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La fin de l’époque républicaine, dans la seconde moitié du Ier siècle av. J.-C., a
été marquée par de profonds troubles politiques. L’ambition pour le pouvoir a
précipité les habitants de Rome et la péninsule italienne tout entière dans de
violentes guerres civiles, orchestrées par de puissants chefs politiques au charisme
indéniable qui, à la tête de leurs partisans, se disputent la domination du monde
conquis : Marius et Sylla, César et Pompée, Octave et Marc-Antoine, héritiers de
César. Ce climat très instable, marqué par l’atrocité des luttes intestines et la
radicalité des proscriptions8, a frappé les esprits et l’imaginaire des Romains,
horrifiés par la vision sacrilège de citoyens s’entretuant. Pour certains, les guerres
civiles sont d’ailleurs l’une des conséquences du meurtre de Rémus par Romulus :
ce sacrilège perpétré aux origines de la cité serait retombé sur leurs descendants.
Chez les Romains du Ier siècle s’est progressivement infiltrée l’idée que non
seulement le régime républicain était à l’agonie, incapable de stabiliser les
insurmontables dissensions internes, mais que les dieux mêmes de la cité s’étaient
détournés de ce peuple impie. En effet, les Romains pratiquent une religion
civique où les dieux sont intimement liés à l’ordre politique : la prospérité de
Rome, ses succès militaires et l’étendue de sa puissance sont voulus par les dieux,
satisfaits des rites et des offrandes que les citoyens leur accordent. Lorsque le
malheur frappe la cité et son empire, c’est le signe que certains actes religieux
n’ont pas été correctement exécutés et que les dieux sont mécontents et insatisfaits.
Il faut donc renouer le lien, faire la paix avec les habitants du ciel en multipliant à
leur égard les actes de piété. On comprendra alors l’habileté d’un Octave, fils
héritier de Jules-César, qui, après avoir battu à Actium en 31 av. J.-C. son ennemi
Marc-Antoine allié à la reine d’Égypte Cléopâtre, décide de mettre en place les
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Un citoyen proscrit est condamné à mort comme ennemi public, les membres proches de sa
famille sont souvent exécutés avec lui, et ses biens confisqués.
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— Littérature latine L1 : Les Origines de Rome – © Anne Rolet 2021 —
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Lire le texte en ligne ici : < http://remacle.org/bloodwolf/poetes/falc/hesiode/travaux.htm>.
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enfin l’âge de fer. Ce dernier est caractérisé par le stade ultime des vices (avidité,
impiété, négligence des lois, dédain de la famille), par la passion des guerres et des
armes, par le goût pour la navigation en vue de combattre et de piller d’autres
peuples, sur fond d’une subsistance difficile où l’agriculture est nécessaire et
pénible. Puis un recommencement s’engage, avec le retour de l’âge d’or. En
exploitant l’ambiance très sombre des dernières années de la République, au cours
desquelles retentissent partout dans le bassin méditerranéen des prédictions
d’apocalypse et des oracles (en particulier ceux de la Sibylle de Cumes) et où
s’expriment des espérances millénaristes entretenues par diverses sectes
philosophiques et religieuses, Octave laisse entendre qu’il s’agirait là des troubles
caractéristiques des dernières années de l’âge de fer, qui vont clore la période
républicaine. Il présente son avènement comme le signe que le grand cycle des
âges (environ dix mille ans ou Grande Année selon un calcul pythagoricien) va
recommencer, avec la réouverture prochaine de l’âge d’or, sous l’égide du dieu
Apollon/Phébus, dieu qui patronne la lumière solaire ainsi que les activités
poétiques et oraculaires. Cette ouverture est annoncée dans la 4 des Bucoliques de e
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Triomphes sur les Pannoniens et les Dalmates, sur l’Égypte, sur Cléopâtre et Marc-Antoine à
Actium.
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Voir le vers 8, 720 : Ipse, sedens niueo candentis limine Phoebi, « Lui-même, siégeant sur le seuil de
l’éclatant Phébus ». Voir tout le texte ici (v. 714-729) : <http://bcs.fltr.ucl.ac.be/Virg/V08-626-
731.html>.
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Lire tout le texte (v. 671-713) ici : <http://bcs.fltr.ucl.ac.be/Virg/V08-626-731.html>.
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(Pallantée en français, qui évoque bien sûr le nom de « Palatin »), à l’emplacement
même de ce qui sera la future Rome de Romulus. Évandre guide Énée et ses
compagnons dans une visite du site, mais les lieux que le roi d’Arcadie désigne
aux Troyens au cours de la promenade n’ont pas une finalité pittoresque ou
touristique. Ils sont systématiquement rattachés à l’histoire postérieure de Rome à
travers la voix très présente d’un narrateur qui fait sans cesse le va-et-vient entre
les époques, par exemple dans ces quelques vers :
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proposent dans leurs Élégies une vision analogue des origines de Rome où passé
des origines et présent augustéen se mêlent constamment à travers l’évocation
d’un paysage bucolique qui annonce la grandeur future de la Ville13.
Mais ce rappel des origines arcadiennes du site romain joue également un autre
rôle chez Virgile. Ce dernier fait en effet de la rencontre entre Énée et Évandre une
leçon philosophique qui rappelle à Énée, qui a vécu dans la très riche cité asiatique
de Troie, l’importance du modèle de vie, articulé autour de trois domaines
principaux. Le roi arcadien Évandre, fidèle à sa région d’origine, incarne en effet
les vertus d’une vie humble : son trône est d’érable, les lits de banquets sont en
gazon, et il offre à Énée un lit de branchages pour la nuit et, pour toute couverture,
une peau d’ourse lybienne (Aen., 8, 367-368). Il manifeste également une profonde
piété envers les dieux : Évandre est en train de célébrer le culte d’Hercule
lorsqu’Énée arrive (Aen., 8, 268-305). Enfin, il fait preuve d’un grand respect des
liens familiaux. Ainsi, tandis qu’Évandre se souvient d’avoir rencontré et
beaucoup admiré le père d’Énée, Anchise (Aen., 8, 156-174), Énée lui rappelle que
leurs deux familles sont parentes et descendent d’Atlas : Dardanos, l’ancêtre
d’Énée, est né d’Électre, fille d’Atlas, tandis qu’Évandre est né d’Hermès, le fils de
Maïa, elle aussi fille d’Atlas (Aen., 8, 130-140). Fidèle à ces généalogies qui les
rapprochent par les liens du sang, Évandre met donc son fils Pallas au service
d’Énée et de ses troupes, pour pouvoir vaincre les peuples italiens révoltés contre
les Troyens. Pallas perdra d’ailleurs la vie au cours des combats. Cet appel à la
sobriété de la part de Virgile s’explique par une sorte de défiance culturelle très
prononcée qu’ont affichée les Romains à partir du III siècle av. J.-C. face à l’Orient.
e
Rome est alors mise en contact avec les puissantes civilisations orientales (Grèce,
Asie Mineure), connaît des afflux massifs de biens et d’or liés aux conquêtes
militaires et se voit confrontée à la prestigieuse culture grecque ainsi qu’aux
modes de vie somptueux des souverains hellénistiques. Tandis qu’elle goûte à
cette révolution de civilisation, tout un ensemble de notables (on pense à Caton le
Censeur) puis d’écrivains romains (tels les historiens Tite-Live ou Salluste)
mettent en garde leurs concitoyens sur le risque moral qu’il y a à succomber aux
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Properce, 4, 1 (à lire ici : <http://remacle.org/bloodwolf/poetes/properce/livre4.htm>) ;
Tibulle, 2, 5 (à lire ici : <http://bcs.fltr.ucl.ac.be/TIB/Tib2.html - 5>).
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