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Histoire du cinéma

Monsieur MELON
4h/semaine
Lundi 14h-18h salle Kurth

Objectif du cours : Apprendre à regarder un film autrement que comme un simple objet
de divertissement. S’intéresser au son, aux images, au récit, au contexte historique…

Remarques : Notons que chaque film à un contexte historique qui le détermine, chaque
film doit rencontrer son public (de l’époque à laquelle paraît un film). Ex :
Métropolis/Hitler.
Chaque film est un texte qui a son contexte, contexte qui permet de comprendre
comment et pourquoi les films sont réalisés.
Le cinéma est un objet de recherches scientifique (théories du cinéma : porte sur le
langage, l’esthétique, l’histoire, la sociologie, la philosophie…)
Buts : Savoir-voir-concevoir (les concepts et les notions).

Travail personnel : rédiger des fiches de visionnement dans le but d’acquérir les notions
et les concepts vus au cours. Etre capable d’établir un rapport entre ce qui a été vu au
cours et un nouvel objet non vu au cours. Rapport film/cours (et concepts vus au cours).
Etre capable de penser par soi-même sur un objet.

Rappel : Le centre audiovisuel de Liège (CAV) loue aux étudiants toutes sortes de DVD,
de livres, de revues,… en rapport avec le cinéma.

Séance n°1 : PRE-HISTOIRE ET INVENTION DU CINEMA

Intro : avant le cinéma (pré-cinéma, pré-histoire du cinéma, histoire des machines à


images). Le cinéma, né fin du 19e, inventé en 1895, n’est pas né de rien. Il est produit de
beaucoup de découvertes qui remontent à la plus haute Antiquité. Le cinéma est né de la
convergence de plusieurs lignes narratives :
- la camera obscura
- les spectacles de projection
- des recherches scientifiques autour de la physionomie de la vision
- la photographie (1839)

Le système de pochoir (qui consiste à


appliquer un pigment sur une main
posée, doigts écartés, sur une paroi
rocheuse -> qui représente donc des
mains négatives) est le premier
système de reproduction d’image et il
date d’entre 27000 et 20000 ans avant
aujourd’hui.

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1) La camera Obscura

Aristote, au 4e siècle ACN, décrit


ce qui est un phénomène naturel.
Il faut une chambre obscure (ou
chambre noire) dans laquelle il
n’y a aucune lumière sauf celle
qui rentrera dans la chambre
noire par une toute petite
ouverture. Et puisque un rayon
lumineux se propage en ligne
droite, les quelques rayons
lumineux qui pénétreront dans la
chambre obscure par la petite
ouverture créeront une image
projetée sur le mur du fond de
cette chambre noire, autrement
appelé le plan de projection. Le
plan de projection est donc l’endroit où est projetée l’image, qui est doublement
inversée : haut-bas et droite-gauche. Ajoutons que l’image est colorée, et que si (dans ce
cas-ci) le château bougeait, son image bougerait aussi.
Ce phénomène naturel est un phénomène que l’on peut décrire avec la Camera Obscura.
(Un autre scientifique qui s’intéressa particulièrement à la lumière à l’époque fût le

scientifique EL Hazen, physicien arabe du 11e siècle.)

- Usages scientifiques :
Cette Camera Obscura va être utilisée pour des usages scientifiques, en particulier en
astronomie pour observer notamment les éclipses du soleil, car on ne peut pas regarder
directement le soleil sans se bruler les yeux. Leonard De Vinci utilisera lui-même la
Camera Obscura pour observer des phénomènes astronomiques. Le moine anglais Roger
Bacon ou encore Guillaume de St Cloud (13e s) utiliseront également la Camera Obscura
pour des usages scientifiques. Un autre astronome, Abbé Nollet, début du 17e, compare
la chambre noire et l’œil humain. La Camera Obscura permet de comprendre le
fonctionnement des yeux. C’est donc bien un instrument à finalité scientifique.

- Usages spectaculaires :
Lors des débuts de la Camera Obscura, il était possible de pénétrer dans la chambre
noire. Giovanni Battista della Porta montre, dans son livre « Magiae Naturalis », en 1558,
que la Camera Obscura est l’ancêtre des spectacles de cinéma puisque dans la chambre
obscure sont adressés, pour un public qui découvre une mise en scène rien que pour lui,
des spectacles d’illusion (comme au cinéma). Ces gros effets d’illusion sont mis en scène,
on joue la comédie (« magie naturelle » qui est un produit des lois de l’optique). Souvent,
pour ces spectacles, de la musique est souvent ajoutée -> on est vraiment dans des
spectacles audiovisuels, des spectacles de divertissement qui se rapproche encore une
fois de notre cinéma.

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- Usages artistiques :
A partir du 18e siècle, la Camera
Obscura devient portative (elle était à
l’époque très difficile à transporter),
avec un miroir à l’intérieur qui
réfléchit les rayons de la lumière.
Beaucoup de peintres
, comme par exemple Canaletto,
utilisent la Camera Obscura pour
produire des dessins.
A l’heure d’aujourd’hui, on retrouve
toujours des petites Camera Obscura
dans les appareils photo, les caméras,
les gsm,… Car pour qu’il y ait image, il
doit y avoir projection de cette image.

2) Les spectacles de projection

- Les théâtres d’ombre :


Pratiqués en Chine, au 11e siècle.
Pratiqués aussi en Inde, avec une
fonction religieuse : les
« mahabharata », des textes sacrés
écrits pour les spectacles d’ombre et
qui racontent des faits qui se sont
déroulés. Pratiqués aussi en Indonésie,
et très répandus (wayang kulit ->
spectacles d’ombre actuels, voir photo
ci-contre).
Tous ces spectacles d’ombre se
répandent et arrivent en France au 18e siècle avant de se généraliser partout en Europe
au 19e siècle. L’ombre, c’est l’image déformée de la personne (transformations
instantanées).

- Le Panorama et le Diorama :
A la fin du 18e (1787), on est en plein dans l’industrie du Panorama avec Robert Barker
qui invente une peinture circulaire (donc à 360°) dont la taille est si gigantesque qu’elle
absorbe l’observateur dans la scène représentée. Louis Daguerre mettra en place une
dérivée du Panorama, c’est le Diorama. Dispositif : le public rentre dans une salle, devant
une grande toile peinte, éclairée par la lumière du jour qui rentre par l’arrière de la salle.
Des opérateurs font varier la luminosité (par exemple en ouvrant et en fermant des
volets). En fonction de l'intensité, de la direction de la lumière et de l'adresse des
opérateurs pour manipuler ces sources, la scène semblait se modifier. Les effets étaient
si subtilement rendus que le public demeurait ébahi, croyant observer des scènes
réelles. Certains dioramas comportait des bougies dont la flamme, en s'éteignant, laissait
apparaître la mèche incandescente (le public voyait surgir des flammes, par ex d’un
volcan) et sa traînée de fumée. Il faut savoir que la toile était peinte des deux côtés, puis
éclairée grâce à un système complexe de miroirs et de verres colorés, cachant certaines

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parties, éclairant d’autres. Pour finir, la musique s’accordait parfaitement avec la
luminosité. On peut conclure que, à l’heure où ni le cinéma, ni la photographie n’avaient
vu le jour, Daguerre avait déjà imaginé « le son et la lumière ». Daguerre a peint
beaucoup de diorama, et il a illustré notamment des événements d’actualité.

- La lanterne magique :
Cette machine, dans laquelle on trouve une lampe dans la
lanterne, servait à projeter des images. Des « montreurs »
réalisaient ces petits spectacles de projection d’images,
ils voyageait un peu partout en Europe, leur lanterne sur
le dos, et faisaient leurs petits spectacles chez les gens,
etc. Encore une fois, ces projections d’images relataient
soit d’un fait d’actualité, soit du fantastique.
Les prédicateurs (=religieux) utilisaient aussi la lanterne
magique pour provoquer la peur chez les gens, car les
gens croyaient à la réalité de ces illusions. Au 19e siècle,
la lanterne magique est perfectionnée et les plaques
deviennent animées, fondus enchainés entre les
différentes images (ex : le coup de bâton animé). On
invente également, vers 1900 ; la lanterne magique
familiale, que les bourgeois peuvent acheter. Cette
lanterne magique familiale donne des idées aux
scientifiques qui, fin du 18e, projettent des plaques pédagogiques, dans l’enseignement
par exemple. De plus, ce sont également les débuts des microscopes solaires, qui captent
la lumière du soleil pour projeter des organismes.

- Les fantasmagories :
Cette invention est mise au point au
tout début du 19e siècle par Paul
Philidor.
Robertson s’en servira également
pour créer des spectacles de
fantasmagorie, dans un couvent
gothique en ruines, à partir d’un
dispositif de rétroprojection.
Robertson fait simplement des roues
à la lanterne magique pour créer des
images en mouvement. Les
spectacles de fantasmagorie :
projections sur un rideau de fumée,
dans un endroit obscure, de figures
lumineuses et le plus souvent diaboliques, surnaturelles (tête de Danton, la nonne
sanglante,…). A l’aide d’un mégascope (espèce de chambre obscure, éclairée par une
lampe, qui est un appareil d’agrandissement), on arrive à produire des images d’objets
en 3D.

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3) Projection 1 : Reconstitution des fantasmagories de
Robertson

Dans cette reconstitution, on comprend que Robertson joue sur la croyance grâce aux
illusions. Le publie paye tout en sachant qu’il va ressentir de la peur. C’est peut-être bien
la première fois que l’on paye pour avoir peur.

4) La physiologie de la vision et l’illusion du mouvement

Domaine scientifique qui s’exprime à travers des activités ludiques. Le 19e siècle est une
période très riche en recherches. Beaucoup de savants étudient la persistance
rétinienne, connue depuis longtemps. L’image lumineuse persiste pendant un laps de
temps, équivalant à 1/12 de seconde, sur la rétine (donc dans le cerveau). La persistance
rétinienne est un phénomène scientifique étudié pour comprendre les mouvements.

- Le Thaumatrope (1825) :

Une image est dessinée sur un cercle de carton


tenu par deux cordelettes. Le carton tourne sur
lui-même. Un côté cage, un côté singe mais nos
yeux voient un singe dans une cage. Ce que voit le
spectateur n’existe pas matériellement (illusion
d’optique).

- Le folioscope (ou mutoscope) :


Carnet avec un dessin sur chaque page, formant une histoire quand on le feuillette très
rapidement.

- Le phénakistiscope (1833):
Le phénakistiscope est inventé par Joseph
Plateau, un très grand savant belge, né à
Bruxelles et qui fit ses études à l’ULg (études de
chimie, physique et de math). Il enseigna à
Gand. Il réalisa une thèse sur les impressions
produites par la lumière sur l’organe de la vue -
> d’où l’invention du phénakistiscope (trompe
l’œil), appareil qui permet de voir un
mouvement à partir de simples figurines
dessinées sur un disque. Un disque est percé en
12 fentes, l’œil vient se placer derrière une de
ces fentes, on fait tourner le disque et lorsqu’on
regarde par ces fentes, on observe une image en

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mouvement. Pourtant, lorsque le disque est à l’arrêt, les figurines ne sont plus en
mouvement. En réalité, à chaque fente est associé une image et donc en une seconde,
l’œil perçoit 12 images. La rétine conservant l’image dans le cerveau 1/12 de seconde,
cela crée une illusion de mouvement. Il existe une variante du phénakistiscope, c’est le
zootrope. La différence est que les figurines sont dessinées sur une bande de papier
placée à l’intérieur d’une toupie mais le principe est le même, 12 fentes, 12 images
différentes à la seconde.

- Le Praxinoscope (1877) :

Le Praxinoscope est créé par Emile Reynaud, qui n’est pas un homme de science (action
de regarder une action). Dans une toupie, il
place, en plus de la bande de figurines, 12 petits
miroirs les uns à coté des autres, cela crée un
mouvement saccadé. Chacun des 12 miroirs
reflète un des 12 dessins. Lorsque la toupie
tourne, on perçoit donc 12 images à la seconde
donc une continuité du mouvement. Reynaud
dessine des bandes qu’il fait imprimer pour que
les personnes ayant acheté le Praxinoscope
puissent changer de dessin, renouveler les
images (un peu comme un DVD dans un lecteur
DVD). Le Praxinoscope est la première machine
à images dessinées animées. Il existe ici une
variante du Praxinoscope, le Praxinoscope-théâtre, dans lequel la figurine en
mouvement est placée dans un décor, comme au théâtre.

5) La photographie

Nicéphore Niepce cherche le moyen de reproduire des images. Il arrive à un premier


résultat en utilisant une couche photosensible à base de bitume de Judée mais les
résultats s’effacent rapidement de la plaque photosensible. A partir de là lui vient l’idée
de fixer l’image de la chambre noire, obtenue par la Camera Obscura. Il exposa une
plaque d’étain couverte de ce bitume de Judée durant environ 10 heures et sous
l’exposition de la lumière. Ce procédé est appelé l’héliographie et de là nait la première
image photographique, en 1826 (point de vue pris d’une fenêtre, le point de vue du
Gras).
Un deuxième homme, Daguerre, intervient dans
l’invention de la photographie. C’est un
redoutable homme d’affaire passionné par les
images et qui chercher à fixer celles-ci. Il
comprend que l’image n’a pas besoin d’exister 12
heures pour être fixée, contrairement à ce que
croyait Nicéphore Niepce. Sur une plaque de
métal, Daguerre expose l’image seulement 20
minutes (Boulevard du Temple, Paris, 1839, voir
photo ci-contre). Malgré tout, ce procédé est

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encore trop lent car la trace des gens qui passaient sur le boulevard a disparu. Suite à
cela, Daguerre publie un livre dans lequel il explique son invention, l’Etat lui rachète
cette invention et elle est mise à la portée de tous.
En Angleterre, WHF Talbot invente le calotype en 1834, un procédé photographique sur
papier qui désigne à la fois le positif et le négatif. Le fait que l’image soit sur papier va
permettre, à l’époque, que la photographie soit reproductible.

6) Premières convergences des recherches

1) Le théâtre optique d’Emile Reynaud


Notons que Reynaud est un véritable
artiste. Il associe ses recherches du
praxinoscope avec celles de la
projection, mais tout en gardant l’idée
d’une suite d’images dessinées sur du
verre et qui défilent. Il projette ces
images, créant ainsi de tous petits films,
les toutes premières séquences d’images
animées sur grand écran.
A la toute fin du 19e siècle, le cinéma
créera sa ruine car, en tant que véritable
artiste, il accorde trop de temps à la
réalisation de ses images. Ne connaissant
plus de succès à cause d’un dispositif trop compliqué face à celui du cinéma, Reynaud
détruit toute son œuvre. Mais convergence de deux histoires : projection et illusion du
mouvement.

2) Life models
Plaques photographiques pour lanternes magiques. Ce sont des mises en scène :
comédiens, décors, effets spéciaux… Les life models sont souvent accompagnés de
chansons qui racontent l’histoire en image -> très proche du cinéma, mais les images
sont fixes.

3) La chronophotographie
A Palo Alto, aux Etats-Unis, on veut savoir si, lorsqu’un cheval est au galop, ses sabots
touchent le sol ou non, comme le montre le tableau de Théodore Géricault. Le peintre a-
t-il raison ou non ? Eadweard Muybridge en fait l’expérience, pour son client Leland
Stanford. Sur un grand terrain dans lequel est placé un abri avec une longue fenêtre, il
place 12 appareils photographiques derrière cette fenêtre. La photo est devenue
instantanée et l’obturateur est relié à un fil que le cheval touchera pendant sa course, ce
que déclenchera l’obturateur. Cette expérience permettra de constater que lorsqu’un
cheval est au galop, à un moment donné, ces 4 sabots ne touchent plus le sol.
Nous sommes en 1878 et ces 12 images obtenues par la photographie font le tour du
monde. En France, un scientifique qui étudie le mouvement des oiseaux (Etienne Jules
Marey) avec un système compliqué. Suite à la découverte de ces 12 images, il s’inspirera
de Muybridge pour créer d’abord le fusil photographique, puis un chronophotographe à
plaques fixes : à l’aide d’un seul objectif (contrairement à Muybridge), et avec des sujets
clairs sur fond noir, la plaque photographique est exposée plusieurs fois à la lumière par

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un obturateur à disque, disque contenant des fentes, et tournant. En conclusion, en
tournant très rapidement le disque, on peut prendre plusieurs images sur la même
plaque photo.
Autre exemple : la balle rebondissante
1886, petit à petit, Marey perfectionne son appareil photographique qui permet de
décomposer le mouvement. Cependant, son appareil ne permet pas de recomposer le
mouvement (étant un scientifique, il n’y voit aucun intérêt pour la science). Mais, son
assistant George Dementy, voit l’intérêt de recomposer le mouvement. Dementy se
photographie (ses photos sur un disque), en train de dire en articulant comme il faut « Je
vous aime ». 1892, c’est l’invention du phonoscope. Il veut donner une image visible
d’une parole qui peut s’entendre -> rapport son/image. Le résultat est de petits films
tremblotants, ce sont les tous premiers films, mais ils ne conduisent pas à une
exploitation industrielle.

Par contre…

7) L’invention du cinéma
Thomas Edison. En 1877, il
invente le phonographe, qui
enregistre et reproduit les
sons. Il est également
l’inventeur de l’ampoule
électrique. Edison va lui aussi
s’intéresser à la reproduction
des mouvements. Il invente le
kinétographe (sorte d’ancêtre
de la pellicule) et le
kinétoscope (qui permet de
regarder le film), le tout
créant une machine à
visionnement individuel (voir photo). Le film est produit dans un studio. « Black Maria »,
tout premier studio de l’histoire du cinéma, studio appartenant à Edison, fabriqué en
métal, et la scène éclairée par la lumière extérieure. CE SONT LES TOUS PREMIERS
FILMS DE L’HISTOIRE DU CINEMA. Sur fonds noirs et avec des figures qui s’en
distinguent, Edison, homme d’affaires, industrialise sa machine, qui se retrouve alors
dans tous les divers lieux de divertissement.
La seule et importante différence : pas de projection.

Autres inventeurs du cinéma : les frères Lumière.


1895, invention du cinématographe des frères Lumière.
La famille Lumière a une usine de plaques photographiques, les plaques Lumière.
Auguste et Louis Lumière sont des hommes de sciences, ils rédigent des articles
scientifiques. Leur grande passion : la photographie couleur. Ils essaient aussi la
reproduction de mouvement. Fin 1894, début 1895, ils créent une machine, le
cinématographe. C’est un petit bijou d’ingéniosité et de simplicité. Le problème était :
comment produire l’illusion du mouvement à partir d’images fixes ? 16 photos
différentes en 16 secondes, mais la photo doit être fixe au moins 1/16e de seconde.
Comment faire ? Grâce à des moyens mécaniques. En gros, il faut faire défiler la pellicule

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vite, mais qu’elle s’arrête chaque 16ème de seconde. Il faut donc transformer un
mouvement continu en un mouvement saccadé. Pour se faire, les frères Lumière
s’inspirent d’une machine à coudre, ils adaptent le mécanisme de la machine à coudre
(système à griffes) à leur propre machine. Tout est donc mécanique, le mouvement est
donné par la manivelle, on tourne la manivelle, d’où la notion de « tournage ».
Cette invention se double d’une autre : on fait passer la pellicule développée dans une
lanterne magique pour créer la projection.
En février 1895, ils montrent leurs inventions à diverses sociétés et le 28 décembre
1895, c’est la première démonstration publique de leur cinématographe. Cette date est
retenue comme la date de naissance du cinéma : des images animées sont projetées dans
une salle devant un public qui paye et on retrouve nos 4 points étudiés précédemment :
La camera obscura, les spectacles de projection, des recherches scientifiques autour de
la physionomie de la vision, et la photographie.
Cette première projection qui a lieu dans un grand café, Georges Méliès y participe. Les
frères Lumière montrent les premiers films qu’ils ont réalisé eux-mêmes. Ensuite, ils
engageront des photographes qui voyageront un peu partout dans le monde.
Les films des frères Lumière, à l’époque, s’appelaient des « vues Lumière » car leurs
films proviennent de la photographie. Il fallait choisir le bon point de vue, le bon
moment, la bonne luminosité. Pour les photographes, ces films demandent toute une
série de choix, d’où la notion de « vues ».
La durée des vues Lumière est d’environ 50 secondes car à l’époque on ne pouvait
mettre que 20 mètres de pellicule dans le caméscope.
Les vues Lumière sont soigneusement préparées et mises en scène à partir de
paramètres pensés comme par des photographes, à partir d’une logique
photographique. La seule différence est la mise en scène. Les vues Lumière sont plutôt
des documentaires. Ce qui marque le public : on voit le mouvement naturel des choses,
décor immobile auparavant.
Les frères Lumière vont vendre des cinématographes et des films -> on exploite le
cinéma, ce sont les premiers industriels du cinéma en France.
Remarque : nous sommes dans une époque où rares sont les gens qui voyagent. On ne
peut se représenter le monde extérieur que par des images, d’où le succès de ces films.
De plus, nous sommes dans une époque de la colonisation, donc on veut « rapporter ce
qui est propre aux pays étranger ». Dans ce cas, on veut ramener des images exotiques.

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Séance n°2 : LE CINEMA DES PREMIERS TEMPS EN FRANCE

1) Le cinéma : une attraction


Pendant longtemps, on a parlé de « cinéma primitif » mais c’est une expression
péjorative, elle crée une sorte de hiérarchie des arts. Aujourd’hui, on se rend compte que
ce cinéma dit primitif était déjà tout à fait du cinéma, mais il n’y avait pas encore de
langage cinématographique, c’était un cinéma à la recherche de son langage et de son
esthétique.
Ce cinéma des premiers temps fut très peu étudié avant 1978, puis il sera beaucoup
analysé à l’aide de recherches approfondies et c’est à partir de ce moment-là qu’on
parlera de cinéma des premiers temps (ou cinéma forain, ou encore cinéma des
attractions vu qu’il propose un spectacle tel que l’on peut trouver dans les champs de
foire).
Maxime Gorki (1896), écrivain Russe, rédige un texte qui témoigne de la déception d’un
grand écrivain naturaliste (voir texte sur la feuille d’histoire du cinéma, séance n°2). Il
ne voit dans le cinéma que du gris. Il met en avant que ce qu’il a gagné en mouvement, il
l’a perdu en couleur. Il dit que le ciné imite la vie mais que non, il n’est pas la vie. Un film
ce n’est qu’une ombre projetée -> royaume des ombres (et en littérature, les ombres=la
mort).
Le cinéma des premiers temps est également appelé cinéma des attractions car on
ramène le film à une attraction foraine. Il faut savoir que au 19e siècle, les attractions
étaient par exemples : nécromancienne, femme la plus grosse du monde, femme sans
tête, des personnes avec des déformations, … donc très différent des attractions de
maintenant.
Le cinéma apparait parmi ces attractions, dans des « baraques » où on montre les
dernières inventions scientifiques. On parle de cinéma forain et de photographie
animée.

2) La mise en place de l’industrie cinématographique


française
Durant cette période, il y a une grande production cinématographique. On sort plusieurs
films par semaine, on réalise en film en 2 ou 3 jours seulement.
5 grandes firmes françaises :
- Les frères Lumière
- Georges Méliès
- Les frères Pathé
- Gaumont
- Eclair
C’est une production qui reste encore artisanale (Méliès) mais aussi une production
industrielle (Pathé, Gaumont).
La France est un des pays qui produit le plus de films, avec les pays Scandinave et l’Italie.
En France, les grandes firmes vont distribuer des films partout, en Allemagne, en
Belgique,… des films industriels avant tout économiques. Le cinéma n’est pas considéré
comme un art, il n’y a pas de générique (on ne sait pas qui a réalisé, etc), mais petit à
petit on commence à reconnaitre certains acteurs. Le cinéma des premiers temps est
destiné à la classe populaire (les gens des foires et des music-halls), il ne touche pas le

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public bourgeois, sauf quand des grands magasins ouvrent des salles de cinéma pour les
enfants pendant que les parents font les courses.
1897 : première crise du cinéma. Toute la grande bourgeoisie participait à Paris à une
vente du Bazar de la Charité. Un incendie à lieu dans la salle de cinéma, il se propage à
très grande vitesse et fait plus de 300 morts. Cet événement a contribué à renforcer la
méfiance de la bourgeoisie pour le cinéma.
Encore en 1936, Georges Duhamel écrit un livre, « scènes de la vie future », dans lequel il
parle des signes du progrès de l’abêtissement de la société américaine. Et parmi ces
signes, il y a le cinéma qui pour lui est juste bon pour divertir les esclaves ou les
ouvriers. Cela marque encore une fois le mépris de la bourgeoisie envers le cinéma
pendant longtemps, donc le public du cinéma est un public populaire.
Ce public populaire est habité de choisir les spectacles qu’il va voir en fonction de
catégories -> genre (policier, burlesque, religieux …). Les premiers films vont donc être
des films de genre comme par exemple :
- la belle au bois dormant
- sémiramis
- la course à la perruque (burlesque)
- la vie de Jésus Christ (religieux)
- le sacre d’Edouard 7, le nouveau roi d’Angleterre à l’époque (film d’actualité ->
reconstitution), un film de Méliès qui a le souci de faire sortir son film le jour
même du sacrement du roi Edouard 7. Il se rend donc à Londres et il va
s’informer des conditions dans lesquelles le sacrement se déroulera. Pour
l’anecdote, c’est un film d’actualité sorti avant l’événement car Edouard 7 était
malade le jour du sacrement.
- La poule aux œufs d’or (féérie), premier traits de la comédie musicale
- Histoire d’un crime (drame), le but est de lutter contre des actions sociales
Le cinéma adopte un mode de production qui est celui des studios, avec un public
déterminé (celui des champs de foire et des music-halls), et un système de genres.

a Georges Méliès

La société fondée par Georges Méliès est la


Star film.
Méliès est un personnage fascinant, plein de
talent. C’est un fils d’un patron d’usine de
chaussures, qui n’est pas du tout intéressé par
le métier de son père. Il est très fantaisiste, il
dessine très bien et très souvent. Lors d’un
voyage en Angleterre, il découvre des
spectacles de prestidigitation et achète le
théâtre Robert-Houdin en 1901 (voir
l’exemple d’une des affiches de ce théâtre).
Georges Méliès est présent à la première projection des frères Lumière. Son but
personnel est de filmer ses propres spectacles de prestidigitation de façon à vendre ce
film à un public beaucoup plus vaste. Mais le père Lumière ne veut pas vendre de
cinématographe à Méliès. Il décide de retourner à Londres et va rendre visite à un ami
opticien, William Paul, et Méliès lui achète un projecteur qu’il transforme lui-même en
caméra. Il va donc filmer ses spectacles de prestidigitation. Exemple de spectacles de
Méliès : « le château de Mesmer » ou encore « l’escarpolette polonaise ». Méliès va aussi

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comprendre que les vues Lumière ont de l’intérêt, il va lui aussi réaliser des vues à
l’extérieur.
Un jour qu’il filmait à Paris sur la place de l’Opéra, sa caméra bloque, et puis fonctionne à
nouveau. Il rentre chez lui, projette la pellicule, et il se rend compte que tout à coup, le
bus et l’homme qu’il filmait sont devenus un corbillard et une femme. Grâce à cela, il
constate qu’en arrêtant sa caméra et en la rallumant après, il peut faire de la « magie ».
Il va commencer à filmer des petites scènes fortement inspirées de contes et de
légendes. Il écrit de courts scénarios qu’il met en scène. Pour faire cela, il a besoin d’un
endroit -> Construction du premier studio de cinéma, à Montreuil.
Intérieur du studio : dans ce studio, il reconstitue l’espace théâtral. Il y a un côté scène,
avec des coulisses, des extensions supérieures pour les décors, des trappes pour faire
disparaitre les personnages, etc. La caméra se trouve dans une annexe, derrière une
porte cachée par un rideau, car le film s’inspire du dispositif théâtral, et donc on met la
caméra là où se trouve le spectateur. On appelle ça le point de vue du monsieur de
l’orchestre, et ça vient de l’adaptation du langage de l’architecture théâtrale (scène, fosse
pour l’orchestre, parterre pour spectateurs, puis mezzanines et balcons…). Le parterre =
l’orchestre (place au niveau de l’orchestre).
Pour Méliès, puisque son spectacle s’inspire du théâtre, la caméra doit rester fixe et c’est
la raison pour laquelle il lui prévoit une place dans son studio -> logique théâtrale.
Méliès, entre 1896 et 1912 réalise 512 films. En 1912, il tombe en faillite, ce qui ne
s’arrange pas avec la guerre et encore moins avec les films américains qui sont plus
modernes. Méliès arrête le cinéma pour faire du théâtre, mais ça ne marche pas non
plus. Il finit sa vie comme marchand de jouets avant d’être célébré et reconnu. Il décède
en 1938.

Caractéristiques du cinéma de Georges Méliès :


- Rapport entre magie et spectacle, ce qui donne des spectacles de fictions basé sur
l’illusion.
- Caméra face à la scène jouée, filmée en continuité.
- Développement des spectacles en plusieurs tableaux (tableau = mot qui vient du
langage théâtral ; une unité de mise en scène peut être découpée en plusieurs
actes et chaque acte découpé en plusieurs tableaux. Il y a autant de tableaux qu’il
y a de décors).
En 1902, Méliès réalise « Le voyage dans la Lune » : 30 tableaux, ce qui signifie 30 scènes
différentes, 30 décors. Pour « Le voyage dans la Lune » Méliès adapte une opérette
d’Offenbach, à partir du roman de Jules Verne.
Méliès va aussi créer des films beaucoup plus courts, adaptés de ses propres spectacles
de prestidigitation, mais dans une logique qui n’est plus celle de la prestidigitation mais
bien celle du cinéma. C’est la naissance du trucage cinématographique. Par exemple,
« Un homme de tête », « L’homme à la tête en caoutchouc », où Méliès réalise une double
exposition de la pellicule. Il transforme les trucages de la prestidigitation en trucages
cinématographiques. Mais Méliès va maintenir des trucages scénographiques (armoires
à doubles fonds, miroirs,…) comme le géant dans « A la conquête du pôle », dernier film
de Méliès en 1912.
Remarque : on retrouvera certains films de Méliès en couleur car on colorie la pellicule
au pochoir.

12
b Charles Pathé

Les frères Pathé (Charles et Emile) sont des fils de bouchers (grande affaire). Leur
entreprise qu’il appellent d’abord « Pathé frères » va d’abord acheter des phonographes
Edison qu’ils revendent aux forains, puis faire de même avec les cinématographes. En
voyant le succès immédiat de cette vente de cinématographe, Charles Pathé ne va pas en
rester là, il va vendre aussi des pellicules, créer des laboratoires de développement des
pellicules, un réseau de distribution de films, de production et d’exploitation… Dès 1903,
quelques années après sa création, l’entreprise Pathé est la plus grande entreprise
cinématographique. Chaque film réalisé est dupliqué à des 100000 exemplaires partout
dans le monde, ils font un profit énorme.
En 1908, Pathé vend 2 fois plus de films aux Etats-Unis que toute la production
américaine. L’emblème de Pathé frères est le coq. La firme se développe, Charles Pathé
est un redoutable homme d’affaires, il associe très vite le cinématographe et le
phonographe, mais sans lendemain. Les usines Pathé se trouvent à Vincennes (grosses
fabriques d’appareils).
Pathé fait construire un réseau de salles. Le cinéma quitte les champs de foire pour
intégrer des salles de spectacles spécialement conçues pour projeter des films.
Construction d’une de ces salles notamment à Bruxelles, le Pathé Palace, donc le
bâtiment existe toujours aujourd’hui.
En 1907, Pathé instaure un nouveau système de distribution et d’exploitation des films,
qui connait déjà des problèmes de piratage. Suite à cela, il crée un nouveau système de
location de film : la salle qui veut exploiter son film doit ramener la pellicule. C’est le
début d’une histoire qui n’est toujours pas finie aujourd’hui. Pathé va plagier les autres
producteurs, comme Georges Méliès. En fait, Pathé n’est pas un cinéaste, il dirige juste
l’entreprise. C’est un industriel, comparé à Méliès qui lui est un véritable artiste.
Pathé engage donc des cinéastes (des photographes, des gens qui travaillaient dans les
music-halls). Il crée une firme à Bruxelles, la « belge cinéma », qui produit des films pour
les belges et pour les hollandais (dans les films pour la Belgique, on voit beaucoup
Bruxelles, Mannekenpi,… ; dans les films pour la Hollande, beaucoup de moulins, de
pêcheurs, de canaux… ; De temps à autre, fusion des deux).

Pathé engage cinéastes et acteurs :


l - Alfred Machin, un cinéaste aventurier qui a donc déjà réalisé des films et qui va
diriger la « Belge Cinéma » à Bruxelles, où on trouvera les premiers studios de
cinéma belges. Alfred Machin, lors d’un de ces voyages passés, avait ramené avec
lui une panthère, qu’il exploitera dans ses films. Pathé est donc à l’origine des
premières fictions en Belgique.
l – Ferdinand Zecca, qui était régisseur en scène dans les music-halls. Il deviendra
très proche de Charles Pathé et finira presque producteur.
l – Roméo Bosetti
l – Gaston Velle, un prestidigitateur qui imitera la manière de Méliès.
l – Max Linder, un acteur qui deviendra célèbre.

Analyse de films produits par Pathé :


1) « Histoire d’un crime » : film très réaliste, on voit toute les étapes de la
condamnation. C’est un film qui a un but moraliste, qui veut faire peur au public,
éviter que les gens produisent un crime.

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On remarque aussi une intégration narrative : une sorte de flash-back, on rentre
dans les pensées du criminel sur sa vie passée. C’est un film assez bien construit.
2) « Par le trou de serrure » : film burlesque, le récit est découpé en plusieurs
tranches, le voyeur regarde les femmes par le trou de serrure, il met le spectateur
dans une scène de voyeurisme. C’est un film qu’on considérait à l’époque comme
vulgaire.
3) « La peine du talion » : film burlesque et féérique. Il y a un effet de gros plan sur
les papillons. Il y a également une vision verticale : ici, la caméra n’est plus fixe.

c Léon Gaumont

Gaumont est une société qui produit toujours beaucoup de films aujourd’hui, entre
autres des films d’auteurs. L’entreprise a fêté son 120ème anniversaire l’année passée et
pour occasion, elle vendait des énormes coffrets de toute sa production -> marque une
continuité chez Gaumont.
L’entreprise est créée par Léon Gaumont, qui était à la base opticien, et qui exploite le
chronophotographe. Gaumont crée des studios aux buttes de Paris. Cet homme est
surtout un technicien, il s’intéresse beaucoup à la technique, il propose même des films
avec des couleurs et du son.
En 1911, il va construire le « Gaumont Palace », plus grande salle de cinéma au monde.
Gaumont fait des recherches pour exploiter le cinéma sonore et pour se faire il utilise le
chronophone. Il va faire tourner des films courts dans lesquels un chanteur filmé face
caméra chantera un air célèbre, que l’on entendra grâce au chronophone. Ces petits films
sont les ancêtres des vidéoclips. Les tentatives de Gaumont de produire des films
sonores ne durent pas longtemps car elles connaissent beaucoup d’obstacles techniques,
le son n’est pas fort, le phonographe ne produit pas de son pour toute la salle,… C’est
seulement à partir de 1926 que le cinéma devient sonore avec l’invention d’un
amplificateur électrique, mais on voit déjà une volonté de faire du cinéma sonore, bien
que cela ne soit pas possible.
Gaumont met en place un système couleur grâce au chronochrome. Mais on
n’industrialise pas le système car il coute trop cher.

Cinéastes de Gaumont :
- Alice Guy, la toute première femme cinéaste. Elle réalise d’abord des fééries, puis
toute sorte de genres. Elle réalise elle aussi quelques films sonores puis elle
dirige Gaumont aux USA, c’est elle l’assistante directe de Gaumont.
- Louis Feuillade, qui va se spécialiser dans le sérial (désigne les films
feuilletonnesques). C’est l’ancêtre des séries, on retrouve les mêmes personnes
(fantômas), Feuillade se base de romans policiers qu’il va adapter sous forme
d’épisodes. Fantômas est un grand criminel qui échappe tout le temps à la police.
Un autre sérial de l’époque : les vampires.
- Emile Cohl, il est le père du cinéma d’animation. Il fait également des films mixtes,
avec des animations mais aussi des acteurs réels.
Remarque : Dans les épisodes de Fantômas, films d’action, on exploite la modernité. On
rentre dans le cinéma de la seconde époque (les années 10).

14
d Le film d’Art

On va proposer au public des films joués par des acteurs et des compositeurs qu’ils
connaissent, et donc qui viennent du théâtre, comme par exemple Sarah Bernhardt (une
comédienne célèbre).
2 grandes firmes :
- La société du films d’art : film emblématique = « L’assassinat du duc de Guise »,
1908, film dans lequel on retrouve des tableaux de peinture mais aussi des textes
de théâtre, joués par des acteurs provenant de la comédie française, notamment
Berthe Bovy, une actrice d’origine liégeoise et une des toutes premières actrices
belge. On retrouve aussi la musique originale de Camille Saint Saëns et une mise
en scène très théâtrale.
- La société cinématographique des auteurs et des gens de lettres (SCAGL) : cette
firme se spécialise dans l’adaptation de grands classiques de la littérature ->
premiers longs métrages. Exemple : « L’assommoir » de Zola, « Les misérables »
de Victor Hugo. Ce sont des films de qualité, qui ont le souci du détail, une qualité
photographique remarquable. Ces films de grosse production connaissent un
succès considérable mais ils sont vite balayés avec l’arrivée de la première guerre
mondiale.

4) Mode de représentation primitif


Caractéristiques du mode de représentation primitif :

- Fixité de la caméra : la caméra est fixe, face à l’action et située à une certaine
distance de cette action. Eventuellement, la caméra est posée sur un mobile en
mouvement, ou bien on fait des panoramiques. La caméra occupe le point de vue
du monsieur assis à l’orchestre. La caméra est en position horizontale et frontale
(et rarement, en position verticale).

- La distance entre la caméra et l’action est constante

- Le principe d’autarcie du tableau. Pour rappel, le tableau équivaut à une unité de


décor au théâtre. Le récit théâtral est divisé en plusieurs tableaux et il y a autant
de tableaux qu’il y a de décors. Chaque tableau a sa propre unité de décor, ainsi
que sa propre prise de vue, et sa propre action. Il est possible que le film ne se
construise que d’un seul tableau (pas de continuité de la caméra car celle-ci est
coupée, mais suite cohérente)

- Centrifugalité : quand un personnage quitte la scène, la caméra ne va pas le


suivre. La caméra n’accompagne pas le personnage qui quitte le tableau. En
conséquence, il n’y a pas de montage au sens strict du terme. Le montage
apparait avec une logique de langage cinématographique. Cependant, il peut tout
de même y avoir collage (=trucage) et assemblage (=plusieurs tableaux).

- Plan emblématique : (ex : dans fantômas). Il s’agit d’un plan qui montre le ou les
personnage(s) principaux, soit dans une attitude qui correspond au personnage,

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soit il se présente face caméra comme personnage. Le plan emblématique peut
être placé au début ou à la fin du film car il est fourni à l’exploitant en dehors du
film. C’est ce qui introduit petit à petit l’idée du générique.

- Principe de la non clôture du récit : le récit peut très facilement être augmenté ou
diminué selon le bon vouloir de l’exploitant. Il faut savoir que certains exploitants
n’hésitaient pas à couper dedans. C’est un manque de respect pour l’œuvre mais
la structure du récit fait qu’on peut ajouter ou retirer des scènes. Le récit n’est ni
clôturé, ni fermement établi par un récit.

- Tous ces films faisaient l’objet d’un boniment : l’exploitant improvisait devant
son public un commentaire. Pour certains films, il fallait connaitre l’intrigue et
donc connaitre le boniment, sinon on ne comprenait pas grand-chose au film.
Petit à petit, le boniment disparait pour laisser place au carton écrit. Mais au
début, on n’aime pas les cartons écrits car il y a énormément d’illettrés dans la
classe ouvrière. Ces cartons vont devenirs de plus en plus long, puis ils vont
disparaitre avec le cinéma sonore (films sonores -> boniment et musique qui ne
se limite pas seulement au piano).

- Divers modes d’interpellation du spectateur : clin d’œil, regard caméra, … ->


proscrits dans le nouveau mode de représentation des années 10. Dans le cinéma
des premiers temps, on n’est pas pris dans le film, c’est juste quelque chose qui se
passe là-devant. C’est le principe d’extériorité du spectateur par rapport au film,
qui disparait avec le deuxième mode de représentation.

➔ Tous ces concepts ne sont pas systématiques, ils ne sont pas institutionnalisés !
donc on retrouve beaucoup d’exceptions

Remarque : En Angleterre, il n’y a pas d’industrie du cinéma, les films sont beaucoup
plus artistiques et bricolés.

16
Séance n° 3 : LE CINEMA DES PREMIERS TEMPS AUX USA ET
LA MISE AU POINT DU LANGAGE CINEMATOGRAPHIQUE
Rappel : le mode de représentation primitif
1. Unités de langage : la vue ou le tableau
2. Position de la caméra : fixité, frontalité, distance
3. Espace centrifuge : autarcie de la vue/du tableau
4. Collage (si trucage) ; assemblage (des tableaux)
5. Temporalité non-linéaire
6. Non-clôture du récit : principe de discontinuité
7. Principe d’extériorité du spectateur : interpellation, regard caméra

1) L’ère des Nickelodeons (1905-1915)


a) Les petites structures de production

Les studios Edison à New York :


- La Black Maria (1895)
- Nouveaux studios dans le Bronx (de 1907 à 1918)

Les studios Edison ne sont pas les seuls aux USA, d’autres firmes se créent :
- The American Mutoscope & Biograph Company créée par Dickson, dont Griffith
est le principal réalisateur
- The Vitagraph Company of America Brooklyn créée par Blackton (New York)

A cette époque aux USA, on retrouve également deux firmes françaises :


- La succursale de la Starfilm de Méliès à New York. C’est une firme qui est tenue
par Gaston, le frère de Méliès. Les films produits dans cette firme sont
principalement des Western.
- La succursale de Pathé

Sur le plan de l’exploitation, c’est l’ère des Nickelodeons…

b) Les Nickelodeons (à partir de 1905)

Au départ, un nickelodeon est une salle qui propose de voir des films toute la journée
pour le prix d’un nickel (=5 cents). Ce sont donc des salles populaires. Le tout premier
nickelodeon est ouvert à Pittsburg, une ville ouvrière, en 1905. Les tours premiers
nickelodeons sont des arrières salles de café. Il n’y a pas de siège. Dans ces arrières
salles, on projette des courts-métrages du matin jusqu’au soir, à minuit. La rentabilité de
ces nickelodeons est immédiatement gigantesque. Ceux qui ont ouvert un nickelodeon
s’enrichissent -> ils ouvrent alors d’autres nickelodeons, créant ainsi des réseaux.

Les propriétaires de nickelodeons ont plus ou moins tous la même origine. En effet, les
historiens ont constaté que ce sont souvent des immigrés récents, arrivés aux USA à la
fin du 19e siècle, et qui viennent principalement d’Europe de l’est, où les juifs étaient
discriminés. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la communauté juive est si grande
aux USA.

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Il est clair que ces dirigeants de grands réseaux de nickelodeons (comme Carl Laemmle,
les 4 frères Warner, William Fox et Marcus Loew) vont devenir les futurs maitres de
Hollywood. Les salles se multiplient rapidement. En 1909 aux USA il y a déjà 10.000
salles, alors qu’il n’y en a que 300 au même moment en France. Et ces propriétaires ne se
contentent pas d’un seul réseau de salle, ils se mettent aussi à produire et dès lors, ils
deviennent les concurrents directs des firmes (comme Edison, … voir ci-dessus).

Les firmes vont donc s’associer pour protéger leurs droits. Un trust cinématographique
américain va se créer : « Motion Picture Patent Company ». Le but de ce trust est
d’empêcher toute concurrence, de permettre une sorte de monopole sur le cinéma
Américain. Le trust se compose de 6 firmes : Edison, Biograph, Vitagraph, Essanay, Pathé
et Méliès, soit 57% de l’exploitation en 1908. Via le trust, ces firmes vont imposer une
taxe à payer à tout qui veut projeter un film. Ensuite, elles vont également imposer une
taxe à tout qui veut produire un film. Les propriétaires de nickelodeons ne voulant pas
se ruiner, ils continuent à projeter des films sans payer la patente (=la taxe).
Le trust va donc engager des milices (qui seront violents) qui vérifieront si les taxes ont
bien été payées -> c’est la guerre des brevets.

Les nickelodeons continuent tout de même, malgré tout, à projeter des films. Par contre,
la situation dans laquelle se trouve la production américaine est gelée. En effet, le trust
empêche le développement de nouvelles compagnies. Pathé reste le plus grand
producteur.
De plus, le trust Edison va nouer un contrat avec Kodak (une entreprise américaine
fondée par George Eastmann qui fabrique des produits dans le domaine de la
photographie, du cinéma). Ce contrat va lui-aussi bloquer le développement du cinéma
américain.

Facteurs dé-bloqueurs :
- George Eastmann, qui dirige le Kodak, rompt le contrat avec Edison.
- 1915 : loi anti-trust au nom de la concurrence. On interdit aux entreprises de
s’associer au point de détenir le monopole de tout un secteur.
- Adolf Zukor, un des propriétaires de nickelodeons, souhaite faire sortir le cinéma
des nickelodeons, il veut un public différent de celui des nickelodeons. Il est
contacté par des Français qui travaillent pour « le film d’art », et ces français
veulent faire un film avec la célèbre actrice Sarah Bernhardt. Zukor a besoin
d’argent pour réaliser son film, il demande un investissement de 40.000 dollars
et fonde la Famous Players Pictures. Une fois le film terminé, on le projette au
théâtre de Broadway. On se rend compte que le cinéma n’est pas si vulgaire que
ça, les artistes de théâtres deviennent petit à petit des acteurs de cinéma. Cet
événement marque la disparition des nickelodeons.
- Les propriétaires des nickelodeons en ont marre de payer, ils cherchent la paix et
c’est pour cela qu’ils s’installeront progressivement sur la côte est de Los
Angeles : c’est Hollywood. Là, ils vont enfin pouvoir se développer
industriellement. Et cette histoire a une grande importance sur la création du
langage cinématographique.

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2) Edwin PORTER (1869-1941) : vers le découpage des
plans
Porter commence comme projectionniste, il travaille chez Edison. Finalement, on lui
proposera de tourner des films.

Projection 1 : The Life of An American Fireman, 1902


Ce film est un documentaire un peu fictionnalisé. Il est divisé en plusieurs tableaux.

- 1e tableau : on voit un homme en uniforme qui pense. On comprend que c’est un


pompier. Il pense à une dame dans une chambre, qui met son enfant au lit. Il
arrête de penser et s’en va -> double exposition et écran divisé (split screen).
- 2e tableau : Gros plan. La caméra a bougé, elle ne reste plus à une distance fixe de
l’action.
- 3e tableau : l’alarme sonne dans la caserne, les hommes s’habillent et s’en vont.

S’en suivent plusieurs scènes, plusieurs vues qui ressemblent à des vues Lumière
(principe de centrifugalité) et qui sont successives. Cependant, on constate un FAUX
RACCORD DE CONTEXTE : dans une des scènes il y a de la neige, dans l’autre du soleil,
dans la troisième il n’y a ni neige ni soleil -> les plans ne concordent pas ! La charrette
est différente d’une scène à l’autre, etc. En gros, le film est composé à partir de 3 prises
de vue différentes, trois endroits différents 3 moments différents, …

- Tableau suivant : il s’agit d’une vue panoramique : la caméra suit une charrette
qui arrive devant la maison en flamme.
- Tableau suivant : nous voyons la même femme que nous avions vu dans les
pensées de l’homme, au 1e tableau. Cette femme constate qu’il y a le feu, elle
appelle les secours et puis elle tombe dans les pommes. Un pompier la prend et la
descend par la fenêtre, puis il vient rechercher l’enfant qu’il descend également,
avant de revenir une dernière fois pour éteindre le feu. Il y a toujours le principe
de centrifugalité : la caméra ne suit pas les acteurs qui quittent la scène. Dans ce
cas, on ne voit pas le pompier qui descend la mère et l’enfant par l’échelle.
- Tableau suivant : on revoit la même scène mais cette fois-ci, c’est de l’extérieur de
la maison. C’est donc la même action qui est filmée.

Cette scène, dite la scène du sauvetage, c’est une seule et même action mais racontée en
2 tableaux différents, deux prises de vues différents : un point de vue extérieur et un
point de vue intérieur. Nous comprenons alors que l’action à l’intérieur et l’action à
l’extérieur est simultanée. Le problème de Porter : comment rendre compte de la
simultanéité de deux actions alors que les scènes sont successives ?

La simultanéité, Porter la rencontre déjà dans le premier tableau : le pompier dort et


pense à une femme qui met son enfant au lit. La solution des premiers temps pour
raconter la simultanéité, c’est l’écran divisé. Mais le problème est que de cette façon, la
même scène est racontée deux fois. Il y a donc un problème de temporalité non linéaire.
Donc le problème de simultanéité des actions n’est en réalité pas résolu.
Aujourd’hui, nous ne sommes plus habitués mais à l’époque c’est un film qui ne choque
pas, puisqu’on ne sait pas comment raconter la simultanéité avec des moyens
cinématographiques.

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Projection 2 : The Great Train Robbery (L’Attaque du grand rapide), 1903
On peut considérer ce film comme le premier western. De plus, c’est le tout premier film
montré dans un nickelodeon.

- Plan emblématique : à la fin, dans un gros plan, on nous présente le personnage


principal. On voit donc le chef des bandits qui tire sur les spectateurs
(interpellation du spectateur).
- 1e tableau : les bandits attaquent un homme. Au même moment, on aperçoit par
la fenêtre un train qui arrive -> simultanéité d’action par une double exposition.
- 7e tableau : fuite des bandits avec la locomotive
- 8e tableau : arrêt de la locomotive

Entre le 7e et le 8e tableau, il y a un problème de discontinuité spatiale. Les bandits


descendent de la locomotive, dans le 8e tableau, dans un paysage quasi identique à celui
du 7e tableau. Il y a donc une absence de raccords entre les deux tableaux.

- 9e tableau : fuite des bandits à cheval


- 10e tableau : libération du télégraphiste
- 11e tableau : le télégraphiste donne l’alerte au Saloon
- 12e tableau : la poursuite s’engage

Entre le 9e, le 10e, le 11e, et le 12e tableau, il y a un problème de discontinuité temporelle,


c’est-à-dire qu’il n’y a pas de continuité du temps : comment les cowboys ont-ils pu
retrouver les bandits ? Porter voulait encore une fois dans ce cas-ci réaliser une
simultanéité entre des deux tableaux. Mais ici, la fuit des bandits est trop longue par
rapport à celle des cowboys -> mauvaise gestion du temps. La bonne gestion du temps
est d’ailleurs un problème que Porter n’arrive pas à résoudre. En gros : non concordance
du temps chronologique et du temps diégétique (=relatif à l’univers spatio-temporel
désigné par le récit).

Autre film important de Porter : Rescued from an Eagle’s Nest, 1907.

3) David GRIFFITH (1875-1948) : la mise au point du langage

Griffith résoudra l’ensemble des problèmes de langage de Porter et de ses


contemporains. David Griffith a une très grande importance dans l’histoire du cinéma.

Griffith est le fils d’un colonel de l’armée sudiste. Quand il est petit, il y a la guerre civile
en Amérique. Les pays du sud se sont révoltés contre le nord. C’est finalement le nord
qui remporte la guerre 5 ans plus tard.
Au départ, Griffith est journaliste, puis il jouera des petits rôles chez Edison. C’est un
acteur assez médiocre. Dès 1907, on va lui confier des écritures de scénarios pour la
Biograph, scénarios qu’il réalisera lui-même en fin de compte.

Raisons pour lesquelles on considère que Griffith est le père du cinéma Américain :
- En 5 ans, de 1908 à 1913, Griffith réalise 467 courts-métrages, ce qui fait en
moyenne deux par semaine (Ses courts métrages sont appelés « One WAY
Film »). Parmi les courts-métrages de Griffith, les plus connus sont The Lonely

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Villa, An unseen ennemy (1912, premier film des sœurs Dorothy Gish et Lilian
Gish), The Musketeers og Pig Alley (1912).
- Griffith a de multiples talents et de multiples mérites. Il va assimiler toutes les
découvertes de son temps faites par d’autres cinéastes, et il va systématiser ces
découvertes. C’est à partir de ce moment-là que les choses vont prendre forme.
- Griffith est aussi un découvreur de talents. De grands acteurs vont être
découverts par lui, comme Lilian et Dorothy Gish, Mary Pickford, Mack Sennet.
- A côté de sa carrière de réalisateur, Griffith aura également une carrière de
producteur. En 1916, il fonde la Triangle, puis en 1919, il fonde la United Artist,
avec Charlie Chaplin, Mary Pickford et Douglas Fairbanks.
- Griffith est celui qui réalisera le plus long métrage de l’histoire du cinéma
américain.

Projection 3 : The Lonedale Operator (la télégraphiste de Lonedale), 1911, avec Blanche
Sweet.
Ce court-métrage réalisé par Griffith est composé de 77 plans (on parle de plans et non
plus de tableaux). Il présente un modèle achevé de ce nouveau langage que Griffith met
en place.

Ce court-métrage représente aussi une attaque de train, mais il est mis en scène de façon
totalement nouvelle. En résumé, des bandits attaquent une fille qui sera sauvée par son
fiancé. La fille, remarquant que des bandits rodent, donne l’alerte à l’aide de son
télégraphe à la gare d’à côté, où se trouve justement son fiancé. L’alerte est donnée à
temps pour qu’elle soit sauvée.
Griffith trouve comment produire la simultanéité : par le montage alterné.

- 1e phase du récit : Dans The Lonedale Operator, Griffith prend le temps de


montrer ses personnages, contrairement à Porter (dans le film de Porter, le 1e
tableau était directement une attaque). Les premiers tableaux (ou la première
phase du récit) représentent donc l’exposition. On voit le 1e personnage
principal, puis le 2e, et puis les deux personnages principaux ensemble.

On voit ensuite un train, la fille (=la télégraphe) qui vient chercher de l’argent dans ce
train, et qui repart cacher cet argent dans son bureau. Au même moment, on voit des
individus cachés sous le train.

- 2e phase du récit : l’action. Dans cette partie du film, l’action est alternée en deux
points, elle suit deux lignes narratives différents.
Première ligne narrative : la femme télégraphiste dans son bureau
Deuxième ligne narrative : les bandits qui suivent la dame jusqu’à son bureau
pour lui voler son argent
➔ Alternance entre les deux plans. Cette alternance entre les deux plans suppose un
montage des plans, donc un raccord des plans.

La scène dans laquelle la télégraphiste découvre les bandits est une action mise en scène
en deux plans, Griffith alterne deux lignes narratives. Cependant, le raccord des plans
n’est pas tout à fait au point car il y a un faux raccord de regard.

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- 3e phase du récit : le fiancé arrive pour sauver la télégraphiste. Ici, l’action est
alternée en 3 points, trois lignes narratives différentes.
Première ligne narrative : la victime
Deuxième ligne narrative : les agresseurs
Troisième ligne narrative : le sauveteur
➔ Cette alternance de lignes narratives crée quelque chose d’inédit chez le
spectateur : le suspense.

C’est la première fois dans toute l’histoire du cinéma que le suspense est aussi
clairement préparé et mis en scène. Le spectateur sait que le sauveteur va arriver -> il
sait quelque chose que les deux autres personnages (la fille/les bandits) ne savent pas !
Griffith gère l’information que le film transmet au spectateur. La condition du suspense :
les personnages doivent en savoir moins que le spectateur.

Cette troisième phase du récit est donc alternée dans un premier temps en 3
points. Puis les bandits pénètrent dans le bureau. Pour favoriser la
compréhension, la femme est à gauche (comme dans la scène précédente où elle
est toute seule dans le bureau) et les bandits sont à droite (comme dans la scène
précédente où ils défoncent la porte du bureau pour y pénétrer).
Quand les bandits et la télégraphiste se retrouvent dans la même pièce,
l’alternance ne suis désormais plus que deux lignes narratives.
Première ligne narrative : la femme et les bandits
Deuxième ligne narrative : le fiancé qui arrive

Finalement, les 3 lignes narratives de départ convergent toutes les 3 dans un


même plan synthétique -> convergence finale des 3 lignes narratives.

- Le film se termine sur un gros plan (synecdoque) d’une clé anglaise. Cela montre
que c’est la clé anglaise qui a permis à la victime de résister.

En conclusion, le contenu est cohérent et la gestion des personnages favorise


l’identification aux personnages. En effet, le spectateur s’identifie au personnage qui est
en difficulté, ici le spectateur a peur pour la télégraphiste et il espère que le sauveteur
arrivera à temps. Bref, c’est la mise en place du suspense comme dynamique du récit. Et
tout cela dans plusieurs plans, car le plan est le produit du découpage de l’action. Et
l’action découpée en plusieurs plans, c’est la condition du montage.
➔ L’alternance comme principe de base du montage et de la structure narrative.

Avant, dans le mode de représentation primitif, vue=film et tableau=unité de décor.


L’action n’est pas découpée, toute l’action est filmée.
Grâce à Griffith, on systématise le plan comme unité du langage cinématographique. Ce
qui produit un nouveau langage propre au cinéma. On est plus comme avant dans une
logique théâtrale ou photographique, c’est la naissance d’une véritable logique
cinématographique.

Projection 4 : The Birth of a Nation (Naissance d’une nation), 1915 (extrait), avec Lilian
Gish.

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Ce film de Griffith est d’une durée de 3 heures. Il a un contente très problématique
(thématique nationaliste et raciste : KKK). Il possède 1500 plans (du très gros plan au
plan de très grand ensemble). Ce film recouvre donc toutes les différentes sortes de plan.

Résumé de l’extrait du film :


L ’histoire est assez complexe mais elle est intéressante au niveau du langage et du récit.
L’histoire commence avant la guerre de sécession et termine après. Griffith, fils d’un
père sudiste, a un point de vue sudiste. A la fin de la guerre de sécession, les esclaves (les
nègres) seront affranchis, ce qui sera très mal vu par Griffith qui considère que ça va
créer un désordre social. Griffith est donc partisan du KKK, le ku klux klan. Pour Griffith,
les noirs sont bêtes et violents. Dans son film, ses acteurs « noirs » seront en réalité des
blancs grisés (des blancs peints de couleur foncée), à l’exception du chef des figures
noires qui sera un métisse.

Le film raconte l’histoire de deux familles amies avant la guerre, une famille du Sud (les
Cameron) et une famille du Nord (les Stoneman). Les deux pères de famille ont chacun
des enfants. Lors de la guerre de sécession, les fils de chacune des familles partent à la
guerre : Ben Cameron du sud, et Phil Stoneman du nord. Les deux fils vont donc être des
ennemis. Mais les filles tomberont amoureuse du fils de l’autre famille.

A la fin de la guerre, le président Lincoln est assassiné et Stoneman devient l’homme fort
des USA. Il va engager Sylas Lynch pour faire de l’agitation parmi les nouveaux citoyens
noirs du sud, pour déstabiliser les Etats du sud. Sylas Lynch (le seul métisse du film) est
le chef des milices noirs et il veut fonder un empire noir au sud des USA.

Ben Cameron va répondre en fondant le KKK, société secrète qui va faire la chasse à tous
les noirs. Pendant ce temps, Sylas Lynch veut épouser par intérêt Elsie Stoneman (Lilian
Gish). Il va s’emparer d’elle et l’enfermer dans son bureau, jusqu’au moment où Austin
Stoneman (le père d’Elsie) arrive.

Les Cameron, qui étaient enfermés dans leur maison, s’échappent et se réfugient dans
une cabane. Ils sont poursuivis par des noirs armés.

Extrait :
- 1e plan : Elsie est prisonnière de Lynch
- 2e plan : famille Cameron + Phil Stoneman
- 3e plan : Cameron a réuni le KKK pour sauver ceux qui sont enfermés par les
noirs

Analyse de l’extrait du film :


C’est un film extrêmement raciste. Il considère que la nation américaine ne peut
fonctionner que lorsque que les blancs du sud et les blancs du nord s’associent pour
lutter contre les noirs. A cette époque, il y a une peur de la part des blancs d’être
contaminés par les noirs.
On peut aussi voir le film d’un autre point de vue. Prenons le moment où le métisse dit
au blanc (à Austin Stoneman) qu’il veut épouser une blanche. La première réaction de
Stoneman est qu’il est content, mais lorsqu’il apprend qu’il s’agit de sa fille, Stoneman
n’est pas d’accord. Dans ce passage, Griffith a voulu montrer l’hypocrisie des Nordistes.

23
Cependant, ce film raciste possède tout de même un langage cinématographique
particulièrement riche :
- Mobilité de la caméra : la caméra se déplace, elle va filmer des plans en se
rapprochant ou en s’éloignant dans l’espace, des raccords sont faits entre les
plans, …
- Plans moyens et plans d’ensemble en alternance + une multitude de moments de
simultanéité. L’ensemble du récit lui-même est basé sur le principe d’alternance :
on suit l’histoire de deux familles différentes en alternance. Les derniers plans
montrent les mariages.

En conclusion, dans ce film :


- Principe systématique de l’alternance (montage alterné)
- Suspense et tension dramatique
- Traitement psychologique des personnages
- Intégration du plan rapproché et du gros plan
- Champ-contrechamp et mise en scène en profondeur de champ
- Mise au point du principe de l’identification spectatorielle
- Ubiquité de la caméra
- Multiplication des points de vue
- Echelle des plans (du plan général d’ensemble au gros plan)

D’autres œuvres de Griffith :


1) Intolerance, 1916 : mise au point du montage parallèle entre 4 lignes
narratives.
Ce film est une super production, il répond aux critiques faites pour Naissance d’une
nation. Griffith a voulu démentir les propos, faire un film sur l’intolérance en quelque
sorte pour se « racheter » auprès de ses spectateurs.
Regarder Intolerance est difficile. Pour ce film, Griffith va s’inspirer d’un film Italien, il va
avoir un budget de 2.000.000 dollars, 2000 figurants, des décors gigantesques et un récit
structuré d’une façon nouvelle (qui n’aura pas de suite dans le futur).

Il va raconter 4 histoires dans 4 diégèses différentes, 4 univers spatio-temporels


différents :
- 1e histoire : époque contemporaine aux USA (années 1910)
- 2e histoire : à Babylone, querelle de prêtres au moment où la ville est menacée
par les Perses
- 3e histoire : 16e siècle en France, pendant les guerres de religion, amour entre un
catholique et un protestant
- 4e histoire : histoire du christ en Palestine
➔ Griffith va raconter ces 4 histoires en parallèle. Il va passer d’une histoire à
l’autre, ce qui fait que nous allons suivre ces 4 histoires simultanément. Pourquoi
procéder ainsi ? Griffith veut mettre une idée dans l’esprit des spectateurs :
l’intolérance. Il invente un nouveau type de montage qui va avoir un avenir très
important : le montage parallèle.
Attention à bien saisir la différence entre montage parallèle et montage alterné.
Montage parallèle : les histoires ne convergent pas
Montage alterné : les histoires se rencontrent

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Dans Intolerance, le point de jonction entre les 4 histoires se font seulement dans l’esprit
du spectateur.

2) Broken Blossoms (Le Lys brisé), 1919 : effet de montage parallèle à


l’intérieur d’un montage alterné.
Ce film est tout le contraire d’Intolérance. C’est un mélodrame avec peu de personnages,
qui raconte l’histoire d’une jeune fille qui a un père violent (c’est un boxeur) qui
l’empêche de vivre. Elle se réfugie dans la boutique de son voisin chinois qui tombe
amoureux d’elle. La relation entre des personnages d’origine différente est positive cette
fois (s’oppose donc à Naissance d’une nation).

Dans ce film, le montage est alterné, mais toute l’histoire se passe dans la même ville.
Griffith n’organise pas l’alternance seulement pour que les personnages se rencontrent,
mais pour marquer des idées différentes : ici, la douceur et la violence. 2 lignes
narratives sont donc opposées, mais pas étrangères l’une à l’autre.

3) Le mode de représentation Institutionnel


Conclusion : les grandes caractéristiques du nouveau langage.
1. Unité de langage : le plan (=unité spatio-temporelle de la prise de vue et du
montage)
2. Position de caméra : mobilité et échelle des plans
3. Espace centripète : centré, continu, homogène et cohérent. Le spectateur est
placé au centre de l’action, et quand un personnage quitte le plan, la caméra le
suit.
4. Découpage de l’action et montage des plans (système des raccords)

5. Temporalité linéaire, principe d’alternance, simultanéité. Réduit les possibilités
de couper dans le film
6. Clôture du récit (principe de continuité). Conscience d’un début et d’une fin.
7. Principe d’immersion du spectateur (identification au personnage, interdiction
du regard caméra)

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Séance 4 : Le cinéma muet américain 1 (1915-1930) : La
fondation d'Hollywood et le système des studios

1) La fondation d'Hollywood
Au début des années 10, les fondateurs des nickelodeons veulent une certaine liberté, et
ils partent s’installer sur la côte est des USA. Les premiers studios indépendants (=les
nickelodeons) s'installent donc à Hollywood. Là-bas se fonde des grandes compagnies
que l’on appelera : les Majors. Les Majors sont au nombre de 8 mais on les divise en deux
catégories : les Big Five et les Little Three. A côté de ça, il y a une multitude de petites
firmes qui ont toujours existé.

- Les Big Five :


1. La MGM : En 1910, Markus LOEW et Adolphe ZUKOR fondent la Loew's Corporation.
10 ans après, ils rachètent la Métro. Puis en 1924, ils fusionnent avec la Louis B.
Mayer Pictures et avec la Goldwyn Pictures. Le producteur Irving Thalberg en fait
partie.
2. La Warner Bros : Elle est fondée en 1913 par les frères Warner puis elle absorbe la
Vitagraph et la First National.
3. La XXth century Fox : William Fried (dit William FOX, le renard) fonde la Fox Film
en 1914. En 1935, elle fusionne avec la XXth Century Pictures (Zanuck et Schenck).
4. La Paramount : En 1916, la Famous Player Pictures et la Jesse Lasky Feature Play
fusionnent. Ensemble, elles vont contrôler un distributeur : la Paramount Picture
Corporation.
5. La RKO (Radio Keith Orpheum) : Fondé en 1928 suite au rachat du studio FBO
(Film Booking Offices of America) par la RCA (Radio Corporation of America) et à la
fusion avec le réseau de salles Keith-Albee-Orpheum.

- Les Little Three :


1. La Universal : Fondée par Carl Laemmle en 1912. Elle est la fusion de pleins de
petites firmes.
2. La Columbia : Fondée en 1919 par les frères Jack et Henri Cohn.
3. La United Artists : Fondée en 1919 par Charles Chaplin, David. W. Griffith et
Douglas Fairbanks.

2) La Dream Factory : le système hollywoodien

• Le studio system :
Ce système va être mis en application dans tous les pays où l'industrie
cinématographique se développe. Il marche toujours aux USA mais n'a jamais bien
fonctionné en Europe. Il repose sur le principe de la division du travail (=Taylorisme) et
le pouvoir du producteur. La hiérarchie est très importante. Les médias contrôlent toute
la chaine de la production et les décisions les plus importantes sont prises par les
décideurs financiers qui siègent à New-York.

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Ces Majors Company vont entretenir des relations particulières entre elles.
D'une part, elles sont concurrentes : dès qu'une d’entre elles fait une innovation, les
autres suivent et elles vont s'attacher des acteurs, réalisateurs, cinéastes, techniciens
avec des contrats pour avoir les meilleurs.
D'autre part, elles vont s'entraider en se louant du personnel et des studios. Cette
relation va leur conférer un quasi monopole. Dès les années 20, Hollywood est un
empire cinématographique. Les Majors produisent 75% des films américains. Les Big
Five, en contrôlant 16% du circuit des salles, réalisent de 80 à 90% du système
d'exploitation. Les droits d'adaptions de romans et pièces de théâtre vont également
voir le jour...
Les Majors Company exercent un protectionnisme exacerbé sur la production
cinématographique : un film européen (et toujours aujourd’hui) a très difficile de
percer aux USA.
Pour la production de films, il y a une tête à New-York où les grandes décisions sont
prises par les services financiers. Il y a une autre tête à Los Angeles qui met en œuvre
les décisions prises par N-Y, c'est la gestion des studios, donc la production. La
production a des équipes en charge de 6 à 8 films par an. Chaque équipe a son
patron, c'est le producteur exécutif.
On demande au producteur de produire un film bien précis et il doit mettre en œuvre
les décisions prises au préalable. Après, il a le contrôle sur tout. Les autres sont des
exécutants. Le réalisateur n'a rien à dire, il n'est pas l'auteur du film. Le producteur
reçoit un scénario et va demander des corrections s'il le juge nécessaire. Il choisira
ensuite un réalisateur en lui imposant un scénario. Le producteur choisit également
les acteurs (parfois on fait même des films dans le but de faire jouer certains
acteurs). Les acteurs sont sous contrat de 7 ans et n'ont aucune liberté sur le choix
de leurs films. Le producteur choisit aussi une équipe de techniciens. Le réalisateur,
avec le scénario, doit juste tourner. Il dirige les acteurs et indique la place de la
caméra. A la fin du tournage, le réalisateur n'a plus rien à dire, le montage ne lui
appartient pas. Le producteur guide le travail du monteur.
Quelques noms de producteurs célèbres : Irving THALBERG (MGM), Jack WARNER
(Warner Bros), David O. SELZNICK (RKO)…
Ce dernier, Selznick, est un célèbre producteur qui fera sa propre firme. Il produit
"Autant en emporte le vent". Lui-même achètera les droits du roman, choisira une
actrice anglais jusque-là inconnue (Vivien Leigh), désignera un réalisateur puis le
remplacera par un autre quelques fois jusqu'à prendre Victor Fleming.
➔ En gros, le rôle du producteur est fondamental, le travail des techniciens est
réparti (chaque technicien à sa propre fonction), et ils sont engagés sous contrat.

• Le star system :
Les acteurs deviennent célèbres et le public demandera à voir des films avec eux. On
va fabriquer des stars, le talent ne suffit pas, il faut une image construite par les
firmes. On va lui donner un nom et le service des relations publiques du studio
s'occuperont de son image en passant par la presse. La firme choisit ce que les gens
sauront, et ce qu'ils ne sauront pas. Exemples : Theda Bara, "la vamp" star érotisée
ou Greta Garbo, "la divine" star froide et intouchable, ou encore Clara Bow, Gloria
Swanson, Rudolph Valentino, Mary Pickford, Douglas Fairbanks, John Gilbert, etc...

• Le code Hays (1934) :

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Les années 20 constituent une période très vaste pour le cinéma hollywoodien. On
peut y faire fortune, donc il y a aura également beaucoup de scandales (adultère,
drogue, alcool et même meurtre). Ce parfum de scandale va causer des problèmes
qui iront à l'encontre des lignes de vertu des américains. Ces lignes vont s'en prendre
aux films et à certains acteurs en propageant l'idée qu'il ne faut pas aller au cinéma.
Les producteurs tenteront de rétablir l'ordre, et en 1934 est appliqué le fameux code
Hays (établi par William Hays, président de la Motion Pictures Producers and
Distributors Association). C'est un code d'autocensure : il est recommandé aux firmes
de limiter à l'écran la violence et la sexualité. Le crime ne doit pas être montré de
façon trop sympathique, le mariage est sacré (lits jumeaux), la question de
l'avortement doit être écartée, etc... En gros, le code Hays est une liste de ce qu’il ne
faut pas faire dans le cinéma.
Pour les bons réalisateurs, ce n'est pas un problème, ça enrichira même le langage
cinématographique. Ernst Lubitsch le comprendra très vite et va suggérer de
nouvelles choses au spectateurs, ce sera beaucoup plus fin.

• La codification des genres :


Les genres sont là depuis le début, mais ils vont réellement se codifier avec le cinéma
hollywoodien. Le genre permet au spectateur de choisir le film qu'il va aller voir.
Mais le genre est également utile industriellement : en travaillant par genre, on peut
spécialiser une équipe, un studio, un acteur, un réalisateur...

3) Erich Von Stroheim (1888-1957)


Erich von Stroheim est une figure mythique mais en même temps, il s'est construit
un mythe de lui-même (c'était un mtyhomane). Il vient de Viennes où il fréquentait la
jeunesse dorée. Au début du 20e, l'Autriche-Hongrie est toujours sous l'empire de
l'ancien régime et il va déserter l'armée. Il doit fuir et va immigrer aux USA. Après
quelques petits boulots, il atterrit à Hollywood.
Il se fait passer pour un aristocrate, il va s'inventer tout un passé plus ou moins
prestigieux (ancien lieutenant de dragons sous les Habsbourg). Il a un physique
sévère et des manières très militaires. On va donc lui attribuer des rôles d'officier. Il
commence comme cascadeur puis comme figurant (Naissance d'une nation lui
permettra de monter en grade dans l'entourage de Griffith) puis comme acteur.

En 1919, Universal lui propose de faire un film " Blind Husbands " (il voulait l'appeler
autrement). Il avait reçu à la base 5000$ pour le faire, mais il va en utiliser 100.000$.
Le film connait un énorme succès commercial et il va ainsi prouver qu'un film à gros
budget rapporte plus qu'un film à petit budget.

Son personnage n'a rien de séduisant mais pourtant, il séduit. Il est "l'homme que
vous aimez haïr". Il est immoral, et c'est-ce qui fait son charme. Il comprend tôt qu'on
ne fait pas du bon cinéma avec du bon sentiment. Il démystifie l'amour pour le
ramener à la sexualité.
En somme, c'est un mythomane, mégalomane, maniaque et dépensier. Mais il est
génial.

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Ses films : Blind Husbands (1919), Foolish Wives (1922), Greed (1925), The Mery
Widow (1925), The Wedding March (1926-28), Queen Kelly (1928), Walking Down
Broadway (1932)
Il est acteur dans : La grande illusion (RENOIR, 1937) et Sunset Boulevard (WILDER,
1950)

4) Projection
Foolish Wives (Folies de femme), 1921, Erich von Stroheim.
Erich Von Stroheim va exiger pour ce film une durée supérieure à la norme et un
investissement colonial dans les décors (il reconstruira la place de Monte Carlo dans
le désert californien). Il a un souci du détail impressionnant. Le budget dépassera 1
million de dollars, il faudra un an de tournage et 320 bobines (une bobine=20
minutes, le film est beaucoup trop long!) Le patron d’Universal, Carl Laemmle, et le
producteur, Irving Thalberg, décideront de démonter et remonter le film pour qu'il
ne fasse plus que 32 bobines, puis 14 en janvier 1922, puis 10, puis 7 finalement
pour l'exploitation à l'étranger.
Le film va subir beaucoup de remaniements par les exploitants. Toutes les copies
conservées sont différentes. Il a été restauré mais on ne sait pas quelle est la copie
originale...

Dans Foolish Wives, corruption, luxure, débauche et violence se côtoient. Von


Stroheim interprète le faux Comte Russe Karamzin. Celui-ci est un Don Juan qui vit
d'escroqueries avec deux fausses princesses (ses "cousines" Olga et Vera) à Monte-
Carlo où il a dû s'exiler. Tous les trois sont recherchés par la police et ils escroquent
les casinos avec des faux billets fabriqués par le faux-monnayeur, Ventucci. Le faux
comte va essayer de séduire la femme de l'ambassadeur américain, Helen (Miss
Dupont) pour lui soutirer de l'argent. Il va également promettre le mariage à sa
femme de chambre à qui il soutire également de grosses sommes. Jalouse, cette
dernière incendiera la villa. Frustré d'être démasqué, le faux compte Karamzin va
violer la fille un peu simplette de Ventucci. Le père qui adore sa fille le tuera et
jettera son corps dans les égouts...
C'est un film noir rempli de cruauté à l'égard des différents personnages.
Culture du civisme : un personnage enveloppé d'un grand manteau apparait 3 fois à
l'écran. Qui est-t-il ?

Foolish Wives est un film très représentatif de l’art de Erich Von Stroheim puisqu’il nous
donne à voir un monde qui nous semble être un monde irréel. On est dans une société
qui n’existe pas. Dans ce cas-ci, l’histoire se passe à Monaco, on est dans du beau monde
d’origine bourgeoise. Von Stroheim accentue cet univers de paillettes, ce monde qui
n’existe pas. Le film nous raconte comment des escrocs vont profiter de ce monde
artificiel.

Cependant, il y a dans le film toute une série de détails qui nous disent tout autre chose.
A côté de ce monde imaginaire, il y a une réalité sociale, qui appartient bel et bien au
monde dans lequel se trouve le spectateur. L’histoire qui est racontée se déroule en
1919, juste après la première guerre. Au début du film, on voit beaucoup de militaires en
uniforme, pourtant, il n’y a aucune raison que ces militaires soient à Monaco. C’est
quelque chose qui est ajouté par Von Stroheim. Parmi ces militaires, beaucoup sont

29
mutilés : des unijambistes, … + un personnage qu’on voit à 3 reprises dans ce film : un
militaire corpulent, enveloppé dans une grande cape.
La première fois qu’il apparait, c’est quand la femme de l’ambassadeur fait tomber son
livre. L’homme dans la cape ne bouge pas. Un homme vient ramasser le livre et le rend à
la dame, en regardant sévèrement l’homme dans la cape qui ne bronche pas et n’aide pas
la dame.
La deuxième fois, c’est le même scénario où la dame laisse tomber quelque chose.
La troisième fois, la dame fait tomber la cape de l’homme, et elle découvre alors que le
personnage n’a pas de bras. Elle comprend à ce moment-là pourquoi il ne s’est jamais
baissé pour ramassé les objets qu’elle avait perdu.
Ce sont des scènes qui représentent la réalité, la première guerre a été un phénomène
non-imaginaire, ancré dans les réalités.

Cette réalité, on la revoit encore à d’autres moments. A l’hôtel des rêves, on voit un gosse
en tenue crasseuse avec une cigarette à la bouche et un casque Allemand sur la tête. Rien
avoir encore une fois avec une scène de Monaco, on est vraiment dans une scène de la
réalité.
Ou encore, concernant le personnage de la servante, il s’agit d’une pauvre femme qui a
été abusée, au début du film elle se fait pincer, et cette femme morte de jalousie va
finalement mettre le feu au palais, puis se suicider.
On voit en fait comment un auteur, sous prétexte qu’il raconte une histoire d’un autre
monde, va en fait nous raconter des scènes cruelles de la réalité.

Le film ne raconte donc pas seulement l’histoire d’escrocs se faisant passer pour des
comtes Russes, Von Stroheim veut aussi faire qu’on soit attentif au film, que le
spectateur différencie une réalité sordide qui semble côtoyé une fiction merveilleuse et
imaginaire. Ce personnage salopard fini lui-même de façon sordide, n’arrivant pas à
satisfaire ses pulsions sexuelles, il viole la fille du faux-monnayeur.
Cette façon de faire un film en opposant des données d’univers différents est
caractéristique de l’œuvre de Von Stroheim.
On parle de cinéma de la cruauté, les scènes avec l’homme sans bras font que l’auteur est
cruel avec ses personnages.

30
Séance n°5 : Le burlesque Américain (1912-1940)
L’étymologie du mot « burlesque » :
Première origine :
Revenons aux origines du mot burlesque. Le mot burlesque vient de l’Italie « alla
burlesqua », dérivé de burla qui veut dire farce en Italien. Le terme « burlesque » est
francisé au 17e siècle, mais aujourd’hui nous avons oublié ce rapport à la farce.
A la base, le burlesque désigne des spectacles de cirque et de commedia dell’arte
(=œuvre fantaisiste, extravagante). Le mot burlesque à une connotation de vulgarité, qui
s’oppose à une œuvre plus précieuse.
Le mot passe d’abord en France et puis en Grande-Bretagne où il désigne des
pantomimes comiques joués par des clowns. Encore une fois, le terme est rattaché à un
spectacle grossier et vulgaire. Aux Etats-Unis, le mot burlesque va désigner les music-
hall.

On retrouve deux sortes de clown :


- L’Auguste : petit, trapu, maquillé en rouge et blanc, il porte de trop grands
vêtements et il manie le coup de pied au cul.
- Le clown blanc : il est plus élégant, il joue de la musique.
Ces deux clowns sont deux personnages dont on va retrouver les variantes au fil du
temps. Ce sont donc des personnages types.

Deuxième origine :
La commedia dell’arte : c’est un spectacle populaire qui nait au 16e siècle en Italie et qui
se joue dans la rue. Les troupes sont ambulantes, elles arrivent dans un village et
proposent leur spectacle. Ce sont toujours les mêmes personnages qui reviennent dans
la commedia dell’arte. Les plus connus sont Colombine, Arlequin, le docteur, Pantalon,
Brighella, Pierrot, etc. A chaque nom déterminé de personnage s’accorde un costume.
Ces personnages portent un masque, qui fait qu’on va très clairement les identifier. Ces
personnages sont intégrés dans des histoires qui sont souvent des histoires écrites très
rapidement dans des textes que l’on appelle en Italien des scénarios. Ces scénarios ne
sont pas du tout détaillés, les personnages ont juste des relations un petit peu établies.
Une part de l’histoire est figée, mais l’autre est totalement improvisée par les
personnages. Le jeu de ces acteurs est caricatural, excessif, grandiloquent, les
personnages jouent énormément sur les gestes qui sont eux aussi excessifs, surtout pour
les chutes, les luttes, etc.

1) Les origines du genre

Dès les origines du cinéma, on produit des films « comiques » dans lesquels on va
trouver notamment des scènes de poursuites, des films avec les mêmes personnages et
surtout un jeu non naturaliste, excessif et des histoires assez vulgaires et grossières,
avec notamment de la provocation.
Ces films-là vont être d’emblée désignés films « burlesques » en se souvenant des
spectacles de cirque et de commedia dell’arte anciens.

Parmi ces précurseurs du cinéma burlesque, il y en a un qui est véritablement considéré


comme le créateur du burlesque au cinéma : c’est Max Linder. Max Linder est d’abord

31
un acteur de music-hall français engagé chez Pathé. Il va inventer un personnage qu’il
appelle Max. Ce personnage va avoir un succès mondial avant la 1e guerre. Max Linder va
réaliser 160 films. Son personnage « Max » est un gentleman parisien, un bandit, très
bien habillé, il se donne un genre aristocratique, il a toujours une canne. Ce personnage
s’intéresse de très près à la bouteille et aux femmes, c’est un coureur de jupons.

Particularités du comique de Linder :


- Le comique de situation : dans ses films, Linder va raconter des péripéties au fil
desquelles le personnage se retrouve dans situations aberrantes. Par exemple,
Max veut draguer une femme, il va sonner à sa porte et se faire passer pour le
pédicure, mais finalement il va se retrouver à s’occuper, non pas des pieds de la
dame, mais bien de ceux de son mari.
- Le cinéma burlesque de Max Linder va jouer beaucoup sur l’expression du visage,
ce qui est tout à fait neuf dans le cinéma burlesque des premiers temps en
France.

Pendant la guerre, Linder part aux USA. Il va être engagé par la « United Artist » pour
laquelle il va réaliser plusieurs films comme Sept ans de malheurs, un très long-métrage
parsemé de gags, parmi lesquels le célèbre gag du miroir brisé, qui correspond à la fois à
un comique de situation et à un comique dû à l’expression du visage : Max Linder a un
domestique qui va casser un miroir. Le soir, Max remarque que son reflet dans le miroir,
c’est son domestique, avec le même pyjama que lui, qui fait les mêmes gestes que lui, etc.
Ce gag très célèbre va être repris dans La soupe aux canard, et d’autres gags de Linder
seront repris par Charlie Chaplin. Aux USA, il rencontre Chaplin. Il existe des traits
communs entre Charlot et le personnage de Max : le chapeau, la moustache, …
Mais il y aussi des différences entre les deux personnages : Charlot est un vagabond,
mais un vagabond gentleman. Charlot s’est donc inspiré du personnage de Linder, et il
reprend le comique de situation et le comique du visage. Chaplin va reconnaitre Linder
comme étant son maitre.
En 1925, les films de Linder n’ont plus beaucoup de succès, il se suicide.

2) Les pionniers américains

Notons avant de commencer que le burlesque se trouve principalement dans le cinéma


américain.

2.1 : La Keystone.
Le burlesque américain se développe à partir d’un père fondateur : Mack Sennett. Mack
Sennett fonde assez tôt une maison de production : la Keystone. Sennet est quelqu’un
qui vient du cirque et du théâtre de Vaudeville. En 1909, il est engagé par la Biograph et
il devient l’assistant de Griffith. Dès 1910, il réalise tous les films comiques de la
Biograph, puis il quitte la Biograph et forme sa propre maison de production. Il est
accompagné de son actrice fétiche, Mabel Normand, et il se spécialise dans burlesque.
Sennett se confond avec la Keystone, il fait tout : il griffonne des scénarios, il interprète
les films, il dirige le film et le produit. C’est un point important car il représente une
donnée économique assez constante dans la production des films burlesques, c’est le
début d’une tradition : ce genre de film (burlesques) sera produit par des gens qui sont à
la base des acteurs.

32
C’est un système de production totalement différent du système hollywoodien. Les
scénarios sont écrits rapidement, on ne se soucie pas de faire de la littérature, en général
on a peu de moyen. On va reprendre des mêmes éléments (personnages, voiture) et les
intégrer dans une histoire qui varie.

Max Sennett est aussi le « gagman » chargé d’inventer les cadres les plus loufoques qui
soient. On commence par élaborer des gags, puis on cherche comment les relier
ensemble, puis on fait un récit élémentaire.
Le scénario est donc un petit schéma griffonné en une ou deux heures, puis on prépare
les costumes, on donne quelques indications, et tout le reste est improvisé. On réalise en
général un ou deux film(s) par semaine, il faut produire vite et beaucoup. Petit à petit, le
succès sera gigantesque, Mack Sennett va s’agrandir, engager des acteurs et des équipes
de tournages. Parmi les acteurs qu’il engage, certains vont devenir célèbre,
principalement :
- CHARLIE CHAPLIN
- Roscoe « Fatty » Arbuckle
- Buster Keaton
- Harry Langdon
- Franck Capra
- Bing Crosby
- W.C. Fields

La Keystone a beaucoup de succès. Elle va être absorbée par la Triangle, puis elle va
disparaitre en 1919. Mack Sennett continue tout de même à produire des courts-
métrage. Mais il ne va pas s’adapter au cinéma parlant, puisque le burlesque est une
esthétique visuelle qui a pas besoin de la parole. La Keystone va vraiment développer
des films de comique visuel.

Le principal ressort comique de la Keystone, c’est le slapstick : le slapstick est un effet


comique, qui prend toute sorte de forme : le coup de bâton, la bataille de tarte à la
crème, les chutes en série, … Le slapstik suit un principe propre à la Keystone : le
principe de répétition, et de contamination. Cela se voit en particulier dans les scènes
célèbres qui mettent en scène les policiers, où le policier est toujours sujet à moquerie,
c’est celui dont on se méfie et à qui on va jouer des tours. Ces policiers fictionnels seront
appelés Keystone Cops. On trouvera également les Bathing Beauties, des jeunes filles
dans des maillots de bain à la mode.

Les films burlesques sont des films fondés sur des effets très physiques, qui exigent donc
beaucoup de performances physiques de la part des acteurs, ils doivent avoir une réelle
forme physique pour pouvoir courir, chuter. Ce sont des acrobates. C’est un cinéma qui
se fonde sur le geste, la course, donc un cinéma extrêmement visuel. On a très peu
besoin de dialogue.

2.2 La Hal Roach Production


La Hal Roach Production est formée par Roach. C’est une compagnie de films burlesques,
où vont commencer d’autres grands comiques burlesques tels que :
- Harold Lloyd (les films avec Lloyd vont faire le succès de la firme)
- Charley Chase
- Laurel et Hardy

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Laurel et Hardy : Stan Laurel commence à la Keystone comme gagman, puis il devient
acteur burlesque. Avec Hardy, ils vont former un couple d’acteur. Laurel est petit, Hardy
est grand et rond. On retrouve donc des personnages doubles, des personnages qui
fonctionnent en couple exactement comme des clowns ! Le burlesque va souvent
construire son comique sur des relations entre deux personnages masculins qui ont une
physionomie très contrastée.

3) Les maitres du burlesque : Chaplin et Keaton


Les deux principaux maitres du burlesque sont Charlie Chaplin et Buster Keaton, deux
artistes exceptionnels.

Charlie Chaplin
Chaplin est un géant dans l’histoire du cinéma, encore aujourd’hui.

Il nait en 1889 à Londres de parents artistes de music-hall. Le père décède quand Charlie
est jeune, la mère tombe malade et ne peut plus jouer, la famille connait la misère et la
faim. Il va tomber sur les planches dès l’âge de 5 ans et va devoir tirer son plan seul. Il
Devient membre d’une troupe de music-hall où il va apprendre l’acrobatie, la danse, la
musique (plus tard, il composera la musque de ses propres films). C’est un enfant livré à
lui-même, on le met à l’orphelinat.

Agé de 23 ans, Chaplin s’en va pour les USA (comme quantité d’autres à l’époque). Il va
essayer de travailler dans les music-hall, mais voyant entreprise du cinéma, il part à
Hollywood et est directement engagé par la Keystone de Mack Sennett.

Chaplin est trop lent pour les films de la Keystone.


En 1914, il va créer son propre perso : Charlot. Il jouera dans 35 films pour la Keystone,
films qui auront un succès fulgurant. Petit à petit, il devient suffisamment puissant pour
devenir son propre metteur en scène. Il quitte la Keystone un an plus tard, en 1915, et
les autres firmes vont se disputer Chaplin.

1915 : D’abord, contrat avec la Trust Edison. Puis, contrat avec la Mutual, où il est
producteur, réalisateur et acteur. C’est là qu’il va commencer à produire de façon de plus
en plus évidente des éléments de critique sociale. Son personnage de burlesque devient
petit à petit un personnage de mélodrame, c’est d’ailleurs la grande spécificité de
Chaplin. Ses films font rire mais donnent à penser sur la réalité sociale. C’est ce qui va
faire son succès social, le monde entier va s’identifier à ce vagabond qui n’a rien pour lui
mais qui parvient toujours à s’en tirer.

A partir de 1918 : Chaplin va créer sa propre firme de production, Charlie Chaplin


Corporation. Il jouit d’une totale liberté de création. Il va réaliser 8 films et se lancer
dans le long-métrage. Par exemple Une vie de chien est un moyen-métrage dont le
scénario repose sur une intrigue : Charlot le vagabond rencontre, pendant la nuit, un
homme qui s’enivre et le fait dormir chez lui. Quand l’homme désaoule, il met Charlot
dehors. Le soir suivant, le même le bourgeois s’enivre à nouveau, fait la fête avec Charlot,
le ramène chez lui, et ainsi de suite. Ce court-métrage connait un immense succès.
Chaplin devient très riche. En 1921, Chaplin réalise The Kid, son premier long-métrage

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dans lequel il se souvient de la misère de son enfance. Il est question de misère, de la
dureté de l’orphelinat, même si le film reste toujours burlesque.

En 1919, il s’associe avec Griffith, et ensemble ils fondent la United Artists.


Chaplin estime que ses films n’ont pas besoin de son. Il va continuer de faire des films
muets à l’époque sonore. En 1931, dans son film City Lights qui est un film muet avec
une musique qui accompagne, il se moque du son au début de ce film, avec le discours
d’un maire où on entend la voix mais pas les mots : Chaplin montre qu’il n’y a pas besoin
du son.

En 1936, il réalise Les temps modernes, son film le plus engagé, qui dénonce le
machinisme et le terrorisme (travail à la chaine), il se moque ici encore du son.
Cette même année (1936) est l’année de la toute première chaîne de télévision. Dans Les
temps modernes figure la première image de vidéo de surveillance : un ouvrier fume aux
toilettes puis il y a un écran projeté montrant le patron qui se fâche. C’est aussi dans ce
film qu’on voit l’invention d’une machine pour manger en travaillant.

En 1940, il réalise le célèbre Le dictateur. Dans ce film engagé, Chaplin parle de


l’intervention des Etats-Unis dans la guerre, sujet qui fait objet de débat. Chaplin fait
partie de ceux qui demandent que les Etats-Unis interviennent dans la guerre. Le
dictateur est un film anti-Hitler, il joue sur la ressemblance entre Charlot et Hitler. Le
film (sonore) se termine par un fabuleux discours devant un énorme rassemblement,
Charlot tient un discours pacifiste.

Après la guerre, Chaplin laisse tomber Charlot et il laisse même tomber le burlesque. Il
réalise des films dans lesquels il est âgé. C’est une période difficile pour lui, parce que le
Marxisme s’empare de l’Amérique. Il fait la chasse aux sorcières qui, selon lui, ont
contaminé l’Amérique.

Page très noire de l’histoire : Chaplin est accusé de sympathie communiste, ce qui est
tout à faire faux. Il est convoqué par la commission des affaires américaines, qui
l’empêche de travailler. Il retourne en Angleterre, où il va réaliser ses derniers films,
puis il se réfugie en suisse où il finira sa vie.

Le personnage de Charlot est essentiel de l’histoire du cinéma. C’est un vagabond, obligé


de se débrouiller. De ce fait là, il est toujours du côté des petits, des pauvres, des faibles
exploités par les forts. Il est souvent « en couple » avec Eric Campbell, qui profite de la
faiblesse de Charlot (c’est le faible et le fort). Mais Charlot est très humain, il se
débrouille, il trouve toujours une solution qui lui permet de s’en sortir. Il contourne la
difficulté, quand il faut l’être il est courageux, il est bon, parfois naïf mais jamais niais, on
ne la lui fait pas, il est parfois lâche mais par intérêt. Tout ceci fait que les « petits gens »
s’identifient totalement à lui, il est comme eux. Il devient un mythe, un héros dans le
monde entier. Il représente un homme qui n’a rien face à la société des hypocrites.

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Buster Keaton
Buster Keaton est un autre grand comique américain, surnommé « the great stone face »
(=l’homme qui ne rit jamais). Il a toujours un visage qui semble inexpressif, il reste
impassible (c’est d’ailleurs tout le contraire de Charlot), qu’il soit dans une situation
dangereuse ou absurde.

Buster Keaton est aussi tombé dedans petit, c’est un enfant né au canada de parents
comédiens. Il est très vite intégré aux spectacles donnés par sa famille. Il est formé à
l’acrobatie.

Il débute aux côtés de Fatty Arbuckle. En 1921, événement de scandale, il est accusé de
viol et de meurtre. Il va être complètement innocenté, mais sa carrière sera brisée. Après
1921, il travaille seul et crée sa propre firme de production, la Buster Keaton Comedies.
Il s’associe souvent à d’autres réalisateurs, mais il écrit la majorité de ses films lui-
même.

Exemples de films de Keaton :


- Le mécano de la Générale, 1926 : Une jeune fille est enlevée pendant la guerre de
sécession, le film est un long gag, tout se passe pratiquement sur un train.
- The Navigator, 1924, Buster Keaton croit qu’il est seul sur le bateau mais il se
rend compte qu’il y a aussi une fille, toutes sortes d’aventures vont se passer.
- Etc.

L’arrivée du parlant va aussi compromettre la carrière de Buster Keaton, ses derniers


films datent de 1928, puis il sombrera dans l’alcoolisme. Dernières apparitions en 1950,
notamment dans un film de Chaplin.
Samuel Beckett va réaliser Film où il va aller rechercher Buster Keaton. C’est le dernier
film de Keaton avant sa mort.

4) Projections
1) Buster Keaton, Cops, 1922
2) Charles Chaplin, The Circus, 1928

5) Ressorts comiques du film burlesque


Remarque : les caractéristiques du burlesque sont des caractéristiques qu’on pourra
retrouver dans d’autres films.

- Le personnage-type : personnage qui a des caractéristiques immédiatement


identifiables, aussi bien physiques que vestimentaires, et ces caractéristiques
font que le personnage réapparait de films en films de la même manière. Le
personnage semble vivre une série d’aventure en étant toujours le même. Tous
les comédiens de la commedia dell’arte sont des personnages types. Le mot
« type » renvoie à une idée de reproduction (ex : stéréotype, rodeotype, …), le
personnage reste le même d’un film à l’autre.
Pour Charlot, sur le plan vestimentaire, il a un costume de vagabond (chaussures
et pantalon trop grands), sur le plan physique, il a une moustache et il a surtout

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sa fameuse démarche de canard, qui fait que même lorsqu’il est habillé en
policeman, Charlot reste Charlot. Il reste toujours lui-même.
Pour Buster Keaton, son visage est un visage impassible, extrêmement inerte, il
est l’élément stable dans un monde qui semble devenir fou.
Pour les autres comédiens burlesques de l’époque, comme Harold Lloyd ou
encore Harry Langdon, ils jouent aussi dans tous leurs films un personnage qui
reste le même
Par ailleurs, les personnages burlesques ont souvent en commun un certain
rapport avec l’enfance : attitudes, physique enfantin. Ces personnages burlesques
ont tous conservé une part d’enfance dans un monde qui n’est pas à leur hauteur,
un monde adulte. Ils restent assez naïfs, distraits.
Par exemple, dans The Circus, le patron est violent et ne pense qu’en terme de
profit. Les costumes des personnages-types, dans ce cas-ci de Charlot,
contribuent à les démarquer de ce monde-là. Un personnage-type est en décalage
par rapport à la société dans laquelle il se trouve.

- Le slapstick : forme d’action qui va déclencher le rire du public : le coup de


bâton, le lancé de tarte à la crème, etc. Le slaptstick a un effet comique. Ce qui est
intéressant, c’est de voir qu’il y a un effet de surprise dans le slapstick, et c’est ce
qui différencie le slapstick du gag.

Le gag (gag machinique et gag trajectoire) : Le burlesque est une succession


de gags, le gag est construit, il n’est pas du tout instantané, il a été élaboré. On
retrouve 3 temps dans un gag :
1) Exposition, qui montre au spectateur les diverses données en présence
2) Développement
3) Chute, qui va dans une autre direction que celle annoncée
Prenons pour illustrer le film Cops de Keaton, au moment où la charrette se
retrouve tout à coup en plein milieu des policiers (c’est l’exposition). Cette
charrette conduite par Keaton n’est pas à sa place mais Keaton n’a pas l’air de
s’en rendre compte, il prend même la pose de celui qui est en train de parader.
Vient ensuite le développement surprise du gag : un anarchiste lance une bombe.
La bombe arrive comme par hasard sur Keaton, ce dernier allume sa cigarette
avec la bombe sans trouver cela anormal, puis il la jette et elle explose. Là où on
s’attend à un gag qui aurait poursuivi un schéma normal, le gag part dans une
toute autre direction (ici, avec un attentat).

Deux types de gags se retrouvent de façon récurrente dans certains films :


- Le gag machinique : On va mettre en place un dispositif autour d’une machine,
que le personnage doit contrôler mais qu’il n’arriver pas à contrôler (ex : la
machine pour manger en travaillant à l’usine, ou encore dans Malec chez les
fantômes de Keaton, il y a une maison piégée où l’escalier se transforme en
toboggan.
Le gag trajectoire : le gag trajectoire se produit lorsque le personnage se trouve
sur un mobile qui effectue une trajectoire. On pourrait considérer que la
poursuite est une forme de gag trajectoire, puisqu’on va utiliser toutes sortes de
mobile.
On peut également considérer que quand Keaton est sur la charrette, il exploite
toutes les formes de gags (gag machinique + gag trajectoire).

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- Le décalage : Le ou les personnages sont en décalage par rapport à leur
environnement. Ils ont un comportement assez naïf par rapport à la situation. Par
exemple, dans Cops, tout le film se construit sur une arnaque : un escroc vend des
meubles qu’il a trouvé dans la rue. Ces meubles appartiennent en réalité à une
famille qui est en train de déménager. Il y a un décalage par rapport aux meubles,
par rapport aux propriétaires des meubles. C’est un décalage qui ne cesse
d’augmenter, surtout quand l’escroc (=Keaton) est sur la charrette, en plein
milieu des policiers.
Ce décalage peut être soit social, avec le vagabond de charlot, soit il est technique,
lorsque le personnage ne sait pas utiliser une machine.
Autres exemples de décalages :
Dans La ruée vers l’or, Charlot est en Alaska, au milieu des chercheurs d’or. Il y a
une tempête de neige, Charlot va se réfugier dans une baraque de chasseurs.
Pendant la nuit, la tempête pousse la baraque jusqu’au bord d’un précipice et le
matin, la maison n’est pas droite. Charlot ne comprend pas, il ouvre la porte et il
remarque qu’il est dans un précipice.
Dans Sherlock Junior, 1924, Keaton rentre dans un film, et il réagit en fonction du
cadre du plan du film. De cette façon, il marque le décalage du spectateur par
rapport au film, car on ne peut pas rentrer dans un film.

Ce décalage entre le corps du personnage et son environnement spatial exploite


les capacités physiques du personnage. Par exemple, Keaton fuyant les policiers
attrape une voiture et se laisse emporter : il n’y a pas de trucage ! Ou encore, lors
de la séquence de Charlot qui fait le funambule (qui est d’ailleurs un gag), il n’y a
pas de trucage non plus, cela témoigne d’une capacité physique (il tient en
équilibre sur la corde). Dans Cops, quand Keaton fuit les policiers, il se retrouve
sur une échelle en équilibre. On parle de ses performances physiques qui le
mettent en décalage par rapport à son environnement et qui montre que les
corps dans les films burlesques sont un peu comme les corps d’un personnage
animée, qui n’est pas humain, à qui il peut arriver tout sortes de choses sans qu’il
en soit mort ou blessé. D’où le corps figurine, corps mécanique qui peut faire des
choses qu’un corps humain n’est pas capable de faire.

- Le corps-figurine et le mouvement mécanique : Cette idée d’un corps


-figurine à avoir aussi avec la danse (les acteurs burlesques sont souvent des
danseurs). D’autre part, cette idée d’un corps mécanique à avoir avec la machine,
le corps devient mécanique, le mouvement mécanique du corps (ex : acrobatie).
Cela éloigne le personnage de la physionomie du corps humain. Le jeu d’acteur de
Chaplin est chorégraphique.

- Le détournement des objets : On prend un objet et on ne l’utilise pas comme on


devrait le faire (par exemple dans Cops, le gant de boxe sur le bras articulé)

- L’absurde : Lorsqu’il y a une situation extravagante au départ, qui va être


poursuivie de façon extrêmement logique (beaucoup d’absurde chez Keaton). On
pousse la logique d’une situation extravagante jusqu’au bout.

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Séance n°6 : Le cinéma muet français et les avant-gardes
expérimentales (1918-1928)
Le cinéma muet des années 20 représente une époque prodigieuse en Europe. En
quelques années, quantité de chefs d’œuvre vont être produits. Une des caractéristiques
du cinéma des années 20 en Europe est la proximité avec des recherches artistiques.

1) Evolution de l’industrie cinématographique française


Commençons par la France, à partir des années 1918, au lendemain de la guerre, qui a
porté un coup très dur à l’industrie cinématographique française. Avant la guerre,
l’industrie cinématographique française est une des plus grandes productions au monde,
mais pendant la guerre le personnel des industries doit aller au combat. Il y a donc un
arrêt brutal de la majorité des exportations. Les usines de cinéma sont aussi affectées
aux besoins de la guerre. La production faiblit énormément. Et à la fin de la guerre, tout
a changé, la Russie est devenue l’union soviétique notamment.

Pendant la guerre, le cinéma américain s’est transformé et beaucoup développé. Et


comme les Américains sont venues aider les Européens, certains vont rester en Europe
et ils vont envahir les marchés européens avec leurs films. Le cinéma américain va
produire la majorité des films sur le sol français.
Exemple :
- Forfaiture (The Cheat), Cecil B. De Mille, 1915 : un film bien construit sur le plan
dramatique, et qui montre qu’on peut faire des bons films avec peu de moyen (jeu
d’ombre). Ce film va beaucoup impressionner nombre de cinéastes français.
- Foolish Wives, Erich von Stroheim, 1922 : les français se rendent compte qu’on
peut faire des films avec des mauvais sentiments, notamment avec de la sexualité.
- Les films de Charlie Chaplin : ils qui poussent le burlesque plus loin que ce que les
français avaient imaginés.

Le cinéma français est bouleversé, les français se rendent comptent qu’ils ont du retard.
Le cinéma français connait une vraie crise, mais moins économique qu’esthétique : il
faut repenser le cinéma.

La production française baisse dans la programmation des films en France, elle ne


constitue plus que 25 pourcents des programmations. Face à cette invasion de films
européens, les grandes firmes françaises (Pathé, Gaumont, etc) vont devoir se
restructurer. Il faut moderniser et développer les salles. Les firmes vont se recentrer sur
la fabrication de pellicules et elles vont se lancer dans des productions grand public de
film à épisodes : film dont l’histoire se développe souvent en une quinzaine d’épisodes
d’une heure, à la fin de chaque épisode les personnages sont dans une situation très
embarrassante, le spectateur a envie de voir l’épisode suivant qui sortira la semaine
d’après.

Productions de films à épisodes :


- La succursale américaine de Pathé : Film à épisodes de Pathé : Les mystères de
New York. Ce film à épisodes est tourné aux Etats-Unis avec des acteurs
Américains, et il sort en France en 1915.

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- La Société des Cinéromans : La société des Cinéromans est mise en place par
Gaston Leroux, qui s’installe à Nice dans les studios de la Victorine. La société va
produire des Cinéromans, c’est-à-dire des films à épisodes qui sont des
adaptations de la littérature classique française (Remarque : le roman peut se
trouver dans le journal sous forme de feuilleton et se trouver en même temps au
cinéma à raison d’une fois par semaine). Exemple : Monte-Cristo. C’est un film en
deux parties, mis en scène par Henri Fescourt, qui a même été restauré il y a
quelques années. Ce cinéma-là, donc ce cinéma commercial, était d’une qualité et
d’une mise en scène remarquables. De grands acteurs français ont joué dans ce
film à épisodes. C’est une très grande production commerciale en 1929. Cela dit,
sur le plan économique, l’industrie du cinéma français doit encore se
restructurer.

La firme Pathé va connaitre plusieurs restructurations. Charles Pathé, homme d’affaire,


ne se soucie que de ses intérêts commerciaux. Il va restructurer sa firme en séparant le
cinéma et la photographie. Emile Pathé, son frère, s’occupera de la société des
phonographes et Charles va reprendre la partie cinéma et la scinder en deux société :

1) Pathé-Cinéma : dirigée par Charles Pathé, cette société s’occupe de la production


de pellicules vierges, dans le but de concurrencer la société Kodak. Pathé-Cinéma
va fournir des pellicules à une grande partie du continent européen.

2) Pathé-Consortium : elle n’est pas dirigée par Charles Pathé. Pathé-Consortium


va s’allier à des banques, des groupes de presse, pour devenir un gros groupe
financier chargé d’investir dans la construction de salles, dans la distribution et la
production de films (à épisodes ou grands films commerciaux).

Pathé développe aussi le secteur du cinéma familial. Il sort le Pathé-Baby, un petit


projecteur accessible aux familles bourgeoises, et il vend à côté des films au format 9,5
mm, qui sont des copies des grands films de l’époque. En gros, c’est l’ancêtre de la
cassette puis du DVD, c’est l’idée du cinéma chez soi. C’est totalement novateur, c’était
inimaginable auparavant. De plus, Pathé-Baby est aussi une caméra, avec un usage
simplifié où il n’y a pas besoin d’avoir fait des études pour s’en servir. Tout le monde
peut donc désormais faire des films. D’ailleurs, beaucoup de cinéastes vont découvrir le
cinéma avec ces caméras Pathé-Baby.

Il y a là des investissements dans de nouveaux secteurs, mais ces investissements sont


beaucoup trop ambitieux, et ça va créer des difficultés financières, notamment dans la
société Pathé-Consortium. En réalité, il y aura un problème entre les deux sociétés de
Pathé et finalement, Charles Pathé reprendra Pathé-Consortium et il formera ce qu’il
appellera la Pathé-Consortium-Cinéma. Ceci dit, la création de Pathé-Consortium-
Cinéma ne va pas régler tous les problèmes. Il y aura un procès, puis un changement de
nom, et finalement Pathé se retirera définitivement. Il vendra ses actions ciné à Bernard
Natan.
Bernard Natan est ambitieux, il veut relancer la production. Il va produire beaucoup de
films très ambitieux, mais à nouveau il sera trop ambitieux, ce qui entrainera la faillite
du groupe et son procès en 1939. On accuse Bernard Natan d’escroquerie (il est juif à
une époque où l’antisémitisme est à son apogée), on l’envoie en prison, il en sort en
1942 pour être immédiatement envoyé dans un camp de concentration.

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2) La veine réaliste
Jacques Feyder :
Jacques Feyder est d’origine bruxelloise, il part à Paris, devient acteur, travaille pour la
Gaumont à partir de 1908, puis il devient l’assistant de Gaston Ravel. La guerre
interrompt sa carrière, puis il revient en 1919, mais sans travail. Jacques Feyder a un
projet fou : il est passionné par le cinéma et veut réaliser. Son projet consiste à adapter
un best-seller, L’Atlantide de Pierre Benoit, roman qui imagine que le célèbre continent
perdu raconté par Platon (=l’Atlantide) se serait en réalité perdu au milieu du Sahara. Il
veut tourner son film sur place, en plein Sahara, mais il a des difficultés à monter sa
production puisqu’il a pas de moyen. Finalement, un banquier suisse prend le risque de
miser sur Feyder et investit dans ce projet fou. Feyder part avec son équipe, les
difficultés techniques sont innombrables en raison de la chaleur, mais le film sort en
1921.

C’est le premier très long métrage français (il dure 3h), la première superproduction
française, et c’est un succès fulgurant. A partir de là, Feyder, malgré ses difficultés à
produire, continue à réaliser des films : Crainquebille, Gribiche, Les nouveaux messieurs
par exemple. Jacques Feyder va avoir une influence prépondérante sur le cinéma
français : il est celui qui va imposer l’idée que le réalisateur est le metteur en scène et
donc qu’il a un regard d’auteur qui réalise. C’est la mise en scène qui fait le film, et pas
seulement le scénario. Alors qu’avant, on considérait que l’auteur d’un film c’était
l’écrivain (pour le cinéroman). Remarque : Feyder a eu beaucoup d’assistants, parmi
lesquels Marcel Carné.

Jean Renoir :
Jean Renoir est le deuxième fils du peintre impressionniste Auguste Renoir. Il doit à son
père sa fortune ainsi qu’une sensibilité pour la nature et pour l’observation du monde.
Jean Renoir a besoin d’observer la réalité pour produire ses films.

Né en 1884, il ne sait pas trop quoi faire quand il devient adulte. Il est envoyé sur le front
et il termine la guerre dans l’aviation, où il est deux fois blessé. Il se souviendra de
l’expérience de la guerre et de l’aviation dans un de ces films célèbres La grande illusion.
Après la guerre, il découvre les films américains, et en particulier Foolish Wives. Il se
rend compte qu’on peut faire des films autrement. Ce qui le frappe, c’est la cruauté, le
côté amoral du film. Bref, il est fasciné et ce film le décide à entreprendre une carrière
cinématographique. Il dit ceci : « Nous ne voulions pas faire de l’art. Nous voulions faire du
cinéma qui soit nouveau en esprit et qui puisse attirer le public. Le mot « artistique » était
notre ennemi. Nous le haïssions. » Il parle surtout des films d’art qui restaient peu ouverts
au cinéma. Quand il dit ceci, il s’oppose aussi aux impressionnistes. Jean Renoir veut
faire du film grand public, qui exploite les possibilités propres au cinéma.

Sa carrière se lance petite à petit. En 1920, il épouse Catherine Hessling, une jeune
femme séduisante et sexy, dite « poupée ». Il va la faire tourner dans plusieurs de ses
films qui tournent autour de l’érotisme de l’actrice principale. Il adapte Nana de Zola, qui
se déroule dans un théâtre (élément central du cinéma de Renoir). Nana sera un film
mal accueilli par la critique parce qu’il est trop différent. Les français accueillent fort mal
un cinéma inspiré par le cinéma américain. Après Nana, il réalise en 1928 La petite
marchande d’allumettes.

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Jean Renoir va alors découvrir le son à la fin de la décennie et il va produire un certain
nombre de films qui seront des essais techniques. Il va apporter beaucoup au cinéma
sonore.

Carl Theodor Dreyer :


Dans cette veine réaliste, il y a aussi Carl Theodor Dreyer, un cinéaste danois unique en
son genre, qui a une carrière qui commence au muet et se termine dans les années 60
tellement il est exigeant sur la qualité de ses films.
Dreyer a fait quelques films au Danemark, puis un producteur français l’invite à venir
tourner un film en France. Nous sommes à un moment où l’industrie française a
retrouvé sa prospérité. Le producteur français demande à Dreyer de réaliser un film sur
Jeanne d’Arc (c’est un événement d’actualité : 1924). Jeanne d’Arc est un personnage qui
intéresse Dreyer parce qu’il est chrétien.

Dreyer a été fasciné par le ciné américain, en particulier par Intolérance de Griffith, et
par un autre réalisateur, Eisenstein.
Pour réaliser son film sur Jeanne d’Arc, il va engager des acteurs français, notamment
Renée Falconetti qui est une star du théâtre de boulevard. Elle accepte le rôle de Jeanne
d’Arc, ce qui est surprenant parce qu’elle doit se raser les cheveux et jouer sans
maquillage, ce qui pour l’époque était inadmissible pour une grande actrice. Renée
Falconetti s’est totalement investie pour son rôle au point que l’on ne puisse plus
percevoir qui souffre quand elle joue le film : elle-même ou jeanne d’arc ? Elle intègre
totalement le film.

Dreyer engage aussi d’autres acteurs, qu’il sélectionne sur base de leur visage. Il veut
faire un film précis sur un moment : le procès de Jeanne d’Arc. Jeanne d’Arc, jeune fille
toute simple, se retrouve face à des théologiens et des juges dont on comprend tout de
suite qu’ils se moque d’elle, la méprise, ne la croit pas et qu’ils l’ont en réalité déjà
condamnée. La tension dans le film est permanente : une jeune femme simple et timide
face au clerc tout puissant de l’Eglise ; des hommes en général âgés et cyniques face à
une jeune femme frêle et fragile. L’enjeux n’est donc pas seulement historique, on met en
scène une femme naïve seule face à des juges masculins calculateurs.

Dreyer, pour son film, va chercher un document historique exceptionnel : les minutes du
procès. On a conservé les textes de toutes les questions-réponses à Jeanne d’Arc en
langage parlé. Dreyer recopie les mots des juges et de Jeanne d’Arc tels quels. On est
toujours dans du cinéma muet, mais il voulait que son film soit sonore. Il va faire lire le
texte à ses comédiens, de sorte à ce qu’on puisse lire le texte sur la bouche des
comédiens. Il appelle son film La passion de Jeanne d’Arc, en référence à la passion du
christ. Jeanne d’Arc sera elle aussi exécutée par la volonté des hommes, mais des
hommes d’Eglise. Cela donne matière à réfléchir sur les actions de l’Eglise.

Antonin Artaud, un écrivain et homme de théâtre, qui va écrire des textes de théâtre
(encore lus aujourd’hui), va aussi jouer un rôle dans le film La passion de Jeanne d’Arc.
Ce film à une mise en scène très radicale. Dreyer veut filmer les personnages en gros
plan, et il veut avoir un arrière-plan le plus neutre qui soit. Les décors sont donc hyper
simples, de manière à donner toute la puissance de l’expression au visage. Ce film est un
chef d’œuvre, un des plus grands films français de la période (même s’il n’est pas réalisé
par un français).

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3) L’impressionnisme
L’école impressionniste est la principale école en France. Elle représente un groupe
d’artistes qui partagent les mêmes idées et qui veulent les défendre. On peut considérer
que c’est une des toutes premières écoles dans l’histoire du cinéma, composée de divers
cinéastes qui se connaissent et qui partagent une même conception du cinéma. Ces
cinéastes sont Louis Delluc, Marcel L’Herbier, Germaine Dulac, Jean Epstein et Abel
Gance.

Concernant l’origine du mot, le terme « impressionnisme » n’est pas là d’entrée de jeu.


Marcel L’Herbier va souvent employer le mot impressionniste pour qualifier des films
qui ont beaucoup de prises en extérieures, mais il n’est pas encore théorisé. Germaine
Dulac reprendra le mot plus tard, et elle va parler d’une école impressionniste française.
Le mot va ensuite être oublié et c’est finalement dans les années 40 que Henri Langlois
va reprendre le mot en opposition avec une autre école : l’école expressionniste en
Allemagne. Il reprend le mot « impressionnisme » pendant la deuxième guerre mondiale,
un moment où il faut se démarquer (surtout des Allemands), s’identifier. Il fallait
reconnaitre l’école française pour bien la différencier de l’école allemande.

Ces cinéastes se reconnaissent dans une même conception du cinéma, dans une même
idée fondatrice : l’idée d’affirmer que le cinéma est un art, mais un art qui a sa propre
spécificité, qui ne doit plus rien aux autres arts. Le cinéma est un art à part entière qui à
son langage et son esthétique propre. C’est ce qui identifie et rassemble ces
impressionnistes. C’est une idée forte et neuve, en rupture avec les productions
courantes des studios. Ces cinéastes sont tous des praticiens et des théoriciens, tous
écrivent des articles et des livres sur le cinéma en général.

Louis Delluc est le porte-parole du groupe impressionniste. Il publie énormément


d’articles. Petit à petit, une certaine idée du cinéma s’impose. Rédacteur en chef de
revues de cinéma, il publie plusieurs ouvrages au début des années 20, dont un livre sur
Charlot. Il invente de nouveaux mots, notamment le mot cinéma qu’on appelait
jusqu’alors « cinématographiste ». Il invente également le mot « ciné-club ». Il est aussi
scénariste de nombreux films de ses collègues et il réaliste, mais n’a pas réalisé
énormément de films. Son cinéma est un cinéma intimiste qui joue beaucoup sur le
temps, les souvenirs.

Marcel L’Herbier est lui aussi un théoricien. Il publie un texte où il défend l’idée que le
cinéma est un art universel. En tant que cinéaste, il réaliste en 1921 Eldorado, manifeste
du cinéma impressionniste, ainsi que L’argent ou encore L’inhumaine, un film particulier
car il comprend toute une série d’artistes d’avant-garde. Il convoque l’architecte
Fernand Léger pour les décors, il confie la musique au compositeur Darius Milhaud,
comme actrice principale il choisit Georgette Leblanc, travaillent aussi avec lui Claude
Autant-Lare et Alberto Cavalcanti. Il s’agit donc véritablement d’une réunion de talents.
Ce film L’inhumaine, c’est un mélodrame futuriste et particulier, mais qui ne connaitre
pas un grand succès.

Abel Gance : il a l’énorme ambition et prétention artistique de vouloir d’abord devenir


écrivain, mais il n’a pas les moyens de cette ambition. Finalement, il se tourne donc vers
le cinéma et fait preuve d’un véritable génie. Il a la volonté de faire une œuvre d’art et il
y met tous les moyens. Parmi ses films, on retrouve surtout La Roue, un film-fleuve dont

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la durée initiale était de 8 heures, puis réduit elle fût réduite à 4 heure. La roue est un
grand mélodrame, c’est l’histoire d’un amour impossible d’un mécanicien de chemin de
fer, Sisif qui, à la suite d’un accident ferroviaire, va recueillir une gamine qui a échappé à
l’accident. Il va l’élever comme sa propre fille, puis quand elle sera grande, il va en
tomber amoureux. Le fils de ce mécanicien Sisif tombe lui aussi amoureux de sa sœur,
qui n’est pas sa sœur, mais il ne le sait pas. La qualité principale du film, c’est son
rapport à la machine, à la vitesse, aux effets cinématographiques. Abel Gance réalise
aussi Napoléon en 1927.

Jean Epstein : c’est un théoricien, toujours lu à l’heure d’aujourd’hui. Il abandonne la


fiction et va filmer en Allemagne des films dont la dimension documentaire est très
importante. Il décrit la vie des gens mais intègre quand même une énigme.

Ce mouvement impressionniste possède une spécificité propre, et donc un langage


propre. Tous ces cinéastes ont un même langage esthétique, leurs films accordent une
place très importante à la notion de subjectivité, qu’il faut entendre par rapport à deux
pôles :
- Subjectivité du cinéaste, qui est l’auteur de son film. Il raconte une histoire dont il
est l’auteur (même s’il y a des adaptations) et il exprimer un point de vue
d’auteur sur ce qu’il raconte.
- Subjectivité des personnages, les films en question ont souvent une forte
dimension psychologique. Ce n’est pas facile de décrire la psychologie du
personnage. Les cinéastes vont se donner les moyens cinématographiques
d’exprimer la psychologie des personnages (un point de vue, une émotion, une
sensation). Leurs films vont explorer les états d’âme, les atmosphères, et nous
permettre de percevoir ce qui se passe dans la conscience des personnages.
Parfois, ces états intérieurs sont troublés par la folie, l’alcool ou bien ces films
nous donnent à voir leurs visions, leurs rêves, leurs hallucinations ou encore
leurs souvenirs. Le film nous permet d’entrer dans la conscience même des
personnages. Comment ? En travaillant précisément sur le langage
cinématographique.

Ces procédés cinématographiques sont les suivants :


- L’iris : la fermeture et l’ouverture à l’iris est un moyen qu’on utilise pour ouvrir
une scène ou pour recouvrir une scène, un peu comme si on nous dévoilait
quelque chose, comme si nos yeux s’ouvraient, comme si ce qui est à l’écran était
vu par quelqu’un.
- Le flou et le cache : on va laisser certaines zones de l’image dans le flou,
indiquant que quelque chose se produit, quelque chose qui peut être de l’ordre de
l’inconscient. Dans Eldorado de Marcel L’Herbier par exemple, l’héroïne pense à
son enfant qui n’est pas avec elle. Pour exprimer qu’elle pense à autre chose,
L’Herbier fait apparaitre le flou, marquant cette espèce d’échappée du
personnage qui semble sortir de là où il est, alors que son corps y est toujours.
C’est un procédé utilisé pour entrer dans la conscience du personnage.
- La surimpression : deux images apparaissent l’une à travers l’autre. Il peut être
utilisé pour montrer ce à quoi pense ou rêve un personnage, par exemple en
faisant apparaitre une image à travers l’œil d’un personnage. La surimpression
est utilisée également pour exprimer la maladie d’un personnage, l’épuisement,

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on voit plusieurs fois le corps du personnage qui se surimpressionne sur lui-
même pour montrer une perte de connaissance.
- La déformation optique : pour exprimer la folie, l’ivresse d’un personnage
- La caméra subjective : lorsqu’un plan est vu dans les yeux du personnage. On
peut ajouter à la caméra subjective des déformations optiques.
- Le gros plan
- Le ralenti
- Mobilité de la caméra : mouvements d’appareils, la caméra est extrêmement
mobile, c’est très ingénieux et très original.
- Montage rythmique : pour suggérer une atmosphère ou pour insister sur un
mouvement. On voit de très nombreux plans très courts, ou encore des films
accélérés.
- Innovations technologiques particulières : le film Napoléon d’Abel Gance
raconte la jeunesse de Napoléon Bonaparte. C’est un film impérial parce que
Gance se compare à Napoléon, il se considère comme le Napoléon du cinéma.
Dans ce film, il y incontestablement du génie :
- Abel Gance va utiliser l’écran divisé en 4 scènes pour une bataille d’oreillers dans
un dortoir d’orphelins, des plumes volent dans toutes les sens. Il divise ensuite
son écran non plus en 4 mais en 9 scènes, il n’y a plus que du mouvement.
- Il exploite aussi des surimpressions multiples. On voit le visage de Joséphine sur
le globe terrestre.
- Dans une scène célèbre de tempête, on voit le jeune Bonaparte qui est sur l’eau.
Il y a au même moment un débat à la Convention. Abel Gance va montrer le débat
à la Convention en même temps que la tempête, on comprend que ce qui se passe
à la Convention est une tempête.
- A la fin du film surtout, Gance fait polyvision, (=ce qu’il appelle le triple écran ou
encore triptyque à trois images distinctes). On avait trois pellicules projetées par
trois projecteurs différents, qui donnent une image trois fois plus large qu’au
départ. Avec le triple écran, Gance va jouer sur la symétrie.
Le film Napoléon a été plus tard sonorisé par Gance lui-même, puis un anglais va
restaurer le film.

Projection 1 : Extrait de La Roue, Abel Gance, 1923.


Pendant tout l’extrait, nous sommes constamment dans la tête de Sisif, le
personnage principal. Le film nous fait entrer dans la conscience du personnage,
il nous fait voir ce que voit le personnage (caméra subjective en quantité), nous
voyons par les yeux de Sisif, nous comprenons par les yeux de Sisif. Dans La Roue,
il y a quantité d’effets spéciaux : des surimpressions (ex : la main de Sisif quand il
va consulter le voyant, une petite image sur la paume de la main montre Sisif au
travail. La voyant lit à travers les lignes de la main de Sisif), des séances
extraordinaires de flash-back (il raconte ce qu’il s’est passé avec sa fille dans un
montage rythmique, très rapide de toute une série de plans), une subjectivité
importante...

Le cinéma impressionniste reste fondamentalement un schéma narratif, le récit


est très élaboré. Ici, on suit les personnages de Sisif, Hersan, le fils de Sisif, etc. Le
récit revient en arrière (flashback), il y a aussi des flashforward (pas dans
l’extrait). Bref, il y a un traitement de la temporalité du récit et un traitement du
point de vue des personnages. Les formes cinématographiques telles qu’elles

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sont renouvelées sont au service du récit, pour nous faire entrer dans la vision
des personnages, et dans la vision de l’auteur.

4) Naissance du cinéma expérimental en France et en


Europe (1923-1928)
Nous allons voir une série de films qui vont tester limites du cinéma. Des recherches
vont être menées pas des cinéastes mais aussi par des artistes, qui voient dans le cinéma
une nouvelle technique d’expression. Ces artistes travaillent soit de manière isolée, soit
ils sont dans des groupes qu’on peut qualifier « d’avant-garde ».

Le cinéma pur :
Le cinéma pur, c’est l’idée que le cinéma dans sa spécificité fondamentale, c’est du
mouvement. Le cinéma peut nous faire partager des expériences visuelles, qui n’ont pas
besoin de raconter une histoire. Par contre, ce que le cinéma peut faire et pas les autres
arts, c’est mettre les images en mouvement et donc, mettre le spectateur en mouvement.

Plusieurs cinéastes et artistes intéressés par ce cinéma pur, notamment Henri Chomette
(le frère de René Clair) qui va travailler sur cette idée de mouvement sans aucune
préoccupation de la langue. Il va renouer avec la notion d’attraction au sens forain du
terme, mais attraction comme celles d’aujourd’hui où on va placer le spectateur, le client
dans une attraction, un engin qui va lui faire subir des sensations physiques qui peuvent
être très fortes. Le cinéma pur peut produire des effets semblables, mais qui ne
s’adressent qu’à la vision. Chomette, dans son court-métrage Jeux des reflets et de la
vitesse, met une caméra sur une locomotive de train, puis sur un bateau, sur des
montages russes. Il va monter les images qu’il obtient et les faire défiler en accéléré,
pour nous faire ressentir la vitesse. Il s’agit bien d’accorder le cinéma au monde
contemporain, à la technologie, et d’exploiter les techniques pour amener le spectateur à
voir le monde autrement, à voir le monde d’un bolide en mouvement très rapide.

Le cinéma abstrait :
La cinéma abstrait, ce sont des expériences menées par des peintres, comme
Vikking Eggeling. En tant que peintres, ils sont intéressés par toutes les formes de
représentation du mouvement. Les peintres, encore au 18e siècle, essayaient de
reproduire le mouvement sur une peinture. Ces peintres-là découvrent dans le cinéma
une autre technique permettant de représenter le mouvement, ils vont faire des figures
abstraites qui vont être animées comme dans n’importe quel film d’animation, sauf que
ces figures ne représentent pas ni histoire, ni des personnages, ni des décors. Ces sont
juste des formes abstraites animées.
Exemple : Hans Richter, Rythmus 21

Le mouvement « Dada »
Le dadaïsme est un groupe fondé en 1916 en Suisse. A l’époque, on trouve en Suisse des
gens de toutes origines, notamment le poète roumain Tristan Tzara. Ce groupe va réagir
à la guerre et en particulier à la société bourgeoise du 19e siècle qui, selon eux, a conduit
l’Europe à la guerre et donc à la destruction. Ils réagissent de façon radicale en déclarant

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la mort de l’art, et en déclarant vouloir faire de l’anti-art, de façon subversive pour
contester la puissance de la société bourgeoise qui a conduit au désastre.
Cet anti-art devient un art de la destruction, de la provocation. Et s’il y a provocation, il y
a injure au public. Le dadaïsme est l’art de la déraison, on cultive la négativité et
l’incohérence.

Ces artistes dadaïstes sont principalement des poètes : Marcel Duchamp, Man Ray…
Ils se produisent dans les cabarets où ils font des spectacles qui contiennent des choses
incohérentes. Ils récitent notamment des poèmes phonétiques, où tous les mots de ces
poèmes ne signifient rien, ce sont juste des sons qui sont prononcés, on va écouter la
musique des sons. C’est le refus du sens, d’un poème qui signifie quelque chose.

Exemples d’artistes dadaïstes :


- Kurt Schwitters : artiste plasticien, il crée une œuvre à partir de matériaux
trouvés (voir diaporama, assemblages de Kurt Schwitters). On renie l’art dans
tout son passé, son histoire.
- Francis Picabia : peintre, il conserve le tableau chevalet mais il va peindre sur un
plan unique des machines, inspirées par les dessins de machines authentiques.
On va donc négliger l’art romantique et représentatif en allant chercher des
objets qui sont considérés comme le contraire de l’art (les machines).
- Hannah Höch, Raoul Hausmann : ils vont réaliser des photomontages, c’est-à-dire
qu’ils vont chercher des images dans des magazines illustrés, ils vont découper
des visages etc, et puis ils vont les coller ensemble. En plus de ces photos collées
et assemblées, ils vont aussi découper des lettres et les assembler avec les autres
photos, sans pour autant produire du sens. Il y a des rencontres fortuites
d’images. De cette association d’images va surgir d’autres images mais qui n’ont
pas de sens.

Le cinéma et la photographie sont considérés à cette époque par les bourgeois comme
de l’art « nul ». C’est d’ailleurs pour cela qu’ils sont intégrés par les dadas. Le mot dada
lui-même a été choisi précisément en tant qu’il n’a pas de sens et qu’il est utilisé dans le
langage enfantin. C’est à partir de là que va se forger le mouvement dadaïste, les peintres
dadaïstes, etc.

- Marcel Duchamp : il invente le « Ready Made ». Duchamp est invité à une


exposition d’art contemporain, où les organisateurs de l’exposition écrivent en
grand que aucune œuvre ne sera refusée. Duchamp va les provoquer, il va au
drugstore du coin, il achète un urinoir qu’il signe, et il va le déposer aux
organisateurs en disant que son œuvre s’appelle fontaine. L’œuvre est
évidemment refusée mais le sens de l’œuvre, c’est d’aller jusqu’au bout de la
logique. C’est le geste lui-même qui a toute son importance. Le « Ready Made »,
c’est l’objet qui est déjà fait, il n’y a plus qu’à le prendre et à l’exposer pour qu’il
devienne une œuvre d’art.
Marcel Duchamp fera aussi des petits films, comme Anemic Cinema en 1926.

- Man Ray : peintre américain, puis grand maitre de la photographie (notamment


de la photographie solarisée) et des rayographies.
Rayographie = On prend un papier sensible, on pose des objets sur ce papier sensible, et
puis on illumine le papier sensible. Les objets laissent leurs traces sur le papier sensible.

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Photographie solarisée = Avant de fixer une photo, alors qu’elle est déjà développée, il la
repasse sous la lumière.
Man Ray travaille comme photographe, et en tant qu’artiste dada, il participe à ce grand
mouvement de provocation et inévitablement, il rencontre le cinéma. Un jour où une
manifestation dada est organisée, en 1923, on lui propose le de participer à une soirée
qui aura lieu le lendemain. Man Ray va improviser un petit film, Retour à la raison, avec
les moyens qu’il utilise pour la photographie. Il réalise des rayographies sur la pellicule,
il filme aussi un modèle et puis solarise la pellicule, … sans qu’il y ait la moindre
cohérence entre ces éléments. Ce sont des essais mis à la suite les uns des autres, c’est
une pure impulsion d’images. Il y a un rapport de forme et de mouvement, mais pas de
sens.

- Fernand Léger : peintre intéressé lui aussi par le rapport entre le corps et la
machine. Il va réaliser le film Le ballet mécanique.
- Hans Richter : il ne va pas seulement faire des films de cinéma abstrait, il va aussi
réaliser des films dadaïstes comme Vormittagsspuk (Ghost before breakfast), en
1928.

Le film le plus célèbre de ce mouvement dada est le film Entr’acte. Pour occuper le public
d’un balai intitulé « relâche », on propose à René Claire (le frère de Henri Chomette) et à
Francis Picabia de réaliser un film qui doit passer à l’entracte, avec la seule condition
qu’il doit faire sortir le public de la salle. Entr’acte est un film qui renoue avec le cinéma
des premiers temps, avec le burlesque, c’est une histoire qui n’a ni queue ni tête, c’est
une fantaisie délirante. Par exemple, il y a une longue scène d’un cortège funèbre, avec
un corbillard tiré non pas par des chevaux mais par un dromadaire. Ce cortège funèbre
ne s’en va pas en marchant mais bien en courant, etc. Le film est entrecoupé par toutes
sortes de choses comme par exemple un plan ou on voit une danseuse en tutu qui danse,
mais filmée en dessous, ou bien des plans de Paris qui basculent dans tous les sens,…

L’école surréaliste :
Le mouvement dada de pure provocation n’entend pas se constituer comme mouvement
ni faire de l’art, il va donc très vite s’estomper. A ce moment-là, un groupe de poète va
construire un mouvement plus durable et plus construit, qui va constituer l’école
surréaliste.

L’école surréaliste est un mouvement vaste très complexe. Le surréalisme est un


mouvement artistique contestataire, révolutionnaire qui entend bien ouvrir de
nouvelles portes à la littérature et aux arts en général, en découvrant de nouvelles
possibilités de création qu’offre l’inconscient. L’inconscient, c’est la grande invention de
Freud et de la psychanalyse. Freud va approfondir la connaissance de l’inconscient et la
théoriser : au-delà de la conscience dans notre personnalité, il y a des phénomènes qui
ne sont pas explicites mais qui nous déterminent, des pulsions déterminées par notre
enfance, et surtout par la sexualité. Les surréalistes se passionnent par la psychanalyse
(qui domine la pensée culturelle de la première moitié du 20e). Les surréalistes sont les
contemporains de Freud et ils constatent qu’avec Freud, notre inconscient produit des
fragments de phrases qui sont étonnant. Par exemple, le lapsus : quand on dit un mot
pour un autre, et que ces deux mots se catapultent et nous surprennent, comme si notre
conscience s’était éteinte un instant pour laisser place à notre inconscient. Autre
exemple, les rêves : porte d’entrée dans l’inconscient.

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Les surréalistes exploitent l’écriture automatique (nouveauté), c’est-à-dire qu’ils tentent
par toutes sortes de moyens (dont la drogue) mais surtout par des jeux d’écriture, de
libérer les mots pour qu’ils ne soient plus saisis et organisés par la raison. Exemple de
jeu : le cadavre exquis. L’idée, c’est qu’il y a de la poésie dans l’écriture automatique.

André Breton, en 1924, publie le Manifeste du surréalisme : ce texte est une rencontre
entre la réalité et une autre dimension de la réalité, qui fait partie de l’inconscient. Le
surréalisme, c’est entrer dans un univers à double entrée (attention, ce n’est pas
l’irréalisme !). Il y a donc une poésie, une littérature, une peinture (Magritte, Dali)
surréaliste, et puis quelques firmes de production surréalistes.

Dans les années 1920, Salvator Dali, qui est catalan, va réaliser un film avec Luis Bunuel,
Un Chien Andalou. Dali a un imaginaire fracassant, son film est truffé d’obsessions
dalinienne. A cette époque, Dali n’a encore rien fait à part des poèmes en catalan, c’est
son premier film. Ce film doit être vu comme un rêve, avec ce paradoxe que d’un côté le
film tente de nous projeter dans un univers inconscient, mais de l’autre côté le cinéma
automatique n’existe pas, il faut quand même une organisation. C’est un défi : le cinéma
est-il capable de produire un film avec des processus psychiques ?
Le spectateur doit rompre avec sa façon de regarder le cinéma et le monde, il convient
donc avec Un Chien Andalou de lui ouvrir les yeux. Dans le prologue du film, les
réalisateurs nous ouvrent les yeux, le film commence après en mettant en scène un
homme et une femme donc les relations ne peuvent être perçues que par le désir et la
répression du désir, et avec toute la symbolique psychanalytique.
C’est un film qui est construit sur une série de séquences sur des rapports entre les
images qui sont de l’ordre de l’association, donc rien à voir avec une organisation
rationnelle des choses. Ce film est figuratif (pas abstrait), narratif, et les relations entre
les personnages ne sont pas rationnelles mais bien pulsionnelles.
Après ce film, Bunuel et Dali vont réaliser ensemble un autre film, L’âge d’or, plus long
mais dans le même esprit.

Il convient aussi de pointer un autre film surréaliste d’Antonin Artaud et de Germaine


Dulac, La Coquille et le Clergyman. Germaine Dulac va reprendre le scénario d’Artaud,
mais Artaud va désapprouver ce film.

Le surréalisme ne s’arrête pas là, Bunuel va travailler au Mexique, puis il revient en


France et renoue avec le surréalisme. Il va faire des films qui explorent les processus
inconscients, et surtout la sexualité.

On peut considérer aussi que Jean Vigo est un cinéaste marqué par le surréalisme. Son
film A propos de Nice n’est pas totalement surréaliste mais il contient des éléments qui
viennent du surréalisme.

Pour finir, les « symphonies de la ville », qui sont des films à mi-chemin entre le
documentaire et l’expérimentation (comme par exemple le film de Walter Ruttmann,
Berlin, symphonie d’une grande ville, en 1927). Ce sont des films sur une ville. La ville
passionne les artistes dans les années 1920, elle représente la lumière, le mouvement, et
tout ce qui bouge attire le cinéma. Ces films sont un peu des documentaires mais pas
totalement car il y a quand même un point de vue d’auteur. Ces films vont exploiter les
innovations de leurs contemporains dans leur vision documentée sur la ville.

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Séance 7 : Le cinéma muet soviétique (1919-1929)
Nous sommes dans une période et un pays qui ont un apport considérable dans
l’histoire du cinéma par le développement du montage principalement. De plus, on
constate l’édification d’un discours cinématographique en accord avec les idées
révolutionnaires.
Ce qui va être au centre de cette séance, c’est l’idée de révolution à la fois artistique,
politique et cinématographique. L’une des notions que nous allons rencontrer, c’est la
notion d’avant-garde (déjà évoquée la séance dernière).

1) Cinéma, révolution et avant-garde


Il faut repartir de l’origine du cinéma en usine. Il y avait les usines Pathé près de Moscou,
mais le Russie n’avait quasiment pas développé d’industrie cinématographique. Jusqu’à
la première guerre mondiale, on se contentait de montrer des films étrangers. Il y a
quand même quelques studios qui vont être montés, et on verra des films russes à
tendance mélodramatiques et psychologiques. A partir de textes littéraires, l’esthétique
générale sera plutôt réaliste (avec les moyens du cinéma des premiers temps), on
retrouve beaucoup les thèmes de la mélancolie, de la souffrance…
Quelques auteurs de références. Yakov Protazanov, Wladislaw Starevitch (grand maitre
du cinéma d’animation), Vasili Goncharov,

Rappel historique :
Viens alors la première guerre et en 1917, la révolution russe qui va donc instaurer à
partir d’octobre 1917 un nouveau régime, le régime communiste. Les grands faits de
cette révolution : l’empire des tzars était un empire constitué au 16e siècle, où on était
complètement dans l’ancien régime, avec un système économique archaïque, une
minorité aristocratique qui détenait le pouvoir, et une petite classe ouvrière parce que
l’industrie était peu développée. De plus, ce régime qui était en train de se lézarder se
toute parts s’est lancé de façon assez inconsciente dans une guerre contre le Japon en
1905. La Russie va perdre cette guerre, ce qui va provoquer une première révolution en
1905 mais qui ne provoquera pas la moindre amélioration du régime.

Lors de la première guerre mondiale, la Russie est en guerre contre l’Allemagne. Le


peuple, qui est déjà extrêmement pauvre, doit subir en plus toutes les souffrances de la
guerre. Par ailleurs, il y a une bourgeoisie qui possède le pouvoir économique et qui ne
trouve évidemment pas son intérêt à cette guerre. Une seconde révolution éclate en
février 1917, c’est une révolution bourgeoise qui va destituer le tzar, c’est la fin de
l’empire, on crée une république et un gouvernement provisoire (le 1e ministre est
Kerenski) qui réunit plusieurs partis (notamment des socialistes démocrates = des
Mencheviks). Ce gouvernement provisoire ne va pas durer très longtemps puisqu’au
mois d’octobre 1917, il y a une troisième révolution qui est un coup d’état, mené par le
parti communiste donc par les bolchéviques, dirigés par Lénine. Le parti bolchévique
emporte le pouvoir grâce à sa très bonne organisation (conseils ouvriers = les soviets).
Le nouveau régime proclame la fin de la propriété privée, la dictature du prolétariat et
va donc instaurer un régime à parti unique qui va prendre des mesures radicales et
bouleverser tout l’ordre social et économique.

L’instauration d’un pouvoir communiste provoque l’exode de la bourgeoisie russe, de


très nombreux Russes vont s’exiler à l’étranger. Et depuis l’étranger, ces Russes vont

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créer des armées contre-révolutionnaires dans le but de reprendre le pouvoir en Russie.
Cela provoque une guerre civile de 1918 à 1922, extrêmement sanglante, mais qui va se
terminer par la victoire des Bolcheviks.

Le nouveau gouvernement soviétique va signer le traité de Brest-Litovsk en 1918 avec


l’Allemagne car les communistes ne veulent pas poursuivre la guerre avec l’Allemagne.
Dès le départ, le gouvernement Bolchevik procède à des nationalisations d’entreprises.
Comme les liens sont coupés avec les pays étrangers et que les entreprises russes ne
sont pas assez grandes, c’est une période de récession économique. Le peuple a faim.
C’est la misère, la famine jusqu’en 1922, fin de la guerre civile, on revient en partie vers
une économie de marché : c’est la NEP. L’économie va donc être relancée, on va voir
apparaitre le chômage… mais par contre il y aura des profiteurs du système. Certains
propriétaires vont s’enrichir démesurément. Lénine meurt en 1924.

Entre 1924 et 1929, Saline et Trotski se disputent autour du pouvoir. Trotski prône une
révolution internationale, Staline veut installer d’abord le régime soviétique en URSS.
Staline gagne et fait assassiner Trotski. 1929, c’est le début de la dictature stalinienne.
Staline n’est pas premier ministre ni président, il est secrétaire général du parti
soviétique et il va diriger l’union soviétique jusqu’à sa mort. Dès les années 1930, il crée
les plans quinquennaux. C’est une transformation complète de l’économie soviétique :
on nationalise toutes les entreprises, il y a une industrialisation massive, une
transformation complète de l’agriculture, on crée des fermes collectives, les anciens
fermiers sont dépouillés de leurs biens. Les anciens propriétaires fonciers sont
massivement déportés et ne reviendront jamais. Staline assoit son pouvoir dictatorial
par des grands procès (1938) qui vont liquider tous les anciens collaborateurs de
Lénine, ceux qui avaient fait la révolution.

Les avant-gardes en Russie et en URSS :


Parallèlement à cela, il y a durant cette période (1905 jusqu’à la fin des années 1920)
des grands bouleversements artistiques. La Russie est un pays où éclosent des
mouvements d’avant-garde extrêmement progressistes, qui préexistent donc à
l’instauration du communiste. Ces mouvements étaient extrêmement audacieux et vont
trouver dans la révolution l’occasion de se développer. On ne retiendra que les
mouvements qui sont importants par rapport à l’émergence du cinéma soviétique :
- Le futuriste
- Le suprématisme
- Le constructivisme
Ces mouvements d’avant-garde entendent bien révolutionner l’art lui-même (avant-
garde vient du langage militaire et désigne ceux qui sont en première ligne, avant les
autres). Le terme est repris par les mouvements politiques et il est aussi récupéré par
les mouvements artistiques qui entendent bien révolutionner l’art, pratiquer un art
nouveau dans une société nouvelle.

- Le futurisme :
Le futurisme est un mouvement qui nait d’abord en Italie et qui va connaitre une
excroissance en Russie début des années 1913. C’est un mouvement plus littéraire que
plastique, qu’il soit Italien ou Russe, il part de l’idée qu’il faut faire table rase de l’art
ancien. Les musées contiennent des œuvres qui ne sont plus en accord avec leur temps,
disent les Italiens. Les Russes disent qu’il faut tuer les artistes qui ne sont plus en accord

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avec leur temps. Il faut un monde dynamique, avec de la vitesse, du mouvement.
Maiakovki est l’un des plus connus poètes futuristes en Russie. Maiakovski va proposer
une poésie brutale, violente, qui perturbe complètement les règles de la poésie et qui
parle de la vie quotidienne des gens, de sa propre conception des choses. C’est une
poésie d’une nouveauté totale, adaptée aux moyens de diffusion modernes comme par
exemple la radio.
A côté des poètes futuristes, il y a les plasticiens futuristes comme Natalia Gontcharova,
qui, par sa peinture, cherche à illustrer la vitesse. Ou encore Ivan Klioune, qui fait voir
notamment un paysage vu du train.

- Le suprématisme :
Le suprématisme est essentiellement représenté par un peintre : Kasimir Malevitch, puis
il y aura quelques suiveurs. Il révolutionne totalement la peinture par l’abstraction.
Malevitch va privilégier la peinture autour d’un degré suprême de l’abstraction. Ses
peintures ne sont pas représentatives, elles expriment une pureté de la peinture. Sa
forme privilégiée, c’est le carré, car il n’existe pas dans la peinture. Donc il privilégie des
formes universelles et non naturelles (la croix aussi). Le suprématisme est selon lui une
réalité pure, et purement produire par le peintre : ce que vous voyez c’est ce que vous
voyez.
Il crée une nouvelle mystique qui n’est plus religieuse mais qui se fonde sur l’art, l’art
c’est ce qui permet à l’homme de toucher à l’infini. Le fameux carré noir sur fond blanc,
qui est une œuvre emblématique du suprématisme, est une preuve qu’il dessine une
œuvre pure et en même temps limitée. Il y a le bord du carré qui est fini, là où la toile
peut quant à elle suggérer l’idée d’infini. C’est le rapport entre l’infini et le fini.
Autre œuvre célèbre : le carré blanc sur fond blanc. C’est l’idée qu’il y a une limite sur ce
qui pourrait ne pas en avoir. De nouveau, rapport entre l’infini et le fini.

- Le constructivisme :
Le constructivisme est un mouvement qui rompt avec toute idée de représentation. L’art
n’a pas pour fonction de représenter le bon, la représentation du monde peut se faire
par d’autres moyens mais elle ne sert à rien. L’art à une fonction politique qui consiste à
construire de nouvelles structures. Le constructivisme est au départ un mouvement
d’architecte et de sculpteurs, ce sont des artistes qui font effectivement de nouvelles
structures. Mais les sculptures traditionnelles se posaient sur un socle, était fabriquée à
partir de matériaux auxquels on donnait forme. Concernant le constructivisme, il s’agit
de construire des formes qui intègrent non pas le plein mais le creux, le vide. On va
ceindre l’espace et des fragments de cet espace qui restent vide. Vladimir Tatline
propose des « contre-reliefs », ce sont des reliefs, mais ce ne sont pas des reliefs au sens
strict. Ce sont des volumes creux, ceinturés par des cordes, des tablettes… qui vont être
accrochés à un mur ou à l’angle de deux murs. On rompt avec la tradition de sculpture
posée sur un socle, et à plein.
Alexandre Rodtchenko est l’auteur de « Compositions suspendues dans l’espace » et
Naum Gabo va réaliser « Tête construite », une sculpture sans matière pleine.
Le constructivisme va avoir une importance considérable, il y aura aussi des peintres
constructivistes et même des photographes constructivistes. L’idée essentielle est de
construire de nouvelles structures. Il y aura aussi beaucoup d’affichistes. L’idée centrale
du constructivisme va devenir centrale aussi chez certains cinéastes, dont on reparlera.

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Le cinéma reste presque tout à faire étranger à ces mouvements d’avant-gardes, qui
naissent avant la première guerre mondiale. Il faut attendre 1919 pour le cinéma. C’est à
ce moment que Lénine va signer un décret de nationalisation de l’industrie
photographique et cinématographique. Toutes les anciennes sociétés de production de
films appartiennent donc à l’Etat, le cinéma devient une industrie étatique, ce qui est
unique au monde en cette période. Le cinéma est donc contrôlé par le gouvernement.
Lénine fait exactement ce que les mouvements d’avant-gardes voulaient faire : il fait
table rase du cinéma ancien. Bon nombre de producteurs, de techniciens, de
réalisateurs, d’acteurs… vont quitter le pays. Des communautés de genre de cinéma vont
se créer à l’étranger. A Paris notamment, une communauté de Russes qui font du cinéma
vont créer la société Albatros. La société Albatros produit des films d’abord destinés à la
société russe, puis petit à petit ils produiront des films français. On y retrouve là
quelques cinéastes et comédiens qui travaillaient avant en Russie, dont Ivan Mosjoukine.

En Russie, l’industrie cinématographique est complètement désarticulée. Or, à ce


moment-là, la jeune URSS connait une crise économique sans précédent. Les matières
premières ne viennent plus, l’industrie cinématographique a perdu ses dirigeants, il est
devenu presque impossible de faire du cinéma, presque tout a été détruit en quelques
années. En 1922, Lénine dit quand même que de tous les arts, le cinéma est le plus
important. C’est une phrase clé pour comprendre le développement aussi rapide du
cinéma après 1922 en URSS.
Lénine a compris que le cinéma était un moyen de propagande politique et en même
temps un formidable moyen de didactique. Il faut bien comprendre que la Russie des
années 1920 est très peuplée mais que la grande majorité de la population russe vit
dans les campagnes, vient d’un régime « féodal », et cette immense classe paysanne est
illettrée. On vient du Moyen-Age. Il fallait donc trouver des moyens techniques pour
diffuser les idées du nouveau régime partout dans le pays. Il fallait démontrer le bien-
fondé de la dictature du prolétariat, et faire prendre conscience à la classe ouvrière
qu’elle vivait dans des conditions d’aliénation (=exploitée sans le savoir). Le cinéma
allait être l’outil principal de cette propre industrie de propagande et aussi
d’alphabétisation.

Le ciné-train d’Alexandre Medvedkine :


Alexandre Medvedkine, en 1932, demande au comité central du parti communiste pour
créer un ciné-train. L’idée du ciné-train est de prendre des wagons de chemin de fer et
d’y créer dedans un laboratoire de développement de la pellicule, à côté duquel on va
créer des bandes de montages, et le train va aussi véhiculer une salle de projection. Le
train va circuler à travers tout le pays, et des dizaines d’opérateurs vont aller filmer dans
les campagnes les travaux agricoles, filmant à la fois ce qui fonctionne et ce qui ne
fonctionne pas. Les films sont ensuite immédiatement développés sur place dans le
train, et dès le lendemain ils sont montrés aux gens. Les films qui leurs sont montrés
leur font comprendre ce qui fonctionne dans leur manière de travailler, et comment ils
peuvent améliorer ce qui ne fonctionne pas.
Le ciné-train est donc un instrument au service du pouvoir, mais aussi il est aussi engagé
dans une façon d’instruire la population, avec déjà cette idée que le cinéma peut agir sur
le destin des peuples, peut favoriser le développement des personnes et des
collectivités, et qu’on peut le faire sur place directement. On peut considérer ici que le
ciné train relève aussi de la conception de propagande.

53
2) Premiers groupes d’avant-garde et le « montage-roi »
Nous sommes en période de guerre civile, les moyens manquent. Il n’y a plus beaucoup
de pellicules, de techniciens, de caméras… Comme il est difficile de tourner, ceux qui ont
envie de faire du cinéma vont beaucoup travailler à remontrer des films. Eisenstein,
notamment, va remonter des films, pour leur faire dire autre chose que ce que le film
disait initialement. Il y a aussi des écoles où on fait des expériences
cinématographiques :

- Premier groupe d’avant-garde : Le laboratoire expérimental de Lev


Koulechov :
Koulechov a créé une école de comédiens qui voudraient faire du cinéma. Il les fait
réfléchir aux possibilités du cinéma, mais sans avoir les moyens matériels pour en faire
concrètement. Parmi les possibilités du cinéma, il y a la question du montage. Koulechov
va faire des expériences avec ses étudiants et créer un concept bien connu : l’effet
Koulechov. Deux choses sur l’effet Koulechov :
Premièrement, l’effet Koulechov nous est connu grâce à Poudovkine, mais Koulechov n’a
pas écrit là-dessus. L’effet Koulechov relève d’une expérience très précise, mais il n’en
reste aucune trace à l’heure d’aujourd’hui.
Deuxièmement, à l’heure actuelle, l’effet Koulechov peut être vu tous les jours à la
télévision. Il est généralisé dans toutes les images audiovisuelles, c’est une notion
capitale (question d’examen).
Deux points à distinguer.
1) L’expérience faite par Koulechov et qu’il faut décrire très précisément.
2) Les conclusions de ces expériences. Il y a 3 conclusions principales, qui sont en réalité
3 formulations différentes de la même idée.

L’expérience :
Koulechov va prendre des vieux films tsaristes. Dans ces anciens films, il va retirer 4
images, 4 plans (pas des images fixes).
Tout d’abord, un plan qui montre le visage de l’acteur Ivan Mosjoukine, un visage
impassible, sans expression. Ensuite, un plan qui montre une assiette de soupe, un plan
qui montre un cercueil, et enfin un plan qui montre une femme étendue sur un sofa.
Koulechov montre ces images en alternance. Le plan de Mosjoukine puis le plan de la
soupe, le plan de Mosjoukine puis le plan du cercueil, et enfin le plan de la femme puis le
plan de Mosjoukine.
Koulechov montre ces images à ses étudiants. La réaction des étudiants : Mosjoukine est
vraiment un acteur incroyable, il est capable pas des expressions semblables d’exprimer
des choses différentes (faim, tristesse, désir). Or, le visage de Mosjoukine n’exprimait
rien, il était parfaitement impassible.

Trois conclusions :
1) Le montage fait naitre un sens qui n’existe pas dans les images prises
séparément. C’est un sens nouveau : l’idée de la faim, de la tristesse, du désir…
nait du rapprochement des images, mais n’existe pas dans les images isolées.
2) Le montage modifie le sens initial d’une image. Là où le visage est impassible, on
va voir l’affect de la faim, du désir ou de la tristesse
3) Il y a un principe d’inférence qui agit à l’intérieur du montage et qui fait que c’est
le spectateur lui-même qui va établir spontanément une relation entre les
images, c’est le spectateur qui va voir un rapport logique entre des choses qui

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sont absolument étrangères les unes des autres, parce que le spectateur ne peut
pas s’empêcher de chercher un lien logique entre des choses mêmes hétérogènes.

Cette expérience s’inscrit clairement dans le prolongement de recherches qui ont été
faites peu auparavant par un célèbre psychologue russe : Pavlov. On va stimuler un
chien en lui donnant à manger. Pendant qu’il mange, on secoue une clochette, au point
qu’il suffira plus tard qu’on secoue la clochette pour que le chien commence à s’animer.

Le cinéma peut conditionner psychologiquement le spectateur en lui donnant à voir des


images hétérogènes, le spectateur va découvrir un sens logique.
Koulechov fera d’autres expériences du même ordre. Exemple : il prend trois plans
différents, un montrant le visage d’une femme, un autre montrant le dos d’une
deuxième, et enfin le dernier plan montrant les jambes d’une troisième femme. En
associant les trois plans, les spectateurs croiront que c’est la même femme. Koulechov va
créer un personnage qui n’existe pas.

Bref, ces expériences démontrent l’immense puissance du montage qui permet de créer
des êtres et des lieux nouveaux, et aussi d’insuffler des idées au spectateur. A ce titre, le
montage n’est pas simplement un outil, le montage est lui-même révolutionnaire. Par le
montage, on va créer des structures nouvelles, des hommes nouveaux et des idées
nouvelles. Un monde nouveau.

Films principaux de Lev Koulechov : Les aventures de Mr West au pays des Bolcheviks
(1924), Le Rayon de la mort (1925), Dura Lex (1926).

- Deuxième groupe d’avant-garde : La Fabrique de l’Acteur Excentrique


(FEKS) :
C’est aussi une école d’acteur, créée en 1922 par L. Trauberg, S. Youtkevitch et G.
Kozintzev. Ces cinéastes, moins connus du grand public, vont réaliser des films qui sont
totalement d’avant-garde, mais dans une avant-garde qui n’est pas aussi directement
révolutionnaire que celle de Koulechov. Ces trois cinéastes vont mettre en avant les
théories d’un grand metteur en scène russe : V. Meyerhold.
Pour bien comprendre la théorie de Meyerhold, il faut la mettre en parallèle avec celle
de Stanislavski. Ce dernier, au théâtre, travaille sur la construction du personnage et
surtout sur le jeu de l’acteur. Il est l’auteur de plusieurs livres dont un très célèbre : La
formation de l’acteur. Ce livre va circuler dans le monde entier, et les idées de
Stanislavski aussi, dans les années 50. C’est de ce livre que vont sortir toutes les grandes
vedettes hollywoodiennes des années 50. Le livre de Stanislavski repose sur cette idée
que l’acteur doit devenir son personnage, il doit s’oublier lui-même pour devenir un
autre. Il va devoir avoir le passé de son personnage, regarder le monde comme son
personnage, penser comme son personnage. Cette théorie est construite à partir de
spectacles naturalistes.

Meyerhold a une toute autre conception du jeu de l’acteur. Il va élaborer la théorie de


l’interprétation biomécanique. Cette théorie du jeu de l’acteur, il la construit à partir
d’autres formes de spectacles non-naturalistes ni psychologique, c’est-à-dire qu’il la
construit à partir du spectacle de cirque, à partie de la commedia dell’arte et bien sûr,
comme nous l’avons vu, à partir du cinéma burlesque, tout particulièrement à partir du
personnage de Charlot. Le jeu d’acteur de Chaplin n’a rien de réaliste, il est au contraire

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terriblement mécanique et caricatural. L’idée d’un corps mécanique, on la retrouve dans
le jeu de Chaplin, comme dans le jeu des artistes de cirque ou de commedia dell’arte.
C’est un jeu d’acteur non naturaliste, non psychologique, mais qui va stimuler le geste.
On ne va garder du geste que ses lignes principales, l’acteur va se défaire des lignes
naturelles pour garder la ligne pure du geste stylisé.

On comprend dès lors mieux pourquoi la FEKS a choisi l’appellation « La fabrique de


l’acteur excentrique », l’excentricité étant finalement le mot qui résume tout ce qui n’est
pas naturaliste, pas psychologique, pas vraisemblable. Une bonne dose d’absurde va être
ajoutée à l’excentricité. Les théories de Meyerhold vont se retrouver dans quelques films
produits par le FEKS, comme Les aventures d’Oktiabrina (1924), Le manteau (1926)…

- Troisième groupe d’avant-garde : les KINOKS de Dziga Vertov :


Autour de Dziga Vertov, Kinoks veut dire « les fous de cinéma ». Ce sont des opérateurs
d’actualité qui étaient envoyés sur le front lors de la guerre civile (chargés de rapporter
des actualités). Leurs films étaient ensuite montrés dans les salles de cinéma en tant que
bande d’actualité. Cela faisait en quelque sorte office de journal télévisé, c’était une façon
d’avoir une information visuelle.
On a connu des films dans ce genre-là jusqu’à l’arrivée de la télévision. Il y avait des
firmes spécialisées (France : Pathé journal ; Belgique : Belgabox). En Russie, la firme
spécialisée en information visuelle s’appelait Kino-Pravda (=cinéma-vérité). Mais
attention, ce n’est pas du cinéma-vérité comme dans les années 1960. Dans les années
1920, la presse étant sous contrôle de l’Etat, il n’y a qu’un seul journal officiel : la Pravda,
qui a existé pendant tout le régime communiste. C’était la voix du régime, la seule presse
autorisée. Le Kino-Pravda, c’est donc le journal officiel (autorisé) en cinéma. Le Kino-
Pravda, c’est le programme d’actualité cinématographique où on va voir les bandes
cinématographiques tournées par les Kinoks.

Dziga Vertov va élaborer une théorie du cinéma basée sur ces opérateurs d’actualité. Il a
un parti pris très affirmé. Vertov refuse tout jeu d’acteur. Il refuse les costumes, les
maquillages, les studios, les décors, tout ce qui est de l’ordre de la mise en scène et donc
de la fiction. Pour lui, le cinéma doit être un œil sur le monde. Il forge ici un concept : le
« ciné-œil ». C’est l’idée que le ciné-œil voit tout ce que l’œil humain ne voit pas, c’est un
œil technique, mécanique, qui peut voir là où l’œil humain ne peut pas voir. La caméra
devient un moyen d’observation du monde, des villes, des usines, du travail, des
techniques, des moyens de transport, des machines… de tout ce qui fait le monde
moderne. La ciné-œil est le produit d’une interaction entre le propos qu’on veut tenir
sur le monde et ce qui est filmé par la caméra. Vertov va filmer un monument de cinéma.
C’est un cinéma particulier car en même temps il y a aussi un côté documentaire dans le
cinéma de Vertov. Le film manifeste de la technique de Vertov, en 1929, est L’homme à la
caméra. Dans ce film, il y a des trucages qui soutiennent les idées de Vertov sur ce que
doit être le cinéma, des surimpressions multiples.

Vertov enfin élabore un dernier concept, tout simple, le concept de montage


ininterrompu : c’est l’idée que toutes les opérations de réalisations d’un film, depuis
l’écriture jusqu’à la projection, en passant par tous les stades de la réalisation, toutes ces
phases relèvent du montage. Ecrire un scénario, selon Vertov, c’est dire qu’on verra un
caméraman qui filme, puis on verra ce qu’il filme. Et dire cela, c’est faire du montage,
c’est choisir de filmer la dactylographe et sa machine à écrire, et de choisir de mettre les

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deux images en surimpression. Mais c’est aussi faire le choix par exemple de filmer un
homme qui dort sur un banc, pour faire comprendre que c’est homme qui n’a pas de
domicile. Si à l’arrière-plan on voit une grosse maison et quelqu’un qui sort de cette
maison, on fait un rapport entre l’arrière-plan et l’avant-plan, c’est du montage. Toutes
les opérations du film, avant pendant et après le tournage, toutes les opérations
cinématographiques relèvent du montage. Le montage interrompu caractérise tout le
cinéma, pas seulement le montage.

3) Projection 1 :
Le cuirassé Potemkine, 1925

4) Principaux cinéastes soviétiques :

Sergueï Eisenstein : En plus d’être un cinéaste, Eisenstein est aussi un théoricien du


cinéma. Il est celui qui a le plus pensé le rapport entre théorie et pratique, il est l’auteur
de peu de films mais d’un nombre exceptionnel d’écrits qui constituent aujourd’hui
plusieurs volumes. Ses écrits ont été déterminants dans l’histoire du cinéma, ici en
Belgique, avant qu’il n’existe une méthode de cinéma, ceux qui voulaient faire du cinéma
l’apprenait en lisant Eisenstein.
C’est un théoricien qui n’est pas pour autant l’auteur d’une œuvre théorique figée, son
œuvre a évolué en fonction de sa conception du cinéma, des rapports tumultueux avec le
pouvoir et les techniques cinématographiques en URSS, mais aussi en évolution avec les
techniques nouvelles comme par exemple le son. Sa pensée est donc une pensée en
mouvement, ce qui a du sens parce qu’il n’a cessé de penser en terme de dynamique et
de dialectique. Ses écrits sont l’œuvre d’une pensée du cinéma, et ses films sont une
expérimentation du cinéma.

Sergueï Eisenstein a d’abord une formation d’architecte. L’architecte est un


constructeur. Il va d’abord travailler comme décorateur de théâtre et il va commencer
au théâtre de Moscou, où il va ensuite faire de la mise en scène. Il va suive les cours de
Meyerhold, et donc apprendre la théorie de l’interprétation biomécanique, fortement
inspirée par l’art populaire comme le cirque etc. C’est dans ce cadre-là que Eisenstein va,
au théâtre, explorer une pratique du théâtre qu’il va théoriser sous le nom de montage
des attractions. C’est une notion très importante qui a le théâtre pour origine.

Filmographie :
En 1922, il remonte un film de Fritz Lang. Il réalise son 1e court-métrage en 1923, Le
journal de Gloumov, qui est une parodie des films d’actualité de l’époque. Il réalise son
premier long-métrage en 1924, La Grève. C’est son premier film vraiment personnel.
Dans ce film, il va faire une première expérience de montage des attractions, cette notion
qu’il avait abordée au théâtre et qu’il transpose au ciné. En 1925, il réalise Le Cuirassée
Potemkine. A l’origine, ce film devait être une grande épopée pour le 20e anniversaire de
la révolution de 1905, il devait y avoir 5 films mais on n’en a réalisé finalement qu’un
seul. En 1927, pour le 10e anniversaire de la révolution d’octobre 1917, il
réalise Octobre, le film le plus radical dans sa conception du montage. En 1929, il réalise
La Ligne Générale, un film sur le monde rural et les transformations apportées par la
technique.

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Ensuite, en 1930, il va entreprendre un long voyage en Europe puis aux Etats-Unis puis
au Mexique. Il est invité par diverses associations cinématographiques en Europe à faire
des conférences (il se rendra même à Seraing).
Aux Etats-Unis, il a un contrat avec la Paramount pour réaliser un film. Eisenstein
propose l’adaptation d’un célèbre roman, L’or, mais le scénario n’est pas accepté
notamment à cause du fait qu’on a mis en place une commission chargée d’enquêter sur
les activités anti-américaines. Il y a là quelques soupçons et finalement, il ne pourra pas
tourner à Hollywood comme prévu, il va donc gagner le Mexique où il entreprend un
film, Que viva Mexico, en 1931. C’est un film sur la culture et la révolution mexicaine.
Mais le tournage du film, alors qu’il est presque terminé, est interrompu, et Eisenstein
est contraint de retourner en URSS.

En URSS, tout a changé. Staline a pris le pouvoir et il ne voit pas d’un bon œil
qu’Eisenstein travaille ailleurs qu’en URSS. De plus, Staline n’aime pas son film Que viva
Mexico. Le film d’Eisenstein va donc rester à l’état de rush pendant très longtemps, et
c’est bien après sa mort que son assistant va pouvoir récupérer les négatifs du film, et le
monter sur la base des informations très précises laissées par Eisenstein. Le film est
admirable, très éloigné de ce qu’il avait fait jusqu’alors.

En 1931, nous sommes à la période du cinéma parlant, le cinéma est en très grand
développement. Le parlant arrivera très tardivement en URSS, mais Eisenstein est
convaincu que le son peut compléter de manière très positive le cinéma.
Eisenstein va énormément écrire, faire des conférences etc et laisser un peu de côté le
tournage. Puis en 1935, il entreprend un nouveau film, Le Pré de Béjine, mais à nouveau
le tournage est stoppé par Staline et la pellicule est détruite. On en a tout de même des
images parce que Eisenstein et ses assistants avaient conservés une image par plan. On
sait que le film aurait été un chef d’œuvre.

A partir de là, Eisenstein va changer fortement sa manière de travailler, il va accepter de


rentrer dans les canevas qu’on lui impose, il réalise en 1937 Alexandre Nevski. Notons
que 1937, c’est le moment où Hitler est au pouvoir en Allemagne, et l’URSS voit cela
comme une grande menace, on va commémorer une célèbre bataille. Alexandre Nevski
est un film historique à costume, l’histoire se passe au Moyen-Age mais elle renvoie à la
réalité (la menace nazi). C’est un film sonore, Eisenstein travaille très étroitement avec
le musicien Prokofiev, en ce sens que Eisenstein élabore son montage en même temps
que Prokofiev élabore sa musique, c’est un cas exemplaire de collaboration très étroite
entre un musicien et un cinéaste. Alexandre Nevski est un film très spectaculaire au point
qu’on a parlé d’un film opéra

Ivan le terrible, 1941-1946) est le dernier film de Eisenstein, dans lequel Prokofiev
compose aussi la musique. C’est un film beaucoup plus ambitieux que les précédents. La
première partie du film, terminée en 1941, ne plait pas à Staline, et il faudra beaucoup
de temps à Eisenstein pour poursuivre son travail. En réalité, Staline n’aime pas ce film
car il se reconnait dans le personnage d’Ivan le terrible. Finalement, Eisenstein finit son
film et meurt à 50 ans. Sa carrière est donc assez courte, mais elle est pleine de films très
différents et de conceptions du cinéma différentes.
Attention ! Concernant le cinéma d’Eisenstein, les choses sont difficilement transférables
d’un film à l’autre.

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1) Montage des attractions : Il faut retenir du montage des attractions qu’on le
retrouve aussi dans les spectacles du cirque. Meyerhold s’inspire en effet du
spectacle du cirque pour faire du théâtre. Les attractions du cirque se suivent
sans rapport, mais Meyerhold et Eisenstein vont travailler pour qu’elles aient un
rapport. L’idée est de faire subir au spectateur un choc. Quelque chose a été mis
en place, soudain ce qui était mis en place est interrompu et autre chose se
produit, sans aucun rapport avec ce qui était mis en place. Une action (qu’on peut
appeler attraction) sans rapport direct avec l’action précédente, mais qui va
susciter le choc émotionnel du spectateur, le révéler, le sortir de sa torpeur, le
plonger dans un état d’esprit qui va le faire réfléchir à ce qu’il est en train de voir.
Le but est de dynamiser la pensée du spectateur. Dans La Grève, il y a des scènes
de grandes violences. Par exemple, à un moment donné, la soldatesque va
envahir l’immeuble dans lequel vivent les ouvriers. Il y a plusieurs appartements
reliés les uns aux autres par des passerelles, et les soldats envahissent ces
galeries où vivent les ouvriers. A un moment donné, il y a un plan où un soldat
s’empare d’une gamine et la jette de la passerelle. La gamine meurt. A un autre
moment, les soldats attaquent les ouvriers, puis Eisenstein interrompt le
montage et montre une vache qui se font égorger à l’abattoir. Il raconte donc un
élément totalement étranger à cette histoire, mais qui vient en parallèle souligner
la violence des soldats. C’est un montage d’attraction, il fait subir au spectateur
un choc.

2) Montage dynamique (ou intellectuel) : Eisenstein va faire ce qu’il va appeler le


montage dynamique ou encore le montage intellectuel. C’est toujours dans l’idée
d’introduire un élément étranger, mais de façon beaucoup plus construite. Il a
découvert à ce moment le film Intolérance, basé sur des lignes narratives
différentes qui ne se rencontrent pas. Eisenstein est fasciné par ce film et va
travailler autour de la notion de montage parallèle pour faire naitre quelque
chose dans l’esprit des spectateurs. Par la suite, et surtout dans Octobre, son film
le plus intellectuel, Eisenstein abandonne l’idée de choc pour faire surgir des
lignes parallèles une idée. C’est donc un montage beaucoup plus intellectuel, qui
n’est plus simplement destiné à choquer le spectateur. Ce type de montage
intellectuel relève de la dialectique marxiste, une pensée en mouvement qui
envisage une chose et son contraire, afin d’en tirer une synthèse. Le montage
intellectuel est un montage dialectique, on va montrer thèse et son antithèse, et le
spectateur lui-même doit en tirer la synthèse. C’est pour cela d’ailleurs que le film
Octobre est très difficile à regarder.

Analyse du Cuirassée Potemkine :


Tout le film est animé par cette idée énoncée par Lénine au début du film (Eisenstein est
un homme de culture dans tous les domaines). Toute sa conception du film vient de
cette phrase de Lénine : « Le particulier n’existe qu’en fonction du général et le général
dans et par le particulier ». Eisenstein applique cette pensée politique au cinéma.

Acte 1 : Des hommes et des vers. Lorsque les marins du Potemkine constatent que la
viande est infectée, quelques marins expriment leur rejet de la viande. Parmi ces marins
il y a Vakoulintchouk. Les marins sont assez calmes, mais l’acte se termine par un refus
de manger.

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Acte 2 : Drame sur le gaillard d’arrière. Puisque les marins ont refusé de manger, on va
les rassembler sur le pont. C’est à ce moment qu’éclate véritablement la mutinerie. La
révolte prend de l’ampleur, partant de quelques-uns au départ, à la fin c’est tout le
navire qui est révolté. Mais il y a répression qui se traduit par la mort du leader
Vakoulintchouk.
Acte 3 : La mort crie vengeance. On a conduit le corps de Vakoulintchouk sur les quais de
la ville d’Odessa, il y a un petit mot « mort pour une cuillère de soupe » sur son corps, les
gens viennent se recueillir devant le corps. A la fin de l’acte, cette population va elle
aussi exprimer son dégout et sa volonté d’en finir avec cette tyrannie.
Acte 4 : L’escalier d’Odessa. Le mouvement de la population d’Odessa se poursuit, elle
fraternise avec l’équipage, il y a un cortège entier des gens de la ville qui vont vers le
port pour apporter de la nourriture. C’est toute la ville qui est en train de soutenir le
bateau qui s’est révolté. Mais ce soutient tourne mal et est réprimé violemment, avec la
célèbre scène de l’escalier d’Odessa.
Acte 5 : La rencontre avec l’escadre. Les marins refusent d’aller soutenir la population
d’Odessa car ils croient qu’ils sont menacés. Pensant devoir combattre les autres
bateaux de flotte, ils constatent que c’est toute la flotte qui s’est rallié à eux.

Chaque acte passe toujours de quelques-uns pour plus tard se rallier à une catégorie
supérieure. Le nombre de protagonistes ne cesse d’augmenter. On est bien là dans une
structure qui va du particulier au général, à la fois dans chacun des 5 actes, et aussi dans
l’ensemble du film. Ca va même au-delà du film, puisqu’il ne constituait à la base que la
première partie de 5 films.
Eisenstein qualifie ça d’organicité, le film croît comme un organisme. La partie à la
même structure que le tout, c’est la même loi qui gère chacune des parties et l’ensemble
du film. Il y a donc un développement organique mais aussi dynamique, c’est une
structure qui évolue, on passe du plus petit au plus grand. On voit que la structure
organique est en même temps dynamique, en mouvement et que cette structure passe
aussi par une multitude d’oppositions.
Ex 1 : dialectique révolte – répression – révolution.
Ex 2 : l’escalier d’Odessa. Dans un mouvement général descendant, tout à coup il y a une
femme avec le cadavre de son enfant dans les bras, créant là aussi une opposition entre
mouvement descendant et mouvement montant, entre la foule et une seule femme.

Eisenstein va également exploiter dans le film Le Cuirassée Potemkine des figures de


rhétoriques, comme la synecdoque. La synecdoque, c’est le fait de prendre la partie pour
le tout. Ex : je vois une voile à l’horizon (on remplace le tout par la partie, le bateau par la
voila). Tout le film est pensé en terme de synecdoque, parce qu’il est pensé comme
l’ensemble de la révolution de 1905. Outre la structure générale, il y a aussi toutes sortes
d’images qui relèvent de la synecdoque.
Ex 1 : la viande avariée qui dit en réalité que les marins sont exploités.
Ex 2 : Le médecin dit que la viande n’a rien, malgré qu’elle soit pleine de vers. Quand
plus tard il est jeté dans la mer, ses lunettes restent accrochées au cuirassée. Les lunettes
disent la mort du médecin, mais elles disent aussi la révolte par rapport aux vers que le
médecin refusait d’admettre.
Ex 3 : Les sculptures de lions en pierre qui ornent l’opéra : un qui dort, un qui se réveille,
et un qui se lève. C’est une métaphore pour dire que le peuple se réveille. C’est une
allusion à la célèbre phrase « Même les pierres ont rugi », dixit John Reed.

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Séance n°8 : Le cinéma muet Allemand (1918-1933)

1) L’industrie cinématographique allemande avant 1918 :


1895-1910 : Durant les premières années du cinéma, les films en Allemagne sont
exploités soit à travers les Wanderkinos (=cinémas ambulants), soit à travers les
Landerkinos (=petits cinémas de campagne). Mais jusqu’à la première guerre mondiale,
l’Allemagne reste essentiellement un pays où on exploite des films étrangers.
Oskar Meester est considéré comme le pionnier du cinéma allemand.

1910-1914 : Dans les années 1910, le cinéma commence à se développer avec Paul
Davidson et sa firme, la Projektion A.G. Union, une firme qui va faire de la production et
de la diffusion. Paul Davidson est important dans le contexte du développement de
l’industrie allemande. Il va faire venir en Allemagne Asta Nielsen, une star de cinéma
danoise. Elle était très connue au début des années 1910. Davidson va également
prendre contact avec un très grand homme de théâtre, Max Reinhardt. Max Reinhardt va
participer à la création d’une sorte d’association avec des cinéastes et des personnes
travaillant pour des théâtres. Son but est de règlementer les échanges entre le théâtre et
le cinéma. Il s’intéresse au cinéma, mais il y a des conflits entre les sociétés de
production de films et les compagnies théâtrales. Max Reinhardt va faire en sorte de
diminuer ces conflit en favorisant les échanges entre les deux milieux.
C’est aussi à cette même époque que les studios de Neubabelsberg (qui vont devenir très
célèbres) vont être placés sous la direction de Max Reinhardt. Ils se trouveront en
république démocratique allemande à l’est, et depuis la réunification de l’Allemagne, ils
sont toujours des studios. Ces studios traversent donc toute l’histoire du cinéma depuis
pratiquement les origines jusqu’à aujourd’hui.
Ceci dit, malgré cela, le cinéma Allemand peine à se développer à cause de l’invasion des
films étrangers qui dominent le marché allemand.

1914-1918 : Vient la première guerre mondiale et tout va changer. Les films étrangers
n’arrivent plus en Allemagne, ce qui va contraindre le cinéma Allemand à se développer,
et il va devenir dominant sur son propre territoire.
Durant la guerre, plusieurs compagnies apparaissent :
- La Deulig : fondée en 1916, la Deulig va produire essentiellement des films
documentaires. C’est une société très subventionnée par l’Etat.
- La BUFA : fondée en janvier 1917 par le ministère de la défense pour la
propagande. Cette société va produire des films d’actualité militaire.
- La UFA : fondée en décembre 1917 de la fusion de plusieurs petites firmes, la UFA
va ensuite englober petit à petit d’autres firmes. Elle va produire des films de
fiction diffusant l’idéologie pangermaniste, l’idéologie d’une Allemagne unie. Ces
films seront diffusés en Allemagne mais aussi destinés à l’exportation. Plus tard,
la UFA va absorber la Decla Bioscop.

Durant les années 1910 en Allemagne, il faut retenir le personnage de Paul Wegener.
C’est au départ un acteur, qui va jouer le rôle principal dans L’étudiant de Prague. Il va
ensuite devenir réalisateur et réaliser les deux versions du film Le Golem, considéré
comme un des premiers films expressionnistes.

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L’étudiant de Prague : C’est une histoire très caractéristique de la littérature romantique
allemande de l’époque. L’histoire raconte que l’étudiant en question n’a pas de sous et
qu’il vit très misérablement. Un jour, il se voit proposer un contrat avec le diable : le
diable peut prendre une seule chose dans sa chambre, et en échange l’étudiant recevra
beaucoup d’or. L’étudiant accepte le marché, et le diable emporte le reflet de l’étudiant
qui est dans le miroir. L’étudiant est confus d’avoir perdu son reflet, et cela va lui causer
des situations bizarres dans la vie. Finalement, après avoir demandé au diable pour
récupérer son reflet, il va tirer sur son propre reflet, et il se tue lui-même. C’est le
premier film expressionniste, bien que le mot ne soit pas encore véritablement
prononcé.

Les films de Wagener s’inspirent de traditions, de légendes allemandes :


Le Golem : Un juif trouve une formule qui lui permet de donner vie à une figurine, le
golem. Mais quelque chose se dérègle, et le golem qui devait être serviable va devenir
très destructeur, jusqu’à ce qu’on lui retire son âme.

D’autres grands acteurs allemands à cette période :


- Emil Jannings (L’ange bleu)
- Werner Krauss (Le cabinet du Dr. Caligari)

Malgré ces cinéastes et ces acteurs, il faut quand même attendre la fin de la guerre pour
que les choses se développent. L’essor du cinéma allemand sera rapide malgré une
situation très difficile.

2) Le développement du cinéma allemand :


Le développement du cinéma allemand va bénéficier de multiples facteurs.

2.1. Facteurs économiques et industriels :


C’est l’essor de la UFA. Les autres firmes disparaissent, et des sociétés privées, à partir
de 1918-1919, vont comprendre que le cinéma est une industrie d’avenir. Parmi ces
sociétés privées qui font investir dans la UFA, il y a
- La KRUPP, une famille de sidérurgistes qui ont fait la puissance de l’Allemagne
notamment en vendant des armes au reichstag. Krupp s’est enrichie avec la
guerre et investi son argent dans l’industrie cinématographique.
- La DEUTSCHE BANK aussi va investir (petit à petit l’Etat va se retirer de
l’industrie cinématographique).
- La AEG.

La UFA reçoit donc beaucoup d’argent. Elle va développer des studios et elle va produire
des films. Au début des années 1920, la UFA absorbe les dernières petites firmes qui
subsistent encore, dont la Decla Bioscop. Le directeur de la Decla, qui était Eric Pommer,
est un des tous grands producteurs de l’histoire du cinéma. Il réclame donc un poste
important à la UFA et il devient le directeur de la UFA.

Il n’y a pas de grand cinéma sans grand producteur. Même avec les meilleurs talents au
monde, il faut un producteur avec un double talent :
- Un talent économique (il doit savoir dans quel scénario il faut investir)
- Des compétences artistiques (il sait ce qu’est un bon film).

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Ces talents ne sont pas toujours réunis par tous les producteurs. Eric Pommer, lui, a ces
deux talents et il va être à l’origine du développement du cinéma allemand. Il va
produire des chefs d’œuvre, comme Le cabinet du docteur Caligari de Robert Wiene ou
encore Le dernier des hommes de Murnau. Il va découvrir Fritz Lang, un des géants du
cinéma allemand. Il va inviter Joseph Von Sternberg à venir tourner un film à Berlin,
L’ange bleu, un film sonore en 1931 avec une jeune actrice encore inconnue à l’époque,
Marlène Dietrich.

En dépit d’un contexte économique très dur, puisque l’Allemagne début des années 1920
connait une grave récession économique, le cinéma se développe. Mais les crises
économiques se multiplient, dès 1925, il y a une nouvelle crise, et la UFA va s’associer
avec des firmes américaines sous le nom de Parafumet (car c’est l’association de trois
grosses firmes : Paramount/UFA/Metro). Le contrat entre ces trois grosses firmes
autorise les américains à exploiter les films allemands, ce qui va retirer des parts de
marché aux films allemands.

La UFA va ensuite passer sous le contrôle du parti nazi, ce qui va entrainer la UFA à
produire des films qui s’accordent idéologiquement avec le nazisme.
Les nazis prennent le pouvoir en 1933, ce qui va avoir pour conséquence que bon
nombre d’artistes vont quitter l’Allemagne, parce qu’ils sont juifs notamment : Eric
Pommer, Fritz Lang, (qui se retrouveront et feront ensemble un film français à Paris :
Liliom). Après la France, Pommer part ensuite en Grande-Bretagne (où il produira des
films d’Hitchcock) et Fritz Lang part aux Etats-Unis.
En 1933, La UFA va donc passer sous le contrôle de Joseph Goebbels, ministre de la
propagande du 3e Reisch.

Cependant, la UFA a été une firme puissante, qui a dominé la production allemande et
envoyé ses films partout en Europe grâce à une pépinière de talents. Il faut noter que
bons nombres de techniciens formées à la UFA (caméraman, scénaristes, machinistes,
directeurs de photographie...) vont quitter la UFA pour Hollywood. Ils vont apporter à
Hollywood un savoir-faire nouveau.
Parmi eux, il y a Karl Freund, un caméraman qui deviendra metteur en scène et qui va
réaliser des films fantastiques à Hollywood. Il y a aussi certains acteurs importants,
comme Werner Krauss, Emil Jannings, Conradt Veidt, Louise Brooks, Paul Wegener,
Rudolf Klein-Rogge,… des scénaristes importants, comme Carl Mayer, Henrik Galeen et
Théa Von Harbou (la femme de Fritz Lang)… et évidemment des réalisateurs importants,
dont on reparlera, comme Murnau, Lang, Wegener, Leni, Wiene, Dupont, Lupu-Pick,
Pabst…

2.2 : Facteurs socio-politiques et culturels :


Il ne suffit pas d’avoir des talents pour qu’une industrie cinématographique se
développe, il faut aussi tenir compte d’un certain contexte. Le contexte qui va favoriser
le développement du cinéma allemand est complexe. Après la première guerre
mondiale, la situation économique de l’Allemagne est catastrophique. Il y a des
manifestations communistes à Berlin de la ligue Spartakus. Durant les années 1920, on
voit surtout émerger les pensées de l’unique extrême : d’un côté l’extrême-gauche avec
le parti communiste, et de l’autre côté les diverses tendances de droite et d’extrême-
droite. Tout cela bouillonne, avec en plus toutes les tendances conservatrices de ceux

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qui se sentent frustrés. La situation sociale est explosive, et en 1933, l’élection du parti
nazi avec Hitler n’arrange pas les choses.

Il y a des mouvements de pensées qui vont dominer la société allemande et qui


s’opposent à la situation de l’époque. Tout cela est très vaste :

L’Aufbruch (ou « réalisme social ») est un nouveau départ. C’est un mouvement de


pensées plutôt politiques, qui va avoir des effets sur le plan artistique. L’Aufbruch se
rapproche de l’impressionnisme bien que ces deux mouvements ne soient pas
totalement identiques.

Le romantisme allemand (la Weltanschauung de Goethe) est une réaction à l’esprit des
Lumières du début du 19e siècle, qui va se perpétuer tout au long du 19e et jusqu’au 20e
siècle. On peut d’ailleurs considérer que le nazisme partage certaines idées avec le
romantisme. On va préférer le mystère du monde à la lumière de la raison. Tout cela
peut apparaitre dans une conception célèbre du monde appelée « Weltanschauung ».

Le romantisme allemand vient essentiellement de la légende de Faust. Dans l’esprit


romantique, le monde est obscur et mystérieux, noyé dans la brume et dans l’ombre, et
où règnent des forces effrayantes. Parmi ces forces effrayantes : les esprits de la nature,
l’idée très romantique du destin qui dirige nos vies et fait que d’une certaine manière la
mort est déjà préparée, le diable.
La légende de Faust est une rencontre avec le diable. Faust est un médecin. La légende
raconte que Faust voulait tout savoir, mais il espérait aussi trouver une nouvelle
jeunesse. Il va accepter de signer un contrat avec le diable, à qui il va vendre son âme en
échange de cette nouvelle jeunesse et de cette capacité à savoir. Evidemment, les choses
ne sont pas aussi simples, Faust va s’éprendre d’une fille, mais le diable sera toujours là
pour empêcher Faust de trouver le bonheur. Faust vit dans un monde dans lequel
l’homme n’est pas libre, il est en proie aux passions et aux angoisses, donc à toutes les
fantasmagories qui peuvent peser sur son âme.

Il existe quantité d’autres légende, c’est la littérature dominante dans l’Allemagne du 19e
siècle. Les légendes resurgissent au début du 20e siècle à la faveur de ce qu’on va appeler
l’expressionnisme.

2.3 : Facteurs artistiques :


L’expressionnisme est un mouvement d’avant-garde qui, comme de nombreux autres, va
chercher la modernité en revenant aux origines. C’est le mouvement qu’on appelle le
primitivisme : c’est en revenant aux formes primitives qu’on sera de plus en plus
moderne. On va donc nier le classicisme. Le primitivisme est une forme d’avant-garde et
l’expressionnisme pratique ce primitivisme en allant chercher dans le romantisme
allemand ce qui va lui permettre d’exacerber ses propres angoisses contemporaines.

L’expressionnisme apparait au tout début du 19e, aux alentours de 1905, mais c’est un
mouvement qui touche toutes les formes d’expression : peinture, poésie, théâtre et plus
tard, le cinéma. La plus grande partie de la production littéraire et artistique allemande
est plus ou moins proche de l’expressionnisme.

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Le mot « expressionisme » entend extérioriser une vision intérieure, donc infiniment
subjective et déformée de la réalité. Le monde n’existe qu’en tant qu’il est vu, imaginé,
déformé par une âme angoissée et exprimant des pulsions inconscientes.
L’expressionnisme privilégie des thématiques comme le destin, la folie, les maladies du
corps… tous les expressionnistes sont de grands malades.

Il y a deux grands groupes de peintres expressionniste en Allemagne avant la première


guerre mondiale :
- Die Brucke : Kirchner, Heckel, Nolde, Schmitd-Rotluff… Ce sont des peintres qui
déforment les corps et les couleurs pour qu’il soient comme vus de l’extérieur,
avec une vision angoissée.
- Der Blaue Reiter : Marc, Kubin, Kokoschka… C’est un groupe de peintres moins
tourmentés, leurs peintures sont très colorées.

L’expressionisme en peinture (et en poésie) va disparaitre après la guerre. Mais il laisse


place à des artistes beaucoup plus engagés sur le plan social, plus révolutionnaires, qui
dirigent l’expressionnisme dans une dénonciation des classes sociales, des travailleurs,
du désastre de la guerre, du capitalisme. On va voir apparaitre la Nouvelle Objectivité,
avec comme représentants Otto Dix, Georg Grosz… La Nouvelle Objectivité est en
opposition avec la subjectivité expressionniste.
Ensuite, l’expressionniste deviendra théâtral, avec des décors dessinés par des peintres
expressionnistes. Une grande partie de l’esthétique expressionniste s’inscrit dans la
continuité de ces décors de théâtre.

Outre la peinture expressionniste et la Nouvelle Objectivité, l’influence en Max


Reinhardt est importante. C’est lui qui va faire passer l’idée que le metteur en scène est
l’auteur d’un spectacle. Il va vraiment révolutionner les moyens propres au théâtre en
proposant ce qu’il appellera le « théâtre de chambre ». Le théâtre de chambre est un
théâtre qui utilise peu de moyens, peu de comédiens, dans des scènes intimes et qui se
déroulent en huis clos. Le théâtre de chambre respecte la règle des trois unités. C’est
surtout un théâtre très engagé, il dénonce les inégalités sociales et met souvent en
opposition les différentes classes sociales.
Grande nouveauté : Max Reinhardt est le premier à exploiter la lumière électrique, avec
notamment des lumière plus faibles pour noyer le reste dans l’ombre, pour marquer les
états d’âme du personnage. Il va privilégier un jeu d’acteur stylisé (non-naturaliste), en
donnant la priorité aux effets de maquillage et aux gestes. On renforce l’expressivité du
personnage.

C’est ce contexte général qui va favoriser le développement du cinéma expressionniste.


Le cinéma expressionniste va se développer après la guerre, à un moment où
l’expressionnisme est pourtant un peu passé de mode.

3) Projection
Nosferatu le vampire, Friedrich Wilhelm Murnau, 1922, 94’
L’histoire de Nosferatu est celle de Dracula. Murnau et son scénariste Henrik Galeen vont
reprendre le roman de Bram Stoker, Dracula, et l’adapter au cinéma (sans droits
d’auteur). Ils vont donc changer de titre, et Dracula va devenir Nosferatu. C’est le
premier film de vampire de l’histoire du cinéma, et c’est aux yeux de tous la meilleure
adaptation d’un roman qui n’ait jamais été faite.

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A propos des teintes, toutes les scènes de nuit sont teintées dans un gris-bleu, elles ne
sont pas très sombres. En réalité, on filmait de jour et puis on teintait en gris-bleu, parce
qu’on n’avait pas les moyens à l’époque de filmer la nuit. Et quand on est à l’intérieur
d’une pièce éclairée par une bougie, l’image est jaune-orange.

4) Genres et mouvements (1918-1930)


Remarque : Les deux tiers des films muets ont disparu.

L’expressionnisme (NB : l’expressionnisme n’est pas un genre).


Le cinéma expressionniste est loin d’être dominant, mais c’est celui qu’on connait le
mieux. L’expressionisme doit être séparé en deux catégories :
- L’expressionisme au sens strict (= le caligarisme)
- L’expressionisme au sens large (= films qui cultivent des thématiques communes
avec le caligarisme mais dans des formes différentes).

L’expressionisme au sens strict :


Le Cabinet du Docteur Caligari (Robert Wiene et Carl Mayer, 1919) est une petite
production de la firme Decla. Eric Pommer reçoit un scénario, et il décide d’en faire un
film dans le style expressionniste, la mode d’avant-guerre. Il pense beaucoup à la
peinture, et il va faire appel à des peintres importants dans la peinture expressionniste.
Il décide aussi pour raconter cette histoire de revenir à un style théâtral, comme dans le
cinéma des premiers temps. En gros, il va mélanger le style pictural et le style théâtral.

La réalisation de ce film est d’abord proposée à Fritz Lang, qui refuse car il dit que
Pommer a modifié le scénario (ce qui est faux). La réalisation sera alors finalement
confiée à Robert Wiene. L’auteur du scénario est Carl Mayer, un des tout grands
scénaristes de la période.
On travaille sur Le Cabinet du Docteur Caligari avec très peu de moyens. On va opter
pour un décor de toiles peintes. On ne nie pas l’univers pictural et théâtral, si ce n’est
qu’il y a un prologue et un épilogue qui seront traités dans le style réaliste des années
1910. Le prologue et l’épilogue nous mettent en présence d’un personnage qui va
raconter son histoire. Ensuite, nous entrons dans le récit second. A partir de ce moment,
ce n’est plus un récit réaliste, c’est un récit expressionniste. Nous rentrons dans une
ville, il y a une toile à l’arrière-plan. Différentes actions ont lieu dans ce décor de toiles
peintes. Il y a une baraque foraine, c’est celle de Caligari. Caligari montre à ses
spectateurs un somnambule qui a la particularité d’annoncer l’avenir. Le personnage qui
raconte l’histoire est avec un de ses amis dans cette baraque foraine, et cet ami a la
bêtise de demander quand il va mourir. Le somnambule lui répond qu’il va mourir le
soir-même.

Sur le plan thématique, le film commence par la thématique du destin. L’homme est
destiné à mourir. Il commence aussi par la thématique du mystère, du somnambule qui
serait capable de prédire l’avenir. Le somnambule vit dans une boite, c’est un
personnage mystérieux. On va comprendre petit à petit que c’est le docteur Caligari qui
manipule le somnambule pour que le somnambule commette les meurtres de ses clients.

Le personnage qui raconte l’histoire après la mort de son ami tente de résoudre
l’enquête. On va découvrir que Caligari est le directeur d’un asile, mais qu’il est aussi fou

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que ses malades. On retrouve ici la thématique de la folie, mais de la folie qui gouverne
l’asile.
Quand on a découvert que Caligari était un assassin qui manipulait le somnambule, on
revient au récit premier et on constate que le narrateur de cette histoire (l’ami de celui
qui a été assassiné par le somnambule) est lui aussi pensionnaire de cet asile
psychiatrique, dont le directeur est effectivement Caligari.

La subtilité du scénario fait que de toute cette histoire très angoissante, lorsqu’elle
pourrait être résolue, on se rend compte que le narrateur lui-même est fou, il est lui-
même soigné par celui qu’on pensait responsable du malheur de la ville.

La scène finale se déroule dans les mêmes décors. Finalement, où est la réalité ? Est-ce
que l’histoire est la vérité d’un fou, ou le fou a-t-il dit la vérité ? Le récit du Cabinet du
Docteur Caligari, c’est l’extériorisation d’une vision déformée (celle d’un fou), mais qui
dénonce la folie qui gouverne le monde. Le récit va être mis en scène comme étant un
pur délire. Simplement, la fin du récit nous fait douter de ce délire, de la raison du
narrateur. Le spectateur peut se demander si c’est un retour à l’ordre de la raison, ou n’y
avait-il pas tout de même quelque chose à redouter dans cette histoire ?

Le film accorde beaucoup d’importance aux ombres, un grand motif de la littérature


romantique. Le royaume des ombres renvoie aussi à une personnalité qui a deux faces :
une face respectable, une face monstrueuse. D’où l’importance du maquillage et des
costumes, dans un style tout à fait irréaliste.

La Cabinet du Docteur Caligari est un film qui va avoir un succès immédiat en Allemagne
et à l’étranger (alors qu’on est en 1919 et que c’est un film Allemand).
Le succès va encourager Robert Wiene et d’autres réalisateurs à faire d’autres films dans
le même style : Genuine (Robert Wiene, 1920), De l’aube à minuit (inspiré d’une pièce de
théâtre expressionniste, Karl Heinz Matin, 1920), Le cabinet des figures de cire (Paul
Leni, 1924). Bref, une poignée de films sont réalisés entre 1919 et 1924, et sont des films
expressionnistes au sens strict.

L’expressionisme au sens large :


Les films expressionnistes au sens large sont les films réalisés principalement par
Murnau et par Fritz Lang. Dans l’expressionnisme au sens large, les thématiques
romantiques sont les mêmes que dans l’expressionnisme au sens stricte : la mort, le
double, le mal, le pouvoir, la magie, la folie, la possession, les vampires, les savants fous,
le fantastique…

F.W. MURNAU :
Murnau est un grand metteur en scène allemand dont il reste malheureusement peu de
films. Murnau a eu une enfance dans un milieu campagnard, dont il se souviendra dans
nombre de ses films. Il va entreprendre des études d’histoire de l’art et de littérature à
l’université de Heidelberg. Max Reinhardt va l’engager dans le milieu théâtral. Les
échanges entre le théâtre et le cinéma étant fréquents, il va assez vite se diriger vers le
cinéma. Il y a une nette influence de l’expressionnisme dans ses films.

Nosfertatu, en 1922, est son film le plus célèbre. Il est très différent du film de Wiene, Le
Cabinet du Docteur Caligari. Dans Nosferatu, beaucoup de scènes sont tournées en

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extérieur. On filme particulièrement des petites villes d’Allemagne qui ont gardé leurs
caractéristiques historiques. Murnau est sensible au caractère fantastique des lieux qu’il
filme. Par exemple, dans Nosferatu, le château fort fait référence au Moyen-Age. Quand
on analyse le cadre architectural du film, on constate qu’il y a beaucoup de bâtiments qui
viennent du Moyen-Age.
A l’inverse, on y trouve très peu d’architecture classique, très peu de choses en rapport
avec le classicisme ou le siècle des Lumières. Nous nous trouvons dans un monde
mystérieux et inquiétant du Moyen-Age. Par ailleurs, le film nous montre des animaux et
des plantes, filmées de façon scientifiques, parce que c’est un scientifique qui en parle.
On voit tout d’abord une hyène qui fait fuir les chevaux dans la nuit, puis on voit
l’homme de science qui montre une plante carnivore, etc. Il y a là un discours
scientifique, mais qui ne résout pas le mystère du monde, au contraire, il l’approfondit.
Le monde semble encore plus mystérieux que ce que l’on croyait.

Murnau va utiliser des moyens cinématographiques d’une originalité totale, pour


exprimer cet envers du décor :
- Rythme accéléré
- Images en négatif (nous sommes dans le versant négatif du monde)

Nosferatu a été lu par des critiques importantes comme une allégorie d’un mal qui
semblait ronger la société et la mentalité allemande de cette époque, c’est-à-dire le gout
pour le pouvoir tyrannique. A la base, c’est un sociologue allemand qui a avancé cette
idée dans son célèbre De Caligari à Hitler. Cette idée à plus tard été reprise par d’autres.

Dans Nosferatu, ce sont les habitants de la petite ville qui, par appât du gain, vont
chercher le mal là où il se trouve et puis le ramener dans leur ville. Ramenant Nosferatu
en ville, ils ramènent la peste. C’est une lecture politique. Ce sont les Allemands qui ont
élu Hitler, et Hitler a apporté la peste. Le film est l’expression de la folie du pouvoir (Le
nazisme peut être considéré comme un mouvement politique romantique.)

Les autres films de Murnau : Tartuffe (1925), adaptation de Faust (1926).


En 1927, il part pour Hollywood. Là-bas, il va réaliser City Girl, l’Aurore (Sunrise, 1928),
Tabou (fiction documentée, 1930). Malheureusement, ce sera le dernier film de Murnau,
qui meurt dans un accident de voiture en 1931.

FRITZ LANG :
D’origine Autrichienne, Fritz Lang a une formation de peintre et d’architecte. Sa carrière
est très longue. Il commence en 1919 comme scénarise et travaillera jusqu’en 1963. Il
partira en France, puis reviendra en Allemagne pour tourner ses derniers films. En 1963,
il apparait dans un film de Jean-Luc Godard. Fritz Lang est aussi un cinéaste qui, comme
beaucoup, commence dans le muet et puis termine dans la Nouvelle Vague.

Les Trois Lumières, 1921 : C’est un film qui parle de la mort et du destin. Nous suivons un
jeune couple dont l’homme décède, et la fiancée de ce jeune homme veut aller le
rechercher. C’est un film expressionniste. La jeune fille veut entrer dans le royaume des
morts, et elle va rencontrer la mort. La mort lui montre toutes les bougies qui
représentent les êtres vivants qui s’éteignent les unes après les autres. La mort dit que si
la jeune vie est capable de sauver au moins une vie, elle reverra son fiancé. A trois
reprises, elle ne parviendra jamais à sauver une vie, et ne reverra pas son fiancée. Un

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jour, dans un incendie, elle sauve un bébé. La mort revient, la mort lui propose
d’échanger le bébé contre son fiancé, mais à ce moment-là elle refuse. Le film est
parsemé de citations picturales.

Après les Trois Lumières, Fritz Lang va alors faire quelque chose de très différent, un film
en deux épisodes : Mabuse le joueur, en 1922. C’est un film qui s’avère être très peu
expressionniste dans sa forme, mais bien dans son contenu. C’est l’histoire d’un criminel
capable de changer d’identité très rapidement en fonction des situations dans lesquelles
il se trouve. Ce criminel peut même dérégler complètement le fonctionnement de la
bourse, c’est une menace économique. Il est capable d’être en communication avec les
esprits. Il tire ses revenus de la fabrique de fausse monnaie. Fritz Lang dans ce film met
en parallèle un pouvoir criminel, qui repose sur l’hypnose (la capacité de Mabuse de
manipuler les gens). Lang fonde ses scénarios sur des faits divers, il s’y connait
beaucoup en psychanalyse. Ces deux épisodes sont des films très denses, très
documentés mais qui déteignent une mafia aux mains d’un seul homme, un criminel de
génie, qui exerce un pouvoir maléfique sur l’ensemble de la société. Mabuse contrôle
tout et il est capable de tout dérégler. A la fin, Mabuse devient fou.

Il va adapter ensuite, en 1923-24, Les Niebelungen 1 et 2.


En 1926, il réalise Metropolis, un film qui imagine une cité du futur à deux étages (cité
inspirée de New York). A la surface, c’est le monde des riches, des dominants. Au sous-
sol, travaillent les ouvriers qui font fonctionner la cité. Les ouvriers sont les masses et
rien d’autres, et ils sont dominés par la classe supérieure. Dans cet univers, il y a le
personnage de Maria, qui prêche la réconciliation entre les têtes pensantes du haut et la
classe des travailleurs du bas (Marie fait partie de ceux qui exécutent les programmes
entre les travailleurs et les pensants). L’idée d’une réconciliation entre ces deux classes
est une idée de la femme de Fritz Lang, qui adhérait déjà à ce moment à des idées nazies,
et qui exprime cette idée de réconcilier le capital et le travail. C’est une politique pas du
tout révolutionnaire, pas du tout communiste. Notons que Metropolis est un film
remarquable sur le plan de la mise en scène. L’histoire est très complexe, elle fait aussi
intervenir des divinités germaniques. Il n’est pas expressionniste dans sa forme mais
bien dans sa thématique.

En 1931, Fritz Lang passe au parlant et réalise M le maudit (M pour meurtrier). M est un
assassin de jeunes enfants, il va semer la panique dans la ville. La police le recherche.
Le film fait un parallélisme entre la police et la pègre (=monde des truands).

Le Kammerspielfilm :

Le Kammerspielfim (au cinéma) exploite les moyens, les histoires et les visées du
Kammerspiel au théâtre. En pratiquant un film intimiste, dans les huis-clos, en
respectant les temps d’unité, de lieu et d’action, on voit apparaitre des tensions très
fortes entre des classes aux intérêts divergents.

Le Rail, en 1921, de Lupu-Pick et de Carl Mayer, est une histoire d’amour entre une fille
et un chemineau (=un cadre de la société des chemin). La jeune fille tombe amoureuse
de lui, il refuse qu’elle parte avec lui, il va l’humilier, et le père de la fille va se venger. Il y
a des barrières sociales, et autour de tout cela il y a la nature, qui est importante car elle

69
va créer l’atmosphère du film : on filme la nature, la forêt, la tempête… Cela crée
l’angoisse.
C’est ce qu’on appellera la Stimmung : comment l’atmosphère d’un lieu va exprimer la
lutte intérieure, les états d’âme des personnages.

Le dernier des hommes de Murnau, en 1924, est l’histoire d’un homme est portier d’un
grand hôtel de luxe. Il est très fier de son uniforme qui lui donne un statut alors qu’il
vient d’une classe pauvre. Le lendemain, il constate qu’un autre a pris sa place et que lui
doit désormais travailler aux toilettes. Il a perdu tout le prestige de son costume de
portier. C’est à nouveau un film qui met en rapport deux milieux sociaux. C’est un film au
départ très pessimiste, mais qui a une fin optimiste. Murnau a ajouté une fin positive sur
le ton de la farce, imaginant tout à coup que cet homme faisait un riche héritage et
devenait l’homme le plus riche au monde.

Le Kostümfilm :

Ernst Lubitsch est un réalisateur qui fait une carrière formidable aux Etats-Unis, c’est un
tout grand cinéaste américain. Les Kostümfilms sont des films à costumes, des films de
genre, fortement influencés par les productions italiennes et françaises. Parmis ces films,
beaucoup se déroulent dans l’Antiquité.
Ernst Lubitsch fait des films comiques qui relèvent de la farce, jouant sur des effets
spéciaux, et dépeignant un univers artificiel. On est dans des contes qui se déroulent
dans un autre monde, et qui n’a plus grand-chose à voir avec le nôtre. Rien ne ressemble
au monde dans lequel nous sommes, sauf les relations entre les personnages (l’amour, la
sexualité, l’argent,…). Les relations sont traitées par des trucs cinématographiques. Ce
sont des films à très grands spectacles.

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Séance n° 9 : Le cinéma classique français (1930-1955)
(Remarque : Le cinéma classique est le cinéma qui se met en place après l’apparition du
son)

1) Contexte et généralités
Contexte politique et social en France :
Le krach boursier de 1929 a des répercussions dans le monde entier (excepté en URSS).
Le krach boursier va provoquer une récession qui va affecter tous les secteurs de
l’industrie. La crise économique commence aux USA, puis elle va avoir des effets en
Europe. Elle va provoquer une brutale augmentation du chômage, une augmentation de
la pauvreté, ainsi que quantité de scandales financiers. Bref, nous sommes dans une
atmosphère générale de crise qui témoigne de la faillite économique du système
capitaliste.

Sur le plan politique, la France, tout comme d’autres pays d’Europe, va être partagée par
un clivage idéologique assez radical (d’un côté l’extrême-gauche, de l’autre l’extrême-
droite). A cette époque, les nazis contrôlent l’Allemagne (depuis 1933) et beaucoup
d’autres pays démocratique d’Europe vont virer vers des régimes autoritaires. La France
est donc très partagée entre des tendances extrêmes.

En 1936, c’est une coalition de partis de gauche qui remporte l’élection. Il s’agit du Front
populaire, dirigé par Léon Blum, et qui va instaurer une série de réformes sociales
importantes comme la semaine des 40 heures, et surtout les fameux congés payés pour
la toute première fois dans l’histoire de l’humanité.
Le Front populaire ne dure que deux ans, jusqu’en 1938. Les espoirs sont déçus.

Au niveau du contexte historique de l’époque, en 1939, le pacte germano-soviétique est


signé, la France et de l’Angleterre entrent en guerre, c’est le début de la deuxième guerre
mondiale, la « drôle de guerre ». Vient ensuite la guerre elle-même, et avec elle la fin de
la troisième république. Le gouvernement qui se met en place est le gouvernement de
Vichy, c’est-à-dire les conservateurs de la droite et les pro-allemands de l’extrême-
droite.

Sur le plan social, la société française des années 1930 est une société très conservatrice,
une société patriarcale. Les femmes n’y ont aucun droit, la France est dirigée par les
hommes et en particulier par les hommes âgés. En même temps, cette société est
traversée par des idées antisémites, qui s’expriment ouvertement et qui sont partagées
par toutes les classes sociales de toutes les idéologies (aussi bien par celles de gauche
que de droite). L’antisémitisme est généralisé en France.

Le cinéma sonore et le retour de la théâtralité cinématographique :


- Le passage au parlant :
Nous sommes dans un contexte cinématographique très important, puisqu’on voit
apparaitre le cinéma parlant (ou sonore) et ses conséquences esthétiques. Nous
étudierons dans une des séances à venir comment nous sommes passés du cinéma muet
au cinéma parlant, mais ce qu’il faut retenir ici c’est que le film qui va vraiment faire
basculer le cinéma dans le parlant s’intitule Le chanteur de jazz de Alain Crosland en

71
1927 aux Etats-Unis. Le cinéma parlant prendra à peu près 5 ans à se généraliser dans le
monde.

En France, c’est aux alentours de 1930 que le basculement au parlant s’opère.


Sur le plan économique, l’industrie française a deux problèmes :
1) Le premier, c’est celui de l’équipement des salles pour qu’elles puissent diffuser
des films sonores. Or, l’industrie française n’est pas encore prête. Ce sont les
firmes allemandes et américaines qui vont se partager les salles sonores au
début, en profitant aussi pour diffuser leurs propres films.
3) Le deuxième problème, c’est qu’avec le cinéma parlant, les films rencontrent des
difficultés à être exportés. Avant, c’était facile de remplacer un carton par un
autre dans une autre langue. Désormais, il faut trouver des solutions pour
exporter des films parlant à l’étranger. On va pratiquer dans les années 30 ce
qu’on appellera les versions multiples, c’est-à-dire qu’un studio qui décide de
produire un film va parfois demander au même réalisateur de réaliser deux fois
son film, dans les mêmes décors, mais avec des comédiens qui parlent une autre
langue. (C’est une des raisons pour lesquelles il y a beaucoup d’échanges entre
des allemandes et des français). C’est ainsi qu’un cinéaste comme Jacques Feyder
va partir en 1929 à Hollywood où il espère faire carrière mais où on lui donnera
essentiellement à réaliser des versions françaises de films américains.
Donc, avec le sonore, les exportations sont rendues plus compliquées et elles vont
couter plus cher, ce qui ne favorise pas le développement des petites firmes de
production

Le son à ses détracteurs, et il a aussi ses partisans. Il y en a qui sont contre, et d’autres
qui sont pour.
Parmi ceux qui sont pour, il y a Marcel Pagnol, homme de théâtre et partisan du son.
Parmi ceux qui sont contre, il y a René Clair. En 1928, il réalise Un chapeau de paille
d’Italie d’après un texte de théâtre. René Clair s’en tire bien, il estime que le cinéma muet
est arrivé à un tel degré d’expressivité qu’il peut se passer du son.

Pourtant, c’est bel et bien René Clair qui va réaliser le premier film sonore français, en
1930, Sous les toits de Paris. Mais le son n’occupe qu’une place petite, il y a beaucoup de
musique et très peu de dialogues. Dans une des scènes du film, un chanteur entouré d’un
groupe de personnes va chanter sa chanson à ses spectateurs. Le film est très
caractéristique de cette résistance de René Clair au son, car il n’est absolument pas
nécessaire pour son film. Une autre scène nous montre une conversation à l’intérieur
d’un café entre deux personnages, mais René Clair filme la scène depuis l’extérieur, ce
qui nous empêche d’entendre ce que les personnages disent. C’est encore une façon de
montrer qu’on peut se passer du son. C’est un film paradoxal qui est à la fois sonore mais
qui témoigne d’une certaine résistance au son.

D’autres cinéastes vont se lancer dans le cinéma sonore. Le cinéma sonore va susciter
des expériences sur le son, et notamment Jean Renoir va beaucoup expérimenter le son.
Il se passionne pour la technique et pour le son. En 1931, il réalise La Chienne (avec
Michel Simon). Ce film repose notamment sur une opposition sonore entre la voix douce,
monotone, un peu terne de Michel Simon et la voix aigüe et tonitruante de sa femme
dans le film. Clair met au service du récit des tonalités de voix différentes. La Chienne est
un film expérimental sur le plan sonore.

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Bref, les premières années des années 1930 témoignent de recherches diverses sur le
plan sonore. On va en même temps voir émerger un nouveau genre, qui avait bien
besoin du son : la comédie

- Emergence d’un nouveau genre : la comédie


Dans les années 20, la comédie n’est pas un genre dominant, c’est le burlesque qui
domine. Quand le cinéma devient sonore, on a les moyens techniques de produire des
dialogues. Il va donc y avoir toutes sortes de films qui vont émerger dans ce cadre-là, qui
sont des films extrêmement théâtraux et aussi très populaires, et sans grande exigence
sur le plan esthétique.
Plusieurs réalisateurs vont se frotter à la comédie. Mais le cinéma devient surtout le
théâtral, beaucoup de réalisateurs vont adapter des textes de théâtres.

Jean Renoir en 1931 fait toujours ses exercices d’apprentissage au son. Il adapte une
célèbre pièce, On purge un bébé. C’est un film intéressant car c’est du théâtre filmé.
On voit aussi se développer des sous genres qui proviennent du milieu théâtral comme
le vaudeville, les opérettes, le comique-troupier. Ce dernier se passe dans le cadre de
l’armée (exemple : Les Gaîtés de l’escadron).

René Clair va plutôt se spécialiser dans le genre de la comédie. C’est paradoxal puisqu’il
était plutôt hostile au son alors que la comédie en a bien besoin. Mais s’il le fait, c’est
parce qu’il est un grand admirateur des films burlesques français et américains. Il va
s’inspirer de ces films en créant un univers très particulier et très personnel, de
joyeusetés et de fantaisies diverses. René Clair est un des premiers véritable auteur du
cinéma français, en ce sens qu’il écrit, réalise, et monte lui-même ses films. Il ne
fonctionne donc pas selon le principe de la division du travail.

René Clair est aussi un grand animateur de Louis Feuillade et donc d’un traitement
réaliste des films. Il va donc faire des films comiques réalistes, peu théâtraux, sur la
frénésie des personnages (ses personnages sont très agités). Ses films reposent sur les
comiques de situation. Il va aller chercher des recettes dans le cinéma américain, il va
travailler avec des personnages types (ex : le vagabond), il va beaucoup travailler avec
des objets. Dans Le Million (1931) par exemple, il y a un billet de loterie dans un veston
qui s’avère être un billet gagnant.
En 1931, la même année, René Clair tourne A nous la liberté. C’est un film qui relève de la
liberté mais qui est aussi une satire sociale, notamment du machinisme. Le film nous
raconte comment un escroc a été emprisonné. En prison, on le voit en train de faire de
travaux d’intérêt généraux. Puis le prisonnier s’évade, crée son entreprise, devient
patron. Il va créer des chaines de montages. Le film met en relation le travail qu’il faisait
en prison, et le travail qu’il impose à ses ouvriers. Ce film va énormément plaire à
Chaplin, qui va s’en inspirer en partie pour ses films de critique sociale, comme Les
temps modernes.
René Clair réalise en 1934 Le Dernier Milliardaire, une farce burlesque à costumes. Là
aussi ce film va intéresser Chaplin quand il réalisera Le dictateur.

Jacques Feyder (belge) réalise un film qui est écrit par Charles Spaak (belge), et qui se
passe en Belgique. Ces deux belges se souviennent de leurs origines en réalisant en 1935
La kermesse héroïque, avec de très grands acteurs. C’est un film dans lequel on va

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reconstituer des tableaux de la grande peinture flamande et hollandaise. Et ce film va
avoir un destin particulier, tout se passe en Flandre, le film (qui est une farce) raconte
que des troupes espagnoles s’approchent d’une ville flamande, et que le bourgmestre
prend peur de ces espagnols. Puisque les gens ont peur, et pour éviter le carnage, les
flamands vont faire croire que le bourgmestre est mort, et que toute la ville est en deuil,
(le bourgmestre fait semblant). La femme du bourgmestre va organiser la réception des
espagnols : une femme prend le pouvoir. Le film va être très mal reçu par les flamands,
car ils estiment que c’est une injure pour eux (ce qui n’était pas du tout le cas).

Marcel Carné réalise une comédie en 1937 : Drôle de drame. C’est une comédie fondée
sur un comique de situation. Louis Jouvet s’invite chez Michel Simon, mais les
domestiques ne sont pas présents ce jour-là. Suivant une logique de l’absurde, Michel
Simon prend la décision de dire que sa femme ne saurait pas prendre le repas pour
qu’elle puisse préparer à manger. Jouvet se demande pourquoi elle n’est pas là, mais on
ne peut pas dire qu’elle est dans la cuisine, car c’est pour les domestiques normalement.
Michel Simon va essayer de se justifier, avec toute une série de quiproquos et de
malentendus. C’est un film à la fois drôle et fondé sur une intrigue supposée être celle
d’un meurtre et d’une intrigue policière.

- Le « théâtre en conserve » des hommes de lettres :


Le « théâtre en conserve » est le cinéma que pratiquent les hommes de lettre, c’est-à-
dire deux écrivains en particulier : Marcel Pagnol et Sacha Guitry

Régionalisme pittoresque de Marcel Pagnol : ses pièces de théâtre ont énormément du


succès grâce à leur exotisme provençal (il a rendu célèbre la ville de Marseille avec ses
pièces). Les pièces de Marcel Pagnol vont être adaptées au cinéma, par d’autres
réalisateurs au début puis par lui-même. Pagnol, en 1934, réalise Angèle (avec comme
acteurs Fernandel et Orane Demazis). C’est un film très intéressant sur la place de la
femme et le rapport de la femme à la famille. Ce film est en grande partie tourné en
extérieur dans des décors de Provence.

Esprit français de Sacha Guitry : monument de la littérature française, comédien, grand


maitre de la comédie de boulevard. Sacha Guitry est très prétentieux, il aime montrer
qu’il est l’auteur de ses pièces et de ses films. Beaucoup de ses films, comme ceux de
Pagnol, restent du théâtre filmé. Il n’empêche que dans Le roman d’un tricheur, en 1936,
Sacha Guitry adapte une pièce de théâtre. C’est une peinture sociale plutôt amusante du
monde des salles de jeux, des casinos. Mais c’est un film étonnant parce qu’on y voit
Guitry lui-même en train d’écrire ses souvenirs, en train d’écrire Le roman d’un tricheur.
Il parle de lui, de comment il a échappé a toutes sortes de problèmes parce que c’était un
tricheur. Tout le film sera accompagné par la voix-off de Guitry et donc il n’y aura aucun
dialogue, aucun discours direct, on voit les personnages parler mais on ne les entend
pas. C’est Guitry qui parle. Il y a un décalage constant entre l’image et la voix de Guitry.

Le « réalisme poétique » comme esthétique dominante :


Ces films ont en commun de relever d’une esthétique dominante qui va caractériser
touts la production du ciné français entre les années 1930 et 1950 : c’est ce qu’on va
appeler le réalisme poétique.
Attention, les historiens parlent souvent du réalisme poétique dans le cinéma français
des années 1930-50 comme quelque chose qui caractérise l’ensemble de la production

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française, mais en même temps cette expression est aussi utilisée pour certains films en
particulier. Donc il y a un romantisme poétique au sens large et un romantisme poétique
au sens strict, plus étroit, comme le film que nous allons voir (Le quai des brumes).

Au sens large, le réalisme poétique donne une interprétation de la vie qui est plus vraie
que la vie elle-même (dixit Marcel Carné). En fait, avec le son, le mode de représentation
institutionnel devient un mode de représentation réaliste. Le son va conserver l’apogée
du cinéma de studio et il va y ajouter le mode de représentation qui le caractérise. Le
réalisme poétique a une esthétique illusionniste, on nous donne l’illusion d’être dans
l’univers des personnages. Le cinéma français est donc un cinéma réaliste parce qu’il
parle des réalités humaines, du monde contemporain. Dans le cinéma classique français,
il y a très peu de films historiques, mais par contre on parle de la société, des problèmes
de la société, des rapports sociaux entre les classes, il est donc réaliste en ce sens. Mais
cette réalité-là est totalement construite en studios.

L’expression « réalisme poétique » n’est pas d’origine cinématographique mais bien


littéraire. L’expression est d’abord utilisée pour qualifier les romans de Marcel Aymé. En
1934, le cinéaste Pierre Chenal adapte un roman de Marcel Aymé, La Rue sans nom, une
histoire de misère. A partir de là, certains critiques vont dire en parler en disant que
c’est un film du réalisme poétique, puisque c’est comme ça qu’on appelait la littérature
de Aymé.
L’expression « réalisme poétique » est très problématique car Réalisme et Poétique sont
des choses différentes. Il faut bien comprendre et le mot réalisme, et le mot poétique.
Pour le mot réalisme, on parle en réalité de réalisme thématique, c’est-à-dire qu’on va
s’intéresser au monde contemporain que l’on va représenter dans les films.
Quant au mot poétique, il ne faut pas le prendre dans le sens courant mais au sens de
stylistique. (le poétique, pas la poésie). C’est tout ce qui relève d’une transformation des
choses en agissant sur la forme de l’expression. Le poétique en littérature transforme
l’expression du langage. La poétique peut se retrouver ailleurs que dans la poésie,
comme dans le roman et le cinéma. Poétique renvoie donc à la manière dont ces films
sont fabriqués, c’est-à-dire à un travail de studio qui procède à une stylisation du réel, ou
encore la sublimation du réel par tous les moyens du cinéma.
Bref, le réalisme poétique nous donne à voir une réalité transformée, stylisée, et donc
une interprétation de la vie plus vraie que la vie elle-même. Cela se traduit d’abord par la
très grande importance qu’on accorde à l’écriture du scénario. On va faire appel à des
gens qui vont faire métier de scénariste, ce qui n’existait pas avant (ex : Jacques Prévert,
Charles Spaak)

Jacques Prévert avec son frère ne fait pas qu’écrire de la poésie, il va être une grande
figure culturelle. Va collaborer avec de nombreux cinéastes comme Marcel Carné
notamment dans le film que nous allons voir (Le quai des brumes). Ces scénaristes vont
peaufiner un scénario, et ciseler les mots des dialogues. Cette construction narrative
contribue à styliser la réalité. Ces scénaristes (surtout Jacques Prévert) vont avoir des
répliques qui font partie des répliques les plus connues de l’histoire du cinéma. Par
exemple : « Atmosphère ! Atmosphère ! Non mais est-ce que j’ai une gueule
d’atmosphère ? (Hôtel du Noel, 1938). Toutes ces répliques célèbres montrent combien
elles ne font pas partie du langage courant, c’est de la littérature.

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Il faut aussi parler de l’incroyable travail des décors des films du réalisme poétique,
puisque tout est reconstitué en studio. Par exemple, pour le décor d’Hôtel du Nord, on va
reconstituer une partie de Paris. On a du mal à voir la différence entre ce décor et la
réalité. On voit donc là l’importance extraordinaire du décor, tout est reconstruit, stylisé,
arrangé en fonction des besoins du film.

Le cinéma comme vecteur de l’imaginaire social :


Parmi les nombreux historiens du cinéma français de cette période, deux d’entre eux ont
revisité ce cinéma à partir d’un point de vue inhabituel (Noël Burch et Geneviève
Sellier). Ces deux historiens du cinéma français ont vu (presque) tous les films de cette
période et ils ont fait un bilan de toute cette production. Ils ont constaté de grande
différence entre le cinéma des années 1930, le cinéma sous l’occupation, et le cinéma de
l’après-guerre. Les différences apparaissent dans les relations entre les hommes et les
femmes, au niveau de la place de la femme.
Ils ont établi trois schèmes caractérisant les relations hommes-femmes :

1) Le schème incestueux des années 30 : On retrouve dans de très nombres films un


couple d’un homme d’âge mur et d’une très jeune femme qui pourrait être sa fille.
Exemples : La femme du boulanger (Marcel Pagnol - 1934), Le jour se lève (Marcel
Pagnol – 1939). Beaucoup de films mettent en scène cette relation.

2) Le schème de la femme émancipée sous l’Occupation : Pendant la guerre, les films


sont réalisés dans une période difficile où la France est dominée par les
idéologies conservatrices d’extrême-droite. Les deux historiens constatent que
durant cette période, dans un grand nombre de films, on voit apparaitre le
personnage d’une femme émancipée, qui s’émancipe de sa famille, de la tutelle de
son mari. Exemple : Le ciel est à vous (Jean Crémillon – 1944). Dans ce film, la
femme d’un garagiste, passionnée par l’aviation, devient une pilote, et elle est
soutenue par son mari. C’est un portrait de la femme complètement différent des
femmes soumises à des hommes âgés.

3) Le schème misogyne après la guerre : A partir de la libération, on voit un certain


nombre de films de misogynie absolument crasseuse. Toutes les femmes sont des
salopes. Ex : Voici le temps des assassins (Julien Duvivier – 1956), Manèges (Yves
Allégret – 1949). Les femmes détruisent l’homme, ce sont des femmes fatales.

Une nouvelle génération de


- Réalisateurs : Jean Renoir, Marcel Carné, Julien Duvivier, Jean Grémillon, Albert
Valentin
- Scénaristes et dialoguistes : Charles Spaak, Jacques Prévert
- Décorateurs : Alexandre Trauner, Lazare Meerson
- Opérateurs : Boris Kaufman, Henri Alekan
- Acteurs et actrices : Ce cinéma français des années 1930 va avoir beaucoup de
succès notamment grâce à une toute nouvelles génération d’acteur, ayant eu une
formation au théâtre. Acteurs : Jean Gabin, Louis Jouvet, Michel Simon, Jules
Berry, Charles Vanel, Raimu ; Actrices : Arletty, Françoise Rosay, Danielle
Darieux, Michèle Morgan.

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2) Projection
Marcel Carné, Le quai des brumes, 1938. Avec Jean Gabin, Michèle Morgane, Michel
Simon, Pierre Brasseur, Robert Le Vigan. Scénario de Jacques Prévert, d’après le roman
de Pierre Mac Orlan.

C’est un film tout à fait représentatif du réalisme poétique au sens strict. Le réalisme
poétique n’est pas simplement une forme, il renvoie aussi à un mouvement de cinéastes
qui sont à la fois proches et différents, mais qui partagent la même vision du monde, en
l’occurrence ici une vision du monde pessimiste.

3) Auteurs et mouvements
Le réalisme poétique :
Les principaux cinéastes du réalisme poétique sont :
- Marcel Carné : Le quai des brumes, Hôtel du Nord, Le jour se lève, Les Visiteurs du
soir, Les Enfants du paradis, Les Portes de la nuit
- Jacques Feyder : Le Grand Jeu, Pension Mimosas
- Julien Duvivier : La Bandera, Pépé le Moko, Un carnet de bal, La Fin du jour
- Jean Grémillon : Gueule d’amour, Remorques

Le réalisme poétique est un mouvement qui va s’identifier principalement par


l’esthétique, mais il va s’identifier surtout par une thématique générale. Les films ci-
dessus nous donnent l’image d’un univers diégétique. La diégèse qu’on retrouve dans la
plupart de ces films est constituée de lieux troubles, sordides, dans des banlieues, des
milieux populaires et dans les ports. Ce sont des lieux souvent constitués de petites rues
labyrinthiques, le climat dans y est souvent humide. Les personnages sont souvent
coupés du monde, et ils ne peuvent s’échapper de ces lieux. Les personnages semblent
être enfermés dans leur lieu de vie.

Exemples :
- Dans Le quai des brumes, Jean Gabin est un déserteur qui arrive avec l’idée de
partie en Amérique, mais finalement il ne pourra pas s’échapper du Havre.
- Dans Le Grand Jeu, le personnage principal est un légionnaire qui se trouve dans
une petite ville où les garnisons font que quelque part on pense qu’on est en
Algérie ou Maroc. Là non plus il ne pourra pas s’en échapper.
- Dans Le jour se lève, Gabin assassine un homme au début du film. Gabin, ouvrier,
va s’enfermer dans une petite chambre d’où il ne pourra sortir, sauf par le suicide
(le suicide est aussi une grande caractéristique du réalisme poétique).

Il y a une atmosphère très particulière dans ces films, lourde et brumeuse,…


Cette atmosphère est produite par les décors (films tournés en studio), et par le travail
extraordinaire de l’éclairage.
D’autre part, le réalisateur poétique donne souvent à voir l’image d’une classe sociale,
l’image des pauvres, des petits ouvriers et artisans, ceux qui vivent dans les banlieues.
Dans Le quai des brumes, c’est un soldat déserteur et une enfant orpheline qui se
rencontrent. Autour d’eux, il y a la baraque de Panama, où vont échouer tous ceux qui
ont quelque chose sur la conscience, y compris le peintre qui a pour projet de se
suicider.

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Les personnages de cette classe sociale sont souvent très typés (Attention à ne pas
confondre personnages typés et personnages-type au sens burlesque).
Exemple de personnages typés dans Le quai des brumes : Le soldat a toutes les
caractéristiques du plouc désabusé. L’ouvrier a toutes les caractéristiques de l’ouvrier.
Ce typage de personnage aboutit à quelque chose qui est assez caractéristique des films
réalistes poétiques : les méchants ont tous les vices, ce sont des salops, des lâches, des
imbéciles. Mais des imbéciles revanchards et donc dangereux. A l’inverse, les bons ont
toutes les qualités, malheureusement ils sont parfois amenés à tuer, mais ils le font par
nécessité, par révolte contre la société ou encore, par amour.

Une autre caractéristique du réalisme poétique est la figure du destin. Tous les
personnages des films du réalisme poétique sont animés par un destin, une puissance
extérieure abstraite et mystérieuse qui semble diriger leur existence et contre laquelle
ils ne peuvent rien faire. Dans Le quai des brumes, Gabin n’échappe pas à son destin, il
voulait partir mais n’a pas pu partir. Nelly n’échappe pas non plus à sa condition
d’orpheline, elle se retrouve finalement seule. La vie des personnages est ainsi dès le
départ programmée, prédéterminée par leur milieu de vie, leur travail, leurs origines
sociales, la société dans leur ensemble qui veut que chacun soit à sa place, et on ne peut
pas sortir de sa condition sociale.

La thématique du destin n’est pas là par facilité narrative, elle est là parce que c’est bien
cela que les cinéastes veulent dire du monde dans lequel ils sont et qu’ils représentent.
Dans les années 30, on vit dans un monde sans avenir, dans lequel on ne peut pas sortir
de sa condition sociale.
Le destin est représenté de différentes façons :
- Par un personnage, par le passé de ce personnage qu’il incarne et dont ils ne
peuvent se défaire. Ici, c’est le passé de Gabin qui l’empêche de faire ce qu’il veut,
c’est parce que Gabin a déserté qu’il est coincé, obligé d’aller au Havre et malgré
tout, il ne pas parvient pas à s’en sortir. C’est la même chose pour Nelly qui est
victime de sa biographie.
- Par les lieux eux-mêmes (comme les ports). Même dans l’image avec des effets de
brume qui volent l’horizon est exprimé le destin des personnages, c’est comme si
quelque chose les empêchait de sortir et même de respirer. Il faut remarque que
dans Le quai des brumes, il n’y a qu’un seul petit moment de soleil dans tout le
film.

D’une certaine façon, la structure narrative du film lui-même représente le destin. Le


flash-back est utilisé comme figure du destin, on part du moment présent et on fait des
retours dans le passé. Remarque : Le jour se lève est le premier film français qui met en
scène des flash-back qui nous racontent comment le personnage en est arrivé là.

La symbolique des objets a elle aussi son importance dans les films de réalisme
poétique. Dans Le jour se lève, Gabin, enfermé dans sa chambre, fume des cigarettes. A un
moment donné, il n’a plus d’allumettes, et donc pour continuer à fumer il est obligé de
fumer en continu. Tant que le feu brule, il est en vie. A la fin du film, il oublie de rallumer
une cigarette, et il meurt. La succession des cigarettes exprime le destin.

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Bref, la vision du monde du cinéma du réalisme poétique est une vision pessimiste du
monde, qui vient d’ailleurs des films allemands et qui va aussi influencer par la suite le
cinéma américain. Dans cette vision du monde, les héros sont toujours en fuite et ils ne
parviennent jamais à s’en sortir, l’amour est impossible (cela relève du mélodrame), le
pouvoir appartient toujours aux fripouilles, aux lâches.
Dans cette vision du monde, la seule façon de s’en sortir est souvent le suicide. C’est un
monde en crise, dans laquelle les jeunes n’ont pas de place.

Dernière chose, et particulièrement dans Le quai des brumes, cette société si sordide et
noire est aussi une vision d’un monde où domine l’antisémitisme. Le personnage de
Zabel est un juif (il a le nom juif, la barbe que portent souvent les juifs) et tout le monde
lui dit (même lui) qu’il a une sale tête et que personne ne l’aime. Ces mots sont porteurs
de sens dans la société française des années 1930. Zabel est un vrai salopard qui va tuer
les prétendants de sa pupille dont il est amoureux. A la fin, Gabin l’assassine en disant
qu’il ne mérite pas de vivre. Remis dans le contexte, en 38, on sait déjà que les juifs ont
des problèmes en Allemagne et qu’ils viennent souvent se réfugier en France. Et dans
des films qui ne sont pas réalisés par des nazis ou des fascistes, il était commun de
considérer le juif comme étant l’ennemi de la société, le salaud, parce qu’il a une sale
tête.
Ces films qui sont par ailleurs extraordinaires sur le plan cinématographique, et ils sont
très problématiques sur le plan social.

Jean Renoir :
Jean Renoir est à côté du réalisme politique. Il est un cinéaste majeur de l’histoire du
cinéma français, ses films des années 1930 peuvent être intégrés dans réalisme au sens
large, mais certainement pas au sens strict.

Grands chefs-d’œuvre de Jean Renoir : Boudu sauvé des eaux, Toni, Partie de campagne,
La grande illusion, La Bête humaine, La règle du jeu.
Renoir va partir aux Etats-Unis pendant la guerre parce qu’il était membre du parti
communiste. Il fera là-bas quelques films. Après la guerre, il va réaliser en Inde un film
en couleur, Le Fleuve, puis il reviendra en Europe où il réalisera La Carrosse d’or.

Ce qu’il faut retenir du cinéma de Jean Renoir, c’est un certain nombre de


caractéristiques thématiques et formelles :

Esthétique du contre-point (la règle et le jeu ; la fantaisie et le drame ; la nature et


l’artifice). Par exemple, Renoir fait des oppositions entre la nature, qui en général
montrée positivement, et l’artifice qui est dans son cinéma associé à la société (la société
est artificielle et théâtrale). Le théâtre exprime le jeu social.

La nature lui vient du gout de la nature de son père, un gout pour la campagne, le
paysage, la vie au grand air, l’eau. La vie dans la nature qui est une vie simple de gens
simples, qui ne sont pas embarrassés par les conventions sociales.
Par exemple, La Grande Illusion est film qui se déroule dans un camp de prisonniers en
Allemagne pendant la première guerre mondiale. Un petit groupe de prisonniers
français s’enfouit et se réfugie dans une ferme, où une idylle nait entre Gabin (un des
prisonniers) et la fermière. La fermière vit avec la nature de façon simple, sans artifice.
Ici, la nature permet à des militaires français d’être en relation avec une femme

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allemande qui va les protéger et les sauver. La nature est précisément ce qui permet les
relations entre les peuples, ces relations pacifiques, que la guerre a détruit, mais qui ne
sont possibles qu’en dehors de toutes les conventions sociales.
C’est la même chose dans Partie de campagne, où des bourgeois (une jeune fille et sa
mère) débarquent en campagne. Les deux femmes vont avec des relations avec des
hommes de la campagne. Le film raconte l’idylle entre la jeune fille et un jeune homme
de cette région, mais leur amour est impossible à cause du fait que la jeune fille doit
rentrer à Paris épouser l’associé de son père.
La nature est là comme univers chaleureux, paisible, et libre.
Face à la nature, il y a la vie sociale, la vie en société et particulièrement la société
bourgeoise qui a ses règles, ses conventions, ses apparences, ses manières et ses
habitudes, bref tous ses artifices.

Boudu sauvé des eaux : Boudu est un vagabond (inspiré du personnage de Charlot). Ce
vagabond est sauvé par un bourgeois qui habite les quais de la Seine à Paris, Boudu est
en effet jeté à l’eau et le bourgeois va le chercher et le sauver. Boudu s’installe chez le
bourgeois, et là il continue à se comporter comme ce qu’il est, c’est-à-dire quelqu’un à
qui on n’a pas inculqué les bonnes manières bourgeoises. Par exemple il met les pieds
sur la table, il utilise la lingerie fine de madame pour cirer ses chaussures, etc. Lui, qui ne
parvient pas à s’adapter au monde sclérosé de la vie bourgeoise, on veut le marier avec
la servante de la maison, mais il s’échappe finalement par la rivière. La rivière renvoie à
la nature, et c’est ce qui lui permet de retrouver la liberté.

L’artifice social chez Renoir s’exprime de façon privilégiée par le théâtre. En effet, il y a
souvent des spectacles de théâtre, parfois marginaux. La théâtralité s’exprime aussi par
la mise en scène. La théâtralité, c’est ce qui permet à Jean Renoir d’exprimer les artifices
de la société, les règles du jeu.

Tout cela fait qu’on a qualifié le cinéma de Jean Renoir en parlant d’un impressionnisme
naturaliste. Attention, Renoir n’est pas un cinéaste impressionniste comme on l’a vu
dans les années 1920. L’impressionnisme de Renoir, c’est plus précisément celui qui lui
vient de son père, c’est-à-dire une certaine façon de regarder la nature. Et naturaliste au
sens littéraire du terme, puisque Renoir va adapter de nombreux textes de Zola et de
Maupassant, dans lesquels il y a des conflits sociaux.

Enfin, quant à la manière de travailler de Renoir, il est un cinéaste qui va accorder une
grande confiance à l’acteur. L’acteur est pour lui la source même du travail de la mise en
scène. Il importe de laisse l’acteur faire des propositions, de lui accorder le plus de
libertés possibles. Pour cela, il ne faut pas le contraindre. Or, le cinéma est très
contraignant. Renoir va privilégier un type de tournage en plans longs et en plans
séquences, pour justement laisse le temps à l’acteur de prendre possession du plan, de
l’espace. Il va aussi travailler en profondeur de champ, utilisant un espace qui est
théâtral. On laisse de l’espace et du temps aux acteurs de construire la scène.

Le cinéma du Front populaire :


C’est donc un gouvernement de la gauche qui va gouverner la France de 1936 à 1938,
avec un programme commun antisocialiste et anticommuniste. Durant ces deux années
vont être produits des films, notamment des films de Jean Renoir qui est membre du
parti communiste, qui vont véritablement faire de la critique sociale et explorer des

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thématiques qui sont politiquement à l’ordre du jour. Ainsi, Jean Renoir tourne Le Crime
de Monsieur Lange, correspondant totalement à l’idéologie du front populaire, en
collaboration avec un groupe d’auteurs et d’acteurs qui est un groupe d’anarchistes de
gauche. Le film raconte l’histoire d’une petite entreprise dont le patron s’enfuit avec la
caisse. Les ouvriers de la petite entreprise choisissent de prendre en main l’entreprise
elle-même. Ils vont faire de l’autogestion (mot à la mode sous le front populaire). Ils
gèrent eux-mêmes leur propre entreprise. Parmi les actions, les ouvriers soutiennent la
coopérative (entreprise auto gérée qui ne cherche pas à faire du profit aux bénéfices des
actionnaires). Malheureusement, un jour, le patron revient et il prétend casser la
coopérative et reprendre l’affaire à son nom. Monsieur Lange, un des ouvriers, le tue.
Tout le film se construit sur des idées politiques, des problèmes de relations entre
ouvriers et patronat, des problèmes de classe, et cet idéal communiste qu’il n’y ait plus
besoin de patron dans les entreprises.

La Belle équipe, 1936, de Julien Duvivier, met en scène une bande de copains qui gagnent
à la loterie, et ils décident de former leur propre entreprise. Le film est beaucoup plus
noir que celui de Jean Renoir car l’entreprise ne va pas survivre, et ce à cause d’une
femme (= schème misogyne).

Le cinéma sous l’Occupation :


Il faut savoir que la France occupée est partagée en deux zones : une zone occupée et
une zone libre, avec le gouvernement de Vichy qui va aider les producteurs et permettre
notamment à certains cinéastes de travailler. Le gouvernement de Vichy va créer la
première école de cinéma en France, soutenir la cinémathèque et créer le COIC, comité
d’organisation de l’industrie cinématographique, qui va prendre une série de mesures
malgré la contrainte Allemande.

Le cinéma sous l’occupation est un cinéma qui se fait une esthétique de réalisme
poétique, il n’y a pas non plus de cinéma de propagande (pas de films qui favorisent le
régime de façon explicite en tout cas).
A côté de cela, il y a alors du côté Allemand la firme le Continental-Films. Les Allemands
à Paris créent une firme allemande dirigée par Alfred Greven. La Continental va produire
pas mal de films avec des français. Il se fait que des gens vont travailler à la Continentale,
d’une part parce qu’il y a des gens qui sont sympathisants avec les Allemands, mais
surtout parce que Alfred Greven n’est pas un idéologue, c’est un producteur de films
intéressé seulement par le cinéma.

C’est grâce à lui notamment que Marcel Carné va continuer à travailler pendant la
guerre, alors que ce dernier est un homosexuel. Il va aussi faire travailler Jean-Paul Le
Chanois, de son vrai nom Dreyfus, qui est donc un juif. Il va donc faire travailler des gens
qui sans lui auraient fini leurs jours en camp d’extermination.

L’après-guerre : la « tradition de qualité et le « réalisme psychologique » : /

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Séance 10 : Le cinéma classique hollywoodien (I)
La logique des genres : le fantastique
Cette séance tourne autour de la notion de genre. La question des genres va nous
préoccuper pour les trois séances concernant le cinéma hollywoodien.

1) La logique des genres


Logique de production et de réception :
La notion de genre n’est en rien spécifique au cinéma, on la retrouve dans toutes les
cultures populaires et les cultures de masse. Elle présente des avantages :
- Sur le plan économique, elle permet d’organiser la production.
- Du côté de la réception, elle permet au spectateur quand il veut voir un film de
savoir plus ou moins de quel genre relève un film.
Donc la notion de genre est un outil utile pour la production culturelle.
C’est une notion qui est aussi propre à l’industrie cinématographique fonctionnant sur le
mode des studios. Quand on parle de cinéma d’auteur, les auteurs ne se sont guère
préoccupés par la notion de genre (sauf lorsque c’était un vrai choix esthétique).
De manière générale, la notion de genre est étroitement liée à l’organisation industrielle
du cinéma.

Il a donc fallu élaborer des codes génériques qui vont généraliser la forme pour faire des
grands genres de films. Ces codes génériques ont été instaurés à priori par l’usage et font
que lorsqu’un studio décide de faire un film, il sait quel scénariste, quels acteurs, quels
moyens, … sont exigés. Tous ces codes génériques sont plus ou moins induits par chacun
de façon latente.

Sur le plan de la production, les genres vont donc être très fortement codifiés.
Il faut noter cependant que les Majors vont d’une part pratiquer tous les genres, et
d’autre part certaines d’entre elles vont se spécialiser dans certains genres, par
exemple :
- Universal se spécialise dans les films fantastiques au début des années 1930
- Warner se spécialise dans les films de gangster et les films noirs.
Il y a, malgré tout, des genres qui sont propres à certaines firmes, tout comme un style
cinématographique est propre à certaines firmes. A l’intérieur de chaque Majors, il y a
des équipes de production qui sont plus ou moins attribuées à certains genres.
Donc il y a des niveaux de spécialisations selon les techniciens, les scénaristes, les
acteurs, etc.

Mais le principe est quand même celui de la polyvalence. Tous réalisateurs, acteurs,
scénaristes, techniciens… sont censés être capables de travailler dans tous les genres.
C’est le cas de Howard Hawks (film de guerre, film de gangster, comédie sophistiquée,
comédie loufoque, drame psychologique, film noir, fantastique, comédie musicale,
western, peplum)
C’est le cas également de Stanley Kubrick (film noir, thriller, film de guerre, peplum,
drame sentimental, science-fiction, fresque historique, horreur).
Bref ils sont capables de travailler dans tous les genres.
Remarque : On constate aussi que tous les cinéastes ont réalisé des westerns.

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A l’inverse des cinéastes polyvalents, il y a des cinéastes qui se spécialisent dans un seul
genre. Par exemple, John Ford va surtout réaliser des westerns.

Les trois codes génériques :


1) Codes référentiels ou diégétiques :
Le genre va situer son histoire dans un univers (=la diégèse). La diégèse est l’univers
dans lequel évolue les personnages, et c’est un univers qui peut être décrit dans l’espace
et dans le temps. Exemples :
- Quand on parle de films de guerre, ils concernent plutôt les guerres du 20e siècle.
- Le western se caractérise par la conquête de l’ouest au 19e siècle, lorsque
l’ensemble du territoire américain a été conquis.
- La comédie (musicale) se déroule plutôt dans l’univers du théâtre.
- L’univers diégétique du fantastique représente le plus souvent des vieux manoirs,
des ruines, des îles désertes, les vieux laboratoires d’un savant fou, …

2) Codes narratifs (structure narrative, personnages, thématique) :


Les codes narratifs désignent la façon dont le récit a été construit.
Il y a toujours quelques scènes majeures qu’il est recommandé d’avoir dans un film de
genre. Les codes narratifs concernent aussi les thématiques et les personnages qui
peuvent être récurrents. Par exemple :

Les structures narratives :


- Le film policier a un code narratif qui lui est propre : un crime a été commis et le
récit va suivre l’évolution du film du point de vue du policier.
- Le film de gangster aborde un crime mais du point de vue du gangster, on voit
comment les gangsters organisent leur coup. Certaines choses du récit restent
secrètes et sont découvertes petit à petit, mais toujours du point de vue du
gangster
- Le mélodrame a comme caractéristique narrative que le récit est généralement
invraisemblable et ponctué par des catastrophes qui vont favoriser l’emprise très
forte sur le spectateur, lui transmettre des sensations et des émotions. Le récit
met souvent des valeurs antagonistes (les méchants sont très méchants et les
gentils sont très gentils). Il y a souvent une structure circulaire, les personnages
ont un destin, et le film se construit souvent sur la question de comment le
personnage en est arrivé là. Le mélodrame a une fin joyeuse, il montre comment
le personnage va malgré tout s’en sortir.
- Le western a une organisation narrative que l’on peut rattacher à un très ancien
genre littéraire qui est celui de l’épopée. Ce sont des récits qui racontent les
exploits guerriers de héros fondateurs d’une culture ou d’une nation. L’épopée
s’appuie sur des événement historiques réels mais qui ont été petit à petit
déformés par la tradition orale. L’épopée raconte donc une histoire fondatrice
d’une culture, d’un pays, d’une civilisation. Il se fait que le western au départ n’est
pas cinématographique, il est né d’abord dans la littérature et la chanson. Avec le
cinéma, le western va donc raconter des événements qui au départ sont des
événements réels, historiques, qui ont avoir avec la conquête de l’ouest dont la
naissance des USA. La plupart des westerns vont mettre en scène des
communautés en conflit (souvent les blancs contre les indiens ou les gens de la
côte est contre ceux de la côte ouest). Il va y avoir donc des conflits d’ordre
juridiques, qui peuvent aussi devenirs des conflits moraux. Le western va

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également mettre en scène l’homme et la nature. A partir de tous ces conflits, le
western va créer un monde très manichéen. Il y a toujours les bons et les mauvais
(souvent les blancs sont les bons, les indiens sont les mauvais). Il y a donc entre
toutes ces différences une notion centrale qui constitue le récit : la notion de
frontière (entre l’homme et la nature, entre les bons et les mauvais). Une
frontière qui est juridique, morale, … Dès qu’il y a une frontière, il y a
reconnaissance d’une communauté contre une autre, et il y a bien sûr
construction et reconnaissance de la nation. Les westerns cimentent encore
aujourd’hui la mentalité américaine.

Les personnages qui reviennent souvent :


- Le western : un shérif, un cow-boy solitaire, des bandits, des indiens
- Le film noir : un détective, un policier corrompu, une femme fatale, un homme
ordinaire qui se retrouve basculé et devient un meurtrier sans nécessairement le
vouloir
- Le mélodrame : en général, le personnage principal est une femme ou en enfant
(puisqu’ils sont considérés comme faibles et donc comme victimes), ou encore un
aveugle, un alcoolique…
- La fantastique : un monstre, un savant-fou, un mort vivant…
Remarque : Les personnages appartiennent bien à certains genres, mais l’identification
des codes générique peut varier, il peut y avoir une mixité des genres.

Les thématiques récurrentes :


- Le mélodrame : amour impossible
- Le fantastique : altérité, c’est-à-dire la différence entre l’humain et le non-humain,
l’opposition entre le bien et le mal
- Le western : le conflit, l’altérité ethnologique (entre les cultures).

3) Codes cinématographiques (qui ont à voir avec le langage du cinéma) :


Les grosseurs de plans privilégiées par certains genres :
- Le western apprécie beaucoup les plans de très grand ensemble, les plans en
travelling très rapides
- Le fantastique va privilégier le gros plan, et le hors-champ (par l’ombre portée,
par le cri d’un personnage qui a vu quelque chose que nous ne voyons pas). Le
danger vient en général du hors-champ. La caméra subjective est aussi beaucoup
utilisée pour les mêmes raisons, on accompagne le personnage, on voit ce qu’il
voit, et de cette façon le spectateur partage l’inquiétude avec le personnage.
- Film noir – comédie – mélodrame (=les films qui parlent de la société
contemporaines) : plan moyens, plans américains.
Le regard à la caméra, la frontalité (qu’on trouvait dans les tableaux du cinéma
des premiers temps = logique du tableau-frontalité) se retrouve dans la comédie
musicale

Remarque : A partir du moment où le film en couleur s’est généralisé, le choix du noir et


blanc peut également devenir un code générique. Beaucoup de films noirs et de films
fantastiques sont en noirs et blancs. Par contre, les mélodrames, les comédies musicales
seront en couleur irréaliste, et les westerns en couleur réaliste. Bref, la couleur dépend
d’un choix esthétique.

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Les genres se distinguent aussi par la lumière, l’éclairage :
- Fantastique et film noir : clair-obscur, contraste fort entre les ombres et la
lumière
- Western : on privilégie la lumière naturelle
- Comédie (musicale) : lumière artificielle voir colorée

Ne pas oublier que l’acteur est lui aussi un code cinématographique.


- Western : John Wayne
- Film noir : Humphrey Bogart
- Mélodrame : Ingrid Bergman, Joan Fontaine Olivia de Haviland, Jane Wyman,
Boris Karloff, Bela Lugosi.

Attention ! Ces différents paramètres ne sont pas exclusifs à un genre, et tous les codes
génériques ne sont pas dans tous les films.
Très tôt, on va mixer les genres. On va créer des films qui ne rentrent pas dans une
catégorie déterminée. Ces films sont toujours des expériences, comme Chaplin qui a
commencé avec le burlesque puis est passé au mélodrame et finalement à critique
sociale dans Les temps modernes.
Autre exemple, Raoul Walsh en 1946 va mélanger deux genre, le western et le film noir
(film qui annonce le western crépusculaire) : La vallée de la peur.
Et puis aussi les parodies verront le jour. Le propre de la comédie loufoque est de
parodier les autres genres. On prend des personnages comiques et on les met dans des
cadres, des genres, qui ne sont pas les leurs.

2) Projection
Jacques Tourneur, Cat People, 1942, 73’, avec Simone Simon et Kent Smith. C’est un film
clé dans l’histoire du cinéma car c’est avec ce film que les cinéastes prennent conscience
qu’il y a des choses qui peuvent être ressenties par le spectateur et qui sont des choses
qui ne sont pas montrées à l’écran. C’est le début de la subjection.

3) Le cinéma fantastique, d’épouvante et de science-fiction


A) Les origines littéraires du genre :
Le fantastique est un genre qui existe dans la littérature depuis bien longtemps.
Au 14e siècle, « Fantastique » désigne quelque chose qui n’existe pas dans la réalité.
Mais c’est au début des années 1820 que nait le fantastique, dans le romantisme. Le mot
fantastique est introduit en France au départ pour désigner ce genre de littérature.

On peut considérer que des contes parfois très anciens relèvent du fantastique. Par
exemple, La Belle et la Bête, un conte antique, va être repris au 16e puis au 18e siècle,
notamment par Mme Leprince de Beaumont (en 1757), puis enfin au cinéma.

- La littérature romantique, donc fantastique, commence en Grande-Bretagne avec


le roman gothique anglais, fin du 18e siècle. Le roman gothique anglais se déroule
dans des univers sombres, ou au Moyen-Age. (C’est aussi ce courant qui va
alimenter les histoires de Robertson, qui vont être reprises ensuite dans le
cinéma).

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Exemples :
- Le château d’Otrante, Horace Walpole, 1764
- Les mystères d’Udolpho, Ann Radcliffe, 1794
- Le Moine, Matthew Gregory Lewis, 1796
- Frankenstein, Marry Shelley, 1818

Il y a aussi au même moment les Fantasiestsücke (les contes fantastiques) de E.T.A.


Hoffmann et les histoires extraordinaires d’Edgar Poe (ex : Ligeia, Bérénice, Morella, La
chute de la maison Usher, Le Corbeau).

Dans une veine fantastique qui n’est pas celle de l’horreur mais celle du merveilleux, on
peut citer :
- Alice au pays des Merveilles, Lewin Carol, 1865
- Les voyages extraordinaires, Jules Verne

Dans la littérature anglaise de la fin du 19e siècle, on trouve aussi la littérature de


Stevenson :
- The Body Snatcher (1884)
- Dr Jekyll et Mr Hyde (1886) -> Histoire d’un homme qui fait des expériences
chimiques sur son propre corps. Il parle du double maléfique caché à l’intérieur
de soi-même.
Et encore :
- Le portrait de Dorian Gray, Oscar Wilde (1891) raconte l’histoire d’un jeune
homme qui est très beau et qui se fait faire son portrait, par prétention. Par la
magie, cet homme veut rester éternellement jeune et c’est le portrait qui va
vieillir.
- Dracula de Bram Stocker (1897).

Les romans de H. G. Wells :


- The Time Machine (1895)
- The Invisible Man (1897)
- The War of the Worlds (1898)

Les romans fantastico-policiers de Gaston Leroux :


- Le Mystère de la chambre jaune (1908)
- Le fauteuil hanté (1909)
- Le fantôme de l’opéra (1910)

Et enfin les romans d’horreur de science-fiction de l’écrivain américain Howard P.


Lovecraft :
- Dagon (1917)
- The Call of Cthulu (1926)
- Dans l’abime du temps – The Shadow of Time (1935)

Voici la littérature fantastique qui forme très largement la base du genre littéraire
fantastique, et sur laquelle on va élaborer des films en reprenant les intrigues et les
personnages, et en les développant parfois bien au-delà que ce que le faisait les romans.

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B) La résurgence de la mentalité archaïque et l’exploitation des pulsions de
l’inconscient :
Il est important de considérer le fantastique comme étant une résurgence de la
mentalité archaïque. La littérature fantastique apparait dans le cadre du romantisme
anglais, français et allemand, à la fin du 18e - début du 19e. Le fantastique est un
mouvement littéraire pictural en réaction à l’esprit des Lumières et contre la suprématie
de la raison (en opposition au positivisme). Il est fondé sur l’illusion et l’imagination.
Le fantastique est un retour vers le passé, vers les contes et les légendes du Moyen-Age,
vers un univers obscur et sombre, mais aussi vers la mentalité archaïque c’est-à-dire la
mentalité qui domine ces sociétés qui sont restées anciennes, qui croient encore aux
puissances surnaturelles, aux esprits, aux métamorphoses, qui croient encore
précisément à la non-distinction entre l’humain et le non-humain.

On parle de résurgence de la mentalité archaïque dans le sens où on trouve des


thématiques qui viennent de la mentalité archaïque dans le cinéma fantastique
principalement, comme par exemple :
- La mythologie (confusion entre le corps et l’âme/l’esprit).
- La distinction entre le bien et le mal (manichéisme)
- L’idée de la survie après la mort (l’esprit de l’homme survit après sa mort), ou
bien des esprits qui peuvent réapparaitre aux vivants (fantômes, résurrection)
- L’idée de puissance infernale, maléfique.
- Thématique du double (reflets, ombres), à la fois le double de l’autre et le double
qui est à l’intérieur du sujet et qui va diviser le sujet (dans Cat People, Iréna est à
la fois femme et panthère).
- Le phénomène de la métamorphose, qui produit le plus souvent des monstres
- Le fait de croire aux mauvais sorts, à la sorcellerie (qui peut aussi intervenir pour
conjurer les mauvais sorts).
- Univers labyrinthiques, souterrains, cachés.
Dominant la subjectivité et les pulsions de l’inconscient, ces thématiques vont être
réactivées parce qu’elles vont à l’encontre de la raison sur l’organisation sociale et
économique.

Cat People est marqué par les pulsions de l’inconscient. On nous présente rapidement
Iréna comme une femme malade qui doit se faire soigner par un psychiatre.
Ce qui est intéressant à évoquer ici, c’est un texte de Freud. Freud a analysé un conte
célèbre d’Hoffmann : L’homme aux sables. Dans ce conte, il trouve des données qui
servent sa recherche psychanalytique, en particulier sur la question du refoulement.
Il va énoncer un concept très célèbre, le concept de Das Unheimlich (= le non familier). Il
a été traduit en français par l’expression de « inquiétante étrangeté », (mais c’est une
traduction littéraire très éloignée). Ce concept veut rendre compte de ce qui est
inquiétant dans le non-familier. Cette notion désigne le basculement de l’ordinaire dans
l’extraordinaire, un retournement du familier dans le non-familier, une rupture.
Dans Cat People, des jeunes mariés commencent à vivre ensemble, au début tout se
passe bien mais petit à petit il y a quelque chose d’indiscernable qui fait que Iréna va
avoir un comportement étonnant et inquiétant, à la fois normal, mais il y a dans cette
normalité quelque chose d’inquiétant. Et ce qui inquiète, c’est quelque chose qui est
refoulé par Iréna, c’est-à-dire ce passé trouble qui ferait d’elle une descendante de ce
peuple maudit. C’est comme un inconscient dont elle a peur et qu’elle a refoulé. Elle se
marie car elle veut vivre normalement, mais ce refoulement revient inévitablement.

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De plus, la psychanalyse de Freud est très liée à la sexualité, et c’est donc à cause de son
refoulement que Iréna refuse les relations sexuelles.

C) Pluralité des sous-genres :


Quand on parle de fantastique, on désigne des choses parfois très différentes les unes
des autres : la féérie, le merveilleux, l’épouvante, le Gore, la science-fiction… tout cela est
concentré sur l’appellation globale de fantastique.

D) Panorama historique :
- Les précurseurs :
On a déjà rencontré le fantastique chez Méliès, notamment avec Le voyage dans le Lune.
Le cinéma scandinave des années 1910 est également très riche en film fantastiques : La
charrette fantôme, Häxan (la sorcellerie à travers les âges)
Quantité de films du cinéma muet allemand relèvent aussi du fantastique : Nosferatu,
Métropolis, La chute de la maison Usher.

- Les années 30-50 : premier âge d’or


Dans le cinéma classique hollywoodien, une vague fantastique apparait au début des
années 1930, autour d’une firme en particulier : la Universal (« la maison des
horreurs »). Au début des années 1930, nous sommes dans un contexte particulier, le
Krach boursier ébranle l’optimisme américain. C’est la plus grave crise que les Etats-
Unis aient connu jusque-là. Elle va jeter un grand nombre de gens dans une grande
pauvreté, le chômage va exploser, etc. Cela va susciter la peur et l’angoisse au sein de la
population. Ce contexte économique difficile va favoriser un climat de peur et un terreau
fertile pour l’expansion du fantastique (Attention, ce n’est qu’une hypothèse. D’autres
facteurs doivent être pris en compte, notamment le fait que de nombreux cinéastes
allemands viennent aux Etats-Unis)

Il n’empêche que certains films fantastiques proposent aussi une critique virulente du
capitalisme, comme King-Kong : l’histoire raconte comment une expédition
d’exploration sur le Pacifique va débarquer sur une île déserte où se trouve des animaux
préhistoriques. Kong est un gorille qui est ramené à New York dans le but d’en tirer du
profit. Effectivement, cela marche bien, jusqu’au jour où Kong s’échappe et va semer la
panique dans toute la ville. On voit dans ce film l’idée que par l’esprit de profit, on va
ramener le mal (c’était déjà la même idée dans Nosferatu). Donc c’est une idée assez
récurrente dans les films fantastiques. Dans King-Kong, cette idée est associée avec le
système capitaliste.
Bref, des éléments dans l’histoire permettent d’émettre des hypothèses quant au succès
du fantastique, mais il y a des nuances à apporter à ce genre d’interprétations.

La Universal, au début des années 1930, produit toute une série de films :
- Dracula, Tod Browning (1931), adaptation du roman de Bram Stoker.
- Frankenstein, James Whale (1931) + la suite The Bride of Frankenstein (1935)
- Double assassinat dans la rue Morgue, Robert Florey (1931), d’après Edgar Poe.
C’est une nouvelle de type policière. Un meurtre s’est produit dans une chambre
fermée de l’intérieur, et ce meurtre a une dimension fantastique.
Ces tous premiers films vont avoir un succès immédiat et la Universal va continuer ce
genre de production. On retrouve là les codes génériques du fantastique : des jeunes

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femmes victimes de désirs refoulés et donc dangereux, des êtres démoniaques et
monstrueux, une ambiance sombre, etc.

Par la suite :
- L’homme invisible, James Whale (1933). C’est le personnage du savant-fou qu’on
retrouve ici, c’est l’histoire d’un savant qui essaie sur lui-même une potion qui le
rend invisible. Il devient fou et commet des crimes.
- La momie, Karl Freund (1932).
- Le Loup-garou, Georges Waggner, (1941).

Il va y avoir également des films fantastiques produits par d’autres firmes que la
Universal, notamment par la Paramount :
- The Most Dangerous Game : thématique de l’ile mystérieuse (chasse à l’homme
sur une île mystérieuse)
- King Kong : découverte sur une ile d’animaux préhistoriques, avec King Kong
auquel les habitants de l’île vont vouloir lui offrir en sacrifice une belle jeune
femme, mais King Kong va tomber amoureux de cette jeune fille (à nouveau il y a
un rapport avec la Belle et la Bête).
- Freaks de Tod Browning en 1932.

Caractéristique commune : Le personnage du monstre


Le personnage du monstre apparait presque systématiquement dans les films
fantastiques, mais du monstre qui est tout d’abord connu, on voit le monstre (qui a
toutes sortes de visages). Ces monstres vus globalement viennent en général de loin (ex :
King Kong vient d’une île lointaine), ou de lieux non déterminés. Ils ont souvent un passé
indéterminé (King Kong a un passé préhistorique). Pour rejoindre ces monstres, il y a
l’idée du voyage.
Et puis ces monstres ne sont plus humains. Ce sont des animaux, des morts qui revivent,
ou encore des créatures inventées par des médecins fous (ex : Frankenstein est
l’association de cadavres et d’énergie très forte (foudre) qui lui a donné vie.
Frankenstein n’est pas un homme, c’est une créature créée de toutes pièces).
Mais tous ces montres qui ne sont pas humains sont très proches de l’humain. C’est le
concept d’humanité du monstre, qui s’oppose au concept d’altérité du monstre (king
kong est amoureux d’une humaine, il va susciter la pitié). Il reste qq chose d’humain en
eux, et c’est ce qui nous définit le mieux, c’est-à-dire les sentiments. Pas humains mais
comportements humains

Ils sont exhibés, on les montre : toute la population de new yord qui vient voir king kong
est représentative de cela. L’exhibition du monstre se fait sur une scène de théâtre,
exhibition théâtrale.

Exception : Freaks.
Ce sont des monstres, et en même temps ils sont totalement humains. Ils ne sont
monstrueux que par rapport à nos normes de ce qu’est le monstrualité. Ils sont de tailles
normales, mais des êtres monstrueux à l’intérieur animés par l’appétit du gain du prodit
de l’exploitation de la méchanceté. Donc retourne complètement les valeurs que nous
accordons d’habitude aux monstres. Il n’empêche que si c’est l’exception, elle confirme la
règle, parce qu’on reste dans un régime d’exhibition

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- Les années 40 : les glissements du genre
Val Lewton est producteur à la RKO. Dans le années 1940, Val Lewton va produire toute
une série de films avec des acteurs de qualités. Il sera aussi scénariste. Ce qui est certain,
c’est qu’il y a une qualité d’ensemble dans tous les films qu’il produit (alors qu’il ne les
réalise pas). Nous sommes dans les années 40, en période de guerre, on doit produire
des films à petit budget. Or, le cinéma fantastique coute cher, exige des effets spéciaux,
d’énormes décors, etc. Lewton va proposer un nouveau type de films exigeant peu de
moyens (comme Cat People qui est magistralement produit par Lewton). D’autres films
se démarquent assez radicalement des films fantastiques des années 30, parce Val
Lewton va favoriser le travail fondé non plus sur l’exhibition du monstre mais sur la
suggestion. Exemples :
- Les films de Jacques Tourneur pour Val Lewton : Cat People, I Walk with a Zombie,
Leopard Man
- Les films de Robert Wise pour Val Lewton : Le récupérateur de cadavres (1945)

Certains cinéastes considèrent que Cat People est un film charnière dans l’histoire du
cinéma. Jusqu’alors, on n’avait jamais exploité tous les moyens cinématographiques
(comme le hors-champ) pour créer un climat de peur, d’angoisse, donc un climat
fantastique.
La grande différence avec le cinéma des années 30, c’est qu’on ne voit plus le monstre,
on l’entrevoit à peine. Et pourtant, ça fonctionne. Dans Cat People, on n’assiste pas à la
métamorphose d’Irène, et c’est particulièrement cela qui soutient le film et qui fait sa
réussite cinématographique. On est dans l’exploitation très subtile du hors-champ, du
bruit, et de tout ce qui va conduire au suspense.
Le fantastique de Val Lewton n’est donc plus spectaculaire, mais bien psychologique.
C’est un monstre qui est là, qui vit avec nous, mais qui est invisible. Le film y fait allusion
par des moyens qui sont cinématographiques et non plus théâtraux.

Récapitulatif :
Le fantastique monstrueux dans les Le fantastique psychologique dans les
années 30 années 40
Eloignement (espace et temps) Proximité du monstre
Altérité : Humanité vs monstruosité du Suggestion et allusion (hors-champ, bruit,
monstre ombre)
Exhibition, monstration Invisibilité
Mise en scène théâtrale Mise en scène cinématographique

- Les années 50 : l’émergence de la science-fiction (SF) et ses dimensions


allégoriques
A nouveau, il y a tout un contexte qui va quelque peu favoriser l’émergence de ce
nouveau sous-genre fantastique, à savoir la science-fiction. Ce n’est pas la toute
première fois qu’on voit des films de science-fiction, mais presque. Dans les années 50,
nous sommes dans le contexte de guerre froide. Aux Etats-Unis, on est dans un climat de
grand paranoïa, la peur se voit dans tous les animations culturelles (pas seulement au
cinéma).
On a peur de la guerre nucléaire, on a peur aussi des effets secondaires de la recherche
sur le nucléaire (en particulier sur la bombe atomique). C’est un nouveau climat
d’angoisse, qui se traduit par un imaginaire du fantastique. La science-fiction devient le

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lieu privilégié de toute cette menace. On va comparer l’attaque nucléaire soviétique à
une attaque imaginaire martienne (période pendant laquelle il y a aussi l’angoisse de
voir des extraterrestres débarquer sur terre pour y faire le mal).
Dans les 50, beaucoup de films de science-fiction sont produits par George Pal.

Exemple : Invasion of the Body Snatchers, Don Siegel, 1956. C’est l’histoire de gens qui
vivent dans une petite ville. Un jour, ces habitants ne reconnaissent plus entre eux, les
gens ne changent pas physiquement, mais au niveau de leur personnalité, ils sont
complètement changés. Les gens s’inquiètent, puis le phénomène s’étend.
Un homme qui emménage dans la ville à ce moment-là se rend compte par hasard qu’on
a déposé une sorte d’objet dans une maison. Il va découvrir l’objet, et dans cette même
maison un homme est un train de dormir. De l’objet sort une drôle de matière qui
s’empare de la personne, qui prend la même forme et le remplace, en ayant exactement
la même physionomie, les mêmes comportements, bref il est son double parfait à une
exception près : l’étincelle qu’il a dans le regard. Ces doubles n’ont pas de sentiment.
L’homme qui découvre cela va se rendre compte que c’est en réalité une attaque
extraterrestre, et petit à petit tout le monde dans la ville est remplacé. C’est lui le dernier
homme à fuir, il ne peut pas dormir. Tous les extraterrestres à forme humaine vont le
chercher mais ne le trouvent pas. Alors les extraterrestres se disent que de toute façon,
« personne ne le croira ». Ce n’est pas une phrase anodine, car c’est une phrase que se
sont dit très souvent les rescapés des camps d’extermination. Ils ont buté contre le fait
qu’on ne les croit pas.

En réalité, derrière cette invasion extraterrestre, on veut parler d’une invasion


communiste, de l’ennemi qui est à l’intérieur de la société puisqu’il y a dans la société
américaine des gens qui ont des idées de gauche, et ils alimentent la menace
communiste à l’intérieur.

Parmi tous ces films qui associent la menace communiste à l’ennemi extraterrestre, il y
en a un qui a un discours inverse : Le jour où la terre s’arrêtera, Robert Wise, 1951. Dans
ce film, un extraterrestre vient avec un message de paix, mais personne ne le croit et
tout le monde a peur de lui. Les humains vont détruire eux-mêmes le propagateur de la
paix.

Them ! Les monstres attaquent la ville, Gordon Douglas, 1954, est un film intéressant car
on a filmé des fourmis qu’on a agrandi avec des illusions d’optique. On a fait la même
chose pour le film Tarantula de Jack Arnold, 1955, mais cette fois avec des araignées.

Planète interdite, Fred M. Wilcox, 1956. C’est un film en couleur, superbement mis en
scène, c’est un film inclassable qui a une dimension métaphysique et psychanalytique.
L’histoire est celle d’une expédition sur une planète étrange qui est à la recherche d’une
expédition antérieure. Des phénomènes mystérieux se passent, un jour les hommes
découvrent une base où vit le dernier survivant de l’expédition antérieure, et cet
homme-là a découvert une civilisation d’être non- humains, qui avaient développé une
intelligence extrême. L’homme rescapé de la première expédition contrôle cette
intelligence, mais elle est dangereuse. Il y a une dualité entre l’homme de bien, et le
monstre qui est produit par la mémoire de la population.

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Le montre rappelle le « ça », nos pulsions les plus profondes, contrôlées par le moi et le
surmoi (voir Freud et la psychanalyse). Le film a une réflexion intéressante sur le
pouvoir, le bien et le mal, et la psychanalytique.

En gros, dans les années 50, il y a un retour au monstre (qui vient de l’espace), un
changement de proportion, et une peur du monstre venu de l’espace telle une peur qui
est à l’intérieur du monstre à l’intérieur des hommes.

Récapitulatif : Le fantastique paranoïaque des années 50 :


- Créature venue de l’espace ou produite par les radiations atomiques
- Changement de proportion entre la créature et les humains
- Peur du monstre intérieur

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Séance n°11 : Le cinéma classique hollywoodien (II)
La comédie et la comédie musicale

1) L’avènement du film sonore (aux Etats-Unis)


La comédie (et la comédie musicale) n’aurait pas existé sans le son. L’histoire des
techniques cinématographiques est très linéraire dans le sens où on a toujours cherché à
produire une représentation la plus réaliste possible du monde, une illusion du réel.
C’est aussi pour cela qu’on a inventé la photographie, puis la reproduction du
mouvement, puis le film de cinéma qui va reproduire la réalité elle-même en noir et
blanc d’abord, puis en couleur, … C’est donc très naturellement que dès les origines du
cinéma on va tenter de produire des films sonores. Certes, le cinéma sonore apparait à la
fin des années 20, mais ceci est le produit d’une recherche constante depuis le début de
l’existence du cinéma.
Cette idée de l’illusion du réel va ensuite se produire avec les recherches sur le relief
(3D) dans les années 50, et ensuite avec tous les dispositifs qui vont faire que le cinéma
va pouvoir se passer d’écran (ex : disneyland).

Repères historiques :
- 1895 : Kinetophone Edison.
Le cinéma n’a jamais été muet, dès les origines il est accompagné par de la musique et
par un boniment. Très vite, on a voulu associer le son à l’image, et Edison est le premier
à vouloir le faire. Rappelons-nous qu’il était l’inventeur du phonographe en 1877, une
machine strictement mécanique à la fois d’enregistrement et de lecture. Edison invente
en 1893 le kinétoscope, puis le kinétophone qui est un mélange des deux machines
(phonographe + kinétoscope) et qui s’utilise avec des écouteurs.

- 1899 : scènes “cinéphoniques” de Zecca.


Chez Pathé, Zecca va tenter de créer des scènes cinéphoniques.

- 1906 : Chronophone Gaumont.


C’est principalement Gaumont qui va mettre au point le chronophone, une machine qui
est une technique de synchronisation d’un projecteur de film et d’un phonographe
accoustique (des machines mécaniques). Grâce à ça, Gaumont va produire de petits films
qu’il appelera des phonoscènes, qui sont en quelque sorte des vidéoclips. On va filmer un
chanteur, en général un chanteur d’opéra ou de chansons populaires, ou bien un
humoriste, ou encore des gens qui se produisent dans des cabarets… en train
d’interpréter un air bien connu que l’on va enregistrer sur cylindre. A peu près 300
phonoscènes vont être tournées avec les grands chanteurs du moment, mais ça n’ira pas
plus loin.

Quand on pense au rapport entre le son et l’image, il y a un rapport au chant (les


premiers films sonores sont des films chantés).
Mais une machine semblable au chronophone ne permettait pas d’amplifier le son à une
hauteur suffisante pour être entendu dans des grandes salles. Or, au même moment,
Gaumont va se lancer dans la construction de très grandes salles, et c’est la raison pour
laquelle il va très vite abandonner la production des phonoscènes, qui ne sont pas
rentables.

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- 1926 : fondation de la Vitaphone Corp par les frères Warner pour exploiter un
système à disque de la Western Electric.
De 1906 à 1926, il n’y a plus beaucoup de recherches sur le son. En réalité, la nouveauté
va venir non pas du cinéma mais de l’industrie du son. C’est une célèbre société
industrielle de reproduction du son aux Etats-Unis, la Western Electric, qui va mettre au
point un système de sychronisation du son et de l’image. Le son est enregistré sur
disque, avec un amplificateur électrique. La Western Electric appelle son système la
Vitaphone et s’assosie avec la Warner pour exploiter son système.

On peut donc dire que, quand on comprend le sens de l’histoire, ce n’est pas le cinéma
qui est devenu sonore, c’est le son qui est devenu cinématographique. C’est une
conquête de l’image par le son et non l’inverse.

- 1927 : The Jazz Singer d’Alan Crosland (avec Al Jolson).


Un premier film sonore est tourné dès 1926, Don Juan, mais n’a pas beaucoup de succès.
Par contre, en 1927, le Chanteur de Jazz connait un succès phénoménal. Un succès qui est
néanmoins étonnant puisque ce premier film sonore est encore aux ¾ muet, il n’y a que
3 ou 4 scènes chantées. C’est l’histoire d’une famille juive. Le fils s’intéresse à la musique
moderne, le jazz, et il va chanter dans des cabarets de jazz. A certains moments, on va
donc voir ce chanteur chanter, mais comme le jazz est à l’origine une musique africaine,
il se grime en chanteur noir. Dans tout le film, il n’y a qu’un dialogue sonore entre le
chanteur et sa maman, les autres scènes sonores ne sont que des scènes chantantes.

On comprend donc que le son est encore intermittent, il faudra quelques années pour
qu’il se généralise, mais cela ira quand même assez vite aux Etats-Unis. Sur le plan
technique, on constate toute une série de ratés, dûs à un problème de sychronisation de
la bande image et du disque.

- 1928 : adoption du son optique enregistré sur la pellicule.


Le problème de la mauvaise synchronisation va être réglé dès 1928. C’est la Fox qui met
au point un nouveau système d’enregistrement du son, qui est désormais enregistré
directement sur la pellicule : c’est ce qu’on appelle le son optique. Il n’y a plus de
problème de désynchronisation à partir de ce moment-là.

Ceci dit, il faut encore adapter les salles, modifier les optiques, installer des diffuseurs,
etc, et cela va prendre du temps. Mais aux Etats-Unis, le dernier film muet, The Kiss, est
tourné en 1929 par Jacques Feyder.
En Europe, il faudra beaucoup plus de temps pour passer au son. Le premier film sonore,
Sous les toits de Paris, date de 1930. Le changement s’effectue grosso modo entre 1928 et
1932, sauf en URSS où le muet va perdurer jusqu’en 1934.

- 1928 : fondation de la RKO Radio Pictures.


L’apparition du son va favoriser la création d’une nouvelle major, la RKO, qui n’est donc
pas issue des Nickelodéons mais bien de l’industrie du son. C’est à la base une radio qui
s’est associée à une troupe de théâtre, et ensemble ils créent une nouvelle firme qui se
veut d’abord et avant tout une production de films sonores.

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- Disparition de quelques stars (John Gilbert, Norma Talmadge) et apparition de
nouvelles (Clark Gable, Jean Harlow, Edward G. Robinson, Paul Muni, Spencer
Tracy).
En conséquence de l’apparition du son dans le cinéma, il va y avoir un grand
chambardement dans l’organisation du cinéma, avec comme conséquence désastreuse la
disparition d’un certain nombre de stars du muet : John Gilbert, Norma Talmadge. Cela
est d’ailleurs le grand thème du film Chantons sous la pluie.

On va donc aller chercher de nouveaux comédiens, qui viennent principalement du


théâtre, on va les chercher à Broadway. De nouvelles grandes stars apparaissent, comme
Paul Muni, Edward Robinson, Spencer Tracy…
Bref, il y a toute une génération d’acteurs disparait au profit d’une autre.

L’avènement du film sonore va aussi engendrer des conséquences polémiques, comme


par exemple Chaplin qui continuera à faire des films muets (mais musicalisés). Il y aura
d’un côté les personnes qui vont rejeter le son, et de l’autre les partisans du son, qui vont
exploiter les possibilités esthétique du son, notamment le silence. Dans un film muet,
tout est silencieux, on n’entend pas le silence. Dès lors que le son arrive et que des
personnages se taisent, on entend le silence. Le silence va devenir un moyen
d’expression cinématographique. L’absence de son après le vacarme devient un moyen
d’expression dramatique.

2) La comédie musicale
- Origine : Broadway.
La comédie musicale n’est pas au départ un genre cinématographique, c’est d’abord un
genre théâtral typiquement américian : le théâtre de Broadway. Ce genre théâtral n’est
pas du théâtre, ni des opérettes, ni des spectacles de music-hall à part entière. C’est une
forme particulière qui intègre un peu tout ça, mais avec une orchestration moderne,
souvent inspirée par le jazz ou par des compositeurs qui vont se spécialiser dans le
genre de la comédie musicale telle que Georges Gershwin et Cole Porter. Va être intégré
au théâtre de Broadway le ballet, la revue, la chanson, la farce.
Dans cette histoire de la comédie musicale à Broadway, il faut retenir le nom de Florenz
Ziegfeld qui est un peu le grand patron des comédies musicales à Broadway. Ses
spectacles s’appellaient les Ziegfeld Follies. Plus tard, il va réaliser le film Zigfeld Follies
qui racontera l’histoire du grand Zigfeld.

Caractéristiques de la comédie musicale au cinéma avant les années 30 :


Sur le plan de l’univers diégétique de la plupart de ces films, on reste essentiellement
dans l’univers du théâtre. Ces films vont nous montrer une scène de théâtre sur laquelle
on est en train de préparer un spectacle de comédie musicale, ou alors on est dans des
studios de cinéma en train de préparer une comédie musicale. Bref, on ne sort pas
vraiment du domaine du spectacle au sens large du terme. Il y a toujours des comédies
musicales dans la comédie musicale, les films de comédie musicale racontent comment
on constitue une comédie musicale.
En même temps, ce récit va être entrecoupé de morceaux (on va même employer le mot
“tableau” que l’on employait pour le cinéma des premiers temps). Le récit va donc être
entrecoupé de tableaux chantés. Le genre de la comédie musicale renoue donc avec celui
de la féérie qui existait dans les premiers temps du cinéma.

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Ces tableaux chantés ou dansés se font, au début, comme au théâtre. On voit des jeunes
filles légèrement vêtues de plumes, qui vont danser face au public, donc face à la caméra.

Particularités de la mise en scène de la comédie musicale :


- Frontalité ; Adresses au spectateur
- Mise en scène en plan d’ensemble
- Beaucoup de raffinement, de couleurs, de musiques.

➔ Notons que toutes ces caractéristiques propres aux films de la comédie musicale
ne sont possibles qu’à partir de l’apparition du cinéma sonore, et ce n’est donc
pas étonnant si la Warner est la premiere à adapter des spectacles de Broadway.

- Années 30 : films de Mervyn Le Roy, Lloyd Bacon, Bubsy Berkeley.


Avec des numéros très spectaculaires, on retrouve à cette période surtout les films de
Bubsy Berkeley. Il n’est ni cinéaste, ni chorégraphe, il a une expérience militaire : en
France, il dirigeait les parades militaires. Il a donc appris aux troupes à marcher au pas, à
tourner en groupe, etc. Cette expérience va porter ses fruits lorsqu’il va rejoindre
Hollywood sans aucune formation préalable. Ses comédies musicales se caractérisent
par l’allignement, les mouvements synchonisés en cadence.

Mais Bubsy Berkeley va aussi réfléchir à la manière dont la comédie musicale


cinématographique pourrait se distinguer de la comédie musicale au théâtre. Pour lui, le
cinéma ne peut pas se contenter de reproduire ce qui se fait au théâatre.
Il a une idée magistrale : celle du point de vue en hauteur, et même du point de vue
vertical (= filmage à la verticale), c’est-à-dire un point de vue qui n’est plus celui du
spectateur de théâtre. Ainsi, tous ses corps féminins vont être disposés de manière à
créer des figures.
Il y a là une vraie invention de sa part, le spectacle devient tout à fait
cinématographique.

Exemples de comédie musicale dans les années 30 :


- Mervyn Le Roy, Chercheuses d’Or, 1933
- David Buttler, Fox Movietone Follies of 1929

- Années 30 et 40 : Productions RKO (avec Fred Astaire et Ginger Rogers).


Des films de la comédie musicale des années 30-40, il faut retenir les productions de
Fred Astaire, d’abord seul puis ensuite associé avec Ginger Rogers. Concernant les
caractéristiques de leurs comédies musicales, ce sont des films beaucoup plus inimistes,
la comédie musicale intègre des espaces étroits souvent privés, avec très peu de
personnages, on se centre sur seuelement un ou deux danseur(s). On voit aussi
beaucoup de claquettes.

- Années 40 et 50 : influence du producteur Arthur Freed (MGM).


Dans les années 40 et 50, un grand producteur intervient, responsable des comédies
musicales à la MGM : Arthur Freed. C’est un producteur de talent puisqu’il est à la fois
créatif et capable de trouver l’argent et les stars qu’il faut.
Au départ, c’est un parolier de chansons, c’est-à-dire qu’il écrit des textes pour des
comédies musicales à Broadway, à la fin des années 20. Dans ses textes, on est dans le

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quotidien, dans un monde familier, un monde de bonheur, sans contrainte, où l’on vit
des passions amoureuses. C’est un univers sans prétention.
En 1939, Arthur Freed va produire une première comédie musicale, qui est en même
temps un film qui relève du genre merveilleux : Le magicien d’Oz. C’est un film au bord
du fantastique mais qui est en même temps une comédie musicale, en couleurs.

Ensuite, il va découvrir plusieurs grands cinéastes et chorégraphes :


- Cinéastes : Stanley Donen et Vincent Minnelli
- Chorégraphes : Gene Kelly, Michael Kidd, Bob Fosse

Films de Stanley Donen :


- Un jour à New York (avec Gene Kelly), 1949
- Mariage Royal, 1951
- Chantons sous la pluie (avec Gene Kelly), 1952

Films de Vincent Minnelli :


- Le champ du Missouri, 1944
- Un Américain à Paris, 1951 (film plus chanté que dansé, avec une intrigue
différente)
- Tous en Scène, 1953
- Brigadoon, 1954
- Gigi, 1958

Films en rapport avec le merveilleux :


- Le Magicien d’Oz, V. Fleming, 1939
- Yolanda et le voleur, Minnelli, 1945
- Le Pirate, Minnelli, 1948

Les vedettes : Fred Astaire, Ginger Rogers, Gene Kelly, Cyd Charisse, Judy Garland

3) Projection
Chantons sous la pluie, 1952. Réalisation et chorégraphie : Gene Kelly et Stanley Donen.
Production : Arthur Freed. Avec Gene Kelly, Debbie Reynolds, Donald O’ Connor, Jean
Hagen.

Chantons sous la pluie est une comédie extrêmement drôle. L’histoire se déroule au
moment où le cinéma devient sonore, et ce film va donc jouer sur les difficultés que le
cinéma rencontre pour parvenir au sonore.

C’est un film qui est produit par Freed et co-réalisé par Stanley Donen et Gene Kelly. Les
deux réalisateurs vont se partager le travail.

Ce film est réalisé en 1952, une époque où Hollywood est sur le déclin. Ce n’est pas
encore la crise, mais le déclin commence à se faire sentir, surtout à cause de la
concurrence de la télévison. Les gens deviennent moins enclins à sortir le soir pour aller
au cinéma. Hollywood veut concurrencer la télévision, on va donc faire des films en
couleurs, sur très grand écran, dont certains seront en 3D. Il y a la volonté de faire des
films à grands spectacles, grands budgets.

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Puisqu’il faut ramener le public dans les salles, on va lui parler du cinéma. Hollywood va
produire de nombreux films qui parlent de Hollywood. Dans Chantons sous la pluie,
l’intrigue se passe à Hollywood, avec des acteurs et des cinéastes qui y travaillent. Au
début du film, Gene Kelly raconte ses débuts à Hollywood, comme casacadeur (comme
Stroheim). C’est très drôle, mais aussi très instructif.

Le film est écrit par deux scénaristes qui ont eu fort à faire, parce que leur producteur
Arthur Freed leur demande d’écrire le scénario du film à partir de ses propres chansons
écrites à la fin des années 20, donc plus du tout à la mode dans les années 50. Les
scénaristes vont avoir l’idée lumineuse de situer l’intrigue du film à la fin des années 20,
et de parler des problèmes techniques du passage au parlant.

Le film nous raconte donc comment on va réaliser une comédie musicale à Hollywood.
Nous pouvons constater une très bonne intégration des tableaux chantés et dansés dans
l’intrigue (ce qui n’est pas toujours le cas), excepté pour le ballet final qui est assez
curieux, où on voit bien que l’intégration ne se fait pas, le personnage raconte au
producteur ce que sera le film, et les scénaristes se sont donnés la liberté de mettre
toutes les chansons à la suite les unes des autres, on retourne dans une production
beaucoup plus théâtrale.

C’est également un film qui parle des problèmes causés par le son, et des immenses
possibilités du son. On voit comment un problème va générer des possibilités et devenir
en même temps une idée artistique, comment on va exploiter cette idée pour développer
l’intrigue et aussi produire des effets stupéfiants et extrêmement drôles.

4) La comédie
1) Racines et lieu d’élection du genre : du burlesque (années 10-20) à la
comédie (années 30-50) : à la dois descendance directe et différenciation.
La comédie émerge aussi à partir du cinéma sonore, puisqu’elle a besoin de dialogues et
que c’est un genre théâtral. On parle alors de comédie théâtrale, qui vient de Broadway.
Néanmoins, lorsque la comédie apparait, le burlesque n’est pas non plus terminé. Le
burlesque ne va pas disparaitre complètement mais va se transformer et prendre la
forme de la comédie loufoque, qui peut s’envisager comme un prolongement singulier
du burlesque.
Ces deux grandes sources vont donner deux grandes catégories de comédies
américaines : la comédie sophistiquée (théâtrale) et la comédie loufoque (burlesque).
Cette distinction est fort théorique. On la retrouve dans certains films de façon évidente,
mais les différents commentateurs ont parfois des critères différents pour situer tel film
ou tel cinéaste d’un côté ou d’un autre. Par exemple, le cinéaste Frank Capra est rangé
des deux côtés. Il n’est donc pas très facile de distinguer les deux sortes de comédie.

- Première distinction en terme de production :


Le burlesque était un genre dans lequel certains personnages pouvaient être à la fois
acteur, scénarite, réalisateur, etc. Dans la comédie des années 30, c’est le système des
studios qui prévaut donc le taylorisme, la division du travail. On retrouve néanmoins des
exceptions, comme par exemple Billy Wilder qui va être scénariste, réalisateur, et
parfois même producteur pour ses propres films. Mais d’une manière générale, le
principe de la division du travail prévaut dans la comédie des années 1930.

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➔ Une major spécialisée dans le genre de la comédie : la Paramount.
2) Subdivision générique : screwball comedy (comédie loufoque) et comédie
sophistiquée
D’autre part, la comédie sophistiquée et la comédie loufoque se distinguent par un
nombre de traits caractéristiques. A nouveau, ces grandes différences sont plus
théoriques qu’effectives, mais elles nous permettent de mieux situer les sous-genre.

- La dimension sociale (classes sociales mises en scène, publics d’élection) :


Deux sous-genre de la comédie s’adressent à des publics différents. D’un côté, la
comédie loufoque s’adresse à un public populaire, tandis que la comédie sophistiquée
s’adresse à un public davantage bourgeois. De plus, on constate que les personnages des
films vivent dans des milieux qui correspondent au milieu auquel s’adresse le film.

- La dimension esthétique :
Plusieurs oppositions sont à retenir.
• Le scénario : Les scénarios de la comédie loufoque sont assez simplistes, fondés
sur la répétition. En effet, les gags sont souvent répétés au sein d’un même film
ou bien d’un film à un autre. La comédie loufoque va privilégier la satire, ou bien
les formes narratives savantes et bien établies qu’elle va détourner pour mieux
s’en moquer.
De l’autre côté, la comédie sophistiquée repose sur des scénarios très élaborés,
avec des quiproquos, des sous-entendus, de nombreux personnages, etc… Notons
que dans la comédie loufoque, au niveau des personnages, l’histoire tourne
souvent autour d’un personnage masculin ou éventuellement autour d’un couple
de personnages masculins (résurgence des couples burlesques).

• Les personnages : Les personnages de la comédie loufoque sont très typés.


A l’inverse, la comédie sophistiquée repose sur le couple homme-femme, qui sont
en général mariés, assez souvent divorcés, et pour un certains nombre de films ce
couple se remarie à la fin du film. La femme a donc un rôle important dans la
comédie sophistiquée, elle est souvent représentée par un personnage féminin
émancipé : la femme travaille, elle est intelligente, elle ne se laisse pas embobiner
par les hommes et elle peut même les mettre à la porte. La femme peut aussi être
en compétition avec l’homme, et elle cherche à s’élever par rapport à l’homme,
notamment grâce à son intelligence. La question de la place de la femme, qu’elle
peut acquérir par l’instruction, est une thématique essentielle dans la comédie
sophistiquée. Un couple particulièrement célèbre, sur et hors l’écran, est celui de
Spencer Tracy et Katharine Hepburn. Dans Madame porte la culotte, ils sont tous
les deux avocats, mais ils doivent défendre des causes différentes. On remarque
un affrontement professionnel, parallèlement à un affrontement au sein du
couple. On est dans un milieu bourgeois et instruit, il y a des relations entre
hommes et femmes.

• Les effets comiques : Dans le loufoque, on privilégie le comique visuel et gestuel,


donc des gestes plus acrobatiques et moins naturalistes, en particulier la grimace,
l’expression du visage excessive et caricaturale. Bien sûr, le comique slapstick va
perdurer dans la comédie loufoque. A l’inverse, dans la comédie sophistiquée,
c’est un comique de dialogue qu’on va privilégier, qui passe par tous les effets du
dialogue et en particulier par le sous-entendu. On retrouve également un

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comique de situation, des quiproquos. Ce sont de véritables trouvailles de
scénarios.
Exemple : Chantons sous la pluie. Ce film, bien qu’il relève précisément de la comédie
musicale, relève aussi, de façon plus générale, de la comédie. On y trouve des aspects qui
relèvent de la comédie sophistiquée, mais aussi de la comédie loufoque.

L’acteur principal (Gene Kelly), au début du film, lorsqu’il raconte sa vie de danseur de
claquettes, forme un couple avec Cosmo Brown (Donald O’Connor). Les deux hommes
sont inséparables et font des numéros de claquettes spectaculaires. Il y a là toute une
gestuelle qui est très burlesque dans sa forme, avec des choses qu’on a déjà retrouvé
chez Keaton notamment. Tous les effets comiques dans le numéro chanté de Cosmo
Brown sont des effets qui viennent du burlesque.

Ensuite, Gene Kelly et Debbie Reynolds, l’homme et la femme qui se rencontrent, se


méprennent sur un quiproquos, se disputent puis se retrouvent, et travaillent
finalement ensemble à construire la comédie sophistiquée. Leur relation se construit
contre le personnage de Lina, qui nous est montrée dans le film comme étant la parfaite
idiote, mais maléfique. Dans le double portrait de Line et de Katy (Debbie Reynolds), on
retrouve deux femmes différentes, qui appartiennent toutes les deux à la classe élévée,
mais qui se distinguent par l’intelligence, la parole, l’art… Le film aborde la relation entre
l’homme et la femme, ici, si l’amour est possible entre Gene Kelly et Debbie Reynolds,
c’est parce que cette dernière a réussi à montrer à l’homme qu’elle était intelligente.

Comédie sophistiquée
• Ernst Lubitsch :
Ernst Lubitsch est un cinéaste d’origine allemande, qui va quitter l’Allemagne en 1923
pour aller faire carrière à Hollywood. Il a d’abord une longue expérience du muet (ex :
Comédiennes, 1924), puis il va commencer à faire des films sonores qui ne sont plus des
films historiques à costumes mais qui commencent à être de la comédie. Son premier
film sonore, en 1929, s’intitule Parade d’amour. C’est surtout à partir des années 30
qu’Ernst Lubitsch devient un maitre de la comédie sophistiquée, avec notamment Haute
pègre (1932), La Veuve Joyeuse (1934), Ninotchka (1939, avec Greta Garbo), Jeux
dangereux (ou To be or not to be, 1942, avec Carole Lombard). Dans sa filmographie, on
retrouve encore Montecarlo, Sérénade à trois, Angel (avec Marlène Dietrich), Le Ciel peut
attendre. Lubitsch va travailler avec beaucoup d’actrices.

Caractéristiques de son cinéma :


- Les lieux : Ernst Lubitsch va souvent situer ses intrigues en dehors des USA,
comme c’est le cas dans To be or not to be où l’intrigue se situe à Varsovie.
Lubitsch va nous décrire des situations plus ou moins rocambolesques dans des
villes européennes, toutes très prestigieuses, mais dans lesquelles il va montrer
des choses qui pourraient déplaire à la société américaine. C’est une façon de
montrer que ce qui se passe dans les villes d’Europe ne peut pas se produire aux
Etats-Unis. Chez Lubitsh, les USA sont exotisés.

- La théâtralité : Chez Ernst Lubitsch, dans la mise en scène, il y a tout un jeu


autour de l’artifice théâtral. To be or not to be est un film autour d’une troupe de
comédiens. Juste avant l’invasion de Varsovie, un des comédiens jouait le rôle

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d’Hitler. Pour s’assurer que son déguisement et son maquillage étaient
ressemblant, ce comédien décide de se balader dans la rue. Il y a un attroupement
autour de lui, et à un moment donné, quelqu’un lui demande un autographe. On a
donc reconnu le comédien derrière le masque d’Hitler. A partir de là, l’intrigue est
complexe, mais on est constamment face à des personnages qui jouent un double
jeu. Par exemple, un comédien va jouer deux personnages, un collaborateur et un
résistant, il va être pris pour un imposteur, etc. On est constamment dans cet
artifice propre au théâtre, cette distance entre ce qui est vrai et ce qui est faux.
Lubitsch adore jouer avec ce qui est faux et théâtral car de cette façon, il parvient
à faire passer des idées.

- L’argent et le désir : L’argent et le désir sont deux choses qui motivent ses
intrigues, mais c’est le désir qui passe avant l’argent. Dans tout ses films, il est
question de désir mais aussi d’amour, de jalousie, de relations extraconjugales.
Ces éléments se combinent souvent avec l’aspiration à autre chose : l’argent et le
pouvoir. On retrouve évidemment dans ses films des triangles amoureux et donc
des comiques de situations, des quiproquos, etc. Bref, il y a toute une série de
choses qui ne sont jamais véritablement énoncées mais qui sont implicites. La
suggestion, les ellipses, le hors-champ, l’implicite, le non-dit…. Sont très
caractéristiques de son cinéma. Lubitsch met en scène des relations, des désirs,
sans jamais dire les choses explicitement, notamment en ce qui concerne la
sexualité. Rappelons-nous qu’il y a des choses dont il est impossible de parler
dans le cinéma hollywoodien à cause du code Hays, un code de censure. Mais
Ernst Lubitsch va trouver des moyens cinématographiques pour ne jamais rien
montrer explicitement, et ainsi contrer la contrainte du code Hays. Ses films ne
parlent que de ça sans jamais le montrer explicitement. Par exemple, Hautre
Pègre est un film qui nous parle dans la haute société d’escrocs. Les personnages
ne cherchent qu’à s’enrichir, mais en même temps ils sont dans des relations de
désirs, qui sont fortement associées avec le désir de l’argent. Bref, Lubitsch fait un
parallèle entre le désir de l’argent et le désir sexuel.

• Frank Capra :
Frank Capra est une autre grande figure de la comédie sophistiquée, qui travaille dans
un tout autre genre car il est un cinéaste fortement engagé, qui s’est fait une idée très
précise de l’Amérique et de sa grandeur. Capra travaille à une époque où l’Amérique est
en crise suite au krach boursier, et où elle doit se reconstruire.

En novembre 1932, Roosevelt (démocrate) est élu président des Etats-Unis, et il le


restera pendant 12 ans. C’est la grande période du New Deal, qui a pour but de faire
remonter l’économie que le capitalisme a détruite. Dans ses films, Capra va se faire le
défenseur de l’idéologie du New Deal de Roosevelt.

Frank Capra fait ses débuts comme gagman chez Mack Sennett pour la Keystone
(premiers films de Harry Langdon) et va donc travailler avec des codes comiques
burlesques.
Dans les années 1934, il réalise son premier film, avec Clark Gable : New-York Miami. Il
réalise ensuite L’Extravagant Mr Deeds (1936, avec Gary Cooper), Monsieur Smith au
sénat (1939, avec James Stewart), L’Homme de la rue (1941, avec Gary Cooper), Arsenic
et vieille dentelles (1944, avec Cary Grant et Priscilla Lane).

101
Le film le plus représentatif de l’oeuvre de Capra dans son rapport au pouvoir est
Monsieur Smith au sénat (ou encore l’Homme de la rue).
- Monsieur Smith au sénat : Monsieur Smith est un jeune idéaliste qui n’a aucune
expérience dans le domaine de la politique, mais pourtant il se faire élire parce
qu’il dirige des mouvements de jeunesse. Il se retrouve donc au sénat sans
aucune connaissance, et il va découvrir que des gens de son propre Etat l’ont
poussé au sénat car ils le prennaient pour un grand naïf qui fermerait les yeux sur
les détournements d’argent de l’Etat. Mr Smith, ce grand homme niais, en
arrivant à Washignton, veut tout d’abord voir la statue de Lincoln. Petit à petit,
Smith découvre les secrets du sénat, et il va essayer d’empêcher un projet d’avoir
lieu en trouvant toutes sortes de subterfuges. Dans cette affaire, une journaliste
découvre ce jeune sénateur naïf, elle va se moquer de lui mais aussi rester avec
lui, car elle pense que c’est un bon plan pour savoir ce qu’il se passe dans les
couloirs du sénat. Mais petit à petit, elle tombe amoureuse de lui, et ce dernier va
ouvrir les yeux sur la réalité politique. Il en sortira évidemment un couple,
comme dans toutes les comédies.
- L’Homme de la rue : C’est l’histoire d’un homme à qui il va arriver des choses
extraordinaires qui vont le sortir de sa condition.

Il y a donc une idéologie dans tous les films de Capra qui s’accorde avec le projet
démocrate, c’est-à-dire qu’il faut en finir avec la fraude, avec les hommes politiques
corrompus, pour rendre sa fierté au peuple américain. Les films de Capra sont des films
optimistes, volontaristes, qui parfois font vibrer la forme enfantine qui reste encore en
nous.

• George Cukor :
George Cukor est un metteur un scène que Hollywood est allé chercher à Broadway, car
on manquait de metteurs en scène. Durant sa carrière, Cukor est resté un homme de
théâtre, et il va réaliser des films qui sont aussi très théâtraux. C’est un metteur en scène
extrêmement fin et délicat, qui va également être un tout grand metteur en scène des
actrices, principalement de Katharine Hepburn. Ses chefs d’oeuvre de la comédie
sophistiquée sont Femmes (1939), Indiscrétions (1940), Madame porte la culotte (1949,
avec Spencer Tracy et Katharine Hepburn), et Les Girls (1957).

• Billy Wilder :
Billy Wilder, tout comme Ernst Lubitsch, est un cinéaste autrichien. Il va travailler pour
la UFA, puis va travailler à Hollywood à la fin des années 30, comme dialoguiste, pour
Lubitsh et Hawks. Il va se faire connaitre avec un célèbre film noir en 1944 : Assurance
sur la mort.
Il va réaliser aussi des drames et des films policiers très connus, comme Sunset
Boulevard.

Mais c’est dans la comédie sophistiquée qu’il va exceller, avec principalement Sept ans de
réfexion (1955, avec Marylin Monroe) et Certains l’aiment chaud (1959, avec Marylin
Monroe, Tony Curtis, et Jack Lemmon).
Sept ans de réflexion : C’est un film très représentatif de la comédie sophistiquée. Un
homme profite de l’absence de sa femme, et sa voisine du dessus (Monroe) arrive.

102
Les mêmes éléments reviennent à nouveau : relation de couple, relation conjugale et
extraconjugale, comique de situation et de quiproquos, complications pour se cacher…
donc très représentatif du comique de situation de la comédie sophistiquée.
Certains l’aiment chaud : Un couple d’hommes musiciens est au chômage et cherche du
travail. A un moment du film, ils vont être par hasard témoins d’un réglement de compte,
et les deux hommes vont être poursuivis par les gangsters. Finalement, la seule
possibilité de travail qu’on leur propose est de rejoindre un groupe féminin de
musiciens. Alors, les deux hommes se déguisent en femmes et vont se faire engager.
Marilyn Monroe est une des musiciennes. Ici aussi, on retrouve des comiques de
situations, quiproquos, etc.

• Howard Hawks : L’impossible M. Bébé (1938), Les hommes préfèrent les blondes
(1953).

Screwball comedy (la comédie loufoque)


Les couples d’acteurs comiques :
- Abbott et Costello : ils tournent dans des films qui ne sont pas des chefs d’oeuvres
du cinéma, comme la série des Deux Nigauds (ex : Deux Nigauds contre
Frankenstein, Charles Barton, 1948).

- Jerry Lewis et Dean Martin : Martin est avant tout un chanteur, et Lewis est le
clown grimaçant. Ils vont réaliser toute une série de films ensemble, comme Un
pitre au pensionnat, Artistes et modèles, Un vrai cinglé de cinéma. Puis Lewis va
prendre son autonomie dans les années 60 et devenir son propre producteur et
réalisateur. Martin va se séparer de lui et reprendre sa carrière de chanteur. Jerry
Lewis réalise alors ses films seul, notamment Dr Jerry et Mr Love, en 1963, qui est
une parodie de Docteur Jekyll et M. Hyde, avec un personnage de savant fou qui ne
fait que des bêtises et qui va boire une boisson qui va le transformer non pas en
un personnage méchant, mais bien en Mr Love, c’est-à-dire qu’il devient une
sorte de crooner (=chanteur, comme Dean Martin). Mais le filtre n’agit pas
jusqu’au bout et il redevient l’affreux professeur grimaçant qu’il était. Ce film est
en même temps une parodie, et en même temps très représentatif du talent de
Lewis. Jerry Lewis réalise aussi lui-même Le tombeur de ces dames (1961) et Jerry
souffre-douleur (1964).

- Bob Hope : Il réalise une série de films dont le titre commence par “Road to”, avec
chaque fois les mêmes personnages, donc le principe de films en série. Parmi les
acteurs qui jouent dans ces films, on retrouve Bing Crosby, Bob Hope et Dorothy
Lamour. Ces films sont très représentatif de la comédie loufoque des années 50.

- Danny Kaye : Si bémol et fa dièse (Howard Hawks, 1948) : comédie loufoque de


Howard Hawks, avec des comiques de cette veine là.

103
Séance n°12 :
Le cinéma classique hollywoodien III : Le film noir

1) Invention, fondements, contexte


Un genre constitué a posteriori :
A Hollywood, depuis toujours, on réalisait des films policiers, de gangster… mais pas de
films noirs. Aujourd’hui, pour qualifier ce genre cinématographique, les américains
emploient le terme “film noir” en français.

En effet, les histoires de ce genre commencent en France, en 1946, suite aux accords
commerciaux Blum-Byrnes qui permettent aux produits américains d’être distribués en
France. Le film étant une marchandise, des films américains vont arriver en France, et
vont contribuer à l’américanisation de la France et de la culture francaise. Cela aura pas
mal de conséquences, autant dans le cinéma que dans quantité d’autres domaines. Bref,
les films américains débarquent en France, et en masse, puisque pendant la guerre il n’y
avait plus d’échanges commerciaux et que donc les films américains ne venaient plus en
France.

Parmi tous ces films, on trouve une série de films dits “d’histoire criminelle”. Ces films
vont être vus par des critiques français dont Nino Franck, en 1946. Ce dernier va
découvrir un certain nombre de films, dont ces 4 films noir : Double Indemnity
(Assurance sur la mort – Billy Wilder), The Maltese Falcon (Le Faucon Maltais – John
Huston), Murder, My Sweet (Adieu, ma belle – Edward Dmytryk) et Laura (Otto
Preminger). Nino Franck écrit un article sur ces films, et il découvre que quelque chose à
changé dans le cinéma américain policier, d’histoires criminelles, etc. Le critique français
dira que les films qu’il a vu ont en commun d’être des films noirs. Ces films sont violents
et terriblement cyniques (immoraux), donc très différents du film policier classique ou
du film de gangster.
Il faut savoir que l’expression “film noir” n’est pas nouvelle, on l’avait déjà utilisée dans
le passé pour qualifier certains films du réalisme poétique (et effectivement, il est
possible d’établir certaines ressemblances entre les films du réalisme poétique et les
films noirs).

L’expression “film noir” est justifiée par d’autres éléments, notamment par la “série
noire”, une nouvelle collection de romans policiers fondée en 1945 chez Gallimard et
dirigée par Marcel Duhamel. Cette nouvelle collection se donne comme objectif de faire
connaitre le roman noir américain, une nouvelle forme de roman policier, très
différente. Bref, les romans noirs se font connaitre sous l’intitulé “la série noire”, et il se
fait que les films noirs sont souvent des adaptations de ces romans. Il est donc assez
logique d’appeler ces nouveaux films des films noirs.

L’expression “film noir” est française, les américains vont l’ignorer pendant des années.
C’est seulement à la fin des années 60 que paraissent les premiers articles en anglais qui
commencent à identifier le genre, en employant l’expression “film noir”. Mais à cette
époque on emploie aussi parfois l’expression “black cinéma” pour qualifier ce genre de
films. Mais puisque “black cinema” désignait également le cinéma des afro-américains,
pour ne pas confondre, les américains vont conserver l’expression française. Le film noir

104
désigne donc un genre qui n’avait pas été établi préalablement en tant que tel, mais qui a
été reconnu après la sortie des films de ce genre.

Mais le film noir reste un genre problématique. Encore à l’heure actuelle, les
commentateurs ne se mettent toujours pas d’accord sur ce qui identifie réellement le
film noir. Par exemple, certains d’entre eux classent des films d’Alfred Hitchcock dans le
film noir, contrairement à d’autres. Il y a donc encore beaucoup d’hésitations quant au
fait de savoir ce qu’est réellement le film noir. (Notons que ce n’est tout de même pas le
cas pour tous les films noirs car certains relèvent incontestablement de ce genre).
Certains commentateurs pensent que le film noir est un avant goût du cinéma moderne,
qu’il marque la fin du cinéma classique (ce qui n’est pas totalement faux…). Certains
diront que ce qui fait la caractéristique du film noir est le mode narratif, tandis que
d’autres insistent plutôt sur le mode visuel… Bref, on retrouve beaucoup de
contradictions dans la définition du genre.

Dates-repères :
Il en est de même en ce qui concerne les périodes du genre. Avant, on pensait que c’était
plutôt les années 1941-1958 qui désignaient la période du film noir. Mais on s’est rendu
compte que ces dates-là ne veulent plus dire grand chose aujourd’hui. Il y a eu une
nouvelle vague de films noirs, qui n’est pas tout à fait terminée, on a alors parlé d’un
néo-noir, à partir des années 90.

Néanmoins, deux dates-repères sont à retenir :


- 1941 : Le Faucon maltais de John Huston
- 1958 : La Soif du mal d’Orson Welles

L’origine littéraire :
L’origine littéraire du film noir est donc le roman noir américain, représenté par de
nombreux auteurs, dont deux sont à retenir :
- Dashiell Hammett, The Maltese Falcon. Son personnage de détective est Sam
Spade.
- Raymond Chandler, The Big Sleep, Farewell my lovely, Lady in the Lake. Son
personnage de détective est Philip Marlowe.
- Mais aussi William R. Burnett (The Asphalt Jungle), James Cain (The postman
always rings twice, Double Indemnity), David Goodis (Dark Passage), etc.
Tous ces auteurs sont publiés chez Gallimard et vont voir leurs romans adaptés par
Hollywood, surtout par la Warner. Ils vont également collaborer eux-mêmes avec
Hollywood. Par exemple, Chandler sera scénariste.

Le film noir aura également quelques acteurs privilégiés, notamment Humphrey Bogart.

Genre au croisement du film policier et du film de gangsters :


Pour identifier un peu mieux la spécificité du film noir, on peut dire que le film noir est
en quelque sorte au croisement du film policier et du film de gangster.
Pour différencier le film policier et le film de gangsters de façon très schématique, nous
pouvons dire que le film policier est principalement raconté du point de vue du policier,
de celui qui mène l’enquête, alors que le film de gangsters va plutôt raconter la vie du
gangster (du point de vue du gangster), en accordant souvent de l’importance à des
choses qui ne sont pas liées à l’énigme.

105
Le film policier :
Le film policier s’inscrit dans la lignée du roman policier, roman à énigme. Le prototype
de ces histoires à énigme est un roman d’Edgar Poe, Double assassinat dans la rue
Morgue, parce que c’est l’histoire d’un détective qui va trouver la solution à son enquête,
mais il y a aussi dans l’histoire une dimension fantastique.

Le roman policier va déboucher sur une série de films policiers :


- The Musketeers of Pig Alley, Griffith, 1912.
- Fantômas, Louis Feuillade, 1913.
- Les serials des années 10, comme Les mystères de New York, Louis Gasnier, 1914.
- Murders in the Rue Morgue, Robert Florey, 1932.
- Big Brow Eyes, Raoul Walsh, 1936.

Le film de gangsters :
Le film de gangsters, contrairement au film policier, a une existence beaucoup plus
courte.
Le film de gangsters apparait à une période précise : entre 1919 et 1933. C’est une
période qui voit le gangstérisme se développer beaucoup aux Etats-Unis dans le cadre de
la prohibition. Il va y avoir beaucoup de gangsters très célèbres, comme Al Capone.

Un ganster, c’est un truant, mais c’est surtout quelqu’un qui n’a aucune instruction, qui
vit en marge de la société, qui est extrêmement violent, qui est intelligent et, en outre,
qui réussi dans la vie et devient riche. C’est un peu le négatif du capitaliste. C’est un self-
made-man mais qui a choisi la voie marginale, illégale pour réussir sa vie.

En 1933, on va lever la loi sur la prohibition. Les films de gangsters, qui étaient en
quelque sorte des films d’actualité, vont soudainement se retrouver un peu décalés.

Il va aussi y avoir à cette époque les ligues de vertu américaine. Ce sont des clubs qui ont
une morale très rigide et qui entendent bien que l’ensemble de la société respectent leur
conception de la loi. Ces clubs sont essentiellement composés de femmes qui vont agir
pour moraliser la société américaine. Ces femmes, mais aussi ces hommes qui font partie
des clubs, ont des idées très conservatrices, notamment en matière de sexualité. Ces
ligues de vertu vont, entre autre, s’en prendre au cinéma, qu’ils considèrent comme
étant le lieu de tous les vices, et ils vont faire un tel tapage que cela va même inquiéter
Hollywood. La réaction d’Hollywood sera le fameux code Hays, qui avait déjà été pensé
auparavant, mais qui va finalement être mis en application à partie de 1934.

Cela a pour conséquence la fin du film de gangsters. Hollywood n’osera plus montrer un
type sans instruction, une brute épaisse qui traite sa femme comme une moins que rien,
et qui en plus a du pouvoir. Ce contre-mondèle social devait disparaitre. (Mais il a
disparu pour mieux réapparaitre plus tard, dans les années 90).

Finalement, la durée de vie du film de gangsters est très courte. Néanmoins, il y a


quelques films de gangsters très célèbres :
- Underworld, Joseph Von Sternberg, 1927
- Little Caesar, Ben Hecht et Mervin Leroy, 1930 (avec E.G. Robinson)
- Public Ennemy, William Wellman, 1932 (avec James Cagney)

106
- Scarface, Howard Hawks, 1932 (avec Paul Muni) : ce film raconte la vie d’Al
Capone, et aurait même été validé par Al Capone lui-même.

Les précurseurs :
Le film de gangsters disparait en 1934, mais Hollywood continue à faire des histoires
criminelles, qui sont en quelque sorte les films précurseurs des films noirs. Dans ces
films, il y a un personnage qui n’est ni un gangster, ni un policier : c’est un privé. Ce
personnage est soit un détective privé, soit quelqu’un qui va mener une enquête pour
son propre compte. C’est quelqu’un qui travaille seulement pour lui, et qui a donc un
intérêt personnel à découvrir la vérité. Son but n’est pas que justice soit faite.

Exemples :
- The Black Bird, Tod Browning, 1926
- La première adaptation de The Maltese Falcon, Roy del Ruth, 1931
- Certains films allemands de Fritz Lang : les Mabuse, M. Dans M., le méchant de
départ devient au fil de l’histoire la victime. Il est poursuivit à la fois par les
policiers et la pègre. Il va être jugé par la pègre, et finalement sauvé in extremis
par un policier. Ce retournement de situation, où c’est la pègre qui juge, est bien
un retournement propre au film noir.
- Stranger on the Third Dloor, Boris Ingster, 1939 (avec Peter Lorre).

Un contexte de crise :

- Contraintes économiques et techniques propres au genre :


Le film noir émerge dans un contexte particulier : le contexte de la guerre. Les hommes
partant à la guerre, les femmes se retrouvent à travailler dans les usines. Toute la société
américaine est bouleversée.
Après la guerre, les survivants reviennent au pays. Parmi toutes les femmes qui étaient
allées travailler, certaines vont rentrer à la maison, mais toutes ne vont pas le faire de la
même manière car il y a des femmes qui ont pris goût au travail et surtout à leur
indépendance. En Amérique, même si on est dans une société très mouvante, dans les
années 30 c’était quand même l’homme qui travaillait et la femme qui restait au foyer.
Avec la guerre, tout change. On constate qu’après la guerre, il y a plus de femmes qui
travaillent que pendant la guerre. Cela a pour conséquences une émancipation
progressive des femmes d’un côté, et de l’autre une crise profondément ressentie par les
hommes, qui perdent leur pouvoir symbolique. Ces phénomènes sociaux ne sont pas à
l’origine du film noir mais vont se retrouver transformés par l’imaginaire du film noir.

Le film noir émerge donc dans un contexte économique difficile, qui va avoir des
répercussions sur le cinéma américain. Certaines firmes vont faire le choix de films à
petits budgets, comme la Warner, la firme centrale des films noirs. Et justement le film
noir, dont l’action est menée par très peu de personnages, se déroule en intérieur, et de
plus souvent la nuit, s’avère être un film bon marché. Il n’y a pas beosin de grands
décors, pas besoin d’une grande machinerie comme pour réaliser un western. C’est donc
un genre qui répond à une situation qui est économiquement difficile, du moins pendant
les années de guerre.

En plus de cela, puisqu’on adapte des romans noirs, on peut faire appel aux romanciers.
Bien-sûr, il faut acheter les droits du roman et ensuite payer ces romanciers comme

107
scénaristes, mais puisque ces “scénaristes” sont les auteurs du roman, ça va vite et donc
ça ne coute pas cher. Surtout que ces films ont du succès, donc c’est rentable.

- Contexte politique et social aux Etats-Unis :


Après la guerre, d’autres événements contextuels importants apparaissent. Dès 1947,
c’est le début de la guerre froide. Le monde se divise en deux grands pôles.
A partir de 1949, les soviétiques ont la bombe (à l’hydrogène). Ils deviennent donc
extrêmement dangereux. Les américains ont peur car, pour la première fois dans
l’histoire des Etats-Unis, une puissance étrangère dispose de moyens pour les attaquer
sur leur propre sol. Bref, durant les années 40-50, les américains vivent dans la peur de
la guerre nucléaire, du communisme, et notamment de l’ennemi intérieur (=américain
communiste).

Suite à cela arrive alors le maccarthysme (47-54) : c’est la chasse aux sorcières, qui
consiste à poursuivre les communistes dans tout le pays. Le maccarthysme va insuffler
la suspicion dans la mentalité américaine (tout citoyen devient un suspect), mais aussi la
délation (=dénonciation secrète).

Maccarthy va créer une commision, le HCAC (House Commitee on Un-American


Activities ou la Commision des Activité Anti-Américaines) qui va investiguer auprès de
populations très ciblées : les intellectuels, les fonctionnaires et les artistes, notamment
ceux qui travaillent à Hollywood. Il y a aura une liste noire avec 200 noms. Il va donc y
avoir des gens qui vont être convoqués au HCAC et devoir répondre à des accusations,
pour la plupart totalement infondées. Quelqu’un qui avait juste des idées socialistes,
sans aucun lien avec le communisme, était condamné. C’est le cas de Charlie Chaplin, qui
va devoir s’exiler.

Il y aura des délateurs (ceux qui dénoncent) à Hollywood, comme John Wayne ou encore
Walt Disney. Il y aura également des films qui justifient la délation.
Mais il y a aussi des cinéastes protecteurs, qui vont protégés sont qui sont dénoncés, et
qui vont se battre pour qu’on les défende.

Tout cela va bouleverser la société américaine, c’est un mouvement très profond, qui va
créer une sorte de paranoïa sociale. La peur s’installe dans tous les niveaux : peur de la
guerre, peur de la bombe, peur du communisme, peur de l’autre tout simplement.

- Hollywood : la fin de l’âge d’or


Tout cela va avoir un effet sur le cinéma. Le film noir va exprimer cette paranoïa sociale.
Dans le film noir, les personnages ont peur et réagissent à la peur par la violence et le
cynisme. Une des grandes valeurs de la société américaine, la famille, qu’on retrouve
dans pratiquement tous les autres genres, n’existe plus dans le film noir. Soit les films
noirs ne parlent plus du tout de famille, soit ils en parlent parce qu’elle explose, elle est
détruite.

Le film noir n’est pas le reflet de la société, mais il nous montre une société en crise. Et il
le montre toujours de façon excessive… Les personnages ont l’air d’être réels, mais en
même temps ils ne se comportent pas comme monsieur et mada me tout le monde.
Le film noir met en scène une société caricaturale.

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Les personnages féminins n’ont absolument pas le bon rôle. On retrouve deux types de
personnage féminin dans le film noir :
1. La boniche qui s’occupe des enfants et qui n’a rien à dire.
2. La femme fatale, qui va user de ses charmes pour détruire l’homme.
La femme est toujours coupable et est responsable de la perte, de l’échec, de tout ce qui
arrive aux hommes. Ce n’est évidemment pas la réalité, mais le film noir va cristalliser la
pensée de la société. Le film noir ne nous parle pas de la société mais de ses peurs et de
ses angoisses.

Remarque : ces caractéristiques s’adressent au film noir mais pas au film néo-noir.

2) Projection
Robert SIODMAK, The Killers (Les tueurs), 1946, USA, 103’. Avec Burt Lancaster et Ava
Gardner.

3) Une esthétique de la transgression et de


l’indiscernabilité
Le cinéma hollywoodien classique est précisément un cinéma de la clarté. Il privilégie
les histoires qui se terminent bien et qui sont claires. Par exemple, dans les Western, il y
a d’un côté les bons (les blancs), et de l’autre les mauvais (les indiens, les noirs, les hors-
la-loi). A la fin du film, tout rentre dans l’ordre, on a vaincu le mal et le bien règne. C’est
le genre américain par excellence.

Mais “Le film noir, c’est pas clair”. C’est un film nocturne, sombre, qui nous montre le
mauvais côté de la société américaine. Les histoires sont complexes, il faut être très
attentif pour comprendre qui a fait quoi et pour comprendre le double-jeu des
personnages. Cette complexité est renforcée par les flashback.
Il faut ajouter à cela le fait que le film noir est essentiellement un film en noir et blanc, et
un noir et blanc qui est très contrasté. C’est soit bien noir, soit bien blanc, mais il n’y a
pas de gris. Même dans les scènes d’intérieur, l’éclairage est très bas, pour sculpter les
visages avec des traits de lumière et des arrières plans très sombres. Il y a un goût réel
pour une pellicule sous-exposée, qui va recevoir peu de lumière, et des éclairages
tranchant mais très limités.

- Principe général d’indiscernabilité et d’ambiguïté à tous les niveaux


Le principe esthétique qui domine le film noir, c’est le principe d’indiscernabilité et de
transgression des frontières et des normes. Dès lors qu’il y a transgression des
frontières et des normes, il y a indiscernabilité.

• Le principe d’indiscernabilité au niveau des choix esthétiques


Une séquence est assez emblématique du principe d’indiscernabilité : La scène du Palais
des glaces, dans The Lady from Shangai d’Orson Welles (1948). Cette scène se déroule
dans le Palais des glaces : les personnages se démultiplient dans cet espace, une femme
et un homme se tirent dessus, mais en réalité ils n’arrêtent pas de tirer sur leurs reflets.
En tirant sur les miroirs, ils les brisent, et les miroirs brisés n’arrêtent pas de
démultiplier les images encore et encore, si bien que les spectateurs et les personnages

109
sont perdus. On est là clairement dans une scène qui est une espèce d’apogée de ce
principe d’indiscernabilité, où le spectateur perd tous ses points de repère.
Dans Key Largo de John Huston (1948) aussi, le principe d’indiscernabilité est très
présent : les scènes en extérieur sont dans le brouillard, dans la nuit, le gris brumeux
domine, on ne voit pas ce qu’il se passe.

Choix esthétiques du principe d’indiscernabilité :


- Le noir : Dans Détour d’Edgard Ulmer (1945), c’est le noir qui domine, avec
seulement une voiture et un personnage qui sont perceptibles.
- Le négatif
- L’ambiance nocturne et pluvieuse: Comme illustré dans The Big Sleep
d’Howard Hawks (1946), l’ambiance des films noirs est souvent pluvieuse, peu
lumineuse (lumière parcimonieuse).
- Décor : La majorité des plans du film noir se réalisent en studio. Les plans
d’ensemble sont rares, donc les décors sont peu onéreux (ex : Le Faucon Maltais).
- La ville de la nuit : On privilégie aussi des images de la nuit (ex : Murder My
Sweet) où les décors sont très facile à construire.
- Le clair-obscur est aussi très caractéristique des films noirs (ex : Murder My
Sweet)
➔ L’indiscernabilité, le noir, l’ambiance… contribuent largement au pessimisme
ambiant dans les films noirs.

Le noir, le clair-obscur, l’atmosphère… contribuent au principe de l’indiscernabilité. Mais


l’indiscernabilité se joue aussi à d’autres niveaux qu’au niveau visuel.

• Le principe d’indiscernabilité au niveau des choix thématiques


- Frontières psychologiques :
Sur le plan psychologique du traitement des personnages, là non plus les personnages
ne sont pas clairs. Le personnage le plus emblématique du film noir, sans qu’il soit pour
autant présent dans tous les films noirs, c’est celui du détective.

Dans The Killers, nous suivons l’enquête menée par le détective engagé pour la
compagnie d’assurances. Son objectif n’est pas de rendre la justice. Sans jamais pouvoir
se revendiquer de la police, le détective agit comme un policier : il est armé, mène son
enquête, … Il accompagne le policier mais à la différence de ce dernier, il n’hésite pas à
mentir.

Le détective n’a donc aucun scrupule. Dans the Killers, le détective est encore
relativement honnête. Mais au final, le résultat de son enquête est que justice n’a pas été
rendue puisque tous les hommes qui étaient coupables sont morts (à l’exception de Kitty
qui va faire 20 ans de prison), et le seul bénéfice ridicule de toute l’enquête touche au
sinistre : “La prime d’assurance va diminuer de quelques centimes”, dit le patron de la
compagnie d’assurance au détective, dans la dernière scène.

Le détective est ambigu, il se comporte comme un policier, non pas au nom de la justice
mais au nom du profit de son entreprise. Il n’hésite pas à mentir, à trahir lorsque c’est
nécessaire. L’ambiguité des personnages est une grande caratctéristique du film noir :
les personnages sont doubles, ils jouent un double-jeu, le spectateur ne sait jamais si ce
qu’ils disent est ce qu’ils pensent, encore moins si c’est la vérité.

110
Ce qui crée l’indiscernabilité au niveau psychologique, c’est que le spectateur est
toujours en train de se demander qui il peut croire et qui il ne peut pas croire. Ici,
concernant Kitty, on pourrait croire qu’elle est quand même amoureuse du Suédois,
mais elle le trahit. On pourrait aussi croire qu’elle aime réellement Colfax mais à la fin du
film, quand ce dernier est en train de mourir, elle lui demande juste qu’il la sauve, elle se
préoccupe plus de son sort que de celui de son mari qui est en train de mourir.
Bref, aucun personnage ne peut être cadré avec perfection.

- Frontières sexuelles :
Dans de nombreux films noirs, cette ambiguité se retrouve aussi sur le plan sexuel. Elle
est principalement représentée par un personnage de la société américaine que les
cinéastes de l’époque n’aiment pas : le personnage de l’homosexuel. A cette époque,
l’homosexualité est un tabou et le personnage de l’homosexuel est absent de presque
tous les genre cinématographiques. Pourtant, le personnage de l’homosexuel est
réccurent dans le film noir.
Exemple : Peter Lorre dans The Maltese Falcon de John Huston (1941) a tous les
attributs de l’homosexuel, mais comme on ne peut pas parler de l’homosexualité dans le
cinéma américain, on la sous-entend avec des signes. L’homosexuel masculin est très
bien habillé, il porte un noeud papillon, il a une petite pochette, un mouchoir dans la
poche. C’est aussi quelqu’un qui porte une canne dont il se sert. Il est un intellectuel, un
artiste, il aime la grande littérature, les oeuvres d’art. Le personnage de l’homosexuel n’a
jamais le bon rôle dans les films noirs : il est soit le tueur, soit la victime, mais dans tous
les cas il est celui qui doit disparaitre.

Par ailleurs, l’indiscernabilité sur le plan sexuel se traduit aussi par une espèse
d’inversion des rôles sexuels. On va souvent voir un homme faible, qui a perdu sa virilité
et qui est une espèce de victime. Et bien-sûr la femme est souvent dominatrice, elle est
celle qui va manipuler l’homme faible, c’est une véritable femme fatale.
Exemple : Detour de Ulmer (1945) nous raconte l’histoire d’un homme qui n’a aucun
moyen (il est pianiste le soir). Sa fiancée lui dit qu’elle va partir pour essayer de trouver
du travail sur la côte ouest. Sans elle, il est malheureux, et il va donc décider d’aller la
rejoindre en faisant du stop. Pendant le voyage, une série de catastrophes vont lui
arriver. Il va finalement se retrouver dans les griffes d’une femme fatale qui va
l’emmener sur la côte ouest et le manipuler en lui faisant porter la responsabilité d’un
accident pour lequel il va finalement être reconnu comme coupable, alors qu’il n’y est
pour rien. Il sera même accidentellement le meurtrier de cette femme qui le manipule.
C’est véritablement la figure de l’homme qui ne parvient pas à diriger son destin
(=retrouver celle qu’il aime), qui est constamment dérouté par les circonstances, par la
fatalité, par cette femme qui va le manipuler pour son propre profit.

- Lieux intermédiaires :
L’indiscernabilité se traduit aussi dans les lieux privilégiés du film noir. Les histoires que
le film noir raconte se déroulent en général dans des lieux urbains indéterminés, comme
une petite banlieue. Pour ce qui est des intérieurs, un grand nombre de scènes se passe
dans des lieux intermédiaires qui ne sont donc ni privés, ni publics : bar, restaurant,
snack-bar, garage. Les gens sont rarement chez eux mais plutôt dans des meublés, des
hôtels, on ne sait jamais très bien où ils vivent. Il y a aussi beaucoup de scènes sur la
route ou dans les trains.
• Le principe d’indiscernabilité au niveau des choix narratifs

111
Les codes narratifs du film noir sont eux aussi marqués par cette idée d’indiscernabilité
et de transgression des frontières.

Les intrigues sont complexes et invraisemblables. L’objectif n’est pas d’avoir une
intrigue claire, les films doivent être inexplicables. Le spectateur doit être perdu, il doit
douter de ce qu’il voit, il comprend qu’un moment donné quelque chose lui a échappé. La
notion de maîtrise qui était essentielle dans le cinéma classique disparait dans le film
noir. Pour cela, certains ont dit que le film noir déterminait le passage du cinéma
classique au cinéma moderne.

D’autre part, beaucoup de scènes sont racontées (voix-off). Il y a donc peu d’action,
beaucoup de scènes sont des discussions, des dialogues, et c’est dans le dialogue qu’on
apprend ce qu’il s’est passé. C’est le personnage qui le raconte en voix-off.
Ici, le film The Killers est une succession de flashback. Chaque partie est donc racontée
soit en voix-off, soit en dialogue. Même le moment crucial du film (=le hold-up), où
l’action bat son plein, nous est raconté par le biais d’un article de journal qu’un
personnage est en train de lire, un peu comme s’il s’agissait d’un journal télévisé. C’est
un journaliste qui a écrit l’article, et un personnage qui raconte la scène. Cela est une
manière d’éviter des scènes très complexes et très couteuses.

Le flashback n’est pas seulement utilisé comme une manière de raconter l’histoire. Le
flashback est aussi une grande caractéristique du film noir parce que la plupart des
personnages sont des victimes qui ont hérité d’un passé douloureux. Ici, on a affaire à
l’assassinat d’un homme pour son passé. Le personnage reste tributaire de son passé, il
ne parvient pas à se dépétrer de son passé.

Les personnages réccurents :


- Le détective (“go-between”) :
On peut dire que le détective est le roi du cynisme.

- L’homme revenant :
Exemple 1 : dans Somewhere in the Night de J.L. Mankiewicz (1946), un homme se
réveille amnésique. Il a fait la guerre mais il a oublié tout son passé. Il a oublié qui il était
et il va essayer de retrouver son identité, qui n’était justement pas claire. Il redécouvre
son identité comme s’il était extérieur à lui-même.
Exemple 2 : dans Dark Passage de Delmer Daves (1950), le film commence par une
longue séquence en caméra subjective. Le personnage principal s’évade de prison, il se
cache dans un tonneau, puis il est sauvé par une femme qui l’emmène chez elle.
Finalement, pour échapper à la police, il décide de faire de la chirurgie esthétique et il va
changer de visage. Le spectateur voit seulement le visage du personnage après la
chirurgie esthétique, donc il n’aura jamais vu son vrai visage. Mais bien qu’il n’ait plus le
visage de celui qu’il était, le personnage va de nouveau se faire rattraper par son passé.

- L’homme perdu (“border line”) :


C’est un homme qui est bien sous tous les rapports, mais qui avance à la limite, à la
frontière. Il lui suffit d’un rien pour qu’il bascule du mauvais coté.
Exemple : Dans The Lady from Shangai, Orson Welles voit une superbe femme dans une
calèche et il tombe sous son charme, lui fait la conversation et finalement tombe dans les
griffes de la femme fatale.

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- Le tueur psychopathe :
Les tueurs psychopathes sont des gangsters qui sont en même temps des malades
mentaux. Leur violence témoigne de la folie du tueur.

➔ Les personnages masculins ne sont pas des hommes normaux. Même quand il est
le tueur, l’homme est la victime. Il est aussi en position de faiblesse, là ou
certaines femmes sont en position de force. C’est ce qui a fait dire à certains que
le film noir serait un mélodrame masculin.

- La femme fatale :
Les femmes fatales sont toutes très séduisantes et filmées d’une façon extraordinaire. La
femme fatale va user de ses charmes pour manipuler l’homme, elle va abuser des
sentiments et des désirs éprouvés par l’homme a son égard. Elle fascine l’homme et ce
dernier devient sa marionnette, et ce va évidemment le conduire à sa perte.

- La fausse femme fatale :


Rita Hayworth, dans Gilda de Charles Vidor (1946) n’est pas une femme fatale, car même
si elle rend les hommes fous, elle ne les mène pas à leur perte : ce sont eux qui vont eux-
même se détruire.

La famille :
Dans les films noirs, il y a un éclatement de la cellule de base de la société américaine : la
famille. La famille est en péril, elle saute et disparait. C’est le grand impact du film noir
sur la société américaine.

4) Evolution et oeuvres majeures: /

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Séance n°13 : Alfred Hitchcock (1899-1980)
Alfred Hitchcock à une carrière longue, qui commence dans le muet et se termine dans
les années 70, mais il peut néanmoins être considéré comme le grand maitre du cinéma
classique.

1) La reconnaissance d’un maitre


Alfred Hitchcock a été considéré pendant longtemps comme un simple technicien habile
qui faisait des films de divertissement pour le grand public. Ses 58 films ont tous eu un
succès important, mais cependant son oeuvre n’attirait pas la faveur des critiques qui le
considéraient simplement comme un habile faiseur d’adaptations d’intrigues policières.

- Un cinéaste de divertissement reconnu comme auteur par la critique


française (Bazin, Astruc, Rohmer, Douchet, Chabrol, Truffaut) :

On a véritablement reconnu la vraie valeur d’Hitchcock en 1954, lorsque les jeunes


critiques français des Cahiers du Cinéma vont entreprendre de réhabiliter Hitchcock. En
1954, on publie donc dans les Cahiers du Cinéma un numéro spécial Hitchcock. Les
Cahiers du Cinéma resteront fidèles à Hitchcock.
Cette reconnaissance passe aussi par une très longue interview que réalise François
Truffaut entre 1962 et 1966, au cours de laquelle il fait passer en revue Hitchcock sur
tous ses films, de façon chronologique. L’interview est publiée en 1967 sous le nom de
Le cinéma selon Hitchcock, et sera ensuite augmentée après la mort de ce dernier sous le
titre de Hitchcock/Truffaut. C’est une source d’information extrêmement importante.

Hitchcock aime beaucoup raconter des histoires, y compris quand il parle de lui et de
son propre travail. Il n’est pas le seul, la plupart des cinéastes ont eu envie d’enjoliver
leur réputation. Cela signifie que tout ce qui est écrit dans cette interview n’est ni n’est ni
spécialement vrai, ni spécialement faux. Les cinéastes sont aussi de grands menteurs…

Dans les cahiers du cinéma, on trouve aussi un petit texte signé Alexandre Astruc (voir
dos de la feuille séance n°13), qui va beaucoup s’intéresser à l’oeure d’Hitchcock. C’est
un texte très synthétique mais qui exprime bien le revirement de la critique et les
nouveaux paramètres que la critique prend en compte pour réévaluer l’oeuvre
d’Hitchcock.
Hitchcock est désormais considéré comme un auteur. Cette notion d’auteur était
jusqu’alors réservée aux scénaristes de films. Ici, on qualifie d’auteur un metteur en
scène. En outre, on le compare à des géants de la littérature mondiale.

On dit d’Hitchcock qu’il raconte toujours la même chose dans ses films et que chez lui,
qu’il s’agisse de films d’espionnage, d’histoires criminelles… l’histoire es secondaire. Car
au final, toute ses histoires disent finalement la même chose : l’âme aux prises avec le
mal.
Il y a donc bien autre chose dans l’oeuvre d’Hitchcock que ce qu’elle semble raconter au
premier abord, ça va au-delà de la simple intrigue policière…

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- Une écriture cinématographique fondée sur la mise en scène (héritage de
Griffith) et un système poétique cohérent :

Hitchcock est reconnu comme auteur car il maintient une cohérence de style. Ce qui fait
l’auteur, en littérature comme au cinéma, c’est le style. Pour Astruc, le style est fondé sur
deux choses :
1. Le dépouillement des personnages : Les personnages d’Hitchcock sont des
personnages dépouillés de toute complexité psychologique. Ils sont plongés dans
un univers abstrait, l’univers des passions. Ils sont comme les pions d’un jeu.
L’important n’est pas ce qu’ils sont, c’est leur position dans le jeu.
2. L’importance de l’écriture cinématographique : C’est-à-dire de la mise en scène,
commune au romans et au cinéma, et aussi du découpage (de l’action en plans). A
ce titre, Hitchcock est un héritier direct de Griffith. Il y a une maitrise du
découpage chez Hitchcock qui est toute à fait exceptionnelle, ainsi que divers
moyens de mise en scène pour construire son récit. Bref, tout ce qui se faisait déjà
chez Griffith va être amplifié chez Hitchcock : le suspense.

Enfin, l’écriture cinématographique d’Hitchcock est fondée sur un système poétique


cohérent.

- Une vision du monde (Weltanschauung) partagée entre la culture


catholique (les figures christiques, la chute, la culpabilité, le Mal) et la
dynamique psychanalitique

En tant qu’auteur, Hitchcock véhicule une vision du monde qui lui est propre, que Astruc
décrit ainsi : “C’est un univers à la fois esthétique et moral où le blanc et le noir, l’ombre
et la lumière et jusqu’à cet art commun au roman et au cinéma : je veux dire la mise en
scène, expriment davantage encore que le récit lui-même, le déchirant secret que les
personnages portent au fond de leur coeur”.

Cette vision du monde d’Hitchcock est en effet très marquée par le cinéma allemand (il a
passé deux ans dans les studios de la UFA). La vision du monde d’Hitchcock est très
conflictuelle. On retrouve des forces antagonistes qui opposent l’homme seul aux forces
du mal, et aussi contre son destin, ou encore l’homme en conflit avec lui-même,
notamment avec le personnage du faux coupable. Cette vision du monde qui fait de lui
un auteur à part entière fait aussi de lui un cinéaste romantique, au sens historique du
terme. Le romantisme est un vaste mouvement littéraire qui va toujours mettre en
conflit un individu seul avec des forces supérieures qui le dépassent.

Enfin, cette vision du monde est partagée entre deux systèmes d’idées ou deux cultures
qui viennent de sa formation et de ses arrières : La culture catholique d’une part, la
psychanalyse d’autre part.

Premièrement, en ce qui concerne sa culture catholique, Hitchock a fait ses études chez
les jésuites. Il est donc imprégné de cette intruction jésuite qu’il a reçu et elle apparait
dans de multiples films sous toutes sortes de motifs.
Par exemple, dans The Logder (1926), le film qui l’a fait connaitre et dans lequel on
retrouve le personnage du faux coupable comme figure christique : on voit le
personnage principal qui s’approche de la fenêtre, et l’ombre de la fenêtre dessine sur

115
son visage une croix. Ensuite, à la fin du film, il est poursuivi par des gens qui le pensent
coupable, mais il est menotté. A un moment, il veut franchir une barrière et finalement il
se retrouve attaché à la barrière par ses menottes. Quand on le détache, la scène
ressemble à la scène de crucifixion du Christ. Dans son oeuvre, il y a autre chose que des
motifs christiques : il y a des thématiques. Le grand thème de son oeuvre, c’est la
culpabilité, illustrée précisément avec ce personnage du faux coupable : quelqu’un est
accusé d’un crime qu’il n’a pas commis. Tout le film va tenter d’innocenter le faux
coupable, alors que les péripéties et le personnage lui-même vont s’enfoncer car le faux
coupable se comporte comme un coupable alors qu’il ne l’est pas.

Le sentiment de culpabilité est fortement ancré dans la culture catholique. C’est un


sentiment très ancien qui vient du fait que les chrétiens se sentent coupables d’avoir
contribué au meurtre de Dieu.
Par ailleurs, toute la religion catholique elle-même repose sur l’idée de Rédemption. Il y
a eu un péché originel, et puis le Christ est venu pour racheter les péchés que tous les
hommes ont commis. L’homme est coupable, et toute la vie du chrétien consiste
précisément à effacer la faute qu’il a commise. L’homme chrétien se perçoit donc comme
un homme coupable. Le thème de la fausse culpabilité est travaillé par cette idée-là.

En 1957, Hitchcock réalisera un film intitulé Le faux coupable, qui est l’adaptation d’une
histoire vraie : un homme est accusé de vol et est envoyé en prison. Finalement, on va
identifier le véritable coupable et l’homme sera donc innocenté, mais pendant le temps
qu’il passera en prison, lui et sa femme souffriront beaucoup, si bien que cette dernière
devra au final être internée.

La culpabilité n’est pas le seul thème chrétien qu’on retrouve chez Hitchcock, il y en a
d’autres :

- La chute :
Avec le péché originel, dans la culture juïve, chrétienne et musulmane, il y a l’idée de la
chute. L’homme était au paradis, il pouvait bénéficier de tous les avantages du paradis,
mais il a commis une faute, il a chuté, et à cause de cela il est condamné à vivre sur terre.
Du coup, le sentiment chez l’homme de la perte, du manque, et l’espoir d’être sauvé dans
l’au-delà, peut être retrouvé chez Hitchcock dans les innombrables scènes de chutes.
Il y a un écart symbolique, mais c’est frappant de voir que la plupart des personnages
mauvais finissent souvent par chuter. Il y a une récurrence du thème de chute tout à fait
étonnante. La chute est vraiment un motif du film.

- Le Mal et les personnages diaboliques :


Le thème du Mal peut prendre toutes sortes de forme. La Mal est souvent associé au
diable, mais dans des histoires qui sont réalistes, il y a vériablement des personnages
qu’on peut qualifier de diaboliques, qui personnifient le mal et qui vont agir sur d’autres
personnages.

- L’apocalypse

Bref, un certain nombre d’indices de la culture chrétienne alimentent l’oeuvre


d’Hitchcock.

116
A côté de cela, on a une vision du monde psychanalytique. Notons que la plupart des
cinéastes de cette époque sont marqués par la psychanalytique, qui a été une pensée
dominante dans la première moitié du 20e siècle.

La psychanalyse intéresse Hitchcock car il trouve dans la psychanalyse des motivations


aux actions de ses personnages. Ces motivations peuvent être lointaines : trouble,
traumatisme pendant enfance, ...
La psychanalyse se traduit surtout par l’opposition entre le Désir et la Loi.

Le registre du Désir (érotisme, voyeurisme, fétichisme, grivoiserie) et le registre


de la Loi (soupçon, culpabilité ou fausse culpabilité, angoisse, répression)

Le registre du Désir
On retrouve de multiples scènes de voyeurisme chez Hitchcock. Le spectateur voit ce
que le personnage aimerait voir mais qu’il ne voit pas.

Exemples de scènes de voyeurisme :


- Dans The Lodger, la scène de la salle de bain.
- Dans Blackmail (1929), il y a une fille qui change robe et demande à l’homme qui
est avec elle de se mettre de l’autre coté du parevant. L’homme tourne le dos et se
morfond derrière son piano, mais la caméra adopte un angle de vue tel que nous,
les spectateurs, voyons ce que l’homme ne peut pas voir.
- Dans Fenêtre sur cour (1954), un homme à la jambe dans le plâtre. Il observe ses
voisins avec une longue vue qu’il faut voir ici comme une sorte de protèse
sexuelle (=allusion sexuelle).
- Dans Vertigo
- Dans Psychose (1960), la fameuse séquence dans la douche, où Norman Bates est
en train d’observer une femme qui se déshabille dans une salle de bain.

Le complexe d’Oedipe
A la frontière du registre du Désir et de la Loi, il y a le complexe d’Oedipe.
Le complexe d’Oedipe : l’enfant va éprouver du désir pour son parent du sexe opposé,
mais c’est un désir qui va être interdit par la société.
A partir de là, Freud va développer la loi du père : le père va opérer sur son enfant ce
que Freud appelle la castration symbolique, un des concepts fondamentaux de la
psychanalyse, qui explique comment avec le complexe d’Oedipe, l’enfant s’identifie à son
père.
Tout cela est joué dans Psychose mais sur un mode maladif puisque le personnage de
Norman Bates est un personnage psychotique. A cause du complexe d’Oedipe, il va
éprouver l’amour de sa mère et l’interdiction de son père. Ca va le conduire à tuer sa
mère et en même temps à la remplacer.

Hitchcock baigne dans la psychanalyse, mais il est grivois, c’est-à-dire qu’il fait tout le
temps des allusions sexuelles. A la fois dans ses films et dans son comportement
quotidien, il va jouer sur l’humour en faisant beaucoup de clins d’oeil lubriques.
Par exemple, à la fin de La mort aux trousses : l’homme et la femme viennent tout juste
de se marier. On les voit s’embrasser sur la couchette d’un train. Puisqu’on ne peut pas

117
les montrer en train de faire l’amour, Hitchcock nous montre donc avec un gros clin
d’oeil un train qui rentre dans un tunnel.

Le fétichisme des cheveux :


L’érotisme d’Hitchcock passe aussi notamment par les vêtements féminin (il travaille
avec une costumière exceptionnelle et fait lui aussi fait très attention aux vêtements),
mais aussi aux cheveux, en particulier à ceux des actrices blondes desquelles il montre
les belles coiffures ou encore leur changement de coiffure.

Le registre de la Loi (du père) :


Le registre de la Loi, c’est ce qui interdit le désir afin que règne l’ordre social.

La Loi va s’exprimer dans les films d’Hitchcock par tous les moyens habituels : le policier
menaçant, les tribunaux,… qui vont faire respecter la loi.
Par exemple, dans The Paradine Case (1947) une femme est accusée d’avoir tué son mari
et son avocat tombe amoureux d’elle. Tout le film nous montre cette relation très
ambigüe où, alors qu’elle est emprisonnée, lui doit la défendre. Dans quantité de plans
dans ce film, Hitchcock place sa caméra drrière les bareaux, car effet, la Loi s’exprime
aussi par des formes visuelles.

La castration symbolique :
La soi-disante misogynie d’Hitchcock est quelque chose qui est faux car Hitchock
respectait vériablement les femmes, mais il était conscient que les hommes sont de
grands malades et que leur maladie vient notamment de cette castration symbolique.
Exemples de castration symbolique :
- Fenêtre sur cour
- Les 39 marches : Ici, l’expression de la castration symbolique est physique. Un
homme a un doigt en moins. Le personnage principal le reçoit dans son bureau.
L’homme avec le doigt en moins fait un geste de la main, qui exprime la menace
de mort : en effet, le personnage principal va essayer de l’exécuter. La phalange
manquante est une menace de mort, et en même temps une castration (du doigt).

Le désir et la loi s’imbriquent l’un dans l’autre dans toute une série de motifs et de
scènes parfaitement maitrisées par Hitchocck. Exemples de l’imbrication du désir et de
la loi :
- Les 39 marches : Les menottes sont le signe d’un faux mariage. Un homme et une
femme qui se détestent sont unis par les liens non pas du mariage mais des
menottes, les menottes étant associées par Hitchcock à l’alliance.
- The Paradine Case : La dame est dans le box des accusés, elle ne regarde pas son
amant qui arrive en arrière plan mais la caméra le suit, alors qu’elle est toujours
au centre de l’image. Elle ne le regarde pas mais le spectateur sent ce qu’elle
éprouve grâce au principe de la transparence. Le spectateur ressent le sentiment
puissant de la femme pour l’homme et ce qui vient l’interdire puisque c’est une
relation d’adultère.

L’humour noir :
L’humour noir est une grande caractéristique du cinéma d’Hitchcock. L’humour noir,
c’est ce décalage entre ce dont on parle (tout ce qui est sinistre, la mort, le cadavre…) et
la façon dont on va en parler avec une certaine légèreté, en faisant de l’humour.

118
Hitchcock cultive cela notamment dans The Trouble with Harry : on découvre un
cadavre, on ne sait pas quoi en faire, on l’enterre et on le déterre, ce cadavre devient très
encombrant…

La maitrise : scénario, story-board, domination du sens et du détail signifiant


Le cinéma d’Hitchcock est un cinéma qui symbolise l’art de la maitrise. Cette maitrise
apparait à tous les stades de son travail. Ce qui est remarquable chez lui, c’est qu’il
produit à peu près un film par an, mais qu’il réalise son film sur 3 ou 4 ans. En gros,
pendant qu’il tourne un film, il travaille sur le montage du précédent et sur le scénario
du suivant. Pour lui, la maitrise est dans l’écriture du scénario et dans le story-board. Il
disait souvent que le tournage l’ennuyait car il avait déjà tout imaginé. Ce qui l’intéresse
le plus, c’est d’imaginer son film. Le reste, ce n’est plus que la mise en application de tout
ce qui a été pensé.
Il va dessiner bon nombre de story-board. Le tournage ne fait que de transformer le
story-board en film, chaque plan a été prévu. La proximité ente le dessin et le plan du
film est tout à fait stupéfiante. Hitchcock ne laisse aucune place à l’imprévu
(contrairement au cinéma moderne).

2) Parcours bio-filmographique
a) Période de formation
Hitchcock est anglais. Il a une première période de formation dans les années 20
pendant laquelle il acquiert tous les moyens de l’écriture cinématographique. Il
commence très modestement comme dessinateur d’intertitres de films muets dans les
studios hollywoodiens, puis il va collaborer avec les décorateurs, puis avec les scripts,
les monteurs… Il va pratiquer tous les métiers du cinéma, et très vite on va lui confier
l’écriture de scénarios (important travail de scénariste).
Il va ensuite passer derrière la caméra, puis faire des coproductions avec l’Allemagne
pour la UFA. Il séjourne à Berlin. Là-bas, il découvre le travail des techniciens allemands
: il se passionne pour l’éclairage, l’expression de lz subjectivité, il découvre Murnau et
Lang avec lesquels il a beaucoup d’affinités.
Il rencontre Alma Reville, scripte dans les studios anglais, qui va collaborer avec lui. C’est
elle qui transforme son scénario en plans de tournage. Elle va aussi collaborer aux
scénarios dans lesquels le rôle de la femme est central, comme celui de Psychose.

b) Période anglaise (1926-1939)


The Lodger (1926) est son premier film important, autour du faux coupable. Blackmail
(1929), son premier film parlant. Ensuite, il réalise Murder (1930), Les 39 marches
(1935), Sabotage (1936), Jeune et innocent (1937), Une femme disparait (1938), Jamaïca
Inn (1939).

c) Période américaine (1940-1976)


Il arrive à Hollywood en 1940, invité par le producteur D.O. Selznick qui lui fait signer un
contrat pour 5 films. Mais Selznick décide de tout, Hitchcock se sent oppressé. Il va
travailler pour tous les grands studios (surtout Paramount, Warner, Universal).
Le film inaugural de cette période américaine, c’est Rebecca (1940, d’après Daphné du
Maurier). Il va ensuite réaliser des films d’espionnage, toujours pour Selznick, puis il va
rompre son contrat avec Selznick. En 1949, il retourne en Angleterre où il réalise

119
notamment La Corde et dès 1946, il rencontre Ingrid Bergman avec qui il va tourner
beaucoup de films.
Exploitation de plusieurs genres, autour de thèmes distincts mais complémentaires,
regroupés sous la notion globale de thriller (=film à suspense qui provoque frissons et
émotion) :
- Mélodrame : Rebecca (1940, avec Joan Fontaine et Laurence Olivier).
- Comédie : Mr. and Mrs Smith (1941). Comédie très peu hitchcockienne, dans le
style de la comédie américaine.
- Films d’espionnage : Correspondant 17 (1940), Cinquième colonne (1942),
Notorious (1946, avec Ingrid Bergman et C. Grant), L'homme qui en savait trop
(1956, avec James Stewart et Doris Day), La Mort aux trousses (1959, avec C.
Grant et E. Marie Saint); Torn Curtain (1966).
- Histoires criminelles : La Corde (1948, avec James Stewart), L’Inconnu du Nord-
Express (1951, avec Farley Granger et Robert Walker), Le Crime était presque
parfait (1954, avec Grace Kelly), Frenzy (1972).
- Fantastique : Les Oiseaux (1963, avec Tippi Hedren et Rod Taylor).
- Suspens à ressort psychanalytique : Soupçons (1941, avec Cary Grant et Joan
Fontaine), L’Ombre d’un doute (1943, avec Joseph Cotten), Spellbound / La Maison
du Docteur Edwardes (1945, avec I. Bergman et Gregory Peck), Rear Window /
Fenêtre sur cour (1954, avec J. Stewart et Grace Kelly), Vertigo (1958, avec James
Stewart et Kim Novak); Psycho (1960, avec Anthony Perkins et Janet Leigh).

Dans les années 50 : production et présentation des séries TV «Suspicions» et «Alfred


Hitchcock presents» dont il réalise certains épisodes.

3) Projection
Alfred Hitchcock, Shadow of a Doubt (L’ombre d’un doute), 1943, 103’. Avec Joseph
Cotten et Theresa Wright.

4) Le cinéma selon Hitchcock : principes esthétiques


Chez Hitchcock, ce qui est le plus important c’est le récit (=la façon de raconter) bien
plus que l’histoire (=les différents événements racontés). L’important n’est pas le
contenu de l’histoire, c’est la façon de la raconter.

Les histoires sont souvent invraisemblables. On a souvent une histoire extraordinaire


dans un contexte ordinaire. Hitchcock utilise toutes sortes de techniques narratives
pour que le spectateur se rende compte que le récit prédomine, et que les personnages
ne sont que des personnages au service du récit, ce sont les pions qu’on déplace sur un
plateau de jeu. Ils sont relativement creux, n’ont pas un psychologique très appuyé.

Ici, dans The Shadow of a Doubt, on ne sait rien concernant les motivations
psychologiques de l’oncle Charlie à commettre des crimes. La justification des crimes est
une idée qu’il a du monde, mais pas une explication psychologique.

Le vide des personnages est aussi exprimé dans La mort aux trousses : Le personnage
principal est un publicitaire, célibataire et séducteur, qui se comporte fortement comme
un gamin au début du film. A un moment, il rencontre une belle femme mystérieuse qui
le drague et qui fait en sorte qu’ils puissent manger ensemble. Au restaurant, l’homme

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prend des allumettes surlequelles il est marqué, ROT, ses initales vu qu’il est
publicitaire. Elle lui demande ce que c’est le O et il lui répond que c’est un zéro. C’est une
façon pour Hitchcock de montrer que ce personnage n’est rien, il n’est qu’une façade
pour montrer le jeu à la fois social et cinématographique qu’il est en train de mettre en
place.

Selon des degrés de variable, il y a des personnages qui ne sont que des pions dans un
jeu. Dans Shadow of a Doubt, il y a des personnages d’intensités différentes. Les femmes
sont des femmes très complexes et très bien dessinées, mais à côté de cela le père est un
personnage vide et insipide dont la vie est quelconque. Les deux petits enfants sont
infantilisés par le film et deviennent franchement ridicules. Le film expose le vide total
de cette famille moyenne américaine.

Hitchcock ne fait aucune confiance à l’acteur, pour lui il est seulement celui qui doit
exécuter les rôles, il n’y a donc aucune liberté au jeu d’acteur. L’objectif d’Hitchcock n’est
pas de raconter une histoire mais de construire un récit qui va tenir le spectateur en
haleine et susciter en lui des réactions précises à des moments précis. Cela implique
pour Hitchcock dans l’organisation du récit de jouer avec ses personnages, mais aussi
avec l’information que le récit va donner aux spectateurs. Le spectateur réagira d’une
certaine façon en fontion des informations qu’on lui donne. C’est donc important pour
Hitchcock de très bien contrôler cette information.

Dans Shadow of a Doubt, nous nous doutons dès le début que l’oncle Charlie est un
criminel. Ensuite, une série d’indices viennent confirmer cela, jusqu’à ce qu’à un moment
donné nous savons qu’il est vraiment l’assassin, alors que d’autres personnages
notamment les policiers ne le savent pas encore. Il y a donc un contrôle précis des
informations qui sont délivrées petit à petit. L’un des moyens que Hitchcock va utiliser
pour contrôler cette information va en même temps servir à maintenir le spectateur en
haleine : ce moyen, c’est le fameux suspense.

Hitchcock établi une distinction entre surprise et suspense. Dans Shadow of a Doubt, à
deux reprises, l’oncle Charlie tente d’assassiner sa nièce.
La première fois, c’est dans l’escalier. Elle tombe et c’est seulement ensuite que nous
comprenons que la marche a été sabotée par l’oncle Charlie pour la faire tomber. C’est
un effet de surprise.
La deuxième fois, nous voyons Charlie qui va dans le garage, ouvre le moteur, puis dit à
sa nièce d’aller chercher la voiture. On la voit y aller, chercher la clé qu’elle ne trouve
pas, on voit la porte se refermer et nous comprenons que c’est Charlie qui l’a fermée. On
comprend bien qu’elle risque de mourir. La question qui nous stimule est comment va-t-
on la sauver? Qui? Combien de temps va-t-elle tenir? Hitchcock joue avec notre
impatience, nous fait entrer dans le salon, nous fait voir le père qui a oublié son
pardessus, l’oncle qui ferme la fenêtre et monte le son pour qu’on n’entende rien, etc. Ce
n’est pas un suspense qui dure très longtemps, mais déjà bien plus que la surprise.

La théorie du suspense ou bomb theory – Alfred Hitchcock :


Imaginons une scène dans un restaurant. Deux personnages sont assis à une table, et à
un moment donné il y a une explosion dans le restaurant, personne ne sait d’ou elle
vient -> effet de surprise.

121
Imaginons la même scène dans le même restaurant, mais cette fois la caméra nous
montre qu’il y a une bombe, puis la caméra revient sur les deux personnages. On
comprend que la bombe va exploser mais on ne sait pas quand. Et là, le spectateur
éprouve l’envie de prévenir les personnages, mais il ne peut pas : c’est ça, l’effet de
suspense.
La différence entre l’effet de surprise et l’effet de suspence est donc bien une question de
gestion de l’information. Dans l’effet de surprise, le spectateur et les personnages
disposent de la même information. Dans le cadre du suspense, nous savons à l’avance
qu’il y a un danger, alors que le personnage visé lui ne le sait pas, et les autres
personnages non plus.

Hitchcock est aussi un héritier de Von Stroheim dans le sens où on parle également de
son cinéma comme d’un cinéma de la cruauté.

Techniques du récit (=techniques narratives) essentielle pour Hitchcock :

MacGuffin :
Un autre moyen qu’Hitchcock utilise pour nous tenir en haleine et pour construire son
récit, c’est le MacGuffin (concept qu’il a lui-même inventé).
Le MacGuffin, c’est quelque chose qui est extrêmemnt important pour les personnages et
qu’ils vont toujours vouloir trouver ou rechercher, qui en réalité n’a aucune importance
pour le réalisateur et pour le spectateur, mais qui est essentiel pour le personnage. C’est
en quelque sorte la carotte qui fait avancer l’âne. C’est souvent un objet : dans Shadow of
a Doubt, c’est la bague qu’offre l’oncle Charlie à sa nièce. Hitchcock l’introduit très
rapidement dans le film, et puis cette bague va apparaitre et disparaitre, la scène dans le
café est centrale, la scène finale où elle la remet au doigt et descend l’escalier l’est aussi,
bref c’est un objet qui entraine le personnage, qui guide le récit, c’est un truc narratif.

La déviation :
Un personnage ordinaire est dévié de sa route.

La fausse piste :
Dans Psychose, pendant la première demi-heure du film, nous suivons le personnage de
Marion, employée dans une agence de voyage, qui s’enfuit avec la caisse pour refaire sa
vie avec un homme. Il y a l’argent, il y a elle, mais pas de chance son patron passe devant
sa voiture. Elle a peur, elle pense qu’elle a été repérée, … Bref, pendant la première
demi-heure, on a peur qu’elle se fasse arrêter. Elle s’arrête dans un motel et là, tout
change car elle se fait assassiner. C’est une grande actrice hollywoodienne, et elle se fait
assassiner après 20 minute de film. La grande star disparait, ce n’est pas son histoire que
va nous raconter le film, Hitchcock fait une fausse piste. Autrement dit, il y a deux débuts
dans Psychose : le premier avec Marion dans sa voiture, le second quand elle arrive au
motel.

Shadow of a Doubt a lui aussi deux débuts : Le premier plan nous montre un quartier
défavorisé, une ville de la côte est, moche et industrielle : c’est là où l’oncle Charlie
habite. Ensuite, ce dernier dit qu’il va a Santa Rosa et alors le deuxième plan nous
montre la jolie petite ville paisible de Santa Rosa. Il y a donc bien deux début parallèles.

122
Symétrie et inversion en miroir :
Attention, dans Shadow of a Doubt, le premier plan n’est pas vraiment une fausse piste,
mais il y a bien deux débuts. C’est la technique de l’inversion : on assiste à une scène qui
est le miroir inversé de la première. Il y a une dualité entre deux réalités. La symétrie et
l’inversion sont des techniques narratives et de mise en scène qu’on retrouve dans le
film

L‘écriture filmique :

Cadrage :
Hitchcock structure ses cadrage, il utilise beaucoup le gros plan et le montage fragmenté,
c’est le cas par exemple pour la scène de la douche dans Psychose. Il utilise également
assez souvent le montage alterné à rythme croissant, comme c’est le cas dans la scène
finale de L’Inconnu du Nord-Express.

Hitchcock, en tant que grand cinéaste hollywoodien, exploite toutes les possibilités
techniques, notamment des trucages et des effets spéciaux comme la transparence (c’est
le cas dans Shadow of a Doubt lors de la scène finale avec le train), ou bien les toiles
peintes (une technique très ancienne), ou encore l’effet Vertigo (zoom avant + travelling
arrière) pour suggérer le vertige du personnage.

Remarque : La transparence est utilisée pour filmer des acteurs dans un décor difficile à
contrôler ou qui les mettrait en danger.

Exemples de trucages :
- Le verre de lait lumineux dans Soupçons, 1941.
- Les raccords entre les plans séquences dans La Corde (1948) : La Corde est un
film tourné en 10 plans séquences de 10 minutes chacun. Le spectateur a le
sentiment d’une continuité, le temps qu’on a dans la vie réelle est exactement le
même que le temps du film. Entre les plans, on voit les personnages marcher
pour qu’il y ait raccord.

Enfin, ambiguïtés féminines et crise de la masculinité (notamment dans Rear Window)


sont fortement illustrée dans le cinéma d’Hitchcock.

5) La quintessence du classicisme : /

123
Séance n°14 : Orson Welles (1915-1985)

1) Un cinéaste à la charnière du classicisme et de la


modernité
Welles est un réalisateur à la charnière entre cinéma classique et cinéma moderne.
Orson Welles est, dès le début, considéré comme un tout grand auteur de cinéma. Le
rapport entre le cinéma et l’auteur est inversé par rapport à Hitchcock, qui lui fut
reconnu comme un auteur tardivement, lorsqu’il avait déjà une grande partie de sa
carrière derrière lui. Au contraire, Welles est arrivé au cinéma en étant déjà un auteur a
priori.

Orson Welles est né en 1915, l’année de Naissance d’une nation, soit le moment où le
cinéma entre dans son mode de représentation institutionnel. Welles réalise son
premier film – et son film le plus célèbre – en 1940 : Citizen Kane.
Quand il commence à travailler à Hollywood, en 1939, le cinéma a déjà toute une
histoire qui commence à être assez longue. En d’autres termes, le cinéma est un médium
déjà codifié dans tous ses aspects.

Orson Welles arrive à Hollywood, en n’ayant aucune expérience du cinéma. Il a un


contrat avec la RKO, qu’il signe en 1939. Cependant, notons qu’il a déjà une très longue
expérience du théâtre (depuis l’âge de 7 ans), ainsi qu’une expérience de la radio, ce qui
l’a fait connaitre aux USA.

A Hollywood, il s’enferme dans une salle de cinéma, et il regarde des films. C’est une
différence majeure avec les cinéastes d’Hollywood, et surtout avec Hitchcock, qui lui
était passé par tous les métiers du cinéma avant de réaliser son premier film. Welles ne
va passer par aucun métier, il fait son apprentissage du cinéma en regardant des films.
C’est une attitude radicalement nouvelle, que l’on va retrouver chez d’autres cinéastes
de la modernité (en particulier ceux de la nouvelle vague), qui fait que ces cinéastes ont
conscience que le cinéma a une histoire. Orson Welles a conscience de l’histoire du
cinéma.
Orson Welles entreprend de réaliser un film, avec la ferme intention d’exploiter toutes
les possibilités du studio, et en même temps de marquer le film. Il a donc une claire
conscience de l’histoire du cinéma, en même temps qu’une claire volonté de changer
cette histoire. Il y a là déjà des indices précis de modernité.

Avec lui, on pénètre non pas dans une autre période de l’histoire du cinéma, mais dans
une autre conception du cinéma. La modernité n’est pas une période, c’est une
esthétique, une conception du cinéma. La modernité arrive au moment précis ou le
cinéma classique atteint son apogée.

Liberté :
Orson Welles arrive donc à Hollywood avec déjà la reconnaissance d’être un auteur, et
aussi avec la volonté d’assumer totalement sa personnalité et sa subjectivité.
En tant qu’auteur, il bénéficie d’avantages exceptionnels. On a véritablement déroulé le
tapis rouge devant lui. Le studio accepte toutes ses conditions, notamment au niveau de
l’écriture du scénario et au moment du final cut (= le contrôle final sur le film). Il jouit de

124
conditions qui vont totalement à l’encontre du principe de la division du travail. Pour
son premier film, il sera producteur, scénariste, réalisateur, il aura le contrôle sur le
montage et pourra choisir son monteur, et enfin il sera aussi l’acteur principal de son
propre film.
Il a une liberté qu’aucun cinéaste avant lui n’avait reçue, qui lui confère d’emblée un
statut d’auteur, mais surtout un immense pouvoir qui va susciter des jalousies.
Cependant, cette liberté ne durera pas longtemps car, dès ses premiers films, il aura des
problèmes et Hollywood va lui faire payer les libertés qu’on lui aura offerte.
Cette liberté et ce statut d’auteur vont lui permettre de développer un style personnel.
“L’auteur, c’est le style”. Le style d’Orson Welles apparait dans à peu près tous les plans
de Citizen Kane, et dans tous les plans de tous ses films (même si cela peut prêter à
discussion).

Point de vue (Eye for I) :


Orson Welles énonce un principe stylistique fondamental, qu’il appelle Eye for I (“L’oeil
pour je”). Ce principe signifie que le point de vue visuel exprime le point de vue du sujet,
donc un point de vue qui est aussi moral, éthique, discursif. Cette notion est la base
même du film de Welles. Application du principe du Eye for I : le cadre, l’angle de vue, la
hauteur de la caméra, la profondeur de champ expriment le point de vue du cinéaste.

Avec le principe Eye for I, le cadre peut être marqué par un angle de vue surbaissé, ou
bien la caméra est pratiquement au niveau du sol, ou encore c’est un point de vue qui
met un personnage en gros plan à l’avant-plan et une immense profondeur de champ à
l’arrière-plan. Ces trois exemples montrent que ces cadres ont été soigneusement mis en
scène. Ce type de cadres, qu’on voit énormément aujourd’hui, n’étaient absolument pas
courant en 1940.

Jusqu’alors, à Hollywood, régnait un autre principe fondamental : l’histoire du film doit


donner au spectateur le sentiment que l’histoire se raconte elle-même, comme si
précisément il n’y avait pas d’auteur. Avec Welles, c’est l’inverse. Dans Citizen Kane,
chaque plan nous rappelle dans qu’il est l’auteur de son film. C’est assez général, au
point qu’une figure d’écriture très courante dans le cinéma classique, la caméra
subjective, est pratiquement absence dans le cinéma d’Orson Welles. En d’autres termes,
la caméra n’adopte presque jamais le point de vue du personnage. Chez Welles, la
caméra subjective est extrêmement rare car il ne s’agit pas de montrer que ce qui est vu
est d’abord vu par le personnage, mais bien par l’auteur du film.

125
Il y a deux exceptions au principe du Eye for I dans Citizen Kane : le point de vue du
paparazzi, et le point de vue du lecteur.

Retour sur soi (character) :


Une autre grande caractéristique de Welles quand il débarque à Hollywood, c’est qu’il se
prend lui même comme objet de ses films. Tous ses films sont des films qui, d’une
manière ou d’une autre, parlent aussi de lui. Il affirme donc également sa subjectivité de
cette manière là.

C’est important de dire que Welles a eu une enfance à la fois heureuse et malheureuse,
car l’enfance est une des grandes thématiques de son cinéma. Son enfance était heureuse
car il vient d’une famille d’artistes, qui ont un train de vie aisé. Son père est âgé mais il
voyage beaucoup, et emmène son fils dans nombreux de ses voyages, notamment en
Euope. Sa mère est pianiste. Malheureusement, Orson Welles va perdre sa mère à l’âge
de 8 ans et dans beaucoup de ses films, on trouve un personnage marqué par son
enfance, et par la nostalgie du passé. C’est le cas du personnage de Kane dans Citizen
Kane, mais pas seulement. Le sentiment de la perte, le retour du passé, la nostalie sont
des choses qu’il a vécu et qu’il injecte dans ses propres films.

Sentiment de supériorité :
D’autre part, Welles est un enfant prodige, doté d’une intelligence hors-norme. On dit
qu’il était capable de jouer à l’âge de 7 ans du Shakespeare. Que cela soit vrai ou non, il
est tombé dans Shakespeare lorsqu’il était petit, et celui-ci va fortement imprégner tout
son cinéma. Orson Welles va prendre conscience très tôt qu’il est doué, et cela va lui
donner une certaine prétention, qui apparait dans ses films. Tous les personnages qu’il
joue sont des génies, mais ils sont en même temps extrêmement fragiles.

Grâce à son enfance, Welles est pétri de culture classique européenne (théâtrale,
musicale picturale et philosophique), alimentée essentiellement par la lecture de
Shakepeare et de Montaigne. Cela en fait un des cinéastes les plus intellectuels, mais
aussi un des cinéastes américains les plus européens. Il va observer sa culture
américaine d’un point de vue alimenté par la culture européenne, et va parfois se
permettre de critiquer la culture américaine.

Au point de vue politique, Orson Welles est inclassable. Il va se ranger lui-même quelque
part entre l’anarchisme (intérêt intellectuel pour les idées anarchiques) et l’aristocratie
au sens ancien du terme. Il est anticapitaliste, antimatérialiste, il déteste la bourgeoisie
au sens social et économique du terme, il déteste la ploutocratie (=société dirigée par les

126
riches). Welles exprime des valeurs individualistes, aristocratiques, et surtout
chevaleresques. Il est fasciné par le personnage de Don Quichotte. Welles exprime ses
idées chevaleresques dans ses interview, mais aussi dans un de ses fillms, Mr Arkadin.
Dans ce film, le personnage d’Arkadin, qu’il interprète lui-même, raconte à un moment
donné la fable de la grenouille et du scorpion. L’histoire est celle d’une grenouille et d’un
scorpion sur la rive d’un fleuve. Ils veulent le traverser, alors le scorpion demande que la
grenouille le prenne sur son dos. La grenouille refuse, car elle dit qu’il va la piquer et
qu’ils vont ensuite se noyer, mais le scorpion répond que ce n’est pas logique, qu’il ne la
tuera pas sinon il se noiera aussi. La grenouille fini par accepter, mais la scorpion la
pique en lui disant que c’est dans son caractère.

« En anglais, character, ce n’est pas seulement la façon dont vous êtes fait, c’est aussi ce
que vous décidez d’être. C’est surtout la façon dont vous vous comportez face à la mort »
Orson Welles.

Dans Citizen Kane, Kane va être en danger, et il va choisir de se précipiter dans le danger
alors que n’importe qui d’autre l’aurait évité. Welles, par son esprit chevaleresque, va
choisir d’être dans le “bon” du cinéma autrement que les autres. Il va même adopter
dans la réalité des postures qui vont littéralement le mettre en danger : lorsqu’il va avoir
beaucoup de problèmes avec les majors, il va malgré tout se lancer dans des
productions, en n’ayant par l’argent pour le faire… Du coup, ces tournages vont durer
longtemps, ils vont donner des films contre l’avis des producteurs, et sans succès… Bref,
sa vie de cinéaste est parcourue d’embuches qu’il ne cesse de se mettre lui-même dans
les pieds. Tout cela car il est évident pour lui que c’est lui qui a raison et que les autres
ont tord. La meilleure façon de comprendre sa personnalité, c’est de regarder Citizen
Kane.

Welles souffre d’un complexe de supériorité. Il dira : « Je suis de ceux qui jouent les Rois.
Il le faut, à cause de ma personnalité. Donc, naturellement, je joue toujours les rôles de
chefs, de gens qui ont une ampleur extraordinaire. Je dois toujours être bigger than Life.
C’est un défaut de ma nature. » Comme il est complètement conscient de son complexe
de supériorité, les personnages qu’il interprète sont – à une exception près – des génies
négatifs, y compris notamment dans les rôles qu’il joue pour d’autres. Le troisième
homme, réalisé par Carol Reed, est un film dans lequel il joue un des rôles principaux,
très négatif, mais c’est un film wellsien, car Welles est intervenu dans tous les niveaux
du scénario.

La personnalité d’Orson Welles est donc complexe, il y a un besoin chez lui de s’affirmer,
d’affirmer et de mythifier sa personnalité, mais c’est une personnalité négative qu’il
affirme dans ses films. C’est un génie manipulateur, qui n’en a pas moins fait des chefs
d’oeuvre du cinéma.

127
2) Parcours et champs d’activité : théâtre, radio, cinéma
Pour comprendre Orson Welles et sa personnalité, il faut comprendre sa vie.

a) Activités théâtrales et radiophoniques


Dans les années 25-30, Orson Welles a des activités diverses dans le champ du théâtre
amateur.
En 1931, a 16 ans, Orson Welles met en scène Jules César de Shakespeare, et reçoit un
prix. Il va ensuite travailler, la même année, comme acteur au Gate Theatre de Dublin,
puis il revient aux USA, continue son travail d’acteur (notamment dans la troupe de
Catherine Cornell), joue dans d’autres pièces de Shakespeare. En 1934, il rencontre John
Houseman qui anime une compagnie de théâtre d’avant-garde. Ils montent une pièce
ensemble, qui sera diffusée l’année d’après à la radio.

En 1934, Welles est speaker et/ou réalisateur pour NBC, puis pour CBS en 1936. Il
collabore aussi avec un magazine d’actualités : March of Time. C’est une émission radio
d’actualités présentées sous forme dramatique. Welles et d’autres comédiens vont
interpréter des personnages d’actualité (On retrouve des séances d’actualité dans
Citizen Kane).

En 1936, il travaille au Federal Theatre, créé par Roosevelt. La carrière de Welles pour
le Federal Theatre ne durera pas longtemps, mais il y travaillera sur Faust de Marlowe,
et surtout sur Macbeth (encore de Shakespeare), une pièce qu’il transformera. Macbeth
devient un spectacle de critique sociale qui va offusquer certaines personnes. La police
fermera la salle, et alors Welles et sa troupe joueront dans la rue. Welles est toujours
près à aller plus loin.

En 1937, John Houseman et Orson Welles créent leur propre troupe de théâtre : le
Mercury Theatre. Le premier spectacle du Mercury Theatre est Jules César, à nouveau
transposé dans l’époque contemporaine, pour en faire une dénonciation du fascisme. On
voit donc les acteurs en chemises noires, et Welles joue un rôle négatif, le rôle de Brutus.
La pièce va avoir un énorme succès. On trouve déjà là une série d’acteurs qui vont
devenir célèbres et se retrouver dans la plupart des films de Welles : Joseph Cotten,
Agnes Morehead, Everett Sloan,… Welles a sa troupe, son producteur, ses comédiens.

En 1938, c’est une autre chaine de radio (la CBS) qui engage toute la troupe pour une
nouvelle émission hebdomadaire : The Mercury Theatre on the Air. Welles, avec sa
troupe, va adapter des pièces (notamment encore Jules César), des romans célèbres
(comme L’île au trésor) et enfin, il va adapter un célèbre roman de H.G. Wells : La Guerre
des Mondes. Cette émission, datant du 30 octobre 1938, est restée historique.

128
En effet, Welles va adapter le roman de H.G. Wells d’une façon très particulière, avec
toujours ce souci d’actualiser le roman par le biais d’actualités radiophoniques.
L’émission a un succès stupéfiant, mais c’est surtout la plus grande panique que les USA
n’aient jamais connu. L’histoire raconte une attaque martienne, et les millions
d’américains qui étaient à l’écoute ont réellement cru à cette attaque martienne.
L’histoire était tellement convaincante, parce que Welles a utilisé tous les codes de
l’information radiophonique. Ce phénomène de panique continue encore aujourd’hui à
être étudié par les sociologues. Welles était le responsable d’une émission d’adaptation
de littérature et de théâtre, il n’a pas usurpé son rôle. On a juste inventé une fiction à
laquelle on a donné le rôle d’actualité. Cette émission célèbre a ensuite été enregistrée,
diffusée en disque, avec la musique composée par Bernard Herrmann, un célèbre
compositeur qui a fait aussi des chansons notamment pour Hitchcock.

b) Activités cinématographiques :

1) Aux Etats-Unis :
En 1939, la RKO appelle Welles et lui propose un contrat, qu’il accepte et dans lequel il
va disposer d’une liberté totale. Welles imposera à la RKO que ses films soient une
production du Mercury, avec les acteurs du Mercury, et avec Houseman comme
producteur.

Le “grand dyptique” inaugural du réalisme social :


Après Citizen Kane (1941), Welles va réaliser La splendeur des Ambersons (1942), un film
dans lequel il ne joue pas (ce qui est assez rare), et qui raconte la déchéance progressive
d’une très grande famille bourgeoise de 19e siècle jusqu’à l’époque contemporaine. On
retrouve dans La splendeur des Ambersons les grandes thématiques de Welles : la
déchance, le déclin des puissants, les paradoxes, les contradictions et les stupidités qui
animent les puissants et qui font qu’ils finissent pas s’autodétruire. Ce film est
l’adaptation d’un roman, mais il reste, comme tous ses films, extrêmement
Shakespearien. Shakespeare anime l’esprit de Welles dans tous ses films.

Film-essai inachevé : It’s all true (1942).

Thrillers et films noirs :


En 1942, le film Voyage au pays de la peur est crédité au nom de Norman Foster, mais
c’est Welles qui a tout fait. C’est une “Mercury Production” avec Joseph Cotten, Agnès
Morehead et Orson Welles. En 1946, Welles réalise Le Criminel. C’est un film de plus
petite envergure, qui n’est pas le plus remarquable mais qui a eu le plus de succès.

Les difficultés commencent. En 1947, il réalise La Dame de Shangaï, avec sa femme Rita
Hayworth. C’est un film noir, mais qui est différent des films noirs habituels. En fait, il y a
beaucoup de choses qui sont propres au film noir et d’autres qui sont propres à l’univers
de Welles. Ensuite, en 1958, il réalise La Soif du Mal, où il joue le rôle d’un flic grossi.

Film shakespearien : Welles réalise Macbeth, en 1947. C’est du théâtre filmé, très
différent des autres films de Welles au niveau des moyens scénographiques

2) En Europe :

129
Suite à de nombreux problèmes avec Hollywood, Welles va partir tourner 10 ans en
Europe.

Poursuite du cycle shakespearien : Othello (1952) et Falstaff (1966), à nouveau très


théâtral.

Autres : Confidential Report (Mr Arkadin /Dossier Secret, 1955), The Trial (Le Procès,
d’après Kafka, 1962), The Immortal Story (Une Histoire immortelle, TV, 1967).

Films-essais : F for Fake (Vérités et mensonges, 1975); Filming Othello (1978).


3) Acteur : Orson Welles aura aussi une carrière d’acteur, principalement dans ces 4
films :
- Le Troisième Homme (Carol Reed, 1949)
- Paris brûle-t-il ? (René Clément, 1966)
- La Décade prodigieuse (Claude Chabrol, 1971)
- Malpertuis (Harry Kumel, 1972).

3) Projection
O. WELLES, Citizen Kane, 1941, 115’.

- Production RKO - Mercury Theatre Prod.


- Scénaristes : Herman J. Mankiewicz et O. Welles.
- Photo : Greg Toland.
- Musique : Bernard Herrmann.
- Montage : Robert Wise.
- Avec Orson Welles, Joseph Cotten, Dorothy Comingore, Agnes Morehead.

Citizen Kane est un chef d’oeuvre de l’histoire du cinéma. De plus, c’est un film qui a un
regard incroyable sur le monde de la presse. Ce film nous raconte la vie de Kane, un
magnat de la presse (ou patron de la presse), très fortement inspirée par la vie d’un vrai
magnat de la presse qui s’est reconnu dans le personnage de Kane et qui a voulu
interdire le film.

Sur le plan cinématographique, Welles ne raconte pas la vie de Kane en commencant par
le début et en finissant par la fin. Au contraire, le film commence avec la mort de Kane,
puis revient sur son enfance. Après, un journaliste part enquêter sur Kane et va
rencontrer 4 témoins, qui vont parler de certains aspects de la vie de Kane, à des
moments différents. On va donc circuler à travers la vie de Kane, et la chronologie de la
vie de Kane n’est pas respectée. C’est un film qui va nous montrer qu’il est extrêmement
difficile de connaitre la vie d’un homme, il y aura toujours des éléments qui vont
manquer.

4) Esthétique de Citizen Kane (1941)


Citizen Kane un film incontestablement inclassable, qu’on ne peut inscrire dans aucun
genre (ce n’est pas du réalisme social au sens strict). Ce film marque une distance
fondamentale avec toutes les normes des films hollywoodiens, sur le plan esthétique, de
l’image ou narratif.

130
C’est un film qui introduit le doute quand à ce qui nous est raconté, à sa représentation, à
l’histoire de cet homme et surtout à la vérité. A la fin du film, nous pouvons peut-être
entrevoir une petite portion de cette vérité, mais nous savons surtout que beaucoup de
choses nous ont échappé, on ne connait pas d’explication ultime. C’est son aspect le plus
moderne du film, et c’est ce que vont continuer de creuser les cinéastes de la modernité.

Dans Citizen Kane, le doute prend deux formes particulières quand à l’organisation du
récit : le puzzle et le leurre.

La forme principale du doute est celle du puzzle, qui signifie l’ennui de Susan mais qui
renvoie aussi explicitement à la structure même du film. Le film se compose de 6
narrateurs délégués qui vont nous parler de qui était Charles Kane : Le film, Tatcher,
Bernstein, Leland, Susan, et le majordome de Kane. Ces 6 histoires s’emboitent les une
dans les autres, il y a des images qui se répètent. Mais entre ces 6 récits, il y a quantité de
choses qui ne nous sont pas racontées, telles que son enfance, la façon dont il a vécu seul,
ses voyages en Europe, sa rencontre avec sa première femme, etc. Les histoires
s’emboitent avec des éléments manquant, dont le principal est le fameux bouton de rose.

Dans Citizen Kane, les points de vue sont totalement discordants : au début, dans le film
d’actualité, on proclame que Kane est un fasciste. Plus tard, Tatcher affirme qu’il est
communiste. Finalement, Kane dit lui-même qu’il est un américain.

Les ellipses font également partie intégrante du film. Par exemple, dans les mémoires de
Tatcher, il y a un plan en contre-plongée de Tatcher qui souhaite un joyeux Noël au petit
Kane. Le plan suivant est un autre plan de Tatcher, beaucoup plus vieux, qui réplique :
“et bonne année !”. Dans ce simple changement de plan, une quinzaine d’années se sont
passées, sur lesquelles on ne sait rien sur la vie de Kane. Il y a aussi de nombreuses
ellipses lors de la séquence en accolade, soit la suite des petits-déjeuners qui montrent
que Kane et sa première femme se parlent de moins en moins.

Il y a aussi, évidemment, l’affirmation des points de vue des narrateurs, et puis


l’affirmation du point de vue de Welles lui-même, le Eye for I.

Rosebud : la pièce manquante. La scène presque finale, lorsque Thompson (le


journaliste) s’apprête à reprendre le train, on lui demande si rosebud aurait pu tout
expliquer, s’il l’avait découvert. Le journaliste répond : “Non, monsieur Kane est un
homme qui a eu tout ce qu’il voulait, sauf peut-être rosebud, mais aucun mot ne peut
décrire la vie d’un homme, c’est juste un morceau du puzzle”. Si le film s’était arrêté là, il
aurait été encore plus moderne car il nous aurait laissé sur notre faim, avec une fin
ouverte. Mais le film ne s’arrête pas là. Les personnages ne sauront jamais ce qu’est
rosebud, mais nous, spectateurs, le comprenons à la toute fin du film, in extremis. Cette
pièce manquante n’est pas sans importance, car grâce à elle nous comprenons que ce qui
a manqué à Kane toute sa vie, c’est son enfance : on lui a pris son enfance. Le film oscille
entre nous donner une part de vérité mais ne pas la donner aux personnages, et en
même temps ne pas nous donner toute la vérité non plus.

L’autre forme qui contribue à la modernité du film et qui insuffle dans l’esprit du
spectateur le doute, c’est le leurre. Le leurre est illustré par ce célèbre plan où, juste
après le départ de Susan, Nane passe entre deux miroirs et cela prend un sens

131
particulier : il y a une mutitude de Kane, exprimant une multitude de personnalités
derrière le personnage de Kane (le communiste, l’anarchiste, l’ami des pauvres, etc).
Cette image illustre bien l’idée d’une personnalité complexe, contradictoire, que nous
n’arrivons pas à saisir. C’est un personnage qui est tout aussi éclaté que le récit qui nous
raconte son histoire.

L’éclatement du personnage renvoie à l’éclatement du récit, mais aussi à l’éclatement du


sens. Le film ne nous donne pas un sens clair et définitif, au contraire, il cultive
l’ambiguité à tous les niveaux, et nous, spectateurs, avons beaucoup de difficultés à
comprendre qui est Kane, si ce n’est un personnage ambigu. L’ambiguité est le seul sens
auquel nous pouvons nous raccrocher.
Ce film s’oppose à tout le cinéma hollywoodien, c’est-à-dire à tous ces films lumineux et
clairs (même ceux d’Hitchcock), qui expliquent tout ce qu’il y a à comprendre dans le
film. Ici, quelque chose nous échappe définitivement.
Citizen Kane implique de la part du spectateur un mode de perception extrêmement
différent de celui des films classiques hollywoodien. Dans les films classiques
hollywoodiens, on assiste à une histoire qui suit son cours, nous sommes pris par cette
histoire sans trop devoir nous investir dedans, vu que tout nous est présenté sur un
plateau.
Au contraire, Citizen Kane demande une attention très forte, constante, pendant toute la
projection, pour arriver à remettre les morceaux ensemble et comprendre l’histoire.
Avec ce film, le spectateur devient actif, on ne le promène pas par le bout du nez, il doit
lui même assembler les pièces du puzzle de manière à construire son propre opinion.
C’est le spectateur lui-même qui va construire une partie du sens du film, on ne lui dit
pas ce qu’il doit penser, et c’est lui de le décider, à lui de construire le sens du film.

Dans ce film, Welles fait preuve d’une incroyable conscience des codes de la
communication ou codes génériques). Ici, on retrouve toutes formes de codes : des
codes propres au film d’actualité, des codes propres à la comédie musicale, les codes de
la presse, les codes du théâtre et de l’opéra, etc. Bref, dans ce film, il y a quantité de
codes de la communication qui s’entremêlent, mais tout cela est maitrisé parfaitement
par Welles.

Sur le plan de l’écriture cinématographique, Welles fait, ici encore, oeuvre de grande
modernité. En effet, il n’hésite pas à utiliser des très gros plan et des plans de très grand
ensemble. Il y a aussi des plans pris à des hauteurs plus basses (on a dit de Welles qu’il
était le premier homme de l’histoire du cinéma à montrer les plafonds). Justement, la
plupart des plafonds sont en tulle pour cacher les projecteurs situés derrière.
Il y a aussi des plans au grand angulaire, qui déforment les perspectives, des contre-
plongées, ou encore, une nouveauté qui n’est pas propre à lui : la profondeur de champ,
qui a pratiquement disparu dans les années 30. Tout ça, ce sont des grandes nouveautés
dans l’écriture du film.

Le clair-obscur expressionniste : dans Citizen Kane, il y a de nombreuses scènes


magnifiques avec un clair-obscur presque expressioniste. Aussi, l’utilisation de la
lumière est remarquable et devient véritablemet un instrument de la mise en scène :
dans de nombreuses scènes, un personnages est dans l’ombre, fait deux pas et se
retrouve dans la lumière.

132
A côté de tout cela, il y a des traits d’écriture qui sont tout à fait classiques notamment
quantité de trucages et d’effets spéciaux, comme on le fait dans le cinéma classique :
- Le maquillage : Welles a 25 ans et joue tous les âges, grâce aux performances des
techniciens hollywoodiens dans le maquillage.
- La transparence.
- Les décors en toile peintes.
- Les inscustation d’images en laboratoire.
- La fausses perspective par division d’écran/ou par incrustation.
- La double-exposition (trucage au tournage) : on film d’abord le verre et le
médicament, puis après seulement l’autre partie de la scène.

En conclusion, Welles est bien un cinéaste à la charnière entre classicisme et


modernité.
Récapitulatif – esthétique de Citizen Kane

Esthétique baroque qui associe des traits classiques et des traits novateurs :


• La structure narrative : le puzzle, le leurre (délinéarisation, flash-backs, etc.), le


Mac Guffin
• L’activité spectatorielle (entre participation active et manipulation)
• La conscience des codes génériques et les interactions entre différents champs
médiatiques
• Les traits d’écriture modernes : les objectifs grand-angulaires (18,5mm), angles
de vue, mise en scène en profondeur de champ, plan-séquence, etc.
• Les traits d’écriture classiques : décor, éclairage, maquillage, effets spéciaux
(transparence, split- screen).

133
Séance n°15 : Le néo-réalisme italien
Cette séance sera la première consacrée au cinéma moderne. Le cinéma moderne n’est
pas une période de l’histoire du cinéma, mais c’est une toute autre conception du
cinéma, fondée sur de toutes autres manières de travailler, avec une relation nouvelle au
monde.

1. Le cinéma italien avant le néo-réalisme


A) Le premier âge d’or : Remarquons qu’il ne s’est pas passé grand chose dans les
origines du cinéma italien.

• 1908 – 1915 : Cinéma d’évasion et logique des genres


Dès ses origines, le cinéma italien est un cinéma de studio fondé sur la logique des
genres. Il existe des genres de prédilection : la comédie de moeurs, le drame mondain, et
surtout les films à costume et plus particulèrement les péplums. Les péplums sont des
films qui se déroulent dans l’Antiquité.
• Films historiques à costume et péplums :
Les péplums sont arrivés très tôt, il y a même une vue lumière qui est considérée comme
un péplum. Le péplum sera le genre qui fait l’originialité du cinéma italien durant cette
période, au point qu’on a pu parler d’un premier âge d’or du cinéma italien, avec des
films comme Les derniers jours de Pompeï (L. Maggi, 1908), Quo Vadis (E. Guazzoni,
1912) et surtout Cabiria (Giovanni Pastrone, 1914). Cabiria est l’adaptation du célèbre
poète italien D’Annunzio. Ce film se caractérise par des décors gigantesques, mais aussi
par des mises en scène de foule, et enfin par de longs mouvements d’appareils. On est
déjà dans une forme très évoluée du cinéma tel qu’il va être institutionnalisé, alors qu’on
est seulement en 1914. Ce film va notamment beaucoup inspirer Griffith, les décorateurs
d’Intolérance seront d’ailleurs italiens.
A la veille de la première guerre, le cinéma italien connait donc un moment d’apogée,
mais va connaitre ensuite un grand déclin.
• Fondation de l’Union cinématographique italienne en 1919, faillite en 1923
Les grandes firmes qui subsistent à la guerre vont se réunir en une Union
cinématographique, parce qu’on a moins de moyens. Mais même cette Union
cinématographique fera faillite en 1923.
Quand les fascistes prennent le pouvoir, ce nouveau pouvoir ne porte plus aucun intérêt
pour le cinéma. C’est une grave crise. En 1928, une année où sort quantité de grand
classiques du cinéma, 95 pourcents des films distribués en Italie sont américains…

B) Le cinéma des “téléphones blancs” :

• A partir de 1930 :
Avec l’arrivée du parlant, le cinéma italien va reprendre, dans les années 30. Le parlant
sera une chance pour les grands comédiens de la scène, et en particulier pour les acteurs
comiques. C’est donc la comédie qui va permettre au cinéma italien d’avoir un nouveau
souffle.

• Développement de la comédie :

134
C’est surtout une comédie de moeurs avec une veine plutôt bourgeoise qui va se
développer dans les années 30 en Italie. On va l’appeler le cinéma des téléphones blancs,
et finalement, on va finir par désigner tout le cinéma des années 30 sous cette
appellation. Le téléphone blanc est un signe de richesse, et on retrouve cet objet dans de
nombreux films du cinéma des téléphones blancs. Ce sont des films très fleur bleue, très
“belle au bois dormant”, qui se déroulent dans des intérieurs luxueux, des chambres
somptueuses. On est confronté à des vies de riches et dans lesquelles il n’y a rien d’autre
que des soucis d’histoires amoureuses. On a le sentiment que l’Italie est devenue le
château de la belle au bois dormant, un pays abstrait, hors du temps et endormi.
Par exemple, La secrétaire privée de Geoffredo Alexxandrini (1931) est un film du
cinéma dit des téléphones blancs, dans lequel une jeune secrétaire tombe amoureuse
d’un beau jeune homme, jusqu’à ce qu’elle se rende compte que cet homme est son
patron, qu’elle n’avait encore jamais vu.

• Construction de Cinecitta :
A la fin des années 30, le pouvoir de Mussolini va enfin s’intéresser au cinéma. En 1937,
on va créer une véritable ville du cinéma aux portes de Rome : Cinecitta. Cinecitta est
inaugurée par Mussolini en 1937. A cette occasion, un énorme slogan sur lequel est écrit
“Le cinéma est l’arme la plus forte”.

• Cinéma de divertissement :
Cinecitta ne va pas produire des films de propagande mais bien des films de
divertissement, plus particulièrement des péplums. Le cinéma est une arme au service
du pouvoir dans le but précis d’endormir le peuple.

• Une exception notoire : les films de Mario Camerini


Mario Camerini est un cinéaste qui va commencer à travailler de façon différence.
Les histoires qu’il raconte ne sont plus tout à fait des histoire à l’eau de rose. Ce sont des
histoires populaires, des comédies sentimentales, mais dans lesquelles il y a des
relations entre bourgeois et prolétaires. Il est attentif aux travailleurs qui sont exploités
par leurs patrons et il est aussi attentif à la situation de la femme dans la société
italienne. Dans ses films, il parle des situations sociales

- Il Signor Max (1937) : Un homme est amoureux d’une aristocrate qui le rejette,
puis il se rend compte qu’il peut aussi tomber amoureux de sa femme de
chambre, avec laquelle il deviendra plus heureux qu’avec l’aristocrate.
- Les hommes, quels mufles (1932, avec Vittorio De Sica) : Film qui est tourné dans
les rues de Milan. C’est d’ailleurs une grande caractéristique de Camerini, il film
des morceaux de ses films dans les rues, il sort des studios, au point que la
critique s’étonne de voir que Milan est une aussi belle ville.
- Grandi magazzini (Les grands magasins) de Mario Camerini (1939), avec Vittorio
de Sica et Assia Noris

Bref, Camerini fait des choses différentes, tout en restant dans le registre du cinéma
italien de l’époque. Il va aussi faire toute une série de films avec un tout jeune acteur qui
démarre : Vittorio DE SICA, qui sera d’abord un excellent acteur avant d’être un
prestigieux réalisateur.
En 1933, durant cette période des téléphones blancs, Léo Longanesi, dans L’Italianno,
écrit ceci : « Nous devons réaliser des films aussi simples et dépouillés que possible dans la

135
mise en scène, des films sans artifice, tournés sans scénario, autant que possible sur le vif.
C'est la vérité qui fait défaut à nos films. Il faut se lancer sur les routes, porter la
caméra dans les rues, dans les cours, dans les casernes, dans les gares. Il suffirait de sortir
dans la rue, de s'arrêter en un point quelconque et d'observer ce qui se passe durant une
demi-heure, avec des yeux attentifs et sans style préconçu, pour faire un film qui soit un
film italien et "vrai". » C’est un texte magnifique et qui anticipe tout à fait ce que va
devenir le néo-réalisme italien. Il y a là la base même de ce que sera, 10 ans plus tard, le
néo-réalisme.

En 1934, l’année suivante, Jean Renoir tourne dans la région de Nice, près de la frontière
italienne, un film intitulé Toni, qui parle notamment des travailleurs italiens qui passent
la frontière tous les jours pour venir travailler en France. En voyant ceci, un critique dira
que le cinéma italien doit effectuer un retour au réalisme, il doit être renouvelé et ce
critique emploie pour la première fois le mot “néo-réalisme”. Cette prise de conscience
est alimentée par des revues de critiques qui vont jouer un rôle fondamental, ainsi que
par une institution qui va aussi jouer un rôle prépondérant dans la révolution du cinéma
italien, Le Centro Esperimentale, qui existe encore et que vont fréquenter nombre de
critiques et de futurs cinéastes. Ce Centro Esperimentale va devenir un lieu de réflexion
sur le cinéma mais aussi de constestation du cinéma.

2. Le néo-réalisme

L’avènement du néo-réalisme :
On considère que le néo-réalisme nait en 1943, date de la fin du régime fasciste. C’est un
tournant important dans l’histoire italienne.
1943, c’est aussi l’année où Luchino Visconti réalise Ossessione, l’adaptation d’un roman
noir américain. Le film est isolé et sans suite, mais il n’empêche qu’il a de grandes
qualités nouvelles, à commencer par le fait que tout se passe dans un milieu populaire
(une petite station service avec un bar, le long de la route). De nombreuses scènes sont
tournées en extérieur. On tourne les intérieurs en studio mais les extérieurs sont filmés
sur place. On ne montre pas de paysages. C’est une histoire d’amour. Le film sort
totalement des normes du cinéma des téléphones blancs. On n’est plus dans
l’aristocratie mais bien dans le milieu populaire, avec des préoccupations qui sont celles
des gens.

En 1945, la situation économique du pays est ruinée, la misère est épouvantable, et


évidemment l’industrie cinématographique est en crise. On ne peut plus faire des films à
grand spectacle. Néanmoins, un cinéaste, qui a déjà fait des films au temps des télépones
blancs, va prendre conscience qu’on ne peut plus faire du cinéma comme on le faisait
auparavant. Ce cinéaste, c’est Roberto Rossellini.

Principaux représentants :
- Le pape du néo-réalisme : Cesare Zavattini (écrivain, scénariste, cinéaste)
C’est un homme orchestre. Il est professeur, écrivain, journaliste, critique de cinéma et
surtout scénariste. Il va écrire plus de 100 scénarios, et réalisera aussi quelques films.

- Roberto Rossellini :

136
Rossellini est catholique, marxiste, et le cinéma devient pour lui une affaire morale. Il
prend conscience que le cinéma doit s’accorder à la réalité sociale de l’Italie.

En 1945, il réalise Rome ville ouverte. Rossellini va d’abord recueillir les témoignages des
grands chefs de la résistance. Puis, il va commencer son film, sans budget. Il va chercher
des gens dans la rue, auxquels il demande – à peu de choses près – de jouer leur propre
rôle. Il y a quand même quelques acteurs, mais peu et Rossellini se procure des
pellicules chez les photographes. Bref, Rome ville ouverte est réalisé dans des conditions
épouvantables. Mais Rossellini parvient à sortir son film, réalisé juste après la libération
de Rome, et donc directement en prise avec l’actualité de la guerre. Dans Rome ville
ouverte, il va raconter la libération de Rome telle qu’elle lui a été racontée par les
résistants. C’est le deuxième premier film du néo-réalisme.

En 1946, il réalise Païsa : C’est un film construit en 6 épisodes qui raconte la libération
de l’Italie.
En 1947, Rossellini part à Berlin et utilise le décor effrayant de la ville ravagée de Berlin
pour réaliser Allemagne année zéro.

- Vittorio de Sica :
Vittorio de Sica, après sa carrière d’acteur, se lance dans la réalisation (avec son
scénariste Cesare Zavattini).
En 1946, il réalise Sciusca : c’est l’histoire de deux enfants qui sont des cireurs de
chaussures.
En 1948, Le voleur de bicyclette. En 1952, Umberdo D.

- Lunchino Visconti :
Après Ossessione en 1943, il va filmer La terre tremble (1948) en Sicile, dans un village
de pêcheurs, avec des pêcheurs qui jouent leur propre rôle. Le film montrera des
tensions entre les marchants et les pêcheurs. En 1951, il réalise Bellissima.

- Guiseppe de Santis :
En 1949, il réalise Riz amer, avec Sylvana Mangano et Vittorio Gassman : le film se
déroule dans les risières du nord de l’Italie. C’est une histoire d’amour et une enquête
policière, c’est un film un peu différent des autres films du néo-réalisme.

3. Projection
Vittorio DE SICA, Le voleur de bicyclette (Ladri di biciclette), Italie, 1948, 89’.
Avec Lamberto Maggiorani, Enzo Staiola et Lianella Carell.
Scénario de Zavattini - film avec peu de moyens.

4. Esthétique du néo-réalisme
- Pourquoi “néo-réalisme” ?
L’expression “néo-réalisme” doit être bien comprise. Le cinéma classique, y compris le
cinéma “des téléphones blancs”, avait toujours prétendu être réaliste. Mais après la
guerre, ce qu’il fallait, c’est un renouvellement du réalisme, et un retour à ce qu’il était
avant : c’est-à-dire un réalisme qui ne soit plus fabriqué en studio, et dans lequel on ne

137
va plus reconstruire idéalement la réalité. Ici, le néo-réalisme est un réalisme qui refuse
d’inventer des histoires, et qui propose au contraire de capter la réalité, et de l’analyser.

• Les thèses sur le néo-réalisme de Cesare Zavattini (1954) et les grands


traits de l’esthétique néo-réaliste :
Les textes de Cesare Zavattini sont publiés dans les cahiers du cinéma, en 1954, à la fin
du néo-réalisme. Ce n’est plus du tout le moment dominant du néo-réalisme.
Zavattini dit de façon un peu caricaturale que le cinéma classique a suivi le cinéma de
Méliès plutôt que celui des lumières. Il dit aussi “La réalité est riche, il suffit de savoir la
regarder”.

Ses thèses sur le néo-réalisme :

1. Un mouvement né de la guerre
« C’était la révélation absolue, je dirais presque éternelle, que la guerre offense toujours les
besoins fondamentaux et les valeurs humaines qui nous sont tellement chères : et cette
révélation était à mon avis le point de départ d’un vaste mouvement humain »



Aujourd’hui, on a tendance à oublier ce contexte et à considérer que n’importe quel film


qui a un contenu social est un film néo-réaliste. Ca n’a rien à voir. Fondamentalement, le
néo-réalisme est un mouvement historiquement déterminé par le contexte de la guerre
et de l’après-guerre, et par la misère qu’a connu l’Italie pendant cette période.

La guerre, dans toute son horreur, conduit l’homme à prendre conscience des valeurs
humaines fondamentales, qui sont bafouées par la guerre. La guerre rappelle donc ce
que sont ces valeurs fondamentales, et provoque chez les cinéastes cette prise de
conscience et cette révélation. On ne peut plus faire du cinéma comme aurparavant
(illusions, paillettes, histoires à dormir debout).

En Italie, la prise de conscience a pris une réaction cinématographique pleine et


passionnée.
Ca commence en 1945 avec Rome ville ouverte, puis il y a eu Païsa en 1946. Païsa raconte
toute la libération de l’Italie, de ville en ville, et l’idée de révélation, comme dans tous les
films de Rossellini, est centrale.
Dans ce film, l’épisode napolitain raconte la rencontre entre un soldat afro-américain
membre de la police militaire et un petit garçon. Ils sympathisent, se promènent, le
militaire a trop bu et s’endort au milieu des ruines. Quand il se réveille, le gamin est parti
en emportant ses chaussures militaires. Le soldat est embarrasé car il risque d’être puni.
Il le cherche, le trouve et l’attrape. Le gamin l’emène chez ses parents, dans un drôle
d’endroit en dehors de la ville, dans un grand hangard mystérieux. Le soldat voit qu’il y a
là des centaines de gens qui vivent, dans une misère totale. Il demande au gamin où sont
ses parents, et l’enfant répond qu’ils sont morts. Ce n’est pas anodin, car le militaire lui-
même a connu la misère quand il était enfant en Amérique. C’est la révélation que la
misère est partout. Alors, comme dans Le voleur de bicylette, il abandonne.

Dans Le voleur de bicyclette, la religion n’aide pas, ce n’est pas un film catholique. L’idée
de révélation est présente dans le film : ce qui est révélé ici, c’est que les pauvres se
volent entre eux. Le voleur du vélo est quelqu’un qui vit lui aussi dans la misère. Quand
les pauvres constatent que les pauvres se volent entre eux et qu’ils ne peuvent pas faire

138
autrement, ils n’ont plus qu’à voler eux-mêmes. C’est pour cela que le personnage
principal tente lui aussi de voler un vélo. Mais d’un autre côté, il a aussi conscience
d’avoir dépassé une limite, il a honte devant son propre fils. C’est tout cela qui est la
cause de la situation dans laquelle il se trouve et contre laquelle il ne peut rien faire. Et
tout cela est de la faute de la guerre.

2. Un vrai projet cinématographique : l’étude de l’homme et l’analyse de la


réalité
« Les conséquences étaient que nous voyions s’ouvrir devant nous une étude sans fin de
l’homme, une étude non abstraite, mais concrète, comme étaient concrets les hommes qui
avaient provoqué et subi la guerre. C’était la nécessité de connaître, de voir comment ces
événements terribles avaient pu avoir lieu, et le cinéma était le moyen le plus direct et le
plus immédiat pour cette sorte d’enquête, meilleur que les autres moyens de culture. (...)
Alors que le cinéma avait toujours raconté la vie dans ses faits les plus extérieurs, le néo-
réalisme affirme aujourd’hui qu’il ne faut pas se contenter de l’allusion mais tendre vers
l’analyse. »


➔ Le projet cinématographique néo-réaliste devient une enquête sociologique qui
va amener son cinéaste à faire une étude concrète de l’homme et de ses
conditions d’existence, à analyser des faits quelconques et mettre en évidence le
rapport entre ces faits quelconques et les rapports sociaux à son origine.

« Le cinéma devrait raconter de petits faits, sans y introduire la moindre imagination, en


s’efforçant de les analyser en ce qu’ils ont d’humain, d’historique, de déterminant, de
définitif. »

➔ Le voleur de bicyclette raconte une histoire très simple, qu’on peut raconter en
deux lignes. Le reste, c’est de l’analyse. Le film analyse dans les détails tous les
petits faits et les rapporte à un phénomène social.

Au début du film, l’homme est demandeur d’emploi. On se rend compte qu’il n’est pas le
seul à vouloir du travail, que pour pouvoir avoir ce travail il doit avoir une bicyclette,
que pour pouvoir avoir sa bicyclette il a besoin d’argent… Lui et sa femme vont donc
laver leurs draps et essayer d’en avoir de l’argent. C’est seulement après tout cela qu’il
pourra avoir la bicyclette. D’ailleurs, au Mont-de-Piété, on constate qu’il y a plein de
draps : tout le monde est dans le même cas.

Ce n’est pas un récit qui fait évoluer une action conflictuelle, mais qui analyse tout ce
qu’il faut faire pour pouvoir, à un moment donné, travailler. L’analyse de ce film tourne
aussi autour de l’impossibilité de retrouver le vélo. Pour le retrouver, il faut aller
chercher des amis et puis faire face à toutes les difficultés qui se présentent. Tout le film
est une analyse minutieuse de toutes les difficultés que renconte cet homme à retrouver
son vélo pour pouvoir travailler. Cette analyse aboutit à la dernière scène qui est
terrible, où il n’a plus que le choix de devenir un voleur, puisque les pauvres se volent
entre eux.

Le cinéma devient donc un lieu où les spectateurs peuvent comprendre la réalité,


puisque le film va analyser cette réalité. C’est un lieu de rencontre entre le spectateur et
la réalité. R-C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il est indispensable de tourner en
extérieur, d’être au plus près de la ville et de l’animation dans la ville. La scène va donc

139
se composer sur place. Ici, le marché de vélo n’est pas une reconstitution, il existe
vraiment. C’est la raison aussi pour laquelle il importe de travailler avec des acteurs non
professionnels. Ici, le père est à la base un ouvrier d’usine, et la chambrette de l’acteur
est vraiment celle qu’on voit.
« Le néo-réalisme exige de nous que notre imagination s’exerce in loco, sur l’actuel, car les
faits ne révèlent leur force imaginative naturelle que lorsqu’ils sont étudiés et approfondis.
C’est alors qu’ils deviennent spectacle car ils sont révélation. »



« En substance, nous nous sommes aperçus que la réalité était extrêmement riche : il
fallait seulement savoir la regarder. » La réalité est riche, il suffit de la regarder, elle est
inépuisable. Simplement, la réalité en soi ne communique pas, il faut l’analyser pour
remonter le fil. A noter que cette idée que la réalité est riche est magnifiquement
illustrée ici par le fait que dans tout le film, à partir du moment où commencent la quête
du vélo, on voit un homme et son fils qui regardent. C’est un film sur le regard. Sauf à la
fin, où il est regardé par son fils, et que le fils comprend.

3. Saisir la réalité globalement


« Toute heure de la journée, tout lieu, toute personne, peuvent être racontés s’ils sont
racontés de telle façon que l’on révèle et l’on mette en relief les éléments collectifs qui les
façonnent continuellement. » Il ne faut pas dissocier les personnages de leurs univers, il
faut les saisir globalement. A nouveau, le film est truffé d’exemples. Dans Le voleur de
bicylette, lors de la scène pendant la messe, on voit que le vieux va à la soupe populaire
mais qu’il est contraint, en échange, d’aller à la messe. La caméra, de nouveau, analyse
tout cela, tout le fonctionnement de la soupe populaire : on permet aux gens de se raser,
se laver. Ensuite, on voit bien que les femmes très bourgeoises qui organisent tout,
demandent le silence. Il y a quantité de détails qui ne font en rien avancer l’histoire, mais
on ne dissocie pas le personnage de son histoire. Ici, le personnage du vieux montre
comment l’église procède pour venir en aide aux plus démunis. Toujours dans Le voleur
de bicyclette, lorsque le père et son fils sont au restaurant, la caméra va s’abandonner
sur les danseurs, sur les gens de la table à côté… pour restituer le personnage dans son
milieu.

Dans Rome ville ouverte, la caméra décrit longuement la famille, l’endroit où ils vivent…
et cela fait que le spectateur saisit la réalité globalement.

4. Abandon de l’histoire, de la dramatisation et du héros


« La caractéristique la plus importante du néo-réalisme, sa nouveauté essentielle, me
semble être la découverte que la nécessité de l’ « histoire » n’était qu’une manière
inconsciente de déguiser une défaite humaine, et que l’imagination, de la façon dont elle
s’exerçait, ne faisait que superposer des schèmes morts sur des faits sociaux vivants. » Ici,
Zavattini critique le classicisme. Selon lui, le cinéma classique raconte des histoires, il
déguise une défaite humaine, il superpose des schèmes morts, produit par l’imagination,
sur des faits sociaux vivants.

Avec le néo-réalisme, on abandonne l’histoire. Bien-sûr, tous les films néo-réalistes


racontent une histoire, sinon c’est du documentaire, or le néo-réalisme est bien un
cinéma de fiction. Mais cette histoire est secondaire, ce qui est important, c’est l’analyse.
« Quand nous imaginons une scène, nous ressentons le besoin de « rester » dans cette scène,
car nous savons qu’elle porte en elle toutes les possibilités de se répercuter très
longuement. Donnez-nous un fait quelconque et nous parviendrons à le transformer en

140
spectacle. La force centrifuge qui constituait (...) la caractéristique fondamentale du
cinéma s’est transformée en force centripète. » En d’autres termes, il n’y a pas besoin de
superposer un scénario produit par l’imagination (=schème mort) car la réalité est là et
il suffit de la regarder.

Quant aux personnages : « Je suis contre les personnages exceptionnels, les héros. J’ai
toujours éprouvé une haine instinctive à leur égard. Je me sentais offensé par leur présence,
exclu d’un monde en même temps que des millions d’autres êtres. Nous sommes tous des
personnages. Les héros créent des complexes d’infériorité chez le spectateur. Le moment est
venu de dire aux spectateurs que c’est eux les vrais protagonistes de la vie. Le résultat sera
un rappel constant de la responsabilité et de la dignité de chaque être humain. Telle est
l’ambition du néo-réalisme : fortifier tout le monde, donner à chacun la conscience qu’il est
un homme. » L’ambition du néo-réalisme est de donner à chacun la conscience qu’il est
un humain. Le père et le fils n’ont rien d’exceptionnel, et à la fin du film ils n’ont obtennu
aucun résultat, mais ça les a rendu extrêmement proche. Et nous avons, en nous-même,
ressenti le désespoir et la honte. Le héros produit tout le contraire : c’est celui qui nous
emmène dans un autre monde, qui a des capacités qui ne sont pas les autres. Ca nous fait
rêver, mais ça ne nous rappelle pas notre dignité d’être des humains. Jamais auparavant
on avait pensé le cinéma dans ces termes là, on ne s’était jamais imaginé que le cinéma
pouvait rendre à chacun son sens de la responsabilité, et sa dignité d’être humain.

Dans Rome ville ouverte, il y a une scène de torture, et le personnage qu’on aurait pu
considérer comme un héros dans ce film, est torturé et dit lui-même : “Nous ne sommes
pas des héros”, avant de mourir.

5. Nouvelles composantes du récit : l’aléa, l’accident, chronologie et anecdote


Le film va intégrer de nouvelles composantes du récit, c’est-à-dire des choses qui ne se
trouvaient pas dans le récit classique, parce que tout simplement ce choses ne sont pas
nées de l’imagination. Comme le film se compose surtout au moment du tournage, les
cinéastes les plus novateurs vont intégrer quantité de détails, qui ne sont pas retirés, qui
ne jouent aucun rôle particulier dans l’histoire, et qui peuvent être parfaitement
aléatoires.
Prenons par exemple la scène de pluie dans Le voleur de bicyclette. Quand on regarde
bien la scène, on comprend que c’est une vraie pluie. C’était un élément qui ne pouvait
pas être prévu, mais qui a tout simplement été intégré. On intègre des anecdotes, des
détails qui appartiennent à la réalité, ils n’ont pas été prévu et sont donc aléatoires.

Mais les événements qui sont représentés n’ont pas pour autant une valeur symbolique.
Il pleut, ça renforce peut être un peu la désolation du personnage, mais deux scènes
après il ne pleut plus. Ce n’est donc pas introduit pour signifier quelque chose, mais c’est
là parce que ça représente la réalité. On va intégrer des détails non motivés. Quand le
gamin a besoin de faire pipi, c’est un détail, on pouvait parfaitement s’en passer, mais ça
fait partie de la réalité.
Dans le sixième épisode de Païsa, Rossellini va faire l’impasse sur un moment fort. C’est
le dernier épisode de son film, il se déroule dans les marais du Pô, les italiens se battent
contre les allemands et sont soutenus par les américains, mais les troupes américaines
ne sont pas encore arrivées.
Pendant la journée, les soldats américains étaient allés se ravitailler chez des pêcheurs,
qui vivaient pauvrement mais qui leur donnent malgré tout ce dont ils ont besoin. La
nuit, les soldats prennent position, on ne voit presque rien, il fait sombre, puis à un

141
moment on entend un bruit de mitraillette et un chien qui aboie. Le lendemain, chez les
pêcheurs, les soldats voient le chien qui aboie et un enfant qui pleure : toute la famille a
été tuée. Donc Rossellini décide de ne pas montrer l’attaque des pêcheurs, ils ne montre
que ce que les partisans pouvaient percevoir. C’est un choix délibéré de mise en scène,
mais c’est aussi le choix d’introduire une élipse dans le récit.

En conclusion, les thèses de Cesare Zavattini sont des thèses qui vont toutes les unes
avec les autres. Ces thèses sont un peu radicales donc on ne les retrouve pas
nécessairement dans tous les films du néo-réalisme. Les cinéastes vont évoluer de façon
différente.

5. Evolution de Roberto Rossellini après le néo-réalisme


Rossellini est un cinéaste néo-réaliste jusqu’en 1947-48, et à partir de 1949 quelque
chose se passe dans sa vie qui va l’orienter vers autre chose, qu’on finira par appeler
tout simplement la modernité.

Rossellini fait la connaissance d’Ingrid Bergman, qui tourne pour Hitchcock en 1949 à
Londres. Le hasard fait que Rossellini, Hitchcock et Bergman se rencontrent à un
banquet. Bergman dit à Rossellini qu’elle est très admiratrice de son cinéma, et qu’elle a
toujours rêvé de jouer dans un de ses films. Rossellini est très ravi, ils entretiendront
une relation pendant une dizaine d’années, et cette rencontre produira un tout nouveau
cinéma.

A ce moment-là, Rossellini travaille sur un nouveau film néo-réaliste. Et justement, la


base du scénario de Stromboli (1949) est une situation dans laquelle une étrangère
arrive dans un cadre néo-réaliste. Stromboli, en Sicile, raconte l’histoire de pêcheurs qui
vivent de la chasse aux thons. Le pêcheur a été emprisonné en Allemagne pendant la
guerre, et rencontre une femme qu’il épouse pour la faire sortir de prison. Cette femme
arrive donc dans un milieu qu’elle ne connait pas, avec un homme dont elle n’est pas
vraiment amoureuse. Alors, elle regarde, elle observe. Il y a une scène centrale et très
longue qui décrit la pêche aux thons, très compliquée. La femme assiste à cette pêche
aux thons, c’est très violent, il y a beaucoup de sang et ça l’effraie. Dans tout le film,
Bergman ne fait rien, elle ne fait qu’être le témoin des pêcheurs de Stomboli. Et cette vie
est une espèce de surgissement d’une chose à laquelle elle ne s’attendait pas.
Rossellini fait l’expérience de placer une star hollywoodienne dans son film. Il ne part
donc pas d’un scénario mais d’un dispositif, celui de mettre une star hollywoodienne
dans un film néo-réaliste pour voir ce qu’il va se passer. Le reste, il l’improvise sur place.

C’est la même chose quand il réalise Europe 51, en 1952. C’est l’histoire d’une femme
bourgeoise qui perd son fils. A la suite de ce traumatisme, elle se lie avec un leader
communiste. Elle, qui n’est pas du tout communiste, va partir avec lui à la découverte
d’un monde qu’elle ne connait pas du tout, celui du prolétariat. Il a là encore cette idée
de prendre quelqu’un et de le placer dans un univers duquel il va être le témoin. On
prend le risque de l’altérité pour voir ce que ça va donner. A nouveau, on fait une
expérience.

De plus, le personnage de Bergman, dans ces deux films, découvre quelque chose. Dans
Europe 51 par exemple, elle a une révélation, elle prend conscience des classes sociales.

142
Dans Voyage en Italie, en 1953, deux anglais arrivent à Naples pour une sombre histoire
d’héritage. Le film montre que le couple ne fonctionne plus. Lui va partir à Capri et elle
va rester se promener à Naples. Elle va être témoin d’un pays dans lequel elle se sent
étrangère.
A un moment, il vont tous les deux à Pompéi, ils sont frappés car ils arrivent au moment
où on est entrain d’enlever un cadavre. Ils rentrent, et sur le chemin du retour, alors que
ça ne va plus du tout entre eux, quelqu’un crie : “un miracle!”. Les deux personnages sont
perdus dans la foule, à un moment ils sont séparés et veulent se retrouver. Quand ils se
retrouvent, ils se prennent. Ils ont une révélation : ils doivent rester ensemble. C’est une
révélation miraculeuse, il n’y a pas d’explication rationnelle à leur réconcilisation.

A la fin de Stromboli, Rossellini avait fait la même chose. Bergman, au sommet du volcan,
dans les vapeurs toxiques, alors qu’elle veut partir à tout prix, à la révélation qu’elle doit
rester où elle est. Ici aussi, il n’y a pas d’explication à la révélation. Il y a quelque chose
qui reste fondamentalement ambigü, qui n’est pas rationnel.

143
Séance n°16 : Les auteurs modernes.
Classicisme et modernité(s)

1. Classicisme et modernité(s) du cinéma


Dans cette séance-ci, nous allons envisager la rupture moderne. Pour comprendre cette
rupture moderne, il faut tout d’abord redéfinir ce qu’on entend par “classique”.

1. “Classique” et “classicisme”
On dit “classique” en général ce qui s’inspire des modèles anciens, plus particulièrement
des modèles antiques.
Les “classiques” sont aussi ceux qui respectent les règles établies.

En histoire de l’art, on a l’habitude d’appeler le classique ce qui correspond à un âge d’or.


C’est un historien de l’art français, Henri Focillon, qui a élaboré dans les années 30 une
sorte de théorie de l’évolution des mouvements artistiques, qui commence avec l’âge
archaïque, puis l’âge classique et enfin l’âge baroque. Pour Focillon, la sculpture grecque
des 4e et 5e siècles atteint la perfection, c’est l’âge classique. Avant cela, l’art art grec n’a
pas encore atteint la perfection, c’est l’âge archaïque. Après cela, il constate il y a une
période de décadence, c’est l’âge baroque (ou hellenistique).
Focillon constate le même phénomène à la Renaissance italienne, avec une peinture
qu’on va appeler celle des peintres dits primitifs italiens, suivie de l’âge classique de la
Renaissance du 15e siècle et enfin, au 16e siècle, la peinture des maniéristes.
Dans cette conception, l’âge classique est un moment de perfection entre une phase de
développement et une phase de déclin.

On peut aussi envisager le classicisme dans sa relation avec l’art baroque. L’art classique
sera considéré comme un art statique, un art de la pureté des formes, un art des corps
idéalisés, et enfin un art de la ligne droite. Dans ce sens, l’art classique grec ou l’art
classique de la Renaissance dans le sens de Focillon correspond tout à fait à cette
représentation de l’art classique.
Mais aux 16e et 17e siècles se développe l’art baroque, un art dynamique, un art de la
courbe, du mouvement, des expressions (parfois torturées), donc en tous points opposé
au classicisme. Cette opposition, on peut la retrouver aussi dans certains écrits sur le
cinéma. On dira que le cinéma hollywoodien est dans son ensemble un art classique,
mais que le cinéma d’un Fellini, par exemple, est un art baroque.

Enfin, la notion de classicisme va prendre une nouvelle signification quand on la


comparera avec la notion de modernité. Le classicisme devient ce qui s’enseigne dans les
classes (parce que c’est aussi une référence à des modèles anciens). Ce qui s’enseigne
dans les classes correspond donc à une certaine norme et respecte des règles plus ou
moins étabies. On parlera donc de littérature classique, musique classique, théâtre
classique, danse classique… Pour les distinguer de la littérature moderne, la musique
moderne, etc. Cela implique l’idée implicite que la modernité est une rupture par
rapport au classicisme.

En ce qui concerne le cinéma classique tel qu’on le trouve comme cinéma dominant à
Hollywood des années 20 aux années 50, mais aussi dans le cinéma anglais et français,

144
c’est un cinéma qui entend produire, donner du sens. C’est un cinéma de la raison. A la
fin du film, tout doit être parfaitement clair. Les bons sont récompensés, les méchants
sont punis, la vérité est faite et l’énigme est résolue. Rien ne vient troubler une
conception rationnelle des choses. Le cinéma classique comprend tous les genres, sauf le
film noir. Il entend organiser le monde, le rendre compréhensible et intelligible.

Dans le cinéma classique, il y a une notion centrale : le destin des personnages. Tout au
long du film, les personnages vont accomplir leur destin, qui peut être tragique. C’est un
destin qui n’est pas bien compris par le spectateur mais qui est, au fil du film, de plus en
plus clair, il a été prédéterminé par le scénariste. Dans le scénario classique, les
personnages sont toujours prédestinés. Le maitre de leur destin, c’est le grand imagier
(producteur, réalisateur, scénariste…). Le grand imagier est en quelque sorte le créateur
de tout l’univers des personnages. C’est lui qui choisi les personnages, qui leur donne la
vie ou la mort, qui les fait évoluer dans un univers hostile ou favorable… Le cinéaste qui
est allé le plus loin dans cette idée-là, c’est Hitchcock. Il dira : “Il y a une grande différence
entre la création d’un film (de fiction) et celle d’un documentaire. Dans un documentaire,
c’est Dieu le metteur en scène, lui qui a créé le matériel de base. Dans un film de fiction,
c’est le metteur en scène qui est un dieu, qui doit créer la vie”.

Le cinéma classique est donc un cinéma de la maitrise, rien n’est laissé au hasard, tout
est sous contrôle, tout est programmé, le destin des personnages est prédestiné. Le film
procède donc d’un savoir préalable au film. Le scénario est le lieu où va se concentrer
tout le savoir préalable nécessaire à la création du film. Ce savoir préalable est ce qui va
donner le sens ultime aux choses. En cela, on peut dire que le cinéma classique est un
cinéma transcendental, c’est-à-dire qu’il relève d’un à priori, d’un principe supérieur à
partir du quel tout prend sens. C’est l’idée que tout est déjà écrit dans le scénario.

2. “Moderne”, “modernité” et “modernisme” :


A l’origine, le mot “moderne” désigne ce qui est actuel, présent. On l’emploie à partir de
la Renaissance pour distinguer la société présente de la société antique. En Italie, au 15e,
l’art de la Renaissance est un art moderne puisqu’il est présent par rapport à l’art
antique qui est ancien.

Au milieu du 19e siècle apparait la notion de “modernité”, mise en relation avec


l’évolution historique tout à fait exceptionnelle de l’ensemble des sociétés industrielles.
La révolution industrielle va transformer les sociétés occidentales en profondeur, tout
va être bouleversé, on passe d’un âge rural à un âge industriel, l’évolution de la science
et des techniques vont permettre le déplacement des personnes et des machines. On va
voir émerger une classe ouvrière, et avec cela des idées révolutionnaires, qui sont déjà
exprimées avec les Lumières au 18e siècle mais qui ne cesserons d’alimenter les
innombrables révolutions du 19e siècle. Cette modernité industrielle, technique, sociale,
économique… et aussi culturelle va écarter de très anciens archaïsmes. On va voir
reculer, par exemple, les croyances, notamment la croyance en Dieu. C’est au 19e siècle
que commence le phénomène de déchristiannisation de l’Europe.
Avec la mise en place d’un ouvel ordre de l’état, on va voir apparaitre une société
sécularisée et une pensée scientifique rationnelle s’occuper de l’ordre social.
Ce vaste phénomène, selon Weber, c’est le désenchantement du monde. Le monde
enchanté des temps anciens, là où l’ordre du monde était encore lié aux croyances, aux

145
esprits, aux forces occultes… tend à reculer progressivement au profit de la logique
industrielle et de la pensée rationnelle.
Cette idée de modernité intervient comme une rupture avec un ordre du monde qui
vient de la haute Antiquité. Cette idée de la modernité vient comme une idée de
nouveauté et même comme le produit d’une révolution.

Le “modernisme” sera utilisé par certains artistes et écrivains (surtout les architectes)
pour désigner un goût recherché pour ce qui est moderne. Mais en réalité, ce mot ne
s’est jamais imposé en histoire du cinéma.

Modernité baudelairienne :
Cette modernité industrielle du 19e siècle va insufler de nouvelles conceptions de la
modernité, notamment la modernité baudelairienne :
- « La modernité, c’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art, dont
l’autre moitié est l’éternel et l’immuable » (Question d’exam)
- Conscience du présent comme présent, sans relation à l’ancien ou à la tradition.
- Rupture esthétique : non reconnaissance des règles et des codes académiques.
L’art pour l’art.
- Rupture sociale : principe de l’anomie : seul l’artiste est garant de son art

A côté de Baudelaire, les écrivains et les artistes modernes du 19e siècle vont provoquer
une rupture esthétique importante, en littérature comme en peinture. Ils vont rejeter les
règles classiques de l’art, et ils vont adopter une posture, celle de l’artiste isolé, c’est-à-
dire en rupture avec la société. Cette modernité n’est donc pas qu’esthétique, elle est
aussi sociale.

3. La modernité pardoxale du cinéma :


D’emblée, des problèmes se posent : le cinéma est un produit de l’industrie, de la
technique, de la science. Le cinéma est donc bel et bien un produit de la modernité. Tous
ceux qui contribuent à l’invention du cinéma ont cette conviction de faire des images
modernes. On touche à des paradoxes. Un célèbre théoricien du cinéma, Youssef
Ishagpour, a dit : “Le cinéma a eu la particularité de naitre comme un art primitif et
moderne à la fois, et de n’atteindre l’âge classique que beaucoup plus tard.”

Le cinéma est dit primitif dans une conception de l’histoire des arts, héritée de Focillon,
qui veut qu’il y aurait un âge primitif avant un âge classique. Les paradoxes de cette
phrase reposent sur des conceptions qui relèvent de systèmes de pensées différents :
Quand le cinéma apparait, il est une invention moderne. Mais par la suite, quand les
premiers historiens vont écrire les première histoire du cinéma, ils vont considérer que
durant ses 20 premières années, le cinéma était un cinéma des premiers temps, primitif,
qui n’était pas encore vraiment un cinéma avant les années 20. Il est clair que pour les
artistes d’avant-garde, le cinéma qu’ils faisaient était un cinéma moderne, en rupture
avec le cinéma des premiers temps.

Bref, il n’y a pas une modernité du cinéma, mais des modernités. Cette modernité
évolue… Le cinéma des premiers temps est un cinéma moderne dans un premier sens, le
cinéma classique (ou cinéma des avant-garde) dans les années 20 est moderne dans un
deuxième sens, et le cinéma des années 40-50 dont on va parler maintenant l’est dans
un troisième sens.

146
4. Le “cinéma moderne”
Le cinéma moderne des années 40-50 est le produit non pas d’une révolution mais d’une
prise de conscience, qui se produit au moment de la deuxième guerre mondiale, soit à un
moment où des cinéastes ayant des projets d’auteur vont considérer qu’on ne peut plus
faire du cinéma comme avant. Ils vont donc élaborer une toute nouvelle conception du
cinéma. Mais n’oublions pas que cette nouvelle conception du cinéma ne va pas
s’imposer d’elle-même à toutes les pratiques cinématographiques. Il faut avoir
conscience que le cinéma moderne ne désigne pas une période qui viendrait après le
cinéma classique, il désigne une autre manière de faire du cinéma en parallèle avec le
cinéma classique. Le cinéma classique ne s’est jamais interrompu, et il est plus vivant
que jamais aujourd’hui (90% de la production actuelle relève d’une conception classque
du cinéma), au point que quand on explore les filmographies de certains auteurs, on
pourra considérer que tel auteur fait dans tel film du cinéma classique, et dans tel autre
du cinéma moderne.

Le cinéma moderne émerge d’abord en Italie, pendant et juste après la guerre. Il va


émerger en France, à la fin des années 50, avec des cinéastes comme Bresson, Tati et les
cinéastes de la nouvelle vague. Il va disparaitre en Italie dans les années 50 pour revenir
dans le cinéma italien des années 60. Il apparait tardivement en Allemagne dans les
années 70-80. Il apparaitra également chez certains cinéastes japonais dans les années
60-70, et enfin, chez certains cinéastes américains. Il y a un cinéma moderne américain,
qui n’est pas hollywoodien, qui sera le fruit d’abord de cinéastes non indépendants, puis
de cinéastes qui sortent de l’école et qui vont ensuite investir dans Hollywood. Ce sera
tout une génération de cinastes, dont le plus connu (encore aujourd’hui) est Martin
Scorsese, mais qui fait une fois un film classique, une fois un film moderne.

Le cinéma moderne émerge donc suite à la deuxième guerre. Un célèbre critique


français, Serge Daney, a écrit un texte intéressant à ce sujet. Il considère que la rupture
moderne dans le cinéma américain est une réaction au traumatisme vécu dans les camps
de concentration. Il prend comme point de départ sa propre réaction à un film d’Alain
Resnais et Chris Marker, en 1955 : Nuit et Brouillard. C’est un documentaire, donc ce
n’est pas un film représentatif du cinéma moderne, qui montre les camps tels qu’ils sont
devenus 10 ans après. Le film exploite d’anciennes photos et d’anciens films, tournés par
des cinéastes américains et anglais qui étaient soldats à l’ouverture des camps,
notamment Georges Stevens et Samuel Fuller, des cinéastes qui vont bouleverser le
cinéma.
Stevens et Fuller vont filmer l’ouverture des camps, ils vont montrer des choses qui
étaient absolument inimaginables : des corps squelettiques gisant partout, d’autres qui
n’étaient pas encore morts et qui survivaient tant bien que mal, des laboratoires où l’on
faisait des expériences sur les prisonniers, commanditées par les grandes industries
allemandes, mais surtout, ils font découvrir au grand public le programme
d’extermination des juifs, auquel personne ne croit, au début.
La réaction de certains cinéastes face à ce traumatisme, à commencer par Rosselini, sera
de dire qu’on ne peut plus faire du cinéma comme avant, pour raconter des belles
histoires à l’eau de rose. Le cinéma doit s’accorder à l’évolution du monde. Les cinéastes
prennent surtout conscience que cette réalité de la guerre, des camps, de la bombe
atomique …

147
a dépassé tout ce qu’ils avaient pu imaginer. Ce n’est pas de la fiction qui devient une
réalité, c’est une réalité qui dépasse tout ce qu’on aurait pu imaginer. Comment peut-on
encore croire, face à cela, en un monde imaginaire ? Samuel Fuller sera marqué à vie par
son expérience de la libération des camps. Il modifie complètement la logique de
scénario de la guerre, dans ses films, toute victoire est une défaite.

Une nouvelle conscience cinématographique émerge avec une double impulsion : il faut
questionner la réalité (deux réponses antithétiques : réalisme documentaire et sur-
théâtralité) et il faut questionner le cinéma (réflexivité).

Cette nouvelle conscience cinématographique va, dans un premier temps, questionner la


réalité. Le cinéma doit questionner la réalité pour l’affronter et mieux en rendre compte.
Le cinéma classique a toujours prétendu être un cinéma réaliste. Mais ce que ces films-là
montraient n’était que le pur produit des studios, qui montraient un monde reconstruit
et idéalisé. Il faut donc requestionner le rapport du cinéma au réel. Ce questionnement
va produire deux types de réponses totalement opposées :

1. Le réalisme documentaire : la caméra doit filmer dans la rue, le cinéma doit


analyser la réalité (voir néo-réalisme italien). Le cinéma doit travailler avec des
acteurs non-professionnels, qui seront plus vrais que les faux acteurs, ceux qui
font semblant. Bref, le cinéma doit s’affronter au réel. Il s’agit de faire des films en
allant chercher dans la réalité ce dont on a besoin pour faire les films.

2. La sur-théâtralité : Certains cinéastes vont considérer que l’erreur du cinéma


classique, c’est l’erreur de la vraissemblance. Du coup, il faut faire un cinéma qui
soit vraiment faux et qui n’ait pas l’air d’être vrai, avec de l’artificialité, avec une
sur-théâtralité, où on va jouer avec des costumes aberrants, des dialogues
extraordinaires, ou même avec du burlesque ou de l’arbusrde. Par exemple, avec
Macbeth, Orson Welles, en 1948, fait clairement du théâtre filmé, avec des
rochers en carton peint, on est sur un plateau et ça se voit.

La nécessité de faire du cinéma autrement va ensuite provoquer une seconde impulsion


: il faut questionner le cinéma lui-même. C‘est un geste auto-réflexif : on s’inquiète de ce
qu’est le cinéma, et on en fait l’objet d’un film. On va introduire dans le film ce qui ne s’y
trouvait pas auparavant. Avant, le cinéma classique introduisait des certidues.
Désormais, on va introduire le doute, l’incertitude, on va exprimer l’angoisse de ne pas
savoir comment filmer tel phénomène ou tel problème de société.

Le cinéaste introduit dans son film des éléments de réflexions sur ce qu’est le cinéma. En
même temps, il tente de redéfinir le rapport du cinéma au monde, qui ne soit plus qu’un
simple rapport conventionnel et vraisemblable, mais qui soit plus respectueux du
monde.

Le cinéma moderne ne relève donc plus d’un principe transcendental comme le cinéma
classique. Ce cinéma-là n’est plus possible dès lors que le monde lui-même est devenu
irationnel et incompréhensible. On ne peut pas comprendre ni expliquer le désastre
humain de la seconde guerre mondiale. Le cinéma va donc transformer complètement
son rapport au monde, il devient non pas ce que le cinéma peut éclairer, mais au
contraire une entité relativement mystérieuse, ambigüe et insaisissable.

148
Le cinéma moderne a un rapport au monde qui peut se comprendre par un principe
phénoménal, et non par un principe transcendantal. Le cinéma moderne a, bien-sûr,
quelque chose à voir avec le savoir, mais le savoir n’est plus un produit de la raison qui
éclaire le monde. Le savoir vient de l’expérience. Il ne s’agit plus de donner du sens, de
fabriquer du sens, mais il s’agit d’essayer de percevoir des sensations, d’essayer de
capter quelque chose du monde, non pas pour le rendre intelligible, mais pour renouer
avec une relation au monde qui accepte ce que le monde nous offre dans toute son
étrangeté, son incertitude, son invraisemblance. C’est tout ce que dans le monde nous ne
pouvons pas nécessairement saisir et comprendre.

La phénoménologie, en opposition au savoir rationnel, accepte que notre rapport au


monde soit fait sous la forme d’un échange. Il y a ce que le sujet va viser dans le monde,
et il y a le monde qui va réagir à cette visée. Le savoir philoménologique ne peut en
aucun cas être un savoir systématique. On ne peut pas comprendre le tout du monde, on
ne peut en saisir que certains aspects. Ce rapport au monde convient parfaitement au
cinéma. N’oublions pas que la caméra ne peut pas tout filmer, elle vise. Et la lumière ne
va lui apporter que quelques fragments de la réalité.
Jean-Luc Godard a dit : “Voir avant de savoir”. Il faut regarder, et peut-être essayer de
capter quelque chose du monde, plutôt que de vouloir plaquer sur ce monde une idée
toute faite.
Bresson, quant à lui, dira : “Sentir avant de comprendre”. Il faut essayer de percevoir des
sensations de ce qui se passe dans le monde, même si on ne le comprend pas. De même,
il dit ceci : “S’en tenir uniquement à des impressions, des sensations. Pas d’intervention
de l’intelligence, étrangère à ces impressions, ces sensations”. Enfin, il affirme “Il y a
deux sortes de films : ceux qui emploient les moyens du théâtre (acteur, mise en scène,
etc) et se servent de la caméra afin de reproduire ; ceux qui emploient les moyens du
cinématographe et se servent de la caméra a fin de créer.
Rosselini, enfin, dit : “Les choses sont là, pourquoi les transformer?”. Cela signifie qu’il
faut réussir à capter les choses, mais pas à les tranformer avec les moyens du cinéma.

Le cinéma moderne est avant tout l’histoire de captation avant d’intellection ou de


compréhension. Il s’agit d’abord de voir la complexité des choses, l’hétérogénéité des
choses, sans les transformer pour qu’elles deviennent homogènes. Le cinéma moderne,
c’est percevoir les paradoxes sans chercher à les réduire. C’est donc rendre compte de
tout ce qui est ambigu dans la réalité, et de l’impossibilité d’en connaitre le sens profond.

C’est la raison pour laquelle le cinéma moderne va adopter un canevas d’histoire assez
réccurent, celui de la quête existentiel du personnage : un personnage ne comprend pas
se vie, le but de son existence, et il part avec l’objectif d’essayer de trouver du sens à sa
vie, qu’il ne trouvera pas nécessairement. Cette quête du sens devient le fil conducteur
du film.

Il faut comprendre aussi qu’autant le cinéma classique était un cinéma de la foule et de


la masse, autant le cinéma moderne devient le cinéma d’abord et avant tout d’un auteur
qui se considère comme étant solitaire, qui se ressent seul, et qui va tenter de partager
ses préoccupations de solitaire avec les spectateurs.

Récapitulatif :

149
2. Ingmar Bergman (1918-2007)
Ingmar Bergman est un géant de l’histoire du cinéma. Il est suédois, fils d’un pasteur
luthérien. Ses parents formaient un couple désuni mais qui faisait semblant de s’aimer et
il fut soumis à une éducation stricte et sévère, qui l’a traumatisé. Son père pratiquait le
châtiment corporel, y compris pour lui-même, mais aussi pour ses enfants. Le père allait
réprimer tous les élans affectifs de ses enfants, qu’il considérait comme des
comportements déviants. Durant son enfance, Bergman sera sujet à de multiples
cauchemars et fantasmes traumatisants.

En même temps, durant son enfance, il découvre tout un monde imaginaire, par les
ombres chinoises, la lanterne magique, le théâtre de marionette et enfin, le cinéma. Dès
le plus jeune âge, Bergman adore le cinéma. Enfant, il va recevoir un Pathé-Baby, et il
découvre que le cinéma exerce sur lui une véritable fascination. Cette fascination pour
les images en mouvement apparait dans nombreux de ses films, de même que sa
fascination pour le théâtre.

Plus tard, il sera un homme de théâtre et un cinéaste. Ici, le film que nous allons voir,
Persona, parle autant du cinéma que du théâtre, puisque le film parle d’une actrice qui
un jour, sur scène, n’est plus capable de parler.

Bergman a donc une enfance qui est en même temps traumatisante et merveilleuse. Cela
va contribuer à illustrer chez lui une certaine angoisse existentielle constante dans tous
ses films. C’est une angoisse existentiellle devant l’autre, devant la cruauté du monde,
qui va amener Bergman à fuir ce monde pour se réfugier dans l’imaginaire, dans le
théâtre et dans le cinéma, dans l’expression artistique en générale, mais aussi dans l’île.
Ici, le film est tourné sur l’île de Faro. L’île, la nature deviennent des refuges, où on va
aller pour fuir un monde angoissant. Dans Persona, c’est sur l’île qu’on va soigner
l’actrice qui a perdu sa voix.

Bergman s’échappe par l’imaginaire. La toute première forme d’imaginaire que nous
rencontrons dans notre vie, c’est le mensonge. Bergman va cultiver le mensonge, il
décide très rationnellement de devenir un hypocrite. Il y a d’ailleurs des pages sombres
dans sa vie. Il avouera que, durant sa jeunesse, quand il avait 20 ans, il a été fasciné par
Hitler. C’est aussi le sujet du film Persona : parler, avouer, dire la vérité ou au contraire
ne pas la dire car le film se construit sur deux personnages, un qui parle tout le temps et
l’autre qui ne parle jamais.

150
La filmographie de Bergman est très vaste et prend des dimensions variées, mais ce qui
est au coeur de son cinéma, c’est l’impossibilité pour deux êtres de se comprendre : l’un
reste toujours un mystère pour l’autre. Il y aura sans cesse des tentatives pour se
comprendre, mais qui resteront vaines (notamment au sein du couple).

Dans ses films, la ligne narrative est en générale très sommaire. Il base ses scénarios
seulement sur les dialogues entre les personnages, il n’y a à peu près aucune action. Mais
si la ligne est sommaire, elle n’en fait pas moins de nombreux détours, par des passages
dans le passé ou encore dans l’imaginaire, le rêve, le fantasme...

Il y a également une relation entre les personnages et le milieu dans lequel ils se
trouvent. On peut dire de son cinéma qu’il est déterministe : les individus sont
déterminés par le lieu dans lequel ils se trouvent. La vie dans la ville détermine la vie des
personnages autrement que la vie dans la nature.

Puisque Bergman est un grand angoissé, tous ses films relèvent de la quête existentielle,
qui prend chez lui une dimension métaphysique. Une des grandes questions de son
cinéma, c’est la question du silence de Dieu. Depuis son enfance, il a été obligé de croire
en Dieu. Pourtant, Dieu se tait, il ne répond jamais aux questions. Comment la cruauté, la
souffrance existe-elle dans le dessein de Dieu ? Comment est-ce possible?
Le cinéma de Bergman est un cinéma désenchanté. Ce qui enchantait le monde d’avant la
modernité, c’était le croyance en Dieu. Dieu expliquait tout. Chez Bergman, Dieu se tait,
on ne parle pas encore de la mort de Dieu mais de son silence, et si Dieu se tait, il est
impossible de comprendre les relations entre les êtres entre eux, entre les êtres et la
nature, entre les couples, et entre les êtres et la solitude.

Le théâtre sera souvent l’objet de ses films. D’une manière ou d’une autre, on retrouve le
théâtre dans ses films. Bergman, travaillant avec des comédiens qui sont toujours les
mêmes, va avoir une conception théologique de la mise en scène. Le metteur en scène
est un démiurge, il manipule ses acteurs de la même façon que la divinité manipule ceux
qui croient en elle.

3. Projection
Ingmar Bergman, Persona, Suède, 1966, 85’. Avec Liv Ullman et Bibi Anderson.

4. Esthétique de la modernité : points de repères


Cette esthétique de la modernité ne sera jamais présente de façon claire dans les films
de la modernité, elle apparaitra par des moyens différents.

• La réflexivité et la conscience des codes :


Le cinéma moderne est un méta-cinéma, qui réfléchit sur lui-même. Le cinéma moderne
va donc réfléchir à ce que sont les codes cinématographiques, dont il a une conscience
assez claire. Ici, dans le prologue du film nous voyons en très gros plan un projecteur,
des petites scènes du cinéma des premiers temps, des fragments d’images qu’on ne peut

151
situer… Mais qui viennent du cinéma. A la fin du film, on voit la caméra et le projecteur.
Au milieu du film, on voit le film qui casse et qui brûle. L’accident du milieu du film était
tout à fait possible à l’époque de la pellicule. Il est en accord avec le contenu du film : au
moment où Alma casse un verre et qu’Elisabeth se coupe, le film se casse. Tout cela est le
produit d’une construction du film, qui nous dit que nous sommes dans un film et que ce
que nous voyons n’est pas la vérité.

Dans Hirochima mon amour, une actrice française arrive à Hirochima pour tourner un
film sur la paix. Elle va rencontrer un japonais et avoir une histoire d’amour avec celui-
ci. A nouveau, on a affaire à une réflexivité du cinéma.

Dans Le mépris de Jean-Luc Godard (c’est un film qui reste assez classique, même s’il est
moderne), le générique début est parlé, sur des images où on voit un travelling
s’approchant d’une caméra. A la fin du film, la caméra se met dans l’axe qui filme la
séquence. Dans le même film, on voit aussi Fritz Lang qui tourne un film et joue son
propre rôle.

Dans La nuit américaine de François Truffaut, tout au long du générique, on voit sur le
côté gauche de l’écran la bande-son du film, c’est la bande optique sur laquelle on a
enregistré le son sur la pellicule. Dans ce film-là, on voit plus tard toute la machinerie de
préparation d’un tournage. Le film lui-même est dédié aux soeurs Gish.

L’adresse au spectateur :
Dans Persona, il y a de nombreux plans où un personnage regarde directement la
caméra, que ce soit Ullman ou Anderson, et même le garçon du début. Le regard à la
caméra est à nouveau autorisé, et il nous rappelle que nous sommes occupés à regarder,
et que nous sommes aussi regardés. De plus, il y a une espèce de négation du champ
contre-champ. Bergman préfère montrer d’abord tout un champ, et puis tout l’autre
champ ensuite. Il y a d’ailleurs une même scène qu’on voit deux fois mais de deux points
de vues différents, une fois sur visage d’Alma et l’autre fois sur le visage d’Elisabeth.
Bergman démonte donc le champ-contre-champ

Dans A bout de souffle (1960), de Jean-Luc Godard à un moment, le personnage se tourne


vers le spectateur et lui dit : “allez-vous faire foutre!”. Dans Pierrot le fou (1965),
toujours de Godard le personnage s’adresse aussi au spectateur.

➔ Tous ces exemples témoignent de la conscience des codes par le cinéaste.

• Le regard documentaire, les situations optiques et sonores pures :


Le cinéma moderne veut parvenir à rendre compte de la réalité, sans tomber dans la
vraisemblance classique. Dans Persona, au début du film, Elisabeth est dans sa chambre
et assiste, horrifiée, à une scène d’actualité à la télé : un moine boudhiste s’est immolé
par le feu en pleine rue pour contester. Un peu plus tard dans le film, il y a aussi la
célèbre photo d’un petit enfant juif sous les fusils des Allemands. Ce sont des véritables
documents, le spectateur sait que c’est la réalité même, et ces éléments de réalité sont
intégrés dans un film de fiction.

152
Dans Hirochima mon amour, il y a toute une série de plans qui sont des plans clairement
documentaires sur Hirochima, notamment sur les victimes d’Hirochima qui sont
toujours à l’hôpital, sur le musée dans lequel on va trouver les traces de l’explosion
atomique, etc… La jeune actrice française dit : “J’ai tout vu à Hirochima, le musée, les
cheveux, les malades…” et son amant japonais lui répond que non, elle n’a pas tout vu à
Hirochima. Resnais va également intégrer des séances documentaires dans son film de
fiction.

Dans les films de la modernité, on voit aussi beacoup de situations optiques et sonores
pures. Dans le cinéma classique, au contraire, tout ce qui se voit dans le film contribue à
faire avancer le récit, relève de l’action. Le cinéma moderne, quant à lui, va intégrer dans
le film des choses totalement étrangères à l’action, telles que des paysages, le vent qui
souffle… Ce sont des plans qui ne sont pas motivés, c’est-à-dire des situations optiques
et sonores pures, données simplement à regarder et à écouter.

• Sous le regard du témoin (l’observateur vs le narrateur) :


Le cinéma classique affirme la toute puissance du récit. L’histoire est racontée. On
trouve dans certains films classiques un personnage de narrateur, qui va prendre en
charge la narration de certaines parties de l’histoire.

Dans le cinéma moderne, un nouveau personnage apparait : celui du témoin ou de


l’observateur. C’est un personnage qui ne fait rien, il ne fait pas avancer le récit. Il est
juste là pour regarder ce qu’il se passe. Il est en quelque sorte le représentant du
spectateur dans le film. Dans Persona, il n’y a que deux personnages qui s’observent l’un
l’autre. Dans la première partie du film, Elisabeth ne fait rien, ne dit rien, elle ne fait que
regarder Alma.

Dans Rome ville ouverte, le chef de la résistance trahi par sa compagne est arrêté par la
Gestapo et soumis à la torture. Le curé est arrête en même temps par les Allemands en
même temps, et l’officier allemand va faire procéder à la torture du communiste en
obligeant le curé à regarder le chef de la résistance se faire torturer. Le curé devient le
spectateur de cette scène atroce. C’est une des premières apparition de la cruauté :
jusqu’où peut on regarder ca ? C’est donc aussi en quelque sorte une scène réflexive…
Dans Stromboli, dans la scène de la pêche au thon, on voit aussi le regard épouvanté du
témoin. Dans Voyage en Italie, c’est un regard sur le réel qui est mis en scène.

L’histoire de Blow Up (1965 – Michelangelo Antonioni) tourne autour d’un photographe,


et dans une grande partie du film on va le voir regarder.
L’observateur est passif.

Dans Salo, ou les 120 jours de Sodome, de P.P.Pasolini (1975), il y a une scène de torture
que les tortionnaires vont prendre plaisir à regarder. C’est un film difficilement
soutenable.

• L’insignifince du réel, la quête existentielle, la révélation : Citizen Kane


d’Orson Welles ; Rashmon d’Akira Kurosawa :
On prend conscience que le sens de la réalité nous échappe, qu’on ne peut pas
comprendre la réalité, qu’elle est irrationnelle et incompréhensible. Dans beaucoup de

153
films modernes, le personnage part en quête existenielle pour essayer de saisir ce qu’il
ne comprend pas, et dans certains films il arrive que quelque chose soit révélé.

Dans Persona, une actrice, Elisabeth, ne sait subitement plus parler. Pourtant, tout va
bien chez elle, il y a donc quelque chose qui échappe à la rationnalité. Alma ne la
comprend pas non plus, puis rentre dans son jeu et se confie à Elisabeth. En se
confessant, et puis en découvrant qu’Elisabeth l’étudie, elle va réagit autrement pour
comprendre qui elle est, ce qui la lie à Elisabeth, cette drôle de ressemblance entre
elles… Tout en étant dans une relation très hostile. Finalement, rien ne sera révélé.

Dans Blow Up, il y a quelque chose de l’ordre de la révélation du réel qui apparait, mais
on ne comprend pas ce qu’il s’est passé. Le personnage va aller sur place, découvrir un
cadavre, et en rentrant chez lui toutes les preuves du crime ont été volées. Ce qui avait
permis une certaine révélation ne laisse finalement plus de trace. On en vient à se
demander, finalement : quelque chose s’est-il vraiment passé ? On ne le saura jamais.

Dans Hiroshima mon amour, la femme va se souvenir petit à petit de son propre drame,
qui s’est déroulé pendant la guerre, en France, avec son amant allemand. Et la
remémoration de tout ce qu’il s’est produit avec son amant allemand pendant la guerre,
elle va le revivre avec son nouvel allemand japonais. Des choses qu’elle avait tenté
d’oublier reviennent, il y aura une longue quête existentielle pendant tout le film, et elle
va tenter de comprendre et de retrouver un peu se sérénité par rapport à tout ça.

• L’errance, l’improvisation :
L’errance est devenue très fréquente dans le cinéma moderne et contemporain : le
personnage part à la recherche de quelque chose, même s’il ne sait pas ce que c’est. Pour
essayer de le comprendre, il va déambuler, errer, pour comprendre le sens de sa vie.
L’errance, c’est une trajectoire qui n’a pas de but. Le personnage ne sait pas où il va, il
dérive et se laisse aller à flâner ou marcher sans savoir vers où il veut se diriger.

Dans le cinéma classique, en général, quand les personnages entreprennent un voyage,


ce voyage à une destination. Dans le cinéma moderne, le personnage n’a pas de but, mais
le film va décrire la trajectoire qu’il empreinte, et en quoi ce voyage peut apporter des
réponses aux questions qu’il s’est posé.

Par exemple, dans Sans toit ni loi d’Agnès Varda (1985), une fille déambule à travers
toute la France, elle vit comme un vagabond, mais elle est sur la route et elle est libre.
Dans Eureka de Shinji Aoyama (2000), les personnages prennent un bus pour essayer de
comprendre la prise d’otage qui s’est déroulée dans ce bus là auparavant.

• L’indiscernabilité du réel et de l’imaginaire :


Dans Persona, quand Alma s’effondre de fatigue, une voix lui dit “tu devrais aller
dormir”. On ne sait pas si la voix c’était dans sa tête ou si c’est Elisabeth qui a dit cette
phrase. Un peu plus tard, Alma s’endort et Elisabeth arrive en chemise de nuit derrière,
elle est fantômatique. Le lendemain, Alma demande à Elisabeth si elle est venue dans sa
chambre, elle lui répond que non. On ne sait pas si elle ment ou si c’était juste un produit
de l’imaginaire d’Alma. C’est la même chose avec le mari aveugle d’Elisabeth, on ne sait
si c’est une scène réelle ou une scène fantasmée. On est là de nouveau dans une
indiscernabilité.

154
Dans Blow up, le personnage principal croise un groupe de jeunes qui sont dans un parc
et font semblant de jouer au tennis, sans raquette et sans balle. A un moment donné, on
entend le bruit des balles, mais on ne les voit pas. On est dans une scène qui est à la fois
extrêmement réelle, puisqu’on est dans un parc à Londres, mais en même temps il y a
quelque chose qui est totalement imaginaire, et nous ne pouvons pas faire la distinction
entre l’imaginaire et le réel.

• La facticité et la théâtralité exacerbées, le “faire-faux” (Deleuze) :


Dans le prologue de Persona, il nous semble que nous somme dans une morgue, il y a un
enfant sous un drap blanc, et puis voilà que cet enfant se réveille et bouge dans son lit…
C’est extrêmement théâtral, on n’est pas dans un lieu réel mais sûrement dans
l’imaginaire.

Toute l’oeuvre de Jacques Rivette montre constamment des scènes de théâtres, des
personnages qui jouent au théâtre (ex : La Bande des quatre)

Dans Mélo, Alain Resnais prend un texte de théâtre du 19e siècle, le met en scène comme
au 19e siècle, et il le filme. Nous regardons ce film comme si nous étions au théâtre au
19e siècle, mais nous ne pouvons pas rentrer dans la vraisemblance de cette histoire qui
est totalement théâtrale.

Dans L’Anglaise et le Duc d’Eric Rohmer, tous les personnages sont filmés en studios, tous
les décors sont peints et les personnages sont intégrés dedans en utilisant les
possibilités toutes neuves du cinéma numérique.

• Le subjectivité, la solitude de l’auteur :


Le cinéma moderne, c’est d’abord et avant tout un cinéma d’auteur. Le cinéaste s’affirme
comme auteur, il choisit son scénario et l’écrit, il choisit ses comédiens, il élabore son
propre projet de film. Cette idée d’auteur, on l’a déjà rencontrée avec Hitchcock (selon
Astruc).
Ces nouveaux auteurs vont affirmer leur point de vue, signer leur film. Une part d’eux-
mêmes va être intégrée, sous la forme de portrait et d’autobiographie.
Dans Persona, la question du mensonge est une préoccupation constante, et cela a à voir
au rapport de l’auteur au mensonge.
Fellini parle beaucoup de lui dans ses films et fait de véritables autoportaits de lui
(notamment dans Huit et demi).

Le réalisateur doit assumer son film, parfois contre le producteur, et doit assumer qu’il
fait un film pour qu’il soit vu mais en même temps, qu’il se fiche du goût du public, il veut
avant tout parler de lui et le spectateur va avoir difficile à le suivre.

155
Séance n°17 : Le cinéma moderne français (1945-1965)
Autour de la nouvelle vague

1. Académisme du cinéma français d’après-guerre : la


tradition de la qualité
Le cinéma français ne va pas connaitre de rupture à cause de la guerre. On appelle les 10
années d’après-guerre “la tradition de la qualité”. L’esthétique dominante du cinéma
français d’après-guerre reste celle du réalisme poétique au sens large, et on parlera
aussi du cinéma français comme d’un réalisme psychologique.

En 1954, François Truffaut écrit un texte, dans les Cahiers du Cinéma, qui est très connu
qui va marquer les esprits : Une certaine tendance du cinéma.
« En vérité, Aurenche et Bost travaillent comme tous les scénaristes du monde, comme
avant-guerre Spaack ou Natanson. Dans leur esprit, toute histoire comporte les
personnages A, B, C, D. A l'intérieur de cette équation, tout s'organise en fonction de
critères connus d'eux seuls. Les coucheries s'effectuent selon une symétrie bien concertée,
des personnages disparaissent, d'autres sont inventés, le script s'éloigne peu à peu de
l'original pour devenir un tout, informe mais brillant, un film nouveau, pas à pas, fait son
entrée solennelle dans la Tradition de la Qualité. [...] Lorsqu'ils remettent leur scénario, le
film est fait ; le metteur en scène, à leurs yeux, est le monsieur qui met des cadrages là-
dessus... et c'est vrai, hélas ! »

C’est un texte sur le scénario tel qu’il est pratiqué par le cinéma français de l’époque, et
en particulier par deux scénaristes, Aurenche et Bost. Dans ce texte, Truffaut s’en prend
particulièrement aux scénaristes. Il dénonce les dérives du cinéma français de cette
époque. Le cinéma qui ressort dans les années d’après-guerre n’est pas différent de celui
qu’on fait dans les années 30, l’esthétique est la même, il y a une mise en scène de studio
très caractéristique, etc.

2. Premiers auteur modernes


Dans ce cadre-là émerge cependant des cinéastes différents :

- Robert Bresson (1901-1999) :


Robert Bresson est un cinéaste majeur et en même temps secret, inclassable, qui a une
longue vie et donc une très longue carrière. Il ne réalise que 13 longs-métrages, mais qui
sont à peu près tous des chefs d’oeuvres de l’histoire du cinéma. Il va développer une
conception tout à fait personnelle du cinéma, en rupture totale avec ce qu’était le cinéma
français de son temps et le cinéma classique en général.

Robert Bresson écrit un ouvrage Notes sur le cinématographes. Ce livre est composé de
principes et de conseils que Bresson conseille à lui-même en même temps qu’il s’adresse
à de nouveaux cinéastes. Le livre est écrit en “Tu”. Dans ce livre, on comprend qu’il
entend faire retour aux origines du cinéma, à une période primitive du cinéma, mais aux
origines d’un cinéma qui ne soit pas théâtral. Ce que recherche Bresson, c’est une pureté
originelle du cinéma, celle que l’on pouvait donc trouver dans le cinéma des premiers
temps mais aussi celle qu’on peut trouver sur le visage impassible de Buster Keaton
notamment. Bresson va lui aussi beaucoup jouer sur l’impassibilité.

156
Son idée essentielle, c’est de refuser les conventions théâtrales, la diction, la comédie, le
spectacle… “Le cinéma n’est pas un spectacle, c’est une écriture avec des images en
mouvement et des sons” dira-t-il. “Il y a deux sortes de films : ceux qui emploient les
moyens du théâtre (acteurs, mise en scène, etc) et qui se servent de la caméra afin de
reproduire, et ceux qui emploient les moyens du cinématographe et se servent de la
caméra afin de créer.”

Bresson refuse aussi l’adaptation littéraire telle qu’ele est pratiquér par Aurenche et
Bost, au profit de la littéralité du roman d’origine. S’inspirant d’un roman, le film doit
être littéraire.
Dans Le journal d’un curé de campagne, Bresson va respecter la littéralité du texte. Il va à
certain moments reprendres les phrases mêmes du textes d’origine, pour retrouver la
pureté de la voix.

Bresson refuse catégoriquement la psychologie des personnages au profit d’une


description stylisée du comportement du personnage, et donc aussi de l’environnement
dans lequel il agit. Il veut décrire le comportement du personnage, pour que ce soit le
spectateur qui, par l’observation de tous les détails de la mise en scène, comprenne par
lui-même ce qu’il se passe dans la tête du personnage. L’acteur n’a pas à jouer pour
exprimer ce que ressent le personnage, c’est le spectetaur qui, en observant le
personnage, va comprendre ce qu’il se passe dans sa vie intérieure.

Bresson travaille vraiment sur la question de l’écriture du cinéma, qu’il renouvelle pour
trouver une pureté, et pour rechercher également une neutralité de ton.
Bresson recherche l’acèsce. Il est lui-même ascète, il y a une certaine sobriété dans le
comportement, la pensée, le mode de vie. C’est quelqu’un qui a compris qu’on peut
exprimer beaucoup plus avec très peu de moyens. La litote est évidemment aussi une
figure de style que Bresson va exploiter. Le dépouillement progressif de l’écriture va
parfois toucher à l’abstraction. Bresson travaille sur l’écriture cinématographique, et
donc sur le style, et même l’abstraction de la mise en scène.

Dans Un condamné à mort s’est échappé (1956), Bresson donne une importance énorme
aux gestes, aux bruits. Ce film nous raconte comment un condamné à mort s’est échappé.
Il n’y a rien de plus, tout le reste, c’est du cinéma. On voit comment ce personnage est
enfermé, seul. Toute la communication passe par le bruit, il y a peu de dialogue mais en
même temps beaucoup de gestes, par lesquels le personnage va comprendre petit à petit
comment s’échapper, parce que s’il ne s’échappe pas il va être condamné à mort. Dans ce
film, Bresson exploite le vide. On ne voit que des lieux vides, des ombres, … l’architecture
du plan est déjà elle-même extrêmement expressive. Et l’histoire va se constituer petit à
petit à partir de choses très sombres comme cela.

Pickpocket (1960), c’est l’histoire d’un homme qui n’a pas eu d’autre choix que de
devenir un pickpocket. Il met au point tout une technique pour voler. Le film décrit cela
minutieusement. A nouveau, il y a une extrême sobriété du plan, très peu de dialogues,
car tout passe par l’image pour nous plonger dans la vie intérieure du personnage. Il y a
beaucoup de gros plans et une stylisation des gestes.

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Le cinéma de Robert Bresson un cinéma qui accorde toute son importance à l’image et
au bruit, on peut dire que c’est un cinéma contre la parole. Car Bresson considère que
quand on est déjà dans la parole, on est déjà dans le théâtre. Bresson parvient, grâce à
l’image, aux gestes et aux sons, à faire passer des choses.

Bresson rejette l’expression des sentiments, au profit des sensations. Il dira qu’il faut
“sentir avant de comprendre”. C’est à la fois le cinéaste dans son rapport au monde qui
va travailler avec les sensations du monde sans chercher à le rendre intelligible, et c’est
en même temps le spectateur à qui on va offrir ces sensations qui va ressentir des choses
(à travers ces sentations) sans pour autant les rendre intelligibles.

Bresson refuse le jeu d’acteur, et il refuse même l’acteur. Il travaille avec des acteurs non
professionnels, qu’il n’appelle pas “acteurs” mais bien “modèles”. Bresson utilise des
modèles à qui il demande d’être eux-mêmes, donc de ne pas jouer, de ne pas faire
semblant d’être un autre. Il les choisit parmi ses amis, parfois dans la rue, et pour leur
simple apparence physique. Il tente de faire percevoir, par son film, la vérité intérieure
du modèle. Autrement dit, il s’agit de filmer un comportement, un geste dans sa
direction très précise, une attitude, une forme absolument extérieure. Bresson filme
l’extériorité du modèle, tel un peintre ou un photographe. Mais le film va nous faire
pénétrer petit à petit dans la vie intérieure du modèle, sans que celui-ci n’ait à
l’exprimer.
Avant, l’acteur exprimait quelque chose qui venait de l’intérieur pour découvrir
l’extérieur. L’acteur cherche désormais à exprimer quelque chose qui vient du dehors du
modèle (c’est le film) pour amener le spectateur à découvrir petit à petit l’intérieur du
modèle. Cette distinction est fondamentale. L’influence de Bresson va être énorme sur le
cinéma de la moitié du 20e jusqu’à aujourd’hui.

Bresson ne réfléchit pas à ce qu’il fait, il ne construit pas un personnage. Au contraire, il


agit dans un environnement de manière très sensitive. Il faut que le modèle agisse sans
que ses actes ne soient contrôlés par le cerveau ou par les convenances sociales ou
morales. Ainsi, il parviendra à obtenir de ces modèles ce ton neutre qu’il recherche.
Par exemple, Au hasard Balthazar (1966) est un film qui décrit une situation, et qui
l’exprime telle qu’elle est vue par l’âne, qui ne peut en rien exprimer la parole, mais qui
va toujours percevoir les choses par les sensations.

Bresson est un cinéaste chrétien, très marqué par les philosophes existentialistes
chrétiens dont deux en particulier :
1. Gabriel Marcel, qui va développer le concept de l’intersubjectivité. Il examine le
rapport existentiel entre deux sujets, deux consciences.
2. Emmanuel Mounier, dont la philosophie peut être ramenée sous l’appellation de
personnalisme. Dans sa pensée, il fait la distinction entre l’individu comme entité
numérique au sein de la masse et entre la personne qu’il considère dans sa
totalité. La pensée de Mounier est fondamentale pour comprendre celle de
Bresson.

L’idée d’intersubjectivité réapparait chez Bresson. Ce que filme Bresson, c’est la relation,
le rapport entre les éléments du films : le rapport entre la personne et son
environnement, le rapport entre deux personnes…

158
L’idée d’intersubjectivité l’influence à tous les niveaux de l’expression filmique, pas
seulement dans le jeu de l’acteur mais aussi dans le montage. Une image a toujours une
valeur relative par sa position qu’elle occupe à côté d’une autre.

Cinéma de Robert Bresson – Principaux films :


Récapitulatif :
- Le journal d’un curé de campagne
- Esthétique du « cinématographe » (1950)
- Pureté originelle - Un condamné à mort s'est échappé
- Refus du théâtre filmé et du (1956)
spectacle - Pickpocket (1960)
- Refus des conventions - Au hasard Balthazar (1966)
romanesques et de l’adaptation - Mouchette (1967)
littéraire - Une femme douce (1969)
- Recherche de la neutralité de ton - Le diable probablement (1977)
- Style et abstraction - L'argent (1983).
- L’image, les bruits, les « modèles »
- Influence de l’existentialisme
chrétien de Gabriel Marcel et
Emmanuel Mounie
- Rapports, échange, montage

- Jacques Tati (1907-1982)


Jacques Tati nait d’un père russe et d’une mère française. Il commence sa carrière au
début des années 30, en France, dans un music-hall. Là, il fait des numéros de mimes
(pantomimes).
- Art du geste : Tati a un numéro dans lequel il imite toute sortes de sportifs. On
dira de lui, quand il imite le joueur de tennis, qu’il est à la fois le joueur, la balle et
la raquette.
- Art de l’observation : Il doit extraire de son comportement les gestes les plus
clairs.
- Art du silence : le mime, par définition, ne parle pas.

Dès 1934, il débarque dans le cinéma avec un rôle dans un film, en tant qu’acteur. Après
la guerre, il se lance dans la réalisation de films d’auteurs. Il ne réaliste que 6 long-
métrages, mais ce sont tous des chefs d’oeuvre. Avec lui, on est totalement en dehors du
système des studios.

Son premier court métrage est L’Ecole des facteurs (1947). Deux ans plus tard, il réalise
son premier long métrage, en 1949 : Jour de fête. Dans ce film, il interprète un
personnage de facteur. C’est un film qui renoue avec le burlesque, et c’est surtout le film
qui aurait du être le premier film français en couleur. En effet, Tati a eu envie de réaliser
le premier film français en couleur. Seulement, on n’en avait jamais fait à l’époque et il y
avait un risque. Prudent, Tati a eu l’idée d’utiliser deux caméras (une pour le film
couleur, une pour le film en noir et blanc). Il a bien fait, parce qu’en effet il y a eu des
problèmes avec la pellicule couleur. Le procédé de développement de cette pellicule n’a
pas fonctionné. Il n’a jamais été possible de développer le négatif couleur, et le film est

159
donc sorti en noir et blanc. Ce n’est qu’en 88, après la mort de Tati, que sa fille et un
critique de cinéma vont retrouver le négatif couleur et vont tenter de le développer. Tati
avait quand même peint à la main le drapeau français, pour rajouter une petite touche
de couleur dans son film.

Dans Les vacances de M.Hulot, en 1953, M.Hulot est un personnage-type au sens


burlesque du terme. Ce film décrit les vacances de cet homme, qui va partir à la mer et
observer les coutumes des gens qui partent en vacances à la mer.
Dans Mon oncle, en 1958, M.Hulot est un écologiste qui refuse la modernité. Il a un neveu
qui vit dans une villa très moderne et sophistiquée, où tout tombe en panne. Hulot va lui
faire voir le monde avec un regard beaucoup plus poétique que technologique.

Playtime (1967) est un film qui va ruiner Tati, mais c’est aussi son chef d’oeuvre. Dans ce
film, Hulot visite une foire commerciale. Il y découvre toutes les absurdités du monde
contemporain.
Dans Parade (1974), on voit Tati qui joue son premier numéro de sportif muet.

Tati renoue avec le burlesque français et américain. Il fonde donc tout son cinéma sur le
gag. C’est un comique visuel, qui accorde énormément d’importance à la gestualité. On
retrouve énormément de décalage entre le corps du personnage et son environnement,
et on retrouve aussi le personnage-type de M. Hulot.

Exemples :
- Gag du voyeur photographe dans Les vacances de M. Hulot.
- Gag de la chambre à air dans Les vacances de M. Hulot.

Cependant, dans Les vacances de M. Hulot (1953), Hulot est un personnage du burlesque
mais ce n’en est pas moins un personnage du cinéma moderne. En effet, Hulot est un
témoin. Monsieur Hulot ne fait rien, il observe les bizareries du monde contemporain.

Tati a un principe qui prévaut dans tout ses films. C’est l’idée que “tout rate donc tout
marche”. On retrouve ce principe dans Les vacances de M. Hulot (avec les feux d’artifice)
et dans Playtime. Plus ça rate, plus ça marche.

On retrouve également dans ses films un décalage entre le corps et le décor. Dans Les
vacances de M. Hulot, à un moment donné, Hulot veut remettre droit un tableau qui
penche un petit peu. Mais en le remettant droit, un autre tableau à côté tombe lui aussi.
Hulot va le remettre droit, mais quand il est en train de remettre le second tableau
correctement, le premier retombe… On est exactement dans ce décalage qu’on trouvait
dans les années 20.

Un autre concept est présent dans le cinéma de Jacques Taty, c’est celui de polygraphie
visuelle. C’est l’idée d’un graphe, et ce graphe on va le remarquer en observant
simplement le comportement de Monsieur Hulot. Dans Playtime, on voit le personnage
de Hulot qui circule entre chacune des boites qui représent des petits bureaux typiques
au monde moderne. Dans mon oncle, la caméra est face à la maison où habite Monsieur
Hulot. On le voit au début du plan qui ouvre une porte, puis on le voit passer par une
autre fenêtre, puis par un escalier extérieur, etc. La trajectoire de Hulot est une espèce
de grand graphe qui se dessine à travers le plan, qui reste totalement fixe.

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Enfin, Tati va renverser complètement la hiérarchie des sons. Dans le cinéma classique,
le son principal est tout d’abord la parole. La parole domine, parce que c’est ce qui
donne le sens, et le cinéma classique se veut intelligible. Ensuite, c’est toute l’importance
de la musique, qui va accentuer les sentiments des personnages. Enfin, il y a le bruit, qui
est plutôt accessoire.
Au contraire, Tati va donner toute son importance au bruit. Ensuite, il accorde aussi
beaucoup d’importance à la musique, mais c’est une musique qui est très différente de
celle qu’on retrouve dans le cinéma classique, plus “jazz”. La parole vient en troisième
lieu. Tati va exploiter la “voix silhouette”, c’est-à-dire qu’on entend la voix mais la voix
devient un bruit, et on ne comprend pas nécessairement ce qu’elle dit.

Il y a une modernité paradoxale chez Tati : d’un côté, il renouvelle le langage


cinématographique. De l’autre tous ses films sont une critique de la modernité sociale,
architecturale, technique…

Cinéma de Jacques Tati – Récapitulatif : Filmographie :

- Comique visuel et tradition - L’école des facteurs (1947)


burlesque - Jour de fête (1949)
- Renversement de la hiérarchie des - Les vacances de M. Hulot (1953)
sons - Mon Oncle (1958)
- « Tout rate donc tout marche » - Playtime (1967)
- « Polygraphie visuelle ». - Trafic (1971)
- Parade (1974).

- Alain Resnais
Entre 1946 et 1958, Alain Resnais réalise essentiellement des documentaires sur les
écrivains, sur l’art… ou encore des essais cinématographiques, comme Guernica en 1950
ou Les statues meurent aussi en 1953, co-réalité avec Chris Marker. Les statues meurent
aussi devient un pamphlet anti-colonisation, et va donc être interdit de nombreuses
années. Resnais réalise aussi Nuit et brouillard avec Chris Marken, en 1955, un film
fondamental.

En 1959, il sort Hiroshima mon amour, sur un scénario de Marguerite Duras. C’est un
film qui nous raconte l’histoire d’une femme qui passe une nuit avec un japonais qu’elle
a rencontré, et qui, à partir de cette nouvelle relation, se remémore un amour de
jeunesse de quand elle était adolescente : elle, française, était tombée amoureuse d’un
soldat allemand. Son amant avait été abattu, et elle avait été enfermée dans la cave par
ses parents et tondue. Le film ose parler de choses dont on ne parlait pas beaucoup à
l’époque. Le film met en rapport ce qu’il s’est passé à 15 ans d’intervalle. Le film joue sur
le passage constant du passé au présent, et donc sur le souvenir mais aussi sur l’oubli.

Alain Resnais a eu une longue carrière par la suite, avec comme caractéristique
principale un renouvellement complet du dispositif cinématographique pour chacun de
ses films.

161
Premiers longs métrages :

- Hiroshima mon amour (1959)


- L’année dernière à Marienbad (1962)
- Muriel (1963)
- La guerre est finie (1966)

- Autres précurseurs de la Nouvelle Vague :


Jean-Pierre Melville (Le Silence de la mer, 1947), Agnès Varda (La Pointe courte, 1954),
Roger Leenhardt (Les Dernières Vacances, 1948), Alexandre Astruc (Les Mauvaises
rencontres, 1955) + Le «Cinéma direct» ethnographique : Moi, un noir (1958) de Jean
Rouch.

La pointe courte d’Agnès Varda peut être considéré comme le tout premier film de la
Nouvelle Vague.

3. Emergence de la Nouvelle Vague


L’expression Nouvelle Vague, on la trouve tout d’abord dans un nouveau journal français,
L’Express, formé en 1953 par deux personnalités de la presse française, François Giroud
et Jean-Jacques Servan-Schreiber. L’idée, c’est que toute la société française est vieillotte
et il faut qu’elle s’américanise. En France, il y a deux tendances : une tendance qui
s’américanise et une tendance communiste qui s’inspire de ce qui se fait en URSS.
Dans ce journal L’Express, un article sociologique montre qu’il y a désormais une
jeunesse française, en conflit avec les générations précédentes, et l’auteur de l’article
appelle cette génération “la nouvelle vague”. L’expression est lancée. On la retrouvera en
1959 à Cannes, pour désigner cette nouvelle génération de cinéastes qui viennent avec
des choses nouvelles. L’expression débarque dans le milieu du cinéma, et à partir de là
elle va être reprise par d’autres commentateurs du cinéma francais pour désigner ce qui
apparait bel et bien comme une nouvelle école de cinéastes, qui entendent bien faire du
cinéma autrement et devenir tous de grands auteurs.

Au sens large, la Nouvelle Vague comprend une série de personnalités : Alain Resnais,
Chris Marker, Agnès Varda, Jacques Demy, Jean Rouch, Georges Franju, Jean-Pierre
Melville
Ils travaillent dans la veine documentaire et dans le court-métrage.

Et puis, il y a un groupe de 5 cinéastes qui forment le “noyau dur” de la nouvelle vague,


et qui ont en commun d’etre des critiques de cinéma qui travaillent, à la fin des années
50, pour les Cahiers du Cinéma. Ces 5 cinéastes, on les appelle “les jeunes turcs”. Cela a à
voir avec ces révolutionnaires turques qui ont voulu, à l’époque, moderniser la Turquie.
Ici, ces 5 cinéastes sont en train de révolutionner le cinéma, même si ils ne sont pas en
soi des révolutionnaires. Ce sont des bourgeois, mais qui sont en rupture avec leur
classe (en particulier Truffaut qui était un enfant délaissé par ses parents, puis sauvé par
Bazin).

162
Ces 5 cinéastes sont : Jean-Luc Godard, François Truffaut, Claude Chabrol,Eric Rohmer et
Jacques Rivette. Ils vont transformer de fond en comble la pratique cinématographique.
La Nouvelle Vague est une école composée de cinéastes jeunes, essentiellement
masculins, et qui ont une formation assez similaire : Ils ont une immense culture,
cinématographique mais aussi littéraire, et ils sont animés par l’envie très forte de faire
des films sans passer par l’industrie.

Des maîtres à penser

André Bazin :
André Bazin est à l’origine un instituteur, et il sera donc aussi un grand pédagogue. C’est
un jeune critique, qui meurt à 40 ans. Dès la fin de la guerre, il va fonder un ciné-club,
puis écrire pour toutes sortes de revues avant de fonder les Cahiers du Cinéma. Il va
rassembler des jeunes cinéastes qui ont une immense culture cinématographique, dont
les 5 futurs cinéastes de la Nouvelle Vague. Bazin écrit tous les jours.

Alexandre Astruc :

En 1948, Astruc écrit “Naissance d’une nouvelle avant-garde : la caméra-stylo”. [Le


cinéma, c’est ] « une forme dans et par laquelle un artiste peut exprimer sa pensée, aussi
abstraite soit-elle, ou traduire ses obsessions exactement comme il en est aujourd’hui de
l’essai ou du roman » L’idée, c’est qu’un cinéaste peut trouver la même liberté de filmer
que celle d’un écrivain. C’est vraiment l’idée de la liberté totale de l’auteur.

Roger Leenhardt :
Leenhardt est un philosophe, critique et cinéaste. Il défend aussi l’idée du cinéma
comme écriture à part entière, construite en dehors des contraintes commerciales.

Henri Langlois :
Langlois, un très grand pédagogue, fonde la cinémathèque française à Chaillot. Là-bas, il
projette des films pendant toutes la journée, et les futurs cinéastes de la Nouvelle Vague
seront là pendant toute la journée. Henri Langlois fait en quelque sorte un montage de
film : il met un tel film avec un autre, qui fait que ceux qui vont regarder tous les films les
uns à la suite des autres commencent à voir une certaine vision du cinéma. Comme
Welles, ils apprennent le cinéma en regardant des films. La cinémathèque de Langlois
est un lieu de formation, c’est comme une école de cinéma.

Les textes parus dans les Cahiers du Cinéma ou d’autres revues sont des textes dans
lesquels on fait de la critique. Quand on est critique, il y a des choses dont on fait l’éloge
et d’autres que l’on rejette. Les cinéastes de la Nouvelle Vague vont rejeter presque tout
le cinéma français. Refus du scénario, de la grammaire cinématographique, du
découpage et des dialogues littéraires.

Ces cinéastes de la Nouvelle Vague vont avoir une doctrine critique minimale : la
Politique des Auteurs. Ils vont déterminer qui sont pour eux de vrais auteurs ou non.
Hitchcock, notamment, en est un. Attention,tous ces auteurs qu’ils considèrent comme
vrais ne sont pas nécessairement des cinéastes modernes, mais bien des cinéastes dont
ils reconnaissent les qualités de metteur en scène.

163
4. Projection
Jean-Luc GODARD, Une femme est une femme, 1961, 84’. Avec Anna Karina, Jean-Claude
Brialy et Jean- Paul Belmondo. Musique de Michel Legrand.

5. La Nouvelle Vague : une “école” à part entière


Le cinéma de la Nouvelle Vague est donc un cinéma de rupture avec l’esthétique
classique. Les codes cinématographiques, en particulier visuels, sont extrêmement
différents.

En ce qui concerne la Nouvelle Vague, il n’y a pas véritablement d’esthétique unifiée. On


est en rupture avec les anciens codes, mais pas pour recréer de nouveaux codes. Les
films de la Nouvelle Vague sont donc tous très différents. On ne passe pas d’une
esthétique codifiée vers une autre esthétique codifiée, mais on est en rupture avec les
codes anciens.

Les films de la Nouvelle Vague sont des films d’auteur, et le réalisateur contrôle toute la
chaine de production du film, du scénario au montage. C’est essentiellement un cinéma
de metteur en scène, la mise en scène est fondamentale, pas le scénario. Godard, par
exemple, travaillera en accordant énormément de place à l’improvisation, et en
exploitant des possibilités de l’impovisation. Dans Une femme est une femme, on a un
gros plan sur Anna Karina en train de pleurer, et elle dit qu’elle n’y arrive pas. Ca, en
réalité, c’est l’actrice qui le dit et non pas le personnage.

Dans Une femme est une femme, les regards caméras sont multiples. De plus, on tourne
totalement en extérieur : on est ici dans l’appartement d’un ami de Godard, et la majorité
des scènes sont tournées dans la rue. Godard joue aussi énormément sur les couleurs.
Par ailleurs, le travail de la musique est exceptionnel, avec des variations sonores très
fortes (à un moment, la musique couvre même toute parole) et des techniques musicales
souvent étudiées par les compositeurs traditionnels de musique de film. Godard utilise
le “mickey mousing”, qu’on utilisait alors principalement dans les dessins animés (=un
bruit qui souligne un mouvement du personnage).

Ce dérèglement constant des codes que recherche la Nouvelle Vague, et surtout Godard,
prend des formes parfois radicales.
Dans Une femme est une femme, au moment où le couple prend des poses dans
l’appartement, ce sont des tableaux filmés, Godard fait un montage elliptique.
Dans A bout de souffle, Godard pratique abondamment le montage elliptique ainsi que le
faux raccord. Le raccord est une notion qui vient des codes traditionnels, qui disait que
les plans doivent concorder. Mais Godard fait le contraire de façon délibérée, au point
que ça va susciter des critiques de toute une série de gens assez “ringards”, alors que
c’était un véritable projet cinématographique.

Toujours dans A bout de souffle, dans une scène où des policiers poursuivent une
voiture, il y a une saute d’axe. On s’attend à ce qu’il y ait une logique de direction or, dans
ce film, on a l’impression que les policiers et celui qu’ils poursuivent vont dans des
directions différentes. Godard bouleverse la règle des 180 degrés, et cela provoque une
saute d’axe. Bref, une saute d’axe, c’est comme un faux raccord.
Notons qu’il y a aussi une série de faux raccords dans Une femme est une femme.

164
Godard joue beaucoup sur l’improvisation. Il écrit ses scénarios rapidement, le matin
même du tournage, si bien que ses acteurs n’ont même pas le temps de les lire. Il intègre
des réactions accidentelles de la part de ses acteurs dans ses films.

La Nouvelle Vague privilégie les tournages en extérieur, ce qui fait que Paris est
véritablement la ville de prédilection de la Nouvelle Vague. Tous les cinéastes adorent
Paris. Et les cinéastes de la Nouvelle Vague adorent filmer dans Paris.

Aussi, Godard utilise beaucoup le son direct, ou plutôt l’apparence de son direct.
Le son direct, c’est celui qui est capté directement au tournage, avec tous les aléas, tous
les inconvénients. Chez Godard, c’est du “faux son direct”. Dans Une femme est une
femme, quantité de bruits font qu’on entend pas ce qu’il ce dit, mais tout cela a été
rajouté par Godard après, pour étouffer les voix. Puisque la parole n’est plus porteuse de
sens, elle devient une pure sensation avec la Nouvelle Vague.

Les cinéastes de la Nouvelle Vague qui ont appris leurs films à la cinémathèque sont de
grands cinéphiles, et cela se ressent dans tous leurs films. De plus, les cinéastes de la
Nouvelle Vague se citent les uns les autres. Bref, c’est un cinéma qui renouvelle les codes
du cinéma, et c’est en même temps un cinéma très cultivé, et qui ne se prive pas de
l’afficher. Par exemple, dans tous les films, il y a des affiches qui renvoient à des
spectacles, des films ou des expositions. Dans les 400 coups de Truffaut, le petit garçon
est en cancre à l’école, mais il adore Balzac. Dans Une femme est une femme, toute la
séquence d’insulte via des livres policiers est à nouveau un jeu avec ce savoir littéraire et
cette culture qui caractérise les films de la Nouvelle Vague.

La Nouvelle Vague, c’est aussi l’émergence d’une série d’acteurs qui vont dominer dans
la seconde moitié du 20e siècle : Jean-Claude Brialy, Bernadette Laffont, Jean-Pierre
Léaud, J-C Brialy et Gérard Blain, Jean-Paul Belmondo

Enfin, la Nouvelle Vague, c’est aussi l’idée économique que l’on peut faire des films à
succès avec un petit budget. Dans les films de la Nouvelle Vague, il y a peu de décors, peu
d’acteurs, on filme dans la rue… Les cinéastes ont montré qu’on pouvait faire des films
de cinéma avec un très petit budget. Mais cela ne durera pas très longtemps…

Un programme esthétique : Un mode de production économique :

- Tournage en extérieur (Paris) et son - Refus du système des studios, petit


direct. budget, entraide et débrouille, clins
- Légèreté, innocence, expérimentation. d’oeil et private jokes.
- Importance de l’aléatoire, du - Nouvelle génération d'acteurs (J.-P.
contingent, de l’accidentel. Belmondo, J.-Cl. Brialy, J.-P. Léaud,
- Goût de la discontinuité, respect de Gérard Blain, Bernadette Lafont,
l'hétérogénéité fondamentale du réel. Stéphane Audran, Anna Karina), de
- Cinéphilie, goût des citations producteurs (De Beauregard,
littéraires ou philosophiques. Brauneberger, Dauman), de
- Un cinéma radicalement neuf et techniciens (Coutard, Almendros).
"cultivé".

165
Séance n°18 : Le cinéma italien moderne

1) Les années 1950 : une ère de transition


- Evolution et épuisement du néo-réalisme :
Le néo-réalisme va s’essouffler petit à petit en se transformant (pas d’abandon immédiat
du néo-réalisme). Les années 50 sont vraiment une période de transition, où l’on voit le
néo-réalisme disparaitre progressivement en même temps que l’industrie reprend ses
droits. L’économie italienne se porte mieux, l’industrie fonctionne à nouveau, le plan
Marshall fait ses effets. On constate que les revenu moyens en Italie sont plus importants
qu’avant la guerre. Ceci dit, les inégalités sociales se font énormément ressentir, les
classes populaires restent globalement très pauvres.

- Développement de l’industrie (coproductions et films de genre : comédie,


peplum) :
En cinéma, l’industrie se porte bien et va bénéficier de l’aide de l’Etat. Mais cette aide est
sélective… En 1952 apparait le film Le petit monde de Don Camillo de Julien Duvivier
(avec Fernandel et Gino Cervi). C’est une comédie italienne extrêmement classique, qui
va recevoir énormément de subsides, contrairement à d’autres films. L’industrie
italienne produit des films de genre, comme la comédie, le mélodrame, le péplum. Ces
films, qui bénéficient des aides de l’état, ont du succès. Cela permet à l’industrie d’être
relancée. Les films qui vont être produits dans les années 50 et qui représentent un
cinéma commercial vont avoir quelques caractéristiques, notamment :
- Univers populaire
- Parlent d’une façon caricaturale de l’opposition entre les partis dominants
- Villages, paysages régionnaux
- Exaltation des valeurs (religieuses, communistes) de façon caricaturale : ça
montre qu’on peut quand même s’entendre sur un certain nombre de choses
- Humour (les films sont parfois drôles, voir grossiers)

- Hollywood-sur-Tibre :
Sur le plan de l’économie du cinéma, il y a des co-productions avec la France ou Les
Etats-Unis. Les américains proposent notamment aux italiens d’intervenir dans la
production de leurs films et en échange, ils peuvent diffuser leurs propres films en Italie.
C’est l’époque où, à Cinicitta, on produit des films américains.

- Production d’un cinéma populaire “de série”:


On produit également des séries telles que Le retour de Don Camillo de Duvivier en 1953,
et d’autres comme “Pain, amour et … “, la même année. Cette dernière série est dirigée
par Luigi Comencini, c’est une série de comédie populaire, avec deux personnages qui
reviennent de films en films et qui sont interprétés par les mêmes acteurs : Vittorio de
Sica et Gina Lollobrigida.
On n’est plus du tout dans le genre de scénario social et austère du néo-réalisme, on est
vraiment dans les normes du genre de la comédie.

- Cinéastes représentatifs de la comédie italienne dans les années 50 :


Dino Risi, Alberto Lattuada, Mario Monicelli.
Evolution de Rossellini et Visconti :

166
En même temps, cette industrie ne pas favoriser les nouveaux auteurs, ni même les
auteurs plus confirmés. Les grands cinéastes du néo-réalisme vont avoir de plus en plus
de difficultés à faire des films. Visconti va se tourner vers les films historiques à costume,
Rosselini va de plus en plus travailler pour la télévision. La télévision peut être le
support d’un nouveau cinéma et d’un nouveau public. Films de Rossellini avec Bergman
au début des années 50 : Stromboli (1949), Europe 51 (1951), Voyage en Italie (1953).

Les années 50 sont tout de même des années qui voient aussi se développer l’heure de
jeunes cinéastes, notamment les célèbres Antonioni et Fellini. Ils font tous les deux leurs
premiers films au même moment, mais ils viennent de deux univers très différents.
Antonioni va d’abord réaliser des documentaires dans les années 50, avant de tourner
son premier long-métrage. Fellini, lui, commence par une activité de scénariste. Il
travaille notamment avec Rossellini sur Rome Ville Ouverte.
Finalement, les années 50, c’est une décenie qui voit disparaitre le néo-réalisme, qui voit
le développement du cinéma commercial et qui voit le maintien ou l’émergence de
nouveaux auteurs qui font des films assez régulièrement.

Le Sheik blanc est réalisé par Fellini en 1952. C’est un film très émouvant, dans lequel on
va retrouver des choses caractéristiques de Fellini et des choses caractéristiques de son
époque. Le film raconte l’histoire d’un couple qui ne vit pas dans l’aisance, et comme la
vie est dure, la femme du couple fuit dans le rêve et l’illusion, donc dans sa passion qui
est en l’occurence le roman-photo. Dans ses romans-photos, il y a un personnage qui
revient tout le temps : le sheik blanc. La dame en question lui voue en culte comme on
pourrait vouer un culte à une star de cinéma. Son grand rêve à elle, c’est de rencontrer le
sheik blanc. Un jour, elle arrive sur un tournage et elle découvre l’homme de ses rêves,
en train de faire de la balançoire. Evidemment, la rencontre ne sera pas aussi
merveilleuse que dans ses rêves, et elle va découvrir finalement que tout cela n’était
qu’une grande illusion. Le film se termine par cette phrase très représentative de Fellini
: “La vraie vie est dans le rêve, mais le rêve conduit parfois à de funestes abimes.” Dans ce
film, le milieu social est important. C’est une comédie mélodramatique, assez
caractéristique de l’industrie du cinéma des années 50, mais en même temps c’est déjà
clairement un film de Fellini. On y retrouve tout ce qui fera la grande oeuvre de Fellini,
c’est-à-dire : le spectacle comme étant un lieu d’illusions et de paillettes, mais où les
vrais problèmes sociaux apparaissent comme ancrés. C’est un univers de fausses
illusions.

Dans Bellssima de Visconti (1951), une mère apprend qu’un film va se tourner à
Cineccita, et le réalisateur recherche pour son films une petite fille qui sache chanter. La
mère veut absolument que ce soit sa fille, et sa fille se rend donc à l’audition à Ciniccita.
Les petites filles passent les unes après les autres auprès du réalisateur. Quand c’est le
tour de la petite fille en question, qui est toute seule, sous les projecteurs, elle est
tellement paniquée qu’elle tombe en larme et elle ne chante pas. C’est à nouveau la
désillusion. Il y a une opposition tragique entre le milieu social populaire et le monde de
l’industrie du cinéma, dans lequel cette dame avec sa fille ne peuvent pas rentrer.

Tous les films des années 50 sont travaillés eux-mêmes pas ces tensions qui existent au
sein du cinéma.
2) 1960, le renouveau

167
- 1960 : année-tournant
En très peu de temps, une série de films majeurs sortent sur les écrans italiens. Ils sont
très différents les uns des autres, mais vraiment porteurs d’un renouveau. La Dolce Vita
de Frederico Fellini, L’Avventura de Michelangelo Antonioni, Rocco et ses frères de
Luchino Visconti et Accattone de Pier-Paolo Pasolini.

- Ressemblances entre l’évolution du cinéma français et du cinéma italien


Les tendances qui restaient encore sous-jancente dans les années 50 se font enfin
reconnaitre à leur juste valeur. Les liens entre le cinéma italien et le cinéma français sont
établis depuis la fin de la guerre. L’évolution du cinéma italien suit un cheminement un
peu comparable à l’évolution du cinéma français : comme en France, on réfléchit sur le
cinéma et on le fait progresser. Il y a aussi de la part des producteurs italiens la prise de
conscience qu’on peut peut-être faire des films autrement.

- Différences entre l’évolution du cinéma français et du cinéma italien :


1. Le cinéma français se renouvelle complètement avec des nouveaux cinéastes qui
arrivent et qui n’ont pas appris le cinéma sur le tas. En Italie, ce sont des
cinéastes qui travaillent depuis une dizaine d’années, mais qui arrivent à un
moment d’apogée.

2. Le rapport au scénario : Les cinéastes de la Nouvelle Vague vont accorder toute


leur importance à la mise en scène des fims, en balayant le scénario. Ils suivent la
voie de Rosselini. Les nouveaux cinéastes italiens, eux, accordent de l’importance
au scénario. Tonino Guerra, romancier, poète et scénariste, est une figure
centrale du renouveau italien. Il va faire des scénario pour Antonioni, Rellini,
Rosi, les frères Taviani, etc.

3. Le renouveau italien ne passe pas comme en France par une grande remise en
question des grands codes cinématographiques. L’écriture cinématographique se
renouvelle mais sans passer par une remise en question des codes.

3) Federico Fellini (1920-1993)


Dès 1939, Fellini, qui a une formation de journaliste, écrit pour la presse et la radio. Il
collabore aussi à l’écriture des scénarios, notamment pour les grands films de Rosselini.

Il tourne son premier film en 1951 : Les Feux du music-hall. C’est un film dans lequel joue
Guilietta Masina. Ce film parle d’un univers populaire qui est en même temps l’univers
du spectacle, celui du music-hall. Dans ce film, il reste des traces du néo-réalisme. Ca
parle d’un milieu populaire, mais qui est réduit au milieu du spectacle. Fellini adore les
paillettes et le clinquant, qu’il va filmer comme quelque chose de fascinant, sublime et
grotesque. Cette opposition entre le dérisoire et les paillettes est une grande
caractéristique thématique et stylistique de Fellini.

Fellini va privilégier les personnages plutôt que la collectivité, contrairement au cinéma


du néo-réalisme. Chez Fellini, le personnage prend plus d’importance, il s’affirme plus et
surtout, ce personnage à avoir avec lui. Fellini, pendant toute sa carrière, va tout le
temps se replonger dans ses propres souvenirs.

168
En 53, il réalise I Vittelonni qui raconte le désoeuvrement de jeunes adultes, qui n’ont
pas encore pris leurs responsabilités d’adultes. Ils ne travaillent pas, ils préfèrent
profiter de la vie, mais en même temps, ils s’ennuient profondément. Ils manquent de
perspectives et de projets dans la vie. Le film ne repose pas sur une intrigue largement
construite sur des actions et des temps forts comme dans le cinéma classique, il prend
plutôt la forme d’une chronique, qui décrit le quotidien de ces jeunes qui ne savent pas
prendre leur vie en main (chose que Fellini a lui aussi connu a cet âge là). C’est un film
désenchanté, désabusé et qui décrit un monde dans lequel ces jeunes un peu paresseux
n’ont pas leur place, parce qu’on ne leur a pas donné leur place.

En 1954, Fellini réalisme La Strada, avec Guilietta Mascina et Anthony Quinn. Le film
raconte la déambulation sur la route d’un homme qui est un personnage de cirque, il
montre aux passants les exploits de sa force. C’est un cirque pauvre, où il est seul sur la
route et où il lui faut une assistante. Il va alors acheter une jeune fille, qui est enfant et
femme à la fois. La petite Guilietta Masina va accompagner Anthony Quinn, qui se
comporte comme une brute épaisse face à elle qui est innocente. Ils dorment là où ils le
peuvent, sur la route, avec juste une tente et une moto. C’est un film extrêmement
dérisoire, même minable. A un moment, ils vont croiser la route d’un funambule, qui est
tout le contraire d’Anthony, il est tout blanc et marche sur sa corde comme un papillon.
Le film oppose le réel enchantement du funambule mais aussi du monde tel que la petite
le regarde, contre le monde moche dans lequel circule Quinn. Le funambule et la petite
sont les poètes de ce monde désenchanté.

En 1960, Fellini réalise La Dolce Vita, un film long (il dure 3h). C’est à nouveau une
chronique, c’est la peinture d’une grande bourgoisie romaine en pleine décomposition,
et c’est une peinture plutôt cynique. Le personnage principal est un journaliste people,
que l’on envoie faire des interview de starlettes, et qui va recevoir un jour une grande
star qui vient d’ailleurs. Il est accompagné aussi par des photographes, dont l’un
s’appelle Paparazzo (et c’est de là que vient le mot “paparrazi”). La vie que mène
Marcello, le journaliste, est légère en même temps qu’elle est fade, sans valeur et sans
morale. En même temps, le film va décrire le rapport de tous ces gens-là (et de la société
italienne en général) avec la religion.
Parallèlement à cela, on décrit une société sans valeur morale, avec une certaine critique
de la religion et enfin, avec la présence d’un personnage : un philosophe juif, rescapé des
camps, complètement désabusé lui aussi. C’est un ami de Marcello. Il a une vie assez
confortable, mais il est extrêmement pessimiste et il finira par se suicider. C’est le
moment tragique du film, où tout à coup Fellini nous fait découvrir une énorme
profondeur au milieu de cette société qui semble littéralement danser sur un volcan. Il
mèle une profondeur morale et spirituelle.

Le film va choquer le Vatican. Le pape va demander à ce qu’on condamne le film. On va


demander à ce que Fellini soit excommunié, mais Fellini n’a pas peur de s’en prendre à la
religion, même dans d’autres films. Il y a une critique de la religion dans La Dolce Vita
mais en même temps, il y a une véritable dimension spirituelle. Fellini donne à réfléchir
sur la médiocrité de la vie et l’aspiration de l’homme à croire ou à vouloir autre chose
que ce que la vie lui donne.
En 1963, Fellini réalise 8 ½ : c’est l’histoire d’un cinéaste qui fait une crise d’inspiration.
Tout le film parle du désappointement du personnage, de son incapacité à surmonter les
difficultés, de son amour pour trois femmes différents à la fois, et finalement de son

169
incapacité à faire encore du cinéma. Ce film ne témoigne pas d’une crise d’inspiration de
Fellini mais c’est un film qui réfléchit aux possibilités du cinéma, c’est une sorte de
manifeste de Fellini.

En 1972, Fellini sort Roma. Il y a un modèle féminin qui revient dans la plupart de ses
films au point qu’on a parlé de femme fellinienne, soit de femmes très bien portantes,
parfois obèses, avec des poitrines monumentales et lourdes, qui sont notamment des
prostituées. Dans Roma, le personnage principal va passer dans deux bordels différents,
un bordel de luxe et un autre plus populaire où il va rencontrer des femmes comme
celles-la. C’est un érotisme qui accorde beaucoup d’importance à la chair, qui est à la fois
fascinante, encombrante, et toujours un peu triste. Ce n’est pas de la débauche, c’est un
érotisme mais éloigné à tout point de celui des revues érotiques.
Roma est un film assez long, c’est aussi une chronique et c’est là que se trouve la
modernité de Fellini. C’est un film qui fait le portrait d’une ville, Rome, mais le portrait à
la Fellini. En même temps, c’est un film qui fait un portrait réflexif du cinéma et donc un
portrait de lui-même. C’est donc une autobiographie, un autoportrait, mais qui parle
aussi de Rome, ville éternelle, sous tous ses aspects. On va y voir toutes sortes de choses
(animations sur des terrasses de restaurants, spectacles de music hall…). C’est un film
qui mèle le passé et le présent (ce qui est d’ailleurs propre à Rome) mais aussi qui mèle
une ville et lui-même, qui n’est pas originaire de Rome.

Après Roma, Fellini va encore réaliser d’autres films majeurs.

Fellini – récapitulatif :
Ecriture pour le cinéma : Rome, ville ouverte (1945), Païsa (1946), Europe 51 (1951)

Principaux films : Les Feux du music-hall (1951), coréalisé avec Alberto


Lattuada.Courrier du coeur (1952), Les Vitelloni (1953), La Strada (1954), Il Bidone
(1955), Les Nuits de Cabiria (1957), La Dolce Vita (1960), Huit et demi (1963), Juliette
des esprits (1965), Satyricon (1969), Roma (1972), Amarcord (1973), Casanova
(1976), Prova d’orchestra (1978), La cité des femmes (1980), Et vogue le navire (1983),
Ginger et Fred (1986), Intervista (1987), La voce delle luna (1990).


Quelques thématiques centrales : le Je, Dieu, la Femme et le Spectacle...

4) Projection
Roma est un film emblématique. Tout d’abord, il assume totalement son point de vue, sa
subjectivité, c’est un film qui ne dissocie pas Rome de Fellini. C’est Rome vue par Fellini.
Quand il filme la réalité, elle devient un spectacle. Fellini prend énormément de plaisir à
montrer d’un côté des paillettes dérisoires, des spectacles (parfois très médiocres) mais
en même temps, il prend énormément de plaisir à montrer le spectacle dans la salle (=la
réalité qui fait le spectacle). Il ne cesse de passer de la réalité au spectacle et du spectacle
à la réalité.
Les femmes, et notamment les prostituées, sont aussi des spectacles. Les bordels sont
mis en scène comme des spectacles où les prostituées sont des artistes qui jouent
parfaitement leur rôle. La religion, enfin, est partout, et elle devient elle-même un
spectacle.

170
5) Michelangelo Antonioni (1912-2007)
Antonioni a d’abord été critique, assistant de Marcel Carné, avant de faire son premier
long-métrage, Chronique d’un amour, en 1950, c’est-à-dire en plein néo-réalisme. Il a
déjà réalisé quelques documentaires, mais il a le sentiment de venir après quelque chose
(après le néo-réalisme), et donc d’être dans une situation qui n’est plus l’après-guerre
mais l’après-après-guerre. Il ressent la nécessité de rompre avec le postulat du néo-
réalisme, où on s’intéressait aux relations entre l’individu et son milieu.

Le néo-réalisme était un cinéma qui allait décrire son milieu. Antonioni, quant à lui,
entend se recentrer sur le sujet, en tant que le sujet est porteur des évolutions de la
société mais sans pour autant qu’il soit nécessaire de dépeindre le milieu social dans
lequel il se trouve. Le milieu social devient comme un arrière-plan, qui reste là de façon
incidente, pour exprimer aussi ce qui est important pour Antonioni : la vie intérieure des
personnages.

En 1957, il réalise Le cri. L’histoire raconte l’errance d’un homme qui a quitté sa femme
et qui ne comprend pas ce qui lui arrive. Finalement, il se jette du haut d’une tour
pendant que sa femme est en bas. Le film parle de la vie intérieure du personnage, de
l’incommunicabilité des personnages, de la fragilité des sentiments, de la difficulté
d’aimer et d’être aimé.

L’Avventura, en 1960, est un film qui va étonner car son traitement est complètement
différent. C’est une histoire de disparition, mais qui n’est pas du tout traitée de façon
classique. Deux riches filles de bourgeois partent faire une croisère. Le soir, on se rend
compte qu’une des deux femmes (la brune) n’est pas là. On ne la trouve pas, mais
pendant cette recherche, la blonde va se rapprocher du fiancé de la brune. Le film va
s’intéresser à la relation qui nait entre cet homme et cette femme, et va complètement
oublier la disparition de la brune. Il y là une sorte de fausse-piste. Ici, Antonioni nous
montre que ce n’est pas la disparition qui nous intéresse. Par contre, la relation difficile
qui se noue entre cet homme et cette femme est ce qui va intéresser le réalisateur.

Quelque chose est fondamental dans le cinéma d’Antonioni, c’est qu’il met hors-champ le
moment fort de son récit, au profit de tout ce qui est insignifiant, sans importance, toutes
ces petites choses de la vie quotidienne qui, elles, ont été filmées. Autrement dit,
Antonioni inverse le rapport entre les temps forts et les temps morts. Le cinéma
classique se construit autour de temps forts, d’actions, et il ne va en général accorder
aucune importance aux petites choses insignifiantes. Antonioni fait le contraire, pour
nous montrer que le réel est devenu insignifiant, que la réalité a perdu sa signification.

Il utilise également beaucoup l’ellipse, figure narrative classique par excellence.


Antonioni va exploiter l’ellipse comme il exploite le hors-champ pour ne pas montrer les
moments forts du films. Tous les petits éléments insignifiants, il va les exagérer et leur
donner une importance qu’ils n’ont pas dans la vie réelle.

171
6) Pier-Paolo Pasolini (1922-1975)
Avant d’être cinéaste, Pasolini est un écrivain, un poète extrêmement connu et reconnu.
L’oeuvre littéraire de Pasolini était extrêmement importante avant qu’il n’entre dans le
monde du cinéma. Il a une culture extradordinaire dans tous les domaines.

Il réalise son premier film, Accatone, en 1961. C’est ce qui le différencie des autres : il n’a
aucune expérience du cinéma, et réalise son premier film alors qu’il a déjà une
quarantaine d’années. A partir de ce moment-là, il va mener une carrière énorme : il
continuera à écrire, à faire du théâtre, à être présent sur la scène intellecutelle
italienne… Tout en réalisant des films.

Pour Pasolini, la réalité est une langue, et ses films illustrent cette idée que dans la
réalité, la réalité elle-même peut énoncer quelque chose, comme elle c’était une langue.

On peut très rapidement déceller plusieurs cycles de son cinéma :


- Cycle réaliste :
Tout d’abord, un premier cycle réaliste avec ses deux premiers films (Accatone et
Mamma Roma) et avec un court-métrage La Ricotta. Ce sont des films plutôt réalistes,
par lesquels il va plonger dans les faubourgs de Rome, dans un univers de petits truants
et de prostituées, bref, il est dans les bas-fond. Ces films héritent un peu du néo-
réalisme, mais avec déjà une grande différence. Pasolini ne veut pas faire un tableau de
la société, mais il réalise ses films sous l’angle de la sublimation. Son univers est trouble
et contradictoire : il y a une opposition entre une réalité crue et sordide, et la nécessité
de la transcender, d’aller au-delà de cette réalité. Pasolini veut percevoir ce qu’il y a de
sublime dans le sordide. C’est quelque chose qu’on n’avait jamais vu au cinéma.

- Cycle biblique et mythique :


Il y a un deuxième cycle de Pasolini, où il revisite des grands mythes dans des
réalisations où la question de la réalité est essentielle. Tout est filmé dans des paysages
réels avec des acteurs inconnus. La réalité renvoie aux mythes, il veut donner du réel
aux mythes. C’est le cas de L’Evangile selon Saint Matthieu, Oedipe Roi et Médée.

- Cycle “crypto-érotique” :
Enfin, il a un troisième cycle, dans lequel l’érotisme compte beaucoup. A nouveau, il y a
un grand écart entre la réalité d’un côté, et l’idée de l’autre.
Par exemple, le film Théorème nous présente la famille d’un riche industriel milanais :
lui, sa femme, la fille, le fils et la bonne. Un jour, un inconnu débarque dans cette famille,
et il va entretenir des rapports sexuels avec tous les membres de la famille. Ceux-ci vont
être transformés, ils vont avoir des révélations. Il y a une dimenson sociale et marxiste :
le père, riche industriel, va donner à la fin du film son usine à ses ouvriers puis se
déshabille et, complètement nu, part dans le désert. La bonne a une révélation aussi, elle
retourne dans la ferme de son enfance puis lévite vers le ciel.
Bref, une sorte d’ange, un inconnu, arrive dans cette famille et va faire prendre
conscience à chacun de la nullité de leur existence et de la nécessité de trouver une autre
dimension à leur vie, une dimension mystique.

172
Séance n°19 : Le nouveau cinéma allemand

1. Le cinéma allemand sous le régime nazi (1933-1945)


A) Dates-clés
Le cinéma nazi commence avec l’avènement d’Hitler en 1933. Goebbels est nommé
ministre de la propagande et devient donc ministre du cinéma. Dès 1934, une “loi sur le
cinéma” est votée, qui vise à promouvoir l’idéal national socialiste pas le biais du cinéma.
Le cinéma est traité à l’égal des autres arts, qui doivent aussi soutenir le projet national
socialiste. Certains grands peintres modernes ne vont plus pouvoir exposer leurs
oeuvres car elles ne s’accordent pas avec l’idéologie raciste du régime allemand.

En 1936, la UFA va être nationalisée, ou plutôt étatisée. On nomme à sa tête un cinéaste


nazi, Carl Froelich, chargé de contrôler la UFA et de prendre les mesures nécessaires
pour que la UFa produise des films en accord avec l’idéologie nazie.

Pendant la guerre, la UFA et une autre grande société, la TOBIS, vont s’associer avec 138
autres petites sociétés de production de films pour créer le Konzern Universum
Industrie (UFI) doté d’un capital énorme, de 5 studios, 27 plateaux…

B) Entre le divertissement et la propagande


Le Konzern va produire deux catégories de films : des films de fiction et des
documentaires, qui se distinguent pas leur rapport à la propagande. Goebbels dira en
1937 cette phrase célèbre : “la propagande cesse d’être efficace à l’instant où sa présence
devient visibile”. La fiction va, du coup, faire de la propagande sans l’afficher. Alors que le
documentaire sera porteur d’une charge propagandiste affichée.

La fiction :
La fiction devient un cinéma divertissant. C’est essentiellemnt un cinéma de genre (film
musical, comédie, mélodrame, film d’aventure). Il s’agit globalement de divertir, faire
rire, faire pleurer, faire rêver le public.

Le chant occupe une position centrale dans le film musical : on va mettre en scène des
airs populaires allemand, ce qui permet donc de flatter la fibre nationaliste. Dans ces
films, on intègre des actrices populaires et même des stars de l’opérette et de la chanson,
comme Zarah Leander, une toute grande star du cinéma et de l’opéra nazi, qui va
notamment jouer pour Hans Detlef Sierck. Ce dernier est un réalisateur allemand qui
partira aux Etats-Unis, où il prendra le nom de Douglas Sirck et deviendra un tout grand
cinéaste américain, maitre du mélodrame. La Habanera est son dernier film allemand,
c’est un mélodrame.

Un genre typiquement allemand prend son essor à ce moment là : le Heimatfilm.


“Heimat” signifie patrie, mais vient en même temps de “heim” qui veut dire le foyer, le
chez soi. C’est donc un film entre la patrie et le chez soi, qu’on pourrait traduire par la
notion de “terroir”.
Le heimatfilm va se développer, notamment avec le film Heimat de Carl Froelich, avec
Zarah Leander. Ce sont des films profondément ancrés dans le terroir allemand,
régional, qui alimente le nationalisme allemand. Dans ces cadres magnifiques, où la

173
nature est splendide, on aura des héros qui vont devoir se dépasser, se confronter à la
nature qui est belle mais aussi hostile. Le héros est déjà un héros nazi : on vante la
capacité d’un homme seul dans un milieu hostile et qui vainc les obstacles.

Les films de fiction se veulent coupés de l’actualité allemande, mais ils installent un
natonalisme implicite.

Un film devenu tristement célèbre est Le Juif Suss, de Veit Harlan en 1940. C’est un film
ouvertement antisémite, qui raconte comment un bourgeois juif s’introduit dans la Cour
et fini par obtenir le pouvoir. Il va alimenter la peur et la haine du juif. C’est un des rares
films de fictions qui se met ouvertement au service de l’antisémitisme.

Le documentaire :
Au niveau du documentaire par contre, l’idéologie nazie n’est pas implicite, elle est
claire.

Une cinéaste majeure du film de propagande, en dépit du fait qu’elle était l’égérie
d’Hitler et probablement sa maitresse, est Leni Riefenstahl. C’est une femme
infatiguable, elle a eu une longue ville, elle a aussi fait de la photographie partout dans le
monde. C’est une vraie nazie, mais qui a du talent. Elle va être chargée de réaliser les
grands films de propagande du 3e Reich.

Pour son film Le Triomphe de la volonté de 1935, elle va filmer les congrès du parti à
Nuremberg en 1933 et 1934. Elle dispose de moyens colossaux pour pouvoir le faire. Le
Triomphe de la volonté est une superbe production documentaire de Leni Riefenstahl, où
elle va exploiter une écriture cinématographique héritée de Fritz Lang (géométrisation
des foules, symétrie, organisation architectonique des masses) à quoi s’ajoute le
mouvement d’appareil. Tout cela va contribuer à exalter la grandeur du Reich, la
grandeur de l’idéologie nazie, la grandeur du peuple allemand, et bien-sûr, la grandeur
d’Hitler. Bref, le langage cinématographique et les techniques cinématographiques au
service de l’idéologie nazie sont révolutionnaires.

Leni Riefenstahl fera aussi un film sur les Jeux-Olympique de Berlin en 1936, Olympia, en
utilisant les même moyens et surtout en faisant l’apologie du corps altétique, de la
puissance physique musculaire de l’indiviu, qui est vantée par l’idéologie nazie.

A côté de cela, il y aura d’autres films documentaires qui sont filmés notamment en
montagne, avec l’idée de la vie au grand air, de la vie sportive, où l’individu est capable
d’affronter une nature hostile. Ce sont des films qui refusent l’intellectualisme et, plus
largement, qui refusent tout ce qui est rationnel.

Le Kulturfilm :
Enfin, un autre genre documentaire apparait lors de la période nazie : le Kulturfilm. A
priori, c’est un film documentaire apolitique, mais dans lequel on va quand même vanter
le terroir, la culture populaire allemande. Il s’agit toujours de faire vibrer la fibre
nationaliste de la population allemande.

174
2. Le cinéma divisé et l’académisme : l’après-guerre et les
années 50
Après la seconde guerre et la chute du 3e Reich en 1945, l’Allemagne est en ruines, et elle
est coupée en 4 zones d’occupation. Cette division va être maintenue par la création en
1949 de deux républiques : la RDA et la RFA, qui vont connaitre deux histoires très
différentes.

a) En RDA
Les 80% des firmes de production, des entreprises de pellicules, … qui se trouvaient à
l’est tombent dans les mains des soviétiques.

En 1948, on fonde la DEFA, une société germano-soviétique financée par l’Allemagne de


l’est et totalement contrôlée par l’Etat, selon le modèle communiste. Mais le cinéma que
produit la DEFA n’est pas tellement différent du cinéma que produisait le régime nazi : la
société de cinéma est toujours contrôlée par l’etat et le cinéma que produit la DEFA reste
un cinéma de propagande. Simplement, le contenu des films a changé, on est passé de
films de propagande nazie à des films de propagande anti-fasciste. Le contenu change,
mais la forme demeure.

Cela va passer notamment par un genre de prédilection qu’on appelle le Trummerfilm ou


le film de décombres. L’Allemagne est en ruines, et on va exploiter les ruines des villes
allemandes comme arrière-fond apocalyptique d’une réflexion politique orientée sur les
leçons que l’Allemagne doit tirer de l’horreur nazie. C’est le cas notamment du film Les
assassins sont parmi nous, en 1946, de Wolfgang Staudte. Le nazisme s’était infiltré dans
toutes les couches de la population, et tout le monde n’était pas devenu antifasciste du
jour au lendemain. Les Allemands sont, dans un premier temps, affligés par la défaite,
puis par la honte. Il faudra du temps pour que la société allemande tire des leçons du
passé. Le film raconte l’histoire d’un chirurgien humilié par la ruine de l’Allemagne, qui a
du mal à se réadapter et qui va rencontrer une femme antifasciste qui va l’aider à
reprendre confiance et à agir. C’est un film qui a véritablement une fonction de
propagande.

b) En RFA
A l’ouest, la situation est totalement différente. Il n’y a pas d’industrie du cinéma en
Allemagne de l’est, les 20% restants de la totalité de l’industrie cinématographique
d’Allemagne ne serviront à rien.

A l’ouest, la population est amnésique, elle veut tout faire pour oublier l’horreur de la
guerre, pour fuir la réalité… Du coup, on va poursuivre la production du Heimatfilm ou
bien on va produire des séries. Ce sont des films légers dans lesquels on voit des familles
paisibles, heureuses, qui vantent encore le terroir allemand.

Le cinéma de l’Allemagne de l’ouest stagne. Il est totalement neutralisé. Le rôle de


propagande insidieuse qu’avait le Heimatfilm n’est plus au service du pouvoir mais
continue a exister dans les mentalités. Il faut que le cinéma trouve son public, donc on
continue de faire ce qu’on faisait auparavant.

175
Le cinéma de l’Allemagne de l’ouest stagne pour plusieurs raisons :

Premièrement, en 1947, 65% des techniciens et des producteurs avaient commencé à


travailler sous le régime nazi. On ne peut pas se changer du jour au lendemain, ces
techniciens et producteurs ont un héritage et ils doivent vivre avec.

Deuxièmement, le cinéma allemand sous la période nazie était un énorme marché, sur le
territoire allemand mais aussi sur tous les territoires occupés. Désormais, il est réduit
aux seuls territoires de l’Allemagne de l’ouest. Alors que le cinéma de l’est, lui, est
largement diffusé dans tous les pays communistes.

Troisièmement, les américains occupent le territoire allemand et donc ils diffusent leurs
produits. La production américaine domine le marché allemand.

Quatrièmement, les Alliés mettent en place, pendant la période d’occupation, une


Commission de contrôle du cinéma. Cette commission de contrôle est dominée par les
américains. Elle est chargée d’éviter que ne se constituent des consortiums, c’est-à-dire
des grosses sociétés de production. Les sociétés de production allemandes sont
contraintes à travailler à partir de petites structures décentralisées. Une loi est votée,
qui interdit que ces petites structures s’associent entre elles pour créer de grandes
firmes dans lequelles ont pourrait investir.

Le cinéma ouest allemand se retrouve donc replié sur le marché intérieur, lui-même
dominé par le cinéma américain. Toutes ces raisons ont étouffé tout ce qui pouvait
relancer la créativité du cinéma allemand. En résulte donc une domination totale du
Heimatfilm, qui marche bien, parce que le public allemand a besoin de divertissement
léger, parce que les décors naturels suffisent donc que ce sont des films bon marché, et
enfin parce que ces films-là sont inoffensifs, ils ne vont donc pas déranger l’occupant. On
maintient le cinéma dans une position qui reste coupée des réalités de l’Allemagne.

3. Emergence du Nouveau cinéma allemand à partir de


1962

1. Le manifeste d’Oberhausen (1962)


Un premier changement apparait en 1962, date importante dans l’histoire du cinéma. Le
renouveau français et italien de l’époque va inspirer certains cinéastes allemands, qui
vont demander à l’état de renouveller le cinéma allemand et qui vont signer un texte
manifeste, le manifeste d’Oberhausen (1962). Il y a 26 jeunes réalisateurs qui signent le
manifeste d’Oberhausen, qui n’avaient alors tourné que des courts métrages. Deux noms
parmi les 26 sont à retenir : Alexander Kluge et Edgard Reitz.

Le manifeste dit ceci :

L’effondrement du cinéma conventionnel allemand prive enfin de sa base financière un état


d’esprit que nous rejetons. Ainsi le nouveau cinéma a la possibilité de devenir vivant. 
Ces
dernières années, des courts métrages allemands de jeunes auteurs, réalisateurs et
producteurs ont obtenu de nombreux prix lors de festivals internationaux, et ils ont joui

176
d’une certaine reconnaissance de la part de la critique internationale. Ces travaux et leur
succès prouvent que l’avenir du cinéma allemand appartient à ceux qui ont démontré qu’ils
ont développé un nouveau langage cinématographique. 
En Allemagne, comme dans
d’autres pays, le court métrage est devenu le champ d’expérimentation du long métrage de
fiction.
Nous revendiquons le droit de créer le nouveau cinéma de fiction allemand. 
Ce
cinéma a besoin de nouvelles libertés. 
Liberté par rapport aux conventions habituelles du
secteur.
Liberté par rapport aux influences des partenaires commerciaux.
Liberté par
rapport à la tutelle des groupes d’intérêt.
Nous avons des idées concrètes touchant à
l’esprit, à la forme et à l’économie au sujet de la production du nouveau cinéma
allemand.
Tous ensemble nous sommes prêts à prendre des risques économiques. Le vieux
cinéma est mort. Nous croyons au nouveau cinéma. 


Ce que les jeunes réalisateurs pointent, c’est que le Heimatfilm n’a plus de moyens
financiers. Ils voient la possibilité d’exploiter un nouveau cinéma. Ce manifeste est signé
par des réalisateurs qui partagent d’une part la même volonté de rupture avec le cinéma
qu’ils appellent conventionnel, mais ils partagent aussi l’idée d’un renouvellement du
cinéma, à la fois sur le plan de l’esthétique et du langage mais aussi sur le plan de
l’économie.
Cette jeune génération va défendre, très clairement, un cinéma d’auteur.

Mais ce manifeste reste extrêmement vague, il se contente de dire que les signataires
sont prêts à prendre des risques, mais ne dit pas comment. Il n’empêche que ce courant
est puissant et que ce texte va avoir des effets concrets dans les années qui vont suivre.
La RFA va créer une Commission pour le développement du jeune cinéma allemand,
avec pour objectif d’accorder des prêts à des jeunes réalisateurs pour qu’ils puissent
réaliser leurs films. Ce système de subvention permet notamment à Alexander Kluge de
réaliser son premier film en 1966, Anita G, un film très intellectuel, très novateur dans la
forme qu’il donne au récit, qui s’appuie sur un très grand réalisme et qui est inspiré de
l’oeuvre de Godard. Kluge est l’auteur d’une oeuvre cinématographique et littéraire
remarquable, mais aussi philosophique. Ce système permettra aussi à Werner Herzog de
réaliser son premier film en 1968, Signe de vie.

2. Emergence d’une nouvelle génération d’auteurs à partir de 1970


Le deuxième effet du manifeste, c’est la création de plusieurs écoles de cinéma, d’où vont
sortir une nouvelle génération de cinéastes, parmi lesquels ceux qui sont les grandes
figures du nouveau cinéma allemand : Alexander Kluge, Wim Wenders, Werner
Schroeter, Hans-Jurgen Syberberg, Volker Schlondorff, Rainer Werner Fassbinder. Ce
sont tous de grands auteurs qui vont faire des choses très différentes les uns des autres.
C’est une nouvelle génération, pas une école. Ils se connaissent, mais certains se
détestent. Ils ont en commun d’être tous nés à la fin de la guerre, ou juste après la
guerre. Ils sont donc totalement étrangers au cinéma nazi, qu’ils n’ont pas connu et qui
ne les a en rien formé. A part Alexander Kluge, ce ne sont pas les signataires du
manifeste, mais sans le manisteste ils n’auraient pas pu émerger au début des années 70.

Ce nouveau cinéma émerge grâce à d’autres facteurs de développement. En 1970,


Fassbinder et d’autres s’associent pour créer une société destinée à promouvoir le
cinéma allemand et à protéger la distribution de leurs films à l’étranger : fondation en
1970 du Filmverlag der Autoren.

177
La télévision représente aussi encore un autre facteur de développement. La télévision a
été la cause principale du déclin du cinéma dans certains pays, mais elle a permis aussi à
certains cinéastes de produire leurs films. C’est le cas en Allemagne, où les jeunes
réalisateurs vont recevoir des commandes de la télévision allemande et cela va leur
permettre de faire leurs premiers films. Fassbinder par exemple est surtout connu en
Allemagne grâce à ses séries pour la télévision.
D’autre part, la télévision va aussi développer un nouveau cinéma documentaire, qui n’a
plus rien à voir avec le Kulturfilm, et qui sera un documentaire extrêmement critique sur
le passé récent de l’Allemagne. Dans ces fims, on n’hésitera pas à dénoncer l’héritage
nazi encore dominant dans l’Allemagne des années 50. Les jeunes cinéastes vont
s’inspirer du cinéma direct américain (voir séance 20).

Le nouveau cinéma allemand qui émerge dans les années 70 est très hétérogène. C’est
un cinéma d’auteur. Les cinéastes ont en commun d’appartenir à la même génération, ce
qui a fait qu’ils se sont cherchés non pas un père du cinéma (puisque leurs pères étaient
les nazis) mais bien un grand-père. Ils vont se reconnaitre chez des cinéastes d’avant,
comme Fritz Lang ou encore Douglas Sirk (d’origine allemande mais parti à Hollywood).
La relation que ces cinéastes ont avec les USA est une relation très forte chez certains
d’entre eux. Le voyage Europe-Usa sera aussi au coeur d’un certain nombre de leurs
films. C’est le cas pour le film Alice dans les villes de Wim Wenders.

Il y a un deuxième élément qui les lie : leur rapport à l’étranger : au pays étranger,
d’abord, puisqu’ils sont surtout connus à l’étranger, bien plus qu’en Allemagne.
Puisqu’ils ont un public à l’étranger, ce sont des voyageurs, ils vont beaucoup circuler (à
l’exception de Fassbinder). Ils sortent des frontières de l’Allemagne fédérale, mais ils ne
s’exilent pas totalement. En même temps, on voit bien que leurs personnages sont eux-
mêmes en quête d’identité. Ils sont en rupture avec leur milieu social, ce sont des êtres
solitaires, perdus, en quête d’un sens à leur existence, que bien souvent ils ne trouveront
pas. C’est le fameux thème de la quête existentielle, et on va par conséquent beaucoup
retrouver aussi la notion d’errance dans leur cinéma.

Enfin, dans leurs films, il y aura quantité de références aux cinéastes auxquels ils se
réfèrent. La cinéphilie est très importante pour eux.

4) Projection
Rainer Werner Fassbinder, Tous les autres s’appellent Ali, 1974.
Avec Brigitte Mira et El Hedi BV en Salem.

Ce film est très représentatif du rapport de Fassbiner au cinéma de Douglas Sirk. C’est
une transposition de l’intrigue d’un film de Sirk (Tout ce que le ciel permet), que
Fassbinder va revisiter et transposer. Le cinéma de Douglas Sirk est classique, le
réalisateur développe une esthétique assez clinquante en jouant très fort sur des
couleurs vives fortement opposées, et donc sur l’irréalisme du mélodrame. Mais il y a
chez Douglas Sirk une réelle vision ironique de la société américaine, qui lui permet de
dénoncer certains travers de cette société, particulièrement dans Tout ce que le ciel
permet. Ce film raconte l’histoire d’une veuve qui fait la connaissance d’un homme qui a
20 ans de moins qu’elle. La dame appartient à la petite bourgeoisie d’une petite ville où,
selon la tradition, chacun doit vivre dans une maison de verre, c’est-à-dire que tout le
monde doit savoir que ce que chacun fait. Dans cette société, il va de soi qu’il y a encore

178
une logique de classe. Cette dame va tomber amoureuse du jeune homme, une relation
affective a lieu entre eux, ils sont réellement amoureux l’un de l’autre. Sirk décrit cela en
insitant sur l’invraisemblance de la situation mais surtout sur la situation sociale qui
pèse sur le couple. La dame veut se marier mais la société va l’en empêcher.

Ce film va profondément marquer Fassbinder, qui va s’en inspirer tout en le


transformant beaucoup. Il va raconter l’histoire d’une dame veuve qui tombe amoureuse
d’un homme beaucoup plus jeune, mais qui est surtout un immigré marocain. C’est une
histoire d’amour qui sort des conventions sociales, c’est ça que Fassbinder reprend à
Douglas Sirk, et il l’actualise dans les problèmes de son temps à lui. On va retrouver des
thèmes tels que la peur de l’autre, la lutte des classes, et une thématique sur laquelle on
reviendra, celle de l’enfermement.

3. Principaux auteurs

Werner Herzog : /

Rainer Werner Fassbinder


Fassbinder vient d’une famille assez aisée. Dans ses films, il va sans cesse critiquer la
société.

Dès l’âge de 20 ans, Fassbinder va rejoindre une troupe de théâtre, l’Action Theatre de
Munich. Il ne cessera jamais de faire du théâtre en parallèle avec le cinéma, tant comme
scénariste que comme comédien (il a d’ailleurs un rôle dans Tous les autres s’appellent
Ali).
Le théâtre sera important dans son travail cinématographique : à certains moments il
décrira ses pièces dans ses films. Il travaille dans des espaces très clos, très étroits. Pour
le cinéma, il engage des comédiens du théâtre.

Il quitte l’Action Theatre de Munich et fonde l’Anti-Theater, qu’il va diriger. Mais ça ne


fonctionnera pas, parce que Fassbinder est trop autoritaire. C’est un bourreau de travail,
il réalise 10 films en moins de 10 ans. Ce sont des films dans lesquels il y a beaucoup
d’improvisation, dont une influence marquée de la Nouvelle Vague.

Mais c’est surtout durant la décennie des années 70 que son oeuvre prend une
dimension exceptionnelle. En 10 ans, il réalise une trentaine de films, ainsi que des
téléfilms parfois très longs et de très nombreuses pièces de théâtre. Sa productivité et sa
créativité sont stupéfiantes. Mais cette productivité intense est aussi le fruit du fait qu’il
se drogue, ce qui causera sa mort prématurée en 1982, à moins de 40 ans.

Il y a un premier ensemble de caractéristiques dans ses films qui couvrent toute la


période de son oeuvre, surtout celle du début : Fassbinder a réalisé en cinéma une sorte
de comédie humaine. Il va dépeindre la société allemande de son temps, mais aussi celle
des années 50

En 1971, Fassbinder découvre le cinéma de Douglas Sirk. A partir de là, son cinéma
prend une dimension plus mélodramatique. Il découvre toutes les possibilités
cinématographiques du mélodrame, qui sont des possibilités d’expression et des

179
manière de toucher directement le public, mais en même temps, c’est aussi une façon de
décrire la société.

A partir de 1775, Fassbinder exprime de plus en plus ouvertement son homosexualité.


Fassbinder était jusqu’alors bi-sexuel, et à partir de 75 il devient uniquement
homosexuel. Dans Le droit du plus fort (1975), il interprète lui-même un rôle
d’homosexuel, et L’année des 13 Lunes (1978) raconte l’histoire d’un transexuel, qui est
finalement rejeté de tous.
A partir de 1975, il continue à analyser et à critiquer la société allemande, mais à partir
de personnages qui sont mis sur le côté, qui sont exclus. En même temps, il va s’en
prendre à toutes les idéologies, au capitalisme autant qu’au communisme. Il y a un parti
pris de prendre la défense des isolés, de ceux qui ne se reconnaissent dans aucune
collectivité, aucune idéologie.

Vers la fin des années 70, il entreprend la trilogie de la RFA. Ce sont trois films qui
reviennent sur l’histoire de l’Allemagne.
Le premier, Le mariage de Maria Braun (1979) raconte l’histoire d’une femme qui va,
pendant 40 ans, traverser l’histoire de l’Allemagne, du nazisme jusqu’à dans les années
70. Maria Braun, c’est la personnification de l’Allemagne.
Le deuxième film, Lili Marleen (1981), c’est l’histoire d’une chanson célèbre qu’on
chantait pendant la guerre. Fassbinder va raconter l’histoire de la chanteuse, comment
elle va être prise en main par le régime nazi, et comment on va exclure tous ceux qui
sont autour d’elle, à commencer par son mari.
Le troisième et dernier film, Le Secret de Veronika Voss (1981) c’est l’histoire d’une
ancienne star du cinéma nazi, qui sombre dans la drogue et la folie, et qui est
littéralement enfermée dans son appartement blanc. A travers ce personnage de victime,
du régime nazi mais aussi de l’enfermement dans lequel elle se trouve, Fassbinder en
profite pour montrer comment la société des années 50 ne s’est toujours pas émancipée
du nazisme.

En 1981, Fassbinder réalise aussi Lola. Lola est une femme allemande, elle est aussi le
symbole de l’Allemagne. C’est une prostituée. Fassbinder revisite un autre film de
l’histoire du cinéma : L’Ange Bleu de Joseph von Sternberg. Fassbinder en profite pour
faire à nouveau la description de la société allemande, notamment en montrant la façon
dont les hommes vont exploiter cette femme prostituée.

Son dernier film, en 1982, c’est Querelle. C’est l’adaptation d’un roman de Jean Genet.
C’est un film très autobiographique, qui décrit un milieu homosexuel extrêmement dur,
celui des marins. Il tourne ce film entièrement en studios. A nouveau, c’est un film sur la
violence sociale, à l’intérieur d’une part de la hiérarchie de la marine et d’autre part à
l’intérieur de l’homosexualité.

Pour produire ses films, Fassbinder bénéficie d’une aide de l’état accordée aux jeunes
auteurs ainsi que d’une aide de la télévision, qui va inverstir dans ses films mais surout
dans ses téléfilms.

Tout son cinéma est animé par un questionnement permanent sur la société allemande
et sur la place de l’individu dans cette société. Son cinéma reste extrêmement localisé
dans la RFA. Mais tout en restant localisé, son cinéma va explorer minutieusement

180
toutes les facettes de la société allemande, à partir de de ces figures de marginaux,
l’ensemble des “autres” (prostituées, immigrés, homosexuels…). “L’autre” est la figure
fondamentale dans le cinéma de Fassbinder.

Il y a un autre personnage qui revient dans certains de ses films, c’est le personnage du
GI (soldat américain), souvent interprété par le même homme. Ce personnage, il est là
mais il ne fait rien. On ne sait pas pourquoi il est là. Dans Lola le GI est dans le bar, dans
Véronika il est dans la maison même de Véronika, mais il n’intervient pas. Il est toujours
à l’arrière-plan, il fait partir du décor. C’est en quelque sorte le personnage qui ne cesse
de nous rapppeler que l’Allemagne est occupée, que l’Allemagne est sous l’emprise
américaine, et indirectement il rappelle aussi que l’Allemagne a beaucoup de mal à se
reconstruire et à retrouver son autonomie. Enfin, le personnage du GI rappelle aussi ce
qui est en train de changer en Allemagne

Fassbinder ne se contente pas de décrire les exclus, les marginaux, il décrit aussi les
oppresseurs, et en particulier le pouvoir de l’argent, le pouvoir des hommes d’affaires,
des capitalistes. Cette confrontation opressant/opprimés est toujours présente dans
l’oeuvre de Fassbinder.

L’enfermement est aussi une thématique et une forme fondamentale du cinéma de


Fassbinder. Dans tous ses films, nous ressentons un sentiment d’étouffement. Les
personnages opprimés vivent dans des lieux étroits, confinés, dans un univers
surchargé.
Dans Tous les autres s’appellent Ali, dans l’appartement d’Emmi, la cuisine est minuscule,
il faut se serrer à la table, etc. Même dans d’autres plans dans lesquels il semble y avoir
plus d’espace, comme la scène du restaurant, l’espace est grand et vide mais les
personnages sont filmés à travers la cadre de la porte, pour montrer à quel point ils sont
enfermés dans un espace qui les opprime. Cet espace qui les opprime exprime
l’enferment social dans lequel ils se trouvent. Cet espace confiné explique aussi le conflit
permanent entre les opprimés et les oppresseurs. Quand les trois enfants d’Emmi sont
chez elles et qu’elle annonce qu’elle s’est mariée à Ali, on les voit à 4 dans le petit salon
et il n’y a aucun espace autour eux : cela exprime la pression qui pèse sur Emmi et Ali.

A côté de cela, on ne retrouve pas la thématique de l’errance chez Fassbinder (alors que
c’est un thème qu’on retrouve beaucoup chez Herzog et Wenders). Les personnages sont
immobiles au centre du plan, il ne se passe rien. L’immobilité va avec l’enfermement.
Mais il n’y a pas d’errance, pas beaucoup de trajets, etc.

Dans Le Droit du plus fort, l’amant de Franz travaille dans un petit bureau vitré qu’on va
filmer de l’extérieur, encore un fois pour montrer que les personnages sont enfermés.
Les Larmes amère de Petra von Kant, c’est adaptation d’une pièce de théâtre, c’est
presque du théâtre filmé. Et le théâtre est aussi, par définition, un huis clos.

Sur le plan de la production, Fassbinder s’entoure d’une véritable troupe d’acteurs, de


techniciens… Il travaille avec une équipe réduite, ce qui va lui donner la possibilité de
travailler beaucoup.

L’ensemble de son cinéma est un cinéma mélodramatique, ses personnages sont des
victimes de la société, des opprimés face à des oppresseurs, ils sont plongés dans des

181
conflits souvent amoureux, des amours impossibles (autant homosexuels
qu’hétérosexuels).

Il reprend a Douglas Sirk son esthétique, c’est-à-dire une esthétique kitsch, dans laquelle
il donne la priorité à la couleur et à l’éclairage. C’est absolument non-naturaliste. Dans
Tous les autres s’appellent Ali, à l’intérieur de chez de la fille du café, il y a des couleurs
très fortes, qui ne sont pas complémentaires et qui sont à l’encontre du bon goût tel
qu’on le cultive en histoire de l’art.
Enfin, Fassbinder accorde beaucoup d’importance au mobilier, au papier peint, aux
objets considérés par les gens de bon goût comme des choses de mauvais goût. Comme
Douglas Sirk, il travaille avec des couleurs colorées pour dénaturaliser les scènes.
L’éclairage artificiel est créé pour exploiter une imagerie qui montre combien l’univers
qu’il décrit est construit, et pour montrer cette distance par rapport au mélodrame.

182
Séance n°20 : Le cinéma américain indépendant
et le nouvel Hollywood

1) Les années 50 : la fin de l’âge d’or et le déclin


hollywoodien
Les années 50, c’est la fin de l’âge d’or, le déclin hollywoodien. Le grand cinéma classique
hollywoodien avait favorisé une esthétique homogène, qui constitue l’âge d’or de ce
cinéma et que l’on peut envisager globalement, en dehors des individualités. En d’autres
termes, des personnalités différentes pouvaient s’inscrire dans une esthétique qui
restait homogène. Mais il va y avoir des ruptures… La première rupture est celle de
Citizen Kane. D’autres cinéastes vont suivre, et vont avoir tendance à rompre avec cette
uniformité esthétique.

D’autre part, dans les années 50, la télévion entre dans les foyers. Les images en
mouvement entrent dans la maison, il n’est plus nécessaire de quitter son foyer pour
aller les voir au cinéma. Les chaines vont diffuser des films américains, mais aussi des
films non-américains. La fréquentation des salles commence à baisser, et cette baisse est
constante dans les années 50 et 60. Hollywood doit réagir.

Premièrement, Hollywood va réagir par la fuite en avant, c’est à dire en produisant des
films (comme il l’a toujours fait) mais en se disant que la seule façon de reconquérir le
public, c’est en faisant des super-productions, des productions monumentales. On
tourne notamment beaucoup de péplums dans les années 50, et des films comme Ben
Hur (de William Wyler), comme Les dix commandements (Cecil B. De Mille) ou encore
Spartacus (Stanley Kubrick). Tous ces films ont en commun que leurs réalisateurs vont
avoir énormément de conflits avec la production. Ce sont des films qu’ils vont finalement
renier. Ce sont des films de producteurs, conçus comme on le faisait auparavant.

La deuxième réaction d’Hollywood, c’est qu’il se prend lui-même comme univers


diégétique. Hollywood va parler de Hollywood (comme c’est le cas dans Chantons sous la
pluie). Mais Hollywood commence aussi à faire des films qui critiquent Hollywood…

Troisièmement, Hollywood va privilégier les films en couleurs, puisque la télévision


dans les années 50 est toujours en noir et blanc. On privilégie les western, les comédies
musicales…

Quatrièmement et dernièrement, Hollywood réagit par la technologie.


Le cinéma va proposer une image de très grand format. Hollywood va inventer le
Cinémascope, qui propose un nouveau format d’image. On va tourner bon nombre de
films dans ce format de 2,65 (pour une hauteur de 1, il y a une largeur de 2,65) alors que
le film standard classique avait un format de 1,37. Exemple : The Robe de H. Koster.
Après cela, d’autres formats vont s’imposer qui font qu’aujourd’hui c’est le 1,85 qui s’est
généralisé au cinéma. La fureur de Vivre nous montre un anti-héros, quelqu’un qui est
blasé.

Il y aura une autre inovation technique du même ordre : le VistaVision. C’est l’idée de
créer une caméra dans laquelle la pellicule circulera horizontalement et non plus
verticalement, ce qui permettra une image beaucoup plus large. Finalement, puisque les

183
salles ne sont pas équipées pour accueillir une pellicule horizontale, le VistaVision ne va
pas se généraliser mais cependant, on va avoir une image avec une qualité bien
meilleure.
La troisième innovation d’Hollywood, c’est la première vague de films en 3D dans les
années 50. Mais c’est une 3D qui ne fonctionne pas encore très bien, il y a parfois des
troubles de synchronisation des projecteurs. Un des plus célèbres films en 3D est It came
from Duter Space, de Jack Arnold en 1953. Avec la 3D, on revient très fortement à un
cinéma d’effets, où le récit est moins important que l’effet visuel, que la perception de
sensations physiques, donc on revient vers un cinéma d’attraction. En 1954, Hitchcock
tourne aussi un film en 3D : Dial M for Murder.

Hollywood, face à la télévision, va donc produire des films très spectaculaires, couteux,
basés sur des innovations techniques… Mais qui s’avèrent finalement peu rentables.

2) Les années 60 : violence et contestations


La crise hollywoodienne n’est pas du qu’au seul développement de la télévision.
Premièrement, les studios perdent petit à petit leur autonomie financière. Ils vont être
rachetés par les groupes industriels les plus puissants. Aujourd’hui, par exemple, Sony
(firme japonaise) est la propriétaire de la Columbia, de la MGM, de la United Artist…
Deuxièmement, c’est le déclin et la disparition des fondateurs d’Hollywood, qui étaient
les propriétaires des studios et parfois aussi les producteurs. Ils deviennent vieux et
perdent le contact avec la réalité sociale. John Ford, dans les années 60, réalise des films
qui critiquent le western classique. Mais il tourne son dernier film en 66. Fritz Lang
tourne son dernier film américain en 56. Bref, c’est la fin de carrière de tous les grands
maitres du cinéma classique hollywoodien. C’est la même chose avec les acteurs, qui
vieillisent et sont de moins en moins présents sur les écrans.
Troisièmement, c’est l’andandon progressif du fameux code Hays, supprimé en 1966. Il
est remplacé par un nouveau système de classement des films selon des classes d’âge
des spectateurs. C’est ce nouveau système-là qui va permettre que soient tournés des
films pour adultes, et donc qui va faire naitre notamment le développement
extraordinaire du cinéma pornographique. Il existait avant, mais de manière cachée.

Mais la principale raison du déclin hollywoodien reste essentiellement une évolution de


la société, des réalités sociales, mais aussi de la politique américaine, notamment dans le
cadre de la guerre du Vietnam. Les années 60 sont marquées par la violence et la
contestation.
Avec la généralisation de la télévision, ce n’est pas seulement une menace économique
qui pèse sur Hollywood, c’est aussi une menace visuelle. Alors que Hollywood continue à
produire des films complètement coupés du monde, la télévision, elle, déverse tous les
jours, à 20 heures, les images horribles de tous les conflits mondiaux, particulièrement
les images de la guerre du Vietnam dans laquelle sont engagés les USA. On voit aussi les
images d’assassinats publics (celui de Kennedy, de Malcolm X, de Martin Luther King…).
Il n’y a pas plus de violence qu’auparavant, mais les images de la violence se déversent
tous les jours dans les foyers américains. Les images du cinéma paraissent alors bien
insipides…

184
Il y a aussi une crise de société, que nous avons étudiée lors de la séance sur le film noir.
La cellule familiale est bousculée par l’émancipation des femmes et par une profonde
crise de la masculinité.

Cette profonde crise va être animée par toutes sortes de mouvements contestataires,
notamment un mouvement de constation littéraire qui bouleverse la littérature. Il y a un
mouvement plus large, le mouvement hippie, qui critique la guerre, qui critique le
capitalisme… Il y a aussi le mouvement “flower power”, qui mettait des fleurs dans les
fusils des soldats. Cette génération est aussi liée à l’usage des drogues, en particulier du
LSD, qui a donné quelques hallucinations qui vont fortement se retrouver dans certains
films.

C’est également l’époque du mouvement pour les droits civiques, les revendications
pour les noirs américains d’obtenir les mêmes droits que les blancs (avec Rosa Parks,
Martin Luther King…), tout cela sur fond de guerre du Vietnam qui fait l’objet de
contestations de plus en plus fortes, avec notamment des images et des photos qui
montrent que les USA sont liées à l’horreur du Vietnam. Ils sont responsables de
l’horreur, ce n’est pas seulement une guerre de libération comme on leur avait fait
croire. En 1967, il y a une énorme manifestation à Washington, la marche sur le
Pentagone.

Les USA se désengagent du Vietnam en 1973. Le sud du Vietnam est conquis par le nord
peu de temps après. Les soldats rentrent aux USA, où ils vont être exclus de la société.
Beaucoup d’entre eux reviennent avec des troubles psychologiques qui vont nourir de
nouveaux scénarios. Beaucoup de films vont prendre comme toile de fond la guerre.

Dans les années 60, il n’y a pas que cette transformation de la société américaine. Il y a
aussi le fait qu’ailleurs dans le monde, le cinéma a changé. On découvre le néo-réalisme
italien, le cinéma de l’Europe de l’est, la Nouvelle Vague en France… Un peu partout dans
le monde, le cinéma change. Le cinéma moderne devient un phénomène mondial.
Beaucoup de ces films sont engagés sur le plan social et politique. Dans cette décenie
prodigieuse en Europe, le cinéma américain stagne. En 1953, Hollywood ne produit que
121 longs métrages. C’est le chiffre le plus bas de toute l’histoire du cinéma américain.

Cependant, certains cinéastes vont quand même faire un nouveau cinéma, qui prendra
des formes très variées, avec un détournement et un métissage des genres.

Tout d’abord, il va y avoir des films sur la politique. Par exemple, The Manchurian
Candidate, réalisé par John Frankenheimer en 1962, s’en prend directement à la
politique américaine et à cette paranoïa qui habite bon nombre de dirigeants
américains. Dr Strangelove de Kubrick parle de l’apocalypse nucléaire, du jour où on va
pousser sur le bouton rouge et où les missiles vont tomber sur la planète entière… C’est
aussi un film dans un style proche du burlesque, c’est une comédie satirique. M.A.S.H., de
Robert Altman, est aussi une comédie et traite des illusions du Vietnam de façon
détournée.

Aussi, dans les années 30, les personnages de gangsters étaient interprétés par des
brutes épaisses, des personnages immatures et enfantins… Ici, dans Bonnie and Clyde,
Arthur Penn décide de prendre deux jeunes, très beaux. Le film nous fait vivre avec et

185
nous fait pratiquement aimer leur mode de vie alors qu’ils pratiquent des meurtres en
série, et que le film est d’une extrême violence. Dans Little Big Man, Arhtur Penn
ridiculise le général Kuster. Le Western est un genre très conservateur mais ici, on
attaque l’image même des USA dans ces films dont on a dit qu’ils étaient des épopées
mythiques.
Il y a également des films qui s’inspirent directement du cinéma moderne européen (les
films de John Boorman, William Friedkin, Mike Nichols…)

Enfin, il y a un retour au film d’horreur. C’était un genre qui avait connu ses heures de
gloires dans les années 30 et 40. Il revient dans les années 60, notamment autour du
réalisateur Roger Corman (ex : La chute de la maison Usher) qui fait des films qui restent
assez classiques, mais en même temps il va avoir de jeunes assistants qui vont travailler
avec lui et qui vont être très marqués par son cinéma, dont il se souviendront dans la
décennie suivante. Il y a aussi un retour des films démoniaques (ex : Rosemary’s Baby de
Roman Polansky), et du film de zombie (ex : La nuit des Morts Vivants de George
Romero). Sous le prétexte du zombie, on aura une critique acide de la société
américaine.

Enfin, un nouveau genre apparait : Le road movie. Ce genre apparait avec Easy Ride en
1969, de Dennis Hopper et Peter Fonda. C’est l’histoire de deux jeunes qui partent en
moto et sillonnent le territoire américain. Ils se droguent. En même temps, c’est le
portrait d’une fracture terrible entre deux générations, la leur qui veulent tout changer,
et la génération de l’Amérique profonde, conservatrice.
A partir de là, le road movie devient un genre. On s’en inspire, d’autant qu’il se fonde sur
le grand thème moderniste qu’est l’errance. Dans le film, les deux jeunes déambulent,
libres, sans but.

3) Emergence d’un cinéma moderne et indépendant


Parallèlement à cette évolution d’Hollywood, il y a l’émergence d’un nouveau cinéma
moderne indépendant.

Le cinéma direct : L’émergence du cinéma moderne commence avec le cinéma direct, qui
va avoir une influence énorme sur l’histoire du cinéma, jusqu’à aujourd’hui. C’est une
influence prépondérante, notamment lorsque télévision et cinéma vont finir par se
ressembler.
Le cinéma direct est un cinéma documentaire, qui se caractérise par l’envie de filmer le
réel et de transmettre la vérité. On va tourner essentiellement en 16mm, caméra à
l’épaule, donc avec des moyens techniques légers. Dans Primary de Robert Drew, on suit
Kennedy en tant que prédisant démocrate. Il y a aussi Don’t Look Back de Pennebaker,
un film sur Bob Dylan, et encore Titicut Follies, un film dans lequel le réalisateur
Wiseman investit un lieu et y reste pendant des semaines, en filmant. C’est un des tous
grands maitres du cinéma documentaire contemporain. Enfin, il y a aussi les frères
Maysles avec notamment leur film Gimme Shelter,sur le fameux concert des rolling
stones en 1969.

Le cinéma underground : Le cinéma underground est la résurgence du cinéma


expérimental des années 20 en Europe. Avec Stan Brakhage, Jonas Mekas, Kenneth
Anger, Andy Warhol…

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Auteurs majeurs du cinéma indépendant américain :
- John Cassavetes :
John Cassavetes est au départ un acteur, qui a reçu une formation d’acteur dans une
célèbre école américaine, d’où sont sorties toutes les grandes vedettes américaines des
années 50-60. Cassavetes commence sa carrière au théâtre, puis à la télévision et enfin
au cinéma. Tout en poursuivant sa carrière d’acteur, il va avoir une carrière de
réalisateur (il va réaliser les films dans lesquels il joue).
Son premier film est d’emblée un coup de maitre : c’est Shadows, en 1959. Au départ, ce
film n’est qu’un exercice tourné dans une école de théâtre avec ses élèves. Ce n’était pas
du tout destiné à être distribué. Dans cet exercice, l’idée de Cassavetes, c’est d’appliquer
au film lui-même le principe d’improvisation, qui caractérise le jazz lui-même. Avec ses
élèves, il va travailler, trouver une thématique, une histoire qui est à la fois particulière
mais en même temps pas très originale : c’est l’histoire d’une famille afro-américaine,
dont la jeune fille n’est pas noire. Elle tombe amoureuse d’un garçon qui tombe lui aussi
amoureux d’elle.
Mais le jeune homme va se rendre compte de ce qu’il ne savait pas : elle est noire.
Immédiatement, il rompt avec. C’est donc un film qui traite de la discimination raciale.
Mais la vraie nouveauté, c’est que le réalisateur laisse ses acteurs élaborer leur
personnages, et il les laisse aussi libres de circuler dans l’espace. Cassavetes les laisse
improviser. Il lui faut donc une caméra très souple, on va tourner avec une caméra
légère, portée à l’épaule. Finalement, ça marche tellement bien que le film va sortir sur
les écrans et va avoir un accueil formidable par la critique new-yorkaise.

Le succès du film invite Hollywood à appeler Cassavetes. Mais ce dernier n’acceptera pas
le système hollywoodien. A partir de là, il va mettre en place un vrai système de
production. Il continuera à travailler à Hollywood comme acteur. Il va s’entourer d’une
petite équipe d’acteurs, qui vont devenir très célèbres : Gena Rowlands, Seymour Cassel
et Ben Gazzara.
Mais Cassavetes n’est pas riche, et donc il va financer ses films d’une part avec ses
cachets d’acteurs, d’autre part avec une carte de crédits. Il paye tout à crédit. Et en
général, ses films marchent suffisamment bien pour rembourser la carte de crédit.

Son cinéma, c’est un cinéma dans lequel l’acteur est roi. La scène se construit par le
corps des acteurs dans un espace confiné (comme au théâtre). On filme en plans serrés,
caméra à l’épaule. La thématique récurrente est la famille, la petite communauté,
l’intime…

- Stanley Kubrick :
Stanley Kubrick est autodidacte, il ne passe donc ni par les studios, ni par les écoles de
cinéma. Il se forme au cinéma en regardant des films. Et il regarde les films d’auteurs
européens.

Ses premiers films sont des films de genre, comme par exemple The Killing, un film de
gangster. Il part ensuite à Hollywood où on lui confie la réalisation Spartacus. A nouveau,
Hollywood ne reconnait pas son talent et ne le considère que comme un talentueux
techniciens. Kubrick renie son film et quitte Hollywood, il part en Angleterre. Au total,
Kubrick va explorer tous les genres (sauf le western) : film noir, film de science fiction,
film de société, film historique à costume…

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Tous ses films sont des chefs d’oeuvre qu’il controle lui-même. Ce sont des films de
genre, mais qu’il revisite et qu’il transforme. Son oeuvre peut paraitre hétérogène par
rapport à son contenu, mais au-delà de cela il y a une certaine vision de l’homme, qui est
assez désabusée.

- Woody Allen :
Woody Allen est un cinéaste new-yorkais qui travaille essentiellement à New-York. Il est
juif. Il commence comme humoriste dans des music-hall, en pratiquant l’autodérision :
il se moque de la mère dominatrice, du goût des juifs pour l’argent, de la mort.

La sexualité occupe une grande place dans son cinéma. Ses premiers films sont dans la
continuité de ses numéros d’humour, et ses premiers films sont des films burlesques.
Dans les années 70, il fait des films de parodie. Il réalise alors ensuite des films qui
restent légers mais qui ne sont plus burlesques. Son cinéma devient un cinéma
autobiographique, marqué par ses nombreuses aventures amoureuses. Il s’inspire lui
aussi des cinéastes modernes européens. On retrouve aussi dans son cinéma l’image du
juif oisif, qui se pose des questions existentielles.

4) Projection
Arthur Penn, Bonnie and Clyde, 1967. Avec Faye Dunaway et Warren Beatty, 112’.

Ce film est représentatif de la charnière entre l’ancien et le nouvel Hollywood. C’est un


film qui raconte une histoire très connue, mais en même temps ce n’est pas un film qu’il
faut regarder par rapport à l’histoire réelle de Bonnie and Clyde. C’est un film de
gangster, mais il revisite le genre. C’est un film qui, finalement, ne nous parle pas des
années 30. Il nous parle de 67. Mais il utilise une forme narrative, celle du film de
gangster, qu’il détourne pour parler de ce qui préoccupe une partie de la société
américaine de la fin des années 60.

Nous avons un couple de jeunes, séduisants, qui n’aspirent qu’à une seule chose :
pouvoir vivre libres. Et ils le font dans une totale insouciance et inconscience de ce qu’ils
font. Le film insiste beaucoup sur tous ces moments d’intimité, du simple plaisir de
vivre, mais qui sont des moments à chaque fois interrompus par une violence extrême.
C’est un film que l’on peut mettre en rapport avec une société dans laquelle un couple de
jeune peut un jour faire l’amour, et le lendemain, lui part à la guerre. Il y a là une
déchirrure profonde entre le désir de vivre simplement, et une contrainte sociale très
forte qui conduit à la violence.

Dans les scènes de fusillade par exemple, le film construit le récit de façon
invraisemblable. On se dit que cette fois, ils n’y échapperont pas. Le film est réaliste,
mais en même temps il construit des scènes invraisemblables. Il s’agit bel et bien
d’opposer la violence à la douceur de vivre, en dehors des contraintes sociales (comme
le mariage), en restant en dehors de la société.

Le film insufle une nouvelle vision de la société à travers une fiction qui est
spectaculaire. Le spectaculaire reste la donnée profondément cinématographique par
laquelle on va énoncer certaines choses quant à un malaise social qui divise la société
américaine. La scène la plus véridique, la plus représentative du réel, c’est la scène
finale. En dehors de cela, ce qui est frappant dans le traitement du film, c’est l’opposition

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constante entre Bonnie and Clyde d’un part, et tous les autres personnages d’autre part,
qui sont frustrés, coincés, vieux, qui sont aussi économiquement pauvres, ils sont
contraints de toutes les manières. Bonnie and Clyde, eux, choisissent simplement la
liberté. C’est très représentatif d’une société dans laquelle il y a un mouvement hippie et
la guerre du Vietnam.

C’est un film qui annonce le Nouvel Hollywood.

5) Le nouvel Hollywood (les “movie brats” des années 70)


Ce renouvellement d’Hollywood est dû à une nouvelle génération de cinéastes, les
movies brats, qui sont tous devenus par la suite les véritables maitres du cinéma
hollywoodien, et le sont encore aujourd’hui. Ils ont joué un rôle considérale dans
l’histoire du cinéma, et en même temps ce sont des individualités très différentes les
unes des autres.

Le Nouvel Hollywood, ce n’est pas une école, c’est une nouvelle génération. Ce que tous
ces cinéastes ont en commun, c’est qu’ils sortent des écoles du cinéma. La crise
hollywoodienne incite Hollywood à aller chercher de nouveaux cinéastes, dans les
écoles. Ce ne sont plus des cinéastes en rupture, comme ceux de la modernité en Europe.
Ils sont passés par les écoles, mais aussi par la cinéphilie. De tous ceux là, le plus
cinéphile et Martin Scorsese, qui est très actif notamment au niveau des cinémathèques,
il veut vériablement conserver l’histoire du cinéma.

Ces cinéastes apparaissent au début des années 70, dans une société encore fort
marquée dans l’idée de contre-culture (culture hippie). Ils sont aussi très marqués par le
cinéma moderne européen. Ils ont du talent. Petit à petit, ils vont prendre le pouvoir au
sein des grands studios, ils vont bouleverser les thématiques et les écritures
cinématographiques, ils vont bouleverser les règles de la narration. Ils ont une certaine
sympathie pour les personnages marginaux, désaxés. Et enfin, ils ont un goût certain
pour la liberté de création, mais aussi pour la liberté comme thématique de leurs films.
Dans leur cinéma, on retrouve aussi beaucoup des thématiques modernes (l’incertitude,
l’errance, le doute…), surtout dans le cinéma de Scorcese. On retrouve aussi des
pratiques de mises en scène qui détruisent les conventions traditionnelles, les genres.

Martin Scorsese :
Martin Scorsese est passionné par Rosselini, de Sica, Fellini… et il se souviendra d’eux
quand il réalisera certains de ses films. Il entre en 1960 et sort en 66 de l’université. Il
commence par des courts-métrages clairement expérimentaux.

Scorsese va travailler à Hollywood. Il commence à réaliser un premier film personnel,


Mean Streets, en 1973, qui est d’emblée un chef d’oeuvre, inspiré de Fellini mais
transplanté à New-York. C’est un film sur une bande de jeunes désoeuvrés qui essaient
de survivre dans des quartiers pauvrs de New-York.
A partir de là, il a une filmographie inégale : “Un film pour eux, un film pour moi” dira-t-
il. Il alterne des films pour Hollywood, et des films plus personnels.
Scorsese est un américain d’origine italienne, et il réalisera aussi un documentaire sur
ses origines : Italianamerican.

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Un critique dira de Scorsese que son cinéma contient deux dimensions opposées :
Dramatisation des formes (expressionisme) et souci de capter dans leur innocente
fugacité les vibrations du réel (exactement ce qu’essaient de capter les cinéastes de la
modernité). Scorsese parvient à faire la synthèse entre les deux, et c’est ce qui fait
l’étonnante singularité de son cinéma.

Martin Scorsese est fortement marqué par l’éducation catholique, c’est un cinéaste
torturé, maniéré. Il y a clairement une obsession christique chez lui, ses personnages
principaux ont tous quelque chose de christique mais sont en même temps tentés par le
mal. C’est le cas du personnage de Taxi Driver.

Scorcese tente de faire cohabiter des héros virils, violents, mais en même temps aux
obsessions morbides, masochistes. Tout cela est traduit cinématographiquement par la
souffrance (surtout la souffrance corporelle). Dans Raging Bull notamment, il faut
souffrir pour exister.

Francis Ford Coppola :


Coppola va s’inspirer des grands cinéastes de la modernité. Son maitre est,
incontestablement, Orson Welles. Il est hanté par la littérature, l’opéra… Comme Welles,
il s’intéresse au pouvoir.

Apocalypse Now est l’adaptation d’un célèbre roman. Ce roman, c’était le premier projet
de Welles arrivant à Hollywood. Coppola reprend ce roman et le transpose à la situation
actuelle du Vietnam.

Georges Lucas : /

Steven Spielberg : /

Conclusion :
Avec le Nouvel Hollywood, le cinéma redevient un objet de consommation, un spectacle
populaire. Les cinéastes du Nouvel Hollywood renouvellent les genres, ils s’appuient sur
le Star system. Ils nourrissent leurs films par des grands mythes mais aussi par une
vision du monde contemporaine. Le film donne un univers qui a du sens, on n’est plus
dans le refus du sens de la modernité. Ils sont tous très marqués par l’expressivité
émotionnelle (=l’expression du patos).

6) Quelques figures du cinéma indépendant américain


contemporain : /

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