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Chapitre 1

Notions fondamentales sur les corps finis

1.1 Introduction
Les corps finis les plus simples sont ceux de la forme Z/pZ où p est premier. Ce sont
d’ailleurs, à isomorphisme près, les uniques corps finis de cardinaux premiers. On va voir
dans la suite que ces corps particuliers interviennent dans la structure de tous les corps finis.

1.2 Le corps Z/pZ


Définition 1.2.1 Un corps fini est un corps ayant un nombre fini d’éléments.

Il existe des corps qui ne sont pas commutatifs, l’exemple classique étant le fameux corps
des quaternions. On peut alors se poser la question suivante : existe-t-il des corps finis non
commutatifs ? La réponse est non, comme le montre le célèbre théorème de Wedderburn qui
suit.

Théoréme 1.2.1 (Théorème de Wedderburn) Tout corps fini est commutatif.

La preuve de ce théorème relève essentiellement de la théorie des groupes puisqu’il s’agit


de montrer que le groupe multiplicatif d’un corps fini est abélien.
Rappelons maintenant, en vue de donner un premier exemple de corps fini, la construction
de l’anneau des restes modulo n, Z/nZ, où n est un entier naturel fixé. On définit sur Z la
relation R par
∀a, b ∈ Z, aRb ⇔ a − b ∈ nZ.

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La relation R est une relation d’équivalence. La classe d’équivalence de a ∈ Z, notée a, est
donnée par
a = {x ∈ Z : x − a ∈ nZ} = {a + nk : k ∈ Z} .

L’ensemble quotient Z/R est noté Z/nZ. On a donc



Z/nZ = {a : a ∈ Z} = 0, 1, . . . , n − 1 .

On définit sur Z/nZ les opérations suivantes

∀a, b ∈ Z/nZ, a ⊕ b = a + b, a b = ab.

Ces opérations sont bien définies, c’est-à-dire qu’elles ne dépendent pas du choix du représen-
tant d’une classe. Muni de ces deux opérations, l’ensemble Z/nZ est un anneau commutatif.
Dans la suite on notera, respectivement, simplement + et . au lieu de ⊕ et .

Exemples 1.2.1 Dans Z/3Z, on a 1 + 2 = 3 = 0 et 2.2 = 4 = 1.


Dans Z/4Z, on a 2.2 = 0.

On peut vérifier directement que Z/3Z est un corps, alors que Z/4Z ne l’est pas. Cepen-
dant, on a le théorème fondamental bien connu qui suit.

Théoréme 1.2.2 Z/nZ est un corps si seulement si n est premier

Démonstration. On suppose que n est premier. Montrons que Z/nZ est un corps. Il suffit
de montrer que tout élément non nul de Z/nZ est inversible. Soit x ∈ Z/nZ, x 6= 0. Comme
n est premier, alors PGCD(x, n) = 1. Il existe donc a, b ∈ Z tels que an + bx = 1, alors
an + bx = 1, donc an + bx = 1, et comme an = 0, alors bx = 1, c’est-à-dire que x est
inversible, d’où Z/nZ est un corps. Réciproquement, si n n’est pas premier, alors on peut
écrire n = qp, où 1 < p < n et 1 < q < n. On a alors 0 = n = pq = pq avec p 6= 0 et
q 6= 0, donc Z/nZ n’est pas intègre, d0 où Z/nZ n’est pas un corps.

1.3 Cardinal et caractéristique d’un corps fini

Soit K un corps fini. Posons


f : Z −→ K
n −→ n.1

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 1 + 1 + ··· + 1 (n fois ) si n > 0,

où n.1= 0 si n = 0,


 (−1) + (−1) + · · · + (−1) ( − n fois ) si n < 0.

L’application f est un morphisme d’anneaux et on a

ker f = {m ∈ Z : m.1 = 0}.

Comme ker f est un idéal de Z, il est donc de la forme pZ, p ∈ N, d’où Z/ ker f = Z/pZ '
f (Z). Comme K est un corps fini, il est intègre et tout sous-anneau de K est intègre, d’où
f (Z) ' Z/pZ est intègre. On en déduit que p est premier.
On ainsi montré que tout corps fini K contient une copie de Z/pZ, où p est un nombre
premier. Autrement dit, K est une extension de Z/pZ. Remarquons que le nombre premier p
est la caractéristique du corps K, i.e., le plus petit entier strictement positif tel que p.1 = 0.

Théoréme 1.3.1 Soit K un corps fini, alors le cardinal de K est égal à pn , où p est un
nombre premier et n est un nombre entier naturel non nul.
Démonstration. Soit K un corps fini, alors K est une extension de Z/pZ, où p est un
nombre premier, notons n = [K : Z/pZ]. Soit {v1 , v2 , ...., vn } une base de K sur Z/pZ, on
a : K = { ni=1 αi νi , αi ∈ Z/pZ}, d’où card(K) = pn .
P

Définition 1.3.1 Le nombre premier p est appelé caractéristique du corps K et Z/pZ est
appelé corps premier de K.

1.4 Théorème d’existence et d’unicité


On vient de voir que le cardinal d’un corps fini est de la forme q = pn , où p désigne la
caractéristique du corps. Inversement, étant donnés un nombre premier p et un entier naturel
non nul n, existe-il un corps à q = pn éléments ? La réponse est positive et le résultat qui
suit montre que deux corps finis ayant le même cardinal sont isomorphes. Cela permet de
dire qu’il existe, à isomorphisme près, un unique corps fini à q éléments que l’on notera Fq .

Théoréme 1.4.1 a) Pour tout nombre premier p et pour tout n ∈ N∗ , il existe un corps fini
à pn éléments.
b) Deux corps finis ayant le même nombre d’éléments sont isomorphes.

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Démonstration. a) Posons q = pn et soit f (x) = xq − x ∈ Fp [x]. On va vérifier que
l’ensemble des racines du polynôme f (x) (dans une clôture algébrique Fp de Fp ) forme un
corps à q éléments. Notons
n o
A = α ∈ F̄p : f (α) = 0 .

On a 0 ∈ A et 1 ∈ A. Soit a, b ∈ A, alors (a + b)q = aq + bq = a + b, donc a + b ∈ A. De plus


(ab)q = aq bq = ab, donc ab ∈ A. Il reste à montrer que si a ∈ A, a 6= 0, alors a−1 ∈ A. On a
(a−1 )q = (1/a)q = 1/aq . On en déduit que A est un sous-corps de Fp à q éléments.
b) Soit K un corps fini à q éléments et soit a ∈ K. On a aq = a. En effet, si a = 0, c’est
clair. Sinon, comme le groupe multiplicatif K∗ est d’ordre q − 1, alors aq−1 = 1, ce qui donne
le résultat. Donc, pour tout a ∈ K, x − a divise xq − x. On a alors, en remarquant l’égalité
des degrés des deux membres :
Y
xq − x = (x − a).
a∈K

Ainsi, tout corps fini à q éléments est le corps de décomposition de xq − x sur Fp . Le corps
de décomposition étant unique à isomorphisme près, on a le résultat voulu.

1.5 Exemples de construction de corps finis


Concrètement, pour construire un corps fini à pn éléments, on se donne un polynôme uni-
taire irréductible f (x) sur Fp , de degré n, puis on considère l’anneau quotient Fp [x]/ (f (x))
qui est un corps à pn éléments. On rappelle que (f (x)) désigne l’idéal de Fp [x] engendré par
le polynôme f (x) et que l’on a l’isomorphisme de corps

Fp [x]/ (f (x)) w Fp [α],

où α est une racine de f (x) dans une clôture algébrique de Fp . Dans la suite, après avoir
choisi un polynôme unitaire et irréductible de degré n, on écrira simplement

Fpn = Fp [α].

Exemples 1.5.1 Le corps F4 .


Soit f (x) = x2 + x + 1 ∈ F2 [x]. On a f (0) = f (1) = 1, donc f (x) n’a pas de racine dans F2 ,
et comme il est de degré 2, alors il est irréductible sur F2 , d’où

F4 = F2 [α] = {a + αb : a, b ∈ F2 et α2 = α + 1}.

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Remarquons que α3 = α2 α = α(α + 1) = α2 + α = α + 1 + α = 1. On obtient alors les tables
d’addition et de multiplication dans F4 = {0, 1, α, 1 + α} .

+ 0 1 α α+1
0 0 1 α α+1
1 1 0 α+1 α
α α α+1 0 1
α+1 α+1 α 1 0

· 0 1 α α+1
0 0 0 0 0
1 0 1 α α+1 .
α 0 α α+1 1
α+1 0 α+1 1 α

Remarquons que x2 + x + 1 est l’unique polynôme sur F2 de degré 2.

Exemples 1.5.2 Le corps F8 .


Le polynôme f (x) = x3 + x + 1 ∈ F2 [x] est irréductible car il est de degré 3 et n’admet pas
de racine dans F2 puisque f (0) = f (1) = 1. On a donc

F8 = F2 [α] = {aα2 + bα + c : a, b, c ∈ F2 et α3 + α + 1 = 0}.

Exemple de calcul dans F8 :

On a (α2 + α + 1)(α2 + α) = α + α2 + α2 + α3 + α3 + α4 = α + α4 .

= α + α(α3 ) = α + α(α + 1) = α + α2 + α.

= α2 .

Remarquons que :

α3 = 1 + α, α4 = α + α2 , α5 = 1 + α + α2 , α6 = 1 + α2 et α7 = 1.

On verra que, dans ce cas, α est dit primitif.

Exemples 1.5.3 Le corps F16 .


Le polynôme f (x) = x4 + x + 1 ∈ F2 [x] est irréductible. En effet, f (0) = f (1) = 1 6= 0, donc

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f (x) n’a pas de racine dans F2 ; de plus (x2 + x + 1)2 = x4 + x2 + 1 6= f (x), et x2 + x + 1 est
le seul polynôme irréductible de degré 2 sur F2 . On a donc

F16 = F2 [α] = {aα3 + bα2 + cα + d : a, b, c, d ∈ F2 }.

Exemples 1.5.4 Le corps F9


Le polynôme f (x) = x2 + 1 ∈ F3 [x] est irréductible car il est de degré 2 et n’admet de racine
dans F3 puisque f (0) = 1 et f (1) = f (2) = 2. On obtient alors la représentation

F9 = {a + αb : a, b ∈ F3 et α2 = 2}.

1.6 Elément primitif


Théoréme 1.6.1 Soit Fq le corps fini à q éléments, et soit F∗q son groupe multiplicatif. Alors
F∗q est un groupe cyclique.

Le groupe F∗q étant cyclique, il admet un générateur.

Définition 1.6.1 Un générateur de groupe cyclique F∗q est appelé élément primitif du corps
Fq .

Exemples 1.6.1 Le polynôme g(x) = x4 + x3 + 1 ∈ F2 [x] est irréductible. Soit β ∈ F2 une


racine de de g (x) et soit F16 = F2 [β]. On a β 4 = β 3 + 1, β 5 = β 4 β = β 3 + β + 1. Comme
l’ordre de β dans le groupe F∗16 divise l’ordre du groupe, qui est égal à 15, on en déduit que
l’ordre de β est égal à 15, d’où β est primitif.

Remarque 1.6.1 Il faut faire attention à ne pas confondre cette notion d’élément primitif
du corps Fq avec la notion d’élément primitif donné en théorie des extensions de corps. En
effet, on a une implication dans un sens : si F∗q = hαi alors Fq = Fp (α). Mais en général
Fq = Fp (α) n’implique pas F∗q = hαi, comme on le voit dans l’exemple qui suit :

Exemples 1.6.2 Pour la représentation

F9 = {a + bα : a, b ∈ F3 et α2 = 2},

on a |F∗9 | = 8, et α4 = 1, donc α n’est pas primitif.

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Exemples 1.6.3 Le corps F32
Pour décrire F32 = F25 , il suffit de se donner un polynôme irréductible sur F2 de degré 5. Les
polynômes réductibles sur F2 de degré 5 sont :
1- Les polynômes ayant une racine dans F2 .
2- Les polynômes qui se factorisent sous la forme f = gh, avec deg g = 2 et deg h = 3, g et
h étant irréductibles sur F2 .
Dans la catégorie 2, on trouve exactement deux polynômes : (x2 + x + 1)(x3 + x + 1) et
(x2 + x + 1)(x3 + x2 + 1), qui sont f1 (x) = x5 + x + 1 et f2 (x) = x5 + x4 + 1. Les polynômes
irréductibles sur F2 de degré 5 sont par conséquent les polynômes n’ayant pas de racine dans
F2 et qui sont distincts des polynômes f1 et f2 . Le polynôme f (x) = x5 +x2 +1 est irréductible
sur F2 . On peut alors écrire :

X4
F32 = F2 [α] = { ai αi : ai ∈ F2 , α5 = α2 + 1},
i=0

L’élément α est primitif car |F∗32 | = 31 est premier, et on sait que dans un groupe cyclique
d’ordre premier, tout élément distinct de l’élément neutre est générateur. On a donc

F32 = {αi , 0 6 i 6 30} ∪ {0} .

1.7 Sous-corps d’un corps fini.

Proposition 1.7.1 Soit K un corps fini et soit L un sous corps de K, alors K et L ont
même caractéristique.

Démonstration. Comme K est un corps fini à pn éléments avec p premier et n entier


positif, et L ⊂ K alors L est un corps fini, donc de cardinal q m , où q désigne un nombre
premier et m un entier positif. D’autre part, on a L ⊂ K alors (L‚+) est un sous groupe de
(K‚+) , donc d’aprés le théorème de Lagrange q m divise pn . Comme p et q sont des nombres
premiers, alors p = q.

Théoréme 1.7.1 Soit m‚n ∈ N et p un nombre premier, alors

Fpm ⊂ Fpn ⇔ m divise n.

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Démonstration. On suppose que Fpm ⊂ Fpn . Posons k = [Fpn : Fpm ], on a pn = pm × pm ×
... × pm (k fois) , donc pn = pmk , d’où n = mk et m divise n. Réciproquement, si m divise
n, alors il existe k tel que n = mk. Soit x ∈ Fpm . On a

n mk n
 m pm ··· pm
xp = xp =⇒ xp = xp (k fois) .
 m
m··· p
On en déduit que xp = (x)p
n m
= x, car xp = x du fait que x ∈ Fpm , d’où x ∈ Fpn , alors
Fpm ⊂ Fpn .

Exemples 1.7.1 1- F8 = F23 n’est pas un sous-corps de F16 = F24 car 3 - 4.


2- F8 = F23 est un sous-corps de F64 = F26 car 3 | 6.
3-F4 est un sous-corps de F16 = F24 car 2 | 4.
4-F9 est un sous-corps de F81 = F34 car 2 | 4.

1.8 Automorphismes d’un corps fini


Il est facile de vérifier que l’ensemble des automorphismes d’un corps F forme un groupe
pour la composition des applications. Ce groupe est noté Aut (F ) .

Proposition 1.8.1 Soit F un corps fini de caractéristique p. Alors l’application ϕ : F → F


définie par ϕ (a) = ap est un automorphisme de F.

Démonstration. Soit a, b ∈ F. Alors on a ϕ (a + b) = (a + b)p = ap + bp = ϕ (a) + ϕ (b) et


ϕ (ab) = (ab)p = ap bp = ϕ (a) ϕ (b) . D’autre part, on a ϕ (a) = 0 ⇐⇒ ap = 0 ⇐⇒ a = 0,
d’où ϕ est injective, donc bijective puisque F est fini.

Remarque 1.8.1 Le morphisme ϕ peut ne pas être bijectif si le corps F n’est pas fini.
Trouver un contre-exemple !

Définition 1.8.1 L’automorphisme ϕ est appelé automorphisme de Frobenius.

Théoréme 1.8.1 Soit q = pn , p premier. Alors le groupe des automorphismes de Fq est un


groupe cyclique d’ordre n engendré par l’automorphisme de Frobenius. Autrement dit :

Aut (Fq ) = ϕ, ϕ2 , · · · , ϕn = id .


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Démonstration. On a déjà vu que ϕ est un automorphisme de Fq , montrons qu’il est
n
d’ordre n. On a, pour tout a ∈ Fq , ϕn (a) = ap = 1, donc ϕn = id. Supposons par l’absurde
qu’il existe un entier m tel que 0 < m < n et ϕm = id. Alors on a, pour tout a ∈ Fq ,
m m m
ϕm (a) = ap = a, d’où ap − a = 0. Ainsi, le polynôme xp − x ∈ Fp [x] qui est de degré
pm < pn admet au moins pn racines. Contradiction.
Il reste à montrer que tout automorphisme de Fq est de la forme ϕi , 1 ≤ i ≤ n. Ceci est
laissé en exercice, et pourrait être proposé au prochain test !

Exemples 1.8.1 Le groupe des automorphismes G = Aut (F16 ) du corps F16 = F24 est
donné par
G = ϕ, ϕ2 , ϕ3 , ϕ4 = id ,


où ϕ est l’automorphisme de Frobenius défini par ϕ (a) = a2 , pour tout a ∈ F16 . Comme G
est cyclique, alors il possède un unique sous-groupe propre, qui est d’ordre 2 : H = {id, ϕ2 } .
Ce sous-groupe correspond à l’unique sous-corps propre de F16 :

K = {a ∈ F16 : g (a) = a, ∀a ∈ F16 }


n 2
o
= a ∈ F16 : a2 = a, ∀a ∈ F16 = F4 .

1.9 Exercices
Soit p un nombre premier et soit K un corps de caractéristique p. Montrer que l’on a

m m m
∀a, b ∈ K, ∀m ∈ N, (a + b)p = ap + bp .

Effectuer le produit (x3 + x2 + 1) (x3 + x + 1) (x + 1) dans F2 [x] puis dans F3 [x] .


Calculer pgcd(x5 + x4 + x2 + 1, x3 + x2 + x) dans F2 [x] , puis déterminer des polynômes
a (x) et b (x) vérifiant

a (x) (x5 + x4 + x2 + 1) + b (x) x3 + x2 + x = 1.




Vérifier directement que le corps F4 est l’ensemble des racines du polynôme x4 − x.


1) Montrer que le polynôme x2 + 1 est irréductible dans F3 [x] .
2) Montrer que F9 = F3 [x] /(x2 + 1) est un corps à 9 éléments.

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