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> Revue > N°112 | 2009 > Spatialiser haptiquement

Spatialiser haptiquement :
de Deleuze à Riegl, et de Riegl à Herder
Herman Parret

publié en ligne le 16 août 2009



Index

Articles du même auteur parus dans les Actes Sémiotiques

Mots-clés : corps, espace, haptique, main, optique, profondeur, synesthésie, toucher

Auteurs cités : Sémir Badir, Denis BERTRAND, Gilles DELEUZE, Jacques Derrida,
Henri Focillon, Ernst Gombrich, Algirdas Julien GREIMAS, Sémir HenriBergson,
Johann Gottfried von Herder, Margaret Iversen, Henri Maldiney, Maurice Merleau-
Ponty, Aloïs Riegl, Paul VALÉRY, Heinrich Wölfflin, Heinrich Worringer, Claude
ZILBERBERG

Texte intégral


1:
 C’est ainsi que Cl. Zilberberg introduit sa contribution au séminaire
intersémiotique sur la sémiotique de l’espace (déc. (...)
2:
 Une heureuse exception nous est offerte par l’excellente contribution au
séminaire intersémiotique, intitulée « Sur la (...)

« L’espace est partout », certes1. On constate d’ailleurs une invasion thématique et


épistémologique de la spatialité dans nombre de sciences humaines (le localisme en
linguistique, la théorie des jeux en économie et en sociologie, l’introduction des
paramètres de proximité et de distanciation en pragmatique dialogique et
conversationnelle, etc.). On ne se rend pas toujours compte dans ces approches de
l’espace souvent naturalisantes et réductionnistes que la spatialisation est organisée à
partir du corps, de ses vécus et de ses esthésies2. La spatialisation est un dynamisme
pathémique dont les thymies sont générées par une subjectivité incarnée. La sémiotique
des passions a suffisamment insisté sur le fait que, puisque le corps est un champ de
forces modalisantes, la spatialisation ne peut être qu’affective, que tout espace comme
lieu d’identité d’un sujet, est un espace signitif, symbolique, onirique, hallucinatoire,
angoissant, intime ou étranger, un espace radicalement sémiotisé, certainement pas
l’espace naturalisé de la physique et de la géométrie. Ce serait une percée remarquable
de la sémiotique de pouvoir démontrer comment toute spatialisation est essentiellement
marquée par une temporalité intensément aspectualisée.

3:
 Dont la pagination que je cite est celle de l’édition GF-Flammarion, Paris, 1972,
pp. 79-124.

L’esthésique, on l’affirme depuis plusieurs décennies, nous offre les meilleurs


prolégomènes à l’anthropologie sémiotique. L’insistance sur l’organisation hiérarchique
des cinq sens, sur l’impact des mécanismes interesthésiques et synesthésiques, est sans
doute le moyen le plus efficace permettant de détrôner la conception
paradigmatiquement métaphysique depuis Platon, celle qui proclame que l’espace et la
mise-en-espace sont l’affaire de la vision, de l’œil, rétinal ou mental, l’affaire de la pure
opticalité, passive, réceptive, transparente et objectivante. Pour déconstruire ce
paradigme, d’une puissance extrême dans nos philosophies et nos cultures, je voudrais
présenter une alternative, celle de la spatialisation haptique, sous la guidance de
Deleuze, Riegl et Herder (20e, 19e, 18e siècles), trois proto-sémioticiens qui justifient,
dans les marges du paradigme dominant, une conception pluri-esthésique de la
spatialisation qui tient compte de la richesse globale de la vie sensorielle du sujet, et
surtout de sa compétence « haptique ». Toutefois, je me permets d’évoquer brièvement,
en guise d’introduction à ma triade Deleuze/Riegl/Herder, une approche, moins
paradigmatique mais heuristiquement intéressante, de la « spatialisation haptique »,
celle de Denis Diderot dans sa Lettre sur les aveugles de 17493. En effet, Diderot se
pose bien intelligemment une question qui parcourt toutes les anthropologies ou
psychologies du 18ième siècle : comment l’aveugle-né parvient-il à spatialiser, à partir
de quelle compétence sensorielle ?

1. Je vous offre une anthologie de quelques séquences de Diderot pour leur beauté et
leur pertinence. « L’état de nos organes et de nos sens », énonce Diderot, « ont
beaucoup d’influence sur notre métaphysique et sur notre morale », et c’est ainsi que
l’aveugle « ne fait pas grand cas de la pudeur » (86-87) puisqu’il n’a jamais vu aucune
nudité, et encore, l’aveugle ne juge pas de la beauté, à la manière d’un jugement
esthétique kantien (80-81), et pourtant Diderot s’émerveille : « On m’a parlé d’un
aveugle qui connaissait au toucher quelle était la couleur des étoffes » (128). Et faisant
référence au cas de Saunderson, le plus célèbre aveugle-né au 18e siècle, discuté
également par Condillac, Diderot écrit : « Saunderson voyait donc par sa peau ; cette
enveloppe était en lui d’une sensibilité si exquise… Il y a donc aussi une peinture pour
les aveugles, celle à qui leur propre peau servirait de toile » (102). Autre enchantement :
« L’aveugle a la mémoire des sons à un degré surprenant ; et les visages, [pour lui],
n’offrent pas une diversité plus grande que celle qu’il observe dans les voix. Elles ont
pour lui une infinité de nuances délicates qui nous échappent » (83).

Qu’en est-il de la compétence de spatialisation de l’aveugle-né? Diderot se pose ainsi la


question : « Comment un aveugle-né se forme-t-il des idées des figures ? Je crois que
les mouvements de son corps, l’existence successive de sa main en plusieurs lieux, la
sensation non interrompue d’un corps qui passe entre ses doigts, lui donnent la notion
de direction… Il a, par des expériences réitérées du toucher, la mémoire des sensations
éprouvées en différents points : il est maître de combiner ces sensations ou points, et
d’en former des figures. Une ligne droite, pour un aveugle qui n’est point géomètre,
n’est autre chose que la mémoire d’une suite de sensations du toucher placées dans la
direction d’un fil tendu… Géomètre ou non, l’aveugle-né rapporte tout à l’extrémité de
ses doigts. Nous combinons des points colorés ; il ne combine, lui, que des points
palpables, ou, pour parler plus exactement, que des sensations dont il a la mémoire… »
(89).

4:
 Je ne fais que mentionner en ce lieu l’article « Synesthésie et profondeur » de
Cl. Zilberberg, Visible 1, 2005, pp. 83-103, où (...)

Si on reconstruit quelque peu l’argument de Diderot, il semble y avoir deux pistes pour
une explication psycho-anthropologique de ces phénomènes. D’abord, Diderot
présuppose un sens interne ou une faculté globale de sentir : « Je ne connais rien qui
démontre mieux la réalité du sens interne que cette faculté, faible en nous, mais forte
dans les aveugles-nés, de sentir ou de se rappeler la sensation des corps, lors même
qu’ils sont absents et qu’ils agissent sur eux… Nous pouvons très bien reconnaître en
nous la faculté de sentir à l’extrémité d’un doigt » de sorte que, comme il dit, « les
sensations qu’il aura prises par le toucher seront, pour ainsi dire, le moule de toutes les
idées » (91). Ce sens interne, de Kant à Merleau-Ponty, cette « faculté de sentir » en
tant que telle, « moule » de toute la vie sensorielle, est une hypothèse que Diderot ne
creuse pas mais admet intuitivement. L’autre explication est celle qui pointe vers la
synesthésie4: « Le son de la voix avait pour [l’aveugle-né] la même séduction ou la
même répugnance que la physionomie pour celui qui voit… Quand [il] entendait
chanter, [il] distinguait des voix brunes et des voix blondes » (130). Il est bien
intéressant de noter que Diderot ne semble pas croire à une synesthésie adéquate pour
les voyants: là, il n’y a que concours des sens, mais « nullement entre les fonctions des
sens une dépendance essentielle » (115) : « nous tirons sans doute du concours de nos
sens et de nos organes de grands services » (86). Par conséquent, « ajouter le toucher à
la vue » est bien inutile quand on est voyant : une « dépendance essentielle » n’existe
que par nécessité pour les aveugles.

5:
 Que je cite dans la seconde édition, Paris, Editions du Seuil, 1972. Voir
également la transcription des Cours de Deleuze (du 12 et 19 (...)
6:
 Mille plateaux, Paris, Editions du Minuit, 1980, p. 614.
7:
 Deleuze remarque que le mot “haptisch” est créé par Riegl, non pas dans la
première édition de Spätrömische Kunstindustrie (...)

2. Mais qu’en est-il de l’expérience esthétique du voyant, l’expérience sensorielle du


felix aestheticus  ? En effet, cette « dépendance essentielle » que Diderot présupposait
dans la vie sensorielle des aveugles, cet « ajout du toucher à la vue », c’est une
suggestion qui nous mène au seuil de la conception deleuzienne du haptique, qui est en
fait la conception d’une certaine sensibilité esthétique, artistique même. L’idée du
haptique, on le sait, est déployée dans plusieurs chapitres de Francis Bacon. La logique
de la sensation (1981)5. Ainsi, insiste Deleuze, le tableau du peintre n’est pas une
réalité purement visuelle : le tableau est un espace haptique et non pas optique. Et il
explique dans Mille plateaux: “Haptique est un meilleur mot que tactile, puisqu’il
n’oppose pas deux organes des sens, mais laisse supposer que l’oeil peut lui-même avoir
cette fonction qui n’est pas optique”6. Et Deleuze fait référence dans Francis Bacon à
Aloïs Riegl qui est le créateur du terme de “haptisch”7: haptique, du verbe grec aptô
(toucher), ne désigne pas une relation extrinsèque de l’oeil au toucher, mais une
“possibilité du regard”, un type de vision distinct de l’optique (116). Deleuze propose
d’employer le terme haptique “chaque fois qu’il n’y aura plus subordination étroite [...],
ni subordination relâchée ou connexion virtuelle [entre la main et l’oeil], mais quand la
vue elle-même découvrira en soi une fonction de toucher qui lui est propre, et
n’appartient qu’à elle, distincte de sa fonction optique” (146). Par conséquent, le peintre
peint avec ses yeux seulement en tant qu’il touche avec les yeux. La saisie, la prise de
l’acte pictural marque cette activité manuelle directe qui trace la possibilité du fait de
peindre: “[le peintre] prend sur le fait, comme on “saisira sur le vif’”, et Deleuze de
conclure: “Le fait lui-même, ce fait pictural venu de la main, c’est la constitution du
troisième oeil, un oeil haptique, une vision haptique de l’oeil [...]. C’est comme si la
dualité du tactile et de l’optique était dépassée visuellement, vers cette fonction
haptique” (151).

8:
 Je suis dépendant dans cette section de Mireille Buydens, Sahara. L’esthétique
de Gilles Deleuze, Paris, Vrin, 2005. Un autre livre (...)
9:
 Mille plateaux, p. 620.

L’alternative haptique se distingue du paradigme optique par plusieurs traits


fondamentaux8. L’espace haptique est avant tout un espace fluide de forces, sans points
identifiables, “comme le Sahara, comme le sourire infini des vagues”, commente
Deleuze. La continuité de ses orientations, sans ruptures ni délimitations, sans chemin,
sans repère, est essentielle à la spatialisation haptique. Deleuze évoque à ce propos le
parcours nomade9. Ce parcours nomade ne fonctionne pas comme liaison mais comme
vecteur transversal, parcours sauvage, par conséquent, qui n’est motivé que par sa
propre errance, parcours “abstrait” puisqu’indépendant de toute forme préétablie. Il
convient par conséquent de comprendre le statut de la ligne dans la spatialisation
haptique. Deleuze soutient qu’il y a deux façons de penser la ligne. La première façon
est illustrée par le trajet parcouru par le bateau dans le transport maritime : la ligne y
relie des points qui lui préexistent, les escales et les ports. Ainsi la ligne y est ainsi
soumise à des points et notre regard construit cette ligne, raisonnable et utile, en
fonction des points qu’elle relie et en fonction de la construction d’une forme. L’autre
façon par contre est de considérer la ligne dans son indépendance des points,
indépendance de toute directionalité et de toute concrétitude. C’est donc la ligne du
parcours nomade.

10 :
 Mille plateaux, pp. 616-617.

Un autre trait fondamental concerne l’absence absolue de toute profondeur organisée.


La sensibilité haptique n’admet qu’un seul plan, une surface sans profondeur. Et c’est
ce qui rend possible la fusion de l’oeil et son corrélat extérieur, l’oeuvre d’art ou le
tableau par exemple: aucun récit, aucun argument, aucune sémiotique, aucune
herméneutique, ne s’interpose entre eux. C’est ainsi que l’artiste n’impose aucune
direction péremptoire, aucune nécessité d’interprétation, et qu’il ne fait voir que le
travail des forces libres au delà des formes, et par conséquent au-delà du sens. Deleuze
parvient à décrire à merveille10 comment s’installe ainsi l’absolu de la présence, “un
absolu qui ne fait qu’un qu’avec le devenir lui-même”. L’espace optique est à l’antipode
de cette ambiance fusionnelle de la spatialisation haptique : l’espace optique est l’espace
de la distance, de la forme polyphonique des plans organisés, et en fait l’espace de la
représentation, tributaire de la vision éloignée, et non plus un espace vécu comme de la
présence. La représentation présuppose des distances intérieures, des intervalles, des
focalisations. C’est en fait le travail de l’oeil que de tracer des chemins de perception et
de sens, de construire des points d’ancrage, d’organiser la profondeur en perspective. La
spatialisation haptique en est l’alternative : libérée de tout désir de représentation, elle se
crée la liberté du parcours nomade.

Un autre trait fondamental de l’expérience haptique réside dans sa dimension de


proximité. Cette proximité haptique se manifeste d’ailleurs exemplairement dans l’acte
de création artistique. Deleuze insiste sur le fait que le peintre ne peut reculer de son
tableau, il doit “être trop proche” avec ce qu’il peint, en intime fusion, dans une
proximité immédiate, il doit se fondre avec le flux de son objet. Ce trait fondamental de
la proximité implique également la mise entre parenthèses de toute dimension narrative
puisque la narrativité installe une structure dialogique présupposant le détachement des
événements de l’arrière-plan, et c’est ainsi que la forme et le fond se distinguent en
contraste et en dialectique.

J’ajoute un dernier élément dans cette caractérisation des deux sensibilités esthétiques
(optique et haptique), là où Deleuze interroge superbement le rapport riche de la main
et de l’oeil dans la technique picturale de Bacon, et où il utilise ce rapport de la main et
de l’oeil aux tensions dynamiques pour déterminer ce qu’il en est du “sens haptique de
la vue”. Plus la main est subordonnée, plus la vue développe un espace optique idéal.
C’est absolument insuffisant de dire, constate-t-il, que l’oeil juge et que les mains
opèrent. Ce n’est donc pas, insiste Deleuze, que la main “obéit” à la vue et est ainsi
subordonnée à la domination d’un code optique. Il y a des référents manuels “tactiles”
totalement indépendants de la programmation par l’espace optique. Même quand il y a
une véritable insubordination de la main à l’oeil, le tableau reste une réalité visuelle,
mais “ce qui s’impose à la vue, c’est un espace sans forme et un mouvement sans repos
qui défont l’optique” (145-146). Et Deleuze de constater avec insistance que
l’expérience de la profondeur, du contour, du modelé repose exactement sur cette
insubordination de la main à l’égard de l’oeil. Il conclut son Francis Bacon en notant,
avec Leiris, que la main, la touche, la saisie, la prise tracent le “fait pictural” même, ce
qui veut dire que ce “fait pictural” consiste “dans la constitution du troisième oeil”
(151).

11 :
 Mille plateaux, idem, p. 598.

Deleuze n’hésite pas, au cours de son oeuvre, surtout dans Qu’est-ce que la philosophie,
La logique de la sensation. Francis Bacon, Le pli et Mille plateaux, à construire à sa
manière des brins d’une histoire de l’art employant le schéma duel des deux sensibilités
esthétiques, l’optique et l’haptique. Il distingue en fait six étapes dans l’histoire de l’art
que j’énumère pour me concentrer sur la première : de prime importance, l’art égyptien,
et ensuite l’art grec, l’art byzantin, l’art gothique (ou art barbare), l’art baroque (ou art
du pli), enfin l’art de la modernité où il discute de préférence la peinture abstraite, l’art
informel et surtout la peinture de Bacon considérée comme la véritable expression de la
sensibilité haptique. Là où il confronte frontalement Bacon à l’art abstrait, émerge un
autre schéma duel affectant deux types d’espace : l’espace lisse et l’espace strié,
distinction qui est superposable aux deux sensibilités esthétiques, haptique et optique,
qui régissent le déroulement de l’histoire de l’art. L’espace lisse, correspondant à la
vision haptique, présente les caractéristiques suivantes : il est peuplé d’événements ou
de héccéités, il est intensif, non mesurable et anorganique. C’est essentiellement un
espace d’affects “signalant des forces ou leur servant de symptômes”11. Ainsi l’espace
lisse est défini comme un espace ouvert, non cloisonné et nomade. Face à cela figure
l’espace strié qui est au contraire dimensionnel et métrique, extensif, mesurable et
organique. L’“espace strié” met en oeuvre des formes et des sujets composant des
ordres et des hiérarchies. On peut également le définir comme un espace fermé,
cloisonné et sédentaire. Cette conception a sa justification théorique dans la
Métaphysique de la Forme et de la Substance. Il n’est pas difficile de comprendre
pourquoi le lisse est du côté de l’affect, de la caresse, de la main, et ... du bas-relief
égyptien qui incarne paradigmatiquement la sensibilité haptique, préférence que
Deleuze emprunte essentiellement à Aloïs Riegl. Le bas-relief égyptien, qui trouve une
continuation idéale dans la peinture de Francis Bacon, appartient à l’art haptique par son
emploi de la surface, de la proximité et de la ligne abstraite : il ignore en effet la
profondeur et juxtapose les figures de manière qu’elles soient tout à la fois proches
l’une de l’autre et proches de nous-mêmes, déployant ainsi la double proximité, interne
et externe, caractéristique de la sensibilité haptique. Le bas-relief égyptien est également
un art essentiellement linéaire : les figures y sont ciselées par un tracé net et pur, et
apparaissent comme anorganiques dans la mesure où cet art ne dégage aucune
perspective, aucune profondeur scénique ou charnelle, pas plus qu’il ne noue de
relations dialogiques ou narratives (les figures sont comme isolées par la précision de
leurs contours).

12 :
 Je cite l’œuvre de Riegl dans sa traduction française (trad. Eliane Kaufholz),
Paris, Klincksieck, 1978.
13 :
 Repris dans Regard, Parole, Espace, Lausanne, L’âge de l’homme, 1994, pp.
173-207.
14 :
 Voir pour une excellente présentation du Kunstwollen, Margaret Iversen, Aloïs
Riegl. Art History and Theory, Cambridge, Mass., MIT (...)
15 :
 Grammaire historique des arts plastiques, idem, p 3.

3. On ne peut nier que Deleuze, dans sa qualification de l’expérience esthétique


haptique, est très dépendant des idées de Aloïs Riegl auxquelles il se réfère souvent et
toujours avec admiration. Mais il n’est pas certain qu’il ait connu directement les textes
principaux de Riegl, la Grammaire historique des arts plastiques12(1897-98) et
Spätrömische Kunstindustrie (1901), deux œuvres qu’il cite sans doute à travers sa
lecture de l’article L’art et le pouvoir du fond13 du phénoménologue Henri Maldiney.
Pourtant, la référence à Riegl ouvre pour Deleuze une piste de réflexion très originale.
On se rappelle que la Grammaire historique des arts plastiques est un traité de grande
envergure dont le prestige a dominé toute l’histoire de l’esthétique allemande à partir de
1900, et qui a exercé une réelle influence sur Worringer et sur Wölfflin qui, eux aussi,
ont construit une théorie systématique de l’expérience haptique à la suite de Riegl. Cette
conception de l’art chez Riegl prend son point de départ dans la notion du
Kunstwollen14. Cette notion-clé est difficile à comprendre. On la traduit souvent par
« volonté d’art » et même par « impulsion d’art » et également, à la suite de Gombrich,
par « volonté formative » (will-to-form). Plus radicalement, le Kunstwollen serait un
Kunstdrang, « désir d’art », une impulsion créatrice de la nature sublimée dans l’esprit
de l’artiste. Il est certain que toute une métaphysique est sous-jacente à cette notion-clé :
la création artistique serait l’incarnation de l’aspiration instinctive au bonheur, thèse
développée par le philosophe idéaliste Schelling. En tout cas, le Kunstwollen n’est pas
une intention délibérée, un acte de libre vouloir, mais bien plutôt un « devoir », une
nécessité. Même si Riegl emploie le terme quelquefois pour qualifier une œuvre d’art
individuelle ou un artiste individuel, les occurrences concernent bien plutôt une période
historique, une nation, une collectivité témoignant d’un désir, inconscient et instinctif,
ou d’une vision harmonieuse de la relation de l’homme et son environnement.
Souvenons-nous de la première phrase de la Grammaire historique des arts plastiques :
« La main de l’homme façonne ses œuvres en utilisant la matière inerte conformément
aux mêmes lois formelles que celles selon lesquelles la nature forme les siennes »15.
L’artiste est avant tout une main - je commenterai in extenso cet « éloge de la main »,
cette manomanie, dans la suite de mon exposé – et, en plus, l’art a comme essence, à
n’importe quelle période, de rivaliser avec la nature, de la corriger, de l’améliorer. Il
est hautement important pour notre point de vue de comprendre que le Kunstwollen
exploite la mémoire des expériences du toucher. Cette hypothèse sert évidemment
d’alternative aux intuitions de l’esthétique classique organisée à partir de la vision, de la
distance et de la lumière, et non pas du toucher, du rapprochement et de la matérialité
résistante.

16 :
 Je renvoie à cette étude (article mis en ligne en mai 2007) pour l’effort, déployé
par Zilberberg, d’une sémiotisation des (...)
17 :
 Cl. Zilberberg, « Riegl ou l’invention du paradigme », idem, p. 1.
18 :
 “Riegl et l’invention du paradigme”, Ibidem, p.12.

Deleuze reprend directement deux catégories centrales de Riegl, celles de la vision


rapprochée opposée à la vision éloignée. Tout comme Riegl, Deleuze donne à ce couple
un “statut esthétique fondamental”.  Dans l’art de Bacon, on l’a vu, les formes ne se
dégagent pas à distance, et l’espace haptique y est directement stimulé par le sentiment
de proximité du corps du sujet avec son corrélat artistique. En plus, de la certitude de
l’impénétrabilité tactile dans l’expérience du toucher dépend également la conviction de
l’individualité matérielle de l’objet d’art. On peut même donner à cette esthétique une
portée anthropologique explicite et exploiter une suggestion de Riegl qui oppose le
toucher et la vision sous le rapport de la sécurité affective qu’ils déterminent: le toucher
rassure parce qu’il ferme et bouche l’espace, alors que la vision ouvre l’espace et par là
inquiète. La vision donne un certain sentiment d’insécurité, ce qui n’est pas du tout le
cas de l’expérience haptique où l’impression du libre espace est détruite. Je me réjouis
de citer à cet égard l’article de Zilberberg sur “Riegl et l’invention du paradigme”16, où
il évoque “la dimension fiduciaire de la perception visuelle”: “l’avancement du regard
dans la profondeur s’[effectue] aux dépens de la certitude : tel qui s’engage dans la
profondeur s’avancerait dans l’incertain, dans la virtualisation de l’éclat, dans l’atonie...
Qui fait prévaloir la certitude intime, est conduit à préférer... les valeurs dites tactiles
aux valeurs visuelles”, et Zilberberg de conclure qu’ainsi “Riegl ouvre une crise
véridictoire de grande ampleur en retirant à la vision la créance que chacun lui
accorde”17. Il ne faut pas s’étonner, par conséquent, que, comme l’énonce Zilberberg,
l’expérience haptique du felix aestheticus implique un “contrat thymique”18 puisqu’il y
a désir de bonheur, désir d’harmonie entre le sujet et la nature, bonheur et jouissance
même dans l’impulsion du Kunstwollen. Zilberberg n’hésite pas de qualifier ce contrat
thymique de “hédoniste”...

19 :
 Grammaire historique des arts plastiques, op.cit., p. 121 ss.

Je propose de présenter dès à présent quelques idées du chapitre Forme et surface de la


Grammaire historique des arts plastiques19où Aloïs Riegl nous livre le noyau de sa
conception de l’organisation sensorielle :

Toutes les choses de la nature ont une forme, c’est-à-dire qu’elles s’étendent suivant les
trois dimensions : hauteur, largeur et profondeur. Seul le toucher nous permet cependant
de nous assurer directement de cet état de fait. Par contre celui des cinq sens qui sert à
l’homme pour recevoir les impressions que lui donnent les choses extérieures - la vue –
est plutôt propre à nous induire en erreur sur les trois dimensions de ce que nous
voyons. Car notre oeil n’est pas en mesure de pénétrer les corps et n’en voit donc
toujours qu’un côté qui se présente à lui comme une surface à deux dimensions. Ce
n’est que lorsque nous avons recours aux expériences du toucher que nous complétons
en esprit la surface à deux dimensions perçue par les yeux pour en faire une forme à
trois dimensions. Ce processus s’effectuera d’autant plus aisément et plus rapidement
que l’objet contemplé présentera des aspects susceptibles de rappeler à la mémoire les
expériences du toucher. [...] Plus le spectateur se rapproche de la chose de la nature,
plus cet effet s’intensifie naturellement jusqu’à ce que le souvenir des expériences du
toucher domine à tel point que l’homme n’a plus du tout conscience des erreurs
d’appréciation dues à ses yeux.

20 :
 Paris, Alcan, 1932, p. 139.

Ai-je besoin d’introduire en ce lieu un autre témoin prestigieux dont le raisonnement,


trente ans après Riegl, va dans la même direction?Je pense à Bergson qui, dans Les
deux sources de la morale et de religion20, reformule ainsi la thèse de Riegl :

Le corps est essentiellement ce qu’il est pour le toucher; il a une forme et une
dimension déterminées, indépendantes de nous; il occupe une certaine place dans
l’espace et ne saurait en changer sans prendre le temps d’occuper une à une les positions
intermédiaires; l’image visuelle que nous en avons serait alors une apparence, dont il
faudrait toujours corriger les variations en revenant à l’image tactile; celle-ci serait la
chose même, et l’autre ne ferait que la signaler.

Lorsqu’on observe avec attention les bas-reliefs égyptiens, et les peintures murales,
remarque Riegl, on est obligé de reconnaître qu’ils n’ont été réalisés que pour la vision
rapprochée, c’est-à-dire la vision qui n’est déterminable qu’à partir de la mémoire des
expériences du toucher. Et c’est évidemment cette apologie de l’art égyptien que
Deleuze reprend et cultive dans son Francis Bacon (115) que je cite :

Le bas-relief opère la connexion la plus rigoureuse de l’oeil et de la main, parce qu’il a


pour élément la surface plane : celle-ci permet à l’oeil de procéder comme le toucher,
bien plus elle lui confère, elle lui ordonne une fonction tactile, ou plutôt haptique; elle
assure donc, dans le Kunstwollen égyptien, la réunion des deux sens, le toucher et la
vue, comme le sol et l’horizon.

Et Deleuze découvre dans les figurations de Bacon précisément des projections qui
marquent également l’art égyptien.Gloire donc aux Egyptiens ! Il ne faut pas s’étonner
que Bacon lui-même dans ses écrits chante la gloire des Egyptiens, et Deleuze de
s’enthousiasmer que “Bacon est d’abord un Egyptien” (127). Dans l’art égyptien, c’est
surtout le bas-relief ou la peinture murale qui incarne la position haptique, le bas-relief,
note Deleuze, étant “quelque chose d’intermédiaire entre la sculpture et la peinture”
(116). A l’oeil y est donnée la consigne d’opérer un acte manuel de suivi des contours.
L’oeil y touche ou saisit dans un rapport immédiat les essences universelles sur des
surfaces planes, sans profondeur ni perspective, en parcourant frontalement le contour
géométrique de la surface peinte à la manière dont la main peut toucher la statue pour en
saisir la silhouette. Je n’esquisse pas en ce lieu la périodisation en histoire de l’art
proposée par Riegl, périodisation que l’on peut d’ailleurs contester, tout comme son
évaluation qualitative des différentes phases historiques (égyptien, grec, byzantin,
gothique, etc.). Quelques mots seulement sur les considérations de Riegl qui concernent
la première période, l’art égyptien. Riegl, et Deleuze à sa suite, chante l’art égyptien, on
l’a vu, comme l’accomplissement suprême du Kunstwollen, puisque l’art égyptien est
l’art tactile par excellence, l’art à être “tâté du regard”, conçu pour être vu de près
(nachsichtig), justement pour faire ressortir l’essentiel des choses sur une surface
objective, tactile, sans aucune projection subjective ou illusoire. L’artiste égyptien
voulait absolument éviter de susciter chez le spectateur l’illusion d’une forme qu’il
aurait devant lui, il voulait la lui retirer aussitôt. Objectives sont les figures aux contours
très nets qui les délimitent avec précision, le fond qui les entoure étant traité comme un
mal nécessaire, comme un accessoire inutile. Le fond sert à séparer les motifs les uns
des autres et non comme un facteur qui aurait droit à une existence effective. Riegl
indique dans maintes descriptions que l’art des surfaces de l’ancienne Egypte ne
construit jamais de fond, mais uniquement des reliefs dont la forme matérielle est
éminemment tactile. Chaque figure se présente aussi isolée que possible dans sa
position et dans son mouvement: elles semblent avoir été représentées telles que l’artiste
les perçoit dans une vision rapprochée. Proximité de l’objet, absence de profondeur et
hypostase de la matérialité, voici des conditions essentielles de l’expérience haptique:
non pas le monde chaotique, fugace et dysphorique de la vision à distance mais la
certitude de la matière palpable, l’euphorie de la “vérité” entre les doigts.

21 :
 Il faudrait citer les œuvres d’esthétique de Herder dans l’édition des Werke par
le Wissenschafliche Buchgesellschaft, Darmstadt (...)

4. Je passe maintenant au 18e siècle et à notre troisième esthétique, celle de Johann


Gottfried von Herder, fondateur du paradigme sous investigation. Plastik (1770-1778),
le texte d’esthétique le plus célèbre de Herder, est un essai sur la sculpture, écrit à peu
près à la même époque que l’Abhandlung über den Ursprung der Sprache et le Viertes
Kritisches Wäldchen (Quatrième Silve Critique), mais publié pour la première fois en
177821. Il s’agit de l’essai le plus systématique et le texte le plus cohérent de Herder
présentant sa physio-esthétique du « désir de sentir », notion qui préfigure de toute
évidence le Kunstwollen de Riegl : « Ich fühle mich ! Ich bin ! », la transposition
herdérienne du cogito, ergo sum cartésien. Plastik analyse en effet les sensations
tactiles dans l’expérience esthétique des arts plastiques, surtout la sculpture, toujours
avec la même motivation : contester la prédominance des qualités optiques et visuelles
de l’œuvre d’art.

Voilà pourquoi on peut considérer Plastik comme l’achèvement de la théorie haptique


de la sensorialité. Herder n’y installe pas une hiérarchie verticale entre les sens : il n’y
pas un sens supérieur aux autres, et la globalité et la richesse de l’expérience font appel
à tous les sens avec leur tâches spécifiques, n’importe comment on interprète leur
hiérarchie. Mais il y a un ordre horizontal, et Herder s’est surtout intéressé dans ses
premières œuvres d’esthétique au glissement de l’ouïe vers le toucher, et à
l’interdépendance de ces deux sens. Il s’agit en effet d’un type bien original d’une
synesthésie délicate et subtile: « Le toucher est si proche de l’ouïe : ses caractéristiques,
comme hart (dur), rauh (rugueux), weich (tendre, mou), wolligt (laineux, moelleux),
sammet (velouté), haarigt (poilu, velu), starr (raide), glatt (lisse), schlicht (plat),
borstig (hérissé), etc., caractéristiques qui toutes n’affectent que des surfaces et
n’agissent pas même en profondeur, résonnent toutes comme si on les ressentait [tönen]
au toucher », écrit-il dans la Quatrième Silve Critique. L’ouïe et le toucher fusionnent
facilement, ce qui n’a jamais été systématiquement étudié, même pas en psychologie
contemporaine. Dans Plastik alors, Herder formule une théorie psycho-esthétique de la
sensorialité humaine, et il décrit avec enthousiasme l’authenticité et la sincérité de
l’expérience tactile, ce qui le pousse à l’hypostase du statut esthétique de la sculpture
parmi les arts. L’expérience tactile n’a rien à voir avec la versatilité des perspectives
visuelles projetées par l’oeil mobile et curieux qui, pour Herder, symbolise de toute
évidence le caractère élusif, illusoire, trompeur d’un monde désubstantialisé projeté par
un sujet-sans-corps, un sujet qui, littéralement, est « out of touch », n’a plus de contact
avec son propre corps. La tâche « haptique » de l’esthétique consiste non pas tellement à
éliminer l’optique mais à restaurer l’implantation de la vision dans le toucher, et la
connaissance dans la substance corporelle. Herder est convaincu que le paradigme
« haptique » de l’expérience esthétique, en alternative au paradigme oculocentrique des
Lumières, nous ouvre une dimension d’authenticité. L’interprétant qui “saisit” cette
signifiance est un corps au sentiment proprioceptif. Et notons d’emblée que le
« sentiment du corps », pour Herder, est un sentiment sensorimoteur, le “sentiment”
interne que le danseur ressent lorsque son corps est en mouvement. Herder soutient que
la Sinnenpsychologie procure la meilleure entrée en esthétique. Le concept organisateur
de cette Sinnenpsychologie est celui d’énergie (Energie) ou de force (Kraft). C’est que
le sentiment interne du corps est le sentiment de vie (Lebensgefühl). La “physiologie
esthétique” de Herder est parsemée de terminologie médicale, et on sait que le
physiologiste Haller - surtout ses études sur le sentiment de douleur chez l’homme - ont
eu une influence décisive sur le jeune Herder. La psychologie herderienne situe
l’origine du Kraft/Energie de la créativité artistique dans la vie (Leben) qu’il faut voir
comme une dynamique d’expansion (Ausbreiten) et de contraction (Zusammenziehen).
La « vie » s’enracine essentiellement dans le toucher fondamental et se développe
jusqu’aux facultés humaines les plus subtiles, comme l’imagination productive et la
conscience morale (Herder construit la série suivante : Reiz, Sinn, Einbildungskraft,
Erkennen, Wollen). Vom Erkennen und Empfinden, de 1778 et contemporain de Plastik,
démontre comment la dynamique d’expansion et de contraction se présente chaque fois
à nouveau à tous les niveaux du fonctionnement spirituel et cognitif: la conscience est le
lieu du jeu entre Ausbreitung et Zurückziehung, et Herder y conçoit les actions
humaines comme étant l’expression de l’élasticité de notre vouloir (Äusserungen der
Elasticität unsres Willens). Toutefois, le sentiment de vie est, dans ses origines, un
sentiment de douleur.

La physio-esthétique de Herder est une esthétique haptique. Le regard qui projette la


beauté dans une sculpture n’est pas un regard “qui voit” ou un regard “qui regarde”
mais un regard qui touche, qui palpe. Fühlen et tasten sont d’ailleurs en allemand des
parasynonymes.C’est dans l’ombre surplombant de Kant et en toute ambiance des
Lumières que l’esthétique de Herder s’impose comme une véritable alternative au
rationalisme classiciste d’un Lessing. C’est que l’esthétique intelligente et  rationaliste
de Lessing n’a pas donné droit et poids au corps humain.

Toutefois, il faut concéder que ce corps a un haut degré d’auto-conscience. Herder


célèbre le modèle de l’auto-conscience corporelle comme le moment originaire et
symbolique où « l’âme crée le corps pour lui-même ». Cette transposition du physique
dans le symbolique est le plus grand achèvement du paradigme haptique. Dans le
modèle de Herder le sens du toucher transcende le niveau simplement sensuel et atteint
le niveau symbolique. Cela veut dire que le toucher, le plus physique de tous nos sens, le
sens qui nous offre le monde matériel externe comme direct et confiant, irréfutable et
urgent, ce toucher-là possède une qualité auto-réflexive, sans se transformer en fait dans
une faculté représentationnelle. La simultanéité de l’extérieur et de l’intérieur combine
le monde physique et l’âme dans un Ineinander. Herder est ainsi un précurseur de
Merleau-Ponty, là où il introduit le thème de l’entrelacement du sentant et du senti
(Ineinander). Comme l’énonce Herder pertinemment, c’est bien ici que le symbolique
est né, une naissance qui est par essence irreprésentable. En fin de compte, Herder fonde
l’esthétique non pas dans le corps physique mais dans le corps imaginaire, le corps
projeté dans l’imaginaire comme unité de la matière et de l’esprit, du corps et de l’âme.
Le Gefühl sans imaginaire, sans imagination, est sans signifiance.

22 :
 E. Kant, Anthropologie du point de vue pragmatique, § 17.

5.Kant/Husserl/Merleau-Ponty. L’hypothèse que j’ai voulu argumenter dans le présent


exposé est que l’expérience de la spatialisation n’est pas seulement conditionnée par les
contraintes de la perception visuelle. L’oeil du sujet spatialisateur est « greffé sur la
main ». La parenthèse qui s’ouvre maintenant devrait démontrer comment la
philosophie et la psychologie de la perception ont toujours supporté dans leurs marges
une certaine tendance “haptocentrique”. En effet, l’anthropologie philosophique a
toujours reconnu l’importance originaire du toucher de la main, et en vérité des doigts,
voire de l’extrémité des doigts. “Le sens du toucher”, écrit Kant dans l’Anthropologie
du point de vue pragmatique, “réside dans les extrémités des doigts et dans les papilles
nerveuses [papillae] dont ceux-ci sont munis pour que, par le contact de la surface d’un
corps solide, il soit possible d’en reconnaître la forme. [...] Ce sens est aussi le seul qui
contribue à la perception externe immédiate, et c’est justement pourquoi il est aussi le
plus important et celui qui nous apporte les enseignements les plus sûrs, tout en étant le
plus grossier”22. On serait tenté de dire que Kant préfigure, dans les limites de la
psychologie du 18e siècle, le geste de Husserl dans Ideen II. Quoi qu’il en soit, Husserl
et Merleau-Ponty parlent excellemment de la main, de la main du toucher qui laisse
ainsi ses traces durables.

23 :
 M. Merleau-Ponty, L’œil et l’esprit, Edition Gallimard-Folio, 1964, p. 26.
24 :
 J. Derrida, Le toucher. Jean-Luc Nancy, Paris, Galilée, 2000, p. 193.

La Phénoménologie de la perception de Merleau-Ponty se situe dans cette même


tendance manocentrique, on n’en doute pas, et l’auteur du Visible et l’invisible est plus
proche de Herder qu’il ne peut le soupçonner. En effet, c’est Herder qui déclare qu’ “au
principe de tous les sens il y a le sentiment, qui offre déjà entre les sensations les plus
disparates un lien si intime, si fort et si ineffable”, sentiment interne du corps
coordinateur, “couche originaire du sentir”, dirait Merleau-Ponty. La phénoménologie
du toucher chez Merleau-Ponty comporte une véritable apologie de la mainet de ses
traces durables, profondes. L’auteur de L’oeil et l’esprit ne manque pas de constater que
dans la peinture, “l’oeil est ce qui a été ému par un certain impact du monde. [Il] le
restitue au visible par les traces de la main”23. L’apologie de la main chez Husserl est
telle que, plus radicalement encore que chez Merleau-Ponty, la main tend à se dissocier
de l’oeil. Non seulement il y a chez Husserl une excellence du toucher parmi les sens,
mais également de la main parmi les parties ou organes du corps propre tactile, et des
doigts au bout des mains. La main et ses doigts sont omniprésents dans les textes de
Idées II. Non pas le doigt pointé qui montre et signale mais le doigt qui touche, en toute
excellence réflexive. Derrida a bien remarqué cette hypostase de la main et de ses doigts
chez Husserl: “Là où il est question du toucher, il n’est pratiquement question que des
doigts de sa main”24.

25 :
 De l’imperfection, Perpignan, Fanlac, 1987, p. 30.

Greimas. Et Greimas lui-même, dans De l’imperfection25, formule une apologie


similaire :

Or le toucher est plus que l’esthétique classique veut bien lui reconnaître – sa capacité
de l’exploration de l’espace et de la prise en charge des volumes -; il se situe parmi les
ordres sensoriels les plus profonds, il exprime proxémiquement l’intimité optimale et
manifeste, sur le plan cognitif, le vouloir de conjonction totale.

26 :
 Voir la contribution de D. Bertrand au séminaire intersémiotique (Nouveaux
actes sémiotiques).

La main de l’hommeest bien responsable de la capture, de la saisie d’un « maintenant »,


attraper un bref instant, geste qui, comme le dit magnifiquement Denis Bertrand, saisit
ainsi le temps qui rejoint par ce geste l’espace, ce temps-espace étant fondédans
l’esthésie26.

27 :
 Je cite les deux volumes des Cahiers dans la Pléiade. J’aurais également pu
mettre en valeur dans ce contexte une autre apologie de (...)
Valéry.Et voici encore une autre apologie, celle du Valéry des Cahiers et des Œuvres,
grand champion de la manophilie27. Je ne fais que citer ces beaux textes qui constituent
de vrais éloges de la main.

L’étude approfondie de la main humaine (système articulé, forces, contacts, etc.) est
mille fois plus recommandable que celle du cerveau. Cette concentration du saisir et du
sentir. Durée de striction. Mouvements ultra-rapides (ceux plus rapides que la
conscience). Caresser, pincer, pousser, tracer, tirer, flatter, frapper, cogner, montrer.
Universalité de la main. (I, 1127)

La main bénit, gratte le nez ou pire, tourne le robinet, prête serment, manie la plume ou
le pinceau, assomme, étrangle, presse le sein, arrache, caresse, lit chez l’aveugle, parle
chez le muet, adjure, menace, accueille, fait un trille, donne à manger ou à boire, se fait
compteur, alphabet, outil, se tend vers l’ami, et contre l’ennemi ; et tout à tout,
instrumentale, symbolique, oratoire, mystique, géométrique, arithmétique, prosodique,
rythmique, / acteur universel, agent général, instrument initial. (II, 1431)

Histoire d’une main. Supposé qu’on ait filmé tout ce qu’elle fit – active ou non,
obéissante à ses sensations, ou à d’autres – à une idée – à un songe, à la distraction – à
la nerveuse impatience – au commandement – touchant tout – bonne à tout – plus ou
moins ‘intelligente’ – mais elle n’est qu’une extrémité articulée, capable d’être animée
et plus ou moins locale – cette main, qui tantôt accompagne un discours, tantôt palpe les
secrètes choses...  (II, 1338) Celui qui regarde sa main, la fait mouvoir et considère la
main et son mouvement, comme une curiosité, et se dit En quoi ceci est-il Moi ou de
Moi  ? (II, 318)  Ma main ressemble beaucoup [à celle de] Goethe, et très différentes
toutes deux de celle de Hugo ». (I, 230)  Je parle à Mme Curie de ses mains qui font de
si étranges et agiles exercices dans l’espace pendant qu’elle parle – comme un pianisme
ou harpisme d’une légèreté singulière. (II, 964)

La main, organe de la pensée, est capable d’une infinité de tâches – peut frapper et
dessiner, saisir et signifier. L’animal n’a pas de gestes ou bien peu. (I, 946)  L’esprit
sert à tout, comme la main. (II, 1361).

Le rôle étrange et remarquable de la main dans le discours, peut-être un souvenir


dégénéré de quelque antique langage des signes…. La main parle donc – offre, pince,
coupe, repousse, assemble, appelle, frappe, pointe vers etc. … Elle renforce et elle
marque la scansion. Main – appareil de représentation – Espace. (I, 419) Le langage
est comme un organe articulé, main, et la langue étant comme une matière résistante
mais qui cède à la force et permet de tracer dans tous les sens comme le cuivre, ou de
travailler comme dans une pierre homogène. (II, 1098)

Qu’est-ce qu’un général sans soldats ? un sculpteur sans mains ? Il est souverainement
sot d’opposer ces choses qui ne vivent que de l’union (I, 336). Le travail des mains
d’une artiste au piano. (I, 354) Peut-on parler d’art dans les fabrications où la main
n’intervient pas – à titre d’instrument d’une sensibilité singulière, personnelle ? … Entre
la conception et l’exécution, les intermédiaires humains ne sont que des machines qui
n’introduisent rien, et moins ils sont autre chose, mieux cela vaut . (II, 983) L’ouvrier ne
sait pas qu’il a deux mains et rien que deux ; et l’une droite, et l’autre gauche ; et
inégales ; et il ne songe pas que ce qu’il fait est avant tout l’acte de deux seules mains,
et inégales, et en est marqué – invisiblement pour les hommes. (I, 1067)
Je suis par moments dans le creux de ma main. Si je ne puis y tenir, il n’y a pas de
Science. (I, 34)  Reconstruire la saveur de fruits. L’homme intérieur tient la mer dans le
creux de sa main imaginée. (I, 324). Idée de la possession de soi-même et de se tenir
dans sa main ». (I, 329) Et tout ce que je pourrais penser ou sentir, me semble un petit
objet dans le creux de ma main spirituelle. (II, 1302) Mais le grain d’une roche, la
dureté d’un tronc, la vie froide de feuilles saisies à pleine main, l’inertie de l’eau,
m’arrêtent, m’immobilisent et m’accablent… ». (I, 136)

Les actes ont un registre – tactile, moteur. L’homme a été si peu et si mal étudié (grâce
aux philosophes) que nous ne savons pas calculer la diminution d’action due à la
suppression de tels instruments. Théorie de la main – sens + forces. (I, 1133)

La main d’Adam et Eve. La main qui est son organe essentiel, son gagne-fruits et qui va
éduquer son cerveau, cette main commet le premier acte métaphysique, le premier acte
qui se distingue de son objet immédiat et qui a plus de conséquence que son observation
exacte n’en peut découvrir. (II, 602)

28 :
 A la gloire de la main, Paris, Editions Graphis, 1949, rassemblant des « éloges
de la main » par Bachelard, Eluard, Lescure, Mondor, (...)

Et pour conclure cette anthologie manophilique, ce passage archi-célèbre qui positionne


Valéry de toute évidence dans la lignée de Herder et de Riegl, et qui préfigure
également le Deleuze de La logique de la sensation  sur « l’œil et la main ». Voici ce
que Valéry écrit dans les Cahiers (II, 1301), bien connu puisque souvent cité par
Zilberberg :« De ces formes sur quoi la main de l’oeil passe et qu’elle éprouve, selon le
rugueux, le poli, le nu, le poilu, le coupant, le mouillé et le sec ». Il ne s’agit même pas
de la main dans l’oeil mais de la main de l’oeil, de l’oeil qui devient, sans cesser d’être
un oeil, une main experte. C’est également de thème d’un texte beaucoup moins connu
de Paul Valéry, Manuopera, publié dans un recueil quasi introuvable A la gloire de la
main28: « Manuopera, manœuvre, œuvre de la main, chante le désordre lyrique des
manœuvres de la main, de la main souvent philosophe mais également du poing qui
frappe la table pour imposer le silence à la métaphysique … ».

29 :
 Cl. Zilberberg, Synesthésie et profondeur, Visible 3, pp. 83-103.
30 :
 G. Deleuze, Logique de la sensation, op.cit., p. 45.
31 :
 Logique de la sensation, ibidem, pp. 45-46.
32 :
 Cité par Cl. Zilberberg, art.cit., p.89.

6. Retournons, en guise de conclusion, au statut de la spatialisation haptique. Je résume


brièvement en formulant trois philosophèmes. Le mouvement de nos lectures a été de
rétrograder de Deleuze à Riegl, et ensuite de Riegl à Herder et même à Diderot. La
lecture de la Lettre sur les aveugles, en prolégomène,a montré que Diderot ne croit pas
vraiment à une fusion de la vue et du toucher chez les voyants tandis que cette fusion
pourrait se réaliser pour les aveugles. La discussion change de nature quand on passe de
la psychologie des sensations chez Diderot à la physio-esthétique chez Herder. Pour
expliquer la sensibilité esthétique haptique, on invoque presque unanimement la
synesthésie. Dans la gamme des définitions de la synesthésie, je me mets radicalement
du côté, non pas de ceux qui en parlent comme un déplacement, une transposition à
l’intérieur du système sensoriel, mais du côté de ceux qui voient dans la synesthésie un
moment de relèvement, de redoublement des forces vitales, sur « un inépuisable fonds
de l’universelle analogie », dans les mots de Baudelaire cités par Zilberberg29. Deleuze
lui-même distingue ces deux hypothèses : « une hypothèse plus ‘phénoménologique’»,
écrit-il, «[où] les niveaux de sensation seraient vraiment des domaines sensibles
renvoyant aux différents organes des sens ; […] justement chaque niveau, chaque
domaine auraient une manière de renvoyer aux autres, indépendamment de l’objet
commun représenté »30. L’hypothèse concurrente serait plutôt : « Entre une couleur, un
goût, un toucher, une odeur, un bruit, un poids, il y aurait une communication
existentielle qui constituerait le moment ‘pathique’ (non représentif) de la sensation »,
et Deleuze poursuit plus loin d’une façon bien herderienne : «Mais cette opération n’est
possible que si la sensation de tel ou tel domaine (ici la sensation visuelle) est
directement en prise sur une puissance vitale qui déborde tous les domaines et les
traverse. Cette puissance, c’est le Rythme, plus profond que la vision, l’audition,
etc. »31. Accepter le Rythme ou le tempo comme la mise en marche de l’haptique, et
non pas simplement y voir le déplacement d’une sensorialité à une autre, c’est bien ce
que Herder affirme dans sa physio-esthétique, Herder cité par Cassirer, Cassirer cité par
Zilberberg, contre la réification des sensations, pour les valences intensives, ou, comme
le dit Cassirer : « Au principe de tous les sens il y a le sentiment qui offre […] entre les
sensations les plus disparates un lien si intime, si fort et si ineffable que de cette liaison
naissent les phénomènes les plus singuliers »32.

Second philosophème. Le felix aestheticus, dans les écrits de physio-esthétique de


Herder, est un corps investi non seulement et même pas principalement d’une
sensorialité pluriforme mais d’un sentiment proprioceptif. Ce « sens interne » du corps
est un sentiment de vie (Lebensgefühl), et la vie est dans une dynamique, une élasticité
énergétique : le corps est un champ de forces (notons en ce lieu combien Deleuze est
herdérien), ou, si l’on veut, une détermination plus greimassienne, un « bouquet de
thymies ». La spatialisation haptique, celle du danseur ressentant son corps en
mouvement, comme le veut Herder, est la mise-en-espace de la vie elle-même, de la vie
aveuglée par ses pathèmes et ses modalisations, aveugle de par le Kunstwollen, son
« impulsion d’art ».

Troisième philosophème. « Impulsion d’art » ou « impulsion formatrice », écrit Riegl et


Focillon après lui. C’est pourquoi le corps du felix aestheticus est une main, c’est
pourquoi l’œil du peintre – le troisième œil comme le suggère Deleuze – devient un
‘regard greffé sur la main’. Felix aestheticus est une main qui éprouve de la matière. Le
bonheur est dans la main où se focalise le corps, qui ‘met-en-forme’ la matière, le corps
est l’impulsion formatrice du Kunstwollen. La forme, la main et la matière, c’est bien de
cette triade qu’il s’agit dans la séquence manocentrique, manomaniaque de Valéry, déjà
citée : « De ces formes sur quoi la main de l’œil passe et qu’elle éprouve, selon le
rugueux, le poli, le nu, le poilu, le coupant, le mouillé et le sec ? » (Cahiers, II, 1301).
La spatialisation haptique n’est rien d’autre que la mise-en-espace du corps par le geste
de cette main-là.

Notes
1  C’est ainsi que Cl. Zilberberg introduit sa contribution au séminaire intersémiotique
sur la sémiotique de l’espace (déc. 2009) : « En vertu d’un pléonasme inévitable,
l’espace est partout. […] Ainsi nous ne quittons jamais l’espace : nous changeons
seulement d’espace. Le paradigme de l’espace dicte à la syntaxe ses limites : il n’y a pas
de négation de l’espace. Subjectivé ou objectivé, l’espace est donc partout. Nous dirons,
sans viser particulièrement le paradoxe, que l’ubiquité est en matière d’espace la donnée
prioritaire » (Nouveaux actes sémiotiques, Prépublications du séminaire
intersémiotique).

2  Une heureuse exception nous est offerte par l’excellente contribution au séminaire
intersémiotique, intitulée « Sur la profondeur », de Sémir Badir (Nouveaux actes
sémiotiques, online) où l’auteur démontre par l’analyse subtile du « sentiment de
profondeur » ou de la « projection de profondeur » que « le corps est […] l’instance
essentielle de la profondeur », « que le point commun à tous les cas de profondeur [est]
qu’ils font appel à la corporalité, au sujet en tant que corps » (p. 3). La présentation
empathique de tous ces cas de « sentiment de profondeur » ne peut qu’émerveiller le
lecteur.

3  Dont la pagination que je cite est celle de l’édition GF-Flammarion, Paris, 1972, pp.
79-124.

4  Je ne fais que mentionner en ce lieu l’article « Synesthésie et profondeur » de Cl.


Zilberberg, Visible 1, 2005, pp. 83-103, où la synesthésie, entre autres de la vue et du
toucher, est traitée dans le cadre de la grammaire tensive. Zilberberg cite sans trop
approfondir les conceptions de Deleuze et de Riegl, comme je le ferai in extenso dans
les pages qui suivent.

5  Que je cite dans la seconde édition, Paris, Editions du Seuil, 1972. Voir également la
transcription des Cours de Deleuze (du 12 et 19 mai 1981).

6  Mille plateaux, Paris, Editions du Minuit, 1980, p. 614.

7  Deleuze remarque que le mot “haptisch” est créé par Riegl, non pas dans la première
édition de Spätrömische Kunstindustrie (1901) où on ne trouve que le terme de
« taktisch », mais dans la seconde édition et en réponse à certaines critiques.

8  Je suis dépendant dans cette section de Mireille Buydens, Sahara. L’esthétique de
Gilles Deleuze, Paris, Vrin, 2005. Un autre livre bien utile est Ronald Bogue, Deleuze
on Music, Painting, and the Arts, New York/London, Routledge, 2003. Anne
Sauvagnargues, Deleuze et l’art, Paris, Presses Universitaires de France, 2005, offre la
présentation la plus empathique de l’esthétique deleuzienne.

9  Mille plateaux, p. 620.

10  Mille plateaux, pp. 616-617.

11  Mille plateaux, idem, p. 598.

12  Je cite l’œuvre de Riegl dans sa traduction française (trad. Eliane Kaufholz), Paris,
Klincksieck, 1978.
13  Repris dans Regard, Parole, Espace, Lausanne, L’âge de l’homme, 1994, pp. 173-
207.

14  Voir pour une excellente présentation du Kunstwollen, Margaret Iversen, Aloïs


Riegl. Art History and Theory, Cambridge, Mass., MIT Press, 1993, Chapitre I.

15  Grammaire historique des arts plastiques, idem, p 3.

16  Je renvoie à cette étude (article mis en ligne en mai 2007) pour l’effort, déployé par
Zilberberg, d’une sémiotisation des concepts et polarités conceptuelles de l’esthétique
dans la tradition Riegl/Wölfflin/ Worringer.

17  Cl. Zilberberg, « Riegl ou l’invention du paradigme », idem, p. 1.

18  “Riegl et l’invention du paradigme”, Ibidem, p.12.

19  Grammaire historique des arts plastiques, op.cit., p. 121 ss.

20  Paris, Alcan, 1932, p. 139.

21  Il faudrait citer les œuvres d’esthétique de Herder dans l’édition des Werke par le
Wissenschafliche Buchgesellschaft, Darmstadt (hrsg. de Wolfgang Pross), 1987. Les
traductions en français et même en anglais sont exceptionnelles. Pour l’anglais : voir
Gregory Moore, Johann Gottfried Herder. Selected Writings on Aesthetics,
Princeton/Oxford, Princeton U.P., 2006. Plastik (1770-1778) n’a jamais été traduit en
français, mais il existe une traduction en anglais : Sculpture. Some Observations on
Shape and Form from Pygmalion’s Creative Dream (trad. par Jason Gaiger),
Chicago/London, The University of Chicago Press, 2002. C’est à cette édition que je
réfère dans le présent article.

22  E. Kant, Anthropologie du point de vue pragmatique, § 17.

23  M. Merleau-Ponty, L’œil et l’esprit, Edition Gallimard-Folio, 1964, p. 26.

24  J. Derrida, Le toucher. Jean-Luc Nancy, Paris, Galilée, 2000, p. 193.

25  De l’imperfection, Perpignan, Fanlac, 1987, p. 30.

26  Voir la contribution de D. Bertrand au séminaire intersémiotique (Nouveaux actes


sémiotiques).

27  Je cite les deux volumes des Cahiers dans la Pléiade. J’aurais également pu mettre
en valeur dans ce contexte une autre apologie de la main : Eloge de la main de Henri
Focillon (publié en appendice de Vie des formes), [1934], 1964.

28  A la gloire de la main, Paris, Editions Graphis, 1949, rassemblant des « éloges de la


main » par Bachelard, Eluard, Lescure, Mondor, Ponge, de Solier, Tzara et Valéry, et
repris dans Variétés V.

29  Cl. Zilberberg, Synesthésie et profondeur, Visible 3, pp. 83-103.


30  G. Deleuze, Logique de la sensation, op.cit., p. 45.

31  Logique de la sensation, ibidem, pp. 45-46.

32  Cité par Cl. Zilberberg, art.cit., p.89.

Pour citer ce document

Herman Parret «Spatialiser haptiquement», Actes Sémiotiques [En ligne]. 2009, n° 112.
Disponible sur : <http://epublications.unilim.fr/revues/as/2570> (consulté le
14/12/2018)

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