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À Paris l’art mystique de Laurent Grasso

métamorphose le collège médiéval des


Bernardins

Vue générale de l’exposition « Laurent Grasso. Anima », Collège des Bernardins, Paris,
2022 (©Guy Boyer). / Laurent Grasso

L'artiste et vidéaste contemporain français Laurent Grasso habille le Collège des


Bernardins à Paris avec ses créations inspirées des découvertes scientifiques, des
sciences humaines mais aussi de rumeurs et de croyances, jusqu'au 18 février 2023.

Jusqu’au samedi 18 février 2023, Laurent Grasso occupe la nef et l’ancienne sacristie du
Collège des Bernardins (Paris, Ve arrondissement) avec ses tableaux, sculptures et
installation autour du thème mystérieux d’Anima, titre de son dernier film tourné en
Alsace. Il y est question de forces telluriques, de phénomènes naturels et d’un étrange
renard. Par son sens, son équilibre et son adaptation aux lieux, l’exposition « Anima »
est un petit bijou d’art contemporain. Décryptage de ses composantes.

Laudato si’
Dans le sillon tracé par le philosophe Bruno Latour et les recherches de l’historien de
l’environnement Grégory Quenet, la chaire Laudato si’ du Collège des Bernardins invite
des artistes plasticiens à exposer leurs œuvres dans cet ancien bâtiment cistercien de la
rive gauche à Paris. Le projet de l’artiste Laurent Grasso de travailler autour des
recherches scientifiques autant que des croyances populaires a séduit les organisateurs
qui l’ont laissé occuper la nef et l’ancienne sacristie aux voûtes médiévales.
Studies into the Past (2022) de Laurent Grasso, présenté dans l’exposition « Laurent
Grasso. Anima », Collège des Bernardins, Paris, 2022 (©Guy Boyer).

Architectures dans l’architecture


Dès l’entrée, le regard est happé par l’image animée qui bouge au bout de la salle.
Avant de pouvoir la regarder, il faut d’abord traverser la vaste nef gothique, où de petits
tableaux ont été accrochés aux piliers. Ces Studies into the Past reprennent les intérieurs
d’églises du peintre hollandais du XVIIe siècle Pieter Jansz Saenredam, mais elles
montrent l’apparition soudaine de phénomènes naturels comme des flammes ou des
nuages dans ces architectures anciennes. Jouant de la mise en abîme, ces petites
peintures sont accrochées aux piliers par des attaches supportant des rochers qui font
contrepoids. Ce système rappelle les peintures d’armoiries funéraires (obiits), placées
sur les colonnes des églises hollandaises.
Studies into the Past (2022) de Laurent Grasso, présenté dans l’exposition « Laurent
Grasso. Anima », Collège des Bernardins, Paris, 2022 (©Guy Boyer).

Argos Panoptes sur les murs


Sur les murs de la nef, on aperçoit ensuite des branches métalliques et d’autres en néon.
À y regarder d’un peu plus près, on comprend que les fruits qui pendent sont en fait des
yeux. Passionné par le thème de la vision, de la surveillance et du pouvoir de l’objet,
Laurent Grasso s’est emparé de ce motif (une tige d’apparence végétale supportant des
yeux) pour créer des sculptures évoquant le « regard omniscient », celui de la Sainte
Lucie, qui porte l’objet de son martyre sur un plateau, celui de Sainte Odile qui tient ses
yeux sur un livre ouvert ou celui d’Argos Panoptes, le berger aux cent yeux.

Panoptes (2022) de Laurent Grasso, présenté dans l’exposition « Laurent Grasso.


Anima », Collège des Bernardins, Paris, 2022 (©Guy Boyer).
L’enfant au renard
Dans l’axe de la nef, une sculpture en bronze montre un enfant portant un renard. Avec
la silhouette mince du personnage et ses traits simplifiés, elle rappelle l’Enfant à la
grenouille de Charles Ray, muet mais terriblement évocateur. « À la manière d’un
messager ou d’un oracle, le jeune enfant semble avoir accès à quelque chose d’unique
ou détenir la clé d’un savoir », explique Laurent Grasso. Il introduit le visiteur dans la
sacristie où un film le met en scène comme l’animal qu’il tient dans ses bras.

Untitled (2022) de Laurent Grasso, présenté dans l’exposition « Laurent Grasso.


Anima », Collège des Bernardins, Paris, 2022 (©Guy Boyer).

Au Mont Sainte-Odile
Dans l’ancienne sacristie, un immense écran descend jusqu’au sol et permet de projeter
la vidéo Anima tournée sur le Mont Sainte-Odile, un lieu mystérieux au-dessus de la
plaine d’Alsace. Il s’agit d’un lieu sacré depuis l’Antiquité, où agissent de puissants
courants telluriques, où un « mur païen » entoure le mont sur 11 kilomètres, et où une
adoration perpétuelle est organisée depuis la fin du XIXe siècle. C’est près de là que
sainte Odile, née aveugle, a retrouvé miraculeusement la vue. Cette « zone critique »
intéresse les scientifiques qui y font régulièrement des relevés géobiologiques. « Le
Mont Saint-Odile rejoint mon intérêt pour les lieux traversés par différents flux », avoue
Laurent Grasso.

Anima (2022) de Laurent Grasso, présenté dans l’exposition « Laurent Grasso.


Anima », Collège des Bernardins, Paris, 2022 (©Guy Boyer).

De l’humain au non-humain
Dans le film projeté, on voit bien sûr la forêt du Mont Sainte-Odile mais aussi des
flammes, un nuage en suspension, un renard qui traverse une clairière, un homme qui
marche le long d’un mur… « Dans Anima, précise Laurent Grasso, il y a un transfert
de l’humain au non-humain, du végétal à l’animal, du visible à l’invisible… Les corps
évoluent dans un milieu qui semble baigné d’ondes, de vibrations, où l’organique
croise la machine, où ce qui pourrait ressembler à un laboratoire à ciel ouvert confine
pourtant à l’étrange, comme une expérience extralucide. »
Anima (2022) de Laurent Grasso, présenté dans l’exposition « Laurent Grasso.
Anima », Collège des Bernardins, Paris, 2022 (©Guy Boyer).

« Laurent Grasso. Anima »


Collège des Bernardins
20 rue de Poissy, Paris
jusqu’au 18 février 2023

Guy Boyer Directeur de la rédaction

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