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LA NOBLESSE GHARNÂTÎ DANS LA FONDATION

ET LE DÉVELOPPEMENT DU TÉTUAN du (XVe au


XVIIe siècle)

PAR

GUILLERMO GOZALBES BUSTO

La ville de Tétouan, située à 41 km au sud de Ceuta, sur le détroit de Gibraltar, est construite à 11 km
de la mer Méditerranée, surplombant la plaine fertile d'une rivière, le Martín, formée de trois petits
cours d'eau, le Jemis, le Chacur et le Najla, à l'embouchure de laquelle se trouve un faible estuaire,
autrefois refuge des petits bateaux.
En tant que création urbaine, elle a subi diverses vicissitudes, depuis l'époque punique et romaine,
située sur les rives de la rivière Martín elle-même, jusqu'à la ville-camp, construite par le sultan
mérinide AbuThabit, sur les pentes du mont Dersa, qui limite la vallée dans sa partie nord. Lorsque
Ceuta fut occupée par les Portugais en 1415, ceux-ci lancèrent de fréquentes incursions vers le sud, se
heurtant toujours aux guerriers qui avaient leur base dans le château de Tétouan.
En 1437, le capitaine général de Ceuta, Don Pedro de Meneses, décida de supprimer cet obstacle
fortifié et envoya une expédition, dirigée par son fils bâtard, D. Duarte, qui assaillit les murs, pénétra
dans la ville, préalablement évacuée par les habitants et les défenseurs, y mit le feu et détruisit
consciencieusement tout ce qui pouvait être détruit.
Tétouan est restée ruinée et déserte, servant souvent de camp aux troupes lusitaniennes qui se
rendaient ou revenaient de leurs incursions à l'intérieur du pays. Tant la destruction de la ville que
l'interrègne jusqu'à sa reconstruction ont été à l'origine d'erreurs historiques, qui se répètent encore
dans différents textes et ouvrages. Ainsi, on raconte que ce sont les marins de Castille, sous le règne
d'Henri III, qui ont détruit la ville en l'an 1400, voulant mettre fin à un foyer corsaire qui y existait. On
dit aussi que la ville est restée déserte pendant plus de quatre-vingts ans. Aucune de ces affirmations
n'est vraie, comme je l'ai montré dans d'autres ouvrages antérieurs, mais surtout dans celui que j'ai
consacré spécialement à cette fin 1- Tétouan a été reconstruite et refondée par des exilés de Grenade
en 1484 ou 1485. Moins d'un demi-siècle, donc, de destruction. Assez de temps, cependant, pour se
prolonger dans l'imaginaire des nouvelles mal captées et, d'autre part, pour que l'on puisse parler de
véritable fondation de la ville par les Grenadins. Qui étaient-ils - et qui les dirigeait, sera la raison de
ce très modeste travail qui fera la lumière sur ces personnages apparus dans mes écrits précédents,
mais que j'ai l'intention de mettre en valeur dans le présent ouvrage. Je souhaite cependant, avant de
commencer, attirer l'attention sur la situation de la ville, si proche du détroit de Gibraltar, étant, par
conséquent, souvent le lieu d'arrivée des exilés, volontaires ou forcés de la Péninsule, s'en échappant
pour une raison ou une autre. Il n'y a pas si longtemps, dans ces mêmes pages, nous faisions connaître
la biographie d'un illustre Grenadin du XIIe siècle, Sidi 'Abd el Qadir Tabbin, qui a colonisé ce qui
était alors un simple village de la vallée de Martin. Sur ses vastes plages ont débarqué, au fil des
siècles, ceux qui, sur la rive opposée, rêvaient d'un au-delà, comme d'une fin à leurs malheurs
idéologiques.

1 G. Gozalbes Busto, "Un error histórico", Cuadernos del Archivo Municipal de Ceuta, no. 2, 1988, pp. 27-30.
Tétouan est devenue une extension de Grenade, à tel point qu'aujourd'hui encore, les plus éclairés de
ses habitants ont ce sentiment.
Al Mandari
Léon l'Africain, qui a visité la ville très peu de temps après la mort de son fondateur, nous raconte qu'il
s'agissait d'un capitaine de Grenade qui a accompli des exploits dans les guerres de Grenade et que les
Portugais l'ont appelé Almandari. Nous devons recommander la plus grande prudence dans la lecture
de Léon, car il fait, en plus de cela, d'autres déclarations qui ont induit en erreur plus d'un chroniqueur
et historien. Par exemple, Almandari serait arrivé à Fès avec le roi exilé Boabdil, ou encore la ville
serait restée inhabitée pendant 80 ans après sa destruction. Il est donc nécessaire de se confronter à
d'autres sources pour vérifier l'exactitude de ce qui a été exprimé par cet écrivain de la Renaissance.
Le problème résidant surtout dans le manque de ces sources, nous avons dû polariser nos informations
sur les chroniques africaines et portugaises de l'époque. Heureusement, nous avons trouvé, il y a peu,
de la documentation sur le sujet et, grâce à elle, nous avons pu compléter la biographie de ce
personnage, Al Mandari, qui a tant dérouté les chroniqueurs des deux côtés du détroit. Car les
Marocains, faute de sources appropriées, ont non seulement fait du fondateur de Tétouan un être
mythologique, mais ils sont aussi tombés dans des erreurs de temps et de circonstance, typiques de
ceux qui écrivent sans base documentaire solide. Il n'y a pas longtemps, j'ai fait connaître la vie et les
actes des Mandari, dans tout ce que de nouveaux documents d'archives nous ont permis de savoir, je
renvoie donc le lecteur à ce travail plus étendu. Cependant, étant lui à la tête des nobles grenadins qui
ont reconstruit Tétouan, il n'est pas superflu de commencer à les connaître, en répétant, bien que
sommairement, ce que nous savons de Alí Al Mandari.
Il appartenait, en effet, au camp de Boabdil qui lui avait confié la gouvernance du château de Píñar,
l'un des plus importants du front oriental de la guerre de Grenade. Prisonnier du monarque dans la
bataille de Lucena, Al Mandari décide d'abandonner le combat, désabusé, sans doute, par les échecs et
les divisions intestines des propres nobles du royaume de Grenade.
Le fait est que, lorsqu'en 1485 tout le front oriental s'effondre et que les Rois Catholiques occupent les
villes de Montejícar, Iznalloz et Píñar, Al Mandari, gouverneur de cette dernière, ne s'y trouve plus,
étant parti au nord de l'Afrique. Les témoignages des survivants de ces événements sont recueillis dans
des documents fiables bien des années plus tard, montrant que Al Mandari était le gouverneur de
Píñar, que sa forteresse était la plus importante du groupe de celles mentionnées et qu'il s'est rendu à
Tetuan avant sa chute définitive aux mains des chrétiens.
Sachant que les abencerrajes étaient ceux qui soutenaient le roi Chico et qu'Al Mandari était une
personne de confiance de celui-ci, il n'est pas déraisonnable de supposer que le gouverneur de Píñar
appartenait au camp des abencerrajes, et encore plus si l'on tient compte du fait que, bien qu'exilé
volontairement en Afrique, il allait épouser une nièce d'Ibn Kumasa et parente du roi Boabdil lui-
même. Il devait être très jeune lorsqu'il occupait le poste de gouverneur de Píñar puisqu'en 1540, il
était encore vivant à la tête des destinées de Tétouan bien qu'en réalité, celle qui gouvernait la ville
était son épouse la sarifa 'alami Sit al HIurra, fille du fondateur de Chaouen Sidi 'Alí ben Rachîd.
C'était un grand guerrier, tant dans sa jeunesse que dans son âge mûr. La première est accréditée par
Léon l'Africain qui nous raconte les exploits réalisés par le gouverneur dans la guerre de Grenade. La
seconde est abondamment confirmée par les chroniques portugaises de l'époque qui ne cessent de le
mentionner comme l'infatigable combattant et ennemi qu'il était des garnisons portugaises des
frontières africaines. Il est le chef nominal et visible de cette poignée de nobles guerriers, la fleur de
Granada, comme disait Léon qui, fondant Tétouan, créa un foyer de résistance antichrétienne contre
les garnisons des places fortes occupées par les Portugais dans le trapèze nord marocain.

2 G. Gozalbes Busto, Al Mandari, el granadino, fundador de Tetuán, Grenade, 1988.

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