Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Carlier Omar. "Homme fétiche" ou "Homme-symbole" ? Un notable-militant : Houari Souiah, Premier préfet d'Oran (1915-
1990). In: Cahiers de la Méditerranée, n°46-47, 1, 1993. Bourgeoisies et notables en Méditerranée (XVIIIe-XXe siècles) [Actes
du colloque de mai 192 à Grasse ] pp. 203-247;
doi : https://doi.org/10.3406/camed.1993.1654
https://www.persee.fr/doc/camed_0395-9317_1993_num_46_1_1654
Université
Omar d'Qran-CRASC
CARLIER
1 En deçà et au delà du cas exemplaire formé en l'espèce par le "couple" Sid Ali-
Zahiri dans la période fondatrice de 1931 à 1935, on observe à Oran une évolution et
une interaction de ce type avec la vente en ville, en 1915, d'un lettré originaire d'El
Gaada, un centre religieux situé à 20 km, sur la route de Sidi bel Abbès.
Dès la fin des années 1920, Tayeb Zeddour, dit el Mhaji, prépare les esprits à la
réception du discours islahiste, par la qualité de son exégèse du Coran. Sans rompre
avec la Senoussiya, le cheikh Tayeb reçoit le premier Benbadis à Oran, partageant tout
juste cet honneur -car il les devance en prestige- avec le président de la cultuelle et le
muphti de la ville. Il prend ensuite ses distances avec l'islah. Mais c'est son propre
élève et neveu, Miloud Mohamcd-Brahim, parti à la "mosquée verte" suivre
l'enseignement du maître de Constantine, qui lance à Oran, début 1937, avec d'autres,
retour de Tunis et sur les instigations de Benbadis lui-même, non pas la première école
islahiste mais la première grande médersa réformiste de l'Oranie.
O. CARLŒR. "Homme fétiche" ou "homme symbole" : Houari Souiah. 213
1 Cette idée s'énonçait déjà expressément au pays dans "La lutte sociale", le journal
souvent saisi du parti communiste. Surtout, elle prenait une ampleur nouvelle, au
moment précis où les communistes, tout à leur stratégie frontiste, laissaient de côté
pour dix ans la revendication d'indépendance, en raison de la victoire du Iront
populaire, qui rendait possible le retour de Messali en Algérie. Déclinée par le PPA
depuis 1937 en terme d'"autonomie", surtout en ville, dans les catégories de l'Etat
moderne -sur le modèle de la puissance tutélaire, avec ses institutions et ses symboles :
gouvernement et parlement ("parlement algérien" est justement le titre du nouveau
journal de Messali), drapeau et hymne (respectivement brandis et chantés depuis la fin
1936 par les jeunes radicaux de 1*ENA/PPA)- l'idée de Watan (nation ) est perçue à
présent, sous le terme magique d'isnqlal (indépendance) par un nombre croissant de
ruraux, comme substitution prochaine, imminente du commandement musulman au
O. CARLJER. "Homme fétiche" ou "homme symbole" : Houari Souiah. 220
Les hommes comme Souiah, qui font le lien entre khassa (élite) et
amma (petites gens), islam scripturaire et islam populaire, religion et
politique et finalement entre ville et campagne, figurent justement
parmi les opérateurs naturels de ce changement corrélatif et presque
simultané de langage, de terrain et de masse critique induit par le
nouveau cours de l'histoire. Mais notre témoin incarne aussi, sans doute
mieux que d'autres, avec un cadet de cinq ans qui l'a précédé en
politique en suivant un autre itinéraire : Boutlélis Hammou, cette capacité
créatrice de ceux qui donnent d'autant plus corps à la rupture qu'ils
sont en position de médiation.
2 - De YIslah au PPA
commandement européen, sur une terre regardée, fut-ce de manière confuse, comme
celle d'une communauté politique spécifique (umma wataniya) logée au sein de la
communauté religieuse {umma islamiya) la communauté des "algériens".
* Celui-là regroupait les élus, les oulémas et les "militants", à l'exclusion
rapidement décidée des "messalistes", autour du rattachement de l'Algérie à la France,
selon une sorte de provincialisation dans le statut personnel musulman. Celui-ci
rassemble les anciens élus, les oulémas et les radicaux du PPA, à l'exclusion cette fois
des communistes, autour d'un projet d'indépendance, totale pour les uns (PPA),
inscrite dans un cadre fédéral ou confédéral pour les autres (Abbas). Dans les deux
cas, les idées parties de la ville gagnent rapidement les campagnes. Le sens politique
de la poussée diffère, sinon la qualité sociale des hommes de la médiation. Dans les
deux cas aussi, l'échec final du rassemblement est payé par l'incapacité du pouvoir
central à réguler un ordre colonial désormais obsolète et miné par le fossé encore accru
entre les communautés. D'une période à l'autre, enfin, si durement soit-il frappé, le
parti de l'Indépendance est bien le principal bénéficiaire de la crise. En 1937-1938, il
est rejoint au moins à Alger, par les déçus du Front populaire et certains adhérents de
ce Congrès musulman qui l'avait naguère écarté. En 1945, à l'échelle de tout le pays,
il s'empare d'un mouvement dont il n'a été au départ que l'aiguillon.
O. CARLŒR. "Homme fétiche" ou "homme symbole" : Houari Souiah. 221
1 Chadli Mekki a suscité une réunion préparatoire à Oran, dès sa sortie du camp,
avec l'aide de deux hommes qu'il a rencontrés en captivité : Ghaouti Déliai, un ancien
lecteur d'El Ouma familier de cheikh el Miloud et futur président de l'association El
Falah ; et Abdallah Maamar, un ancien des JC gagné en 1937 par Abdelkader Turqui,
fondateur de la section PPA d'Oran, et intime de Boutlelis Hammou, leader de fait des
jeunes nationalistes radicaux. Les premiers jalons posés, Chadli Mekki se rend à Alger
pour prendre contact avec la nouvelle direction clandestine, avant de se voir confier la
tête de la fédération PPA de Constantine.
O. CARLŒR. "Homme fétiche" ou "homme symbole" : Houari Souiah. 222
1 Préparées par les comités AML, mais canalisées et encadrées par les cellules
PPA, les manifestations du 8 mai 1945 qui célèbrent la fin de la guerre mondiale et
réclament l'indépendance nationale, donnent lieu à des affrontements avec la police
qui, dans le Sétifois, débouchent sur un soulèvement général, que le PPA tente un
instant de prendre à sa charge. La répression coloniale, préparée à l'avance, au moins
dans l'Est, fait plusieurs milliers de morts au moins ; 45 000 diront les nationalistes,
reprenant une estimation anglaise intentionnellement forcée.
O. CARLŒR. "Homme fétiche" ou "homme symbole" : Houari Souiah. 224
famille, bien noté par son supérieur à la Préfecture, ne peut encore être
tenu pour subversif, Souiah, lui, est gardé à vue. S'il était considéré
jusque là comme un modéré, il est à présent recherché pour ses
activités de la veille. De fait, il est membre du comité PPA d'Oran depuis
plusieurs mois. Il y a été promu après le retrait de militants moins
décidés, et chargé des relations avec les autres organisations et
associations. Cela, la police ne le sait pas encore.
En revanche, elle a remarqué son rôle dans la manifestation du
1er mai. C'est lui, en effet, qui a pris la parole à Ville nouvelle
-véritable lieu géométrique de la ville musulmane 1, où il est
responsable de district- devant le local scout, avant la mise en mouvement des
cortèges. Et il n'a pas hésité à faire le coup de poing au moment de leur
jonction, Boulevard Sébastopol, quand la police s'est opposée à l'entrée
des manifestants dans la ville européenne. Souiah n'a d'ailleurs pas
dormi chez lui le soir du 1er mai et il est parti le lendemain sur Alger
avec Maachou, affublé d'un déguisement rudimentaire.
Après le 8 mai, on le ramène à Oran, où il ne peut plus nier son
appartenance au PPA. Non parce qu'il est interrogé de manière plus
brutale -car la torture fait son apparition à ce moment là- mais parce
que la structure clandestine du parti est déjà connue et démantelée2.
Courageusement, Abed revendique devant le juge l'essentiel des
responsabilités. "Mettez tout sur moi", aurait-il dit à ses amis, afin
d'éviter à Oran le maximum d'arrestations. Tout le monde enfin
protège Boutlélis Hammou, encore militaire à Maghnia, qui reste
inconnu de la police au niveau qui est le sien. C'est donc avec ce
dernier et quelques autres courageux, rescapés et nouveaux venus que
le délégué du parti pour l'Oranie, Mohamed Yousfi, va reconstituer un
réseau. Une nouvelle période s'ouvre pour le PPA. Pour Souiah aussi.
3 - Militant et notable.
1 - De la prison à la Mairie.
L'épreuve carcérale peut briser les corps, elle peut aussi forger les
groupes. Souiah résiste au défi moral et physique que la cellule impose
aux premiers et bénéficie du lien qui fait les seconds. Pour le PPA, la
prison est depuis longtemps intégrée à sa stratégie de mobilisation et de
démonstration. Littéralement, elle fait école, elle est son école. Par la
discipline qu'elle impose, par les discussions qu'elle suscite, par les
conflits de caractères qu'elle met à nu, par les souffrances et les
solidarités qu'elle engendre, la prison est à la fois outil de formation,
instance de sélection des cadres, creuset de l'unité et foyer de l'esprit de
corps pour le corps militant. Pour Souiah, elle associe un rite de
passage à une nouvelle expérience. Il y entre coopté par le centre, il en
sort reconnu par ses pairs.
Sans abandonner son emploi civil, il devient en moins de trois ans
un professionnel de la politique. Sans être rémunéré par son parti
comme permanent, il regarde à présent la politique comme le principe
même d'organisation de sa vie. Dorénavant, Souiah et Hammou font
couple, moins par affinité personnelle qu'en raison de la logique sociale
et fonctionnelle du dispositif PPAi.
Au-delà de ce duo, c'est avec la génération des hommes rescapés
du 8 mai 1945, ou symboliquement nés avec lui, comme l'écrira plus
tard Yacine Kateb -celle dans laquelle s'investissent ces hommes
nouveaux que sont les Ben Bella et les Ben Boulaïd, les Boudiaf et les
Abane- que le PPA reconstitue un corps militant et prépare sa
candidature à la direction du pays. C'est avec elle qu'il impose son projet, ses
mots d'ordre et ses méthodes à l'ensemble du mouvement national,
sinon à la totalité des associations musulmanes. C'est de cette génération
que sortent les partisans de l'insurrection armée et les cadres de
l'organisation paramilitaire (OS).
Souiah est un représentant typique de cette génération, mais pas de
cette dernière fraction. Il fait à maintes reprises la preuve de son
Six mois environ avant son entrée à la mairie, Souiah avait été
coopté au Comité Central du PPA. Les conditions exactes de cette
promotion ne sont pas connues. L'intéressé lui-même n'en parle pas
dans ses notes et il n'a pas explicité ce point à l'entretien. A vrai dire, il
lui était sans doute difficile de donner une réponse adéquate, car la
procédure reste confidentielle. En principe, les décideurs ne donnent
pas d'explication à ceux qu'ils ont choisis. De plus, cette question n'est
pas de celles dont les bénéficiaires s'inquiètent sur l'instant, et il est
rare qu'ils l'objectivent après coup. Enfin, le choix du centre ne s'est
pas porté d'emblée sur celui qui nous occupe, au contraire de ce qui
adviendra plus tard, à l'heure de l'Indépendance.
Souiah n'a été invité à Alger que dans un deuxième temps de la
relance partisane. Il n'était présent, en effet, ni à la réunion de
Bouzaréa, en octobre 1946, où Messali imposait au comité central le
retour aux élections, après un an et demi de boycott, ni à la conférence
des cadres de décembre 1946, où l'opposition à la ligne électorale
s'affichait avec vigueur, ni au congrès clandestin tenu en 1947 à
Belcourt, où se dégageait la structure trifonctionnelle du parti (PPA-
MTLD-OS) et avec elle le compromis entre ses tendances et ses clans.
Seuls Boutlélis Hammou et Mohamed Memchaoui y représentaient
l'Oranie, passablement ignorée de la direction.
Mestari et Ben Bella, remarqués à Maghnia, et peut-être Belhadj
Bouchaïd très actif à Aïn Témouchent, viendraient étoffer le maigre
effectif, comme pour compenser ce manque, de conserve avec le
nouveau promu. D'autres que Souiah auraient pu être pressentis et
cooptés î. Mais il faut considérer la promotion des cadres pour ce qu'elle est
1 Semghouni et Benamar, déjà cités, pour Oran, mais aussi Madoun, Stambouli ou
Algui, pour Mascara, Mohamed Taleb, pour Sidi Bel Abbès ou encore Ouaddah,
Bensaïd et Fartas, pour la future Kasma de Ain Témouchent, l'une des plus fortes
d'Algérie après celle de Skikda. Les trois premiers ont disparu avec la crise de 1949,
O. CARLŒR. "Homme fétiche" ou "homme symbole" : Houari Souiah. 229
les autres sont peut-être restés trop périphériques pour le centre, sans compter l'effet
de surnombre au regard du quota implicitement dévolu à l'Ouest, ou d'éventuelles
considérations plus subjectives. En tout cas, notre nominé ne l'emportait pas sur ses
pairs par le bagage scolaire : Algui et Fartas avaient une véritable formation
secondaire, Stambouli était médersien, Taleb bachelier et Benamar ancien instituteur. H
ne l'emportait pas non plus sur eux en dynamisme, en esprit de lutte ou en capacité
d'organisation : Abed, Bensaïd, Fartas, Madoun et Ouaddah n'avaient rien à lui envier
sur ces points.
O. CARLEER. "Homme fétiche" ou "homme symbole" : Houari Souiah. 230
locale d'une nouvelle forme de tension, celle qui oppose, en tant que
tels, le centre et la périphérie, les cadres de kasma et les délégués du
comité central.
Il ne s'agit pas d'un conflit de type régionaliste, idéologique ou
stratégique, comme dans les crises précédentes, mais d'une réaction
localiste au centralisme démocratique et à la dictature d'Algen. Le cas
d'Oran, qui a des équivalents ailleurs, par exemple à Souk Ahras, ne
fait qu'illustrer un problème jusqu'ici oblitéré par la recherche. Tout
se passe comme si le huit-clos jeté sur des conflits définis et réglés au
centre sans consultation ni débat dans les kasmas (sans parler des
conseils municipaux) était payé ici et là d'une fronde, dans certaines
kasmas au moins, contre le gouvernement expéditif du centre.
Girondins contre Jacobins ? Démocrates contre bureaucrates ? Le fait
est que les néophytes de 1944-46 sont maintenant des cadres rodés qui
n'acceptent plus d'être traités comme des pions ou des gamins par ceux
que l'un d'entre eux appellera les sergents de la direction.
Faute de congrès ou de conférences de cadres, où puissent se
discuter en face à face les problèmes de fond, les tensions diffuses
accumulées en trois ans et trois crises ne sont pas retombées après le comité
central de 1951 qui renouvelle substantiellement la direction et prépare
la prise de pouvoir des futurs centralistes dans le parti. A Oran, ce qui
était latent en 1949 devient patent en 1952. La crise y rebondit sous la
forme inédite d'une opposition aux délégués du CC. Sahraoui et bien
d'autres cadres n'arrivent pas à se faire au jeu compliqué et fluctuant
que mène le parti depuis le congrès de Belcourt, entre voie légale et
voie révolutionnaire, participation et boycott, frontisme et sectarisme.
Souiah sait au contraire s'adapter, car la pérennité du parti, seul moyen
de lutte efficace selon lui, importe davantage à ses yeux que les
problèmes posés par les revirements tactiques, les différents idéolo-
intérimaire. Souiah accède au leadership, mais Sahraoui est son alter ego à la direction
régionale du MTLD.
1 Les choses ne vont pas très bien avec Zitouni, le nouveau chef de Wilaya, elles
ne s'arrangent pas avec Bouda et Demaghlatrous, les représentants du parti. Au
printemps 1952, une partie des élus et des cadres locaux exprime ouvertement son
mécontentement. Elle ne supporte plus la tutelle du centre : ni les atermoiements de la
Direction en matière électorale ni l'autorité à leurs yeux "cassante" et "médiocre" de ses
représentants qui, de surcroît, ont pris fait et cause pour Souiah, dans le conflit qui
oppose certains d'entre eux à ce dernier.
O. CARLIER. "Homme fétiche" ou "homme symbole" : Houari Souiah. 233
1 Souiah n'a pas pris l'initiative du conflit Les autres l'ont fait, publiquement et
maladroitement, sans attendre les échéances ni respecter les règles écrites et non
écrites. Ils se sont "mis eux-même en dehors du parti", comme disent généralement les
dirigeants en pareil cas, alors qu'aux yeux de Souiah la lutte politique ne pouvait
continuer qu'avec lui. Le conflit local de 1952 annonce bien le conflit général de 1954.
On ne doit pas en inférer toutefois que le futur député d'Oran était foncièrement hostile
à Messali. Il a fait partie de ceux qui se sont rendus à Niort pour tenter d'infléchir la
volonté du Président afin de ne pas casser le parti, et il a sincèrement espéré, semble-t-
il, qu'un compromis fut trouvé entre la légitimité du chef et la légalité du comité. Le
1er novembre 1954, en tout cas, il est confronté à un nouveau tournant, sans doute le
plus décisif.
O. CARLIER. "Homme fétiche" ou "homme symbole" : Houari Souiah. 234
1 On est tenté aussi de lire, dans le duel qui oppose un instant, au printemps 1954,
le centraliste d'Oran au neveu de Messali, quelque chose comme la transposition et le
réinvestissement, dans le registre du politique, d'une opposition aussi vieille que
l'islam maghrébin : celle qui se joue entre fqih et fakir, entre alcm et mrabet. Rien ne
se perd dans cette nouvelle polarité, surtout pas querelles de clan et de clientèle, rien ne
se crée, puisque les clivages linguistiques, régionaux, idéologiques, générationnels,
culturels et socio-économiques sont déjà là, mais tout se transforme, en passant
obligatoirement par l'opposition absolue du Za'ïm (guide) et du Nidham
(organisation). Cf. Jacques Berque, l'Intérieur du Maghreb, Gallimard, 1978 et
Clifford Geertz, Islam observed, 1968 (la découverte, 1992, pour l'édition française).
O. CARLŒR. "Homme fétiche" ou "homme symbole" : Houari Souiah. 235
1 Souiah écrit, il est vrai, dans ses notes qu'il aurait été approché par le CRU A
(Comité révolutionnaire pour l'unité et l'action : instance provisoire de concertation
entre certains centralistes -Benkhedda, Lahouel, Dekhli- et les partisans de l'action
immédiate, conduits notamment par Boudiaf) et qu'il aurait informé à son tour Moussa
Ben Ahmed (futur commandant Moussa) de l'imminence d'événements importants.
O. CARLŒR. "Homme fétiche" ou "homme symbole" : Houari Souiah. 236
1 - Un ultime effort.
Depuis 1965, le moral n'y est plus, malgré les succès d'un régime
qu'il a fini par rejoindre. Même commissaire-adjoint du parti, cet
homme qui incarne mieux que quiconque la fidélité au FLN, le respect
du passé, l'idée de la nécessaire continuité de l'Etat, s'avoue à lui-même
que c'est la formule politique qui est en cause et qu'il a cessé avec elle
de se situer au coeur des choses. De fait, on ne le verra jamais à la
mairie, où sa place paraissait devoir s'imposer naturellement, encore
moins à la nouvelle Assemblée Populaire Nationale. Pour les nouveaux
apparatchiks, Souiah est un vieil homme un peu encombrant.
Dans les kasmas et les commissions de candidature, les ambitieux
des années 1980 ont des protecteurs plus efficaces. L'ancien préfet
cherche alors à retrouver un cadre d'expression où être utile. Bien
avant octobre, sans rompre avec son parti de toujours, il a laissé la
politique active pour la société civile, à la faveur de la nouvelle loi sur
les associations. Il n'a jamais été questions pour cet alerte
septuagénaire, toujours positif et sans amertume, de se retirer dans sa tour
d'ivoire. Certes, sa sollicitude en matière de recherche sur l'histoire du
mouvement national et sa réponse favorable à la suggestion de rédiger
des notes ou d'entamer une autobiographie correspondent bien à un
souci personnel de mise à distance et d'objectivation du passé, mais il
s'agit avant tout, pour lui, d'affronter autrement le présent, en
retrouvant un certain esprit de sa jeunesse et de redonner consistance à une
action civique qu'il n'a, en fait, jamais abandonnée.
Comme en 1945, il reconnaît rapidement les symptômes de la
société en travail, comme en 1955, il sait s'adapter très vite à la
situation nouvelle. Mais cette fois, le vieux notable inverse l'approche
d'autrefois. Il met son capital politique et son esprit d'entreprise au
service de l'action sociale et de l'esprit civique, à la recherche d'un
O. CARLŒR. "Homme fétiche" ou "homme symbole" : Houari Souiah. 240
1 De 1944 à 1954, pendant plus de dix ans, Souiah participe sans discontinuer à la
direction des affaires de son parti. En 1955 et 1962, il est encore présent au moment
décisif. Son étoile pâlit après 1965, mais il n'est pas oublié en 1988. Seul parmi ses
pairs, à Oran au moins, il survit à toutes les crises politiques. Les autres passent, lui
reste. D'une certaine manière, il n'est plus du PPA, il est le PPA. Même chose avec le
FLN, jusqu'en 1965. H devient l'institution faite homme, la politique incarnée, parce
qu'il en personnifie l'action continuée. Comme dans tout processus de notabilisation,
fut-elle militante, l'effet produit sa propre cause. Plus que quiconque, Souiah est
l'homme d'un long compagnonnage, un artisan de la longue durée sociétaire et
militante. Mais par cette caractéristique même, il est sans doute moins l'homme d'un
parti que celui d'une ville. A travers lui, l'espace, le groupe et le temps s'articulent
Souiah et sa ville forment eux aussi un vieux couple. Ensemble, Us ont partagé les
vicissitudes de l'action collective et de la vie commune, les temps forts du mouvement
historique, l'espoir de libération et les désillusions de la liberté retrouvée, les
réalisations de l'Etat indépendant et le pourrissement du système de pouvoir.
Mais avant de durer, il a bien fallu débuter, puis faire ses preuves pour s'imposer et
rester. Motivé et travailleur, parfaitement secondé par une femme de caractère sortie
des écoles, Souiah a réussi son entrée et son maintien dans la vie publique, jusqu'à
finir par l'incarner, parce qu'il a su prendre son temps, améliorer sa formation,
valoriser son capital social et culturel, tenir le double registre de l'action et de la
gestion. A trente-deux ans, il s'est alors trouvé à l'aise dans le cumul des fonctions
poli-acquises et des fonctions sociales héritées, celles-ci confortant celles-là.
O. CARLIER. "Homme fétiche" ou "homme symbole" : Houari Souiah. 247