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Spatialiser haptiquement :
de Deleuze à Riegl, et de Riegl à Herder
Herman Parret
Index
Auteurs cités : Sémir Badir, Denis BERTRAND, Gilles DELEUZE, Jacques Derrida,
Henri Focillon, Ernst Gombrich, Algirdas Julien GREIMAS, Sémir HenriBergson,
Johann Gottfried von Herder, Margaret Iversen, Henri Maldiney, Maurice Merleau-
Ponty, Aloïs Riegl, Paul VALÉRY, Heinrich Wölfflin, Heinrich Worringer, Claude
ZILBERBERG
Texte intégral
1:
C’est ainsi que Cl. Zilberberg introduit sa contribution au séminaire
intersémiotique sur la sémiotique de l’espace (déc. (...)
2:
Une heureuse exception nous est offerte par l’excellente contribution au
séminaire intersémiotique, intitulée « Sur la (...)
3:
Dont la pagination que je cite est celle de l’édition GF-Flammarion, Paris, 1972,
pp. 79-124.
1. Je vous offre une anthologie de quelques séquences de Diderot pour leur beauté et
leur pertinence. « L’état de nos organes et de nos sens », énonce Diderot, « ont
beaucoup d’influence sur notre métaphysique et sur notre morale », et c’est ainsi que
l’aveugle « ne fait pas grand cas de la pudeur » (86-87) puisqu’il n’a jamais vu aucune
nudité, et encore, l’aveugle ne juge pas de la beauté, à la manière d’un jugement
esthétique kantien (80-81), et pourtant Diderot s’émerveille : « On m’a parlé d’un
aveugle qui connaissait au toucher quelle était la couleur des étoffes » (128). Et faisant
référence au cas de Saunderson, le plus célèbre aveugle-né au 18e siècle, discuté
également par Condillac, Diderot écrit : « Saunderson voyait donc par sa peau ; cette
enveloppe était en lui d’une sensibilité si exquise… Il y a donc aussi une peinture pour
les aveugles, celle à qui leur propre peau servirait de toile » (102). Autre enchantement :
« L’aveugle a la mémoire des sons à un degré surprenant ; et les visages, [pour lui],
n’offrent pas une diversité plus grande que celle qu’il observe dans les voix. Elles ont
pour lui une infinité de nuances délicates qui nous échappent » (83).
4:
Je ne fais que mentionner en ce lieu l’article « Synesthésie et profondeur » de
Cl. Zilberberg, Visible 1, 2005, pp. 83-103, où (...)
Si on reconstruit quelque peu l’argument de Diderot, il semble y avoir deux pistes pour
une explication psycho-anthropologique de ces phénomènes. D’abord, Diderot
présuppose un sens interne ou une faculté globale de sentir : « Je ne connais rien qui
démontre mieux la réalité du sens interne que cette faculté, faible en nous, mais forte
dans les aveugles-nés, de sentir ou de se rappeler la sensation des corps, lors même
qu’ils sont absents et qu’ils agissent sur eux… Nous pouvons très bien reconnaître en
nous la faculté de sentir à l’extrémité d’un doigt » de sorte que, comme il dit, « les
sensations qu’il aura prises par le toucher seront, pour ainsi dire, le moule de toutes les
idées » (91). Ce sens interne, de Kant à Merleau-Ponty, cette « faculté de sentir » en
tant que telle, « moule » de toute la vie sensorielle, est une hypothèse que Diderot ne
creuse pas mais admet intuitivement. L’autre explication est celle qui pointe vers la
synesthésie4: « Le son de la voix avait pour [l’aveugle-né] la même séduction ou la
même répugnance que la physionomie pour celui qui voit… Quand [il] entendait
chanter, [il] distinguait des voix brunes et des voix blondes » (130). Il est bien
intéressant de noter que Diderot ne semble pas croire à une synesthésie adéquate pour
les voyants: là, il n’y a que concours des sens, mais « nullement entre les fonctions des
sens une dépendance essentielle » (115) : « nous tirons sans doute du concours de nos
sens et de nos organes de grands services » (86). Par conséquent, « ajouter le toucher à
la vue » est bien inutile quand on est voyant : une « dépendance essentielle » n’existe
que par nécessité pour les aveugles.
5:
Que je cite dans la seconde édition, Paris, Editions du Seuil, 1972. Voir
également la transcription des Cours de Deleuze (du 12 et 19 (...)
6:
Mille plateaux, Paris, Editions du Minuit, 1980, p. 614.
7:
Deleuze remarque que le mot “haptisch” est créé par Riegl, non pas dans la
première édition de Spätrömische Kunstindustrie (...)
8:
Je suis dépendant dans cette section de Mireille Buydens, Sahara. L’esthétique
de Gilles Deleuze, Paris, Vrin, 2005. Un autre livre (...)
9:
Mille plateaux, p. 620.
10 :
Mille plateaux, pp. 616-617.
J’ajoute un dernier élément dans cette caractérisation des deux sensibilités esthétiques
(optique et haptique), là où Deleuze interroge superbement le rapport riche de la main
et de l’oeil dans la technique picturale de Bacon, et où il utilise ce rapport de la main et
de l’oeil aux tensions dynamiques pour déterminer ce qu’il en est du “sens haptique de
la vue”. Plus la main est subordonnée, plus la vue développe un espace optique idéal.
C’est absolument insuffisant de dire, constate-t-il, que l’oeil juge et que les mains
opèrent. Ce n’est donc pas, insiste Deleuze, que la main “obéit” à la vue et est ainsi
subordonnée à la domination d’un code optique. Il y a des référents manuels “tactiles”
totalement indépendants de la programmation par l’espace optique. Même quand il y a
une véritable insubordination de la main à l’oeil, le tableau reste une réalité visuelle,
mais “ce qui s’impose à la vue, c’est un espace sans forme et un mouvement sans repos
qui défont l’optique” (145-146). Et Deleuze de constater avec insistance que
l’expérience de la profondeur, du contour, du modelé repose exactement sur cette
insubordination de la main à l’égard de l’oeil. Il conclut son Francis Bacon en notant,
avec Leiris, que la main, la touche, la saisie, la prise tracent le “fait pictural” même, ce
qui veut dire que ce “fait pictural” consiste “dans la constitution du troisième oeil”
(151).
11 :
Mille plateaux, idem, p. 598.
Deleuze n’hésite pas, au cours de son oeuvre, surtout dans Qu’est-ce que la philosophie,
La logique de la sensation. Francis Bacon, Le pli et Mille plateaux, à construire à sa
manière des brins d’une histoire de l’art employant le schéma duel des deux sensibilités
esthétiques, l’optique et l’haptique. Il distingue en fait six étapes dans l’histoire de l’art
que j’énumère pour me concentrer sur la première : de prime importance, l’art égyptien,
et ensuite l’art grec, l’art byzantin, l’art gothique (ou art barbare), l’art baroque (ou art
du pli), enfin l’art de la modernité où il discute de préférence la peinture abstraite, l’art
informel et surtout la peinture de Bacon considérée comme la véritable expression de la
sensibilité haptique. Là où il confronte frontalement Bacon à l’art abstrait, émerge un
autre schéma duel affectant deux types d’espace : l’espace lisse et l’espace strié,
distinction qui est superposable aux deux sensibilités esthétiques, haptique et optique,
qui régissent le déroulement de l’histoire de l’art. L’espace lisse, correspondant à la
vision haptique, présente les caractéristiques suivantes : il est peuplé d’événements ou
de héccéités, il est intensif, non mesurable et anorganique. C’est essentiellement un
espace d’affects “signalant des forces ou leur servant de symptômes”11. Ainsi l’espace
lisse est défini comme un espace ouvert, non cloisonné et nomade. Face à cela figure
l’espace strié qui est au contraire dimensionnel et métrique, extensif, mesurable et
organique. L’“espace strié” met en oeuvre des formes et des sujets composant des
ordres et des hiérarchies. On peut également le définir comme un espace fermé,
cloisonné et sédentaire. Cette conception a sa justification théorique dans la
Métaphysique de la Forme et de la Substance. Il n’est pas difficile de comprendre
pourquoi le lisse est du côté de l’affect, de la caresse, de la main, et ... du bas-relief
égyptien qui incarne paradigmatiquement la sensibilité haptique, préférence que
Deleuze emprunte essentiellement à Aloïs Riegl. Le bas-relief égyptien, qui trouve une
continuation idéale dans la peinture de Francis Bacon, appartient à l’art haptique par son
emploi de la surface, de la proximité et de la ligne abstraite : il ignore en effet la
profondeur et juxtapose les figures de manière qu’elles soient tout à la fois proches
l’une de l’autre et proches de nous-mêmes, déployant ainsi la double proximité, interne
et externe, caractéristique de la sensibilité haptique. Le bas-relief égyptien est également
un art essentiellement linéaire : les figures y sont ciselées par un tracé net et pur, et
apparaissent comme anorganiques dans la mesure où cet art ne dégage aucune
perspective, aucune profondeur scénique ou charnelle, pas plus qu’il ne noue de
relations dialogiques ou narratives (les figures sont comme isolées par la précision de
leurs contours).
12 :
Je cite l’œuvre de Riegl dans sa traduction française (trad. Eliane Kaufholz),
Paris, Klincksieck, 1978.
13 :
Repris dans Regard, Parole, Espace, Lausanne, L’âge de l’homme, 1994, pp.
173-207.
14 :
Voir pour une excellente présentation du Kunstwollen, Margaret Iversen, Aloïs
Riegl. Art History and Theory, Cambridge, Mass., MIT (...)
15 :
Grammaire historique des arts plastiques, idem, p 3.
16 :
Je renvoie à cette étude (article mis en ligne en mai 2007) pour l’effort, déployé
par Zilberberg, d’une sémiotisation des (...)
17 :
Cl. Zilberberg, « Riegl ou l’invention du paradigme », idem, p. 1.
18 :
“Riegl et l’invention du paradigme”, Ibidem, p.12.
19 :
Grammaire historique des arts plastiques, op.cit., p. 121 ss.
Toutes les choses de la nature ont une forme, c’est-à-dire qu’elles s’étendent suivant les
trois dimensions : hauteur, largeur et profondeur. Seul le toucher nous permet cependant
de nous assurer directement de cet état de fait. Par contre celui des cinq sens qui sert à
l’homme pour recevoir les impressions que lui donnent les choses extérieures - la vue –
est plutôt propre à nous induire en erreur sur les trois dimensions de ce que nous
voyons. Car notre oeil n’est pas en mesure de pénétrer les corps et n’en voit donc
toujours qu’un côté qui se présente à lui comme une surface à deux dimensions. Ce
n’est que lorsque nous avons recours aux expériences du toucher que nous complétons
en esprit la surface à deux dimensions perçue par les yeux pour en faire une forme à
trois dimensions. Ce processus s’effectuera d’autant plus aisément et plus rapidement
que l’objet contemplé présentera des aspects susceptibles de rappeler à la mémoire les
expériences du toucher. [...] Plus le spectateur se rapproche de la chose de la nature,
plus cet effet s’intensifie naturellement jusqu’à ce que le souvenir des expériences du
toucher domine à tel point que l’homme n’a plus du tout conscience des erreurs
d’appréciation dues à ses yeux.
20 :
Paris, Alcan, 1932, p. 139.
Le corps est essentiellement ce qu’il est pour le toucher; il a une forme et une
dimension déterminées, indépendantes de nous; il occupe une certaine place dans
l’espace et ne saurait en changer sans prendre le temps d’occuper une à une les positions
intermédiaires; l’image visuelle que nous en avons serait alors une apparence, dont il
faudrait toujours corriger les variations en revenant à l’image tactile; celle-ci serait la
chose même, et l’autre ne ferait que la signaler.
Lorsqu’on observe avec attention les bas-reliefs égyptiens, et les peintures murales,
remarque Riegl, on est obligé de reconnaître qu’ils n’ont été réalisés que pour la vision
rapprochée, c’est-à-dire la vision qui n’est déterminable qu’à partir de la mémoire des
expériences du toucher. Et c’est évidemment cette apologie de l’art égyptien que
Deleuze reprend et cultive dans son Francis Bacon (115) que je cite :
Et Deleuze découvre dans les figurations de Bacon précisément des projections qui
marquent également l’art égyptien.Gloire donc aux Egyptiens ! Il ne faut pas s’étonner
que Bacon lui-même dans ses écrits chante la gloire des Egyptiens, et Deleuze de
s’enthousiasmer que “Bacon est d’abord un Egyptien” (127). Dans l’art égyptien, c’est
surtout le bas-relief ou la peinture murale qui incarne la position haptique, le bas-relief,
note Deleuze, étant “quelque chose d’intermédiaire entre la sculpture et la peinture”
(116). A l’oeil y est donnée la consigne d’opérer un acte manuel de suivi des contours.
L’oeil y touche ou saisit dans un rapport immédiat les essences universelles sur des
surfaces planes, sans profondeur ni perspective, en parcourant frontalement le contour
géométrique de la surface peinte à la manière dont la main peut toucher la statue pour en
saisir la silhouette. Je n’esquisse pas en ce lieu la périodisation en histoire de l’art
proposée par Riegl, périodisation que l’on peut d’ailleurs contester, tout comme son
évaluation qualitative des différentes phases historiques (égyptien, grec, byzantin,
gothique, etc.). Quelques mots seulement sur les considérations de Riegl qui concernent
la première période, l’art égyptien. Riegl, et Deleuze à sa suite, chante l’art égyptien, on
l’a vu, comme l’accomplissement suprême du Kunstwollen, puisque l’art égyptien est
l’art tactile par excellence, l’art à être “tâté du regard”, conçu pour être vu de près
(nachsichtig), justement pour faire ressortir l’essentiel des choses sur une surface
objective, tactile, sans aucune projection subjective ou illusoire. L’artiste égyptien
voulait absolument éviter de susciter chez le spectateur l’illusion d’une forme qu’il
aurait devant lui, il voulait la lui retirer aussitôt. Objectives sont les figures aux contours
très nets qui les délimitent avec précision, le fond qui les entoure étant traité comme un
mal nécessaire, comme un accessoire inutile. Le fond sert à séparer les motifs les uns
des autres et non comme un facteur qui aurait droit à une existence effective. Riegl
indique dans maintes descriptions que l’art des surfaces de l’ancienne Egypte ne
construit jamais de fond, mais uniquement des reliefs dont la forme matérielle est
éminemment tactile. Chaque figure se présente aussi isolée que possible dans sa
position et dans son mouvement: elles semblent avoir été représentées telles que l’artiste
les perçoit dans une vision rapprochée. Proximité de l’objet, absence de profondeur et
hypostase de la matérialité, voici des conditions essentielles de l’expérience haptique:
non pas le monde chaotique, fugace et dysphorique de la vision à distance mais la
certitude de la matière palpable, l’euphorie de la “vérité” entre les doigts.
21 :
Il faudrait citer les œuvres d’esthétique de Herder dans l’édition des Werke par
le Wissenschafliche Buchgesellschaft, Darmstadt (...)
22 :
E. Kant, Anthropologie du point de vue pragmatique, § 17.
23 :
M. Merleau-Ponty, L’œil et l’esprit, Edition Gallimard-Folio, 1964, p. 26.
24 :
J. Derrida, Le toucher. Jean-Luc Nancy, Paris, Galilée, 2000, p. 193.
25 :
De l’imperfection, Perpignan, Fanlac, 1987, p. 30.
Or le toucher est plus que l’esthétique classique veut bien lui reconnaître – sa capacité
de l’exploration de l’espace et de la prise en charge des volumes -; il se situe parmi les
ordres sensoriels les plus profonds, il exprime proxémiquement l’intimité optimale et
manifeste, sur le plan cognitif, le vouloir de conjonction totale.
26 :
Voir la contribution de D. Bertrand au séminaire intersémiotique (Nouveaux
actes sémiotiques).
27 :
Je cite les deux volumes des Cahiers dans la Pléiade. J’aurais également pu
mettre en valeur dans ce contexte une autre apologie de (...)
Valéry.Et voici encore une autre apologie, celle du Valéry des Cahiers et des Œuvres,
grand champion de la manophilie27. Je ne fais que citer ces beaux textes qui constituent
de vrais éloges de la main.
L’étude approfondie de la main humaine (système articulé, forces, contacts, etc.) est
mille fois plus recommandable que celle du cerveau. Cette concentration du saisir et du
sentir. Durée de striction. Mouvements ultra-rapides (ceux plus rapides que la
conscience). Caresser, pincer, pousser, tracer, tirer, flatter, frapper, cogner, montrer.
Universalité de la main. (I, 1127)
La main bénit, gratte le nez ou pire, tourne le robinet, prête serment, manie la plume ou
le pinceau, assomme, étrangle, presse le sein, arrache, caresse, lit chez l’aveugle, parle
chez le muet, adjure, menace, accueille, fait un trille, donne à manger ou à boire, se fait
compteur, alphabet, outil, se tend vers l’ami, et contre l’ennemi ; et tout à tout,
instrumentale, symbolique, oratoire, mystique, géométrique, arithmétique, prosodique,
rythmique, / acteur universel, agent général, instrument initial. (II, 1431)
Histoire d’une main. Supposé qu’on ait filmé tout ce qu’elle fit – active ou non,
obéissante à ses sensations, ou à d’autres – à une idée – à un songe, à la distraction – à
la nerveuse impatience – au commandement – touchant tout – bonne à tout – plus ou
moins ‘intelligente’ – mais elle n’est qu’une extrémité articulée, capable d’être animée
et plus ou moins locale – cette main, qui tantôt accompagne un discours, tantôt palpe les
secrètes choses... (II, 1338) Celui qui regarde sa main, la fait mouvoir et considère la
main et son mouvement, comme une curiosité, et se dit En quoi ceci est-il Moi ou de
Moi ? (II, 318) Ma main ressemble beaucoup [à celle de] Goethe, et très différentes
toutes deux de celle de Hugo ». (I, 230) Je parle à Mme Curie de ses mains qui font de
si étranges et agiles exercices dans l’espace pendant qu’elle parle – comme un pianisme
ou harpisme d’une légèreté singulière. (II, 964)
La main, organe de la pensée, est capable d’une infinité de tâches – peut frapper et
dessiner, saisir et signifier. L’animal n’a pas de gestes ou bien peu. (I, 946) L’esprit
sert à tout, comme la main. (II, 1361).
Qu’est-ce qu’un général sans soldats ? un sculpteur sans mains ? Il est souverainement
sot d’opposer ces choses qui ne vivent que de l’union (I, 336). Le travail des mains
d’une artiste au piano. (I, 354) Peut-on parler d’art dans les fabrications où la main
n’intervient pas – à titre d’instrument d’une sensibilité singulière, personnelle ? … Entre
la conception et l’exécution, les intermédiaires humains ne sont que des machines qui
n’introduisent rien, et moins ils sont autre chose, mieux cela vaut . (II, 983) L’ouvrier ne
sait pas qu’il a deux mains et rien que deux ; et l’une droite, et l’autre gauche ; et
inégales ; et il ne songe pas que ce qu’il fait est avant tout l’acte de deux seules mains,
et inégales, et en est marqué – invisiblement pour les hommes. (I, 1067)
Je suis par moments dans le creux de ma main. Si je ne puis y tenir, il n’y a pas de
Science. (I, 34) Reconstruire la saveur de fruits. L’homme intérieur tient la mer dans le
creux de sa main imaginée. (I, 324). Idée de la possession de soi-même et de se tenir
dans sa main ». (I, 329) Et tout ce que je pourrais penser ou sentir, me semble un petit
objet dans le creux de ma main spirituelle. (II, 1302) Mais le grain d’une roche, la
dureté d’un tronc, la vie froide de feuilles saisies à pleine main, l’inertie de l’eau,
m’arrêtent, m’immobilisent et m’accablent… ». (I, 136)
Les actes ont un registre – tactile, moteur. L’homme a été si peu et si mal étudié (grâce
aux philosophes) que nous ne savons pas calculer la diminution d’action due à la
suppression de tels instruments. Théorie de la main – sens + forces. (I, 1133)
La main d’Adam et Eve. La main qui est son organe essentiel, son gagne-fruits et qui va
éduquer son cerveau, cette main commet le premier acte métaphysique, le premier acte
qui se distingue de son objet immédiat et qui a plus de conséquence que son observation
exacte n’en peut découvrir. (II, 602)
28 :
A la gloire de la main, Paris, Editions Graphis, 1949, rassemblant des « éloges
de la main » par Bachelard, Eluard, Lescure, Mondor, (...)
29 :
Cl. Zilberberg, Synesthésie et profondeur, Visible 3, pp. 83-103.
30 :
G. Deleuze, Logique de la sensation, op.cit., p. 45.
31 :
Logique de la sensation, ibidem, pp. 45-46.
32 :
Cité par Cl. Zilberberg, art.cit., p.89.
Notes
1 C’est ainsi que Cl. Zilberberg introduit sa contribution au séminaire intersémiotique
sur la sémiotique de l’espace (déc. 2009) : « En vertu d’un pléonasme inévitable,
l’espace est partout. […] Ainsi nous ne quittons jamais l’espace : nous changeons
seulement d’espace. Le paradigme de l’espace dicte à la syntaxe ses limites : il n’y a pas
de négation de l’espace. Subjectivé ou objectivé, l’espace est donc partout. Nous dirons,
sans viser particulièrement le paradoxe, que l’ubiquité est en matière d’espace la donnée
prioritaire » (Nouveaux actes sémiotiques, Prépublications du séminaire
intersémiotique).
2 Une heureuse exception nous est offerte par l’excellente contribution au séminaire
intersémiotique, intitulée « Sur la profondeur », de Sémir Badir (Nouveaux actes
sémiotiques, online) où l’auteur démontre par l’analyse subtile du « sentiment de
profondeur » ou de la « projection de profondeur » que « le corps est […] l’instance
essentielle de la profondeur », « que le point commun à tous les cas de profondeur [est]
qu’ils font appel à la corporalité, au sujet en tant que corps » (p. 3). La présentation
empathique de tous ces cas de « sentiment de profondeur » ne peut qu’émerveiller le
lecteur.
3 Dont la pagination que je cite est celle de l’édition GF-Flammarion, Paris, 1972, pp.
79-124.
5 Que je cite dans la seconde édition, Paris, Editions du Seuil, 1972. Voir également la
transcription des Cours de Deleuze (du 12 et 19 mai 1981).
7 Deleuze remarque que le mot “haptisch” est créé par Riegl, non pas dans la première
édition de Spätrömische Kunstindustrie (1901) où on ne trouve que le terme de
« taktisch », mais dans la seconde édition et en réponse à certaines critiques.
8 Je suis dépendant dans cette section de Mireille Buydens, Sahara. L’esthétique de
Gilles Deleuze, Paris, Vrin, 2005. Un autre livre bien utile est Ronald Bogue, Deleuze
on Music, Painting, and the Arts, New York/London, Routledge, 2003. Anne
Sauvagnargues, Deleuze et l’art, Paris, Presses Universitaires de France, 2005, offre la
présentation la plus empathique de l’esthétique deleuzienne.
12 Je cite l’œuvre de Riegl dans sa traduction française (trad. Eliane Kaufholz), Paris,
Klincksieck, 1978.
13 Repris dans Regard, Parole, Espace, Lausanne, L’âge de l’homme, 1994, pp. 173-
207.
16 Je renvoie à cette étude (article mis en ligne en mai 2007) pour l’effort, déployé par
Zilberberg, d’une sémiotisation des concepts et polarités conceptuelles de l’esthétique
dans la tradition Riegl/Wölfflin/ Worringer.
21 Il faudrait citer les œuvres d’esthétique de Herder dans l’édition des Werke par le
Wissenschafliche Buchgesellschaft, Darmstadt (hrsg. de Wolfgang Pross), 1987. Les
traductions en français et même en anglais sont exceptionnelles. Pour l’anglais : voir
Gregory Moore, Johann Gottfried Herder. Selected Writings on Aesthetics,
Princeton/Oxford, Princeton U.P., 2006. Plastik (1770-1778) n’a jamais été traduit en
français, mais il existe une traduction en anglais : Sculpture. Some Observations on
Shape and Form from Pygmalion’s Creative Dream (trad. par Jason Gaiger),
Chicago/London, The University of Chicago Press, 2002. C’est à cette édition que je
réfère dans le présent article.
27 Je cite les deux volumes des Cahiers dans la Pléiade. J’aurais également pu mettre
en valeur dans ce contexte une autre apologie de la main : Eloge de la main de Henri
Focillon (publié en appendice de Vie des formes), [1934], 1964.
Herman Parret «Spatialiser haptiquement», Actes Sémiotiques [En ligne]. 2009, n° 112.
Disponible sur : <http://epublications.unilim.fr/revues/as/2570> (consulté le
14/12/2018)