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Temps et lieux d’histoires bouddhiques

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Temps et lieux d’histoires bouddhiques 59

Temps et lieux d’histoires bouddhiques


À propos de quelques « chroniques » inédites du Lanna

François LAGIRARDE *

Lorsqu’en 1993 David Wyatt présenta « The Case for the Northern Thai Chronicles » –
une défense en faveur des tamnan ou ce qu’il est convenu d’appeler les chroniques
traditionnelles de l’ancien royaume du Lanna –, cet historien de la Thaïlande entendait
mettre en évidence le désintérêt des scientifiques pour ce vaste ensemble de textes et
plaider pour leur revalorisation dans les études historiques 1. Il était temps, selon lui, de
leur rendre enfin justice, justice académique, cela va de soi, suggérant de poursuivre la
recherche sur les traces de pionniers tels que Camille Notton ou Sa-gnuan Chottisukharat.
L’un et l’autre avaient en effet publié, entre les années 1926 et 1972, d’excellentes pré-
sentations et traductions des tamnan parmi les plus importants, destinées à un lectorat
thaï et international.
Cet appel passionné de David Wyatt fut bien reçu, sans doute parce qu’il était fort
juste et déjà passablement dans l’air du temps. Dans les années qui suivirent, un nombre
important de titres furent édités dans une version en thaï moderne à partir des manuscrits
en caractères tham (ou écriture phuen mueang). La célébration du 700e anniversaire de la
fondation de Chiang Mai en 1996 donna en outre l’opportunité à de nombreux chercheurs
de publier et de diffuser leurs travaux 2.
À la même époque, un bel effort fut également entrepris dans la restauration et le cata-
logage des manuscrits sur feuilles de latanier (bai lan) qui sont le support par excellence
de ces tamnan. Les manuscrits, pour la plupart, sont conservés dans des bibliothèques de
monastères réparties dans toutes les provinces du nord de la Thaïlande. Leur inventaire n’a
cependant été que partiellement achevé et il reste beaucoup à faire : trop de bibliothèques
monastiques n’ont jamais été visitées par les experts tandis que le produit de leurs missions
de conservation (catalogues, microfilms) souffre d’un accès trop restreint. Hélas, après le
passage de ces missions, les consignes de préservation données par les spécialistes aux
responsables des monastères n’ont pas toujours été suivies et, pire encore, les manuscrits

* Maître de conférences à l’EFEO.


1. Une démarche analogue avait été faite à propos des chroniques royales birmanes par Htin Aung
(voir Burmese History before 1287: A Defense of the Chronicles, Oxford, The Asoka Society, 1970).
2. Je ne citerai ici que les principaux : Aroonrut Wichienkeeo, Bamphen Rawin, Volker Grabowsky,
Hans Penth, Sarasawadee Ongsakul, Sommai Premchit, Donald Swearer, Udom Roongruansri.

Bulletin de l’École française d’Extrême-Orient,  () p. -


60 François Lagirarde

continuent de disparaître 3. Ceci étant dit, le fait que les manuscrits soient encore in situ
ne présente pas seulement des risques, c’est aussi une opportunité pour le chercheur qui
peut ainsi examiner des documents dans un environnement encore révélateur de leurs
conditions de production, d’usage et de conservation à une période qui se situe entre le
début du XIXe siècle et le milieu du XXe siècle.

Les notes qui suivent ont pour but d’évoquer le contenu de certains tamnan inédits
comme une sorte de réponse, certes tardive, à l’appel de David Wyatt 4. Celle-ci s’ac-
compagne d’une série de questions, non pas pour revenir sur les bons sentiments affichés
depuis vingt ans dans le domaine de l’historiographie du nord de la Thaïlande, mais pour
affiner ou « tempérer » la définition des tamnan à la lumière de textes anciens qui n’ont
pas encore été étudiés. Car ces textes ne consolident pas tant notre vision de l’historio-
graphie du Lanna qu’ils ne questionnent notre capacité à les reconnaître comme un genre
bien précis. Entre deux extrêmes – le pur rapport d’événements dynastiques et le conte
merveilleux –, les tamnan apparaissent en général comme des récits très imagés destinés à
être lus publiquement dans un but édifiant : le recueil méthodique des éléments historiques
et de leurs coordonnées géographiques – le « fait local » – semble souvent secondaire,
presque « enfoui », par rapport à l’effet textuel et didactique recherché dans l’élaboration
de la part fictionnelle du récit. Nous verrons cependant qu’il n’est plus possible d’abor-
der les tamnan directement à partir de leur fonction instrumentale, rituelle, à l’intérieur
d’idéologies religieuses et politiques dominantes : on ne peut tout simplement plus les
écouter dans le contexte qui fut le leur. Comme il n’est sans doute pas possible non plus
de les considérer a priori, et selon des standards occidentaux, comme des annales qui
relateraient les événements d’une façon factuelle, neutre, et pour tout dire « objective » 5,
que nous reste-t-il, sinon l’analyse philologique, qui nous permettra seule de les apprécier
comme des types de perception du passé 6 ?

Un genre mal connu, une histoire vue dans sa dépendance, des récits complexes
Premières difficultés : corpus, datation, paternité
Si les problèmes de conservation des documents et d’accès aux textes demeurent
d’actualité dans les études thaïes du Nord, il en va de même pour ce qui les prolonge
naturellement, l’étude philologique des manuscrits en général et des tamnan en parti-
culier. Dans ce seul genre de littérature, le bilan du renouveau des études sur le Lanna 7

3. C’est un fait que j’ai constamment vérifié sur le terrain, mais il s’agit plus souvent d’emprunts non
suivis de retour que de vols à proprement parler. Toutes ces remarques sont inspirées par l’expérience
directe acquise dans le cadre du projet de numérisation des manuscrits du Lanna (EFEO Bangkok) que
je dirige depuis 2005.
4. Dans l’article en question, D. Wyatt ne cite en fait substantiellement que deux tamnan, la chronique
de Chiang Mai et celle de Nan.
5. Le plus remarquable exemple de catégorisation douteuse demeure celui des Phongsawadan Nuea
compilées en 1817 à Bangkok sur la base de documents probablement disparus. Ce ne sont en fait ni des
annales (phongsawadan), ni des textes sur le nord (nuea) du pays. Elles font partie intégrante, cependant,
du très officiel Prachum Phongsawadan Chabap Kanchanaphisek (Bangkok, 2539).
6. Cette expression vient de l’ouvrage Perceptions of the Past édité par A. Reid et D. Marr (1979).
7. Le mot Lanna est ici pris dans son sens moderne (région du nord de la Thaïlande, considérée
depuis la période d’Hariphunchai en passant par celle de Mangrai et jusqu’au XXIe siècle) et non pas
dans le sens historique restreint qu’il a pu avoir (le royaume de Chiang Mai appelé peut-être ainsi dès
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doit être nuancé. Aujourd’hui, le corpus des tamnan peut être estimé à plus de 230 titres
(selon nos propres investigations). Une liste de 206 d’entre eux a été présentée par Udom
Roongruansri dans l’Encyclopédie de la culture thaïe : la région Nord (Udom 2542a). Les
quelques dizaines de chroniques bien étudiées ne peuvent donc prétendre nous donner
une idée globale du genre auquel elles appartiennent ni nous renseigner véritablement
sur l’ensemble des textes, de leur contenu et de leurs intentions 8. Si les « grandes »
chroniques sont désormais relativement bien connues – on pense en particulier à la
chronique de Chiang Mai –, c’est surtout parce qu’elles écrivent l’histoire des dynasties
des principautés ou domaines royaux (les mueang du Lanna et leurs relations avec les
royaumes voisins, Ayutthaya en premier lieu). C’est bien entendu leur valeur politique
et leur exactitude chronologique qui ont avant tout retenu l’attention des chercheurs 9.
Mais ces chroniques sont rares, voire exceptionnelles... Il convient de noter, au passage,
que « chronique » traduit aussi bien, dans les études thaïes ou siamoises, le terme tamnan
que le terme phongsawadan, mais comme il n’y a pas de phongsawadan au Lanna, pour
nous, évoquer les chroniques du Lanna signifie obligatoirement se référer à des tamnan
ou des phuen, ce dernier terme étant plus exclusivement réservé aux tamnan mueang
(Sarassawadee 2005 : 4) 10.

Les premières questions qui se posent naturellement sont celles de la datation et de


la paternité des textes écrits 11. La réponse est rarement simple quand elle existe car nous
n’avons généralement à notre disposition que des informations sur les manuscrits et les
copistes. Les colophons mentionnent de préférence la date de gravure du manuscrit, le
nom du scribe et le nom du donateur bénéficiaire du mérite produit par cette pieuse action.
La grande majorité des manuscrits à notre disposition ont été gravés au XIXe siècle et au
début du XXe siècle. Pour certains textes, très rares, on connaît le nom de l’auteur, éven-
tuellement un grade monastique, sans autre détail, encore plus rarement apprend-on le lieu
et la date initiale de composition. Seule une lecture attentive des textes suggère parfois
une période, voire une date de composition originale lorsque le récit-fleuve devient tout
à coup précis, localisé, ponctuel. L’originalité des textes est par ailleurs bien difficile à
délimiter puisque citations et emprunts multiples font souvent de nos tamnan de complexes,
sinon savantes, compilations. Un seul tamnan porte rarement un seul texte : soit qu’il
mette bout à bout des séquences temporelles successives (une chronique continuée par

la fin du XIVe siècle et dont le nom, lān2nā, signifiait « un million de rizières », orthographe attestée par
l’épigraphie du XVIe siècle [Penth 1980 : 128]).
8. Aux textes strictement présentés comme tamnan, il faut associer certains autres qui ne portent
pas – ou pas toujours – ce terme générique. Par exemple la (ou les) Mūlasāsanā, les Anāgatavaṃsa,
le Thupavaṃsa, etc.
9. Le supérieur du monastère du Wat Sung Men (Phrae) nous a d’ailleurs signalé que la popularité de
ces chroniques des principautés était proportionnelle à leur disparition et que bien des titres manquent
désormais à la bibliothèque de ce monastère, la plus importante du nord de la Thaïlande.
10. L’objectif premier des phongsawadan du Siam était de servir à l’éducation des princes, à la construc-
tion idéologique des royaumes, à la validation des dynasties et à l’explication des politiques étrangères
(conflits régionaux). La tradition des phongsawadan remonte au XVIIe siècle mais les historiens travaillent
sur des copies manuscrites et des compilations plus récentes. Si les tamnan mueang partageaient aussi
partiellement ces objectifs, les tamnan des sites, des personnages ou des mouvements religieux avaient
surtout pour but de relater et de construire l’image religieuse de ces lieux, personnages ou mouvements.
11. Pour les manuscrits qui en sont les supports, le plus ancien en feuilles de latanier date de 1471
(Penth 2540 : 61) mais la plupart des collections présentent des copies de copies qui s’étalent du XVIIe au
XXe siècle ; plus les manuscrits étaient lus, plus ils se détérioraient et plus ils étaient recopiés.
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plusieurs générations d’auteurs), soit qu’il « rapproche » plus ou moins différents textes
pour en présenter un nouveau. Certains experts ont recours au concept d’intertextualité
pour expliquer ce phénomène de grande ampleur dont on connaît mieux l’étendue et la
« multidirectionnalité » (Skilling 2007a : 91).
Mais l’histoire de nos textes n’est pas seulement une histoire de l’écrit. Il y a bien
entendu des pans entiers de cette littérature religieuse et historique qui trouvent leur
origine dans le stock de la littérature orale locale. De nombreux éléments de celle-ci ont
sans aucun doute été fixés par l’écriture à un certain stade pour ensuite être diffusés à
nouveau par voie de prêche, quitte, ultérieurement, à inspirer de nouveaux textes. Ceci
partiellement à l’instar de la notation finale, noir sur blanc, des textes en pāli mémorisés
et véhiculés par la voie d’excellence de récitants ou bhāṇaka, des moines entraînés à
des performances de mémorisation exceptionnelles (Veidlinger 2006 : 2) 12. Il est tout
à fait permis de supposer que les tamnan ont sans doute été longtemps « portés » par
des générations de maîtres anonymes infiniment soucieux de l’exactitude de ce qu’ils
transmettaient avant d’être couchés sur les ôles que nous connaissons. En fin de parcours,
c’est-à-dire au XIXe siècle, le phénomène a probablement commencé à se ralentir pour
s’éteindre au siècle dernier.

Hans Penth a souligné les limites intellectuelles et l’absence de sens critique et his-
torique des chroniqueurs, qu’il présente comme de simples archivistes et compilateurs
(Penth 2540 : 63). Ce dur jugement se tempère par la reconnaissance du fait que le
manque d’imagination ou d’inspiration est une garantie de fidélité aux textes appris ou
lus. Dans ce sens, les textes du Lanna seraient fiables et, s’ils sont difficiles à lire, c’est
sans doute toujours un problème de compétence philologique plutôt qu’un problème de
corruption des textes. Mais si l’on dédaigne ainsi l’aspect créatif, textuel et fonctionnel de
nos chroniques, qu’en reste-t-il alors ? Car ces textes sont de bien piètres archives qui ne
répertorient que peu de choses, ne comptabilisent aucune opération, ne conservent aucun
acte, sauf cas exceptionnel… Les documents à caractère technique semblent résolument
absents des tamnan alors qu’ils inspirent un bon nombre d’inscriptions.

Il est pourtant vrai que des difficultés majeures, d’ordre à la fois linguistique et culturel,
déstabilisent fréquemment le lecteur moderne des tamnan : l’une d’elles est l’impossible
adéquation entre le temps grammatical et le temps du récit. Le thaï, langue isolante, ignore
toute flexion – et donc toute conjugaison des verbes qui n’indiquent par eux-mêmes
ni temps, ni mode, ni aspect, en n’obéissant à aucune concordance des temps. Seules
de simples particules opèrent comme indicateurs des temps futur et passé et du mode
conditionnel. Il est ainsi fort difficile de poser les repères temporels du texte 13 car il ne
faut pas oublier que, dans l’optique du « chroniqueur », les textes ayant été la plupart du

12. Cet article traite essentiellement d’une littérature en thaï du Nord et se doit donc d’adopter la
convention de transcrire les termes thaïs (T.), y compris venus du pāli (P.) ou du sanskrit (S.) suivant leur
prononciation locale et selon la méthode de l’Académie royale (dite « Rachabandit »). Malheureusement
les choses ne sont pas toujours aussi simples et une multitude de facteurs (citations d’auteurs, utilisation
délibérée de termes indiens savants par les textes vernaculaires, universalité d’une prononciation classique
sur la prononciation locale [par ex. P. et S. Buddha contre T. Phut ou Phutha]) nous obligent parfois
à négliger cette règle. Ceci étant dit les termes thaïs ne seront ici qu’exceptionnellement translittérés.
13. Il est vrai que certains lecteurs thaïs répondront qu’il s’agit d’un problème d’acculturation ou
d’ignorance, les modernes Thaïlandais et les étrangers ne percevant pas toutes les subtilités et implica-
tions du texte. C’est sans doute partiellement vrai mais fort difficile à démontrer.
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temps dits par le Buddha, toute histoire est d’abord bouddhologie, à savoir l’histoire du
Buddha et du développement de son enseignement dans un cycle temporel donné. Une
place importante est donc accordée aux prédictions et le « chroniqueur » se retrouve avec
la charge délicate d’harmoniser l’histoire du futur énoncée par le Buddha avec l’histoire
du passé de la société à laquelle il appartient. Comment y parvenir ? La solution n’est
pas simple, à la fois au niveau de la langue et au niveau du récit. Non seulement, pour
reprendre l’expression de Charles Duroiselle (1905 : 152), le « chroniqueur » recourt à une
« géographie apocryphe » ou « factice », mais il doit combiner faits mythologiques et faits
historiques pour construire son texte. Ces impératifs culturels ont rarement été reconnus
par les premiers observateurs occidentaux pour ce qu’ils sont. Le même Duroiselle, à
propos du cas birman, très proche de celui du nord de la Thaïlande, n’avait pas de mots
assez durs contre « des historiens, qui ne pouvaient trouver mieux, pour flatter la vanité
religieuse et la fanfaronnade des souverains, que de les faire régner sur des états rappelant
à chaque pas la vie du Buddha et l’histoire ancienne du Bouddhisme » (ibidem : 153).
Statut et rôles des textes
Les textes de tamnan, dans leur ensemble, sont généralement considérés par les
historiens thaïs comme étant « historiographiques » (Anan 1976 et Winai 1983) ou
relevant d’une « histoire locale » (Dhida 1982). Ces historiens suivent donc la première
classification de Cœdès qui dressait vers 1923 une « liste des chroniques et autres
documents relatifs à l’histoire du Laos yuen [le Lanna] » en regroupant tamnan mueang
(chronique des principautés) et tamnan « religieux ». Au total, Cœdès avait retrouvé,
à la Bibliothèque nationale de Bangkok, une soixantaine de titres, en y incluant les
phongsawadan qui sont des compilations de tamnan en siamois moderne (Cœdès 1925 :
172-174). Cœdès attribuait cependant une valeur documentaire discutable à ces deux
classes de textes qui, selon lui, avaient « souffert [...] des remaniements successifs et
de la négligence des scribes » (ibidem : 3). Il soulignait par ailleurs le fait que les chro-
niques bouddhiques en pāli (et, à l’évidence, certains tamnan en thaï du Nord) ont pour
principal objectif « de faire converger tous les fils de leur narration vers la secte ou le
couvent dont il importe de prouver l’orthodoxie » (ibidem : 11), autrement dit, qu’un
des rôles des chroniques consistait à participer à la construction idéologique du boud-
dhisme cinghalais, à la déconstruction de traditions antérieures voire à des tentatives de
conservation d’anciens nikāya.

La définition des tamnan est un exercice délicat qui a toujours sa raison d’être
puisqu’il a été entrepris avant le dépouillement de toutes les sources disponibles. Un
premier essai fut proposé par David Wyatt (1976 : 109-111), qui traduisait tamnan par
« chronicles », avec des guillemets, pour en montrer l’originalité et la diversité tout en
leur accordant le statut de source historique (« Tamnān History »). Sans manquer de
souligner que le terme tamnan possède bien le sens d’histoire (« story ») ou de légende,
David Wyatt présentait trois types de tamnan : ceux du passé lointain (« tamnān of the
distant past »), les histoires universelles (« universal histories ») et enfin, les tamnan des
monuments religieux (« monumental tamnān »). Cette classification réunit des textes
très différents, en particulier dans la catégorie « histoires universelles » dans laquelle se
trouve un admirable exemple d’historiographie thaïe du Nord, la Jinakālamālī, qui est
le texte en pāli d’un manuscrit d’Ayutthaya recopié au début de l’ère Ratanakosin (fin
XVIIIe siècle) : c’est certes une chronique exceptionnellement riche – ici aucun doute sur
le terme – écrite sur l’histoire religieuse du Lanna mais ce n’est pas un texte se présentant
64 François Lagirarde

comme tamnan. La définition de ces derniers doit-elle d’abord porter sur la langue dans
laquelle ils ont été composés ? C’est une question qui a été largement délaissée, sans
doute parce que les chroniques en pāli sont si peu nombreuses qu’elles ne constituent pas
un genre en soi, d’autant plus que certaines sont probablement des traductions de textes
originellement en thaï du Nord 14.
Dhida Saraya, dans une petite monographie intitulée Tamnan and Tamnan History
(1982 : 115-116), a tenté une autre classification. Elle associe tamnan et tamnan-prawattisat
(« tamnan history ») et justifie la présence de mythes à valeur historique dans l’historio-
graphie traditionnelle en arguant du fait qu’ils révèlent des événements culturels impor-
tants, historiques par eux-mêmes. Elle présente quatre types de tamnan : les tamnan nous
renseignant sur la géographie historique de la région du Nord ; les tamnan qui évoquent
le « développement » des peuples ; les tamnan qui concernent les monuments religieux,
les reliquaires en particulier ; les tamnan qui concernent les principautés (mueang). Ce
point de vue reflète bien l’embarras des historiens thaïs, pour lesquels le mot tamnan
est encore chargé de connotations péjoratives (Wyatt & Aroonrut 1995 : xxxii). Donald
Swearer, quant à lui, a présenté une bonne palette de définitions du terme tamnan dans un
certain nombre de ses œuvres, en particulier dans The Legend of Queen Cāma (Swearer
& Sommai 1998, 3-6). En passant par la catégorie folklore (« Tamnan can be classified
as folklore », Swearer, Sommai & Phaithoon 2004 : 38), il a fini par adopter le terme
monograph (2006: 282) ce qui implique que chaque tamnan porte sur un sujet précis.
Or, ce n’est pas toujours le cas.

La définition des tamnan, liée à l’évaluation un peu forcée d’un contenu historique
fuyant, a donc été une entreprise malaisée. Cette tendance assez méthodiquement observée
pendant un siècle d’orientalisme s’est sans doute affirmée au détriment d’une approche
textuelle susceptible de mettre en évidence les fonctions rituelles, morales et idéologiques
des tamnan.
Quelques historiens contemporains (Wolters 1999 : 68 ; Legge 1999 : 2) soulignent
la nécessité d’une double lecture mesurée des sources d’Asie du Sud-Est, contenant et
contenu, pour éviter toute funeste précipitation de « word to world », comprendre ici le
fait de ne pas négliger le texte en tant que texte – lu et souvent dit publiquement – pour
n’en considérer que la fonction documentaire 15. Dans ce sens, il est sans doute préfé-
rable de lier la définition des tamnan à la pleine compréhension de leur style et de leur
structure. Le style est celui d’un type de narration particulier nourri d’éléments boud-
dhologiques susceptibles d’être communiqués à un auditoire général. La structure est celle
qu’implique le cadre mental du narrateur imaginant l’espace et le temps à partir de son
double environnement littéraire et social. Nous n’évoquons ce mystérieux auteur original
qu’avec d’infinies précautions puisqu’il s’efface et laisse vite la parole, dans la chaîne
de transmission des textes, à des prêcheurs-raconteurs qui ont peut-être été eux-mêmes
revus et corrigés par de nouveaux auteurs. Dans cette narration, les grands axes théma-
tiques proposés ci-dessus (géographie, populations, monuments et « mémoire » religieux,

14. C’est un point qui mériterait d’être développé mais qui dépasse largement le cadre de cet article.
Donnons tout de même l’exemple de la Cāmadevīvaṃsa, traduite en 1411 de n. è. de la deyyabhāsa
(phasa thai = la langue thaïe) en bhāsa paḷībyañjana akkhara (le pāli et les lettres qui peuvent l’écrire)
et qui représente le plus bel exemple de transformation d’un tamnan en vaṃsa (Penth 2540 : 69).
15. Il s’agit d’une expression de Jonathan Culler reprise par O. W. Wolters dans son chapitre « Local
Literatures » (ibidem : 2). L’anglais permet d’opposer, sur le sujet, les verbes record et perform d’une
façon particulièrement convaincante.
Temps et lieux d’histoires bouddhiques 65

principautés) sont bien sûr tous présents. Ce style n’est pas celui des chroniqueurs occi-
dentaux du Moyen Âge, mais celui de moines bouddhistes ou d’érudits laïques – anciens
moines eux-mêmes – compilant, traduisant et composant dans les monastères. Leur but
fut toujours d’évoquer un calendrier religieux, de présenter les lieux où ce calendrier est
et sera pertinent et enfin de mettre en scène des acteurs réels ou fictifs, « usagers » de ces
unités prédéfinies. C’est ensuite et dans ces conditions que se fait – peu ou prou, voire
pas du tout – l’évocation de faits de société « authentiques ».

Définir les tamnan consiste donc à se rendre mieux compte de l’usage social qui en
était fait et qui se maintient de plus en plus rarement et difficilement dans l’organisation
moderne des monastères par voie de prédication (thesana ou thet). Les tamnan religieux
ont été et continuent parfois d’être lus de façon cérémonielle par les moines lors de réu-
nions publiques convenues à certaines occasions (fêtes bouddhiques nationales, régio-
nales, célébrations locales à l’échelle de la communauté villageoise ou familiale) 16. Le
succès de ces lectures publiques était sans doute très important car l’écoute des tamnan,
apportant un subtil mélange de récits merveilleux, de leçons de morale, d’informations
politiques et historiques, de considérations sur des événements locaux et d’interrogations
sur le futur, amenait l’auditoire, par le plaisir évident du texte, sinon à s’impliquer, du
moins à s’interroger à la fois sur leur situation personnelle (« karmique ») et leur rôle
dans le développement du mueang. Il va sans dire que d’autres médias ont de nos jours
pris le dessus 17.
Cosmologie d’abord, histoires ensuite
Dans un article très factuel, intitulé « Literature on the History of Local Buddhism »,
Hans Penth (2540) isole les rares tamnan mueang des chroniques religieuses (la Mūlasāsanā
par exemple), des chroniques des images du Buddha, des chroniques des sites religieux
et propose, pour ces dernières, le terme de myth-chronicles (ibidem : 65) 18. Il est certain
que la majorité des tamnan ne sont pas des chroniques strictement attachées à restituer
des chronologies exactes d’événements vrais. Ces textes intègrent systématiquement
des éléments merveilleux ou mythiques, ce sont donc partiellement des légendes, des
récits extraordinaires et fondateurs. Ils décrivent aussi quantité de miracles divers et de
performances prodigieuses propres aux récits des grandes traditions religieuses et entrent
ainsi dans la catégorie des « textes sacrés ». Ces derniers impliquent foi et respect de
la part d’un certain lectorat assurément peu enclin à n’y voir que des légendes. Au-delà
d’une riche thaumaturgie, les tamnan présentent encore volontiers des prophéties sur le
long terme (généralement cinq mille ans après l’époque du Buddha) ; enfin, ils adoptent

16. J’ai constaté, lors de la recherche des textes sur le terrain, qu’il existe souvent un tamnan de
référence, un texte apprécié et souvent demandé par la communauté soutenant tel ou tel monastère. Par
exemple, dans le Wat Ban Pang (Li, Lamphun) dédié à la mémoire de Khruba Siwichai, le Tamnan Ang
Salung Chiang Dao demeure un succès considérable. Il est régulièrement prêché à partir du manuscrit
original dans le monastère ou encore lu à partir de ses versions typographiées en thaï moderne lorsque
les moines se rendent dans les maisons villageoises.
17. Les recherches récentes de J. McDaniel (2008) sur l’enseignement monastique au Laos et en
Thaïlande apportent un éclairage considérable sur la question de l’usage des textes vernaculaires dans
un contexte pédagogique ainsi que sur leur nature évolutive, proche de celle des tamnan. On lira avec
un intérêt tout particulier ses réflexions sur la pratique historique des homélies et sermons dans les
monastères de la région.
18. Il inclut cependant les chroniques de Chiang Mai et de Nan dans son catalogue de la littérature
bouddhique du Lanna (ibidem : 70 et 77).
66 François Lagirarde

parfois la forme de jātaka non-canoniques pour évoquer des vies antérieures de person-
nages éminents.

À l’égard de ces aspects profondément spirituels et thaumaturgiques, le Tamnan


Phra Thakkhinamoli That (2543) apparaît comme l’un des plus représentatifs du genre.
À l’instar de beaucoup d’autres tamnan, c’est une chronique de reliquaire (phra that) qui
s’attache à décrire les actes fondateurs – hautement vénérables – d’un site particulier.
On est ainsi renseigné sur la visite préparatoire du disciple Mahāmoggallāna non loin
de l’actuelle bourgade de Chomthong (à une soixantaine de kilomètres au sud-ouest de
Chiang Mai), suivie de l’arrivée du Buddha lui-même prophétisant alors – pour plus de
deux siècles plus tard – la venue du roi indien Asoka qui sera l’accompagnateur de sa
relique et le défenseur des principes religieux et monarchiques susceptibles de permettre
le développement moral et politique de la région. Lorsque le roi Asoka parvient sur les
lieux, il prophétise la durée limitée de la religion bouddhique et de l’aventure « humaine »
conclues par le parinibbāna des reliques. Ces dernières sont, sinon vivantes (elles sont
« invitées » et se déplacent de l’Inde vers le Lanna et retourneront toutes seules un jour vers
l’Inde), du moins sensibles, réactives à l’état général de l’enseignement et de la dévotion
dont elles sont le témoin. Elles choisissent ainsi de se signaler s’il le faut ou encore de
rester secrètes, en attente de conditions moralement favorables à leur apparition. Elles
sont aussi, et enfin, le chronomètre d’une période dont la durée a été fixée par le Buddha.
Le Tamnan Phra Thakkhinamoli That ne devient véritablement chronique que dans
sa dernière partie, le troisième tiers du manuscrit. On y apprend alors dans quelles
circonstances, entre 1451 et 1479, fut entreprise la première construction d’un wihan
(vihāra) suivie par l’établissement d’un monastère. En 1499 – car des dates crédibles se
succèdent enfin –, la relique Thakkhinamoli apparaît et va se loger dans l’uṣṇīṣa de la
principale statue du Buddha. Elle y restera secrètement pendant des années avant d’être
redécouverte et placée, en 1517, dans un stūpa nouvellement construit sous la commande
du roi du Lanna Phra Mueang Kaeo (Ratanarāja ou Bilakapanattādhirāja, ayant régné de
1495 à 1526). Un des épisodes les plus intéressants est celui qui raconte comment, en
1515, Phra Mahābuddhahañāṇo, un moine de forêt, commença à s’intéresser à la relique
Thakkhinamoli en lisant, précisément, une ancienne chronique alors qu’il effectuait un
séjour à Phukam (Pagan). Il comprend alors que la relique n’est plus dans cet ancien
royaume birman mais demeure cachée sur le site du monastère de Chomthong où il va se
rendre immédiatement. Souvent, les tamnan, comme c’est le cas ici, évoquent d’autres
chroniques (sont-elles des fictions ou appartiennent-elles à la littérature orale ?) afin de
montrer leur propre utilité. C’est même une fonction primordiale des tamnan : rappeler
qu’ils sont la mémoire de la présence d’un Buddha dans cette ère qui devient donc excep-
tionnelle, présence attestée par des reliques qui se perdent peut-être mais se retrouvent
assurément grâce à eux. Par ailleurs, on notera que ce Tamnan Phra Thakkhinamoli That
se réfère à un pôle de culture birmane, un trait récurrent dans les chroniques du Nord.
C’est ainsi que ces textes définissent l’extension du Jambudīpa (ou Jambudvīpa), un des
espaces de la civilisation indo-bouddhique en Asie du Sud-Est, en montrant que le Lanna
y occupe une place ultime. Il n’est cependant pas exclu que s’exprime ainsi la rivalité
entre les unités politiques régionales. La littérature religieuse en thaï du Nord est souvent
prompte à souligner le fait que ses voisins n’ont pas été capables de retenir les reliques du
Buddha. Présentés comme des lieux de transit des reliques entre l’Inde et le Lanna, ces
voisins sont-ils jugés pour leur insuffisance morale, un haut degré de vertu étant nécessaire
à la conservation des reliques ? Celles-ci apparaissent donc, dans ce contexte, comme de
Temps et lieux d’histoires bouddhiques 67

libres indicateurs de santé religieuse, sociale et politique : moralement « maltraitées » en


tel endroit elles trouveront asile dans un autre.
On comprend aisément, avec cet exemple, que ces textes soient rarement consacrés
en totalité à un présent clairement reconnaissable ou au moins à la période contempo-
raine du « chroniqueur ». Beaucoup de tamnan s’intéressent à une ère prédéfinie qui est
présentée dans son étendue passée et future : cette ère (S. kalpa ou P. kappa) est celle du
Buddha « historique » et des trois buddhas qui lui sont antérieurs. À l’autre extrémité
du temps – à la suite d’une description du déclin de la religion ou de l’enseignement
(sāsana-antaradhāna) –, le scénario de la fin est aussi écrit d’avance : c’est l’épisode du
regroupement des reliques du Buddha (ou parinibbāna des reliques), de la reconstitution
ultime mais brève de son corps dispersé puis de sa disparition définitive sur le site de
l’Éveil à Bodhgaya, juste avant l’arrivée de Metteyya (S. Maitreya, T. Si Ariya Metrai)
avec lequel débute une nouvelle ère de religion et d’histoire. Cette histoire du futur a été
codifiée dans la tradition des textes en pāli par Buddhaghosa au Ve siècle de n. è. Elle a
trouvé un écho très favorable en Asie du Sud-Est : allant de millénaire en millénaire 19
elle reste assez simple, frappante et facile à transmettre. Le problème du « chroniqueur »
réside donc plutôt dans la manière de se situer dans son propre contemporain. Car il est
là pour inclure son texte original, un message libre, dans le cadre préétabli des textes
« canoniques » ou « paracanoniques » et autres citations d’une doxa bien implantée dans
l’imaginaire. Là est son épreuve d’écriture car les faits dont il est témoin ne s’accordent
évidemment pas avec ce qu’ils devraient être. Une épreuve qu’il ne parvient d’ailleurs
pas toujours à véritablement surmonter : on verra plus loin comment, dans le Tamnan
Kapilawatthu, l’auteur mêle sans doute des éléments mythiques et historiques anciens à
des images (combats aériens ?) plutôt modernes.

Les tamnan ne se rattachent pas non plus toujours très bien aux lieux dont ils sont
issus. Ils ne font apparaître que rarement une géographie locale ou régionale assez précise
(le « chroniqueur » évoquant les lieux où il réside ou qu’il « fréquente » réellement).
L’autochtonie est souvent adaptée à la géographie du bouddhisme en général. Le point
de vue des tamnan ne se dégage jamais totalement du réseau monumental (des lieux de
mémoire et de culte que sont les monuments du Buddha et les sites de sa dernière existence
sur cette terre et dans cette ère), c’est-à-dire une géographie religieuse indienne étendue
à l’Asie du Sud-Est. Ces lieux, dont certains ont bel et bien été visités par des moines
môns ou thaïs, ne sont cependant pas décrits au présent d’un éventuel pèlerinage. On peut
citer à ce propos le cas du Tamnan Takong qui fut, au moins dans ce genre, le texte sinon
le plus célèbre, en tout cas le plus copié et recopié du Lanna 20. Ce texte, pourtant, ne
donne qu’une version en thaï du Nord de la chronique de Shwe Dagon, le célèbre stūpa
de Rangoun qui, du point de vue des littératures d’Asie du Sud-Est, aurait été fondé par
deux marchands môns ayant reçu du Buddha lui-même la relique de cinq de ses cheveux.

19. Les auteurs anglo-saxons (Chappell 1980 : 130 ; Nattier 1991 : 27) utilisent à ce sujet l’expression
timetables of decline. Il s’agit en effet d’un véritable emploi du temps ou plutôt d’un calendrier qui suit
un schéma en cinq étapes : Buddhaghosa ayant écrit approximativement 900 après le parinibbāna du
Buddha, il est facile, théoriquement, de mettre des dates aux échéances de ce déclin (VIe siècle, XVIe siècle,
etc.). Les « chroniqueurs » ont eu bien entendu toutes les difficultés du monde à faire « coïncider » ces
échéances avec leur réalité vécue. Cependant on peut encore envisager que ce calendrier ait été transmis
par d’autres sources que celles fixées par Buddhaghosa.
20. Je ne fais ici que présenter très sommairement ce texte connu sous plusieurs titres différents, dont
l’un des plus communs est Tamnan Phra Kesa That, l’histoire de la relique des cheveux.
68 François Lagirarde

Aucun détail, dans ce texte, n’a de rapport direct avec le monde thaï et cette chronique ne
vient que confirmer le respect local pour un principe historique que nous retrouvons de
façon lancinante dans les textes du Lanna : l’implantation du bouddhisme se fait avant
tout par la diffusion des reliques qui repousse les limites du Jambudvīpa, ici grâce à des
marchands môns, ce qui semble faire d’eux les agent essentiels de la bouddhisation de
la région. D’autres textes suggèrent cependant que, plus à l’est de Shwe Dagon, les that
du Lanna n’ont rien à envier à ce célèbre monument.
L’« ici » et le « maintenant » des tamnan ne se lisent qu’en fonction d’un ailleurs, d’un
jadis et d’un plus tard… Les sujets des chroniques sont décentrés, « éparpillés » dans
l’étendue du temps et de l’espace cosmique exactement comme le corps du Buddha l’est
encore dans ses vies antérieures, sa dernière existence et ses innombrables reliques. On
pourrait presque dire que l’histoire « tient » dans le corps du Buddha qui est son ordre et
sa limite. L’élément principal de l’histoire – de la majorité des histoires – est précisément
le récit de la diffusion et de la multiplication des cetiya (dont on connaît quatre sortes 21).
Il y a là une dynamique qui donne un sens à un univers dont corps (dhātu) et corpus
(cetiya du dhamma) sont en quelque sorte les porteurs. D’où la distinction faite dans les
bibliothèques monastiques entre les tamnan mueang (rares) et les buddha tamnan, ou
encore, et surtout, les tham tamnan, « récits religieux ou récits enseignant le dhamma »
tels qu’ils se présentent souvent eux-mêmes dans les colophons des manuscrits. Ces tham
tamnan exigent d’abord de lire la loi universelle (c’est elle l’histoire nécessaire), puis tous
les récits possibles qui s’engagent avec elle. Car l’histoire repose dans l’enveloppe d’une
cosmologie précise et nécessaire dont l’eschatologie n’est qu’un côté. Cette enveloppe
demeure à moitié « fermée » par de multiples symboles ou à moitié ouverte par ce que
le texte interprète et actualise de ceux-ci.

Pour contribuer à illustrer ce sujet vaste et encore incertain, je propose ici de présenter
quatre textes de tamnan restés inédits à ce jour. Il s’agit du Tamnan Pancha Puttha Sasana,
du Tamnan Mueang Rawaek, du Tamnan Kapilawatthu et du Tamnan Thammikarat 22.
Ces textes presque inconnus, qui s’enracinent dans un passé et un terroir difficiles à
définir, rendent compte de façon particulièrement étonnante de « perceptions » possibles
de l’histoire – peut-être solides comme un système –, parfois sur fond de témoignages
authentiquement chargés d’émotion 23.

Le Tamnan Pancha Phuttha Sasana (Pañca Buddha Sāsana) ou l’histoire


« cadre » des cinq mille ans de l’enseignement

Dans la tradition du Theravāda, l’histoire future du bouddhisme et de ses sociétés est


exposée suivant un calendrier du déclin qui a été détaillé, sinon imaginé, par le célèbre
commentateur Buddhaghosa (Ve siècle de n. è.) en particulier dans la Manorathapūraṇī,
son commentaire de l’Aṅguttara-Nikāya. Le même thème est également abordé dans

21. Les reliques corporelles du Buddha, les objets et sites liés à sa vie, le dhamma ou doctrine portée
par les textes, les objets de culte tels que les stūpa, les statues, les amulettes, etc.
22. Le Tamnan Mueang Rawaek a été présenté très brièvement dans un document ronéotypé (Aroon-
rut 2540) par le professeur Prasert na Nakhon. Le Tamnan Thammikarat a fait l’objet d’un article de
l’Encyclopédie de la culture thaïe : la région Nord (Udom 2542b).
23. Ainsi l’intérêt des tamnan réside dans la lecture de ces perceptions, pour reprendre une formule
de M. Vickery (1979 : 131).
Temps et lieux d’histoires bouddhiques 69

la Sumaṅgalavilāsinī du Dīgha-Nikāya, dans l’Atthasālinī de l’Abhidhamma et dans la


Samantapāsādikā du Vinaya.

Jan Nattier (1991 : 56-58) et John Strong (2004 : 221-226) ont présenté les périodes
de cet agenda – véritable scénario dramatique en cinq actes – telles qu’elles sont décrites
dans la Manorathapūraṇī (AA. 1 : 87-91). Selon ce texte, l’ère bouddhique actuelle, c’est-
à-dire la période durant laquelle l’enseignement du Buddha Gotama a été et sera effective,
est de cinq mille ans. Cinq mille ans d’une inexorable décadence allant jusqu’à la ruine
totale. Durant le premier millénaire, les disciples parviendront encore à atteindre l’état
d’arahant ainsi que les autres états de spiritualité inférieurs (sotāpanna, sakadāgāmī,
anāgāmī), mais à la fin de ces mille ans tout niveau de spiritualité ou « d’entrée dans le
courant » deviendra impossible. Cette première période sera donc celle de la disparition
de tous les « résultats spirituels » (adhigama) qui conduisent au nibbāna. Dans la seconde
période, on assistera à la disparition de la méthode (paṭipatti) et à la fin du respect des
préceptes bouddhiques. Puis, à la fin du troisième millénaire, adviendra la disparition des
textes (pariyatti). La quatrième période verra l’abandon des signes (nimitta) qui distin-
guent les moines des laïcs : les moines quitteront la robe et vaqueront à des occupations
séculaires. Le dernier millénaire sera celui de la disparition des reliques provoquée par
l’abandon croissant, puis total, de leur vénération. Lorsque les reliques du Buddha, toutes
réunies, disparaîtront sans le moindre reste par auto-combustion, ce sera la fin du dhamma.
Les Thaïs lettrés ont sans doute été imprégnés de ces textes et de leur vision pessimiste
de l’histoire à une date assez reculée 24. On peut supposer que le schéma particulièrement
frappant qu’ils véhiculent soit vite devenu la base de gloses locales, récits préchés ou
simplement contés dans les monastères : les commentaires rédigés dans un pāli précis et
technique ont connu alors la « vernacularisation » de leur contenu. Les premiers prêcheurs
se transformèrent assez vite, probablement, en « auteurs-chroniqueurs » locaux soumis à
la tentation d’écrire et de situer leur environnement dans cette histoire du futur. Ainsi se
sentirent-ils obligés de confronter leur passé et leur présent à la description de ces périodes
fixées par la tradition. C’était là, bien entendu, une tâche difficile voire impossible sans
forcer quelque peu le cadre contraignant laissé par Buddhaghosa au Ve siècle de n. è. Au
moins un millénaire sépare sans doute les « chroniqueurs » du Lanna du commentateur
et ce long millénaire décale d’autant l’agenda et les coups du funeste destin en question.

Le Tamnan Pancha Phuttha Sasana (pañca buddha sāsana = les cinq [mille ans] de
l’enseignement du Buddha) est probablement le résultat d’un de ces développements
textuels tels qu’ils ont été évoqués plus haut. Nous ne connaissons malheureusement pas
sa date de rédaction. Si ce document, ou du moins son titre, semble unique, son contenu
nous renvoie à une multiplicité d’autres textes, non seulement aux œuvres en pāli déjà
citées mais à d’autres nombreux tamnan. Le manuscrit utilisé ici est une copie datant de
1966. Le Tamnan Pancha Phuttha Sasana appartient sans doute à la même famille que
les Tamnan Ha Phan Phawassa (dont on trouve un exemplaire dans le même monas-
tère) et des Tamnan Ha Phan Watsa conservés dans les provinces de Chiang Mai, Nan

24. Certains points de ces commentaires ont été fixés dans la culture thaïe au milieu du XIVe siècle de
n. è. par le roi Lidaya (ou Lüthai/Luethai = Mahādharmarājā I) de Sukhothai, à la fois dans la grande
épigraphie royale (stèle de Nagara Jum) et dans son célèbre traité de cosmologie, la Traibhūmikathā.
Pour l’inscription, voir Cœdès (1924) et Griswold & Prasert (1973). Pour la traduction française de la
Traibhūmikathā, voir Les Trois Mondes de Cœdès & Archaimbault (1973) et, pour la traduction anglaise
(Three Worlds According to King Ruang), Reynolds & Reynolds (1982).
70 François Lagirarde

et Phrae (le plus ancien exemplaire daté étant celui de Nan, amphoe Pua, de 1929). Ces
trois titres ont le même sens de « Chronique des cinq mille ans » mais il semble que leur
contenu soit différent.

Le Buddha confia un jour à Ānanda et aux arahant qu’il atteindrait le


parinibbāna à l’âge de quatre-vingts ans mais qu’il ne laisserait pas son ensei-
gnement perdurer de peur qu’il soit souillé par les êtres vivants. Quand les
moniales (bhikkhunī) entendirent cela elles demandèrent au Buddha de laisser
l’enseignement s’épanouir encore mille ans : cinq cents ans pour elles et cinq
cents ans pour Ānanda et les arahant.

Les divinités ainsi qu’Indra et Brahmā prièrent aussi le Buddha de leur


accorder mille ans d’enseignement. Les rois et les princes, les fonctionnaires, les
marchands et les gens ordinaires en firent tout autant et lui demandèrent mille
ans de plus. Ceux qui cultivent l’hérésie (micchādiṭṭhi) et vouent un culte aux
esprits gardiens demandèrent aussi au Buddha d’accorder mille ans de plus à sa
religion. Enfin les géants, les esprits gardiens et les divinités firent une ultime
prière pour mille ans de plus. C’est ainsi que la durée d’existence de la religion
fut fixée à cinq mille ans.

Un an après le parinibbāna du Buddha, le roi Ajātasattu, Ānanda et cinq


cents arahant établiront l’ère śakkaraja qui durera cinq cent vingt ans. Puis le
roi Cakkhu de Sri Lanka établira une nouvelle ère śakkaraja, appelée « majjhima
śakkaraja », qui sera utilisée pendant sept cent vingt-deux ans. Anuruddha, le roi
de Bukām [Pagan], fixera lui aussi une nouvelle ère, « chulasakarat », utilisée
pendant mille deux cent trente-sept ans.

Pendant le premier millénaire, la religion sera florissante. Les moines et les


religieux psalmodieront les textes et respecteront les préceptes [T. sikkhabot,
P. sikkhāpada]. Les gens suivront les cinq et les huit préceptes et auront le plus
grand respect les uns envers les autres. Ils seront heureux, ignorant la colère
et la haine.

Pendant le second millénaire, le bouddhisme continuera de s’épanouir.


Moines et religieux étudieront le dhamma. Les gens accompliront des actes
méritoires et écouteront les sermons. La paix règnera.

Au troisième millénaire, la religion du Buddha commencera à décliner à cause


des guerres, des invasions et des pertes humaines qu’elles auront provoquées.
Les moines et les religieux fuiront cette violence et quitteront les monastères.

Au quatrième millénaire, les moines et les religieux seront malintentionnés,


ils perdront tout sens moral et ne pratiqueront plus la religion telle qu’elle fut
enseignée par le Buddha. Les gens ne respecteront plus la parole donnée et
tiendront des propos absurdes. Personne ne respectera plus les aînés.

Pendant le cinquième millénaire, les sociétés seront en guerre. Plus personne


ne sera ordonné moine. Les gens se battront pour le lucre, violence sera faite
Temps et lieux d’histoires bouddhiques 71

aux femmes et les enfants seront enlevés. Le meurtre sera monnaie courante.
Des populations entières prendront refuge dans les forêts. Après un an, trois
mois et sept jours la peste se répandra. Beaucoup de pêcheurs mourront. Les
gens des forêts qui quitteront leur refuge pour aller chercher de la nourriture
se rencontreront et s’accorderont un mutuel respect. La peste disparaîtra et les
gens, reprenant les rites – accomplissant des actes méritoires – vivront jusqu’à
cent ans.

Ce tamnan reprend donc les grandes lignes du schéma de Buddhaghosa mais sur un ton
familier, direct, en y ajoutant des détails nouveaux qui contrastent avec le texte original.
L’établissement de l’ère de religion à venir y apparaît comme le produit d’une demande
collective adressée au Buddha. Elle brosse l’image sélective de la « société » bouddhiste
(elle comprend les dieux, les hommes et les créatures des mondes inférieurs) que l’on
saisit du « haut » vers le « bas » : les meilleurs éléments de cette société s’adressent les
premiers au Buddha pour lui demander un peu de temps – puisqu’ils seront prompts à
accumuler des mérites –, les autres, les moins bons, pour en demander encore plus. Au
final, la prière de tous ces êtres est entendue et le total accordé se monte à cinq mille ans.
Chaque groupe désigné semble donc bien conscient de sa situation dans l’échelle des
valeurs historiques et religieuses.
Le tamnan suggère la disparition de l’ordre des moniales (cinq cents ans d’existence
seulement) puis, conformément au texte de Buddhaghosa, la disparition de l’atteinte
suprême, celle du nirvāṇa pour le premier millénaire. Ce millénaire, par ailleurs, n’est
pas décrit en termes négatifs, pas plus que le second : alors qu’il était dans le futur
pour Buddhaghosa, il est dans un passé assez lointain et tout à fait respectable pour le
« chroniqueur ». La situation n’est grave qu’au troisième millénaire, c’est-à-dire entre
des dates qui correspondraient très approximativement à la période 1500-2500 de n. è.,
précisément le début de l’époque où les tamnan ont commencé à être rédigés. Il n’est
pas fait allusion ici à une disparition des textes bouddhiques mais plutôt à une instabilité
politique génératrice de conflits. Ces conflits sont ceux des temps modernes, qui eurent
toujours, bien entendu, des conséquences terribles sur les populations 25. Celles-ci, sinon
décimées, furent du moins déplacées, ce qui entraîna souvent le déclin de centres urbains
et l’abandon des monastères. On voit donc comment le tamnan réajuste la prédiction de
Buddhaghosa afin d’être conforme aux données historiques alors plausibles ou connues.
Le quatrième millénaire est perçu comme celui de la déroute des valeurs morales
tant dans la société religieuse que dans la société laïque. Enfin, le cinquième millénaire
est décrit comme celui de l’apocalypse et correspond plutôt au quatrième millénaire du
texte de Buddhagosa.

Nulle allusion à la disparition totale du corpus bouddhique ni à celle des reliques qui
sonnerait le glas de toute société humaine : ce tamnan choisit très curieusement de donner
une fin optimiste à cette ère bouddhique sans pour autant mentionner l’arrivée de Metteyya.
On constate d’ailleurs généralement que le texte se présente comme la face sociale, en
bonne partie laïque, du schéma dessiné par Buddhaghosa, puisque l’auteur se préocuppe

25. Les historiens du monde thaï mettent généralement en avant l’enjeu que représentaient les popu-
lations dans les conflits : leur contrôle en tant que masse productrice aurait été le but des campagnes
militaires tandis que le contrôle des territoires aurait été secondaire. Cette vision a été remise en cause
par M. Vickery (2003), qui a montré comment certaines chroniques (du Laos en l’occurrence) souli-
gnaient plutôt l’importance du fait territorial.
72 François Lagirarde

principalement des situations humaines déterminées par le dérèglement religieux. Une des
fonctions notables des tamnan apparaît ici : l’adaptation du discours religieux interne – un
discours technique réservé aux moines – à un auditoire externe, non initié. Il s’agit bien
entendu du passage d’un mode savant à un mode narratif (un mode « histoires ») qui tient
compte d’un cadre social donné. Ce mode est celui du récit interprété lors des prêches
publics organisés dans les monastères ou chez les laïcs lors de cérémonies domestiques
semi-privées : si l’on reconnaît qu’il y a là des prestations génératrices de textes, on sait
aussi que les textes sont générateurs de récitations spectaculaires.

Le Tamnan Mueang Rawaek, un premier exemple du désastre


Le Tamnan Mueang Rawaek (prononcé lawaek) est un texte de prédiction et d’histoire
bouddhiques qui situe son origine dans un certain Mueang Rawaek, dont le nom pourrait
correspondre à celui que les Thaïs ont donné à la capitale khmère de Lovek (siamois
lawaek [laḥvèk]) fondée par le roi An Chang au début du XVIe siècle. Il est vrai que rien,
dans ce texte, ne nous assure que ce Rawaek/Lawaek soit le Lovek du Cambodge, tou-
tefois aucun autre site connu ne porte un nom semblable. Ce tamnan n’est pas rarissime
puisqu’il est consigné sur une bonne dizaine de manuscrits conservés dans les monastères
de la province de Chiang Mai, mais il semble fort peu connu. Notre copie date de 1945.
Aroonrut Wichienkeeo a travaillé sur un manuscrit daté de 1872 (Aroonrut 2540 : 16)
et l’Encyclopédie de la culture thaïe présente un manuscrit de 1880 (Phaithun 2542 :
2 484). C’est un texte qui nous éloigne encore un peu plus du schéma de Buddhaghosa
car, si le cadre des cinq mille ans d’histoire de l’enseignement est maintenu et illustré
avec originalité, il ne donne guère de détails sur l’inexorable déclin qui attend la religion.

L’introduction de ce tamnan rappelle les circonstances de sa « découverte » par un


certain Luk Saen Chiang, allié au roi birman Bayinnaung lors de sa campagne contre le
Lan Chang et peut-être le Cambodge. On peut supposer avec une extrême prudence que
ce Luk Saen Chiang était un Yuan ou un Lao qui aurait rapporté ce texte au Lanna où il
aurait été traduit. Mais c’est là une pure hypothèse puisqu’aucun détail relatif au monde
khmer, hormis le nom Rawaek/Lovek, n’apparaît dans le texte. Le nom de « Luk Saen
Chiang » semble incomplet. On pourrait peut-être entendre luk [phraya] saen [luang]
chiang xxx, un enfant du (Phraya) Saen (Luang) de la ville de X, d’autant plus que le titre
nobiliaire et militaire de saen (et, plus élévé encore, de phraya saen luang) fut conservé
par les Birmans après la prise de Chiang Mai le 2 avril 1558 (Sarassawadee 2005 : 114).
Cette introduction suggère ainsi qu’une expédition yuan, aux ordres des Birmans, aurait
eu lieu vers le Cambodge aux alentours de 1569 : c’est possible dans le contexte même
de l’offensive birmane vers le Siam et des renversements d’alliances entre les principaux
acteurs de cette période historique mouvementée. Les historiens ne retiennent cependant
que les dates de 1594, voire 1587 pour la chute de Lovek, prise par les Siamois (Hall
1981 : 148). Notons encore que vers 1571, Setthatirat, le roi du Laos, aurait mené une
expédition qui lui fut fatale vers le Cambodge (Phayre 1883 : 116 ; Phinith 1987 : 218-
219), mais Setthatirat n’était pas un allié de Bayinnaung, loin de là ! On constate donc
simplement que le Tamnan Mueang Rawaek a peut-être été sauvegardé par un enchaî-
nement de campagnes militaires dont la principale est douteuse (corruption du texte ?).
Le Tamnan Mueang Rawaek, en thaï du Nord, possède un quasi-homonyme, la Chronique
de Lawaek (Phongsawadan Lawaek), qui est un fragment en siamois de la « Chronique
officielle » du Cambodge. Ce fragment – traduit en français par George Cœdès – est tout
ce qui demeure d’une chronique plus complète offerte par le roi khmer Ang Eng au roi de
Temps et lieux d’histoires bouddhiques 73

Siam en 1796 (Cœdès 1918 : 16) 26. Ce Phongsawadan Lawaek couvre les événements
dynastiques et militaires (guerres avec Ayutthaya) entre 1346 et le milieu du XVe siècle
avec une certaine précision. Le tamnan et le phongsawadan n’ont donc rien de commun
sinon le fait qu’aucun des deux n’évoque vraiment l’histoire de Lovek !

En l’an 908 de l’ère Chulasakarat [1546 de n. è.] 27, le roi Mangthara [Bayin-
naung] attaqua le Lan Chang. Un certain « Luk Saen Chiang » se mit au service
du roi pour l’aider à envahir Rawaek où il découvrit le Tamnan Mueang Rawaek.

Rawaek est le pays des that [reliquaires] du Buddha Gotama, là où il s’est


rendu pour y faire cette prédiction. Le Buddha fut accueilli à Rawaek par le
roi des Naga auquel il confia que son pays deviendrait un jour un haut lieu du
bouddhisme. Ānanda demanda au Buddha d’y laisser des reliques et le Buddha
fit don de cinq de ses cheveux. Les dieux Indra, Brahmā, le roi des Garudas, le
roi des Nagas et le roi de Rawaek firent construire cinq chedi [pour y déposer
les reliques] représentant chacun mille ans d’enseignement, soit cinq mille ans
au total.

Vers l’an 500 (de l’ère bouddhique), les cinq chedi seront restaurés par le
roi Asoka qui fera construire des « murailles de cristal » 28 autour d’eux. Cinq
cents moines, cinq cents novices et cinq cents laïcs seront affectés au service
des chedi. Le Buddha prédit que lorsqu’un chedi s’effondrera, cela signifiera
que mille ans d’enseignement se sont écoulés. Après cinq mille ans, les cinq
chedi ne seront plus que ruines.

Le Buddha dit à Ānanda que lorsque le bouddhisme atteindra son troisième


millénaire, il y aura une éruption de violence dans les villes et que les gens, per-
dant tout code moral, s’entretueront partout. Lorsque les moines [réunis autour
du Buddha] entendirent ces paroles, il furent très impressionnés et pratiquèrent
avec encore plus de sérieux afin de devenir tous arahant.

Quatre mois après le parinibbāna, Mahākassapa, à la tête de cinq cents


arahant, conduira la première révision du Tipiṭaka à Pathi 29. Le roi Ajātasattu
accordera son soutien à cette entreprise qui prendra sept mois pour être achevée.
Cent ans après le parinibbāna, Mahākassapa, à la tête de sept cents arahant,
entreprendra une seconde révision du Tipiṭaka à Vesālī [Vaiśālī]. Le roi Bālosoṇa 30

26. La nouvelle édition du Prachum Phongsawadan (2549) présente deux manuscrits, l’un de 1796
et l’autre de 1808.
27. Le manuscrit présenté par Aroonrut (2540 : chap. 2, p. 1) donne la date de 931 de l’ère Chulasa-
karat (1569 de n. è.), ce qui est plus vraisemblable car elle correspond bien à la période des invasions
birmanes conduites par Bayinnaug dans la région (1546 correspondrait aux conquètes de Tabinshwehti,
son prédécesseur). Rappelons que 1569 est aussi, et surtout, la date fatidique de la prise d’Ayutthaya
par les Birmans.
28. Ces « murailles de cristal » (kamphaeng kaeo) ne sont en fait que le nom usuel des enceintes
construites autour des monastères, certaines sont presque des remparts mais aucune n’est évidemment
en cristal.
29. Il devrait s’agir du concile de Rājagaha.
30. C’est normalement le roi Kālāsoka ou Kākavarṇin (Renou & Filliozat 1953 : 496).
74 François Lagirarde

lui accordera son soutien. Deux cent trente-quatre ans après le parinibbāna,
Mogalīputtatissa, à la tête de mille arahant, conduira la troisième révision du
Tipiṭaka à Pāṭaliputta, soutenue par le roi Sisudhammasoka (Śrīsudharmaśoka) ;
elle durera neuf mois.

Neuf cents ans après le parinibbāna, cinq arahant réaliseront cinq statues
du Buddha faites de bronze, d’or, d’émeraude [béryl ?], de pierre et de bois de
santal afin qu’elles soient vénérées par les humains et les divinités.

Enfin le pays connaîtra une terrible époque de violence et de souffrance.


Des géants monstrueux attaqueront les populations et les désastres s’abattront
sur le pays. Le roi (chao mueang) tentera d’en profiter en exploitant davantage
son peuple tandis que le vol, le meurtre et le viol seront monnaie courante.

Après une introduction très succincte, vaguement historique 31, le Tamnan Mueang
Rawaek évoque les thèmes de prédilection de la littérature bouddhique locale : le voyage
du Buddha dans des lieux extérieurs à l’Inde, le don des reliques, l’établissement des
reliquaires, le calendrier bouddhologique, les conciles et la révision du Tipiṭaka, le roi
Asoka, la fabrication des images du Buddha. Ce n’est donc pas, contrairement à ce que
laisserait penser ce titre, un véritable tamnan mueang, à savoir la chronique d’un royaume
ou d’une principauté faisant l’énumération de ses souverains 32.

Le Tamnan Mueang Rawaek se présente d’abord comme l’histoire du don des che-
veux du Buddha mais, à la différence du Tamnan Takong ou Tamnan Phra Kesa That, les
cinq reliques ne sont pas données en Inde à des visiteurs étrangers. Elles sont apportées
in situ par le Buddha qui confie, grâce à Ānanda, deux cheveux à des dieux, deux à des
divinités et un au roi, sinon de Rawaek, du moins du site qui deviendra la cité khmère
que l’on connaît. Ces cinq êtres choisis construisent alors cinq reliquaires, un par cheveu
à conserver. L’ère de la religion du Buddha Gotama est ici calculée par rapport à la durée
de vie d’un monument, puis d’un autre, ce qui sous-entend que la désaffection d’un lieu
de culte est provoquée par son déclin général. On doit sans doute comprendre, dans ce
cas, que le premier reliquaire chronomètre mille ans de sāsana avant de s’effondrer, le
second deux mille ans, etc. Le Tamnan Mueang Rawaek présente donc une intéressante
méthode de comput du temps qui résume de façon frappante l’histoire du futur imaginée
par Buddhaghosa. Celle-ci semble ici dépendre, au-delà des reliquaires mêmes, de la vita-
lité des reliques, une vitalité qui dépend de la qualité de leur environnement dévotionnel.
Le Tamnan Mueang Rawaek nous montre d’ailleurs rapidement les méfaits du temps –
voire l’élasticité de ces périodes prédéfinies – puisqu’il semble que la restauration des
reliquaires par le roi Asoka soit devenue nécessaire cinq cents ans après le parinibbāna. La
date ne correspond pas au règne du souverain qui serait monté sur le trône des Maurya en
264 avant n. è. En revanche, à la fin du tamnan la date du troisième concile bouddhique,
soutenu, dit le texte, par Sisudhammasoka, n’est pas fantaisiste. Comme on l’a vu, par
31. Comme dans bien d’autres cas, le tamnan apparaît comme un texte qui préexiste, sans auteur –
sinon le Buddha – et qu’on ne fait que retrouver.
32. Là encore, il faut souligner la rareté des vrais tamnan mueang et le fait qu’une mention « géo-
politique » dans le titre n’implique pas nécessairement un contenu équivalent (c’est le cas par exemple
du Tamnan Phayao (conservé à la Siam Society) qui ne s’intéresse pas directement à la principauté de
Phayao mais aux légendes bouddhiques qui lui sont associées).
Temps et lieux d’histoires bouddhiques 75

exemple, avec le Tamnan Phra Thakkhinamoli That, la référence à Asoka semble aller de
soi dès lors qu’on évoque la diffusion du bouddhisme par celle des stūpa : les reliquaires
d’Asie du Sud-Est prolongent naturellement l’érection des quatre-vingt mille stūpa (ou
vihāra) du Jambudīpa ordonnée, selon la légende, par le roi indien. Le Tamnan Mueang
Rawaek, même s’il affirme une transmission directe des reliques par le Buddha hors de
l’Inde, reconnaît à Asoka son rôle dans le maintien des reliquaires.
Pour le troisième millénaire, la prédiction devient un peu plus précise. C’est bien
entendu la période historique, celle du « chroniqueur » et celle de son auditoire dont nous
faisons, en quelque sorte, partie. Ce troisième millénaire est un temps de violence et, si
ce tamnan ne trouvait même qu’un seul fragment de son origine dans les dates mention-
nées de 1546 ou 1569, on conviendrait sans peine de la justesse de cette réflexion. En
supposant qu’elle témoigne plutôt d’une situation relative au Lanna, ou d’un simple point
de vue attestant d’une « mémoire » locale, il est vrai que les événements sanglants ne
manquent pas après la mort de Phaya Kaeo en 1526 : incendies, assassinats, exécutions,
guerre civiles, conflits avec les Shan et Ayutthaya qui ne « se résorbent » qu’avec la chute
de Chiang Mai en 1558 (Sarassawadee 2005 : 106-108) et la normalisation imposée par
deux siècles d’occupation birmane à venir. En réalité, toute la région sera encore le théâtre
d’événements violents pour longtemps et la ruine des villes du Lanna, à commencer par
Chiang Mai (puis Chiang Rai, Fang, Chiang Saen, Phayao), sera quasi totale à l’aube du
XIXe siècle (Penth 1994a : 29-30).
Le Tamnan Mueang Rawaek, comme tant d’autres chroniques, rappelle la succession
des trois premiers conciles bouddhiques (Rājagr̥ha, Vaiśālī, Pāṭaliputra) autant pour souli-
gner l’importance du dhamma dans son ensemble que les difficultés qu’il rencontre dans
sa transmission. On peut lire ici, en filigrane, l’acquiescement à la nécessité de revoir les
écritures et de mettre ces révisions sous un patronage royal. Comme les reliquaires qui
peuvent être altérés par le temps, les textes sont également fragiles. D’autres chroniques,
comme le Tamnan Phraya Thammikarat que nous examinerons plus avant, annoncent
la venue de souverains justes, soucieux du contenu des manuscrits conservés dans le
royaume au point de les reprendre tous et de détruire les fautifs 33.
Le Tamnan Mueang Rawaek (après l’évocation de cinq statues du Buddha en cinq
matières différentes, comme une sorte d’écho aux cinq lieux de culte précédemment
évoqués) se termine sur une description standard de l’apocalypse avec attaque de géants
et crimes de toutes sortes. Parmi ces tourments divers, l’auteur mentionne les problèmes
d’endettement des populations ainsi que les abus du souverain imposant dans ces cir-
constances, pourtant suffisamment pénibles, une corvée plus lourde sur tous ses sujets.

Le Tamnan Mueang Rawaek serait-il vraiment un document importé de Lovek, comme


le prétend l’introduction, ou un texte purement thaï destiné à évoquer une géographie
régionale du bouddhisme ? L’origine khmère de ce texte paraît douteuse car aucune
référence particulièrement khmère n’y apparaît jamais et la langue semble également
libre de toute trace, si légère soit-elle, d’influence linguistique khmère. En revanche, la
capitale de Lovek est sans doute évoquée en tant que haut lieu du bouddhisme régional
puis comme une illustration de tous les désastres possibles.

33. Par rapport à la situation historique, il faut certainement entendre cette réflexion sur la nécessité
d’une révision des écritures comme un rappel des rivalités entre les trois principaux nikāya bouddhiques
du Lanna qui provoquèrent de véritables violences dans la communauté monastique au moins jusqu’au
XVIe siècle de n. è.
76 François Lagirarde

Si ce texte contient, au moins en écho, une information sur la capitale khmère du


XVIe siècle, il faut alors reconnaître la réputation qu’elle a pu garder au cours des siècles.
On a certes un peu de mal à imaginer Lovek comme un pôle de référence alors que le site
« n’était plus, à la fin du XIXe siècle, qu’un lieu-dit mal connu, d’un intérêt économique
insignifiant, à peine un centre religieux [...] » (de Bernon 2008 : 224). Pourtant il semble
bien que la renommée de cette capitale ait été plus importante qu’on ne pourrait le croire
aujourd’hui. Tout d’abord, l’histoire du Cambodge, et celle de Lovek en particulier, gardait
tout son intérêt régional au XVIIIe siècle puisque le roi du Siam commanda la traduction des
phongsawadar khmers en 1796 (dont le titre exact est nangsue phongsawadan mueang
lawaek). Un demi-siècle plus tard, Rama IV lui-même affirmera que Lawaek est un ancien
nom du Cambodge (Mongkut 1851 : 44) 34 :

I am just availing myself of an opportunity for searching into some pages of


Siamese ancient history, and beg to state that our ancient capital Ayuthia before
the year A. D. 1350, was but the ruin of an ancient place belonging to Kambuja
(now known as Cambodia), formerly called Lawék, whose inhabitants then
possessed Southern Siam or Western Kambuja 35.

Le Tamnan Kapilawatthu : fin des temps, lieux ultimes


Les catalogues dressés par le Social Research Institute (SRI) de l’université de
Chiang Mai et le projet germano-thaï présentent, pour ce titre (apparaissant également
comme Tamnan Kapilawatthu Nakhon) un total de quatre copies dont les originaux se
trouvent dans quatre monastères différents (à Chiang Dao, Chiang Mai, Lampang et San
Kamphaeng). Notre lecture se fonde uniquement sur l’exemplaire de la bibliothèque du
Wat Pa Sak Noi de San Kamphaeng qui a été numérisé lors d’une des deux missions
réalisées par l’équipe du centre EFEO de Bangkok dans ce monastère. Le manuscrit est
une copie très récente datée de 1960. Le manuscrit de Chiang Dao date de 1974 tandis
que les deux autres manuscrits mentionnés dans le catalogue du SRI ne sont pas datés.
Ce texte, probablement nourri de la veine millénariste du XIXe siècle, appartient à la
littérature du XXe siècle par son étonnante conclusion moderne. Il n’est pas mentionné
dans la liste d’Udom (2542a).

Le Tamnan Kapilawatthu applique le calendrier du déclin que nous avons étudié précé-
demment à un contexte géographique et historique beaucoup plus précis, celui de Chiang
Mai. À la prédiction du Buddha, il ajoute deux exercices nouveaux, l’introduction – et la
malédiction pour certains – de personnages historiques et la description visionnaire de
conflits modernes passant littéralement « au-dessus » du Lanna. Ce tamnan n’est donc
pas une histoire de la ville indienne de Kapilawatthu (P. Kapilavatthu) ou une chrono-
logie de ses souverains, mais une histoire sur le futur de la religion du Buddha en Inde
et hors de l’Inde, une histoire racontée par le Buddha à Kapilawatthu. Ce texte, aussi

34. Je dois cette référence précieuse à mon collègue Olivier de Bernon, qui pense que cet article
publié en 1851 dans le Chinese Repository a été écrit par le Chaofa Mongkut lui-même dont le nom
figure comme auteur dans l’index général publié à la fin du dernier cahier de la dernière année de cette
publication. Lors de sa parution, cet article fut seulement présenté comme écrit « by a Siamese who is
well acquainted with the subject ».
35. Mes informateurs thaïlandais me signalent d’ailleurs que les personnes âgées du centre et du nord-
est de la Thaïlande utilisaient encore, à la fin du XXe siècle, le mot lawaek pour désigner les Khmers
en général.
Temps et lieux d’histoires bouddhiques 77

maladroit, incohérent ou extravagant qu’il paraisse, met en évidence un nouvel usage


possible du tamnan qui devient ici autant politique que religieux. La prédiction du Buddha
est réécrite – et donc rendue d’autant plus vraie – par l’insertion d’éléments historiques
hétéroclites, elle est aussi « actualisée » ou « contextualisée » pour ce qui concerne la
vision des épisodes de la fin des temps. Le texte semble conclure que les catastrophes
annoncées (la dernière étant une guerre moderne, mondiale ?) sont inévitables mais que
le salut viendra, pour les gens de Chiang Mai, d’un bodhisatta local. On ne peut douter
qu’il s’agisse bien ici d’un texte de prédication qui fut noté, et sans doute diffusé, dans
certains monastères dans le but possible d’accorder l’eschatologie bouddhique tradition-
nelle à un nouvel environnement géographique et à des circonstances historiques inédites.

Le Tamnan Kapilawatthu précise avant tout que l’histoire qu’il présente [le
tamnan lui-même] a été racontée par le Buddha à Anon [le disciple Ānanda] alors
qu’ils séjournaient à Kapilawatthu [P. Kapilavatthu].

C’est une prophétie qui porte sur les cinq mille ans à venir après le parinibbāna
du Buddha et qui fait la description des misères que devra endurer l’humanité.
Les désastres écologiques seront les premiers : on assistera à une inversion des
eaux, les eaux basses deviendront profondes et les fosses se tranformeront en
gués et cela sera suivi par d’autres catastrophes naturelles. Les valeurs morales
disparaîtront progressivement : les familles se désuniront et souffriront, les
jeunes filles se donneront à des vieux, la communauté des moines bouddhistes
(saṅgha) relâchera totalement sa discipline, la justice ne sera plus rendue et le
crime finira par règner.

Le Buddha prédit que mille ans après son parinibbāna, l’ordre des moniales
[les bhikkhunī] viendra à disparaître. Mille ans plus tard, il ne sera plus possible
à quiconque de réaliser l’état d’arahant tandis qu’encore mille ans plus tard les
monastères de forêt deviendront des monastères de ville. Après quatre mille ans
le chaos s’installera, après cinq mille ans la souffrance des humains sera terrible.

En l’année 4045 après le parinibbāna du Buddha, les reliques de Jambūdīpa


se regrouperont toutes par elles-mêmes au Doi Suthep [Chiang Mai] pendant sept
jours et au Phra That Singkhuttara de Mueang Rewadi [Shwe Dagon de Yangon
en Birmanie] pendant sept autres jours. Après cela elles se réuniront toutes au
site de l’Éveil du Buddha à Bodhgaya, en Inde. Ces reliques reconstitueront
un corps du Buddha qui enseignera une dernière fois le dhamma à Phra Indra,
aux autres dieux et à toutes les créatures pour les aider à échapper à la douleur
(dukkha) et au cycle des renaissances.

En 2500 après le parinibbāna, Phraya Attatarat, du Mueang Hariphunchai,


fera construire le Chedi Luang qui sera décoré avec des plaques d’or. En 2440,
Phraya Kuena sera roi du Lanna à Chiang Mai. Phra Sumana Thera de Mueang
Sukhothai apportera la relique de l’os du crâne du Buddha au Doi Suthep. Trois
cent cinquante ans après le parinibbāna du Buddha, un mauvais roi, Meku,
montera sur le trône de Chiang Mai. Avec son allié Mangthratuco de Hongsa-
wadi, il s’appliquera à détruire la religion à Chiang Mai. L’un et l’autre, à leur
mort, tomberont dans les enfers Awechi.
78 François Lagirarde

Quatre mille ans après le parinibbāna il y aura quatre « bourgeons » de


bodhisatta : Uttalo, né au Mueang Hariphunchai, Ramo né au Mueang Ayothiya,
Sangkhakitcho né à Langka et Narado né à Witheha du Mueang Ho [Yunnan].
Tous les quatre viendront subjuguer les pécheurs (khon bap) et enseigner le
dhamma aux gens du Mueang Chiang Mai. La guerre, cependant, fera rage : des
combats aériens auront lieu au-dessus de Chiang Mai et provoqueront la mort
de beaucoup. Alors Uttalo utilisera son « bâton » (mai thao) pour lutter contre
ces gens : en le pointant vers eux, dans le ciel, ils finiront par tomber à terre,
par être arrêtés et apaisés. Ils deviendront finalement des citoyens de Mueang
Chiang Mai et suivront les préceptes bouddhiques.

Le Buddha conclut ces paroles adressées à Ānanda en prévenant que ceux


qui liront et feront des copies de ce tamnan auront l’occasion de rencontrer le
Thammikarat. Enfin, Ariya Metrai [Metteyya] « descendra » et sera le futur
Buddha.

Ce texte – rédigé à la première personne (c’est le Buddha qui parle) – est formé de
deux parties tout à fait distinctes. La première est une reprise du modèle de Buddhaghosa
dont nous pouvons mesurer le succès et la permanence dans la culture bouddhique thaïe.
La seconde est la libre interprétation locale de ce modèle à base d’éléments historiques
réunis de façon un peu fantaisiste. Cette interprétation n’exclut pas cependant l’utilisation
de références très érudites remises en situation de façon habile et montrant la continuité
d’une élaboration textuelle sur le point précis de l’eschatologie bouddhique. C’est celle-ci
qui doit être répétée et actualisée avant qu’il soit seulement pensable d’écrire l’histoire.
On constate d’abord que les « chroniqueurs » – dont ce tamnan représente sans doute
l’un des derniers essais 36 – n’auront jamais songé à se débarrasser de la convention
qui veut que toute parole fondamentale ait été prononcée par le Buddha. Ici encore, on
trouvera un bon exemple de message apocryphe, puisque le texte est écrit au style direct,
le Buddha utilisant le pronom personnel familier ku pour s’adresser à Anon (Ānanda).
Tamnan signifie donc, dans ce contexte, « la ou les histoire(s) racontée(s) par le Buddha ».
C’est bien entendu un sens consacré posé par l’auteur qui ne dit rien sur l’écriture réelle
du texte lui-même, la compilation qu’il a effectuée et les éléments qui ne viennent que
de lui. La « monographie » se cache sans doute derrière l’histoire racontée mais pour
son auteur, comme dans tant d’autres situations d’écritures historiographiques, presque
toutes à vrai dire, l’anonymie semble être une nécessité.

Le Tamnan Kapilawatthu répète donc les grands thèmes vus précédemment : annonce
des désastres à venir, fin de l’ordre des moniales, de l’état d’arahant, des monastères
de forêt, déliquescence morale généralisée… L’un des points les plus remarquables
de cet ensemble de prédictions porte sur le regroupement des reliques du Buddha qui,
« réfugiées » du Jambudīpa (l’Inde) au Doi Suthep de Chiang Mai puis au Shwe Dagon
de Yangon, repartiront ensuite pour une ultime apparition sur le site de la mahābodhi.
On retrouve ici l’épisode du regroupement et de la disparition (ou complet nibbāna) des

36. Le genre est sans doute plus que moribond et, dans tous les cas, bel et bien mort en tant qu’exercice
d’écriture-gravure sur feuille de latanier.
Temps et lieux d’histoires bouddhiques 79

reliques du Buddha (dhātu-antaradhāna et dhātuparinibbāna) revu et corrigé d’un point


de vue local et régional.
Cet épisode a pour origine la conclusion des histoires du déclin et de la disparition du
bouddhisme (appelé dans les sources en pāli sāsana-antaradhāna 37) imaginées par Bud-
dhaghosa. Il y présente les trois types de nibbāna : kilesaparinibbāna, khandaparinibbāna
et dhātuparinibbāna. Le premier est le nibbāna réalisé par le Buddha lors de son éveil
(bodhi) et le second, le nibbāna réalisé à sa mort. Le troisième épisode, bien moins connu,
est le nibbāna des reliques. Il représente le point final de l’ère du Buddha et, d’une cer-
taine façon, de sa « biographie », ce qui implique une présence réelle du Buddha dans
ses reliques. John Strong a traduit du pāli en anglais ce récit dramatique (Strong 2004 :
224) qui insiste sur les points suivants :

– Les reliques, ne recevant plus ni honneur ni vénération, quitteront les lieux


où elles sont abandonnées pour se manifester dans des lieux où elles recevront
honneur et vénération. De Sri Lanka, elles reviendront en Inde, et, finalement,
elles se réuniront en un seul lieu, là où se trouve l’arbre de la bodhi (Bodhgaya).
– Les reliques, d’abord agrégées comme une boule d’or rayonnante, pren-
dront la forme du corps du Buddha et accompliront un miracle. Puis ce corps
de reliques prendra feu de lui-même, la combustion sera intense et complète.
– Aucun humain n’assistera à cet événement, seuls les dieux de tous les
univers en seront les témoins et exprimeront leur espoir de voir et rencontrer,
dans le futur, un autre Buddha.

Cette ultime péripétie – post mortem – de la biographie du Buddha fut rédigée en


fonction de son appartenance à l’aire de diffusion du bouddhisme originel : le sous-
continent indien, sans oublier Sri Lanka qui en est l’extrémité méridionale. Le Tamnan
Kapilawatthu vient donc modifier cette géographie pour proclamer l’excellence et la
suprématie de Chiang Mai, lieu du regroupement final des reliques et donc dernier lieu
d’humanité bouddhiste. Sri Lanka est rayé de cette carte pour être remplacé par le Shwe
Dagon de Birmanie, haut lieu intermédiaire. Ainsi ce texte marque-t-il sa reconnaissance
– au moins du message – du Tamnan Takong (voir infra) qui fait du Shwe Dagon le pre-
mier reliquaire de l’histoire du Buddha Gotama. En revanche, en prenant ces libertés, le
Tamnan Kapilawatthu s’écarte de l’épigraphie et de la littérature bouddhique ancienne
qui n’avaient en rien modifié l’esprit des commentaires de Buddhaghosa. On fait allusion
ici aux textes thaïs les plus célèbres sur le sujet, dont le premier, l’inscription no 3 dite
« inscription de Nagara Jum (cf. note 24) », datée de 1357, qui attribue la paternité ou
la connaissance de cette vision de l’avenir du bouddhisme au roi Lidaya (ou Lüthai) de
Sukhothai, (Cœdès 1924 : 86 ; Griswold & na Nagara 1973 : 101). Le second texte est
le traité de cosmologie, la Traibhūmikathā, encore attribué au même roi et dans lequel
l’épisode de l’extinction des reliques correspond au texte de Buddhaghosa, à une dif-
férence près : les humains assistent à l’événement et entendent la dernière prédication
du simulacre du Buddha formé par ses propres reliques (Cœdès & Archaimbault 1973 :
234), une différence d’autant plus notable que la Traibhūmikathā fait clairement état
de ses sources, dont la [Su]maṅgalavilāsinī, la Manorathapūraṇī et l’Anāgatavaṃsa
(ibidem : 256).

37. Cet épisode se trouve dans les commentaires cités plus haut, la Manorathapūraṇi (commentaire)
de l’Aṅguttara-Nikāya et la Sumaṅgalavilāsinī (commentaire) du Dīgha-Nikāya.
80 François Lagirarde

Qu’en est-il des personnages historiques cités dans le Tamnan Kapilawatthu ? L’énu-
mération du tamnan commence ainsi : « en 2500 après le parinibbāna, Phraya Attatarat
[...] ». Cet Attatarat ou Attarāja pourrait correspondre au roi môn Ādiccarāja (T. Athit-
tarat) qui aurait régné sur Hariphunchai dès 1047 (voire 1150 de n. è.) et qui serait le
fondateur du Wat Phra That Hariphunchai de Lamphun. La date proposée par le Tamnan
Kapilawatthu est donc grossièrement inexacte tout comme le sont les dates suivantes.
Phraya Kuena (ou Kilanā) est bien un roi de Chiang Mai mais son règne aurait duré de
1367 à 1388 ou de 1355 à 1385 de n. è. selon les sources (la chronique de Chiang Mai
ou la Jinakālamālī). Il est curieux que le compilateur ou l’auteur de ce tamnan ait ainsi
noté des dates qui correspondent plutôt à son époque (notre vingtième siècle) qu’à un
assez lointain passé. Au contraire Meku (ou Maeku) a régné de 1551 à 1564 (et non
pas « trois cent cinquante ans après le parinibbāna du Buddha ») et fut bien entendu
nommé par Bayinnaung (Mangthratuco) après la prise de Chiang Mai par les Birmans
en 1558. Une telle incurie dans le comput du temps pourrait nous conduire à penser que
l’auteur/compilateur de ce tamnan n’était pas familier avec l’ère bouddhique (dite pho
so) de Thaïlande puisqu’il ne semble pas avoir de problème, par ailleurs, pour dater son
manuscrit en ère Chula Sakarat. Était-ce un moine – très âgé à l’époque – plus à l’aise
avec ce type de calendrier ?

Une autre référence littéraire de ce curieux Tamnan Kapilawatthu est certainement le


(ou les) texte(s) de la famille des anāgatavaṃsa, en particulier celui traduit par François
Martini (1936) sous le titre Dasa-Bodhisatta-Uddesa, qui ne conte pas seulement « l’avè-
nement de Metteyya ... [mais] ajoute ... le récit des pāramī de neuf autres buddhas
du futur 38 ». On constate en effet que les noms de certains bodhisatta cités dans le
Tamnan Kapilawatthu correspondent assez bien avec ceux évoqués dans le Dasa-
Bodhisatta-Uddesa. Ramo (Rāmo) pourrait être le Rāma considéré comme le second
Buddha du futur (après Metteyya), Uttalo (orthographe équivalente à Uttaro) correspon-
drait à Uttara Rāma, futur Buddha Rāma (ibidem : 367), Narado (Nārado) serait Nārada,
le cinquième Buddha du futur, tandis que Sanghakicco pourrait correspondre à l’un des
deux rois Saṃkha des anāgatavaṃsa 39. Ce Sanghakicco pourrait encore coïncider avec un
certain Saṅkacco cité par Saddhatissa dans son introduction à l’édition et à la traduction du
Dasabodhisattupattikathā. Ce nom provient d’un des textes d’anāgatavaṃsa étudiés par
l’auteur – il pourrait s’agir du brahmane Caṅkī, futur Buddha Raṃsimuni – qui suggère
une éventuelle origine birmane pour cette forme (Saddhatissa 1975 : 17-18 et note 8 p. 50).
On constate bien que Kapilawatthu n’est pas un nom de lieu donné au hasard par le
« chroniqueur » thaï puisque l’Anāgatavaṃsa traduit du pāli par E. Conze (1954 : 46-50)
mentionne la même origine pour cette parole du Buddha : « Thus have I heard: At one time
the Lord was staying near Kapilavatthu in the Banyan monastery on the bank of the river
Rohani [...] ». Il semble que cette traduction soit fondée sur le texte édité par J. Minayeff
en 1886 et dont l’origine serait birmane. Cette traduction nous aide d’ailleurs à constater
une fois de plus les liens qui unissent tous ces textes puisqu’une partie des commentaires
de Buddhaghosa semble directement resurgir dans l’Anāgatavaṃsa (ibidem. : 49-50) :

38. Cet anāgatavaṃsa fait partie de ceux recensés par J. Minayeff (1886) mais doit être distingué de
celui qu’il a édité. Le spécialiste pourra consulter S. Collins (1998 : 359-361) sur les questions d’édition
et de traduction de ce texte.
39. Le premier roi Saṃkha (Ajita-Metteyya-Saṃkha) est le futur Buddha Metteyya qui, à l’issue de
sa rencontre avec le Buddha du passé Sirimatta, se tranche la tête avec son ongle. Le second est le roi
Mahānaḷakāradevaputta-Saṃkha, un souverain contemporain de Metteyya (Martini 1936 : 294).
Temps et lieux d’histoires bouddhiques 81

Then when the Dispensation of the Perfect Buddha is 5,000 years old, the
relics, not receiving reverence and honour, will go to places where they can
receive them. As time goes on and on there will not be reverence and honour for
them in every place. At the time when the Dispensation is falling into (oblivion),
all the relics, coming from every place: from the abode of serpents and the deva-
world and the Brahma-world, having gathered together in the space round the
great Bo-tree, having made a Buddha-image, and having performed a ‘miracle’
like the Twin-miracle, will teach Dhamma. No human being will be found at
that place. All the devas of the ten thousand world system, gathered together,
will hear Dhamma and many thousands of them will attain to Dhamma. And
these will cry aloud, saying: ‘Behold, devatas, a week from today our One of the
Ten Powers will attain complete Nirvana.’ They will weep, saying: ‘Henceforth
there will be darkness for us.’ Then the relics, producing the condition of heat,
will burn up that image leaving no remainder.

Le Tamnan Kapilawatthu est donc l’un des derniers produits d’une chaîne de textes
qui semblent avoir grandement influencé la culture bouddhique du Lanna. Ce tamnan y
ajoute une marque régionale décisive en proclamant par exemple que le bodhisatta voire
le prochain Buddha, sera originaire de Lamphun. L’étonnante description de combats
aériens faisant rage au-dessus de Chiang Mai pourrait avoir été inspirée par des images
de la Deuxième Guerre mondiale mais rien n’indique vraiment, faute de termes tech-
niques utilisés dans le texte, qu’il s’agit bien d’aéronautique 40. La modernité du texte
est donc toute relative et on notera de plus que le miracle un peu guerrier accompli par
le bodhisatta Uttalo, de Lamphun, tient plutôt de la magie que de l’art militaire. Le récit
remet en scène, pour l’occasion, le bâton (mai thao), cet accessoire monastique qui fut
peut-être celui de lignées anciennes, mônes, précédant les nikāya de Lanka (ces « écoles »
réformatrices dont Sumana, par ailleurs cité dans le texte, fut le premier représentant) et
qui a survécu dans les écoles du Nord jusqu’au XXe siècle (Bizot 2000 : 521-522). Pour
la première fois peut-être, un bodhisatta ose ainsi intervenir de façon directement défen-
sive dans les affaires du monde. Dans ce tableau un peu apocalyptique, le mélange des
genres et des traditions est pleinement assumé. L’origine donnée des bodhisatta (d’un
côté Lanka et Ayutthaya et de l’autre Lamphun et le Yunnan) dessine encore une fois les
limites du monde bouddhique tel qu’il a pu être pensé lors de la rédaction de ce tamnan.

Avec le Tamnan Kapilawatthu nous devons donc constater que l’eschatologie boud-
dhique, dans ce qu’elle a de plus hyperbolique, est demeurée un thème d’écriture et de
prédication jusqu’au XXe siècle de n.è. Les schémas directeurs (commentaires de Budd-
haghosa et textes des lignages de Buddha du futur, les anāgatavaṃsa) y sont rééquilibrés
par des acteurs locaux et c’est bien entendu le dhamma d’une culture thaïe du Nord qui
veut ici se faire entendre. Cet exercice sonne malheureusement un peu trop comme un
chant du cygne car Uttalo, l’homme du salut, un moine traditionnel du Lanna semblable
à Kruba Siwichai 41 dans sa lutte pour la préservation de l’identité bouddhique du Lanna,

40. L’aéroport de Chiang Mai, utilisé par les troupes japonaises, fut bombardé en mars 1942 par des
aviateurs américains partis de Kunming en Chine et de Heho en Birmanie.
41. Kruba Siwichai (1878-1938) fut un célèbre moine du nord de la Thaïlande connu pour ses démélés
avec l’administration centrale du Saṅgha thaï régulant l’essentiel des activités monastiques de l’ancien
82 François Lagirarde

semble s’être perdu dans le type de désenchantement du monde qui aura plus que partout
affecté les racines du bouddhisme traditionnel du Lanna.

Le Tamnan Phraya Thammikarat et les tamnan « messianiques »


Ce tamnan, une autre prophétie d’un type particulier, est un titre très fréquent au
Lanna 42. Notre manuscrit précise Tamnan Phraya Thammikarat Mueang Phukam (de
Phukam – c’est-à-dire Pagan – en Birmanie) et c’est également le cas pour celui présenté
dans l’Encyclopédie de la culture thaïe : la région Nord (Udom 2542b), daté de 1954.
Ce Tamnan Phraya Thammikarat met en scène un roi appelé Thammikarat (dhammika-
rāja) et l’expression, certes redondante, signifie donc « le souverain (Phraya) qui est
un roi juste », c’est-à-dire qui agit et règne selon le dhamma. En réalité la lecture du
tamnan suggère plutôt de comprendre « le roi qui instaure ordre et justice » ou « qui est
un justicier ». Thammika est un adjectif venu du pāli qui, en général dans l’épigraphie
et la littérature thaïe, apparaît comme l’épithète du nom commun rat (T.) ou rāja (P.),
le roi. Cet adjectif a cependant été souvent utilisé comme nom ou prénom de personne,
voire d’animal, comme en témoigne la littérature en pāli (Malalasekera 1937-1938 : 1,
1 154-1 156). Il n’était donc pas nécessairement réservé aux membres d’une famille royale
même si, dans les sources thaïes, on n’en voit guère d’autre usage.
Sous sa forme pāli, la formule dhammika-rāja apparaît pour la première fois dans le
nord de la Thaïlande dans une inscription en caractères môns conservée au Musée national
Hariphunchai (à Lamphun) 43. Elle semble désigner l’existence d’un roi Dhammikarāja
de Hariphunchai, ce qui est confirmé par la Jinakālamālī qui précise que ce souverain
aurait régné cinq ans, de 1127 à 1132 de n. è. (Cœdès 1925 : 86 ; Penth 1994b : 307).
Nom propre de rois ou élément de leur longue titulature, thammikarat revient ensuite dans
l’épigraphie de langue thaïe, en particulier dans la célèbre inscription no 3 de Sukhothai
dite « inscription de Nagara Jum », datée de 1357. Dans cette inscription, la redondance
rāja/brañā (T. rat/phraya) apparaît pour la première fois ainsi que la forme « thaïe-
sanskrite » dharmmikarāja. Nombreux sont les rois dont l’une des épithètes de titulature
fut dhammika et on les retrouve aussi bien au Lanna qu’au Laos, au Siam et en Birmanie.
Une inscription en thaï du Nord de 1496 44 présente le roi de Chiang Mai, Phraya Kaeo
(r. 1495-1526), en le désignant ainsi : Sri Thamma Mahaparama Chakkhrawatti Thammi-
karachathiracha [srī dhāṃaḥ maḥhāpaḥraḥmaḥ căkkhraḥvăTtī dhāṃmīkaḥrājādhirājaḥ]
(Penth et al. 2004 : 23).
Ce nom, ce titre et ce terme furent par ailleurs mentionnés par Jeremias van Vliet dans
son histoire des rois du Siam publiée en 1692. Il signale d’abord un roi « légendaire »
lointain fondateur du royaume siamois, dont l’existence aurait été discutée par les Siamois
eux-mêmes, puis il présente sous ce nom le fondateur de la dynastie d’Ayutthaya (Baker
et al. 2005 : 196, 197, 201). Son premier roi, Ramathibodi I (1351-1369), portait bien,
entre autres, le titre de pavaradhammika mahārājādhirāja « suprême, juste et grand roi
des rois » (Vickery 1984 : 58 bis ; Skilling 2007b : 187).

Lanna depuis Bangkok. Il apparut ainsi parfois comme un réfractaire à la centralisation voire comme
un défenseur de l’ancienne culture religieuse locale.
42. Les catalogues du projet germano-thaï en mentionnent trente-quatre exemplaires dans autant
de bibliothèques différentes. Le plus ancien est daté de 1221 de l’ère Chula Sakarat soit 1869 de n. è.
43. Elle est désignée sous le nom d’« Inscription Thammikaracha Lamphun no 36 » (Champa et al.
2522 : 30-31).
44. Inscription de Ban Nong Nam Thung.
Temps et lieux d’histoires bouddhiques 83

Ce Phraya Thammikarat est associé à la figure mythique du Phraya Tham (Udom


2542b : 2 437) qui apparaît au tout début du Tamnan Suwanna Khamdaeng traduit par
Camille Notton dès 1926. Ce personnage (Mahādhamma chez Notton) est une sorte
d’empereur céleste qui vit dans une époque et un monde sans buddha. Il est né « au
Pays Ho », le Yunnan, d’où il a conquis l’univers « à l’exception de huit mille pays (ou
villes, müang) ». Ces mueang lui échapperont définitivement jusqu’à ce que le dieu Indra
intervienne (Notton 1926 : 1-2).
Le Tamnan Phraya Thammikarat, suivant plutôt cette tradition, ne fait pas référence à
un souverain historique ayant porté ce titre mais plutôt à une fonction salvatrice exercée
par des êtres providentiels dans le passé ou dans l’avenir. La notion semble être analogue
à celle d’un bodhisatta qui viendrait agir à des périodes troublées pour rétablir la loi, dans
le sens du dhamma. Il faut ajouter que le titre de Phraya Thammikarat fut repris par le phu
mi bun Ong Man lors de la révolte célèbre de 1901, probablement inspirée en partie par
des tamnan « messianiques » du type de ceux que nous présentons ici (Ishii 1986 : 174).

En 1424 de n. è. les Lue et les Khuen se feront la guerre. Le roi des Lue sera
tué avec un grand nombre de ses sujets. Trois ans plus tard Mueang Khae et
Mueang Chai connaîtront de grands désastres, Mueang Kho et Mueang Kaeo
s’affronteront et cinq cents mueang seront détruits par le feu 45. Les deux fils
d’un roi habitant à l’est de la rivière Raming [l’actuelle Ping] vont se battre
au pied de la montagne Khusu [Doi Ucchu ou Doi Suthep] et provoquer des
guerres avec leurs voisins, y compris les Siamois, jusqu’à ce que la région soit
plongée dans un état d’agitation et de dévastation.

Alors, le roi Thammikarat apparaîtra à Mueang Hariphunchai et mettra fin


à la guerre. Un palais se matérialisera sur une montagne rocheuse en dehors
de la ville et le dieu Intha [Indra] viendra rendre hommage au roi en jouant
de la conque. Dans cette région de Lamphun sera construite une grande ville
nommée Inthapakon [Indāprākāra]. Des trésors apparaîtront par magie et le roi
les distribuera aux pauvres.

Le roi Thammikarat se rendra à Mueang Nakhon Luang où des statues de


cochons dorés ont été placées aux quatre coins de la ville 46. Il y fera l’acquisition
de tous les manuscrits dans le but de vérifier leur exactitude. Les manuscrits fautifs
seront brûlés et on utilisera leurs cendres dans la fabrication de la laque qu’on
applique sur les statues du Buddha. Les moines dont la pratique est incorrecte

45. Mueang Khae (khè1) désigne la Chine, Mueang Chai (T. jai = P. jaya) et Mueang Kaeo (kèw2)
sont des désignations valorisantes communes à beaucoup de villes ou de domaines, Mueang Kho (khà)
est inconnu mais la Chronique de Chiang Mai mentionne les Kho avec les Kui dans un contexte qui
évoque Chiang Tung et ses marges dans le sud du Yunnan (Wyatt & Aroonrut 1995 : 167). On trouve
en thaï du Nord le terme kho (gà2 prononcé kà3 en thaï moderne) pour désigner les montagnards Akha,
voire d’autres membres du groupe Hani du Yunnan. Les Kui sont un autre groupe de montagnards de
langue tibéto-birmane.
46. Ce détail intéressant ne nous permet pas de dire de quel Mueang Nakhon Luang (= la grande
ville, la capitale) il s’agit même si on trouve à Bangkok une statue de ce type située le long du Khlong
Lot, Thanon Rachini, et qui commémore l’année de naissance d’une princesse de l’époque de Rama V.
84 François Lagirarde

devront quitter la communauté. Phraya Thammikarat enseignera le dhamma aux


gens de ce Mueang Nakhon Luang avant de retourner à Mueang Inthapakon.

En 1387 de n. è., la cloche du précédent Thammikarat, celle qui avait coulé


dans la rivière Achirawadi [Aciravatī 47], émergera à la surface des eaux. Le roi
Thammikarat fera sonner cette cloche qu’on entendra jusqu’à Mueang Racha-
gaha [P. Rājagaha]. Le roi Thammikarat fera construire des chedi et sculpter
des images du Buddha partout dans le Chumphuthip [P. Jambudīpa]. À chaque
fois qu’il pratiquera le rite de l’ouverture des yeux d’une statue du Buddha,
une pluie de gemmes arrosera tout le pays. Il laissera le peuple les ramasser
pour leur plus grand bonheur. Les conflits seront inconnus et les aînés seront
respectés [ici s’intercale une fable allégorique, histoire du corbeau et du héron,
que nous ne résumons pas].

Quand le Thammikarat viendra à naître, toutes sortes de miracles se produi-


ront : les nuages deviendront jaunes et rouges, les fleurs sans parfum se mettront
à embaumer, les hommes méchants deviendront bons et les bons, méchants.

Le roi Thammikarat aura une peau jaune clair comme de l’or, ses dents seront
parfaites, sa voix très douce. Quand il viendra, un cheval de cristal apparaîtra à
Doi Ang Song [ou Doi Ang Salong ou encore Doi Ang Salung] à Chiang Dao.
Les divinités donneront un sabre (dap sikanchai) et une gemme magique au roi.
Un millier d’esprits protecteurs (phi suea) seront ses gardiens. Le dieu Intha lui
accordera la connaissance complète du Tipiṭaka et il développera le bouddhisme
(sāsanā) dans les Mueang Hariphunchai, Fang et Lawo. Il corrigera également
les manuscrits du Tipiṭaka et brûlera ceux qui sont fautifs pour en faire de la
laque. Tous les gens seront heureux, tous leurs besoins seront satisfaits.

Le roi Thammikarat régnera aussi pendant un siècle sur Mueang Wideha


[P. Videha] et Mueang Churani [? Curaṇī]. Son fils lui succédera pendant un
autre siècle. Leurs sujets seront heureux.

Le texte s’est ici totalement écarté du calendrier modèle que nous avons observé
dans les tamnan précédents pour se concentrer sur des événements attribués au XIVe et au
XVe siècle. L’utilisation du futur simple est toujours de règle et le ton général demeure
bien celui de la prophétie. Le récit suggère que l’apparition du Thammikarat est tou-
jours possible, d’où l’allusion à un précédent Thammikarat pour montrer le possible
engagement de cette classe d’êtres, à certains moments de l’histoire. Celle-ci est décrite
comme un arrière-plan plausible : c’est un vaste panorama des guerres menées entre les
peuples thaïs (Yuan du Lanna, Lue de Chiang Rung, Khuen de Chiang Tung, Siamois
et peut-être Lao de Luang Phrabang), les Chinois Yunnanais (Ho) et les autres peuples
« montagnards » de la région (Kho et Kui), tous tissant différentes alliances selon les
circonstances. Bien entendu ces conflits sont attestés, dans la chronique de Chiang Mai
en particulier, mais jamais de façon aussi rapprochée ou cumulante. Sur un siècle, entre
les règnes des rois Saen Mueang Ma, Sam Fang Kaen et Tilok de Chiang Mai (de la

47. L’Aciravatī est un fleuve de l’Inde passant notamment à Sāvatthi, souvent mentionné dans la
littérature canonique.
Temps et lieux d’histoires bouddhiques 85

fin du XIVe siècle à 1487 de n. è.), on trouvera un nombre impressionnant de campagnes


guerrières impliquant les acteurs cités plus haut, les Siamois étant encore représentés
aussi bien par Sukhothai que par Ayutthaya. Le tamnan compresse en quelque sorte tous
ces événements pour soutenir son propos.
Le rôle premier du Thammikarat est de mettre fin à ces hostilités et d’exercer son
autorité morale sur ces pays. Il agit à partir du centre culturellement fondateur du Lanna –
Hariphunchai-Lamphun – et va soutenir la population appauvrie par la situation politique
en partageant ses richesses. Le Thammikarat est donc celui qui soulage les affligés de
leur misère, une notion assez nouvelle puisqu’elle représente une solution alternative,
au mieux à l’inaction du souverain, au pire à sa violence, et une réponse directe à une
éventuelle apathie des communautés monastiques.
Sans doute le Thammikarat sait-il que les manuscrits sont souvent mal recopiés, mais
aussi que certains manuscrits sont porteurs d’informations indignes de perdurer : leur
destruction par le feu est ici signalée, non parce qu’elle fut une pratique extraordinaire
mais plutôt un moyen assez commun de s’en prendre à des développements malvenus
dans la littérature bouddhique du point de vue d’un nikai (nikāya) monastique ou d’un
autre. On ne sait en réalité, dans ce contexte, quels écrits devaient ou devraient être la proie
des flammes. Les autodafés étaient, ceci étant dit, finalement « respectueux » de l’origine
religieuse des écrits ou, plus précisément, des fragments authentiques de la parole du
Buddha qu’ils pouvaient contenir, d’où la récupération de leurs cendres pour en faire un
produit recyclé dans la vénération esthétique ou littéraire du Bienheureux. De nos jours,
les manuscrits jugés illisibles ou devenus inutilisables pour des raisons accidentelles
(destruction partielle par des intempéries ou des animaux) connaissent souvent le même
sort et reviennent à un « corps » du Buddha. Leurs cendres sont incorporées, soit dans
la matière dont sont faites les amulettes, soit dans une laque ou une peinture destinée à
décorer des images du Buddha quand ce n’est pas dans une encre à base d’huile pour
noircir la gravure des nouveaux manuscrits.

Le Tamnan Phraya Thammikarat reprend un thème constant dans la littérature pro-


phétique, celui de l’inversion des valeurs lorsque débute une période calamiteuse. Dans
ce texte (où l’on raconte, par exemple, que les oiseaux de proie, tels les faucons, se
comportent comme des oiseaux de ville tandis que les oiseaux familiers deviennent des
prédateurs), la simple dérégulation de l’environnement sera suivie de perversion morale
chez les humains, signes de la déchéance sociale qui nécessite l’apparition d’un homme
nouveau, le Thammikarat. Assez curieusement notre texte crée alors un nouveau lien
géographique avec Chiang Dao et la montagne qui surplombe cette petite ville, le Doi
Ang Salung, un site important auquel un grand nombre de mythes et de légendes sont
associés. Du coup une nouvelle situation géographique est esquissée, puisque la petite
ville de Fang est citée (mais aussi Lawo, correspondant normalement à la ville siamoise,
anciennement khmère, de Lopburi). Il n’est pas impossible que cette partie soit le souvenir
ou la citation d’un autre texte traitant du Thammikarat, juxtaposé à cet endroit, avant la
conclusion. On constate en effet que le Tamnan Doi Ang Salung, évoque également la
venue d’un Thammikarat dans les environs de Chiang Dao 48.

48. Ce Tamnan Doi Ang Salung a été traduit par Phaithoon Dokbuakaew (Swearer et al. 2004 : 37-67)
à partir d’une copie datée de 1944 de n. è. Swearer suppose que le texte a été compilé au début du
XIXe siècle et montre également son caractère composite. Le terme Thammikarat peut être habilement
traduit par the righteous ruler en anglais.
86 François Lagirarde

Ces considérations locales s’ajoutent à celles du début du tamnan et à son évocation des
mueang du Nord et du Yunnan. D’ailleurs la conclusion semble revenir à cette dimension
régionale privilégiant les états septentrionaux, puisque le texte annonce finalement que
le Thammikarat et son fils règneront aussi sur Mueang Wideha, c’est-à-dire au moins
le Yunnan. Comme dans beaucoup d’autres tamnan, on perçoit bien dans le Tamnan
Phraya Thammikarat cette oscillation entre une géographie authentique et précise (un
point focal décrit avec un certain réalisme) et une géographie plus ou moins convenue
et circonstancielle.

Le Tamnan Phraya Thammikarat se trouve à la croisée de plusieurs autres textes


inédits. La figure du « justicier » est également dépeinte dans le Tamnan Phraya Tham 49,
le Tamnan Phra Chao Klao Wai et le Tamnan Khun Tham, ce dernier étant probablement
identique au Tamnan Khun Thammikarat Ha Phra Ong signalé par Udom (2542a : 2 412).
Le Tamnan Kwang ou Tamnan Lokahani doit lui-même être rapproché du Tamnan Doi
Ang Salung puisque l’un et l’autre reproduisent le dialogue entre un lapin et un daim
(T. kwang) qui s’interrogent sur la venue de phu mi bun, personnes ayant accumulé des
mérites et proches des Thammikarat et autres bodhisatta.
Le Tamnan Phraya Tham – prêché par le Buddha qui l’a fait diffuser par une divi-
nité au Mueang Kamphocha Nakhon (la ville du pays khmer, Angkor ?) – raconte que
lorsque l’enseignement sera à son troisième millénaire, l’état de guerre sera permanent et
omniprésent. La faute en sera au roi Mangthara, à son complice le roi Maeku ainsi qu’à
leurs acolytes (Phraya Ai, Saen Kao Tam et Tao Mueang Nai). Trois ans après la mort de
Mangthara, le Phraya Thammikarat apparaîtra et viendra restaurer l’Enseignement. Le
Thammikarat sera ordonné deux fois et quittera deux fois la Communauté. Il aura peu
étudié mais sera capable de tout comprendre. En ce temps-là deux rois, l’un en amont,
l’autre en aval, se feront la guerre. Beaucoup d’hommes périront et les moines devront
quitter les monastères. Le futur Phraya Thammikarat, toujours moine à ce moment-là,
deviendra Phraya lorsqu’il atteindra l’âge de soixante-six ans. Il y aura sept jours de
ténèbres et le huitième jour le soleil reviendra et Indra lui offrira un éléphant blanc tandis
que Wisukam (P. Vissukamma) lui apportera les ustensiles rituels nécessaires à son onction
royale (abhiṣeka). Les trésors qu’on lui offrira, il les redistribuera aux gens du peuple.
Il restaurera et entretiendra le Phra That Hariphunchai. Tout cela sera possible grâce aux
mérites accumulés par lui dans ses existences précédentes. Le Phraya Thammikarat res-
taurera le Phra That de Mueang Fang et la ville sera appelée Sutthanaraiya Mahanakhon.
Dans le Tamnan Phra Chao Klao Wai 50, le Buddha prédit qu’un vieil homme renaîtra
pour devenir Phraya Tham sous le nom de Suwannarat (Suvarṇarāja) et qu’il parvien-
dra à maintenir la religion et à réviser les écritures. Avant cela, un temps d’inversion
et de perversion accablera le pays. Sous son règne, le cinquième Thammikarat naîtra à
Ayutthaya. Le tamnan précise pour finir que ceux qui désirent rencontrer le Thammika-
rat doivent pratiquer le don (dāna), suivre le code de moralité (sīla) et s’appliquer à la
méditation (samādhi).

49. Moins bien représenté dans les bibliothèques du Lanna que le Tamnan Thammikarat, il est cepen-
dant, comme ce dernier, connu au Laos (Finot 1917 : 200). La copie du Wat Pa Sak Noi dont nous avons
commencé la lecture date de 1950 de n. è.
50. Notre manuscrit date de 1966 de n. è.
Temps et lieux d’histoires bouddhiques 87

Le Tamnan Khun Tham 51 est composé sur le calendrier du déclin en cinq mille ans.
Son originalité réside dans le fait qu’il présente un Phraya Thammarat (roi du dhamma
ou roi selon le dhamma) pour chaque millénaire et qu’il l’associe à la tâche de soutenir
des conciles bouddhiques (saṅgāyanā). Quatre mille ans après le nibbāna du Buddha, le
quatrième Thammarat naîtra au nord de la Mae Raming (la rivière Ping de Chiang Mai),
il sera moine mais quittera plusieurs fois la robe, dégoûté du manque de sérieux régnant
alors dans la communauté des moines. Puis deux rois se feront une guerre terrible et il
parviendra à faire régner la paix. Il vérifiera enfin les manuscrits dont une liste précise est
donnée. Le tamnan s’arrête à cet endroit sans mentionner qui sera le cinquième Thammarat.

***

Cette présentation d’un corpus de tamnan inédits nous permettra peut-être d’avancer
de quelques pas, encore incertains, dans la compréhension d’un genre littéraire pour le
moins hypertrophié. La lecture rapide de ces quelques textes confirme les grands points
que j’ai énoncés dans l’introduction et la première partie de cet article. J’y rappelais
avant tout que, quel que soit l’enthousiasme que l’on peut légitimement nourrir pour
ce type de documents – ne serait-ce qu’étant donné leur rareté et leur valeur matérielle
objective 52 –, il convient néanmoins de les aborder avec de grandes précautions afin de
ne pas les surestimer d’avance pour éventuellement les mépriser plus tard. D’ailleurs,
faut-il accorder la même attention aux tamnan mueang, qui offrent une série chronolo-
gique d’événements et de règnes, qu’aux tham tamnan dont nous venons d’examiner
plusieurs exemples ? La réponse est non, car nous sommes de fait confrontés à deux
types de discours : le premier est du type historiographique mené sur un ton objectif, le
second, sur un ton subjectif, narratif, est essentiellement moral. Les tamnan mueang et
certains textes d’histoire religieuse, comme la Mūlasāsanā, sont les héritiers des grands
vaṃsa issus de Sri Lanka, ils ont été conçus comme des projets émanant de groupes de
pouvoir (dynasties royales, lignages monastiques) dont ils légitiment l’existence. Les tham
tamnan, histoires de reliquaires ou d’images du Buddha, récits de la venue de Gotama,
de Metteyya ou autres êtres de grand destin dans un environnement nouveau par rapport
à ce qui est décrit dans l’héritage littéraire classique, ne sont pas de grandes commandes
institutionnelles, mais des œuvres conçues à l’initiative assez libre de moines ou de
laïcs érudits, à partir d’une culture religieuse locale (d’où cet insistant « goût » de terroir
qu’elles possèdent presque toutes). Le but est l’édification d’éventuels lecteurs ou plutôt
d’auditeurs réunis lors de lectures publiques. Ces textes sont suffisamment expressifs pour
captiver l’auditoire, permettre commentaires, digressions et discussions. Ils suggèrent
de déboucher sur une action possible sur le monde. Ce serait donc par la fonction et par
l’usage qu’il conviendrait le mieux de distinguer les différents types de tamnan.

De fait, le mot tamnan est une traduction susceptible de désigner deux groupes de
textes bien différents. Tamnan est donné comme l’équivalent du terme pāli vaṃsa (lignée,
lignage, famille, dynastie) tout autant que celui de nidāna (source, cause, origine et, par
extension, récit des origines, histoire, conte). Ainsi, le Sihiṅganidāna, texte composé en
pāli par Bodhiraṃsi à Chiang Mai ou Lamphun à partir de sources clairement locales (à

51. Notre manuscrit date de 1946 de n. è.


52. Il ne faut pas oublier qu’un manuscrit est par lui-même un objet d’art en soi, souvent collectionné.
88 François Lagirarde

une date supposée de 1410 de n. è.) 53, est-il connu sous un premier titre thaï-pāli Nithan
Phra Phuttha Sihing puis, plus explicitement, comme Tamnan Phra Puttha Sihing (Saeng
2506) ou, dans les manuscrits originaux en thaï du Nord (probables traductions du texte
pāli) comme Tamnan Phra Sing. Il faut constater ensuite que la littérature traditionnelle
en thaï du Nord ne distingue pas entre tamnan (tāṃnān, histoires) et tamnuai (taṃ1nvāy,
prédiction) 54, ce dernier terme étant totalement ignoré pour présenter les textes de pré-
diction. Ce n’est pas une preuve de déficience dans la perception du passé et de l’avenir,
mais simplement une nécessité : ce qui doit être dit de l’histoire des bouddhistes doit
être contenu dans une ère bouddhique, extension du corps d’un Buddha par la diffusion
de ses reliques. Les tham tamnan reconnaissent ensemble temps et espace possibles,
ils appliquent systématiquement ce qu’on pourrait appeler, comme une première loi du
genre, l’impératif bouddhologique.
Nous constatons enfin que les tamnan présentés ici, dont certains ont été copiés au
XIXe siècle, ont été recopiés jusque dans les années soixante du XXe siècle et qu’ils attes-
tent donc d’une véritable popularité. Contre toute attente, ils ont survécu à une époque
qui fut fatale à l’historiographie traditionnelle du Nord et, malgré la nature partiellement
fabuleuse de leur contenu, ils ont été en mesure d’affronter un temps la modernité. Le
traitement désinvolte, hautement littéraire dans sa performance, que les tham tamnan font
subir aux nombreuses sources de référence qu’ils contiennent (historiques et religieuses)
n’est pas le handicap qu’on aurait pu croire. Les libertés des auteurs et récitants auront
plutôt tourné à l’avantage du genre, nourri d’inspirations nouvelles.

À la suite du mouvement amorcé par D. Wyatt, nous continuerons à plaider encore


pour les tamnan, tous les tamnan mais surtout ces tham tamnan qui nous permettent
d’approcher une conscience historique et morale à l’échelle humaine, presque indivi-
duelle, trop rarement accessible dans la culture des peuples thaïs. Car les tham tamnan
contiennent des éléments (ceux-là même qui provoquaient la réflexion des auditeurs
de ces homélies) d’observations et de spéculations originales que le philologue doit
précieusement recueillir comme autant de témoignages de situations humaines et objec-
tives appartenant à une période et à une culture pivots : celle que Hans Penth décrivait
dans la formule « Culture of the Region of the Dhamma Letters » (Penth 1994a : 13),
le grand Lanna et le grand Laos. Culturellement parlant, cette région a continué de se
penser dans son autonomie jusqu’au XXe siècle et nul doute qu’à la suite du philologue,
les historiens et les anthropologues qui en sont les spécialistes sauront mettre en valeur
ces nouvelles données.

53. On ignore si le Sihiṅganidāna, composé en pāli par le mahāthera Bodhiraṃsi du Lanna, a été
précédé par un texte original en thaï. Cœdès souligne que cela n’est certain que pour le Cāmadevīvaṃsa
(1915 : 44 et note 2). Penth, au contraire, affirme que le Sihiṅganidāna a été « composed or translated
from Thai into Pāli » (1994b : 354).
54. En siamois/thaï moderne, très fréquent sous la forme thamnai (dāṃnāy, prédiction).
Temps et lieux d’histoires bouddhiques 89

Références

1) Manuscrits sur feuilles de latanier numérisés par le centre EFEO de Bangkok

Tamnan Ha Phan Phawassa, Wat Hia, Silalaeng, Pua, Nan, 016 001. « Thai-German
catalogue » : no 13.004.03.
Tamnan Kapilawatthu ou Tamnan Kapilawatthu Nakhon, Wat Pa Sak Noi, Sankam-
phaeng, 002 006. « Thai-German catalogue» : no 13.010.19.
Tamnan Khun Tham, Wat Pa Sak Noi, Sankamphaeng, 002 015. « Thai-German
catalogue » : non inventorié.
Tamnan Kwang, Wat Pa sak Noi, Sankamphaeng, 002 014. « Thai-German catalo-
gue » : no 13.010.03.
Tamnan Lokahani, Wat Pa Sak Noi, Sankamphaeng, 002 025. « Thai-German cata-
logue » : non inventorié.
Tamnan Mueang Rawaek, Wat Pa Sak Noi, Sankamphaeng, 002 002. « Thai-German
catalogue » : no 13.010.04.
Tamnan Pancha Puttha Sasana, Wat Pa Sak Noi, Sankamphaeng, 002 009. « Thai-
German catalogue » : no 13.010.07.
Tamnan Phayao, Siam Society, Bangkok, no 56/517.
Tamnan Phra Chao Klao Wai, Wat Pa Sak Noi, Sankamphaeng, 002 011. « Thai-
German catalogue » : no 13.011.02.
Tamnan Phra Kesa That, Wat Pa Sak Noi, Sankamphaeng, 002 005. « Thai-German
catalogue » : no 13.009.03 [contenu identique à 002 001].
Tamnan Phraya Tham, Wat Pa Sak Noi, Sankamphaeng, 002 020. « Thai-German
catalogue » : non inventorié.
Tamnan Phraya Thammikarat, Wat Pa Sak Noi, Sankamphaeng, 002 007. « Thai-
German catalogue » : no 13.010.18.
Tamnan Takong, Wat Pa Sak Noi, Sankamphaeng, 002 001. « Thai-German catalo-
gue » : no 13.009.12.

2) Catalogues

Le Thai-German Project for the Preservation of Northern Thai Manuscripts (Krong-


kan anurak khamphi bailan lanna doi khwam upatham khong rathaban thai sahaphan -
satharanarat yeraman) a produit entre 1988 et 1992 une série non publiée de catalogues
listant les manuscrits d’une sélection de bibliothèques monastiques du Lanna. Ces cata-
logues, ainsi que des microfilms de certains manuscrits, sont conservés au Centre for the
Promotion of Arts and Culture of Chiang Mai de l’université de Chiang Mai (Samnak
songsoem silapawathanatham). Des copies des catalogues peuvent être consultées dans
les bibliothèques de l’EFEO à Paris, Bangkok et Chiang Mai. Une compilation (voir la
référence suivante) des titres de tamnan notés sur 36 fascicules de catalogues originaux
a été réalisée au centre EFEO de Bangkok.
90 François Lagirarde

LAGIRARDE, François
2006 Northern Thai Tamnan: Titles of the Chronicles from the unpublished
catalogues compiled by the Thai-German Project for the Preservation of
Northern Thai Manuscripts, Centre EFEO de Bangkok, 81 p.
Social Research Institute (SRI)
1986 Wannakam lanna / Lan Na Literature: Catalogue of Palm-leaf Texts
on Microfilm at the Social Research Institute, Chiang Mai, Chiang Mai
University.
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