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Federico Tarragoni
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Concept piège guetté par son infinie élasticité empirique ainsi que par sa forte
normativité, le populisme semble aujourd’hui largement délégitimé dans les sciences
sociales, la philosophie et les études littéraires. Dans ses usages de sens commun, il
désigne une manière d’en appeler au peuple, en flattant ses « bas instincts » et en
gagnant ses faveurs à travers l’illusion, la séduction, la démagogie. Cette définition
du populisme, qui plonge ses racines dans la définition du « sophiste-démagogue »
de Platon et Aristote, a d’ailleurs conduit de nombreux chercheurs à lui récuser tout
droit de cité dans l’univers savant1 .
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LE PEUPLE INTERLOCUTEUR
Comme le dit Michelet au début du Peuple, toute étude sérieuse du peuple ne peut
être que le produit d’une transformation intérieure de l’observateur et du narrateur,
d’une sorte de metanoia. Cette metanoia, qui émancipe le savant de la carcasse froide
du savoir, de l’objectivité sans vie des faits historiques compilés et répertoriés dans les
statistiques, est la condition pour approcher le vrai contenu du peuple, et donc pour
l’émanciper de ses tutelles sociales. Dans le dialogue entre l’historien et le peuple, on
assiste ainsi à une double émancipation : celle de l’historien qui s’émancipe du savoir
et celle du peuple qui s’émancipe à travers le savoir7 .
Pour un « fils du peuple » comme Michelet, la metanoia, la transformation
intérieure propédeutique à l’étude du « vrai peuple », commence par la remémoration.
Aussi l’historien doit-il se faire écho, à son corps défendant, des « souffrances,
des travaux », bref « de la vie » du peuple, en s’écoutant soi-même8 . L’activité de
remémoration, qui emprunte dans la Préface adressée à Quinet la forme d’une
autobiographie intellectuelle9 , permet également de questionner le rôle du savant en
tant que porte-parole du peuple10 . Si le savant peut parler du peuple, c’est que son
identité n’a pas été dénaturée par l’expérience de l’ascension sociale, par la volonté de
s’intégrer à une autre classe :
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7. Pour un approfondissement de cette relation, voir Paule Petitier, Jules Michelet : L’homme histoire,
Paris, Grasset, 2006.
8. Le peuple constitue ainsi l’un des thèmes majeurs de l’existence de Michelet, telle qu’il la livre
dans son Journal. Voir Paul Viallaneix, Michelet, les travaux et les jours, 1798-1874, Paris, Gallimard,
1998.
9. Jules Michelet, ouvr. cité, p. 64-72.
10. Voir Paul Viallaneix, La Voie royale. Essai sur l’idée de peuple dans l’œuvre de Michelet, Paris,
Flammarion, 1971.
11. Jules Michelet, ouvr. cité, p. 72.
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en lui ménageant une place. Ici l’on découvre le principal point de raccord entre Le
Peuple et la critique des narodniki russes : il échoit au savant de réhabiliter le point
de vue du peuple au sein d’un discours (l’histoire) qui semble, par ses propres règles
de fonctionnement, y faire obstacle. Michelet évoque ainsi comme « fait digne de
toute attention », « l’immense acquisition du linge de coton qu’ont faite les ménages
pauvres vers 1842, quoique les salaires aient baissé12 », qui relève selon lui d’un
« progrès des valeurs de propreté », à savoir d’un « progrès dans la moralité » tout
court. Ce phénomène, que les historiens se penchant uniquement sur les statistiques
ou les données économiques ont tu, témoigne d’un changement profond de la culture
des classes populaires13 (notamment via le rôle dirigeant de la femme14 ) et donc,
selon Michelet, de leur élévation morale progressive. Le peuple est le moteur de ces
changements majeurs de la société et de la culture : l’historien doit les prendre en
compte afin de saisir un siècle dans toute sa « polyphonie » interne. Ce que vise
Michelet est donc l’intégration dans le savoir historique du « point de vue » du peuple,
ce même point de vue qui tend à disparaître d’une scène historique projetée vers le
progrès, la modernité et ses protagonistes, les classes dominantes. Si cette proposition
aura peu d’échos dans la science historique française, dominée par le positivisme
méthodologique, on en trouve toutefois l’esprit, plus d’un siècle plus tard, dans les
travaux anglo-saxons de l’history from below, qui partagent son idée de réhabiliter le
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bien plus qu’un autre du divorce déplorable que l’on tâche de produire entre les
hommes, entre les classes, moi qui les ai tous en moi18 .
D’autres encore, plus attirés par le « spectaculaire » ou l’accidentel de l’existence
humaine, ont produit une fausse peinture du peuple, comme certains artistes
romantiques que Michelet vise implicitement derrière les catégories des « grands
dramaturges » et « peintres de mœurs », passés en revue dans le chapitre « L’instinct
du peuple, peu étudié jusqu’ici19 ». Ces « artistes du peuple », dit Michelet, sont
conduits par leurs intérêts artistiques20 à décrire le peuple à partir de ses violences
situées, de ses dérèglements accidentels, de ses misères locales : ils dépeignent ce
faisant un « peuple exceptionnel », qui n’en devient pas moins l’étalon normatif à
partir duquel le peuple dans son ensemble est jugé et stigmatisé. Ils perdent de vue ce
faisant la « vraie » idée du peuple, à savoir sa « grande harmonie ». Aussi le peuple en
vient-il à désigner les hautes qualités éthiques (comme l’« esprit de sacrifice » ou la
« dignité dans la misère ») qui, partagées par les membres d’une Nation21 situés en
bas de l’échelle sociale, permettent à la guerre intestine entre classes de ne pas éclater.
C’est ici que gît la véritable nature du peuple, à savoir le seul fond immuable que l’on
peut lui attribuer22.
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terre, dans un sens presque métaphysique. Or, sa démarche est bien, au contraire,
celle des sciences sociales : il s’agit de comprendre comment l’amour pour la terre qui
caractérise l’ethos du peuple a pu surgir socialement et historiquement. C’est ici que
l’évolution du statut de la propriété terrienne, la question des droits fonciers et des
inégalités fiscales, ont toute leur place23 .
Où est donc le peuple ? Loin de pouvoir être « territorialisé » ou réduit à une classe
particulière d’individus, le peuple est une force qui modèle l’espace social. Produit
d’un ensemble de relations de domination, il possède un système de valeurs dont les
« foyers sociaux » sont la terre, la propriété, le travail (agricole, artisanal, industriel),
système de valeurs qui lui permet de renverser, dans les situations révolutionnaires,
ces mêmes relations de domination. Être aux multiples facettes, pouvant se cristalliser
dans le paysan, l’artisan, le soldat, le prolétaire ou le fonctionnaire pauvre, le peuple
n’identifie ainsi aucun groupe social particulier. Il désigne au contraire l’ensemble des
relations d’interdépendance entre ces différents groupes opposés, par la frontière
dominants-dominés, à l’élite : relations de production et de consommation, de
coopération professionnelle et de concurrence, de proximité sociale et de distinction,
d’association et de séparation, de hiérarchisation ou encore de migration. En ce sens,
s’il y a bien en creux de l’analyse un peuple empirique, celui-ci ne peut guère être
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dans l’art. Ajoutez, chose plus grave encore, que l’habit impose à celui même qui
le porte ; il veut en être digne, et s’efforce d’y répondre par sa tenue morale26 .
La « dure condition », dit Michelet, qu’il faut accepter en échange de ce peuple
producteur, consommateur et égalitaire est d’« avoir, au milieu d’un peuple d’hommes,
un misérable peuple d’hommes-machines, qui vivent à moitié » et surtout « [qui]
n’engendrent que pour la mort, et ne se perpétuent qu’en absorbant sans cesse
d’autres populations qui se perdent là pour toujours27 ». Les affinités entre ce passage
et les descriptions de la « puissance mortifère du capital » de Marx, vingt ans après,
sont saisissantes. Mais il ne faut pas perdre de vue le « point de vue du peuple »
qui caractérise si spécifiquement l’analyse de l’historien. Tendant à l’égalité dans un
monde moderne et capitaliste structurellement inégalitaire, tendant à la dignité dans
un monde qui l’exproprie de ses qualités humaines, le peuple se trouve à un carrefour :
il est appelé, en quelque sorte, à dépasser politiquement les contradictions sociales
qui le structurent.
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37. Franco Venturi, Les intellectuels, le peuple et la révolution. Histoire du populisme russe au
XIXe siècle, Paris, Gallimard, 1972 (1952).
38. Ibid., Tome I, p. 54-55.
39. Et également par la création d’une nouvelle fonction de « porte-parolat intellectuel ». Voir Pierre
Bourdieu, Langage et pouvoir symbolique, Paris, Seuil, 2001, p. 132-151.
40. Armand Mattelart, Éric Neveu, Introduction aux Cultural Studies, Paris, La Découverte, 2003,
p. 7-13.
41. Venturi insiste sur cette circulation d’idées et de référents politiques entre l’Europe et la Russie.
Le populisme serait ainsi une « page d’histoire du mouvement socialiste européen », témoignant des « liens
profonds qui unissaient les populistes [Herzen, Bakounine, Cernysevskij, Isutin, Lavrov et Tkacëv] à
l’Europe du XIXe siècle » (Franco Venturi, ouvr. cité, tome I, p. 8-21).
42. Anne-Marie Thiesse, La Création des identités nationales. Europe XVIIIe -XXe siècle, Paris, Seuil,
1999. À propos de Michelet, dans ce même souci de distinction de populisme et nationalisme, A. Aramini
parle de « populisme radical » (Aurélien Aramini, « Les deux conceptions micheletiennes de la foule. De
la prise de la Bastille aux massacres de septembre », dans La Foule, Elena Bovo (dir.), Besançon, Presses
Universitaires de Franche-Comté, 2015, p. 55-72).
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Si en Russie, c’est le nihilisme révolutionnaire qui lui porte un coup fatal, vers les
années 1880, c’est le socialisme et le nationalisme qui le remplacent progressivement
comme idéologies politiques structurées en Europe43 . On en trouvera pourtant
une « réédition », mais loin du romantisme, dans le projet du « roman populiste »
d’A. Thérive et L. Lemonnier des années 1930. Leur entreprise consiste en effet
à réhabiliter, dans un esprit de réalisme littéraire, le point de vue des « hommes
ordinaires, quelconques, banaux » dans le roman, monopolisé, dans sa représentation
du monde social, par la psychologie des élites. Cependant, les formes de l’ancien
« populisme savant » ne sont plus là : les intellectuels ne souhaitent plus, comme
leurs ancêtres romantiques, « aller au peuple », mais le décrire sans aucune ambition
politique44 .
C’est ainsi davantage le rapport de l’intellectuel au peuple qu’une pensée de ce qu’est
le peuple, qui définit le « populisme savant » à l’âge romantique. Il serait impossible
dans le cadre de cet article – et ce n’est pas son propos – d’analyser les circulations
d’idées, de textes et de pratiques qui, en ce milieu du XIXe siècle en Europe, ont
permis la légitimation d’un tel rapport des intellectuels aux dominés. Notre objectif
ici, beaucoup plus modeste, est de signaler que, en dépit des différences des contextes
socio-historiques, certaines conclusions de Venturi sur le narodnischestvo russe siéent
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43. Sa fin peut également être imputée à la resémantisation progressive du « peuple » romantique
en « masse » à la fin du XIX e siècle. Voir Federico Tarragoni, « L’“art de(s) masse(s)” synonyme de
démocratisation de l’œuvre d’art ? Le point de vue de W. Benjamin », dans L’Europe en mouvement 1870-
1913. Analyses comparatistes d’une évolution culturelle, Charles Brion (dir.), Rennes, Presses Universitaires
de Rennes, coll. « Enquêtes et documents », 2015 (à paraître).
44. Federico Tarragoni, « Le peuple spectateur et l’émancipation démocratique : sur la sensibilité
populiste en littérature », Raison publique, 2014, n° 19, p. 199-222.
45. Alain Pessin, Le Mythe du peuple et la société française du XIXe siècle, Paris, PUF, 1992.
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position trahie par le passage du sens actif (le savant qui dit au peuple ce qu’il est)
au sens pronominal (le peuple qui se fait lui-même). En effet le propre de l’appel
savant au peuple est de changer, avec l’horizon d’un peuple à faire, les rapports entre
la sphère du savoir et le monde social : il s’agit, ni plus ni moins, de changer le
peuple tout en repensant les frontières du savoir46 . Mais comment ce changement
se produit-il ? Par le dévoilement savant des conditions de l’oppression du peuple,
menant à une prise de conscience ? Par la revendication d’une proximité entre le
savant et les dominés, ce qui laisserait présupposer que toute œuvre intégrant le
« point de vue du peuple » puisse être gage d’émancipation sociale ? Par l’inversion
des valeurs qui, au cœur de l’arbitraire culturel des classes dominantes, condamnent
le peuple à l’infériorité symbolique et les élites à la supériorité ?
46. Ce que montre avec force Rancière à propos de Michelet en réduisant toutefois cet appel à un
« voyage misérabiliste » au cœur du peuple. Voir Jacques Rancière, Courts voyages au pays du peuple,
Paris, Seuil, 1990, p. 91-135.
47. La première piste porte l’empreinte du marxisme, la deuxième trouve son origine dans la
« littérature prolétarienne » (Poulaille) et la troisième a été introduite en sociologie de la culture par
Claude Grignon, Jean-Claude Passeron (dir.), Le Savant et le populaire. Populisme et misérabilisme en
sociologie et en littérature, Paris, Éditions de l’EHESS, 1989.
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et dit « Voilà le peuple ! ». [...] La masse est bonne ; n’en jugez pas par l’écume
qui surnage48.
Si la société adopte un regard biaisé, injuste sur le peuple, c’est surtout, comme le
montre l’extrait, qu’elle est incapable de prendre conscience de ses vraies conditions
de vie. Ici gît le deuxième ressort du populisme savant : la quête du vrai implique
d’imbriquer une étude fouillée des conditions de vie des classes inférieures avec la
mise au jour des formes de domination et de liberté qui les caractérisent de près.
Une société capable d’assimiler cette « vérité du peuple » peut se réconcilier avec
elle-même, en conférant à ce peuple retrouvé la tâche politique fondamentale de
l’approfondissement de la démocratie. Derrière le peuple, en somme, on trouve les
structures de domination, les inégalités, les hiérarchies, les impensés dont toute société
moderne se leurre et qui empêchent de poursuivre la marche de la démocratisation.
Il s’agit alors de « tendre la main [au peuple] » et former « de bonne heure avec
lui l’alliance de la régénération commune [...] en recueillant la pensée populaire49 ».
L’histoire contribue à cette nouvelle alliance démocratique :
Pour ma part, j’espère bien que ma science, ma chère étude, l’histoire, ira se
ravivant à cette vie populaire, et deviendra par ces nouveaux venus, la chose grande
et salutaire que j’avais rêvée. Du peuple, sortira l’historien du peuple50.
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C’est au moment où cette frontière est remise en cause, ou qu’elle se fêle, qu’un
peuple démocratique peut apparaître. Le rôle du savant est ainsi moins de fournir aux
dominés la conscience de leur domination, que de départager le sensible qui les assigne
à la domination en mutilant leur expérience52 . Il doit conférer une intelligibilité à
des pratiques qui, partiellement étrangères à la sphère du savoir, sont pourtant plus à
même de mettre en mouvement l’histoire par le fait d’actualiser une praxis :
La pensée réfléchie n’arrive à l’action que par tous les intermédiaires de délibération
et de discussion ; elle arrive à travers tant de choses que souvent elle n’arrive pas. Au
contraire, la pensée instinctive touche à l’acte, est presque l’acte ; elle est presque
en même temps une idée et une action. Les classes que nous appelons inférieures,
et qui suivent de plus près l’instinct, sont par cela même éminemment capables
d’action, toujours prêtes à agir. [...] L’économie des paroles profite à l’énergie des
actes53 .
Ce lien que le populisme savant entretient avec la démocratie est réaffirmé dans
la Préface à la réédition du Peuple de 1866, qui insiste sur le « droit » des catégories
propres à l’expérience populaire :
Ce que (ce livre) a d’important, d’ailleurs, n’a pas changé. Ce qu’il dit du droit de
l’instinct des simples, et de l’inspiration des foules, des voix naïves de la conscience,
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longues années pour effacer le sophiste qu’on avait fait en moi. Je ne suis arrivé à
moi-même qu’en me dégageant de cet accessoire étranger ; je ne me suis connu
que par voie négative. Voilà pourquoi, toujours sincère, toujours passionné pour
le vrai, je n’ai pas atteint l’idéal de simplicité grandiose que j’avais devant l’esprit...
À toi, jeune homme, à toi reviennent les dons qui m’ont manqué57 . [...] Oui,
il y a malentendu. Eux [Les gens du peuple] méconnaissent les puissances de
l’étude, de la réflexion persévérante, qui font les inventeurs. Nous [Les savants]
méconnaissons l’instinct, l’inspiration, l’énergie qui font les héros58 .
C’est sur cette contradiction, au fond, que bute le populisme savant59 ainsi que
son frère cadet, le populisme politique. Le populiste se propose de faire un peuple,
tout en reconnaissant la brèche insurmontable entre les modalités par lesquelles il le
forge (par le savoir ou le discours politique) et celles par lesquelles le peuple se fait
lui-même (par l’instinct ou l’action). Michelet souhaite plonger, avec ses catégories
propres, celles de l’historien et du savant, au cœur de la vie du peuple, mais il ne peut
aspirer qu’à, tout au plus, une « histoire imparfaite ». Son échec ne fait pourtant que
rehausser la valeur indissociablement savante et politique de sa tentative. C’est l’utopie
du voyage intellectuel au peuple, et les contradictions qui le guettent de près, qui
font de Michelet un parfait représentant de la tradition romantique européenne, au
double titre de porte-parole de l’idéologie populiste qui la traverse et du « populisme
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57. En note, Michelet précise « Mais je dois l’aider d’avance et le préparer, ce jeune homme. Voilà
pourquoi je continue mon histoire » (ouvr. cité, p. 140). Le populisme savant tient tout entier dans
cette « préparation du peuple » qui, aussi imparfaite soit-elle, contient en elle-même les conditions de
l’éveil politique.
58. Ibid., p. 140-146.
59. Venturi retrouve cette contradiction dans le narodnischestvo, notamment dans le constat de
Dobroljubov d’un « fossé entre la tâche de l’intelligencija et sa position réelle », dans la « satire de Tkacëv
contre l’orgueil des intellectuels », ainsi que dans sa croisade contre les impensés de la catégorie de progrès
par laquelle le savant se rapporte au peuple (Franco Venturi, ouvr. cité, t. I, p. 25).
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