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© Éditions Flammarion

Le livre du jour

“Toucher le vertige”, d’Arthur


Lochmann
Cédric Enjalbert publié le 30 août 2021 3 min

De la pensée dans les sommets. Peut-être en avez-vous fait l’expérience du haut d’une


montagne ou en levant la tête vers les étoiles, cet été : soudain, le vertige vous a pris,
entre la fascination et la peur. C’est à ce sentiment paradoxal, face à beaucoup plus
grand que soi, que le jeune philosophe et charpentier Arthur Lochmann consacre son
nouveau livre : Toucher le vertige (Flammarion, 2021). À l’occasion d’une ascension du
massif du Mont-Blanc, il relate dans cet essai écrit avec style, comme un récit
personnel, l’expérience de la perte des repères et la peur du vide. Que dit-elle au juste
du rapport fragile que nous entretenons à nous-même et au monde ? Voyez plutôt. Une
expérience physique et métaphysique.

 « J’aimais l’altitude, mais j’avais le vertige. » Philosophe, Arthur Lochmann


ne manie pas seulement les concepts : il travaille aussi le bois et grimpe sur les
toits, comme charpentier. Il en a témoigné dans un précédent livre, La Vie
solide. La charpente comme éthique du faire (Payot, 2019). Il revient dans ce
nouvel essai sur une expérience physique et métaphysique : celle de « ces
moments informes et sauvages » où le monde semble se dérober sous les
pieds, « de ces sueurs froides et chaudes qui […] remontent au creux du
dos » en altitude. Il s’agit moins d’un essai que du récit, écrit avec style, d’une
excursion dans le massif du Mont-Blanc en quatre étapes qui structurent le livre
– la montée, le bivouac, le sommet, la descente.
 La rencontre du sublime. Chemin faisant, Arthur Lochmann décrypte le
sentiment de beauté mêlé d’effroi qui le saisit devant plus grand que soi, devant
l’immensité incommensurable des montagnes, ce que Kant appelle le sublime.
« Il n’y a de vertigineux que ce qui dépasse nos capacités de mesurer », écrit
l’auteur. Cela vaut quand on vacille aux sommets autant que face à l’absurdité
de l’existence. Mais dans la contemplation du précipice, nous éprouvons aussi
notre liberté : «  Je crois d’ailleurs ne pas connaître de meilleur moyen pour
intensifier la relation au monde, et m’y sentir plus vivant, que de la mettre ainsi
sur la sellette », note-t-il.
 Une philosophie du toucher. Pour apprivoiser ce vertige sans s’y abîmer,
l’auteur invite à rompre avec la vision dualiste du monde que l’on doit à
Descartes. Car en instaurant une distance entre nous et le monde sensible,
gagnés par un idéal trompeur de maîtrise, nous aurions perdu le sens de notre
fragilité… ce qui nous aurait rendus paradoxalement plus vulnérables. Contre
ce « désengagement », favorisé par une longue tradition philosophique
pensant « notre rapport au monde sensible sur l’unique modèle de la vue », le
grimpeur réévalue « une philosophie du toucher  ». Dans ce modèle de
perception active, celui qui perçoit est « inscrit dans le monde et non installé
devant lui ». Pour lui, « ce n’est pas un œil, une oreille ou une main qui reçoit
passivement le monde, mais l’activité d’un regard, d’une écoute ou d’un
toucher » qui embrasse le réel.

Toucher le vertige, d’Arthur Lochmann, vient de paraître aux Éditions Flammarion. 208
p., 18 euros en édition physique, 12,99 euros en version numérique.

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