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Toulet Emmanuelle. Le cinéma à l'Exposition universelle de 1900. In: Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 33
N°2, Avril-juin 1986. Cinéma et société. pp. 179-209;
doi : https://doi.org/10.3406/rhmc.1986.1356
https://www.persee.fr/doc/rhmc_0048-8003_1986_num_33_2_1356
plutôt un inextricable mélange des courants les plus opposés, qui crée
une esthétique cosmopolite et gaie : le palais florentin y voisine avec
la mosquée, la cathédrale gothique, le temple grec et la pagode
Des jeux de lumière mettant en valeur ces fantaisies
donnent « l'illusion sublime d'un port oriental en fête » 2. Alors
que l'Exposition de 1889 avait rendu hommage à la puissance
l'Exposition de 1900 consacre principalement le règne de la « fée
électricité » :
La véritable souveraine de l'Exposition de 1900 sera l'Électricité, cette
jeune et brillante fée qui dote l'industrie contemporaine des deux facteurs
principaux : le mouvement et la lumière 3.
La classe 12.
L'analyse de la place du cinéma dans la classification propre à
l'Exposition doit d'abord retenir l'intérêt. Les objets et les activités
présentés dans les divers palais et pavillons, soumis aux jurys
et susceptibles de recevoir des récompenses, sont répartis en
18 groupes divisés en 121 classes. Le cinéma fait partie du groupe III
(Instruments et procédés généraux des lettres, des sciences et des arts),
intercalé entre la classe Typographie, Impressions diverses (classe 11)
et la classe Librairie; éditions musicales. Reliure. Journaux, affiches
(classe 13). Il n'est donc rattaché ni au groupe I (Éducation et
ni au groupe II (Œuvres d'art). A l'intérieur du groupe III,
il est intégré à la classe 12, intitulée Photographie, et n'a pas non plus
été rapproché de la classe 18 (Matériel de l'art théâtral). Il est traité
d'une manière restrictive, seulement comme un dérivé de la
— à laquelle est également associée une autre invention récente,
les Rayons X — et comme une technique de reproduction, proche de
l'imprimerie.
Il est intéressant de relever que, lors de l'Exposition internationale
des arts décoratifs de 1925, le cinéma sera encore associé à la
pour former la classe 37 (Photographie, cinématographie), mais
celle-ci sera rattachée au groupe V (Enseignement). Il sera en outre
rapproché de la classe 25 du groupe IV (Arts du théâtre, de la rue et
des jardins) puisqu'un seul et même tome du Rapport général (t. X :
Théâtre, photographie et cinématographie) leur sera consacré.
En 1900, le comité d'installation de la classe 12 comprend seulement
deux personnalités liées au cinéma, Jules-Étienne Marey, qui en est le
président, et Louis Lumière. Le jury international n'est composé, à
l'exception de Marey, que de représentants de la technique et de l'art
photographiques .
6. Georges Brunel, Le Kinétograph Méliès et Reulos, Paris, 1897, pp. 52-53, cité dans
J. Deslandes, op. cit., t. II, p. 416.
7. Ibid., t. II, pp. 259-261.
LE CINÉMA À L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1900 183
de perforation ; mais son avis ne sera pas partagé par les autres
au congrès.
III. nc 1. Une
(Photo
séance
Cinémathèque
de cinématographe
Française).géant Lumière dans la salle des fêtes
188 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE
A h Coin de l'Avenue
EN FACE
de DE
Saffren
LA GARE
et tiu Quai d'Orsay
III. no 3. Rondel).
Publicité pour le Maréorama (Photo B.N., Arts du Spectacle, coll.
194 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE
plusieurs dioramas présentant les pays desservis par les paquebots de
la Compagnie des Messageries maritimes. S'y trouve également une salle
de théâtre où les projections cinématographiques alternent avec des
spectacles de danses orientales29. Ces films, tournés aux escales des
lignes de la Compagnie des Messageries maritimes par Thévenon, un
envoyé de la maison Lumière, sont projetés par ce même opérateur au
rythme de dix bandes par représentation, de 13 à 18 heures et de 20 à
23 heures30. Le Palais du Tour du monde reçoit un des sept grands prix
décernés aux attractions.
Le dernier des cinémas de ce type présente un caractère publicitaire
encore plus marqué. La société de vins de Champagne E. Mercier fait
édifier une curieuse petite construction en ciment armé aux toits pointus
et aux escaliers en colimaçon. Au rez-de-chaussée, un panorama-diorama
célèbre la fabrication des vins de Champagne et les caves de l'entreprise.
Au second étage, un cinéma reproduit les vignobles, les phases de la
culture, les travaux de préparation ainsi que les principaux monuments
et lieux historiques de la Champagne31.
Le Cinéorama.
De ces cas où les deux attractions sont seulement rapprochées, on
doit distinguer une tentative — unique — de synthèse : le Cinéorama.
Il est l'œuvre de l'inventeur Raoul Grimoin-Sanson qui, dès le 13
1896, avait fait breveter un procédé de panorama où la toile peinte
était remplacée par des projections cinématographiques 32 :
Ici, nous trouvons aussi le mouvement, nous avons la couleur, mais aucun
mécanisme n'actionne la toile de fond qui, du reste, n'existe pas : l'image
circulaire qui nous entoure est fugitive, c'est une projection et, qui plus est,
une projection cinématographique 33.
Un panorama par projections fixes avait été conçu en 1896, à Chicago,
par un nommé Chase, sans fonctionner réellement.
Raoul Grimoin-Sanson imagine un vaste bâtiment circulaire de cent
mètres de circonférence, dont les parois blanches servent d'écran
Le centre de la salle est occupé par une immense nacelle
munie des accessoires habituels, ancre, cordages, sacs de lest, échelle.
Le plafond est tapissé d'une draperie imitant l'enveloppe de l'aérostat,
avec ses agrès, ses attaches, son guiderope et son ouverture de soupape.
Sous la nacelle sont fixés dix appareils synchronisés qui, l'obscurité faite,
projettent les vues d'ascensions, de voyages en ballon et d'atterrissages,
ces derniers obtenus en passant le film en arrière.
29. L'Exposition et ses attractions, Paris, Jules Rouff, 1900, t. IV, p. 95.
30. BHVP, Actualités 122, XII.
31. Guide offert aux visiteurs du pavillon du champagne Mercier.
32. La teneur du brevet d'invention du Cinéorama, la réalisation des appareils, la prise
de vues des films sont étudiées dans Jacques Deslandes et Jacques Richard, Histoire comparée
du cinéma, op. cit., t. II, pp. 39-51.
33. G. Mareschal, « Les panoramas de l'Exposition : Le Cinéorama-ballon », La Nature,
n° 1417, 21 juillet 1900, pp. 119-122.
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36. Ni les cartons des Archives nationales ni ceux des Archives de la Préfecture de
police ne renferment de renseignements sur la date d'ouverture du Cinéorama, le nombre
effectif des représentations et la décision de fermeture. De plus, nous n'avons pu retrouver
dans la presse de traces de son inauguration ou de sa suppression. Nous sommes donc
contraints sur ce point de suivre le récit de Raoul Grimoin-Sanson, repris d'ailleurs par les
historiens du cinéma qui ont abordé cette question.
37. Rapport général administratif et technique, op. cit., t. VII, p. 247.
38. Lettre d'Alfred Picard, commissaire général de l'Exposition, 25 octobre 1900, AN
F « 4352.
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tous les pays et l'ouvrir aux jeunes talents. Ils reconnaissent, dans
le Rapport général administratif et technique, avoir échoué dans ce
projet — en grande partie en raison des résistances des théâtres
permanents — et ils doivent admettre que les spectacles de la
rue de Paris, même s'ils attirent les foules par leur éclectisme et la
multitude des parades, ne sont pas toujours d'une excellente qualité
ni d'un très haut intérêt. Si les petits guides de l'Exposition décrivent
la rue de Paris comme agréable, illuminée le soir, bordée d'édifices
séduisants, prisée par le public parisien le plus élégant, où il est de
bon ton de se promener, les dossiers administratifs et parfois la presse
nous découvrent une artère défoncée, boueuse, sombre, encore
de gravats plusieurs mois après son ouverture.
Les entrepreneurs de spectacles sélectionnés, qui avaient triomphé
d'une concurrence sévère grâce à l'intérêt et au sérieux de leur projet,
à la valeur et à la sûreté de leurs capitaux, ou à l'importance de leurs
appuis, doivent rapidement convenir que leur établissement n'offre pas la
rentabilité escomptée. Beaucoup connaissent l'insuccès et des difficultés
financières importantes, parfois suivies de liquidations judiciaires, de
saisies, de faillites. La plupart des concessionnaires déposeront auprès de
l'administration des demandes de réduction des redevances. Des arbitres
seront désignés et les jugements leur accorderont parfois des
substantielles. Leurs griefs principaux sont : mauvaise viabilité,
pauvreté de l'éclairage nocturne, déficience des moyens de
sur la Seine, absence de fêtes officielles dans cette partie de
l'Exposition. Mais ces chefs de réclamation sont rejetés par
Autre motif de plainte, qui touche particulièrement les
: le retard et l'irrégularité de l'alimentation électrique. La
distribution de l'électricité n'est pas prête pour l'inauguration et
attractions doivent retarder leur ouverture ou installer elles-mêmes
des groupes électrogènes puisque seul l'éclairage électrique est autorisé
dans les salles de spectacles.
A la suite de l'incendie du Bazar de la Charité, le 4 mai 1897, une
ordonnance du Préfet de police « concernant les théâtres, cafés-concerts
et autres spectacles publics », du 1er septembre 1898, avait édicté les
mesures réglementaires s'appliquant au cinéma39. Ces consignes de
sécurité interdisaient l'emploi des lampes à carburateur oxy-éthérique —
qui étaient à l'origine de l'incendie de la rue Jean-Goujon — et
les premières normes de construction des salles de cinéma,
l'aménagement de la cabine de projection. Celles-ci doivent être
respectées pour l'édification de cinémas dans l'enceinte de
l'Exposition universelle. Les contrôles des services techniques du
général, fréquents et sévères, ne sont pas exercés avec une
spéciale sur les cinémas. Ni l'attitude des organisateurs — qui
n'hésitent pas à réunir des foules importantes pour les projections
III. n° 4. Programme
(Photo B.N.,illustré
Arts dupar
Pbrte43,
Spectacle,
François
RuéTéléphone
de fParis
Flameng
Pont des
coll. Rondel).
530-60
Invalides
pour»_ le_ Phono-Cinéma-Théâtre
)
;
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visité et qui mérite le grand succès qu'il obtient auprès du public » 42,
est contredit par l'analyse de la situation réelle de ce cinéma.
En effet, loin d'attirer les foules, le Phono-Cinéma-Théâtre ne
pas la faveur des visiteurs. Depuis l'ouverture, le 29 avril 1900,
les recettes ne cessent de décroître. Paul Decauville augmente le prix
d'entrée, tente de lancer des vendredis de galas, puis abandonne, dès
le mois d'août, les projections dans l'une des deux salles où elles sont
remplacées par une exposition sur les couveuses pour enfants avec quête
auprès du public. Au bout de deux mois d'exploitation, les bénéfices n'ont
pas couvert les frais de construction du pavillon et le concessionnaire
réclame à l'administration une indemnité de 150.000 F. En plus des griefs
généraux exposés ci-dessus, il dénonce la concurrence que lui aurait faite
le cinématographe géant Lumière de la salle des fêtes. Les représentants
de l'administration refusent de prendre en considération cet argument,
en invoquant le fait que le cinématographe géant fonctionne seulement
en soirée et depuis le mois de juin, et en soulignant l'éloignement et la
différence des deux spectacles. Cette désaffection s'explique sans doute
par la qualité médiocre de l'image, du son et par leur synchronisation
imparfaite. Il semble en outre que le répertoire, composé de séquences
brèves, ait été trop limité pour alimenter un spectacle durable, ce que
fait supposer cette réplique de l'administration : « Ce qu'il fallait, c'était
renouveler le spectacle » 43.
Cet échec, dû plus aux circonstances particulières et à la vive
concurrence qu'à la valeur du spectacle, n'arrête pas la carrière du
Phono-Cinéma-Théâtre. Une société anonyme, au capital de 100.000 F,
est formée le 2 mars 1900 pour l'exploitation du Phono-Cinéma-Théâtre
à l'Exposition universelle ainsi que pour la construction de
phonographes et accessoires et pour l'installation de cette
attraction en divers lieux. Paul Decauville sera remplacé, en 1901, à la
présidence du conseil d'administration par Marguerite Vrignault, qui
dirige l'établissement de la rue de Paris. Le Phono-Cinéma-Théâtre sera
présenté quelque temps à l'Olympia, en 1901, puis partira en tournée
à travers l'Europe.
Dans un bâtiment adjacent au Phono-Cinéma-Théâtre, Alfred Bréard
avait l'intention de présenter une attraction baptisée Théâtroscope :
Le Théâtroscope est l'apothéose naturelle des attractions du genre
Il possède l'avantage de reproduire instantanément sur plusieurs
écrans à la fois des images réelles de scènes animées, au moment même où
elles se passent, présentées sous différents aspects et sans entr'acte aucun. De
plus, il permet de reproduire l'exactitude des couleurs, le naturel des
ainsi que l'émission de sons, et jouit d'une précision et d'une stabilité
parfaites, sans donner lieu à aucune espèce de manipulations dangereuses44.
Le Théâtroscope apparaît, dans cette déclaration, l'aboutissement
parfait et imaginaire de l'invention des frères Lumière. Il se fonde
48. Jean Carcenac, « Les Voyages animés », Le Livre d'or de l'Exposition, Paris, Edouard
Cornély, 1900, t. II, p. 228 ; AN F '* 1332.
49. Mémoire de la Société des Voyages animés auprès du tribunal arbitral, AN F 12 4354.
50. Ibid.
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55. Rapport général administratif et technique, op. cit., t. VII, p. 231 ; AN F 12 4353.
56. L'annexe de Vincennes réunit les sections les plus techniques et les machines
un espace étendu. Les éléments les plus spectaculaires y sont les « ballons captifs »
qui flottent au-dessus du Bois.
57. Le nombre total des visiteurs est de 50.860.801, dont 48,5 millions pour l'enceinte
urbaine et 2,5 millions pour l'annexe de Vincennes. L'Exposition de 1889 avait totalisé
32 millions d'entrées. L'augmentation est donc considérable, mais inférieure aux estimations
des organisateurs qui prévoyaient 60 millions de visiteurs.
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