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Résumé
Bien que les films fixes ne soient plus des supports utilisés aujourd’hui, en tout cas sous la forme d’une pellicule
gélatinique de trente-cinq millimètres, leur étude reste un bon moyen de comprendre comment la pédagogie se met en
œuvre. Dans un premier temps cette étude nous replonge dans le rapport, pas toujours simple, qui unit image et
pédagogie. Ce rapide parcours historique retraçant les pratiques pédagogiques prenant appui sur l’image nous fait
rencontrer un grand précurseur des ouvrages didactiques illustrés : Comenius. Puis un détour est fait qui permet d’outiller
la méthodologie d’analyse, pour enfin seulement que puissent être envisagés les fondements d’une pédagogie par l’image
dans une épaisseur plus historique.
Caumeil Jean-Guy. Lʼimage et la pédagogie : lʼapport du fonds de films fixes de lʼIUFM de Lyon. In: Le pouvoir de
l’image. Actes du 132<sup>e</sup> Congrès national des sociétés historiques et scientifiques, « Images et imagerie »,
Arles, 2007. Paris : Editions du CTHS, 2012. pp. 139-146. (Actes des congrès nationaux des sociétés historiques et
scientifiques, 132-10);
https://www.persee.fr/doc/acths_1764-7355_2012_act_132_10_2127
Jean-Guy Caumeil
Maître de conférences STAPS, à l’I.U.F.M. de Lyon I,
CRIS – EA647, université Claude-Bernard Lyon I
L’utilisation de l’image dans une perspective pédagogique n’est pas récente. Pour ce
qui concerne notre histoire, c’est Ferdinand Buisson qui systématise le recours à l’image
pour répondre à l’effet de massification que l’obligation scolaire générait. Reprenant
l’ancienne technologie des lanternes magiques, la projection lumineuse à visée éducative
colonise très rapidement l’école dès la fin du xixe siècle. Mais c’est après la première guerre
mondiale que la pédagogie par l’image se développe, en même temps que le besoin de
communiquer, de découvrir, de partager… et de consommer. Dans les années 1915-1918
la marque Banania – comme d’autres d’ailleurs, Michelin, Lu, Les Lainières du Nord
par exemple – va développer son célèbre visuel à tête de sénégalais. Les « bats. d’af. »
bénéficiaient d’une forte cote d’estime auprès du public et la marque construira, à partir
de l’image du sympathique tirailleur buvant une tasse de chocolat, une stratégie de
Le Pouvoir de l’image 140
Cela dit, l’histoire des images pédagogiques est aussi intimement liée aux évolutions
technologiques. Les supports, verre ou papier, utilisés jusqu’au début du xxe dans les
projecteurs étant trop fragiles, Pathé invente le Pathéorama. Il s’agit d’avoir recours aux
dernières innovations technologiques, à savoir les pellicules gélatiniques de 35 mm. Cette
technologie apparaît avec la fabrication des premiers appareils photographiques que
l’on qualifierait aujourd’hui de compacts ou portables par rapport aux lourdes chambres
photographiques en usage à l’époque. Pathé coupe simplement les perforations servant
à entraîner la pellicule dans l’appareil photographique afin de les rendre utilisables dans
des projecteurs conçus par la maison. Dans les années 1920-1930 le support évoluant et
devenant plus accessible, moins onéreux et surtout non inflammable, cette technologie
était au point pour investir, petit à petit, l’école. Des offices du Cinéma éducateur (OCE) se
créent dans les académies françaises et en 1930 ils sont regroupés au sein d’une Fédération
des offices du cinéma éducateur.
Le fonds stéphanois de films fixes est constitué du matériel de l’OCE de Saint-Étienne. Il
comptait 335 films fixes disponibles en 1938, 2 130 en 1942, 8 000 en 1952 et 8 900 en 1962,
apogée du film fixe et de l’OCE. Celui-ci éditait régulièrement un catalogue, classant les
films fixes par catégories. Pour l’OCE de Saint-Étienne : 2 578 films d’histoire et de géo-
graphie, 1 415 de lettres, 2 068 de sciences, 1 000 divers, dont un fonds très précieux, pour
moi en tous cas, celui des films de sports et d’éducation physique – 77 films représentant
approximativement 2 300 images que l’on peut dater de 1941 à 1972.
141 Lʼimage et la pédagogie : lʼapport du fonds de films fixes de lʼI.U.F.M. de Lyon
Le lien entre l’image et la pédagogie prend sa source, comme bon nombre des grandes
questions qui agitent l’humanité aujourd’hui, dans l’Antiquité. La controverse s’établit
entre la conception platonicienne de l’image – qui n’est que l’ombre trompeuse de l’idée
– et la conception aristotélicienne de l’image – qui est la projection accessible de la réa-
lité. Cette controverse prendra des allures de « guerre des images » entre les iconoclastes
et les autres, dont les pédagogues, tenants de l’iconoclasie1. Il faut attendre le concile de
Nicée II en 787 pour que, sur des arguments pédagogiques, l’image retrouve « droit de
cité ». Depuis les enluminures des ouvrages des moines du Moyen Âge en passant par la
Bible à quarante deux lignes de Gutenberg, la littérature, et principalement la littérature
pédagogique à l’adresse de la jeunesse, associe l’image et le texte.
Mais l’innovation pédagogique que constitue l’image est liée aux progrès technologiques
alliant précision du trait et commodité de duplication. Cela dit, l’obstacle est aussi finan-
cier et idéologique : les techniques de gravure sont bien maîtrisées depuis le xvie siècle,
mais on n’en voit pas (ou peu) l’utilité pour les enfants avant Comenius. Outre l’hostilité
des scolastiques, l’obstacle technique fait que, jusqu’au milieu du xviie siècle, les abécé-
daires et les ouvrages didactiques recourent peu aux images. Les enfants et les adultes
se contentent des images populaires des almanachs, des contes ou de l’histoire sainte.
Véhiculées dans les lieux les plus reculés par le colportage, elles devinrent un lien irrem-
plaçable entre les individus.
Le xviie siècle, siècle des grandes découvertes, dont celles liées à l’optique et à la vision, va
donner à l’image son statut épistémologique. Grâce au procédé de gravure dit « sur bois
debout », on obtient des rendus plus fins et des supports de duplication plus résistants.
À partir du xviiie siècle la technique marque l’essor de la littérature pédagogique illustrée.
L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert est un exemple remarquable de la place qu’occupe
désormais l’image dans la transmission des connaissances.
Le xixe siècle, avec l’invention de la photographie, fera rentrer l’image dans une autre
galaxie. La photographie dépasse toutes les autres formes de représentation du réel. Par
son caractère analogique elle fait de l’image pédagogique un moyen de connaissance,
reprenant en cela les idées des iconophiles du viiie siècle – dont Nicéphore fut le soutien.
Les évolutions technologiques du xxe siècle vont amener les supports de l’image à se
diversifier. Les images ainsi obtenues permettront de voir toujours plus petit, toujours
plus précisément, toujours plus rapidement et toujours plus loin. Pour les scientifiques
d’aujourd’hui, elles sont le plus important pourvoyeur de connaissances.
Les recherches que nous menons se situent plus sur le versant épistémologique et sémio-
tique que sur le versant historique. Cela dit, l’histoire de la pédagogie, et plus particu-
lièrement l’histoire du recours à l’image pour faire apprendre, est pour nous essentielle.
En effet, nous cherchons à mieux comprendre le rapport au savoir – au sens le plus large
possible – que génèrent les supports pédagogiques. Cette question éclairera aussi notre
point de vue sur la nature innovante de ces dispositifs, car ils sont souvent présentés, en
leur temps, comme innovants. Pour le dire autrement, nous pensons que la matrice épisté-
mologique des disciplines d’enseignement scolaire, dont les outils et les canaux de diffu-
sion des connaissances font partie, influencent la forme du savoir transmis et par voie de
conséquence le savoir appris par l’élève. Nous faisons l’hypothèse que proposer d’étayer
les apprentissages moteurs par l’utilisation d’images fixes n’est pas neutre du point de vue
de ces apprentissages. Nous cherchons donc à comprendre les conséquences, l’impact de
cette méthode sur la construction d’un savoir de l’activité motrice2, et ainsi à statuer sur la
dimension innovante de l’utilisation des images fixes dans l’apprentissage moteur.
Nous ne voulons pas faire une histoire de l’iconographie pédagogique mais utiliser l’étude
historique pour comprendre les « raisons pratiques » de la pédagogie d’une époque. Où se
situent les transformations ? Se trouvent-elles uniquement dans les pratiques ou interfé-
rent-elles aussi sur les théories de l’action pédagogique des enseignants ? C’est-à-dire sur
un nouveau rapport aux savoirs scolaires ? Ces questions cristallisent des enjeux forts de
compréhension propres à éclairer, réciproquement, une histoire de l’éducation.
Tenter une étude épistémologique du rapport entre image et pédagogie renvoie à la façon
dont l’homme imagine le monde. À la façon dont il rappelle, au présent, les réalités phy-
siques perçues dans le passé, pour confronter ses images du monde à une réalité toujours
renouvelée dans l’action à venir. L’artefact que constitue l’image mobilise les mécanismes
cognitifs dont, entre autres, la reconnaissance et la remémoration.
Cette histoire est mise en perspective par les travaux les plus récents de la neurobiologie et
des sciences cognitives, dites « critiques » parce qu’elles discutent la pertinence du concept
de représentation et le raccourci, selon eux trop simpliste, entre la réalité et sa représen-
tation mentale3. L’idée serait que l’homme pense le monde en formant des images. Dans
le cadre de ces théories, il s’agit d’images mentales produites à partir des perceptions
sensorielles, et non de représentations du réel qui seraient des sortes de photographies
intériorisées saisies par les sens et reproduisant une réalité intangible sur l’écran de notre
cerveau. Percevoir une réalité ce n’est pas dupliquer et stocker dans une bibliothèque
d’images une reproduction conforme de ce qui est, c’est activer le mécanisme cérébral
producteur d’images mentales. L’image n’existe pas dans la nature, toutes les images sont
conçues grâce à des lois physico-chimiques et perçues par le cerveau de l’homme.
L’idée n’est pourtant pas nouvelle, nous pouvons la faire remonter à Aristote, mais c’est
Jan Amos Komeský qui l’introduit de façon systématique en pédagogie. Par l’influence
qu’il exerça sur les pédagogues du xviiie siècle, Comenius relie de façon tout à fait originale
l’héritage humaniste de la Renaissance et le souci de mise en ordre – spatial, temporel,
moral et épistémologique – de l’école qui s’effectuera durant le siècle. Paradoxalement
– mais ce n’est là qu’une des facettes de la personnalité très paradoxale de l’homme –,
alors qu’il participe activement, dans toute l’Europe, à l’avènement de cette école de l’or-
dre, de la hiérarchie, de la discipline et du contrôle, il propage dans le même temps le
souci de l’enfant (quelque soit son sexe), de son devenir et de son salut. Il instille cette
contradiction, toujours vive dès lors qu’on aborde les questions scolaires, entre un res-
serrement sur les savoirs et sur la discipline d’une part, et le souci de l’enfant et de son
épanouissement d’autre part. Dans son projet d’établir une Grande Didactique, il développe
l’idée que l’image est la forme la plus intelligible pour l’enfant. Dans le très célèbre Orbis
Sensualium Pictus – « le monde en images », paru à Nuremberg en 1658 – le pédagogue
tchèque annonce des principes didactiques forts (au travers desquels nous pouvons lire
l’œuvre de la Renaissance par les avatars de la redécouverte des philosophes antiques
2. J.-G. Caumeil, Contribution à une épistémologie de l’éducation physique scolaire. Du savoir de l’activité motrice à une
pédagogie du sens.
3. F. Varela, E. Thompson, E. Roch, L’Inscription corporelle de l’esprit. Sciences cognitives et expérience humaine.
143 Lʼimage et la pédagogie : lʼapport du fonds de films fixes de lʼI.U.F.M. de Lyon
Le but à atteindre est que l’enfant ne voie rien qu’il ne sache nommer et qu’il ne nomme
rien qu’il ne sache montrer.
Comenius invente le livre scolaire illustré ; l’Orbis Sensualium Pictus sera le manuel de
référence durant tout le xviiie siècle. Comenius a compris que l’image est un déclencheur
d’apprentissage par l’émotion qu’elle suscite, par les informations qu’elle donne, par
l’étonnement qu’elle génère. Si l’observation a toujours été utilisée pour faire apprendre,
ce dont nous parle Comenius, lorsqu’il évoque le rapport entre l’image et la pédagogie, est
une ingénierie, une construction didactique théorisée. Il inscrit explicitement la pédagogie
dans une visée de transmission et dans un travail de transposition des savoirs de référence
s’appuyant sur un support commode d’apprentissage : l’image. Le principe pédagogique
postule qu’il est plus facile de commenter une image que de trouver le sens caché derrière
l’agencement des lettres et des mots. Pour ces raisons, l’image est le moyen privilégié
d’enseigner tout à tous. Nous faisons l’hypothèse que ce sont des intentions pédagogiques
similaires qui animèrent les praticiens utilisant les films fixes dans les années 1925-1965
en France.
L’image en pédagogie est majoritairement utilisée comme illustration. Elle prend place
dans le cours pour mettre en images des concepts, des notions, des mots (fig. 3 et 4). Pour
le pédagogue, l’image visuelle, dont la finalité est d’illustrer un discours, sert à construire
l’image mentale. L’image visuelle active l’image mentale, qui est plus que l’image visuelle
puisqu’elle agrège, dans ce que Jean-Pierre Changeux appelle le graphe neuronique, l’en-
semble des composantes de l’image mentale d’un concept, les éléments cognitifs, cona-
tifs, affectifs, mais aussi les expériences sensorielles antérieures, les impressions du passé,
les goûts, les couleurs, etc. En ce sens, l’image mentale déborde très largement l’image
visuelle.
Apparaît alors, d’emblée, le double sens de la perception sensorielle : les sens perçoivent
des signaux qui sont traités par le cerveau et qui alimentent les images mentales, qui elles-
mêmes influent, en retour, sur notre perception des images visuelles. Une lecture d’image
n’est donc jamais totalement neutre du point de vue de ce qu’elle évoque en nous.
En effet, le sens de l’image éducative ne peut se comprendre en dehors de son inscription
dans le discours pédagogique. Naît alors une dialectique dans laquelle le discours donne
une forme à l’outil qui, en retour, modifie le discours lui-même. L’étude du fonds permet
de constater que les films fixes sont construits sur le même modèle, celui de la leçon type
des années 1950. On retrouve la référence à la leçon type citée in extenso dans les notices
accompagnant les films. Les contenus sont présentés de façon progressive, ils sont regrou-
pés en fonction de thèmes d’étude ou de chapitres et sont accompagnés des erreurs à ne
pas commettre. Mais dans le même temps, ils recouvrent des spécificités selon qu’ils trai-
tent de l’éducation physique ou des sports, de l’histoire ou du français, des sciences…
Le Pouvoir de l’image 144
Fig. 4. – Film 4261a présentant la pédagogie du basket-ball dans les années 1960.
(Cliché I.U.F.M. de Lyon.)
145 Lʼimage et la pédagogie : lʼapport du fonds de films fixes de lʼI.U.F.M. de Lyon
L’étude des films à images fixes nous conduit à traiter en parallèle deux dimensions for-
tement mêlées. L’image est incluse dans un récit, elle est l’occasion, le motif, le but, l’il-
lustration du discours ; mais dans le même temps elle porte les intentions du pédagogue,
elle constitue le discours lui-même. Il y a dans chaque image pédagogique le double jeu
de la dénotation et de la connotation, au sens de Barthes5. L’image prend forme dans et
par le discours et, dans le même temps, induit la forme du discours. Cette double détente
enracine la fascination du pédagogue pour l’image et fait naître la méfiance qu’elle lui ins-
pire. « La jouissance passe par l’image : voilà la grande mutation. […] non pas que l’image
soit immorale, irréligieuse ou diabolique […] mais parce que, généralisée, elle déréalise
complètement le monde humain des conflits et des désirs, sous couvert de l’illustrer6. »
Résumé
Bien que les films fixes ne soient plus des supports utilisés aujourd’hui, en tout cas sous la
forme d’une pellicule gélatinique de trente-cinq millimètres, leur étude reste un bon moyen
de comprendre comment la pédagogie se met en œuvre. Dans un premier temps cette étude
nous replonge dans le rapport, pas toujours simple, qui unit image et pédagogie. Ce rapide
parcours historique retraçant les pratiques pédagogiques prenant appui sur l’image nous fait
rencontrer un grand précurseur des ouvrages didactiques illustrés : Comenius.
Puis un détour est fait qui permet d’outiller la méthodologie d’analyse, pour enfin seulement
que puissent être envisagés les fondements d’une pédagogie par l’image dans une épaisseur
plus historique.
Bibliographie
Barthes Roland, La Chambre claire. Note sur la photographie. Paris, Éditions de l’Étoile/Gal-
limard/Le Seuil (Cahiers du cinéma Gallimard), 1980.
Moeglin Pierre, Outils et médias éducatifs. Une approche communicationnelle, Grenoble, Pres-
ses universitaires de Grenoble, 2005.
Varela Francisco J., Thompson Evan, Roch Eleanor, L’Inscription corporelle de l’esprit. Scien-
ces cognitives et expérience humaine, trad. Véronique Havelange, Paris, Seuil (La cou-
leur des idées), 1993.