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Dominique Paiizi
Le premier muséefrançais du cinéma Le cinéma a partie liée avec le rêve. I1 a États-Unis, et Henri Langlois, en France,
ouvriraprochainemer2tses portes, à Paris, même été rêvé avant d'être inventé. Di- parmi d'autres, se mobilisèrent pour sau-
au palais de Tokyo, qui naguère abritait le derot ne le rêvait-il pas en regardant les vegarder les grandes œuvres du muet.
Centre national de kzphotographie. Fragonard lors de ses visites du Salon de La deuxième étape débute après la
Dominique Paï&, directeur de kz 1765 (lettre à Grimm à propos du ta- guerre. Il ne suffit plus de sauvegarder, il
Cinémathèquefrançaise, montre ici bleau Le grand prêtre Corésus se sacr$e faut revendiquer le cinéma comme art.
lbpportunité de cette décision. pour sauver Callirhoe) ? Peut-on imaginer Par la présentation des premiers grands
le musée de ce rêve ? Pour l'heure en cycles monographiques, Langlois crée les
France, nul musée du cinéma n'est sus- conditions d'une politique d'auteurs
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s'ouvre àla fin des années 20, au moment du monde n) est désormais remis en cau-
du passage du cinéma muet au cinéma se -, tandis que le financement des films
sonore. L'enjeu était de garder la mémoi- par la télévision modifie leur esthétique.
re d'un pan considérable de l'histoire du Dès lors, que conserve-t-on dans les ciné-
film, menacke de totale disparition du fait mathèques ? Une des formes de l'histoire
de l'évolution industrielle et commercia- de l'art ou les traces encore vives des ori-
le. Iris Barry, en Angleterre, puis aux gines de la communication ?
historiques qui l'intègrent progressive- tacle dont il relève), a entraîné une très
ment à l'histoire de l'art. Simultanément, tardive prise de conscience patrimoniale
la transmission de la culture cinéphilique et archivistique à son profit. Cette im-
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chemin urbain r y t h m é par les stations des sion spécifique : la cinéphilie, qui, en se-
salles n'est plus possible. En premier lieu, cond lieu, a rechigné à se dispenser offi-
parce que les salles se sont raréfiées et ciellement et monumentalement. Le
concentrées dans quelques quartiers de savoir cinéphilique s'est en effet constitué
loisirs. La découverte des films ne s'iden- clandestinement, il a été détourné des
tifie plus à un trajet romantique et laby- salles-templeset volé àleurs marchands...
rinthique. Les cryptes du type (( premiers La salle a été longtemps le lieu collectif
chrétiens N, comme Ulm et Chaillot, à d'une double lecture, populaire et culti-
Paris, ont perdu leur symbolique, même vée, et a rendu superflue la (( muséologi-
si la Cinémathèque française a retrouvé sation N du cinéma.
depuis quelques années sa vocation édu- Ce double régime de la vision des
catrice. films disparaît avec la diffusion télévisée
Au-delà, le statut même de l'amour du et la cassette : chacun voit les films dans
cinéma a changé. Il n'est plus une contre- son coin. Le cinéma n'a pas échappé à la
culture, face à l'université et au musée, grande entreprise d'individualisation de
symboles de la culture officielle. Au- cette fin de siècle, supprimant du même
jourd'hui, le cinéma est au programme coup une diversité culturelle qui se ga-
du lycée, et le mot cinémathèque est ré-(( gnait jadis au sein d'un public supposé
cupéré par des exploitants de salles sou-
)) homogène. C'est pourquoi le musée, en
cieux de reconnaissance culturelle. tant que maison du rêve collectif
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Cette transformation est moins radi- (Walter Benjamin), fait partie du défi du
cale qu'il ne paraît : les cinémathèques cinéma à l'ère de l'individualisation.
ont bien été les héritières directes du mu- De plus, la nature même du matériau
sée moderne, tenu pour le lieu où des ob- filmique, le temps, complique les propo-
jets quelconques acquièrent une aura ar- sitions muséographiques pour le cinéma.
tistique. Programmer un ensemble de Comment exposer du temps ? C'est le
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La maison du rêve collectif
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