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Bulletin Monumental

François Loyer, Le siècle de l'industrie, 1789-1914 (coll. « De


Architectura »), 1983
Claude Mignot

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Mignot Claude. François Loyer, Le siècle de l'industrie, 1789-1914 (coll. « De Architectura »), 1983. In: Bulletin Monumental,
tome 143, n°2, année 1985. pp. 187-188;

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l'histoire — où trop de racourcis caricaturaux entre art et maine agricole » ; « la rationalisation des trajets : routes et
histoire ont été déjà tentés. Mais la succession des formes canaux »; « la naissance du transport artificiel »; « le refus
et des discours qu'il présente gagnerait à se placer dans le de l'industrialisation » ; « le fantasme industriel »; « mobilier
cadre d'une histoire économique et sociale dont l'art est et objet de fonte »; « le charme des loisirs »; etc., chaque
partie intégrante. L'architecture, tout particulièrement, axe de lecture s'appuyant sur des analyses de programmes
impose cet élargissement — tant l'architecture ou de monuments particuliers : « une architecture de
monumentale, de par ses rapports avec le politique, que l'architecture banque »; « la flèche de la cathédrale de Rouen »; « l'usine
ordinaire (celle que les Anglo-Saxons appellent « verna- Menier de Noisiel » ; « l'exposition de Turin de 1902 »; etc..
culaire »), reflet direct des implications socio-économiques Si l'accent est mis sur les problèmes urbains et les
de l'art. Ouvrage solide, réhabilitation sans faille de l'art programmes architecturaux, l'analyse fait assez peu de part
du xixe siècle, le plaidoyer de Claude Mignot aurait gagné au fonctionnement distributif proprement dit — de manière
à cette ouverture. significative, l'iconographie ne donne pratiquement aucun
Il reste que ce livre d'une grande richesse documentaire plan. Fr. Loyer a aussi renoncé à. esquisser une histoire des
retiendra l'attention du lecteur parce que son choix d'exemples styles. Ceux-ci sont toujours abordés de biais : le
est fondé, qu'il s'équilibre de pays à pays avec beaucoup néoclassicisme par le parti urbanistique (p. 12), l'architecture Louis-
de sérieux et qu'il donne ainsi une image diversifiée de la Philippe par l'emploi de décors estampés et moulés (p. 46),
production occidentale : Claude Mignot a su s'entourer des le néogothique par le refus de l'industrialisation (p. 50) ;
conseils nécessaires pour donner à la partie germanique de les pages consacrées à l'éclectisme ne recoupent que
son ouvrage une consistance aussi grande que celles traitant partiellement la brillante et suggestive contribution de l'auteur
du domaine français ou anglo-saxon. Seules peut-être au catalogue Le siècle de l'éclectisme, Lille, 1830-1930, «
l'Espagne, l'Italie ou la Russie ne bénéficient pas du même Ornement et caractère », qu'on lira toujours avec profit ; et même
avantage, mais ce défaut est général à tous les ouvrages et il est pour la fin du siècle, traitée plus largement, on ne doit pas
en quelque sorte justifié par la suprématie du trio européen. chercher de définition de l'art nouveau, ou l'histoire de son
— France, Angleterre, pays germaniques — dans l'histoire développement : de manière symptomatique, le nom de
culturelle du xixe siècle. L'ouvrage de Claude Mignot est Victor Horta, qui joua le rôle que l'on sait dans la
un bilan : on lui reconnaîtra tout le mérite de cette approche formation du modem style, n'est prononcé qu'en passant, à propos
ainsi que l'intelligence d'en avoir vu les limites, en de ses suiveurs, et de son œuvre tardive.
provoquant chez son lecteur quantités d'interrogations nouvelles. De fait, le point de vue choisi est tout différent. Bien que
François Loyer. le titre soit sans doute trop restrictif (et l'auteur le regrette),
le texte et les images s'attachent à suivre les effets de la
nouvelle civilisation industrielle sur l'architecture, plus qu'à
François Loyer, Le siècle de l'industrie, 1789-1914 (coll. construire une histoire de l'architecture européenne, mais
« De Architectura »). Paris, Éd. A. Skira, 1983, 320 p., à juste titre, Fr. Loyer accorde autant d'attention aux effets
600 ill. indirects qu'aux effets directs de la révolution industrielle :
Est-il possible de donner une image complète de diffusion de nouveaux matériaux, fonte et acier, qui viennent
l'architecture du xixe siècle dans le microcosme d'un livre? se substituer aux matériaux traditionnels, mais aussi
Chatoyant, mouvant et instable, ce siècle est difficile à fixer bouleverser la nature du travail de l'architecte et perturber la
comme un paysage de kaléidoscope. Devant cette richesse notion du beau ; apparition de nouveaux programmes, les
et cette diversité, des choix et des partis pris semblent uns, liés directement à l'industrie et au développement du
inévitables. capitalisme moderne (banques, logements ouvriers, gares),
Dans le premier volume de la nouvelle collection « De d'autres plus discrètement par le biais de la dénégation
Architectura » entreprise par Skira, Le siècle de l'industrie, (châteaux romantiques, qui trahissent une nostalgie pour
1789-1914, François Loyer a choisi comme fil conducteur une civilisation préindustrielle idéalisée ; hôtels de la Riviera,
les rapports entre l'architecture et la civilisation industrielle où la nouvelle bourgeoisie va s'étourdir, etc.). Aussi,
(car l'industrie proprement dite se passe encore de l'art, et paradoxalement, mais avec pertinence, l'architecture de loisir,
longtemps, comme il le rappelle p. 73, seule la cheminée des hôtels de voyageurs aux paquebots, de l'Opéra de
d'usine se charge de quelques ornements). Le plan de Garnier aux kiosques à musique, est traitée aussi largement
l'ouvrage, homothétique du développement de la révolution que l'architecture plus directement industrielle.
industrielle, met l'accent sur la seconde moitié du xixe siècle, Le ton du livre, qui vise à intégrer Ie3 phénomènes
à laquelle sont consacrés les trois quarts du volume. En outre, architecturaux dans l'histoire des mentalités, est plus celui d'un
considérant « que les thèmes majeurs du xixe siècle n'ont essai que d'une histoire et son information est sûre, mais
rien de national et que les exemples sont constamment elliptique. Le lecteur est invité à suivre l'itinéraire proposé
parallèles d'un pays à l'autre » p. 295, note 1), l'auteur et les suggestions croisées des séquences d'images. L'image
traite essentiellement de l'architecture française, à laquelle du kiosque mexicain parmi les kiosques à musique français
il emprunte plus de la moitié de sa splendide iconographie. (p. 171), ou celle d'un immeuble d'angle madrilène parmi
Sur une large trame historique (I. Académisme, 1800- les exemples parisiens (p. 221) suggèrent discrètement la
1850; II. Éclectisme, 1850-1870; III. Art nouveau, 1870- dimension internationale des programmes et des solutions
1914), le livre s'ordonne par thèmes et séquences d'images : formelles. La large utilisation de documents annexes (affiches,
« la transformation de la ville » ; « l'industrialisation du cartes postales, revues) indique bien aussi la richesse du
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tissu culturel qui vient envelopper l'architecture et lui donne Urbanisme


une aura nouvelle. De l'écriture du détail (p. 204) à la hiérar¬
chisation de l'espace urbain (p. 80), l'auteur nous invite à Jean-Pierre Leguay, La rue au Moyen Age. Rennes, Éd.
regarder avec un œil neuf cette architecture, qui triomphe Ouest-France, 1984, 253 p.
en effet dans les effets de masse comme dans le détail, mais Depuis une décennie, la ville est à la mode. Les historiens
se montre souvent médiocre dans la maîtrise des échelles ont quelque peu devancé les archéologues et historiens d'art
intermédiaires (d'où sans doute sa mauvaise réputation, en renouvelant la connaissance des sources écrites et orales
pas toujours injustifiée, quoiqu'en pense certains de ses concernant le phénomène urbain. La recherche en ce do¬
nouveaux thuriféraires) : récurrence des paysages urbains maine est maintenant bien engagée et vient, déjà, le temps
pyramidants, du Sacré-Cœur de Paris au Palais de Justice des bilans. J.-P. Leguay offre ici la synthèse des diverses
de Bruxelles ; mise en évidence des structures constructives
de détail ; dilatation des ornements, etc. études publiées sur telle ou telle ville de l'hexagone (sa
bibliographie est à cet égard remarquable), tout en s'at-
L'itinéraire que nous propose François Loyer est souvent tachant à définir un terme du vocabulaire urbain jusqu'ici
personnel, et son livre recherche les angles de vue inattendus : peu étudié : la rue. Il choisit pour cela une période riche
l'art nouveau est illustré par l'exposition de Turin de 1902 en idées reçues, le Moyen Age et son cortège d'insalubrité,
plutôt que par les réalisations de Victor Horta ; la vie de de cris et étoufîements. La lecture terminée, on est assuré
château est représentée par le cas de La Hochepot en Côte- que la réalité dépasse la fiction. Philippe Contamine qualifie
d'Or plutôt que parle Ferrières des Rothschild ou le Chantilly la rue médiévale de « bruyante, colorée, odorante et souvent
du duc d'Aumale ; plutôt que les prisons, les écoles ou les malodorante... plus proche des venelles des souks orientaux
hôpitaux, Fr. Loyer analyse les kiosques à musique, qui que des artères élargies, asphaltées et motorisées de nos
ne sont pas un thème si mineur qu'il paraît. villes d'aujourd'hui » (1).
Cependant, pour délibéré qu'il soit, le parti « terriblement Cette étude est au premier chef une œuvre d'historien.
français » fausse certaines perspectives. S'il y a bien une D'abord viennent les sources concernant l'information
culture architecturale européenne et un libre-échange du écrite sur la rue ; ensuite les arts civils, l'archéologie, les
goût, la critique de la civilisation industrielle moderne par plans anciens et restitués. Il peut paraître anecdotique
Pugin, les positions de William Morris, le mouvement d'aborder les centres urbains par le petit bout de la lorgnette
Arts and crafts et l'esthétique de Ruskin méritaient mieux avec un tel micro-sujet par rapport à la complexité des
que de trop rapides allusions. On peut regretter aussi, dans composantes d'une ville. Mais les multiples manières expo¬
la problématique même du livre, l'absence d'intérêt pour sées pour envisager la rue aboutissent, par cercles concen¬
tout le mouvement de l'architecture domestique, qui de triques, à la connaissance du fait urbain tout entier comme
Webb et Norman Shaw mène à Yoysey et à Wright (évoqué à celle des couches de société, mœurs et humeurs des ci¬
seulement par l'hôtel impérial de Tokyo trop tardif). Il y tadins médiévaux. Qu'on en juge.
a là sans doute une conséquence du refus, avoué (p. 217 La ville de toujours, de l'Antiquité à l'époque moderne,
et 300), mais malgré tout étrange, de traiter des villas subur¬ se définit par un amalgame plus ou moins réussi d'espaces
baines — sans doute pourtant l'une des plus délicieuses publics et d'espaces privés. Aux chemins ou routes menant
inventions de l'architecture du xixe siècle — évoquées des campagnes à la ville, à la porte d'enceinte jusqu'aux
seulement en deux paragraphes et illustrées de manière trop places et rues, s'adossent, comme l'envers d'un décor cha¬
paradoxale par la seule villa la Sauvagère à Lausanne marré, la vie privée, la maison, l'atelier, le jardin. La rue est
d'Alphonse Laverrière, et deux villas de bord de mer. Plus bien le pivot de ces deux faces urbaines et donc au cœur
modestement, avec moins d'éclat que les palaces et les même du sujet. J.-P. Leguay en établit le croquis vivant
hôtels de ville, elles témoignent d'une autre distance prise que l'on ne peut ici que schématiser dans ses grands thèmes.
avec la société industrielle par une classe moyenne raffinée. . La rue est l'élément essentiel du paysage urbain, le
La réhabilitation du xixe siècle devait passer par la redé¬
couverte du luxe tapageur des capitaines de l'industrie et passage ». « étroit, montueux, tributaire des accidents de
terrain
de la lourdeur majestueuse des bâtiments publics, qui sont . La salubrité de la rue est perpétuellement assaillie
un peu à l'architecture ce que sont les grandes machines par la pollution, essentiellement due aux êtres humains et
de la peinture académique ; il nous faut encore découvrir aux animaux à cette époque. La voie publique est le champ
le charme plus discret des villas des années 1860-1914 clos de son combat par les élus locaux comme par les plus
(dont l'art nouveau n'est qu'une des facettes), qui corres¬ hautes instances. L'étude des mesures d'édilité en apprend
pond un peu à la peinture plus intime de l'impressionisme.
En Angleterre les travaux de Mark Girouard [Sweetness autant
un fléau.sur les remèdes que sur les causes de ce qui reste
and light, the Queen Ann movement, 1860-1900, Oxford, . La rue a une physionomie originale par son nom, son
1977), aux États-Unis ceux de Vincent J. Scully ( The décor, ses activités. Elle n'est jamais stéréotypée au sein
shingle and stick style, New Häven, 1971) ont bien exploré d'une même cité. Paradoxe, sa théâtralité est évidente,
ce champ ; presque rien d'équivalent encore en France. dans la mise en scène factice des façades.
Fr. Loyer a hésité devant cette « terra incognita » ; mais . La rue n'a pas d'existence propre hors de la trame
son Siècle de l'industrie a tracé assez de voies nouvelles pour
mériter toute la reconnaissance des futurs explorateurs.
Claude Mignot. tacle,
(1) dans
Philippe
L'Histoire,
Contamine,
n° 73,Moyen
décembre
Age : 1984.
la rue est un spec¬

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