Vous êtes sur la page 1sur 60

MARS

HORS-SÉRIE

VOL. 1 | N° 2

Ma g a z i n e
4,50 $ + TAXES

ÉLARGIR
L’ESPACE

Le point sur la stratégie manitobaine 2001-2050


qui mise sur l’immigration, l’intégration, l’immersion
et la construction identitaire afin d’assurer
la vitalité de sa collectivité francophone.
Magazine

L’ÉQUIPE
RÉDACTRICE EN CHEF : JOURNALISTES :
Sophie Gaulin Amandine Cange, Mathilde Errard,
Camille Harper et Romain Telliez
RÉDACTEURS ASSOCIÉS : INFOGRAPHISTE :
Bernard Bocquel Véronique Togneri
Lysiane Romain PHOTOGRAPHE :
Marta Guerrero

La Liberté est un journal hebdomadaire édité par Presse-Ouest ltée.


Fondé en 1913, il est le seul hebdomadaire en français au Manitoba.
Tous les mercredis, La Liberté publie son édition papier ainsi que sa version numérique.
Avec ses 6 000 abonnés des versions papier et numérique, il atteint pas moins de 20 000 lecteurs
répartis à travers la province et même au-delà de ses frontières.
La Liberté Magazine est une série de magazines hors-série qui traite d’enjeux de société en profondeur.

La Liberté Magazine sur l’élargissement de l’espace francophone au Manitoba a été rendu possible grâce à :

Par le biais de : Par le biais de :

ET NOS PARTENAIRES :

Adresse de la rédaction : ISSN 0845-0455


C.P. 190, Winnipeg (Manitoba) R2H 3B4 Droits d’auteur | © 2020 La Liberté
Téléphone : 204-237-4823 Tous les droits sont réservés
sgaulin@la-liberte.mb.ca Imprimé au Canada
SOMMAIRE 4
MOTS
OFFICIELS

6
270 ANS
DE MIGRATION
ET D’IMMIGRATION
FRANCOPHONES
8
L’IMPULSION
DES COMMUNAUTÉS
FRANCOPHONES

10
UNE APPROCHE INÉDITE
ET UN MODÈLE À SUIVRE

AU MANITOBA

12 14 15 16
ACCUEILLIR UNE LOI POUR PLUS DE SERVICES LE POINT
POUR MIEUX RETENIR LA FRANCOPHONIE EN FRANÇAIS SUR L’IMMIGRATION
LES NOUVEAUX VENUS AU-DELÀ DES PARTIS À WINNIPEG AU CANADA ET
● ● ● AU MANITOBA

17 18 20 22
EN QUELQUES LE MANITOBA POUR ATTIRER LE MANITOBA,
CHIFFRES L’APPEL DE LA TERRE LES FRANCOPHONES LA SCÈNE
● ● AU MANITOBA D’UNE NOUVELLE VIE
● ●

24 26 30
LE RÊVE CANADIEN L’IMPORTANCE POUR SE SENTIR
D’UNE VIE SIMPLE DE L’ACCUEIL « COMME À LA MAISON »
● À TOUTES LES ÉTAPES ●

32 36 38
PRIORITÉ : L’IMMIGRATION CAP SUR LE RURAL
TROUVER UN EMPLOI UN BESOIN ●
● POUR LES EMPLOYEURS

41 42 44
LES BIENFAITS UNE SCÈNE ÉLARGIR
D’UNE COMMUNAUTÉ CULTURELLE LA FRANCOPHONIE,
ET DE LA SOLIDARITÉ… RICHE DE SA DIVERSITÉ C’EST MULTIPLIER
● ● LES ACCENTS

46 48 49 50
LE RÔLE ESSENTIEL L’IMMERSION LE CHOIX DE FRANCOPHILE
DES PARENTS UN SYSTÈME DE L’IMMERSION À FRANCOPHONE
● EN CROISSANCE POUR L’AVENIR ●
CONSTANTE ●

52 54 56 58
POUR FORMER LES S’ADAPTER L’USB CONCLUSION
CITOYENS DE DEMAIN AUX NOUVEAUX PIERRE ANGULAIRE ●
● ARRIVANTS DE L’AGRANDISSEMENT
● DE L’ESPACE
FRANCOPHONE

4

MESSAGE DE PRESSE-OUEST LTÉE

Gra nd ir
C’EST EMBRASSER LA DIFFÉRENCE
N
ous voilà en plein mois dédié à la et gagner des alliés. La Liberté Magazine fait continents, de toutes les races qui se
Francophonie. Mars, le temps de le point sur deux décennies de stratégie réveillent à leur chaleur complémentaire. »
célébrer ce qui rassemble des communautaire visant à agrandir l’espace Depuis bon nombre d’années, les initiatives
millions de personnes au Canada et de par francophone. Une initiative particulièrement se multiplient à La Liberté pour parler de
le monde. Pour nous gens d’expression symbolique en cette année du 150e de l’entrée l’élargissement de notre espace francophone,
française, c’est l’occasion par excellence de du Manitoba dans la Confédération pour cerner cette chaleur complémentaire.
réfléchir sur notre façon de préserver cette canadienne, dont la collectivité francophone Que ce soit au travers nos séries Défis
langue et de faire bouillonner les cultures qui a été un élément fondateur et a su rester un d’immigrer, Les Francos de la Loi 5 ou notre
la composent, toutes les cultures. élément moteur. bande dessinée Nelson au Manitoba ou
Alors, en ce mois de la Francophonie, N’oublions pas que derrière toute initiative simplement avec les nombreux portraits de
La Liberté Magazine ouvre le deuxième politique ou communautaire, c’est l’Humain ceux qui, venant de tous horizons, forment
numéro de son histoire sur l’une des qui s’en retrouve grandi. Quand on élargit notre Francophonie d’aujourd’hui.
stratégies les plus saluées, les plus novatrices l’espace francophone, il incombe aux parents Merci à ceux et celles qui ont accepté de
du monde canadien-français : l’ouverture de dompter leurs peurs de voir leurs enfants témoigner dans ce numéro hors série. Nous
revendiquée de son espace. Une stratégie s’assimiler, il revient aux nouveaux arrivants tenons aussi à remercier nos partenaires, la
volontariste qui permet, projet après projet, de s’intégrer, aux gens de la place d’ouvrir Société de la francophonie du Manitoba
nouvel arrivant après nouvelle arrivante, leur porte, aux artistes de chanter avec (SFM) et le Conseil de développement
élève d’immersion après élève d’immersion, d’autres accents et surtout à chacun de nous économique des municipalités bilingues du
franco-convaincu après franco-convaincue, d’embrasser la différence. Tout simplement Manitoba (CDEM) d’avoir embarqué sans
prof après prof après directrice d’école, artiste parce que l’on aura compris que l’enjeu n’est hésiter dans ce projet. Merci également à la
manitobain après artiste africain après artiste ni l’assimilation, ni la dilution, mais bien au Division scolaire franco-manitobaine, à la
européen, de contrer l’érosion de la langue et contraire un enrichissement dont on ne Division scolaire Louis-Riel et à l’Université
de la culture françaises au Manitoba. saurait plus se passer. de Saint-Boniface pour leur soutien.
Cette vision a été adoptée par les Et pour reprendre les mots de l’académicien, Enfin, merci à ceux et celles qui ont œuvré au
francophones du Manitoba en 2001, sur une le poète sénégalais Léopold Sédar Senghor sein de La Liberté pour offrir aux abonnés ce
initiative de la Société de la francophonie qui a défini la notion de francophonie en numéro si spécial. Une équipe qui incarne au
manitobaine pour élargir leurs horizons, 1962 : « La Francophonie, c’est l’humanisme demeurant cet élargissement de l’espace
consolider leurs acquis, diversifier leur culture, intégral qui se tisse autour de la Terre: cette francophone, puisque la quinzaine d’employés
ouvrir leur cœur, faire disparaître leurs peurs symbiose des énergies dormantes de tous les provient de six pays différents.

Le président, Directrice et rédactrice en chef,


Me Marc Marion Sophie Gaulin

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE


Magazine
5

MESSAGE DE LA SOCIÉTÉ DE LA FRANCOPHONIE MANITOBAINE

A
grandir l’espace francophone, c’était à la fois une l’appui pour les familles bilingues ou multilingues,
nouvelle stratégie, mais c’était aussi le reflet du l’immigration francophone, l’accueil des personnes pour
visage de la francophonie manitobaine qui est qui le français est une langue additionnelle et la
en constante évolution. La Société de la francophonie sensibilisation des anglophones.
manitobaine et ses partenaires communautaires ont Aujourd’hui, cette conception inclusive de la
voulu mettre en place une démarche pour accueillir francophonie a été adoptée un peu partout au Canada
l’ensemble des gens d’expression française au Manitoba et pour les générations montantes, la francophonie a
ainsi que nos voisins, cousins ou conjoints qui ne toujours été une communauté accueillante. Avec
Me CHRISTIAN MONNIN
partagent pas la langue française, mais qui font tout de l’adoption de la Loi sur l’épanouissement de la
même partie de notre communauté. Le but était de francophonie manitobaine, la Province du Manitoba
construire des communautés inclusives et dynamiques. adopte elle aussi cette vision des choses.
Les orientations stratégiques de ce plan ciblaient cinq Merci à La Liberté qui a voulu célébrer cette
champs d’interventions : la transmission de la langue, francophonie multiple avec ce numéro spécial.

Le président, Le directeur général,


DANIEL BOUCHER Christian Monnin Daniel Boucher

MESSAGE DU CONSEIL DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE DES MUNICIPALITÉS BILINGUES DU MANITOBA

S
olidaire à l’idée d’agrandir l’espace francophone, une intégration à la hauteur des aspirations et un
le CDEM appuie les nouveaux arrivants par le cheminement qui permet de forger un itinéraire
biais de son secteur d’immigration et en offrant personnel et professionnel.
de nombreux services en entrepreneuriat et en
Cette convergence entre les organismes permet
employabilité.
d’optimiser nos résultats sur le plan de l’inclusion de
C’est grâce à sa capacité de pouvoir s’adapter que le ceux et celles qui ont choisi le Manitoba comme
CDEM a fait de l’emploi non seulement une finalité, terre d’accueil.
mais une approche globale pour assurer une
EDMOND LABOSSIÈRE Nous tenons à remercier La Liberté Magazine pour
immigration réussie.
la production de ce numéro qui présente les multiples
Nous travaillons en étroite collaboration avec nos facettes de l’immigration francophone et de
partenaires pour assurer des parcours qui favorisent l’agrandissement de l’espace francophone en général..

Le président, Le directeur général,


LOUIS ALLAIN Edmond Labossière Louis Allain

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE


photo : Gracieuseté Société historique de Saint-Boniface

DE MIGRATION
Depuis 2001, les leaders de la communauté
d’expression française du Manitoba ont choisi
d’entrer dans une “opération séduction”

ET D’IMMIGRATION
avec les francophones du reste du monde
afin d’élargir leur espace et ainsi voir la langue

FRANCOPHONES
qui leur est si précieuse continuer de vivre,
de vibrer et d’évoluer.
Mais si la vague d’immigrants francophones

AU MANITOBA
est le fruit de stratégies communautaires,
c’est bien depuis presque trois siècles que
les francophones s’établissent au Manitoba.

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : UN BREF CONTEXTE HISTORIQUE


Magazine
7

LA FAMILLE RAGOT
Par ailleurs,Yves Frenette s’amuse à constater que
Gustave Ragot a fait partie de la première vague d’immigration francophone de l’extérieur « la diversité chez les Canadiens francophones
du Canada. Il est arrivé de France en 1893 pour s’établir à Notre-Dame-de-Lourdes. remonte à aussi loin que leur immigration : dès
Il y est devenu cultivateur, et y a fondé sa famille. Sur la photo, on le voit entouré les 18e et 19e siècles, certains nouveaux arrivants
de sa femme et de quelques-uns de ses 23 enfants devant leur maison. francophones venaient directement du Québec,
d’autres étaient passés par les États-Unis, et
d’autres encore arrivaient de l’Europe ».
Puis, il y a eu la vague des Québécois venus L’immigration au Manitoba a beaucoup ralenti
ouvrir des terres dans l’Ouest, entre 1875 et après la Grande Guerre.Yves Frenette explique :
1914 environ. « Au 19e siècle, l’Ouest était vu « Les meilleures terres dans l’Ouest étaient déjà
comme une terre promise, presque gratuite. prises, et l’économie québécoise allait mieux
Tout était à défricher. La migration agricole grâce au développement d’usines de pâte à
francophone, mais surtout anglaise, ukrainienne papier, de villes ou encore de l’hydroélectricité.
ou encore polonaise, a été massive. » Les francophones de l’Est canadien préféraient
donc rester au Québec.
Si ces deux vagues d’immigration francophone
étaient en réalité plutôt des vagues de «  Quant à l’immigration de France, le
migrations depuis l’Est canadien, une troisième gouvernement français préférait envoyer ses
vague d’immigration francophone, à partir de ressortissants dans les colonies françaises,
1890 environ, provient pour sa part de notamment l’Algérie. De plus, l’Église et l’État
l’extérieur du Canada. sont séparés en France depuis 1905 et ce
dernier était très hostile à l’Église catholique. »
Yves Frenette en parle : « Ce sont les autorités
ecclésiastiques qui ont envoyé des agents L’immigration francophone au Manitoba n’a
d’immigration pour recruter des familles cependant jamais disparu. Et dans les années
francophones en France, en Belgique et en 1980-1990, après l’abolition de la Loi
Suisse. En 1914, les Prairies comptaient Thornton (3) et le retour du français comme
1,6 million de personnes, dont environ 50 000 langue d’enseignement dans les écoles, elle a
étaient francophones. (2) De ces francophones, repris de plus belle, encouragée par tous les
10 à 12 % étaient nés en France. paliers de gouvernement et les communautés.
«  La langue était une raison pour aller Yves Frenette : «  On a fait venir des
chercher ces immigrants, mais aussi la francophones pour la survie des communautés
religion, précise-t-il. On voulait avoir plus de de langue française au Manitoba. Quelques
catholiques au Manitoba, et les francophones nouvelles familles francophones avec des
étaient majoritairement catholiques. » enfants peuvent faire une grande différence
dans le maintien ou non d’une école française. »
Pourquoi était-ce si important d’avoir des
catholiques francophones au Manitoba? Yves (1) Yves Frenette est professeur et titulaire de la Chaire
par camille harper Frenette : « Le premier peuplement blanc dans de recherche du Canada de niveau 1 sur les migrations,
l’Ouest, arrivé avec l’abbé Joseph-Norbert les transferts et les communautés francophones à
l’Université de Saint-Boniface.

Y
ves Frenette est spécialiste des Provencher, était francophone et catholique. Or
questions d’immigration francophone les évêques de l’Ouest voyaient les Prairies se (2) Le chiffre de 1,6 million de résidents des Prairies ne
comprend pas les Autochtones qui n’étaient à cette
avant le 20e siècle à l’Université du peupler de protestants et de catholiques anglais. époque pas recensés.
Manitoba. (1) Il explique : À l’époque, la langue et la foi étaient très liées,
(3) La Loi Thornton, adoptée en 1916, imposait l’anglais
donc il fallait plus de francophones pour assurer comme langue officielle d’enseignement au Manitoba,
«  La première vague d’immigration la survie de la religion catholique dans les et abolissait de ce fait l’éduction en français dans la
francophone, c’était celle des voyageurs entre Prairies. C’était très important pour l’Église. » province. C’est seulement en 1970 que le statut du
1750 et 1860 environ. Ces hommes venus du français comme langue d’enseignement a été rétabli, sous
le gouvernement néo-démocrate d’Edward Schreyer. ◗
Il remarque que si le facteur religieux a
Québec ont épousé des femmes autochtones aujourd’hui disparu des raisons d’encourager
dans les Prairies canadiennes. Ils sont les l’immigration, celui de la langue et de l’identité
pères et les grands-pères du peuple métis. » francophone est toujours important.

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : UN BREF CONTEXTE HISTORIQUE


8

L’IMPULSION DES COMMUNAUTÉS


cop h one s
f r an

photo : Archives La Liberté

GÉRALD CLÉMENT ET NANCY ALLAN

En 2006, Gérald Clément, sous-ministre du Travail et de l’Immigration


et Nancy Allan, ministre du Travail et de l’Immigration du Manitoba,
œuvraient à augmenter l’immigration francophone dans la province.

Si l’immigration a longtemps été vue


comme un atout, voire une nécessité tant
pour le Canada que le Manitoba,
l’immigration francophone n’était pas
particulièrement ciblée par les
gouvernements jusqu’en 2000.
Ce sont plutôt les communautés
qui en ont assuré l’impulsion.

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : UN BREF CONTEXTE HISTORIQUE


Magazine
9

par camille harper

L
es politiques d’immigration canadiennes n’ont plus grand notamment été le premier président du Comité de mise en œuvre
secret pour Gérald Clément. Sous-ministre adjoint à du Comité directeur de l’immigration francophone au Canada, de
l’Immigration du Manitoba de 1997 à 2007, c’est au total plus 2007 à 2011. « Ce comité avait pour but de réfléchir à comment
de 30 ans de carrière qu’il aura passés dans le domaine. Il se souvient concrètement augmenter l’immigration francophone, avec l’aide des
que dans les années 1980-1990, le Manitoba ne cherchait pas Provinces et des organismes. Dès les années 2000, le Fédéral et les
spécialement à recruter des immigrants francophones, même si des Provinces étaient vraiment sensibles à l’importance de l’immigration
Guides du nouvel arrivant étaient publiés dans les deux langues francophone. »
officielles.
La cible reste
Quand la première entente entre le Canada et une Province, le
Manitoba, a été signée en 1998 entre le gouvernement fédéral de
à atteindre
Jean Chrétien et le gouvernement provincial de Gary Filmon,
« l’objectif de Gary Filmon était d’augmenter la démographie du Malgré la reconnaissance par les gouvernements et la communauté
Manitoba par l’immigration en général. Il ne prévoyait pas de de l’importance stratégique de l’immigration francophone, ni le
nombre spécifique de francophones ». Canada ni le Manitoba n’ont été capables d’atteindre leurs objectifs.

Louis Allain, directeur général du Conseil de développement des Mamadou Ka, chargé de cours au département de sciences humaines
municipalités bilingues du Manitoba (CDEM), confirme le manque et sociales à l’Université de Saint-Boniface : « En 2002, la FCFA a
d’intérêt des instances de l’époque envers le caractère francophone de fait du lobbying auprès du gouvernement fédéral et on a obtenu un
l’immigration. Par exemple, « le Manitoba a reçu dans les années 1980 quota de 4 % d’immigration francophone à l’extérieur du Québec.
un influx d’immigrants francophones du Laos. Mais ni la province «  Cette cible de 4 % est loin d’être atteinte. Moins de 2 % de
ni la communauté francophone du Manitoba n’ont su saisir l’immigration hors Québec est francophone. Les efforts des
l’opportunité qui se présentait, et ces Laotiens francophones se sont gouvernements pour aller chercher les immigrants d’expression
assimilés parmi les anglophones. » française ne sont pas suffisants. »
Une stratégie Mamadou Ka garde cependant espoir que l’immigration
francophone prenne son envol. En effet, remarque-t-il, « le Fédéral
pour l’immigration francophone commence à aller en Afrique, notamment au Sénégal, pour des
missions de recrutement d’immigrants. C’est un nouveau vent qui
C’est la Fédération des communautés francophones et acadienne du
souffle aujourd’hui  ». L’Afrique subsaharienne est le plus grand
Canada (FCFA) qui a établi en l’an 2000 l’immigration francophone
bassin de francophones au monde.
comme priorité pour les communautés francophones en situation
minoritaire au Canada, et incité le fédéral à créer des stratégies et La porte-parole d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada
politiques d’attraction, de recrutement et d’établissement (IRCC), Béatrice Fénelon, confirme que l’un des trois grands
d’immigrants d’expression française. objectifs de la Stratégie d’immigration francophone annoncée le
13 mars 2019 est « d’accroître l’immigration francophone au Canada,
Le Manitoba a aussitôt embrassé cette priorité pour la décliner dans
à l’extérieur du Québec, pour atteindre une cible de 4,4 % d’ici 2023.
sa propre stratégie (lire les articles sur le Manitoba en pages 10 et 11).
Gérald Clément, alors en poste pour l’immigration provinciale : « En « Pour cela, 14 communautés d’un bout à l’autre du Canada, dont la
tant que personne bilingue, j’ai moi-même poussé le Manitoba à région de la Rivière-Seine au Manitoba, ont été identifiées pour
inclure des critères de sélection stratégique pour la communauté recevoir un financement qui leur permettra de créer des programmes
francophone dans son programme d’immigration Candidats du et du soutien pour offrir un bel accueil aux nouveaux arrivants
Manitoba. d’expression française et les aider à s’intégrer dans les communautés
« J’ai reçu un bon appui des gouvernements. C’était dans leur intérêt francophones en situation minoritaire.
d’appuyer l’épanouissement des communautés de langue officielle «  Cette initiative de 12,6 millions $ sur trois ans favorisera
en situation minoritaire car c’est dans la Loi sur les langues officielles, l’intégration et la rétention des nouveaux arrivants d’expression
et l’immigration était un bon outil pour cela. » Gérald Clément a française au Canada », assure Béatrice Fénelon. ◗

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : UN BREF CONTEXTE HISTORIQUE


10

UNE APPROCHE
inédite
ET UN MODÈLE
à suivre
Pour contrer l’érosion du français, la Société de la
francophonie manitobaine a adopté en 2001 une
stratégie pour répondre à cette préoccupation.

par camille harper des solutions proactives et positives pour assurer qu’on décide comment faire pour augmenter nos
la progression de notre langue. » nombres. Le 29 septembre 2001, on a organisé

D
aniel Boucher, directeur général de la Le conseil d’administration de la SFM (2) a une journée de réflexion à Saint-Norbert. »
Société de la francophonie manito- alors pris une approche inédite dans la commu- Lors de cette réunion, la Toile de fond a été
baine (SFM) aujourd’hui comme en nauté : celle de l’ouverture plutôt que du repli présentée à la communauté. 150 personnes
2001, se souvient très bien des discussions qui sur soi. Daniel Boucher : « On a changé le étaient présentes. Si certains ont émis
avaient mené à l’adoption de la Toile de fond discours en amenant la notion d’agrandisse- quelques craintes, la SFM a assuré que l’objectif
commune 2001-2050 : Agrandissement de ment de l’espace francophone. Face à une était de renforcer la francophonie manitobaine
l’espace francophone. communauté changeante, on a décidé qu’il et non de la diluer. Daniel Boucher : « Il y a eu
« C’était le temps d’un nouveau plan stratégique fallait s’adapter et ouvrir les portes aux nouveaux beaucoup de questions, mais l’atmosphère était
arrivants francophones et aux francophiles de très positive. La Toile de fond a été adoptée. Ce
pour la communauté et on avait embauché le
l’immersion, leur donner plus d’occasions de fut une rencontre historique. »
consultant Ronald Bisson. Il avait fait des
parler français pour s’en faire des alliés.
recherches pour voir où en était la communauté
et les chiffres qu’il avait trouvés ont révélé que le « C’était un véritable changement de mentalité. Une approche novatrice
temps était venu de proposer de nouvelles Avant 2001, les francophones se parlaient et La communauté francophone du Manitoba a
approches pour adresser les défis d’une s’organisaient toujours entre eux. » été la première de tout le Canada hors Québec
communauté en évolution. Il fallait donc mettre Si la SFM a donné l’impulsion, le changement à mettre sur pied une stratégie concrète qui
en œuvre des stratégies dans un contexte où, par de cap s’est concrétisé en accord avec la misait sur les francophiles et francophones
exemple, environ 70 % des enfants dans nos communauté. Marianne Rivoalen était d’ailleurs, répondant ainsi à la priorité établie
écoles étaient issus de mariages exogames. (1) présidente du CA de la SFM en ce temps-là, par la Fédération des communautés franco-
C’était la nouvelle réalité et nous devions trouver jusqu’en 2003 : « On a réuni la communauté pour phones et acadienne du Canada (FCFA) de

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : UN BREF CONTEXTE HISTORIQUE


Magazine
11

Le succès quasi immédiat de la Toile Pour Daniel Boucher, « l’élection d’Ibrahima


de fond s’est aussi vu lorsqu’Ibrahima Diallo démontrait une reconnaissance des
DANIEL BOUCHER Diallo, immigrant venu d’Afrique, a nouveaux arrivants comme atouts à part
été élue en 2006 pour représenter la entière de la communauté. »
communauté francophone du D’ailleurs, Marianne Rivoalen termine en
Le 29 septembre 2001, le directeur général de la
Manitoba, et que cette élection a rappelant que « déjà en 2001, on s’était dit que
SFM, Daniel Boucher, a présenté à la communauté
une stratégie historique et novatrice pour accroître provoqué une ovation debout de la le terme « franco-manitobain » allait un jour
le nombre de francophones. foule. devoir changer pour être plus inclusif ».
Ibrahima Diallo était impliqué dans
l’idée d’agrandissement de l’espace (1) Une famille exogame est composée de deux parents
francophone avant même sa conceptua- qui ont une langue maternelle différente.
lisation : « Quand j’étais sur le CA de la SFM (2) En 2001, le CA de la SFM se composait de :
en 1988-1989, je parlais déjà d’immigration Marianne Rivoalen (présidente), Paul Léveillé (vice-
président), Aimé Gauthier (secrétaire-trésorier), Henri
et de francophonie plurielle. Ce n’était pas une Bisson (conseiller région est), Réal Déquier (conseiller
priorité à l’époque, mais j’ai semé la graine qui région rurale ou urbaine), Guy Gagnon (région sud),
a donné la Toile de fond! Ça a été une décision Mona Lemoine (région urbaine) et Marina Caillier
géniale, salutaire de la communauté. Sans cela, (région ouest). ◗
on aurait certainement perdu des écoles,
comme celle de Saint-Léon qui a fermé en
2005 faute d’effectifs. »

photo : Gracieuseté Société historique de Saint-Boniface

miser sur l’immigration. Son modèle a


d’ailleurs été repris un an plus tard par la
FCFA comme stratégie nationale, mais aussi
par le ministre responsable des Langues
officielles, Stéphane Dion, dans son Plan
d’action fédéral.

photo : Archives La Liberté


Marianne Rivoalen confirme : « C’était une
approche du fait français au Manitoba
vraiment novatrice, donc tout était à penser. Extrait
C’était un défi. Mais c’était notre réalité. Même du journal
sur notre CA, plusieurs d’entre nous étaient La Liberté
mariés à des anglophones, ou avaient de bons 5 octobre 2001
amis nouveaux arrivants ou issus de
l’immersion.  C’était logique d’ouvrir notre
esprit et notre cœur à ce monde-là. »
Chaque organisme et secteur de la
communauté a embarqué dans le projet et a
revu sa propre programmation et son offre de
services pour mieux refléter la Toile de fond.
le président de l’amicale de la francophonie multiculturelle du manitoba, Tayeb meridji, a parlé aux personnes
« Chacun chez soi a fait arriver cette stratégie
réunies à l’école Noël-ritchot de l’impact positif de l’accueil des immigrants sur la communauté franco-manitobaine.
d’accroissement », note Marianne Rivoalen.

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : UN BREF CONTEXTE HISTORIQUE


IBRAHIMA DIALLO

Il a été le premier président


de la SFM venu d’Afrique.
Il a occupé le poste de 2006 à 2011.

photo : Marta Guerrero

« Quand je suis arrivé du Sénégal en 1984, ma situation était spéciale car sensibilisé et je savais où aller. mais pour les autres francophones arrivés
je rejoignais ma femme franco-manitobaine, lise, et ma fille anna Binta. avant la création de l’accueil francophone, ils devaient se débrouiller seuls
J’avais donc déjà une famille franco-manitobaine qui m’avait beaucoup ou aller chercher de l’aide dans une structure anglophone déconnectée de
parlé du manitoba et des francophones en milieu minoritaire. J’étais la communauté francophone. c’était très difficile sans maîtriser l’anglais.
Magazine
13

Accueillir
POUR MIEUX RETENIR
LES NOUVEAUX VENUS
par camille harper

D
eux ans après avoir pris la direction de l’ouverture Bintou Sacko renchérit : « L’Accueil francophone a été
en adoptant la Toile de fond, la communauté s’est mis sur pied suite à une consultation communautaire, donc
rendue à l’évidence : les structures institutionnelles la communauté voulait cette structure. Le seul défi, c’était
et organisationnelles n’étaient pas assez adéquates pour de faire en sorte que ce projet atteigne ses objectifs. »
accueillir de façon optimale un grand nombre d’immigrants L’un des premiers projets de la gestionnaire, qui a travaillé
francophones. seule jusqu’en 2007, a été de créer un dépliant rassem-
Bintou Sacko, directrice de l’Accueil francophone depuis blant tous les services éparpillés dans la communauté qui
2005, raconte : « Au début des années 2000, le Collège pouvaient être utiles pour les nouveaux arrivants.
universitaire de Saint-Boniface (CUSB, aujourd’hui Elle a aussi établi un système pour aller chercher les
Université de Saint-Boniface) menait des campagnes de nouveaux venus à l’aéroport et les accompagner dans
recrutement d’étudiants à l’international et on a reçu une leurs démarches administratives. Bintou Sacko
vague de Marocains. Ça nous a fait réaliser qu’il y avait un explique : « Les programmes de l’Accueil francophone
besoin de structure pour les accueillir. » ont été établis au fur et à mesure que les nombres et les
Rolande Kirouac a été, en 2003, la première gestionnaire de ententes augmentaient.
l’Accueil francophone : « C’était un défi vraiment intéressant « L’accueil et l’établissement ont été les premières priorités,
car on créait quelque chose de tout nouveau. Il fallait faire puis le suivi à plus long terme. On a ensuite créé un réseau
la structure, la documentation, enligner le financement, tout. de bénévoles car c’était un projet de société donc
« On ne pouvait pas délibérément mener des vagues de l’implication de la communauté était essentielle. Nos
recrutement d’immigrants francophones, puis ne pas bien programmes de logement de transition, d’aide au
les accueillir et les intégrer par la suite! » rétablissement des réfugiés ou encore de pré-départ sont
plus récents. »
Si la tâche à accomplir était grande, Rolande Kirouac
souligne le soutien de la communauté : « Il y a tout de Rolande Kirouac note quant à elle que « c’était tout un
suite eu beaucoup d’intérêt à travailler avec nous, même nouveau langage qui se développait : pour la première fois,
chez les anglophones. La communauté était très contente on identifiait les nouveaux arrivants comme une clientèle
de voir que des services et processus étaient mis en place spécifique à servir au sein même de notre communauté ». ◗
pour les gens qui arriveraient au Manitoba. On a aussi eu
le soutien des gouvernements provincial et fédéral. »

l’élément langue, c’est extrêmement fort quand on lâche tout pour partir communauté franco-manitobaine aussi, c’était important d’avoir l’accueil,
ailleurs. avec l’accueil francophone, mis sur pied par la SFm, les nouveaux pour qu’elle ne se désintéresse pas de tous ces nouveaux arrivants et qu’elle
arrivants francophones ont pu se connecter directement à la communauté prenne conscience de l’atout de les avoir ici. c’était essentiel que la connexion
dans une langue qu’ils comprenaient. c’était rassurant pour eux. et pour la se fasse dès l’arrivée. »
14

Une Loi La Loi 5 sur l’appui à l’épanouissement


de la francophonie manitobaine a été votée

POUR LA FRANCOPHONIE
à l’unanimité par l’Assemblée législative
du Manitoba le 30 juin 2016.
Elle est le symbole du succès de la stratégie

AU-DELÀ DES PARTIS communautaire pour agrandir l’espace


francophone.

par camille harper car ils formaient l’Opposition quand nous Effectivement, pour la première fois, le
avons travaillé sur ce projet de loi. Ça démontre rapport de la Province sur les services en
un véritable changement de mentalité envers

«N
ous avons travaillé pendant français paru le 27 janvier 2020, sous le
sept ans avec le gouvernement la francophonie manitobaine, de la part de tout leadership de la ministre Rochelle Squires,
néo-démocrate pour faire le monde. » comportait 11 recommandations concrètes
aboutir cette Loi 5 afin que les francophones Une politique sur les services en français avait été pour améliorer la situation. Daniel Boucher
soient vus comme des atouts, des gens qui adoptée en 1989, mais elle pouvait être remise s’en réjouit : « La Province va devoir rendre
contribuaient à la province », explique Daniel en cause par n’importe quel gouvernement.C’est des comptes sur ces recommandations. La
Boucher, directeur général de la Société de la sous la présidence d’Ibrahima Diallo que la Loi 5 exige de produire un rapport tous les ans.
francophonie manitobaine (SFM). SFM a commencé à faire du lobbying auprès du On va progresser beaucoup plus vite. »
«  Puis le gouvernement NPD de Greg gouvernement NPD pour obtenir quelque
Selinger a été défait et les progressistes- chose de plus solide : une loi. Ibrahima Diallo note également la symbo-
conservateurs de Brian Pallister sont arrivés au lique du mot « épanouissement » plutôt que
«  C’était une patate trop chaude, raconte
pouvoir. Mais ils ont repris le projet de loi laissé Ibrahima Diallo. La stratégie de Greg « survie » dans l’intitulé de la Loi.
par les néo-démocrates et ils l’ont adopté. Ils Selinger était plutôt la diplomatie des petits Surtout, la Loi sur l’appui à l’épanouissement
étaient tous en faveur. C’est très symbolique, pas : il nous a accordé plein de services dans de la francophonie manitobaine a élargi la
l’idée, plus tard, d’introduire une loi qui définition de « francophone », rejoignant
confirmerait ce qui existait déjà. » ainsi la vision de la Toile de fond commune
Pour Daniel Boucher, la Loi 5 est une 2001-2050 de la SFM.
reconnaissance. «  Elle donne toute une
C’est ainsi que désormais, la francophonie au
légitimité à notre communauté, qui existe
depuis avant la création de la province. Elle Manitoba se définit comme la « communauté
reconnaît l’importance et la nécessité des au sein de la population manitobaine
services en français, et elle rappelle que la regroupant les personnes de langue maternelle
communauté francophone doit faire française et les personnes qui possèdent une
partie des décisions. Cette loi ouvre la affinité spéciale avec le français et s’en servent
porte à un dialogue pour faire avancer les couramment dans la vie quotidienne, même
dossiers. » s’il ne s’agit pas de leur langue maternelle ». ◗

rOchelle SQUireS eT GreG SeliNGer

La ministre provinciale conservatrice des Affaires francophones, Rochelle Squires, serre la


main de l’ancien premier ministre néo-démocrate, Greg Selinger, qui avait déposé un projet
de loi similaire juste avant l’entrée au pouvoir des Progressistes-Conservateurs. La Loi a
photo : Archives La Liberté été adoptée à peine deux mois après, à l’unanimité.

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : UN IMPACT POLITIQUE


Magazine
15

l u s
P DE SERVICES EN FRANÇAIS À WINNIPEG

NICOLE YOUNG

Directrice des services en français


à la Ville de Winnipeg.

photo : Marta Guerrero

par camille harper

A
vec l’élargissement de l’espace francophone, Nicole Young : « Ce vote est un grand pas en avant.
que ce soit par le biais de l’immigration ou La Ville reconnaît, et même connaît mieux qu’avant
des francophiles qui sont passés par ses obligations envers les francophones.
l’immersion française, de plus en plus de résidents « Avec l’agrandissement de l’espace francophone, il
de Winnipeg demandent à être servis en français y a partout dans la ville des nouveaux arrivants
partout dans la ville. francophones qui ne parlent pas ou peu l’anglais et
D’ailleurs, le 30 janvier 2020, la Ville de Winnipeg a des francophiles qui ont appris le français. Ils
franchi une étape importante dans la reconnaissance veulent être servis dans cette langue, par exemple
de ses citoyens et citoyennes francophones par la pouvoir trouver des livres en français à la
nécessité de leur offrir des services adéquats. bibliothèque, sans devoir toujours se rendre jusqu’à
Saint-Boniface. »
Suite aux recommandations du premier rapport sur
les services en français de la Ville, le conseil Dans les prochains mois, Nicole Young travaillera
municipal a adopté à l’unanimité que l’accès aux avec chacun des services et départements de la Ville
services en français soit élargi à toute la ville. Il était de Winnipeg pour développer des plans de livraison
auparavant restreint aux quartiers historiquement de services en français et s’assurer que du personnel
francophones de Saint-Boniface, Saint-Vital et bilingue est en place pour les offrir. ◗
Saint-Norbert.

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : UN IMPACT POLITIQUE


LE POINT
SUR L’IMMIGRATION
AU Canada
ET AU
Manitoba
il existe deux formes principales d’immigration 29 % était du regroupement familial et 15 % de
vers le canada : l’immigration temporaire et l’immigration humanitaire.
l’immigration permanente.
Si l’immigration économique est la plus élevée,
l’immigration temporaire inclut les visiteurs, les
elle répond pourtant à des critères de sélection très
étudiants et les travailleurs temporaires.
stricts.
l’immigration permanente se divise en trois
les intéressés et intéressées ne peuvent pas
grandes catégories : l’immigration économique, le
regroupement familial et l’immigration d’ordre immigrer au canada s’ils ne démontrent pas qu’ils

humanitaire. c’est l’immigration économique qui ont la formation, l’expérience professionnelle, les
représente le plus grand nombre d’immigrants au compétences linguistiques et les fonds nécessaires
canada. en 2017, 56 % de l’immigration pour s’établir et subvenir sans aucune aide
permanente au pays était issue de cette catégorie, extérieure à leurs besoins dès leur arrivée.
Magazine
17

EN QUELQUES
chiffres
par rOmaiN Telliez

E
n 1870, la population du Canada se Au Manitoba, en 2018, les immigrants de première
composait principalement de trois groupes. génération représentaient près de 227 500 personnes,
Environ 102 000 individus des Premières soit 18,3 % de la population de la province.
Nations, 1 million de Français et 2,1 millions de
Avant cela, une vague d’immigration entre 2011 et
Britanniques, pour une population totale de
2016 avait permis de faire passer le taux annuel moyen
3,6 millions de personnes. 150 ans plus tard, on
de croissance démographique de 0,8 % à 1,7 %.
compte plus de 200 communautés ethniques et les
immigrants représentent 20 % d’une population de En tout, l’immigration contribue également à la
près de 37,6 millions de personnes. croissance et aux recettes fiscales. Mille ménages de
nouveaux arrivants au Canada dépensent en
À l’instar de nombreux pays, le Canada a besoin de
moyenne 16 millions $ en frais de logement,
maintenir son équilibre démographique,
économique et parfois linguistique. Les ministres 13 millions $ en transport, 8 millions $ en
fédéraux, provinciaux et territoriaux se réunissent alimentation, et apportent 21 millions $ de rentrées
une fois par an pour discuter de la gestion du fiscales annuellement.
Programme d’immigration. Par ailleurs, l’immigration francophone hors-Québec
Bien que les programmes varient d’une province à représentait en 2017 environ 4 700 personnes, soit
l’autre, ils ont principalement deux objectifs : 2 % des résidences permanentes. Un chiffre en légère
stimuler la croissance de la population et attirer une augmentation par rapport à 2016 qui ne comptait
main-d’œuvre qui possède des compétences que près de 4 400 nouveaux résidents permanents
professionnelles bien précises. francophones au Canada hors Québec. ◗

Chiffres tirés du Rapport annuel au parlement sur l’immigration de 2018.

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : L’IMMIGRATION AU CANADA ET AU MANITOBA


photo : Gracieuseté Laëtitia Chabroux

ppel
De gauche à droite : emma, caroline, Fréderic et Faustine Guichard.

Lʼa En octobre 2018, Caroline Guichard et ses deux filles,


Emma et Faustine, de 13 et 8 ans à l’époque,

D’UNE TERRE
ont quitté la France pour de bon pour aller s’installer
au Manitoba rural, dans la région de Brandon.

ACCUEILLANTE
Le père de famille, Frédéric Guichard, les a rejointes
en janvier 2019. Un parcours d’immigration
semé de belles rencontres.

par rOmaiN Telliez apprendre le métier de façon plus précise avec nous. On a toujours été attirés par le calme et
mes parents. » la nature, mais avec l’urbanisation, les parcelles
Le 1er janvier 2004, il crée sa propre agricoles étaient de plus en plus petites et

A
vant de devenir Manitobains partagées. Je devais donc louer des terres
d’adoption, la famille Guichard exploitation organique, spécialisée dans la
production de légumes de plein champ. Le ailleurs et ça me faisait beaucoup de trajets. »
vivait dans le sud de la France, près
d’Aix-en-Provence.Tous deux diplômés dans potentiel de l’agriculture organique et le Puis un jour, un voisin et ami originaire du
le domaine littéraire, c’est pourtant dans le respect de la terre, c’est d’ailleurs ce qui a attiré Nouveau-Brunswick lui parle de partir
domaine agricole qu’ils s’épanouissaient. la famille Guichard au Manitoba. C’est en travailler au Canada. « C’était juste pour rire
2013, un peu par hasard, qu’ils ont au début, mais on a quand même fait des
Frédéric Guichard explique : « Mes parents commencé les démarches d’immigration. recherches et ça avait l’air intéressant! Il y avait
avaient une exploitation maraichère convertie de l’espace, une francophonie, et du potentiel
« On avait une situation tout à fait établie,
en 1985 à l’organique,donc j’ai grandi à la ferme. pour l’organique. »
mais les contraintes administratives et fiscales
« Deux ans après mon diplôme, je me suis imposées aux entreprises en France étaient Après beaucoup de recherches sur les différentes
rendu compte que le fait d’être dehors me difficiles. On s’inquiétait aussi de voir de plus provinces canadiennes,Caroline et Frédéric ont
manquait. En 2001, je suis donc retourné en plus de maisons se construire autour de un coup de cœur pour... le Manitoba!

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : L’IMMIGRATION AU MANITOBA


Magazine
19

« Ce qui nous a plu, c’est qu’on avait envoyé des


courriels et on a tout de suite eu des retours,
Ce dernier se souvient : « On a tout de suite
recherché des fermes à vendre dans la région de
Destination
notamment de Brigitte Léger, à l’époque au World Brandon. Il y en avait peu, mais finalement, une Canada
Trade Centre (WTC) Winnipeg, Louis Tétrault à opportunité s’est présentée : une ferme d’élevage
l’Association des municipalités bilingues du dont le propriétaire voulait partir dans l’Ouest. On
Manitoba (AMBM), ou encore Joel Lemoine au chaque année
l’a visitée et elle nous a plu. On a pris possession le
Conseil de développement économique des 1er juillet 2019. » pendant quatre jours,
municipalités bilingues du Manitoba (CDEM). »
La parcelle de la famille Guichard fait aujourd’hui à paris et à Bruxelles,
Un autre atout du Manitoba pour le couple de
quarantenaires : le lien de nombreux Manitobains
264 hectares, dont environ 180 cultivables. 800 personnes par
Frédéric prévoit y faire pousser des céréales
à la vie rurale. « Au Manitoba, les problématiques jour intéressées à
agricoles sont comprises et prises en compte, pas organiques. « Je me suis renseigné et j’ai vu que
c’était recherché ici en agriculture organique. De émigrer au canada,
comme en France », se réjouit le père de famille.
plus, la terre s’y prête et les infrastructures aussi. » sélectionnées
Sur les conseils de Brigitte Léger, Frédéric et
Caroline partent en visite exploratoire de 15 jours En plus des Français et francophones du parmi parfois plus
au Manitoba, en avril 2014. Là encore, ils se sentent Manitoba qui les ont accueillis chez eux et dans
leurs cercles, Frédéric et Caroline Guichard ont de 20 000 demandes,
très bien accueillis. « Joel Lemoine nous a présentés
à ses parents, qui avaient des voisins français toujours pu compter sur l’appui du CDEM, de participent à
producteurs de céréales. Ils m’ont donné beaucoup l’AMBM et du WTC Winnipeg, mais aussi de Destination canada
de conseils. Puis, on a été hébergés à Saint-Claude la Division scolaire franco-manitobaine (DSFM).
chez Lucille Bazin, qui a aidé beaucoup de Français. Forum mobilité
« On a aussi de très bonnes relations avec nos
Elle nous les a fait rencontrer. Parler à d’autres qui et sont mises
voisins, qui nous aident beaucoup. J’avais très peur
avaient vécu ce que nous vivions, c’était rassurant.
de repartir à zéro sans savoir où aller, sans carnet en contact avec
« Enfin, on nous a présenté une famille française d’adresses, mais finalement on est vraiment aidés.
installée au Manitoba depuis près de 20 ans et qui des employeurs
Mon épouse a aussi suivi une formation au
a une ferme bovine vers Brandon. On a beaucoup CDEM sur comment monter une entreprise au et des institutions
aimé cette région. » Manitoba. canadiennes.
Le couple a aussi pu visiter trois écoles françaises,
« De même à la DSFM, on s’est toujours sentis
dont l’école La Source à Shilo. À l’issue de leur
périple manitobain de quelque 2 500 kilomètres, ils
très accompagnés. L’école a fait très attention à ce pour les provinces
que nos filles soient bien intégrées. C’est vraiment
sont retournés en France avec une invitation de la canadiennes,
Province à déposer leur dossier d’immigration dans une école inclusive. »
c’est une occasion
les six mois à venir, comme Candidats du Manitoba. Quant à Caroline Guichard, qui avait été pendant
Après mûre réflexion, leur dossier a finalement été 16 ans bibliothécaire puis responsable de unique de se faire
envoyé en janvier 2015. Un an après, en janvier médiathèque en France, elle a vite décroché un connaître et de
2016, ils ont obtenu leur résidence permanente. emploi de bibliothécaire et auxiliaire à la
mettre en avant
Frédéric Guichard : « On devait aller au Manitoba francisation dans l’école de ses filles à Shilo. Plus
pour entériner la résidence permanente, ce qu’on a d’un an après leur arrivée sur le sol manitobain, leurs atouts.
fait tous les quatre en juin 2016. On est retournés Frédéric, Caroline, Emma et Faustine ne
du côté de Brandon, où on avait gardé contact avec regrettent en rien leur décision. « Les gens au participant depuis
la famille française. On aimait la taille de la ville, le Manitoba sont extrêmement gentils et les rapports
paysage, le prix abordable de la terre et la présence 2005, le manitoba
sont simples. Partout, on est bien reçus. On sent
d’une école de langue française. » qu’on est en terre d’entraide. On se serre les coudes. est notamment
Deux semaines plus tard, dernier retour en France C’est une grande différence avec la France. » l’une des deux
pour mettre l’exploitation en vente. Celle-ci a trouvé Mais la clé d’une immigration réussie selon le père
acheteur à la fin de l’été 2018. Caroline Guichard seules provinces
de famille, c’est surtout de ne pas avoir peur de
et ses filles sont parties pour le Manitoba le
« faire le premier pas, montrer qu’on veut s’intégrer. à offrir la
Après, ça se met tout de suite en route ». ◗
19 octobre 2018, suivies le 19 janvier 2019 par le
possibilité d’une
père de famille qui était resté en arrière pour
boucler les dernières affaires. visite exploratoire.

19
Province du Manitoba de 1997 à 2007, Gérald
Clément a contribué à créer le programme
Candidats du Manitoba : « L’immigration au
Manitoba avait chuté à cause de la concurrence
de Vancouver,Toronto et Montréal,et l’économie
en souffrait.On a donc créé un programme dont
les critères de sélection favoriseraient les gens qui
veulent venir au Manitoba. »
La première année, 200 dossiers sont déposés,
et ce nombre augmente d’année en année. « On
avait une entente sur cinq ans avec le Fédéral qui
revoyait chaque année notre quota de dossiers à
accepter. Finalement, on a décidé qu’on ne
mettrait plus de quotas. La Province déciderait
du nombre selon les besoins. Le Manitoba s’est
vraiment distingué comme la petite locomotive
qui pouvait pousser le train, et loin. »
Depuis le 1er avril 2019, plus de 260 franco-
BRIGITTE LÉGER phones se sont installés au Manitoba par le biais
de ce programme.
Conseillère Brigitte Léger précise : « Pour qualifier au
en immigration programme Candidats du Manitoba, il faut
économique au CDEM. normalement avoir un lien avec le Manitoba.
Ça peut être d’avoir étudié ici, avoir de la famille
ou des amis proches, une expérience de travail
photo : Marta Guerrero ou encore une offre d’emploi.

POUR ATTIRER
par camille harper
L’importance
d’une visite exploratoire

LES francophones L’
immigration franco-
phone est un atout « Grâce au programme Candidats du
pour l’ensemble de Manitoba, on peut identifier les candidats
Canada et du Manitoba, pour francophones qui répondent aux besoins
assurer la survie de la commu-

AU MANITOBA
économiques du Manitoba, et les inviter en
nauté de langue officielle visite exploratoire pour qu’ils puissent créer
minoritaire. des liens avec la province et être acceptés
Brigitte Léger est la conseillère pour immigrer », indique Brigitte Léger
en immigration économique au CDEM : « Le Commencée par le CDEM, sous la direction
Canada s’est fixé pour objectif d’accueillir 4 %
Créé par la Province de francophones chaque année parmi tous ses
de Mariette Mulaire, dans les années 2000
de façon informelle pour les immigrants
du Manitoba en 1998, immigrants. Mais la communauté franco- d’affaires, la visite exploratoire est devenue un
phone du Manitoba souhaiterait en attirer
le programme jusqu’à 7 % par année. »
outil incontournable pour être accepté de la
Province du Manitoba comme immigrant.
Candidats du Manitoba Parmi les programmes pour immigrer au
Brigitte Léger : « Il y avait de plus en plus
a permis à la communauté Canada, le programme Candidats du
de demandes pour des visites exploratoires,
Manitoba, créé en 1998, a permis de faire venir
francophone de faire venir donc la Province a mis sur pied en 2007 un
des immigrants francophones directement au
système plus formel pour les accueillir.
plus de nouveaux arrivants Manitoba. C’était la première entente du genre
J’évaluais les demandes, j’envoyais celles qui
où une Province hors Québec prenait le
francophones. me semblaient prometteuses à la Province
leadership de son immigration.
pour approbation officielle, puis les candidats
Sous-ministre adjoint à l’Immigration à la venaient en visite exploratoire. »

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : L’IMMIGRATION AU MANITOBA


Magazine
21

Dès 2007, sept visites sont organisées. qu’entre la fin du mois de novembre 2019 « Ils arrivent avec un permis de travail,
Puis les demandes se multiplient. Brigitte et le début de février 2020, la Province a mais après six mois, comme ils ont créé
Léger s’en souvient : « En mars 2017, il y reçu plus de 4 000 demandes de un lien professionnel et personnel avec la
avait plus de 300 demandes de visite personnes souhaitant faire une visite province, ils peuvent demander une
exploratoire en attente! Il y en avait exploratoire! » résidence permanente par le biais du
tellement qu’on a dû fermer le programme Candidats du Manitoba. »
programme pour nous donner le temps
de toutes les évaluer. Ce n’est qu’à la fin
Arriver avec Brigitte Léger souligne que la Province
de novembre 2019, qu’on a finalement pu un permis de travail comme le Fédéral ont toujours encouragé
rouvrir le programme. » l’immigration francophone. « C’est une
Par ailleurs, le gouvernement fédéral a
constante depuis que j’ai commencé à ce
Aujourd’hui, c’est la Province qui reçoit aussi créé le programme Mobilité poste en 2007, malgré les changements de
directement les demandes de visites Francophone, un autre outil pour agrandir
exploratoires via une demande en ligne. pouvoirs. Ce qui a changé, c’est l’intérêt :
l’espace francophone au Manitoba. le nombre de demandes a explosé. C’est
La Province sélectionne des candidats Brigitte Léger explique : « ce programme très positif pour la communauté
selon les besoins. Le CDEM appui donne le droit aux employeurs des francophone du Manitoba. »
ensuite les candidats sélectionnés afin de communautés francophones hors Québec
les aider à établir des liens avec la d’embaucher des francophones à Selon les chiffres de la province, en 2019,
communauté manitobaine. En 2019, il y l’étranger sans devoir prouver qu’il n’y le Manitoba a accueilli 18 905 immigrants,
a facilité plus d’une centaine de visites avait personne d’autre pour le poste qu’ils dont 615 francophones. 12 545 de ceux-ci
exploratoires au Manitoba. » cherchent à combler. Ça permet de faire sont arrivés au Manitoba par le biais du
Elle confie que ce nouveau système de venir plus facilement des francophones programme Candidats du Manitoba. ◗
sélection était nécessaire : « Imaginez dans nos villes, nos communautés.

Mon mari et moi sommes venus


en visite exploratoire en mars 2016
pendant dix jours. L’objectif était
de calmer nos inquiétudes et


de nous rassurer. Et ça s’est révélé


utile, voire même essentiel!
Elle nous a permis d’évaluer
le cadre et le coût de la vie.
Je ne serais pas venu vivre ici
sans avoir pu visiter.
On est resté dans Winnipeg,
on essayait de se projeter.
On a aussi pu visiter plusieurs écoles
pour nos enfants, notamment
l’école Taché. »

- Rym Srarfi Tabbane,


arrivée d’Algérie à l’automne 2016
avec son mari et ses enfants.

photo : Marta Guerrero


22

Le Manitoba,
LA SCÈNE D’UNE
NOUVELLE VIE
par rOmaiN Telliez

C’
est au cœur de sa nouvelle scène, une salle de classe de
l’école Lacerte de Winnipeg, que nous rencontrons
Asma Zenatti. Depuis son Maroc natal, elle
attendait depuis toujours de pouvoir devenir actrice
de sa propre vie. Arrivée au Canada le 31 octobre
2018, Asma y est désormais enseignante auprès
d’une classe de 8e année.
L’histoire d’Asma pourrait se résumer en
quatre mots : Volonté – Détermination –
Travail – Mérite. Et puis sourire aussi.
Asma est une femme, une épouse, une
mère, une enseignante, une étudiante et
une comédienne. Elle qui se trouvait
cantonnée à quelques petits rôles
routiniers dans sa vie d’avant, est
aujourd’hui plus qu’heureuse de
pouvoir incarner tous les personnages
qu’elle souhaite :
« Je suis en train de vivre une belle
expérience. J’enseigne toute la journée,
puis je vais à mes répétitions de théâtre
et ensuite je fais mes devoirs parfois à
11 h du soir ou plus. Le lundi soir, je
suis un cours à l’université en plus de
tout ça. Et je suis heureuse! »
Asma a une volonté à toute épreuve.
Née à Rabat, au Maroc, elle grandit
ensuite à El Jadida, ville située à
90 km de Casablanca. Elle
commence d’abord des études dans
le domaine touristique avant de
s’orienter vers une carrière dans

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : L’IMMIGRATION AU MANITOBA


Magazine
23


Au Maroc, je comptais les jours


Une fois l’idée en tête, Asma se plonge dans ses recherches, studieuse,
jusqu’aux prochaines vacances, travailleuse, déterminée. Sa vie qu’elle trouvait routinière devient alors
une course. « Je sentais que j’avais de la force pour faire n’importe
ici, je compte les heures quoi. J’étais tellement motivée que je pouvais travailler jour et nuit.
pour retrouver ma classe. Comme si mes 40 années passées au Maroc n’était qu’une pause, je
n’avançais pas, je touchais le même salaire, il n’y avait pas d’horizon,
C’est ça ma vraie personnalité, pas d’études, pas de rêve. »
je n’attendais que ça. C’est dire comme l’attente fut difficile pour cette femme d’action.
Entre sa visite exploratoire et l’obtention de la Résidence permanente,
- Asma Zenatti il a fallu deux ans mais elle arrive finalement avec son mari et ses
deux enfants sur le sol canadien le 31 octobre 2018.
Depuis, la course ne s’est pas ralentie, il faut trouver un logement,
l’enseignement. Elle fait une première année en milieu rural, dans inscrire les enfants à l’école, puis s’inscrire elle-même à l’université
un « douar ». Un petit village, situé au bout d’une route interminable, pour valider des crédits pour obtenir le droit d’enseigner. Malgré ces
au milieu de nulle part, dans des conditions très difficiles, parfois 20 années d’enseignement au Maroc, elle doit encore faire des études
« sans eau ni électricité avec un accès très compliqué à la nourriture ».  pour avoir le droit d’enseigner de façon permanente ici. Mais Asma
ne rechigne jamais, elle apprend encore et encore. Elle suit des cours
C’était « l’enfer », selon ses mots, une région d’une extrême pauvreté d’administration scolaire, des cours d’histoire du français au
où il faut vivre avec les insectes et les scorpions. Mais malgré ces Manitoba. Elle se sent comme en mission. Elle est d’abord auxiliaire
conditions extrêmes, il y a un endroit où elle trouve du réconfort. à l’école Lacerte pour trois semaines, puis travaille au Service de
« Ce qui m’a réconforté, c’est quand je descendais dans la salle de perfectionnement linguistique de l’Université de Saint-Boniface, puis
classe. C’est à ce moment-là que j’avais compris que l’enseignement monitrice à French immersion teacher (FIT), où elle est monitrice
c’était peut-être ma destinée. Je me suis vraiment trouvée dans ce auprès d’autres enseignants et retourne ensuite faire quelques
métier. Face à des élèves qui ne parlaient ni arabe, ni français mais remplacements à l’école Lacerte ou un poste finit par se libérer.
berbère. Je les aimais et je ne les oublierai jamais. » Après un an au Manitoba, Asma a déjà accompli énormément. « Je
sentais que je volais, je savais que j’avais des compétences, mais j’avais
Une bouée de sauvetage besoin qu’elles soient évaluées et améliorées. »
Et elle ne veut pas s’arrêter là. « Pas une minute à perdre, je veux finir
Elle travaille un peu plus d’une année dans ces mon postbac et même faire ma maîtrise.  Travailler et encore
conditions avant de se réorienter dans l’enseignement travailler, je suis là pour ça. On m’a ouvert la porte, j’ai maintenant la
privé après la naissance de sa fille, Yasmine. «  Ma possibilité d’aller de l’avant, alors, je ne veux pas freiner. »
famille est ma raison de vivre et quand ils sont devenus Et comme si tout cela ne suffisait pas, Asma passe des auditions pour
grands et qu’il fallait choisir leur éducation, il fallait jouer un rôle au Théâtre Cercle Molière. Audition qu’elle réussit
se poser les bonnes questions. » comme tout ce qu’elle entreprend.
Les bonnes questions et les bonnes décisions, pour Asma est une mère, une femme, une épouse, une étudiante, une
eux, c’était d’aller au Canada, « le rêve de tout le enseignante et maintenant une comédienne. Sur scène, elle joue depuis
monde ici. C’est une bouée de sauvetage pour début mars dans la pièce La Liste, l’histoire d’une femme jouée par
nous, un autre monde. » plusieurs femmes, quand dans la vie, c’est elle la femme qui joue à
Sa clé pour entrer au Canada s’appelle plusieurs femmes. ◗
Brigitte Léger, conseillère en immigration
économique au CDEM, « une personne
en or, elle nous a guidés de A à Z. »

photo : Marta Guerrero

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : L’IMMIGRATION AU MANITOBA


24

Le rêve canadien
D’UNE VIE
SIMPLE
par rOmaiN Telliez

A
deline et Florian n’étaient pas malheureux en
France. Ce jeune couple, elle 28 et lui 30 ans,
vivait à Commercy, dans le département de la
Meuse. Ils vivaient proche de leur famille et avaient tous
les deux un emploi. Adeline est couturière et Florian est
mécanicien agricole. Ils disent tous deux « adorer leur
métier. » Cependant, se sont glissés dans le quotidien, des
éléments qui leur donnaient le sentiment de « tourner en
rond. »
Arrivés à Winnipeg depuis quelques mois, ils nous
reçoivent dans leur appartement à peine aménagé. Juste
l’essentiel, une table, un lit et une plante nommée Brenda.
Adeline en dit alors un peu plus sur les raisons de leur départ.
« J’adorais mon métier, en France, je faisais des robes de
mariées sur mesure. Mais je sentais qu’on était tous les deux
un peu enfermés dans nos boulots sans forcément avoir
d’évolution possible. »
C’est ce manque d’évolution professionnelle qui pousse
Adeline et Florian à un début de réflexion sur leur avenir
en France. Alors que lui avoue avoir « simplement envie
de changement ». Adeline précise : « j’ai beaucoup investi
de temps et d’énergie dans ce travail mais je pense que je
n’aurais jamais été augmentée, j’aurais été au smic toute
ma vie. »
Adeline et Florian n’étaient pas malheureux, mais ils étaient
sans doute un peu las du manque de reconnaissance dans
leur vie professionnelle. « Les gens sont toujours surpris de
mes études, ils n’imaginent pas que pour faire de la couture,
j’ai passé un BTS de modéliste. Mon métier n’a aucune
valeur en France. Et puis je ne croyais plus vraiment les
paroles de mon patron me disant de ne pas m’inquiéter et
que tout se passerait bien. »

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : L’IMMIGRATION AU MANITOBA


Magazine
25

Une fois n’est pas coutume, la couturière ne suivra pas


les indications de son patron et elle décide, elle, la
faiseuse de robe, de mettre les voiles. S’en suivra un long
travail de patience.
Ils cherchent avant tout une région où ils peuvent
« facilement trouver du travail. » Adeline ajoute que c’était
un élément déterminant dans leur choix final de pays.
Leur choix s’arrête finalement sur le Canada avec pour
impression qu’ici, « le travail manuel est mieux reconnu
et en plus, ici on peut faire des heures supplémentaires,
c’est moins taxé! »
Ensuite, point après point, ils se lancent dans les
démarches d’une demande de résidence permanente
pour venir s’installer au Manitoba, y trouver un travail
et éventuellement un jour, y fonder une famille.
Minutieux et appliqués, ils vont d’abord au salon
Destination Canada, puis font la visite exploratoire et
enfin ils constituent leur dossier.
Adeline et Florian arrivent au Manitoba sans emploi,
mais grâce aux programmes du CDEM ils se sentent
« accompagnés et bien aidés. » Ils trouvent rapidement
tous les deux un stage dans leurs domaines respectifs.
Pendant cinq semaines, ils suivent le programme
Destination emploi qui accorde une subvention aux
employeurs qui accueillent des stagiaires, dans l’objectif
d’encourager leur embauche. Florian fait son stage chez
Enns Brothers. L’entreprise agricole l’embauche et lui
remet généreusement toute la subvention pour qu’il
achète ses propres outils.
La coupure et la reprise de sa vie dans un autre pays
n’est pas une opération facile. « C’est un investissement
en temps, en argent et en énergie, souligne Adeline.
En arrivant, il y énormément de dépenses, la voiture,
nos outils, l’équipement, le mobilier etc. »
Adeline et Florian ont réussi à s’extraire de leurs petits
soucis du quotidien en France et ils n’aspirent ici qu’à
une vie simple. « Pour le moment, c’est positif, je fais de
bons horaires, la ville est accessible. On a des salaires
corrects et de bonnes conditions de travail. On découvre
tous les jours. On apprend l’anglais, mot après mot. On
photo : Marta Guerrero ne fait pas des grands discours. On n’a juste pas envie de
se sentir immigrés toute notre vie, on veut se fondre dans
la masse, savoir ce qui se passe autour de nous. »
Le jeune couple apprend donc à tisser de nouveaux liens.
FLORIAN ET ADELINE PIERSON Ils se faufilent dans la vie en ayant appris de leur métier
que la simplicité est la plus grande sophistication. ◗

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : L’IMMIGRATION AU MANITOBA


26

L’IMPORTANCE DE L’ACCUEIL
À TOUTES les étapes
WILGIS AGOSSA
BINTOU SACKO
Adjoint exécutif et
responsable des communications
Directrice Accueil francophone
de l’Accueil francophone
du Manitoba
du Manitoba.
Dossier de l’immigration
(SFM).

photo : Gracieuseté l’Accueil francophone

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : L’INTÉGRATION AU MANITOBA


photos : Gracieuseté l’Accueil francophone

l’accueil francophone organise bon nombre d’activités pour favoriser l’intégration des nouveaux arrivants. par exemple, sur les photos, de
gauche à droite, le camp rêve, le Noël des enfants ou encore la participation au Festival du Voyageur.

par camille harper «  On est là pour répondre à leurs Par ailleurs, l’Accueil francophone est devenu
1001 questions sur les diplômes, l’école ou en 2009 le premier centre d’accueil
encore le logement, ou pour les envoyer vers francophone du Canada à avoir un

L
es nouveaux arrivants francophones
au Manitoba, qu’ils soient immigrants les organismes qui sauront y répondre. Le programme d’aide au rétablissement des
économiques ou réfugiés, sont un but, c’est qu’il y ait pour eux le moins réfugiés (PAR). Wilgis Agossa explique  :
atout indéniable pour appuyer la dynamique possible d’inconnues à l’arrivée. » « On voyait beaucoup de francophones qui
de la langue et de la culture francophone au Un an après son lancement, le programme venaient comme réfugiés et n’avaient aucune
Manitoba, le maintien de services en pré-départ est déjà un succès. « La cible fixée connaissance de l’existence de la
français, ou encore l’économie et les pour la première année était entre 75 et francophonie. On a voulu les aider à découvrir
entreprises francophones et bilingues. 125 personnes ayant recours au service. la communauté et bien s’y intégrer. »
Nous en avons eu 300. » Bintou Sacko ajoute : « Aujourd’hui, non
Encore faut-il qu’ils se sentent assez bien
seulement nous sommes le seul centre
accueillis et intégrés pour vouloir rester et Une fois les nouveaux arrivants ou réfugiés d’accueil de réfugiés francophone, mais nous
s’engager dans leur nouvelle communauté. sur le sol manitobain, les services offerts par sommes aussi depuis le printemps 2019
Le rôle de l’Accueil francophone, c’est de l’Accueil francophone continuent. Wilgis signataires d’entente. On peut donc
tout mettre en œuvre pour rendre cet accueil Agossa, adjoint administratif et responsable parrainer directement des réfugiés. »
agréable et faciliter cette intégration, depuis des communications : « On va chercher nos
le pays d’origine jusqu’à longtemps après Tout comme pour les immigrants écono-
clients à l’aéroport, puis on les emmène dans
leurs premiers pas en sol manitobain. miques, l’Accueil francophone offre aux
nos logements de transition s’ils sont libres.
réfugiés un accompagnement personnalisé
Émigrer n’est pas une mince affaire. C’est Ils pourront y rester deux à trois semaines.
selon leurs besoins, incluant une aide pour
quitter ses habitudes, ses repères, une partie constituer des dossiers de rapatriement
de sa famille, et souvent aussi un emploi. « Très vite, on organise aussi une rencontre
pour évaluer les besoins spécifiques de familial. Pour Wilgis Agossa, «  c’est très
Dans le but d’élargir l’espace francophone du important d’apporter la meilleure aide
l’individu ou de la famille et on les
Manitoba sur le long terme, avec des possible aux réfugiés. Ils ont subi des
accompagne dans toutes leurs démarches
nouveaux arrivants qui vont s’impliquer dans traumatismes et ils ne comprennent pas
administratives, ou même médicales pour
la vie communautaire, l’Accueil francophone beaucoup de réfugiés. On crée avec eux un toujours la culture. C’est un grand défi ».
a développé de nombreux services pour les plan d’établissement clair et personnalisé. » Jusqu’en 2016, l’Accueil francophone ne
accueillir puis les aider à s’établir et s’intégrer. s’occupait que des réfugiés venant de pays
L’Accueil francophone offre également une
Bintou Sacko est directrice de l’Accueil série d’ateliers facultatifs sur divers aspects francophones. Mais avec la crise syrienne en
francophone. « Depuis février 2019, avec notre de la société canadienne, comme la justice, 2016, de nombreux réfugiés syriens sont
service pré-départ, nous offrons un service aux le système éducatif, l’histoire, la santé arrivés au Manitoba en ne parlant ni l’anglais,
futurs nouveaux arrivants francophones au mentale, l’achat d’une maison ou encore la ni le français. Depuis, l’Accueil francophone
Manitoba avant même qu’ils ne quittent leur budgétisation. «  On veut vraiment qu’ils reçoit des réfugiés de partout. L’organisme
pays. Une fois qu’ils ont été présélectionnés aient toute l’information dont ils ont besoin continue cependant de ne desservir que les
par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté dans n’importe quel domaine. On les aide immigrants économiques francophones.
Canada (IRCC), s’ils vont dans l’Ouest, ils aussi avec la recherche d’un logement
sont connectés avec nous. permanent », indique Wilgis Agossa. Suite en page 28 ➤

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : L’INTÉGRATION AU MANITOBA


28

➤ Suite de la page 27 communauté avec quelqu’un d’ici, un pour donner la main pour aider les nouveaux venus
découvrir le rural ou encore un autre pour à cheminer. C’est extrêmement important
« Chaque famille ou individu a son propre les aînés. Ce secteur a tellement pris de pour qu’ils se sentent bien au Manitoba. »
conseiller d’intégration, qui l’aide à atteindre l’ampleur qu’on a besoin d’au moins Pour Wilgis Agossa, l’une des plus grandes
ses objectifs à moyen et long terme. » Des 300 bénévoles. richesses de l’Accueil, c’est « la diversité de
suivis sont planifiés au long de la première « Le but est que les nouveaux arrivants et notre personnel. Nous représentons une
année, toutefois les conseillers sont à la réfugiés puissent s’épanouir en communauté, quinzaine de nationalités et nous parlons
disposition de leurs clients n’importe quand du côté francophone comme anglophone. une quarantaine de langues au total. Nous
jusqu’à ce que ceux-ci deviennent citoyens. On travaille avec de nombreux partenaires pouvons donc rejoindre la plupart de nos
L’Accueil francophone mise aussi sur la pour offrir autant de connexions et clients dans leur culture ou langue.
création de liens communautaires pour aider d’opportunités de s’impliquer que possible. » « Quand on arrive dans un nouveau pays,
ses clients dans leur intégration. Il insiste sur l’importance de la communauté sans repères, ça n’a pas de prix d’être compris
Wilgis Agossa détaille : « On encourage nos d’accueil dans la réussite de ces programmes : dans sa langue maternelle. Ça peut faire la
clients à faire du bénévolat. On a aussi un « Une intégration réussie doit se faire des différence entre une immigration réussie ou
programme de jumelage pour découvrir la deux côtés. La communauté d’accueil doit non. » ◗

Nicson
Yamondo

«A
rrivé le 5 avril 2019 à Winnipeg depuis de la République centrafricaine j’ai
eu la chance de recevoir l’aide de l’Accueil francophone. Ils m’ont aidé, dirigé
dès mon arrivée à l’aéroport. J’ai reçu beaucoup d’aide . On m’a aidé à ouvrir
un compte bancaire, à différencier la monnaie et aussi à comprendre le système de diplômes
canadiens, le système de bénévolat et bien d’autres choses encore.
Si tu ne comprends pas cette base, c’est plus difficile de s’intégrer. Mais une fois toutes les
bonnes informations en poche, c’était beaucoup plus simple. Je fais d’ailleurs du
bénévolat pour l’Accueil lorsqu’ils ont besoin d’un interprète pour les gens qui
viennent de Centrafrique et qui ne parlent pas le français.
C’est une relation presque familiale qui se noue entre les employés
de l’Accueil et ceux qui reçoivent de l’aide. Ça aide à s’intégrer.
Je me suis intégré très rapidement, je me sens comme un
Canadien. En plus des informations de la vie courante, j’ai
reçu beaucoup d’informations sur les programmes
auxquels on peut avoir accès. C’est d’ailleurs grâce à eux
que j’ai pu intégré le MITT pour suivre des cours
d’anglais. Par la suite, j’aimerais poursuivre mes études
pour devenir ingénieur en informatique. »

photo : Marta Guerrero

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : L’INTÉGRATION AU MANITOBA


30

sentir
POUR SE

« COMME
À LA MAISON »
par camille harper

C’
est alors qu’ils étaient réfugiés à
Kinshasa, en République
démocratique du Congo, que
Constance Ngouissani Nsouadi, son mari et ses
cinq enfants âgés de six à 16 ans ont appris qu’ils
étaient attendus au Canada. La mère de famille
se souvient : « On ne savait pas où au Canada.
Ce n’est que le jour même de notre voyage qu’on
a su que ce serait Winnipeg. On ne savait même
pas où c’était! »
Réfugiée du Congo Brazzaville,
Après deux escales en France et à Ottawa, la Constance Ngouissani Nsouadi
famille de sept arrive enfin à Winnipeg. « Boris est arrivée au Manitoba en septembre 2012
Ntambwe de l’Accueil francophone était à
avec son mari et ses cinq enfants.
l’aéroport pour nous accueillir, puis il nous a
emmenés dans un logement de transition. Il
L’appui de l’Accueil francophone
nous avait laissé un peu d’argent, et surtout, il et de membres de la communauté lui ont
avait rempli le frigo. Je m’étais demandée avant permis de se sentir très vite pleinement
comment on arriverait à recommencer ailleurs intégrée dans la francophonie manitobaine.
sans rien, mais on avait déjà tout  : meubles,
nourriture…
« Le lendemain, un samedi, Christophe Mbélé
(le coordonnateur Accueil et Établissement de
l’Accueil francophone) m’a même emmenée là
où on trouvait de la nourriture d’Afrique. Il y
avait du manioc! C’était important pour moi de
retrouver ce que je connaissais. »

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : L’INTÉGRATION AU MANITOBA


Magazine
31

Le lundi suivant, c’est à l’Accueil francophone que


le couple a été conduit pour une session
d’orientation. Par la suite, Constance Ngouissani
Nsouadi Nsouadi a souvent fréquenté l’organisme
pour des ateliers ou des conseils. « Ça m’a permis
de diminuer mon stress et de mieux affronter le
Canada, et le Manitoba, de mieux les
comprendre. »
Dès le lendemain de son arrivée, Constance
Ngouissani Nsouadi Nsouadi avait par ailleurs
déjà à l’esprit de trouver du travail. « C’était un
samedi et il n’y avait personne dans les rues. Nous,
on était habitués à l’ambiance le samedi. Au
Congo Brazzaville, c’est la fête. C’est le marché. Il
y a beaucoup de mouvement. Alors je me suis dit :
Il faut vite que je trouve du travail pour ne pas
m’ennuyer! »
Là encore, l’Accueil francophone a su être à la
hauteur : « L’Accueil avait constaté que beaucoup
de femmes réfugiées restaient à la maison sans
rien faire, alors en 2013, il a rassemblé un groupe
de femmes, dont moi, pour suivre un cours de
santé et sécurité. J’ai obtenu des bonnes notes et
j’ai pu continuer à l’Université de Saint-Boniface
en jeune enfance. J’ai été diplômée en 2016.
«  Je ne pensais même pas à la petite enfance
comme métier, mais l’Accueil francophone m’a
poussée et soutenue. Ils ont fait un bon choix pour
moi. »
Constance Ngouissani Nsouadi travaille
aujourd’hui à temps plein à la garderie Les
Enfants Précieux à Saint-Boniface. De plus, grâce
à son entregent elle est devenue bénévole à la
paroisse du Précieux-Sang et membre de la
Chorale des Intrépides. Elle a aussi été bénévole
au Festival du Voyageur pendant trois ans, ainsi
photo : Marta Guerrero
que dans d’autres garderies.
«  L’Accueil francophone est très vite devenu
comme la maison de mes parents. S’il y avait quoi
que ce soit, ils étaient là. Encore aujourd’hui, si j’ai
CONSTANCE NGOUISSANI NSOUADI une question ou un problème, ils sont toujours là
pour m’accueillir et trouver une solution. » ◗

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : L’INTÉGRATION AU MANITOBA


32

PRIORITÉ :
TROUVER UN e m p l o i

JOEL LEMOINE
SALIMATA SORO
Directeur de l’appui
Directrice de l’employabilité aux entreprises
et de l’immigration au Conseil de développement
au Conseil de développement économique des municipalités
économique des municipalités bilingues du Manitoba.
bilingues du Manitoba.

photo : Marta Guerrero

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : L’INTÉGRATION AU MANITOBA


photos : Gracieuseté CDEM

le salon Espace emploi organisé par le cDem depuis 2018 permet aux employeurs manitobains de rencontrer leurs potentiels futurs employés. Une
opportunité à ne pas manquer pour les nouveaux arrivants qui cherchent un emploi.

par camille harper

S
e trouver un emploi est souvent l’une des priorités des Joel Lemoine, directeur de l’appui aux entreprises au CDEM,
nouveaux arrivants. Pour cela, le Conseil de développement estime que « cette capacité d’accompagner les clients jusqu’à
économique des municipalités bilingues du Manitoba l’emploi est primordiale. On s’assure que tous nos clients de
(CDEM) a toute une gamme d’appui à disposition, que ce soit Destination emploi et Emploi pour tous aient une expérience en
pour chercher un emploi ou se lancer en affaires. milieu de travail ».
Afin de subvenir à leurs besoins, la majorité des nouveaux arrivants Il ajoute que ce pont est tout aussi bénéfique aux employeurs. « Ça
veulent chercher du travail très vite après leur arrivée, voire même enlève chez les employeurs une certaine crainte qu’une personne
avant. Ils sont nombreux à avoir poussé les portes du CDEM pour se d’une différente culture puisse ne pas être à la hauteur. Ils savent
faire accompagner dans de telles démarches. qu’ils ont suivi toute une formation chez nous, et ils voient qu’on
Salimata Soro est la directrice de l’employabilité et de l’immigration les accompagne. C’est un gage de confiance. »
du CDEM : « Le service d’employabilité du CDEM offre Salimata Soro confie d’ailleurs que « maintenant, certains
notamment des formations, un service de placement à l’emploi, et employeurs nous appellent directement quand ils ont besoin de
organise des foires d’emploi. recruter, pour savoir si on a des clients qui pourraient être
« On est là à chaque étape du parcours, selon les besoins des intéressés! Les mentalités ont bien changé ».
personnes. On peut les aider à rédiger leur curriculum vitae (CV) Joel Lemoine partage les chiffres : « Chaque année, le CDEM
ou leur lettre de motivation, on peut travailler avec eux les appuie la mise sur pied d’environ 70  entreprises. Il y a une
techniques de recherche d’emploi ou encore d’entrevue, et on peut quinzaine d’années, ils étaient trois ou quatre nouveaux arrivants
les renseigner sur le milieu de travail canadien. Au total, on offre à acheter ou créer des entreprises. Aujourd’hui, environ 30 % de
14 ateliers différents. notre clientèle qui se lance en affaires, ce sont de nouveaux
« On fait tout un suivi, jusque dans le milieu de travail, car nos arrivants, soit 20 à 25 des 70 entreprises que nous appuyons
programmes incluent tous des stages rémunérés. On rend visite à chaque année.
nos clients en stage et leurs employeurs chaque semaine jusqu’à « On est là pour les entrepreneurs. Et c’est rassurant pour eux. Je
12 semaines. » peux les accompagner dans leurs démarches, répondre à leurs
En 2019, sur 80 candidats aux foires d’emploi - que le CDEM questions, les orienter. Chaque année, je m’occupe d’une centaine
organise depuis trois ans, deux fois par an en personne, ainsi qu’une de dossiers de nouveaux arrivants. Tous n’aboutiront pas mais ils
fois de manière virtuelle à l’échelle nationale - 65 ont trouvé un savent qu’on est là. »
emploi. « On offre aussi une formation Business Start de trois jours en
De plus, sur 60 clients du programme Emploi pour tous, pour les français, deux à trois fois pas an, qui permet de tout savoir sur les
30 ans et plus, 48 ont désormais un emploi. Et sur 60 clients à différents types d’entreprises au Canada, les plans d’affaires, et
Destination emploi, un programme qui s’adresse aux 15 à 30 ans, tout ce qui est nécessaire pour démarrer une entreprise. Ou
54 ont aujourd’hui un emploi. Ces programmes sont ouverts à encore des ateliers sur le système des taxes au Canada et la gestion
tous, cependant la plupart des clients sont de nouveaux arrivants. du temps. » ◗
Quant au taux de clients en stage rémunéré qui se font embaucher
ensuite, il est de 94 %. Suite en page 34 ➤

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : L’INTÉGRATION AU MANITOBA


34

Suite de la page 33 ➤ (Business Stream) ou Agriculture (Agricultural du travail canadien, qu’ils aient un curriculum
Stream). « Les gens qui veulent immigrer sous vitae en anglais et en français à jour, et on crée
Joel Lemoine constate également que ce volet viennent souvent dans le but de les premiers contacts en vue d’un emploi. »
l’immigration entrepreneuriale est de plus en racheter une entreprise ici. » Parmi les ateliers, celui sur l’intégration dans le
plus une réponse à la succession des milieu du travail est particulièrement bénéfique
entreprises francophones locales. « La relève Par ailleurs, en partenariat avec l’Accueil selon la directrice des ressources humaines :
familiale est en baisse, ce qui donne des francophone, le CDEM a aussi un « Ça permet de mieux comprendre comment
opportunités pour les nouveaux arrivants qui programme de pré-départ pour les futurs les Canadiens conçoivent la diversité culturelle,
souhaitent se lancer en affaires. » immigrants francophones. et ce à quoi s’attendre en milieu de travail.
Il précise que depuis 2018 environ, le Salimata Soro : « On offre des ateliers en Beaucoup de nouveaux arrivants qui n’étaient
programme d’immigration Candidats du ligne. On s’assure avant même qu’ils arrivent pas préparés perdent leur premier emploi à
Manitoba a un volet entrepreneurial : Affaires qu’ils connaissent et comprennent le marché cause de différences culturelles. » ◗

Adèle
Kapinga

«J
e suis arrivée de République démocratique du Congo avec mon
mari et mes enfants le 26 juin 2019. Une de nos
préoccupations principales a été de trouver un emploi.
Mon mari, Valéry Kambo, était demandeur principal et avait déjà eu
l’opportunité d’avoir des contacts de pré-départ avec un agent du
CDEM. Et, deux semaines après notre arrivée, nous avons été nous
présenter là-bas, où un conseiller en employabilité nous a demandé
d’envoyer nos CV afin de nous aider à les mettre au format
canadien.
Nous avons énormément apprécié l’implication des conseillers,
qui nous envoyaient des offres d’emploi susceptibles de nous
convenir. Ils m’ont même aidée en me donnant une liste de
questions qu’on peut retrouver en entrevue et en simulant une
entrevue afin de me préparer correctement.
J’ai pu aussi participer à la foire à l’emploi, Espace emploi, et
rencontrer une dizaine d’employeurs potentiels. La recherche
d’emploi dans un nouveau pays n’est pas simple, et il faut être
patient. Mais grâce à l’aide que j’ai reçue, j’ai finalement obtenu
un emploi à l’USB en janvier comme assistante administrative. »

photo : Marta Guerrero

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : L’INTÉGRATION AU MANITOBA


SABRINA BETTOUM

photo : Marta Guerrero


L’immigration, Magazine
37

UN BESOIN POUR LES EMPLOYEURS


D’après le recensement de 2016, le nombre de personnes
nées au Canada qui quittent le marché du travail dépasse
le nombre de celles nées au Canada qui entrent
sur le marché du travail. Par ailleurs, à Winnipeg, en 2016,
22 % des travailleurs étaient âgés de plus de 55 ans. (1)

par rOmaiN Telliez L’entreprise Parenty Reitmeier est la parfaite ma sœur, qui s’était installée au Manitoba. Je
illustration de cette nécessité. Cette entreprise vivais alors en Algérie. Je suis tombée sur
qui fait de la traduction dans plus de une offre d’emploi de Parenty Reitmeier, et

L
es immigrants représentaient en 2016
plus de 26 % de la main d’œuvre de la 100 langues connaît un besoin important en j’ai décidé de postuler. J’ai passé l’entretien
capitale manitobaine. (1) Dans main d’œuvre francophone. Sur ses pendant mon séjour et on m’a fait une
certains secteurs, comme le secteur 45 employés, 12 sont francophones. « Nous promesse d’embauche qui a été notre porte
manufacturier ou celui des transports, ils travaillons énormément en français, c’est la d’entrée vers le Canada.
langue la plus demandée pour notre
représentent même 46 % et 36 % de Je suis ensuite rentrée en Algérie pour faire
entreprise, » assure Jean-Pierre Parenty, son
l’ensemble des travailleurs et jusqu’à près de ma demande de VISA et me marier. J’avais
président.
la moitié des travailleurs des soins infirmiers. peur de perdre cette opportunité avec la durée
Si les chefs d’entreprises du Manitoba ont de la démarche, mais Parenty Reitmeier a été
Aujourd’hui, force est de constater que, non des difficultés à recruter de manière générale,
seulement, l’économie a besoin des compréhensif, ils ont l’habitude de ce genre
dans le cas de l’entreprise Parenty Reitmeier de choses. Ils ont été patients. »
immigrants, mais elle en est devenue la difficulté est double. « On a toujours des
dépendante. La ville de Winnipeg, entre difficultés à recruter, mais ce n’est pas que « Je n’étais pas malheureuse dans mon pays,
autres, fait face à un grand défi nous, c’est dans toutes les business. je cherchais juste de l’évolution profes-
démographique. Taux de natalité bas, Cependant, dans notre cas, c’est encore plus sionnelle que je ne pouvais pas avoir en
émigration des travailleurs vers d’autres difficile parce qu’il est quasi-impossible de Algérie. Et je voyais ma sœur évoluer ici au
provinces et vieillissement de la population trouver assez de francophones locaux formés Canada. Elle semblait avoir la belle vie. »
font que l’immigration se présente, non plus en traduction. » Pour l’entreprise Parenty Reitmeier comme
comme un choix, mais comme une nécessité. Par le passé, Parenty Reitmeier devait aller pour beaucoup d’entreprises au Manitoba.
C’est d’autant plus le cas pour l’immigration recruter ses candidats jusqu’en Europe avec L’immigration est devenue un élément
francophone. En effet, 40 % des franco- le salon Destination Canada. Aujourd’hui, essentiel dans leur développement. « Sans les
phones de la ville ont plus de 55 ans, grâce à l’immigration francophone et aux nouveaux arrivants ce serait très difficile! Et
comparativement à 27 % de la population programmes du CDEM comme Espace puis, pas uniquement en français,
totale. Et bien que Winnipeg soit la ville qui emploi qui réunit des employeurs locaux et l’immigration est très importante dans toutes
attire le plus de francophones hors du des chercheurs d'emploi, l’entreprise a plus les langues », conclut Jean-Pierre Parenty.
Québec, ce ne sont que 1 130 personnes de facilités à trouver des candidats.
(1) Immigration, réfugiés et Citoyenneté Canada -
Série de profils économiques : Winnipeg, 2019. ◗
dont le français est la langue maternelle qui Sabrina Bettoum fait partie de ces nouveaux
sont venues s’installer au Manitoba entre immigrants qui fluidifient l’économie du
2016 et 2018. (1) Manitoba. « Je rendais simplement visite à

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : L’IMMIGRATION AU MANITOBA


38

CAP SUR
le r u r a l Si l’immigration francophone
au Manitoba est dans une dynamique
positive depuis la Toile de fond commune
2001-2050 : Agrandir l’espace francophone
au Manitoba, elle est restée très concentrée
sur Winnipeg. Aujourd’hui, le rural souhaite
bénéficier de cet apport de francophones.

photo : Gracieuseté l’Acceuil francophone

Depuis 2016, l’accueil francophone organise des tournées dans les régions rurales (À la découverte du rural) pour les nouveaux arrivants.

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : L’IMMIGRATION AU RURAL


Magazine
39

par camille harper

L
es communautés rurales du Manitoba « Il y a un gros travail de sensibilisation à faire.
n’ont pas connu une expérience de Beaucoup de nouveaux arrivants ne savent
l’immigration francophone aussi pas qu’il existe des services et ressources en
positive que la région urbaine. Certaines français au rural, et les communautés rurales
régions ont essayé d’attirer des nouveaux n’ont pas l’habitude de l’accueil de familles
arrivants, mais les résultats n’ont pas été à la nouvelles arrivantes. »
hauteur des attentes. Salimata Soro, directrice des ressources
Salwa Meddri, coordonnatrice du Réseau en humaines au CDEM, confirme : « Il y a une
immigration francophone (RIF) Manitoba : méconnaissance du monde rural chez les
« Il y a eu par exemple une grosse campagne nouveaux arrivants, et les communautés rurales SALWA MEDDRI
de recrutement de nouveaux arrivants sont souvent moins ouvertes. Les familles se
francophones du côté de Notre-Dame-de- connaissent depuis toujours, elles ont grandi Coordonnatrice du Réseau
Lourdes en 2012-2013. Malheureusement, ces ensemble. Il est plus difficile de s’y intégrer. » en immigration francophone Manitoba.
familles ont dû faire face à beaucoup de défis, Elle ajoute que la question de l’emploi est un
par exemple au niveau du renouvellement de autre obstacle à la ruralisation, de même que
leurs permis de travail. Si certains ont pu celle du réseau. « Il n’y a pas autant d’emplois au
s’établir avec succès dans la région, la plupart rural qu’à l’urbain, or la plupart des nouveaux
ont finalement préféré revenir à Winnipeg ou arrivants veulent que les deux conjoints aient
même quitter le Manitoba. » un emploi. Ça les retient en ville.
«  De même, pour beaucoup, c’est
« Avec l’immigration, rassurant de retrouver des pairs à
l’arrivée. Mais ces réseaux sont en ville.
Par exemple, il y a plusieurs associations
non seulement on fait croître communautaires africaines à Winnipeg,
mais pas au rural. »
notre communauté, mais Pour remédier la situation et réussir ARMAND POIRIER
l’accueil, les communautés peuvent
on apporte aussi de nouvelles compter sur l’appui du RIF, de
l’Accueil francophone et du CDEM,
Conseiller municipal
de la Municipalité rurale de Taché.

idées, une ouverture d’esprit.


dont le mandat est provincial, mais
aussi sur ceux du Réseau commu-
nautaire, des Centres de services
C’est une chance pour nous, bilingues, des Corporations et Sociétés
de développement communautaires,
une richesse. » ou encore des Municipalités rurales.
En outre, quelques programmes de
- armand poirier sensibilisation au rural ont
récemment vu le jour. À l’Accueil
francophone, chaque mois depuis
La régionalisation de l’immigration fait partie 2016-2017, entre 30 et 60 nouveaux arrivants
du mandat du RIF Manitoba. «  Jusqu’à partent à la découverte du rural. Wilgis
maintenant, on avait surtout travaillé à Agossa, adjoint exécutif et responsable des
consolider la coopération et les partenariats à communications de l’Accueil francophone : JUSTIN JOHNSON
Winnipeg, car c’est là que la majorité des
Suite en page 40 ➤
immigrants sont. Maintenant, on commence Directeur général de l’Association
à travailler avec le rural. » des municipalités bilingues du Manitoba.

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : L’IMMIGRATION AU RURAL


40

Suite de la page 39 ➤ arrivants dans la vie communautaire rurale. » minoritaire, mais aussi renforcer les
L’initiative Communautés francophones économies locales. Les Municipalités rurales
« On a lancé le programme À la découverte accueillantes commencera le 1er avril 2020 reconnaissent de plus en plus la valeur
du rural car on s’était rendu compte que pour une durée de trois ans. ajoutée du français, et donc l’intérêt de le
certains de nos clients, qui étaient pourtant garder. »
au Manitoba depuis cinq à dix ans, n’avaient Armand Poirier, conseiller municipal de la
jamais été plus loin que Lorette. Certains Municipalité rurale de Taché, explique Il dévoile d’ailleurs que l’AMBM a obtenu
même n’étaient pas sortis de Winnipeg. Ils l’importance de l’immigration francophone une promesse de financement d’Immigration,
ne savaient rien du rural. Ils ignoraient les pour sa communauté : « Avec l’immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC)
services en français qu’on peut y trouver. » non seulement on fait croître notre pour développer un Plan stratégique municipal
communauté, mais on apporte aussi de pour le recrutement, la rétention et la réussite des
Le programme a déjà porté ses fruits  : nouvelles idées, une ouverture d’esprit. C’est Municipalités bilingues en matière d’immi-
Wilgis Agossa assure que « quelques clients une chance pour nous, une richesse. » gration pour les Municipalités rurales.
ont déménagé au rural après, grâce aux
connexions qu’ils avaient faites lors du
programme ».
De même, au niveau du RIF Manitoba, le « L’immigration est essentielle aujourd’hui
programme Communautés francophones
accueillantes est en train d’être mis sur pied. pour assurer la pérennité et la vitalité
Salwa Meddri explique : « Le programme a
été lancé au niveau national en juin 2018. En de nos communautés francophones
2019, au Manitoba, on a identifié la région
de la rivière Seine, incluant la Ville de
Sainte-Anne, la Municipalité rurale de La en milieu minoritaire, mais aussi renforcer
Broquerie et celle de Taché, comme
communautés francophones cibles. Cette les économies locales. Les Municipalités rurales
région avait en effet manifesté un intérêt à
recevoir des nouveaux arrivants. » reconnaissent de plus en plus la valeur ajoutée
L’objectif de Communautés francophones
accueillantes est de développer des plans
communautaires régionaux et des
du français, et donc l’intérêt de le garder. »
partenariats tout en tenant compte des - Justin Johnson
particularités locales, afin de préparer les
communautés à bien accueillir de potentiels
nouveaux arrivants, et les nouveaux arrivants «  On veut aller une étape plus loin en
à leur nouvelle vie au rural. La route est encore longue, mais il reste
confiant : « On commence d’en bas. On n’est mettant sur pied une stratégie commune
« On travaille à augmenter le côté Friendly pas équipés pour recevoir des nouveaux pour attirer l’immigration francophone. » La
du Manitoba en rendant les communautés arrivants, mais on y travaille. On va stratégie devrait être développée d’ici 2023.
encore plus accueillantes, remarque la notamment créer du logement abordable. Il Salwa Meddri termine : « Si on réussit à
coordonnatrice du RIF Manitoba. On va ne suffit pas de pouvoir accueillir une avoir plus de monde à l’extérieur de
accompagner et outiller les communautés famille, il faut pouvoir en recevoir plusieurs Winnipeg, ce sera très positif pour la
pour que tout le monde y vive dans la pour qu’elles aient envie de rester chez francophonie et l’agrandissement de l’espace
meilleure harmonie possible. nous. » francophone à l’échelle de la province. On
«  Pour cela, on va notamment mettre en Le directeur général de l’Association des va travailler tous ensemble vers ce but,
place des activités culturelles, sportives, municipalités bilingues du Manitoba capitaliser sur l’expertise de chacun. On est
communautaires ou même de recherche (AMBM), Justin Johnson, renchérit  : tous une pièce du casse-tête. » ◗
d’emploi pour favoriser l’échange entre « L’immigration est essentielle aujourd’hui
communautés accueillie et accueillante, et pour assurer la pérennité et la vitalité de nos
encourager l’implication des nouveaux communautés francophones en milieu

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : L’IMMIGRATION AU RURAL


Magazine
41

e n f a i t s
Les bi
D’UNE COMMUNAUTÉ
ET DE LA SOLIDARITÉ…

photo : Gracieuseté Virginie Mazoyer


Virginie mazoyer et ses enfants capucine et Gabin, devant la pierre de l’École régionale de Notre-Dame-de-lourdes.

par camille harper

S
i le tissu social très serré au rural peut parfois Virginie Mazoyer décrit sa communauté d’accueil :
présenter un obstacle à l’intégration pour «  J’ai trouvé une famille à Notre-Dame-de-
certains nouveaux arrivants, ce n’est pas le cas Lourdes, un soutien hors pair. Ça a fait toute la
de la Française Virginie Mazoyer, qui s’est installée différence dans les moments difficiles.
en décembre 2016 à Notre-Dame-de-Lourdes avec « De mes voisins à mes collègues de travail, tout le
les deux cadets de ses sept enfants tandis que son monde m’a vraiment bien accueillie. Quand c’était
mari, Stéphane Mazoyer restait en France pour l’hiver et que mon mari venait nous rendre visite, par
travailler. exemple, quelqu’un de la communauté offrait de
faire la route jusqu’à Winnipeg pour aller le chercher
En effet, son diplôme français d’enseignante n’étant à l’aéroport, juste pour que je ne sois pas seule sur les
pas reconnu au Manitoba, le couple a préféré garder routes enneigées ou que je sois obligée de prendre
un emploi en France pour assurer les finances un jour de congé. Sans ce soutien formidable, je ne
familiales. sais pas si je serais restée au Manitoba! » ◗

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : L’IMMIGRATION AU RURAL


42

UNE SCÈNE CULTURELLE


RICHE DE SA diversi t é
par maThilDe errarD, camille harper eT rOmaiN Telliez

A
vec l’élargissement de l’espace francophone au Manitoba dans son style d’art. Nous avons aussi reçu un humoriste africain au
et l’arrivée de nouveaux arrivants francophones des quatre Rire Zone en février 2020, Papa Gizz. »
coins du monde, la scène culturelle francophone du
Le CCFM a également ouvert ses portes au groupe de danse
Manitoba s’est diversifiée pour le plus grand plaisir du public.
africaine Umucyo. « Umucyo répète dans nos locaux et pour la
Ginette Lavack, directrice générale du Centre culturel franco- Saint-Jean-Baptiste 2019, ils ont fait une performance. C’est
manitobain (CCFM) : « On voit dans la communauté de plus en
important et positif pour la communauté de s’ouvrir aux différentes
plus de projets très intéressants qui incorporent les nouveaux
cultures qui la composent. Plus on les inclut, plus les nouveaux
arrivants, comme par exemple les Allogènes ou le Marathon de
création au Théâtre Cercle Molière. arrivants se reconnaîtront dans notre communauté et s’intégreront.
C’est bénéfique pour tous. »
«  De même, chez nous dans la Galerie du CCFM, nous
commençons à accueillir des œuvres d’artistes d’ailleurs. Au D’ailleurs, selon les observations de Ginette Lavack, le public semble
printemps 2020, nous aurons l’exposition d’un jeune homme du apprécier cette diversité : « Le public demande de la nouveauté, des
Congo, Xavier Mutshipayi. Ses origines et son héritage se ressentent nouvelles perspectives, des nouvelles approches. » ◗

Kelly
auteure-compositrice et interprète. elle est originaire
de la côte-d’ivoire, et est arrivée au manitoba

Bado, en 2007. elle a participé à l’émission La Voix Canada


et à fait briller le manitoba par son immense talent.

«A
ujourd’hui, je pense qu’avec mes
chansons, je contribue à l’enrichissement
culturel au Manitoba.
C’est parfois difficile de s’établir ici. Les musiques du
monde sont plus populaires dans les grandes villes, où il
y a un public, un marché. Ça demande des compromis,
de faire l’effort d’aller vers l’Autre pour comprendre ta
culture d’accueil.
J’ai commencé à écrire au Manitoba, alors ma musique
est un métissage entre le Manitoba et l’Afrique. Ici, je
peux faire ma musique, être moi-même, sans nier ma
culture d’origine et apporter ma valeur ajoutée. »
photo : Marta Guerrero

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : L’IMMIGRATION ET LA DIVERSITÉ


Magazine
43

Daouda comédien et metteur en scène amateur. il est actif

Dembélé,
dans le milieu du théâtre manitobain depuis
son arrivée, en 1993.

«L
orsque je suis arrivé en août 1993, il y avait peu de nouveaux
arrivants. Alors, il fallait que je m’intègre, c’était une nécessité.
Ma passion pour le théâtre a été la meilleure manière de
rentrer dans la communauté francophone.
Cet art est une des seules places où j’ai pu faire passer mes idées et faire
comprendre, parfois avec une touche d’humour, le racisme, mais aussi la
culture, les traditions et la société d’où je viens. Par exemple, j’ai abordé la
polygamie qui est encore un sujet tabou dans Le polygame, présenté au
Chiens de soleil en 1997.
Je remarque une plus grande ouverture dans le monde culturel. J’ai
participé à la conception de la pièce Allogène au Théâtre Cercle Molière
en 2018, avec sa soixantaine de comédiens aux différents accents
francophones. Le théâtre m’a permis de me créer une place dans la
communauté et aujourd’hui, je me sens francophone du Manitoba. »
photo : Marta Guerrero

Gérald artiste visuel et musicien. il est Franco-manitobain,

Laroc h e , descendant du peuple métis. Sa créativité


se nourrit de tout ce qu’elle trouve autour de lui.

«Q
uand je donne des ateliers dans les écoles, au final c’est
moi qui apprends le plus! Je propose des choses aux
jeunes nouveaux arrivants et j’observe leur façon
spontanée de se lancer.
Les enfants des pays africains ou ceux de Haïti, utilisent inconsciemment
une palette de couleurs beaucoup plus chaudes.
Par exemple, lorsque je leur demande de peindre un arbre, j’adore les voir
se lancer dans des silhouettes vraiment différentes avec des motifs que
je n’avais jamais vus auparavant.
Moi, j’observe tout cela, ça entre en moi et je le ressors ensuite à ma façon.
C’est ça l’art. »
photo : Marta Guerrero

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : L’IMMIGRATION ET LA DIVERSITÉ


44

ÉLARGIR LA FRANCOPHONIE,
C’EST MULTIPLIER LES accents
Élargir l’espace francophone, c’est aussi multiplier les accents et les façons
de parler français. Une richesse qui peut devenir un danger quand cela donne
le sentiment que sa langue n’est pas d’assez bonne qualité pour tenir une conversation.
Pour la Fédération de la jeunesse canadienne-française (FJCF) comme pour la SFM,
la sécurité linguistique est un enjeu clé à adresser sans attendre. Une stratégie nationale
élaborée par la FJCF va être dévoilée en mars 2020.

par camille harper ressortait de nos membres. On vivait tous les La sécurité linguistique touchant tous les
mêmes défis de sécurité linguistique, mais âges et milieux socio-professionnels, la
on n’était pas capables de vraiment mettre le

N
e pas oser parler en français par peur FJCF a invité dans sa réflexion plusieurs
d’être jugé(e) sur de possibles erreurs doigt dessus et d’identifier quoi faire pour organismes communautaires et nationaux.
de langue. Répondre en anglais car améliorer la situation. En 2014, on a décidé En outre, deux consultations nationales en
cela semble plus facile. Converser en groupe en qu’il fallait agir. » ligne ont été menées en 2018, auprès de la
anglais, même s’il n’y a qu’une seule personne jeunesse et des membres des communautés
anglophone. Toutes ces expériences sont très de tous âges. La sécurité linguistique était
communes en milieu minoritaire francophone. aussi le thème du forum de la FJCF en mai
Roxane Dupuis, directrice générale du 2019. Ces consultations et forum ont mené
Conseil jeunesse provincial  : « En milieu à l’élaboration d’une Stratégie nationale pour
minoritaire, ce sentiment d’infériorité face à la sécurité linguistique, dévoilée en mars 2020.
l’autre interlocuteur, cette perception que notre Pour la présidente de la FJCF, c’est le point de
français n’est pas assez bon, on connaît tous
départ : « Tous les Canadiens et Canadiennes,
cela à un moment ou un autre. Ça peut même
quel que soit leur âge et leur situation, vont
arriver entre Franco-Manitobains. « Alors,
pouvoir s’approprier la Stratégie et l’adapter à
plutôt que de parler français et d’être encore
corrigés ou de chercher ses mots, on préfère leur réalité. La Stratégie nationale a pour but
parler anglais. On a l’impression que c’est plus de sensibiliser et d’inciter à la prise d’action en
facile.  L’insécurité linguistique, ou sécurité tant qu’individu ou groupe.
linguistique pour prendre une approche plus «  Trop de francophones en situation
positive et proactive du problème, c’est ça. » minoritaire, partout au pays, vivent une
Ce problème ne se limite pas au Manitoba, insécurité linguistique imposée par leurs pairs.
photo : Gracieuseté Sue Duguay
c’est pourquoi la Fédération de la jeunesse Alors ils s’excluent de la langue. L’impact sur
canadienne-française (FJCF) a décidé lors les communautés est très négatif. On peut
de son assemblée générale de 2014 de SUE DUGUAY perdre des locuteurs français à cause de cela.
chercher des solutions. On devrait plutôt augmenter nos nombres
Sue Duguay, présidente de la FJCF  : Présidente de la Fédération pour augmenter notre influence. » ◗
« Depuis de nombreuses années, ce message de la jeunesse canadienne-française.

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : L’IMPORTANCE DE LA CONSTRUCTION IDENTITAIRE


Sean
Foster
issu d’une famille anglophone, Sean Foster a appris le
français à l’école aurèle-lemoine de Saint-laurent, et en
écoutant des vidéos d’acteurs français.
« l’accent parisien me plaisait beaucoup, il me paraissait
plus distingué, plus intelligent. « puis j’ai réalisé qu’il n’y a
pas un accent meilleur qu’un autre ou supérieur. Tous ces
accents différents contribuent à la diversité linguistique. »

photo : Archives La Liberté

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : L’IMPORTANCE DE LA CONSTRUCTION IDENTITAIRE


HUGO HUANG-LESAGE ET AMY HUANG

« Grâce aux ressources de la FPFM,


je me sens vraiment comme faisant partie
de la communauté francophone. C’est essentiel
pour les familles exogames comme la mienne. »

photo : Marta Guerrero

LE RÔLE ESSENTIEL
Quand la SFM a adopté sa Toile de fond commune 2001-

DES parents
2050 : Agrandir l’espace francophone au Manitoba,
près de 70 % des jeunes de la communauté
franco-manitobaine étaient issus de couples exogames,
et moins de 16 % d’entre eux s’exprimaient en français.
Dans la transmission d’une langue, les parents
ont un rôle clé à jouer. Comment la communauté
les a-t-elle aidés?

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : L’IMPORTANCE DE LA CONSTRUCTION IDENTITAIRE


Magazine
47

par camille harper

L
a Fédération des parents de la francophonie Brigitte L’Heureux l’affirme, « l’exogamie, c’est la
manitobaine (FPFM) est l’organisme porte- réalité des familles de notre communauté
parole et d’appui aux parents de jeunes enfants francophone du Manitoba aujourd’hui, et c’était
de la communauté francophone du Manitoba. déjà le cas en 2001.
La directrice générale de la FPFM, Brigitte « Il faut embrasser cette réalité plutôt que l’ignorer. Si
L’Heureux, revient sur l’importance du rôle des on n’inclut pas le conjoint ou le partenaire anglophone
parents  : «  Du point de vue de la FPFM, on chez nous, on court le risque que toute la famille aille
observe que les deux parents, peu importe leur ailleurs, là où tout le monde se sent inclus. Souvent,
langue, contribuent à l’épanouissement de leur c’est dans la communauté anglophone ».
enfant, y compris
langagier. Plus les L’organisme porte-
familles se sentent parole des parents
incluses dans la francophones a
francophonie et les également développé
enfants sont exposés sa communication.
au français, plus les Brigitte L’Heureux  :
enfants auront de «  Nous avons
chances de parler bilinguisé notre publi-
cette langue et d’être cité pour que les
prêts pour la mater- parents anglophones
nelle en français. puissent aussi com-
«  Alors il est prendre le contenu de
important que dans notre programmation.
Cependant, nos pro-
les couples exogames, photo : Marta Guerrero
le parent se sente grammes sont toujours
appuyé et outillé pour BRIGITTE L’HEUREUX donnés en français. »
encourager la franco- Par ailleurs, un nou-
phonie de son Directrice générale de la Fédération des parents veau poste d’appui à la
enfant.  Il faut lui de la francophonie manitobaine. francisation et aux
montrer que c’est familles plurilingues
faisable pour lui, avec des outils et des appuis, de vient d’être affiché en janvier 2020. « On a vu qu’il
contribuer à la transmission du français à ses y avait un manque d’outils et de cohésion dans nos
enfants. Beaucoup de parents anglophones services. La personne embauchée développera
cherchent des espaces francophones pour leurs notamment des outils pour les familles, mais aussi
enfants qui les respectent comme parent les éducateurs et éducatrices et les garderies
anglophone. » familiales.
Pour cela, la FPFM a développé en 2013 des fiches « On voit de nombreux défis de francisation dans
informatives à destination des familles exogames : les garderies francophones aujourd’hui.  C’est
Grandir en français - De la naissance à 24 mois, important de faire l’état des lieux de ce qui existe
Grandir en français - De 2 à 5 ans, Identité déjà et des besoins, et de réfléchir à comment faire
francophone - L’identité, c’est vivre une culture et la pour les combler. Il y a toujours plus à faire pour
célébrer et Couples mixtes – Quand un seul des agrandir l’espace francophone. »
parents parle le français, ainsi que des vidéos au sujet
des avantages de parler français à son jeune enfant (1) Ces fiches et vidéos sont disponibles à l’adresse
au Manitoba. (1) http://www.lafpm.com/nos-services/outils-pour-parents/ ◗

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : L’IMPORTANCE DE LA CONSTRUCTION IDENTITAIRE


48 Un système
pionnier

L’im m e r s i o n
au cours des années, le système
scolaire d’immersion au manitoba
s’est agrandi, structuré et légitimisé.

UN SYTÈME
Si la première école élémentaire
date de 1973, la première école
secondaire à offrir un programme

EN CROISSANCE CONSTANTE
d’immersion au manitoba, le
collège Béliveau, a vu le jour en
1982. c’était d’ailleurs le premier
La première école d’immersion a ouvert du genre en amérique du Nord.
ses portes au Manitoba en 1973, dans le sillon 1995 a marqué une autre étape
de la loi fédérale sur les langues officielles, cruciale dans l’histoire de
entrée en vigueur en 1969. l’immersion manitobaine : son
Depuis, le système d’immersion s’est organisé, programme a été officiellement
structuré dans les divisions scolaires, reconnu. christian michalik :
et surtout n’a cessé de croître pour aujourd’hui « c’était la volonté d’une partie
représenter 13 % de l’ensemble des élèves de la société qui a mené à une
du réseau scolaire public de la province.
concrétisation politique.
et ça a apporté une légitimité
CHRISTIAN MICHALIK à l’immersion, des ressources
pédagogiques et un marché pour
Directeur général les maisons d’édition également. »
de la Division scolaire Louis-Riel
photo : Gracieuseté Division scolaire Louis Riel l’immersion s’est alors petit à petit
structurée au sein des différentes
par maThilDe errarD divisions scolaires, dont la Division
scolaire louis-riel, qui a vu le jour
en 2002.

A
u Manitoba, c’est à l’école Sacré- « Même si l’immersion a dû faire face à des
Cœur, qui faisait alors partie de la oppositions, une prise de conscience s’est À l’image du système global
Division scolaire Winnipeg n°1, opérée dans beaucoup de familles d’immersion française, le nombre
que le système scolaire d’immersion anglophones qui souhaitaient que leurs
enfants parlent les deux langues officielles d’inscriptions à la DSlr est en
française a vu le jour en 1973, sous
du pays », indique-t-il. hausse constante. Sur les 40 écoles
l’administration des Sœurs des Saints-
L’immersion a connu une croissance chaque qui la composent, 13 sont des
Noms de Jésus et de Marie.
année depuis ses débuts. Un an après son écoles d’immersion et accueillent
Christian Michalik, directeur général de la implantation au Manitoba, 0,4 % des élèves pas moins de 5 200 élèves, soit
Division scolaire Louis-Riel (DSLR), de la province étaient inscrits en immersion.
rappelle que l’immersion a fait ses premiers Près de 25 ans plus tard, en 2001-2002, ce 33,5 % de son total d’élèves.
pas dans le contexte de la Loi sur les langues chiffre grimpait à un peu plus de 8 %. « et si la tendance se maintient,
officielles. Entrée en vigueur le 7 septembre En 2016-2017, avec quelque 24 400 élèves, nous prévoyons atteindre
1969, elle institue le français et l’anglais la proportion d’élèves en immersion
40 % d’élèves en immersion
comme langues officielles du Canada. française au Manitoba atteignait les 13 %. ◗
dans la prochaine décennie »,
indique christian michalik.
ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : L’IMPORTANCE DE LA CONSTRUCTION IDENTITAIRE
Magazine
49

LE CHOIX DE L’IMMERSION
POUR l ’avenir
Emploi, ouverture, lien avec leur famille aux multiples langues :
Kristin et Johann Baetsen, anglophones, n’ont pas hésité
à inscrire leurs enfants, Raina et Vaughn en immersion,
à l’École Provencher.

par maThilDe errarD l’avenir de leurs enfants. « Le français apporte Pour le moment, leurs enfants apprennent les
plus d’opportunités d’emplois. Et puis, qu’ils bases de la langue, notamment en associant
sachent parler et comprendre l’histoire de la

I
l est près de 16 heures, un mardi pendant la images et mots. D’ailleurs, Vaughn ramène en
période du Festival du Voyageur et Raina, deuxième langue officielle du Canada est courant un livre en français sur des animaux et
huit ans et Vaughn, six ans, viennent de important. » Sa femme poursuit : « On habite lit les quelques phrases avec sa sœur. Raina, en
rentrer de l’école. Le petit dernier, en 1re année, dans le quartier francophone de Winnipeg,
troisième année, raconte : « Apprendre le
est fier de montrer sa dernière création, épinglée alors on s’est dit, pourquoi nos enfants
n’apprendraient pas le français? » français, ça change la vie. On peut chanter, lire,
sur sa chemise. « C’est une tuque rouge du écrire et parler en français. C’est amusant! »
Festival du Voyageur! » Un autre facteur a également joué dans la
décision des deux parents : leur lien familial avec Johann ne cache pas qu’il n’a jamais autant parlé
Par le passé, ses parents aussi ont été élèves en
le français. Johann Baesten comprend un peu français depuis que ses enfants sont en
immersion à Winnipeg. Pour eux, c’était naturel
le français et peut parler quelques mots et dans immersion. Il entraîne d’ailleurs une équipe de
de les inscrire dans ce même système. Kristin
sa famille, le français a toujours été plus ou soccer en français au complexe sportif de
Baetsen se souvient : « Ma sœur n’a pas été en
moins parlé. « Mes grands-parents parlaient six Notre-Dame.
immersion, ça n’existait pas à l’époque. Mais
langues, dont le français. Ma mère est
moi, j’ai eu cette chance et aujourd’hui, j’ai des Kristin Baetsen tient à préciser que
également francophone et vit à Saint-Boniface.
connaissances sur l’histoire et la culture l’apprentissage des enfants se poursuit en
Nous avons une histoire avec cette langue, alors,
francophones. » dehors de l’école. Leurs enfants suivent des
inscrire nos enfants en immersion est un moyen
Johann, le père de famille, ajoute que de poursuivre notre contribution à la cours de natation en français et Raina participe
l’immersion a été également un choix pour communauté francophone. » à une chorale, Les petits intrépides. ◗

photo : Marta Guerrero

pour le couple Baetsen, il était important d’inscrire leurs enfants en immersion. Sur la photo de gauche à droite : Johann,
Vaughn, Kristin et raina Baetsen.
50

DE FRANCOPHILE
À fr a n c o p h o n e
En plus de l’apprentissage
de la langue française,
l’un des objectifs du programme
d’immersion de la DSLR
est de favoriser l’intégration
de ses élèves dans la communauté
PATRICK GAGNÉ
francophone, et de leur donner
Professeur de sciences humaines tous les outils et toute la confiance
et d’informatique pour les classes
de 9e et de 10e années nécessaires pour qu’ils continuent
au Collège Béliveau à parler français après la 12e année
et se sentent pleinement francophones.

photo : Marta Guerrero

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : L’IMPORTANCE DE LA CONSTRUCTION IDENTITAIRE


D’élève à professeur
par maThilDe errarD
« Je suis né dans une famille exogame : ma mère,
hélène Jeanson est francophone. mon père, michael

L
a notion d’identité des élèves «  Si des efforts sont encore Gagné, est anglophone et son père vient du Québec.
est au cœur de l’appren- nécessaires pour élargir la défini- pour eux, c’était important que moi et mon frère
tissage du français au sein tion sociale de la francophonie, les matthieu gardions cette connexion avec la langue
des écoles de la DSLR. Christian élèves issus de l’immersion en font d’une partie de ma famille et d’augmenter
Michalik, son directeur général, bien partie et ont un rôle clé à jouer les opportunités en terme de carrière.
explique : « Avec les équipes
pédagogiques, nous travaillons à
dans son épanouissement », assure D’ailleurs, mon frère et ma belle-sœur sont aussi
conscientiser les jeunes sur leur
Christian Michalik. En effet, ceux enseignants en immersion, tout comme ma femme
identité et leur bilinguisme pour
qu’on appelait il y a peu les rae-ann Trudeau!
qu’ils puissent continuer à francophiles, sont aujourd’hui de il y a six ans, j’ai débuté ma carrière au collège Béliveau,
pratiquer en dehors de la salle de vrais francophones du Manitoba. où j’ai passé une partie de ma scolarité. aujourd’hui,
classe et après leur graduation, et Patrick Gagné, 29 ans, fait partie en tant qu’enseignant, j’ai l’impression que je peux
qu’ils se considèrent pleinement des anciens élèves de la DSLR qui redonner quelque chose, être un modèle. en classe,
comme francophones. » continuent à pratiquer le français. nous essayons autant que possible d’immerger les
Si la notion d’identité franco- Après des études en histoire- élèves dans des cas concrets, en dehors de la classe,
phone comporte l’aspect langagier, comme le sport ou le théâtre.
géographie puis en éducation à
il se base aussi sur la culture, le l’Université de Saint-Boniface, il michel roy, un de mes collègues, a d’ailleurs monté une
sentiment d’appartenance et est depuis six ans, professeur de comédie musicale bilingue. pour le moment, je suis au
l’inclusion. « Les élèves en sciences humaines et d’infor- début de ma carrière. J’entraîne une équipe de
immersion peuvent acquérir et
matique pour la 9e et la 10e années basketball où nous parlons en français autant que
nourrir une identité francophone possible et je compte davantage m’engager dans des
au Collège Béliveau.
tout au long de leur parcours initiatives avec les élèves. c’est important que les élèves
scolaire, qu’ils soient très ou peu « Mon but est de donner toutes les gagnent en confiance dans des situations authentiques.
familiers avec la culture occasions possibles aux élèves de lorsque j’étais élève, l’immersion m’a offert toutes
francophone. Il est essentiel pratiquer leur français hors du les occasions d’utiliser cette langue. ensuite, mon défi
d’inclure tous ces profils dans cadre académique et dans des a été de continuer à trouver des occasions de pratiquer
notre enseignement. » situations authentiques. après la 12e. Suivre mes études d’histoire, géographie,
Depuis près de 50 ans,
« On cherche à toujours améliorer puis en éducation à l’Université de Saint-Boniface a été
l’immersion oblige à repenser
leurs compétences orales égale- un bon moyen. et puis, dernièrement, j’ai participé
l’identité francophone manito- au Festival du Voyageur en tant que bénévole. »
baine. La Loi 5 sur l’appui à ment. Alors par exemple, pendant
l’épanouissement de la francophonie la période des élections l’an PATRICK GAGNÉ,
manitobaine, adoptée par la dernier, on a organisé des débats enseignant au Collège Béliveau
Province en 2016, a d’ailleurs en classe où chacun pouvait poser pour les 9e et 10e années
élargi la définition même de des questions et exprimer ses idées en sciences humaines et en informatique
francophone. en français. » ◗

Thriving Learners ∞ Flourishing Communities


Des apprenants épanouis ∞ Des communautés florissantes
Gegwe-gikenjigewaad ∞ Mamino-ayaang Eyaang

900, chemin St. Mary's | Winnipeg | Manitoba | R2M 3R3 | Tél. : 204-257-7827 | lrsd.net

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : L’IMPORTANCE DE LA CONSTRUCTION IDENTITAIRE


52

POUR FORMER
LES CITOYENS La Division scolaire franco-manitobaine

DE demain
(DSFM) a pour objectif de former
des citoyens du 21e siècle.
Pour ce faire, elle table
sur trois piliers :
la réussite scolaire et éducative,
la communauté
et la construction identitaire.

par maThilDe errarD

A Réussite scolaire
lain Laberge, directeur général de la DSFM
pose les bases dès le départ : « Notre mandat
est plus large que celui des écoles
et éducative
anglophones. En plus de la réussite scolaire, nous avons
La DSFM a entamé une réflexion pour revoir la
aussi la mission de transmettre une culture et de nourrir
définition de la réussite scolaire : « Nous voulons
une identité francophone chez nos élèves. »
mettre l'emphase sur l'élève, adapter notre
Ce mandat a été pensé dès les débuts de la DSFM, enseignement afin de s'assurer que chaque élève
qui a été créée en 1994 à la suite de l’adoption en progresse, peu importe son profil. Et ce, dès les
juillet 1993 du projet de loi 34 visant à modifier la premières années, pour que l’élève parte sur de
Loi sur les écoles publiques. Et pour rester en phase avec bonnes bases », indique Alain Laberge.
son mandat, la DSFM élabore environ tous les cinq
ans un plan stratégique qui reprend des axes basés
sur leurs objectifs.

L’éducation en langue française


offre une expérience unique.
Pensez-y!

1263, chemin Dawson Lorette (Manitoba) R5K 0S1 • Téléphone : 204 878-9399 • DSFM.MB.ca • dsfm@dsfm.mb.ca • @DSFMecole

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : L’IMPORTANCE DE LA CONSTRUCTION IDENTITAIRE


La DSFM
en quelques
dates
René Déquier, directeur général adjoint aux La DSFM a dû amorcer une nouvelle
Services éducatifs, abonde dans ce sens. approche de la construction identitaire il y 1994 : la DSFm voit le jour,
« La zone cérébrale qui contrôle les langues a une dizaine d’années pour mieux accueillir puis la commission scolaire
est en pleine croissance entre zéro et cinq
une nouvelle clientèle, incluant les nouveaux franco-manitobaine (cSFm)
ans. Et c’est aussi à cet âge que l’enfant
commence à développer ses émotions et des arrivants et les familles exogames. quelques mois plus tard.
liens avec les adultes. la cour suprême du canada
« Le lien entre l’enfant et le français peut par Une population a affirmé que l’article 23
exemple naître dans les Centres de la petite croissante de la Charte canadienne des droits
enfance et de la famille (CPEF) qui sont
organisés dans les écoles de la DSFM Le nombre d’élèves de la DSFM croît d’année et des libertés garantit aux
depuis 2004. De là l'importance de miser
en année, environ 2 % par an depuis 2001 et francophones du manitoba un
sur la petite enfance avec une offre active de
elle doit répondre à une grande demande. La degré maximum de gestion
services dont les prématernelles à temps
plein qui sont dans cinq de nos écoles. » division estime que 5 993 élèves de la de leurs écoles françaises.
maternelle à la 12e année feront leur rentrée
le projet de loi 34, qui prévoit
Communauté en septembre 2020. Il y avait 5 779 élèves
la création d’une division scolaire
et construction identitaire inscrits à la DSFM en décembre 2019.
de langue française, est adopté
Si la hausse du nombre d’élèves permet une
Alain Laberge résume que l’un des objectifs
diversité enrichissante, elle apporte aussi son le 27 juillet 1993.
de la division est que les enfants « vivent la
langue ». En plus des CPEF, la division peut lot de défis, tels que la nécessité de recruter le premier directeur général
en effet compter sur une trentaine de de nouveaux enseignants ou encore la limite était raymond Bisson et le premier
partenaires communautaires, dont le rôle est de l’espace disponible.
de complémenter le curriculum scolaire. président de la cSFm, louis Tétrault.
Ces partenariats permettent aussi aux élèves Plusieurs projets d’agrandissement ont été
Dès la rentrée scolaire
de vivre des expériences pertinentes en menés au cours des dernières années  :
français hors le la salle de classe. agrandissement de 2 500 mètres carrés à en septembre 1994, la DSFm
Former les citoyens du 21e siècle passe aussi l’école Taché en 2015, un nouveau gymnase a pour mandat de gérer les écoles
par des moments comme les camps de et une salle polyvalente à Saint-Georges en et les programmes français.
leadership JMCA ( Jeunes manitobains des 2013 ou encore un autre agrandissement Son réseau s’est petit à petit
communautés associées), « où les élèves prévu pour l’automne 2020 à l’école Noël-
peuvent prendre conscience que d’autres développé au fil des années,
Ritchot. Bernard Lesage, président de la
jeunes comme eux parlent français », avec 20 écoles en 1994 et
explique René Déquier. Les camps JMCA Commission scolaire franco-manitobaine
plus de 4 000 premiers élèves.
comptent de plus en plus de jeunes depuis depuis 2004, rappelle que l’immobilisation
dix ans : en 2009-2010, 20 élèves y a été et reste toujours un enjeu majeur pour aujourd’hui, la division
participaient. Ils étaient environ 240 en la communauté francophone. compte 23 écoles, et
2018-2019.
« La croissance de nos effectifs chaque un centre d’apprentissage
Certains jeunes de la DSFM participent
aussi à des conseils municipaux de leurs
année rime forcément avec des agrandisse- franco-manitobain pour adultes.
régions, un moyen de « donner une voix aux ments physiques. Aujourd’hui, il y a encore la Voie du Nord, à Thompson
élèves et ainsi démontrer leur fierté d'être trop de régions où des parents n’ont pas le
est la dernière école
francophone, estime Daniel Préteau, choix d’une éducation en français. »
directeur adjoint aux Services aux élèves. à avoir ouvert ses portes.
C’est aussi un moyen de former une future Au 30 septembre 2019, la DSFM comptait
23 écoles, dont sept en milieu urbain et en décembre 2019,
génération de leaders qui pourront prendre
leur place dans la francophonie ». 16 en milieu rural. ◗ près de 5 800 élèves étaient
inscrits à la DSFm, la seule division
scolaire francophone au manitoba.
53
54

S’a d a p t e r
AUX NOUVEAUX photo : Marta Guerrero

ARRIVANTS MIREILLE KAZADI

Directrice de l'École Taché.

par maThilDe errarD par exemple par le choix des livres. « Dans le corridor de notre école, c’est
« Nous voulons nous assurer que les une francophonie colorée! Asie, Europe,

D
epuis le début des années 2000, livres utilisés dans nos classes et dans Afrique, il y a de plus en plus de
la DSFM a progressivement nos bibliothèques représentent bien personnes de toutes les cultures et de
observé une augmentation des tous nos élèves, pour qu’ils puissent s’y différentes religions qui travaillent dans
nouveaux arrivants parmi ses élèves. reconnaître et trouver leurs places. » un respect mutuel. Lorsque je suis arrivée
Petit à petit, les équipes se sont adaptées, Depuis 2004, la DSFM a également il y a 25 ans, il y avait peu de nouveaux
et ce dès les premiers pas des élèves créé un poste d’agent culturel à temps arrivants. Ensuite, beaucoup de chemin
nouveaux arrivants. « Lors de l’inscrip- plein. Et depuis environ trois ans, il y a a été parcouru avec des sessions
tion, on établit le profil de tous les élèves, également une personne à mi-temps. professionnelles et des personnes comme
explique Daniel Préteau, directeur adjoint Les agents voyagent d’école en école. Ils moi qui ont étudié à l’Université de
aux Services aux élèves de la DSFM. Et sont chargés notamment de discuter et Saint-Boniface en éducation.
pour les nouveaux arrivants, nous leur répondre aux questions des enseignants
posons aussi des questions sur leur école « Une personne qui a connu les mêmes
et du personnel. Ils sont surtout
et leur vie dans leur pays d’origine. » présents en ville, où il y a un plus gros réalités que les élèves est une vraie force,
En 2018 et 2019, plusieurs formations besoin de soutien et de conseils. notamment pour nouer des relations avec
professionnelles ont été organisées pour les familles. Elles viennent de systèmes
comprendre les réalités des nouveaux Des enseignants scolaires différents où parfois, le parent est
arrivants. « La formation a aussi permis de moins impliqué. Alors, il est important
comme référents qu’elles comprennent les attentes du
comprendre l’importance de nos choix de
mots et d’expressions. Nous n’avons pas Pour Mireille Kazadi, elle-même système canadien et de leur expliquer
tous les mêmes références culturelles. » arrivée de la République démocratique comment elles peuvent s’impliquer dans
Mireille Kazadi, directrice de l’école du Congo, « c’est important d’avoir de la scolarité de leur enfant. Au final, c’est
Taché, qui accueille des élèves issus de la diversité à tous les niveaux pour l’élève qui sera gagnant. » ◗
diverses cultures, précise que « chaque répondre aux besoins des nouveaux
cas est particulier et que ces formations arrivants et que les équipes scolaires
offrent les bases nécessaires ». L’adap- ressemblent aussi à la francophonie de
tation et l’inclusion culturelle passent la DSFM d’aujourd’hui.

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : L’IMPORTANCE DE LA CONSTRUCTION IDENTITAIRE


Magazine
55

Virginia Valdivia Rodriguez, 36 ans,


est arrivée du Pérou à Winnipeg avec son mari
et leurs deux garçons en juin 2018.
par maThilDe errarD

« Lorsque nous sommes arrivés au Manitoba, nos enfants parlaient


espagnol et n’avaient que quelques bases en français. La DSFM a
accepté de les accompagner et de mon côté, je pouvais les appuyer
en français. Pedro Pablo, 13 ans, est en 8e année au Collège Louis-
Riel et Leonardo, neuf ans, est en 4e année à l’École Taché. La
DSFM leur a donné tous les outils nécessaires. J’ai pu rencontrer un
conseiller pour discuter du plan pour Pedro Pablo au Collège.
Au début, ça été difficile pour Pedro Pablo de s’intégrer dans sa classe
puisque pendant sa première année, il a suivi une remise à niveau en
français dans un autre groupe, avec des enfants de différents âges. Il
avait donc peu d’opportunités de participer à des travaux de groupes
avec sa classe. Il a tout de même pu suivre les cours de maths grâce
à des auxiliaires. La DSFM a même trouvé une auxiliaire originaire
du Honduras pour quelques mois.
Aujourd’hui, ça se passe mieux, il a beaucoup progressé et a
photo : Marta Guerrero
complètement intégré sa classe depuis la rentrée de septembre 2019.
Il sait aussi que si besoin, le conseiller est toujours disponible pour
répondre à ses questions. » ◗ leonardo reategui, pedro pablo Valdivia et Virginia Valdivia rodriguez.

Nathalie, originaire de France et Mark Roche,


anglophone, forment un couple exogame.
Ils ont décidé d’inscrire leurs filles à la DSFM.
par maThilDe errarD

« Pour moi, c’était évident que mes filles vivraient en français, lance
Nathalie Roche. À la naissance de Chloé, Mark a commencé à
apprendre le français. Il est même devenu professeur dans une école
d’immersion à double voie. Je suis très admirative!
Aujourd’hui, on parle tous en français au quotidien. On ne diabolise
pas l’anglais pour autant. Les grands-parents paternels et quelques
amis sont anglophones. Chloé est bilingue et Léa nous comprend
et commence à prononcer quelques mots.
Ça restait important pour moi de s’assurer que le français ne soit pas
juste pratiqué dans l’unité familiale. Dans une école anglaise ou
d’immersion, Chloé aurait davantage parlé en anglais et j’imagine
qu’elle aurait peut-être été réticente à discuter en français à la maison.
Et puis, je me serais sentie seule pour leur apprendre le français. Là,
photo : Mathilde Errard c’est plus simple. Je sais que plus tard, Léa et Chloé auront le choix
de faire leurs études en français ou en anglais. » ◗
Nathalie et son mari, mark roche et leurs filles, léa, trois ans et chloé, six ans.

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : L’IMPORTANCE DE LA CONSTRUCTION IDENTITAIRE


56

L’U S B ,
PIERRE ANGULAIRE DE L’AGRANDISSEMENT
DE L’ESPACE FRANCOPHONE
Microcosme de la francophonie manitobaine,
l’Université de Saint-Boniface (USB) accueille en ses murs tous les visages de la francophonie.
par camille harper « C’est important de leur donner l’opportunité
de créer des liens et l’intérêt d’être et de travailler

P
eter Dorrington, vice-recteur à ensemble. Ici, c’est la meilleure chance de le
l’enseignement et à la recherche, affirme faire », ajoute Peter Dorrington.
que « pour agrandir l’espace francophone,
l’éducation est depuis toujours la pierre angulaire. Et, depuis plusieurs années, plus de la moitié des
étudiants internationaux diplômés de l’USB
photo : Dan Harper
Il faut un continuum éducatif en français de la
petite enfance au postsecondaire ». dépose une demande de résidence permanente
au Manitoba. Selon la province, la catégorie des
Ce continuum, l’USB travaille sans relâche à le
travailleurs qualifiés au Manitoba — dont les
renforcer pour que le français soit la réponse
logique pour tous les francophones. « On a une que viennent bon nombre de chefs de file étudiants détenant un permis d'étude font partie
collaboration de plus en plus étroite avec la francophones, et ce dans tous les domaines. On — démontre actuellement un taux de rétention
DSFM. Depuis deux ans, nous travaillons aussi a un rôle d’avant-garde à jouer pour prévoir les de plus de 85 %.
pour développer un continuum en français besoins. » Diplômée de l’immersion, Jordyn White est en
ont des programmes d’immersion. »
langue seconde avec les divisions scolaires qui
Microcosme 3e année du baccalauréat en arts. « Grâce à mon
de la communauté expérience à l’USB, je me sens plus intégrée à la
À l’autre bout du continuum,l’USB a également communauté francophone car j’ai été invitée à
lancé en 2019 un projet de 6,15 millions $ pour Peter Dorrington le souligne, « l’USB est participer à des évènements en français, j’ai des
la construction d’un centre d’apprentissage et de l’un des seuls espaces où tous les éléments amis francophones, et j’ai des opportunités de
service de garde sur son campus. de la francophonie se côtoient en nombres pratiquer mon français. Je me suis fait beaucoup
Par ailleurs, l’USB a acquis en 2011 une importants chaque jour : étudiants franco- d’amis à l’USB qui m’ont acceptée avec mon
crédibilité supplémentaire comme pilier de la manitobains, franco-métis et anglophones, français comme il est. »
communauté quand l’établissement est devenu résidents permanents et étudiants interna-
une université, confirmée par la Loi sur l’appui tionaux, on a là toutes les composantes Pour sa part, Cabrel Brémault, en 1re année au
à l’épanouissement de la francophonie manitobaine d’une grande francophonie. » programme d’administration des affaires, est
de 2016. Sophie Bouffard, rectrice : « L’USB natif de La Broquerie et diplômé de la DSFM.
En effet, la population étudiante de l’USB se
est la seule université de langue française de Il apprécie la diversité francophone à l’USB :
répartit comme suit : 33 % de finissants de la
l’Ouest canadien. Il y a un statut, un poids, une DSFM, 36 % de finissants de l’immersion, « La plupart des étudiants de ma classe sont de
légitimité qui viennent avec ça. 9 % de résidents permanents et 21 % d’étu- provenance internationale et on s’entend très
« Aujourd’hui, on négocie d’égal à égal avec diants internationaux. De plus, de ce groupe, bien. J’ai créé des amitiés solides. Ça renforce
l’Université du Manitoba et on est responsable 11 % des étudiants sont d’origine métisse ou ma fierté francophone. Ces liens, je suis certain
de conceptualiser nos programmes. C’est d’ici autochtone. que je les garderai après l’USB. »

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : L’IMPORTANCE DE LA CONSTRUCTION IDENTITAIRE


L’impact
sur les espaces
L’afflux d’étudiants de tous les volets de la
francophonie se voit dans l’évolution des espaces
à l’USB depuis les années 2000. Christian
Perron, directeur du recrutement et des services
aux étudiantes et étudiants, en fait la liste : « En
2002, nous avons créé le Centre étudiant
Étienne-Gaboury, pour que les étudiants aient
un lieu pour se rencontrer et se détendre, mais photo : Marta Guerrero
c’est aussi une place de rassemblement pour la
communauté.De même,notre salle de spectacle les étudiants de l’USB représentent bien toute la francophonie manitobaine.
Martial-Caron est devenue un véritable espace
Sur la photo, de gauche à droite : cabrel Brémault, Vicky Tshibasu, alex Gagon, Nikita Dornez et Jordyn White.
culturel pour la communauté francophone.
«  L’USB a aussi fait l’achat de résidences
arrivants francophones ne parlant pas ou peu travail, pour assurer la formation de personnel
étudiantes en 2005 pour loger ses étudiants
l’anglais, ainsi que le vieillissement de la compétent dans les garderies francophones.
internationaux. Et en 2008, on a créé le Bureau
population, le besoin de services de santé en Christine Mahé-Napastiuk explique : « Ce
international pour mieux les accueillir, les
français est devenu de plus en plus criant. programme permet aux personnes qui
encadrer. »
En 2011, l’USB a donc construit le Pavillon travaillent en garderie d’obtenir leur niveau II
Par ailleurs, la présence d’équipes sportives
Marcel-A.-Desautels qui abrite les programmes tout en occupant un poste à temps plein dans
dynamiques, les Rouges, contribue à
de sciences infirmières et des sciences de la santé, un service de garde.Il vient répondre à un besoin
l’agrandissement de l’espace francophone car
où les étudiantes et les étudiants peuvent obtenir important de personnel francophone formé
« pouvoir pratiquer son sport en français, c’est
une formation rigoureuse de qualité en sciences dans ce domaine au Manitoba et contribue au
un élément clé dans le choix de l’USB ».
infirmières, en aide en soins de santé ou encore continuum de l’éducation en français dès la
L’impact en travail social. Cette même année, elle petite enfance. »
sur les programmes accueillit sa première cohorte au baccalauréat en
sciences infirmières et, en 2012, sa première De même, notons la création du programme de
cohorte au diplôme en sciences infirmières gestion du tourisme en 2000 pour appuyer
Les programmes se sont également multipliés
depuis 2000. Christine Mahé-Napastiuk, auxiliaires. l’industrie touristique au Manitoba francophone,
registraire, précise que « cette évolution s’est faite Peter Dorrington : « Ces diplômés font une ou encore l’ajout en 2011 de la majeure en études
en grande partie en fonction de la demande du différence très concrète sur le terrain. Permettre internationales dans le cadre du baccalauréat ès
marché local et de la communauté ». aux francophones de se faire soigner en français, arts, qui donne une plus grande ouverture sur le
c’est un enjeu capital. » monde et qui attire plusieurs étudiants
internationaux. ◗
Ce marché et cette communauté reflètent bien
l’agrandissement de l’espace francophone. Par L’USB offre aussi depuis 2013 le diplôme en
exemple, avec l’arrivée de nombreux nouveaux éducation de la jeune enfance – volet milieu de

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : L’IMPORTANCE DE LA CONSTRUCTION IDENTITAIRE


58

L’ESPACE
par camille harper

S
i la stratégie d’élargissement de Il y a encore du chemin à faire. Selon le
l’espace francophone a démarré en directeur général de la SFM, Daniel
2001, c’est réellement aujourd’hui Boucher : « Je connais encore trop de gens
qu’on peut saisir au Manitoba l’impact d’une en immersion qui disent qu’ils n’ont pas
telle vision. Quelque 19 ans plus tard, et à assez d’occasions de pratiquer leur français.
l’aube du 150e anniversaire de la Province, Notre langue doit être bien plus que quelque
les visages de la francophonie, de chose qu’on apprend à l’école. On le doit à
l’économie et de la scène culturelle ceux qui font l’effort de devenir
manitobaines se sont bel et bien francophones ou qui font le choix de quitter
diversifiés. leur pays pour vivre au Manitoba. Il faut leur
Les leaders de la faire encore une meilleure place parmi
communauté ont nous. »
misé sur la pleine Ibrahima Diallo ajoute : « Le drame de
continuité de l’immigrant, c’est la question des diplômes.
l’identité franco- Il est urgent de s’attaquer à ce volet ». Louis
phone, le rappro- Allain, le directeur général du CDEM
chement des familles partage son avis : « Trouvons des formules
mixtes et des personnes plus conviviales pour accélérer la
bilingues, l’immigration et reconnaissance des diplômes de nos
l’accueil des nouveaux arrivants nouveaux arrivants! »
sans oublier la sensibilisation des
anglophones. Le pari qu’ils ont pris Daniel Boucher de conclure : « Les cinq
pour contrer l’érosion linguistique et orientations de la Toile de fond sont toujours
rêver d’une francophonie plus pertinentes aujourd’hui et on va continuer.
vibrante, plus vivante et plus variée est « Toute la communauté est appelée à poser
en voie de réalisation. des gestes pour faire avancer la
La valeur ajoutée de la francophonie est assez francophonie, la langue et la culture
établie. Comme vous avez pu le lire, c’est à françaises. Tout le monde a un rôle à jouer
l’unanimité qu’ont été votées la Loi 5 sur pour s’assurer d’être plus inclusif, plus
l’Appui à l’épanouissement de la francophonie ouvert, sans pour autant se perdre. Ça va se
manitobaine ainsi que la toute nouvelle faire dans les actions quotidiennes de
politique municipale de la Ville de Winnipeg chaque groupe, chaque organisme. Il n’y a
pour élargir les services en français. pas de formule magique. » ◗
Toutefois, il faut rester vigilant. Comme le
rappelle l’ancien président de la SFM,
Ibrahima Diallo, « tout cela est quand même
très fragile. La preuve, c’est la perte du
Bureau de l’éducation française en 2018 ».

ÉLARGIR L’ESPACE FRANCOPHONE : EN CONCLUSION


BE SMART
READ FRENCH
n e z - v o u s !
Abo n
la-liberte.ca

Vous aimerez peut-être aussi