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rené magritte
peinture

La Condition humaine (1935), de Magritte, renvoit directement à l’allégorie de la


caverne de platon. photo Norfolk Museums Service/Adagp, Paris 2016
Mardi, 27 Septembre, 2016

Portrait de Magritte en philosophe


Maud Vergnol

Le Centre Pompidou consacre une exposition au peintre belge, dont l’œuvre, pillée par
la publicité, fut trop longtemps rattachée au surréalisme. « La trahison des images », qui
réunit une centaine de tableaux et d’archives, propose un regard inédit sur celui qui
voulait « peindre des idées ».

Ceci n’est pas une rétrospective. Plutôt un passeport pour pénétrer une œuvre semée
d’embûches, de malentendus et de faux-semblants. Car Magritte cachait bien son jeu.
Ses tableaux, parfois réalistes jusqu’au trompe-l’œil, sont beaucoup plus complexes
qu’il n’y paraît. C’est donc par la Trahison des images, sa toile la plus célèbre, plus
connue sous un autre nom : Ceci n’est pas une pipe, que s’ouvre l’exposition que le
Centre Pompidou, à Paris, consacre cet automne au peintre belge. Réalisée en 1929,
cette peinture est offerte aux visiteurs comme une première clé pour s’introduire dans la
caverne de Magritte, où les illusions sont partout et les vérités nulle part. « La forme ne
m’intéresse pas, je peins des idées », écrit dès 1923 l’artiste, devenu l’interlocuteur
privilégié des philosophes de son temps. Car, on le sait peu, mais Magritte a beaucoup
plus écrit que peint, comme en témoignent ses riches correspondances avec Alphonse
De Waelhens (premier traducteur en français d’Être et temps, de Martin Heidegger),
puis avec Michel Foucault, qui publiera en 1973 un ouvrage intitulé… Ceci n’est pas
une pipe, fruit de ses échanges avec l’artiste.

C’est son mentor, le poète surréaliste Paul Nougé, qui initie Magritte à la lecture des
grandes œuvres philosophiques, lesquelles bouleverseront son approche artistique,
jusqu’à pousser son ambition à faire de la peinture « une expression affinée de la pensée
». Avec Alphonse De Waelhens, il engage donc un long débat esthétique qui donnera
lieu à de véritables joutes épistolaires. L’Œil et l’esprit, essai de Merleau-Ponty
découvert sur ses conseils, irrite le peintre, qui accuse le philosophe de « niaiseries »…
Car Magritte ne s’en laisse pas compter, remettant en cause la hiérarchie établie par le
philosophe entre les mots et les images, la poésie et la peinture. Il s’indigne de voir l’œil
de Cézanne transformé par Merleau-Ponty en un « instrument d’optique ». Et conclut
que cet essai « ne fait guère songer à la peinture – dont il paraît traiter cependant »…

L’intérêt de Magritte pour la philosophie s’expose dans ses premiers « tableaux de mots
», au milieu des années 1920, et culmine avec l’Éloge de la dialectique, la Lampe
philosophique ou la Condition humaine, qui rassemble tous les éléments de la théorie
platonicienne de la caverne (des prisonniers dont le confinement à l’intérieur d’une
grotte trompe sur la réalité du monde). « Il fallait que je découvre, moi-même, que la
pensée, c’est la seule lumière », écrit-il en 1954. Aussi, l’exposition propose d’éclairer
les tableaux de Magritte avec les grands récits fondateurs, de Platon à Pline l’Ancien,
qui se sont confrontés à la question de la mimesis (terme tiré de la Poétique d’Aristote,
qui définit l’œuvre d’art comme une imitation du monde). Loin de tomber dans le piège
de « l’assujettissement d’une œuvre à un discours », le choix du commissaire Didier
Ottinger propose au contraire un dialogue libre, apte à déjouer les pièges semés à
dessein par le peintre.

L’élucidation méthodique d’une équation visuelle


Car, en réalité, Magritte ne fait qu’un passage éclair dans la famille surréaliste, presque
sur un malentendu, quand, à la toute fin des années 1920, il rencontre André Breton à
Paris. Le peintre belge est fasciné par une reproduction du tableau de Giorgio De
Chirico, Chant d’amour, par cette esthétique du choc et de l’arbitraire, cette « rencontre
fortuite du parapluie et de la machine à coudre ». Mais le surréalisme en appelle à faire
ressurgir l’inconscient quand Magritte est obsédé par l’imitation en trompe-l’œil des
apparences. Aussi, il prendra vite ses distances avec les amis d’André Breton pour se
consacrer exclusivement à la résolution de ce qu’il nomme des « problèmes ». Soit
l’élucidation méthodique d’une équation visuelle, qu’il s’emploie à résoudre avec une
dizaine de motifs obsessionnels. « Pour affirmer la dignité intellectuelle de sa peinture,
Magritte s’efforce de doter son iconographie de l’objectivité qui est celle d’un
vocabulaire », explique le commissaire de l’exposition. Didier Ottinger en a choisi cinq,
très significatifs : les mots, les ombres, les flammes, les rideaux et les « corps morcelés
», dont l’œuvre de Magritte a tenté d’explorer à l’infini le sens et les combinaisons.

« Magritte. La trahison des images », Centre Pompidou, Paris. Tous les jours (sauf le
mardi) de 11 heures à 21 heures. Nocturne jusqu’à 23 heures les jeudis et lundis.
Entrée : de 11 euros à 14 euros. Jusqu’au 23 janvier 2017.
Maud Vergnol

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