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Mais il semble que Novski, au contact de la pierre de son tombeau vivant,

tira certaines conclusions métaphysiques qui diffèrent sans doute peu de


celles qui suggèrent lidée que lhomme nest quune parcelle de poussière
dans locéan de linfini ; mais visiblement, cette prise de conscience lui
souffla dautres déductions que les architectes de la niche navaient pas pu
prévoir : rien pour rien. Lhomme qui a trouvé dans son coeur cette
pensée hérétique et dangereuse qui parle de la vanité de sa propre
existence se trouve cependant confronté à un (dernier) dilemme :
admettre le provisoire de lexistence au nom de cette prise de conscience
précieuse et chèrement acquise (qui exclut toute moralite et est donc
absolument libre) ou bien, au nom de cette meme prise de
conscience, sabandonner a letreinte du neant.

Finalement, tous deux agissaient, je pense, pour des motifs qui


dépassaient des buts étroits : Novski se battait pour conserver dans sa
mort, dans sa chute, la dignité non seulement de sa propre image, mais
aussi de limage du révolutionnaire en général, tandis que Fédioukine
sefforçait, dans sa quête de la fiction et des suppositions, de conserver la
rigueur et lesprit de suite de la justice révolutionnaire et de ceux qui la
rendent ; car il vaut mieux que souffre la prétendue vérité dun seul
homme, dun minuscule organisme, plutôt que soient remis en question, à
cause de lui, les principes et les intérêts majeurs. Et si, au cours du
déroulement ultérieur de linstruction, Fédioukine sacharna sur ses
victimes obstinées, ce ne fut donc pas par une manie de névrosé et de
cocaïnomane, comme certains le pensent, mais ce fut plutôt une lutte pour
ses propres convictions, une lutte quil considérait, comme sa victime
dailleurs, non égoïste, inviolable et sacrée. Ce qui provoquait chez lui la
fureur et une haine loyale, cétait justement cet égoïsme maladif des
accusés, leur besoin pathologique de prouver leur innocence, leur petite
vérité personnelle, cette façon de tourner maladivement en rond autour
des prétendus faits enfermés dans les méridiens de leur crâne dur, et
lincapacité de leur vérité aveugle de se placer dans un système de valeurs
supérieur, en regard dune justice supérieure qui exige que lon se sacrifie
pour elle et ne peut tenir compte des faiblesses humaines. Ainsi pour
toutes ces raisons, devenait lennemi mortel de Fédioukine quiconque ne
pouvait pas comprendre ce fait simple, évident, que signer des aveux au
nom du devoir nétait pas seulement une affaire dhonneur logique, mais
aussi de morale, donc un acte digne de respect.

Cétaient pourtant des livres reliés de cuir, numérotés, écrits par des gens
savants, renfermant, sils avaient voulu les lire, mille raisons de me tuer
sur place et contenant, sils avaient voulu les lire, des remèdes et des
baumes contre leur haine. Et je leur dis de ne pas les déchirer car une
multitude de livres nest jamais dangereuse, mais un livre seul est
dangereux ; et je leur dis de ne pas les déchirer car la lecture de nombreux
livres mène à la sagesse et la lecture dun seul à lignorance armée de folie
et de haine.

je veux vivre en paix avec moi-même et non avec le monde

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