Vous êtes sur la page 1sur 29

L'État de nature 

est un terme de philosophie politique utilisé dans les théories du contrat


social pour décrire la condition hypothétique de l'humanité avant la fondation de l'État et de son
monopole sur l'utilisation de la force et violence dans un territoire donné. Dans un sens général,
l'état de nature est la condition des hommes avant l'instauration de la règle de loi positive, c'est
alors un synonyme d'anarchie.

Dans certaines versions de la théorie du contrat social, il n'existe aucune règle dans l'état
de nature, seules existent les libertés, c'est le contrat qui instaure les règles et obligations.
Dans d'autres versions, c'est l'inverse : le contrat impose des restrictions sur les individus
qui restreignent alors leurs droits naturels.
Le contrat social est une théorie fondée sur l'abstraction de la signature, non pas réelle mais
conceptuelle, d'un "contrat" passé entre les individus et le souverain ou l'État.

Plusieurs penseurs libéraux, essentiellement classiques, se réfèrent à cette doctrine,


essentiellement aux XVII et XVIIIe siècles. Ainsi, pour Hobbes (Léviathan, 1651) le
contrat social assure la sécurité des sujets du souverain en mettant fin à l’état de nature ;
pour Locke, il permet à l’État de sauvegarder la liberté et la propriété des sujets.
Toutefois les sujets peuvent rompre ce "contrat" quand l’État outrepasse ses fonctions.
En revanche, d'autres penseurs, majoritairement libertariens, se sont violemment opposés
à la notion même de contrat social. Ils pensent, au contraire, que les droits dont les
individus jouissent, proviennent de la découverte des droits naturels.
Critique libertarienne : Le contrat social n'est pas un contrat. En effet, il serait
impossible de définir l'identité des prétendus contractants. C'est une nouvelle définition
du mot contrat. Le terme "contrat social" tente de faire croire qu'il existerait
un consentement des citoyens. Cette volonté de tromper par la seule force du nom
permettra à ses détracteurs de classer le terme "contrat social" parmi les mot-virus. Or il
n'existe aucun consentement explicite. Il n'existe non plus aucun consentement tacite.
Le concept peut d'ailleurs servir de prétexte au totalitarisme ou à la démocratie
totalitaire : il en est ainsi de la conception rousseauiste du contrat social, qui repose sur
un insaisissable "intérêt général" censé dépasser les intérêts particuliers, mais en réalité à
la discrétion du potentat du moment, fût-il démocratiquement élu

1
1) JOHN LOCKE
L’état de nature
Dans le paragraphe 4, la fonction de l’état de nature est, comme tous les jusnaturalistes
le disent, de découvrir à la fois en quoi consiste le pouvoir politique et quelle est sa
véritable origine. Pour cela, il faut donc “considérer dans quel état les hommes sont
naturellement”. Dans le par.12, il dit bien que les lois positives, établies par les hommes,
ne sont justes que si elles sont fondées sur la loi de nature, “selon laquelle elles doivent
être réglées et interprétées”.
I- Caractères essentiels : la liberté et l'égalité
1) Cet état est d’abord un état de parfaite liberté
Ie, un état dans lequel chacun peut disposer comme il veut de sa personne ou de ce qu’il
possède ; mais Locke ajoute que si les hommes peuvent agir, dans cet état, à leur guise, il
faut toutefois qu’ils se “tiennent dans les bornes de la loi de nature” .
Cette loi de nature stipule (cf. par.6, note 1) que nous devons faire le meilleur usage de
ce que notre conservation exige de nous. Par-là, Locke peut distinguer liberté et licence.
Dans cet état, en effet, nous n’avons pas le droit de nous détruire nous-mêmes, ni de faire
tort à quelqu’un. Cf.par. 22 : la liberté a des bornes, et c’est la saine raison, que le
créateur a donnée à tous les hommes, qui les lui prescrit. Même la liberté naturelle
s’entend comme soumission à des lois, qui sont bien entendu, les lois naturelles.
2) C’est ensuite un état d’égalité. Nous sommes doués des mêmes facultés. Pas de
subordination. Les gens sont libres et indépendants les uns au regard des autres, car il n’y
a entre eux aucune supériorité ou sujétion naturelle.
3) Il a lieu (par.87) quand les hommes vivant ensemble ne peuvent en appeler à aucun
tribunal civil sur la terre, ni à aucunes lois positives. Il n’ y a pas de règlements stables,
de commun juge sur la terre, pour les décisions et disputes de droit. C’est-à-dire, qu’on
est alors juge et exécuteur pour soi-même.
 II- La loi naturelle règle cet état
1) par. 6 : nous sommes tous, dans cet état, tenus de nous soumettre et d’obéir aux
enseignements de la loi naturelle, qui n’est autre que la raison.
Cet enseignement se réduit à ne pas nuire à un autre par rapport à :
a) sa vie
b) sa santé
c) sa liberté
d) son bien
Raison de ceci : les devoirs que nous avons envers notre créateur, qui seul a le droit de
juger de ceci.

2
But du dernier chapitre (supprimé) de l’Essai : démontrer, dans le cadre de la théologie
naturelle, que tous les hommes ont accès à la connaissance des devoirs moraux. La loi
naturelle est donc une vérité éthique comprise par des voies rationnelles. La raison que
nous avons de croire en elle, est l’existence de Dieu. Le cosmos est l’œuvre de Dieu, et
une hiérarchie ordonnée ; les dispositifs politiques humains tirent toute leur légitimité du
fait qu’ils réalisent les objectifs de Dieu.
Affirmer l’existence de la loi naturelle, c’est affirmer celle d’un ordre normatif. Dans le
cadre d’une éthique qui s’appuie sur la théologie, le jugement moral apparaît comme une
question d’ordre cognitif. Mais comment peut-on connaître le contenu de la loi naturelle ?
Comment les hommes en viennent-ils à connaître le caractère obligatoire et le contenu
des devoirs moraux ? Héritage génétique commun, ou bien tradition ?
2) par. 7 à 12 : la nature a pour but la tranquillité et la conservation du genre
humain.
Or, comme toute loi doit se donner les moyens d’être effectivement observée, elle a donc
donné le droit à chacun de punir la violation de ses lois, “dans un degré qui puisse
empêcher qu’on ne les viole plus”. Chaque homme a le pouvoir de faire exécuter les lois
de nature, et d’en punir les infractions. Ce qui implique que les hommes sont juges dans
leur propre cause.
III- Pourtant, le gouvernement civil est bien, pour Locke, le remède aux
inconvénients de cet état
1) Toutefois, ce remède ne porte pas du tout, contrairement à Hobbes par exemple, sur ce
point : en effet, comme il le dit au par.13, si on objecte que les hommes étant partiaux, et
naturellement limités à leurs intérêts propres, alors, il s’ensuit que l’on ne doit pas être
juge en sa propre cause, Locke répond que celui qui gouverne est lui-même un homme...
L’Etat ne doit donc pas sa naissance à ce “défaut” de l’état de nature (sous-entendu : il
faut qu’il soit capable d’empêcher les défauts qu’il aura pour but de gérer).
2) Première raison pour laquelle les hommes ont quitté l’état de nature : par.20, chapitre
II : les hommes ont voulu avoir un supérieur commun sur la terre, afin de ne pas
perpétuer l’état de guerre. Ainsi, comme il le dit au par. 89, la société civile a lieu quand
les gens ont renoncé au pouvoir exécutif des lois de la nature, et l’ont remis au public. On
entre dans l’état civil ou dans une société politique, quadn on crée et établit des juges et
souverains sur la terre, qui ont autorité pour terminer les différends, et punir toutes les
injures qui peuvent être faites à quelqu’un des membres de la société.
De là il suit que sa FIN est donc de remédier aux inconvénients de l’état de nature, qui
naissent de la liberté où chacun est d’être juge dans sa propre cause (par.90). Elle a pour
fin d’assurer et protéger la sûreté (et conserver ce qui appartient à chacun) : on y recourt
donc à la fois pour éviter les injustices et, deuxième raison, pour vivre heureusement.
Pour cela, il est nécessaire (par.94) que l’autorité législative ait été placée en un corps
collectif de gens.

3
Cf.résumé en 95 : la fin de la société politique est : la conservation, la sûreté mutuelle, la
tranquillité de la vie, jouir paisiblement de ce qui nous appartient en propre, être à l’abri
des insultes de ceux qui voudraient nous nuire.
 IV- Cet état de nature est-il une simple fiction, ou a-t-il réellement existé?
1) Par.14 : à ceux qui disent qu’il est impossible que cet état ait réellement existé, Locke
objecte que cet état est bien réel, puisque les Etats sont entre eux à l’état de nature. Le
seul accord , en efet, qui puisse vraiment rendre possible la sortie de l’état de nature, est
celui par lequel on forme volontairement une société, un corps politique.
2) Prenant, de plus, en référence à Pufendorf, l’état de nature dans le sens de l’état qui lie
entre eux les hommes en tant qu’ils ont entre eux une ressemblance de nature, et dans
lequel ils ont entre eux des obligations déterminées par les lois naturelles, Locke montre
qu’il est faux de dire qu’il n’y a jamais eu aucun homme à l’état de nature (par.15). Au
contraire, tous les hommes sont naturellement dans cet état. Nous y demeurons, jusqu’à
ce qu’on se soit fait membre d’une société politique, et cela, par notre propre
consentement.
Une bonne définition de cet état de nature est donnée au par.19 : “lorsque les hommes
vivent ensemble conformément à la raison, sans aucun supérieur sur la terre, qui ait
l’autorité de juger leurs différends” ; “la privation d’un commun juge, revêtu d’autorité,
met tous les hommes dans l’état de nature”.
cf. Traité du gouvernement civil, par.101 à 113, Le consentement est-il à l’origine de
toute société? :“Toutes les sociétés politiques ont commencé par une union volontaire et
par un accord mutuel de personnes qui ont agi librement”.
Locke analyse ici les deux objections possibles à cette thèse.
1) Objection historique, qui est celle des défenseurs du pouvoir paternel.
a) nous n’en savons rien ; mais à ce compte, dit Locke en 101, on peut douter que les
hommes dont l’histoire nous relate les aventures ont été enfants, pusiqu’elle ne nous en
dit rien.
De plus, les sociétés sont toutes fort ignorantes de leur naissance ou de leur enfance...
b) si l’état de nature est un état où il n’y a pas de gouvernement commun, alors,
l’exemple de l’Amérique est l’exemple d’un peuple vivant à l’état de nature. De plus,
cf.103, Sparte et Palante en sont également, dans le passé, des exemples.
c) de plus, même si on trouve toujours que le gouvernement des peuples était à l’origine
entre les mains d’un seul, ce n’est pas une objection conséquente : en effet, cf.107, cela
s’explique tout simplement que les hommes choisirent la forme de gouvernement qui leur
paraissait la plus conforme à leur fin. Ils trouvèrent tout naturellement, par expérience,
que la forme paternelle était la meilleure forme de gouvernement, la plus conforme à leur
condition et à leur état présent ; et c’était elle qui s’offrait la première à leur esprit, en tant
que plus simple.

4
L’origine historique, cf. 110, de ce choix s’explique selon Locke, par le fait qu’une
famille a formé par degrés une communauté ; celle-ci a été continuée par héritage de
l’autorité paternelle ; (cf. droit de succession) ; puis, enfin, les familles se sont unies en
société...
2) Objection fondée sur le fait que nous naissons en société, et par conséquent, sans
possibilité de la choisir, et pas de liberté d’en instituer une nouvelle (nous y serions dès
lors assujettis).
 V- Il ne faut pas le confondre avec l’état de guerre
Par.19 (chap.III). En effet, contrairement à Hobbes, l’état de nature est un état de paix,
de bienveillance, d’assistance, et de conservation mutuelle. Alors que l’état de guerre est
un état d’inimitié, de malice, de violence, et de mutuelle destruction.
La définition de l’état de guerre est la suivante : “un dessein ouvert de violence d’une
personne à l’égard d’une autre, dans une circonstance où il n’y a sur la terre aucun
supérieur commun, à qui l’on puisse appeler, produit l’état de guerre”. On a le droit de
faire la guerre à notre agresseur, du fait qu’il n’y a pas de supérieur commun. L’état de
guerre peut s’entendre, selon Locke, non seulement des Etats, mais encore, des sujets
d’un même Etat. En effet, je n’ai pas toujours le temps d’en appeler à notre commun
juge! “La violence injuste et soudaine, produit l’état de guerre”.
L'état de guerre est déclenché par l’utilisation de la force (II, 19).
Force et violence :
a) instruments de rupture de la paix dans l’état de nature (cf. II, 16, l.16 ; 17, l.10 ; 18, l. 3
à 5 ; 19 ; 21); b) dissolution de la légitimité de la société politique (cf. 202, l. 2-7)
La force est propre aux bêtes : elle réduit tous les êtres humains qui y ont recours au
statut juridique des bêtes –celles qui sont nocives (cf. métaphores prédateur et
cannibale) ; l’agresseur est toujours une bête humaine dégénérée, on a donc le droit de ne
pas la reconnaître comme un être humain.
L’état de guerre est créé par un « dessein clame et ferme fomenté contre la vie d’un autre
homme » et dans cet état, en vertu du principe d’équité, l’individu agressé, ou quiconque
agissant en son nom, a le droit d’anéantir son agresseur (§ 16).
Même dans la société politique, qui est remède aux imperfections de l’état de nature, un
tel usage de la force, en l’absence d’un tribunal disponible auprès duquel la victime d’une
agression puisse effectivement recourir pour son soulagement, laisse le droit de guerre
contre un agresseur à la disposition perpétuelle de tous les hommes (§§ 18-19).
Dans l’état de nature, une fois que l’état de guerre a commencé, ce qui peut avoir lieu dès
le moindre litige, le seul juge placé entre les parties adverses est Dieu lui-même (§ 20) et
chaque individu doit décider si un autre homme s’est mis lui-même dans un état de guerre
avec lui par son agression (§§ 7 et 9). Toute utilisation des pouvoirs de l’Etat destinée à

5
servir les buts privés et corrompus des gouvernants par la menace de la force, ébranle
l’autorité (qui a son unique source dans la constitution, cf. § 198), et déclenche l’état de
guerre entre le gouvernant et le sujet qu’il a lésé (§ 208)
Le droit à la résistance
Fondement de cette notion : pas l’état de nature, ni la société politique légitime, mais
l’état de guerre.
En pratique, le droit à la résistance n’entraînera la dissolution du gouvernement que si le
gouvernant persiste quelques temps dans cette voie : les sujets sont en général fort
serviles (§ 208). Cela ne signifie pas non plus que le sujet lésé soit moralement en droit
de prétendre à une vengeance active, même si la prudence le recommande. Son droit de
punir le gouvernement est tel qu’il ne peut l’exercer que si cela ne risque pas de nuire aux
intérêts des autres (§ 176). Mais, dès que le gouvernement, même par un petit nombre
d’actions de ce genre, a installé dans l’esprit de ses sujets une vive inquiétude quant à la
malignité de ses intentions futures, ceux-ci ont le droit de venir en aide à ses victimes
précédentes et d’opposer une résistance à ses actions abusives (§ 209). En effet, le
gouvernement a déserté les procédés et les lois de la raison au profit de la force et de la
violence. Il a détruit la sécurité garantie par la loi de la raison, empoisonné la source
même de la sécurité publique (§ 222), et supprimé les conditions de possibilité des
rapports humains à l’intérieur comme à l’extérieur de la société politique. En faisant cela,
il s’est ravalé au rang des bêtes : on peut donc le détruire comme n’importe quelle
créature nocive. Confronté à cette dégénérescence juridique, le sujet individuel lésé ne
dispose pas d’autre cour d’appel que le jugement de ses concitoyens, ie, du peuple, et
celui-ci ne dispose pas d’autre cour d’appel que le jugement de Dieu (§ 168).
Mais la nature vicieuse des actions commises par le gouvernement ne détruit pas la nature
morale de la communauté politique dans son entier ; ni la totalité des obligations
auxquelles un individu est soumis par son appartenance à cette communauté. Elles ne
détruisent que le statut juridique qu’il tire de la fonction juridique qu’il remplit.
Dans un gouvernement institutionnel, la résistance a lieu avec intermédiaire, et il y a
des représentants accrédités et impartiaux de la volonté du peuple, dont le jugement
puisse lui conférer une dimension morale. On a un individualisme + un
constitutionnalisme.
Selon Locke, la fréquence de la résistance légitime dépend seulement de celle avec
laquelle les gouvernants informent effectivement leurs sujets de leurs intentions
malfaisantes (§§ 209, 210, 224, 225). Quand elle se produit, la forme de résistance
dépend de la forme d’organisation sociale caractéristique de la société et du degré de
désorganisation causé par le mauvais comportement des gouvernants.
Locke, TGC, le droit à la révolution contre la tyrannie ( §§ 149, 168, 204, 228, 232,
240, 242, 243)

6
Selon lui, le droit naturel à la conservation de soi formulé par Hobbes, impliquait un droit
à la révolte contre tout tyran qui utiliserait injustement ses pouvoirs contre les intérêts du
peuple. Le droit à la vie, et à la propriété, sont naturels, ie, les hommes les possèdent en
tant qu’hommes, antérieurement à l’établissement de toute autorité politique ; le premier
objectif du gouvernement étant donc de protéger ces droits, le pouvoir est limité. Quand il
franchit les bornes par lesquelles il a été institué, le peuple est en droit de se révolter car il
n’est plus alors légitime. Les droits de l’homme limitent le gouvernement : il lui est
interdit d’empêcher les individus d’exercer des droits qu’ils possèdent « par nature ».
Locke accorde donc une primauté morale à la préservation de soi, et à la préservation
confortable.
I-§§ 168 et 149
§ 168 : « En vertu d’une loi qui précède toutes les lois positives des hommes, et qui est
prédominante, le peuple s’est réservé le droit qui appartient généralement à tous les
hommes, lorsqu’il n’y a pas d’appel sur terre : le droit d’examiner s’il y a juste sujet
d’appeler au Ciel. On ne peut, même légitimement, renoncer à un droit si essentiel et
considérable, parce que personne ne peut se soumettre à un autre, jusqu’à lui donner la
liberté de le détruire et de le rendre malheureux. Dieu et la nature ne permettent jamais, à
qui que ce soit, de s’abandonner tellement à soi-même, que de négliger sa propre
conservation ; comme nous ne saurions avoir le droit de nous ôter la vie, nous ne
saurions, par conséquent, avoir le droit de donner à d’autres le pouvoir de nous l’ôter. »
Ce droit et ce privilège des peuples n’est pas la source de perpétuels désordres, car on ne
s’en sert que dans les circonstances extrêmes.
§ 149 : « tout le pouvoir qui est donné et confié en vue d’une fin, étant limité par cette fin
là, dès que cette fin en vient à être négligée par les personnes qui ont reçu ce pouvoir, la
confiance qu’on avait mise en eux doit nécessairement cesser et l’autorité qui leur avait
été remise est dévolue au peuple » ; Mais le peuple n’exerce pas ce pouvoir souverain qui
pourtant lui appartient toujours, « tandis que la forme de gouvernement qu’il a établie
subsiste » (cf. §§ 240, 242 et 243 : le peuple est juge des bornes du pouvoir, car il l’a
donné).
II- En 203, 204, 228, 232, Locke dit qu’il ne faut pas confondre rébellion et
résistance, et qu’il ne défend pas l’anarchie
§ 228 : par conséquent, l’objection selon laquelle (cf. § 203) sa doctrine est « propre à la
« rébellion » n’est pas pertinente. Selon lui, ceux qui lui objectent que cela ne peut que
mener à des guerres civiles, peuvent alors dire que « les honnêtes gens ne doivent pas
s’opposer aux voleurs et aux pirates, parce que cela pourrait donner occasion à des
désordres et à l’effusion de sang ». Enseigner aux peuples qu’ils sont absous du devoir
d’obéissance n’est pas leur enseigner la rébellion mais la résistance (§ 232) et « s’il arrive
des malheurs et des désastres on n’en doit pas imputer la faute à ceux qui ne font que
défendre leurs droits, mais à ceux qui envahissent ce qui appartient à leur prochain ». la
paix que cette doctrine est censée empêcher, n’est rien d’autre que celle qu’il y a entre les

7
loups et les agneaux, « lorsque les agneaux se laisseraient dévorer et déchirer
paisiblement par les loups ».
Critiques
- Locke ne confond-il pas ce qui est bon avec ce qui m’avantage ? Cf. Kant, Contre
Hobbes : la politique doit-elle être limitée par la norme de l’avantage commun, du
système d’intérêts ?
- Hegel, Principes de la philosophie du droit : Locke ne confond-il pas société civile et
État ?
- Hobbes : une société est-elle possible si un pouvoir supérieur et commun n’est pas seul
en droit de juger ce qui est bon ?
2) MONTESQUIEU
Montesquieu, avec entre autres John Locke, est l'un des penseurs de l'organisation
politique et sociale sur lesquels les sociétés modernes et politiquement libérales
s'appuient. Ses conceptions – notamment en matière de séparation des pouvoirs – ont
contribué à définir le principe des démocraties occidentales.
Les principes
Article détaillé : De l'esprit des lois.
Tome II, édition de 1749 chez Chatelain.
Dans cette œuvre capitale, qui rencontra un énorme succès, Montesquieu tente de dégager
les principes fondamentaux et la logique des différentes institutions politiques par l'étude
des lois considérées comme simples rapports entre les réalités sociales. Cependant après
sa mort, ses idées furent souvent radicalisées et les principes de son gouvernement
monarchique furent interprétés de façon détournée. Ce n'est qu'au moment de la
Révolution française que les révolutionnaires monarchiens tenteront vainement de les
faire adapter par l'Assemblée constituante pour contrer l'abbé Sieyès, partisan de la
rupture avec tout héritage et tout modèle.
Son œuvre, qui inspira les auteurs de la constitution de 1791, mais également des
constitutions suivantes, est à l'origine du principe de distinction des pouvoirs législatif,
exécutif et judiciaire, base de toute république.
Il est aussi considéré comme l'un des pères de la sociologie, notamment par Raymond
Aron.
Cependant, malgré l'immensité de son apport à la théorie moderne de la démocratie
parlementaire et du libéralisme, il est nécessaire de replacer un certain nombre de ses
idées dans le contexte de son œuvre, De l'esprit des lois :
1.il n'a pas eu de réflexion réellement poussée sur le rôle central du pouvoir
judiciaire ;
8
2.il n'a jamais parlé d'une doctrine des droits de l'homme ;
3.la réflexion sur la liberté a moins d'importance à ses yeux que celle sur les règles
formelles qui lui permettent de s'exercer.
La distribution des pouvoirs
Article connexe : Séparation des pouvoirs.
Montesquieu prévoit la « distribution des pouvoirs » au chapitre 5 de De l'esprit des lois.
Montesquieu distingue trois pouvoirs : la « puissance législative », la « puissance
judiciaire des choses qui dépendent du droit des gens », chargée particulièrement des
affaires étrangères et de la défense, et la « puissance exécutrice de celles qui dépendent
du droit civil », qui correspondent respectivement à ce que l'on nomme aujourd'hui le
pouvoir législatif, judiciaire et exécutif. Ceux-ci devraient être séparés et dépendants les
uns des autres afin que l'influence de l'un des pouvoirs ne prenne pas l'ascendant sur les
deux autres. Ainsi, Montesquieu est l'un des penseurs ayant inspiré le principe de
séparation des pouvoirs, aujourd'hui encore considéré comme un élément essentiel des
gouvernements républicains et démocratiques. Cette conception était radicale en ce
qu'elle contestait la structure en trois États de la monarchie française: le clergé,
l'aristocratie et le peuple, représentés au sein des États généraux, effaçant ainsi le dernier
vestige du féodalisme.
Selon Pierre Manent10, il n'y a principalement chez Montesquieu que deux pouvoirs :
l'exécutif et le législatif, qu'un jeu institutionnel doit mutuellement restreindre. Le
principal danger pour la liberté viendrait du législatif, plus susceptible d'accroître son
pouvoir. Les deux pouvoirs sont soutenus par deux partis qui, ne pouvant ainsi
mécaniquement pas prendre l'avantage l'un sur l'autre, s'équilibrent mutuellement. Il s'agit
selon Manent de « séparer la volonté de ce qu'elle veut » et ainsi, c'est le compromis qui
gouverne, rendant les citoyens d'autant plus libres.
Les régimes politiques
Montesquieu s'appuie sur l'importance de la représentation. Les corps intermédiaires sont
les garants de la liberté — la Révolution française montrera toute son ambiguïté quand
elle supprimera les corporations, défendant à la fois la liberté du travail et dissipant les
corps intermédiaires, laissant l'individu seul face à l'État — et le peuple doit pouvoir
simplement élire des dirigeants.
Montesquieu distingue alors trois formes de gouvernement11 — dans les deux premiers,
la transparence est indispensable —, chaque type étant défini d'après ce que Montesquieu
appelle le « principe » du gouvernement, c'est-à-dire le sentiment commun qui anime les
hommes vivant sous un tel régime :
la monarchie, « où un seul gouverne, mais par des lois fixes et établies »11, fondée sur
l'ambition, le désir de distinction, la noblesse, la franchise et la politesse12 ; le principe
en est l'honneur;

9
la république, « où le peuple en corps, ou seulement une partie du peuple, a la souveraine
puissance »11, comprenant deux types : la démocratie, régime libre où le peuple est
souverain et sujet. Les représentants sont tirés au sort parmi les citoyens qui sont tous
égaux. Elle repose sur le principe de vertu (dévouement, patriotisme, comportements
moraux et austérité traditionaliste, liberté, amour des lois et de l'égalité)13. Montesquieu
voit ce système comme plus adapté aux communautés de petite taille ;
l'aristocratie, régime où un type de personnes est favorisé à travers les élections. Repose
sur le principe de modération (fondée sur la vertu et non sur une « lâcheté ou paresse de
l'âme »14) pour éviter le glissement à la monarchie ou le despotisme
Le principe en est la vertu.
et le despotisme, régime d'asservissement où « un seul, sans loi et sans règle, entraîne tout
par sa volonté et par ses caprices »11 dirigé par un dictateur ne se soumettant pas aux
lois, qui repose sur la crainte15.
Selon le jugement actuel, il est surprenant de constater que, pour Montesquieu, la
monarchie permet plus de liberté que la république puisqu'en monarchie il est permis de
faire tout ce que les lois n'interdisent pas alors qu'en république la morale et le
dévouement contraignent les individus.
Les régimes libres dépendent de fragiles arrangements institutionnels. Montesquieu
affecte quatre chapitres De l'esprit des lois à la discussion du cas anglais, un régime libre
contemporain dans lequel la liberté est assurée par la balance des pouvoirs. Montesquieu
s'inquiétait que, en France, les pouvoirs intermédiaires comme la noblesse s'érodaient,
alors qu'à ses yeux ils permettaient de modérer le pouvoir du prince.
Comme nombre de ses contemporains, Montesquieu tenait pour évidentes certaines
opinions qui prêteraient aujourd'hui à controverse. Alors qu'il défendait l'idée qu'une
femme pouvait gouverner, il tenait en revanche qu'elle ne pouvait être à la tête de la
famille. Il acceptait fermement le rôle d'une aristocratie héréditaire et de la primogéniture,
qui permet de conserver les patrimoines. À notre époque, ses propos ont pu être sortis de
leur contexte pour faire croire qu'il était partisan de l'esclavage alors qu'il a dénoncé cette
pratique16.
Alors que, selon Thomas Hobbes, l'homme a pour passion naturelle la quête de pouvoir,
Montesquieu ne voit de danger que dans « l'abus du pouvoir », considérant que celui qui
dispose d'un pouvoir est naturellement porté à en abuser. Il convient dès lors d'organiser
les institutions, notamment en instaurant une séparation des pouvoirs : « pour qu'on ne
puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le
pouvoir. » (Référence)
Influences sur Catherine II

10
Montesquieu influença particulièrement Catherine II de Russie qui prétend avoir puisé
abondamment dans De l'esprit des lois pour rédiger le Nakaz, un ensemble de principes.
Elle avoua à d'Alembert qui le rapporta : « pour l'utilité de mon empire, j'ai pillé le
président de Montesquieu sans le nommer. J'espère que si, de l'autre monde, il me voit
travailler, il me pardonnera ce plagiat, pour le bien de vingt millions d'hommes. Il aimait
trop l'humanité pour s'en formaliser. Son livre est mon bréviaire ». L'impératrice reprit de
lui le principe de la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire et condamna
le servage à défaut de l'abolir, mais au cours de son règne, les conditions faites aux serfs
furent plutôt aggravées.
Théories et prises de position de Montesquieu
L'esclavagisme
Montesquieu ne s'accommode pas de l'idée d'esclavage. Il rédige le livre XV de De
l'esprit des lois pour démontrer qu'il est nuisible à toute société, quelle qu'elle soit. Il
ridiculise même les esclavagistes dans le chapitre 5 du livre XV : « Si j'avais à soutenir le
droit que nous avons eu de rendre les nègres esclaves, voici ce que je dirais ». Suit alors
une liste d'arguments caricaturaux dont le grinçant « si nous les supposions des hommes,
on commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens ».
Certains ont considéré que Montesquieu avait eu des intérêts dans la traite négrière, en
s'appuyant sur le fait qu'en 1722, Montesquieu avait acheté des actions de la compagnie
des Indes. Mais, ainsi que l'a rappelé Jean Ehrard, il a réalisé cette transaction en tant que
commissaire de l'académie de Bordeaux et non à titre personnel17.
Dans la satire citée, Montesquieu tourne en dérision l'esclavage18 :

3) JEAN-JACQUES ROUSSEAU
L'œuvre de Rousseau s'inscrit contre la filiation nobiliaire et réveille cette inconnue de la
« vieille » littérature, la sensibilité. Une sensibilité fondatrice de droits et de devoirs.
Mais son influence trouvera sa pleine expression avec la Révolution française : le penseur
politique en devient l'un des pères spirituels et tous se réclament de lui. Les
révolutionnaires, d'un extrême à l'autre, prétendirent « ne marcher que le Contrat social à
la main ». Les passions apaisées, l'œuvre de Rousseau continue à prendre sa juste place :
à l'orée du monde nouveau généré par la révolution industrielle, elle incarne nos
préventions contre le progrès ; elle est aussi porteuse des premiers ferments de la
littérature moderne, notamment en ce qui concerne l'écriture de soi. Rousseau est donc
porteur des prémices du romantisme.
Le libéralisme de Rousseau
Rousseau ne se fait pas du tout la même idée que Locke de ce qu'est la propriété. Certes il
admet avec le philosophe anglais que le travail est à l'origine de l'idée de propriété ; mais
il ne saurait être à l'origine du droit de propriété. En son fond, l'acte d'appropriation par le

11
travail entre sous le registre de la force. Le travail, dans la définition de Locke, est
d'abord rapport solitaire et silencieux de l'individu avec la nature ; le droit, dans sa
définition même, pose et donc suppose une relation entre les hommes, des paroles
échangées, effectivement ou tacitement. Le travail ne peut fonder le droit de propriété.
Qui va parler ? Ceux qui souffrent relativement le plus de cet état, à savoir,
paradoxalement, les riches. Puisque leur être, et donc leur instinct de conservation,
s'étend, au-delà de leur corps propre, jusqu'à leurs biens et les enveloppe, les riches vont
prendre l'initiative de la parole politique, de la parole qui fonde le corps politique. Ils vont
proposer à tous et particulièrement aux pauvres de constituer un corps politique qui
protégera les biens de tous, c'est-à-dire d'abord des riches, par les forces de tous, c'est-à-
dire d'abord des pauvres. L'inégalité est fondée et le malheur humain scellé. Dès lors les
lois, même les meilleures, ont une finalité contradictoire : elles doivent tendre à corriger
l'inégalité originelle des propriétés qui n'a d'autre fondement que la force ; et elles doivent
consacrer cette inégalité puisque, selon leur définition même, elles apportent à la
propriété ce supplément de force dont elle a naturellement besoin et dont a le plus besoin
la propriété la plus étendue, la plus "inégale".
Voilà le paradoxe ultime de la pensée de Rousseau : d'une part, la société est
essentiellement contraire à la nature ; d'autre part, elle ne se rapproche de la conformité à
la nature que dans la mesure où elle impose à ses membres l'unité la plus grande possible,
dans la mesure où elle dénature l'homme. Mais cette contradiction répond à celle de
l'homme : il est dans la nature de ce dernier d'être contradictoire. Il est naturel à l'homme
de se dénaturer car l'homme, en son fond, n'est pas nature mais liberté. Avec Rousseau, la
liberté devient pour ainsi dire immédiate à l'individu, comme sentiment, à la fois
expérience et exigence, de l'autonomie. Car déterminée, engluée par la nature, la liberté
libérale n'est déjà plus liberté. La nouvelle liberté va chercher un motif adéquat à sa
propre sublimité : la Révolution sera l'acte par lequel la liberté se donne à elle-même son
propre motif, par lequel l'homme s'élève au-dessus des déterminations de sa "nature".
La pensée de Rousseau ne se retourne contre le libéralisme que parce qu'elle en a mené
jusqu'au bout l'impulsion et la logique originelles : construire un corps politique un à
partir d'individus supposés radicalement indépendants. La pensée de Rousseau surgira en
1789 dans le dessein de protéger enfin adéquatement la sécurité et la propriété des
individus ; elle se retournera en 1793 contre cette sécurité et cette propriété pour obtenir
l'unité absolue du nouveau corps politique ; au 9-Thermidor, elle renoncera à cet effort
"contre nature" qui tendait à annuler son propre fondement, et se réconciliera avec la
propriété et son inégalité. Mais cette réconciliation à son tour restera essentiellement
précaire : en s'élevant au-dessus de toutes les déterminations de la nature, l'acte
révolutionnaire avait ouvert un "possible" indéterminé qu'aucune politique ne pourra
désormais ni oublier ni accomplir.
La "nature" cesse d'être le critère, la référence ou le modèle. Deux autres critères vont
prendre sa place : l'histoire ou la liberté. Rousseau place à égale distance l'État et la
société civile, et les englobe dans la "société". Il aura fait sentir à l'homme moderne qu'il

12
ne vit pas essentiellement dans un corps politique ou un État, ni dans un système
économique, mais d'abord dans la "société".
Critique libérale
Rousseau fonde le contrat social sur un vague sentiment d’appartenance à la
communauté, au peuple, au "corps social" : organicisme et holisme (un "holisme de
composition enraciné dans unindividualisme atomistique radical", selon Alain Laurent)
caractérisent la définition de l’État qui lui est propre, conception proche de celle
de Hegel.
La seule source du droit est également une vague "volonté générale", issue du vote
majoritaire, mais qui pour lui (comme le note Jacob Talmon) ressemble à une vérité
mathématique ou à une idée platonicienne et possède une existence objective propre qui
n'est pas la somme des volontés individuelles :
Il y a souvent de la différence entre la volonté de tous et la volonté générale ; celle-ci ne
regarde qu'à l'intérêt commun, l'autre regarde à l'intérêt privé, et n'est qu'une somme de
volontés particulières : mais ôtez de ces mêmes volontés les plus et les moins qui s'entre-
détruisent, reste pour somme des différences la volonté générale. Finalement cet acte
d'association produit un corps moral et collectif composé d'autant de membres que
l'assemblée a de voix, et auquel le moi commun donne l'unité formelle, la vie et la
volonté. Cette personne publique qui se forme ainsi par l'union de toutes les autres prend
en général le nom de corps politique, lequel est appelé par ses membres État.
Afin que ce pacte social ne soit pas un vain formulaire, il renferme tacitement cet
engagement, qui seul peut donner de la force aux autres, que quiconque refusera d'obéir à
la volonté générale, y sera contraint par tout le corps; ce qui ne signifie autre chose sinon
qu'on le forcera à être libre.
Pour Rousseau, la propriété est une convention, une création sociale, donc arbitraire,
alors que pour la plupart des libéraux c'est un droit naturel, qui existerait même sans
société civile, l'État n'étant qu'un instrument pour le garantir, et non le définir. Rousseau
refuse de séparer liberté et égalité :
« Si l’on recherche en quoi consiste précisément le plus grand bien de tous, qui doit être
la fin de tout système de législation, on trouvera qu’il se réduit à ces deux objets
principaux, la liberté et l’égalité. La liberté, parce que toute dépendance particulière est
autant de force ôtée au corps de l’État ; l’égalité, parce que la liberté ne peut subsister
sans elle. » (Le contrat social)
L'égalité dont il parle n'est pas une égalité en droit libérale, une isonomie, c'est clairement
une égalité sociale, une égalité de richesse, ce qui fait de lui un précurseur du socialisme.
Pour lui, « l’État est maître de tous les biens » de ses membres en vertu du contrat social,
et « le droit de chaque particulier à son propre fonds est subordonné au droit que la
communauté a sur tout ».

13
Rousseau est également un partisan de la société administrée, gouvernée par des
« sages » législateurs, des hommes « supérieurs », destinés à façonner la société selon un
modèle idéal (sa "volonté générale" aboutit ainsi à un pouvoir oligarchique). Il refuse
un ordre spontané libéral. Peu au fait des théories économiques, dans sa critique du luxe
il renouvelle l'erreur de Montaigne en voyant le commerce comme un jeu à somme nulle,
qui produit des gagnants et des perdants.
Certains auteurs, comme Jacob Talmon, voient Rousseau comme le théoricien de
la démocratie totalitaire, sujet à une tendance paranoïaque qu'on retrouve "chez trois
autres personnages de tempérament messianique totalitaire : Robespierre, Saint-Just et
Babeuf". Pour Benjamin Constant, le Contrat social est "le plus terrible auxiliaire de tous
les genres de despotisme" ; pour Hayek, Rousseau est un précurseur du constructivisme,
victime de la même "présomption fatale" rationaliste que Hegel.
4) DAVID HUME
David Hume (1711-1776), philosophe anglais le plus célèbre avec Locke. David Hume,
dans son Traité sur la nature humaine et ses Essais sur l’entendement humain, a critiqué
le rationalisme dogmatique du XVIIème siècle et ramené le principe de causalité à une
simple opinion subjective. Sa critique de l’épistémologie classique va ouvrir la voie de
Kant (Kant dira de Hume qu’il l’a “sorti de son sommeil dogmatique“), de même que sa
philosophie morale de l’habitude inspirera les théories économiques d’Adam Smith.
La plume vive de Hume nous a aussi légué de belles citations philosophiques.
Hume & la vie psychique : impressions et idées
David Hume est empiriste : à ses yeux, la connaissance humaine dérive, toute entière, de
l’expérience sensible (l’expérience sera le maître mot de cette grande figure du XVIIIème
siècle anglais).
Tout ce qu’il y a en moi, ce sont des perceptions, terme par lequel Hume désigne tous les
évènements constituant la vie de l’esprit, ces perceptions pouvant elles-mêmes être
classées en deux grandes catégories :
– Les impressions : des perceptions vives, entrant en nous avec force et violence
(sensations, émotions,…)
– Les idées, qui représentent, chez Hume, des images affaiblies des impressions.
Impressions et idées se succèdent sans trêve, en moi, se combinent et s’associent, en
vertu de leur ressemblance ou de leur contiguïté.
La vie psychique toute entière se comprend par l’association des idées, sorte d’attraction
régnant dans le monde de l’esprit : elle désigne cette propriété qu’ont les représentations
de s’appeler, de s’évoquer ou de s’entraîner les unes les autres, sans nulle intervention de
la volonté.
Toutes les opérations mentales s’expliquent par le jeu de l’association des idées.

14
Hume et la causalité :
Même l’idée de causalité, si importante pour la science et la métaphysique, se ramène à
une banale association d’idées.
– Si je dis qu’une élévation de la pression atmosphérique est la cause des
précipitations (effet), quelle est la signification de cet énoncé ?
– J’associe deux idées en fonction de l’habitude.
– Ainsi, la cause désigne seulement, chez Hume, un « antécédent constant », fruit
de l’association et de l’habitude.
Le sceptique Hume fait s’évanouir la cause, conçue comme liaison objective et nécessaire
avec l’effet qu’elle produit, pour lui substituer l’idée d’un lien résultant de l’habitude, de
la fragile coutume.
La lecture de Hume ébranlera profondément Kant. Troublé par cet empirisme sceptique,
Kant va forger une nouvelle méthode : Hume m’a fait sortir de mon “sommeil
dogmatique” ; tel sera le cri de Kant dans les Prolégomènes à toutes métaphysique future
qui voudra se présenter comme science. Sans Hume, aucune philosophie critique (ou
transcendantale) n’aurait sans doute pu naître.

5) LE FÉDÉRALISTE – EDMUND BURKE


est un homme politique et philosophe irlandais, longtemps député à la Chambre des
Communes britannique, en tant que membre du parti whig. Il est resté célèbre pour le
soutien qu'il a apporté aux colonies d'Amérique du Nord lors de leur accession à
l'indépendance, ainsi que pour sa ferme opposition à la Révolution française, exprimée
dans ses Reflections on the Revolution in France, qui fit de lui l'un des chefs de file de la
faction conservatrice au sein du parti whig. Edmund Burke est également l'auteur
d'ouvrages de philosophie portant sur l'esthétique, et le fondateur de la revue politique
Annual Register.
Père du conservatisme moderne1,2,3 et important penseur libéral4, Burke a aussi exercé
une grande influence sur de nombreux philosophes comme Emmanuel Kant.
Critique de la Révolution française[modifier | modifier le code]

15
Caricature d'Edmund Burke, 1790.
Edmund Burke est ici représenté comme un Don Quichotte, s'appuyant sur le pape,
représenté comme un âne. La caricature paraît en 1790, au moment de la Constitution
civile du clergé en France et de la sortie du livre de Burke Reflections on the Revolution
in France. Burke sort d'un porche au-dessus duquel est inscrit le nom de son éditeur,
Dodsley Bookseller. Sur son bouclier, la Bastille.
Une critique libérale et conservatrice[modifier | modifier le code]

Edmund s'est opposé à la Révolution française dès son début. Il s'en déclare l'adversaire,
et prononce à cette occasion plusieurs discours, tout en publiant un grand nombre
d'écrits ; le principal, intitulé : Réflexions sur la Révolution de France (1790), a en
Angleterre et sur le continent un immense succès. L'originalité de sa critique par rapport à
nombre de penseurs contre-révolutionnaires est de la développer dans le cadre d'une
pensée libérale et conservatrice17.

Il insiste sur les spécificités de la Révolution française qu'il critique au nom du


libéralisme18 ; il dénonce la Révolution française auprès de ceux qui y voient une
réédition des Révolutions anglaise et américaine. Selon lui, la nouveauté radicale de la
Révolution française, événement inouï, introduit dans l'Histoire une rupture qui en
perturbe le cours et menace l'ordre du monde. Burke oppose les nouvelles institutions
françaises à celles de l'Angleterre, abusivement présentées comme l'un de leurs modèles.
Burke démontre que la Glorious Revolution de 1688 a restauré la monarchie en la
relégitimant. Le Bill of Rights de 1689 lie indissolublement droits et libertés des sujets et
principe de succession de la Couronne. À la sage révolution anglaise, Burke oppose la
folie française de la table rase, alors que le devoir d'un peuple est selon Burke de
conserver ses traditions.

Au nom d'une philosophie de la nature, Burke rejette le contrat social rousseauiste ; pour
lui la légitimité d'une constitution est fondée sur la prescription, non sur la convention.
L'état naturel n'est autre que la vie en société, parvenant graduellement à la civilisation.
Burke soutient que l’œuvre législative française est fondée sur des idées théoriques et
intemporelles alors que les réformes doivent toujours être particulières au contexte
spatio-temporel. Pris d'un vertige volontariste, les révolutionnaires français ont déchiré le
tissu social, substituant à la gestion du progrès la dictature des principes abstraits, coupés
de tout concret historique. Au lieu de prendre en compte les droits des gens, notions
ancrées dans le réel, les esprits faux qui régissent la France ont proclamé les droits de
l'homme, illustrant une dangereuse métaphysique. Pour Burke, il est impératif de
préserver la hiérarchie sociale, de modérer la participation politique et de se conformer à
la tradition19. Selon un paradoxe apparent seulement, Burke qui avait pris la défense des

16
colons anglais d'Amérique du Nord contre la métropole au nom de la tradition et du
recours à une jurisprudence limitée et progressive, utilisa les mêmes arguments pour
s'opposer à la « fausse théorie des droits supposés de l'homme20. » Comme l'historien
Jacob-Nicolas Moreau, dont il divergeait notamment par l'absence de toute référence au
droit divin, Burke ne faisait pas appel à la raison abstraite pour fonder une politique mais
à une jurisprudence constitutionnelle léguée par la suite des temps21.

Pour lui, il n'y a pas de système universel déduit de la raison philosophique mais des
constructions historiques propres à chaque peuple. L'utopie démocratique, fondée sur le
dogme absurde de l'égalité, réduit des individus à la simple équivalence arithmétique et à
l'interchangeabilité ; de ce fait, elle tranche les liens ancestraux et dissout les divers
modes d'intégration de l'homme dans la société. Adversaire de l'absolutisme, Burke
affirme que les États généraux auraient pu et dû dégager les éléments d'une constitution
française faisant de 1789 le 1688 des Français. La dérive de la Révolution française
commence selon Burke en septembre 1789 avec le refus du bicamérisme et ce dérapage
vers la démagogie est confirmé par les premiers massacres des journées d'octobre 1789.
Burke dénonce aussi la tendance à la transgression de la Révolution française qui se
traduit notamment par deux caractéristiques : le bouleversement de la propriété et la
diffusion de l'athéisme. Cette transgression généralisée produit alors inéluctablement le
chaos : la Révolution ne peut que s'épuiser en une « suite monstrueuse de crimes et
d'événements grotesques, saturnales où l'horreur fascinante se dispute à la stupeur
incrédule18 » ; annonçant la terreur dès 1790, il affirme que la Révolution ne peut se
perpétuer que dans la tyrannie et prédit son inéluctable dérive terroriste et dictatoriale.
Influence[modifier | modifier le code]
Sur le plan des idées, les arguments de Burke seront repris par les penseurs contre-
révolutionnaires ; cependant, Joseph de Maistre et Louis de Bonald lisent Edmund Burke
mais n'y trouvent pas de convergences profondes avec des points essentiels de leur
doctrine, conception providentialiste de l'histoire prônant une théocratie essentiellement
réactionnaire, toute empreinte de nostalgie pour un Ancien Régime et un absolutisme
idéalisés22. Leurs arguments s'enrichissent à sa lecture mais pas en profondeur. C'est au
cours du XIXe siècle que l'importance de Burke se révélera progressivement. Hippolyte
Taine y trouvera la confirmation du naturalisme politique et social, qu'il oppose à
l'idéalisme et à la métaphysique de la Révolution, qui informe ses Origines de la France
contemporaine22.
Sur le plan pratique, la réaction du whig Burke, en dépit de sa brouille avec ses amis
politiques en 1791, annonça le ralliement de l'opposition parlementaire whig à la
politique de lutte contre le radicalisme et le jacobinisme anglais par William Pitt le
Jeune23.
Fin de vie[modifier | modifier le code]

17
Retiré alors de toute activité politique, Burke a quelquefois été surnommé le Cicéron
anglais. En 1792, il va héberger Augustin Barruel lors de son exil londonien et bien que
franc-maçon, le félicitera pour son Mémoire pour servir à l'histoire du jacobinisme,
pourtant antimaçonnique24.
6) G.W.F. HEGEL
Hegel, penseur de la dialectique et du Système
Hegel est un philosophe allemand qui a construit un immense système ordonnant toutes
les connaissances de l’époque. Il est probablement le philosophe le plus complexe à lire,
nous vous présentons donc une introduction sur sa philosophie qui s’efforce de rendre
simple une pensée aussi ardue.
Hegel dégage, dans l’histoire et la culture humaines, la genèse progressive de l’Absolu,
ce qui possède, en soi-même, sa raison d’être. L’Idée universelle, forme supérieure de
l’Esprit, représente, à la fin du processus, le terme absolu, en soi et par soi, parvenu à la
transparence.
La philosophie, système de l’Absolu selon Hegel :
Aux yeux de Hegel, la philosophie doit englober tout ce qui est, comprendre le réel dans
sa totalité, penser l’histoire et les choses : « Saisir et comprendre ce qui est, telle est la
tâche de la philosophie ».
La Philosophie représente un Système (contrairement aux penseurs non-systématiques,
tels que Nietzsche ou Kierkegaard dont les philosophies font primer la subjectivité),
c’est-à-dire un ensemble organisé et clos dont tous les éléments sont indépendants, une
connaissance formant une unité et englobant tous les éléments de la pensée et de la vie.
– Cette entreprise totalisante et synthétique a pour contenu fondamental l’Idée,
comprise non pas en tant que représentation subjective, mais comme principe spirituel
dynamique, création éternelle, vie éternelle, roulant, dans ses flots étincelants, toutes les
choses finies déterminées.
– L’Idée substance même de ce qui est, se forme, s’approfondit et se développe à
différents niveaux.
Elle existe d’abord comme Pensée identique à elle-même (premier moment). Puis, elle
sort d’elle-même et s’extériorise (second moment). Enfin, durant le troisième moment,
l’Idée revient en elle-même et se déploie comme Esprit, c’est-à-dire comme Pensée se
clarifiant progressivement et parvenant finalement à l’Absolu.
– La Logique, science de l’Idée et des catégories logiques, la Philosophie de la
Nature, science de l’Idée se développant dans la Nature externe, et la Philosophie de
l’Esprit, discipline étudiant le retour de l’Idée vers elle-même, à partir de son existence
extérieure, correspondent à ces trois moments spirituels.
Hegel et la logique dialectique :

18
Envisageons, tout d’abord, la logique et les lois de la dialectique. L’Idée se déploie, en
effet dialectiquement, selon certaines déterminations et lois qu’analyse Hegel, dans la
Logique.
Le principe fondamental de Hegel est l’idée d’un déploiement et d’une progression
dialectiques. Que désigne, chez ce penseur, la dialectique ?
– Essentiellement la marche de la pensée procédant par contradictions surmontées,
en allant de la thèse à l’antithèse et à la synthèse.
– C’est par dépassements successifs des contradictions (ce terme de dépassement
désigne très précisément, chez Hegel, l’acte de supprimer et de nier en conservant, sana
anéantir), que s’opère, en effet, le mouvement de tout le devenir.
– A chaque étape, une détermination est niée et, en même temps, conservée.
– Ainsi, le bouton disparait-il dans l’éclatement de la floraison : la fleur nie le
bouton et, en même temps, le conserve.
– De même en est-il à l’apparition du fruit, négation et conservation de la fleur.
Telle est cette marche où chaque terme nié est, en même temps, intégré.
– S’effectue ainsi, une synthèse réunissant et unifiant des moments antithétiques.
– En ce développement, un rôle majeur est joué par la contradiction, c’est-à-dire le
jeu de termes dont l’un est la négation de l’autre : ainsi « mort » et « vivant » sont-ils,
non pas isolés, mais en échange permanent l’un avec l’autre.
– De même, « être » et « néant », « chaud » et « froid », ces termes contradictoires
s’appellent-ils réciproquement.
Dans cette perspective, le négatif joue, bien entendu, un rôle essentiel.
– Le négatif, c’est-à-dire le moment du processus de développement où les
déterminations positives sont supprimées, incarne un véritable « travail » créateur.
– Il détruit, maintient et conserve, d’un seul et même mouvement.
Moment négatif et moment positif sont les deux faces de la dialectique hégélienne.
Pour aller plus loin, voir cet article sur le maître et l’esclave chez Hegel.
Hegel, l’activité humaine et l’histoire :
Le négatif par excellence, c’est l’homme qui nous le fait saisir. L’homme représente, en
effet, fondamentalement, un désir négateur : il tend vers un but ou un objet et il s’efforce
de les assimiler, de les nier, de les faire siens (par exemple, la nourriture est absorbée par
le sujet).

19
Mais le véritable objet du désir, c’est Autrui : la conscience ne s’engendre et ne se forme
qu’en se dirigeant vers l’Autre, qu’elle tend à dominer pour se faire reconnaitre comme «
conscience de maitre ».
Seul, montre Hegel, le désir du désir est générateur du moi. En une lutte à mort de pur
prestige, la conscience humaine affronte une autre conscience et s’efforce de se faire «
reconnaitre » dans sa supériorité.
Au-delà de la formation du moi individuel, c’est dans le Travail et dans l’Histoire que la
négation s’exprime avec sa pleine puissance édificatrice.
– Travailler, c’est, en effet, nier la nature pour la vaincre, c’est construire des outils
pour soumettre le monde extérieur à la forme humaine.
– Ainsi, l’homme humanise-t-il les choses et dompte-t-il la nature.
– Il exerce une activité pratique, expression qui désigne une transformation des
choses extérieures, marquées, dès lors, du sceau de l’intériorité humaine et de la
négativité.
L’Histoire, elle aussi (comprise comme développement de l’Idée et processus spirituel
total), manifeste pleinement la négativité humaine qui s’inscrit en elle : c’est un devenir
où l’homme nie le monde et extériorise ainsi sa liberté.
– Néanmoins, il ne faut pas se méprendre sur le caractère de l’évolution historique.
– Certes, un individu historique marque dans les choses son propre projet, mais il
n’est que le chargé d’affaires de l’Esprit du monde.
– En effet, l’Histoire, ce mouvement spirituel total par lequel s’engendre l’Idée
absolue, est une manifestation de la raison, conçue comme Principe divin immanent au
monde.
– La Raison gouverne les choses et, pour mener à bonne fin ses desseins, elle utilise
les volontés, ou passions des individus.
Les hommes font-ils réellement ce qu’ils veulent ?
– En fait, la Raison « ruse » : on peu appeler « Ruse de la raison » le fait qu’elle
n’agit pas par elle-même, mais laisse agir à sa place les passions humaines.
– Ainsi les hommes s’usent-ils et s’épuisent-ils pour actualiser un projet qui les
dépasse infiniment, celui de la « Raison » divine.
Aux yeux de Hegel, le processus historique tend, à travers ces « ruses » diverses, à une
intelligibilité et à une transparence de plus en plus parfaites.
– En particulier, l’Etat est une réalisation de la raison absolue. Loin de désigner une
organisation relative et contingente, il représente la substance sociale arrivée à la pleine
conscience d’elle-même.

20
– En lui, l’homme s’affirme et se retrouve : loin d’être livré à l’arbitraire, il
expérimente, dans l’organisation étatique, une authentique autonomie.
L’Histoire ne possède donc pas, chez Hegel, un sens étroit, mais elle désigne un
processus global et universel. L’Histoire universelle n’est rien d’autre que la
manifestation du processus divin absolu de l’Esprit, la marche graduelle par laquelle il
prend conscience de soi.
Hegel, l’Art, la religion et la philosophie :
Les étapes finales du processus spirituel total correspondent à celles de l’Art, de la
Religion et de la Philosophie : le mouvement de l’Esprit acquiert alors une transparence
de plus en plus grande.
– L’Art, en effet, manifeste l’Absolu sous une forme sensible.
– Il désigne l’Esprit se prenant pour objet, s’exprimant à travers une forme ou une
représentation concrètes.
– Quant au Beau, il se définit, dans cette perspective, comme la manifestation
sensible de l’Idée. L’Idée, conçue comme une forme supérieure de l’Esprit, s’actualise
pleinement dans l’œuvre d’art et le Beau.
– Toutefois, elle revêt encore, dans l’œuvre d’art, une forme sensible et n’atteint pas
encore le concept pur, comme elle le fera dans la philosophie.
L’Art est, pour nous, désormais, du passé : il a perdu, pense Hegel, dans notre
civilisation, sa vérité et sa vie ;
– Ce déclin rend possible la venue de l’Esthétique, réflexion philosophique sur l’Art
et philosophie des Beaux-arts.
Dans la Religion (formation où l’individu s’élève à la pensée de Dieu et entre en union
avec lui), et la Philosophie (Intelligence et pensée du présent et du réel, conception et
système de ce qui est, saisie conceptuelle du monde dans son unité), l’Esprit se dépouille
progressivement de sa gangue sensible.
Ainsi l’Esprit Absolu, délivré de ses particularités, atteint-il une parfaite égalité avec lui-
même.
– Il désigne l’Idée parvenue à la transparence, à son être pour-soi et au savoir de
soi, à travers la médiation finale de l’Art, de la Religion et de le Philosophie.
Notre époque est particulièrement sévère à l’égard de Hegel. Aux yeux de Hegel, tout ce
qui s’est produit marque, en effet, une étape vers la réalisation de l’Esprit. Tout
phénomène historique peut trouver, dans ce contexte, sa pleine légitimation, puisqu’il est
appelé par l’exigence même de la Raison.
Si ce rationalisme intégral n’est pas toujours jugé satisfaisant par notre culture, les
enseignements de la dialectique hégélienne ne sont nullement caducs. Négativité, travail
21
de la contradiction, autant de riches éléments hégéliens qu’il faut prendre en compte et
qui demeurent des instruments d’analyse.
Le droit obéit également à cette philosophie dialectique.
Hegel, philosophe du devenir :
Hegel a su définir une raison dialectique, à savoir une faculté dynamique et un processus
indiquant le passage d’une détermination de l’être à la détermination opposée.

7) ALEXIS TOCQUEVILLE
est un philosophe politique, homme politique, historien, précurseur de la sociologie et
écrivain français. Il est célèbre pour ses analyses de la Révolution française, de la
démocratie américaine et de l'évolution des démocraties occidentales en général.
Raymond Aron et Raymond Boudon entre autres, ont mis en évidence son apport à la
sociologie2,3. François Furet, quant à lui, a mis en avant la pertinence de son analyse de
la Révolution française4. Son œuvre a eu une influence considérable sur le libéralisme et
la pensée politique, au même titre que celles de Hobbes, Montesquieu, et Rousseau5.
Tocqueville défend la liberté individuelle et l'égalité en politique. Exprimant parfois des
réserves sur l'évolution possible de la démocratie vers une dictature de la majorité au nom
de l'égalité, et rejetant nettement à ce titre toute orientation socialiste, il est l'une des plus
grandes références de la philosophie politique libérale.
Théoricien du colonialisme, légitimant l'expansion française en Afrique du Nord (1841-
1846), il fustige néanmoins les violences des armées françaises en Afrique, s'oppose à
l'application du régime militaire en Algérie (1848), et défend parmi les premiers
l'abolition de l'esclavage dans les colonies (1839)24. Parallèlement, Tocqueville refuse
les considérations de la thèse de son ami Joseph Arthur de Gobineau25 (Essai sur
l'inégalité des races humaines). Sceptique et hanté par la corruption de la démocratie et le
déclin des valeurs aristocratiques, il défendra aussi une vision « de la puissance et de la
grandeur nationale », annonçant le « nationalisme du siècle suivant »26.
Son œuvre fondée sur ses voyages aux États-Unis (1831-1832) est une base essentielle
pour comprendre ce pays, en particulier les fondements de la démocratie américaine au
cours du XIXe siècle. Même si une des raisons profondes de son voyage est de partir
pour éviter les regards malveillants dus à ses origines aristocratiques, Tocqueville est
surtout avide de rencontrer une « grande république »27, libérale et fédérale. On sait qu'il
a aussi consulté une documentation dont on peut citer trois ouvrages essentiels : Le
Fédéraliste par Alexander Hamilton, James Madison, et John Jay, puis James Kent
(Commentaries on American Law) et Joseph Story (Commentaries on the Constitution of
the United States), deux juristes aux opinions conservatrices28. Ces ouvrages et
commentaires ont le point commun de défendre des positions fédéralistes.

22
De la Démocratie en Amérique paraît en deux volumes en 1835 et 1840. Beaumont écrira
Marie ou l'esclavage aux États-Unis29, texte également inspiré par leur parcours des
États-Unis sous le président Jackson.
Tocqueville est partisan d'une réforme des prisons, qu'il défendra dans le livre sur le
système pénitentiaire, écrit avec Gustave de Beaumont, après le voyage en Amérique :
Du système pénitentiaire aux États-Unis de de son application (1833).
Il sera l'auteur de plusieurs rapports et projets de loi. Il préconise le principe du
panoptisme (décrit par Michel Foucault dans Surveiller et punir) pour réformer les
prisons françaises, basé sur l'isolement cellulaire individuel (prison de Cherry-Hill à
Philadelphie). Cet objectif ne sera réalisé en France qu'à la fin du XIXe siècle.
Plus encore que l'amendement du prisonnier, son objectif majeur en matière de politique
pénale est la protection de la société. Il est également un des membres fondateurs de la
colonie pénitentiaire de Mettray pour jeunes mineurs délinquants. Mettray est le modèle
où se concentrent toutes les technologies coercitives du comportement...30. C'est la face
sombre, occultée, de ce libéral démocrate31.
La démocratie pour Tocqueville
Durant son séjour aux États-Unis, Tocqueville s'interroge sur les fondements de la
démocratie. À la différence de Guizot, qui voit l'histoire de France comme une longue
émancipation des classes moyennes, il pense que la tendance générale et inévitable des
peuples est la démocratie. Selon lui, celle-ci ne doit pas seulement être entendue dans son
sens étymologique et politique (pouvoir du peuple), mais aussi et surtout dans un sens
social.
L'égalisation des conditions
Ainsi la première caractéristique de la société démocratique est l'égalité des conditions.
Celle-ci n'est pas rigoureusement définie chez Tocqueville. Elle est à la fois un principe
et un fait, et ce qu'elle recouvre évolue avec la société démocratique. Plus précisément,
l'égalité des conditions est « imaginaire », n'annulant pas l'inégalité économique, mais
modifiant l'ensemble des relations entre les hommes, en faisant de l'égalité la norme.
Autrement dit, l'égalité des conditions implique l'absence de castes et de classes tout en
indiquant qu'elle n'équivaut pas à la suppression de la hiérarchie sociale ou politique.
Contrairement à la société aristocratique, aucun des membres de la société démocratique
ne subit sa destinée du fait de la position sociale qu'il occupe, et la hiérarchie sociale ne
renvoie plus à un ordre social préétabli qui assigne à chacun une place, des droits et des
devoirs propres. L'égalité des conditions constitue une autre appréhension de la structure
sociale : les positions ne sont certes pas équivalentes, mais elles ne cristallisent pas la
totalité de l'existence sociale des individus, ce qui fait que la condition sociale évolue
avec la société démocratique (la fortune ou la propriété voient leur rôle se transformer).
L'égalité des conditions se redéfinit sans cesse et ne peut se dissocier de la dynamique

23
sociale. Mais plus que d'égalité, il faut parler d'égalisation dans la perspective de l'ordre
social démocratique.
Pour exemple Tocqueville expose la relation qui s'établit entre un maître et son serviteur
dans la société démocratique par rapport à celle qui règne dans la société aristocratique.
Dans les deux cas il y a inégalité, mais dans l'ancienne société elle est définitive, alors
que dans la société moderne elle est libre et temporaire. Libre car c'est un accord
volontaire, que le serviteur accepte l'autorité du maître et qu'il y trouve un intérêt.
Temporaire parce qu'il y a le sentiment désormais partagé entre le maître et le serviteur
qu'ils sont fondamentalement égaux. Le travail les lie par contrat et, une fois celui-ci
terminé, ils sont deux membres semblables du corps social. Les situations sociales
peuvent être inégalitaires, mais elles ne sont pas attachées aux individus. Ce qui compte
c'est l'opinion qu'en ont les membres de la société : ils se sentent et se représentent
comme égaux, et le sont comme contractants.
L'égalité des conditions est donc un fait culturel, une construction sociale, une
représentation. C'est cette attitude mentale qui fait de l'homme démocratique un homme
nouveau, dont les actes sont marqués par ce qui prend l'allure d'une évidence. L'égalité
des conditions pour Tocqueville articule ce qui est de l'ordre du principe : absence de
distinctions sociales fondées juridiquement, égalité des droits, sentiment collectif de
l'égalité néanmoins « égalité imaginaire », car l'égalité civile peut tout de même coexister
avec l'inégalité économique ou politique.
Paradoxalement, l'égalité des conditions, en fragilisant toutes les relations hiérarchiques
de subordination (entre les maîtres et les serviteurs, les hommes et les femmes, les adultes
et les enfants), tend à détruire les liens de dépendance, de protection que le monde
aristocratique a pu préserver. Mais pour Tocqueville, il y a quasi équivalence entre la
démocratie (au sens politique) et l'égalité des conditions. Il considère que tous les
hommes possèdent comme attribut la liberté naturelle, c’est-à-dire la potentialité d'agir
librement. La liberté se traduit dans la cité par l'égalité des droits civils et civiques32. On
fait référence ici à la liberté, c'est-à-dire de ne pas être obligé de faire telle ou telle chose,
mais aussi la liberté de prendre part à la vie publique. L'égalité des conditions renvoie à la
citoyenneté.
Donc, comment recréer les liens entre les êtres humains que la démocratie, par l'égalité
des conditions, tend à détruire, sans contredire l'égalité ? C'est à partir de cette question
que Tocqueville va développer un « libéralisme aristocratique »33.
Comme Rousseau ou Montesquieu, Tocqueville répond à cette question d'une part en
enracinant le citoyen dans la vie politique par la décentralisation, les associations, etc. (Cf
: fédéralisme, démocratie directe et participative[réf. souhaitée]) ; et d'autre part par des
contre-pouvoirs d'esprits aristocrates, notamment par le rôle joué par le pouvoir
judiciaire.
« Armé du bras droit de déclarer les lois inconstitutionnelles, le magistrat américain
pénètre sans cesse dans les affaires politiques. Il ne peut pas forcer le peuple à faire des

24
lois, mais du moins il le contraint à ne point être infidèle à ses propres lois et à rester
d'accord avec lui-même. »
— Alexis de Tocqueville dans Démocratie en Amérique (Œuvre complète, vol. I, p. 280)
Les caractéristiques de la société démocratique[modifier | modifier le code]
La nouvelle société est mobile, matérialiste et assure différemment l'intégration de ses
membres. Dans la société aristocratique, les positions sociales sont figées. Or pour
Tocqueville, à partir du moment où il n'existe plus aucun obstacle juridique ou culturel au
changement de position sociale, la mobilité sociale (ascendante ou descendante) devient
la règle. La transmission de l'héritage ne suffit plus à maintenir un niveau social et la
possibilité de s'enrichir se présente à tous. La société démocratique apparaît comme une
société où les positions sociales sont constamment redistribuées. Cette société ouverte
permet une transformation de la stratification sociale, des normes et des valeurs. Dans
une société où les positions sociales sont héréditaires, chaque classe pouvait développer
des traits communs suffisamment marqués pour lui permettre d'affirmer des valeurs
propres. En revanche, dans la société démocratique, les traits culturels de chaque classe
s'estompent au profit d'un goût commun pour le bien-être. Ce matérialisme s'affirme
lorsque l'accès à la richesse devient possible pour les pauvres et que l'appauvrissement
menace les riches.
Les dynamiques de la société démocratique[modifier | modifier le code]
Tocqueville va montrer les mécanismes par lesquels on tend vers l'état de la société :
l'égalité est un principe, l'égalisation un processus. La question est de savoir comment et
pourquoi la société démocratique est appelée à suivre un tel mouvement.
Pour Tocqueville si l'égalité est hors d'atteinte, c'est pour deux raisons : d'une part les
hommes sont naturellement inégaux, d'autre part, le fonctionnement de la société
démocratique est lui-même à l'origine de mouvements inégalitaires. L'inégalité naturelle
des individus fait que certains possèdent certaines aptitudes intellectuelles ou physiques.
Or en démocratie, c'est l'intelligence qui est la première source des différences sociales. Il
y a une institutionnalisation des inégalités fondées sur le mérite, on parle donc de
méritocratie. Si les dispositions intellectuelles ne sont pas équivalentes, il est possible par
l'instruction d'égaliser les moyens de leur mise en œuvre.
Comme il a été dit plus haut, la société démocratique se caractérise par la mobilité sociale
et la recherche du bien-être matériel. Pour des raisons diverses comme les inégalités
naturelles, certains réussiront mieux que d'autres. Il y a donc un paradoxe puisque
l'égalité des conditions conduit à alimenter les inégalités économiques. Si les membres de
la société démocratique cherchent à s'enrichir, c'est aussi pour se différencier
socialement. Il y a donc la conjonction de deux mouvements : une aspiration égalitaire
(conscience collective) et une aspiration inégalitaire (conscience individuelle). L'homme
démocratique désire l'égalité dans le général et la distinction dans le particulier.

25
La société démocratique est de cette manière traversée par des forces divergentes. D'une
part, un mouvement idéologique irréversible qui pousse vers toujours plus d'égalité et
d'autre part, des tendances socio-économiques qui font que les inégalités se reconstituent
sans cesse.
Les risques de la société démocratique[modifier | modifier le code]
« Il y a en effet une passion mâle et légitime pour l’égalité qui excite les hommes à
vouloir être tous forts et estimés. Cette passion tend à élever les petits au rang des
grands ; mais il se rencontre aussi dans le cœur humain un goût dépravé pour l’égalité,
qui porte les faibles à vouloir attirer les forts à leur niveau, et qui réduit les hommes à
préférer l’égalité dans la servitude à l’inégalité dans la liberté. »
— Alexis de Tocqueville - De la démocratie en Amérique, T. I, première partie, chap. III
(Vrin).
C'est dans le renoncement à la liberté que se trouve le danger majeur pour la société
démocratique. Le premier risque est celui de la tyrannie de la majorité : un régime
politique se caractérise par la règle de la majorité qui veut que, par le vote, la décision
soit celle du plus grand nombre. Tocqueville relève que la démocratie comporte le risque
d'une toute-puissance de la majorité. Parce qu'il s'exerce au nom du principe
démocratique, un pouvoir peut s'avérer oppressif à l'égard de la minorité qui a
nécessairement tort puisqu'elle est minoritaire. Il est évident que le vote traduit des
divergences d'intérêt et de convictions au sein de la société. Il peut ainsi se faire que la
poursuite de l'égalité s'exerce au détriment exclusif d'une partie de la population. Selon
Tocqueville la démocratie engendrerait le conformisme des opinions dans la société à
cause de la moyennisation de la société. Ainsi il dénonce l'absence d'indépendance
d'esprit et de liberté de discussion en Amérique34. Quand toutes les opinions sont égales
et que c'est celle du plus grand nombre qui prévaut, c'est la liberté de l'esprit qui est
menacée avec toutes les conséquences qu'on peut imaginer pour ce qui est de l'exercice
effectif des droits politiques. La puissance de la majorité et l'absence de recul critique des
individus ouvrent la voie au danger majeur qui guette les sociétés démocratiques : le
despotisme.
C'est le deuxième risque des sociétés démocratiques selon Tocqueville. Les hommes
démocratiques sont dominés par deux passions : celles de l'égalité et du bien-être. Ils sont
prêts à s'abandonner à un pouvoir qui leur garantirait de satisfaire l'un et l'autre même au
prix de l'abandon de la liberté. Les hommes pourraient être conduits à renoncer à exercer
leur liberté pour profiter de l'égalité et du bien-être. Les individus pourraient remettre de
plus en plus de prérogatives à l'État. Dans les sociétés démocratiques, il est plus simple
de s'en remettre à l'État pour assurer une extension de l'égalité des conditions dans le
domaine politique qui est encadré par les lois. C'est l'État qui a pour charge leur
élaboration et leur mise en œuvre. À partir de là, l'État peut progressivement mettre les
individus à l'écart des affaires publiques. Il peut étendre sans cesse les règles qui

26
encadrent la vie sociale. Le despotisme prend la forme d'un contrôle. On arrive ainsi à
l'égalité sans la liberté.
La société démocratique transforme le lien social en faisant émerger un individu
autonome. C'est une source de fragilisation qui peut déboucher sur une attitude de repli
sur soi. Tocqueville va montrer que l'individualisme peut naître de la démocratie. La
démocratie brise les liens de dépendance entre individus et entretient l'espérance
raisonnable d'une élévation du bien-être ce qui permet à chaque individu ou à chaque
famille restreinte de ne pas avoir à compter sur autrui. Il devient parfaitement possible
pour son existence privée de s'en tenir aux siens et à ses proches.
L'individualisme est un sentiment réfléchi qui dispose chaque citoyen à s'isoler de la
masse de ses semblables de telle sorte que, après s'être créé une petite société à son usage,
il abandonne volontiers la grande société à elle-même.
En choisissant de se replier sur ce que Tocqueville appelle « la petite société », les
individus renoncent à exercer leurs prérogatives de citoyen. L'égalisation des conditions
en rendant possible l'isolement vis-à-vis d'autrui remet en cause l'exercice de la
citoyenneté. Le premier danger de la société démocratique est de pousser les citoyens à
s'exclure de la vie publique. La société démocratique peut donc conduire à l'abandon de
leur liberté par ses membres, parce qu'ils sont aveuglés par les bienfaits qu'ils attendent
de toujours plus d'égalité directement ou indirectement. Tocqueville souligne que l'égalité
sans la liberté n'est en aucun cas satisfaisante. L'accepter c'est se placer dans la
dépendance.
Selon Tocqueville, une des solutions pour dépasser ce paradoxe, tout en respectant ces
deux principes fondateurs de la démocratie, réside dans la restauration des corps
institutionnels intermédiaires qui occupaient une place centrale dans l'Ancien Régime
(associations politiques et civiles, corporations, etc.). Seules ces instances qui incitent à
un renforcement des liens sociaux, peuvent permettre à l'individu isolé face au pouvoir
d'État d'exprimer sa liberté et ainsi de résister à ce que Tocqueville nomme « l'empire
moral des majorités ». En ce sens, Tocqueville se montre critique envers une trop forte
centralisation des pouvoirs (gouvernementaux et administratifs), qui selon lui « habitue
les hommes à faire abstraction complète et continuelle de leur volonté ; à obéir, non pas
une fois et sur un point, mais en tout et tous les jours »35. Ainsi, il fait à l'inverse l'éloge
du système communal américain de l'époque (tout particulièrement celui de la Nouvelle-
Angleterre, celui-ci étant plus important que dans les États plus au sud), où par le biais
des Town meeting (assemblée citoyenne) la population a l'occasion d'exercer directement
un pouvoir politique. Il affirme ainsi que « c'est [...] dans la commune que réside la force
des peuples libres. Les institutions communales sont à la liberté ce que les écoles
primaires sont à la science ; elles la mettent à la portée du peuple ; elles lui en font goûter
l'usage paisible et l'habituent à s'en servir », concluant que « sans institutions
communales une nation peut se donner un gouvernement libre, mais elle n'a pas l'esprit
de la liberté. »36

27
Le changement social selon Tocqueville37[modifier | modifier le code]
Pour Tocqueville, le changement social résulte de l'aspiration à l'égalité des hommes.
Pour lui, si l'humanité doit choisir entre la liberté et l'égalité, elle tranchera toujours en
faveur de la seconde, même au prix d'une certaine coercition, du moment que la
puissance publique assure le minimum requis de niveau de vie et de sécurité.
L'enjeu, toujours d'actualité, est l'adéquation entre cette double revendication de liberté et
d'égalité : « les nations de nos jours ne sauraient faire que dans leur sein les conditions ne
soient pas égales ; mais il dépend d'elles que l'égalité les conduise à la servitude ou à la
liberté, aux lumières ou à la barbarie, à la prospérité ou aux misères ».
Pour Tocqueville, la société démocratique caractérisée par l'égalité des conditions est
l'aboutissement du changement social.
Révolution française : rupture ou continuité institutionnelle ?[modifier | modifier le code]
Dans son ouvrage L'Ancien Régime et la Révolution, Tocqueville montre que la
Révolution de 1789 ne constitue nullement une rupture dans l'Histoire de France. Selon
lui, l'Ancien Régime s'inscrit déjà dans le processus d'égalisation des conditions qui
s'explique par deux évolutions complémentaires :
d'une part, sur le plan institutionnel, la France pré-révolutionnaire est marquée par la
remise en cause progressive du pouvoir de la noblesse par l'État (on assiste par exemple à
un accroissement du pouvoir des intendants aux dépens des Seigneurs). Cependant, son
étude sur les intendants ne se fonde que sur la généralité de Tours, proche de Paris et
fidèle au pouvoir royal. Cette idée de centralisation avec l'intendance doit donc être
nuancée. (cf. travaux d'Emmanuelli notamment).
Dans son annexe, il fait de l'activité du Parlement du Languedoc sous l'Ancien Régime un
exemple ;d'autre part, sur le plan des valeurs, Tocqueville rend compte de la montée de
l'individualisme sociologique qui place l'individu-citoyen et avec lui le concept d'égalité
au centre des préoccupations morales et politiques (Jean-Jacques Rousseau : Discours sur
l'origine de l'inégalité parmi les hommes).
C'est la convergence de ces deux logiques qui rend de plus en plus inacceptable l'inégalité
des conditions : « le désir d'égalité devient toujours plus insatiable à mesure que l'égalité
est plus grande ».
Il en conclut que le progrès de l'égalité a précédé la Révolution ; il en est une des causes
et non une de ses conséquences :
Tout ce que la Révolution a fait, se fût fait, je n'en doute pas, sans elle ; elle n'a été qu'un
procédé violent et rapide à l'aide duquel on a adapté l'état politique à l'état social, les faits
aux idées, les lois aux mœurs.
Réception de l'œuvre de Tocqueville[modifier | modifier le code]

28
La publication de La Démocratie en Amérique procure à Toqueville une grande
renommée38. Le premier tome est un succès d'édition, qui nécessite plusieurs rééditions,
et récolte de glorieuses critiques, en France et à l'étranger39.
Sous-estimée en France pendant plusieurs décennies40, notamment à cause de la
prééminence du marxisme[réf. nécessaire]41, mais toujours lue surtout aux États-Unis et
par les catholiques français (ou Européens) ralliés à la démocratie et les libéraux, l'œuvre
de Tocqueville fut remise à l'honneur, d'une part par le déclin idéologique et politique du
socialisme, d'autre part par la mutation de la vie intellectuelle des sociétés après la
Seconde Guerre mondiale42. Raymond Aron, dans les années cinquante (notamment
dans son Essai sur les libertés), sut reconnaître en Tocqueville un précurseur. Par la suite,
le « tocquevillisme français » est devenu une référence dans différents horizons ou
disciplines. Les historiens François Furet, André Jardin, Pierre Birnbaum, les philosophes
Pierre Manent, Claude Lefort, Marcel Gauchet, Jean-Louis Benoît et les sociologues
Louis Dumont, Raymond Boudon contribuèrent à comprendre la richesse de l'œuvre de
Tocqueville43. Plus récemment, le monde juridique a également redécouvert
Tocqueville, non seulement en raison de sa profession d'avocat, mais également pour ses
contributions au droit constitutionnel, français en 1848 et américain44.
Il a influencé divers penseurs en France, tels que Hippolyte Taine, Frédéric Le Play, ou
Georges Sorel. Il a échangé des correspondances avec son ami Joseph Arthur de
Gobineau, précisant qu'il ne partageait pas l'ensemble de ses thèses en particulier son
fatalisme. Mais c'est sans doute à l'étranger que Tocqueville a été le plus estimé de son
vivant et au XXe siècle : en Angleterre, par ses amis John Stuart Mill et Nassau William
Senior, Lord Acton, Harold Laski, en Allemagne, avec Georg Simmel, Jacob Burckhardt,
Ferdinand Tönnies, voire Max Weber45, et Wilhelm Dilthey. En Norvège, il a influencé
Jon Elster.
Aux États-Unis, il reste régulièrement cité par l'ensemble de la classe politique
gouvernementale ou fédérale46, suscitant des travaux et publications47 (David Riesman,
Richard Sennett, et du conservateur Robert Nisbet), mais aussi de (re)traductions et de
controverses. Ainsi, en l’an 2000, la retraduction de De la démocratie en Amérique par
Harvey Mansfield et Delba Winthrop, provoque d'importantes discussions et parfois
même des altercations, Tocqueville se voyant étiqueté de "penseur de droite"48.
8) Jeremy Bentham

9)

29

Vous aimerez peut-être aussi