Revue d'histoire et de philosophie

religieuses

« L'esthétique théologique » de Hans Urs von Balthasar

Achiel Peelman

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Peelman Achiel. « L'esthétique théologique » de Hans Urs von Balthasar. In: Revue d'histoire et de philosophie religieuses,
56e année n°4,1976. Rendre compte de Dieu. pp. 559-566;

doi : https://doi.org/10.3406/rhpr.1976.4353

https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1976_num_56_4_4353

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 «L'ESTHÉTIQUE THÉOLOGIQUE»

DE HANS URS VON BALTHASAR

Hans Urs von Balthasar, dont nous venons de célébrer le

soixante-dixième anniversaire ( Lucerne 1905), a accompli, depuis
la publication de sa première œuvre d'envergure (Apokalypse der
deutschen Seele, trois volumes 1937-1939) jusqu'au premier tome
de sa « dramatique théologique » ( Theodramatik . Bd. I : Prolego¬
mena, 1973), un important cheminement intellectuel et spirituel dont
les ramifications sont impressionnantes mais qui demeure caracté¬

risé
mum
nécessaire
l'année
par
» personnel
«1965
le» retour
(l'Amour
ce de
cheminement
auJésus-Christ)
centre
trinitaire
» desemble
crucifié
la
et foi
parchrétienne
avoir
l'insistance
pour atteint
nous)
(lesur
\«un
concretissi-
Autour
« sommet.
l'unique
de

Balthasar projette alors la publication d'une immense trilogie théo¬

logique, une sorte d'approche tout-englobante (Universaltheologie)
de la Révélation divine. La structure de cette trilogie est représentée,
560 REVUE D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSES

très vaste, répartie sur dix volumes 8. Dans Rechenschaft 1965, il

nous livre lui-même le pourquoi et le propos fondamental de cette
première démarche, dite « esthétique théologique ». Après avoir
essayé de circonscrire la problématique concernant la situation re¬
ligieuse de l'homme contemporain dans ses démarcations avec les
situations antérieures (non point sans faire certaines concessions po¬
sitives aux idées modernes en théologie) 4, Balthasar décide de consa¬
crer désormais son effort à l'élaboration d'une image d'ensemble cen¬
trée sur ce qui constitue l'élément spécifiquement chrétien dans le
christianisme (das Uneinholbare des Christlichen) — le seul élément
« digne de foi » qui compte aux yeux des hommes de tous les temps
en vue de leur « décision eschatologique » pour Jésus-Christ et pour
son Evangile
Mais pourquoi alors commencer par une approche « esthéti¬
que » de la Révélation et pourquoi appeler cette synthèse « Herrlich¬
keit »? « Herrlichkeit », précise Balthasar, se présente comme une
« esthétique théologique » au double sens d'une doctrine de la per¬
ception subjective (la découverte du beau) et d'une doctrine de la
manifestation objective (la force attractive du beau) de la Gloire
divine. Notre auteur voit dans cette première démarche l'expression
d'une attitude vraiment i/io-logique, soutenue par une authentique
métaphysique de l'être. H décide donc de se rapprocher de la Révé¬
lation divine d'abord à partir du troisième transcendantal (pulchrum
— la beauté), puisqu'il a compris que « la beauté n'est pas autre
chose que le rayonnement direct du fond de l'être en tant que dénudé
de tout fondement (Hier wird der Grund zum Abgrund !)... le fond
suprême et mystérieux de l'être qui transparaît à travers toutes les
apparitions 8 » . Ainsi en est-il de Dieu quand sa Gloire souveraine

Ors
mene»
sions
dans
l'homme
1952,
1965,von
βs4Cette
la
pp.
deLa
pp.
Herrlichkeit.
I.Gloire
Π.
Bd.
(Traduction
Cf
Bd.
ΙΠ.
(auquel
Bd.
chrétienté
Balthasars
Nouvelle
Bd.
la
d'aujourd'hui.
Styles.
212-213
Apparition
26-33.
répartition
esthétique
Rechenschaft
Styles.
Phénoménologie
Die
I*ΙΠ,
Π
ΙΠ,Gloire
III,
:H/2
Π/1
Théologie.
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Gottesfrage
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2/1
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**
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Croix.
Laikaie
De
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Klerikale
D'Irénée
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Eine
:théologique
(Théologie
Theologie.
des
der
paraître
de
Jean
Theologie
der
Raum
Paris,
L'Ancienne
1965.
volumes
Gestalt.
Les
l'Amour
en
semble
Theologische
Stile,
Stile.
des
de
de
àcf
Bd.
Stile.
Mit
deux
aspects
der
bientôt.)
Desclée
,lala
Dante
Alter
Heutigen
N.R.Th
I:N°
536
1962.
devrait
en
Croix
einer
Vérité.
1961.
Metaphysik,
:avoir
Neuer
de
364
vol-urnes
Alliance
Wahrheit
61),
langue
S.
Bund,
von
(Théologie,
esthétiques
Dieu,
De
881
S.Bibliographie
à664
107
renoncé),
Aesthetik
s'achever
Bund,
1965.
La
Péguy
Menschen.
Brouwer
Berthe
S.en
allemande
S.
(1975),
(Théologie,
en
1967.
Vérité
der
583
1965.
tant
1969
1969.
(Théologie,
n°
Widmer.
Welt.
de
416
par
concernant
p.
1958).
(Einsiedlen,
p.
du
74),
:laWien,
1000
queder
544
S.un
(529),
etEinsiedeln,
Révélation
n°
monde.
1968.
véritable
en
Veröffentlichungen
S.
Einsiedeln,
volume
82),
n°
Herold
traduction
note
les
414
81),
1974.
Johannes
Paris,
intitulé
diverses
p.
3).
lien
(Paris,
Benzig»
1972.
1956
388
Johannes
Besuch
française
de390
p.
(Dieu
Aubier).
«V).
l'unité,
expres¬
Oeku-
1947).
p.esne
HansLa
V.
et:
 L'a ESTHÉTIQUE THÉOLOGIQUE » DE H. URS VON BALTHASAR 561

(Herr-lichkeit ; Herr-heit ; Hehr-heit) pénètre dans notre univers

humain. Dieu ne vient pas d'abord comme un maître pour nous en¬
seigner le « vrai », ni comme un sauveur efficace pour notre « bien » ;
Dieu vient d'abord pour Lui-même, pour manifester et faire rayonner
son Amour trinitaire éternel, avec ce « désintéressement » què
l'amour authentique possède en commun avec la vraie beauté T !

Balthasar admettra volontiers qu'il est impossible d'établir une

démarcation nette entre le beau, le vrai et le bien. « La vérité, la
bonté et la beauté sont si bien des propriétés transcendantales de
l'être qu'elles ne peuvent être envisagées que les unes dans les
autres et les unes par les autres. Grâce à leur union intime, elles
apportent ladepreuve
débordante l'être \de» la profondeur inépuisable et de la richesse

Dans le domaine de la Révélation biblique cette pénétration

mutuelle des transcendantaux se réalise par l'inséparable lien entre
l'apparition (Théo-phanie) et l'action dramatique (Théo-praxie) de
Dieu, dont la vérité (Théo-logie) sera définitivement établie par l'évé¬
nement paradoxal de la mort du Fils de Dieu sur la Croix. Car ici,
« le Logos se manifeste comme la « grâce d'amour » (Charts), et en
celle-ci comme la « gloire » (la beauté propre de Dieu, Doxa), et
ainsi précisément comme la « vérité (Alètheia ) : Jn 1, 14 " ».
La priorité que Balthasar accorde au point de vue de la beauté
et de la Gloire n'est pourtant pas quelque chose d'arbitraire. Nous
pouvons la comprendre d'emblée comme la valorisation d'un certain
type de thêologiser : une théologie « contemplative » et « doxologi-
que », co-extensive avec les données concrètes de la Révélation et
entièrement pénétrée du respect devant le mystère de Dieu. Le « Id
quod majus cogitari non potest » de saint Anselme est d'ailleurs
omniprésent dans ses œuvres, tout en s'exprimant avec une intensité

particulière
leversant » de
là où
la Croix
il contemple
(l'acte de
le mourir
mystèredu« Fils
proche,
de Dieu)
affolant,
et de
bou¬
la

Descente aux enfers (l'état d'être-mort du Fils de Dieu ; le « Hiatus »

du Samedi Saint) 10. Essayons de préciser davantage la nature de
cette théologie dont la synthèse « Herrlichkeit » est la première
pierre angulaire et dont « Theodramatik » devra compléter la
figure.

n°
Dogmatik.
opuscule
gique.
ou
12).:32)
Le
9s7Paris.
io
Theologie
Ci
Phénoménologie
L'Amour
Mystère
1966,
et
est
Rechenschaft
Teil
Ed.
Mysterium
conçu
p. der
m/2
du
Pascal
seul
68 Cerf
par
Trei
(Glaubhaft
:est
Das
Balthasar
Pascale
(Mysterium
W65.
de
1972,
digne
Tage.
Christusereignis).
la p.
PP
Vérité
de
Einsiedeln,
ist
(Mysterium
27.
foi.
comme
(13)-275.
nur
Salutis.
, Paris,
p.Liebe.
214.
une
Benziger
Aubier-Montaigne
Dogmatique
Salutis.
Einsiedeln,
introduction
Einsiedeln,
1969.
Grundrlss
Benziger
deJohannes
àl'Histoire
son
(Coll.
heilsgeschichtlicher
esthétique
1969,
«V.
Foi
du
pp.
19Vivante
Salut.
133-362
(3).
théolo¬
Cet
N°
»,;
562 REVUE D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSES

Au point de départ, l'esthétique théologique de Balthasar se

présente comme une réaction contre la théologie qui a « échoué
sur les bancs de sable du rationalisme » et qui est maintenant forcée
de faire
Chez notre
marche
auteur
arrière
lui-même
pour cette
retrouver
« marche
sa dignité
arrière
et »saest
crédibilité
le résultat
n.

d'un contact prolongé et approfondi avec la pensée des Pères de

l'Eglise (en particulier, la patristique grecque). Déjà très tôt elle s'ex¬
prime par son souci de restaurer le lien vital entre la théologie sco¬
laire et la spiritualité chrétienne 12 . Mais elle trouvera son expression
plus « technique » dans le volume Schau der Gestalt (1961).
Ce premier tome de « Herrlichkeit » constitue en effet une vé¬
ritable rénovation de la théologie fondamentale (théologie de la Ré¬
vélation et théologie de la foi). Accusant au point de départ le fait
que la théologie moderne (protestante et catholique), devenue victime
de la mentalité technico-scientifique, est « vidée d'esthétique », Bal¬
thasar y expose sa propre doctrine de la perception esthétique. Le
thème fondamental de cette « théologie du point de vue du troi¬
sième transcendantal » est l'insistance inlassable sur le fait qu'une
théologie vraiment « dogmatique » ou « /Âéo-logique » (se soumet¬
tant à la logique de Dieu) doit « laisser Dieu être Dieu » : Dieu, tel
qu'il se manifeste dans la figure objective de la Révélation, centrée
de
sur notre
la personne
acte dedefoi
Jésus-Christ,
comme la et lumière
Dieu, interne
tel qu'ilsuscitant
pénètre au
en cœur
nous

admiration (thaumazein), respect et adoration. De là, les deux grandes

subdivisions de l'ouvrage : « l'évidence subjective » et « l'évidence
objective ». Il s'agit des deux faces complémentaires de la théo¬
logie fondamentale qui trouvent constamment leur point de ren¬
contre dans la figure objective (centrale) de Jésus de Nazareth qui est,
inséparablement, révélation indépassable de l'être intime de Dieu
(Amour divin, incarné et crucifié) et ultime parole adressée à
l'homme
toire M. en vue de l'achèvement de lui-même, du monde et de l'his¬

Dans le sillage de Schau der Gestalt , Fächer der Stile (1962 ;

à partir de 1969 : Klerikale Stile et Laikaie Stile) nous présente un
portrait de douze éminents penseurs chrétiens, qui ont d'abord su
contempler la Gloire de la Révélation divine, et qui, ensuite, ont
réussi
Le choix
à exprimer
de Balthasar
cette est
Beauté
loin d'être
de Dieuexhaussif,
dans une mais
« théologie
il nous fait
belle
voir
».

que la même perception de l'objet formel de la théologie (Dieu qua

3gen.
31).
Jahrbuch
(1948),
ilAufCf
12
13 Recension
Wegen
pp.
74L'article-programme
Retour
(1966-1967),
881-896
christlicher
au
plus
{Théologie
Centre.
détaillée,
PD. Einigung.
210-215.
Paris,
: et
Theologie
desainteté,
Desclée
Schau
Munich,
und
De
der
in Brouwer
Kösel
Dieu
Heiligkeit,
Gestalt
_ Vivant
1969).
:1971,
F.inWiedmann
n°
pp.
Wort
1211-13
(1948),
und(Einfaltun-
inWahrheit
pp.
Philos.
17-
 L'a ESTHÉTIQUE THÉOLOGIQUE » DE H. URS VON BALTHASAR 563

Dieu) permet à des penseurs si éloignés les uns des autres dans le
temps (Irénée, Augustin, Anselme... mais aussi Hamman, Soloviev,
Hopkins, Péguy) de mettre pleinement en valeur leur charisme
personnel de théologien, de laïc ou de « spirituel » et de se rencontrer
au niveau supérieur de l'obéissance aimante (le « principe mariai » !)
à la Parole souverainement libre de Dieu. Nous devons signaler ici
l'insistance de Balthasar sur la nature « non-systématique » de ces
diverses esthétiques théologiques. Partout régnent l'attitude du
« thaumazein » devant l'insondable abîme de l'être et l'esprit d'ado¬
ration face au mystère absolu de Dieu. Ainsi, le but ultime de ce
second volume de « Herrlichkeit » est de nous montrer qu'il n'y a
dans le temps de l'Eglise aucune théologie douée d'une puissance
historique qui ne soit elle-même un reflet de la gloire de Dieu : seule
une théologie belle, c'est-à-dire elle qui, saisie par la Gloria Dei,
est capable deetrayonner
convaincante transformante
à son sur
tour,
l'histoire
a chance
humaine
d'agir »
d'une manière

Deux autres volumes de « Herrlichkeit » nous permettent de

souligner un autre aspect important de la théologie de Balthasar.
Theologie - Alter Bund (1967) et Theologie - Neuer Bund (1969)
nous montrent que la tendance anti-rationaliste inhérente à l'esthé¬

tique théologique
trisme radical 1S. Les
de notre
deux œuvres
auteur est
nous
accompagnée
font voir comment
d'un christocen-
l'événe-

ment-Christ est le véritable centre de la figure de Révélation bibli¬

que 16. Mais, en même temps, elles nous préparent déjà à accueillir
ce même événement comme le « point d'intégration » (le véritable
« monde des Idées ») de toutes les aspirations mythico-religieuses et
philosophiques montant de l'humanité vers Dieu".

à travers
Alterl'Ancienne
Bund parcourt
Alliance,
le long
aussi
chemin
bien de
dans
la Gloire
sa confrontation
du Dieu vivant
avec

le cœur endurci du Peuple élu que dans ses contacts surprenants avec
le milieu culturel environnant. L'originalité du volume consiste en
ce qu'il expose devant nous la véritable situation de l'homme face

Bund,
à Dieu, de
la situation
son côté,deconstitue
celui qui l'achèvement
est encore privé
nonduseulement
Christ 18 ! Neuer
de ce

dernier livre, mais aussi de toute l'esthétique théologique de Bal-

seul
médiates,
résurrection)
et
Brouwer
1971,
1963
1959
Herrlichkeit.
Das
16
17
is
14
dogme
p. Cf
(De«La
(La
90
Ganze
1970).
Π
est
l'intégration.
Recension
(Einfaltungen.
Gloire
Theologie
qui
n'y
théologie
àparce
im
laaen
I.fols
donc
et
Fragment.
son
Schau
que
la
Croix.
der
de
trinltaire
Croix.
Aspects
dans
centre
trinltaire.
J.
l'histoire.
Geschichte.
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-M.
der
I. Aspekte
tout
Apparition
Π.
Faux
Gestalt,
est
et
d'une
christlicher
Styles
»le
christologique,
sotériologique,
Paris,
Retour
in
Nouveau
Ein
der
théologie
Nouv.
pp.
,* Vrin
Geschichtstheologie.
Grundriss.
pp.
D'Irénée
445-505.
au Einigung.
Rev.
(391)
Testament
1955
Centre.
de
et
mais
-443.
Théol.,
à; sotérlologique
Einsiedeln,
l'histoire.
Fayard
Dante,
Paris,
Munich.
dans
qu'une
107
pp.
1970).
ses
Desclée
Einsiedlen,
(1975),
Paris,
Kösel
11-12.
Johannes
Implications
seule
(Incarnation
De
pp.
Desclée
V.vérité,
Benziger
Brouwer
1969).
530-531.
V 1950
Im¬
tin
De
et
564 REVUE D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSES

thasar. D nous présente la véritable perfection de la Gloire de Dieü

telle que celle-ci se manifeste dans l'événement indépassable du
trantes
« Verbumsur -leCaro
mystère
». Ledévolume
l'Incarnation
contient(Incarnation
des méditations
ordonnée
fort péné¬
à la

Passion), sur le temps de Jésus de Nazareth (d'inspiration culman-

ïiienne) et aussi sur le temps de l'Eglise : temps de la « sequela
Christi » (Zeit der Nachfolge) et temps de notre intégration dans la
Gloire du Seigneur Ressuscité (In Laudem Gloriae). Au centre de
ce livre : le mystère paradoxal de la Croix (Wucht des Kreuzes) qui
détermine l'événement du Christ total et qui surplomble également
notre existence chrétienne dans l'Eglise 19. Au dire de Balthasar lui-
même, lier Bund et Neuer Bund ne peuvent pas être considérés
comme des « théologies de l'Ancien et du Nouveau Testament ». Ils
sont plutôt une approche méditative de l'événement-Christ dans sa
constellation historique concrète (cf. le rapport entre les deux
Alliances) sous le chiffre de la « Gloire », et, dans ce sens, ils sont
déjà une application directe de la doctrine de la perception esthétique
telle ».qu'elle est développée dans le premier volume de « Herrlich¬
keit

La théologie méditative et anti-rationaliste de Balthasar est

certainement caractérisée par un christocentrisme radical et par une
insistance très forte, à l'intérieur de l'événement-Christ total, sur le
mystère de la Croix et du Samedi Saint. Mais Balthasar a toujours
pris soin de montrer comment la figure de révélation christocentrique
et la théologie « dogmatique », qui en est le reflet parfait, sont tou¬
jours et aussi « insertion du contenu humano-divin dans la pensée
humaine, même déjà croyante, pour attester et démontrer, justement
partranscendance
la cette incarnation
absolue
toujours
de la
nouvelle,
manifestation
l'originalité
de Dieu
uniqueenetJésus-
donc
Christ » 20.
Ce dernier aspect de l'esthétique théologique de Balthasar se
réalise à la perfection dans l'imposant volume Im Raum der Meta¬
physik (1965). Ecrit sous l'influence immédiate du philosophe fri-
bourgeois Gustav Siewerth (1903-1963), cette étude de la pensée
occidentale, d'Homère à l'époque de Heidegger, a pour tâche de
montrer comment l'esthétique biblique rencontre l'esthétique profane.
Balthasar nous livre ici un regard très profond sur l'expérience et sur
la présentation mythico-philosophiques et poétiques de la gloire
(Schönheit). Le livre met en évidence les points de contacts entre
ce monde de la beauté profane (Schönheit) et la Gloire (Herrlichkeit)
de la Révélation biblique, soit en montrant une certaine identité

surtout
20
19 de
Recension
La B.
Gloire
Sesboûé
et
de laJ.-M.
inCroix.
Rev.
Faux
I.
Sc.Styles
inRel..
Nouv.*59D'Irénée
Rev.
(1971),
Théôl.,
àpp.Dante,
82-91.
107 p.(1975),
26. pp. 532-534; et
 L'«ESTHÉTIQUE THÉOLOGIQUE » DE H. URS VON BALTHASAR 565

dans les formes d'expression, soit en montrant l'existence d'une véri¬

table relation surnaturelle entre Dieu et le monde créé avec l'esprit

humain.
naire
christologique
de Mais
ce vaste
ilultime
souligne
monde
de la
également
humain
Révélation.
et
le culturel
caractèrepar
provisoire
rapportou
auprélimi¬
critère

Im Raum der Metaphysik et Theodramatik. Bd. I : Prolegomena

(1973), tout en étant les témoins les plus importants de l'immense
culture philosophique et littéraire de Balthasar, attestant aussi son
esprit vraiment i/ieologique ! Ils demeurent une illustration convain¬

canteunde« la
fois retour
nécessité,
en arrière
pour »laetthéologie
un « retour
chrétienne,
au centre
d'effectuer
» : un retour
à la

en arrière vers la grande tradition spirituelle et vers la théologie tou¬

jours vivante des Pères et des Saints ; un retour au centre vers le
mystère de l'Amour divin incarné et crucifié. C'est pourquoi nous
trouvons encore une fois ici la double insistance sur l'importance
vitale de la véritable attitude métaphysique du « thaumazein » et
sur la nécessité, pour l'esprit humain, de se « désapproprier » et de
se laisser pénétrer par l'Esprit de Dieu. Deux attitudes qui se trou¬
vaient en parfait accord dans l'Antiquité finissante (Plotin-Virgile),
qui sont les pierres angulaires de la vision unifiée des Pères (théo¬
logie - spiritualité) mais qui contrastent très fortement avec les scis¬
sions internes qui menacent la pensée théologique contemporaine B1.

A une époque où les grandes synthèses théologiques sont deve¬

nues une
rester indifférents
réalité de
devant
plus une
en plus
œuvreexceptionnelle,
comme « Herrlichkeit
nous ne »pouvons
dont la

richesse biblique, théologique et culturelle réchauffe le cœur et l'esprit

de tout chercheur qui est désireux de pénétrer au cœur du mystère
de Dieu et du mystère de l'homme à la lumière de la figure unique de
Jésus-Christ. « Herrlichkeit », malgré son ampleur impressionnante
(environ 3 500 pages !), demeure pourtant une œuvre-choc qui risque
de provoquer de nombreux points d'interrogation. Balthasar en est
parfaitement conscient. En développant une « esthétique théolo¬
gique » il a opté pour un chemin difficile, avec le danger d'être
« triplement anachronique » (philosophiquement, scientifiquement,
religieusement).
encore un cheminMais,
» 22. « même un chemin dangereux, écrit-il, est

A une époque où la pensée théologique semble dominée par les

catégories de l'événementiel, de l'historique, de l'ortho-pratique, du
politique, du fonctionnel et du facteur du dialogue, une « esthétique
théologique » doit paraître comme une entreprise purement gratuite.
566 REVUE D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSES

Mais n'est-ce pas cette sorte de « gratuité » qu'il nous faut pour ré-ap-
prendre à voir le mystère de Dieu et l'énigme de l'existence humaine
avec « les yeux de la foi » ? Balthasar, écrit Vorgrimler, « a pris
maintes fois des positions qui auraient pu faire de lui un rénovateur
hardi et influent de la théologie » 23. Henri de Lubac, à son tour,
a montré « qu'il n'est pas un des sujets abordés par le Concile du
Vatican II dont l'œuvre de Balthasar ne traite en profondeur et dans
le sens même que le Concile devait indiquer » Mais Balthasar n'a
pas voulu être ce rénovateur. Au contraire, la synthèse « Herrlich¬
keit » et son œuvre théologique tout entière sont le fruit d'un
« pathos » unique (une vocation très personnelle) auquel Balthasar
demeure toujours fidèle : celui de la contemplation et de l'adoration.
Cette voie difficile n'est pas nécessairement le chemin choisi par les
autres théologiens de notre temps, mais il leur offre des « points de
repère » indispensables pour l'exercice de leur office théologique
dans l'Eglise. Dans ce sens, l'auteur de « Herrlichkeit » risque de
devenir, malgré lui, un grand rénovateur de la théologie contempo¬
raine, un rénovateur en profondeur !

Université Saint Paul, Ottawa Achiel Peelman, o.m.i.

Casterman
1967,
23p. h.
24 Bilan
181.de
1970,
de p.la 706.
Lubac, Théologie
Paradoxe et
du Mystère
XXe siècle.
de l'Eglise.
Tome Π Paris,
: Portraits.
Aubier Ed.
Paris-Tournal,
Montaigne