu avec le bien-
être, lequel se résout lui-même en bien-avoir. Si un bon génie
nous donnait à choisir entre une nouvelle voiture et un nouvel
ami, qui aurait la sagesse de choisir l’ami ? Peut-être n’est-ce
pas, comme on dit, le désir d’être heureux qui domine – mais le
désir de puissance. C’est pourquoi nous nous sentons et disons
heureux comparativement aux autres. « Il ne suffit pas d’être
heureux. Encore faut-il que les autres ne le soient pas », disait
Jules Renard (1864-1910).

Jeremy Bentham (1748-1832), philosophe anglais, est l’inventeur d’un


des courants de pensée les plus influents dans le monde d’aujourd’hui :
l’utilitarisme.

Bonheur

L’essentiel en 5 secondes

✓ L'eudémonisme est la philosophie du bonheur

✓ L'hédonisme identifie le bonheur au plaisir

✓ L'utilitarisme tend à confondre le bonheur avec le bien-être


4
Communication
Qui dit « communication » dit
« commun »
Imaginons un monde dans lequel les êtres et les choses
n’auraient aucune espèce de lien les uns avec les autres : chacun
serait isolé dans son lieu et sa durée propres sans avoir rien de
commun avec le reste. Ce monde ne serait pas justement un
monde, mais un chaos fait d’une multitude indéfinie de petits
mondes. Si nous pouvons parler de « monde » (et même de
« réalité »), c’est que ce qui le constitue forme un ensemble dans
lequel les éléments sont en relation les uns avec les autres.
Avant même que deux êtres pensants et parlants n’échangent des
idées et des paroles (ce à quoi renvoie immédiatement notre mot
de « communication »), il y a commun ication dèsqu’il ya
relation . Ainsi, on dit qu’une boule de billard « communique »
son mouvement (c’est-à-dire son énergie) à une autre, qu’un
radiateur « communique » sa chaleur (c’est-à-dire, ici encore,
son énergie) à la pièce, etc. Les animaux, bien entendu,
communiquent entre eux : les singes crient pour avertir leurs
congénères d’un danger. Parce que l’être humain communique
d’abord par la parole, il a tendance à privilégier les bruits du
monde animal (cris, chants…). Or, l’outil premier de la
communication animale n’est pas sonore mais olfactif : des
insectes aux mammifères, les animaux communiquent d’abord
par les odeurs.
Dans la réalité physique, c’est l’énergie qui est communiquée ;
chez les êtres vivants, c’est l’information. L’information est
aussi inhérente à la vie que l’énergie l’est à la matière.

Communication et transmission
Avec l’expression, la communication est l’une des deux
fonctions du langage humain. L’expression est la manifestation
du réel par le moyen du langage, la communication est la
transmission d’une expression d’une conscience à une autre.
La technique a multiplié les modes de communication et les a
élargis aux dimensions de la Terre entière. Ce que l’on appelle
« mondialisation » tient en grande partie à l’extension de la
communication à tous les lieux du monde.
Les techniques de communication sont aujourd’hui si puissantes
qu’elles finissent par dévaloriser la valeur de transmission, sans
laquelle aucune culture ne saurait exister véritablement. La
communicationesthorizontale , elle met en relation des
contemporains. La transmission estverticale , son message
vient du passé. La communication met en crise la transmission.
Par ailleurs, il y a un usage idéologique de l’idée de
communication qui finit par la trahir. Lorsque nous disons que
« le gouvernement a communiqué », il ne peut y avoir de
symétrie entre les deux pôles de l’émission et de la réception.
Albert Camus (1913-1960) traduisait déjà cette tendance
lorsqu’il disait : « Nous avons remplacé le dialogue par le
communiqué. »

Communication
L’essentiel en 5 secondes

✓ La communication est nécessaire à la vie

✓ Elle signifie le passage d'une information d'un émetteur à un récepteur

✓ Notre monde privilégie la communication aux dépens de la transmission


5
Concept
Rendons à la philosophie ce que le
commerce lui a volé
Un commerçant ouvre un salon de coiffure, et la presse locale dit
qu’il a inventé un nouveau « concept ». Pourquoi ce terme
philosophique a-t-il été importé par le langage du marché ?
Parce que « concept » dit plus qu’« idée » : il en impose.
Une idée est une représentation mentale. Lorsqu’elle est
vague, on parle de « notion ». Quand elle est rigoureuse, on
parle de « concept ». Ainsi, avoir une notion de la relativité
générale n’est pas la même chose qu’en posséder le concept.
En quoi consiste la rigueur du concept ? En ce qu’il peut être
défini lui-même avec rigueur, c’est-à-dire avec l’aide de termes
eux-mêmes définis avec rigueur.

L’universalité du concept
Une représentation mentale peut être singulière, c’est-à-dire se
rapporter à quelque chose d’unique – être, chose ou événement.
Ainsi, lorsque je pense à un ami, je peux avoir une certaine idée
de cet ami dans mon esprit : on parlera alors d’« image » et non
de « concept ». Le « concept » de mon ami n’a aucun sens.
Le concept, en effet, se rapporte à une pluralité d’êtres, de
choses ou d’événements du même type : le mammifère, le
meuble, la révolution. Je ne dis pas de quel meuble il s’agit : ce
peut être une armoire, une étagère, un lit ou une chaise. Mais il
existe entre ces meubles (au pluriel) un point commun qui fait
que l’on peut parler de « meuble » (au singulier). L’ensemble
des éléments communs des objets auxquels le concept se
rapporte s’appelle la compréhension du concept ; l’ensemble des
choses auxquelles le concept se rapporte s’appelle l’extension du
concept. Ainsi, pour reprendre l’exemple du meuble : en
extension, ce sont les lits, les tables, les chaises, etc. ; en
compréhension, c’est un objet mobile qui, placé dans un espace
de vie, remplit une fonction pratique nécessaire à celle-ci.

Les concepts abstraits


Les concepts se rapportent également à des réalités abstraites ,
comme la justice, la liberté, la vérité. Dans la mesure où des
controverses opposent les différentes conceptions sur ces
domaines, on ne dira pas « le concept de liberté », car il n’existe
aucune conception commune au sujet de la liberté, mais « le
concept de liberté chez Descartes » ou « le concept de liberté
dans la philosophie des droits de l’homme ».
Pour ce qui concerne les réalités physiques, en revanche, le
consensus est presque toujours de règle : un Chinois définira la
tête et les jambes de la même façon que les Occidentaux.
On voit par conséquent ce que peut avoir de frauduleux (une
fraude non punie par la loi, et c’est heureux, car on ne peut sans
frémir imaginer une police de la langue) l’usage commercial du
mot « concept ». Car s’il y a un nouveau concept d’un salon de
coiffure, ce ne peut être ni une réalité générale ni une idée
universelle, mais, bien au contraire, une innovation, quelque
chose d’original. On aura simplement voulu faire remarquer par
l’utilisation du mot « concept » à quel point l’innovation en
question (en général un petit détail décoratif) est à prendre au
sérieux.
Concept
L’essentiel en 5 secondes

✓ Un concept est une idée plus rigoureuse qu'une notion

✓ Un concept possède une compréhension et une extension

✓ Il se définit par un certain nombre de traits et se rapporte à une classe de réalités


6
Contingence
Usage commun et usage philosophique
du mot
On parle souvent des « contingences de l’existence » pour
désigner les choses que nous ne pouvons pas éviter,
généralement désagréables. En fait, l’usage courant de ce terme
savant est pratiquement à contre-emploi, car ce sont souvent des
nécessités de l’existence qu’il s’agit ici : nécessité de subvenir à
ses besoins matériels, de supporter toute une série de tracas
petits et grands (la machine à laver qui tombe en panne, un
retard à un rendez-vous, une douleur dans le dos…). Tous ces
désagréments sont en réalité nécessaires dans la mesure où on ne
peut imaginer pouvoir les éviter.
Est contingent ce qui pourrait ne pas être ou ce qui pourrait être
autre qu’il n’est. Le contraire de contingent estnécessair e : est
nécessaire ce qui ne pourrait ne pas être ou être autre qu’il n’est.
La contingence et la nécessité portent en effet sur l’existence
(être ou ne pas être) ou sur l’essence (être tel – ceci ou cela).

Les deux types de contingence


Il existe deux catégoriesde nécessités, et par conséquent deux
catégories de contingences : logiques et physiques . Si une
droite coupe l’une des deux parallèles, il est nécessaire qu’elle
coupe l’autre (elle n’y coupe pas, il n’est pas possible de
concevoir qu’elle ne la coupera pas). Les théorèmes
mathématiques sont l’expression de nécessités logiques.
Exemple de nécessité physique : l’eau et l’air sont nécessaires à
la vie des vertébrés. Ce qui signifie a contrario que ce ne sont
pas pour eux des contingences.
Essence et accident
L’opposition que les philosophes classiques font entre l’essence
(la nature profonde d’un être) et les accidents (ce qui peut lui
arriver et le toucher sans transformer sa nature profonde : il
convient en effet de faire la distinction entre la transformation
profonde qui bouleverse un être et les modifications
superficielles qui n’en changent que l’apparence), cette
opposition, donc, entre essence et accidents recoupe l’opposition
nécessité/contingence. L’essence constitue la nécessité d’une
réalité, tandis que les accidents sont contingents.
Prenons l’exemple du conflit entre l’universalisme des droits de
l’homme et le particularisme raciste. Si, comme le dit
l’article 1 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
de 1789, « Tous les hommes naissent libres et égaux en droits »,
cela signifie que par essence l’homme est libre, que c’est une
nécessité, que l’homme soit un individu masculin ou féminin,
riche ou pauvre, blanc de peau ou noir ne change rien à l’affaire,
ce sont là des données contingentes. Pour le raciste, en revanche,
la couleur de la peau n’est pas une donnée contingente, elle
exprime pour lui une nature, une essence nécessaire : les Noirs,
les Arabes sont ceci ou cela, voleurs, menteurs, etc.

Fatalisme, providentialisme et
déterminisme
Le fatalisme, qui repose sur l’idée que tout est prédéterminé
par un Destincontre lequel aucune volonté ne peut prévaloir,
est l’expression la plus forte du nécessitarisme, qui, par
définition, élimine toute contingence, donc tout hasard, donc
toute liberté.
Le providentialisme, selon lequel tout ce qui arrive a été voulu
par un Dieu omnipotent et omniscient (« providence » signifie
« voir à l’avance »), ne doit pas être confondu avec le fatalisme,
car, alors que le Destin est aveugle, la Providence est
suprêmement clairvoyante. Sa nécessité, à la différence de celle
du Destin, laisse une marge de manœuvre à la liberté humaine.
Le déterminisme, en vertu duquel tout ce qui arrive dérive de
causes déterminées, est encore autre chose : alors que le Destin
et la Providence sont des idées religieuses et métaphysiques, les
lois de la nature sont des résultats du travail scientifique.

Contingence
L’essentiel en 5 secondes

✓ La contingence est ce qui pourrait tout aussi bien ne pas exister ou exister sous
une autre forme

✓ Le contraire de « contingent » est « nécessaire »

✓ À la différence du fatalisme, le déterminisme repose sur l'idée de loi scientifique


7
Culture
Origine et sens du mot
C’est l’orateur, homme politique et philosophe latin Cicéron qui,
cherchant un terme de sa langue pour traduire le mot grec
païdéia (apprentissage, formation), prend celui de cultura, qui
renvoie au travail effectué par le paysan sur sa terre. Cette
conjonction de sens se retrouve en français : on parle en effet
aussi bien de la « culture » des navets que de la « culture » d’un
individu. On dit, par exemple, d’un homme qu’il est « cultivé »,
comme si son cerveau était un champ travaillé par
l’apprentissage et qui ferait pousser des idées en guise de
légumes.

Cicéron (106-43 av. J.-C.), orateur et homme politique romain, n’était


pas un philosophe à proprement parler mais il a traduit plusieurs
termes philosophiques grecs en latin. Il est mort d’une façon assez
indigne d’un penseur : assassiné.

La culture est l’ensemble de tout ce que l’être humain, par son


travail, a pu produire de nouveau par rapport au milieu et aux
conditions naturels de départ. Elle englobe à la foisles
productions matérielles etintellectuelles, aussi bien les outils,
les machines et les œuvres que les idées, les croyances et les
goûts. La culture est une antinature. Inversement, la nature peut
être définie comme l’ensemble de ce que la culture n’a pas
transformé.
À ces deux sens, agricole et culturel, il convient d’en ajouter un
troisième : lorsque nous disons la « culture » aztèque ou la
« culture » chinoise, nous utilisons le mot à la place de celui de
« civilisation ». Les deux sont interchangeables en français,
même si celui de « civilisation » semble avoir une extension plus
large. « Le terme de “civilisation”, écrivait Freud, désigne la
totalité des œuvres et organisations dont l’institution nous
éloigne de l’état animal de nos ancêtres et qui servent à deux
fins : la protection de l’homme contre la nature et la
réglementation des relations des hommes entre eux. »

La culture comme antinature


L’opposition nature/culture est apparue en anthropologie comme
l’une des plus décisives, et elle recoupe pratiquement
l’opposition animal/être humain. On peut dresser une liste (non
exhaustive) des oppositions dérivées : nu/habillé, cru/cuit,
cri/langue, nécessité/obligation, possibilité/autorisation,
impossibilité/ interdit. Le premier terme de ces couples renvoie à
la nature, le second à la culture.
La culture est à la fois création,destruction et
transformation . De la nudité aux vêtements, du cru au cuit, du
cri à la parole, de la trace au dessin, du bruit à la musique, de la
grotte à la maison, il y a le même passage de la nature à la
culture, la même négation de celle-là par celle-ci. Avant de nous
enrichir, la culture enrichit le monde.
L’homme ne vit jamais nu, intégralement nu. Certes, il ne porte
pas nécessairement un smoking avec nœud papillon, mais,
même lorsque aucun vêtement ne recouvre son corps, il se
tatoue, se scarifie – bref, modifie selon ses croyances et ses
goûts le corps que la nature lui a donné. De même, l’homme est
le seul animal à faire cuire ses aliments – d’où l’importance du
feu. Une loi naturelle (que l’on songe à celles de la physique)
délimite un domaine de nécessités (la chute des corps, par
exemple), de possibilités (comme le vol de l’oiseau) et
d’impossibilités (comme la vie sans oxygène). Une loi sociale,
culturelle, elle, ne connaît que des obligations, des autorisations
et des interdits. Ainsi, la culture nous apparaît comme un
véritable monde inventé par l’homme, qui vient s’ajouter à celui
de la nature.
L’opposition de l’inné et de l’acquis , ainsi que les
contr overses auxquelles elle a pu donner lieu (l’intelligence est-
elle un don de naissance ou bien se constitue-t-elle en fonction
de l’instruction et du milieu social ?), recoupe l’opposition entre
la nature et la culture.

Culture
L’essentiel en 5 secondes

✓ La culture est l'ensemble des transformations effectuées par l'homme sur la


nature

✓ C'est le travail qui change la nature en culture

✓ L'opposition nature/culture implique celle de l'inné et de l'acquis


8
Démocratie
Le mot, l’idée et le fait
Le mot et l’idée sont grecs, parce que c’est dans la Grèce
ancienne qu’est apparu pour la première fois ce type de régime.
« Pouvoirdu peuple » – chose étrange, inouïe, lorsque l’on
songe que les hommes ont presque toujours rapporté le pouvoir
à Dieu, aux ancêtres, à la Nature, bref à toutes les puissances,
sauf à eux-mêmes.
La démocratie est un régime qui repose sur les deux valeurs de
la liberté et de l’égalité.

Le pouvoir du peuple
On connaît la formule de Lincoln (1809-1865) – rapidement
apparue comme la meilleure des définitions de la démocratie :
« gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ».
Excellente formule, en effet, qui n’a que le défaut de ne jamais
trouver son application concrète. Où a-t-on vu que le peuple
avait le pouvoir ? En dehors des collectifs de petite taille,
comme les villages, ce sont les représentants du peuple qui, dans
le meilleur des cas, prennent les décisions. Seulement, la volonté
ne se délègue pas, faisait observer Rousseau, lequel était un
adversaire décidé de la démocratie représentative. On ne peut, en
effet, vouloir à ma place : je peux exprimer ma volonté et même
mes dernières volontés si je suis à l’article de la mort, mais je ne
peux céder ma volonté à quiconque. Pour Rousseau, donc, il ne
saurait y avoir de démocratie que directe.

Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) apparaît aujourd’hui comme le


grand philosophe français des Lumières. L’histoire lui aura accordé une
revanche sur Voltaire.
La démocratie directe
Les expériences modernes de démocratie directe – les soviets
par exemple – ont montré que, loin d’assurer la liberté, la
participation immédiate du collectif aux décisions l’engageant
peut être l’objet des pires manipulations. Si donc une définition
positive de la démocratie peut difficilement éviter de tomber
dans la mythologie (puisque le pouvoir du peuple, et même pour
le peuple, est introuvable), la définition négative qu’en donnait
l’économiste Joseph Aloïs Schumpeter (1883-1950) semble de
beaucoup la plus réaliste : à la différence des régimes qui l’ont
précédée et contre lesquels elle s’est établie, la démocratie est le
régime politique dans lequel la désignation de ceux qui
détiennent le pouvoir exclut à la fois le droit de naissance et la
violence. On se dira peut-être que c’est peu ; si l’on considère
l’histoire passée, on comprendra que c’est beaucoup.

Démocratie

L’essentiel en 5 secondes

✓ L'idéal démocratique énonce que c'est le peuple, et non la nature, qui est la
source du pouvoir légitime

✓ La démocratie repose sur deux valeurs : la liberté et l'égalité

✓ Pour l'économiste Schumpeter, la démocratie est le régime qui permet d'accéder


au pouvoir sans violence
9
Dignité
Une invention philosophique
C’est Kant qui, à la fin du XVIIIe siècle, a fait de la dignité la
valeur inhérente à l’être humain en l’opposant explicitement au
prix. La dignité est ce qui fait qu’un être humain est une
personne, c’est-à-dire un être raisonnable et moral, et pas
seulement un individu, c’est-à-dire le membre d’un groupe (on
notera que si le terme d’« individu » peut être appliqué aux
animaux, on ne qualifiera jamais ceux-ci de « personnes »). La
reconnaissance de la dignité d’autrui comme égale à la sienne
a un nom : elle s’appellele respect . Traiter l’autre comme une
fin en soi, c’est le respecter ; le traiter comme un simple moyen,
par exemple en lui mentant ou en le volant, c’est attenter à sa
dignité, et donc lui manquer de respect.

Emmanuel Kant (1724-1804) est le grand philosophe de l’Aufklärung,


les Lumières allemandes. La Critique de la raison pure est son ouvrage
le plus célèbre.

La dignité est une valeur universelle. Il suffit d’être un être


humain pour en être pourvu. On comprend dès lors que cette
valeur soit la base des droits de l’homme et qu’une idéologie
comme le racisme ou une pratique comme celle de la torture
sont des atteintes directes contre elle.

Une valeur démocratique


Historiquement, la valeur moderne de dignité est apparue en
Europe dans le cadre du double processus d’individualisation et
de démocratisation. L’être humain a été enfin considéré comme
valant par soi et non pas seulement, comme c’était le cas dans
les sociétés antérieures, en tant que membre de telle
communauté. Il est significatif que dans l’Ancien Régime, avant
la Révolution, les dignités étaient les charges et les avantages
dont pouvaient bénéficier les nobles. Le sens actuel de la dignité
témoigne d’un mouvement d’intériorisation : au lieu d’être un
signe extérieur de valeur, réservé à quelques privilégiés, la
dignité est désormais conçue comme la valeur intrinsèque de
chaque être humain, quel que soit le rang qu’il occupe au sein de
la société.
La dignité s’oppose également à l’honneur. Avec l’honneur
domine le regard d’autrui : mon honneur est indexé sur ce
regard. L’honneur est central dans une morale aristocratique ou
clanique : « défendre son honneur » – souvent jusqu’à
l’homicide –, cela signifie défendre son image, sa réputation,
son clan, donc quelque chose d’extérieur qui est sous le contrôle
et le regard d’autrui. Il y a des crimes que l’on appelle « crimes
d’honneur » ; on ne peut concevoir des « crimes de dignité ». Il
est caractéristique que, lorsque la morale de la dignité faiblit (par
exemple dans les « cités », lesquelles ont significativement
perdu leur sens antique, contrôlées par les caïds), la morale de
l’honneur reprend aussitôt le dessus : les individus ne se
représentent plus comme des personnes égales, mais comme les
membres d’un groupe hiérarchiquement défini par rapport à, et
par opposition à, d’autres groupes.

La dignité est inaliénable


La dignité est une valeurinaliénable , c’est-à-dire qu’elle ne
peut disparaître. Le pire des criminels ne la perd pas : s’il est
malade, le devoir est de le soigner ; l’État démocratique
s’interdira bien sûr de le torturer. La dignité peut même aller au-
delà de la mort, puisque le respect est dû aux cadavres et que la
loi sanctionne comme un crime la violation de sépulture.
Des partisans d’une légalisation de l’euthanasie pour les grands
malades et les vieillards qui en feraient la demande parlent du
« droit à mourir dans la dignité ». Il y a là une conception
erronée de la dignité qui, à terme, pourrait se révéler néfaste. Car
s’il y a une demande pour « mourir dans la dignité », cela
signifie du même coup que certains auraient perdu leur dignité
soit à cause de leur grand âge soit à la suite d’une très grave
maladie. L’idée fondamentale du caractère inaliénable de la
dignité aura donc été oubliée : on serait plus ou moins digne
selon son état physique.
On peut se demander si cet usage illégitime du mot ne provient
pas d’une confusion entre la dignité et l’image de soi – auquel
cas on reviendrait à cette morale de l’honneur dont il a été
question plus haut.

Dignité
L’essentiel en 5 secondes

✓ Kant a été le premier philosophe de la dignité, à laquelle il opposait le prix

✓ La morale de la dignité est de type démocratique

✓ La dignité est inhérente à la personne humaine en tant que personne


10
Droits de
l’homme
Origine et sens de la notion
La Révolution française a solennellement introduit en 1789 cette
nouveauté inouïe : un peuple pouvait non seulement se donner
des idéaux pour lui-même, mais il pensait que ses idéaux
pouvaient valoir pour l’ensemble de l’humanité. C’est ainsi qu’il
convient de comprendre ce titre de « Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen » : alors que le citoyen appartient à une
communauté politique, l’homme est de partout.
L’individu est un chiffre, le personnage une lettre, la personne
un nom. L’individu est dans le troupeau, le personnage est au
théâtre, seule la personne est elle-même. Les droits de l’homme
sont les droits de la personne.
L’idée de « droits de l’homme » hérite de celle de « droit
naturel ». Par opposition au « droit positif », qui est en vigueur
dans les sociétés, et qui définit l’ordre du légal, le droit naturel
est celui dont jouissent tous les êtres humains du simple fait
qu’ils sont nés tels ; il définit l’ordre du légitime et il est conçu
comme conforme à la raison.
La liber té,l’égalité,la sécurité etla propriété sontlesdroits
de l’homme le plus souvent mentionnés . On n’imagine pas que
de telles valeurs puissent être bonnes ici et mauvaises ou inutiles
ailleurs. Ce qui est bon pour un Français doit l’être pour un
Africain ou pour un Chinois.

L’universalité des droits de l’homme et


ses contestations
Aussi indiscutables qu’ils puissent paraître, les droits de
l’homme ont dès le départ été l’objet de critiques virulentes. Les
coups portés venaient des deux camps : la tradition (à droite) et
la révolution (à gauche) dénonçaient respectivement leur
abstraction et leur hypocrisie.
J’ai rencontré des Français et des Russes, des Italiens et des
Allemands, déclarait l’écrivain traditionaliste Joseph de Maistre
(1753-1821), je n’ai jamais rencontré l’homme. Cette critique
sera reprise plus tard par les communautaristes, selon qui
« l’homme » détaché de sa culture particulière n’est qu’une
abstraction.
On dénoncera également le caractère faussement universaliste
des droits de l’homme : leur prétendue universalité ne serait en
fait qu’une valeur occidentale. Ainsi, en dehors de l’Occident,
des autorités politiques, soucieuses de sauvegarder leurs
pouvoirs tyranniques, ont promulgué des déclarations islamique,
africaine, asiatique des droits de l’homme.
Du côté révolutionnaire ou progressiste, les droits de l’homme
ont été dénoncés pour leur hypocrisie. En fait d’homme, critique
Marx, c’est du bourgeois qu’il est d’abord question – d’où
l’insistance mise sur la propriété, décrétée « droit naturel ».

Karl Marx (1818-1883) a été l’un des rares penseurs à avoir donné son
nom à une idéologie –, laquelle l’a plus desservi que servi : le
marxisme.
« Tout ce que je sais, disait l’auteur du Capital, c’est que moi je ne suis
pas marxiste ».

Plus tard, les courants féministes feront observer que les droits
de l’homme ont commencé par exclure « la moitié du ciel »
(l’expression chinoise pour dire « les femmes »). Les
mouvements antiracistes pointeront aussi le fait que l’idéal des
droits de l’homme n’a pas interdit, du moins pas tout de suite, ce
réel crime contre l’humanité que constituait l’esclavage : comme
le constatait amèrement George Orwell (1903-1950) dans La
Ferme des animaux, si tous sont égaux, certains le sont plus que
d’autres.
Toutes ces critiques sont à considérer sérieusement. Cela dit, il
semble difficile, voire impossible aujourd’hui, d’imaginer un
« dépassement » des droits de l’homme. De fait, les
contestations entendues çà et là émanent des pires despotismes
et des pires obscurantismes. D’ailleurs, ces voix finissent par se
taire. Hommage que le vice rend à la vertu, plus aucun État
aujourd’hui n’oserait devant le monde affirmer son hostilité aux
droits de l’homme.
Mais que deviendraient cette idée et cet idéal si « l’homme » tel
que nous le connaissons aujourd’hui doit être dépassé, comme le
disent et le souhaitent les courants du transhumanisme et du
posthumanisme ? Nombre de chercheurs, en effet, pensent que
l’homme doit être dépassé par des moyens biotechnologiques, ce
qui aurait pour effet la destruction de l’unité de l’espèce
humaine, et donc celle de l’idée de droits de l’homme.

Droits de l’homme

L’essentiel en 5 secondes

✓ L'idée de droits de l'homme dérive de celle de droit naturel, c'est-à-dire universel

✓ Elle a été l'objet de contestations politiques et religieuses

✓ Le conflit entre universalisme et relativisme est l'un des plus importants


aujourd'hui
11
Égalité
Le principe de la démocratie
Comme l’avait vu Tocqueville au début du XIXe siècle, l’égalité
est le principe de la démocratie – un principe qui remonte aux
anciens Grecs. Mais, chez eux, il ne s’appliquait qu’à un petit
nombre d’hommes (les citoyens) à l’exclusion de la grande
majorité de la population (les femmes, les étrangers et les
esclaves). Le propre de la démocratie moderne est d’avoir
universalisé le principe d’égalité.
Lorsque nous pensons qu’une décision ou qu’une situation est
injuste, c’est toujours parce que à nos yeux le principe d’égalité
a été rompu. Seulement, et ici gît le lièvre, comme disaient les
Anciens, il y a des situations d’inégalité que nous estimons
justes : celle dont bénéficient par exemple les lauréats d’un
concours ou les gagnants d’une loterie, ou encore les champions
sportifs.
Nous ne pouvonspenseraujourd’hui la justicesansl’égalité ,
alors que dans les sociétés anciennes et traditionnelles, la justice,
c’est la hiérarchie, donc l’inégalité. Or, nous admettons comme
justes, du moins comme pas injustes, des situations d’inégalité.
Comment expliquer cette contradiction ? Par le fait que sous le
même mot d’« égalité » plusieurs espèces, plusieurs concepts
différents sont englobés. La confusion entre les divers types
d’égalité est la source de nombreux sophismes et paralogismes.

Égalité et identité
Il convient tout d’abord de distinguer l’égalité et l’identité. Le
principe d’identité (A = A) énonce cette tautologie : une chose
est ce qu’elle est. Mais si A est strictement égal à B, bien que B
ne soit pas A, nous disons aussi que A et B sont « identiques ».
Cette identité comme équivalence absolue entre deux termes
différents n’existe que pour les objets idéels, c’est-à-dire
abstraits, des mathématiques : deux cercles sont identiques s’ils
ont le même rayon, deux carrés sont identiques si leurs côtés ont
la même longueur, etc.
Cette identité n’existe pas dans le monde physique : deux grains
de sable, deux gouttes d’eau présentent toujours des différences
entre eux. Deux jumeaux, deux clones peuvent avoir le même
génome, ils peuvent se ressembler au point que l’on prend l’un
pour l’autre, il n’en reste pas moins vrai qu’ils sont différents.
L’argument de ceux qui contestent le principe d’égalité de la
démocratie par le constat que les hommes sont tous différents
repose sur une confusion entre l’égalité (réelle ou idéale) et
l’identité (qui ne peut être qu’idéelle). Non seulement les
hommes sont tous différents (donc jamais identiques), mais c’est
précisément parce qu’ils sont différents qu’ils sont ou doivent
être égaux.

L’égalité est une valeur plutgt qu’un fait


Deuxième difficulté liée à l’idée d’égalité : lorsque l’article 1 de
la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen stipule que
les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits, le
sens n’est pas d’ordre constatif, comme tendrait à nous le faire
croire l’usage des verbes à l’indicatif présent, mais d’ordre
prescriptif. L’article signifie : désormais, dans le nouveau régime
politique qu’institue la présente déclaration, les hommes doivent
être libres et égaux en droits. À quoi servirait-il en effet de lutter
pour l’égalité entre les hommes si l’égalité existait déjà ? '’est
justement parce queleshommes sontinégauxqu’ils doivent
être égaux – si toutefois l’on partageles idéauxde la
démocratie , lesquels sont loin d’être admis par tous.

Il y a égalité et égalité
L’article de la déclaration citée ci-dessus dit : « égaux en
droits ». Il renvoie donc à l’égalité devant la loi, qui est en effet
un principe fondamental de la démocratie. L’inégalité devantla
loi, dont on peut bénéficier et qui était de règle dans les sociétés
d’Ancien Régime, s’appelle privilège (étymologiquement : « loi
privée »).
Karl Marx (1818-1883) a critiqué cette conception
« bourgeoise » de l’égalité réduite à la seule égalité juridique. Il
existe, en effet, une autre forme d’égalité, l’égalité économique,
qui doit mettre un terme à l’inégalité entre les riches et les
pauvres, entre les très riches et les très pauvres. Les penseurs du
communisme et du socialisme ont montré qu’une égalité
juridique dans un contexte de fortes inégalités économiques et
sociales n’était qu’une fiction.
Mais il y a davantage : les inégalités économiques entraînent
toutes les autres : inégalités en matière de défense de ses droits
propres, en matière de santé, en matière d’accès à l’instruction et
aux loisirs. De plus, l’inégalité ruine la liberté de ceux qui font
partie des couches les plus basses de la société : dans une société
trop inégalitaire, seuls les moins démunis peuvent être
réellement libres.

Égalité
L’essentiel en 5 secondes

✓ La démocratie moderne a étendu le principe d'égalité à tous les êtres humains

✓ L'égalité n'est pas l'identité, elle implique la différence

✓ Il existe plusieurs sortes d'égalités, difficilement conciliables


12
Environnement
Entre nature et culture
L’environnement est le contexte de l’existence humaine.
Jusqu’au début des années 1970, le terme renvoyait au milieu
humain, social : on parlait d’« environnement familial »,
d’« environnement professionnel », etc. C’est sous l’influence
de l’anglais environment (lequel est issu du terme français !) que
le mot, utilisé absolument, c’est-à-dire sans adjectif, renvoie à
l’environnement naturel.
Or, cette expression d’« environnement naturel » est
oxymorique, car il n’ya d’envir onnementquepar rapport à
une présenceet à une activité humaines. À l’apparition
d’Homo sapiens sur terre, lorsque le continent américain n’avait
pas encore été colonisé par cette espèce, ce continent ne faisait
pas plus partie de l’environnement de l’homme que la planète
Saturne. Il n’y a d’environnement que dans la proximité : pour
une tribu primitive, par exemple, c’est la forêt qui entoure le
village.
Contradictoirement, l’environnement est la nature qui, parce
qu’elle est modifiée par la présence et l’activité de l’être humain,
n’est plus tout à fait une nature. La forêt qui jouxte le village
n’est pas la même forêt que celle qui est plus éloignée et où l’on
n’est jamais allé.
Grâce à la formidable synergie constituée par la science, la
technique et l’économie (la triade connaissance-puissance-
exploitation) qui caractérise le capitalisme à compter du XVIe
siècle, l’homme est parti victorieusement à la conquête de la
nature : exploration de toutes les terres, colonisations multiples,
exploitation accélérée des ressources, il n’y a plus guère de
fragments de l’écorce terrestre qui n’aient été ainsi modifiés –
voire ravagés.
Une prise de conscience nouvelle
La thématique de l’environnement, inséparable de la prise de
conscience de sa défense nécessaire, est récente : elle n’a qu’une
quarantaine d’années. Un cap, en effet, a été franchi à la fin du
XXe siècle : désormais, l’être humain a la possibilité de dévaster
son environnement à une échelle globale. Une nouvelle ère
géologique a commencé avec les révolutions industrielles qui se
sont succédées depuis deux siècles : l’anthropocène.
L’économie politique classique partait du présupposé, désormais
reconnu faux, que l’activité humaine peut croître indéfiniment
parce que la nature est inépuisable. La prise de conscience
nouvelle, qui est au cœur de l’écologie moderne et inspire les
projets de développement durable, est celle des limites de
l’environnement. La contradiction majeure qui traverse le
capitalisme ne réside pas dans la division en classes
antagonistes, comme le croyait Marx (1818-1883), mais dans
l’incompatibilité entre sadynamiqueillimitée etle caractère
fini du milieu naturel.
Hans Jonas est l’un des rares philosophes à avoir dès les
années 1960 pris la mesure des défis considérables devant
lesquels les techniques modernes placent les hommes. Qu’elle
soit d’origine religieuse, comme la morale chrétienne, ou de
nature philosophique, comme la morale de Kant, la morale
traditionnelle considérait et jugeait des actions qui possédaient
des bornes nécessaires dans l’espace et dans le temps : agir,
c’était, forcément, agir dans le présent et dans un lieu déterminé.
De plus, l’agent (le sujet de l’action) pouvait maîtriser
l’ensemble du processus de son action de l’amont (la
délibération et la décision) à l’aval (l’exécution).
Hans Jonas (1903-1993), philosophe allemand, est l’auteur du
Principe Responsabilité dans lequel il est le premier à faire la théorie du
principe de précaution.

Les technologies modernes brisent le cadre de cette action. Leur


impact va bien au-delà des intentions de n’importe lequel des
acteurs en jeu – l’industrie nucléaire illustre bien cela. De plus,
les effets des techniques débordent très largement les limites
assignées de l’espace (le lieu) et du temps (le seul présent) qui
étaient celles de l’action « classique ».
Il s’ensuit que la responsabilité change de sens. Désormais,
l’humanité actuelle, à cause de la formidable puissance
déchaînée par ses techniques, détient une responsabilité
particulière vis-à-vis d’elle-même et vis-à-vis des générations
futures – chose qui, il y a peu, était encore inenvisageable et ne
pouvait appartenir qu’au domaine de l’utopie. À l’impératif
catégorique de Kant (« Agis toujours de telle sorte que la
maxime de ton action puisse être érigée en règle universelle »),
Hans Jonas substitue un nouvel impératif : « Agis toujours de
telle sorte que ton action puisse être compatible avec une vie
authentiquement humaine sur terre. »

Environnement
L’essentiel en 5 secondes

✓ Il n'y a pas à proprement parler d'environnement naturel

✓ L'environnement n'existe que par rapport à l'être humain

✓ Hans Jonas a introduit le souci de l'environnement en philosophie avec le principe


de précaution
13
État
Une institutionnalisation du pouvoir
L’État est l’ensembledes structur esde pouvoir quiontpour
tâche de diriger etd’organiser lessociétés humaines. Lorsque
cette spécialisation, donc cette séparation, n’existe pas, il n’y a
pas d’État, donc pas de politique à proprement parler. Tel est le
cas des sociétés primitives dites « sociétés sans État ». Ce n’est
pas que ces sociétés soient sans pouvoir, la chose est
impossible ; seulement, le pouvoir dans ces sociétés leur est
immanent, il est partout, diffus. Lorsqu’il y a un chef, un roi ou
un empereur, des ministres, des fonctionnaires pour lever des
impôts, une armée pour défendre le pays et attaquer les voisins,
une division s’est introduite au sein de la société. C’est la raison
pour laquelle Marx (1818-1883) disait que l’État est toujours la
manifestation d’une opposition de classes, et donc qu’il devait
disparaître avec le communisme, correspondant à la suppression
de cette opposition.

Une forme récente de pouvoir


L’État est une formation relativement récente dans l’histoire des
sociétés humaines : sa naissance coïncide avec les premiers
empires de l’Antiquité – Sumer, l’Égypte. À la différence des
sociétés tribales, qui occupent un petit espace et dont la
population est assez peu nombreuse, ces premiers empires
imposaient leur pouvoir sur d’immenses territoires et sur de
multiples peuples. Plus tard, en Grèce, apparaissent des cités
indépendantes qui constitueront chacune des États à une échelle
beaucoup plus restreinte.
La grande différence qui sépare l’État antique et l’État moderne
est que ce dernier ne se définit pas sans administration, sans
bureaucratie.
Les régimes politiques
Les États peuvent avoir des formes différentes, liées au mode
d’exercice du pouvoir. Ils correspondent alors à ce que l’on
appelle aussi des « régimes politiques ». Depuis les philosophes
grecs Platon (428-348 av. J.-C.) et Aristote (384-322 av. J.-C.), il
est de tradition de distinguer les monarchies , où un seul
gouverne, les aristocraties , où plusieurs gouvernent, et les
démocraties , où c’est le peuple qui gouverne. Le caractère juste
ou injuste de l’État sera déterminé à partir de plusieurs critères,
comme le degré plus ou moins bas de violence ou le souci plus
ou moins grand du bien public.

Platon (428-348 av. J.-C.) est, avec Aristote, le philosophe grec qui a
eu la plus grande influence sur la philosophie occidentale. Son œuvre
principale La République est à la fois un ouvrage politique et un traité
métaphysique.

Puissance et impuissance de l’État


L’histoire du XXe siècle nous donne à lire sur la question de
l’État un tableau contrasté. D’un côté, jamais l’État n’a bénéficié
dans certains pays d’une importance et d’une puissance telles :
le totalitarisme dépasse en effet tout ce que le passé avait inventé
en matière de despotisme. D’un autre côté, jamais l’histoire des
hommes n’a été depuis l’Antiquité dominée par des puissances à
ce point étrangères à l’État : l’économie, la technique et la
science sont des puissances non politiques, qui de ce fait, du
moins dans le cadre démocratique, échappent largement au
pouvoir de l’État. Bien des guerres aujourd’hui naissent sur les
ruines d’États effondrés ou bien vouent à l’impuissance des
États déjà affaiblis. Si le phénomène ne nous apparaît pas
évident, c’est que les médias parlent d’abord des guerres qui
impliquent des États puissants (États-Unis, Israël). Ce que ces
situations nous apprennent, entre autres (nombre de pays
africains sont ravagés par la guerre civile), c’est que, si l’État a
pu représenter l’enfer politique dans sa forme totalitaire, des
dizaines de millions d’hommes souffrent aujourd’hui d’une
absence d’État.
Les États modernes ont perdu une bonne partie de leur
souveraineté : l’internationalisation et la mondialisation
représentent tout un ensemble de forces supraétatiques ; mais, à
l’échelle infraétatique, les États sont fragilisés voire menacés de
dislocation par les communautarismes et les régionalismes.
D’un autre côté, pour tout ce qui concerne les affaires qui restent
de leur ressort, les États modernes interviennent de plus en plus
dans l’organisation de la vie de leurs citoyens et se caractérisent
par un réglementarisme de plus en plus tatillon, ainsi que l’avait
prévu Alexis de Tocqueville (1805-1859).

État

L’essentiel en 5 secondes

✓ L'État est une forme historique de pouvoir

✓ Il existe trois grands types de régimes politiques : la monarchie, l'aristocratie, et la


démocratie

✓ Deux maux inverses : l'excès d'État, l'absence d'État


14
Éthique
Éthique et morale
À l’origine, « éthique » dit en grec ce que « morale » dit en latin.
Les deux mots renvoient à la manière habituelle de vivre, aux
« mœurs ».
Lorsque la philosophie réfléchit à la façon dont les hommes
vivent, elle peut en faire une analyse descriptive, qui se situe sur
le plan de la réalité observée, mais elle peut également envisager
un idéal d’existence, énoncer des devoirs à accomplir : elle passe
alors au plan prescriptif, celui du devoir-être. L’éthique ou la
morale est une axiologie , elle a rapport à des valeurs .
Malgré leur synonymie d’origine, l’éthique et la morale
appartenaient à des plans différents de vie et de pensée : il y
avait d’un côté les théories philosophiques de la morale et de
l’autre la vie pratique des hommes majoritairement dirigée par
des préceptes religieux. Ainsi, l’éthique apparaissait comme une
théorisation philosophique de la vie pratique, tandis que la
morale pouvait être vécue de manière spontanée ou intuitive.

La victoire de l’éthique sur la morale


Avec ce que les philosophes allemands ont appelé la
« sécularisation », qui correspond au grand mouvement de
substitution des valeurs profanes (politiques, économiques et
sociales) aux anciennes valeurs religieuses, et qui caractérise la
modernité aujourd’hui mondialisée, la morale liée aux croyances
et aux dogmes de la religion a perdu de son importance au profit
d’une éthique mieux adaptée aux normes et aux exigences de la
vie d’aujourd’hui.
Alors que la morale se présentait comme absolue, l’éthique se
pense comme relative. La morale était un ensemble
d’obligations et d’interdits inconditionnés ; l’éthique, quant à
elle, se caractérise par son opportunisme et son relativisme. Elle
change au gré des innovations technoscientifiques : ainsi, nos
conceptions de la vie et de la mort suivent en parallèle les
avancées de la biologie.
La morale n’était pas particulière aux nations et aux secteurs
d’activité. Il n’y avait pas d’un côté une morale française et de
l’autre une morale luxembourgeoise, il n’y avait pas d’un côté
une morale pour les paysans et de l’autre une morale pour les
banquiers. L’éthique , quant à elle, change d’un pays à l’autre, et
elle sedivise en différ entsdomainesetsecteurs d’activité : il
y a la bioéthique, l’éthique de l’environnement, l’éthique de
l’entreprise, etc. Désormais, chacun peut y aller de son éthique ;
c’est la valse des « éthiquettes ».

La fin des absolus moraux


La morale était indifférente à l’histoire. L’éthique, à l’inverse,
est de nature opportuniste, et c’est pourquoi ses interdits et ses
recommandations ne sont jamais définitifs. Elle suit, avec un
certain retard, le mouvement des technosciences, des mentalités
et des comportements sociaux. On comprend dès lors que sa
théorisation puisse être problématique.
Pendant plus de deux mille ans, les philosophes avaient affaire à
un monde qui ne changeait pratiquement pas d’une génération à
l’autre, d’un siècle à l’autre. Aussi pouvaient-ils en constituer le
tableau. Avec l’accélération de l’histoire, enclenchée à partir de
la première révolution industrielle, au XVIIIe siècle, plus aucun
élément du monde ne reste en l’état. Aussi les valeurs et les
croyances sont-elles prises dans un mouvement perpétuel, dont
l’instabilité de l’éthique est l’actuel symptôme.
Éthique
L’essentiel en 5 secondes

✓ À l'origine, « morale » traduit en latin ce qu' « éthique » disait en grec

✓ Nous assistons aujourd'hui au remplacement de la morale par des éthiques

✓ La morale dit le bien et le mal, l'éthique, le plutôt bon et le plutôt mauvais


15
Hasard
Le rejet du hasard
L’homme ne déteste rien tant que le hasard. Son premier moyen
pour le conjurer est de ne point y croire – d’où l’idée de Destin.
La technique est le second moyen, matériel et pratique cette fois
et non plus imaginaire, pour conjur er le hasard. Tous les
grands progrès de la culture peuvent être compris comme une
mise à distance du hasard par la volonté. Par exemple, alors que
les peuples cueilleurs et chasseurs voyaient leur existence livrée
au hasard des rencontres et des prises, les peuples agriculteurs et
éleveurs imposeront leur volonté propre à la terre et à l’animal.
En matière de procréation également, la médecine nous a permis
de passer du stade de la cueillette (l’enfant né « par hasard ») à
celui de l’agriculture (l’enfant « programmé »).

Qu’est-ce que le hasard ?


Le hasard n’est pas la contingence : on ne peut pas dire que ce
qui arrive par hasard aurait pu ne pas arriver. La branche qui
tombe sur la tête du malheureux passant devait tomber à cause
de la vieillesse de l’arbre, et du jeu des éléments climatiques. Et
le passant ne passait pas par là « par hasard », puisque c’est par
là qu’il passe tous les jours pour se rendre à son travail. C’est la
rencontre des deux (la branche et la tête) qui est appelée
« hasard ». Le hasard est un événement imprévisible.
Mais qui dit imprévisible dit défaut dans la cuirasse de la
connaissance. D’où l’idée que du point de vue de Dieu, qui sait
tout, il n’y a pas de hasard. Si Dieu entrait dans un casino
déguisé en paisible retraité, il jouerait gagnant à tout coup.
Le hasard ne serait-il donc que le résultat de notre ignorance ?
Le hasard est-il en nous ou dans les
choses ?
Bien des sciences aujourd’hui considèrent qu’il existe dans la
texture même des événements naturels un hasard objectif – ce
qui voudrait dire que même Dieu ne pourrait pas prévoir tel ou
tel de ces événements. Deux cents millions de spermatozoïdes
sont éjaculés d’un coup. Si les conditions s’y prêtent, l’un de
ceux-là pénétrera dans l’ovule et le fécondera. Chacun de ces
deux cents millions de spermatozoïdes peut donner vie à un être
absolument unique. C’est pourquoi on parle de « loterie
génétique ».
De même, les mutations, si importantes dans l’histoire du vivant
(ce sont elles qui constituent le point de départ de l’évolution),
sont dites « aléatoires ». Cela ne signifie pas qu’elles n’ont pas
de causes ; bien à l’inverse, pourrait-on dire, elles ont tellement
de causes qu’on ne peut en faire le tour ! Théorie du chaos,
théorie des quantas, le hasard est partout dans la science
d’aujourd’hui ! « Dieu ne joue pas aux dés, il joue aux échecs »,
disait Einstein, qui n’admettait pas que la science pût se passer
du principe du déterminisme. « Dieu est malin mais il est
honnête », disait-il encore. La science actuelle tendrait plutôt à
montrer que Dieu joue aux échecs de manière retorse.

Albert Einstein (1879-1955) est le savant légendaire du XXe siècle. La


formule E = mc2, qui paraît condenser la théorie de la relativité, est
l’équation la plus célèbre de la science, connue même de ceux qui ne
savent pas ce qu’elle signifie.
Hasard
L’essentiel en 5 secondes

✓ Nous n'aimons pas le hasard

✓ Le hasard est un événement dont les causes sont inconnaissables par avance

✓ Mais il existe aussi des hasards objectifs, qui ne viennent pas seulement du
défaut de notre savoir
16
Identité
De la logique à l’existence
Une chose est ce qu’elle est (A = A), tel est le principe
d’identité . Mais cela ne vaut strictement que pour les objets
idéels, comme en mathématiques, pour les objets qui échappent
au temps. En effet, dès qu’il y a changement, l’identité devient
difficile, voire impossible à saisir. Une anecdote historique
l’illustre bien.
Les Athéniens conservaient sur l’Acropole un très vieux bateau
que la tradition disait être celui de Thésée, le héros fondateur de
la cité. Au cours des siècles, le bateau s’abîmait, aussi les
morceaux de bois pourris ou effrités étaient-ils remplacés au fur
et à mesure par des neufs, tant et si bien qu’au bout d’un certain
temps plus aucune pièce du bateau primitif n’était restée en
place. Pourtant, les Athéniens continuaient de nommer cet autre
bateau « le bateau de Thésée ».
La matière, comme l’eau d’une rivière, ne cesse de couler. « On
ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve », disait
Héraclite, lequel avait également raison d’affirmer que chaque
matin c’est un autre soleil qui se lève. Pourtant, une chose est
« la même » pour nous si elle occupe le même endroit
qu’auparavant et si elle est désignée par le même nom : au
même endroit, nous disons que nous nous baignons dans le
même fleuve.

Héraclite (VIe-Ve siècle avant notre ère) est un philosophe


présocratique, c’est-à-dire qu’il vivait avant Socrate. Ses idées de
l’unité des contraires et du devenir universel font de lui le père de la
dialectique.

Identité et différence
Entre un être physique à un moment donné et le même être à un
autre moment, entre un être physique et un autre être physique, il
n’y a à rigoureusement parler jamais identité, mais des
différences réelles et de l’égalité possible. La différence qui
existe entre l’égalité et l’identité, c’est que l’égalité implique des
différences, alors que l’identité les exclut. En fait, comme
l’homme a besoin de stabilité – et le langage lui en fournit les
moyens –, l’identité est toujours conventionnelle : les
différences sont négligées.

Le différentialisme
La communauté a changé de sens en perdant l’universel au
profit du particulier. Naguère, « la communauté » signifiait
« tous les hommes », et même lorsqu’elle n’allait pas jusqu’à
l’ensemble du monde et de l’humanité elle désignait toujours un
élargissement idéal des limites du groupe de référence. La
communauté d’aujourd’hui est, à l’inverse, le résultat d’un repli,
sinon d’une sécession. Elle édifie autour de ses membres une
muraille symbolique infranchissable pour ceux que le hasard a
fait naître au dehors.
Le différentialisme, qui définit les êtres humains par leur
communauté d’appartenance et non par l’unité de leur espèce,
est un antiuniversalisme . Il confond l’appartenance, quiest
une relation,avec l’identité , qu’il suppose substantielle. En
effet, dire « Je suis bouddhiste » signifie que j’appartiens à titre
d’élément à l’ensemble des bouddhistes, mais cela ne signifie
pas que la totalité de mon être puisse être définie par cette
appartenance (ce n’est pas par exemple mon bouddhisme qui
expliquera pourquoi je préfère Schubert à Mendelssohn et les
brunes aux blondes). Les fanatiques ont ceci de caractéristique
qu’ils sont incapables d’opérer cette distinction : pour eux,
appartenir à, c’est être complètement.
L’identité conçue comme essence et non comme processus est
régressive : la véritable identité, en effet, vient de ce que l’on est
devenu, et elle n’est qu’une pause dans la durée de la vie, et non
un terme. Dans un monde qui les angoisse à cause de ses limites
transgressées, les hommes ont la tentation de proclamer
l’identité comme un slogan et de la brandir comme un drapeau.
Dès lors que les territoires physiques perdent leur sens
économique et social, ces individus ont tendance à marquer par
compensation des espaces symboliques capables de susciter d’un
côté la reconnaissance entre soi, de l’autre l’exclusion d’autrui.

Identité
L’essentiel en 5 secondes

✓ Alors que l'égalité implique des différences, l'identité les exclut

✓ Il n'y a d'identité entre deux objets que s'ils sont des formes pures, comme en
géométrie

✓ L'identité d'un individu ou d'un groupe est toujours le résultat d'une histoire
17
Image
Une seconde présence
« Image » vient du même mot (latin) qu’imiter. L’idée est que
l’image est un double. C’est d’ailleurs cette idée du double que
l’on retrouve dans le terme « représentation » : la « re-
présentation », c’est littéralement une seconde présentation.
Or, l’image n’appartient pas au même plan de réalité que ce dont
elle est image : il y a loin de la photographie d’une femme nue à
la femme nue – quant aux caricatures de Mahomet, n’en parlons
pas ! Il y a simulation lorsque le pouvoir de création de l’image
est oublié ou occulté au profit de son pouvoir de représentation.

L’image fait-elle voir ou fait-elle voile ?


La philosophie a longtemps pensé, à partir de Platon, que
l’image était un voile ou un écran qui nous interdisait de voir la
réalité telle qu’elle est. D’où le paradoxe d’un visible qui cache.
De fait, l’image a une fonction d’aveuglement qui est loin d’être
perdue. Le photographe à la poursuite de son objectif ne voit
plus rien, car il dispose d’un œil par procuration. Bardé
d’appareils comme une pintade l’est de lard, le touriste de par le
monde ne regarde pas : il verra plus tard, quand il sera rentré
chez lui.
Inversement, c’est l’invisibilité du réel qui fait proliférer les
images. Pendant des millénaires, les dieux ont été plus souvent
dessinés, peints et sculptés que les hommes justement parce que
personne ne les voyait.

La fabrication des images


Les techniques modernes bouleversent le statut de l’image. En
passant de la fantasmagorie au virtuel, la simulation change de
sens : elle n’est plus l’apparence qui trompe mais le visible qui
enseigne. Alors que l’image était toujours seconde par rapport à
la réalité dont elle dérivait, désormais elle la précède. Sa
fonction est double : elle permet de comprendre (voir les clichés
du sol d’une comète), et elle permet de fabriquer (voir la
conception d’un avion assistée par ordinateur). Grâce à
l’imagerie, l’image devient outil.
Désormais, l’image précède la vie au lieu de la suivre : on a vu
des scènes d’amour avant de les vivre, on a vu des images des
États-Unis avant d’y aller. Ce renversement des relations
« naturelles » – grâce aux techniques, l’image désormais
devance le réel, et même se substitue à lui – peut induire un
sentiment de perte du réel.
La prolifération des images ne manque pas d’avoir des effets
pervers : l’image-écran remplace désor mais l’image-fenêtr e,
elle nous empêche de voir le monde réel au lieu de nous le
montrer. Pourquoi ne réagissons-nous plus adéquatement dans la
vie lorsque nous sommes les témoins d’un acte de violence ?
Parce que la violence en images dont nous sommes abreuvés
nous désapprend à affronter la violence réelle. Un spectateur, par
définition, n’intervient pas dans un film.

Le vrai sens de la « civilisation de


l’image »
On rapporte spontanément l’industrie de l’image aux
technosciences et aux divertissements. Mais si, pour désigner la
civilisation moderne, nous utilisons l’expression de « civilisation
de l’image », c’est pour mettre en évidence quelque chose de
plus profond. Le capitalisme est un système économique qui
tend à transformer toute réalité en capital, c’est-à-dire en source
de profit, et en marchandises, c’est-à-dire en choses vendables et
consommables. La seule façon pour une réalité abstraite comme
une idée ou insaisissable comme un affect d’être transformée en
capital et en marchandise est d’être traduite en images. La
pulsion sexuelle n’est ni un capital ni une marchandise ; elle
devient cela avec la pornographie. La douleur d’une mère qui
vient de perdre son enfant tué par une balle perdue n’est ni un
capital ni une marchandise, mais elle devient cela avec la
photographie. L’image est une ruse du capitalisme pour
transformer les réalités non immédiatement accessibles en
capital et en marchandises.

Image
L’essentiel en 5 secondes

✓ L'image est ambiguë : elle fait voir mais elle peut aussi cacher

✓ Dans l'imagerie, l'image peut précéder la réalité

✓ La civilisation de l'image est celle qui donne une valeur économique à n'importe
quelle chose
18
Inconscient
De l’adjectif au substantif
Il ne faut pas confondre « phénomène inconscient » et
« l’inconscient ». Mes souvenirs, à l’exception de celui que j’ai
présentement à l’esprit, sont inconscients en ce sens que, bien
qu’ils soient en moi et qu’ils puissent être rappelés à tout
moment, je n’y pense pas. Les automatismes physiques sont
inconscients : lorsque je marche, je ne me dis pas « Mets la
jambe droite devant la jambe gauche et la jambe gauche devant
la jambe droite ». Ces mécanismes, dont on pourrait citer une
multitude d’exemples, n’ont rien à voir avec l’inconscient.
L’inconscient, tel qu’il a été défini par Sigmund Freud,
l’inventeur de la psychanalyse, est la dimension de notre
psychisme qui échappe à notre conscience et qui est constituée
par les pulsions (inconscient primitif) et par les désirs refoulés
(inconscient acquis).

Sigmund Freud (1856-1939) n’était pas philosophe mais la discipline


qu’il a inventée, la psychanalyse, a un sens et une importance
philosophique majeurs.

En français, le terme de « subconscient » a longtemps


concurrencé celui d’« inconscient ». Il a l’inconvénient
d’impliquer l’image d’un « dessous » (sub), comme si
l’inconscient était une chose, ou un lieu, une partie de notre
cerveau. C’est pourquoi il est aujourd’hui abandonné :
l’inconscient n’est pas un sous-vêtement.

La nécessité de cette idée


L’idée d’inconscient est née de l’impossibilité d’expliquer des
comportements et des attitudes par les seuls mécanismes du
corps et de la volonté. L’hystérique qui prétend être aveugle et
qui, de fait, ne voit pas possède pourtant un appareil visuel intact
et ne ment pas. La force qui produit la cécité de cette personne
traduit son désir (inconscient) de ne pas voir.
L’hypothèse d’un continent noir enfoui dans les profondeurs de
notre psychisme suscite toujours des résistances dans le milieu
médical et psychiatrique. Et pourtant, qui ne sait qu’on ne perd
ni ne casse jamais le cadeau qui nous est le plus cher, et
qu’aucun embouteillage ne vaudra comme prétexte pour justifier
un retard à un rendez-vous important – car la négligence
précisément a été de ne pas prévoir ce contretemps possible.
Imaginez que vous ayez un rendez-vous fixé longtemps à
l’avance, et que vous ayez la certitude qu’au cours de ce rendez-
vous vous recevrez un chèque d’un million d’euros à la
condition d’arriver à l’heure juste, croyez-vous que vous serez
empêché par un contretemps ?
La société ne peut pas admettre l’aveu de désirs crus – celui
d’abandonner un parent, par exemple –, aussi dispose-t-elle
d’alibis imparables : la fatigue, la distraction, le hasard. Trois
manières d’écarter le sens psychologique de ces actes manqués
dont Freud disait qu’ils ne sont manqués que pour la conscience,
mais que pour l’inconscient ils sont très réussis. L’inconscient,
c’est ce qui ne rate jamais l’occasion de réussir tout en ratant.

Le refoulement
La plupart des désirs sont destinés à n’être jamais satisfaits : la
jouissance est l’exception plutôt que la règle. Les obstacles
existent aussi bien à l’intérieur de soi qu’à l’extérieur : la
censure que l’on s’inflige à soi-même peut n’être pas moins
forte que celle que l’on subit de la part des autres. Nous croyons
à tort qu’une chose à laquelle nous ne pensons plus n’existe
plus, mais la mémoire avec son très compliqué travail devrait
pourtant nous avertir que ce à quoi nous ne prêtons plus
attention n’est pas pour autant, comme on dit, sorti de l’esprit. Si
l’on excepte le cas des lésions cérébrales et des dégénérescences
neurologiques, les représentations mentales (idées, images,
projets, etc.) ne sont jamais détruites, elles ne sont que
déplacées. À cet égard, l’oubli est semblable à la perte : une clé
perdue n’est pas détruite, elle existe quelque part ; pareillement,
une représentation oubliée n’est pas anéantie, elle existe quelque
part dans le psychisme.
C’est lorsqu’une parole n’a pas pu être dite que l’inconscient
occupe la place. Comment avouer que le cadeau que l’on nous
offre est laid ou sans intérêt ? Cette franchise nous est la plupart
du temps impossible : nous serions en continuel état de guerre
avec les autres si nous devions toujours dire crûment nos envies
et nos dégoûts. Mais nous ne sommes jamais quittes avec la
censure que nous nous imposons – la parole refoulée se
métamorphosera en fantasme (dans le rêve), en geste (dans
l’acte manqué), en symptôme (dans le comportement). Rêver
d’un cadeau enfin beau, casser le cadeau jugé laid, compenser la
déception par une compulsion d’achat – telles sont les trois
façons possibles de dire inconsciemment ce que la parole
consciente n’a pas osé dire : ce cadeau que tu m’as fait n’est pas
un cadeau !
Un rêve, un acte manqué, un symptôme hystérique sont la
revanche de l’inconscient sur un réel qui se fait la malle. Si les
parents ont dit « non » à l’envie de l’enfant, le rêve lui dira
« oui » en lui offrant le jouet ou le gâteau convoité. Vengeance
que l’imaginaire prend sur la réalité.
Inconscient
L’essentiel en 5 secondes

✓ Ce n'est pas parce qu'un phénomène est inconscient qu'il vient de l'inconscient

✓ L'inconscient est constitué par des pulsions et par des désirs refoulés

✓ Les rêves et les actes manqués sont des manifestations de l'inconscient


19
Individualisme
Le mot et le fait
Si le terme d’« individualisme » est relativement récent dans la
langue française (il apparaît au début du XIXe siècle chez Balzac
et Alexis de Tocqueville), c’est parce qu’il signale un fait
historiquement nouveau : alors que les sociétés traditionnelles,
que l’anthropologue Louis Dumont (1911-1998) appelle
« holistes », d’un mot grec signifiant « tout », ignoraient
l’individu au profit du groupe, les sociétés modernes considèrent
le groupe comme fondé sur l’individu, lequel devient ainsi le
centre de la réalité humaine.
L’idée de droits de l’homme marque la promotion de l’individu
doté d’une dignité, et de tout un ensemble de droits, eux-mêmes
identifiés à des libertés, et dont le nombre ira croissant – liberté
de propriété, de travail, de pensée, de conscience, etc.
Il convient par conséquent de ne pas confondr e
l’individualisme , qui est un fait historique de civilisation, et
l’égoïsme , qui est un type de comportement moralement
stigmatisé. Cela dit, comme nous le verrons plus loin, il est vrai
que l’individualisme aboutit souvent à l’égoïsme.

« Je pense, donc je suis »


La très célèbre citation de Descartes promeut le sujet comme
« moi » en tant que centre de la pensée, ce qui signifie que la
pensée n’est pas l’affaire d’un « nous » (d’une communauté dans
laquelle le sujet est noyé), ni celle d’un « on » impersonnel, ni
celle d’un « il » extérieur ou tout-puissant, comme Dieu et ses
substituts (le roi, le père…), mais d’un moi unique que personne
ne peut remplacer. Personne ne peut penser pour moi.
René Descartes (1596-1650) est considéré comme le premier
philosophe moderne car il a fondé la pensée sur le sujet (celui qui peut
dire « je »). Son œuvre la plus célèbre est le Discours de la méthode.

Le capitalisme, avec ses libertés de propriété et de travail,


d’entreprise et d’échange, représente l’individualisme en
économie comme le cartésianisme représente l’individualisme
en philosophie.

Grandeur et misères de l’individualisme


Une société individualiste risque de voir ses liens dénoués, et les
êtres humains, théoriquement libres, partir à la dérive.
L’individualisme signifie la liberté personnelle, et il représente à
cet égard un progrès historique considérable. Mais il débouche
également sur un certain nombre de pathologies : l’égoïsme,
l’égocentrisme et le narcissisme.
L’égoïsme désigne un comportement immoral, et même le
comportement immoral par excellence dès lors que la morale est
fondée sur le souci de l’autre. L’égocentrisme est la tendance
psychologique à ne considérer le réel qu’à partir de son point de
vue individuel, et donc l’incapacité à se placer du point de vue
de l’autre. Quant au narcissisme, il est défini par Freud (1856-
1939) comme la tendance à investir la libido sur le moi propre.
Freud définissait la névrose comme l’effet du refoulement : c’est
la frustration née de la censure qui, pour l’inventeur de la
psychanalyse, rend les hommes malades. Il est possible que dans
une société de stimulation continue comme la nôtre – que l’on
songe à l’hystérie généralisée de la publicité et de la télévision –
la difficulté principale vienne désormais, au contraire, de
l’absence de censure.
L’impératif catégorique a été inversé : on est passé, sous
l’impulsion du marché, trop heureux, en l’affaire, de cacher son
commerce derrière le beau mot de « libération », du « Ne jouis
pas ! » à « Jouis ! ». Dans la première situation, l’individu se vit
et se voit comme un potentiel de forces entravées :
inconsciemment, il considère le réel comme trop petit pour lui,
en quelque sorte indigne de lui. Mais dans la seconde situation,
l’individu, dans l’incapacité presque fatale d’obéir à l’injonction
de la jouissance, car il faut pour cela beaucoup d’argent, de
désir, d’intelligence, de beauté, de jeunesse, de santé, ne peut
que se sentir profondément déprécié : l’indignité est passée de
son côté. Ainsi, on comprend que la dépression soit le mal
moderne par excellence : les individus y tombent comme en un
gouffre intérieur, car ils se sentent incapables d’obéir à cette
injonction de la jouissance qu’ils entendent énoncer chaque jour
sur tous les registres. Rien n’est plus cruel que d’implorer les
gens de réaliser leurs désirs alors même qu’ils sont dans
l’impossibilité de le faire : c’est la stimulation, et non plus la
censure, qui désormais rend les gens malades.

Individualisme
L’essentiel en 5 secondes

✓ Alors que les sociétés traditionnelles accordaient toute l'importance au groupe, les
sociétés modernes sont centrées sur l'individu

✓ « Je pense, donc je suis » signale la promotion du sujet individuel en philosophie

✓ L'individualisme est ambigu. Il va du meilleur (le respect des droits de chacun) au


pire (l'égoïsme et le narcissisme)
20
Infini
Les infinis
Les Grecs connaissaient deux infinis : l’infini
par division (on
peut toujours diviser en deux une quantité ou un intervalle :
aussi minuscule que soit le résultat obtenu, il n’équivaudra
jamais à rien) et l’infini
par addition(on peut toujours ajouter
une unité à un nombre, aussi grand soit-il). On reconnaît là ce
que Pascal appellera l’« infiniment grand » et l’« infiniment
petit ».

Blaise Pascal (1623-1662) fut, comme Descartes, à la fois


mathématicien et philosophe. Mais sur presque tous les plans, il a
pensé à l’opposé de Descartes.

La pensée chrétienne ajoutera à ces deux infinis un troisième :


l’infini qualitatif ou intensif, donné comme attribut de Dieu. La
grandeur de Dieu ne se mesurant pas en kilomètres, et l’infini
étant son attribut essentiel, il fallait déterminer cet infini
autrement que par les mathématiques.

Du négatif au positif
Le mot « infini » est négatif parce que les Grecs, d’où nous le
tenons via le latin, considéraient en effet le fini comme positif.
Chez les Grecs, « fini », « achevé », « parfait » étaient des
notions équivalentes. Par exemple, la beauté à leurs yeux ne
pouvait être que finie : c’est ce caractère que manifestent les
statues des dieux ou l’architecture des temples, l’harmonie et la
mesure immédiatement perceptibles. À l’opposé, l’infini ne
pouvait être que chaotique, donc douloureux. À l’origine des
choses, les quatre éléments (terre, air, eau, feu) étaient mêlés en
un chaos inextricable. Voilà une idée de l’infini que l’on trouve
chez certains philosophes. Inversement, le cosmos – qui renvoie
dans la langue grecque à l’idée d’ordre et de beauté – ne peut
être que fini, d’où l’image du cercle ou de la sphère pour le
figurer.
C’est la religion chrétienne qui opérera une révolution dans la
valeurattachée à l’infini
: de négatif, celui-ci devient positif et
même éminemment positif. Du coup, le fini prendra la charge
négative.
Le caractère infini du Dieu chrétien découle de son caractère
unique. Lorsque les dieux sont nombreux, comme dans les
religions polythéistes, ils se limitent tous les uns les autres dans
leur puissance. Quand il n’y a plus qu’un seul Dieu
(monothéisme), rien ne saurait le limiter. Et c’est pourquoi la
pensée chrétienne reprendra à son compte durant tout le Moyen
Âge la conception finitiste grecque du monde : puisque Dieu a
créé l’univers, celui-ci ne peut être infini, parce que la
coexistence de deux infinis, celui de Dieu et celui de l’univers,
serait contradictoire, car l’un serait la limite de l’autre.

Du monde clos à l’univers infini


Les Anciens se représentaient la plupart du temps l’univers
comme une sphère. Depuis la Renaissance, l’astronomie puis la
cosmologie et l’astrophysique ont montré le caractère infini de
l’univers. Mais cela ne signifie pas l’infinité au sens
mathématique du mot : l’Univers a bien une limite dans le passé,
marquée par le Big Bang. Cela signifie qu’il n’a ni bornes ni
bords.
Parallèlement à ces grandes avancées scientifiques, l’homme a
découvert le caractère fini de son environnement : la nature n’est
pas, contrairement à ce que l’on a longtemps cru, inépuisable.
Ainsi, les deux finitudes, celle de l’être humain et celle de
l’environnement naturel, semblent désormais se rejoindre.
Infini
L’essentiel en 5 secondes

✓ Il y a plusieurs infinis, dont le seul point commun est d'être la négation du fini

✓ C'est le christianisme qui donnera à l'infini, attribué à Dieu, sa valeur positive

✓ Si l'univers est infini, il ne l'est pas au sens mathématique du mot


21
Information
Une première mise en forme
Le premier théoricien de l’information fut Aristote. Celui-ci
partait d’une opposition entre la matière sans forme et la forme.
Le bloc de marbre extrait de la terre est informe, le sculpteur
finira par lui en donner une en le transformant en sculpture (la
transformation étant proprement le passage de l’informe à la
forme ou bien celui d’une forme à une autre forme).

Aristote (384-322 av. J.-C.) fut un philosophe encyclopédiste. Élève de


Platon, il se détacha de son maître et constitua, en concurrence avec le
platonisme, la philosophie antique la plus influente dans les vingt
siècles qui suivirent. La Métaphysique et l’Éthique à Nicomaque sont
ses œuvres les plus célèbres.

Autre exemple : le développement de l’être vivant réalise un


processus équivalent qui conduit de l’informe à la forme – c’est
aujourd’hui un passionnant objet d’étude que le mécanisme des
gènes dits « bâtisseurs », qui vont « réaliser » une main ou un
pied à partir d’une masse indifférenciée de cellules.

Sens commun et sens mathématique


Lorsque nous parlons aujourd’hui d’« information », c’est en un
domaine qui, semble-t-il, n’a rien à voir avec la philosophie
d’Aristote. D’ailleurs, nous avons à peu près complètement
perdu de vue que dans « information », il y a « forme ». Et
pourtant ! Lorsque la radio nous apprend la mort d’un chef
d’État, il y a bien eu, tant du côté du récepteur (l’auditeur) que
de l’émetteur (le journaliste), une mise en forme : la nouvelle se
présente sous l’aspect d’un ensemble de phrases douées de sens
à partir de dépêches d’agence ; elles-mêmes sont des mises en
forme de bouts de sens. Du côté de l’auditeur, un sens nouveau
est venu s’additionner à son contenu mental, auquel il a donné
une forme supplémentaire. Qu’est-ce, en effet, que l’acquisition
de connaissances, qu’est-ce que l’apprentissage, sinon une mise
en forme d’un donné de départ ? Le psychisme est comme un
bloc de marbre : ne parle-t-on pas de formation et même de
« formation permanente » ?
Après la Seconde Guerre mondiale, une théorie mathématique
de l’information , aux implications considérables, a été
constituée. L’information est devenue une donnée mesurable (le
bit est l’unité d’information). L’informatique(si bien nommée)
est venue en grande partie de là. Textes, images, sons sont des
ensembles d’informations que l’électronique peut traduire en son
langage indépendamment du contenu concret de ces
informations.
On peut associer l’information à une probabilité. La quantité
d’information, donc sa valeur, dépend de sa plus ou moins
grande probabilité : celui qui pendant la guerre dit qu’on n’a
jamais été aussi près de la fin de la guerre dit quelque chose de
vrai, mais l’information est nulle. Dire que le soleil se lèvera
demain, c’est dire quelque chose de vrai, mais dont
l’information est nulle ; dire que le soleil se lèvera
à 6 h 47 demain, c’est donner une information utile ; dire que le
soleil ne se lèvera pas demain, c’est délivrer un scoop.

Information, savoir, connaissance


Les médias, c’est-à-dire les moyens d’information, entretiennent
volontiers, pour des raisons aisément compréhensibles, la
confusion entre information, savoir et connaissance. Le savoir
constitue une élaboration d’informations. Des informations
désordonnées, livrées brutes de décoffrage, ne sauraient
constituer aucun savoir. Par exemple, il ne saurait rien celui qui
aurait appris par cœur le Livre Guinness des records.
La connaissance représente un stade encore supérieur au savoir :
elle est l’élaboration théorique et systématique des savoirs, et
donc le commencement de la culture.

Information
L’essentiel en 5 secondes

✓ L'information est proprement le processus qui permet de donner une forme à ce


qui n'en avait pas

✓ L'informatique est née d'une mathématisation de l'information

✓ L'information ne suffit pas à constituer un savoir, et encore moins une


connaissance
22
Intelligence
Qu’est-ce que l’intelligence ?
Les êtres vivants dotés d’un système nerveux élaboré ont la
capacité d’avoir des représentations qui leur donnent une
certaine autonomie par rapport à leur milieu ambiant.
L’intelligence est une forme de pensée qui peut être reconnue
chez les animaux supérieurs, dont l’homme.
Il n’est pas aisé de définir l’intelligence. C’est la question que
l’on avait posée à Alfred Binet (1857-1911), le psychologue qui
inventa les tests d’intelligence et le fameux concept de
« quotient intellectuel » (Q. I.) : Vous prétendez mesurer
l’intelligence, mais qu’est-ce que l’intelligence ? Binet avait
répondu par cette boutade : « L’intelligence, c’est ce que
mesurent mes tests ! »
Cette réponse n’était d’ailleurs pas une simple pirouette. Nous
avons tous une idée intuitive de l’intelligence, mais nous serions
assez en peine de la définir avec précision. « Faculté
d’adaptation aux situations nouvelles » est une formule souvent
utilisée. Elle a le mérite de pointer un trait effectif : par
opposition à l’instinct, réplique rigide, répétitive d’un
comportement génétiquement programmé, l’intelligence se
caractérise par sa souplesse, qui est une qualité inhérente aux
êtres vivants les plus évolués. Alorsque l’in stinct est
mécanique,l’intelligence est dynamique: on songe à
l’ingéniosité de Robinson Crusoé, contraint pour survivre dans
l’île déserte où il a échoué de repasser en quelques mois par
toutes les grandes étapes de la civilisation humaine (élevage,
agriculture, chasse, tissage, etc.). On notera par ailleurs qu’à la
différence de l’instinct, qui est propre à une espèce,
l’intelligence est si fortement individualisée qu’on pourra la dire
« personnelle ».
L’adaptation et la bêtise
Aussi clair soit-il, le critère de l’adaptation ne suffit pourtant pas
à définir l’intelligence : il convient de lui ajouter celui
d’invention. L’adaptation, en effet – dont il ne s’agit
évidemment pas de contester la nécessité pour les êtres
vivants –, a l’inconvénient de laisser de côté la créativité. C’est
la raison pour laquelle de bonnes réponses données aux tests
logiques, par exemple, ne sauraient être des critères absolument
fiables d’intelligence. L’habitude peut donner d’excellents
résultats (il existe des méthodes d’entraînement aux tests…). Or,
l’habitude n’est pas inventive.
Si la bêtise est l’opposé de l’intelligence, c’est qu’elle semble
représenter une retombée du côté de l’instinct. Faire une bêtise,
c’est manquer de sens d’adaptation ; dire une bêtise, c’est ou
bien se tromper ou bien répéter mécaniquement une leçon
apprise. On ne dit pas « con comme la Lune » à cause de sa
forme mais parce que la Lune présente toujours le même côté.
L’intelligence , à l’inverse, a des capacit és virtuelleme nt
infinies.

L’intelligence artificielle est-elle


intelligente ?
L’intelligence artificielle est l’un des domaines de recherche les
plus actifs de la technologie moderne. Mais on peut se demander
si l’utilisation du terme « intelligence » n’est pas ici seulement
métaphorique. L’adjectif « intelligent » a été appliqué aux
machines, et l’informatique en a étendu l’usage à des maisons ou
à des vêtements (pour désigner ceux qui sont susceptibles de
s’adapter aux variations de température – on retrouve ici l’idée
d’adaptation). Mais le réflexe n’est pas la réflexion :
l’intelligence est autre chose qu’une réponse mécanique et
programmée.
La création de machines intelligentes ne peut que troubler
profondément l’idée que nous autres hommes nous faisons de
nous-mêmes. Dès lors qu’un ordinateur est capable de battre le
champion du monde d’échecs, alors que ce jeu est unanimement
considéré comme un symbole d’intelligence géniale, on peut se
demander si, pendant des milliers d’années, les philosophes
n’ont pas été imprudents lorsqu’ils ont fait de l’intelligence le
critère d’humanité par excellence.

Intelligence
L’essentiel en 5 secondes

✓ La faculté d'adaptation ne suffit pas à définir l'intelligence. Il faut ajouter


l'inventivité.

✓ Il est habituel d'opposer l'intelligence à l'instinct

✓ L'intelligence n'est pas réductible au calcul


23
Laïcité
L’origine et le sens de la notion
L’idée de laïcité est liée en France à la loi de séparation des
Églises et de l’État (1905), qui assure l’autonomie des sphères
religieuse et politique. Valeur républicaine par excellence – au
point que certains considèrent qu’il ne saurait y avoir de
véritable république sans laïcité –, la laïcité repose sur l’idée que
les croyances religieuses, nécessairement diverses, donc
opposées, dans les États modernes doivent désormais appartenir
à la sphère privée, et que la neutralité de l’État en ma tièr e
religieuse estle seulmoyen de garantir la paixcivile . Un État
laïc est un État neutre en matière religieuse, un État qui renonce
à gouverner les consciences et qui, par conséquent, ne favorise
pas la croyance religieuse aux dépens de l’incroyance, ou
l’inverse, ni une croyance aux dépens d’une autre. Il s’ensuit que
la propagande antireligieuse, comme celle qui fut conduite en
Union soviétique sous Staline, ne peut être le fait d’un État laïc.

Laïcité et démocratie
Seuls les États démocratiques modernes sont laïques.
L’indépendance du politique et du religieux est, en effet, une
idée récente dans l’histoire – on ne la voit guère apparaître qu’au
XVIIe siècle. Dans toutes les sociétés anciennes et traditionnelles,
la religion a un sens social et éventuellement politique (lorsque
la forme « État » existe). Les empereurs et les rois, pour asseoir
le caractère absolu de leur pouvoir, se présentaient volontiers ou
bien comme de nature divine (c’était le cas de l’empereur inca
ou de l’empereur du Japon, censés descendre du dieu Soleil) ou
bien comme inspirés par les dieux (Alexandre, par exemple, se
croyait investi d’une mission divine). Dans ces sociétés, la
religion est l’identité du peuple, la pluralité des religions et, a
fortiori, l’absence de religion sont inimaginables.
L’idée de laïcité est issue des guerres de Religion qui, aux XVIe
et XVIIe siècles, ont secoué la quasi-totalité de l’Europe. À la
différence des hérésies qui avaient ébranlé le dogme catholique
au Moyen Âge, pour la première fois un courant dissident (la
Réforme) s’est installé et a gagné des régions entières. Dans les
pays qui, comme la France, sont restés majoritairement
catholiques, une forte minorité protestante a subsisté.
L’idéal de laïcité est un idéal de libertéetde tolé rance en
même temps qu’un idéalde paix. Puisqu’un État ne peut sans
tyrannie ni violence imposer une religion unique, puisque la
croyance est une affaire personnelle et non pas collective, il
convient d’écarter définitivement le politique du religieux et le
religieux du politique. Le chef de l’État ne doit plus avoir de
pouvoir religieux, les autorités religieuses ne doivent plus avoir
de pouvoir politique.
Loin d’être une exception française, comme on l’a vite dit et
souvent répété, la laïcité est devenue peu à peu une valeur
universelle et a fini par gagner la plupart des États et des
peuples. Il n’y a guère aujourd’hui que quelques pays
musulmans pour faire dépendre leurs lois exclusivement de la
religion. Et même là où la charia (la loi islamique) est censée
gouverner le pays, nombre d’arrangements ont été prévus. Les
contestations récentes de la laïcité sont des formations
réactionnelles d’individus ou de groupes qui voient la réalité de
l’histoire leur échapper.

Extension du domaine de la laïcité


Le sens originel de la laïcité est la séparation des Églises et de
l’État, de la sphère religieuse et de la sphère politique. Mais
devant l’irruption et les exigences d’un islam socialement visible
se fait jour dans les sociétés européennes une demande nouvelle,
dont l’affaire du voile islamique est le signe : que la religion
n’occupe plus la place publique, qu’elle n’appartienne plus à la
sphère sociale et qu’elle soit exclusivement une affaire privée.
Le débat, toujours en cours, n’est pas près d’être clos : la laïcité
réclame-t-elle nécessairement la séparation du religieux et du
public (et pas seulement du politique), ou bien s’agit-il là d’une
extension abusive de la notion ?

Laïcité
L’essentiel en 5 secondes

✓ La laïcité signifie la neutralité de l'État vis-à-vis des attitudes religieuses, et donc


l'indépendance du politique vis-à-vis du religieux

✓ C'est un principe républicain historiquement récent mais qui a fini par gagner un
grand nombre de pays

✓ La laïcité est anticléricale, mais pas antireligieuse


24
Liberté
Une valeur d’aujourd’hui
L’être humain a presque toujours eu le sentiment qu’il vivait
sous le contrôle ou la menace de forces qui le dépassent. De fait,
dans une société où la technique est encore faible et la libre
critique impensable, les hommes sont persuadés qu’un Destin les
gouverne en toutes choses.
D’une part, les progrès de la technique, qui transforment les
hommes, pour reprendre l’expression célèbre de Descartes, en
« maîtres et possesseurs de la nature », et d’autre part l’avancée
et le triomphe de la démocratie comme le meilleur régime
politique et social possible ont fait de la liberté non seulement
une valeur dominante dans le monde d’aujourd’hui, mais aussi
une réalité objective et vécue.

Idée abstraite ou réalité concrète ?


D’un autre côté, l’apparition et l’expansion de sciences
nouvelles – les sciences humaines en particulier – ont pu ranger,
aux yeux de certains chercheurs, la notion de liberté parmi ces
idées vides dont il conviendrait, pour une connaissance qui se
voudrait positive, de se débarrasser. Il est clair que pour aucun
historien, pour aucun sociologue, pour aucun psychologue la
liberté ne peut jouer le rôle de cause explicative d’un
phénomène quelconque. Dire que César a conquis la Gaule
parce qu’il était libre de le faire revient à dire qu’il pleut parce
qu’il plaît à Dieu qu’il pleuve : c’est ne rien expliquer du tout.
On peut très bien considérer la liberté
métaphysique,
c’est-à-
dire celle quin’est pas définieen termespolitiques
, comme
une illusion.
Le déterminisme semble ruiner la liberté
Le principe du déterminisme stipule que tout ce qui existe a des
causes et que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Le
déterminisme n’est pas le fatalism e. Certes, les deux ont en
commun de rejeter la liberté comme une illusion, mais, alors que
le fatalisme appartient au domaine des croyances (le Destin est
une croyance, pas un fait), le déterminisme appartient à celui des
savoirs scientifiques. Il repose sur l’idée de nécessité causale :
tout ce qui existe a une cause, et à telle cause, tel effet – les
mêmes causes produisent les mêmes effets.
T roistypes de déterminisme peuvent pesersurl’êtr e humain
et conditionner ses actes et ses comportements : le déterminisme
biologique (l’état du corps, avec sa fragilité, ses besoins et sa
finitude qui dévale vers la mort), le déterminisme
psychologique (le passé, le vécu, le caractère) et le
déterminisme social(les coutumes, les mœurs et les lois). Que
reste-t-il pour une hypothétique liberté une fois qu’on a fait le
tour de ces causes pour expliquer un comportement, un discours
ou une action ? De même que Laplace (qui croyait au
déterminisme absolu) n’a pas eu besoin de l’hypothèse « Dieu »
pour expliquer l’ordre du monde (les lois de la mécanique
céleste suffisant), de même nous n’avons pas besoin de
l’hypothèse « liberté » pour expliquer l’ordre des existences.
Les choses essentielles de notre vie ne sont pas choisies : la
santé, le travail, les rencontres amoureuses – c’est précisément la
trilogie des horoscopes. Nous n’avons pas non plus le choix de
nos précipices : chacun tombe où il peut. Nous n’avons opté ni
pour notre milieu social ni pour l’apparence générale de notre
corps. Nous ne choisissons pas non plus notre caractère : aucun
timide n’a voulu l’être.
Être libre, est-ce faire ce qui nous plaît ?
Ce que l’on veut ?
La pire façon de définir la liberté est de dire qu’elle consiste à
agir comme il nous plaît. Platon avait déjà remarqué que le tyran
n’est pas libre lorsqu’il exile, emprisonne et tue celui à qui il lui
plaît de faire du mal, car il est alors l’esclave de ses propres
passions. Les conduites addictives, comme celles qui sont liées à
la drogue, montrent assez ce que le plaisir mécanique peut avoir
d’antinomique avec la liberté. Non seulement la liberté n’est pas
de faire ce qui nous plaît, mais elle réside plutôt dans le fait
d’accomplir justement ce qui ne nous plaît pas.
La liberté n’est pas non plusla spontanéité. S’il suffisait à
une action d’être spontanée pour qu’elle soit libre, alors rien ne
serait plus libre qu’un coup de tête.
La définition de la liberté comme « faire ce que l’on veut » est
apparemment meilleure. Certes, la volonté, à la différence de
l’envie, est rationnelle et réaliste : on peut désirer l’impossible,
on ne peut pas le vouloir. Pourtant, cette définition n’est pas
satisfaisante. D’abord, elle tombe dans un cercle : la volonté
n’est guère compréhensible sans la liberté, au point que l’on peut
se demander si elle n’est pas un autre mot pour dire la même
chose. La difficulté serait donc nommée au lieu d’être résolue.
Ensuite, il n’est pas vrai que la volonté et la liberté coïncident
toujours. Enfin, la force des habitudes sociales est telle que la
sujétion peut être réellement vécue comme une liberté, si bien
que l’on aboutit à ce paradoxe que c’est la suppression d’une
contrainte qui du coup serait ressentie comme une contrainte.
Exemple : le crédit. C’est une facilité de paiement, un avantage
indiscutable mais qui place des millions de gens dans un état de
dépendance financière. Il n’en reste pas moins que son
interdiction serait dénoncée et vécue comme la suppression
d’une liberté. Ainsi nous apparaîtraient les villes sans publicité,
les soirées sans télévision et les supermarchés sans musique.

Le libre arbitre
On appelle libre arbitre le pouvoir qu’aurait l’homme de se
décider, même contre les facteurs qui lui feraient préférer une
solution aux dépens d’une autre. Tout penche en faveur de A (un
avantage en termes de plaisir, de pouvoir, de facilité, etc.), et
pourtant l’homme a la capacité de choisir B. Le libre arbitre
déjoue les prévisions : on croit qu’untel répondra « oui », et il
dira « non » ; on imagine qu’il fera ceci, et il fera cela… Hegel
(1770-1831) disait que les circonstances et les mobiles n’ont
jamais sur l’homme que le pouvoir qu’il veut bien leur accorder.

G.W.F. Hegel (1770-1831) est un philosophe encyclopédiste qui a


englobé la totalité du réel et de la pensée en un système logiquement
articulé. Son influence sur Marx fut décisive.

La puissance d’agir
La liberté comme possibilité ou comme simple droit est une
abstraction. Positivement, la liberté est puissance d’agir –
puissance et non pas simple possibilité. La possibilité est
abstraite, la puissance, quant à elle, est concrète : elle englobe
les conditions avec l’objectif à atteindre.
Pour que le pouvoir-faire soit une puissance et non une simple
possibilité, il convient tout d’abord d’assurer aux hommes sur le
plan psychique une éducation solide, sur le plan intellectuel une
instruction minimale (faute de quoi la liberté de penser n’est
qu’un mot creux) et, sur le plan matériel, un revenu minimal,
faute de quoi la liberté d’agir n’est qu’un vain mot. « Libre de
quoi ? Demande-toi plutôt : libre pour quoi ? » disait Nietzsche.
Liberté

L’essentiel en 5 secondes

✓ La liberté possède une dimension métaphysique, qu'on peut contester, et une


dimension politique incontestable

✓ Le principe du déterminisme, implicitement admis dans les sciences, semble


rendre impossible la liberté

✓ Mais il est toujours possible à l'être humain de dire « non » aux conditions qui
l'entraînent
25
Machine
Machine et outil
La machine est l’unité de base des techniques modernes. Elle a
pour fonction d’opérer des travaux que les organismes (animaux
ou humains) seraient incapables d’effectuer, ou alors beaucoup
plus lentement, beaucoup moins bien.
Un outil, qui est comme la machine un artefact, c’est-à-dire une
fabrication humaine, est directement actionné par une partie du
corps. Un marteau, une bêche, une scie sont des outils.
Une machine est plus complexe : elle est faite de différentes
pièces qui sont ses rouages, et surtout elle tire son énergie non
de la force mécanique d’un corps mais d’éléments extérieurs –
un moulin à vent et une éolienne sont des machines, ils tirent
leur énergie du vent qui souffle ; une centrale nucléaire est une
machine, elle tire son énergie de la désintégration atomique, etc.

La machine est le propre de l’homme


Les animaux, du moins certains animaux, sont capables
d’utiliser et même de fabriquer des outils. Ainsi, un singe qui ôte
les feuilles d’une brindille pour introduire celle-ci dans un trou
d’arbre, ce qui lui permettra d’en extraire des insectes, se sert
d’un outil.
En revanche, jamais on n’a vu des animaux fabriquer des
machines. Il y a loin, en effet, du barrage du castor – qui est
plutôt un outil destiné à capturer des poissons – au barrage
hydroélectrique servant à produire de l’électricité.

Conception mécanique versus


conception organiciste
Depuis le XVIIe siècle, un débat s’est élevé entre les savants pour
savoir si l’organisme vivant est analogue à une machine ou bien
s’il possède un principe de vie irréductible aux lois de la
mécanique. La théorie de l’animal-machinedéveloppéepar
Descartes(1596-1650) assimile l’animal à un automate
simplement plus complexe que les automates fabriqués par les
hommes.
Descartes fait une exception pour l’homme lui-même, qui n’est
pas une machine, car il est doté d’une âme. Mais les
matérialistes qui rejettent l’idée d’âme immatérielle, de nature
métaphysique, n’éprouveront aucune difficulté à assimiler
l’homme lui-même à une machine.

L’intelligence artificielle et la robotique


La conception mécaniciste l’a emporté sur la conception
organiciste, même s’il subsiste des spécialistes pour refuser
l’identification du fonctionnement du corps vivant à une
machine, et l’identification du travail du cerveau à celui d’un
ordinateur.
Le paradigme mécaniciste est devenu à ce point dominant dans
le monde moderne que tout est fait pour combler le fossé
apparent qui sépare un corps vivant d’une machine. Cela peut
être réalisé de deux manières : soit en artificialisant le corps, ce
qui tend à en faire une machine (les prothèses chirurgicales vont
déjà dans ce sens), soit en donnant à la machine une apparence
d’organisme (on a fabriqué des robots qui ont un aspect humain,
capables d’effectuer un certain nombre de tâches considérées
jusqu’alors comme proprement humaines, comme jouer aux
échecs ou parler).

Le test de Turing
Alan Turing (1912-1954) est un mathématicien anglais. Il est
considéré comme l’un des pères de l’informatique. Le test qui
porte son nom est une expérience de pensée mettant en scène
deux sujets d’expérience et un programme de conversation. L’un
des deux sujets, qui sert d’examinateur, est isolé dans une pièce.
Il pose des questions diverses par téléscripteur, sans savoir si la
réponse donnée vient de l’autre homme ou de la machine.
Turing postulait que si, dans au moins la moitié des cas,
l’examinateur est incapable de distinguer les réponses humaines
et les réponses mécaniques, alors la machine qui a donné celles-
ci peut être considérée comme intelligente.
Qu’est-ce qu’un être humain aujourd’hui est capable de vivre et
de faire et dont les machines sont encore incapables ?
Démontrer. Alors qu’une machine peut vérifier une hypothèse
sur des milliards de cas, seul l’esprit humain possède la
puissance de totalité et d’universel. Démontrer, cela signifie que
l’hypothèse est vraie pour tous les cas.
Nier. Seul l’esprit humain est capable de négation logique
(imaginer, c’est déjà nier le réel) et de négation pratique (comme
se révolter).
Éprouver des émotions. Être capable d’empathie, et par voie de
conséquence, avoir un sens moral et pouvoir agir moralement.
Avoir une conscience. Un ordinateur ne sait pas que ses
opérations sont justes.
Bien entendu, la question reste ouverte de savoir si ces capacités
humaines sont des privilèges définitifs ou bien si les machines
seront un jour en mesure de les imiter.
Machine
L’essentiel en 5 secondes

✓ À la différence d'un outil manié par le corps directement, la machine fonctionne


grâce à des sources d'énergie non organiques

✓ Le mécanicisme, qui assimile l'organisme vivant à une machine, est une


conception dominante aujourd'hui

✓ Le test de Turing prévoit qu'une machine pourra réaliser les mêmes performances
qu'un cerveau humain
26
Métaphysique
Une origine presque aléatoire
Trois siècles après Aristote (384-322 av. J.-C.), un certain
Andronicos de Rhodes entreprit de classer les livres d’Aristote
dans la bibliothèque dont il avait la charge. Ne trouvant pas de
nom pour donner un titre aux livres traitant de la substance et de
l’accident, de l’origine des choses, de l’être en tant qu’être et
d’autres questions abstraites, il choisit de les appeler par une
expression : méta ta phusika, ce qui signifie en grec « après les
choses physiques ». Ces livres ont donc été placés après ceux
qui traitaient des questions physiques.
Or, il se trouve qu’en grec le préfixe meta signifie également
« au-delà », et que c’est ce sens qui a été conservé pour définir la
métaphysique. La métaphysique est une discipline qui fait partie
de la philosophie et qui traite des réalités qui sont au-delà des
choses naturelles, qui traite des « genres suprêmes », comme
l’Être, la Vérité, le Bien. Kant (1724-1804) la définit comme la
discipline quicherche à se constituer en sciencedes objets
quidépassent notr e expérienc e. Dieu ou l’âme, par exemple,
sont des objets métaphysiques.

De la science suprême à la science


déchue
Depuis Aristote (lequel parlait de « philosophie première »), la
métaphysique a été considérée comme la science par excellence
parce qu’elle traite des réalités les plus hautes, des genres
suprêmes que le Moyen Âge appellera les « transcendantaux ».
L’âge classique divisera la métaphysique en métaphysique
générale, science de l’être en tant qu’être, et en métaphysique
spéciale, science d’un secteur particulier de l’être. Les trois
domaines de la métaphysique spéciale sont Dieu (objet de la
théologie), l’âme (objet de la psychologie) et le monde (objet de
la cosmologie).
Kant écrit la Critique de la raison pure pour ruiner les
prétentions scientifiques de la métaphysique. Selon lui, la
métaphysique est une pensée qui a une utilité pour la morale,
mais qui ne saurait constituer une connaissance objective dans la
mesure précisément où ses objets échappent à toute expérience
possible. On ne peut rien prouver en ce domaine, et c’est
pourquoi les penseurs les plus critiques auront tendance à
considérer les controverses des métaphysiciens comme des
batailles de chiffonniers.

Le positivisme et le scientisme
Pour Auguste Comte la métaphysique est l’expression d’un
moment dépassé dans l’histoire du développement de l’esprit
humain. Certes, par ses constructions rationnelles, l’âge
métaphysique représente un progrès par rapport à l’âge religieux
précédent, qui se contentait de fictions. Mais la science, qui s’en
tient au « comment » des choses sans chercher à connaître le
« pourquoi », doit remplacer la métaphysique comme principe
d’explication du monde. À la différence de la métaphysique, la
science est capable d’énoncer les lois universelles qui expriment
le fonctionnement des mécanismes de la nature.

Auguste Comte (1798-1857) a fondé une philosophie qu’il a appelée


« positivisme ». L’idée centrale est qu’il n’existe de vérité que
scientifique. Ses ouvrages les plus connus sont le Cours de philosophie
positive et le Système de politique positive.

Le scien tismeestune conception radicalisée du positivisme .


Selon lui, seuls les problèmes scientifiques ont un sens, et tous
les problèmes qui peuvent se poser aux sociétés humaines,
comme les problèmes politiques ou les problèmes moraux,
doivent avoir une solution scientifique.

La métaphysique fait de la résistance


Les positivistes et les scientistes du XIXe siècle prévoyaient que
la métaphysique finirait par disparaître sous l’avancée des
progrès scientifiques : avec le paratonnerre, plus personne ne
peut croire que c’est Zeus qui lance la foudre sur nous.
Seulement, les sciences et les techniques sont très loin d’avoir
résolu tous les problèmes des hommes. L’idéologie
technocratique croyait qu’un État pouvait être géré de manière
totalement rationnelle : ce que l’on appelle « gouvernement des
experts » s’inscrit dans l’héritage de cette conception. Or, le
gouvernement des hommes n’est pas assimilable à
l’administration des choses.
Le XXe siècle aura apporté aux espoirs ou aux utopies scientistes
toute une série de désillusions. D’abord, la science ne nous rend
pas forcément le monde plus compréhensible. Ensuite, la
science, qui est le plus puissant discours de vérité, est incapable
de répondre à la question du sens. Sur le sens de la vie, le sens
de la mort, elle est et restera à jamais désespérément muette. La
métaphysique a donc de beaux jours devant elle.

Métaphysique
L’essentiel en 5 secondes

✓ La métaphysique est la partie de la philosophie qui traite d'objets qui


n'appartiennent pas à notre expérience immédiate comme l'âme, l'Être, ou Dieu

✓ Kant a ruiné la prétention de la métaphysique d'être la science suprême

✓ L'affaire propre de la métaphysique est le sens, et c'est pourquoi la métaphysique


a résisté aux progrès des sciences, dont l'affaire propre est la vérité
27
Modernité
Origine de la notion de modernité
À la fin du XVIIIe siècle, Kant (1724-1804) a écrit un article
intitulé « Qu’est-ce que les Lumières ? ». Pour la première fois
dans l’histoire de la pensée, et dans l’histoire tout court, un
philosophe s’interrogeait sur son présent. Aucun philosophe
ancien, ni aucun philosophe médiéval, ni aucun philosophe du
XVIIe siècle ne s’était posé cette question toute simple : qu’est-ce
que ce temps présent que je vis ?
Pour se poser cette question, il faut avoir pris conscience que le
présent est quelque chose d’inédit dans l’histoire, qu’il n’est pas
la répétition de ce qui s’est déjà vu dans le passé. Le XVIIIe siècle
a mis définitivement fin à la conception cyclique de l’histoire et
a vu dans le progrès une loi de celle-ci.
L’idée de modernité est issue de la prisede consciencede la
singularité d’unprésent historique quiouvr e surun avenir
nécessair ement nouveau . Depuis le XVIIIe siècle, la modernité
est la nature même du temps historique vécu par les hommes.

La crise de la modernité
Le terrible XXe siècle, qui a inventé à deux reprises ces deux
horreurs radicales que sont la guerre mondiale et le totalitarisme,
lesquels ont esquissé pour toujours la possibilité d’un
anéantissement total pour l’humanité, a mis l’idée de modernité
en crise, et avec elle toutes les idées qui lui sont liées : celle du
progrès comme loi de l’histoire, celle de l’émancipation
humaine comme fait fatal, celle de la paix comme résultat
nécessaire de l’abondance.
Non seulement les technosciences n’ont pas tenu leurs
promesses, mais elles ont jeté leurs ombres sur l’histoire et sur le
monde. D’où la méfiance à l’encontre de la raison et de ses
pouvoirs, d’où le doute sur l’idée même de sens de l’histoire.

La postmodernité
Des philosophes comme Jean-François Lyotard (1924-1998) ont
pris acte de la fin de la modernité et annoncé une « condition
postmoderne ». D’autres philosophes, comme Jürgen Habermas
(né en 1929), ont développé la théorie selon laquelle le projet
des Lumières est toujours d’actualité.
Certains auteurs ont parlé d’« anti-Lumières » pour désigner
l’ensemble des courants hostiles aux idéaux progressistes du
XVIIIe siècle (la rationalité technoscientifique, les libertés
individuelles, le bonheur comme valeur suprême, etc.). Le
monde arabo-musulman est particulièrement touché par cette
vague réactionnelle et réactionnaire. C’est au XVIIIe siècle, à
l’époque des Lumières, qu’apparaît le wahhabisme, qui constitue
aujourd’hui l’idéologie officielle de l’Arabie Saoudite. C’est
dans les années 1920 que se constitue le salafisme, autre courant
réactionnel et réactionnaire de l’islam. Dans les pays arabo-
musulmans, en effet, la modernité a été perçue comme une
importation étrangère, associée, qui plus est, au colonialisme.
À l’exception de ces courants, qui resteront sans doute
minoritaires, même avec un pouvoir de nuisance mondialisé, les
idéaux et valeurs de la modernité l’ont emporté un peu partout
dans le monde.
Modernité
L’essentiel en 5 secondes

✓ L'idée de modernité, inconnue des sociétés traditionnelles, n'apparaît qu'au XVIIIe


siècle

✓ Les horreurs du XXe siècle ont ébranlé l'optimisme issu des Lumières et la foi au
Progrès

✓ La postmodernité voudrait dire que les idéaux des Lumières sont dépassés
28
Mondialisation
Globalisation et mondialisation
Le mot anglais globalization peut être traduit de deux manières
en français. On peut réserver le terme de « globalisation » aux
mécanismes financiers (aujourd’hui, les Bourses du monde
entier sont interconnectées), tandis que le terme de
« mondialisation », beaucoup plus vaste en extension, englobera
l’ensemble des pr ocessus cultur els tendant à unifier le monde
et les sociétés humaines.
La mondialisation est un effet du capitalisme. Le système
capitaliste, apparu avec les premières banques modernes, à la fin
du Moyen Âge, a vocation mondiale. À la différence des
systèmes économiques antérieurs, il ne se contente pas de
perpétuer un fonctionnement efficace destiné à transférer la
richesse produite à un petit nombre de maîtres. Il est pris dans
une dynamique sans fin, aidé en cela par les découvertes de la
science et les inventions de la technique. C’est la synergie de la
connaissance scientifique, de la puissance technique et de
l’exploitation économique (exploitation du travail humain et du
milieu naturel) qui a donné au capitalisme sa formidable
capacité à conquérir le monde entier. Marx (1818-1883) fut le
premier philosophe à avoir compris cette vocation mondiale du
capitalisme : tous les pays sont mis en concurrence, toutes les
marchandises sillonnent toutes les mers du globe. Ce à quoi nous
assistons depuis un demi-siècle, c’est à une formidable
accélération du processus enclenché par Christophe Colomb et
l’apparition du capitalisme.

Le caractère contradictoire de la
mondialisation
La mondialisation aboutit contradictoirement à une unification et
à un déchirement du monde. Unification : désormais les
machines et les produits, les villes et les architectures sont les
mêmes d’un bout à l’autre de la planète. Mais le monde de la
mondialisation est également un monde parcouru par des forces
de dislocation : angoissés à l’idée de perdre leur identité dans ce
chaos du monde, bien des individus se raccrochent à une
communauté fantasmée. Une nouvelle violence extrême est
apparue avec l’hyperterrorisme, produit de la mondialisation de
par son mode d’action, mais réaction extrême face à la
mondialisation identifiée à une occidentalisation, voire à une
américanisation.
L’une des sources du mal actuel, à l’échelle du monde, est le
contraste qui peut exister entre d’une part une mondialisation
économique et technique en pleine expansion, et d’autre part le
maintien des particularismes d’Étatqui empêchent la
traduction en termes politiques de cette mondialisation. C’est
sans doute l’un des grands défis du XXIe siècle que celui d’une
mondialisation achevée et non seulement réduite aux puissances
aveugles du marché.

Mondialisme et cosmopolitisme
La mondialisation affaiblit et détruit même la souveraineté des
États dans certains cas. La technoéconomie leur dicte désormais
en grande partie ses règles et affaiblit d’autant le pouvoir de la
loi.
D’où l’idée que le monde s’achemine vers une unification
politique – dont l’Organisation des Nations unies serait
l’esquisse.
Dans quelle mesure peut-on être citoyen du monde ?
« Cosmopolite » signifie « citoyen du monde », « citoyenneté du
monde ». Mais il n’y a pas de citoyens sans cité. Le monde peut-
il être une cité ? Même si certains philosophes anciens, comme
les cyniques et les stoïciens, se posaient déjà cette question, le
débat ne fait que commencer aujourd’hui.

Antimondialistes et altermondialistes
Les opposants à la mondialisation libérale, peu soucieuse de
justice sociale et destructrice de l’environnement, ont d’abord
été appelés « antimondialistes », alors qu’eux-mêmes plaidaient
pour une solidarité réelle entre les peuples et une globalisation
des solutions à apporter aux colossaux défis d’aujourd’hui.
La substitution du terme d’« altermondialiste » au terme
d’« antimondialiste » a représenté une victoire symbolique.
Comment ceux qui usent de tribunes internationales et de
moyens techniques mondiaux (Internet) pour faire entendre leurs
protestations pourraient-ils être appelés à bon droit
« antimondialistes » ? Même l’antimondialisme des terroristes
d’Al-Qaida n’existerait pas sans les réseaux financiers et
informationnels qui caractérisent l’actuel monde de la
mondialisation.

Mondialisation
L’essentiel en 5 secondes

✓ La mondialisation est un effet du capitalisme

✓ La mondialisation unifie le monde, et en même temps, elle le disloque

✓ Alors que l'antimondialisme s'oppose à la mondialisation, l'altermondialisme milite


pour une autre mondialisation
29
Nation
Qu’est-ce qu’une nation ?
Aristote disait que l’homme est un animal social, que seuls les
dieux ou les bêtes farouches peuvent vivre en solitaires. Aussi
loin que l’on remonte dans l’histoire, l’homme a toujours vécu
en collectivités, la seule différence résidant dans la taille de
celles-ci. On parle de familles, de clans, de tribus, de peuplades,
de peuples pour désigner ces collectivités (ici rangées en par
ordre d’importance croissante).
Le peuple ou l’ethnie semble constituer le collectif le plus large.
Il se caractérise par son unité culturelle (un territoire commun,
une langue, un système de mythes et de rites, des manières
particulières de vivre et de travailler, etc.). Le terme et le
conceptde « nation» apparaissent tarddans l’histoir e – à la
fin du Moyen Âge et au début des temps modernes (XVIe-XVIIe
siècle), au moment (la précision est capitale) de la constitution
de l’État moderne. On ne parle pas de la « nation grecque » mais
du « peuple grec » : les Grecs, en effet, étaient dispersés entre un
grand nombre d’entités politiques. L’unité culturelle ne suffit
donc pas à faire une nation – encore faut-il une unité politique.
Les Français du temps de Louis XIV constituaient-ils une
nation ? La plupart d’entre eux à l’époque ne parlaient même pas
le français ! Il faut donc avancer encore plus loin dans l’histoire,
jusqu’à la Révolution, moment où, en effet, pour la première
fois, la nation est pensée comme telle. C’est aux cris de « Vive la
Nation ! » que la bataille de Valmy a été remportée
le 20 septembre 1792. Goethe, qui était de l’autre côté, a tout de
suite pris la mesure de l’événement. « Une nouvelle page de
l’histoire vient de se tourner, dira-t-il, et vous, les témoins, vous
pourrez dire : j’y étais ! »
Nation et nationalisme
L’idée de nation ainsi que l’idéologie nationaliste vont triompher
au XIXe siècle. Contre les anciens grands empires (l’Autriche-
Hongrie, l’Empire ottoman), le « principe des nationalités »,
comme on disait alors, est apparu comme libérateur : ainsi, dans
la lutte contre le despotisme se forgeront la nation grecque, la
nation italienne, la nation allemande et la nation serbe, etc. Un
siècle plus tard, avec le grand mouvement de décolonisation qui
émancipera les peuples d’Afrique et d’Asie, la nation apparaîtra
semblablement comme l’idée libératrice par excellence. Le
communisme, qui pourtant se proclamait lui-même
internationaliste, donc au-dessus de la nation, ne l’emportera que
là où il incarnera le nationalisme le plus intransigeant (dans
l’Union soviétique de Staline, la Chine de Mao Tsé-toung, le
Cuba de Fidel Castro).
La natio
n n’estpas seulementun fait, elle estaussi,etmême
d’abord,une valeur
. Au nom de la nation on meurt, on vit, on
tue.
C’est au cours du XIXe siècle que le nationalisme en Europe a
basculé de la gauche à la droite de l’échiquier politique : de
révolutionnaire qu’il était à sa naissance, il a fini par devenir la
plus violente des idéologies réactionnaires, préparant ainsi la
voie à la désastreuse guerre de 1914-1918, produit monstrueux
du nationalisme, puis aux différents fascismes. « Le patriotisme,
c’est l’amour des siens, le nationalisme, c’est la haine des
autres », disait Romain Gary.

Mort et survie des nations


La question de la nation est l’une de celles qui manifestent le
mieux le caractère contradictoire de la mondialisation : d’un
côté, la nation est un principe et un fait entièrement dépassés par
le déplacement de plus en plus rapide et important des hommes,
des marchandises et des capitaux. Les États doivent renoncer à
des pans entiers de leur souveraineté au profit de ces structures
supranationales – ainsi, la France et l’Allemagne n’ont plus de
monnaie propre. De plus en plus souvent, les États doivent obéir
à des lois et à des directives internationales.
D’un autre côté, jamais le nationalisme n’a semblé si virulent –
jusqu’aux ravages de la guerre (voir les conflits multiples qui
ont déchiré l’ex-Yougoslavie). L’immensemajoritédes États
du monde ont été de fait multinationaux – l’Islande et le Japon
doivent leur unité ethnique à leur isolement géographique. En
cas de crise grave, ou de misère, l’unité politique se disloque, et
les nations les plus petites à l’échelle de la province
revendiqueront l’autonomie, sinon l’indépendance. Ce processus
de renationalisation ou de nationalisation, qui ne va pas sans
artifices (pour les besoins de la télévision bretonne, on a dû
inventer des centaines de mots pseudo-bretons), n’est pas tant le
contraire de la mondialisation que son envers : lorsqu’ils se
sentent perdus dans des ensembles trop vastes pour eux, les
hommes par réaction ont tendance à se raccrocher à des identités
connues. Ainsi, il n’est pas du tout sûr que la mondialisation
aboutisse à la disparition de cette valeur – dont on a vu le
caractère historique récent.

Nation
L’essentiel en 5 secondes

✓ Une nation est une réalité à la fois ethnique, culturelle et politique

✓ Le nationalisme est une idéologie tantôt conservatrice, voire réactionnaire, tantôt


progressiste

✓ La mondialisation tantôt affaiblit la nation, tantôt lui redonne vie par réaction
30
Nihilisme
Origine de la notion
C’est dans un roman de Tourgueniev publié dans les
années 1860 qu’apparaît en russe le terme de « nihilisme ». Il
désignait un courant révolutionnaire ou anarchiste
particulièrement violent, qui voulait détruire l’ensemble de la
société pour la reconstruire sur des bases entièrement nouvelles.
Un projet exprimé dans un vers de L’Internationale : « Du passé
faisons table rase ! »
Dans l’usage commun du mot en français, qui retrouve son
étymologie (nihil signifie « rien » en latin), le nihiliste est celui
qui, ne croyant à rien, veut tout détruire.
Nietzsche, qui en a été le principal théoricien, a donné un sens
philosophique plus complexe à ce terme de « nihilisme ».

L’effondrement des valeurs


Dostoïevski fait dire à l’un de ses personnages : « Si Dieu
n’existe pas, tout est permis. » Nietzsche, qui avait beaucoup lu
le romancier russe et s’était reconnu dans nombre de ses idées,
édifie une théorie du nihilisme à partir de son concept de
« volonté de puissance ».

Friedrich Nietzsche (1844-1900) a produit en vingt ans une œuvre


considérable. Frappé de « folie », il vécut les dix dernières années de
sa vie sans écrire une seule ligne. Œuvres principales : Ainsi parlait
Zarathoustra, La Généalogie de la morale.

La volonté de puissance, selon Nietzsche, est la nature et la loi


universelle de la vie : toute vie tend vers une augmentation de
puissance. Or, chez l’être humain, la volonté de puissance peut
s’anémier, devenir négative, lorsqu’elle n’est plus capable que
de réagir, au lieu d’agir. Le nihilismeest le symptôme, au sens
médical du terme, de l’eff ondrement de la volontéde
puissance . Le désir de vengeance et le ressentiment le
caractérisent.

La rage de la destruction
Le concept nietzschéen et l’usage commun peuvent s’articuler
de la manière suivante : lorsque l’individu est trop faible pour
vouloir quelque chose, créer quelque chose, il peut encore
camoufler son impuissance par sa rage destructrice. Ainsi, les
islamistes, ne pouvant créer une culture nouvelle ni changer le
cours d’une modernité qu’ils détestent, sont conduits à semer la
dévastation un peu partout dans un monde dans lequel ils ne
peuvent pas se reconnaître.

Nihilisme
L’essentiel en 5 secondes

✓ Apparu au XIXe siècle en Russie, le nihilisme a d'abord été une forme violente
d'anarchisme

✓ Nietzsche a donné à ce mot un autre sens : celui de l'effondrement des valeurs


anciennes, sans qu'elles soient remplacées par des nouvelles

✓ Pour Nietzsche, le nihilisme est le symptôme d'un affaiblissement de la volonté de


puissance
31
Normalité
Une notion équivoque
L’idée de norme est prise dans une équivoque radicale. D’un
côté, elle renvoie à un idéal à atteindre fixé par une règle – c’est
l’usage que la technique fait du terme : une installation
électrique ancienne peut être dite « non conforme aux normes ».
D’un autre côté, la norme renvoie à une moyenne statistique, au
cas moyen, à la banalité (aux antipodes donc de la perfection) :
ainsi parlera-t-on de « taille normale » ou de « poids normal »,
d’« intelligence normale », etc.

Anormalité et anomalie
Le philosophe des sciences Georges Canguilhem (1904-1995)
établissait une distinction capitaleentr e l’anormalité et
l’anomalie . L’anormalité ruine la possibilité de vie ou de survie
d’un organisme ; elle représente pour lui un handicap grave et
souvent le conduit à une mort précoce : ainsi dira-t-on que la
trisomie 21 est « anormale ». L’anomalie, quant à elle, n’est pas
destruction de la norme mais déviation par rapport à la norme,
et, si elle gêne l’organisme, elle ne le condamne pas. Ainsi, la
polydactylie (un sixième doigt, surnuméraire) est une anomalie,
comme la différence de couleur entre les deux yeux.
L’une des tendances actuelles inquiétantes, renforcée par les
biotechnologies modernes, tient à la confusion entre l’anomalie
et l’anormalité : à partir du moment où l’être humain a la
possibilité de choisir entre un grand nombre d’embryons, donc
entre un grand nombre de possibilités génétiques, il sera
fatalement amené à prendre « le meilleur » et à écarter celui qui
présente la moindre anomalie, voire le moindre risque
d’anomalie. Or, les espèces vivantes doivent une bonne part de
leurs forces, et donc de leur capacité de survie, à des mutations
génétiques qui, par définition, ont été des anomalies : les
individus qui, bien qu’infectés par le virus du sida, n’ont jamais
développé la maladie sont « anormaux », et semblable cas n’est
pas si rare qu’on le croirait. Certaines anomalies représentent de
réels avantages sélectifs pour les organismes qui en sont
porteurs. C’est pourquoi un eugénisme pratiqué sur une grande
échelle, au nom de normes fixées à l’avance, risquerait d’être –
outre son caractère antiéthique – terriblement contre-productif.

Normalité

L’essentiel en 5 secondes

✓ La norme correspond tantôt à un cas idéal, tantôt à une moyenne statistique

✓ Il faut différencier l'anormalité qui ruine la norme et l'anomalie qui en dévie

✓ Les biotechnologies tendent à identifier l'anomalie à l'anormalité


32
Opinion
La doxa
Depuis Platon, l’opinion (qui se dit doxa en grec) a été opposée
au savoir et à la philosophie. L’opinion est subjective, relative,
mensongère et trompeuse. Elle se fie aux apparences et tombe
dans l’illusion en les prenant pour la réalité même, elle confond
l’image et la chose, elle prend le masque pour le visage,
l’accoutrement pour le vêtement. Elle ne va jamais droit : elle
flotte, quand elle ne coule pas. Le philosophe est son ennemi :
penser, c’est agir contre l’opinion.
Il y a dans cette théorie un mépris de départ pour les pensées
communes, donc pour le peuple, donc pour la démocratie. De
fait, Platon était un farouche adversaire de la démocratie. C’est
lui qui donne aux sophistes (dont le nom en grec est valorisant,
puisqu’il signifie « sage ») la connotation péjorative qui leur est
restée deux mille cinq cents ans plus tard : les sophistes étaient
politiquement des démocrates.

L’opinion publique
L’opinion publique est chose récente ; elle est contemporaine de
la démocratie et de l’économie de marché, lesquelles lui ont
donné titre de noblesse en même temps qu’existence. Ainsi, la
philosophie s’est trouvée en porte-à-faux par rapport à elle :
depuis Platon, l’opinion était opposée à la pensée et à la vérité ;
or, l’idée d’opinion publique est inséparable d’une raison
populaire. En outre, le postulat de base du système capitaliste est
que le comportement du consommateur est rationnel lui aussi :
la consommation économique et l’élection politique donnent à
l’opinion raison.
La démocratie est un idéal politique qui repose sur l’idée qu’en
matière d’organisation de la vie collective nul autre que le
peuple ne peut savoir ce qui lui convient le mieux.
Implicitement, cela signifie que la gestion des affaires publiques
n’a pas la rigueur d’une science vraie ou d’une technique
toujours performante : on est dans le domaine du probable et de
l’incertain, pas dans celui de la vérité.
Si la critique de Platon nous apparaît toujours valide sur le plan
scientifique (la connaissance objective et la preuve excluent en
effet l’opinion, même collective), elle ne nous apparaît en
revanche plus acceptable en ce qui concerne le domaine
pratique. Pourtant, les démocraties contemporaines sont de plus
en plus des technocraties : le personnel politique est
professionnalisé, et les experts jouent le rôle le plus important
dans les prises de décision. L’opinion n’a plus guère d’influence
que par le biais des sondages, qui dialectiquement la forment en
même temps qu’ils nous informent sur elle. L’opinion publique,
en effet, n’est pas une donnée naturelle, absolue, qu’il suffirait
d’observer comme on le ferait d’une éclipse de Lune : elle est un
phénomène éminemment variable, capable de s’autoentretenir
(bien des personnalités sont populaires d’abord à cause de la
popularité que leur supposent… les sondages d’opinion !). La
« dictature de l’opinion » n’est peut-être qu’un mythe entretenu
par ceux qui détiennent le réel pouvoir, pour donner à penser que
les démocraties sont le gouvernement du peuple. Les sondages
d’opinion font aussi l’opinion.

« Subjectif » ne veut pas dire


« personnel »
Ce n’est pas parce qu’elles sont subjectives que les opinions sont
personnelles. Rien de plus impersonnel en effet qu’une opinion
partagée par des millions d’hommes. L’illusion est usuelle
cependant, puisque personne ne se considère spontanément sous
l’angle statistique. Chacun croit que le lieu commun qu’il
colporte, que la rumeur qu’il propage, que le goût qu’il exprime
viennent de lui. L’opinion résonne au lieu de raisonner.

Opinion
L’essentiel en 5 secondes

✓ Depuis Platon, la doxa (l'opinion en grec) est opposée à la pensée rationnelle et à


la connaissance

✓ L'idéal démocratique réhabilite l'opinion comme opinion publique

✓ Ce n'est pas parce que l'opinion est subjective qu'elle est personnelle
33
Philosophie
Qu’est-ce que la philosophie ?
Pour l’opinion publique, un philosophe est un intellectuel qui
intervient dans les débats de société. C’est une conception qui
remonte au siècle des Lumières. Pour Gilles Deleuze (1925-
1995), un philosophe estun créateur de concepts . Entre ces
deux pôles, le philosophe essayiste engagé et le philosophe
artiste, tout un éventail de définitions et de positions est
possible.

Science et philosophie
À la différence de la science, la philosophie ne peut exposer des
connaissances admissibles par tous. On n’y trouve ni lois ni
théorèmes. Pire : dès qu’un philosophe dit quelque chose, on
peut être sûr qu’un autre philosophe se lèvera pour dire le
contraire. Stérilité des débats philosophiques – d’où
l’interminable et insupportable rhétorique qui rend illisibles, aux
yeux du plus grand nombre, la plupart des ouvrages de
philosophie.
Certes, il n’y a pas que la science. Mais la philosophie ne peut
même pas, comme la religion, se prévaloir du sens qu’elle donne
aux choses et à l’existence, puisque, au lieu d’apporter des
réponses définitives aux questions que les hommes se posent, les
réponses qu’elle donne – lorsqu’elle en donne – sont contestées
et de fait contestables.
Alors, si la philosophie n’est pas capable d’apporter des vérités
comme la science ni de fournir un sens comme la religion,
qu’est-ce qu’elle peut bien être et à quoi peut-elle bien servir ?
Le mot et l’idée de « philosophie » sont apparus en Grèce avec
Pythagore, mais ils ont des équivalents en Inde et en Chine.
Dans la tentative de définir la philosophie, on butera aussitôt sur
une difficulté. Premier cas de figure, l’interprétation étroite : la
philosophie est une activité rationnelle critique qui s’exprime
dans des textes caractérisés par une certaine unité conceptuelle.
Dans ce cas, la philosophie ne concerne que quelques
civilisations, celles qui disposent de l’écriture (ce qui implique
l’absence de philosophie orale) et celles qui se sont
suffisamment libérées de l’emprise religieuse pour mener une
activité de pensée rationnelle détachée des mythes et des dogmes
(ce qui pourrait rendre contestable l’appellation de
« philosophes » pour les théologiens du Moyen Âge – car leur
pensée dépendait de la dogmatique chrétienne).
À l’autre bout, l’interprétation laxiste accordera le label de
« philosophie » à toute activité de pensée. Conséquence : la
philosophie est partout, même dans les mythologies, même dans
les conversations de café.

La philosophie n’est ni la science ni


l’opinion
Il est évident qu’entre la conception rigoriste et la conception
large toute une série d’options intermédiaires sont possibles. Il
est plus facile de définir la philosophie par ce qu’elle n’est pas
que par ce qu’elle est, tant sont diverses et variées les manières
de la pratiquer. Même les livres que nous disons « de
philosophie » sont loin de tous se situer sur le même plan : le
traité en bonne et due forme qui expose un système n’est que
l’un de ses modes d’exposition, et pas le plus courant ; il y a
aussi les confessions, les lettres, les cours notés par les élèves,
les dialogues écrits, etc. Quels en sont les points communs nous
permettant d’en parler comme de livres de philosophie ?
Dans tous, on note une libr e recherche critique – ce qui
suppose que les réponses données aux différentes questions par
la tradition religieuse et l’opinion commune ne sont pas
apparues satisfaisantes. La tradition et l’opinion ne demandent
que la croyance, la philosophie cherche la vérité, ou la
connaissance. Par ailleurs, à la différence de la littérature, la
philosophie ne procède pas par récit mais par analyse, et elle
privilégie le concept aux dépens de l’image.
Si la vérité est l’affaire de la science, le sens est celle de la
philosophie. Certes, on ne peut pas démontrer ni prouver qu’un
sens est « le bon », mais on peut l’argumenter. La philosophie
est un travail d’argumentation. C’est le sens qui est l’affaire de
la philosophie, comme il est l’affaire de la religion, mais, à la
différence du sens que délivre la religion, c’est un sens sans
révélation ni mystère.
La religion est centrée sur le ciel, la science est centrée sur le
monde, la philosophieseule estcentréesurl’homme. Un
problème philosophique se reconnaît au lien qu’il peut avoir
avec l’humain. Cela ne signifie pas, bien sûr, que la philosophie
ne s’occupe jamais de l’objet en tant que tel, mais, même
lorsqu’elle traite de « l’objet en soi », c’est encore par rapport au
sujet humain qu’elle en parle.

La mort de la sagesse et la vie de la


philosophie
La sagesse de la philosophie ne s’est jamais relevée du coup que
lui a porté le christianisme. Un Diogène aujourd’hui ou même
un Socrate n’aurait aucune chance d’être pris au sérieux en tant
que philosophe.
Avec le déclin des religions et l’effondrement des grandes
idéologies qui donnaient sens à l’histoire, la philosophie a
connu, ces derniers temps, un regain de popularité. Elle s’invite
au café (les cafés-philo) et occupe volontiers quelques pages des
magazines. Elle est donc loin d’être cantonnée dans les
amphithéâtres des facultés et les bureaux des professeurs.

Socrate (469-399 av. J.-C.) est considéré comme le père de la


philosophie, bien qu’il n’ait rien écrit. Sa vie et sa pensée nous sont
connues grâce aux dialogues rédigés par son disciple Platon.

Philosophie
L’essentiel en 5 secondes

✓ Il existe une multitude de façons d'être philosophe et de définir la philosophie

✓ La philosophie est une libre recherche rationnelle et argumentative du sens des


choses

✓ La philosophie ne peut énoncer des vérités comme la science et, à la différence


de la religion, elle ne s'appuie pas sur une révélation
34
Progrès
Les deux dimensions du progrès
Étymologiquement, le progrès est un « pas en avant ». Il ne
renvoie pas nécessairement à une amélioration : c’est ainsi que
l’on parle encore aujourd’hui du progrès de la maladie et de
celui de l’incendie, pour dire leur extension catastrophique.
Cela dit, appliqué à l’histoire, prise localement ou globalement,
le progrès qui lui donne un sens est toujours positif. Il possède
une dimensionquantitative (un plus par rapport à un moins
antérieur) etune dimensionqualitative (un mieux par rapport à
un moins bien antérieur). Il y a progrès lorsque, dans un domaine
quelconque évoluant dans le temps, l’état qui succède apparaît
comme meilleur ou plus puissant que l’état qui précède ; bref, le
progrès est une évolution positive.

Une idée plutgt qu’un fait


Si l’idée de progrès en histoire a mis longtemps à s’imposer à la
conscience des hommes, c’est que ceux-ci vivaient leur temps
soit comme une reprise du passé, soit comme une décadence par
rapport à une origine mythique idéale. D’un côté, nous avons le
modèle cyclique du temps, calqué sur l’observation de la
nature – le mythe de l’éternel retour en est l’expression
extrême ; d’un autre côté, nous avons le modèle, mythologique
aussi, d’un âge d’or ou d’un paradis d’origine qui à la suite
d’une catastrophe aurait été perdu.
C’est avec l’avancement des sciences que l’idée de progrès s’est
d’abord introduite dans l’esprit de certains philosophes. Dans la
lignée de la Renaissance, qui met fin au Moyen Âge et sonne le
début des temps modernes, des penseurs prennent conscience
que leur époque ne fait pas que retrouver le génie des Anciens
mais qu’elle les dépasse. Pascal (1623-1662) dira, concession de
modestie : certes, nous autres modernes nous sommes des nains
comparés à ces géants que sont les Anciens (il pensait à Euclide,
Archimède…), mais juchés sur leurs épaules nous voyons plus
loin qu’eux. Cette image nous livre l’un des sens contenus dans
la notion de « progrès » : en reprenant l’acquis antérieur, le
progrès permet de pousser les choses plus loin.

Le triomphe de l’idée de progrès


C’est au XVIIIe siècle, dit « siècle des Lumières », que l’idée de
progrès triomphera pour représenter le sens global de l’histoire,
mettant ainsi un terme à la fois au schéma religieux et au
pessimisme de la décadence. Un homme comme Condorcet est
l’incarnation la plus célèbre de cette idéologie qui va marquer
une bonne partie de notre histoire moderne. La globalité du
progrès comme loi universelle de l’histoir
e est attachée à ce
cercle vertueux : le progrès desLumièr esestinséparablement
intellectuel,matériel, moral etpolitique . Si les hommes sont
méchants, donc mal gouvernés (le despotisme), c’est qu’ils sont
malheureux, et s’ils sont malheureux, c’est qu’ils sont ignorants
et misérables. L’abondance matérielle et l’instruction briseront
ces antiques fatalités que sont la famine, la guerre et la tyrannie.
Beau programme, bel idéal – ils ont été ceux du capitalisme
triomphant à partir de la révolution industrielle.
Au XIXe siècle, le philosophe Herbert Spencer (1820-1903)
effectue la jonction entre l’idée biologique d’évolution (dans
laquelle il reconnaît un processus de complexité croissante) et
celle, historique, de progrès. Cette idée de progrès sera la seule
susceptible de fédérer les idéologies ennemies du capitalisme
libéral et du communisme marxiste, en désaccord sur tout sauf
précisément sur ce point.

Développement et croissance
Après Auschwitz et Hiroshima, comment croire encore que le
progrès soit la loi de l’histoire ? De fait, nous parlons
aujourd’hui de croissance plutôt que de « progrès ». L’objectif
est plus modeste : la croissancene renvoiequ’à la sphèr e
économique . Dans le domaine technique, une prudence
analogue semble de mise : l’« innovation », plus neutre, a
remplacé le « progrès ». Ceux qui rappellent que la finalité de
l’existence collective des hommes sur terre n’est pas d’ajouter
des points au PIB militent pour le développement, qui ne serait
pas oublieux de l’humain.
Rares désormais seront ceux qui continuent à voir dans le
progrès le sens de l’histoire. D’abord parce que l’histoire
humaine est si longue, si diverse et si contradictoire que lui
appliquer un seul mot pour lui donner sens revient à la simplifier
à outrance. Il y a desprogrès dans l’histoire, il n’ya pas de
progrès de l’histoire.
Par ailleurs, pour reprendre l’idée de Kant, le progrès n’est pas
une idée explicative, mais une espérance. Elle ne donne pas la
loi de notre passé ; elle peut en revanche constituer l’idéal
dynamique de notre avenir. En d’autres termes, il faut, envers et
contre tout, croire au progrès – malgré les guerres et les actions
terroristes, les injustices et les famines, sans oublier les menaces
qui pèsent sur l’environnement – malgré elles et, pourrait-on
dire, à cause d’elles.
Progrès
L’essentiel en 5 secondes

✓ Le progrès peut être d'ordre quantitatif (l'augmentation) ou qualitatif


(l'amélioration)

✓ D'abord apparue avec le constat de l'avancement des connaissances, l'idée de


progrès a fini par concerner tous les domaines de la culture et de l'histoire
humaines

✓ Les catastrophes historiques du XXe siècle ont ruiné l'idée du progrès comme loi
de l'Histoire universelle. Restent le développement et la croissance.
35
Racisme
Le terrible mot de « race »
« Race » est l’un des mots qui caractérisent le plus les drames de
l’histoire contemporaine. Le racisme réduit l’autre à une nature
immuable : le Juif, le Noir. Sont oubliées ou violemment niées à
la fois la singularité de la personne et l’histoire des sociétés. Le
racismeestun essentialisme . Il forge une nature imaginaire (le
Noir, l’Arabe) qui prétend qualifier l’individu à partir de cette
nature. Le racisme ne juge l’homme ni par ce qu’il est ni par ce
qu’il fait mais par le seul critère d’appartenance. Pour le nazi, le
musicien juif ne pouvait que composer de la « musique
juive »…

Les sens du racisme


Selon la définition large, le racisme est une idéologie et un
comportement caractérisés par le mépris et le rejet d’une
communauté d’êtres humains pris en bloc. Le racisme serait en
ce sens aussi ancien que l’humanité : l’ethnocentrisme,
constatable universellement (il consiste à considérer la société à
laquelle on appartient comme la référence absolue, donc comme
automatiquement supérieure aux autres), impliquerait
nécessairement le racisme.
Selon la définition étroite, le racisme est l’idéologie et le
comportement de mépris et de rejet fondés sur l’idée qu’il existe,
au sein de la prétendue « humanité », des races de force et de
valeur inégales, que seules la race ou les races « supérieures »
peuvent prétendre à la véritable humanité. En ce sens plus
précis, l’origine du racisme est à chercher dans l’Espagne du
XVIe siècle. C’est là que fut promulgué le tout premier décret sur
la « pureté du sang », qui visait les Juifs et les Maures. Mais il
faudra attendre le XVIIIe siècle, avec le polygénisme (la théorie
antibiblique selon laquelle les différents peuples seraient issus
non d’un tronc unique mais de différentes lignées), et surtout le
XIXe siècle, avec l’évolutionnisme (les races inférieures étaient
conçues ou bien comme des races n’ayant jamais évolué ou bien
comme des races dégénérées), pour voir apparaître le racisme
dans ses formes modernes.
Le racisme comprend des degrés différents de gravité et de
violence. Jusqu’au nazisme, il était ségrégationniste et
expulsionniste : le ghetto et l’exil étaient les deux solutions
préconisées et mises en pratique. Le nazisme mettra en œuvre
une troisième solution, la plus radicale de toutes :
l’extermination (appelée par euphémisme Endlösung, « Solution
finale »).

Le racisme est un communautarisme


À son arrivée aux États-Unis, Einstein, remplissant le formulaire
des entrées, écrivit dans la rubrique « race » : « humaine ». Le
raciste estquelqu’un quine croitpas à l’existence d’une
famille humaine.
Le racisme est un communautarisme, et tout communautarisme
est, sinon raciste, du moins travaillé par des tendances racistes.
Le communautarisme repose sur un double refus: celuide
l’universalité humaine (pour lui, l’humanité, la famille
humaine sont des abstractions vides de sens) et celui de
l’individualisme (pour le communautarisme, un être humain ne
vaut que dans et par le collectif particulier dont il fait partie).
Semblablement, le racisme est l’exaltation du particulier par
haine du singulier (l’individu) et de l’universel (l’humanité).
Dans le monde de la mondialisation, c’est une réaction de
défense pour tous ceux qui ne peuvent donner de sens à leur
existence autonome et qui ne se comportent pas non plus comme
les membres d’une seule et unique famille humaine. C’est
pourquoi le racisme a tout l’avenir devant lui.

Il n’y a pas de race(s) humaine(s)


Il n’y a pas de race humaine. Conséquence : tout discours sur
« l’égalité des races » tombe dans la contradiction, puisqu’il
admet dès le départ le présupposé de l’idéologie qu’il prétend
combattre. Il n’y a de races – c’est-à-dire de variétés
génétiquement pures – que chez les animaux, domestiques qui
plus est : il existe des races de chevaux et de chats, mais pas de
races de zèbres et de panthères. Dans la nature, en effet, les
individus de variétés différentes ont tendance à se croiser.
Comme ils font partie de la même espèce, non seulement ils sont
interféconds, mais ils donnent naissance à des individus qui à
leur tour seront féconds. En sélectionnant une variété déterminée
d’animaux pour ses qualités particulières, l’homme, en
revanche, empêche que ces qualités ne se diluent : aussi aura-t-il
soin de contrôler les accouplements de manière que les petits
soient dotés des mêmes caractères que leurs géniteurs. C’est
ainsi que naît cette pure création de l’élevage qu’est la race. Il
suffirait de quelques années pour que les races disparaissent (les
petits nés d’un chat siamois et d’une chatte européenne ne sont
déjà plus siamois).
Les sept milliards d’hommes peuplant aujourd’hui la Terre font
partie d’un même genre (Homo), et d’une même espèce
(sapiens), les Pygmées comme les Suédois. Imaginons que
l’homme de Neandertal (Homo neanderthalensis) ait survécu :
nous aurions en commun avec lui le genre mais pas l’espèce.
Imaginons encore que cet homme de Neandertal ne se soit
jamais mêlé avec Homo sapiens. C’est alors seulement que nous
aurions pu parler de « race » à propos du genre humain.
Aujourd’hui la proximité génétique de tous les menbres de
l’espèce humaine est très grande, car ceux-ci descendent d’un
même petit nombre d’ancêtres.

Racisme

L’essentiel en 5 secondes

✓ Le racisme est un essentialisme qui nie à la fois la singularité de l'être humain et


son appartenance à une humanité commune

✓ Aujourd'hui, il représente une réaction contre l'idée d'une unité humaine, réalisée
par la mondialisation

✓ Les sciences récusent la pertinence du concept de race chez l'homme


DG
oîligion
Difficultés à définir la religion
Dans les sociétés primitives tout est religieux, puisque tout a un
rapport avec une réalité située au-delà de la vie immédiate et
sensible : même la sexualité, même l’alimentation. Dans ces
sociétés, la religion n’est pas séparée ni séparable de la morale et
du droit, du savoir commun, de la technique et de la
métaphysique.
La noti on de religionestrécente : elle suppose l’autonomie,
sinon l’indépendance, de sa sphère. Nous autres hommes
modernes concevons la religion par rapport à tout ce qui lui est
étranger – la morale et le droit justement, le savoir commun, la
technique et la philosophie. Ainsi, nous appliquons un terme et
une notion à des sociétés qui l’ignoraient.
La religionestuniverselle – aucune société humaine n’est sans
religion. L’athéisme et l’agnosticisme apparaissent tard dans
l’histoire humaine (l’athéisme nie la divinité, l’agnosticisme
n’affirme ni son existence ni son inexistence) ; ils constituent les
deux formes de l’incroyance et sont et restent des phénomènes
très minoritaires. C’est en ce sens qu’il faut comprendre la
phrase de Robespierre : « L’athéisme est aristocratique. »
Les religions sont si diverses que leurs points communs sont
forcément très généraux. Même la croyance dans les dieux n’est
pas un critère absolu pour définir la religion : une religion athée
ou agnostique n’est pas impossible en toute rigueur – tel fut le
cas du premier bouddhisme, celui que prêchait le Bouddha lui-
même (bien avant de devenir l’objet d’une divinisation). '’est le
sacré (dont le divin n’est que l’une des modalités) quiforme
l’élément commun aux religions: le sacré est un domaine
séparé du profane et supérieur à lui. Il implique deux affects
spécifiques : le respect et la terreur. Il y a religion dès qu’il y a
sacré.
Définition de la religion
La religion apparaît comme un ensemble de pensées (de
croyances, dont les plus fondamentales sont transformées en
dogmes lorsque la religion est instituée en Église et en clergé) et
un ensemble de gestes et de comportement rituels. Elle possède
donc un versant théorique et un versant inséparables
pratique
l’un de l’autre. Souvent, le geste symbolise la croyance : ainsi, le
signe de croix chez les chrétiens, le fait de toucher la terre du
front pendant la prière musulmane sont de nature symbolique.

La religion a-t-elle tout l’avenir devant


elle ?
L’avenir de la religion se joue entre ces deux extrêmes :
l’élargissement aux dimensions du monde d’une part, avec la
constitution d’ensembles œcuméniques ou syncrétiques,
l’enfermement dans l’intégrisme et le sectarisme d’autre part. Ce
sont aussi deux façons pour la religion de mourir : d’un côté, la
dilution dans la mondialisation et l’interpénétration réciproque
des croyances (ainsi voit-on des chrétiens croire à la
métempsycose et se faire incinérer !), de l’autre côté
l’assèchement dans la particularité des sectes délirantes et
fanatiques. Mais ces deux phénomènes ne toucheront sans doute
qu’une petite partie de la population. Puisque désormais l’argent
et la technique sont devenus à la fois les objets et les moteurs du
désir humain, la religion ne peut plus jouer qu’un rôle résiduel.
Contrairement à ce qui est la plupart du temps dit et diffusé, ce
n’est pas à un retour du religieux que nous assistons dans notre
monde. L’intégrisme et le fondamentalisme,quisontdes
formespathologiques du religieux , le montrent jusqu’à la
caricature.
Intégrisme et fondamentalisme
Le fanatisme qui vise la fermeture n’est pas du même ordre que
le fanatisme qui rêve de conquérir la Terre entière : il convient
de distinguer l’intégrisme et le fondamentalisme.
Le fondamentaliste se juge impur et combat cette impureté par la
rigueur de son interprétation et de son comportement.
L’intégriste juge le monde impur et il entend détruire cette
impureté par la violence de son prosélytisme, qui peut aller
jusqu’au désir d’anéantissement (puisque ce monde de la
mondialisation n’est pas le monde d’Allah, qu’il soit voué aux
flammes : tel est le raisonnement implicite des terroristes d’Al-
Qaida). Le juif orthodoxe qui adopte une position antisioniste
parce que selon lui l’État d’Israël blasphème contre la Loi est un
fondamentaliste ; le terroriste musulman d’Al-Qaida qui rêve
d’atomiser l’Amérique parce que son existence blasphème
contre le Coran est un intégriste. Les fanatismes peuvent être les
mêmes des deux côtés, ils ne représentent évidemment pas le
même danger pour le monde.
Contrairement aux apparences, l’intégrisme et le
fondamentalisme signalent la perte d’importance du religieux
dans un monde moderne largement sécularisé : les fanatiques ne
seraient pas si enragés s’ils avaient la conviction de l’emporter.
Religion
L’essentiel en 5 secondes

✓ Le point commun entre les religions est la croyance en l'existence d'un domaine
sacré, opposé au profane

✓ Il n'y a pas, contrairement à ce que croit une opinion reçue, de retour du religieux
aujourd'hui

✓ L'intégrisme et le fondamentalisme sont les deux formes du fanatisme actuel


37
République
Origine historique de l’idée
Les Romains, qui ont inventé le mot et la chose, opposaient la
république à la monarchie. Alors que les rois font de l’État leur
chose privée (voir le mot attribué à Louis XIV : « L’État, c’est
moi »), les dirigeants d’une république traitent les affaires de la
collectivité comme une chose publique (res publica) dont ils ont
la charge (provisoire, révocable) et non la propriété (définitive).
C’est l’opposition à la monarchie qui définit historiquement la
république – et cette détermination lui est restée (ni la Belgique
ni l’Espagne ne sont des républiques, à la différence de la France
et de l’Allemagne).

République et démocratie
Une république n’est pas nécessair ement démocratique : elle
peut être aristocratique, c’est-à-dire gouvernée par un petit
nombre d’individus. Tel était le cas de la plupart des républiques
italiennes, dont la république de Venise était la plus fameuse.
Mais, avec les révolutions des XVIIe et XVIIIe siècles, la différence
entre république et démocratie a tendu à s’atténuer : l’Angleterre
n’est pas une république (mais une monarchie), elle est pourtant
plus démocratique que bien des républiques. La distinction
néanmoins conserve un sens politique : les deux partis qui
alternent au pouvoir aux États-Unis s’appellent « démocrate » et
« républicain ». Alors quel’id éal démocratique estdéfinipar
la volonté populaire, c’est-à-dire par la base du pouvoir
politique, l’idéalrépublicainestdéfinipar le bien public,
c’est-à-dire par la finalité du pouvoir politique. Alors que la
démocratie n’acceptera la délégation de pouvoir que comme un
moindre mal dicté par des considérations techniques (dans un
État de vastes dimensions, il est impossible que le peuple exerce
directement le pouvoir), la république admet qu’il puisse y avoir
des représentants susceptibles de réaliser ce bien public – fût-ce
contre l’opinion publique majoritaire. L’abolition de la peine de
mort en France fut décidée contre l’avis de la majorité de la
population, cette mesure ne peut donc être qualifiée de
« démocratique » ; elle est en revanche éminemment
républicaine.
On pourrait également prendre les exemples de l’instruction
publique et des campagnes de vaccination qui ont été voulues
par des responsables politiques contre l’opinion dominante de
leur époque. Un républicain ne gouverne pas les yeux rivés sur
des sondages d’opinion.
Le républicanisme accorde au politique une confiance de
principe : un êtr
e humain n’est pas seul
ement un travailleur
ou un consommateur , il estégalement,d’abord,un citoyen,
c’est-à-dire un membr e d’une collectivité politique.
Le
libéralisme anglo-saxon tend, lui, à l’inverse, à réduire la
politique à ses fonctions sécuritaires. L’économie prend par
conséquent le pas sur la politique.
La laïcité est peut-être la valeur centrale de la république, parce
qu’elle repose sur la distinction et l’indépendance de la sphère
politique et de la sphère religieuse. La démocratie anglo-saxonne
s’accommode très bien de l’expression publique des différentes
croyances privées du moment qu’elles n’entravent pas le
mouvement des affaires. Elle favorise donc plutôt l’idéal de
tolérance.
République
L’essentiel en 5 secondes

✓ La république est un régime politique caractérisé par le souci du bien commun

✓ La république n'est pas forcément démocratique, en ce sens qu'elle n'est pas


toujours l'expression de l'opinion majoritaire

✓ La laïcité est à la république ce que la tolérance est à la démocratie


38
Risque
Qu’est-ce que le risque ?
Le risque est la probabilité d’un danger encouru. Il n’y a de
risque que pour un être conscient qui, au-delà de sa vie présente,
est capable d’anticiper certains événements défavorables : ainsi,
l’alpiniste sait que sa course en montagne peut être arrêtée par
un accident. Le risque renvoie au futur et à son domaine propre
d’incertitude.
Dans une nature qui répéterait tous les faits dans le même ordre,
il n’y aurait place pour aucun risque. Un être doué de liberté
comme l’être humain est par définition créateur de risques, car il
s’engage dans des actions inédites dont l’issue est incertaine.
Tous les grands progrès de la technique – depuis l’apparition de
l’agriculture et de l’élevage jusqu’à l’industrie nucléaire – ont
consisté à diminuer le domaine du risque. Contradictoirement,
ils ont aussi élargi ce domaine : cultiver la terre, c’est supprimer
le risque lié à l’activité de cueillette (celui de ne rien trouver),
mais c’est du même coup s’offrir en victime potentielle des aléas
climatiques. L’énergie nucléaire sert à pallier les risques
inhérents aux fluctuations du marché du pétrole et anticipe un
épuisement des ressources, mais, ce faisant, elle crée des risques
propres qui sont loin d’être négligeables.
Il n’y a pas d’activité sans risque, et lorsque les activités sont
nouvelles les risques sont démultipliés.
Parce qu’il est tout entier tourné vers le futur, le capitalisme
est
par excellenceun système économique fondé surla pensée
du risque : que ce soit l’épargne, l’investissement, la
spéculation, l’assurance, toutes ces activités largement
inconnues autrefois (ou alors existantes, mais à un état
embryonnaire) ne vont pas sans risque – et sans la volonté
concomitante d’y mettre fin. Ainsi, on assiste à une course
infinie entre la montée des risques et les stratégies pour les
réduire – le risque s’achevant avec l’accident et la mort. Autant
dire que le « risque zéro » fait, comme la « tolérance zéro » en
matière de sécurité, partie des mythes du monde moderne.

La société du risque
Le sociologue allemand Ulrich Beck (1944-2015) a écrit un
ouvrage intitulé La Société du risque, dans lequel il établit que
les sociétés modernes sont, à cause de leurs innovations
technoscientifiques illimitées, des sociétés créatrices de risque et
en même temps des sociétés soucieuses de sécurité.
Le risque est inhérent à l’activité humaine. Mais plus l’outillage
technique est puissant, plus les risques encourus sont graves et
nombreux. On appelle « risque global » le risque caractérisé par
une intensité particulière et par le fait que, à la différence des
risques « classiques », nécessairement localisés, il concerne la
Terre et l’humanité entière. Le risque nucléaire appartient à cette
catégorie.

Risque
L’essentiel en 5 secondes

✓ Le risque est la probabilité d'un danger encouru

✓ La technique multiplie les risques en supprimant ceux qui existent

✓ Nous vivons dans une société du risque et nous sommes en même temps de plus
en plus soucieux de sécurité
DJ
péiînéî
Science et savoir
La science est une forme élaborée de la pensée et du savoir. Elle
est née de l’écriture : il peut y avoir un savoir oral, il ne saurait y
avoir une science sans écriture. Le calcul est un savoir qui peut
se transmettre par la parole à condition d’être simple. Il est en
revanche impossible d’imaginer un théorème ou une loi
physique sans écriture.
Le poète allemand Hölderlin (1770-1843) disait : « L’homme
qui songe est un dieu, celui qui raisonne est un mendiant. » La
science est à la fois la plus orgueilleuse et la plus humble des
activités – la plus orgueilleuse car elle prétend que tout problème
a sa solution, et la plus humble car, à la différence de la religion
et de la philosophie, elle ne prétend pas dire d’un mot le dernier
mot de tout.

Les obstacles épistémologiques


Gaston Bachelard a appelé obstacles épistémologiques les
représentations non scientifiques, antérieures à la science, que la
science doit vaincre pour s’établir comme science. On
commence toujours par l’erreur et l’illusion ; la vérité est
dernière. Les obstacles épistémologiqu es qui interdisent ou
entravent l’esprit scientifique correspondentauxidéeslesplus
communes de l’humanité : le primat de la pratique sur la
théorie, la primauté de la perception et de la croyance aux
dépens de la recherche critique, la tendance à considérer les êtres
humains comme le centre de la réalité (l’anthropocentrisme) et
la tendance corollaire à considérer la réalité non humaine du
point de vue de la forme humaine (l’anthropomorphisme), la
conception qualitative des choses (les grandes oppositions
chaud/froid, dur/mou, sec/mouillé que l’on trouve aussi bien en
Chine qu’en Grèce), la tendance à voir des substances (des êtres
en soi) dans les phénomènes de la nature (exemple : quand on
dit « le vent souffle », on suggère que « le vent » constitue un
véritable sujet).

Gaston Bachelard (1884-1962) a été commis des postes avant


d’enseigner la physique et la philosophie. Son œuvre a deux versants :
philosophie des sciences et philosophie de l’imaginaire poétique. Parmi
ses œuvres les plus connues on peut citer Le nouvel esprit scientifique
et La Psychanalyse du feu.

La rupture épistémologique
Bachelard appelle rupture épistémologique le renversement des
obstacles épistémologiques. Toute science naît d’une rupture
épistémologique : c’est l’astronomie de Copernic face à
l’astrologie et à l’astronomie de Ptolémée, c’est la physique de
Galilée face à la physique d’Aristote, c’est la chimie face à
l’alchimie, etc.
Les éléments de la rupture épistémologique sont : le primat de la
théorie sur les considérations pratiques (une science n’est pas un
ensemble de recettes mais un ensemble de descriptions et de
lois), le dépassement de la perception sensible d’origine
humaine (d’où l’utilisation des instruments d’observation et de
mesure), le dépassement de l’anthropocentrisme et de
l’anthropomorphisme (voir les choses telles qu’elles sont en soi
et non telles qu’elles sont pour nous, les hommes), le travail
critique infini de la pensée (rien n’est jamais définitivement
établi en science, à la différence de ce que l’on voit avec les
religions), la substitution d’une conception quantitative à une
conception qualitative des choses (d’où l’usage des
mathématiques), le primat des relations sur les substances
séparées (tous les grands concepts de la physique – force,
énergie, champ, espace-temps… – sont de type relationnel).

La patience de la science
On a comparé le travail de Pasteur à l’enquête d’un détective
remontant la piste du mystérieux assassin. Seulement, pour
résoudre une énigme policière, il n’est pas nécessaire
d’introduire des éléments qui n’appartiennent pas au monde déjà
connu : à la différence d’un problème scientifique dont la
solution est au départ ignorée de tout le monde, l’énigme
implique au moins une personne pour qui elle n’est pas
énigmatique (en somme, le policier doit parvenir au même
savoir que l’assassin). De plus, lorsque l’énigme est résolue, le
travail est terminé, tandis que lorsque la solution d’un problème
scientifique est donnée le travail ne fait que commencer.
Jamais la science n’a trouvé d’aussi beaux et grands résultats
que durant le dernier siècle écoulé. Pourtant, il n’y a plus de
savants parmi les scientifiques, il n’y a plus que des chercheurs :
manière de se prémunir contre le péché d’orgueil ? Le savant est
aussi devenu un chercheur à partir du moment où, en économie,
l’investissement l’a emporté sur le capital fixe.

La phénoménotechnique
C’est un autre néologisme introduit par Gaston Bachelard, pour
rendre compte d’une révolution de la science contemporaine.
Alors que la science classique étudiait des phénomènes
observés, la science contemporaine fabrique des phénomènes.
On appelle « phénomène » (un mot d’origine grecque) tout ce
qui apparaît, sans préjuger du fait que ce qui apparaît est ou non
la traduction de la réalité elle-même.
Désormais, la science ne se définit plus comme une entreprise
visant à connaître le monde, mais comme une ingénierie dont la
fonction est de configurer autrement le monde. C’est ce dont
rend compte le terme de « technosciences » : la dichotomie entre
la science contemplative, purement théorique, d’une part et la
technique pratique, utilitaire, d’autre part n’est plus de mise. Les
biotechnologies et les nanotechnologies rendent obsolète la
distinction entre les sciences et les techniques. Les laboratoires
de recherche aujourd’hui sont des grandes machineries.

Science
L’essentiel en 5 secondes

✓ La science est une activité rationnelle fondée sur la preuve et la démonstration

✓ Le dépassement d'une conception préscientifique comme l'alchimie par une


conception scientifique comme la chimie s'appelle rupture épistémologique

✓ Aujourd'hui la science manipule et crée le réel davantage qu'elle ne l'observe


40
Souveraineté
Essence de la souveraineté
La souveraineté est la qualité du pouvoir suprême : le souverain
est le roi dans les régimes monarchiques, le peuple dans les
régimes démocratiques. Lorsque, à une échelle beaucoup plus
modeste, il est dit d’un jury de baccalauréat qu’il est
« souverain », cela signifie que ses décisions ne peuvent pas être
remises en cause par une instance supérieure. À partir du XVIe
siècle, la souveraineté, qui était jusqu’alors rapportée à Dieu,
devient l’attribut de l’État.
Négativement, la souveraineté est l’indépendance par rapport
aux autres souverainetés. Positivement, elle se signale par le
pouvoir d’ordonner, dans les deux sens que ce verbe a en
français : mettre en ordre et commander.

La démocratie et la mondialisation
L’idée que le peuple est souverain et que la souveraineté ne peut
venir que de lui est moderne. Il a fallu pour cela que Dieu fût
mis hors jeu.
Lorsqu’une souveraineté l’emporte sur toutes les autres, on dit
qu’il y a hégémonie. Avec la diminution relative du pouvoir
d’État, dans le monde de la mondialisation, la souveraineté s’est
trouvée radicalement contestée. Dans de nombreuses régions du
monde, la plupart des États ont dû renoncer à une bonne partie
de leur souveraineté : dans la zone euro, par exemple, les États
ont dû renoncer à posséder leur propre monnaie (élément et
symbole central de la souveraineté) ; partout les États ont dû
composer avec des législations et réglementations
internationales qui ont rogné une bonne part de leur
souveraineté. Est-ce à dire que la souveraineté n’appartiendra
plus qu’à une poignée de grandes puissances ?
Souveraineté
L’essentiel en 5 secondes

✓ La souveraineté est le pouvoir suprême

✓ Avec la démocratie, la souveraineté est passée de Dieu ou du roi au peuple

✓ La mondialisation fragilise et relativise la souveraineté des États


41
Subjectivité
Une idée récente
Ce qu’il y a de révolutionnaire dans la célèbre phrase de
Descartes « Je pense, donc je suis », ce n’est pas tant
l’affirmation que l’existence est une condition nécessaire de la
pensée que celle du je personnel comme réalité absolue. Je
pense, je suis, c’est le je qui importe, le je, c’est-à-dire pas le
nous (la tribu, la famille, la communauté religieuse), le je, c’est-
à-dire pas le on (tout le monde, donc personne), le je, c’est-à-
dire pas le il, fût-il revêtu de la plus haute autorité (le père, le
roi, le pape, l’empereur, le dieu…). « Je pense», cela signifie :
la penséen’est pas située ailleursquedans la subjectivité de
celuiquipense, c’est-à-dire dans sa fonction d’être le support
de la pensée, son lieu d’émergence et d’effectuation. La pensée
n’est nulle part ailleurs qu’en moi. Les fanatiques et les perdus
qui s’en remettent à Allah avant de commettre leur attentat-
suicide n’ont pas entendu ou compris cette leçon de Descartes,
qui date de près de quatre siècles.
Si Descartes est considéré comme le père de la philosophie
moderne, c’est grâce à cette découverte de la subjectivité. Le
sujet est, comme son nom l’indique, sous les choses ; il en est le
fondement, l’assise, le support. Le sujet est également face aux
choses : c’est ce que signale l’étymologie du mot « objet »,
littéralement « ce qui est jeté devant » (sous-entendu : moi). La
subjectivité est l’ensemble des qualités liées à une conscience
singulière, l’objectivité est l’ensemble des qualités liées à une
chose considérée indépendamment du sujet.

Définition de la subjectivité
La subjectivité peut être comprise de manière générale comme
une capacité qu’a le sujet de penser comme n’importe quel autre
sujet. Cela dit, dans le langage courant, « subjectif » renvoie à
« personnel », donc faux possible, tandis qu’« objectif » renvoie
à la vérité acceptable par tous.
La subjectivité n’est pas nécessairement personnelle – au sens
où ses représentations seraient à la fois uniques et largement
incommunicables –, puisque elle seule est aussi capable
d’objectivité : seul le sujet peut en effet considérer l’objet tel
qu’il existe en lui-même, indépendamment de l’image que l’on a
de lui. C’est cette objectivité que s’efforce d’atteindre la
connaissance scientifique. « La science c’est nous, l’art c’est
moi », disait Victor Hugo. Si Newton était mort à l’âge de trente
et un ans, l’âge auquel Schubert est mort, un autre que lui aurait
découvert plus tard la gravitation universelle, tandis que les
œuvres que Schubert « aurait pu » composer s’il avait vécu
autant que Newton (soit quatre-vingt-cinq ans), personne ne les
a jamais composées.

Destinée contradictoire de la subjectivité


La modernité se caractérise à la fois par l’exaltation de la
subjectivité et par son effondrement.

En tant que dépositaire d’une valeur morale inaliénable comme


celle de dignité, la subjectivité se présente comme une personne.
Comme élément interchangeable d’un groupe, elle peut se
trouver ravalée au niveau de l’individu. Les sociétés modernes
sont à la fois des sociétés individualistes et des sociétés de
masse. Elles favorisent à la fois la libre expression de la
subjectivité et l’engloutissement de celle-ci dans le groupe.
Subjectivité
L’essentiel en 5 secondes

✓ Au sens moderne, le sujet apparaît en philosophie avec Descartes : « Je pense,


donc je suis »

✓ Ce qui est subjectif n'est pas nécessairement personnel

✓ Notre époque, contradictoirement, exalte la subjectivité et tend à l'éliminer


42
Tolérance
Naissance d’un idéal
L’idéal et la politique de tolérance sont nés à l’âge classique en
Europe (XVIIe-XVIIIe siècle) avec l’apparition au sein de la
chrétienté d’une religion dissidente (le protestantisme). Pour la
première fois, une « hérésie » s’installait durablement. Les
nombreuses guerres qui avaient tenté de l’éradiquer avaient
échoué. Par ailleurs, l’âge classique est aussi celui qui voit le
sujet (le moi libre) finir par occuper le devant de la scène.
L’idéal de liberté ne concernera pas seulement le comportement
extérieur, mais aussi les croyances intimes.
La tolérance comme idée et comme politique est née de la
conjonction de ces deux mouvements : la coexistence pacifique
de plusieurs religions au sein d’une même société et la
distinction, chez le sujet humain, entre un comportement soumis
aux lois civiles et ses croyances personnelles.
Dans toutes les sociétés, la religion et la politique sont
inséparables : un empereur est volontiers grand prêtre, sinon
dieu lui-même ou héritier d’une lignée divine. Certes, Jésus avait
introduit une première rupture en séparant le royaume de César
(le domaine politique) de celui de Dieu (le domaine religieux),
mais en triomphant l’Église catholique entendait bien exercer
également le magistère politique ; corollairement, les rois
entendaient placer la religion à leur service. L’idéal de tolérance
repose sur la séparation des deux ordres, la religion devant rester
une affaire personnelle.

Le libéralisme
Ce programme fut celui du libéralisme : dans une existence
soumise au travail et à la recherche du bonheur, les seuls conflits
admissibles sont ceux de la libre concurrence. Ainsi, le facteur
religieux passe au second plan. Tant qu’ils commercent
ensemble, disait Voltaire, le juif, le mahométan (on appelait ainsi
le musulman à son époque) et le chrétien ne songeront plus à
s’égorger mutuellement.
Pierre Bayle (1647-1706) ira plus loin que Locke dans son
combat pour la tolérance en admettant la possibilité de la
coexistence entre croyants et athées – ce que Locke, par
exemple, le père du libéralisme, se refusait à admettre. Bayle
choqua ses contemporains (on est à la fin du XVIIe siècle, sous le
régime de Louis XIV, qui fut l’un des monarques les plus
intolérants de toute l’histoire de l’Europe) en affirmant qu’un
athée peut être vertueux, et donc que la religion n’est pas le
fondement indispensable de la morale.

John Locke (1632-1704) est le père de deux courants de pensée :


l’empirisme et le libéralisme. Son œuvre principale s’intitule Essai sur
l’entendement humain.

Depuis cette époque, l’idéal de tolérance est allé en s’élargissant,


comme l’entendait Bayle : la coexistence des protestants et des
catholiques nous semble aller de soi, car ils sont tous chrétiens.
La tolérance entre chrétiens et non-chrétiens (juifs, musulmans,
membres d’autres religions) est un pas supplémentaire ; la
tolérance entre croyants et incroyants en est un autre, que seule
la laïcité peut assurer.

Le problème des limites


La tolérance doit-elle n’avoir aucune limite ? On va rapidement
buter sur cette difficulté. Quelle tolérance pour les intolérants ?
Quelle liberté pour les ennemis de la liberté ?
Il n’y a pas de liberté sans loi. La tolérance
absolueest
contradictoir
e en soi,puisqu’elle devrait
admettr
e même ce
quil’anéantit. Or, l’intolérable existe, que la loi doit interdire.
Dira-t-on que l’interdit du crime limite notre liberté ? Dira-t-on
que l’interdit de l’excision (pratique traditionnelle en Afrique et
liée à des croyances religieuses) limite la tolérance ?
La valeur de tolérance a aujourd’hui excédé de beaucoup la
sphère religieuse : on parle de « tolérance » à propos des goûts,
des manières de se comporter, etc. Cet élargissement risque de
faire perdre à la notion sa cohérence et sa vigueur.
En revanche, le critère de l’intolérable nous semble bien
déterminé : tout ce qui attente à l’intégrité physique et à la
dignité morale de l’être humain est intolérable.

Tolérance
L’essentiel en 5 secondes

✓ L'idéal de tolérance est né de la nécessité de mettre fin aux guerres de religion en


Europe

✓ La tolérance est un pilier du libéralisme

✓ L'idée de tolérance a été étendue à d'autres domaines que les croyances


religieuses, comme les goûts ou les comportements sexuels
43
Transcendance
La définition classique
La transcendance est le caractère d’un être qui dépasse
infiniment le plan de la nature et de la réalité humaine. Ainsi,
dans les religions monothéistes, comme le judaïsme, le
christianisme et l’islam, Dieu est transcendant.
Le contrair e de « transcendant » est« immanent ». Dans le
panthéisme, qui est davantage une conception philosophique
qu’une religion à proprement parler, le divin est immanent, ce
qui signifie qu’il est inhérent au plan de la nature.
Une confusion estsouvent commise entr e « transcendant » et
« transcendan tal ». Au Moyen Âge, on appelait
« transcendantaux » les genres logiques suprêmes, comme Être,
Un, Beauté, Vérité. Kant (1724-1804) donnera un autre sens à ce
terme. Dans sa philosophie, « transcendantal » est un adjectif qui
signifie « relatif aux conditions a priori de l’expérience ». Pour
Kant, en effet, une expérience, par exemple une sensation,
dépend de conditions qui ne dérivent pas elles-mêmes de
l’expérience. Ainsi, nous voyons des objets dans l’espace et
percevons des événements dans le temps parce que en nous, de
façon innée, il existe des formes a priori de notre sensibilité qui
nous prédisposent à percevoir quelque chose dans l’espace et
dans le temps.
Comme on le voit, le transcendantal kantien n’a rien de
transcendant, puisque, au contraire, il est lié à la subjectivité
humaine.

Les usages contemporains de la


transcendance
En 1934, Jean-Paul Sartre a écrit un ouvrage intitulé La
Transcendance de l’ego, dans lequel il pose les bases d’une
théorie de la conscience à partir des idées de la phénoménologie
de Husserl (1859-1938). À l’époque contemporaine, nombre de
philosophes ont utilisé le terme de « transcendance » sans
aucune référence religieuse, ni même métaphysique. Si la
conscience est considérée comme transcendante, c’est parce
qu’elle dépasse, surmonte l’être-là du présent, la nature, les
choses du monde.
Ainsi, dans la même optique, on dira que la technique et la
culture « transcendent » la nature, que grâce à l’art ou à la
science – ou encore grâce à la morale – l’être humain
« transcende » son animalité. Loin de la philosophie, et pas
forcément plus haut qu’elle, malgré son sport, un alpiniste dira
volontiers qu’il s’est transcendé pour « vaincre » un 8 000 sans
oxygène.

Jean-Paul Sartre (1905-1980) fut à la fois écrivain et philosophe, il est


le père de l’existentialisme. Ses œuvres les plus connues sont La
Nausée (un roman), L’Être et le Néant (un traité philosophique) et Huis
clos (une pièce de théatre).

Ces usages dérivés, pour ne pas dire délavés, du terme signalent


en réalité, à l’instar de l’usage profane de la « spiritualité »,
désormais mise à toutes les sauces, la fin de la transcendance. En
effet, humaniser, naturaliser la transcendance, c’est proprement
lui ôter son sens.
Transcendance
L’essentiel en 5 secondes

✓ Est transcendant ce qui dépasse le plan de la nature et de l'humain

✓ Le contraire de « transcendant » est « immanent »

✓ Au XXe siècle, le terme de transcendance a été souvent utilisé par les


philosophes en dehors de tout cadre religieux ou métaphysique
44
Travail
Définition du travail
Il n’a jamais été facile de définir le travail : ni les philosophes ni
les économistes ne sont tombés d’accord sur une définition
commune. L’opinion n’est pas moins embrouillée : il y a des
plaisantins qui veulent être payés sous le prétexte qu’ils sont
fatigués, parmi eux beaucoup pensent que vivre est déjà un
travail. Mais qui en rirait franchement ? Personne n’a jamais
travaillé une heure pendant une heure, pas même l’artisan ou
l’artiste absorbé dans sa tâche. Un électricien travaille pendant
qu’il se rend à son lieu de travail, mais pas un professeur ni un
employé. Certains travaillent même en mangeant (les repas
d’affaires), d’autres en copulant (le tournage d’un film
pornographique). Quant aux riches investisseurs, ils travaillent
même en dormant, puisque leur argent travaille pour eux !
Le travail est un concept de physique, une quantité mesurable
(symbolisée par la lettre W) qui exprime le rapport entre une
masse et un déplacement.
Dans l’usage commun, le « travail » désigne l’ensemble des
activités productives grâce auxquelles l’être humain transforme
la réalité environnante et peut satisfaire ses besoins et désirs.
À proprement parler, seul l’homme travaille dans la mesure où,
comme le souligne Karl Marx (1818-1883) au début du Capital,
il est le seul parmi les animaux à penser ce qu’il fait. Le travail,
en effet, est une activité inséparablement physique, psychique et
intellectuelle.

Dévalorisation et valorisation du travail


Pendant longtemps, le travail a été associé à la douleur et à
l’esclavage. Le récit de la Genèse, dans la Bible, en fait la
punition infligée à l’homme suite à sa désobéissance à l’ordre de
Dieu (de ne pas manger du fruit de l’arbre de la connaissance du
bien et du mal). Les Grecs réservaient le travail aux esclaves : un
homme libre s’occupait de politique ou de philosophie, il ne
travaillait pas.
La révolution culturelle viendra en Europe de la réforme
protestante – et elle correspond aux débuts du capitalisme : le
protestantisme fera du travail et bientôt de l’argent non plus
seulement la marque du péché mais surtout le moyen du rachat.
Un même mot allemand, Beruf, signifie « vocation » et
« profession ». Ainsi, le travail devient l’équivalent d’une
véritable prière.
Au siècle suivant, le philosophe anglais John Locke (1632-
1704), père du libéralisme politique, fait du travail la
légitimation de la propriété privée : celui qui travaille a par fait
de nature droit sur le produit de son travail. Par le travail, l’être
humain transforme son milieu pour satisfaire ses besoins et en
créer d’autres, indéfiniment.
Il ne saurait y avoirde viehumaine sanstravail : celuiqu i
vitsanstravailler faittravailler les autr es pour lui.Mais
l’intérêt pris au travail, son degré de pénibilité, son rapport en
termes financiers sont tellement inégaux que l’on comprend que
le travail puisse être contradictoirement vécu comme la
meilleure des choses, lorsqu’il est l’expression libre d’une libre
subjectivité, et comme la pire, lorsqu’il est vécu comme une
contrainte.

Métamorphoses du travail
Le philosophe François Dagognet (né en 1924) observe que le
travail traditionnel connaissait les mêmes trois unités que la
tragédie classique : l’unité d’action (un même métier), l’unité de
temps (de la journée à l’existence entière), l’unité de lieu (le
champ, l’usine, l’atelier, le bureau).
Ces unités sont en train de disparaître : le travail se fragmente, se
disperse, se délocalise. Significativement, nous parlons de plus
en plus d’« emplois », et de moins en moins de « métiers ».
Quant au mot de « carrière », qui exprimait à lui seul le triomphe
d’un travail progressif accompli toute une vie durant, il nous
semble caractériser un monde révolu.
Par ailleurs, le changement de l’objet du travail explique pour
une bonne part celui de ses conditions. L’homme du XIXe siècle
travaillait sur de la matière, l’homme du XXe siècle travaillait sur
de l’énergie, l’homme du XXIe siècle travaille sur de
l’information. On ne manipule pas des statistiques comme du
métal fondu, même quand on est un fondu de statistiques.

Les trois fonctions du travail


Le travail possède un sens économique, un sens psychologique
et un sens social.
Le travail n’apas seulementun senséconomique. Celui qui a
perdu son travail n’a pas seulement perdu une source de
revenus : il perd du même coup l’estime de lui-même et la
reconnaissance sociale.
Les chômeurs découvrent qu’il y a pour un travailleur pire
situation que celle d’être exploité : c’est celle de ne plus pouvoir
l’être. La calamité a changé de camp en changeant de sens : elle
était dans le travail, elle est désormais dans son absence.

La fin du travail ?
Depuis le XIXe siècle, des auteurs prévoient qu’avec la
mécanisation le temps moyen de travail baissera de manière
continue. Certains envisagent même la fin du travail.
Mais d’autres font remarquer que la technique ne cesse de créer
des emplois nouveaux tout en détruisant les emplois anciens.
Par ailleurs, la thèse de la fin du travail implique que celui-ci,
contrairement à ce qu’exposaient des philosophes comme Karl
Marx, n’est pas une donnée anthropologique nécessaire.

Travail
L’essentiel en 5 secondes

✓ Le travail est une activité humaine consciente qui transforme la réalité de départ

✓ La Réforme protestante a réhabilité le travail et a fourni une pièce maîtresse à la


justification idéologique du capitalisme

✓ Le travail a une fonction à la fois matérielle, psychologique et sociale


45
Universel
Les catégories aristotéliciennes
Lorsqu’on parle de la Déclaration universelle des droits de
l’homme ou de la Couverture maladie universelle, on veut dire
que tous les hommes sont concernés. L’universel signifie la
totalité.
Dans la logique d’Aristote (384-322 av. J.-C.), qui a constitué la
logique classique jusqu’au XIXe siècle, l’universel est une
catégorie de quantité appliquée lorsque tous les éléments d’une
classe d’individus sont concernés. Ainsi, « Tous les hommes
sont mortels » est un jugement universel. Et l’on dira que le fait
de mourir est pour l’être humain une donnée « universelle ».
L’universel s’opposeau général, au particulier et au
singulier . Le général concerne la plupart des individus d’une
classe, la majorité. Exemple : les Arabes sont musulmans. Le
particulier concerne une partie des individus d’une classe, une
minorité. Exemple : il y a des Arabes chrétiens. Enfin, le
singulier concerne un seul individu. Exemple : Averroès était un
philosophe arabe.

La pensée comme puissance d’universel


En inventant la démonstration, qui est un mode de raisonnement,
les premiers mathématiciens grecs ont introduit l’universel dans
l’histoire de la pensée. Aucune opinion,en effet,aucune
croyance ne peutêtr e admissibleuniversellement comme
l’est le résultat d’unedémonstration. Si aucune religion, pas
même la religion catholique (qui doit son nom grec au terme
signifiant « universel »), ne peut être universelle, c’est parce que
l’existence d’un objet de croyance ne peut pas être démontrée.
Face à une croyance, face à une opinion, il est toujours possible
d’avoir une croyance ou une opinion contraire. En revanche, au
résultat d’une démonstration, il n’est pas possible d’opposer un
résultat inverse.

La morale comme puissance d’universel


Les morales traditionnelles – à la différence des éthiques
modernes –, appuyées sur les dogmes religieux, se concevaient
comme ayant une validité universelle. Il en est allé de même
avec la morale kantienne, qui définissait l’action bonne comme
celle dont le principe pouvait être accepté par tous les êtres
raisonnables. Celui qui agit moralement est celui qui peut
vouloir que le principe de son action puisse être accepté et
appliqué par tout le monde. Par exemple, si j’aide mon voisin, je
peux vouloir être aidé en retour. En revanche, celui qui agit mal
ne le fait que sur des motivations égoïstes, il ne peut pas vouloir
que le principe de son action puisse lui être appliqué : un
menteur ne veut pas qu’on lui mente, un voleur ne veut pas être
volé, un assassin (à l’exception des fanatiques nihilistes) ne veut
pas être tué. Celui qui agit bien agit bien pour tout le monde,
celui qui agit mal n’agit bien que pour lui-même. En fait, il
n’existe qu’un seul fondement au mal : l’égoïsme, ou le
particularisme.
L’idée des droits de l’homme est une application de ce principe
d’universalité morale. La liberté, la dignité, la sécurité ont été
désignées comme des droits naturels parce que applicables en
tout temps et en tout lieu, et pour tout homme.

La crise de l’universel
Le relativisme est la conception selon laquelle l’universel n’est
qu’une idée abstraite et trompeuse. Selon lui, les valeurs et
l’adhésion qu’on leur porte n’existent que d’un point de vue
particulier, et la valeur d’universel ne saurait faire exception.
Il existe un relativisme épistémologique, pour lequel les absolus
de la science ne sont que des fictions. Il convient de le distinguer
du scepticisme, lequel ruine l’idée même de vérité. Selon le
relativisme épistémologique, la vérité existe, mais elle est
relative à tout un ensemble de conditions culturelles, sociales,
historiques, etc.
Le relativisme moral est le point de vue selon lequel aucune
valeur en termes de bien et de mal ne saurait être définie d’un
point de vue absolu. Le relativisme politique est une application
du relativisme moral aux collectivités. Selon lui, la déclaration
dite « universelle » des droits de l’homme n’est qu’une pièce
dans l’idéologie de l’Occident, lequel cherche à dominer le
monde par ses illusions et ses mensonges. Dans la même
optique, on a entendu dire que la démocratie n’était bonne que
pour l’Occident.
Que ce soient les pouvoirs politiques et religieux les plus
rétrogrades qui aient pris des positions antiuniversalistes, avec
des motivations et pour les intérêts que l’on peut facilement
deviner, cela donne à l’inverse aux idéaux universalistes une
force inentamée.

Universel
L’essentiel en 5 secondes

✓ L'universel est la catégorie logique qui touche la totalité des éléments d'un
ensemble

✓ La raison est une faculté qui vise l'universel

✓ À l'universalisme selon lequel il existe des valeurs universelles s'oppose le


relativisme
46
Utilité
Qu’est-ce que l’utilité ?
L’utilité est un rapport de convenance entre une chose et un
objectif déterminé : l’essence est utile car elle permet de se
déplacer en voiture, les chaussures sont utiles car elles
permettent de marcher sans se blesser les pieds, etc. Lorsque
l’utilité est maximale, on parle de « nécessité » : l’air et l’eau
sont plus qu’utiles à la vie, ils sont nécessaires. Le terme
d’« utilité » semble renvoyer exclusivement à la vie pratique,
mais lorsqu’un mathématicien se sert de théorèmes pour en
démontrer un autre ces théorèmes lui sont par définition
« utiles ». De même, l’ordinateur est très utile aux
astrophysiciens qui effectuent grâce à lui leurs calculs.

Le mépris de l’utile
Le mépris de l’utile est une attitude que l’on rencontre dans de
nombreuses traditions culturelles. Une certaine sagesse le
cultivait. L’ascétisme, par exemple, qui est un type de
comportement religieux consistant à se priver volontairement
des plaisirs et même des nécessités de la vie (plaisir sexuel,
alimentation, sommeil…) repose sur le refus de ce que la société
considère comme utile.

L’utilitarisme
À la fin du XVIIIe siècle, une philosophie « utilitariste » est née
en Angleterre sous l’impulsion de Jeremy Bentham (1748-
1832). Rameau dérivé du libéralisme, l’utilitarisme définit le
bonheurcomme un ensemble de satisfactions supérieur à
l’ensembledes déplaisirs , et la société heureuse comme celle
dont le plus grand nombre de membres jouit du plus grand
nombre de satisfactions. À l’objection selon laquelle un porc
pourrait être plus heureux qu’un philosophe, John Stuart Mill
(1806-1873) répliquait par une hiérarchie des utilités : le plaisir
de l’esprit peut être placé plus haut que celui du corps par l’être
humain.
Il existe un utilitarisme naïf spontané, diffus dans les sociétés
actuelles. « À quoi ça sert ? » est la question par excellence,
comme si l’utilité immédiate suffisait à justifier n’importe quelle
activité, et que inversement son absence suffisait à l’invalider. À
quoi sert la philosophie ? À cette question, Vladimir
Jankélévitch (1903-1985) répondait : « On peut vivre sans
philosophie comme on peut vivre sans amour ou sans musique –
mais pas aussi bien. »

Utilité
L’essentiel en 5 secondes

✓ L'utilité est le rapport adéquat entre un moyen et une fin

✓ Il y a donc autant d'utilités que d'objectifs visés

✓ L'utilitarisme est une philosophie libérale qui définit le bonheur comme une
somme de plaisirs dépassant une somme de déplaisirs
47
Vérité
Une femme nue
L’allégorie ancienne représentait la Vérité sous l’apparence
d’une jeune femme nue ou très légèrement vêtue d’une gaze
transparente au fond d’un puits et tenant dans sa main un miroir.
La nudité représente la réalité telle qu’elle est, sans masque (ne
dit-on pas « le voile du mensonge » ou « l’écran de l’erreur » ?).
Le puits renvoie à la profondeur cachée : la vérité n’est pas
immédiatement accessible. Quant au miroir, il symbolise la
conscience de soi : lorsque je connais la vérité, je sais que je la
connais, alors que, à l’inverse, le propre de l’erreur est d’être
inconsciente (c’est ce qui différencie l’erreur du mensonge, qui
est conscient et intentionnel).

Il ne suffit pas d’avoir raison pour être


dans le vrai
Deux hommes perdus en montgolfière demandent à un troisième
qu’ils aperçoivent au sommet d’une colline :
« Où sommes-nous ?
– Vous êtes dans une montgolfière ! » répond l’inconnu.
Cette réponse est indiscutablement vraie, mais elle est
complètement sans intérêt pour les deux hommes égarés. Il ne
suffit pas qu’une phrase énoncée corresponde à la réalité pour
être vraie, encore faut-il qu’elle apporte une information
nouvelle. Si je dis : « Demain matin il fera jour », la phrase est
vraie mais sans intérêt – en fait, je ne dis rien.
Une anecdote montre qu’il ne suffit effectivement pas d’avoir
raison pour être dans le vrai. Le philosophe danois Kierkegaard
raconte qu’on pouvait voir dans les rues de Copenhague un
étrange bonhomme qui marchait un bilboquet à la main.
« Boum, la Terre est ronde ! » s’exclamait-il chaque fois qu’il
réussissait à ficher la sphère de bois trouée sur la pointe. Le
bonhomme a raison, la Terre est ronde, commentait Kierkegaard,
mais cela n’empêche pas qu’il soit fou ! Il ne suffit pas d’avoir
raison pour être dans la vérité ; encore faut-il, en effet, avoir la
raison.

Søren Kierkegaard (1813-1855) a souvent été considéré comme le


père de l’existentialisme à cause de l’importance qu’il accordait aux
situations douloureuses de la condition humaine, comme l’angoisse ou
le desespoir. Il a écrit, en une vingtaine d’années, comme plus tard
Nietzsche, une œuvre colossale.

La cohérence est une condition nécessaire mais non suffisante de


la vérité ; le délire d’un fou peut être parfaitement cohérent. Une
tautologie (« On est comme on est », « Le bonheur s’enfuit dès
que le malheur arrive », « Le malaise général est dû à la crise
que le pays traverse », etc.) n’a aucune valeur de vérité. Il n’y a
de vérité que là où une erreur est possible.

Trois conceptions de la vérité


Il existe globalement trois grandes conceptions philosophiques
de la vérité : oubienla vérit é estassimilée
à la réalité,
oubien
elle estconsidé réecomme une traduction de la réalité,ou
bien encore elle estconçuecomme une construction d’une
autr e natur e que la réalité
.
La confusion entre vérité et réalité remonte à la philosophie
grecque (Parménide, Platon), et elle est restée dans nos façons
communes de parler. Lorsque nous disons « un vrai Picasso »,
nous voulons dire que Picasso a réellement peint ce tableau que
nous voyons. Donc, la vérité ici n’est pas dans le tableau mais
dans le jugement que nous portons sur lui. La vérité est un effet
de langage : elle n’existe pas dans le monde des choses (la
réalité) mais dans celui des signes. Hors langage, il n’y a ni vrai
ni faux.
D’où l’idée que la vérité est une traduction adéquate, fidèle de la
réalité. Mais que veut dire « traduire » ? E = mc2 est vrai parce
que prouvé. Mais en quoi ces signes sont-ils la traduction de la
réalité physique ? C’est pour répondre à cette difficulté que
certains philosophes ont pensé la vérité comme une construction
de l’esprit humain, avec ce que cela implique d’artifice et de
convention.

Les différents ordres de vérité


En tombant du ciel sur la terre, la Vérité a perdu sa majuscule et
s’est fragmentée en mille morceaux. Il n’y a pas de Vérité mais
seulement des énoncés que l’on peut dire vrais sous certaines
conditions. Le mot de « vérité » est commode pour embrasser
sous un même concept la qualité logique de jugements aussi
différents que « 3 fois 6 égale 18 », « La Terre tourne autour du
Soleil », « Napoléon est mort à Sainte-Hélène », mais on
distinguera avec soin la démonstration mathématique, la preuve
physique et l’argumentation historique. Les clés qui ouvrent
toutes les portes sont nécessairement fausses. En termes de
serrurerie, cela s’appelle des « passe-partout ».
Un énoncévraiestun énoncévérifié. Il existe trois façons de
vérifier : par le raisonnement (c’est ce que fait le
mathématicien), par l’expérience (ce que fait le physicien) et par
le document (c’est ce que fait l’historien).

Certitude et conviction
On définit traditionnellement la certitude comme la conscience
de la vérité. Or, s’il n’y a de vrai que ce qui peut être vérifié,
nous ne pourrions être certains que de ce que nous avons vérifié.
Pourtant, bien que nous n’ayons pas les moyens de vérifier notre
date de naissance, nous avons sur elle une absolue certitude.
Pour sortir de cette difficulté, on distinguera la conviction, qui
estde l’ordr e du sentiment , et la certitude, qui estde l’ordre
de la connaissance . En ce sens, on parlera de « conviction » et
non de « certitude » politique ou religieuse. Le croyant est
convaincu de l’existence de Dieu, il n’en est pas à proprement
parler certain. Le fanatique pousse à l’extrême sa conviction. Le
fanatisme nous interdit de reconnaître dans la sincérité une
valeur sans défaut : nul n’est plus sincère qu’un fanatique, en
effet.

Le doute sceptique
On appelle scepticisme la philosophie selon laquelle : a) la vérité
n’existe pas ; b) si la vérité existe, elle est inconnaissable ; c) si
la vérité est connaissable, elle est incommunicable.
Les arguments sceptiques sont les suivants : la contradiction des
opinions – je dis « blanc », mon voisin dit « noir », et il n’y a
rien pour nous départager ; le cercle vicieux (appelé
« diallèle ») – A renvoie à B qui renvoie à C qui renvoie à A,
c’est l’expérience souvent faite des définitions du dictionnaire ;
la régression à l’infini – je prouve A par B et B par C et C par D,
sans fin ; la nécessité des postulats invérifiables – pour stopper
la régression infinie, je décide arbitrairement que telle
proposition a une validité absolue (en mathématiques, on
l’appelle axiome). D’où cette contradiction : ma démonstration
repose elle-même sur des propositions indémontrées, voire
indémontrables.

Que signifie se tromper ?


Les énoncés ne sont pas divisibles en deux ensembles, les vrais
d’un côté et les faux de l’autre. Il y a bien des énoncés qui ne
sont ni vrais ni faux, comme tous ceux qui expriment un souhait
(« Pourvu qu’il pleuve ! »), une interrogation (« Pleuvra-t-il ? »).
Pour qu’une phrase soit vraie, il faut qu’elle ait un sens, c’est-à-
dire qu’elle soit grammaticalement correcte et qu’elle
corresponde à une réalité objective. Bertrand Russell (1872-
1970) avait donné cet exemple : « Le roi de France est chauve »
n’est ni vrai ni faux, parce qu’il n’y a pas de roi de France
aujourd’hui. Pourtant, cette phrase a un sens que chacun peut
saisir immédiatement.
Lorsque l’on parle ou que l’on pense, on n’est donc pas pris dans
l’alternative avoir raison/avoir tort. « Dieu existe » n’est ni vrai
ni faux – de même « la dignité est une valeur inaliénable ».
L’opposition entre vérité et erreur ne concerne par conséquent
qu’un domaine particulier de la pensée humaine – celui de la
science.

Vérité

L’essentiel en 5 secondes

✓ La vérité est la valeur logique attachée à une proposition douée de sens et


exprimant une réalité objective, admissible par tous

✓ Un énoncé vrai est un énoncé qui peut être vérifié soit par démonstration, soit par
expérimentation, soit par argumentation

✓ Il existe une quantité infinie d'énoncés qui ne sont ni vrais ni faux


EI
siî
Extraordinaire ou banale ?
Le passage de la matière inerte à la vie est à peine moins
mystérieux que celui du néant à la matière. C’est l’un des défis
que les sciences et les techniques contemporaines n’ont pas
encore réussi à relever : la fabrication de la vie à partir de la
simple matière. Nous pouvons créer de la vie à partir de la vie,
mais non de la vie à partir de la non-vie.
Pourtant, d’un point de vue matérialiste (celui qui s’en tient aux
composantes physiques et chimiques), la vie n’est rien d’autre
que de la matière un peu compliquée. Point n’est besoin d’en
appeler à un Dieu tout-puissant pour expliquer les battements du
cœur ou la reproduction sexuée. La « force vitale » que certains
philosophes invoquaient pour rendre compte du dynamisme
créateur de la vie a été reléguée au rang d’hypothèse inutile.
Pourtant, quelque chose a résisté : jusqu’à présent, aucun
laboratoire n’a jamais réussi à créer la moindre cellule à partir de
simples molécules.

La vie et la mort
La vie se définit à la fois par opposition à l’inerte et par
opposition à la mort. Pour nous, ces limites sont évidentes, mais
il n’en a pas toujours été ainsi. Les peuples anciens ont attribué
la vie aux astres : ne brillent-ils pas (la chaleur et la lumière sont
des signes de vie) ? Ne se déplacent-ils pas (le mouvement est
lui aussi signe de vie) ? L’animisme prêtait vie aux montagnes,
aux éléments (feu, air, eau, terre), à certains rochers, etc.
L’univers lui-même était volontiers considéré dans son tout
comme un grand vivant. Alors que nous avons tendance
aujourd’hui à considérer la vie comme plutôt exceptionnelle
dans la nature (nous n’avons toujours pas trouvé signe de vie
ailleurs que sur terre), les hommes autrefois pensaient à l’inverse
la vie comme la manifestation même de la nature dans sa
totalité. Quant à l’opposition entre la vie et la mort, elle est à la
fois évidente et contestable : nous faisons tous la différence entre
un vivant et un cadavre, mais lorsqu’un animal meurt les cellules
qui le composent ne s’arrêtent pas toutes en même temps de
fonctionner. Par ailleurs, la mort n’est pas seulement
l’événement dramatique qui vient mettre brutalement fin à
l’existence de l’organisme : elle l’accompagne à chaque instant,
car c’est à chaque instant que l’animal meurt, en parties, par
morceaux. La vie et la mort sont tellement intriquées l’une dans
l’autre qu’il est pratiquement impossible de les départager.
Par rapport à son milieu physique, la vie manifeste une capacité
de création qui semble aller à rebours de la loi de la
thermodynamique selon laquelle un système physique clos
s’achemine inéluctablement vers sa destruction – une voiture
laissée à l’abandon pendant des années se dégradera ; et, si elle
est rouillée, on ne la verra jamais se repeindre toute seule. Le
vivant, lui, non seulement est capable de se régénérer (il n’y a
dans le monde matériel aucun équivalent au phénomène de
cicatrisation), mais au fil des âges il est aussi capable
d’engendrer des organismes supérieurs à ceux qui les ont
précédés. L’évolution elle non plus n’a pas d’équivalent dans le
monde de la physico-chimie.

Vie
L’essentiel en 5 secondes

✓ Le vivant s'oppose à la fois à l'inerte et au mort

✓ La mort est à la fois opposée à la vie et indissociablement mêlée à elle

✓ La vie a une capacité de création que la matière inerte n'a pas


49
Violence
La force et la violence
La violence entretient avec la force des relations contradictoires.
D’un côté, elle semble être une force exagérée, un surcroît de
force ; d’un autre côté, elle nous paraît pencher, à l’inverse, vers
la faiblesse. La preuve que la force et la violence peuvent être
contraires, c’est que la violence est souvent une manifestation
désespérée de la faiblesse : les parents qui battent leurs enfants,
les maris qui battent leurs femmes ne sont pas forts mais
faibles ; les terroristes qui tuent des innocents au hasard dans la
rue ne sont pas forts mais faibles ; les gouvernements
tyranniques qui font tirer sur une foule de manifestants désarmés
ne sont pas forts mais faibles.
Alorsqu e la force estdu côtéde la vie,la violenceestce qu i
donne la mort,ou la rend possible. C’est cette présence,
actuelle ou implicite, de la mort qui nous fait peur dans la
violence. Même une voiture qui brûle sans victime humaine
nous renvoie une image de mort, car le brasier est incompatible
avec l’existence normale du corps physique. La violence est la
mort simulée. C’est ce qui nous plaît en elle et nous révulse
également.
Si nous parlons de la « violence » d’une tempête, ou de celle
d’une éruption volcanique, ou encore de celle de l’explosion
d’une supernova, c’est que ces phénomènes naturels, qui ne sont
animés d’aucune volonté, sont incompatibles avec la fragilité de
nos vies. La violence est ce qui nous anéantit comme êtres
humains.

Les formes de violence


La violence revêt des formes multiples. À ne retenir que les plus
spectaculaires (auxquelles nous invite le cinéma), nous risquons
de passer à côté du phénomène. La violencene s’épuise pas
dans les actesde violence: il y a égalementles états de
violence. Un pays soumis au couvre-feu, une entreprise sous la
coupe du pouvoir tyrannique d’un dirigeant, une famille
tremblante devant le despotisme d’un père vivent tous dans des
états de violence. Un canon est violent quand bien même il ne
tonne pas.
C’est dire si la violence peut suivre des chemins feutrés : il y a
une violence de la parole (l’injure, la menace) et même une
violence du silence, il y a aussi une violence des sentiments et
des idées.

La violence et le droit
Toute société a intérêt à maintenir la violence à son degré le plus
bas possible – et, pourtant, toute société est (plus ou moins)
violente, et toute société cultive (dans une certaine mesure) la
violence. Le sociologue allemand Max Weber (1864-1920)
définissait l’État comme l’ensemble des pouvoirs qui disposent
du « monopole de la violence légitime ». La société, en effet,
n’est pas tant contre la violence en général que contre celle
qu’elle ne contrôle pas ni ne commande. Elle interdit aux
hommes de tuer mais leur ordonne de faire la guerre. Les
relations du droit et de la violence sont un bon exemple de
dialectique.
Les relations contradictoires que la violence entretient avec le
droit ne font en un sens que traduire l’ambivalence de la
répulsion et de la fascination dans laquelle la violence nous
place tous. La première fonction du droit dans une société est
d’en garantir l’ordre : la violence sera par conséquent hors la loi
à cause du trouble qu’elle représente. Mais, d’un autre côté, la
violence est source de droit (les guerres et les révolutions
débouchent souvent sur un réaménagement des lois) ; de plus, la
violence accompagne le droit (voir le glaive symbolique que
brandit l’allégorie de la Justice). De fait, aucun régime politique
ou social n’a jamais été contre la violence en tant que telle, mais
seulement contre la violence incontrôlable.
D’une part, le droit écarte la violence, et la violence supprime le
droit. Les lois par exemple vont interdire les crimes.
Corollairement, les crimes sont la transgression de l’interdit.
Mais, d’autre part, le droit peut légitimer une certaine violence
par le système de sanctions qu’il légitime (peine de mort,
torture, prison, etc.). Corollairement, la violence est volontiers
source de droit : la plupart des Constitutions des États dans le
monde sont nées du sang des guerres et des révolutions. Il y
aurait par conséquent des violences fécondes, profitables, qui
finissent par être légitimées, tandis qu’il y aurait des violences
inutiles, d’autant plus intolérables qu’elles n’ont débouché sur
aucun ordre durable. Les crimes de Staline n’ont jamais paru
aussi horribles que depuis l’effondrement du communisme en
Union soviétique.

La non-violence
La non-violence a été à partir du XIXe siècle justifiée comme un
moyen d’action sociale et politique efficace. Plaçant la violence
du camp d’en face en porte-à-faux, elle repose sur l’idée que la
violence est contre-productive et qu’elle finit par s’anéantir elle-
même (ainsi, la répression d’une manifestation non violente
affaiblit le pouvoir en place, car elle crée des solidarités
proliférantes).
L’action non violente rencontre néanmoins rapidement sa propre
limite : elle présuppose l’absence de barbarie chez l’adversaire.
Or, face à la barbarie – telle que celle dont le nazisme fut
l’incarnation –, la non-violence est évidemment réduite à la plus
tragique des impuissances.
Il y a eu dans l’histoire contemporaine bien des maîtres et des
puissants pas du tout impressionnés à l’idée d’écraser des
innocents désarmés.

Violence
L’essentiel en 5 secondes

✓ La violence est signe de faiblesse et non de force. Elle porte la mort en elle.

✓ Les relations entre le droit et la violence sont dialectiques (contradictoires) : à la


fois d'opposition et d'implication réciproque

✓ La non-violence fait le pari du caractère civilisé de son adversaire


50
Volonté
Une intuition
L’être humain a l’impression qu’il dispose d’une force propre
qui lui permet d’agir selon ses intentions, mais qui peut être
entravée pour des raisons diverses. Il est certain qu’un prisonnier
se trouve dans une cellule contre sa volonté et que la plupart des
spectateurs d’un opéra, à l’inverse, ont voulu être là où ils sont.
La volonté fait cercle avec la liberté : l’une présuppose l’autre.
La volonté est la liberté d’agir, et nous ne parlerions pas de
liberté s’il n’y avait pas de volonté.

Volonté et désir
Il est courant d’opposer la volonté rationnelle et réaliste au désir
irrationnel et irréaliste. Alorsqu’on peutdésir erl’impossible
(l’immortalité par exemple), on ne peut vouloir que le possible .
Le désir est de l’ordre du rêve, du fantasme (ce qui ne signifie
pas qu’il soit toujours irréalisable). Il pose le but atteint sans se
soucier des moyens. Ainsi, le prisonnier qui désire s’évader
pourra s’imaginer en train de se promener dans la forêt ou de
batifoler avec sa petite amie. En revanche, le prisonnier qui
voudra s’évader aura déjà adopté toute une stratégie active
(soudoyer les gardiens, faire venir en fraude des outils,
communiquer un plan avec l’extérieur, etc.).

Un concept récent
Le concept de « volonté » est beaucoup plus récent qu’on
pourrait le penser. Car, si les Grecs distinguaient clairement ce
que l’on fait malgré soi et ce que l’on fait de son plein gré, ils ne
disposaient pas de cette notion de « volonté » qui, depuis saint
Augustin, son véritable inventeur, renvoie à une force ou à une
faculté inhérente à l’être humain.
Ce n’est pas un hasard si c’est la question du péché, dont le
concept fut lui aussi littéralement construit par saint Augustin,
qui permet la théorisation de la volonté. Il n’y a, en effet, pas de
péché concevable sans volonté d’agir contre l’ordre de Dieu.

Saint Augustin (354-430) peut être considéré aussi bien comme le


dernier philosophe de l’Antiquité que comme le premier philosophe du
Moyen Âge. Son œuvre la plus connue est Les Confessions où il relate
sa conversion au christianisme.

La théologie chrétienne donnera à la volonté une importance


primordiale. Ainsi, l’antique Destin, qui est l’exemple type d’un
pouvoir absolu sans volonté puisque sans intention, disparaît au
profit de la Providence, qui est la sage et bonne volonté du Dieu
unique tout-puissant.
Comment imaginer la création du monde sans la volonté de
Dieu ? Dans les mythologies, les choses se font sans qu’une
volonté intervienne, elles se font parce qu’elles devaient se faire.
La philosophie classique du sujet, telle qu’elle commence avec
Descartes (1596-1650), accorde à l’être humain des qualités que
la théologie attribuait à Dieu. Descartes va même jusqu’à dire
que c’est par la volonté que nous ressemblons le plus à Dieu, car
si notre entendement (notre intelligence) est limité – à l’opposé
de celui de Dieu – notre volonté, elle, est infinie.

Le volontarisme
L’individualisme, qui signale l’avènement de la civilisation
moderne, à partir du XVIe siècle, est un volontarisme. L’être
humain est un animal que ne satisfont pas les hasards et les
nécessités de la nature, auxquels il tendra à substituer les objets
de sa volonté propre. Ainsi, on peut interpréter l’histoire des
techniques comme la somme des efforts effectués par l’être
humain pour imposer sa volonté au monde des choses.
À partir du XVIIIe siècle, le volontarisme s’est exercé de manière
particulièrement ardente dans le domaine historique, ainsi qu’on
le voit avec les multiples projets révolutionnaires comme avec
les diverses utopies – lesquelles ne sont plus conçues comme des
fictions littéraires mais comme de véritables programmes
d’action. Peut-être l’échec de l’utopie révolutionnaire
communiste a-t-elle donné un coup d’arrêt définitif à cette
volonté historique. D’où le retour aux classiques conceptions
fatalistes d’une histoire et d’une société auxquelles on ne
pourrait rien changer.
Du côté des techniques, en revanche, la volonté a efficacement
fait la chasse aux hasards et aux destins. L’homme moderne a
réalisé le rêve de Descartes : il est devenu le maître et le
possesseur de la nature, au risque de ravager son environnement.
Mais la volonté s’est également exercée sur le corps propre :
alors que celui-ci était conçu comme le résultat nécessaire de
forces extrahumaines où se conjuguaient là aussi les hasards et
les nécessités, à présent il fait l’objet de manipulations sans
limite (pharmacie, chirurgie et bientôt génie génétique).
Désormais, la naissance d’un enfant et la mort d’un vieillard
sont programmées, c’est-à-dire qu’elles sont le résultat d’une
décision.
Par ailleurs, les innovations technoscientifiques qui accordent à
l’être humain une puissance démultipliée tendent à confondre
avec la volonté la sphère des envies, des désirs et des fantasmes.
Volonté
L’essentiel en 5 secondes

✓ La volonté est la force de la liberté. On l'oppose au désir irrationnel et irréaliste.

✓ La volonté est un concept récent, apparu avec l'idée de subjectivité

✓ La modernité exalte le volontarisme technoscientifique


Index
Absurde

Accident : voir Contingence


Altermondialisme : voir Mondialisation
Animal : voir Machine
Autorité

Bonheur

Capitalisme : voir Image, Individualisme, Mondialisation


Certitude : voir Vérité
Civilisation : voir Culture
Communautarisme : voir Racisme
Communication

Compréhension : voir Concept


Concept

Connaissance : voir Information


Conscience : voir Transcendance
Contingence : voir aussi Absurde, Hasard
Conviction : voir Vérité
Cosmopolitisme : voir Mondialisation
Croyance : voir Universel
Culture : voir aussi Hasard
Démocratie : voir aussi Dignité, Égalité, Liberté, Opinion,
République, Souveraineté
Désir : voir Volonté
Déterminisme : voir Contingence, Hasard, Liberté
Différence : voir Identité
Différentialisme : voir Identité
Dignité : voir aussi Subjectivité
Domination : voir Autorité
Doute : voir Vérité
Doxa : voir Opinion
Droit : voir Violence
Droit naturel : voir Droits de l’homme
Droits de l’homme : voir aussi Contingence
Égalité : voir aussi Démocratie, Droits de l’homme, Identité
Égocentrisme : voir Individualisme
Égoïsme : voir Individualisme, Universel
Environnement

Erreur : voir Vérité


Essence : voir Contingence
État

Éthique

Eudémonisme : voir Bonheur


Existentialisme : voir Absurde
Expression : voir Communication
Extension : voir Concept
Fatalisme : voir Contingence, Liberté
Fondamentalisme : voir Religion
Force : voir Violence
Généralité : voir Universel
Hasard

Hédonisme : voir Bonheur


Histoire : voir Progrès
Honneur : voir Dignité
Idée : voir Concept
Identité : voir aussi Égalité
Image

Immanence : voir Transcendance


Inconscient

Individu : voir Droits de l’homme, Individualisme


Individualisme : voir aussi Racisme, Subjectivité, Volonté
Infini

Information

Inné : voir Culture


Intégrisme : voir Religion
Intelligence

Justice : voir Égalité


Laïcité : voir aussi Démocratie, République
Langage : voir Communication
Légitimité : voir Autorité
Libéralisme : voir Bonheur, Tolérance
Liberté : voir aussi Démocratie, Droits de l’homme,
Individualisme, Volonté
Libre arbitre : voir Liberté
Lumières : voir Modernité
Machine : voir aussi Intelligence
Mécanisme : voir Machine
Métaphysique

Modernité : voir aussi Nihilisme, Subjectivité


Mondialisation : voir aussi État, Nation, Racisme, Souveraineté
Morale : voir Éthique
Mort : voir Vie
Narcissisme : voir Individualisme
Nation

Nature : voir Culture, Environnement, Infini


Nécessitarisme : voir Contingence
Nécessité : voir Absurde, Contingence
Nihilisme

Normalité

Notion : voir Concept


Opinion : voir aussi Philosophie, Universel
Organicisme : voir Machine
Outil : voir Machine
Particulier : voir Universel
Personne : voir Droits de l’homme, Subjectivité
Peuple : voir Nation
Phénomène : voir Science
Philosophie

Plaisir : voir Bonheur


Positivisme : voir Métaphysique
Postmodernité : voir Modernité
Pouvoir : voir Autorité, État
Progrès : voir aussi Modernité
Providentialisme : voir Contingence
Racisme : voir aussi Contingence
Raison : voir Absurde, Vérité
Raisonnable : voir Absurde
Rationnel : voir Absurde
Refoulement : voir Inconscient
Relativisme : voir Universel
Religion : voir aussi Philosophie, Tolérance, Universel
Représentation : voir Image
République

Respect : voir Dignité


Risque

Savoir : voir Information, Science


Scepticisme : voir Universel, Vérité
Science : voir aussi Métaphysique, Philosophie, Universel
Scientisme : voir Métaphysique
Sécularisation : voir Éthique
Sens : voir Absurde, Philosophie
Signification : voir Absurde
Singulier : voir Universel
Souveraineté

Subjectivité : voir aussi Volonté


Technique : voir Machine, Science
Technosciences : voir Science
Tolérance

Transcendance

Transcendantal : voir Transcendance


Transmission : voir Communication
Travail

Universalisme : voir Contingence, Droits de l’homme, Identité,


Racisme
Universel

Utilitarisme : voir Bonheur, Utilité


Utilité

Valeur : voir Éthique


Vérité : voir aussi Philosophie, Universel
Vie

Violence

Volonté
Sommair e

Couverture
50 notions clés sur la philosophie pour les Nuls
Copyright
1 - Absurde
À l’opposé de la raison, sous ses deux aspects

Nous déclarons absurde ce qui nous choque

La philosophie de l’absurde

L’absence de sens

Ce qui n’a pas de sens peut avoir une signification

2 - Autorité
Pouvoir et autorité

Un pouvoir sans violence

La crise de l’autorité

Reste ce qui fait autorité

3 - Bonheur
La hiérarchie des vécus positifs

La valeur du bonheur
La part du hasard

L’utilitarisme comme philosophie moderne du bonheur

4 - Communication
Qui dit « communication » dit « commun »

Communication et transmission

5 - Concept
Rendons à la philosophie ce que le commerce lui a volé

L’universalité du concept

Les concepts abstraits

6 - Contingence
Usage commun et usage philosophique du mot

Les deux types de contingence

Essence et accident

Fatalisme, providentialisme et déterminisme

7 - Culture
Origine et sens du mot

La culture comme antinature

8 - Démocratie
Le mot, l’idée et le fait

Le pouvoir du peuple

La démocratie directe
9 - Dignité
Une invention philosophique

Une valeur démocratique

La dignité est inaliénable

10 - Droits de l’homme
Origine et sens de la notion

L’universalité des droits de l’homme et ses contestations

11 - Égalité
Le principe de la démocratie

Égalité et identité

L’égalité est une valeur plutôt qu’un fait

Il y a égalité et égalité

12 - Environnement
Entre nature et culture

Une prise de conscience nouvelle

13 - État
Une institutionnalisation du pouvoir

Une forme récente de pouvoir

Les régimes politiques

Puissance et impuissance de l’État

14 - Éthique
Éthique et morale

La victoire de l’éthique sur la morale

La fin des absolus moraux

15 - Hasard
Le rejet du hasard

Qu’est-ce que le hasard ?

Le hasard est-il en nous ou dans les choses ?

16 - Identité
De la logique à l’existence

Identité et différence

Le différentialisme

17 - Image
Une seconde présence

L’image fait-elle voir ou fait-elle voile ?

La fabrication des images

Le vrai sens de la « civilisation de l’image »

18 - Inconscient
De l’adjectif au substantif

La nécessité de cette idée

Le refoulement

19 - Individualisme
Le mot et le fait

« Je pense, donc je suis »

Grandeur et misères de l’individualisme

20 - Infini
Les infinis

Du négatif au positif

Du monde clos à l’univers infini

21 - Information
Une première mise en forme

Sens commun et sens mathématique

Information, savoir, connaissance

22 - Intelligence
Qu’est-ce que l’intelligence ?

L’adaptation et la bêtise

L’intelligence artificielle est-elle intelligente ?

23 - Laïcité
L’origine et le sens de la notion

Laïcité et démocratie

Extension du domaine de la laïcité

24 - Liberté
Une valeur d’aujourd’hui
Idée abstraite ou réalité concrète ?

Le déterminisme semble ruiner la liberté

Être libre, est-ce faire ce qui nous plaît ? Ce que l’on veut ?

Le libre arbitre

La puissance d’agir

25 - Machine
Machine et outil

La machine est le propre de l’homme

Conception mécanique versus conception organiciste

L’intelligence artificielle et la robotique

Le test de Turing

26 - Métaphysique
Une origine presque aléatoire

De la science suprême à la science déchue

Le positivisme et le scientisme

La métaphysique fait de la résistance

27 - Modernité
Origine de la notion de modernité

La crise de la modernité

La postmodernité

28 - Mondialisation
Globalisation et mondialisation

Le caractère contradictoire de la mondialisation

Mondialisme et cosmopolitisme

Antimondialistes et altermondialistes

29 - Nation
Qu’est-ce qu’une nation ?

Nation et nationalisme

Mort et survie des nations

30 - Nihilisme
Origine de la notion

L’effondrement des valeurs

La rage de la destruction

31 - Normalité
Une notion équivoque

Anormalité et anomalie

32 - Opinion
La doxa

L’opinion publique

« Subjectif » ne veut pas dire « personnel »

33 - Philosophie
Qu’est-ce que la philosophie ?
Science et philosophie

La philosophie n’est ni la science ni l’opinion

La mort de la sagesse et la vie de la philosophie

34 - Progrès
Les deux dimensions du progrès

Une idée plutôt qu’un fait

Le triomphe de l’idée de progrès

Développement et croissance

35 - Racisme
Le terrible mot de « race »

Les sens du racisme

Le racisme est un communautarisme

Il n’y a pas de race(s) humaine(s)

36 - Religion
Difficultés à définir la religion

Définition de la religion

La religion a-t-elle tout l’avenir devant elle ?

Intégrisme et fondamentalisme

37 - République
Origine historique de l’idée

République et démocratie
38 - Risque
Qu’est-ce que le risque ?

La société du risque

39 - Science
Science et savoir

Les obstacles épistémologiques

La rupture épistémologique

La patience de la science

La phénoménotechnique

40 - Souveraineté
Essence de la souveraineté

La démocratie et la mondialisation

41 - Subjectivité
Une idée récente

Définition de la subjectivité

Destinée contradictoire de la subjectivité

42 - Tolérance
Naissance d’un idéal

Le libéralisme

Le problème des limites

43 - Transcendance
La définition classique

Les usages contemporains de la transcendance

44 - Travail
Définition du travail

Dévalorisation et valorisation du travail

Métamorphoses du travail

Les trois fonctions du travail

La fin du travail ?

45 - Universel
Les catégories aristotéliciennes

La pensée comme puissance d’universel

La morale comme puissance d’universel

La crise de l’universel

46 - Utilité
Qu’est-ce que l’utilité ?

Le mépris de l’utile

L’utilitarisme

47 - Vérité
Une femme nue

Il ne suffit pas d’avoir raison pour être dans le vrai

Trois conceptions de la vérité


Les différents ordres de vérité

Certitude et conviction

Le doute sceptique

Que signifie se tromper ?

48 - Vie
Extraordinaire ou banale ?

La vie et la mort

49 - Violence
La force et la violence

Les formes de violence

La violence et le droit

La non-violence

50 - Volonté
Une intuition

Volonté et désir

Un concept récent

Le volontarisme

Index

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