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: La controverse de Valladolid
Un demi-siècle après la découverte du Nouveau Monde par Christophe Colomb, le vieux souverain a
décidé, par un acte de piété sans précédent, de suspendre les entreprises de conquête en Amérique
aux résultats de cette rencontre entre d'éminents religieux. À Valladolid, qui est encore l'une des deux
capitales de l'Espagne avec Tolède, ils vont débattre sur le point de savoir s'il est légitime de convertir
les Indiens d'Amérique par la contrainte et de les soumettre au travail forcé. Le débat est présidé par
l'envoyé du pape Salvatore Roncieri.
Contrairement à une légende tenace, il ne s'agit en aucune façon de décider si les Indiens (ou
Amérindiens) ont une âme. La question a été tranchée par l'affirmative dès les premiers voyages de
Christophe Colomb, la reine Isabelle de Castille elle-même en ayant jugé ainsi et réclamé que les
Indiens soient traités en hommes libres. Le pape Paul III lui-même allait renouveler ces injonctions
dans la bulle Sublimus Deus du 2 juin 1537 : « Nous considérons les Indiens comme de vrais êtres
humains, capables de recevoir la foi chrétienne (...) et nous exigeons qu'ils ne soient pas privés de
leur liberté ». N'en faisant qu'à leur guise, les conquistadors espagnols allaient allègrement contourner
ces injonctions et asservir les Indiens de mille manières...
Les Indiens ont certes une âme, mais peuvent-ils assurer leur salut sans le baptême ?
Le premier, fin lettré et partisan de la conquête, est un théologien émérite. Il a combattu avec brio les
thèses luthériennes dans un ouvrage intitulé Democrates. Dans un deuxième ouvrage, Democrates
alter, il a prétendu débattre aussi de la colonisation des Amériques et de la conversion des Indiens,
sujets qu'il ne connaît cependant que par ouïe-dire. Il défend l'idée que les Indiens sont des êtres
cruels et met en avant leurs sacrifices humains. Il souligne la nécessité de les soumettre par
humanité, afin de sauver au moins les victimes de ces rituels macabres et de leur assurer également
le salut par le baptême.
Son contradicteur rappelle les souffrances infligées par les colons aux Indiens. Il soutient surtout que
la pratique des sacrifices, si choquante soit-elle, procède d’un sentiment religieux. On offre à son Dieu
ce qui est le plus précieux, or « rien dans la nature n’est plus grand ni plus précieux que la vie de
l’homme ou l’homme lui-même »).Avec cette approche discutable des sacrifices humains, Las Casas
est le premier Européen à mettre en avant « la relativité de la notion de barbarie ». Mais lui aussi n'en
pense pas moins que les Indiens, comme l'ensemble des hommes, ne peuvent assurer leur salut
éternel hors du baptême.
L'empereur, ému par la plaidoirie de Las Casas, tentera, mais en vain, de sévir contre les abus en
Amérique. Protégés par l'éloignement, les colons d'Outre-Atlantique auront beau jeu d'ignorer les
injonctions impériales.
Tout juste ont-ils saisi au vol une suggestion malheureuse de Las Casas. Celui-ci, du temps où il était
planteur aux Amériques, considérant que les Indiens des plateaux n'étaient pas aptes au travail dans
les plantations, avait proposé de bonne foi de recourir à des travailleurs africains. Il eut plus tard le
loisir de regretter cette malheureuse suggestion !