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HORS-SÉRIE
VOL. 1 | N° 2
Ma g a z i n e
4,50 $ + TAXES
ÉLARGIR
L’ESPACE
L’ÉQUIPE
RÉDACTRICE EN CHEF : JOURNALISTES :
Sophie Gaulin Amandine Cange, Mathilde Errard,
Camille Harper et Romain Telliez
RÉDACTEURS ASSOCIÉS : INFOGRAPHISTE :
Bernard Bocquel Véronique Togneri
Lysiane Romain PHOTOGRAPHE :
Marta Guerrero
La Liberté Magazine sur l’élargissement de l’espace francophone au Manitoba a été rendu possible grâce à :
ET NOS PARTENAIRES :
AU MANITOBA
●
12 14 15 16
ACCUEILLIR UNE LOI POUR PLUS DE SERVICES LE POINT
POUR MIEUX RETENIR LA FRANCOPHONIE EN FRANÇAIS SUR L’IMMIGRATION
LES NOUVEAUX VENUS AU-DELÀ DES PARTIS À WINNIPEG AU CANADA ET
● ● ● AU MANITOBA
●
17 18 20 22
EN QUELQUES LE MANITOBA POUR ATTIRER LE MANITOBA,
CHIFFRES L’APPEL DE LA TERRE LES FRANCOPHONES LA SCÈNE
● ● AU MANITOBA D’UNE NOUVELLE VIE
● ●
24 26 30
LE RÊVE CANADIEN L’IMPORTANCE POUR SE SENTIR
D’UNE VIE SIMPLE DE L’ACCUEIL « COMME À LA MAISON »
● À TOUTES LES ÉTAPES ●
●
32 36 38
PRIORITÉ : L’IMMIGRATION CAP SUR LE RURAL
TROUVER UN EMPLOI UN BESOIN ●
● POUR LES EMPLOYEURS
●
41 42 44
LES BIENFAITS UNE SCÈNE ÉLARGIR
D’UNE COMMUNAUTÉ CULTURELLE LA FRANCOPHONIE,
ET DE LA SOLIDARITÉ… RICHE DE SA DIVERSITÉ C’EST MULTIPLIER
● ● LES ACCENTS
●
46 48 49 50
LE RÔLE ESSENTIEL L’IMMERSION LE CHOIX DE FRANCOPHILE
DES PARENTS UN SYSTÈME DE L’IMMERSION À FRANCOPHONE
● EN CROISSANCE POUR L’AVENIR ●
CONSTANTE ●
●
52 54 56 58
POUR FORMER LES S’ADAPTER L’USB CONCLUSION
CITOYENS DE DEMAIN AUX NOUVEAUX PIERRE ANGULAIRE ●
● ARRIVANTS DE L’AGRANDISSEMENT
● DE L’ESPACE
FRANCOPHONE
●
4
Gra nd ir
C’EST EMBRASSER LA DIFFÉRENCE
N
ous voilà en plein mois dédié à la et gagner des alliés. La Liberté Magazine fait continents, de toutes les races qui se
Francophonie. Mars, le temps de le point sur deux décennies de stratégie réveillent à leur chaleur complémentaire. »
célébrer ce qui rassemble des communautaire visant à agrandir l’espace Depuis bon nombre d’années, les initiatives
millions de personnes au Canada et de par francophone. Une initiative particulièrement se multiplient à La Liberté pour parler de
le monde. Pour nous gens d’expression symbolique en cette année du 150e de l’entrée l’élargissement de notre espace francophone,
française, c’est l’occasion par excellence de du Manitoba dans la Confédération pour cerner cette chaleur complémentaire.
réfléchir sur notre façon de préserver cette canadienne, dont la collectivité francophone Que ce soit au travers nos séries Défis
langue et de faire bouillonner les cultures qui a été un élément fondateur et a su rester un d’immigrer, Les Francos de la Loi 5 ou notre
la composent, toutes les cultures. élément moteur. bande dessinée Nelson au Manitoba ou
Alors, en ce mois de la Francophonie, N’oublions pas que derrière toute initiative simplement avec les nombreux portraits de
La Liberté Magazine ouvre le deuxième politique ou communautaire, c’est l’Humain ceux qui, venant de tous horizons, forment
numéro de son histoire sur l’une des qui s’en retrouve grandi. Quand on élargit notre Francophonie d’aujourd’hui.
stratégies les plus saluées, les plus novatrices l’espace francophone, il incombe aux parents Merci à ceux et celles qui ont accepté de
du monde canadien-français : l’ouverture de dompter leurs peurs de voir leurs enfants témoigner dans ce numéro hors série. Nous
revendiquée de son espace. Une stratégie s’assimiler, il revient aux nouveaux arrivants tenons aussi à remercier nos partenaires, la
volontariste qui permet, projet après projet, de s’intégrer, aux gens de la place d’ouvrir Société de la francophonie du Manitoba
nouvel arrivant après nouvelle arrivante, leur porte, aux artistes de chanter avec (SFM) et le Conseil de développement
élève d’immersion après élève d’immersion, d’autres accents et surtout à chacun de nous économique des municipalités bilingues du
franco-convaincu après franco-convaincue, d’embrasser la différence. Tout simplement Manitoba (CDEM) d’avoir embarqué sans
prof après prof après directrice d’école, artiste parce que l’on aura compris que l’enjeu n’est hésiter dans ce projet. Merci également à la
manitobain après artiste africain après artiste ni l’assimilation, ni la dilution, mais bien au Division scolaire franco-manitobaine, à la
européen, de contrer l’érosion de la langue et contraire un enrichissement dont on ne Division scolaire Louis-Riel et à l’Université
de la culture françaises au Manitoba. saurait plus se passer. de Saint-Boniface pour leur soutien.
Cette vision a été adoptée par les Et pour reprendre les mots de l’académicien, Enfin, merci à ceux et celles qui ont œuvré au
francophones du Manitoba en 2001, sur une le poète sénégalais Léopold Sédar Senghor sein de La Liberté pour offrir aux abonnés ce
initiative de la Société de la francophonie qui a défini la notion de francophonie en numéro si spécial. Une équipe qui incarne au
manitobaine pour élargir leurs horizons, 1962 : « La Francophonie, c’est l’humanisme demeurant cet élargissement de l’espace
consolider leurs acquis, diversifier leur culture, intégral qui se tisse autour de la Terre: cette francophone, puisque la quinzaine d’employés
ouvrir leur cœur, faire disparaître leurs peurs symbiose des énergies dormantes de tous les provient de six pays différents.
A
grandir l’espace francophone, c’était à la fois une l’appui pour les familles bilingues ou multilingues,
nouvelle stratégie, mais c’était aussi le reflet du l’immigration francophone, l’accueil des personnes pour
visage de la francophonie manitobaine qui est qui le français est une langue additionnelle et la
en constante évolution. La Société de la francophonie sensibilisation des anglophones.
manitobaine et ses partenaires communautaires ont Aujourd’hui, cette conception inclusive de la
voulu mettre en place une démarche pour accueillir francophonie a été adoptée un peu partout au Canada
l’ensemble des gens d’expression française au Manitoba et pour les générations montantes, la francophonie a
ainsi que nos voisins, cousins ou conjoints qui ne toujours été une communauté accueillante. Avec
Me CHRISTIAN MONNIN
partagent pas la langue française, mais qui font tout de l’adoption de la Loi sur l’épanouissement de la
même partie de notre communauté. Le but était de francophonie manitobaine, la Province du Manitoba
construire des communautés inclusives et dynamiques. adopte elle aussi cette vision des choses.
Les orientations stratégiques de ce plan ciblaient cinq Merci à La Liberté qui a voulu célébrer cette
champs d’interventions : la transmission de la langue, francophonie multiple avec ce numéro spécial.
S
olidaire à l’idée d’agrandir l’espace francophone, une intégration à la hauteur des aspirations et un
le CDEM appuie les nouveaux arrivants par le cheminement qui permet de forger un itinéraire
biais de son secteur d’immigration et en offrant personnel et professionnel.
de nombreux services en entrepreneuriat et en
Cette convergence entre les organismes permet
employabilité.
d’optimiser nos résultats sur le plan de l’inclusion de
C’est grâce à sa capacité de pouvoir s’adapter que le ceux et celles qui ont choisi le Manitoba comme
CDEM a fait de l’emploi non seulement une finalité, terre d’accueil.
mais une approche globale pour assurer une
EDMOND LABOSSIÈRE Nous tenons à remercier La Liberté Magazine pour
immigration réussie.
la production de ce numéro qui présente les multiples
Nous travaillons en étroite collaboration avec nos facettes de l’immigration francophone et de
partenaires pour assurer des parcours qui favorisent l’agrandissement de l’espace francophone en général..
DE MIGRATION
Depuis 2001, les leaders de la communauté
d’expression française du Manitoba ont choisi
d’entrer dans une “opération séduction”
ET D’IMMIGRATION
avec les francophones du reste du monde
afin d’élargir leur espace et ainsi voir la langue
FRANCOPHONES
qui leur est si précieuse continuer de vivre,
de vibrer et d’évoluer.
Mais si la vague d’immigrants francophones
AU MANITOBA
est le fruit de stratégies communautaires,
c’est bien depuis presque trois siècles que
les francophones s’établissent au Manitoba.
LA FAMILLE RAGOT
Par ailleurs,Yves Frenette s’amuse à constater que
Gustave Ragot a fait partie de la première vague d’immigration francophone de l’extérieur « la diversité chez les Canadiens francophones
du Canada. Il est arrivé de France en 1893 pour s’établir à Notre-Dame-de-Lourdes. remonte à aussi loin que leur immigration : dès
Il y est devenu cultivateur, et y a fondé sa famille. Sur la photo, on le voit entouré les 18e et 19e siècles, certains nouveaux arrivants
de sa femme et de quelques-uns de ses 23 enfants devant leur maison. francophones venaient directement du Québec,
d’autres étaient passés par les États-Unis, et
d’autres encore arrivaient de l’Europe ».
Puis, il y a eu la vague des Québécois venus L’immigration au Manitoba a beaucoup ralenti
ouvrir des terres dans l’Ouest, entre 1875 et après la Grande Guerre.Yves Frenette explique :
1914 environ. « Au 19e siècle, l’Ouest était vu « Les meilleures terres dans l’Ouest étaient déjà
comme une terre promise, presque gratuite. prises, et l’économie québécoise allait mieux
Tout était à défricher. La migration agricole grâce au développement d’usines de pâte à
francophone, mais surtout anglaise, ukrainienne papier, de villes ou encore de l’hydroélectricité.
ou encore polonaise, a été massive. » Les francophones de l’Est canadien préféraient
donc rester au Québec.
Si ces deux vagues d’immigration francophone
étaient en réalité plutôt des vagues de « Quant à l’immigration de France, le
migrations depuis l’Est canadien, une troisième gouvernement français préférait envoyer ses
vague d’immigration francophone, à partir de ressortissants dans les colonies françaises,
1890 environ, provient pour sa part de notamment l’Algérie. De plus, l’Église et l’État
l’extérieur du Canada. sont séparés en France depuis 1905 et ce
dernier était très hostile à l’Église catholique. »
Yves Frenette en parle : « Ce sont les autorités
ecclésiastiques qui ont envoyé des agents L’immigration francophone au Manitoba n’a
d’immigration pour recruter des familles cependant jamais disparu. Et dans les années
francophones en France, en Belgique et en 1980-1990, après l’abolition de la Loi
Suisse. En 1914, les Prairies comptaient Thornton (3) et le retour du français comme
1,6 million de personnes, dont environ 50 000 langue d’enseignement dans les écoles, elle a
étaient francophones. (2) De ces francophones, repris de plus belle, encouragée par tous les
10 à 12 % étaient nés en France. paliers de gouvernement et les communautés.
« La langue était une raison pour aller Yves Frenette : « On a fait venir des
chercher ces immigrants, mais aussi la francophones pour la survie des communautés
religion, précise-t-il. On voulait avoir plus de de langue française au Manitoba. Quelques
catholiques au Manitoba, et les francophones nouvelles familles francophones avec des
étaient majoritairement catholiques. » enfants peuvent faire une grande différence
dans le maintien ou non d’une école française. »
Pourquoi était-ce si important d’avoir des
catholiques francophones au Manitoba? Yves (1) Yves Frenette est professeur et titulaire de la Chaire
par camille harper Frenette : « Le premier peuplement blanc dans de recherche du Canada de niveau 1 sur les migrations,
l’Ouest, arrivé avec l’abbé Joseph-Norbert les transferts et les communautés francophones à
l’Université de Saint-Boniface.
Y
ves Frenette est spécialiste des Provencher, était francophone et catholique. Or
questions d’immigration francophone les évêques de l’Ouest voyaient les Prairies se (2) Le chiffre de 1,6 million de résidents des Prairies ne
comprend pas les Autochtones qui n’étaient à cette
avant le 20e siècle à l’Université du peupler de protestants et de catholiques anglais. époque pas recensés.
Manitoba. (1) Il explique : À l’époque, la langue et la foi étaient très liées,
(3) La Loi Thornton, adoptée en 1916, imposait l’anglais
donc il fallait plus de francophones pour assurer comme langue officielle d’enseignement au Manitoba,
« La première vague d’immigration la survie de la religion catholique dans les et abolissait de ce fait l’éduction en français dans la
francophone, c’était celle des voyageurs entre Prairies. C’était très important pour l’Église. » province. C’est seulement en 1970 que le statut du
1750 et 1860 environ. Ces hommes venus du français comme langue d’enseignement a été rétabli, sous
le gouvernement néo-démocrate d’Edward Schreyer. ◗
Il remarque que si le facteur religieux a
Québec ont épousé des femmes autochtones aujourd’hui disparu des raisons d’encourager
dans les Prairies canadiennes. Ils sont les l’immigration, celui de la langue et de l’identité
pères et les grands-pères du peuple métis. » francophone est toujours important.
L
es politiques d’immigration canadiennes n’ont plus grand notamment été le premier président du Comité de mise en œuvre
secret pour Gérald Clément. Sous-ministre adjoint à du Comité directeur de l’immigration francophone au Canada, de
l’Immigration du Manitoba de 1997 à 2007, c’est au total plus 2007 à 2011. « Ce comité avait pour but de réfléchir à comment
de 30 ans de carrière qu’il aura passés dans le domaine. Il se souvient concrètement augmenter l’immigration francophone, avec l’aide des
que dans les années 1980-1990, le Manitoba ne cherchait pas Provinces et des organismes. Dès les années 2000, le Fédéral et les
spécialement à recruter des immigrants francophones, même si des Provinces étaient vraiment sensibles à l’importance de l’immigration
Guides du nouvel arrivant étaient publiés dans les deux langues francophone. »
officielles.
La cible reste
Quand la première entente entre le Canada et une Province, le
Manitoba, a été signée en 1998 entre le gouvernement fédéral de
à atteindre
Jean Chrétien et le gouvernement provincial de Gary Filmon,
« l’objectif de Gary Filmon était d’augmenter la démographie du Malgré la reconnaissance par les gouvernements et la communauté
Manitoba par l’immigration en général. Il ne prévoyait pas de de l’importance stratégique de l’immigration francophone, ni le
nombre spécifique de francophones ». Canada ni le Manitoba n’ont été capables d’atteindre leurs objectifs.
Louis Allain, directeur général du Conseil de développement des Mamadou Ka, chargé de cours au département de sciences humaines
municipalités bilingues du Manitoba (CDEM), confirme le manque et sociales à l’Université de Saint-Boniface : « En 2002, la FCFA a
d’intérêt des instances de l’époque envers le caractère francophone de fait du lobbying auprès du gouvernement fédéral et on a obtenu un
l’immigration. Par exemple, « le Manitoba a reçu dans les années 1980 quota de 4 % d’immigration francophone à l’extérieur du Québec.
un influx d’immigrants francophones du Laos. Mais ni la province « Cette cible de 4 % est loin d’être atteinte. Moins de 2 % de
ni la communauté francophone du Manitoba n’ont su saisir l’immigration hors Québec est francophone. Les efforts des
l’opportunité qui se présentait, et ces Laotiens francophones se sont gouvernements pour aller chercher les immigrants d’expression
assimilés parmi les anglophones. » française ne sont pas suffisants. »
Une stratégie Mamadou Ka garde cependant espoir que l’immigration
francophone prenne son envol. En effet, remarque-t-il, « le Fédéral
pour l’immigration francophone commence à aller en Afrique, notamment au Sénégal, pour des
missions de recrutement d’immigrants. C’est un nouveau vent qui
C’est la Fédération des communautés francophones et acadienne du
souffle aujourd’hui ». L’Afrique subsaharienne est le plus grand
Canada (FCFA) qui a établi en l’an 2000 l’immigration francophone
bassin de francophones au monde.
comme priorité pour les communautés francophones en situation
minoritaire au Canada, et incité le fédéral à créer des stratégies et La porte-parole d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada
politiques d’attraction, de recrutement et d’établissement (IRCC), Béatrice Fénelon, confirme que l’un des trois grands
d’immigrants d’expression française. objectifs de la Stratégie d’immigration francophone annoncée le
13 mars 2019 est « d’accroître l’immigration francophone au Canada,
Le Manitoba a aussitôt embrassé cette priorité pour la décliner dans
à l’extérieur du Québec, pour atteindre une cible de 4,4 % d’ici 2023.
sa propre stratégie (lire les articles sur le Manitoba en pages 10 et 11).
Gérald Clément, alors en poste pour l’immigration provinciale : « En « Pour cela, 14 communautés d’un bout à l’autre du Canada, dont la
tant que personne bilingue, j’ai moi-même poussé le Manitoba à région de la Rivière-Seine au Manitoba, ont été identifiées pour
inclure des critères de sélection stratégique pour la communauté recevoir un financement qui leur permettra de créer des programmes
francophone dans son programme d’immigration Candidats du et du soutien pour offrir un bel accueil aux nouveaux arrivants
Manitoba. d’expression française et les aider à s’intégrer dans les communautés
« J’ai reçu un bon appui des gouvernements. C’était dans leur intérêt francophones en situation minoritaire.
d’appuyer l’épanouissement des communautés de langue officielle « Cette initiative de 12,6 millions $ sur trois ans favorisera
en situation minoritaire car c’est dans la Loi sur les langues officielles, l’intégration et la rétention des nouveaux arrivants d’expression
et l’immigration était un bon outil pour cela. » Gérald Clément a française au Canada », assure Béatrice Fénelon. ◗
UNE APPROCHE
inédite
ET UN MODÈLE
à suivre
Pour contrer l’érosion du français, la Société de la
francophonie manitobaine a adopté en 2001 une
stratégie pour répondre à cette préoccupation.
par camille harper des solutions proactives et positives pour assurer qu’on décide comment faire pour augmenter nos
la progression de notre langue. » nombres. Le 29 septembre 2001, on a organisé
D
aniel Boucher, directeur général de la Le conseil d’administration de la SFM (2) a une journée de réflexion à Saint-Norbert. »
Société de la francophonie manito- alors pris une approche inédite dans la commu- Lors de cette réunion, la Toile de fond a été
baine (SFM) aujourd’hui comme en nauté : celle de l’ouverture plutôt que du repli présentée à la communauté. 150 personnes
2001, se souvient très bien des discussions qui sur soi. Daniel Boucher : « On a changé le étaient présentes. Si certains ont émis
avaient mené à l’adoption de la Toile de fond discours en amenant la notion d’agrandisse- quelques craintes, la SFM a assuré que l’objectif
commune 2001-2050 : Agrandissement de ment de l’espace francophone. Face à une était de renforcer la francophonie manitobaine
l’espace francophone. communauté changeante, on a décidé qu’il et non de la diluer. Daniel Boucher : « Il y a eu
« C’était le temps d’un nouveau plan stratégique fallait s’adapter et ouvrir les portes aux nouveaux beaucoup de questions, mais l’atmosphère était
arrivants francophones et aux francophiles de très positive. La Toile de fond a été adoptée. Ce
pour la communauté et on avait embauché le
l’immersion, leur donner plus d’occasions de fut une rencontre historique. »
consultant Ronald Bisson. Il avait fait des
parler français pour s’en faire des alliés.
recherches pour voir où en était la communauté
et les chiffres qu’il avait trouvés ont révélé que le « C’était un véritable changement de mentalité. Une approche novatrice
temps était venu de proposer de nouvelles Avant 2001, les francophones se parlaient et La communauté francophone du Manitoba a
approches pour adresser les défis d’une s’organisaient toujours entre eux. » été la première de tout le Canada hors Québec
communauté en évolution. Il fallait donc mettre Si la SFM a donné l’impulsion, le changement à mettre sur pied une stratégie concrète qui
en œuvre des stratégies dans un contexte où, par de cap s’est concrétisé en accord avec la misait sur les francophiles et francophones
exemple, environ 70 % des enfants dans nos communauté. Marianne Rivoalen était d’ailleurs, répondant ainsi à la priorité établie
écoles étaient issus de mariages exogames. (1) présidente du CA de la SFM en ce temps-là, par la Fédération des communautés franco-
C’était la nouvelle réalité et nous devions trouver jusqu’en 2003 : « On a réuni la communauté pour phones et acadienne du Canada (FCFA) de
« Quand je suis arrivé du Sénégal en 1984, ma situation était spéciale car sensibilisé et je savais où aller. mais pour les autres francophones arrivés
je rejoignais ma femme franco-manitobaine, lise, et ma fille anna Binta. avant la création de l’accueil francophone, ils devaient se débrouiller seuls
J’avais donc déjà une famille franco-manitobaine qui m’avait beaucoup ou aller chercher de l’aide dans une structure anglophone déconnectée de
parlé du manitoba et des francophones en milieu minoritaire. J’étais la communauté francophone. c’était très difficile sans maîtriser l’anglais.
Magazine
13
Accueillir
POUR MIEUX RETENIR
LES NOUVEAUX VENUS
par camille harper
D
eux ans après avoir pris la direction de l’ouverture Bintou Sacko renchérit : « L’Accueil francophone a été
en adoptant la Toile de fond, la communauté s’est mis sur pied suite à une consultation communautaire, donc
rendue à l’évidence : les structures institutionnelles la communauté voulait cette structure. Le seul défi, c’était
et organisationnelles n’étaient pas assez adéquates pour de faire en sorte que ce projet atteigne ses objectifs. »
accueillir de façon optimale un grand nombre d’immigrants L’un des premiers projets de la gestionnaire, qui a travaillé
francophones. seule jusqu’en 2007, a été de créer un dépliant rassem-
Bintou Sacko, directrice de l’Accueil francophone depuis blant tous les services éparpillés dans la communauté qui
2005, raconte : « Au début des années 2000, le Collège pouvaient être utiles pour les nouveaux arrivants.
universitaire de Saint-Boniface (CUSB, aujourd’hui Elle a aussi établi un système pour aller chercher les
Université de Saint-Boniface) menait des campagnes de nouveaux venus à l’aéroport et les accompagner dans
recrutement d’étudiants à l’international et on a reçu une leurs démarches administratives. Bintou Sacko
vague de Marocains. Ça nous a fait réaliser qu’il y avait un explique : « Les programmes de l’Accueil francophone
besoin de structure pour les accueillir. » ont été établis au fur et à mesure que les nombres et les
Rolande Kirouac a été, en 2003, la première gestionnaire de ententes augmentaient.
l’Accueil francophone : « C’était un défi vraiment intéressant « L’accueil et l’établissement ont été les premières priorités,
car on créait quelque chose de tout nouveau. Il fallait faire puis le suivi à plus long terme. On a ensuite créé un réseau
la structure, la documentation, enligner le financement, tout. de bénévoles car c’était un projet de société donc
« On ne pouvait pas délibérément mener des vagues de l’implication de la communauté était essentielle. Nos
recrutement d’immigrants francophones, puis ne pas bien programmes de logement de transition, d’aide au
les accueillir et les intégrer par la suite! » rétablissement des réfugiés ou encore de pré-départ sont
plus récents. »
Si la tâche à accomplir était grande, Rolande Kirouac
souligne le soutien de la communauté : « Il y a tout de Rolande Kirouac note quant à elle que « c’était tout un
suite eu beaucoup d’intérêt à travailler avec nous, même nouveau langage qui se développait : pour la première fois,
chez les anglophones. La communauté était très contente on identifiait les nouveaux arrivants comme une clientèle
de voir que des services et processus étaient mis en place spécifique à servir au sein même de notre communauté ». ◗
pour les gens qui arriveraient au Manitoba. On a aussi eu
le soutien des gouvernements provincial et fédéral. »
l’élément langue, c’est extrêmement fort quand on lâche tout pour partir communauté franco-manitobaine aussi, c’était important d’avoir l’accueil,
ailleurs. avec l’accueil francophone, mis sur pied par la SFm, les nouveaux pour qu’elle ne se désintéresse pas de tous ces nouveaux arrivants et qu’elle
arrivants francophones ont pu se connecter directement à la communauté prenne conscience de l’atout de les avoir ici. c’était essentiel que la connexion
dans une langue qu’ils comprenaient. c’était rassurant pour eux. et pour la se fasse dès l’arrivée. »
14
POUR LA FRANCOPHONIE
à l’unanimité par l’Assemblée législative
du Manitoba le 30 juin 2016.
Elle est le symbole du succès de la stratégie
par camille harper car ils formaient l’Opposition quand nous Effectivement, pour la première fois, le
avons travaillé sur ce projet de loi. Ça démontre rapport de la Province sur les services en
un véritable changement de mentalité envers
«N
ous avons travaillé pendant français paru le 27 janvier 2020, sous le
sept ans avec le gouvernement la francophonie manitobaine, de la part de tout leadership de la ministre Rochelle Squires,
néo-démocrate pour faire le monde. » comportait 11 recommandations concrètes
aboutir cette Loi 5 afin que les francophones Une politique sur les services en français avait été pour améliorer la situation. Daniel Boucher
soient vus comme des atouts, des gens qui adoptée en 1989, mais elle pouvait être remise s’en réjouit : « La Province va devoir rendre
contribuaient à la province », explique Daniel en cause par n’importe quel gouvernement.C’est des comptes sur ces recommandations. La
Boucher, directeur général de la Société de la sous la présidence d’Ibrahima Diallo que la Loi 5 exige de produire un rapport tous les ans.
francophonie manitobaine (SFM). SFM a commencé à faire du lobbying auprès du On va progresser beaucoup plus vite. »
« Puis le gouvernement NPD de Greg gouvernement NPD pour obtenir quelque
Selinger a été défait et les progressistes- chose de plus solide : une loi. Ibrahima Diallo note également la symbo-
conservateurs de Brian Pallister sont arrivés au lique du mot « épanouissement » plutôt que
« C’était une patate trop chaude, raconte
pouvoir. Mais ils ont repris le projet de loi laissé Ibrahima Diallo. La stratégie de Greg « survie » dans l’intitulé de la Loi.
par les néo-démocrates et ils l’ont adopté. Ils Selinger était plutôt la diplomatie des petits Surtout, la Loi sur l’appui à l’épanouissement
étaient tous en faveur. C’est très symbolique, pas : il nous a accordé plein de services dans de la francophonie manitobaine a élargi la
l’idée, plus tard, d’introduire une loi qui définition de « francophone », rejoignant
confirmerait ce qui existait déjà. » ainsi la vision de la Toile de fond commune
Pour Daniel Boucher, la Loi 5 est une 2001-2050 de la SFM.
reconnaissance. « Elle donne toute une
C’est ainsi que désormais, la francophonie au
légitimité à notre communauté, qui existe
depuis avant la création de la province. Elle Manitoba se définit comme la « communauté
reconnaît l’importance et la nécessité des au sein de la population manitobaine
services en français, et elle rappelle que la regroupant les personnes de langue maternelle
communauté francophone doit faire française et les personnes qui possèdent une
partie des décisions. Cette loi ouvre la affinité spéciale avec le français et s’en servent
porte à un dialogue pour faire avancer les couramment dans la vie quotidienne, même
dossiers. » s’il ne s’agit pas de leur langue maternelle ». ◗
l u s
P DE SERVICES EN FRANÇAIS À WINNIPEG
NICOLE YOUNG
A
vec l’élargissement de l’espace francophone, Nicole Young : « Ce vote est un grand pas en avant.
que ce soit par le biais de l’immigration ou La Ville reconnaît, et même connaît mieux qu’avant
des francophiles qui sont passés par ses obligations envers les francophones.
l’immersion française, de plus en plus de résidents « Avec l’agrandissement de l’espace francophone, il
de Winnipeg demandent à être servis en français y a partout dans la ville des nouveaux arrivants
partout dans la ville. francophones qui ne parlent pas ou peu l’anglais et
D’ailleurs, le 30 janvier 2020, la Ville de Winnipeg a des francophiles qui ont appris le français. Ils
franchi une étape importante dans la reconnaissance veulent être servis dans cette langue, par exemple
de ses citoyens et citoyennes francophones par la pouvoir trouver des livres en français à la
nécessité de leur offrir des services adéquats. bibliothèque, sans devoir toujours se rendre jusqu’à
Saint-Boniface. »
Suite aux recommandations du premier rapport sur
les services en français de la Ville, le conseil Dans les prochains mois, Nicole Young travaillera
municipal a adopté à l’unanimité que l’accès aux avec chacun des services et départements de la Ville
services en français soit élargi à toute la ville. Il était de Winnipeg pour développer des plans de livraison
auparavant restreint aux quartiers historiquement de services en français et s’assurer que du personnel
francophones de Saint-Boniface, Saint-Vital et bilingue est en place pour les offrir. ◗
Saint-Norbert.
humanitaire. c’est l’immigration économique qui ont la formation, l’expérience professionnelle, les
représente le plus grand nombre d’immigrants au compétences linguistiques et les fonds nécessaires
canada. en 2017, 56 % de l’immigration pour s’établir et subvenir sans aucune aide
permanente au pays était issue de cette catégorie, extérieure à leurs besoins dès leur arrivée.
Magazine
17
EN QUELQUES
chiffres
par rOmaiN Telliez
E
n 1870, la population du Canada se Au Manitoba, en 2018, les immigrants de première
composait principalement de trois groupes. génération représentaient près de 227 500 personnes,
Environ 102 000 individus des Premières soit 18,3 % de la population de la province.
Nations, 1 million de Français et 2,1 millions de
Avant cela, une vague d’immigration entre 2011 et
Britanniques, pour une population totale de
2016 avait permis de faire passer le taux annuel moyen
3,6 millions de personnes. 150 ans plus tard, on
de croissance démographique de 0,8 % à 1,7 %.
compte plus de 200 communautés ethniques et les
immigrants représentent 20 % d’une population de En tout, l’immigration contribue également à la
près de 37,6 millions de personnes. croissance et aux recettes fiscales. Mille ménages de
nouveaux arrivants au Canada dépensent en
À l’instar de nombreux pays, le Canada a besoin de
moyenne 16 millions $ en frais de logement,
maintenir son équilibre démographique,
économique et parfois linguistique. Les ministres 13 millions $ en transport, 8 millions $ en
fédéraux, provinciaux et territoriaux se réunissent alimentation, et apportent 21 millions $ de rentrées
une fois par an pour discuter de la gestion du fiscales annuellement.
Programme d’immigration. Par ailleurs, l’immigration francophone hors-Québec
Bien que les programmes varient d’une province à représentait en 2017 environ 4 700 personnes, soit
l’autre, ils ont principalement deux objectifs : 2 % des résidences permanentes. Un chiffre en légère
stimuler la croissance de la population et attirer une augmentation par rapport à 2016 qui ne comptait
main-d’œuvre qui possède des compétences que près de 4 400 nouveaux résidents permanents
professionnelles bien précises. francophones au Canada hors Québec. ◗
ppel
De gauche à droite : emma, caroline, Fréderic et Faustine Guichard.
D’UNE TERRE
ont quitté la France pour de bon pour aller s’installer
au Manitoba rural, dans la région de Brandon.
ACCUEILLANTE
Le père de famille, Frédéric Guichard, les a rejointes
en janvier 2019. Un parcours d’immigration
semé de belles rencontres.
par rOmaiN Telliez apprendre le métier de façon plus précise avec nous. On a toujours été attirés par le calme et
mes parents. » la nature, mais avec l’urbanisation, les parcelles
Le 1er janvier 2004, il crée sa propre agricoles étaient de plus en plus petites et
A
vant de devenir Manitobains partagées. Je devais donc louer des terres
d’adoption, la famille Guichard exploitation organique, spécialisée dans la
production de légumes de plein champ. Le ailleurs et ça me faisait beaucoup de trajets. »
vivait dans le sud de la France, près
d’Aix-en-Provence.Tous deux diplômés dans potentiel de l’agriculture organique et le Puis un jour, un voisin et ami originaire du
le domaine littéraire, c’est pourtant dans le respect de la terre, c’est d’ailleurs ce qui a attiré Nouveau-Brunswick lui parle de partir
domaine agricole qu’ils s’épanouissaient. la famille Guichard au Manitoba. C’est en travailler au Canada. « C’était juste pour rire
2013, un peu par hasard, qu’ils ont au début, mais on a quand même fait des
Frédéric Guichard explique : « Mes parents commencé les démarches d’immigration. recherches et ça avait l’air intéressant! Il y avait
avaient une exploitation maraichère convertie de l’espace, une francophonie, et du potentiel
« On avait une situation tout à fait établie,
en 1985 à l’organique,donc j’ai grandi à la ferme. pour l’organique. »
mais les contraintes administratives et fiscales
« Deux ans après mon diplôme, je me suis imposées aux entreprises en France étaient Après beaucoup de recherches sur les différentes
rendu compte que le fait d’être dehors me difficiles. On s’inquiétait aussi de voir de plus provinces canadiennes,Caroline et Frédéric ont
manquait. En 2001, je suis donc retourné en plus de maisons se construire autour de un coup de cœur pour... le Manitoba!
19
Province du Manitoba de 1997 à 2007, Gérald
Clément a contribué à créer le programme
Candidats du Manitoba : « L’immigration au
Manitoba avait chuté à cause de la concurrence
de Vancouver,Toronto et Montréal,et l’économie
en souffrait.On a donc créé un programme dont
les critères de sélection favoriseraient les gens qui
veulent venir au Manitoba. »
La première année, 200 dossiers sont déposés,
et ce nombre augmente d’année en année. « On
avait une entente sur cinq ans avec le Fédéral qui
revoyait chaque année notre quota de dossiers à
accepter. Finalement, on a décidé qu’on ne
mettrait plus de quotas. La Province déciderait
du nombre selon les besoins. Le Manitoba s’est
vraiment distingué comme la petite locomotive
qui pouvait pousser le train, et loin. »
Depuis le 1er avril 2019, plus de 260 franco-
BRIGITTE LÉGER phones se sont installés au Manitoba par le biais
de ce programme.
Conseillère Brigitte Léger précise : « Pour qualifier au
en immigration programme Candidats du Manitoba, il faut
économique au CDEM. normalement avoir un lien avec le Manitoba.
Ça peut être d’avoir étudié ici, avoir de la famille
ou des amis proches, une expérience de travail
photo : Marta Guerrero ou encore une offre d’emploi.
POUR ATTIRER
par camille harper
L’importance
d’une visite exploratoire
LES francophones L’
immigration franco-
phone est un atout « Grâce au programme Candidats du
pour l’ensemble de Manitoba, on peut identifier les candidats
Canada et du Manitoba, pour francophones qui répondent aux besoins
assurer la survie de la commu-
AU MANITOBA
économiques du Manitoba, et les inviter en
nauté de langue officielle visite exploratoire pour qu’ils puissent créer
minoritaire. des liens avec la province et être acceptés
Brigitte Léger est la conseillère pour immigrer », indique Brigitte Léger
en immigration économique au CDEM : « Le Commencée par le CDEM, sous la direction
Canada s’est fixé pour objectif d’accueillir 4 %
Créé par la Province de francophones chaque année parmi tous ses
de Mariette Mulaire, dans les années 2000
de façon informelle pour les immigrants
du Manitoba en 1998, immigrants. Mais la communauté franco- d’affaires, la visite exploratoire est devenue un
phone du Manitoba souhaiterait en attirer
le programme jusqu’à 7 % par année. »
outil incontournable pour être accepté de la
Province du Manitoba comme immigrant.
Candidats du Manitoba Parmi les programmes pour immigrer au
Brigitte Léger : « Il y avait de plus en plus
a permis à la communauté Canada, le programme Candidats du
de demandes pour des visites exploratoires,
Manitoba, créé en 1998, a permis de faire venir
francophone de faire venir donc la Province a mis sur pied en 2007 un
des immigrants francophones directement au
système plus formel pour les accueillir.
plus de nouveaux arrivants Manitoba. C’était la première entente du genre
J’évaluais les demandes, j’envoyais celles qui
où une Province hors Québec prenait le
francophones. me semblaient prometteuses à la Province
leadership de son immigration.
pour approbation officielle, puis les candidats
Sous-ministre adjoint à l’Immigration à la venaient en visite exploratoire. »
Dès 2007, sept visites sont organisées. qu’entre la fin du mois de novembre 2019 « Ils arrivent avec un permis de travail,
Puis les demandes se multiplient. Brigitte et le début de février 2020, la Province a mais après six mois, comme ils ont créé
Léger s’en souvient : « En mars 2017, il y reçu plus de 4 000 demandes de un lien professionnel et personnel avec la
avait plus de 300 demandes de visite personnes souhaitant faire une visite province, ils peuvent demander une
exploratoire en attente! Il y en avait exploratoire! » résidence permanente par le biais du
tellement qu’on a dû fermer le programme Candidats du Manitoba. »
programme pour nous donner le temps
de toutes les évaluer. Ce n’est qu’à la fin
Arriver avec Brigitte Léger souligne que la Province
de novembre 2019, qu’on a finalement pu un permis de travail comme le Fédéral ont toujours encouragé
rouvrir le programme. » l’immigration francophone. « C’est une
Par ailleurs, le gouvernement fédéral a
constante depuis que j’ai commencé à ce
Aujourd’hui, c’est la Province qui reçoit aussi créé le programme Mobilité poste en 2007, malgré les changements de
directement les demandes de visites Francophone, un autre outil pour agrandir
exploratoires via une demande en ligne. pouvoirs. Ce qui a changé, c’est l’intérêt :
l’espace francophone au Manitoba. le nombre de demandes a explosé. C’est
La Province sélectionne des candidats Brigitte Léger explique : « ce programme très positif pour la communauté
selon les besoins. Le CDEM appui donne le droit aux employeurs des francophone du Manitoba. »
ensuite les candidats sélectionnés afin de communautés francophones hors Québec
les aider à établir des liens avec la d’embaucher des francophones à Selon les chiffres de la province, en 2019,
communauté manitobaine. En 2019, il y l’étranger sans devoir prouver qu’il n’y le Manitoba a accueilli 18 905 immigrants,
a facilité plus d’une centaine de visites avait personne d’autre pour le poste qu’ils dont 615 francophones. 12 545 de ceux-ci
exploratoires au Manitoba. » cherchent à combler. Ça permet de faire sont arrivés au Manitoba par le biais du
Elle confie que ce nouveau système de venir plus facilement des francophones programme Candidats du Manitoba. ◗
sélection était nécessaire : « Imaginez dans nos villes, nos communautés.
de nous rassurer. Et ça s’est révélé
utile, voire même essentiel!
Elle nous a permis d’évaluer
le cadre et le coût de la vie.
Je ne serais pas venu vivre ici
sans avoir pu visiter.
On est resté dans Winnipeg,
on essayait de se projeter.
On a aussi pu visiter plusieurs écoles
pour nos enfants, notamment
l’école Taché. »
Le Manitoba,
LA SCÈNE D’UNE
NOUVELLE VIE
par rOmaiN Telliez
C’
est au cœur de sa nouvelle scène, une salle de classe de
l’école Lacerte de Winnipeg, que nous rencontrons
Asma Zenatti. Depuis son Maroc natal, elle
attendait depuis toujours de pouvoir devenir actrice
de sa propre vie. Arrivée au Canada le 31 octobre
2018, Asma y est désormais enseignante auprès
d’une classe de 8e année.
L’histoire d’Asma pourrait se résumer en
quatre mots : Volonté – Détermination –
Travail – Mérite. Et puis sourire aussi.
Asma est une femme, une épouse, une
mère, une enseignante, une étudiante et
une comédienne. Elle qui se trouvait
cantonnée à quelques petits rôles
routiniers dans sa vie d’avant, est
aujourd’hui plus qu’heureuse de
pouvoir incarner tous les personnages
qu’elle souhaite :
« Je suis en train de vivre une belle
expérience. J’enseigne toute la journée,
puis je vais à mes répétitions de théâtre
et ensuite je fais mes devoirs parfois à
11 h du soir ou plus. Le lundi soir, je
suis un cours à l’université en plus de
tout ça. Et je suis heureuse! »
Asma a une volonté à toute épreuve.
Née à Rabat, au Maroc, elle grandit
ensuite à El Jadida, ville située à
90 km de Casablanca. Elle
commence d’abord des études dans
le domaine touristique avant de
s’orienter vers une carrière dans
Au Maroc, je comptais les jours
Une fois l’idée en tête, Asma se plonge dans ses recherches, studieuse,
jusqu’aux prochaines vacances, travailleuse, déterminée. Sa vie qu’elle trouvait routinière devient alors
une course. « Je sentais que j’avais de la force pour faire n’importe
ici, je compte les heures quoi. J’étais tellement motivée que je pouvais travailler jour et nuit.
pour retrouver ma classe. Comme si mes 40 années passées au Maroc n’était qu’une pause, je
n’avançais pas, je touchais le même salaire, il n’y avait pas d’horizon,
C’est ça ma vraie personnalité, pas d’études, pas de rêve. »
je n’attendais que ça. C’est dire comme l’attente fut difficile pour cette femme d’action.
Entre sa visite exploratoire et l’obtention de la Résidence permanente,
- Asma Zenatti il a fallu deux ans mais elle arrive finalement avec son mari et ses
deux enfants sur le sol canadien le 31 octobre 2018.
Depuis, la course ne s’est pas ralentie, il faut trouver un logement,
l’enseignement. Elle fait une première année en milieu rural, dans inscrire les enfants à l’école, puis s’inscrire elle-même à l’université
un « douar ». Un petit village, situé au bout d’une route interminable, pour valider des crédits pour obtenir le droit d’enseigner. Malgré ces
au milieu de nulle part, dans des conditions très difficiles, parfois 20 années d’enseignement au Maroc, elle doit encore faire des études
« sans eau ni électricité avec un accès très compliqué à la nourriture ». pour avoir le droit d’enseigner de façon permanente ici. Mais Asma
ne rechigne jamais, elle apprend encore et encore. Elle suit des cours
C’était « l’enfer », selon ses mots, une région d’une extrême pauvreté d’administration scolaire, des cours d’histoire du français au
où il faut vivre avec les insectes et les scorpions. Mais malgré ces Manitoba. Elle se sent comme en mission. Elle est d’abord auxiliaire
conditions extrêmes, il y a un endroit où elle trouve du réconfort. à l’école Lacerte pour trois semaines, puis travaille au Service de
« Ce qui m’a réconforté, c’est quand je descendais dans la salle de perfectionnement linguistique de l’Université de Saint-Boniface, puis
classe. C’est à ce moment-là que j’avais compris que l’enseignement monitrice à French immersion teacher (FIT), où elle est monitrice
c’était peut-être ma destinée. Je me suis vraiment trouvée dans ce auprès d’autres enseignants et retourne ensuite faire quelques
métier. Face à des élèves qui ne parlaient ni arabe, ni français mais remplacements à l’école Lacerte ou un poste finit par se libérer.
berbère. Je les aimais et je ne les oublierai jamais. » Après un an au Manitoba, Asma a déjà accompli énormément. « Je
sentais que je volais, je savais que j’avais des compétences, mais j’avais
Une bouée de sauvetage besoin qu’elles soient évaluées et améliorées. »
Et elle ne veut pas s’arrêter là. « Pas une minute à perdre, je veux finir
Elle travaille un peu plus d’une année dans ces mon postbac et même faire ma maîtrise. Travailler et encore
conditions avant de se réorienter dans l’enseignement travailler, je suis là pour ça. On m’a ouvert la porte, j’ai maintenant la
privé après la naissance de sa fille, Yasmine. « Ma possibilité d’aller de l’avant, alors, je ne veux pas freiner. »
famille est ma raison de vivre et quand ils sont devenus Et comme si tout cela ne suffisait pas, Asma passe des auditions pour
grands et qu’il fallait choisir leur éducation, il fallait jouer un rôle au Théâtre Cercle Molière. Audition qu’elle réussit
se poser les bonnes questions. » comme tout ce qu’elle entreprend.
Les bonnes questions et les bonnes décisions, pour Asma est une mère, une femme, une épouse, une étudiante, une
eux, c’était d’aller au Canada, « le rêve de tout le enseignante et maintenant une comédienne. Sur scène, elle joue depuis
monde ici. C’est une bouée de sauvetage pour début mars dans la pièce La Liste, l’histoire d’une femme jouée par
nous, un autre monde. » plusieurs femmes, quand dans la vie, c’est elle la femme qui joue à
Sa clé pour entrer au Canada s’appelle plusieurs femmes. ◗
Brigitte Léger, conseillère en immigration
économique au CDEM, « une personne
en or, elle nous a guidés de A à Z. »
Le rêve canadien
D’UNE VIE
SIMPLE
par rOmaiN Telliez
A
deline et Florian n’étaient pas malheureux en
France. Ce jeune couple, elle 28 et lui 30 ans,
vivait à Commercy, dans le département de la
Meuse. Ils vivaient proche de leur famille et avaient tous
les deux un emploi. Adeline est couturière et Florian est
mécanicien agricole. Ils disent tous deux « adorer leur
métier. » Cependant, se sont glissés dans le quotidien, des
éléments qui leur donnaient le sentiment de « tourner en
rond. »
Arrivés à Winnipeg depuis quelques mois, ils nous
reçoivent dans leur appartement à peine aménagé. Juste
l’essentiel, une table, un lit et une plante nommée Brenda.
Adeline en dit alors un peu plus sur les raisons de leur départ.
« J’adorais mon métier, en France, je faisais des robes de
mariées sur mesure. Mais je sentais qu’on était tous les deux
un peu enfermés dans nos boulots sans forcément avoir
d’évolution possible. »
C’est ce manque d’évolution professionnelle qui pousse
Adeline et Florian à un début de réflexion sur leur avenir
en France. Alors que lui avoue avoir « simplement envie
de changement ». Adeline précise : « j’ai beaucoup investi
de temps et d’énergie dans ce travail mais je pense que je
n’aurais jamais été augmentée, j’aurais été au smic toute
ma vie. »
Adeline et Florian n’étaient pas malheureux, mais ils étaient
sans doute un peu las du manque de reconnaissance dans
leur vie professionnelle. « Les gens sont toujours surpris de
mes études, ils n’imaginent pas que pour faire de la couture,
j’ai passé un BTS de modéliste. Mon métier n’a aucune
valeur en France. Et puis je ne croyais plus vraiment les
paroles de mon patron me disant de ne pas m’inquiéter et
que tout se passerait bien. »
L’IMPORTANCE DE L’ACCUEIL
À TOUTES les étapes
WILGIS AGOSSA
BINTOU SACKO
Adjoint exécutif et
responsable des communications
Directrice Accueil francophone
de l’Accueil francophone
du Manitoba
du Manitoba.
Dossier de l’immigration
(SFM).
l’accueil francophone organise bon nombre d’activités pour favoriser l’intégration des nouveaux arrivants. par exemple, sur les photos, de
gauche à droite, le camp rêve, le Noël des enfants ou encore la participation au Festival du Voyageur.
par camille harper « On est là pour répondre à leurs Par ailleurs, l’Accueil francophone est devenu
1001 questions sur les diplômes, l’école ou en 2009 le premier centre d’accueil
encore le logement, ou pour les envoyer vers francophone du Canada à avoir un
L
es nouveaux arrivants francophones
au Manitoba, qu’ils soient immigrants les organismes qui sauront y répondre. Le programme d’aide au rétablissement des
économiques ou réfugiés, sont un but, c’est qu’il y ait pour eux le moins réfugiés (PAR). Wilgis Agossa explique :
atout indéniable pour appuyer la dynamique possible d’inconnues à l’arrivée. » « On voyait beaucoup de francophones qui
de la langue et de la culture francophone au Un an après son lancement, le programme venaient comme réfugiés et n’avaient aucune
Manitoba, le maintien de services en pré-départ est déjà un succès. « La cible fixée connaissance de l’existence de la
français, ou encore l’économie et les pour la première année était entre 75 et francophonie. On a voulu les aider à découvrir
entreprises francophones et bilingues. 125 personnes ayant recours au service. la communauté et bien s’y intégrer. »
Nous en avons eu 300. » Bintou Sacko ajoute : « Aujourd’hui, non
Encore faut-il qu’ils se sentent assez bien
seulement nous sommes le seul centre
accueillis et intégrés pour vouloir rester et Une fois les nouveaux arrivants ou réfugiés d’accueil de réfugiés francophone, mais nous
s’engager dans leur nouvelle communauté. sur le sol manitobain, les services offerts par sommes aussi depuis le printemps 2019
Le rôle de l’Accueil francophone, c’est de l’Accueil francophone continuent. Wilgis signataires d’entente. On peut donc
tout mettre en œuvre pour rendre cet accueil Agossa, adjoint administratif et responsable parrainer directement des réfugiés. »
agréable et faciliter cette intégration, depuis des communications : « On va chercher nos
le pays d’origine jusqu’à longtemps après Tout comme pour les immigrants écono-
clients à l’aéroport, puis on les emmène dans
leurs premiers pas en sol manitobain. miques, l’Accueil francophone offre aux
nos logements de transition s’ils sont libres.
réfugiés un accompagnement personnalisé
Émigrer n’est pas une mince affaire. C’est Ils pourront y rester deux à trois semaines.
selon leurs besoins, incluant une aide pour
quitter ses habitudes, ses repères, une partie constituer des dossiers de rapatriement
de sa famille, et souvent aussi un emploi. « Très vite, on organise aussi une rencontre
pour évaluer les besoins spécifiques de familial. Pour Wilgis Agossa, « c’est très
Dans le but d’élargir l’espace francophone du important d’apporter la meilleure aide
l’individu ou de la famille et on les
Manitoba sur le long terme, avec des possible aux réfugiés. Ils ont subi des
accompagne dans toutes leurs démarches
nouveaux arrivants qui vont s’impliquer dans traumatismes et ils ne comprennent pas
administratives, ou même médicales pour
la vie communautaire, l’Accueil francophone beaucoup de réfugiés. On crée avec eux un toujours la culture. C’est un grand défi ».
a développé de nombreux services pour les plan d’établissement clair et personnalisé. » Jusqu’en 2016, l’Accueil francophone ne
accueillir puis les aider à s’établir et s’intégrer. s’occupait que des réfugiés venant de pays
L’Accueil francophone offre également une
Bintou Sacko est directrice de l’Accueil série d’ateliers facultatifs sur divers aspects francophones. Mais avec la crise syrienne en
francophone. « Depuis février 2019, avec notre de la société canadienne, comme la justice, 2016, de nombreux réfugiés syriens sont
service pré-départ, nous offrons un service aux le système éducatif, l’histoire, la santé arrivés au Manitoba en ne parlant ni l’anglais,
futurs nouveaux arrivants francophones au mentale, l’achat d’une maison ou encore la ni le français. Depuis, l’Accueil francophone
Manitoba avant même qu’ils ne quittent leur budgétisation. « On veut vraiment qu’ils reçoit des réfugiés de partout. L’organisme
pays. Une fois qu’ils ont été présélectionnés aient toute l’information dont ils ont besoin continue cependant de ne desservir que les
par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté dans n’importe quel domaine. On les aide immigrants économiques francophones.
Canada (IRCC), s’ils vont dans l’Ouest, ils aussi avec la recherche d’un logement
sont connectés avec nous. permanent », indique Wilgis Agossa. Suite en page 28 ➤
➤ Suite de la page 27 communauté avec quelqu’un d’ici, un pour donner la main pour aider les nouveaux venus
découvrir le rural ou encore un autre pour à cheminer. C’est extrêmement important
« Chaque famille ou individu a son propre les aînés. Ce secteur a tellement pris de pour qu’ils se sentent bien au Manitoba. »
conseiller d’intégration, qui l’aide à atteindre l’ampleur qu’on a besoin d’au moins Pour Wilgis Agossa, l’une des plus grandes
ses objectifs à moyen et long terme. » Des 300 bénévoles. richesses de l’Accueil, c’est « la diversité de
suivis sont planifiés au long de la première « Le but est que les nouveaux arrivants et notre personnel. Nous représentons une
année, toutefois les conseillers sont à la réfugiés puissent s’épanouir en communauté, quinzaine de nationalités et nous parlons
disposition de leurs clients n’importe quand du côté francophone comme anglophone. une quarantaine de langues au total. Nous
jusqu’à ce que ceux-ci deviennent citoyens. On travaille avec de nombreux partenaires pouvons donc rejoindre la plupart de nos
L’Accueil francophone mise aussi sur la pour offrir autant de connexions et clients dans leur culture ou langue.
création de liens communautaires pour aider d’opportunités de s’impliquer que possible. » « Quand on arrive dans un nouveau pays,
ses clients dans leur intégration. Il insiste sur l’importance de la communauté sans repères, ça n’a pas de prix d’être compris
Wilgis Agossa détaille : « On encourage nos d’accueil dans la réussite de ces programmes : dans sa langue maternelle. Ça peut faire la
clients à faire du bénévolat. On a aussi un « Une intégration réussie doit se faire des différence entre une immigration réussie ou
programme de jumelage pour découvrir la deux côtés. La communauté d’accueil doit non. » ◗
Nicson
Yamondo
«A
rrivé le 5 avril 2019 à Winnipeg depuis de la République centrafricaine j’ai
eu la chance de recevoir l’aide de l’Accueil francophone. Ils m’ont aidé, dirigé
dès mon arrivée à l’aéroport. J’ai reçu beaucoup d’aide . On m’a aidé à ouvrir
un compte bancaire, à différencier la monnaie et aussi à comprendre le système de diplômes
canadiens, le système de bénévolat et bien d’autres choses encore.
Si tu ne comprends pas cette base, c’est plus difficile de s’intégrer. Mais une fois toutes les
bonnes informations en poche, c’était beaucoup plus simple. Je fais d’ailleurs du
bénévolat pour l’Accueil lorsqu’ils ont besoin d’un interprète pour les gens qui
viennent de Centrafrique et qui ne parlent pas le français.
C’est une relation presque familiale qui se noue entre les employés
de l’Accueil et ceux qui reçoivent de l’aide. Ça aide à s’intégrer.
Je me suis intégré très rapidement, je me sens comme un
Canadien. En plus des informations de la vie courante, j’ai
reçu beaucoup d’informations sur les programmes
auxquels on peut avoir accès. C’est d’ailleurs grâce à eux
que j’ai pu intégré le MITT pour suivre des cours
d’anglais. Par la suite, j’aimerais poursuivre mes études
pour devenir ingénieur en informatique. »
sentir
POUR SE
« COMME
À LA MAISON »
par camille harper
C’
est alors qu’ils étaient réfugiés à
Kinshasa, en République
démocratique du Congo, que
Constance Ngouissani Nsouadi, son mari et ses
cinq enfants âgés de six à 16 ans ont appris qu’ils
étaient attendus au Canada. La mère de famille
se souvient : « On ne savait pas où au Canada.
Ce n’est que le jour même de notre voyage qu’on
a su que ce serait Winnipeg. On ne savait même
pas où c’était! »
Réfugiée du Congo Brazzaville,
Après deux escales en France et à Ottawa, la Constance Ngouissani Nsouadi
famille de sept arrive enfin à Winnipeg. « Boris est arrivée au Manitoba en septembre 2012
Ntambwe de l’Accueil francophone était à
avec son mari et ses cinq enfants.
l’aéroport pour nous accueillir, puis il nous a
emmenés dans un logement de transition. Il
L’appui de l’Accueil francophone
nous avait laissé un peu d’argent, et surtout, il et de membres de la communauté lui ont
avait rempli le frigo. Je m’étais demandée avant permis de se sentir très vite pleinement
comment on arriverait à recommencer ailleurs intégrée dans la francophonie manitobaine.
sans rien, mais on avait déjà tout : meubles,
nourriture…
« Le lendemain, un samedi, Christophe Mbélé
(le coordonnateur Accueil et Établissement de
l’Accueil francophone) m’a même emmenée là
où on trouvait de la nourriture d’Afrique. Il y
avait du manioc! C’était important pour moi de
retrouver ce que je connaissais. »
PRIORITÉ :
TROUVER UN e m p l o i
JOEL LEMOINE
SALIMATA SORO
Directeur de l’appui
Directrice de l’employabilité aux entreprises
et de l’immigration au Conseil de développement
au Conseil de développement économique des municipalités
économique des municipalités bilingues du Manitoba.
bilingues du Manitoba.
le salon Espace emploi organisé par le cDem depuis 2018 permet aux employeurs manitobains de rencontrer leurs potentiels futurs employés. Une
opportunité à ne pas manquer pour les nouveaux arrivants qui cherchent un emploi.
S
e trouver un emploi est souvent l’une des priorités des Joel Lemoine, directeur de l’appui aux entreprises au CDEM,
nouveaux arrivants. Pour cela, le Conseil de développement estime que « cette capacité d’accompagner les clients jusqu’à
économique des municipalités bilingues du Manitoba l’emploi est primordiale. On s’assure que tous nos clients de
(CDEM) a toute une gamme d’appui à disposition, que ce soit Destination emploi et Emploi pour tous aient une expérience en
pour chercher un emploi ou se lancer en affaires. milieu de travail ».
Afin de subvenir à leurs besoins, la majorité des nouveaux arrivants Il ajoute que ce pont est tout aussi bénéfique aux employeurs. « Ça
veulent chercher du travail très vite après leur arrivée, voire même enlève chez les employeurs une certaine crainte qu’une personne
avant. Ils sont nombreux à avoir poussé les portes du CDEM pour se d’une différente culture puisse ne pas être à la hauteur. Ils savent
faire accompagner dans de telles démarches. qu’ils ont suivi toute une formation chez nous, et ils voient qu’on
Salimata Soro est la directrice de l’employabilité et de l’immigration les accompagne. C’est un gage de confiance. »
du CDEM : « Le service d’employabilité du CDEM offre Salimata Soro confie d’ailleurs que « maintenant, certains
notamment des formations, un service de placement à l’emploi, et employeurs nous appellent directement quand ils ont besoin de
organise des foires d’emploi. recruter, pour savoir si on a des clients qui pourraient être
« On est là à chaque étape du parcours, selon les besoins des intéressés! Les mentalités ont bien changé ».
personnes. On peut les aider à rédiger leur curriculum vitae (CV) Joel Lemoine partage les chiffres : « Chaque année, le CDEM
ou leur lettre de motivation, on peut travailler avec eux les appuie la mise sur pied d’environ 70 entreprises. Il y a une
techniques de recherche d’emploi ou encore d’entrevue, et on peut quinzaine d’années, ils étaient trois ou quatre nouveaux arrivants
les renseigner sur le milieu de travail canadien. Au total, on offre à acheter ou créer des entreprises. Aujourd’hui, environ 30 % de
14 ateliers différents. notre clientèle qui se lance en affaires, ce sont de nouveaux
« On fait tout un suivi, jusque dans le milieu de travail, car nos arrivants, soit 20 à 25 des 70 entreprises que nous appuyons
programmes incluent tous des stages rémunérés. On rend visite à chaque année.
nos clients en stage et leurs employeurs chaque semaine jusqu’à « On est là pour les entrepreneurs. Et c’est rassurant pour eux. Je
12 semaines. » peux les accompagner dans leurs démarches, répondre à leurs
En 2019, sur 80 candidats aux foires d’emploi - que le CDEM questions, les orienter. Chaque année, je m’occupe d’une centaine
organise depuis trois ans, deux fois par an en personne, ainsi qu’une de dossiers de nouveaux arrivants. Tous n’aboutiront pas mais ils
fois de manière virtuelle à l’échelle nationale - 65 ont trouvé un savent qu’on est là. »
emploi. « On offre aussi une formation Business Start de trois jours en
De plus, sur 60 clients du programme Emploi pour tous, pour les français, deux à trois fois pas an, qui permet de tout savoir sur les
30 ans et plus, 48 ont désormais un emploi. Et sur 60 clients à différents types d’entreprises au Canada, les plans d’affaires, et
Destination emploi, un programme qui s’adresse aux 15 à 30 ans, tout ce qui est nécessaire pour démarrer une entreprise. Ou
54 ont aujourd’hui un emploi. Ces programmes sont ouverts à encore des ateliers sur le système des taxes au Canada et la gestion
tous, cependant la plupart des clients sont de nouveaux arrivants. du temps. » ◗
Quant au taux de clients en stage rémunéré qui se font embaucher
ensuite, il est de 94 %. Suite en page 34 ➤
Suite de la page 33 ➤ (Business Stream) ou Agriculture (Agricultural du travail canadien, qu’ils aient un curriculum
Stream). « Les gens qui veulent immigrer sous vitae en anglais et en français à jour, et on crée
Joel Lemoine constate également que ce volet viennent souvent dans le but de les premiers contacts en vue d’un emploi. »
l’immigration entrepreneuriale est de plus en racheter une entreprise ici. » Parmi les ateliers, celui sur l’intégration dans le
plus une réponse à la succession des milieu du travail est particulièrement bénéfique
entreprises francophones locales. « La relève Par ailleurs, en partenariat avec l’Accueil selon la directrice des ressources humaines :
familiale est en baisse, ce qui donne des francophone, le CDEM a aussi un « Ça permet de mieux comprendre comment
opportunités pour les nouveaux arrivants qui programme de pré-départ pour les futurs les Canadiens conçoivent la diversité culturelle,
souhaitent se lancer en affaires. » immigrants francophones. et ce à quoi s’attendre en milieu de travail.
Il précise que depuis 2018 environ, le Salimata Soro : « On offre des ateliers en Beaucoup de nouveaux arrivants qui n’étaient
programme d’immigration Candidats du ligne. On s’assure avant même qu’ils arrivent pas préparés perdent leur premier emploi à
Manitoba a un volet entrepreneurial : Affaires qu’ils connaissent et comprennent le marché cause de différences culturelles. » ◗
Adèle
Kapinga
«J
e suis arrivée de République démocratique du Congo avec mon
mari et mes enfants le 26 juin 2019. Une de nos
préoccupations principales a été de trouver un emploi.
Mon mari, Valéry Kambo, était demandeur principal et avait déjà eu
l’opportunité d’avoir des contacts de pré-départ avec un agent du
CDEM. Et, deux semaines après notre arrivée, nous avons été nous
présenter là-bas, où un conseiller en employabilité nous a demandé
d’envoyer nos CV afin de nous aider à les mettre au format
canadien.
Nous avons énormément apprécié l’implication des conseillers,
qui nous envoyaient des offres d’emploi susceptibles de nous
convenir. Ils m’ont même aidée en me donnant une liste de
questions qu’on peut retrouver en entrevue et en simulant une
entrevue afin de me préparer correctement.
J’ai pu aussi participer à la foire à l’emploi, Espace emploi, et
rencontrer une dizaine d’employeurs potentiels. La recherche
d’emploi dans un nouveau pays n’est pas simple, et il faut être
patient. Mais grâce à l’aide que j’ai reçue, j’ai finalement obtenu
un emploi à l’USB en janvier comme assistante administrative. »
par rOmaiN Telliez L’entreprise Parenty Reitmeier est la parfaite ma sœur, qui s’était installée au Manitoba. Je
illustration de cette nécessité. Cette entreprise vivais alors en Algérie. Je suis tombée sur
qui fait de la traduction dans plus de une offre d’emploi de Parenty Reitmeier, et
L
es immigrants représentaient en 2016
plus de 26 % de la main d’œuvre de la 100 langues connaît un besoin important en j’ai décidé de postuler. J’ai passé l’entretien
capitale manitobaine. (1) Dans main d’œuvre francophone. Sur ses pendant mon séjour et on m’a fait une
certains secteurs, comme le secteur 45 employés, 12 sont francophones. « Nous promesse d’embauche qui a été notre porte
manufacturier ou celui des transports, ils travaillons énormément en français, c’est la d’entrée vers le Canada.
langue la plus demandée pour notre
représentent même 46 % et 36 % de Je suis ensuite rentrée en Algérie pour faire
entreprise, » assure Jean-Pierre Parenty, son
l’ensemble des travailleurs et jusqu’à près de ma demande de VISA et me marier. J’avais
président.
la moitié des travailleurs des soins infirmiers. peur de perdre cette opportunité avec la durée
Si les chefs d’entreprises du Manitoba ont de la démarche, mais Parenty Reitmeier a été
Aujourd’hui, force est de constater que, non des difficultés à recruter de manière générale,
seulement, l’économie a besoin des compréhensif, ils ont l’habitude de ce genre
dans le cas de l’entreprise Parenty Reitmeier de choses. Ils ont été patients. »
immigrants, mais elle en est devenue la difficulté est double. « On a toujours des
dépendante. La ville de Winnipeg, entre difficultés à recruter, mais ce n’est pas que « Je n’étais pas malheureuse dans mon pays,
autres, fait face à un grand défi nous, c’est dans toutes les business. je cherchais juste de l’évolution profes-
démographique. Taux de natalité bas, Cependant, dans notre cas, c’est encore plus sionnelle que je ne pouvais pas avoir en
émigration des travailleurs vers d’autres difficile parce qu’il est quasi-impossible de Algérie. Et je voyais ma sœur évoluer ici au
provinces et vieillissement de la population trouver assez de francophones locaux formés Canada. Elle semblait avoir la belle vie. »
font que l’immigration se présente, non plus en traduction. » Pour l’entreprise Parenty Reitmeier comme
comme un choix, mais comme une nécessité. Par le passé, Parenty Reitmeier devait aller pour beaucoup d’entreprises au Manitoba.
C’est d’autant plus le cas pour l’immigration recruter ses candidats jusqu’en Europe avec L’immigration est devenue un élément
francophone. En effet, 40 % des franco- le salon Destination Canada. Aujourd’hui, essentiel dans leur développement. « Sans les
phones de la ville ont plus de 55 ans, grâce à l’immigration francophone et aux nouveaux arrivants ce serait très difficile! Et
comparativement à 27 % de la population programmes du CDEM comme Espace puis, pas uniquement en français,
totale. Et bien que Winnipeg soit la ville qui emploi qui réunit des employeurs locaux et l’immigration est très importante dans toutes
attire le plus de francophones hors du des chercheurs d'emploi, l’entreprise a plus les langues », conclut Jean-Pierre Parenty.
Québec, ce ne sont que 1 130 personnes de facilités à trouver des candidats.
(1) Immigration, réfugiés et Citoyenneté Canada -
Série de profils économiques : Winnipeg, 2019. ◗
dont le français est la langue maternelle qui Sabrina Bettoum fait partie de ces nouveaux
sont venues s’installer au Manitoba entre immigrants qui fluidifient l’économie du
2016 et 2018. (1) Manitoba. « Je rendais simplement visite à
CAP SUR
le r u r a l Si l’immigration francophone
au Manitoba est dans une dynamique
positive depuis la Toile de fond commune
2001-2050 : Agrandir l’espace francophone
au Manitoba, elle est restée très concentrée
sur Winnipeg. Aujourd’hui, le rural souhaite
bénéficier de cet apport de francophones.
Depuis 2016, l’accueil francophone organise des tournées dans les régions rurales (À la découverte du rural) pour les nouveaux arrivants.
L
es communautés rurales du Manitoba « Il y a un gros travail de sensibilisation à faire.
n’ont pas connu une expérience de Beaucoup de nouveaux arrivants ne savent
l’immigration francophone aussi pas qu’il existe des services et ressources en
positive que la région urbaine. Certaines français au rural, et les communautés rurales
régions ont essayé d’attirer des nouveaux n’ont pas l’habitude de l’accueil de familles
arrivants, mais les résultats n’ont pas été à la nouvelles arrivantes. »
hauteur des attentes. Salimata Soro, directrice des ressources
Salwa Meddri, coordonnatrice du Réseau en humaines au CDEM, confirme : « Il y a une
immigration francophone (RIF) Manitoba : méconnaissance du monde rural chez les
« Il y a eu par exemple une grosse campagne nouveaux arrivants, et les communautés rurales SALWA MEDDRI
de recrutement de nouveaux arrivants sont souvent moins ouvertes. Les familles se
francophones du côté de Notre-Dame-de- connaissent depuis toujours, elles ont grandi Coordonnatrice du Réseau
Lourdes en 2012-2013. Malheureusement, ces ensemble. Il est plus difficile de s’y intégrer. » en immigration francophone Manitoba.
familles ont dû faire face à beaucoup de défis, Elle ajoute que la question de l’emploi est un
par exemple au niveau du renouvellement de autre obstacle à la ruralisation, de même que
leurs permis de travail. Si certains ont pu celle du réseau. « Il n’y a pas autant d’emplois au
s’établir avec succès dans la région, la plupart rural qu’à l’urbain, or la plupart des nouveaux
ont finalement préféré revenir à Winnipeg ou arrivants veulent que les deux conjoints aient
même quitter le Manitoba. » un emploi. Ça les retient en ville.
« De même, pour beaucoup, c’est
« Avec l’immigration, rassurant de retrouver des pairs à
l’arrivée. Mais ces réseaux sont en ville.
Par exemple, il y a plusieurs associations
non seulement on fait croître communautaires africaines à Winnipeg,
mais pas au rural. »
notre communauté, mais Pour remédier la situation et réussir ARMAND POIRIER
l’accueil, les communautés peuvent
on apporte aussi de nouvelles compter sur l’appui du RIF, de
l’Accueil francophone et du CDEM,
Conseiller municipal
de la Municipalité rurale de Taché.
Suite de la page 39 ➤ arrivants dans la vie communautaire rurale. » minoritaire, mais aussi renforcer les
L’initiative Communautés francophones économies locales. Les Municipalités rurales
« On a lancé le programme À la découverte accueillantes commencera le 1er avril 2020 reconnaissent de plus en plus la valeur
du rural car on s’était rendu compte que pour une durée de trois ans. ajoutée du français, et donc l’intérêt de le
certains de nos clients, qui étaient pourtant garder. »
au Manitoba depuis cinq à dix ans, n’avaient Armand Poirier, conseiller municipal de la
jamais été plus loin que Lorette. Certains Municipalité rurale de Taché, explique Il dévoile d’ailleurs que l’AMBM a obtenu
même n’étaient pas sortis de Winnipeg. Ils l’importance de l’immigration francophone une promesse de financement d’Immigration,
ne savaient rien du rural. Ils ignoraient les pour sa communauté : « Avec l’immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC)
services en français qu’on peut y trouver. » non seulement on fait croître notre pour développer un Plan stratégique municipal
communauté, mais on apporte aussi de pour le recrutement, la rétention et la réussite des
Le programme a déjà porté ses fruits : nouvelles idées, une ouverture d’esprit. C’est Municipalités bilingues en matière d’immi-
Wilgis Agossa assure que « quelques clients une chance pour nous, une richesse. » gration pour les Municipalités rurales.
ont déménagé au rural après, grâce aux
connexions qu’ils avaient faites lors du
programme ».
De même, au niveau du RIF Manitoba, le « L’immigration est essentielle aujourd’hui
programme Communautés francophones
accueillantes est en train d’être mis sur pied. pour assurer la pérennité et la vitalité
Salwa Meddri explique : « Le programme a
été lancé au niveau national en juin 2018. En de nos communautés francophones
2019, au Manitoba, on a identifié la région
de la rivière Seine, incluant la Ville de
Sainte-Anne, la Municipalité rurale de La en milieu minoritaire, mais aussi renforcer
Broquerie et celle de Taché, comme
communautés francophones cibles. Cette les économies locales. Les Municipalités rurales
région avait en effet manifesté un intérêt à
recevoir des nouveaux arrivants. » reconnaissent de plus en plus la valeur ajoutée
L’objectif de Communautés francophones
accueillantes est de développer des plans
communautaires régionaux et des
du français, et donc l’intérêt de le garder. »
partenariats tout en tenant compte des - Justin Johnson
particularités locales, afin de préparer les
communautés à bien accueillir de potentiels
nouveaux arrivants, et les nouveaux arrivants « On veut aller une étape plus loin en
à leur nouvelle vie au rural. La route est encore longue, mais il reste
confiant : « On commence d’en bas. On n’est mettant sur pied une stratégie commune
« On travaille à augmenter le côté Friendly pas équipés pour recevoir des nouveaux pour attirer l’immigration francophone. » La
du Manitoba en rendant les communautés arrivants, mais on y travaille. On va stratégie devrait être développée d’ici 2023.
encore plus accueillantes, remarque la notamment créer du logement abordable. Il Salwa Meddri termine : « Si on réussit à
coordonnatrice du RIF Manitoba. On va ne suffit pas de pouvoir accueillir une avoir plus de monde à l’extérieur de
accompagner et outiller les communautés famille, il faut pouvoir en recevoir plusieurs Winnipeg, ce sera très positif pour la
pour que tout le monde y vive dans la pour qu’elles aient envie de rester chez francophonie et l’agrandissement de l’espace
meilleure harmonie possible. nous. » francophone à l’échelle de la province. On
« Pour cela, on va notamment mettre en Le directeur général de l’Association des va travailler tous ensemble vers ce but,
place des activités culturelles, sportives, municipalités bilingues du Manitoba capitaliser sur l’expertise de chacun. On est
communautaires ou même de recherche (AMBM), Justin Johnson, renchérit : tous une pièce du casse-tête. » ◗
d’emploi pour favoriser l’échange entre « L’immigration est essentielle aujourd’hui
communautés accueillie et accueillante, et pour assurer la pérennité et la vitalité de nos
encourager l’implication des nouveaux communautés francophones en milieu
e n f a i t s
Les bi
D’UNE COMMUNAUTÉ
ET DE LA SOLIDARITÉ…
S
i le tissu social très serré au rural peut parfois Virginie Mazoyer décrit sa communauté d’accueil :
présenter un obstacle à l’intégration pour « J’ai trouvé une famille à Notre-Dame-de-
certains nouveaux arrivants, ce n’est pas le cas Lourdes, un soutien hors pair. Ça a fait toute la
de la Française Virginie Mazoyer, qui s’est installée différence dans les moments difficiles.
en décembre 2016 à Notre-Dame-de-Lourdes avec « De mes voisins à mes collègues de travail, tout le
les deux cadets de ses sept enfants tandis que son monde m’a vraiment bien accueillie. Quand c’était
mari, Stéphane Mazoyer restait en France pour l’hiver et que mon mari venait nous rendre visite, par
travailler. exemple, quelqu’un de la communauté offrait de
faire la route jusqu’à Winnipeg pour aller le chercher
En effet, son diplôme français d’enseignante n’étant à l’aéroport, juste pour que je ne sois pas seule sur les
pas reconnu au Manitoba, le couple a préféré garder routes enneigées ou que je sois obligée de prendre
un emploi en France pour assurer les finances un jour de congé. Sans ce soutien formidable, je ne
familiales. sais pas si je serais restée au Manitoba! » ◗
A
vec l’élargissement de l’espace francophone au Manitoba dans son style d’art. Nous avons aussi reçu un humoriste africain au
et l’arrivée de nouveaux arrivants francophones des quatre Rire Zone en février 2020, Papa Gizz. »
coins du monde, la scène culturelle francophone du
Le CCFM a également ouvert ses portes au groupe de danse
Manitoba s’est diversifiée pour le plus grand plaisir du public.
africaine Umucyo. « Umucyo répète dans nos locaux et pour la
Ginette Lavack, directrice générale du Centre culturel franco- Saint-Jean-Baptiste 2019, ils ont fait une performance. C’est
manitobain (CCFM) : « On voit dans la communauté de plus en
important et positif pour la communauté de s’ouvrir aux différentes
plus de projets très intéressants qui incorporent les nouveaux
cultures qui la composent. Plus on les inclut, plus les nouveaux
arrivants, comme par exemple les Allogènes ou le Marathon de
création au Théâtre Cercle Molière. arrivants se reconnaîtront dans notre communauté et s’intégreront.
C’est bénéfique pour tous. »
« De même, chez nous dans la Galerie du CCFM, nous
commençons à accueillir des œuvres d’artistes d’ailleurs. Au D’ailleurs, selon les observations de Ginette Lavack, le public semble
printemps 2020, nous aurons l’exposition d’un jeune homme du apprécier cette diversité : « Le public demande de la nouveauté, des
Congo, Xavier Mutshipayi. Ses origines et son héritage se ressentent nouvelles perspectives, des nouvelles approches. » ◗
Kelly
auteure-compositrice et interprète. elle est originaire
de la côte-d’ivoire, et est arrivée au manitoba
«A
ujourd’hui, je pense qu’avec mes
chansons, je contribue à l’enrichissement
culturel au Manitoba.
C’est parfois difficile de s’établir ici. Les musiques du
monde sont plus populaires dans les grandes villes, où il
y a un public, un marché. Ça demande des compromis,
de faire l’effort d’aller vers l’Autre pour comprendre ta
culture d’accueil.
J’ai commencé à écrire au Manitoba, alors ma musique
est un métissage entre le Manitoba et l’Afrique. Ici, je
peux faire ma musique, être moi-même, sans nier ma
culture d’origine et apporter ma valeur ajoutée. »
photo : Marta Guerrero
Dembélé,
dans le milieu du théâtre manitobain depuis
son arrivée, en 1993.
«L
orsque je suis arrivé en août 1993, il y avait peu de nouveaux
arrivants. Alors, il fallait que je m’intègre, c’était une nécessité.
Ma passion pour le théâtre a été la meilleure manière de
rentrer dans la communauté francophone.
Cet art est une des seules places où j’ai pu faire passer mes idées et faire
comprendre, parfois avec une touche d’humour, le racisme, mais aussi la
culture, les traditions et la société d’où je viens. Par exemple, j’ai abordé la
polygamie qui est encore un sujet tabou dans Le polygame, présenté au
Chiens de soleil en 1997.
Je remarque une plus grande ouverture dans le monde culturel. J’ai
participé à la conception de la pièce Allogène au Théâtre Cercle Molière
en 2018, avec sa soixantaine de comédiens aux différents accents
francophones. Le théâtre m’a permis de me créer une place dans la
communauté et aujourd’hui, je me sens francophone du Manitoba. »
photo : Marta Guerrero
«Q
uand je donne des ateliers dans les écoles, au final c’est
moi qui apprends le plus! Je propose des choses aux
jeunes nouveaux arrivants et j’observe leur façon
spontanée de se lancer.
Les enfants des pays africains ou ceux de Haïti, utilisent inconsciemment
une palette de couleurs beaucoup plus chaudes.
Par exemple, lorsque je leur demande de peindre un arbre, j’adore les voir
se lancer dans des silhouettes vraiment différentes avec des motifs que
je n’avais jamais vus auparavant.
Moi, j’observe tout cela, ça entre en moi et je le ressors ensuite à ma façon.
C’est ça l’art. »
photo : Marta Guerrero
ÉLARGIR LA FRANCOPHONIE,
C’EST MULTIPLIER LES accents
Élargir l’espace francophone, c’est aussi multiplier les accents et les façons
de parler français. Une richesse qui peut devenir un danger quand cela donne
le sentiment que sa langue n’est pas d’assez bonne qualité pour tenir une conversation.
Pour la Fédération de la jeunesse canadienne-française (FJCF) comme pour la SFM,
la sécurité linguistique est un enjeu clé à adresser sans attendre. Une stratégie nationale
élaborée par la FJCF va être dévoilée en mars 2020.
par camille harper ressortait de nos membres. On vivait tous les La sécurité linguistique touchant tous les
mêmes défis de sécurité linguistique, mais âges et milieux socio-professionnels, la
on n’était pas capables de vraiment mettre le
N
e pas oser parler en français par peur FJCF a invité dans sa réflexion plusieurs
d’être jugé(e) sur de possibles erreurs doigt dessus et d’identifier quoi faire pour organismes communautaires et nationaux.
de langue. Répondre en anglais car améliorer la situation. En 2014, on a décidé En outre, deux consultations nationales en
cela semble plus facile. Converser en groupe en qu’il fallait agir. » ligne ont été menées en 2018, auprès de la
anglais, même s’il n’y a qu’une seule personne jeunesse et des membres des communautés
anglophone. Toutes ces expériences sont très de tous âges. La sécurité linguistique était
communes en milieu minoritaire francophone. aussi le thème du forum de la FJCF en mai
Roxane Dupuis, directrice générale du 2019. Ces consultations et forum ont mené
Conseil jeunesse provincial : « En milieu à l’élaboration d’une Stratégie nationale pour
minoritaire, ce sentiment d’infériorité face à la sécurité linguistique, dévoilée en mars 2020.
l’autre interlocuteur, cette perception que notre Pour la présidente de la FJCF, c’est le point de
français n’est pas assez bon, on connaît tous
départ : « Tous les Canadiens et Canadiennes,
cela à un moment ou un autre. Ça peut même
quel que soit leur âge et leur situation, vont
arriver entre Franco-Manitobains. « Alors,
pouvoir s’approprier la Stratégie et l’adapter à
plutôt que de parler français et d’être encore
corrigés ou de chercher ses mots, on préfère leur réalité. La Stratégie nationale a pour but
parler anglais. On a l’impression que c’est plus de sensibiliser et d’inciter à la prise d’action en
facile. L’insécurité linguistique, ou sécurité tant qu’individu ou groupe.
linguistique pour prendre une approche plus « Trop de francophones en situation
positive et proactive du problème, c’est ça. » minoritaire, partout au pays, vivent une
Ce problème ne se limite pas au Manitoba, insécurité linguistique imposée par leurs pairs.
photo : Gracieuseté Sue Duguay
c’est pourquoi la Fédération de la jeunesse Alors ils s’excluent de la langue. L’impact sur
canadienne-française (FJCF) a décidé lors les communautés est très négatif. On peut
de son assemblée générale de 2014 de SUE DUGUAY perdre des locuteurs français à cause de cela.
chercher des solutions. On devrait plutôt augmenter nos nombres
Sue Duguay, présidente de la FJCF : Présidente de la Fédération pour augmenter notre influence. » ◗
« Depuis de nombreuses années, ce message de la jeunesse canadienne-française.
LE RÔLE ESSENTIEL
Quand la SFM a adopté sa Toile de fond commune 2001-
DES parents
2050 : Agrandir l’espace francophone au Manitoba,
près de 70 % des jeunes de la communauté
franco-manitobaine étaient issus de couples exogames,
et moins de 16 % d’entre eux s’exprimaient en français.
Dans la transmission d’une langue, les parents
ont un rôle clé à jouer. Comment la communauté
les a-t-elle aidés?
L
a Fédération des parents de la francophonie Brigitte L’Heureux l’affirme, « l’exogamie, c’est la
manitobaine (FPFM) est l’organisme porte- réalité des familles de notre communauté
parole et d’appui aux parents de jeunes enfants francophone du Manitoba aujourd’hui, et c’était
de la communauté francophone du Manitoba. déjà le cas en 2001.
La directrice générale de la FPFM, Brigitte « Il faut embrasser cette réalité plutôt que l’ignorer. Si
L’Heureux, revient sur l’importance du rôle des on n’inclut pas le conjoint ou le partenaire anglophone
parents : « Du point de vue de la FPFM, on chez nous, on court le risque que toute la famille aille
observe que les deux parents, peu importe leur ailleurs, là où tout le monde se sent inclus. Souvent,
langue, contribuent à l’épanouissement de leur c’est dans la communauté anglophone ».
enfant, y compris
langagier. Plus les L’organisme porte-
familles se sentent parole des parents
incluses dans la francophones a
francophonie et les également développé
enfants sont exposés sa communication.
au français, plus les Brigitte L’Heureux :
enfants auront de « Nous avons
chances de parler bilinguisé notre publi-
cette langue et d’être cité pour que les
prêts pour la mater- parents anglophones
nelle en français. puissent aussi com-
« Alors il est prendre le contenu de
important que dans notre programmation.
Cependant, nos pro-
les couples exogames, photo : Marta Guerrero
le parent se sente grammes sont toujours
appuyé et outillé pour BRIGITTE L’HEUREUX donnés en français. »
encourager la franco- Par ailleurs, un nou-
phonie de son Directrice générale de la Fédération des parents veau poste d’appui à la
enfant. Il faut lui de la francophonie manitobaine. francisation et aux
montrer que c’est familles plurilingues
faisable pour lui, avec des outils et des appuis, de vient d’être affiché en janvier 2020. « On a vu qu’il
contribuer à la transmission du français à ses y avait un manque d’outils et de cohésion dans nos
enfants. Beaucoup de parents anglophones services. La personne embauchée développera
cherchent des espaces francophones pour leurs notamment des outils pour les familles, mais aussi
enfants qui les respectent comme parent les éducateurs et éducatrices et les garderies
anglophone. » familiales.
Pour cela, la FPFM a développé en 2013 des fiches « On voit de nombreux défis de francisation dans
informatives à destination des familles exogames : les garderies francophones aujourd’hui. C’est
Grandir en français - De la naissance à 24 mois, important de faire l’état des lieux de ce qui existe
Grandir en français - De 2 à 5 ans, Identité déjà et des besoins, et de réfléchir à comment faire
francophone - L’identité, c’est vivre une culture et la pour les combler. Il y a toujours plus à faire pour
célébrer et Couples mixtes – Quand un seul des agrandir l’espace francophone. »
parents parle le français, ainsi que des vidéos au sujet
des avantages de parler français à son jeune enfant (1) Ces fiches et vidéos sont disponibles à l’adresse
au Manitoba. (1) http://www.lafpm.com/nos-services/outils-pour-parents/ ◗
L’im m e r s i o n
au cours des années, le système
scolaire d’immersion au manitoba
s’est agrandi, structuré et légitimisé.
UN SYTÈME
Si la première école élémentaire
date de 1973, la première école
secondaire à offrir un programme
EN CROISSANCE CONSTANTE
d’immersion au manitoba, le
collège Béliveau, a vu le jour en
1982. c’était d’ailleurs le premier
La première école d’immersion a ouvert du genre en amérique du Nord.
ses portes au Manitoba en 1973, dans le sillon 1995 a marqué une autre étape
de la loi fédérale sur les langues officielles, cruciale dans l’histoire de
entrée en vigueur en 1969. l’immersion manitobaine : son
Depuis, le système d’immersion s’est organisé, programme a été officiellement
structuré dans les divisions scolaires, reconnu. christian michalik :
et surtout n’a cessé de croître pour aujourd’hui « c’était la volonté d’une partie
représenter 13 % de l’ensemble des élèves de la société qui a mené à une
du réseau scolaire public de la province.
concrétisation politique.
et ça a apporté une légitimité
CHRISTIAN MICHALIK à l’immersion, des ressources
pédagogiques et un marché pour
Directeur général les maisons d’édition également. »
de la Division scolaire Louis-Riel
photo : Gracieuseté Division scolaire Louis Riel l’immersion s’est alors petit à petit
structurée au sein des différentes
par maThilDe errarD divisions scolaires, dont la Division
scolaire louis-riel, qui a vu le jour
en 2002.
A
u Manitoba, c’est à l’école Sacré- « Même si l’immersion a dû faire face à des
Cœur, qui faisait alors partie de la oppositions, une prise de conscience s’est À l’image du système global
Division scolaire Winnipeg n°1, opérée dans beaucoup de familles d’immersion française, le nombre
que le système scolaire d’immersion anglophones qui souhaitaient que leurs
enfants parlent les deux langues officielles d’inscriptions à la DSlr est en
française a vu le jour en 1973, sous
du pays », indique-t-il. hausse constante. Sur les 40 écoles
l’administration des Sœurs des Saints-
L’immersion a connu une croissance chaque qui la composent, 13 sont des
Noms de Jésus et de Marie.
année depuis ses débuts. Un an après son écoles d’immersion et accueillent
Christian Michalik, directeur général de la implantation au Manitoba, 0,4 % des élèves pas moins de 5 200 élèves, soit
Division scolaire Louis-Riel (DSLR), de la province étaient inscrits en immersion.
rappelle que l’immersion a fait ses premiers Près de 25 ans plus tard, en 2001-2002, ce 33,5 % de son total d’élèves.
pas dans le contexte de la Loi sur les langues chiffre grimpait à un peu plus de 8 %. « et si la tendance se maintient,
officielles. Entrée en vigueur le 7 septembre En 2016-2017, avec quelque 24 400 élèves, nous prévoyons atteindre
1969, elle institue le français et l’anglais la proportion d’élèves en immersion
40 % d’élèves en immersion
comme langues officielles du Canada. française au Manitoba atteignait les 13 %. ◗
dans la prochaine décennie »,
indique christian michalik.
ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : L’IMPORTANCE DE LA CONSTRUCTION IDENTITAIRE
Magazine
49
LE CHOIX DE L’IMMERSION
POUR l ’avenir
Emploi, ouverture, lien avec leur famille aux multiples langues :
Kristin et Johann Baetsen, anglophones, n’ont pas hésité
à inscrire leurs enfants, Raina et Vaughn en immersion,
à l’École Provencher.
par maThilDe errarD l’avenir de leurs enfants. « Le français apporte Pour le moment, leurs enfants apprennent les
plus d’opportunités d’emplois. Et puis, qu’ils bases de la langue, notamment en associant
sachent parler et comprendre l’histoire de la
I
l est près de 16 heures, un mardi pendant la images et mots. D’ailleurs, Vaughn ramène en
période du Festival du Voyageur et Raina, deuxième langue officielle du Canada est courant un livre en français sur des animaux et
huit ans et Vaughn, six ans, viennent de important. » Sa femme poursuit : « On habite lit les quelques phrases avec sa sœur. Raina, en
rentrer de l’école. Le petit dernier, en 1re année, dans le quartier francophone de Winnipeg,
troisième année, raconte : « Apprendre le
est fier de montrer sa dernière création, épinglée alors on s’est dit, pourquoi nos enfants
n’apprendraient pas le français? » français, ça change la vie. On peut chanter, lire,
sur sa chemise. « C’est une tuque rouge du écrire et parler en français. C’est amusant! »
Festival du Voyageur! » Un autre facteur a également joué dans la
décision des deux parents : leur lien familial avec Johann ne cache pas qu’il n’a jamais autant parlé
Par le passé, ses parents aussi ont été élèves en
le français. Johann Baesten comprend un peu français depuis que ses enfants sont en
immersion à Winnipeg. Pour eux, c’était naturel
le français et peut parler quelques mots et dans immersion. Il entraîne d’ailleurs une équipe de
de les inscrire dans ce même système. Kristin
sa famille, le français a toujours été plus ou soccer en français au complexe sportif de
Baetsen se souvient : « Ma sœur n’a pas été en
moins parlé. « Mes grands-parents parlaient six Notre-Dame.
immersion, ça n’existait pas à l’époque. Mais
langues, dont le français. Ma mère est
moi, j’ai eu cette chance et aujourd’hui, j’ai des Kristin Baetsen tient à préciser que
également francophone et vit à Saint-Boniface.
connaissances sur l’histoire et la culture l’apprentissage des enfants se poursuit en
Nous avons une histoire avec cette langue, alors,
francophones. » dehors de l’école. Leurs enfants suivent des
inscrire nos enfants en immersion est un moyen
Johann, le père de famille, ajoute que de poursuivre notre contribution à la cours de natation en français et Raina participe
l’immersion a été également un choix pour communauté francophone. » à une chorale, Les petits intrépides. ◗
pour le couple Baetsen, il était important d’inscrire leurs enfants en immersion. Sur la photo de gauche à droite : Johann,
Vaughn, Kristin et raina Baetsen.
50
DE FRANCOPHILE
À fr a n c o p h o n e
En plus de l’apprentissage
de la langue française,
l’un des objectifs du programme
d’immersion de la DSLR
est de favoriser l’intégration
de ses élèves dans la communauté
PATRICK GAGNÉ
francophone, et de leur donner
Professeur de sciences humaines tous les outils et toute la confiance
et d’informatique pour les classes
de 9e et de 10e années nécessaires pour qu’ils continuent
au Collège Béliveau à parler français après la 12e année
et se sentent pleinement francophones.
L
a notion d’identité des élèves « Si des efforts sont encore Gagné, est anglophone et son père vient du Québec.
est au cœur de l’appren- nécessaires pour élargir la défini- pour eux, c’était important que moi et mon frère
tissage du français au sein tion sociale de la francophonie, les matthieu gardions cette connexion avec la langue
des écoles de la DSLR. Christian élèves issus de l’immersion en font d’une partie de ma famille et d’augmenter
Michalik, son directeur général, bien partie et ont un rôle clé à jouer les opportunités en terme de carrière.
explique : « Avec les équipes
pédagogiques, nous travaillons à
dans son épanouissement », assure D’ailleurs, mon frère et ma belle-sœur sont aussi
conscientiser les jeunes sur leur
Christian Michalik. En effet, ceux enseignants en immersion, tout comme ma femme
identité et leur bilinguisme pour
qu’on appelait il y a peu les rae-ann Trudeau!
qu’ils puissent continuer à francophiles, sont aujourd’hui de il y a six ans, j’ai débuté ma carrière au collège Béliveau,
pratiquer en dehors de la salle de vrais francophones du Manitoba. où j’ai passé une partie de ma scolarité. aujourd’hui,
classe et après leur graduation, et Patrick Gagné, 29 ans, fait partie en tant qu’enseignant, j’ai l’impression que je peux
qu’ils se considèrent pleinement des anciens élèves de la DSLR qui redonner quelque chose, être un modèle. en classe,
comme francophones. » continuent à pratiquer le français. nous essayons autant que possible d’immerger les
Si la notion d’identité franco- Après des études en histoire- élèves dans des cas concrets, en dehors de la classe,
phone comporte l’aspect langagier, comme le sport ou le théâtre.
géographie puis en éducation à
il se base aussi sur la culture, le l’Université de Saint-Boniface, il michel roy, un de mes collègues, a d’ailleurs monté une
sentiment d’appartenance et est depuis six ans, professeur de comédie musicale bilingue. pour le moment, je suis au
l’inclusion. « Les élèves en sciences humaines et d’infor- début de ma carrière. J’entraîne une équipe de
immersion peuvent acquérir et
matique pour la 9e et la 10e années basketball où nous parlons en français autant que
nourrir une identité francophone possible et je compte davantage m’engager dans des
au Collège Béliveau.
tout au long de leur parcours initiatives avec les élèves. c’est important que les élèves
scolaire, qu’ils soient très ou peu « Mon but est de donner toutes les gagnent en confiance dans des situations authentiques.
familiers avec la culture occasions possibles aux élèves de lorsque j’étais élève, l’immersion m’a offert toutes
francophone. Il est essentiel pratiquer leur français hors du les occasions d’utiliser cette langue. ensuite, mon défi
d’inclure tous ces profils dans cadre académique et dans des a été de continuer à trouver des occasions de pratiquer
notre enseignement. » situations authentiques. après la 12e. Suivre mes études d’histoire, géographie,
Depuis près de 50 ans,
« On cherche à toujours améliorer puis en éducation à l’Université de Saint-Boniface a été
l’immersion oblige à repenser
leurs compétences orales égale- un bon moyen. et puis, dernièrement, j’ai participé
l’identité francophone manito- au Festival du Voyageur en tant que bénévole. »
baine. La Loi 5 sur l’appui à ment. Alors par exemple, pendant
l’épanouissement de la francophonie la période des élections l’an PATRICK GAGNÉ,
manitobaine, adoptée par la dernier, on a organisé des débats enseignant au Collège Béliveau
Province en 2016, a d’ailleurs en classe où chacun pouvait poser pour les 9e et 10e années
élargi la définition même de des questions et exprimer ses idées en sciences humaines et en informatique
francophone. en français. » ◗
900, chemin St. Mary's | Winnipeg | Manitoba | R2M 3R3 | Tél. : 204-257-7827 | lrsd.net
POUR FORMER
LES CITOYENS La Division scolaire franco-manitobaine
DE demain
(DSFM) a pour objectif de former
des citoyens du 21e siècle.
Pour ce faire, elle table
sur trois piliers :
la réussite scolaire et éducative,
la communauté
et la construction identitaire.
A Réussite scolaire
lain Laberge, directeur général de la DSFM
pose les bases dès le départ : « Notre mandat
est plus large que celui des écoles
et éducative
anglophones. En plus de la réussite scolaire, nous avons
La DSFM a entamé une réflexion pour revoir la
aussi la mission de transmettre une culture et de nourrir
définition de la réussite scolaire : « Nous voulons
une identité francophone chez nos élèves. »
mettre l'emphase sur l'élève, adapter notre
Ce mandat a été pensé dès les débuts de la DSFM, enseignement afin de s'assurer que chaque élève
qui a été créée en 1994 à la suite de l’adoption en progresse, peu importe son profil. Et ce, dès les
juillet 1993 du projet de loi 34 visant à modifier la premières années, pour que l’élève parte sur de
Loi sur les écoles publiques. Et pour rester en phase avec bonnes bases », indique Alain Laberge.
son mandat, la DSFM élabore environ tous les cinq
ans un plan stratégique qui reprend des axes basés
sur leurs objectifs.
1263, chemin Dawson Lorette (Manitoba) R5K 0S1 • Téléphone : 204 878-9399 • DSFM.MB.ca • dsfm@dsfm.mb.ca • @DSFMecole
S’a d a p t e r
AUX NOUVEAUX photo : Marta Guerrero
par maThilDe errarD par exemple par le choix des livres. « Dans le corridor de notre école, c’est
« Nous voulons nous assurer que les une francophonie colorée! Asie, Europe,
D
epuis le début des années 2000, livres utilisés dans nos classes et dans Afrique, il y a de plus en plus de
la DSFM a progressivement nos bibliothèques représentent bien personnes de toutes les cultures et de
observé une augmentation des tous nos élèves, pour qu’ils puissent s’y différentes religions qui travaillent dans
nouveaux arrivants parmi ses élèves. reconnaître et trouver leurs places. » un respect mutuel. Lorsque je suis arrivée
Petit à petit, les équipes se sont adaptées, Depuis 2004, la DSFM a également il y a 25 ans, il y avait peu de nouveaux
et ce dès les premiers pas des élèves créé un poste d’agent culturel à temps arrivants. Ensuite, beaucoup de chemin
nouveaux arrivants. « Lors de l’inscrip- plein. Et depuis environ trois ans, il y a a été parcouru avec des sessions
tion, on établit le profil de tous les élèves, également une personne à mi-temps. professionnelles et des personnes comme
explique Daniel Préteau, directeur adjoint Les agents voyagent d’école en école. Ils moi qui ont étudié à l’Université de
aux Services aux élèves de la DSFM. Et sont chargés notamment de discuter et Saint-Boniface en éducation.
pour les nouveaux arrivants, nous leur répondre aux questions des enseignants
posons aussi des questions sur leur école « Une personne qui a connu les mêmes
et du personnel. Ils sont surtout
et leur vie dans leur pays d’origine. » présents en ville, où il y a un plus gros réalités que les élèves est une vraie force,
En 2018 et 2019, plusieurs formations besoin de soutien et de conseils. notamment pour nouer des relations avec
professionnelles ont été organisées pour les familles. Elles viennent de systèmes
comprendre les réalités des nouveaux Des enseignants scolaires différents où parfois, le parent est
arrivants. « La formation a aussi permis de moins impliqué. Alors, il est important
comme référents qu’elles comprennent les attentes du
comprendre l’importance de nos choix de
mots et d’expressions. Nous n’avons pas Pour Mireille Kazadi, elle-même système canadien et de leur expliquer
tous les mêmes références culturelles. » arrivée de la République démocratique comment elles peuvent s’impliquer dans
Mireille Kazadi, directrice de l’école du Congo, « c’est important d’avoir de la scolarité de leur enfant. Au final, c’est
Taché, qui accueille des élèves issus de la diversité à tous les niveaux pour l’élève qui sera gagnant. » ◗
diverses cultures, précise que « chaque répondre aux besoins des nouveaux
cas est particulier et que ces formations arrivants et que les équipes scolaires
offrent les bases nécessaires ». L’adap- ressemblent aussi à la francophonie de
tation et l’inclusion culturelle passent la DSFM d’aujourd’hui.
« Pour moi, c’était évident que mes filles vivraient en français, lance
Nathalie Roche. À la naissance de Chloé, Mark a commencé à
apprendre le français. Il est même devenu professeur dans une école
d’immersion à double voie. Je suis très admirative!
Aujourd’hui, on parle tous en français au quotidien. On ne diabolise
pas l’anglais pour autant. Les grands-parents paternels et quelques
amis sont anglophones. Chloé est bilingue et Léa nous comprend
et commence à prononcer quelques mots.
Ça restait important pour moi de s’assurer que le français ne soit pas
juste pratiqué dans l’unité familiale. Dans une école anglaise ou
d’immersion, Chloé aurait davantage parlé en anglais et j’imagine
qu’elle aurait peut-être été réticente à discuter en français à la maison.
Et puis, je me serais sentie seule pour leur apprendre le français. Là,
photo : Mathilde Errard c’est plus simple. Je sais que plus tard, Léa et Chloé auront le choix
de faire leurs études en français ou en anglais. » ◗
Nathalie et son mari, mark roche et leurs filles, léa, trois ans et chloé, six ans.
L’U S B ,
PIERRE ANGULAIRE DE L’AGRANDISSEMENT
DE L’ESPACE FRANCOPHONE
Microcosme de la francophonie manitobaine,
l’Université de Saint-Boniface (USB) accueille en ses murs tous les visages de la francophonie.
par camille harper « C’est important de leur donner l’opportunité
de créer des liens et l’intérêt d’être et de travailler
P
eter Dorrington, vice-recteur à ensemble. Ici, c’est la meilleure chance de le
l’enseignement et à la recherche, affirme faire », ajoute Peter Dorrington.
que « pour agrandir l’espace francophone,
l’éducation est depuis toujours la pierre angulaire. Et, depuis plusieurs années, plus de la moitié des
étudiants internationaux diplômés de l’USB
photo : Dan Harper
Il faut un continuum éducatif en français de la
petite enfance au postsecondaire ». dépose une demande de résidence permanente
au Manitoba. Selon la province, la catégorie des
Ce continuum, l’USB travaille sans relâche à le
travailleurs qualifiés au Manitoba — dont les
renforcer pour que le français soit la réponse
logique pour tous les francophones. « On a une que viennent bon nombre de chefs de file étudiants détenant un permis d'étude font partie
collaboration de plus en plus étroite avec la francophones, et ce dans tous les domaines. On — démontre actuellement un taux de rétention
DSFM. Depuis deux ans, nous travaillons aussi a un rôle d’avant-garde à jouer pour prévoir les de plus de 85 %.
pour développer un continuum en français besoins. » Diplômée de l’immersion, Jordyn White est en
ont des programmes d’immersion. »
langue seconde avec les divisions scolaires qui
Microcosme 3e année du baccalauréat en arts. « Grâce à mon
de la communauté expérience à l’USB, je me sens plus intégrée à la
À l’autre bout du continuum,l’USB a également communauté francophone car j’ai été invitée à
lancé en 2019 un projet de 6,15 millions $ pour Peter Dorrington le souligne, « l’USB est participer à des évènements en français, j’ai des
la construction d’un centre d’apprentissage et de l’un des seuls espaces où tous les éléments amis francophones, et j’ai des opportunités de
service de garde sur son campus. de la francophonie se côtoient en nombres pratiquer mon français. Je me suis fait beaucoup
Par ailleurs, l’USB a acquis en 2011 une importants chaque jour : étudiants franco- d’amis à l’USB qui m’ont acceptée avec mon
crédibilité supplémentaire comme pilier de la manitobains, franco-métis et anglophones, français comme il est. »
communauté quand l’établissement est devenu résidents permanents et étudiants interna-
une université, confirmée par la Loi sur l’appui tionaux, on a là toutes les composantes Pour sa part, Cabrel Brémault, en 1re année au
à l’épanouissement de la francophonie manitobaine d’une grande francophonie. » programme d’administration des affaires, est
de 2016. Sophie Bouffard, rectrice : « L’USB natif de La Broquerie et diplômé de la DSFM.
En effet, la population étudiante de l’USB se
est la seule université de langue française de Il apprécie la diversité francophone à l’USB :
répartit comme suit : 33 % de finissants de la
l’Ouest canadien. Il y a un statut, un poids, une DSFM, 36 % de finissants de l’immersion, « La plupart des étudiants de ma classe sont de
légitimité qui viennent avec ça. 9 % de résidents permanents et 21 % d’étu- provenance internationale et on s’entend très
« Aujourd’hui, on négocie d’égal à égal avec diants internationaux. De plus, de ce groupe, bien. J’ai créé des amitiés solides. Ça renforce
l’Université du Manitoba et on est responsable 11 % des étudiants sont d’origine métisse ou ma fierté francophone. Ces liens, je suis certain
de conceptualiser nos programmes. C’est d’ici autochtone. que je les garderai après l’USB. »
L’ESPACE
par camille harper
S
i la stratégie d’élargissement de Il y a encore du chemin à faire. Selon le
l’espace francophone a démarré en directeur général de la SFM, Daniel
2001, c’est réellement aujourd’hui Boucher : « Je connais encore trop de gens
qu’on peut saisir au Manitoba l’impact d’une en immersion qui disent qu’ils n’ont pas
telle vision. Quelque 19 ans plus tard, et à assez d’occasions de pratiquer leur français.
l’aube du 150e anniversaire de la Province, Notre langue doit être bien plus que quelque
les visages de la francophonie, de chose qu’on apprend à l’école. On le doit à
l’économie et de la scène culturelle ceux qui font l’effort de devenir
manitobaines se sont bel et bien francophones ou qui font le choix de quitter
diversifiés. leur pays pour vivre au Manitoba. Il faut leur
Les leaders de la faire encore une meilleure place parmi
communauté ont nous. »
misé sur la pleine Ibrahima Diallo ajoute : « Le drame de
continuité de l’immigrant, c’est la question des diplômes.
l’identité franco- Il est urgent de s’attaquer à ce volet ». Louis
phone, le rappro- Allain, le directeur général du CDEM
chement des familles partage son avis : « Trouvons des formules
mixtes et des personnes plus conviviales pour accélérer la
bilingues, l’immigration et reconnaissance des diplômes de nos
l’accueil des nouveaux arrivants nouveaux arrivants! »
sans oublier la sensibilisation des
anglophones. Le pari qu’ils ont pris Daniel Boucher de conclure : « Les cinq
pour contrer l’érosion linguistique et orientations de la Toile de fond sont toujours
rêver d’une francophonie plus pertinentes aujourd’hui et on va continuer.
vibrante, plus vivante et plus variée est « Toute la communauté est appelée à poser
en voie de réalisation. des gestes pour faire avancer la
La valeur ajoutée de la francophonie est assez francophonie, la langue et la culture
établie. Comme vous avez pu le lire, c’est à françaises. Tout le monde a un rôle à jouer
l’unanimité qu’ont été votées la Loi 5 sur pour s’assurer d’être plus inclusif, plus
l’Appui à l’épanouissement de la francophonie ouvert, sans pour autant se perdre. Ça va se
manitobaine ainsi que la toute nouvelle faire dans les actions quotidiennes de
politique municipale de la Ville de Winnipeg chaque groupe, chaque organisme. Il n’y a
pour élargir les services en français. pas de formule magique. » ◗
Toutefois, il faut rester vigilant. Comme le
rappelle l’ancien président de la SFM,
Ibrahima Diallo, « tout cela est quand même
très fragile. La preuve, c’est la perte du
Bureau de l’éducation française en 2018 ».