Vingtième Siècle, revue d'histoire

L'art face à l'histoire

Astrid Gerecke

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Gerecke Astrid. L'art face à l'histoire. In: Vingtième Siècle, revue d'histoire, n°55, juillet-septembre 1997. pp. 153-156;

doi : https://doi.org/10.3406/xxs.1997.3679

https://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_1997_num_55_1_3679

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contient en particulier une longue étude
d'Yvonne Loriod-Messiaen, consacrée à
l'œuvre pianistique de celui dont elle fut
la créatrice privilégiée.
Myriam Chimènes
LA SECONDE GUERRE MONDIALE
EN CD-ROM
L'excellente émission de Marc Ferro
Histoire Parallèle, diffusée depuis des
années sur Arte, a inspiré un CD-ROM très
attendu sur la seconde guerre mondiale1.
Marc Ferro en signe la direction historique
et prête sa voix, si évocatrice, à certains
textes. Ce titre est copieux, comprenant
1000 événements commentés, 400
biographies, 250 fiches de matériel militaire,
1 300 photographies, etc. Il faut dire que
le projet est ambitieux, puisqu'il s'agit de
raconter l'avant-guerre depuis 1918, de
brosser tous les événements militaires,
politiques, économiques, et d'illustrer le
tout par des extraits de textes littéraires.
Et bien sûr, il y a des morceaux de films,
puisqu'il faut rattacher l'ensemble à
l'émission du samedi soir. Si les photos
sortent bien à l'écran, les vidéos sont
courtes et n'occupent qu'une petite fenêtre,
ce qui est décevant pour l'utilisateur.
Place insuffisante sur un CD-ROM normal,
matériel informatique courant à améliorer,
l'avenir sera à des images animées en
plein écran d'ordinateur. Pour l'instant,
l'utilisateur ouvre grand les yeux et se
rapproche de sa machine!
Autre problème dû au manque de
place beaucoup d'informations
:
historiques sont fournies par écrit et le texte se
lit mal une fois pixellisé. Pour pallier cela,
les auteurs ont fait des textes courts, voire
très courts. L'utilisateur peut alors être
frustré d'informations. Cela résume bien
les problèmes d'écriture d'un CD-ROM
1. Seconde guerre mondiale, histoire parallèle, Montparnasse
Multimédia/Arte Éditions, Mac/PC, 1996.
-153-
IMAGES ET SONS
culturel, d'autant plus qu'il s'agit de faire
court à l'oral aussi, puisque l'utilisateur
n'est crédité que d'une capacité
d'attention limitée, et que, de toute façon, une
réelle interactivité réclame un éclatement
très grand de l'information fournie.
L'interface est donc fondamentale pour
lier les médias différents et nombreux.
Elle est ici compliquée. Certes, il peut
sembler utile d'avoir la possibilité de
choisir les événements en fonction de tant de
critères différents. Il est proposé de
s'orienter dans l'ouvrage par zone
géographique, par une chronologie serrée,
par les archives, et même par des
«panoramas» utilisant le logiciel Quicktime VR
(effet de perspective garanti), intitulés
«théâtres d'opération», au graphisme très
soigné, mais qui respirent l'artifice, voire
la confusion. L'écran de sommaire est
encore plus dérangeant, montrant une
gare futuriste de bande dessinée, avec des
atlantes (de style mussolinien?) et un
écran qui évoque plus le monde de Bilal
que l'émission de Marc Ferro. Dans ces
procédures, l'outil de recherche, efficace
et permettant des tirs croisés, est donc le
bienvenu.
Finalement, l'utilisateur de ce CD-ROM
se demande s'il y a là un produit dont la
réalisation - très soignée - est ce que
permet de mieux ce type de média, ou s'il
peut encore s'attendre à des avancées
significatives dans ce mode d'écriture et
dans la navigation.
Jean-Marc Dreyfus
L'ART FACE A L'HISTOIRE
Le parcours historique de l'exposition
L'art face à l'histoire accueillie l'hiver
dernier au Centre Georges Pompidou à Paris,
commençait en 1933, avec l'installation du
nazisme en Allemagne et se terminait en
1996 avec les guerres en ex- Yougoslavie.
Il couvrait la quasi-totalité de la planète.
IMAGES ET SONS
La quantité d'oeuvres et de documents
offerts à l'intérêt du public illustrant plus
de six décennies d'histoire était
considérable (peintures, sculptures, affiches,
livres, journaux, revues, photos, vidéos et
films). Mais, en essayant de comprendre
les événements historiques à travers les
œuvres d'art et les documents, le visiteur
constatait que l'exposition était amputée
du premier chapitre de notre siècle, qui
a pourtant servi d'ouverture aux
événements historiques et culturels évoqués. La
notion d'art dégénéré, par exemple, est
difficile à comprendre si l'on ne connaît
pas les préoccupations des artistes qui,
avant 1914, cherchaient leurs sources
d'inspiration dans les représentations de
malades mentaux comme Max Ernst, dans
l'art nègre tel Ernst Barlach ou encore
dans des dessins d'enfants. Pour la
bourgeoisie, cet art dit moderne était
inacceptable, et il l'était doublement pour les
nazis. Si les artistes avaient moins
conscience de l'énorme risque que
comportait une exposition publique de
cet «art sauvage», ces derniers savaient
s'en servir à des fins de propagande.
L'exposition permettait de réfléchir à la
relation entre l'histoire et l'histoire de l'art.
Un grand nombre de faits historiques,
illustrés par les œuvres d'art et les médias,
étaient reliés de façon chronologique. Ce
choix nous conduit à une nouvelle
approche des œuvres d'art et à reconsidérer nos
méthodes traditionnelles en histoire de
l'art. En ce qui concerne la peinture, un
exemple de ce dilemme figurait à l'entrée
de l'exposition. Après un certain nombre
d'affiches et de photographies, le visiteur
se trouvait face à deux tableaux
juxtaposés : l'un à contenu ambigu de Mario
Sironi, artiste du mouvement fasciste
Novecento; l'autre de Franz Radziwill,
membre de la Nouvelle Objectivité
allemande, au contenu pictural à l'évidence
antifasciste. En dépit de la contempora-
néité de leur création, il n'existe aucun
lien entre ces deux œuvres.
■154-
D'après le sous-titre de l'exposition -
L 'artiste moderne devant l'événement
historique - il s'agissait de comprendre
l'histoire à travers l'art. Cela est-il possible?
La question se pose déjà à propos des
deux œuvres citées. En tant que
témoignages, les œuvres d'art contribuent-elles
à l'histoire de l'art? Rappelons qu'une
œuvre d'art est une condensation
matérielle, mémorielle et sensible. Un artiste
fait des références aux règles de son art,
à ses expériences (conditionnées par les
circonstances de la vie) ainsi qu'à son état
psychique et intellectuel. En ce sens,
l'œuvre d'art contient le temps et le
dépasse tout à la fois.
Précisons d'abord les ressorts de cette
quête : l'histoire générale est la
connaissance ou la relation des événements du
passé et des faits relatifs à l'évolution de
l'humanité, jugés dignes de mémoire.
L'histoire de l'art, en revanche, est souvent
considérée, en France, comme une
histoire des formes et dans certains pays
germaniques comme une histoire des idées
{Geistesgeschichte) C'est cette conception
.
de l'œuvre d'art comme élément d'une
histoire des idées qui a été introduite dans
l'exposition.
Une telle juxtaposition des idées
figurées et représentées au fil de l'histoire
nous semble avoir pu faciliter la
compréhension de l'exposition, dans la mesure
où le visiteur y était délivré de l'obligation
traditionnelle de retracer et de
comprendre une histoire des formes à travers des
œuvres. Les œuvres d'art y apparaissaient
comme des témoins ou des garants de la
vérité historique. Néanmoins, une
certaine histoire de l'art a longtemps tenu
un discours différent, selon lequel la
trame de l'histoire générale n'a constitué
qu'un seul aspect de l'œuvre d'art. Cette
facilité ne change rien et la question
subsiste : quelle fut à l'origine la
problématique de l'histoire de l'art et quelle est sa
relation avec sa sœur aînée, l'histoire
générale ?

À partir de la Renaissance, la recherche
en histoire de l'art fut confrontée à
l'obligation d'intégrer l'art ancien dans sa
propre histoire, sans avoir déterminé ce que
représentait la rupture qu'elle inaugurait
avec un art universel. Une telle notion
disparut avec le siècle des Lumières et l'ère
des académies. Elle fut remplacée par une
histoire qui expliquait tout. Ainsi au
19e siècle, on contemplait l'histoire de
l'art (ou l'art dans son histoire) et le public
adhérait aux théories de l'histoire de l'art
avec la même conviction qu'auparavant
il s'était laissé impressionner par la
prétendue perfection de l'art. Mais dans le
cadre de l'histoire de l'art, l'œuvre restait
autonome car chaque théorie ne travaillait
que sur un seul de ses aspects, l'histoire
générale comprise, et, en examinant les
études sur les œuvres à partir du contexte
général, elle ne renseignait que sur
certains aspects fondamentaux. En
conséquence, l'histoire assurait à l'art la même
autonomie que la théorie doctrinaire de
l'histoire de l'art le faisait auparavant, mais
d'une autre façon. Le facteur décisif de
séparation entre les deux disciplines fut
la conception du temps. Toutes nos
difficultés de compréhension relatives à cette
exposition résident dans ce point capital.
Le temps chronologique de l'histoire
générale appliqué aux oeuvres signifie le
remplacement de la durée et de la
temporalité qui se déroulent à l'intérieur d'un
système artistique, comme les cycles de
styles par exemple, par la chronologie
historique. Mieux encore. Faisons référence
à la notion de Kunstwollen forgée par
l'historien d'art Alois Riegl, et que l'on
pourrait traduire par «instinct de création
artistique immanent» ou encore par
«pulsion artistique». Dans son ouvrage
fondamental Questions de style1, il étudie
l'évolution des motifs végétaux dans
l'ornementation antique. Sa théorie ne
représente pas seulement ce phénomène
1 Alois Riegl, Questions de style, Paris, F. Hazan, 1992.
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IMAGES ET SONS
de façon diachronique, avec un
développement dans le temps, mais aussi syn-
chronique, avec une vision du monde. On
commençait ainsi à confondre l'histoire
du monde avec le phénomène du style.
«Quand on déclare que les styles dans l'art
sont des formes ou des visions de style
de vie et de la pensée, la contemplation
de la forme évolue vers une
contemplation générale de l'histoire. Zeitgeist
devient Zeitstil ou Zeitstil devient le visage
du Zeitgeist. On considère que l'histoire
de l'art est synchrone avec l'histoire
générale»2. C'est cette théorie de l'histoire de
l'art du 19e qui sous-tendait l'exposition
Face à l'histoire. C'est pourquoi, dans
cette manifestation, les dates des œuvres
constituaient des points de référence pour
l'histoire générale et l'histoire apparaissait
comme la somme des œuvres dans
lesquelles elle était représentée. On voit les
difficultés qui attendaient le visiteur. Elles
étaient accentuées par un parcours où les
tableaux et les sculptures étaient mises sur
le même plan historique que les journaux,
les revues, les photos, les vidéos et les films.
Cette prise en compte des médias
permet de poser de nouvelles questions. Car
derrière les photos de journaux se trame
une réalité différente de celle que
possèdent les œuvres d'art. À l'égard des
médias, l'histoire de l'art a entretenu une
conception confuse. Elle n'était pas
capable de faire la différence entre la fonction
des médias et celle de l'art. Une œuvre
quelconque s'accomplit-elle seulement
dans l'art ou est-elle également un média
de la société? Cette alternative, l'art ou
l'histoire, a provoqué des erreurs dans
l'histoire de l'art, qui dénommait «art» tout
domaine particulier entré dans son champ
d'études, du paléolithique à nos jours.
Comme si la connaissance de l'art avait
toujours existé. La recherche dans l'art et
l'histoire de l'art s'exerce aujourd'hui dans
2. Hans Belting, Das Ende der Kunstgeschichte, Munich,
C.H. Beck, 1995, p. 145.
IMAGES ET SONS
un environnement où les médias
techniques conditionnent notre vision du
monde et forment notre conception de la
réalité. D'autant que nous effectuons la
plupart de nos expériences visuelles à
partir des reproductions, facteur
déterminant pour la création artistique.
Ainsi, de l'exposition Face à l'histoire
émergent de nombreuses questions.
Premièrement, un artiste, face aux
événements historiques ou aux crises politiques,
a-t-il conscience de ses limites?
Deuxièmement, la juxtaposition d'œuvres et de
photographies documentaires présentées
avec la même autorité conduit à une
illisibilité de l'espace et du temps. Car
chaque support possède sa propre approche
de la réalité et contient sa propre structure
artistique. Cette méthode ne conduit-elle
pas à confondre l'histoire générale et le
phénomène du style? Troisièmement, une
grande partie de nos difficultés de lecture
et de compréhension de l'art
contemporain résident dans un emploi inapproprié
des théories sur l'art, élaborées le plus
souvent au 19e siècle. Souvenons-nous de
l'exposition Les Magiciens de la terre, où
l'on pouvait voir côte à côte les œuvres
« anthropologiques » des Aborigènes
d'Australie et les oeuvres d'art des
Américains qui se ressemblaient à tel point que
l'on pouvait les confondre. L'histoire de
l'art ne dispose-t-elle pas encore d'un
regard neuf sur l'art, d'un nouvel outil
destiné à tous ceux qui tentent de
comprendre et de situer leurs actions (artistiques,
esthétiques, philosophiques) ?
Astrid Gerecke
L'ART DES ANNEES 1930 EN EUROPE
L'exposition consacrée à l'art des
années 1930, au musée d'Art moderne de
la Ville de Paris s'inscrivait dans une série
de manifestations européennes
interrogeant les limites de l'engagement des
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artistes et la relation qu'ils entretiennent
avec le politique et l'idéologique, Kunst
und Diktatur à Vienne (1994), Moscou-
Berlin à Berlin et Art and Power, 1930-
1945 à Londres, Barcelone et Berlin
(1995-1996), Face à l'histoire, 1933-1996
au Centre Georges Pompidou à Paris
(1996-1997) 1. Dans la préface du
catalogue, Suzanne Page précise qu'il s'agit de
«se pencher sur une période longtemps
délaissée, dédaignée ou crainte, pour
diverses raisons ... et y déceler des signes
toujours d'actualité». L'analyse de la
création des années 1930 permettrait d'établir
des permanences susceptibles d'aider à
nous repérer dans notre actualité. Or, le
désir d'une histoire qui éclairerait le
présent ne tient pas compte d'un autre
postulat selon lequel si l'histoire est discours,
le discours est aussi histoire. L'affirmer
suppose de s'interroger sur les
fondements et les objectifs du discours
historique qui sous-tendent la conception de
cette exposition. Le sous-titre, Le temps
menaçant, emprunté à un tableau de
Magritte, est le premier indice nous
informant du projet de l'exposition. La figure
sans visage, au centre de la toile de Malé-
vitch, Pressentiment complexe (1928-
1932), ouvre l'exposition et le catalogue,
clos l'un et l'autre par Le Petit Homme
(1940) de Giacometti. La première œuvre
serait «emblématique ... de la crise
idéologique des avant-gardes face au
politique ; la seconde achèverait ce procès
inéluctable vers l'inhumain». Entre ces deux
œuvres, un ensemble de tableaux et de
sculptures, à dominante figurative, se
répartissent selon une structure
chronologique, elle-même rythmée par un
découpage thématique qui nous mène
inexorablement vers le «drame déclaré».
Des documents d'archives, en particulier
1. Années 30 en Europe. Le temps menaçant. 1929-1939,
musée d'Art moderne de la Ville de Paris, 20 février-25 mai
1997. Catalogue du même titre, Paris, Flammarion coll. «Musées»,
1997, 573 p. Toutes les citations sont tirées de la préface du
catalogue de Suzanne Page.