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Revue d’histoire moderne et

contemporaine

Le cinéma à l'Exposition universelle de 1900


Emmanuelle Toulet

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Toulet Emmanuelle. Le cinéma à l'Exposition universelle de 1900. In: Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 33
N°2, Avril-juin 1986. Cinéma et société. pp. 179-209;

doi : https://doi.org/10.3406/rhmc.1986.1356

https://www.persee.fr/doc/rhmc_0048-8003_1986_num_33_2_1356

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LE CINÉMA A L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1900

Moins de cinq ans après la naissance du cinématographe s'ouvre


l'Exposition internationale universelle de 1900. Depuis la première
publique organisée par Auguste et Louis Lumière, le 28
1895, au Grand Café, des représentations ont eu lieu dans la plupart
des grandes villes françaises et des capitales étrangères. A Paris, des
projections régulières sont introduites dans les music-halls, les cafés,
les grands magasins. Le statut de la récente invention est cependant
loin d'être fixé : elle bénéficie alors plus d'un succès de curiosité que
d'un véritable engouement et est encore en quête de ses finalités.
L'Exposition universelle de 1900 offre au cinéma la possibilité et la
chance d'une reconnaissance officielle et internationale. Elle est aussi
un champ d'expérimentation de ses diverses applications auprès d'un
très large public.
L'Exposition de 1900 a pour ambition proclamée d'être l'exécuteur
testamentaire du siècle écoulé et l'oracle du siècle naissant. Elle doit
faire le bilan des progrès accomplis et mettre en évidence les
nouvelles qui se développeront au xx* siècle :
Le XIXe siècle s'achève en une splendide lueur d'apothéose. C'est la France,
c'est Paris qui ont entrepris de donner la consécration suprême aux progrès
accomplis pendant le cours des cent dernières années, en conviant toutes les
nations du monde à la grandiose solennité internationale de 1900.
Pendant plus de six mois, du 15 avril au 5 novembre 1900, Paris et
l'Exposition vont devenir, pour l'univers entier, le centre de la civilisation,
la synthèse du siècle écoulé, le phare auroral du vingtième siècle !.
Préparée dans l'effervescence et achevée dans la hâte, elle dépasse
en étendue toutes les précédentes et transforme Paris en un
chantier. La physionomie de la capitale est profondément
: construction du Métropolitain, du pont Alexandre III, du Grand
et du Petit Palais, qui survivront aux très nombreux édifices
de l'Exposition. L'architecture exprime l'esprit nouveau : la pierre
succède au fer qui prévalait en 1889. Les architectes recherchent les
effets de surprise, les ruptures d'équilibre, auxquels s'ajoutent des
ornementations de stuc variées, imprévues. Pas de style homogène,

1. Guide-boussole : Exposition et Paris, publié sous la direction de E. Brocherioux, Paris,


Paul Ollendorff, 1900, p. 1.
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plutôt un inextricable mélange des courants les plus opposés, qui crée
une esthétique cosmopolite et gaie : le palais florentin y voisine avec
la mosquée, la cathédrale gothique, le temple grec et la pagode
Des jeux de lumière mettant en valeur ces fantaisies
donnent « l'illusion sublime d'un port oriental en fête » 2. Alors
que l'Exposition de 1889 avait rendu hommage à la puissance
l'Exposition de 1900 consacre principalement le règne de la « fée
électricité » :
La véritable souveraine de l'Exposition de 1900 sera l'Électricité, cette
jeune et brillante fée qui dote l'industrie contemporaine des deux facteurs
principaux : le mouvement et la lumière 3.

I. — La reconnaissance officielle du cinéma

La classe 12.
L'analyse de la place du cinéma dans la classification propre à
l'Exposition doit d'abord retenir l'intérêt. Les objets et les activités
présentés dans les divers palais et pavillons, soumis aux jurys
et susceptibles de recevoir des récompenses, sont répartis en
18 groupes divisés en 121 classes. Le cinéma fait partie du groupe III
(Instruments et procédés généraux des lettres, des sciences et des arts),
intercalé entre la classe Typographie, Impressions diverses (classe 11)
et la classe Librairie; éditions musicales. Reliure. Journaux, affiches
(classe 13). Il n'est donc rattaché ni au groupe I (Éducation et
ni au groupe II (Œuvres d'art). A l'intérieur du groupe III,
il est intégré à la classe 12, intitulée Photographie, et n'a pas non plus
été rapproché de la classe 18 (Matériel de l'art théâtral). Il est traité
d'une manière restrictive, seulement comme un dérivé de la
— à laquelle est également associée une autre invention récente,
les Rayons X — et comme une technique de reproduction, proche de
l'imprimerie.
Il est intéressant de relever que, lors de l'Exposition internationale
des arts décoratifs de 1925, le cinéma sera encore associé à la
pour former la classe 37 (Photographie, cinématographie), mais
celle-ci sera rattachée au groupe V (Enseignement). Il sera en outre
rapproché de la classe 25 du groupe IV (Arts du théâtre, de la rue et
des jardins) puisqu'un seul et même tome du Rapport général (t. X :
Théâtre, photographie et cinématographie) leur sera consacré.
En 1900, le comité d'installation de la classe 12 comprend seulement
deux personnalités liées au cinéma, Jules-Étienne Marey, qui en est le
président, et Louis Lumière. Le jury international n'est composé, à
l'exception de Marey, que de représentants de la technique et de l'art
photographiques .

2. Paris Exposition 1900, Paris, Hachette, 1900, p. 181.


3. Jules Trousset, Les Merveilles de l'Exposition de 1900, Paris, Montgrédien, 1899, vol. II.
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Installée au Champ-de-Mars, au premier étage du Palais de


la classe 12 se subdivise en deux sections : Matériel et
; épreuves photographiques. Elle dispose d'un espace exigu qui
a contraint les organisateurs à opérer une sélection sévère parmi les
exposants et à renoncer à installer une salle de projections fixes et
animées. Aussi les entrepreneurs de cinéma peuvent-ils présenter des
appareils, désignés généralement sous le nom de cinématographes, des
fournitures, des films vierges ou impressionnés, mais ne peuvent rendre
compte des sujets qu'ils ont filmés ni de la qualité du spectacle qu'ils
proposent. En conséquence, cet aspect de leurs activités n'est pas
mentionné. Le nombre des exposants de la classe 12 traduit les
progrès et la diffusion de la photographie : 953 en 1900, contre 526 en
1889 et 480 en 1878.
Parmi les 289 exposants français sélectionnés, le Catalogue général
officiel* permet de relever dix entreprises qui s'occupent, au moins
partiellement, de cette industrie nouvelle. Y figure évidemment la
« Société anonyme des plaques et papiers photographiques Antoine
Lumière et ses fils », de Lyon-Montplaisir, qui annonce simplement
« cinématographe » en plus des papiers, plaques et épreuves
Les films enregistrés par les opérateurs de la maison
Lumière ne sont pas signalés dans cette section, mais sont bien
représentés, nous le verrons, parmi les attractions de l'Exposition. La
société Pathé, qui s'intitule « Compagnie générale des cinématographes,
phonographes et pellicules (anciens établissements Pathé frères) », dont
le siège est alors 98, rue de Richelieu, expose des « cinématographes
et pellicules ». « Louis Gaumont et compagnie », 57, rue Saint-Roch,
des « épreuves, agrandissements, applications de la photographie ».
La « Manufacture française d'appareils de précision », société anonyme
au capital d'un million de francs, installée 25, boulevard de Belleville,
compose son stand de « cinématographes, lanternes et lampes de
; matériel de projections pour vues animées, accessoires ». Il s'agit
de l'entreprise créée en 1896 par Victor Continsouza pour fabriquer
les excellents appareils cinématographiques à croix de Malte qu'il avait
mis au point avec René Bunzli. En 1899, la société était passée sous le
contrôle de la firme Pathé et sa puissance économique s'amplifiera dans
la décennie suivante5. Le photographe Eugène Pirou est le seul à
annoncer, en plus des appareils de prise de vues et de projection,
des « bandes impressionnées pour cinématographes ». « Reulos, Gou-
deau et compagnie », constructeurs, couvrent un secteur plus
: « Matériel complet d'amateurs pour projections animées. Le
Mirographe, cinématographe d'amateur, breveté S.G.D.G. en France et
à l'étranger. Manufacture de vues cinématographiques ». Depuis 1896,

4. Exposition internationale universelle de 1900, Catalogue général officiel, Paris, Lemer-


cier, 1900, t. III : groupe III.
5. Georges-Michel Coissac, Histoire du cinématographe de ses origines à nos jours, Paris,
Cinéopse, Gauthier-Villars, 1925, pp. 481-484. Jacques Deslandes et Jacques Richard, Histoire
comparée du cinéma, Paris, Casterman, 1968, t. II, p. 309.
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Lucien Reulos et son associé Georges Méliès vendaient le « Kinétograph


Robert Houdin » pour lequel ils avaient déposé un brevet. La version
pour amateurs du Kinétograph, mise au point et commercialisée peu
après, est ainsi décrite dans une brochure de 1897 :
MM. Méliès et Reulos construisent aussi un appareil pour amateur, qui
se présente sous la forme extérieure d'un coffre en gainerie, mesurant
30 x 17 x 18 cm et ne pesant que 2 kg ; toutes les conditions du Kinétograph
grand modèle y sont observées 6.
Le nom de Georges Méliès, qui n'est pas officiellement présent à
l'Exposition universelle de 1900, n'est jamais mentionné.
D'autres exposants sont spécialisés dans certains types d'accessoires.
La « Société anonyme des pellicules françaises », de Lyon-Montplaisir,
présente des « pellicules photographiques » et des « bandes pour
». Elle est dirigée par Victor Planchon, qui a fondé en 1891
la première usine française de pellicules photographiques à Boulogne-
sur-Mer et qui, à la demande et avec l'aide des frères Lumière, est
venu s'installer à Lyon en 1896 7. Élie Reuille, installé à Paris, 80, rue
du Faubourg-Saint-Denis, commercialise également des « bandes de
», tout en traitant de photographie en couleurs. Des artisans
spécialisés dans ce dernier domaine ont déjà ajouté à leurs activités le
coloriage des films cinématographiques. Le plus célèbre des premiers
coloristes de films, la veuve Elisabeth Thuillier, offre un travail encore
très diversifié :
Couleurs et coloris. Matières premières colorantes. Photographies négatives
et positives, sur papier, sur verre, sur soie, sur cuir, sur parchemin celluloid.
Épreuves stéréoscopiques sur verres, et vues à projections en couleurs. Photo-
chromie et photographies artistiques en couleurs. Coloris de films pour
cinématographe.
La longueur de l'annonce atteste l'importance de son entreprise. A
la même catégorie se rattache le commerce de Louis Encausse, installé
16, rue Rodier, qui propose uniquement des « couleurs de toutes nuances
pour le coloris des cinématographes ».
Parmi les exposants étrangers de la classe 12, deux firmes se
par leurs produits cinématographiques. Siegmund Lubin envoie
des « appareils et produits pour obtenir et reproduire de la photographie
cinégraphique ». Fondée en 1897 et installée à Philadelphie, la « Lubin
Manufacturing Company » est une des plus anciennes maisons de
américaines, qui restera en activité jusqu'en 1916 et sera
dans le plagiat des sujets tournés par les autres compagnies.
J. H. Smith, de Zurich, expose, au milieu d'épreuves et de fournitures
photographiques, un « appareil kinétographe et bandes pelliculaires
et positives ».
Peu d'exposants présentent donc, en 1900, des produits
cinématographiques. A l'exception de « Reulos, Goudeau et compa-

6. Georges Brunel, Le Kinétograph Méliès et Reulos, Paris, 1897, pp. 52-53, cité dans
J. Deslandes, op. cit., t. II, p. 416.
7. Ibid., t. II, pp. 259-261.
LE CINÉMA À L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1900 183

gnie », de la « Manufacture française d'appareils de précision » et de


Louis Encausse pour la France, de Siegmund Lubin pour les États-Unis,
tous sont des industriels ou des commerçants qui ont ajouté cette
branche nouvelle à une activité antérieure qui, même si elle tend
à décroître devant l'expansion de leur secteur cinématographique, est
encore prudemment maintenue. Seul Charles Pathé s'occupait
de phonographes et non de photographies. Il apparaît
que, de même que la plupart des premiers réalisateurs et des
premiers acteurs de cinéma sont issus du monde du théâtre, les
fabricants et vendeurs d'appareils, qui ont formé les premières
sociétés de production cinématographique, proviennent des milieux de
la photographie.
Le jury international décerne des récompenses qui seront
pendant de nombreuses années sur les divers documents et
des firmes et qui représentent, aux yeux du public, un brevet
de qualité. Le palmarès dessine une hiérarchie surprenante entre les
entreprises cinématographiques de l'époque, mais il ne faut pas oublier
que l'activité cinématographique n'est pas seule prise en compte et que
la novation et la mise au point technique sont plus valorisées que
l'ampleur commerciale ou la qualité et l'intérêt des films eux-mêmes.
Deux grands prix sont attribués : l'un à la société Lumière, l'autre à
la société Gaumont. Eugène Pirou, la « Société anonyme des pellicules
françaises » de Victor Planchon, J. H. Smith sont honorés de médailles
d'or, Pathé d'une médaille d'argent, tandis que des médailles de bronze
récompensent la « Manufacture française d'appareils de précision » de
Victor Continsouza, les entreprises de Lucien Reulos, Elisabeth Thuillier.
Louis Encausse et Élie Reuille reçoivent des mentions honorables. Les
distinctions réservées aux collaborateurs confirment le succès de
puisque Decaux et Charles Verax, tous deux employés de cette
maison, reçoivent une médaille d'argent et une médaille de bronze8.

Le Congrès international de photographie.


Durant l'Exposition universelle sont organisés de nombreux congrès
qui ont lieu dans le Palais de l'économie sociale et des congrès,
construit à cet effet près de la Seine, à l'extrémité de la rue de Paris.
Il comprend cinq salles, dont la plus grande, de huit cents places, est
spécialement aménagée pour des projections photographiques et
9. Dans ce cadre, le cinéma échappe au pur divertissement :
il est un auxiliaire documentaire et scientifique qui peut venir à l'appui
d'exposés et de démonstrations.

8. Exposition internationale universelle de 1900, Liste des récompenses, Paris, Imprimerie


nationale, 1901, pp. 155 et sq.
9. « L'éclairage de la grande salle ne répondait pas seulement aux nécessités des séances
du soir. Il permettait, le jour, grâce à un dispositif d'obturation des fenêtres, les séances de
projection que désiraient organiser plusieurs congrès. On en usa également pour des séances
de cinématographie » (Exposition internationale universelle de 1900, Rapport général
et technique, par Alfred Picard, Paris, Imprimerie nationale, 1903, t. VI, pp. 18-19).
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C'est dans cette salle que se déroule le Congrès international de


photographie, du 23 au 28 juillet 1900 10. Pendant cette semaine de
communications, de discussions, de décisions et de visites, une place
restreinte est réservée au cinéma. Louis Gaumont et Jules Demaria,
secrétaires de la deuxième commission du congrès (Matériel
et Louis Lumière, vice-président de la troisième
(Chimie, terminologie et bibliographie photographique), sont les
seuls organisateurs faisant partie du milieu du cinéma. Parmi les
492 adhérents du congrès, figurent les principaux exposants actifs dans le
domaine cinématographique : Louis Gaumont, Auguste et Louis Lumière,
Eugène Pirou, Lucien Reulos, Victor Planchon, ainsi qu'Eugène Promio,
le notoire opérateur globe-trotter des frères Lumière depuis 1896.
Une seule question du programme, la septième, est réservée à un
problème propre au cinéma. Elle est précise et très technique : «
des bandes cinématographiques. Écartement, pas et formes des
perforations. Pas et largeur des images. » Le 28 juillet, Louis Lumière
donne lecture d'une note qu'il a rédigée avec la collaboration de son
frère Auguste. Ses conclusions sont adoptées par le congrès :
L'intérêt qui s'attache à la question de l'unification des dimensions des
bandes cinématographiques ne saurait faire de doute en principe, mais il nous
semble très difficile de faire aboutir une telle réforme, étant donné que la
moitié des appareils actuellement construits ou exploités sont disposés pour
admettre des bandes dont les dimensions ne dérivent même pas du système
métrique. (...) Nous pensons donc que la seule règle à proposer est relative
au choix des dimensions des images élémentaires, dimensions qui devraient
découler de la loi qui régit la détermination des formats photographiques,
c'est-à-dire que le rapport de la hauteur à la largeur des images devrait être
de 3/4 ou 4/5, ces dimensions étant exprimées en unités métriques 11.
Le choix de la question et la prudence de la réponse des frères
Lumière ne manquent pas d'intérêt. L'appareil mis au point par Auguste
et Louis Lumière fonctionne avec un film de 35 mm et des
rondes, alors que d'autres utilisent des perforations rectangulaires.
La réserve des Lumière, qui n'incitent pas le congrès à déterminer une
dimension et une perforation standard, manifeste une attitude
à l'affût de progrès possibles ou de nouvelles découvertes.
ils tentent eux-mêmes d'améliorer la qualité de l'image en variant
son format. Ainsi, les projections de cinématographe géant, dont nous
traiterons plus loin, sont obtenues au moyen d'un appareil spécial
utilisant un film de 73 mm de large, où les images mesurent 47 X 57 mm.
Sur cette question restée en suspens, les procès-verbaux des séances
du congrès ont enregistré une seule intervention : celle de Louis Gaumont
qui, plus soucieux de commercialisation, demande que soit fixé le type

10. Exposition internationale universelle de 1900, Congrès international de photographie :


procès-verbaux, rapports, notes et documents divers publiés par S. Pector, Paris, Gauthier-
Villars, 1901.
11. Auguste et Louis Lumière, Dimensions des bandes cinématographiques. Écartement,
pas et forme des perforations. Pas et largeur des images, note reproduite dans : Congrès
de photographie, op. cit., pp. 105-106.
LE CINÉMA A L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1900 185

de perforation ; mais son avis ne sera pas partagé par les autres
au congrès.

L'apport du cinéma aux sections officielles.


Dans deux cas, le cinéma est utilisé pour rendre attractive une
section officielle vers laquelle le public semble devoir moins se diriger.
La section des États-Unis organise, dans le Palais de l'économie
sociale et des congrès, des séances de cinéma présentant « l'ensemble
de la vie américaine, depuis le premier âge de l'enfant, que l'on
à l'école et au jeu, jusqu'à son arrivée à l'âge adulte où on le
suit à l'atelier, au club, etc. » n.
L'exposition de l'enseignement de la ville de Paris a recours au
cinéma pour animer sa présentation, mais les projections n'y occupent
qu'un espace restreint et sont accessoires à l'organisation d'ensemble.
L'installation du cinéma est confiée à Louis Gaumont et Georges Démeny.
Sont placés côte à côte six appareils de projection fonctionnant de façon
automatique et continue. La manivelle est remplacée par un moteur
électrique et la pellicule, longue de vingt mètres et formant une boucle,
se déroule sans interruption. La projection est faite sur des verres
dépolis de 30 sur 40 cm. Les visiteurs défilent dans un couloir obscur
devant ces petits écrans où apparaissent des scènes de quarante-cinq
secondes montrant les activités des écoles municipales de Paris13.

Le cinématographe géant Lumière.


Parallèlement à cette reconnaissance de la technique
par les instances spécialisées, il y a, à l'intention du public, une
gigantesque opération de consécration officielle : les séances gratuites
de cinématogaphe Lumière, organisées dans la salle des fêtes aménagée
dans la Galerie des machines.
Imposant vestige de l'Exposition de 1889, édifiée à la gloire de la
métallurgie, la Galerie des machines est une immense nef de verre
soutenue par une armature de fer. En 1889, cette « galerie formidable
où roulaient les ponts sur les têtes et où toutes les machines
nuit et jour une vie ardente de fer, d'acier et de feu » 14,
étonna et suscita l'admiration. Après l'Exposition, elle fut transformée
en manège pour l'École de guerre. En 1900, elle est déjà passée de
mode, mais reste le cadre idéal pour de grandes fêtes, cérémonies et
manifestations officielles. La Galerie des machines est partagée en trois,
la partie centrale étant transformée en salle des fêtes et les deux
latérales étant consacrées aux sections de l'alimentation et de
L'immense salle des fêtes, d'une superficie de 6.300 m2, est
aménagée par l'architecte Gustave Raulin en un espace circulaire,
ponctué par des piliers entre lesquels sont installées des tribunes.
Quatre séries de gradins descendent jusqu'à la scène également circu-

12. Paris-Exposition 1900, op. cit., p. 362.


13. G.M., « Le cinématographe à l'exposition de l'enseignement de la ville de Paris »,
La Nature, n° 1427, 29 septembre 1900, pp. 273-274.
14. Le Livre d'or de l'Exposition de 1900, Paris, Edouard Cornély, 1900, t. II, p. 49.
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laire, de 90 m de diamètre. Pouvant contenir 15.000 personnes, c'est


alors une des plus grandes salles de spectacle du monde.
Là ont lieu l'inauguration officielle de l'Exposition, le 14 avril 1900,
et les autres cérémonies officielles, dont la distribution des récompenses.
Les ballets, les féeries, les reconstitutions historiques, les concerts
avec les séances gratuites de cinématographe et de photographie en
couleurs. Cette manifestation est organisée conjointement par le
général de l'Exposition et par Auguste et Louis Lumière qui en
partagent les frais. Plus exactement, l'administration prend à sa charge
l'installation de la cuve d'eau, des treuils et de la cabine. Les frères
Lumière supportent les frais de l'écran, des appareils de projection et
des films. La présentation du cinématographe géant nécessite en effet un
important aménagement. Une cuve de ciment de 17 m de long, destinée
à être remplie d'eau, est construite sous le parquet. Des treuils sont
accrochés à la charpente métallique pour monter et descendre l'écran.
Une cabine, de 3 m de large sur 6 m de long, est construite en bois et
recouverte intérieurement de tôle. L'écran est d'une superficie
près de 400 m2, et doit pouvoir être retiré complètement pour
ne pas entraver les autres utilisations de la salle :
L'écran situé suivant le plan de l'axe longitudinal du Champ-de-Mars
avait 21 m de largeur et 18 m de hauteur. Afin de le soustraire à la
les opérateurs le descendaient, après chaque soirée, dans une cuve en
ciment ménagée sous le plancher de la salle et contenant de l'eau. Une demi-
heure avant la séance, il était relevé au moyen d'un treuil établi au-dessus de
la verrière ; pendant le montage, des jets d'eau le lavaient à nouveau. L'étoffe
avait été choisie de manière à laisser passer, une fois mouillée, à peu près
autant de lumière qu'elle en réfléchissait ; de la sorte, l'image se voyait
des deux côtés et les spectateurs pouvaient prendre place dans tous les
gradins de la salle 15.
Le programme, qui dure vingt-cinq minutes, comprend 15 vues
et 15 photographies en couleurs. Il est régulièrement
renouvelé, puisqu'au total 150 films différents sont projetés, sans qu'on
puisse en connaître les titres qui ne sont pas précisés dans les
L'ampleur et la gratuité de ce spectacle manifestent la volonté
des Lumière de faire connaître leur invention auprès du plus large public
possible et d'être officiellement et internationalement reconnus comme
les inventeurs du cinéma. Le commissariat général et les frères Lumière
avaient d'ailleurs auparavant prévu une démonstration encore plus
sous la forme de projections cinématographiques en plein air, sur
un écran géant tendu devant la Tour Eiffel, visible du Champ-de-Mars
et du Trocadéro. Une cuve avait même été aménagée à cet effet, mais
l'écran ne présentait pas une résistance suffisante au vent et ce projet
dut être abandonné, faute du temps nécessaire pour l'améliorer.
Répondant aux objectifs qui lui étaient assignés, le cinématographe
géant Lumière offre une qualité d'image satisfaisante et connaît un
ample succès : 326 séances de projection du 15 mai au 12 novembre,
au rythme de deux spectacles par soirée, à neuf et dix heures. Le

15. Rapport général administratif ei technique, op. cit., t. VI, p. 121.


LE CINÉMA A L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1900 187

III. nc 1. Une
(Photo
séance
Cinémathèque
de cinématographe
Française).géant Lumière dans la salle des fêtes
188 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

Rapport général administratif et technique fournit des indications


sur le nombre des visiteurs :
II résulte des comptages approximatifs faits à diverses reprises que le
nombre moyen des spectateurs fut de 5.000 pour les séances chargées et de
3.000 pour les séances moins suivies. La moyenne de 5.000 est très au-dessous
du nombre effectif des visiteurs qui, plusieurs fois, se pressèrent dans la
salle pour assister au spectacle. (...) Au total, 1.400.000 personnes environ ont
profité de cette attraction si intéressante 16.
Ce spectacle, que près d'un million et demi de personnes — Parisiens,
provinciaux et étrangers — auront vu, constitue l'apothéose du
Lumière, mais annonce aussi son déclin. La société Lumière cesse
peu à peu la fabrication des appareils et la production des films, face à la
concurrence d'entreprises rivales comme celles qui, dans l'enceinte même
de l'Exposition, présentent aussi des applications nouvelles du cinéma.

II. — DU PANORAMA AU CINÉMA PANORAMIQUE

Le terme «panorama», inventé en 1789 par le peintre écossais


Robert Barker, désigne une toile peinte tendue circulairement dans
une rotonde au centre de laquelle se trouve une plate-forme où prennent
place les spectateurs. Une zone vitrée, au bas du toit de forme conique,
éclaire verticalement la toile dont le bord supérieur est masqué par un
vaste parajour. Robert Barker construisit la première « rotonde de
l'illusion » à Londres, en 1792. Dès 1799, deux panoramas furent édifiés
à Paris, boulevard Montmartre. L'engouement pour cette attraction, qui
connut une régression rapide après un début prometteur, fut ranimé en
1823 par l'ouverture du premier diorama, mis au point par Louis Daguerre
et Charles Bouton. Il s'agissait d'une rotonde dont les murs étaient
recouverts de toiles peintes fixes, tandis que le plancher, monté sur un
pivot, tournait, donnant ainsi aux spectateurs l'illusion du mouvement
du décor. Des maquettes placées au premier plan suggéraient en outre
un effet de profondeur tandis que des éclairages variables animaient les
scènes. Cette rotonde fut détruite par un incendie en 1839. Durant la
seconde moitié du xix* siècle, les dioramas sont de plus en plus
Rarement permanents, ils se multiplient dans le cadre des
nationales et universelles, où ils sont à la fois des procédés
d'instruction et des sources d'exotisme17.
Si les techniques du cinéma et du panorama diffèrent totalement,
les deux attractions offrent cependant une certaine similitude : le
est plongé dans l'obscurité, la lumière joue un rôle primordial,
des images sont fixées sur une bande qui se déroule, tandis que le
mode de réalisation est occulté au profit de l'impression produite. Les
discours descriptifs ou laudatifs des deux spectacles sont très proches,
au point qu'ils risquent parfois d'être confondus.

16. Ibid., t. VI, p. 121.


17. Brigitte d'Helft et Michel Verliefden, « Les rotondes de l'illusion », Monuments
historiques, n° 4, 1978, pp. 54-60.
LE CINÉMA A L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1900 189

Les panoramas animés.


A l'Exposition universelle de 1900, les panoramas et les dioramas sont
extrêmement nombreux, qu'ils forment une attraction autonome ou qu'ils
s'insèrent dans les présentations des délégations étrangères. Ils sont
principalement utilisés pour évoquer les pays lointains, particulièrement
les colonies françaises que l'Exposition, en appui de la politique
coloniale de la Troisième République, se devait de faire connaître
et mettre en valeur :
Au milieu des foules qui se pressaient au Trocadéro, combien de visiteurs,
naguère ignorants des choses coloniales ou sceptiques à leur égard, sont partis
édifiés, pleins de foi dans l'avenir du magnifique empire conquis au prix de
tant de sang et de sacrifices 18.
Ces établissements sont très variés dans leurs ambitions comme
dans leurs techniques de réalisation. Certains, comme le Panorama de
la mission Marchand, le Panorama du Congo, le Panorama de
le Diorama saharien ou le Diorama de Fachoda, sont de type
traditionnel, où la toile demeure fixe, tel que nous venons de le décrire.
Une seconde catégorie de panoramas, dénommés « panoramas animés »
ou « panoramas mouvants », nécessitent une installation plus compliquée
et constituent des attractions plus spectaculaires. La toile peinte, non
seulement est mobile, mais s'intègre dans une mise en scène ample qui
vise à produire un dépaysement complet.
Le Stéréorama mouvant, installé dans les pavillons de l'exposition
algérienne, œuvre de peintres orientalistes, reproduit un voyage en
Méditerranée le long des côtes de l'Algérie, départ de Bône à l'aurore
et arrivée à Oran au coucher du soleil.
Cette attraction, entièrement nouvelle (...), n'a aucun rapport avec les
panoramas et les toiles mouvantes ; elle donne l'illusion de la nature avec une
intensité encore inconnue jusqu'ici. La mer y est imitée à s'y méprendre et le
public ne peut se rendre compte de la façon dont elle est obtenue, ni du
mécanisme qui la met en mouvement. Aucune sensation de mal de mer n'est
à craindre, le public ne bougeant pas 19.
Ce commentaire, qui non seulement masque mais nie le procédé
de cette attraction, qui est bien une « toile mouvante », est dans la
lignée des premières descriptions du cinéma.
Le Panorama transsibérien, dû aux peintres et décorateurs de théâtre
Jambon et Bailly, est une commande de la Compagnie internationale des
wagons-lits. Les spectateurs sont assis dans un train et, par les fenêtres,
contemplent une toile peinte qui se déroule et figure un voyage de
Moscou à Pékin. Un wagon-restaurant permet de déjeuner pendant le
trajet imaginaire, qui dure quarante-cinq minutes. Une machinerie
le roulis du train et le personnel est habillé en Tartares et Chinois.
Ce panorama préfigure le « Hale's Tour » qui sera, en 1904, un des clous
de l'Exposition de Saint-Louis, ensuite repris par plusieurs entrepreneurs

18. Rapport général administratif et technique, op. cit., t. IV, p. 352.


19. Prospectus publicitaire du Stéréorama mouvant.
190 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

américains. La salle du Hale's Tour reproduira l'intérieur d'un wagon


pullman dans lequel sont projetés des films tournés à l'avant d'une
locomotive.
Le Maréorama, conçu par Hugo d'Alesi, est le plus sophistiqué de
ces panoramas animés. Il est installé dans un imposant bâtiment de
quarante mètres de façade et large de trente mètres, construit sur le
Champ-de-Mars et pouvant contenir 1.500 personnes. Il figure un voyage
en Méditerranée, de Marseille à Constantinople, en passant par Alger,
Sfax, Naples, Venise :
Les spectateurs sont placés sur le pont d'un steamer, animé des
de roulis et de tangage, autour duquel se déroulent d'immenses toiles
d'un kilomètre de longueur sur une hauteur de quinze mètres et dont le
mouvement combiné avec ceux du navire crée l'illusion de la marche. La vue
des manœuvres exécutées par l'équipage, des artifices d'éclairage, une
imprégnée de senteurs marines par son passage à travers une couche
de varech, rendent cette illusion parfaite20.
Ce voyage, auquel ne manquent ni les manœuvres des marins, ni
les sirènes, ni le vent du large, est agrémenté d'effets de soleil ou de
nuit. Des acteurs complètent la reconstitution : outre l'équipage,
danseuses et quarante musiciens offrent des spectacles épisodiques.
Le raffinement de la restitution n'exclut pas un certain désagrément :
Au moyen d'une machinerie, on imprime à ce pont des mouvements qui
peuvent atteindre la violence nécessaire pour donner un instant l'impression
d'une tempête21.
Le Maréorama a l'ambition d'être un spectacle total qui surpasse
les projets que s'assigne alors le cinéma ainsi que ses possibilités. Mais
le mode d'illusion que ce dernier procure sera ressenti comme un
suffisant puisqu'une telle tentative ne sera pas renouvelée au siècle
qui s'annonce.

Les voyages cinématographiques.


Ces attractions lourdes avaient nécessité une mise au point
des dispositifs élaborés et un investissement financier important.
Aussi, de nombreux panoramas de propos plus modeste sont simplement
complétés par des projections cinématographiques sommairement
dans une salle annexe. Sept cinémas de cette sorte peuvent être
repérés.
Dans les jardins du Trocadéro, les attractions de la section de
l'Algérie comprennent, outre le Stéréorama mouvant et le Diorama
saharien, des spectacles de musique et de danse, des stands d'artisanat
indigène, des reconstitutions d'habitations arabes et le Cinématographe
algérien, dirigé par un Algérois, Auguste Seigle. Le programme est
composé des « scènes les plus intéressantes de la vie au Caire, ainsi
que divers paysages animés de la Haute et de la Basse Egypte » 22.

20. Guide-boussole : Exposition et Paris, Paris, Ollendorff, 1900, p. 158.


21. Moniteur général de l'Exposition universelle de 1900, Paris, A. Bertrand, 1900, t. II.
22. Rapport général administratif et technique, op. cit., t. VII, p. 253.
LE CINÉMA À L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1900 191

Ce cinéma, dont l'entrée est payante, attire peu de spectateurs.


« L'exploitation d'un cinéma n'ayant donné aucun résultat, sinon de
grosses pertes » 23, l'établissement ferme dès le mois d'août et est
remplacé par la reconstitution d'un bazar arabe. Il est difficile de
connaître les causes de cet échec commercial. Outre des raisons
que nous analyserons plus loin, interviennent certainement la
proximité immédiate et le prestige du Stéréorama.
Le pavillon de l'Indochine, un temple cambodgien, montre en sous-
sol quatre dioramas dans lesquels, isolé par une simple cloison, un cinéma
fonctionne de 15 à 17 heures.
Dans le sous-sol de ce tertre a été creusée une vaste grotte en béton
armé qui constitue un des travaux les plus remarquables et les plus audacieux
de l'Exposition universelle. (...) Dans cette même salle, un cinématographe
perfectionné donne l'illusion de la vie indochinoise, avec son animation et
son caractère particulier24.
Un vaste bâtiment du Trocadéro regroupe les expositions de
petites colonies, qui comprennent des dioramas des Somalies,
de Saint-Pierre-et-Miquelon, Tahiti, Mayotte, des Comores. Au panorama
de Saint-Pierre-et-Miquelon sont annexées des projections
qui se déroulent dans un bateau amarré sur la Seine :
M. Beust et M. Le Mouel avaient installé, devant le Palais des Armées
de terre et de mer, un bateau morutier authentique ayant déjà accompli
vingt campagnes à Terre-Neuve : des séances de cinematographic avec
verbales, organisées dans la cale de ce bateau, constituaient pour les
visiteurs un enseignement utile en même temps qu'une véritable attraction 25.
Le Panorama de Rome, rue Goujon, reproduit des vues de la ville,
tandis que, « dans un superbe jardin, annexe du panorama, le
Lumière nous montre Léon XIII intime»26.
Dans le pavillon de Monaco se trouvent un diorama de la
et, en sous-sol, une salle de cinéma « où l'on verra les modèles
ayant obtenu des prix au grand concours cinématographique organisé
l'an dernier dans la principauté » 27. Ces projections, souvent vantées,
obtiennent un vif succès.
La série des belles épreuves cinématographiques du pavillon de Monaco
vient d'être complètement renouvelée. A la suite des sujets primés au concours
de Monte-Carlo, on y voit des actualités intéressantes comme les exercices des
gymnastes monégasques et surtout les ébats dans son paddock du magnifique
étalon de M. Camille Blanc, Le Hardy 28.
Le Palais du Tour du monde, un bâtiment d'inspiration hindoue
flanqué de deux tours, l'une chinoise et l'autre cambodgienne, précédé
d'une porte monumentale de style japonais, contient un panorama et

23. Les attractions de l'Algérie à l'Exposition universelle de 1900, AN F n 4353.


24. Exposition internationale universelle de 1900, Colonies et pays de protectorat : notice
sur l'Indochine, s.l., s.n., s.d., pp. 7 et 10.
25. Rapport général administratif et technique, op. cit., t. IV, p. 340.
26. Paris Exposition 1900, op. cit., p. 371.
27. Le Livre d'or de l'Exposition de 1900, Paris, Edouard Cornély, 1900, t. I, p. 202.
28. L'Éclair, n° 4317, 22 septembre 1900, p. 4.
192 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

III. n° 2. Le Maréorama : coupe transversale de l'édifice montrant le dispositif


permettant d'animer le navire (Photo B.N., Arts du Spectacle, coll.
Rondel).
Exposition Universelle de 1900

A h Coin de l'Avenue
EN FACE
de DE
Saffren
LA GARE
et tiu Quai d'Orsay

illusion d'oh mm.


A Bote? d'un Véritable Navite

1-e Steamer fait Escale à

Viiiefranehe, Sousse, Naples, Venise, Constantinople

III. no 3. Rondel).
Publicité pour le Maréorama (Photo B.N., Arts du Spectacle, coll.
194 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE
plusieurs dioramas présentant les pays desservis par les paquebots de
la Compagnie des Messageries maritimes. S'y trouve également une salle
de théâtre où les projections cinématographiques alternent avec des
spectacles de danses orientales29. Ces films, tournés aux escales des
lignes de la Compagnie des Messageries maritimes par Thévenon, un
envoyé de la maison Lumière, sont projetés par ce même opérateur au
rythme de dix bandes par représentation, de 13 à 18 heures et de 20 à
23 heures30. Le Palais du Tour du monde reçoit un des sept grands prix
décernés aux attractions.
Le dernier des cinémas de ce type présente un caractère publicitaire
encore plus marqué. La société de vins de Champagne E. Mercier fait
édifier une curieuse petite construction en ciment armé aux toits pointus
et aux escaliers en colimaçon. Au rez-de-chaussée, un panorama-diorama
célèbre la fabrication des vins de Champagne et les caves de l'entreprise.
Au second étage, un cinéma reproduit les vignobles, les phases de la
culture, les travaux de préparation ainsi que les principaux monuments
et lieux historiques de la Champagne31.

Le Cinéorama.
De ces cas où les deux attractions sont seulement rapprochées, on
doit distinguer une tentative — unique — de synthèse : le Cinéorama.
Il est l'œuvre de l'inventeur Raoul Grimoin-Sanson qui, dès le 13
1896, avait fait breveter un procédé de panorama où la toile peinte
était remplacée par des projections cinématographiques 32 :
Ici, nous trouvons aussi le mouvement, nous avons la couleur, mais aucun
mécanisme n'actionne la toile de fond qui, du reste, n'existe pas : l'image
circulaire qui nous entoure est fugitive, c'est une projection et, qui plus est,
une projection cinématographique 33.
Un panorama par projections fixes avait été conçu en 1896, à Chicago,
par un nommé Chase, sans fonctionner réellement.
Raoul Grimoin-Sanson imagine un vaste bâtiment circulaire de cent
mètres de circonférence, dont les parois blanches servent d'écran
Le centre de la salle est occupé par une immense nacelle
munie des accessoires habituels, ancre, cordages, sacs de lest, échelle.
Le plafond est tapissé d'une draperie imitant l'enveloppe de l'aérostat,
avec ses agrès, ses attaches, son guiderope et son ouverture de soupape.
Sous la nacelle sont fixés dix appareils synchronisés qui, l'obscurité faite,
projettent les vues d'ascensions, de voyages en ballon et d'atterrissages,
ces derniers obtenus en passant le film en arrière.

29. L'Exposition et ses attractions, Paris, Jules Rouff, 1900, t. IV, p. 95.
30. BHVP, Actualités 122, XII.
31. Guide offert aux visiteurs du pavillon du champagne Mercier.
32. La teneur du brevet d'invention du Cinéorama, la réalisation des appareils, la prise
de vues des films sont étudiées dans Jacques Deslandes et Jacques Richard, Histoire comparée
du cinéma, op. cit., t. II, pp. 39-51.
33. G. Mareschal, « Les panoramas de l'Exposition : Le Cinéorama-ballon », La Nature,
n° 1417, 21 juillet 1900, pp. 119-122.
LE CINÉMA A L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1900 195

Gaston Berardi et Gabriel Chabert soumirent ce projet au


général de l'Exposition, dès janvier 1899, en insistant tout
sur la fiabilité des conditions de sécurité qu'offre cette
installation :
Nous appelons à cet égard l'attention de la Commission sur les
de notre édifice et les rares facilités d'accès et d'évacuation qu'il présente :
La terrasse intérieure surélevée seulement de dix mètres au-dessus du sol
est desservie par quatre escaliers droits et s'élargissant en éventail vers le bas,
si bien que les cent cinquante personnes qui peuvent séjourner sur la terrasse
auraient à la première alerte quatre voies de dégagement et se trouveraient
au-dehors en moins d'une minute, chaque escalier ne devant en moyenne donner
issue qu'à trente-cinq personnes.
Mais aucune alerte ne peut se produire, toute possibilité d'un danger
se trouvant radicalement écartée : pas d'écrans de toile, des murs
remplaçant ceux-ci, pas de bois découverts, pas de cordages, ni de décors,
la nacelle, les agrès, le ballon étant figurés en fer et en plâtre ; pas
possible des pellicules, celles-ci étant ignifugées par un procédé
breveté. Enfin, les appareils projecteurs eux-mêmes sont complètement
isolés et enfermés dans un cyclindre en tôle 34.
Le 1er juin 1899, une société anonyme, au capital de 500.000 F,
est constituée pour l'exploitation des brevets de Raoul Grimoin-Sanson.
L'inventeur fait construire les appareils et part en voyage tourner les
films nécessaires, après qu'une première ascension mouvementée eut
lieu du jardin des Tuileries.
Dans ses mémoires, Grimoin-Sanson donne une description de la
première séance, d'une durée d'une demi-heure, dans laquelle l'effet qu'il
désirait produire sur les spectateurs semble parfaitement atteint :
Dès l'ouverture des portes, la foule ne cessa de remplir la nacelle, dont la
ressemblance avec celle d'un vrai ballon était bien faite pour surprendre. A
peine un nombre de « passagers » avait-il pris place que l'ascension
Le capitaine, vêtu d'un costume bleu, annonçait solennellement :
— Mesdames et Messieurs, nous allons partir du bassin des Tuileries...
Lâchez tout !
Aussitôt commençait la projection du premier film, tourné à bord du
ballon véritable. La sensation était extraordinaire et beaucoup de spectateurs
éprouvaient le même vertige que celui que donne une ascension vraie. La
vue animée de Paris, entre autres, avec le flot de ses voitures et de ses
passants arrêtés qui regardaient le ciel, constituait une nouveauté
Une fois cette première bande déroulée, une minute d'obscurité
intervenait et le capitaine annonçait :
— Mesdames et Messieurs, nous atterrissons sur la Grande Place de
Bruxelles...
La Grande Place apparaissait alors telle que nous l'avions prise, et le
spectacle se poursuivait par les films de Nice, Biarritz, Bizerte, Tunis, Sousse,
Southampton et Barcelone. La représentation se terminait par l'atterrissage aux
Tuileries, pour lequel il suffisait de dérouler à rebours le départ. Et c'est
peut-être cette vue de Paris qui étonnait et charmait le plus, car elle mettait
le mieux en relief toute l'ingéniosité du procédé. Quoi qu'il en soit, le succès
était assuré et l'on parlait du Cinéorama bien davantage que de la Tour Eiffel
ou de la Grande Roue. La presse ne tarit pas d'éloges et il fallut organiser
un service d'ordre pour parer à la cohue qui se produisait au début de chaque
séance 3S.

34. Projet de MM. Berardi et Chabert, 23 janvier 1899, AN F" 4352.


35. Raoul Grimoin-Sanson, Le Film de ma vie, Paris, Henry Parville, 1926, pp. 125-127.
196 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

Des imperfections techniques font disparaître très rapidement cette


attraction. Malgré les ventilateurs, les appareils de projection dont, selon
Raoul Grimoin-Sanson, les plans ont été modifiés lors de la construction,
dégagent une chaleur élevée qui incommode les spectateurs. La
de 46° dans la cabine de projection constitue un grave risque
d'incendie. Lors de la quatrième représentation, un incident se produit :
un ouvrier, pris de syncope, tombe et se fait couper deux doigts par la
pale d'un ventilateur. La Préfecture de police ouvre une information et
ordonne la fermeture immédiate de l'établissement36.
L'existence du Cinéorama est si éphémère qu'il ne touche qu'un
nombre infime de visiteurs et n'est même pas reconnu dans le Rapport
général administratif et technique :
Des difficultés mécaniques s'opposèrent à la réalisation du projet et le
restaurant devint l'élément principal de la concession37.
Dès le mois d'août 1900, la société anonyme du Cinéorama est
en liquidation et l'expérience définitivement abandonnée. La demande
d'indemnité déposée par les concessionnaires est déboutée avec cette
réponse du commissaire général :
En ce qui concerne le Cinéorama, il n'a pas dépendu de l'Administration
que son exploitation n'ait pu avoir lieu et par suite il ne peut lui être réclamée
de ce chef aucune indemnité. J'ajouterai même que le non-fonctionnement de
cette attraction a motivé de la part des divers concessionnaires voisins des
demandes d'indemnités basées sur le manque de public qu'elle devait amener
en cet endroit de l'Exposition et sur lequel ils croyaient pouvoir compter38.

III. — Les théâtres cinématographiques

En 1900, le cinéma, encore loin d'offrir une définition univoque,


se moule dans des formes anciennes de spectacles. Parallèlement à son
insertion parmi les panoramas, il s'assimile également au théâtre. Il est
dans ce cas une attraction payante, à but commercial.
Cinq des six cinémas de cette catégorie sont installés dans la rue
de Paris, artère privilégiée des spectacles de l'Exposition, qui s'étend
au Cours-la-Reine du pont de l'Aima à celui des Invalides, ouverte
jusqu'à minuit alors que les autres secteurs de l'Exposition ferment
leurs portes à 22 heures. Les organisateurs avaient souhaité y réunir
les manifestations les plus élevées de l'art dramatique et musical de

36. Ni les cartons des Archives nationales ni ceux des Archives de la Préfecture de
police ne renferment de renseignements sur la date d'ouverture du Cinéorama, le nombre
effectif des représentations et la décision de fermeture. De plus, nous n'avons pu retrouver
dans la presse de traces de son inauguration ou de sa suppression. Nous sommes donc
contraints sur ce point de suivre le récit de Raoul Grimoin-Sanson, repris d'ailleurs par les
historiens du cinéma qui ont abordé cette question.
37. Rapport général administratif et technique, op. cit., t. VII, p. 247.
38. Lettre d'Alfred Picard, commissaire général de l'Exposition, 25 octobre 1900, AN
F « 4352.
LE CINÉMA À L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1900 197

tous les pays et l'ouvrir aux jeunes talents. Ils reconnaissent, dans
le Rapport général administratif et technique, avoir échoué dans ce
projet — en grande partie en raison des résistances des théâtres
permanents — et ils doivent admettre que les spectacles de la
rue de Paris, même s'ils attirent les foules par leur éclectisme et la
multitude des parades, ne sont pas toujours d'une excellente qualité
ni d'un très haut intérêt. Si les petits guides de l'Exposition décrivent
la rue de Paris comme agréable, illuminée le soir, bordée d'édifices
séduisants, prisée par le public parisien le plus élégant, où il est de
bon ton de se promener, les dossiers administratifs et parfois la presse
nous découvrent une artère défoncée, boueuse, sombre, encore
de gravats plusieurs mois après son ouverture.
Les entrepreneurs de spectacles sélectionnés, qui avaient triomphé
d'une concurrence sévère grâce à l'intérêt et au sérieux de leur projet,
à la valeur et à la sûreté de leurs capitaux, ou à l'importance de leurs
appuis, doivent rapidement convenir que leur établissement n'offre pas la
rentabilité escomptée. Beaucoup connaissent l'insuccès et des difficultés
financières importantes, parfois suivies de liquidations judiciaires, de
saisies, de faillites. La plupart des concessionnaires déposeront auprès de
l'administration des demandes de réduction des redevances. Des arbitres
seront désignés et les jugements leur accorderont parfois des
substantielles. Leurs griefs principaux sont : mauvaise viabilité,
pauvreté de l'éclairage nocturne, déficience des moyens de
sur la Seine, absence de fêtes officielles dans cette partie de
l'Exposition. Mais ces chefs de réclamation sont rejetés par
Autre motif de plainte, qui touche particulièrement les
: le retard et l'irrégularité de l'alimentation électrique. La
distribution de l'électricité n'est pas prête pour l'inauguration et
attractions doivent retarder leur ouverture ou installer elles-mêmes
des groupes électrogènes puisque seul l'éclairage électrique est autorisé
dans les salles de spectacles.
A la suite de l'incendie du Bazar de la Charité, le 4 mai 1897, une
ordonnance du Préfet de police « concernant les théâtres, cafés-concerts
et autres spectacles publics », du 1er septembre 1898, avait édicté les
mesures réglementaires s'appliquant au cinéma39. Ces consignes de
sécurité interdisaient l'emploi des lampes à carburateur oxy-éthérique —
qui étaient à l'origine de l'incendie de la rue Jean-Goujon — et
les premières normes de construction des salles de cinéma,
l'aménagement de la cabine de projection. Celles-ci doivent être
respectées pour l'édification de cinémas dans l'enceinte de
l'Exposition universelle. Les contrôles des services techniques du
général, fréquents et sévères, ne sont pas exercés avec une
spéciale sur les cinémas. Ni l'attitude des organisateurs — qui
n'hésitent pas à réunir des foules importantes pour les projections

39. Préfecture de police, Ordonnance concernant les théâtres, cafés-concerts et autres


spectacles publics, 1er septembre 1898 ; article 108 : Dispositions particulières aux
198 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

cinématographiques géantes de la salle des fêtes — , ni celle du public


ne permettent de déceler une psychose qu'aurait pu engendrer le
de la récente catastrophe du Bazar de la Charité. D'ailleurs, si
quelques passerelles s'effondrent et quelques circuits électriques brûlent,
aucun incendie ne se déclare dans les cinémas de l'Exposition universelle.

Les cinémas parlants.


Le Phono-Cinéma-Théâtre est le plus connu de ces théâtres
En 1899, un emplacement de 210 m2 a été concédé à l'ingénieur
Paul Decauville pour un Cinématophone, spectacle de projections
accompagnées d'auditions phonographiques. En mars 1900,
il découvre que le nom de Cinématophone a déjà été utilisé et il
son attraction Phono-Cinéma-Théâtre. Cet intitulé plus explicite que
le précédent, qui semble toutefois obscur aux visiteurs, est commenté
en ces termes par un guide de l'Exposition :
On voit et on entend en même temps. Des scènes entières de théâtre sont
ainsi représentées, les acteurs marchent, gesticulent, et on entend leurs voix,
leurs dialogues40.
Un petit bâtiment inspiré du Trianon est construit, garni de treillages
verts et décoré d'une belle affiche de François Flameng. Le répertoire se
compose d'enregistrements d'acteurs parmi les plus célèbres, dans leurs
rôles les plus fameux : Sarah Bernhardt dans la scène du duel d'Hamlet,
Coquelin aîné dans Cyrano de Bergerac, Réjane dans Ma cousine. Plusieurs
danseuses, dont Cleo de Mérode, sont également filmées pour ce spectacle.
C'est à cette occasion qu'est réalisée la première version cinématographique
de L'Enfant prodigue, la célèbre pantomime de Michel Carré, accompagnée
d'une musique d'André Wormser et interprétée par Felicia Mallet. Les
projections sont faites par Clément-Maurice, l'opérateur des premières
séances publiques du Grand Café, et les phonographes sont contrôlés par
Henri Lioret, qui avait mis au point un phonographe baptisé Lioréto-
graphe et fabriquait par moulage des cylindres de haute qualité.
L'accueil de la presse est plutôt favorable. Le Figaro, notamment,
lui consacre plusieurs articles, qui ont avant tout un but publicitaire.
Le Phono-Cinéma-Théâtre y est proclamé « un spectacle qui marquera
dans l'histoire de l'art théâtral » :
On a, en regardant le cinématographe, la surprise d'une netteté et d'une
fixité absolument parfaites dans la reproduction des scènes. C'est là un progrès
qui n'est pas banal et qui est dû en partie à la prestigieuse habileté de
et en partie à des perfectionnements inédits apportés à la construction
des appareils41.
On ne sait le crédit qu'il faut accorder à cet éloge puisqu'un
deuxième article, qui le présente comme un « petit théâtre qui est très

40. Guide Lemercier de l'Exposition, Paris, Lemercier, 1900.


41. « Le Phono-Cinéma-Théâtre », Le Figaro, n° 159, 8 juin 1900, p. 2.
PHONOCllf

III. n° 4. Programme
(Photo B.N.,illustré
Arts dupar
Pbrte43,
Spectacle,
François
RuéTéléphone
de fParis
Flameng
Pont des
coll. Rondel).
530-60
Invalides
pour»_ le_ Phono-Cinéma-Théâtre
)
;
200 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

visité et qui mérite le grand succès qu'il obtient auprès du public » 42,
est contredit par l'analyse de la situation réelle de ce cinéma.
En effet, loin d'attirer les foules, le Phono-Cinéma-Théâtre ne
pas la faveur des visiteurs. Depuis l'ouverture, le 29 avril 1900,
les recettes ne cessent de décroître. Paul Decauville augmente le prix
d'entrée, tente de lancer des vendredis de galas, puis abandonne, dès
le mois d'août, les projections dans l'une des deux salles où elles sont
remplacées par une exposition sur les couveuses pour enfants avec quête
auprès du public. Au bout de deux mois d'exploitation, les bénéfices n'ont
pas couvert les frais de construction du pavillon et le concessionnaire
réclame à l'administration une indemnité de 150.000 F. En plus des griefs
généraux exposés ci-dessus, il dénonce la concurrence que lui aurait faite
le cinématographe géant Lumière de la salle des fêtes. Les représentants
de l'administration refusent de prendre en considération cet argument,
en invoquant le fait que le cinématographe géant fonctionne seulement
en soirée et depuis le mois de juin, et en soulignant l'éloignement et la
différence des deux spectacles. Cette désaffection s'explique sans doute
par la qualité médiocre de l'image, du son et par leur synchronisation
imparfaite. Il semble en outre que le répertoire, composé de séquences
brèves, ait été trop limité pour alimenter un spectacle durable, ce que
fait supposer cette réplique de l'administration : « Ce qu'il fallait, c'était
renouveler le spectacle » 43.
Cet échec, dû plus aux circonstances particulières et à la vive
concurrence qu'à la valeur du spectacle, n'arrête pas la carrière du
Phono-Cinéma-Théâtre. Une société anonyme, au capital de 100.000 F,
est formée le 2 mars 1900 pour l'exploitation du Phono-Cinéma-Théâtre
à l'Exposition universelle ainsi que pour la construction de
phonographes et accessoires et pour l'installation de cette
attraction en divers lieux. Paul Decauville sera remplacé, en 1901, à la
présidence du conseil d'administration par Marguerite Vrignault, qui
dirige l'établissement de la rue de Paris. Le Phono-Cinéma-Théâtre sera
présenté quelque temps à l'Olympia, en 1901, puis partira en tournée
à travers l'Europe.
Dans un bâtiment adjacent au Phono-Cinéma-Théâtre, Alfred Bréard
avait l'intention de présenter une attraction baptisée Théâtroscope :
Le Théâtroscope est l'apothéose naturelle des attractions du genre
Il possède l'avantage de reproduire instantanément sur plusieurs
écrans à la fois des images réelles de scènes animées, au moment même où
elles se passent, présentées sous différents aspects et sans entr'acte aucun. De
plus, il permet de reproduire l'exactitude des couleurs, le naturel des
ainsi que l'émission de sons, et jouit d'une précision et d'une stabilité
parfaites, sans donner lieu à aucune espèce de manipulations dangereuses44.
Le Théâtroscope apparaît, dans cette déclaration, l'aboutissement
parfait et imaginaire de l'invention des frères Lumière. Il se fonde

42. G. Davenay, « La photographie mouvante et parlante du théâtre », Le Figaro, n° 251,


8 septembre 1900, p. 3.
43. Sentence du jury arbitral, 26 janvier 1901, AN F 12 5358.
44. Lettre d'Alfred Bréard, 16 janvier 1899, AN F « 5358.
LE CINÉMA À L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1900 201

sur la combinaison d'images cinématographiques et d'illusions optiques,


associées à des dioramas et accompagnées d'auditions musicales et
phonographiques. Il ambitionne de mêler des reproductions de scènes
de théâtre — jouées en sous-sol de l'établissement — et de scènes
réelles prises sur le vif dans les rues de l'Exposition. Mais cette
des spectacles d'illusions n'est pas réalisée et le spectacle du
Théâtroscope est finalement constitué de « projections
animées » 45 : des films sont projetés sur plusieurs écrans,
à quelques reproductions optiques, et accompagnés
phonographiques.
Comme son voisin, Alfred Bréard est déçu par la faible audience
et cherche à diversifier son attraction. Le 27 juillet 1900, il installe
dans son bâtiment douze Mutoscopes, appareils automatiques de vision
individuelle où le spectateur, après avoir glissé une pièce de monnaie,
regarde les images à travers deux oculaires46.
Le Phonorama, situé dans la rue de Buenos-Aires sur l'avenue de
Suffren, est le troisième cinéma parlant par association d'un
Pour cette attraction commanditée par la Compagnie générale
transatlantique, Félix Mesguich, opérateur employé par la maison
Lumière, a filmé des scènes de la vie parisienne, sortes de « cris de
Paris » cinématographiques, dont il indique, dans ses mémoires, les
conditions d'élaboration :
Les bandes sont coloriées à la main dans les ateliers de M™ Chaumont.
Les travaux de développement et le tirage des copies sont assurés par les
Établissements Gaumont dont j'utilise les appareils.
Du 15 avril au 31 octobre 1900, pendant toute la durée de la Grande Parade,
le Phonorama ainsi approvisionné vit, parle et chante ; il obtient un succès
empressé 47.

Les « visions d'art ».


L'idée d'organiser à l'Exposition universelle de 1900 un cinéma
montrant les paysages de la France a été avancée dès 1896 par Gaston
Manceaux-Duchemin, Auguste et Louis Lumière, André Berthoulat. Pour
la mettre en œuvre, Manceaux-Duchemin, directeur de l'agence de voyages
Duchemin, se fait concéder un espace de 240 m2 près du pont d'Iéna et
y établit le pavillon des Voyages animés. Aux films, tous dus à la maison
Lumière, s'ajoutent des projections photographiques en couleurs de Lévy
et Louis Gaumont. Sept programmes consacrés aux régions de France,
renouvelés chaque jour de la semaine, se succèdent : Savoie, Dauphiné,
Champagne et Vosges, Pyrénées, Provence et Côte d'Azur, Auvergne et
Limousin, Bretagne. L'intention est plus artistique que documentaire et
l'accompagnement des vues est particulièrement soigné : des textes en

45. Rapport général administratif et technique, op. cit., t. VII, p. 230.


46. Des machines à sous de cette sorte sont certainement dispersées en assez grand
nombre à travers l'Exposition, mais leur présence est difficile à déceler. D'autres Mutoscopes
sont installés au pied de la Grande Roue.
47. Félix Mesguich, Tours de manivelle : souvenirs d'un chasseur d'images, Paris, Bernard
Grasset, 1933, p. 31.
202 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

vers ou en prose rythmée composés par Bertol-Graivil, récités par


Mlle Varly ou chantés par Mmes Alberti et Nougier ; une musique
de François Thomé ; des arrangements de chansons populaires
françaises. Les représentations ont lieu, dans cette salle de 200 places,
de 14 à 19 heures et de 20 à 23 heures, aux prix d'un franc en matinée
et de deux francs le soir. Les motivations publicitaires ne sont pas
absentes de cette entreprise puisqu'une ville d'eau et plusieurs
de chemins de fer versent 14.000 F à la société des Voyages animés 48.
Bien que l'installation du pavillon soit achevée le 15 avril, date de
l'ouverture de l'Exposition, l'établissement reste fermé plus d'un mois
faute d'électricité. Le spectacle ne commence que le 29 mai et
lumineuse demeure encore quelque temps irrégulière et parfois
défectueuse :
Les interruptions de spectacle, les imperfections des représentations
qui n'avaient point d'autre cause que l'insuffisance de l'énergie
électrique ou son instabilité, furent mises par le public mécontent sur le
compte de l'attraction elle-même en sorte que, presque aussitôt après avoir
ouvert ses portes, la Société se trouva en butte aux dénigrements et à la
malveillance du public49.
En conséquence, les recettes sont peu élevées, en moyenne 265 F
par jour pendant les deux cent douze jours d'exploitation. Gaston
Manceaux-Duchemin obtient de l'administration une importante
de sa redevance, qui n'est plus que de 8.500 F au lieu de 33.500 F.
Même si leur existence ne dépasse pas celle de l'Exposition, les
Voyages animés sont reconnus comme une attraction de qualité et
reçoivent un succès d'estime :
Le spectacle (...) était des plus réussis, de l'aveu de tous ceux qui y ont
assisté lorsqu'il eut enfin obtenu une électricité convenable. Le Ministre du
Commerce fit venir les Voyages animés à deux reprises dans les salons du
ministère, et Monsieur le Commissaire adressa ses félicitations personnelles
au directeur de la Société50.
Les films de paysages accompagnés de poésies sont alors
comme une des formes les plus artistiques du spectacle
plus prisé que les ébauches de fiction par un public en
quête d'impressions esthétiques. Ces tentatives seront plusieurs fois
renouvelées dans la décennie suivante, en particulier en première partie
des programmes du Film d'art.

Les cinémas d'appoint.


A côté de ces théâtres exclusivement cinématographiques, d'autres
établissements, consacrés à des spectacles dramatiques ou de cabaret,
tentent d'accroître la rentabilité de leurs installations par des séances
de cinéma, soit en matinée si les représentations n'ont lieu qu'en soirée,
soit dans une salle inoccupée de leur bâtiment.

48. Jean Carcenac, « Les Voyages animés », Le Livre d'or de l'Exposition, Paris, Edouard
Cornély, 1900, t. II, p. 228 ; AN F '* 1332.
49. Mémoire de la Société des Voyages animés auprès du tribunal arbitral, AN F 12 4354.
50. Ibid.
LE CINÉMA À L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1900 203

Le Théâtre du Grand Guignol, voulant exploiter à l'Exposition la


vogue de l'établissement homonyme de la rue Chaptal, est spécialisé
dans la représentation de pièces humoristiques d'auteurs tels que Georges
Courteline ou Tristan Bernard. Dès 1899, Maurice Magnier, son
établit un contrat de sous-location d'une salle en sous-sol à la
Compagnie du Théâtrophone qui y procède à des auditions de scènes de
théâtre et de morceaux de concerts. Un accord est également passé avec
la succursale anglaise de la célèbre et ancienne société
américaine, 1' « American Mutoscope and Biograph company »,
fondée à New York en 1896. La « Biograph and Mutoscope company
for France», représentée à Paris par Julian W. Orde, mène depuis
Londres une politique active — et dangereuse pour les maisons
encore peu puissantes — d'insertion dans le marché français.
Les matinées sont ainsi réservées à des projections cinématographiques
organisées par la Biograph :
La Compagnie de son côté fournira l'appareil dit Biograph, un opérateur
au courant de son fonctionnement et des bandes de chronophotographies,
en quantité suffisante pour chaque spectacle. Elle s'engage à montrer au
Grand Guignol avant tous autres établissements les sujets nouveaux et à y
montrer autant que possible les sujets d'actualité51.
Ceci est un des rares exemples de contrat d'exploitation entre une
maison de production et un établissement de spectacles, où apparaît
déjà nettement la pratique de l'exclusivité.
L'administration, d'abord réticente car elle estimait les cinémas
suffisamment nombreux à l'Exposition universelle, finit par accepter
cette convention.
Le Grand Guignol est autorisé en outre à présenter des films
les entr'actes ou en première partie du programme. Cet usage,
fréquent dans les music-halls parisiens, semble provoquer une certaine
lassitude :
Entrez, entrez, Mesdames et Messieurs... et j'entre avec la foule... D'abord,
c'est le biographe un peu comme partout, mais ensuite quelques
52...
Le répertoire cinématographique du Grand Guignol ne comprend pas
seulement des « vues inédites, préparées spécialement pour l'Exposition :
scènes humoristiques et d'actualité, grands voyages » 53, mais aussi des
films « frisant l'obscénité, dont l'excessive légèreté n'est pas sans
nombre de visiteurs de l'Exposition » M. Ces films licencieux attirent
d'ailleurs l'attention de la censure du Bureau des théâtres.
Le cinéma intervient de façon moins marquante à la Roulotte,
théâtre de la rue de Paris dirigé par Louis Lartigue et Georges Charton.

51. Contrat d'exploitation, 9 novembre 1899, AN F12 4351.


52. Lucien Lheureux, « Croquis d'Exposition », L'Exposition et ses attractions, Paris,
Jules Rouff, 1900, t. XXII, p. 12.
53. Guide Lemercier de l'Exposition, Paris, Lemercier, 1900.
54. Minute d'une lettre du Bureau des théâtres au ministère de l'Intérieur concernant
les abus relevés à l'Exposition, 22 juin 1900, AN F21 1330.
204 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

III. n° 5. La parade du Grand Guignol devant deux pancartes annonçant le


« Biograph américain », ses horaires, son prix d'entrée et son
(Photo B.N., Arts du Spectacle, coll. Rondel).
LE CINÉMA À L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1900 205

Illustration non autorisée à la diffusion


206 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

II complète, avec des danses et des séances de physique amusante, le


programme principal composé de numéros de chansonniers et d'une revue
commentant l'Exposition au jour le jour55.

A sa clôture, le 12 novembre 1900, l'Exposition universelle avait,


dans l'enceinte intra muros où se trouvaient les palais officiels, les
pavillons étrangers et les attractions s6, reçu quarante-huit millions et
demi de visiteurs57, français et étrangers. Cette foule immense avait
pu y côtoyer ou découvrir douze stands de matériels cinématographiques
et dix-sept lieux de projections.
Des lieux de projections, certes, mais aucune nouvelle organisation
spatiale ou architecturale, fixe et spécialement conçue, préfigurant les
salles qui se multiplieront dans la capitale quelques années plus tard,
à partir de 1906. L'Exposition avait surtout offert au cinéma des locaux
à destinations multiples, des installations mobiles analogues à celles où
étaient données les séances itinérantes organisées par les exploitants
forains. De ce point de vue, elle fut une étape — prestigieuse, parfois
fastueuse — pour une attraction encore nomade.
Les promoteurs de ces projections avaient peu porté leurs recherches
sur les thèmes des films : surtout des documentaires, rarement des fictions,
aucun film comique. La mise en scène, la construction d'un imaginaire
proprement cinématographique ne furent pas privilégiées. On avait surtout
misé, à des fins didactiques, sur le pouvoir de reproduction du cinéma,
par la restitution de paysages ou de scènes de théâtre, l'effet « artistique »
n'étant tiré que de la « beauté » conventionnelle de la réalité reproduite.
Par là, la composition des programmes de l'Exposition diffère
des projections populaires des forains qui alors sillonnaient la
France. Ce projet élitiste sous-jacent d'instruire plus que de divertir
s'insère bien dans une des orientations majeures de l'Exposition, voulue
comme une gigantesque « école » nationale.
Les initiatives, les efforts, l'esprit d'invention, les crédits aussi
s'étaient essentiellement concentrés sur la technique du nouveau
On avait fait une large place aux améliorations, même si elles
n'étaient pas encore au point. Le cinéma était successivement, parfois
simultanément, parlant, en couleurs, géant ou panoramique. Pourtant,
ces tentatives n'étaient pas purement mécaniciennes. Elles visaient à
répondre aux frustrations ressenties par les spectateurs lors des pre-

55. Rapport général administratif et technique, op. cit., t. VII, p. 231 ; AN F 12 4353.
56. L'annexe de Vincennes réunit les sections les plus techniques et les machines
un espace étendu. Les éléments les plus spectaculaires y sont les « ballons captifs »
qui flottent au-dessus du Bois.
57. Le nombre total des visiteurs est de 50.860.801, dont 48,5 millions pour l'enceinte
urbaine et 2,5 millions pour l'annexe de Vincennes. L'Exposition de 1889 avait totalisé
32 millions d'entrées. L'augmentation est donc considérable, mais inférieure aux estimations
des organisateurs qui prévoyaient 60 millions de visiteurs.
LE CINÉMA À L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1900 207

mières expériences cinématographiques. Dès 1895-1896, les comptes rendus


de la presse avaient mêlé admiration pour les possibilités offertes et
regrets pour le défaut de son et de couleurs :
Assurément, il ne manque plus que deux conditions essentielles de la
vérité pour atteindre au but sans la moindre lacune. Il faudrait pouvoir
remplacer la monochromie de ces images par les vrais effets de couleurs et,
de plus, y joindre le son58.
Plus profondément, ces lacunes, ces tares originelles avaient suscité
chez Maxime Gorki un sentiment d'absence proche de l'angoisse :
J'étais hier soir au royaume des ombres. Si vous saviez comme cela est
étrange. C'est un monde silencieux, sans couleurs. (...) Ce n'est pas la vie,
mais son ombre, ce n'est pas le mouvement, mais son spectre muet 59.
Il faut s'interroger sur les raisons du succès relatif du cinéma à
l'Exposition. Il n'y avait eu, chez les organisateurs, les entrepreneurs ou
les visiteurs, aucune réticence initiale. Si les cinémas avaient connu
des difficultés financières, celles-ci avaient également touché l'ensemble
des spectacles payants et des commerces. Une pittoresque brochure, en
forme de faire-part de décès, exprime le mécontentement des
en novembre 1900 :
Vous êtes priés d'assister aux convoi, service et enterrement de la grande
foire parisienne connue sous le nom d'Exposition universelle de 1900, décédée
à la suite d'une formidable faillite aiguë. (...) Des draperies noires, emblèmes
de deuil, décoreront les façades du Grand Guignol, de la Maison du rire, du
Globe céleste, etc., semées de larmes funéraires fournies par les adjudicataires
qui pleureront leur belle galette *o.
Il est vrai que le cinéma a réalisé des recettes plus faibles que
les autres types d'attractions61. Mais, s'il avait suscité un nombre
de projets, il avait attiré des investissements financiers plus
modérés que les attractions traditionnelles. Paradoxalement, le succès
s'était plus porté sur les séculaires panoramas que sur la récente
invention, alors qu'il y eut, dans les années qui suivirent l'Exposition,
une corrélation entre leur rapide déclin et l'expansion du cinéma.
Autre exemple : la réussite du cinématographe géant Lumière, qui reçut
1.400.000 spectateurs, fut largement dépassée par celle de la Salle des
Illusions, grande pièce hexagonale où se réfléchissaient des jeux de
lumière, qui fut visitée par 2.772.600 personnes62. Le cinéma n'a donc
pas exercé une attirance particulière. Il ne fut pas ressenti, dans ce
cadre, comme une attraction révolutionnaire, mais s'est inscrit dans

58. Léon Vidal, Bulletin de la Société française de Photographie, 1895, p. 397.


59. Maxime Gorki, Nizhogoroski Litok, 4 juillet 1896, cité dans : J. Deslandes et
J. Richard, op. cit., t. I, p. 278.
60. L'Enterrement de l'Exposition, Paris, impr. Léon Hayard, 1900, APP BA 125.
61. Voir en annexe les chiffres des recettes brutes des principales attractions citées.
62. Rapport général administratif et technique, op. cit., t. VI, p. 119.
Quatorze ans plus tard, le cinéma qui fonctionne au Musée Grévin depuis 1901 et ne
peut plus soutenir la concurrence des multiples salles parisiennes sera remplacé par le
Palais des Illusions. Réplique exacte de cette attraction de l'Exposition universelle, dû au
même architecte, Eugène Hénard, il connaîtra un vif succès qui se perpétue de nos jours.
208 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

une tradition de techniques de reproduction et de spectacles d'illusion


dont il apparaît plus un avatar industriel qu'un substitut perfectionné.
Dans l'évolution encore indécise du cinéma à ses débuts, l'Exposition
universelle de 1900 représente une parenthèse sans lendemains immédiats,
un épisode glorieux et marginal. Glorieux, par la consécration qu'elle
apporta à l'invention et au rôle des frères Lumière, par les spectacles
autonomes, neufs, variés, qu'on y trouva, par l'hétérogénéité des publics
qu'elle attira. Marginal aussi, cependant : de même que les palais et
furent pour la plupart détruits et que le centre de Paris,
transfiguré, fut remis en son état primitif, lorsque l'événement
fut révolu, lorsque la fête fut finie, le cinéma a continué d'être, et pour
quelques années encore, un numéro complémentaire des spectacles de
music-halls, de cafés-concerts, de cirques, une attraction promotionnelle
de grands magasins ou de musées de cire, un divertissement de foires.
Microcosme d'un monde à venir, greffe éphémère et presque exotique
dans la cité parisienne, l'Exposition universelle de 1900 fut aussi, pour
le cinéma, un prodigieux sujet d'actualité que filmèrent les opérateurs
des principales maisons de production et que, grâce à eux, découvrirent
des publics éloignés, assurant ainsi à cette manifestation une audience
qu'aucune des Expositions universelles antérieures n'avait pu avoir.
Emmanuelle Toulet,
Bibliothèque nationale,
Département des Arts du spectacle.
LE CINÉMA À L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1900 209

ANNEXE

Recettes brutes des principales attractions citées a


Panoramas fixes :
— Panorama de Madagascar 361.398,25
— Panorama Marchand 137.416,50
— Panorama transatlantique 109.370,25
— Diorama saharien 44.326,85
Panoramas animés :
— Maréorama 588.197,75
— Panorama transsibérien 257.386,75
— Stéréorama mouvant 219.731,00
Panorama comprenant un cinéma :
— Panorama du Tour du Monde 691.245,25
Cinématographes :
— Phono-Cinéma-Théâtre 62.787,50
— Voyages animés 41.426,77
— Théâtroscope 25.178,95
— Phonorama 6.704,80
— Cinématographe algérien 5.885,35
Théâtres comprenant un cinéma :
— Grand Guignol 134.813,60
— Roulotte 121.600,15

63. Chiffres recensés par l'administration de l'Assistance publique, publiés dans


l'Annuaire statistique de la ville de Paris : 1900, Paris, Masson, 1902, p. 519.

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