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Qu'est-ce qu'un œuvre d'art ? La définition varie en fonction des lieux et des époques, sans jamais
vraiment trouver de réponse universellement acceptée. Qu'est-ce qui différencie une œuvre d'art d'un objet
usuel ou décoratif ? Est-ce la beauté ? Celui qui conçoit les œuvres d'art c'est l'artiste, les objets c'est
l'artisan. Or tous deux ont un rapport direct avec l'art. Étymologiquement ces deux termes ont la même
origine. Ils ont longtemps été synonymes. Plus tard, ils ont été attribués à différents types d'arts : l'artisan
était maçon, menuisier, alors que l'artiste était peintre, sculpteur, musicien... l'artisan travaille sur l'utile,
alors que l'artiste ce serait plutôt sur le beau. Le but de l'artisan c'est un objet pratique et utile, le but de
l'artiste c'est son œuvre, en soi et pour soi, elle n'a besoin de rien d'autre. L'œuvre d'art n'est donc que pour
'elle-même. Aujourd'hui lorsque l'on parle d'art, c'est surtout des beaux-arts. L'art doit donc indéniablement
être lié au beau.
En Europe, une œuvre d'art est la production d'un artiste. Elle ne peut-être qu'un produit de l'homme.
On dit parfois, en voyant un coucher de soleil ou le grand canyon par exemple, « c'est une œuvre d'art », il
s'agit d'un abus de langage. Pour produire une œuvre d'art, il faut être doué de sensibilité. Elle est également
destinée à l'homme. En effet, l'œuvre s'adresse aux sens, aux émotions et à la rationalité de l'homme. Elle
communique avec lui pour lui faire passer un message, un sentiment. On s'accorde à trouver belle une œuvre
en fonction du goût. Cette conception liée au goût date du XVIIIe siècle. Avec l'art moderne et l'art
contemporain, la notion du beau et du goût est abandonnée. L'œuvre d'art n'est plus que la création d'un
homme, une production de quelque chose de nouveau, à laquelle l'époque s'identifie.
La définition de l'art est donc relative. Est-ce parce qu'il se définit par le beau et que ce dernier n'est
vu qu'avec le goût, qu'il est lui-même totalement subjectif ? Pourtant « certains pensent que l'art doit
transcender le goût, [« ] parce que dans le processus historique, le goût n'a eu de cesse que de séduire, et de
fédérer ce qui plaisait. Cependant ceux qui goûtent ne se nourrissent pas du Beau littéraire, ils ne sont que
des gourmets. Le goût finalement ne cherche qu'à plaire selon un phénomène de mode, mais la littérature, en
tant qu'art n'est-elle pas dans la prise de risque, dans l'innovation originale, dans la lutte pour l'expression
d'une nouvelle vision : les Monet, Beethoven et Camus ont édifié leur muraille nue qui stoppe les hommes :
ce n'est pas qu'ils goûtent à l'agrément, mais ils sont stoppés devant cette muraille (pourtant façonnée sans
ciment) tout simplement. ». On peut donc se demander comment interagit le goût avec la façon d'aimer le
beau ? Une œuvre d'art doit-elle forcement être belle, doit-elle forcement plaire pour être de l'art ?
Dans une première partie nous définirons le goût, et ainsi nous montrerons son lien avec l'art. Une
œuvre d'art est une œuvre qui plait, ce qui explique que de nombreux artistes ne sont reconnus qu'après leur
mort. Le goût varie avec les époques.
Dans une seconde partie, nous verrons que l'œuvre d'art n'est pas vraiment liée au goût, mais à la beauté, une
beauté objective. L'œuvre d'art peut ne pas plaire, mais elle reste une œuvre d'art. Elle a ce « je ne sais quoi »
en plus. Elle peut être reconnue comme œuvre d'art sans pourtant plaire.
Dans une dernière partie, c'est plus l'art moderne et contemporain qui nous intéressera. En effet, celui-ci est
problématique car il cherche à s'écarter du chemin du beau et du goût. L'art doit être novateur et faire passer
un message. Il n'est pas là pour plaire au grand nombre, mais pour être compris de l'élite.

I) Le goût définit l'art


1. Définition du goût
2. Une œuvre qui plait
3. La reconnaissance tardive
II) Le beau définit l'art
1. Définition du beau
2. L'objectivité de l'art
3. Le bon travail de l'homme c'est de l'art, l'art dans l'excellence
III) L'art au delà du beau et du goût
1. L'art moderne et contemporain
2. Un éloignement du beau et du plaisant
3. Et pourtant, le beau se retrouve dans l'idée, une idée qui plait

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1. Définition du goût
Pour mettre en évidence l'interaction du goût avec l'œuvre d'art il est indispensable de définir ce
qu'est le goût. Il ne s'agit pas ici du sens premier du terme1. C'est plutôt un sens dérivé qui nous intéresse.
Restons dans le domaine des aliments d'abord. Chacun a ses goûts, ce qui est relatif à son sens du goût, ce
qui est agréable à celui-ci. Puis ce terme c'est étendu à tout les domaines, les couleurs, les parfums... chacun
à ses préférences, « chacun ses goûts ». Étymologiquement le goût vient du fait d'aimer, de trouver bon.
C'est ce sens qui va nous intéresser. Le goût c'est la capacité de reconnaître ce qui est beau. En esthétique le
goût est la faculté de l'esprit à voir la beauté et les défauts dans les autres productions de celui-ci, comme
dans une œuvre d'art. Cette faculté, chacun la possède, même si elle peut être différente pour chaque
individu. C'est celle qui vient avant la réflexion. Il n'est pas nécessaire de réfléchir pour savoir si oui ou non
une chose ou une personne nous plait. Le goût est lié aux sentiments, et non à la réflexion. Le goût permet
d'apprécier ce qui est bon et ce qui est mauvais2.
Au cours de l'histoire, le goût et l'art n'ont pas toujours eut les mêmes rapports. En esthétique littéraire c'est
surtout au XVIIIe siècle que prévaut le goût. C'est le siècle des théories sensualistes3 et du déclin des

 
1
L'un des cinq sens
2
Il est indissociable du dégoût
3
³Toutes nos connaissances sont le fruit de nos sensations et de rien d'autre´ Grand dictionnaire encyclopédique, Larousse,
Volume 13, article sensualisme
poétiques normatives 4. La notion de goût, selon l¶encyclopédie Larousse K       
   
 
           
 
    
       
       . Certains vont même jusqu'à établir un strict parallèle entre le goût culinaire
et le goût artistique. C'est le cas de l'abbé Dubos. On aime un bon plat comme on aime une œuvre d'art. Le
goût varie donc d'une personne à l'autre. Esthétique et sociologie littéraire sont étroitement liées à cette
époque. Ce sont les salons qui font le goût. Une œuvre qui plait dans un salon, on pourrait dire aussi, qui
plait aux femmes, est une œuvre d'art. Le goût est celui des salons 5. Il y a donc une « stratification sociale du
goût, qui se défait dans la mode, et rapporte la création littéraire aux nuances des habitus, attaché aux
classes, mais aussi aux groupes restreints »6.
Si au contraire la beauté était une qualité objective, comme le suggère Kant et Hegel, le goût ne pourrait pas
varier d'une personne à l'autre. En effet, si le goût est la reconnaissance du beau, et que le beau est objectif,
alors celui qui ne voit pas la beauté d'une œuvre est celui qui manque de goût. Il n'y aurait alors qu'un goût,
le reste serait du mauvais goût7. Cela explique que l'on ne soit pas tous d'accord sur la beauté d'une œuvre.
Mais qu'est ce que le beau ? Le beau n'est peut-être qu'un idéal. Un idéal que l'on ne pourra jamais atteindre.
Mais un idéal que l'art tente d'approcher. Ainsi l'art s'en rapproche plus ou moins. L'homme est incapable de
produire le beau. Il ne peut que s'en approcher. Ce Beau idéal n'est pas laissé à l'arbitraire de chacun. « si les
choses sont d'autant plus belles qu'elles se rapprochent plus d'un idéal qui n'est pas laissé à l'arbitraire de
chacun, mais qui nous est nécessairement inspiré par le spectacle de la nature et qui est comme la révélation
ou l'intuition de ce que pourrait être la perfection esthétique, alors il y a dans la nature et dans l'art des
beautés réelles, et il y a nécessairement un bon goût qui les discerne et un mauvais goût qui les ignore. »8
L'œuvre d'art est celle qui tente de reproduire cette beauté9.

2. Une œuvre qui plait


Il y a donc deux manières de définir le goût, en l'opposant au dégoût, ou en l'opposant au mauvais
goût. Quelque soit le choix que l'on fait, il est indéniable que l'œuvre est liée au goût, mais que cela ne veut
pas dire qu'une œuvre d'art plait à tout le monde. Soit il y a plusieurs sortes de goûts, il est alors subjectif, et
chacun appréciera certaines œuvres et non d'autres, soit l'on jugera une œuvre avec plus ou moins de goût et
de mauvais goût, expliquant ainsi la différence d'appréciation d'une œuvre entre différentes personnes.
Jusqu'à la Renaissance, il n'y a pas de différences précises entre l'artiste et l'artisan. L'artiste est un artisan
qui produit des œuvres de qualité exceptionnelle. L'artiste est un bon artisan. La différence se précise avec le
mécénat. Lorsque les artistes s'émancipent, pour faire allégeance aux académies et à la commande nobiliaire.
Le sens moderne du terme « art » se dessine doucement. C'est avec le siècle des lumières que la différence

 
4
La poétique normative est celle décrite entre autres par Aristote
5
C'est l'influence de la noblesse féminine qui a facilité le mécénat (protection des artistes) grâce à leur position sociale. Ce sont
elles qui dirigeaient les salons, par exemple le salon de Madame de Staël.
6
Grand dictionnaire encyclopédique, Larousse, Volume 7, article goût
7
Le goût n'est alors plus lié au dégoût, mais au mauvais goût
8
Dictionnaire encyclopédique Quillet, F-K, article goût
9
C'est pourquoi la nature ne peut créer d'œuvre d'art. Elle est belle naturellement.
se creuse, pour arriver à la notion d'art communément admise de nos jours. Les théories de l'art 10 apporteront
ce sens nouveau. « Le beau est ce qui plaît universellement sans concept »11. L'artisan obéit à des règles de
construction. Il cherche à être utile. Chez l'artiste les règles passent au second plan, l'utilité est absente.
L'important pour l'artiste c'est la réaction de nos sens, nos émotions.
Ce qui importe dans une œuvre, c'est donc le plaisir de la regarder ou de la lire. Une œuvre qui ne plairait
pas ne pourrait pas être une œuvre d'art. Si elle plait, elle est reconnue. Autrement dit elle est admirée,
regardée, ou lue s'il s'agit d'un livre. Un livre sans lecteurs ne sera jamais une œuvre d'art. Quelque soit le
livre que l'artiste écrit, s'il n'est pas lu, s'il n'est pas apprécié, alors jamais il ne deviendra une œuvre d'art. Un
livre n'est qu'un tas de feuilles avec de l'encre tant qu'il n'est pas lu. C'est donc la reconnaissance du lecteur
qui fait de lui ce qu'il est. Il faut donc que le livre soit du goût du lecteur, sous peine qu'il le jette et le rejette
±ceci expliquant donc que de nombreuses œuvres (pensons aux poètes maudits tels Aloysius Bertrand,
Tristan Corbière ou au peintre Van Gogh qui ne vendit qu¶une seule toile de son vivant !) ne soient reconnus,
et  que   , comme si l¶humanité n¶était pas prête à voir la beauté  , ou si le goût de
l¶époque ne correspondait pas à l¶oeuvre±

3. La reconnaissance tardive


Ceci explique que de nombreuses œuvres ne sont pas immédiatement reconnues comme œuvres d'art.
D'innombrables artistes ne sont reconnus que   , comme si l'humanité n'était pas prête à voir cette
beauté, ou si le goût de l'époque ne correspondait pas à l'œuvre. On pourrait citer de nombreux peintres
comme Van Gogh12 qui connaissent un grand succès aujourd'hui, mais qui de leur vivant ont vécu dans la
misère. Mais c'est le cas aussi de certains écrivains, surtout des poètes. Ceux qui ne rencontrent pas leur
public de leur vivant. C'est le cas de Verlaine, Rimbaud, Lautréamont, Alexandre Pouchkine, William Blake,
Blaise Cendrars, Antonin Artaud, Baudelaire, Edgar Allan Poe, Jean Genet etc... Ce sont les « poètes
maudits ». C'est Verlaine qui a lancé cette notion. Le jeune Arthur Rimbaud mène une vie de bohème à Paris.
Avec son mentor Verlaine, il mène une vie de scandale et de vagabondage. Tout deux ne seront reconnus
qu'après leur mort. Aujourd'hui leur notoriété est universelle.

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1. La subjectivité du goût


Si le goût est relatif, ou s'il n'est pas présent chez tout le monde, alors il est difficile de définir l'œuvre
d'art par rapport à lui. En effet, qu'est-ce qui me dit que j'ai le goût nécessaire pour juger de la beauté d'une
œuvre d'art. Et s'il est subjectif, alors à chacun ses œuvres d'arts ? Non, les œuvres d'art sont reconnus. Elles
peuvent ne pas plaire, mais on ne nie pas que ce sont des œuvres d'art.
Le goût est le sens critique des beautés et des défauts dans tous les arts. On a beaucoup discuté sur le bon
 
10
De Kant entre autre
11
Kant
12
Qui n'a vendu qu'une seule toile de son vivant
et le mauvais goût. La question est la même que celle du beau. Certains philosophes ont prétendu que la
beauté n'était qu'une qualité essentiellement relative, qui n'existait nullement dans l'objet qualifié de beau,
mais seulement dans l'esprit de celui qui le qualifie de beau. C'est la théorie du beau subjectif. Elle
s'appuie sur les variations subies par le goût à travers les âges, les appréciations diverses de la beauté
suivant les civilisations et même suivant les « modes ».13

Le goût ne peut donc suffire à faire l'œuvre d'art, bien qu'il lui soit étroitement lié. Il faut donc s'intéresser à
ce qui est lié à la fois à l'art et au goût : la beauté.

"La nature est une œuvre d¶art, mais Dieu est le seul artiste qui existe, et l¶homme n¶est qu¶un
arrangeur de mauvais goût." George Sand. La beauté n'est que dans la nature, et l'homme n'en est qu'un pâle
imitateur. Mais qu'est ce que la beauté ?

2. Définition du beau


Tout d'abord, la beauté est une notion abstraite sur laquelle l'esthétique et la philosophie se sont
souvent penchés. Communément, la beauté est la caractéristique d'une chose qui procure une sensation de
plaisir par l'intermédiaire des sens. Cependant, il ne s'agit pas d'un plaisir physique. Chez Platon le beau est
lié au bien. Ce sera aussi le cas chez Kant. En effet, selon eux, un être bon sera forcement beau, car il sera
sain. De nos jour on peut peut-être simplement dire que le beau rend heureux. Il illumine l'âme, instaure en
elle le plaisir. À l'inverse, lorsque l'on est heureux, on a le goût pour les choses, alors que quand on est
dépressif on voit les choses en noir.
Finalement le beau est ce qui apporte du plaisir à l'âme. Je prends du plaisir à regarder un beau tableau, du
plaisir à écouter une belle musique...

3. L'objectivité de l'art


La beauté doit donc être présente dans l'œuvre d'art. C'est elle, par le plaisir qu'elle apporte qui fait
l'œuvre d'art. Mais la beauté n'est pas que dans l'art. La beauté est aussi naturellement autour de nous. « Ces
sortes de beautés sont de celles qu'il faut sentir, et qui ne se prouve point. C'est ce je ne sais quoi qui nous
charme, et sans lequel la beauté même n'aurait ni grâce ni beauté ; mais après tout, c'est un je ne sais
quoi »14. Si l'on compare les œuvres de l'artisan, et celle de l'artiste, on sent ce « je ne sais quoi » dont nous
parle Boileau. C'est ce « je ne sais quoi » qui fait que je prends du plaisir à regarder, à écouter ou à lire une
œuvre. Bien sur, l'œuvre de l'artisan peut être jolie, mais il lui manquera ce « je ne sais quoi » cette beauté.
Cette beauté réside très certainement dans le fait que l'œuvre d'art n'a pas d'utilité. Elle est pour elle-même.
En cela, l'art est très certainement objectif. Cela ne veut pas dire qu'en chaque personne il va apporter du
plaisir. Mais cela veut dire que chaque œuvre d'art n'existe que pour ça, et apporte du plaisir à un grand
nombre de personne.

4. Le bon travail de l'homme c'est de l'art, l'art dans l'excellence


Ce « je ne sais quoi » qui apporte du plaisir au lecteur ou au spectateur, c'est peut-être l'excellence.
 
13
Dictionnaire encyclopédique Quillet, F-K, article goût
14
Œuvres de Boileau, Tome 3, ]     
L'excellence dans un domaine. Tous ceux qui peignent ne sont pas des peintres. Tous ceux qui écrivent ne
sont pas des écrivains. De la même manière que tout livre n'est pas considéré comme de la littérature. « On
mérite le nom de poète en rendant l¶action que l¶on traite capable d¶émouvoir », ou encore : « Le sublime de
la poésie et de la peinture est de toucher et de plaire, comme celui de l¶éloquence est de persuader. Il ne
suffit pas que nos vers soient beaux, dit Horace en style de législateur, pour donner plus de poids à la
décision ; il faut encore que ces vers puissent remuer les cœurs et qu¶ils soient capables d¶y faire naître les
sentiments qu¶ils prétendent exciter. »15
Plus que la beauté, ce qui fait l'œuvre d'art c'est donc un « je ne sais quoi » qu'elle a en plus. Un « je
ne sais quoi » qui apporte le plaisir à celui qui regarde ou qui lit. Un « je ne sais quoi » qui est lié à la beauté,
mais qui n'est pas la beauté. On est alors en droit de se demander si la beauté est dans toutes les œuvres d'art.

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Naturellement on rapproche souvent l¶art de la beauté, association quasi instantanée lorsque l'on
ressent un plaisir esthétique. L'objectif premier de l'art c'est lui même, et non la beauté. Il n'est donc pas
nécessairement beau. L'œuvre d'art peut donc être laide. Une œuvre d¶art peut provoquer un sentiment de
dégout, de rejet, d¶indifférence... l'important est qu'elle touche nos sentiments. La frontière avec le non-art
est alors mince. La beauté est souvent associée à l'art par accident. On veut faire passer un sentiment, et
souvent cela passe par la beauté, mais ce n'est pas nécessairement le cas.

1. L'art moderne et contemporain


Alors que l'on associe naturellement l'art à la beauté, en admirant une œuvre classique. Cela est
beaucoup moins naturel avec l'art moderne et contemporain. Avant de chercher à comprendre ce qui fonde
l'art à notre époque, essayons de définir l'art moderne et contemporain.
L'art moderne commence en 1907, avec c ]    de Pablo Picasso et s'achève au milieu
des années 1960, avec l'art contemporain. L'art moderne nait en même temps que la critique d'art. À cette
époque l'art devient un sujet d'écriture. On écrit sur l'art. On écrit sur les tableaux, on écrit sur les livres.
L'œuvre d'art est donc influencée. On conçoit une œuvre d'art en sachant que l'on va écrire sur elle. L'œuvre
d'art devient alors un dialogue. L'artiste travaille de manière à ce qu'on écrive sur lui. La critique de l'époque
est souvent discours engagé sur l'œuvre. Goethe et Matisse écriront sur la couleur. De nombreux artistes
publient des textes ou des manifestes.
La « modernité » est un mode de pensée, de vivre et de créer. Elle veut faire réagir. Si l'art cherche à toucher
les sentiments, l'art moderne choisi de choquer. L'art moderne veut se démarquer des autres arts qui l'ont
précédée. La beauté n'est plus comme avant l'apanage de l'antique. Les choses ont changé et l'art doit refléter
ce changement. Nous sommes dans une ère industrielle, une ère de la culture de masse. L'art doit
représenter la réalité. Il prend alors de nouveaux sujets, comme c'est le cas de c ! " c# de
 
15
L'abbé Dubos, Î 
           (1719), I, 24 et II, 1
Monet. En littérature on peut citer Emile Zola. Avec par exemple c $%  , sur le monde du chemin
de fer,     , sur un grand magasin parisien et ! sur les mineurs.
En 1884, l'Académie perd sa légitimité aux yeux des artistes, ce n'est plus elle qui dirige les beaux arts. L'art
bohème peut alors prendre place. Les peintres « hors-académie » refuse d'être exposés à côté des
académistes, et ainsi, un an plus tard apparaît le Salon des Indépendants, et en 1890 le Salon de la Société
nationale des Beaux-arts. L'art moderne se veut avant-gardiste. Il cherche à innover et pour cela, il n'hésite
pas à rompre avec les conventions.
Dans sa continuité apparaît l'art contemporain. Il débute à la fin de la seconde guerre mondiale. Il tire son
nom du fait que c'est l'art d'aujourd'hui, il nous est contemporain. Mais dans l'art le terme perd son caractère
historique, pour devenir esthétique et même polémique. Comment parler de l'art contemporain sans le recul
nécessaire pour apprécier ses œuvres ?
On peut cependant en déterminer quelques caractéristiques. On le reconnaît dans la transgression du passé, il
veut affirmer son indépendance face à l'art moderne. On peut alors citer le Pop Art et le Fluxus. C'est en effet
avec ces mouvements artistiques que s¶achèvent l'art moderne et la théorie de Clément Greenberg qui le
définissait comme « la recherche de la spécificité du médium ». L¶art contemporain cherche à sortir des
institutions. L'art reflète les crises de la société. Il cherche soit à s'y opposer comme Heartfield envers le
Nazisme, ou au contraire de participer à la propagation d'une pensée politique.
Il se fonde sur de nouveaux comportements : renouveau stylistique, brassages artistiques, origines diverses,
arts technologiques. On n'hésite pas à faire de l'art par ordinateur. On peut approcher différemment la réalité.
On peut imaginer une pièce de théâtre où il ne se passerait rien (   ! de Samuel Becket).
L'artiste prend parfois position, il se veut démonstratif ou choquant, en tout cas il cherche la médiatisation.

2. Un éloignement du beau et du plaisant


Comme on l'a dit, pour être reconnu, il faut un spectateur, un lecteur. Il faut donc être à son goût. Être
du goût du lecteur, lorsque l'on passe derrière des chefs d'œuvre comme ceux de Victor Hugo, de Zola... cela
paraît beaucoup plus difficile. Les œuvres reconnues comme chefs d'œuvre forment une sorte de muraille
empêchant les petits artistes d'émerger. Le problème qui se pose est « comment se démarquer ? ». C'est
peut-être pour cette raison qu'aujourd'hui le beau n'est plus le but recherché dans l'art. On cherche à se
démarquer.
Finalement, le XXe siècle, remet en question tout ce qui avait pu être retenu au siècle précédent. C'est un
siècle de contestation. Il conteste notamment l'existence d'une essence de l'art. Une essence que l'on
retrouverait à travers les âges et les civilisations. Et donc l'idée d'un art universel. Il souligne ainsi le
caractère ambigu du rapport entre « beauté » et « art ». En effet, pour les artistes de cette époque, l'art n'est
pas nécessairement beau. L'œuvre d'art représente la nature, mais elle peut très bien le faire de manière
effrayante, voire repoussante. Après la seconde guerre mondiale on doute de la beauté du monde, de la
beauté de l¶âme humaine. L'art est le reflet de cette idée. Il est donc logique qu'il ne soit plus vraiment beau.
3. Et pourtant, le beau se retrouve dans l'idée, une idée qui plait
Cependant, n'y a-t-il pas toujours une sorte de beauté dans l'art ? L¶art ne le montre-t-il pas les
horreurs de la vie, de la nature, d'une belle manière ? D'une manière qui nous touche ? « L'art ... a en effet
tendance à descendre dans la vie quotidienne ... il nous apprend à transfigurer le quotidien ... en nous
familiarisant avec une beauté sauvage, l'art moderne nous apprend, plutôt qu'à méconnaître la beauté, à la
reconnaître partout ... Dans la poésie des choses les plus humbles, il nous invite à découvrir la densité de
leur présence, et à pressentir la Nature naturante, source de toute beauté. » « Peut-être cette beauté sans
cérémonie a-t-elle parfois moins de grandir, mais peut-être aussi, son champ est-il plus vaste? »16

En conclusion l'art est étroitement lié avec le goût, en tant que reconnaissance du beau. On a pu
donner deux définitions possibles du goût. Le plus simple est de le définir par opposition, soit au dégoût, soit
au mauvais goût. Mais définir une œuvre d'art par le goût n'est pas simple, car quelle que soit la définition
choisie, soit il est subjectif, soit on ne le différencie pas du mauvais goût de manière objective.
Il faut alors chercher une beauté objective pour définir l'art. Mais existe-t-il une beauté objective ? Et l'art
est-il forcement beau. On a vu que l'on peut en douter avec l'art moderne et contemporain. Cependant même
ces arts représentent la réalité, qui elle n'est pas toujours belle, de manière esthétique, autrement dit, de belle
manière.
Finalement, l'œuvre d'art est celle qui provoque les sentiments, et ce de n'importe quelle manière. C'est cette
approche des sentiments qui est toujours belle, qui est ce « je ne sais quoi » que l'art a en plus.
Le goût est donc bien lié à l'art, mais ce n'est pas lui qui le fonde. L'art est en soi et pour soi, avec un « je ne
sais quoi » en plus. Un « je ne sais quoi » que la philosophie et l'esthétique ont longtemps cherché à
déterminer. Un « je ne sais quoi » qui n'a encore jamais fait l'unanimité.


 
16
Miquel Dufrenne, Encyclopedie Universalis

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