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com N°7
« Le travail n’a pas pour but la production des richesses, mais la sustentation de l’homme. » R . de la Tour du Pin
FIRMIN BACCONNIER
La figure de Firmin BACCONNIER est assez originale et assez exemplaire pour qu'on s'y arrête
un instant.
Charles MAURRAS a été tout de suite frappé par la façon simple et claire qu'avait ce jeune
autodidacte de présenter à un auditoire populaire les idées d'un BONALD ou d'un La TOUR du
PIN qu'il avait si parfaitement assimilées dans ses veillées laborieuses. Aussi lui fait-il ouvrir les
colonnes de La Gazette de France pour une série d'articles qui furent ensuite réunis en brochure
et publiés, dans la même année 1903, sous le titre : Manuel du Royaliste.
Cette plaquette connut un incroyable succès et fut tirée à deux millions d'exemplaires, grâce à la
publicité des nombreuses feuilles royalistes locales qui existaient alors. La TOUR du PIN lui
consacra cinq articles dans le Réveil Français et ouvrit dès lors à son auteur, ainsi qu'à d'autres
jeunes disciples, parmi lesquels Jean RIVAIN et Louis de MARANS, sa demeure du Faubourg
Saint-Honoré.
Ce n'était que justice, car, dans son Manuel du Royaliste, Firmin BACCONNIER s'était largement
inspiré de la doctrine sociale catholique dont La TOUR du PIN avait été le solide et brillant
théoricien.
Dans la 86ème année de son âge, Firmin BACCONNIER redresse toujours la taille, et ,si le front
est un peu plus découvert, si la châtain de la barbe s'est bellement argenté, les yeux vifs brillent
du même éclat volontaire, et les loisirs que les ans lui ont apportés restent au service de l'idéal
qui enthousiasmait ses vingt ans : rendre aux travailleurs de France le Roi qui est leur
protecteur-né !
Mercredi 20 octobre, par une lumineuse matinée d’automne, Firmin Bacconnier nous a réunis
une dernière fois près de lui. Nous avons accompagné, pieusement, sa dépouille mortelle au
cimetière de Bougival. Nos pensées et nos prières nous groupaient tous en une assemblée
recueillie.
Comme toutes les intelligences attentives et soumises au réel, Firmin Bacconnier savait tenir
sous son regard les leçons du passé, les problèmes du présent, les besoins de l’avenir. Ses
ultima verba, d’une saisissante actualité, veulent faire comprendre aux hommes d’aujourd’hui
que « mettre l’agriculture en position de porter au maximum toutes ses possibilités », c’est non
seulement réparer une grave injustice, « mais c’est aussi bâtir sur de fortes assises rurales
l’expansion industrielle. » (loc. cit.).
Sans se lasser, jour après jour, humblement et puissamment, Firmin Bacconnier montrait et
démontrait la vérité de la doctrine corporative française, celle de La Tour du Pin, celle des Rois
de France, celle des Papes. Ses articles précis et nuancés, étaient, en même temps que des
exemples de journalisme par leur riche clarté, l’application excellente, hic et nunc, de
l’empirisme organisateur. Dans la page hebdomadaire du dimanche – la page économique et
sociale – de l’Action Française (si remarquable qu’elle peut être encore lue avec profit), dans La
production Française qu’il dirigeait, à L’Ouvrier Français, dans un grand nombre de revue, de
périodiques ou de journaux spécialisés. Firmin Bacconnier posait les problèmes, économiques,
professionnels et sociaux ; il en recherchait les solutions ; et, ce faisant, il faisait beaucoup plus
que renseigner : il enseignait ses lecteurs, et il formait des disciples.
Sous l’égide de Firmin Bacconnier, à l’Union des Corporations françaises, rue du Havre, le
Cercle La Tour du Pin donnait ses cours. Guillermin, Denis (alias Marty)… publiaient leurs essais.
Lorsqu’en 1935, des professeurs de la Faculté de Droit de Paris jugèrent utile de créer l’Institut
d’études corporatives et sociales, Firmin Bacconnier prêta ses jeunes collaborateurs : agrégatifs,
avocats, professionnels.
Antoine MURAT.
La disparition de la classe ouvrière semble désormais avérée, non pas comme catégorie sociale,
mais comme sentiment d'appartenance et d'identité sociales : alors qu'il reste 23 % d'ouvriers
(au sein de la population active) dans notre pays, ceux-ci se déterminent plutôt par leurs
capacités de consommation que par leur activité professionnelle, à part quelques exceptions
notables, en particulier dans les secteurs encore artisanaux ou lorsque leur entreprise et leur
emploi sont directement menacés par des licenciements, un "plan social" (si mal nommé…) ou
une délocalisation, cela revenant souvent au même, d'ailleurs.
Vieux rêve
Solidarité
Jean-Philippe CHAUVIN
Sinistre libéralisation
Un rapport des Nations Unies remis le 20 décembre à Pascal Lamy, directeur général
de l'OMC, a souligné les effets néfastes de la libéralisation sur l'alimentation dans le
monde. Il n'a pas eu l'écho qu'il méritait.
En cette fin d'année 2008, la plupart des commentateurs économiques ont eu le regard rivé sur
l'indice de la consommation des populations des pays riches, considéré comme le dernier
rempart contre la récession et, potentiellement, comme le premier moteur de la relance.
Certains allant même à évoquer un "devoir de consommation", comme si, dans une spirale
infernale, la gabegie du système financier international devait être compensée par la propension
sans limite des individus à accumuler des biens et des services à l'utilité toute relative. Mais
qu'ils soient rassurés, le précieux indice, soutenu par les fêtes, devrait afficher, selon les
estimations, une progression de 0,3 à 0,5 % pour le dernier mois de 2008.
Dans le même temps, il est frappant de constater que peu d'observateurs ont signalé et
commenté un important rapport remis le 20 décembre à Pascal Lamy, le directeur général de
l'Organisation mondiale du Commerce (OMC), et qui apporte un démenti cinglant à tous les
discours communément admis sur les bienfaits de la libéralisation des échanges internationaux.
En effet, les travaux conduits sous la direction de Olivier De Schutter, un universitaire belge,
actuellement rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l'alimentation, apporte un
solide contrepoint aux propos des responsables de l'organisation qui affirmaient, il y a quelques
mois, lors d'une tentative de clôture du cycle de négociations de Doha, que l'abaissement
continu des protections douanières sur l'agriculture contribue fortement à l'accroissement de la
richesse mondiale et, en particulier, des revenus des paysans des pays du Sud.
Le rapport concerne, d'une part, l'impact du commerce mondial libéralisé sur la faim dans le
monde et, d'autre part, l'influence des thèses actuelles du libre échange sur la politique des États
et leur capacité à assurer la sécurité alimentaire de leurs populations.
Olivier De Schutter plaide pour une profonde remise en cause des conceptions qui président à
la libéralisation. Cette dernière, souligne-t-il, menace la situation, déjà précaire, de dizaines de
millions de petits agriculteurs et engendre des « coûts cachés » sociaux, environnementaux et
sanitaires. « Elle n'est pas plus favorable au consommateur, confronté à une forte hausse des
Le rapport De Schutter s'interroge non pas sur un avenir idéal, pensé dans les cénacles de
l'OMC et prévoyant un utopique accès aux marchés mondiaux pour les petits producteurs, mais
sur la situation actuelle. Celle-ci est caractérisée par l'incapacité des nations et des États à
mettre en oeuvre les protections indispensables pour un développement équilibré de leurs
marchés agricoles locaux. 500 millions de producteurs dans le monde sont contraints d'acheter
très cher leurs semences et leur engrais à une douzaine d'oligopoles et de revendre leur
production à un prix dérisoire. Par ailleurs, l'accent mis sur le commerce international a accru
fortement la fragmentation du monde agricole : 85 % des producteurs travaillent sur des
superficies inférieures à deux hectares, 0,5 % d'entre eux possèdent plus de cent hectares. «
Miser fortement sur les exportations accroît cet écart. On privilégie les 0,5 % les plus riches et
on marginalise les autres », constate Olivier De Shutter.
« La position de l'OMC est que ces impacts négatifs de la libéralisation seront compensés par
l'expansion des secteurs exportateurs. Cette approche, qui établit le bilan des gains et des
pertes, n'est pas satisfaisante car, dans bien des cas, les gouvernements ne sont pas en mesure
de compenser ces impacts négatifs pour leur population. » De nombreux pays ont été incités à
se spécialiser dans des secteurs où ils bénéficiaient d'avantages comparatifs : le coton pour
l'Afrique de l'Ouest, le café pour la Colombie et l'Éthiopie...
Il leur a été promis qu'avec les devises ainsi engrangées, ils pourraient importer de quoi nourrir
leur population pour un prix inférieur à ce qu'ils auraient pu produire eux-mêmes. A contrario, ils
sont aujourd'hui dépendants par rapport à des indices boursiers de plus en plus volatils.
Après une baisse des cours de leurs produits, ils ne peuvent plus payer leurs importations, dont
la valeur a été parfois multipliée par cinq ou six. L'évolution encouragée par l'OMC a même
transformé en importateurs des pays qui étaient autosuffisants.
Un retour des protections nationales et des modèles de développement locaux est donc plus
que jamais nécessaire.
Patrice MALLET
Le "blues" de l'agriculture
française
Montrés du doigt lorsque flambent la baguette ou les pâtes, les agriculteurs voient les prix de
l'agroalimentaire rester stables lorsque les prix agricoles repartent à la baisse... Et dans un
contexte de hausse des charges et d'incertitude sur l'avenir de la PAC, ils s'inquiètent d'une
dérégulation des marchés.
Lorsque s'est amplifié, fin 2007, le débat sur le pouvoir d'achat, c'est vers les agriculteurs que
les consommateurs ont été invités à se tourner : la flambée des prix des produits alimentaires
était due, nous expliquait- on, à la hausse des prix des matières premières agricoles. C'était
oublier un peu vite que les celles-ci comptent finalement assez peu dans le prix du produit vendu
au consommateur. Le coût du blé dur ne représente que 50 % du prix des pâtes. Les prix
agricoles n'étaient donc pas seuls responsables de la flambée des prix...
Surtout, alors que le prix du blé a recommencé à baisser depuis le printemps, le prix de la
baguette, dont les boulangers avaient justifié l'augmentation à proportion de celle du blé, n'est
pas reparti à la baisse. Mais le prix du blé ne représente qu'environ 5 % du prix final de la
baguette... Fin 2007, les syndicats agricoles avaient réclamé un observatoire, sous l'autorité de
l'administration des fraudes, chargé de contrôler précisément les marges pour déterminer les
responsabilités. Ils ne l'avaient pas obtenu. Et ne l'obtiendront pas plus maintenant qu'ils veulent
comprendre pourquoi la baisse de leurs prix de vente n'est pas répercutée sur les produits qu'ils
trouvent dans les rayons des grandes surfaces. Accusés de peser sur le pouvoir d'achat des
Français lorsque leurs prix augmentent, oubliés lorsque ceux-ci repartent à la baisse, les
agriculteurs français ont le "blues". D'autant que, si le
temps de la flambée des prix agricoles est terminé, les
hausses de charges demeurent. Utilisé pour les engins
agricoles ou le chauffage des serres et des élevages, le
pétrole est également la base de la fabrication d'engrais,
de bâches agricoles et de nombreux intrants qui n'ont
cessé d'augmenter ces dernières années.
L'exemple du lait
Échec de Barnier
Mais que deviendra cette politique après 2013, lorsque son budget sera renégocié ? Michel
Barnier a échoué dans sa tentative de faire signer par ses collègues un texte promettant de
maintenir une politique agricole "ambitieuse". Après le refus du Royaume-Uni, de la Suède et de
la Lettonie, l'accord adopté vendredi 28 novembre précise seulement que l'UE devra conserver
après 2013 une politique agricole commune « suffisamment ambitieuse». Cet échec est un
avant-goût de la renégociation budgétaire de la PAC, qui consomme actuellement 53 milliards
d'euros, soit environ 40 % des ressources communautaires. Et c'est l'agriculture française, qui
bénéficie de 10 milliards d'euros de subventions européennes, qui aura le plus à perdre. Après
un demi-siècle d'une politique qui a maintenu l'agriculture française dans une logique de
subventions et de soutien des prix, la sortie de la PAC sera particulièrement douloureuse. Et plus
encore que la conjoncture, c'est sans doute cette incertitude sur l'avenir qui donne le "blues" à
nos agriculteurs.
Guillaume CHATIZEL
Pour connaître les solutions et avoir le courage de les envisager, il faut aussi observer la vie de
nos aïeux et comprendre, sans oublier la leçon maurrassienne de l’empirisme organisateur : « la
vraie tradition est critique ».
Cet esclavage vint en France grâce à la Révolution, dans les valises des « philosophes éclairés
» et inonda notre pauvre pays exsangue des
excès révolutionnaires. Le Libéralisme
économique et la République, en définitive, ne « Le premier effet d’une institution saine,
font qu’un. Il serait chimérique de penser
pouvoir garder l’un en excluant l’autre. « La c’est d’infléchir l’égoïsme individuel au
Démocratie est la forme politique du
capitalisme » affirmait avec raison Georges
service du bien commun et de faire coïncider
Bernanos. C’est d’ailleurs ce que beaucoup dans la plus large mesure possible
d’esprits n’ont pas compris, ou pas voulu
comprendre… l’intérêt privé et le devoir social »
Le socialisme, né des excès du capitalisme et
en réaction à ceux-ci, ne remet pas Gustave THIBON
fondamentalement en question le système,
c’est pour cela que sa critique reste stérile : les royalistes, eux, n’ont pas ce genre de timidité,
comme le rappelle cet article du « Feu follet », revue des étudiants monarchistes des années 80:
« Nous ne sommes pas les défenseurs du capitalisme. Le capitalisme est pour nous une création
libérale qui non seulement désorganise l'économie et suscite des injustices mais qui, de plus, se
trouve être le plus sûr soutien matériel de la Démocratie. Le capitalisme comme celle-ci
instituent le triomphe de l'Or en détruisant la loi du sang ».
Un long article d’Hervé Bizien rappelle opportunément comment les « Catholiques sociaux »,
pour la plupart monarchistes, luttèrent pour la justice sociale dans la France post-révolutionnaire
.La révolution de 1789, avant même de guillotiner et massacrer le peuple, le spolia de ses
organisations professionnelles et de son patrimoine corporatif (servant aux œuvres sociales) par
les sinistres et très libérales lois d’Allarde et Le Chapelier de 1791, véritables actes fondateurs de
l’exploitation du prolétariat…
La république interdit aux ouvriers de s’associer, diminua les salaires et obligea femmes et
enfants aux travaux pénibles (14 heures par jour…) pour subvenir au salaire du mari. Celle-ci
supprima aussi les fêtes religieuses et institua le Décadi, semaine de 10 jours de travail sans
repos, sans doute pour mieux appliquer la formule de Benjamin Franklin, « le temps c’est de
l’argent »…(selon Alain Decaux nous avions pratiquement autant de jours de repos avant 89
qu’aujourd’hui).
Contre cela les royalistes (dont la doctrine peut se résumer par cette formule : « social parce
que royaliste ») s’opposèrent et se battirent contre les lois ignobles pour restaurer un semblant
de législation sociale et humaine dans ce système qui ne l’était plus… « Quoi ! En moins de deux
mois, un seul entrepreneur aurait pu réaliser trente mille francs de bénéfice net, et il s’étonne
que les ouvriers auxquels il aurait dû ces immenses profits réclament dix centimes de plus par
heure ! » (Berryer)
Albert de Mun en 1841 proposait déjà une législation internationale, « …l’adoption d’une
législation internationale qui permette à chaque Etat de protéger l’ouvrier,sa femme et son
enfant,contre les excès du travail,sans danger pour l’industrie nationale ». On y voit une
préoccupation humaniste bien plus réelle que celle des tenants des droits de l’homme.
François-Laurent Balssa nous explique plus loin dans ce numéro si riche et si utile pour le
combat social monarchiste comment le néo-libéralisme est en fait un retour aux sources des
théories du XVIIIème siècle : « Tel est le legs d’Hayek et de sa famille. Une société sans Etat,
des nations sans frontières et un corps social sans abri. » Et Jacques Cognerais d’expliquer la
progression du régime de l’économie et des finances avec Jean-Jacques Servan Schreiber,
Pompidou et Giscard : « Avec Foutriquet au pouvoir, l’argent ne trouvera aucun obstacle : dans
la période d’attente et de détour, tant que la France n’est pas encore le rien promis pour l’an
deux mille, l’internationale de cet argent, les sociétés multinationales entre autres, n’auront à
redouter aucune intrusion un peu sérieuse d’un Etat qui abdique ses droits régaliens, la défense
du pauvre comme l’indépendance nationale, ce qui n’empêche en rien l’exercice solitaire de sa
tyrannie.» (Pierre Boutang ).
En somme, et c’est la grande leçon que l’on peut tirer de cette lecture du « Choc du mois » de
septembre dernier, rien de social ne pourra se faire sans une politique d’Etat digne de ce nom,
sans un Etat conscient de ses devoirs et prêt à les assumer, pour le bien des Français : si le mot
n’apparaît pas explicitement dans cette revue, nous pouvons, quant à nous, le souffler aux
rédacteurs de ce dossier : la Monarchie…
Frédéric WINKLER
La loi du travail
"La loi du travail est le fondement de toute l'économie sociale, parce qu'elle est la loi même de la
vie humaine. Cette vie, en effet, ne s'entretient physiquement et intellectuellement qu'au prix
d'une série continuelle d'efforts, et chacun de ces efforts est pénible. Malheur à la famille,
malheur à la classe, malheur à la société qui parvient à se soustraire momentanément à la loi du
travail. Mais malheur aussi à l'enseignement qui méconnait l'esprit et le but de cette loi
fondamentale de l'économie sociale, et qui définit celle-ci la science des richesses, "la
chrématistique". Non. Le travail n'a pas pour but la production des richesses, mais la
sustentation de l'homme, et la condition essentielle d'un bon régime du travail est de fournir en
suffisance d'abord au travailleur, puis à toute la société, les biens utiles à la vie.
De tous les régimes du travail en cours dans l'humanité, y compris le régime servile, nul ne
donne moins de garantie à l'accomplissement des fins providentielles que celui dit "de la liberté
du travail", qui est propre à la société moderne. La concurrence illimitée, qui en est le ressort,
subordonne en effet les relations économiques à la loi dite de l'offre et de la demande, loi qui
fonctionne précisément à l'inverse de la loi naturelle et divine du travail, puisque par son jeu, la
rémunération du travail salarié est d'autant plus faible que le besoin de la classe ouvrière est
plus intense. Elle est donc absolument barbare. C'est pourtant là ce que n'ont pas encore montré
les chaires dites de la Science. Le régime de la liberté du travail n'est d'ailleurs pas plus
profitable au patron qu'à l'ouvrier, parce qu'il entraîne, pour l'un comme pour l'autre, la même
insécurité par suite de la même tyrannie. Il n'est pas davantage profitable à la société, où il
engendre les haines de classe et prépare les bouleversements en mettant les intérêts en
antagonisme au lieu de les harmoniser."
Dans une intervention télévisée consacrée au pouvoir d’achat des Français, le président de la
République a ouvert la porte à une remise en cause du repos dominical. Le gouvernement
prépare une évolution législative en ce sens. Alors que la France traverse une crise grave qui
appelle des remèdes appropriés, le prince Jean dénonce ce qui serait une atteinte à l’équilibre de
notre société.
L’objection que seuls les volontaires pourront travailler le dimanche ne tient pas. Au contraire,
les chefs d’entreprise seront incités à privilégier l’embauche de demandeurs d’emploi prêt à
travailler le dimanche sur ceux qui ont charge de famille et veulent s’occuper de leurs enfants ce
jour-là. C’est la logique économique qui prévaudra sur l’intérêt de la société.
Il existe bien d’autres façons de relancer l’activité économique sans que les Français attachés à
leur vie de famille en fassent les frais. Le taux d’occupation des jeunes et des seniors, on le sait,
est l’un des plus faibles d’Europe. C’est un gâchis. Voilà un point sur lequel l’Etat doit peser de
tout son poids : réformer le système éducatif de sorte que les jeunes convenablement formés qui
arrivent sur le marché du travail n’y trouvent pas que des portes closes ; et favoriser l’emploi
des « seniors » dont les entreprises se séparent trop souvent après 50 ans alors qu’ils sont à un
niveau optimal de compétence et d’expérience.
Mais la question du travail le dimanche – après celle du lundi de Pentecôte – n’est pas
seulement une question économique : c’est un choix de civilisation. Ne privons pas les hommes
et les femmes de notre pays du droit de se reposer, à l’issue d’une semaine de travail souvent
difficile. Ne privons pas les parents et les enfants du bonheur de se retrouver en famille. Ne
privons pas les croyants de la faculté de pratiquer leur religion. Ne soumettons pas nos vies à la
tyrannie de l’argent-roi et du time is money.
Parce que l’homme est bien plus qu’un consommateur, parce que la vie respecte le travail, mais
est aussi bien plus que le travail, sauvons le dimanche.
Je cite de mémoire car c’est un vieux souvenir de lecture et je n’ai plus le texte de Thibon sous
les yeux mais je n’en trahis certainement pas l’esprit et je trouve cette réflexion admirable parce
que profondément juste.
Pendant plusieurs dizaines de siècles, du roi-laboureur d’Eleusis à qui Cérès enseigna l’art de se
servir de la charrue et la culture du blé jusqu’aux paysans du XXème siècle qui surent, à travers
les générations et sur le même terroir, maintenir la fertilité de la terre et l’harmonie du paysage
en passant par les moines défricheurs du Moyen-Âge, les manants du XIIIe siècle (le siècle d’or
français) et les premiers agronomes de terrain des XVIIIe et XIXe siècles, c’est-à-dire tous ceux
qui ont vraiment édifié la civilisation occidentale, tous ont respecté la nature et n’ont jamais
transgressé ses lois.
José-Maria de Hérédia a, lui aussi, joliment célébré l’Ager Romanus en quelques sonnets réunis
sous le titre Hortorum Deus où le poète souligne justement la relation naturelle et obligée de
cause à effet entre la qualité du travail agricole, l’honnêteté et l’aisance de la famille paysanne :
Puis vint la décadence. Rome s’écroule sous les coups des Barbares certes mais ceux-ci ne
sauraient faire oublier l’effondrement de l’intérieur dont la première cause est l’abandon de
l’agriculture. L’Ager Romanus cultivé avec amour par la famille évoquée dans les vers de hérédia
fait place à des grands domaine livrés à des intendants cupides et cultivés par des esclaves
irresponsables préfigurant, au-delà des siècles, le kolkhose soviétique. Tandis que les campagnes
se dépeuplent, les villes – et surtout la Ville – croissent démesurément. Y afflue une population
instable, désoeuvrée, manipulée, assistée par un Etat bureaucratique […]. Les mœurs se
corrompent, la natalité s’effondre et alors, mais alors seulement, les Barbares portent le coup de
grâce.
Mais de nouveau malheurs accablent la France : la guerre de Cents Ans et les campagnes
livrées aux Grandes Compagnies. Après un siècle de paix relative, de Charles VII à François Ier,
vint la plus grande catastrophe européenne avant la révolution française : la réforme. Luther,
fléau de l’Europe, après avoir fait massacrer des milliers de paysans en Allemagne, allume en
France la guerre civile dont les paysans furent les principales victimes. Mais, de nouveau, c’est le
redressement : Henri IV, Sully, Olivier de Serres.
Le seigneur de Pradel est un huguenot modéré qui essaie de toute son autorité d’arrêter la
guerre civile dans son Vivarais natal qui s’est donné à la réforme et ne désarme pas malgré l’Edit
de Nantes. Et c’est un peu l’échec de ses tentatives de conciliation face à des adversaires
fanatiques qui le fait se replier sur son domaine de Pradel où il s’adonne à l’agriculture.
Ce vaste domaine, fondé en 1284 par Philippe III le Hardi, devint alors un véritable laboratoire
d’agronomie, non pas à la manière irresponsable dont l’INRA fait ses expériences avec l’argent
des contribuables, mais à la manière du bon père de famille qui fait fructifier son domaine et
considère que la campagne est le seul endroit où l’on peut pratiquer l’art de vivre «
honnestement ». Les observations et les travaux d’Olivier de Serres ont donné naissance au
Théâtre d’agriculture et mesnage des champs, chef- d’œuvre immortel de la littérature agricole
qu’on ne se lasse pas de relire.
Sur le plan politique il faut noter la rencontre des préoccupations agricoles du seigneur du
Pradel avec celles d’Henri IV engagé dans la voie de la reconstruction de la France. Cela « illustre
un de ces rares moments dans l’Histoire où l’intérêt porté à une activité fondamentale converge
très exactement avec la politique d’un gouvernement. La parution au mois de juillet 1600 du
Théâtre d’agriculture représente, tant pour nous qu’aux yeux des contemporains, cette chance
exceptionnelle que rencontra Henri IV de voir ses efforts pour rétablir l’agriculture secondés par
l’ouvrage d’un homme qui, paradoxalement, avait pratiqué et étudié l’agriculture, consigné le
fruit et les expériences de son savoir et milité en faveur du protestantisme précisément pendant
le temps des guerres de religion dont le Roi, après un demi-siècle de troubles, s’engageait à
réparer les immenses désordres (3) ».
Il est très rare en effet qu’un gouvernement français s’intéresse à l’agriculture sans arrière-
pensée, uniquement parce qu’il considère celle-ci, non seulement comme la source du
ravitaillement, mais aussi comme la pierre angulaire d’une société harmonieusement organisée.
[…].
L’agriculture retient à nouveau l’attention des élites dans la seconde moitié du XVIIIe siècle
avec l’école physiocratique pour qui toute richesse vient de la terre. En Anjou on garde le
souvenir du marquis de Turbilly qui rénova l’agriculture du Baugeois. Après la révolution et
l’empire, premier génocide paysan avec la Vendée et les guerres impériales, la Restauration, la
Monarchie de juillet et le second empire sont marqués par l’intérêt que portent les propriétaires
terriens à leur domaine. C’est l’époque de l’anglomanie et l’on introduit des races anglaises
bovines et ovines réputées devoir améliorer le cheptel national. Ce n’est pas toujours évident
mais le XIXe siècle est le grand siècle de l’élevage avec la sélection des races et la création des
herd-books. Une fructueuse collaboration s’établit entre propriétaires et métayers et, à la veille
de la Grande Guerre, second génocide paysan, la France est une grande nation agricole et, grâce
à l’agriculture, une nation riche.
Ce n’est pas sans raison que la Communauté Economique européenne par s’occuper de
l’agriculture : pour la transformer en industrie, en faire un objet de commerce international et
supprimer les paysans. Evoquant les trente ans de la CEE, Yves Daoudal écrivait : « Cette
fameuse politique agricole commune est en effet quasiment synonyme de CEE donc d’Europe :
88% des dépenses communautaires concernent l’agriculture. Et malgré ces énormes dépenses le
revenu agricole continue de baisser, l’exode rural se poursuit sous l’œil satisfait des technocrates
européens qui ont juré la fin des paysans pendant que des stocks gigantesques de beurre et de
viande s’accumulent à l’heure où des gens meurent de faim dans le Tiers-monde et où, dans nos
pays même, se développent de nouvelles soupes populaires (5) ».
Plus de paysans, une société éclatée, une population laminée par le socialisme, les Barbares
sont dans la place et une Eglise « nouvelle » semble douter de sa mission civilisatrice.
L’agriculture assassinée
de Jean-Clair Davesnes - édition de Chiré