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Honneth
Ce que social
veut dire
I. Le déchirement du social
Ouvrage traduit
avec le concours du Centre national du livre
Gallimard
Introduction à l’édition française
1. Axel Honneth, La Lutte pour la reconnaissance, trad. Pierre Rusch, Paris, Éditions du
Cerf, 2000 (rééd. Gallimard, Folio essais, 2013). [L’édition allemande originale est de 1992.
(N. d. T.)]
2. Cf. notamment Barrington Moore, Injustice. The Social Bases of Obedience and Revolt,
White Plains, N. Y., M. E. Sharpe, 1978 [trad. fr. : Les Origines sociales de la dictature et de la
démocratie, Paris, Maspéro, 1969] ; Edward P. Thompson, Plebejische Kultur und moralische
Ökonomie. Aufsätze zur englischen Sozialgeschichte des 18. und 19. Jahrhunderts, Francfort-
sur-le-Main, Ullstein, 1980 [en français, voir : « L’économie morale de la foule dans
l’Angleterre du XVIIIe siècle », in La Guerre du blé au XVIIIe siècle, Paris, Les Éditions de la
Passion, 1988].
3. Sur Sartre, voir aussi mon article « Erkennen und Anerkennen. Zu Sartres Theorie der
Intersubjektivität », dans Unsichtbarkeit. Stationen einer Theorie der Intersubjektivität,
Francfort-sur-le-Main, 2003, p. 71-105.
4. Sur l’ensemble de cette problématique, cf. Penser la reconnaissance. Entre théorie
critique et philosophie française contemporaine, sous la dir. de Miriam Bankovsky et Alice Le
Goff, Paris, CNRS Éditions, 2012.
5. Cf. Axel Honneth, « Untiefen der Anerkennung. Das sozialphilosophische Erbe Jean-
Jacques Rousseaus », dans WestEnd. Neue Zeitschrift für Sozialforschung, 9e année (2012), n
° 1/2, p. 47-64.
6. Il n’est peut-être pas inutile de rappeler ici que le champ sémantique du terme
« Anerkennung » n’inclut pas le sens de « gratitude » qui est attaché au français
« reconnaissance », et qui affleure en particulier dans des locutions comme « expression de
reconnaissance », « témoignage de reconnaissance », etc. Celles-ci ne désigneront ici rien
d’autre que les signes par lesquels je manifeste que je reconnais (prends en compte, apprécie,
valorise) l’existence d’autrui. Cf. aussi p. 23, la note 2 de l’auteur. (N. d. T.)
7. Ibid.
8. David Miller, Principles of Social Justice, Cambridge, Mass., 1999.
9. Cf. à ce sujet Yirmiyahu Yovel, Kant and the Philosophy of History, Princeton, N. J.,
1980, IIe partie [trad. fr. : Kant et la philosophie de l’histoire, Paris, Méridien Klincksieck,
1989].
10. Cf. aussi mon étude Les Pathologies de la liberté. Une réactualisation de la Philosophie
du droit de Hegel, trad. Franck Fischbach, Paris, La Découverte, 2008.
11. Alexandre Kojève, Introduction à la lecture de Hegel. Leçons sur la Phénoménologie de
l’Esprit, Paris, Gallimard, 1947.
12. Jean-Paul Sartre, L’Être et le néant, Paris, Gallimard, 1943, troisième partie, chapitre
premier, IV.
13. Il faut peut-être attribuer un rôle ici aux différences sémantiques entre le terme
français « reconnaissance » et l’allemand « Anerkennung », qui présente des connotations
normatives beaucoup plus marquées. Cf. à ce sujet Paul Ricœur, Parcours de la
reconnaissance, Paris, Stock, 2004, rééd. Gallimard, Folio essais, 2005, « Introduction ».
14. Cf. notamment Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, Paris, Seuil, 1997, chap. V.
15. Cf. Luc Boltanski, De la Critique. Précis de sociologie de l’émancipation, Paris,
Gallimard, 2009.
16. Cf. par exemple Patchen Markell, Bound by Recognition, Princeton, N. J., 2003.
17. Axel Honneth, « La reconnaisance comme idéologie », dans La Société du mépris.
Vers une nouvelle Théorie critique, Paris, La Découverte, 2006, p. 245-274.
18. Cf. à ce sujet Jean-Philippe Deranty, Beyond Communication. A Critical Study of Axel
Honneth’s Social Philosophy, Leiden/Boston, 2009, en particulier p. 467-479.
19. Axel Honneth, « Invisibilité : sur l’épistémologie de la “reconnaissance” », dans La
Société du mépris. Vers une nouvelle Théorie critique, op. cit., p. 225-243.
20. Cf. par exemple Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Paris,
Gallimard, 1945, troisième partie, chap. III, § 30.
21. Sur Foucault, cf. Axel Honneth, Kritik der Macht. Reflexionsstufen einer kritischen
Gesellschaftstheorie, Francfort-sur-le-Main, 1985 ; sur Durkheim, cf. les nombreuses
références que je fais à son œuvre dans Das Recht der Freiheit. Grundriß einer demokratischen
Sittlichkeit, Berlin, 2011 [à paraître aux Éditions Gallimard, 2014].
22. Jean-Paul Sartre, Cahiers pour une morale, Paris, Gallimard, 1983.
Première partie
RACINES HÉGÉLIENNES
Chapitre premier
DE L’IRRÉDUCTIBILITÉ DU PROGRÈS
On sait que Kant a donné deux, voire trois raisons pour lesquelles
nous sommes méthodologiquement en droit de comprendre l’histoire
de l’humanité dans son ensemble comme un progrès orienté vers un
but ; il n’est pas rare de trouver dans le même texte deux de ces
justifications mentionnées côte à côte, de sorte qu’on a quelque raison
de penser qu’il a jusqu’à la fin de sa vie balancé entre les différentes
possibilités 10. Parmi les projets concurrents, la proposition qui a
certainement le plus de poids aujourd’hui est celle qu’une série
d’interprètes a désignée à juste titre comme la proposition
« théorique » ou « cognitiviste 11 », parce qu’elle est basée sur un
intérêt théorique de notre raison. Selon cette approche, nous sommes
animés d’un besoin tout à fait légitime d’unifier notre perception du
monde, déchirée entre déterminisme et liberté, en reconstruisant la
succession désordonnée des événements du passé à partir de
l’hypothèse heuristique d’un dessein de la nature, de manière à
pouvoir y lire une progression dans l’ordre politique et moral. Kant a
développé les grandes lignes de cette argumentation dans son article
« Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique »
(1784), mais c’est seulement dans le § 83 de la Critique de la faculté de
juger (1790) qu’apparaissent les formulations qui lui auront paru ne
serait-ce qu’à demi satisfaisantes sur le plan méthodologique. Si l’on
fait abstraction de leurs différences, ces deux écrits offrent le support
textuel à partir duquel il est possible de se représenter le premier
modèle kantien de justification de l’hypothèse du progrès.
Le point de départ de la construction est fourni par la thèse selon
laquelle notre raison ne peut se résoudre à laisser subsister une faille
entre le règne des lois naturelles et la sphère de la liberté morale.
Nous avons au contraire un intérêt purement cognitif à donner au
monde des phénomènes, régi par des lois naturelles, une unité qui le
relie après coup aux principes de notre autodétermination pratique.
Ce besoin de rattacher les deux mondes est servi par notre faculté de
juger réfléchissante, qui, à la différence de la déduction déterminante,
n’infère pas le particulier de principes universels, mais associe à une
multitude de phénomènes particuliers un universel 12. Le principe
conceptuel dont elle dispose a priori pour cette opération, comme la
raison pratique dispose de la loi morale, ou la raison théorique de la
causalité, c’est la catégorie de la « finalité ». Si nous appliquons
maintenant au domaine de l’histoire humaine cette idée d’une
« finalité » forgée par la faculté de juger réfléchissante, comme Kant
le fait au § 83 de la Critique de la faculté de juger, il en résulte cette
justification méthodologique consistant à comprendre la « marche
absurde 13 » de l’histoire dans un sens pour ainsi dire contrefactuel,
comme le résultat d’un dessein que la nature nourrit à notre endroit,
et qu’elle poursuit à travers tant de regrettables détours. De là, il ne
reste plus qu’un petit pas à franchir pour arriver à l’hypothèse du
progrès, à laquelle Kant fait aboutir sa théorie de l’histoire : à la
question de savoir quelle fin la nature heuristiquement érigée en sujet
pourrait bien avoir assignée à l’histoire humaine, il répond — en
accord avec son système — que ce ne peut être le bonheur humain,
mais seulement notre capacité à « [nous] proposer à [nous-mêmes] en
général des fins 14 », c’est-à-dire notre liberté pratique. Nous
retournant sur notre propre histoire, nous pourrions donc utiliser le
fil directeur heuristique d’un dessein de la nature pour concevoir
l’apparent chaos des calamités humaines comme une unité ordonnée,
dans laquelle il serait possible de reconnaître le motif d’un processus
orienté vers l’amélioration de nos capacités d’instaurer des fins. Kant
résume sous le nom de « culture 15 » tout ce qui contribue à rendre
possible une telle liberté pratique. Le développement de cette culture
s’opère, à ses yeux, selon le double axe de la civilisation de notre
nature d’êtres de besoins, et de l’accroissement de nos « aptitudes »
spirituelles. Mais cette image d’un dessein de la nature déterminant
un progrès dans la culture humaine reste incomplète, tant qu’on n’y
ajoute pas l’idée de Kant selon laquelle le dressage des besoins, tout
comme l’élargissement des capacités mentales, ne peuvent vraiment
s’effectuer que dans le cadre d’un État de droit, voire d’un dispositif
de paix à l’échelle mondiale 16.
Kant, cependant, ne s’est manifestement jamais satisfait de ce
premier mode de validation de l’hypothèse du progrès ; le simple fait
qu’il a ajouté au titre de son article sur « L’idée d’une histoire
universelle » la formule « au point de vue cosmopolitique » indique
qu’il tente de donner aussi à sa construction une justification pratico-
morale 17. Une telle alternative apparaît dans les écrits de Kant à
chaque fois qu’il veut fonder non pas dans un intérêt théorique, mais
dans un intérêt pratique de notre raison, l’hypothèse contrefactuelle
d’une action finalisée de la nature au sein de l’histoire humaine. À cet
égard, il faut citer en premier lieu les articles « Sur le lieu
commun… » (1793) et « Projet de paix perpétuelle » (1795), tous deux
rédigés après l’achèvement de la Critique de la faculté de juger. De fait,
Kant argumente ici autrement que dans le cadre de son premier
modèle de justification, puisqu’il tient maintenant l’hypothèse d’un
progrès historique pour indispensable à la possibilité et à
l’accomplissement de la loi morale. Le respect de l’impératif
catégorique nous oblige en effet à considérer que ce qui est
moralement prescrit a déjà pu opérer dans le passé historique. Encore
une fois, il faut faire abstraction des différences entre les deux articles
concernés, pour cerner brièvement le noyau de l’argument kantien.
Le point de départ des réflexions, cette fois-ci, n’est plus fourni
par le point de vue d’un observateur qui souhaite établir une
articulation d’ordre cognitif entre la nature et la liberté, mais par la
perspective d’un acteur qui se sait lié à la loi morale. Aussi tout ce que
Kant dira par la suite ne vaut qu’avec cette restriction préalable qu’on
suppose la position morale déjà atteinte. Des sujets dans une telle
position doivent tenir pour possible ce que la morale leur prescrit,
s’ils ne veulent pas échouer d’emblée dans leur tâche. Dans la Critique
de la raison pratique, déjà, il était dit que le devoir moral ne pouvait
rester un concept vide, pour ainsi dire sans objet, s’il ne devait pas
être considéré comme totalement inaccessible 18. Le pas décisif de
l’argumentation est franchi avec l’hypothèse que cette présupposition
d’une accessibilité du bien moral possède une dimension à la fois
intersubjective et temporelle, parce qu’elle doit être étendue à tous les
acteurs moraux dans le passé, le présent et le futur : nous qui
partageons cette position morale, nous devons nous représenter non
seulement les contemporains avec lesquels nous coopérons, mais
aussi les membres bien intentionnés des générations passées et
futures, comme des sujets convaincus de la réalisabilité du bien. Or
par un tel geste d’universalisation, que Kant manifestement jugeait
indispensable, le sujet qui agit moralement se met dans une position
où il ne peut plus éviter d’attribuer à l’histoire humaine une tendance
au mieux : la conviction que les intentions des personnes animées des
mêmes sentiments que lui dans le passé n’ont pu rester sans résultat
va nécessairement de pair, à ses yeux, avec l’idée d’un bénéfice
accumulé, de génération en génération, des bonnes actions. De ce
sujet moral, Kant croit donc pouvoir dire qu’il est tellement intéressé
à la réalisabilité du bien, qu’il ne peut se représenter l’histoire
autrement que comme une progression « jamais rompue 19 » vers le
mieux.
Toutefois, Kant lui-même semble avoir si peu confiance en cette
seconde construction, qu’il se sent obligé de lui appliquer à elle aussi
cette opération que le sujet, pris d’un doute épistémique face à la
fracture entre la liberté et la nécessité, effectue à l’aide de sa faculté
de juger réfléchissante. Le sujet qui agit moralement acquiert la
certitude du progrès, parce qu’il attribue à tous ses prédécesseurs la
force de volonté dont il doit lui-même disposer. Cette certitude ne
suffit pourtant pas, aux yeux de Kant, à lui donner effectivement une
assurance suffisante. C’est pourquoi il lui prescrit finalement à lui
aussi de faire un usage mesuré de sa faculté de juger, pour le
prémunir contre les doutes qui pourraient le gagner quant à la
possibilité de voir une finalité naturelle « apparaître visiblement 20 »
dans le chaos de l’histoire. C’est finalement cette caution d’un dessein
de la nature qui, en dernier ressort, donne à l’acteur moral l’assurance
de contribuer par ses propres actes à prolonger un mouvement de
progrès vers le mieux. Comme il le faisait dans son premier modèle
pour le sujet pris d’incertitude sur le plan cognitif, Kant dans son
deuxième modèle donne au sujet moralement désorienté la tâche de
s’assurer par un procédé heuristique de l’existence dans l’histoire d’un
progrès voulu par la nature : il lui faudra pour cela ajouter
« réflexivement » à la multitude chaotique des événements historiques
le plan d’un processus orienté vers un but.
Les deux modèles de justification que nous avons rencontrés
jusqu’à présent sont liés de la manière la plus étroite aux prémisses
théoriques résultant de l’articulation des trois Critiques kantiennes. Ce
qui signale cette relation interne, dans le premier modèle, c’est le fait
que l’idée d’un progrès voulu par la nature est présentée comme la
construction par laquelle notre faculté de juger réfléchissante réagit à
la dissonance cognitive entre la loi naturelle et la liberté morale ; dans
le deuxième modèle, en revanche, une relation similaire se dessine
lorsque Kant fait douter l’acteur moral de l’efficacité pratique de son
action, d’une manière si absolue qu’elle paraît nécessairement
présupposer un pur respect de la loi morale, libre de tout penchant
empirique. Chacun de ces deux modèles de construction est à sa
manière marqué par l’alternative posée dans la doctrine kantienne des
deux mondes : aussi ne s’étonne-t-on pas de les voir pareillement
recourir, quoique pour des raisons différentes, à la faculté de juger.
La construction hypothétique d’un dessein de la nature garantissant
le progrès satisfait dans le premier cas un intérêt de notre raison
théorique, dans le deuxième cas un besoin de notre raison pratique.
Le troisième modèle, ébauché dans les écrits de Kant sur la
philosophie de l’histoire, semble relativement libre de tels mélanges :
les présupposés problématiques de la doctrine des deux mondes n’y
jouent plus en effet qu’un rôle extrêmement réduit.
Une première référence à ce modèle apparaît déjà dans le texte sur
le « lieu commun » qui servait de base à la deuxième proposition de
construction qui vient d’être esquissée. Dans un passage assez anodin
de cet article, Kant disait de Moïse Mendelssohn, à ses yeux le
représentant typique d’une conception « terroriste » de l’histoire, qu’il
devait quand même avoir « compté » sur un progrès vers le mieux,
« s’il s’est employé avec tant de zèle aux lumières et à la prospérité de
la nation à laquelle il appartenait 21 ». L’argument utilisé à cet endroit
peut sans doute être qualifié au premier chef d’« herméneutique »,
mais il présente aussi un caractère « explicatif » : Kant cherche en
effet à montrer à quelle idée de l’histoire doit s’être assujetti quelqu’un
qui comprend sa propre activité d’écrivain comme une contribution
au progrès de la raison. Il veut démontrer qu’un sujet qui se fait une
telle conception de lui-même est tenu de comprendre de la même
manière l’évolution antérieure, comme l’avènement progressif d’un
mieux, et inversement, de comprendre le temps qu’il a devant lui
comme l’occasion de poursuivre cette amélioration. Car les critères
normatifs d’après lesquels il mesure dans son engagement pratique la
qualité morale du temps présent exigent aussi qu’il juge inférieures
les conditions passées, supérieures les conditions potentielles du
futur. C’est dans le sens d’une telle orientation
« transcendantalement » nécessaire qu’il faut aussi interpréter la
remarque par laquelle Kant, quelques lignes plus loin, tente à
nouveau de réfuter la conception que Mendelssohn se fait de
l’histoire. Il note en effet que :
II
LA NÉCESSITÉ TRANSCENDANTALE
DE L’INTERSUBJECTIVITÉ
I
Ce n’est pas un hasard si Fichte a ajouté au titre de son écrit, qui
annonce une étude sur le « Fondement du droit naturel », cette
précision : « selon les principes de la doctrine de la science ». Son
intention était en effet d’appliquer le procédé, développé dans son
précédent ouvrage, d’une déduction transcendantale des conditions
nécessaires de la conscience de soi jusqu’au point où se dessinerait
une condition semblable de la conscience individuelle du droit 8.
Nous ne pouvons examiner plus précisément l’extraordinaire
nouveauté de cette approche fichtéenne au plan de la philosophie du
droit 9 ; il suffira pour l’instant de retenir que son écrit, d’un point de
vue méthodologique, est basé sur l’intention de montrer que la
conscience individuelle du droit constitue l’une des conditions
requises pour qu’un sujet puisse prendre conscience de sa propre
subjectivité. Fichte, il est vrai, souligne dès l’introduction (p. 24) qu’à
la différence de la doctrine de la science, la doctrine du droit ne doit
pas s’intéresser seulement aux conditions transcendantales sous
lesquelles un Moi conçu comme absolu et universel prend conscience
de sa rationalité subjective. Ici, où il s’agit de coexistence humaine, il
faut un changement de perspective qui privilégie l’individu « comme
un, au sein d’une pluralité d’êtres raisonnables » (p. 24). Le sujet dont
Le fondement du droit naturel veut expliquer la conscience de soi au
moyen d’une déduction transcendantale est donc d’emblée un être
individualisé, dont la rationalité comporte la conscience de sa propre
limitation ou de sa propre finitude. Ce sujet raisonnable ne doit pas
comprendre comme des objectivations auto-produites tout ce que le
Moi de la Doctrine de la science pouvait encore, dans le non-Moi ou
l’Autre, imputer à sa propre spontanéité, après l’exécution des actes
de pensée et de volonté correspondants. Car cela aurait pour effet de
détruire les conditions de son individualité, c’est-à-dire la coexistence
avec d’autres êtres indépendants. Ainsi se dessine dès l’introduction
un programme qui, comme le fait justement remarquer Frederick
Neuhouser, présente des traits de prime abord paradoxaux : il s’agit
en effet d’expliquer à l’aide du concept de droit de quelle nature doit
être la relation d’un tel sujet fini avec le monde indépendant, pour
que la finitude du premier soit compatible avec la liberté par
autoposition qui constitue sa qualité centrale 10.
Naturellement, après avoir modifié le domaine d’objet de son
explication transcendantale, Fichte ne peut pas non plus reprendre
telle quelle la méthode utilisée dans la Doctrine de la science. Si la
tâche était alors de reconstituer du point de vue d’un Moi universel
les actes de pensée et de volonté spontanés par lesquels il accède lui-
même à la conscience de sa propre subjectivité, il s’ouvre à présent
une faille entre la conscience à analyser et le point de vue
philosophique : parce que dans le contexte de la « Doctrine du droit »
la déduction transcendantale s’applique à des sujets finis,
individualisés, le philosophe spéculatif doit pour ainsi dire montrer
en vertu d’un savoir supérieur par quels « modes d’action » de tels
êtres prennent conscience de leur propre subjectivité 11. Ce
changement de perspective méthodologique soulève naturellement
une série de questions quant à la relation que la théorie fichtéenne du
droit entretient globalement avec la Doctrine de la science. Et une
grande partie des problèmes liés à la place de l’intersubjectivité dans
la conception générale de la conscience de soi résulte de la relation
dans laquelle se tiennent les deux projets de déduction
transcendantale. Mais la distinction entre le savoir philosophique et
la conscience qu’il s’agit de thématiser permet au moins de décrire en
quelques mots comment Fichte se représente la constitution de la
conscience de soi de sujets finis jusqu’au point où intervient
l’« appel ».
Dans le premier « théorème » de son texte, Fichte énonce la
première exigence qui, du point de vue du philosophe investi d’un
savoir supérieur, doit être adressée au sujet fini pour qu’il puisse
accéder à la conscience de soi. Nous rencontrons ici un raisonnement
auquel, pour l’essentiel, la Doctrine de la science nous avait déjà
familiarisés — avec cette restriction marquante qu’il n’est plus
question ici que de la conscience de personnes empiriques, existant
dans le temps et l’espace : pour qu’un tel être puisse prendre
conscience de sa propre subjectivité, il doit pouvoir se « poser » lui-
même comme un sujet capable d’affirmer une « libre causalité » dans
un monde qui en même temps le limite. La « libre causalité » désigne
ici la capacité de ce sujet à vouloir agir selon les fins qu’il s’est lui-
même fixées, tandis que la détermination supplémentaire selon
laquelle cette activité finalisée doit en même temps prendre place
dans les limites d’un monde déterminé résulte du fait que le sujet
thématisé est caractérisé comme un être fini. Dans le premier temps
de son argumentation, Fichte montre qu’un individu humain n’est pas
en mesure de s’attribuer une telle capacité tant qu’il se comprend
avant tout comme un sujet épistémique ; car lorsqu’il pense qu’il se
rapporte au monde sur un mode simplement cognitif ou théorique, il
se rend tellement dépendant d’une réalité conçue comme objective,
qu’il n’est pas capable de réagir selon des fins qu’il s’est lui-même
fixées (p. 34). Fichte s’empresse naturellement de souligner que c’est
seulement du point de vue d’un sujet fini que la réalité extérieure
possède le caractère d’un monde indépendant, tandis que le
philosophe en position d’observateur sait bien qu’elle est elle aussi, en
dernière instance, le produit d’un Moi spontanément actif (p. 35) ; on
voit ici encore combien la distinction entre ces deux perspectives est
décisive pour l’ensemble de l’argumentation du texte sur le droit
naturel.
Ce déficit central de l’attitude simplement théorique ou de
l’« intuition du monde » (p. 34) annonce déjà, d’une manière
indirecte, de quelle sorte sera le résultat de la prochaine étape dans
l’argumentation de Fichte. Si l’individu humain n’est pas en mesure
de prendre conscience de sa propre subjectivité tant qu’il se
comprend seulement comme un être cognitif face au monde, alors
c’est seulement en instaurant résolument un rapport pratique à soi-
même qu’il parviendra au résultat exigé. Aussi Fichte établit-il que
seule « une libre autodétermination à la causalité » (p. 35) présente
précisément les caractères que doit remplir la relation du sujet fini
avec la réalité, pour faire accéder celui-ci à la conscience de sa propre
subjectivité. La thèse ainsi esquissée se précise si l’on se demande à
quels actes de conscience cette « libre autodétermination » doit être
intérieurement liée aux yeux de Fichte. Un tel acte de « libre
autodétermination » comporte d’abord l’instauration de buts à
caractère pratique, pour autant que le sujet doit pouvoir former un
concept général de sa causalité potentielle dans la réalité ; car pour
être actif dans l’ordre pratique, présuppose Fichte, je dois m’être
donné des buts, qui signalent les points possibles de mon intervention
dans le monde. C’est seulement à travers cet acte d’instauration de
buts pratiques, dans la « volonté d’agir causalement », qu’un sujet
peut prendre conscience de sa liberté auto-accordée. Ce n’est « que
dans le vouloir », lit-on dans les « corollaires » au même paragraphe,
qu’un être rationnel se perçoit « immédiatement » (p. 37). Mais d’un
autre côté, toute instauration individuelle d’un but, pour autant
qu’elle vise des transformations pratiques dans le monde, implique
une conscience qui se « représente » la nature de la réalité ; en effet,
dit Fichte, la volonté autodéterminée d’agir causalement sur le monde
fait surgir des « objets », qui doivent d’abord être perçus comme des
obstacles indépendants face aux intentions individuelles, avant de
pouvoir être supprimés par l’activité du sujet (p. 35). Dans cette
mesure, la « libre autodétermination à la causalité » va de pair avec la
double expérience de la liberté fondatrice du Moi et de sa dépendance
finie à l’égard du monde. Dans l’instauration de buts pratiques, dans
la « volonté d’agir causalement », l’individu fini prend conscience de
lui-même comme d’un sujet qui est capable de s’autodéterminer parce
qu’il sait, par son activité, soumettre à ses fins librement choisies une
réalité qu’il se représente comme indépendante. Jusque-là, le texte ne
laisse aucun doute sur le fait que l’attitude de conscience ainsi décrite
ne constitue qu’une exigence adressée au sujet fini. Tout ce que Fichte
veut dire, c’est qu’un individu ne peut prendre conscience de sa
propre subjectivité finie que lorsqu’il est capable de se percevoir, au
moment où il se fixe un objectif pratique, comme un Moi à la fois
absolu et limité. Il reste donc à expliquer, dans le cadre de la
déduction transcendantale, comment un sujet individuel peut
effectivement parvenir à ce type de rapport pratique à soi-même, où il
se comprend dans son activité spontanée comme étant aussi celui qui
prend l’initiative de se fixer une fin. Dans sa tentative pour répondre à
cette question, Fichte rencontre une difficulté particulière, liée aux
problèmes qui résultent pour lui de la présupposition, jusque-là non
thématisée, selon laquelle c’est seulement au moment où un individu
se résout à agir effectivement qu’il peut se percevoir comme sujet
libre, et ainsi accéder à la conscience de soi : car comment se peut-il
qu’un individu décide spontanément de se donner un but entraînant
d’importantes conséquences pratiques, s’il n’a pas encore conscience
de son propre caractère d’être libre et autodéterminé ? Et comment
concevoir qu’un individu en train de se donner un but puisse se
retourner en même temps sur cette activité sans la détruire comme
accomplissement spontané, et sans se perdre ainsi de vue comme
source d’une spontanéité capable de former des buts ? Ce sont des
paradoxes de ce genre qui amènent Fichte, dans la suite de sa
déduction transcendantale, à poser cette thèse surprenante qui
constitue le noyau de son deuxième théorème : supposer
l’intervention d’un « appel » intersubjectif permet d’échapper aux
cercles logiques dans lesquels le philosophe tomberait s’il voulait
déduire les conditions d’émergence de la conscience de soi de sujets
finis à partir de la seule attitude de conscience décrite jusque-là.
II
Parmi les surprises théoriques qu’offrent la présentation et la
justification par Fichte de son deuxième théorème, il faut d’abord
citer deux idées qui ne sont pas directement compatibles avec les
prémisses philosophiques de sa Doctrine de la science. D’une part,
Fichte affirme ici plus clairement et plus vigoureusement qu’en aucun
autre passage de son œuvre qu’une déduction transcendantale de la
conscience individuelle de soi doit nécessairement tomber dans des
paradoxes, tant qu’elle reste liée à la réflexion solitaire ; d’autre part,
dans le cadre de sa proposition de résolution des paradoxes décrits, il
introduit avec l’« appel » un fait qui présente le caractère d’un
événement inscrit dans le temps et l’espace, et qui à ce titre charge le
procédé de la déduction transcendantale d’un élément « empirique »
déconcertant 12. En tout état de cause, la question de savoir si
l’« appel » doit effectivement être compris comme une sorte de
« transcendantal empirique » ne recevra de réponse appropriée que
lorsque nous aurons examiné de plus près le cercle signalé par Fichte.
Ce cercle d’où le deuxième théorème doit permettre de sortir,
Fichte le décrit déjà dans les catégories de postériorité chronologique
qui, à la suite du premier Romantisme, allaient régulièrement servir à
analyser les paradoxes d’une conception transcendantale de la
conscience de soi 13. Fichte résume les résultats de ses précédentes
réflexions en disant qu’un sujet fini n’accède à la conscience de soi
qu’au moment où il peut s’éprouver, dans l’acte originel d’instauration
d’un but, comme à la fois agissant causalement sur un objet et
déterminé par celui-ci. Or il était également apparu dans le même
contexte qu’une telle première décision d’intervention pratique ne
peut être prise que si l’idée d’une sphère de réalité objective, faisant
face au sujet, est déjà donnée ; car la simple volonté d’agir
causalement présuppose déjà quelque chose de la forme d’un objet,
un obstacle auquel le sujet s’applique dans le but de le surmonter. On
ne peut postuler un instant premier, originel, où le sujet en instaurant
un but pratique se percevrait comme simultanément libre et fini : un
objet doit toujours être constitué au préalable, qui à son tour renvoie
à un précédent acte d’instauration. La simultanéité hypostasiée se
dévoile donc, comme Fichte le démontre dès le début du troisième
paragraphe, comme un moment dans une série de décrochages
chronologiques à rebours : « Par conséquent, il faut expliquer le
moment Z [l’instant de la simultanéité hypostasiée (A. H.)] à partir
d’un autre moment dans lequel l’objet A aurait été posé et conçu.
Mais A ne peut lui-même être conçu qu’à la condition sous laquelle B
pouvait être conçu, c’est-à-dire que le moment où il est conçu n’est
lui-même possible que sous la condition d’un moment antérieur, et
ainsi de suite à l’infini. Nous ne trouvons aucun point possible auquel
nous pourrions rattacher le fil de la conscience de soi, par lequel
seulement toute conscience devient possible — et notre problème
n’est par conséquent pas résolu. » (p. 47)
Ce que Fichte présente ici comme un processus de régression à
l’infini peut aussi être décrit, avec d’autres mots, sous la forme d’une
aporie dans laquelle tombe nécessairement toute explication visant à
rendre compte de la conscience de soi sur le modèle de
l’autoréflexion : quand l’acte par lequel le sujet fini doit parvenir à la
conscience de soi est présenté comme une réflexion tournée
simultanément vers sa propre activité autonome et spontanée, alors la
subjectivité, en cherchant à se ressaisir de la sorte, perd son caractère
de liberté et se trouve transformée en un objet, de sorte qu’il faut à
nouveau présupposer cette activité autonome sur laquelle il s’agissait
de réfléchir 14. Fondamentalement, cette deuxième formulation
exprime donc relativement à la composante subjective la même idée
que Fichte avait exposée dans son texte relativement au côté objectif :
le sujet, dans l’exercice de l’autoréflexion, n’est pas toujours en
mesure de « se trouver » comme « se déterminant à la spontanéité »
(p. 49), car il est encore une fois obligé de présupposer, soit dans
l’objet simultanément posé, soit dans les opérations réflexives dont il
veut rendre compte, cette libre autoposition qu’il cherche à confirmer
par la réflexion.
Avec le recul de deux siècles d’histoire de la pensée, nous pouvons
dire que Fichte, arrivé à ce point délicat de son argumentation, avait
fondamentalement le choix entre trois options. Ayant constaté le
caractère constamment retardé de la confirmation réflexive, il pouvait
d’abord conclure que la libre autoposition du sujet s’effectue avant
toute réflexion, sur le mode d’une spontanéité inaccessible à la
décision et pour ainsi dire anonyme. C’est cette possibilité
qu’exploitera quelques années plus tard Friedrich Schlegel, dans le
cercle du premier Romantisme, en tentant de transposer les
opérations de la réflexivité esthétique du sujet à l’œuvre d’art elle-
même, et briser ainsi le cadre de la philosophie du sujet où s’inscrivait
toute la tradition idéaliste 15. Une deuxième façon de réagir pouvait
consister pour Fichte à ne plus déterminer la confirmation
individuelle de soi sur le modèle (épistémique) de la réflexivité, mais à
partir d’états affectifs préréflexifs, afin de rompre ainsi le cercle des
constants retours en arrière. C’est dans cette direction que s’inscrivent
les tentatives d’une série de philosophes qui, sur les pas des travaux
novateurs de Dieter Henrich, cherchent à répondre à la question des
conditions de la conscience de soi en invoquant une familiarité
préalable avec soi-même 16. Enfin, la troisième possibilité qui s’offrait
à Fichte était de ne pas attendre de l’individu lui-même la
confirmation de sa propre subjectivité, mais de la comprendre
comme une réaction à une attente médiatisée sur le plan
intersubjectif, de sorte que la tâche paradoxale d’une autoréflexion
instantanée disparaît comme telle ; c’est la voie qu’emprunteront plus
tard les philosophes qui, de Hegel à Habermas, en passant par
Feuerbach et G. H. Mead, chercheront à conceptualiser la subjectivité
comme fondamentalement dépendante d’un rapport
17
d’intersubjectivité préalable .
Que Fichte dans la suite de son texte anticipe spontanément cette
troisième possibilité, cela tient d’abord et surtout à l’objectif qui est
ici le sien : montrer que la conscience individuelle du droit représente
une condition constitutive de la conscience de soi. Car pour être en
mesure de le faire, il doit pouvoir montrer d’une manière ou d’une
autre qu’une confirmation réflexive de sa propre subjectivité sur le
plan de la réflexion n’est pas possible sans la prise en compte
consciente des exigences normativement réglées que lui adressent
d’autres personnes. Si la visée centrale de l’étude sur le droit naturel
suggère donc une résolution en termes d’intersubjectivité du cercle
précédemment décrit, il n’en reste pas moins que Fichte a aussi,
indépendamment de cela, de bonnes raisons de s’engager dans cette
voie. Après avoir décrit le mouvement accéléré de régression à l’infini,
il présente une première amorce de solution sur le modèle
méthodologique de la Doctrine de la science, dans le sens de la
formation d’une synthèse : « Il faut, dit-il à propos de l’antériorité
infiniment reconduite de l’autoposition, supprimer cette raison. Mais
elle ne doit être supprimée que de telle façon que l’on admette que la
causalité du sujet est synthétiquement réunie avec l’objet dans un seul
et même moment ; que la causalité du sujet est elle-même l’objet
perçu et conçu, que l’objet n’est pas autre chose que cette activité du
sujet, et donc que les deux termes font un. Ce n’est que par une telle
synthèse que nous ne serions pas repoussés plus loin vers une
synthèse antérieure ; elle seule contiendrait en elle tout ce qui
conditionne la conscience de soi et fournirait un point auquel le fil de
celle-ci se laisserait rattacher. » (p. 47 sq.) La solution que Fichte vise
ici ne prévoit d’abord que la simple possibilité abstraite de concevoir
l’acte d’autoréflexion de telle sorte que l’objet nécessairement posé
face au sujet présente lui-même toutes les caractéristiques de la
subjectivité. Dans un cas pareil, en effet, l’objet que le sujet doit
toujours garder présent à l’esprit au moment même où il s’assure de
sa propre volonté de causalité, cet objet serait lui-même la source
d’une volonté de causalité, de sorte qu’il ne serait plus nécessaire de
recourir à une position préalable. Mais la pensée que Fichte
développe dans ce passage va encore un peu plus loin, parce que la
causalité du sujet, sur laquelle il s’agit de réfléchir, prend aussi une
autre forme à mesure que l’objet change de caractère : quand le but
pratique que le sujet se donne concerne un objet qui cherche lui aussi
à agir causalement, alors cette dernière causalité doit plutôt être
comprise au sens d’une réaction, c’est-à-dire d’une prise de conscience
des fins qui le visent — Fichte ne peut rien entendre d’autre quand il
dit que « la causalité du sujet » est ici « elle-même l’objet perçu et
conçu ». La formation d’une synthèse, qui n’était d’abord fondée
qu’au plan méthodologique, suggère ainsi à Fichte d’interpréter en
termes d’intersubjectivité l’opposition envisagée jusque-là selon le
schéma sujet/objet : le sujet devient alors le destinataire d’une
détermination, d’une finalité émanant d’un objet devenu co-sujet.
Mais avant que cette nouvelle construction intersubjective puisse
remplir la tâche qui lui est impartie et rompre le cercle de la
conscience de soi, il faut qu’elle remplisse encore une autre condition,
que Fichte n’évoque d’abord qu’à la marge de son texte. Si nous ne
voulons plus envisager l’acte d’autodétermination — que l’individu
cherche à reproduire consciemment pour s’assurer de sa propre
subjectivité — comme opposition à un objet, mais comme réaction à
un autre sujet, alors la prise de conscience exigée ne peut réussir que
si l’on suppose que ce deuxième sujet détermine le premier à la
liberté : entre les deux sujets qui se rencontrent, il doit s’établir une
relation réciproque de telle nature que le premier se trouve exhorté
par le deuxième à faire usage de sa propre liberté d’autoposition. C’est
une telle forme d’intersubjectivité que Fichte a en vue quand il utilise
dans son texte pour la première fois, comme en passant, le concept
d’« appel » : « Les deux caractères [la subjectivité et l’objectivité] sont
parfaitement conciliés, si nous nous représentons une détermination
du sujet à l’autodétermination, un appel à se décider à agir
causalement. » (p. 48) Quelques phrases plus loin, Fichte indique la
raison pour laquelle il est convaincu que l’hypothèse d’un tel « appel »
rendrait superflu le recours infini au passé : « Il [le sujet] reçoit le
concept de sa causalité libre, non pas comme quelque chose qui est
dans le moment présent, car ce serait une véritable contradiction,
mais comme quelque chose qui doit être dans l’avenir. » (p. 49)
C’est manifestement cette dernière demi-phrase qui contient la clé
dont Fichte se promet la résolution du cercle décrit ; mais pour
comprendre dans quelle mesure la dimension future de l’appel est
bien susceptible de produire l’effet recherché, il ne sera pas inutile de
refaire brièvement tout le parcours de l’argumentation fichtéenne.
Nous avons vu que le philosophe, dans sa déduction de la conscience
de soi d’individus finis, tombe dans un cercle aussi longtemps qu’il se
cantonne aux actes de conscience de ces individus eux-mêmes. Car
supposer qu’un individu, au moment même où il détermine librement
ses buts, est aussi en mesure de se les représenter sur le mode réflexif
et d’accéder ainsi à la conscience de sa propre subjectivité, renvoie
inévitablement à une autoposition préalable, indéfiniment reconduite.
C’est pourquoi il faut, comme Fichte l’établit à juste titre, un « choc
extérieur », qui permettra à l’individu de se représenter pour la
première fois sa propre activité autonome au moment même où il se
rapporte à un objet qui la limite ; mais un tel objet, qui désamorce la
régression à l’infini, parce qu’il impose par lui-même au sujet pour la
première fois une représentation de sa propre liberté, ne peut être
qu’un autre sujet, entrant avec le premier dans un certain genre de
communication. La forme particulière de cette « libre causalité
réciproque », qui remplace ainsi l’opposition sujet/objet de la
première tentative de déduction, Fichte la décrit provisoirement à
l’aide du concept d’« appel » : le premier sujet se sent appelé par son
vis-à-vis à déployer une activité autonome, de sorte qu’il ne peut
réagir à son tour, au moment de préparer sa propre réponse, qu’en
s’assurant simultanément de sa propre liberté.
Même avec cette reconstruction, il reste à montrer en quoi le fait
que le sujet-destinataire perçoit « le concept de sa libre causalité »
comme quelque chose qui doit exister dans l’avenir, représente bien
l’élément décisif dont Fichte attend la résolution du cercle décrit.
Nous gagnerons ici à examiner d’un peu plus près comment
précisément le philosophe décrit l’acte communicationnel de
l’« appel ». Son analyse porte essentiellement (p. 52) sur les
conditions dans lesquelles le sujet interpellé parvient à comprendre
l’appel comme tel ; le fait même de sa formulation se trouve d’abord
présupposé, la question portant sur les actes de compréhension qui
contribuent à la réussite de la communication du côté du
destinataire. La première de ces conditions est aux yeux de Fichte la
capacité du sujet à distinguer cette forme de motivation, produite par
la formulation d’un appel, de toute contrainte exercée par causalité
naturelle : cette nouvelle causalité n’obéit pas au mécanisme de la
cause et de l’effet, elle passe par un appel à l’« entendement »,
présupposant un « être capable de concepts » (p. 52) qui en serait la
source : autrement dit, la compréhension d’un « appel » implique déjà
un savoir concernant l’existence d’un autre sujet raisonnable. Mais le
sujet-destinataire n’aurait pas encore suffisamment compris ce qui
constitue l’appel en tant que tel, s’il avait seulement conscience qu’il
doit avoir pour auteur un être raisonnable. Il doit aussi se rendre
compte que celui-ci, de son côté, associe à son acte de parole le
postulat qu’il trouvera également dans son interlocuteur un être de
raison, capable de discerner des motifs et donc d’agir librement.
Un appel n’est compris en tant que tel que si l’on suppose qu’il
s’adresse à une personne capable d’y réagir « spontanément » par oui
ou par non. Car sans une telle présupposition, on ne verrait pas quelle
signification particulière il faudrait attribuer à un appel, par
opposition à une simple contrainte physique, par exemple. La
deuxième condition de la compréhension d’un appel consiste donc,
aux yeux de Fichte, en ce qu’il est compris comme un énoncé qui
attend de son destinataire une réaction fondée sur la liberté, une prise
de position raisonnable.
Avec cette clarification supplémentaire, qui s’appuie pour
l’essentiel sur l’interprétation d’un seul paragraphe (p. 52), on
comprend mieux comment Fichte cherche à échapper au cercle de
l’autoréflexion. Son raisonnement vise à déterminer les conditions de
la conscience de soi dans des sujets individuels en les identifiant aux
présupposés dont dépend la compréhension d’un « appel » : un
individu n’est capable de comprendre un appel quelconque que s’il se
perçoit, du point de vue d’un locuteur tenu pour raisonnable, comme
une personne exhortée à agir d’une manière libre et indépendante,
c’est-à-dire à montrer elle aussi une réaction raisonnable. Le fait que
l’appel du locuteur va de pair avec l’attente d’une réponse libre et sans
contrainte explique l’ouverture au futur que comporte pour Fichte le
moment de l’accession à la conscience de soi : l’individu s’assure de sa
propre subjectivité au moment où il se comprend comme destinataire
d’un énoncé qui exige de lui ensuite, c’est-à-dire dans l’avenir, une
réponse sur le mode de l’acte autonome. Si l’on considère en outre
que Fichte, ici, n’entend sans doute pas le terme d’« appel »
[Aufforderung] au sens fort de l’impératif, mais dans le sens affaibli
d’une simple « interpellation », d’une parole adressée [Anrede], alors
les contours de sa thèse se dessinent pour la première fois en toute
clarté : le philosophe, pense-t-il, ne peut expliquer de façon non
contradictoire les conditions de possibilité de la conscience de soi
dans des individus finis que si, au lieu de se référer aux opérations de
réflexion d’un sujet isolé, il part d’une communication entre au moins
deux sujets. Car la contrainte spécifique d’une situation
d’interpellation consiste en ce qu’un individu doit pouvoir s’assurer de
sa propre capacité d’agir de façon autonome, en tant que présupposée
par l’attitude de son vis-à-vis, s’il veut ne serait-ce que comprendre le
sens de son énoncé. On peut dire en substance que les conditions de
possibilité de la conscience de soi coïncident pour Fichte avec les
présupposés implicites de la compréhension d’une parole
interpellative. Une fois atteint ce résultat intermédiaire dans la
reconstruction de l’argumentation de Fichte, nous pouvons
maintenant revenir aux questions que nous avions désignées en
commençant comme les problèmes centraux d’une interprétation de
sa théorie de l’« appel ».
III
DU DÉSIR À LA RECONNAISSANCE
II
CONFRONTATIONS CONTEMPORAINES
Chapitre V
II
III
UN ROUSSEAU STRUCTURALISTE
I
Lévi-Strauss avait déjà publié sa première grande enquête,
lorsqu’il présenta en 1955, avec son récit de voyage Tristes tropiques 1,
une sorte de justification intellectuelle de son projet ethnologique.
Même parmi les nombreuses études de moindre ampleur qu’il avait
produites jusque-là, aucune n’avait posé la question du rôle culturel
de l’ethnologie en tant que telle. L’auteur de ce récit de voyage n’était
pas un ethnologue de formation. Il avait fait ses études de philosophie
dans ce climat intellectuel des années 1920 et 1930 que Piaget 2 ne
pouvait évoquer, même rétrospectivement, sans colère : sous
l’influence du vitalisme bergsonien et de la phénoménologie
husserlienne, la pensée française était à cette époque dominée par
une philosophie qui s’était découplée du progrès empirique des
sciences, et tournait obstinément sur elle-même. Au lieu d’instaurer
un dialogue vivant avec la recherche scientifique, elle s’était donné
pour but d’énoncer des propositions substantielles sur l’homme par la
voie d’une pure description d’actes de conscience. Pour Piaget comme
pour Lévi-Strauss, cette expérience marque le début d’une déception
irrémédiable. Trente ans plus tard, Lévi-Strauss écrira encore avec
indignation dans Tristes tropiques : « La philosophie n’était pas ancilla
scientiarum, la servante et l’auxiliaire de l’exploration scientifique,
mais une sorte de contemplation esthétique de la conscience par elle-
même 3. » À ce repli sur soi stérile de la philosophie, les deux jeunes
scientifiques réagissent en se tournant vers la recherche empirique :
l’un s’oriente vers la biologie et la psychologie, l’autre attrape la
« planche de salut 4 » de l’ethnographie. Le hasard veut en effet qu’en
1934, par l’intermédiaire de Célestin Bouglé, Lévi-Strauss se voit
proposer une place de professeur de sociologie à l’Université de São
Paulo. Il accepte sans hésiter, démissionne du poste de professeur de
lycée où il avait débuté, à l’instar de tant de philosophes français, et
s’engage dans la voie scientifique qu’il ne devait plus jamais quitter.
À peine installé à São Paulo, Lévi-Strauss entreprend ses
premières expéditions ethnographiques dans l’intérieur du pays. Les
expériences et les impressions qu’il recueille durant les quelques mois
passés, au total, dans cette zone forment le substrat émotionnel de
toute sa pensée ultérieure. Les cultures indiennes du Mato Grosso,
vers lesquelles le conduisent ses voyages d’exploration, se trouvent
dans un état de délabrement interne ; avec une violence silencieuse, la
civilisation occidentale a pénétré les tribus survivantes, elle leur a volé
les témoignages de leur vie culturelle, et n’a laissé subsister qu’un
petit nombre de modes de pensée traditionnels. Il n’est pas difficile
d’imaginer le désarroi qui a dû s’emparer de l’ethnologue novice,
lorsqu’il prit conscience de la situation désespérée où se trouvaient les
cultures indigènes qu’il avait entrepris d’étudier. Il a fallu près de
vingt ans à Lévi-Strauss pour donner une expression littéraire aux
sentiments de honte et de désespoir, de culpabilité et de tristesse qui
l’avaient accompagné dans ses premières expéditions. Tristes
tropiques est le résultat de cet effort qu’on peut véritablement
qualifier de poétique. Il n’est pas exagéré de dire qu’il constitue l’un
des plus grands témoignages de la pensée ethnologique du XXe siècle.
Ce n’est pas un hasard si l’ouvrage, par sa composition et son
style, rappelle cette littérature du « voyage philosophique » qu’a
produite l’époque des Lumières. Comme Montesquieu en France,
comme Forster en Allemagne, Lévi-Strauss associe la description
détaillée des différentes étapes de ses expéditions aux considérations
scientifiques sur le mode de vie des tribus qu’il visite. L’auteur de
Tristes tropiques manifeste bien la même affectueuse minutie dans
l’approche des spécificités culturelles, la même scrupuleuse prudence
dans la description de rencontres personnelles, que ces classiques de
la littérature de voyage. Chez lui, il est vrai, l’extraordinaire richesse
des détails, l’observation exacte et la retenue scientifique visent avant
tout à donner une expression claire au problème auquel il avait été si
profondément sensibilisé par les expériences dévastatrices de ses
premières expéditions. Si l’insouciance politique de toute une époque
avait encore pu éviter à ses prédécesseurs de s’interroger sur le rôle de
la recherche ethnologique dans le processus de destruction des
cultures archaïques, c’est maintenant cette question qui est au centre
du livre de Lévi-Strauss. Dans la réponse qu’il lui apporte finalement,
à travers des réflexions constamment relancées, les sentiments
contradictoires et bouleversants de ses débuts d’ethnographe se sont
cristallisés en un pathos romantique.
Non que Lévi-Strauss, lorsqu’il détermine les tâches de
l’ethnologie, se laisse guider par une quelconque nostalgie
romantique de la nature. Il est très éloigné de la conception naïve de
ceux qui cherchent dans les vestiges des cultures archaïques un état
de nature de la communauté humaine ; à l’inverse, il ne condamne
pas moins résolument les approches évolutionnistes qui voudraient
assigner pour tâche à l’ethnologie de situer directement les formes de
vie archaïques sur une échelle graduée du développement des sociétés
humaines. L’une et l’autre approche se rendent coupables, à ses yeux,
d’idéalisations invérifiées : la première idéalise naïvement le
« sauvage », la seconde, d’une manière tout aussi peu critique, la
« civilisation mécanique » du présent. Lévi-Strauss croit en outre que
de telles conceptions ne peuvent rendre compte de la responsabilité
fondamentale que l’ethnologie porte dans la destruction inexorable
des cultures archaïques. Dans la mesure où la recherche ethnologique
a toujours aussi servi les intérêts des puissances coloniales, elle doit
intervenir aujourd’hui comme un « symbole d’expiation », pour
réparer les crimes dont elle s’est rendue complice. Si les deux
positions qui viennent d’être évoquées ne permettent pas de faire ce
travail, parce que leurs idéalisations respectives ne sont perméables
qu’aux préjugés mutuellement complémentaires de la civilisation
occidentale, on doit se demander quelle forme prendra une
conception de l’ethnologie capable de satisfaire à cette exigence.
Pour Lévi-Strauss, c’est une réflexion de Rousseau qui indique ici
la voie. Il n’est plus possible aujourd’hui de méconnaître le rôle qu’a
joué le philosophe pour l’ensemble de la théorie lévi-straussienne.
Lévi-Strauss n’a pas seulement nommé Rousseau « le plus
ethnographe des philosophes 5 », il ne l’a pas seulement
emphatiquement désigné comme son « maître », voire comme son
« frère » : il a aussi reçu de lui, à toutes les étapes importantes de son
itinéraire théorique, les impulsions intellectuelles décisives 6. Dans
Tristes tropiques, c’est la version méthodologique de la notion d’« état
de nature » qu’il emprunte aux écrits de Rousseau. Il cite à deux
reprises l’exigence rousseauiste de « démêler ce qu’il y a d’originaire
et d’artificiel dans la nature actuelle de l’homme et à bien connaître
un état qui n’existe plus, qui peut-être n’a point existé, qui
probablement n’existera jamais, et dont il est pourtant nécessaire
d’avoir des notions justes pour bien juger de notre état présent 7. »
Lévi-Strauss fait de cette phrase son fil directeur méthodologique : la
première tâche qui incombe à la recherche ethnographique, dans
cette perspective, est d’approfondir notre connaissance des
« principes de la vie sociale », pour accéder par cette voie à l’idée d’un
« état de nature » à usage purement méthodologique. L’étude des
sociétés archaïques permet en effet d’examiner d’autres solutions aux
problèmes d’organisation de la vie en société, de sorte qu’à mesure
que notre savoir empirique s’accroît, nous parvenons à construire
l’image approximative d’une « socialité naturelle ». Seule cette
construction méthodologique d’un « état de nature » nous donnerait
la possibilité de réformer « nos propres mœurs, et non celles des
sociétés étrangères 8. »
Un tel raisonnement intègre cependant une deuxième prémisse,
qui seule permet de comprendre comment une ethnologie ainsi
comprise est censée déployer en même temps la force morale de
l’expiation. Lévi-Strauss, il est vrai, ne laisse qu’en de rares passages
de son livre percer le motif proprement romantique que véhicule ce
deuxième présupposé ; ce sont pourtant ces passages qui donnent leur
plein sens à ses considérations méthodologiques, eux qui révèlent la
portée morale de son entreprise ethnologique — et eux qui sont
justement nourris de la pensée de Rousseau. Car dans l’attention que
Lévi-Strauss porte aux cultures des dernières tribus indigènes, il entre
plus qu’un intérêt purement théorique ; l’attitude du chercheur est
motivée par son respect pour les débuts de la socialisation humaine,
dans la conviction profondément romantique que ces cultures
archaïques révèlent, sinon une pure immédiateté naturelle, du moins
une capacité spécifique à s’intégrer intimement à la vie expansive de
la nature : il lui arrive ainsi fréquemment de parler de la « sagesse » et
de l’« harmonie spirituelle » des peuples sauvages, d’évoquer une
« époque dans laquelle le monde des êtres vivants n’était pas encore
scindé », parce qu’il régnait une « douce confiance entre les plantes,
les animaux, les hommes ». Par contraste avec cette image d’un passé
en symbiose avec la nature, il établit un diagnostic du présent qui
attribue pour caractéristique principale à la civilisation moderne la
rupture violente avec le cycle de la vie naturelle. Lévi-Strauss n’a
jamais exposé si clairement les hypothèses de base de son approche
que dans sa célèbre conférence sur Rousseau : « On a commencé par
couper l’homme de la nature, et par le constituer en règne souverain ;
on a cru ainsi effacer son caractère le plus irrécusable, à savoir qu’il
est d’abord un être vivant. Et, en restant aveugle à cette propriété
commune, on a donné champ libre à tous les abus. Jamais mieux
qu’au terme des quatre derniers siècles de son histoire, l’homme
occidental ne put-il comprendre qu’en s’arrogeant le droit de séparer
radicalement l’humanité de l’animalité, en accordant à l’une tout ce
qu’il retirait à l’autre, il ouvrait un cycle maudit, et que la même
frontière, constamment reculée, servirait à écarter des hommes
d’autres hommes, et à revendiquer, au profit de minorités toujours
plus restreintes, le privilège d’un humanisme, corrompu aussitôt né
pour avoir emprunté à l’amour-propre son principe et sa notion 9. »
Ce diagnostic sur son époque complète l’image que Lévi-Strauss,
se retournant sur ses premières expéditions, cherche à donner des
tâches de l’anthropologie. Il comprend celle-ci comme une science
empirique des cultures archaïques, fondée sur l’expérience de l’oubli
de la nature dans les sociétés modernes ; pour décrire cet état de la
modernité, l’ethnologue recourt aux concepts typiquement
romantiques de « dysharmonie », de « déséquilibre » et
d’« inauthenticité ». Se basant sur l’hypothèse que les cultures des
peuples archaïques nous livrent les derniers témoignages d’une vie
sociale en communion avec la nature, la recherche ethnologique doit
alors entreprendre de reconstruire, à partir de la masse de ses
informations empiriques, des modèles théoriques de telles sociétés
« harmonieuses » qui tendront à notre présent déchiré un miroir dans
lequel il pourra reconnaître ses propres erreurs. En un mot, les
formes de vie et de pensée des sociétés archaïques représentent « une
chance permanente de l’homme, sur quoi l’anthropologie sociale,
surtout aux heures les plus sombres, aurait pour mission de
veiller 10 » ; ce faisant, elle satisfait aussi à la tâche que lui impose la
conscience de sa responsabilité morale.
Mais Claude Lévi-Strauss va encore donner à cette caractérisation
un tour supplémentaire, où sa propre théorie trouve son profil
spécifique : il consiste dans l’idée programmatique que les
constructions ethnologiques doivent elles-mêmes incarner ce
naturalisme expansif dont les formes de pensée des cultures
archaïques sont imprégnées. Par le choix de ses moyens théoriques,
l’ethnologie doit en quelque sorte se transformer elle-même en un
fragment de cette vision naturaliste du monde, dont la destruction
inexorable a justement mené la société moderne à ce douloureux état
de déchirement où elle se trouve ; ce n’est donc pas seulement l’objet
étudié par l’ethnologie, mais aussi la forme méthodique dans laquelle
elle l’étudie, qui doit se distinguer par le souci constant de son
environnement naturel, par une solidarité essentielle avec la vie
universelle dans laquelle elle s’insère. Cette pensée audacieuse
traverse toute l’œuvre de Lévi-Strauss. Elle détermine ses premiers
grands travaux sur les relations de parenté dans les sociétés
archaïques, elle nourrit ses recherches sur le totémisme et finalement
aussi son étude du monde mythologique des indigènes indiens. Tous
ces chantiers sont autant de composantes d’un vaste programme
visant à fonder un humanisme paradoxalement élargi par le
structuralisme.
II
III
UN SAUVETAGE ONTOLOGIQUE
DE LA RÉVOLUTION
II
III
En effet, si la première phase de l’évolution intellectuelle de
Castoriadis est déterminée par la confrontation avec le marxisme, la
seconde l’est par une réflexion non moins approfondie sur les
sciences sociales de son temps. La psychanalyse, en outre, prend une
importance croissante pour son œuvre à partir du début des années
1960. Car Castoriadis pense trouver dans une critique immanente de
la pensée sociale dominante l’occasion de prolonger l’idée centrale de
son interprétation de Marx, en la fondant au plan d’une théorie
générale de la société : le fonctionnalisme de Parsons et le
structuralisme initié par Lévi-Strauss sont les deux grands courants
qui l’aiguillonnent tout particulièrement. À travers une critique brève,
mais convaincante, du fonctionnalisme, il met en évidence
l’infrastructure symbolique de la société (p. 162 sq.) : toute tentative
pour expliquer la naissance et l’existence des institutions sociales à
partir de la contribution fonctionnelle qu’elles apportent au maintien
d’un ordre donné ignore que celui-ci est lui-même toujours défini par
des interprétations sociales. On ne rencontre pas dans les sociétés des
fonctions vitales repérables comme telles, qui permettraient de définir
objectivement le fonctionnement d’un système social ; bien au
contraire, le critère de survie dépend des interprétations et des images
du monde par lesquelles une entité sociale se confère un sens et un
ordre. Ce sont donc aussi ces modes d’interprétation qui soutiennent
les institutions d’une société : pour prendre acte de la constitution
symbolique de l’ordre social, il faut voir dans ces dernières non pas
des instances fonctionnelles d’autoconservation, mais les figures
singulières dans lesquelles se sont matérialisés des projets historiques
de construction d’un sens.
Avec cette argumentation, Castoriadis accomplit à son tour le
tournant linguistique qui avait d’abord été opéré dans les sciences
sociales par la philosophie analytique et par l’herméneutique
philosophique : la société est comprise comme un ensemble de
significations symboliquement médiatisées, dans lequel les
institutions ont pour fonction particulière de donner, par
l’« attachement rigide » des signifiés aux signifiants (p. 168), une
validité sociale aux schémas de sens dominants. Pour éclairer les
règles auxquelles sont soumises ces associations, Castoriadis se
tourne vers le structuralisme. Il voit à juste titre dans ce courant de
pensée une approche théorique qui rejoint sa propre critique du
fonctionnalisme, au moins dans le principe consistant à analyser la
cohésion symbolique d’une société en fonction de son ordre signitif
interne ; les textes de Lévi-Strauss sur lesquels se concentre
Castoriadis révèlent en particulier, comme l’un des motifs originels
du structuralisme, l’intention de tirer les sciences sociales de leur
sommeil fonctionnaliste en mettant en avant la logique propre des
systèmes symboliques sociaux 6. Castoriadis, toutefois, ne suit la
théorie structuraliste que dans ce motif initial : à la manière dont le
structuralisme mène cette analyse interne de l’ordre symbolique, il ne
tarde pas à opposer des objections qui s’inscrivent dans le
prolongement de sa philosophie de la praxis.
On sait que le structuralisme trouve dans la sémiologie générale
de Saussure le modèle méthodologique dont l’imitation par les
sciences sociales doit permettre d’analyser objectivement les systèmes
symboliques. Cette transposition se justifie par un raisonnement
simple : si, comme le postule Saussure, la signification des systèmes
sémiologiques résulte uniquement de l’agencement particulier de ses
unités signitives élémentaires, alors les significations sociales qui
trouvent leur expression dans des systèmes symboliques culturels
peuvent manifestement aussi être reconstituées par une simple
analyse de la constellation de leurs éléments constituants. Sitôt que
les systèmes symboliques culturels sont envisagés dans la perspective
d’une sémiologie généralisée, ils semblent pouvoir être interprétés
indépendamment de tout état de fait externe. C’est précisément à
cette thèse que Castoriadis s’oppose vigoureusement. Il souligne avec
force que tous les systèmes symboliques à caractère social doivent
nécessairement renvoyer à un noyau de pré-signitif, d’où ils tirent leur
signification particulière. Toute symbolisation vit de sa référence à
quelque chose qui doit être « donné » sous une forme particulière à
l’homme dans son expérience : « Il est impossible de soutenir que le
sens est simplement ce qui résulte de la combinaison des signes. On
peut tout autant dire que la combinaison des signes résulte du sens,
car enfin le monde n’est pas fait que de gens qui interprètent le
discours des autres ; pour que ceux-là existent, il faut d’abord que
ceux-ci aient parlé, et parler c’est déjà choisir des signes, hésiter, se
reprendre, rectifier les signes déjà choisis — en fonction d’un sens
[…] Nous poserons donc qu’il y a des significations relativement
indépendantes des signifiants qui les portent, et qui jouent un rôle
dans le choix et l’organisation de ces signifiants. » (p. 193-196) Cette
objection au structuralisme fait le lien avec la propre tentative de
Castoriadis pour analyser la logique de la formation sociale des
symboles. Si la signification sociale d’un ordre symbolique ne résulte
pas simplement de la combinaison de ses éléments, mais de sa
relation avec un état de fait qu’elle veut représenter, alors l’analyse
sociologique doit impérativement déterminer avec plus de précision le
processus de cette relation symbolique. Castoriadis différencie à cette
fin trois ordres de phénomènes qui peuvent intervenir comme
référents dans la formation sociale des symboles : le perçu, le
rationnel et l’imaginaire. Mais tandis que le rôle des deux premières
sphères dans le processus de constitution des significations
symboliques se borne à fournir des domaines de référence empiriques
ou rationnels, la troisième représente pour lui un élément central du
processus. Castoriadis, en effet, est convaincu que toute formation de
symbole à caractère social doit inévitablement se rapporter à un état
de fait qui ne provient ni d’une intuition empirique, ni d’une
construction rationnelle, mais d’un acte de création. Les ordres
symboliques de toutes les sociétés ne trouvent leur véritable centre de
signification ni dans un monde sensible, ni dans un monde construit
rationnellement, mais dans un monde imaginé. C’est à partir de cet
imaginaire que se construit un contexte social porteur de sens, c’est là
qu’une société puise les interprétations qui lui donnent une
signification cohérente.
Castoriadis précise d’abord à l’aide de quelques exemples
éclairants ce qu’il entend par cette thèse de vaste portée. Il montre
ainsi que la naissance de systèmes symboliques religieux était liée à la
production d’une dimension sémantique pour laquelle il ne pouvait y
avoir de points d’appui ni dans le monde perçu, ni dans le monde
rationnel ; quelle que soit en effet la manière dont « Dieu » était
empiriquement représenté ou conceptuellement construit dans les
religions monothéistes, à chaque fois sa nouvelle caractérisation
ouvrait un horizon de sens jusque-là totalement inconnu, qui devenait
le centre organisateur du système symbolique de la société (p. 196
sq.). Un deuxième exemple évoqué par Castoriadis est tout aussi
éclairant, quoique plus problématique : d’après lui, le processus
capitaliste de réification, mis en lumière par le marxisme, présuppose
également un acte social de création de sens, à travers lequel ce qui
était auparavant considéré comme un individu humain reçoit la
signification imaginaire d’une chose ; car c’est seulement à l’instant
historique où cette nouvelle signification est produite et devient le
centre d’un nouvel ordre symbolique, que les sujets peuvent être
considérés comme des grandeurs chosales au point de devenir de
simples « forces de travail » (p. 197 sq.). En rassemblant de tels
exemples, Castoriadis parvient à la généralisation finale, qui forme la
substance de sa thèse : toute société représente un système de
significations symboliquement articulées, qui vit constamment du
renvoi à un horizon de sens imaginaire. Cet imaginaire fonctionne
comme un schéma catégorial d’organisation qui délimite le cadre de
représentations possibles ; il détermine, pour chaque société, « sa
façon singulière de vivre, de voir et de faire sa propre existence, son
monde et son rapport à lui » (p. 203). Ces horizons de sens
imaginaires — qui, comme un « ciment invisible », tiennent ensemble
les schémas d’interprétation sociaux d’une époque — sont produits
par des actes de création perpétuellement renouvelés, où s’exprime
« la faculté originaire de poser ou de se donner, sous le mode de la
représentation, une chose et une relation qui ne sont pas (qui ne sont
pas données dans la représentation et ne l’ont jamais été). » (p. 177)
Dans ce concept d’imaginaire, dont Castoriadis trouve l’origine
chez Aristote 7, on entend à nouveau résonner le motif central qui
fondait déjà sa philosophie de la praxis. Si c’était alors la vision du
monde créative des groupes révolutionnaires qui déterminait
l’évolution historique, le même rôle est désormais tenu par ces actes
de création du sens à travers lesquels l’imaginaire revêt des formes
toujours nouvelles. Dans les deux cas, ce sont les forces de
l’imagination, de l’invention créatrice, qui constituent le noyau
productif de l’évolution sociale ; la différence est qu’à présent, après le
débat avec le structuralisme, les vecteurs de ces actes porteurs de sens
ne sont plus des groupes sociaux, mais des processus anonymes. Par
là, cependant, les avancées créatrices perdent tout caractère de
pratique sociale et prennent de plus en plus les traits d’un événement
supra-individuel 8. C’est là le point de départ de l’ontologie que
Castoriadis construit sur la base de sa critique des sciences sociales
de son temps.
IV
Bien que ses ouvrages principaux aient tous été traduits avec une
étonnante régularité, l’œuvre théorique de Pierre Bourdieu est restée
jusqu’aujourd’hui sans écho ni influence dans le débat des sciences
sociales en République fédérale 2 ; le même sort guette La Distinction,
son travail le plus volumineux et sans aucun doute le plus important à
ce jour, traduit en allemand sous le titre bien venu Die feinen
Unterschiede 3 [Les subtiles différences] trois ans après sa sortie en
France. L’indifférence du public allemand est peut-être le prix que
doit payer un auteur qui ne se conforme pas aux modèles
traditionnels de la théorisation sociologique : l’œuvre de Bourdieu, en
tout cas, ne correspond pas aux schémas avec lesquels les sciences
sociales ont coutume d’opérer de ce côté-ci du Rhin. Le sociologue
français a d’emblée porté son attention sur le monde des formations
symboliques dans lesquelles se projette la vie sociale : il s’intéresse à
cette sphère d’habitudes culturelles et de formes d’expression qu’un
marxisme pur et dur écartait sans ambages comme un simple
accessoire de la reproduction sociale. Mais Bourdieu est lui-même un
marxiste, si cette appellation a encore un sens aujourd’hui : il s’est si
peu laissé troubler par les sirènes de cet anti-marxisme global qui
tient aujourd’hui le haut du pavé, qu’il a précisément choisi l’un des
éléments les plus controversés de la théorie marxiste, le concept de
lutte des classes, pour en faire une référence centrale de ses propres
recherches. Bourdieu construit son analyse de la structure sociale, sur
laquelle se fonde la lutte des classes, de manière à pouvoir la
prolonger directement dans une étude de la réalité culturelle — et
conjuguer ainsi deux éléments qui à l’esprit de classification habituel
de la sociologie paraissent parfaitement incompatibles. Il scrute
inlassablement un objet jusque-là réservé à une sociologie
d’orientation phénoménologique ou à une sociologie instruite par la
psychanalyse, en lui appliquant l’outillage analytique d’une théorie à
laquelle on n’accordait traditionnellement une certaine légitimité que
dans le traitement des réalités socio-économiques. Mais pour
comprendre comment ces deux éléments se fondent aux yeux de
Bourdieu dans l’unité d’une seule théorie, comment il conjugue donc
l’idée d’une lutte des classes sociales avec l’étude des formes
symboliques d’expression, produisant cette théorie de la culture
capitaliste tardive que veut être sa vaste étude, il est nécessaire de
reconstituer les étapes de sa construction théorique.
II
III
IV
VI
LIQUÉFACTIONS DU SOCIAL
III
II
III
I
DE L’IRRÉDUCTIBILITÉ DU PROGRÈS
1. Emmanuel Kant, Le Conflit des facultés, trad. A. Renaut, dans Œuvres philosophiques,
t. III, sous la dir. de Ferdinand Alquié, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1986,
p. 888-889.
2. Walter Benjamin, « Sur le concept d’histoire » (septième thèse), trad. M. de Gandillac
et P. Rusch, dans Œuvres III, Paris, Gallimard, coll. Folio Essais, 2000, p. 432.
3. E. Kant, op. cit., p. 889.
4. E. Kant, « Qu’est-ce que les Lumières ? », trad. H. Wisman, dans Œuvres
philosophiques, t. II, sous la dir. de Ferdinand Alquié, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la
Pléiade, 1985, p. 213-214.
5. E. Kant, Le Conflit des facultés, op. cit., p. 902.
6. E. Kant, « Anthropologie d’un point de vue pragmatique », trad. dans Œuvres
philosophiques, t. III, op. cit., p. 1051.
7. On trouve une comparaison instructive entre la philosophie de l’histoire de Kant et
celle de Benjamin chez Rudolf Langthaler, « Benjamin und Kant, oder : Über den Versuch,
Geschichte philosophisch zu denken », Deutsche Zeitschrift für Philosophie, 50e année (2002),
n° 2, p. 203-225. Je ne pense pas cependant que les convergences entre les deux approches
aillent aussi loin que Langthaler cherche à l’établir.
8. Cf. Axel Honneth, « Une reconstruction communicationnelle du passé. Sur la relation
entre anthropologie et philosophie de l’histoire chez Walter Benjamin », dans Ce que social
veut dire, t. 2 : Les pathologies de la raison, Paris, Gallimard, 2013.
9. E. Kant, Le Conflit des facultés, op. cit., p. 890.
10. Pauline Kleingeld donne un excellent tableau des différentes perspectives, en partie
concurrentes, dans lesquelles Kant cherche à développer sa philosophie de l’histoire. Cf.
Pauline Kleingeld, Fortschritt und Vernunft. Zur Geschichtsphilosophie Kants, Würzburg,
1995 ; du même auteur, « Kant, History and the Idea of Moral Development », dans History of
Philosophy Quarterly, vol. 16 (1999), n° 1, p. 59-80. Ma propre proposition, qui envisage la
philosophie kantienne de l’histoire comme un coin enfoncé dans le système kantien, s’écarte
cependant de l’interprétation de Pauline Kleingeld : contrairement à elle, j’estime que ce
« modèle herméneutico-explicatif » représente déjà un pas en direction d’une
détranscendantalisation de la raison.
11. Cf. P. Kleingeld, op. cit., chap. I, II et VI.
12. E. Kant, Critique de la faculté de juger, trad. J.-R. Ladmiral, M. B. de Launay, J.-M.
Vaysse, dans Œuvres philosophiques, t. II, op. cit., p. 972-973 [cité désormais CFJ].
13. E. Kant, « Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique », trad.
L. Ferry, dans Œuvres philosophiques, t. II, op. cit., p. 188 [cité désormais « Idée »].
14. CFJ, p. 1234.
15. Ibid.
16. « Idée », p. 193-205.
17. Ibid., chap. III et IV.
18. E. Kant, Critique de la raison pratique, trad. L. Ferry et H. Wismann, dans Œuvres
philosophiques, t. II, op. cit., p. 782-783.
19. E. Kant, « Sur le lieu commun : “Il se peut que ce soit juste en théorie, mais en
pratique cela ne vaut point” », trad. L. Ferry, dans Œuvres philosophiques, t. III, op. cit.,
p. 294.
20. E. Kant, « Projet de paix perpétuelle », trad. H. Wismann, t. III, op. cit., p. 353 (trad.
mod.).
21. E. Kant, « Sur le lieu commun… », op. cit., p. 295.
22. Ibid., p. 296.
23. Nul n’a plus vigoureusement que Yirmiyahu Yovel soutenu l’idée que la philosophie
kantienne de l’histoire comporte une historicisation de la raison qui annonce déjà Hegel
(Kant and the Philosophy of History, Princeton, N. J., 1980 ; trad. fr., Kant et la philosophie de
l’histoire, Paris, 1989, Méridiens Klincksieck). Mais je ne dirais pas, comme Yovel, que ce
sont les prémisses de son propre système qui ont obligé Kant à détranscendantaliser la raison
morale et à y voir une grandeur susceptible d’augmenter au cours de l’histoire (ibid.,
chap. VII) ; avec un certain nombre d’autres auteurs, je suis au contraire persuadé qu’une
telle idée serait incompatible avec les postulats de la philosophie morale kantienne (cf. par
exemple Paul Stern, « The Problem of History and Temporality in Kantian Ethics », dans
Review of Metaphysics, vol. 39 [1986], p. 505-545). C’est pourquoi je décris le modèle
« herméneutico-explicatif » comme un élément de rupture dans le système. Du reste, un
développement de cette troisième approche de la philosophie kantienne de l’histoire
conduirait certes à une historicisation de la raison au sens de Hegel, mais justement pas aux
hypothèses fondamentales de sa philosophie de l’histoire. Car celles-ci résultent à l’inverse,
Rolf-Peter Horstmann l’a montré d’une manière convaincante, d’une objectivation de l’idée
heuristique d’une téléologie naturelle, sur laquelle Kant pouvait baser la philosophie
« officielle » de l’histoire qui ne remettait pas en cause son système (cf. Rolf-Peter
Horstmann, « Der geheime Kantianismus in Hegels Geschichtsphilosophie », dans Die
Grenzen der Vernunft, Francfort-sur-le-Main, 1991, p. 221-244).
24. « Idée », op. cit., p. 192. Sur cette question, on se reportera à l’excellente
reconstruction d’Allen Wood, « Unsociable Sociability. The Anthropological Basis of Kantian
Ethics », dans Philosophical Topics, vol. 19 (1991), n° 1, p. 325-351.
25. « Idée », op. cit., p. 193.
26. L’idée d’interpréter déjà ce modèle kantien d’après le schéma (hégélien) d’une lutte
pour la reconnaissance est due à Yirmiyahu Yovel (cf. Kant and the Philosophy of History, op.
cit., p. 148 sq.).
27. « Conjectures sur le commencement de l’histoire humaine », trad. L. Ferry et
H. Wismann, dans Œuvres philosophiques, t. II, op. cit., p. 516.
28. Ibid., p. 518.
29. E. Kant, « Réponse à la question : Qu’est-ce que les Lumières ? », Œuvres
philosophiques, t. II, op. cit., p. 217.
30. Voir à ce sujet P. Kleingeld, Fortschritt und Vernunft, op. cit., p. 171-172.
31. E. Kant, « Réponse à la question : Qu’est-ce que les Lumières ? », op. cit., p. 209.
32. Sur cette question, on peut maintenant se reporter à l’excellente étude d’Andrea
Marlen Esser, « Eine Ethik für Endliche ». Kants Tugendlehre in der Gegenwart, Stuttgart/Bad
Cannstatt, 2004.
33. Ibid., p. 210.
34. E. Kant, Le Conflit des facultés, op. cit., p. 899.
35. Ibid.
II
LA NÉCESSITÉ TRANSCENDANTALE DE L’INTERSUBJECTIVITÉ
1. Je conserve le terme choisi par Alain Renaut, traducteur de l’ouvrage cité infra, note 7.
« Invitation », « sollicitation », étaient d’autres candidats possibles. (N. d. T.)
2. Johann Gottlieb Fichte, Conférences sur la destination du savant, prés. et trad. J.-L.
Vieillard-Baron, Paris, Vrin, 1994, p. 47.
3. Cf. Peter Baumann, Fichtes ursprüngliches System. Sein Standort zwischen Kant und
Hegel, Stuttgart, 1972, p. 175 sq. ; Wilhelm Weisschedel, Der frühe Fichte, Stuttgart, 1973,
p. 14 sq.
4. Cf. Ludwig Siep, Anerkennung als Prinzip der praktischen Philosophie,
Fribourg/Munich, 1979, t. I, 1 ; Andreas Wildt, Autonomie und Anerkennung, Hegels
Moralitätskritik im Lichte seiner Fichte-Rezeption, Stuttgart, 1982, t. II.
5. Cf. W. Weisschedel, Der frühe Fichte, op. cit.
6. Cf. Robert R. Williams, Recognition. Fichte and Hegel on the Other, Albany, New York,
1992, p. 67, note 43.
7. J. G. Fichte, Fondement du droit naturel selon les principes de la doctrine de la science,
trad. A. Renaut, Paris, PUF, 1984, p. 46. [Les références de page seront désormais indiquées
entre parenthèses à la suite des citations de cet ouvrage. (N. d. T.)]
8. Cf. Ludwig Siep, « Einheit und Methode von Fichtes “Grundlage des Naturrechts” »,
dans Praktische Philosophie im Deutschen Idealismus, Francfort-sur-le-Main, 1992, p. 41-64 ;
Wolfgang Kersting, « Die Unabhängigkeit des Rechts von der Moral », dans Jean-Christophe
Merle (éd.), J. G. Fichtes « Grundlage des Naturrechts », Berlin, 2001, p. 21-38.
9. On trouve un bon aperçu des répercussions de ce texte dans la philosophie du droit
dans M. Kahlo, E. A. Wolff et R. Zaczyk (éds.), Fichtes Lehre vom Rechtsverhältnis. Die
Deduktion der §§ 1-4 der Grundlage des Naturrechts und ihre Stellung in der Rechtsphilosophie,
Francfort-sur-le-Main, 1992.
10. Cf. Frederick Neuhouser, « The Efficiency of the Rational Being », dans Jean-
Christophe Merle (éd.), J. G. Fichtes « Grundlage des Naturrechts », op. cit., p. 39-50.
11. Cf. Ludwig Siep, « Einheit und Methode von Fichtes „Grundlage des Naturrechts »,
dans Praktische Philosophie im Deutschen Idealismus, op. cit., p. 42 sq.
12. Cf. Ludwig Siep, « Einheit und Methode von Fichtes “Grundlage des Naturrechts” »,
dans Praktische Philosophie im Deutschen Idealismus, op. cit., p. 45 sq.
13. Cf. Manfred Frank, « Fragmente einer Geschichte der Selbstbewußtseinstheorien von
Kant bis Sartre », postface à Selbstbewußtseinstheorien von Fichte bis Sartre, sous la dir. de M.
Frank, Francfort-sur-le-Main, 1991, p. 413-599.
14. Cf. Dieter Henrich, Fichtes ursprüngliche Einsicht, Francfort-sur-le-Main, 1967.
15. Cf. Christoph Menke, « Ästhetische Subjektivität. Zu einem Grundbegriff moderner
Ästhetik », dans G. von Graevenitz (éd.), Konzepte der Moderne, Stuttgart, 1999, p. 593-611.
16. Cf. Dieter Henrich, « Selbstbewußtsein. Kritische Einleitung in eine Theorie », dans
R. Bubner, K. Cramer et R. Wiehl (éds.), Hermeneutik und Dialektik, t. I, Tübingen, 1970,
p. 257-284 ; Manfred Frank, « Fragmente einer Geschichte der Selbstbewußtseinstheorien
von Kant bis Sartre », postface à Selbstbewußtseinstheorien von Fichte bis Sartre, op. cit. ;
Ulrich Pothast, « Etwas über “Bewußtsein” », dans K. Cramer et al. (éds.), Theorie der
Subjektivität, Francfort-sur-le-Main, 1987, p. 15-43.
17. George Herbert Mead, L’Esprit, le soi et la société, trad. D. Cefai et L. Quéré, Paris,
PUF, 2006 ; Jürgen Habermas, « L’individuation par la socialisation », dans La Pensée
postmétaphysique. Essais philosophiques, trad. R. Rochlitz, Paris, Armand Colin, 1993.
18. Cf. Ludwig Siep, « Einheit und Methode von Fichtes “Grundlage des Naturrechts” »,
dans Praktische Philosophie im Deutschen Idealismus, op. cit., p. 45 sq.
19. Cf. Emmanuel Levinas, Totalité et infini. Essai sur l’extériorité, Martinus Nijhoff,
1971, en particulier le chap. III.
20. Cf. Daniel Stern, Le Monde interpersonnel du nourrisson : une perspective
psychanalytique et développementale, trad. A. Lazartigues et D. Pérard, PUF, rééd. 2003 (en
particulier la deuxième partie).
21. Cf. J. Habermas, « L’individuation par la socialisation », op. cit., p. 200.
III
DU DÉSIR À LA RECONNAISSANCE
IV
LE RÈGNE DE LA LIBERTÉ RÉALISÉE
V
LA LUTTE POUR LA RECONNAISSANCE
VI
UN ROUSSEAU STRUCTURALISTE
1. Claude Lévi-Srauss, Tristes tropiques, Paris, Plon, coll. Terre humaine, 1955.
2. Cf. Jean Piaget, Sagesse et illusions de la philosophie [1965], Paris, PUF, rééd. coll.
Quadrige, 1992.
3. Cl. Lévi-Strauss, Tristes tropiques, op. cit., p. 53.
4. Ibid., p. 54.
5. Ibid., p. 467.
6. Cf. Hanns Henning Ritter, « Claude Lévi-Strauss als Leser Rousseaus », dans Orte des
wilden Denkens, sous la dir. de W. Lepenies et H. Henning Ritter, Francfort-sur-le-Main,
1970, p. 113 sq. ; j’ai également tiré profit dans ma réflexion sur la relation de Lévi-Strauss
avec la philosophie de Rousseau, d’un travail extrêmement instructif de Hinrich Fink-Eitel —
dont les conclusions sont cependant à l’opposé des miennes (« Nihilismus und Solidarität.
Claude Lévi-Strauss’ Begründung des Strukturalismus », manuscrit, 1979).
7. Ibid., p. 469.
8. Ibid., p. 470.
9. Cl. Lévi-Strauss, « Jean-Jacques Rousseau, fondateur des sciences de l’homme », dans
Anthropologie structurale II, Paris, Plon, rééd. Pocket 1996, coll. Agora, p. 53.
10. Cl. Lévi-Strauss, « Le champ de l’anthropologie » (leçon inaugurale au Collège de
France le 5 janvier 1960), dans Anthropologie structurale II, op. cit., p. 42.
11. Cl. Lévi-Strauss, Les Structures élémentaires de la parenté, Paris, PUF, 1949.
12. Marcel Mauss, « Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés
archaïques » [1924], repris dans Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, rééd. coll. Quadrige,
2006.
13. Pour n’en citer qu’un : Edmund Leach, Claude Lévi-Strauss, Chicago, University of
Chicago Press, 1974, surtout le chap. VI.
14. É. Durkheim, Les Formes élémentaires de la vie religieuse [1912], Paris, PUF, rééd.
1968, en particulier le chap. VII du Livre II.
15. Cf. le très bon exposé de Hans Henning Ritter, « Die ethnologische Wende », dans
Neue Rundschau, n° 3, 1981.
16. Claude Lévi-Strauss, « French Sociology », dans Twentieth Century Sociology, sous la
dir. de G. Gurvitch et W. E. Moore, New York, 1945.
17. Cf. Cl. Lévi-Strauss, « Jean-Jacques Rousseau, fondateur des sciences de l’homme »,
op. cit., p. 52.
18. Cf. Howard Gardner, The Quest for Mind. Piaget, Lévi-Strauss and the Structuralist
Movement, Chicago, 1981.
19. Cf. l’entretien autobiographique de Lévi-Strauss avec Didier Éribon, De près et de
loin. Entretiens avec Claude Lévi-Strauss, Paris, Odile Jacob, 1988.
20. Cf. les articles rassemblés sous le titre « Langage et parenté » dans Anthropologie
structurale, Paris, Plon, rééd. Pocket, coll. Agora, 1974, p. 42-115.
21. Ces objections sont résumées dans l’ouvrage de Simon Clarke, The Foundations of
Structuralism. A Critique of Lévi-Strauss and the Structuralist Movement, New York, 1981.
22. Cf. par exemple Cl. Lévi-Strauss, « L’analyse structurale en linguistique et en
anthropologie », et « Place de l’anthropologie dans les sciences sociales et problèmes posés
par son enseignement », dans Anthropologie structurale, op. cit., p. 43-69 et 402-443.
23. Cf. Cl. Lévi-Strauss, Le Totémisme aujourd’hui, Paris, PUF, 1962.
24. Cl. Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, Paris, Plon, 1962.
25. Ibid., p. 53 sq.
26. Cl. Lévi-Strauss, « Jean-Jacques Rousseau… », op. cit., p. 50.
27. Cf. Johann P. Arnason, Zwischen Natur und Gesellschaft, Francfort-sur-le-Main,
1976, en particulier, p. 66 sq.
28. Cl. Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, op. cit., p. 52.
29. Écrit en 1987. (N. d. T.)
30. Cf. Cl. Lévi-Strauss, « Réflexions sur la liberté », dans Le Regard éloigné, Paris, Plon,
1983.
31. Cf. la discussion avec Paul Ricœur, notamment dans Cl. Lévi-Strauss, Mythe et
signification, Paris, Le Seuil, 2009, ainsi que l’article d’Alain Caillé, « D’un ethnocentrisme
paradoxal », dans MAUSS, n° 16, 1985, p. 91 sq.
32. Cf. Clifford Geertz, « The Cerebral Savage », dans Encounter, n° 4, 1967.
VII
UNE RAISON ANCRÉE DANS LE CORPS
1. Cet article a été rédigé en 1986. Étaient alors parus en traduction allemande : La Prose
du monde (Munich, 1984), L’Œil et l’esprit (Hambourg, 1984), Le Visible et l’invisible (Munich,
1986). (N. d. T.)
2. Alexandre Métraux et Bernhard Waldenfels (dir.), Leibhaftige Vernunft. Spuren von
Merleau-Pontys Denken, Munich, 1986.
3. Cf. par exemple Peter Kiwitz, Lebenswelt und Lebenskunst. Perspektiven einer
kritischen Theorie des sozialen Lebens, Munich, 1986.
4. Cf. l’imposante étude de Bernhard Waldenfels, Phänomenologie in Frankreich,
Francfort-sur-le-Main, 1983, chap. I. Bernhard Waldenfels peut être considéré comme le
principal médiateur de la pensée de Merleau-Ponty dans l’espace germanophone.
5. Maurice Merleau-Ponty, La Structure du comportement, Paris, PUF, 1942 ; du même,
La Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, 1945.
6. Cf. Charles Taylor, « Leibliches Handeln », dans A. Métraux et B. Waldenfels, op. cit.,
p. 194 sq.
7. Cf. par exemple Michael Polanyi, The Tacit Dimension, Chicago, Chicago University
Press, rééd. 2009, avec une nouvelle préface d’Amartya Sen ; Hubert L. Dreyfus, Intelligence
artificielle : mythes et limites, trad. R. M. Vassallo-Villaneau, Paris, Flammarion, 1984.
8. M. Merleau-Ponty, Résumé de cours (1952-1960), Paris, Gallimard, 1968.
9. M. Merleau-Ponty, La Phénoménologie de la perception, op. cit., p. 249.
10. B. Waldenfels, Phänomenologie in Frankreich, op. cit., chap. III, § 10.
11. Marc Richir, « Der Sinn der Phänomenologie in Das Sichtbare und das Unsichtbare »,
dans A. Métraux et B. Waldenfels, op. cit., p. 162 sq.
12. G. B. Madison, « Merleau-Ponty und die Postmodernität », dans A. Métraux et B.
Waldenfels, op. cit., p. 162 sq.
VIII
UN SAUVETAGE ONTOLOGIQUE DE LA RÉVOLUTION
IX
LE MONDE DÉCHIRÉ DES FORMES SYMBOLIQUES
XI
LA PHILOSOPHIE COMME RECHERCHE SOCIALE
1. David Miller, Grundsätze sozialer Gerechtigkeit, Francfort/New York, 2008 (édition
originale : Cambridge, Mass., 1999). [L’ouvrage n’a pas été traduit en français. (N. d. T.)]
2. Trad. fr : Sphères de justice. Une défense du pluralisme et de l’égalité, trad. P. Engel,
Paris, Le Seuil, 1997.
3. Luc Boltanski et Laurent Thévenot, De la justification. Les économies de la grandeur,
Paris, Gallimard, 1991. Cf. également supra, chap. X « Liquéfactions du social. À propos de la
théorie sociale de Luc Boltanski et Laurent Thévenot ».
4. John Rawls, Théorie de la justice, trad. C. Audard, Paris, Le Seuil, rééd. « Points »,
2009.
5. Ce point est bien dégagé dans l’article d’Adam Swift, « Social Justice : Why Does It
Matter What the People Think ? », dans Forms of Justice. Critical Perspectives on David
Miller’s Political Philosophy, sous la dir. de Daniel A. Bell et Avner De-Shalit, Lanham (MD),
2003, p. 13-28.
6. John Rawls, Théorie de la justice, op. cit., p. 74 sq.
7. Cf. par exemple Rainer Forst, Kontexte der Gerechtigkeit. Politische Philosophie jenseits
von Liberalismus und Kommunitarismus, Francfort-sur-le-Main, 1994.
8. Cf. Axel Honneth, Les Pathologies de la liberté : une réactualisation de la Philosophie du
droit de Hegel, trad. F. Fischbach, Paris, La Découverte, 2008.
9. Cf. Forms of Justice, op. cit, p. 2 (Introduction).
10. David Miller, On Nationality, Oxford, 1995.
11. David Miller, Citizenship and National Identity, Cambridge, 2000.
12. Cf. par exemple Erica Benner, « The Liberal Limits of Republican Nationality », dans
Forms of Justice, op. cit., p. 205-226 ; Daniel A. Bell, « Is Republican Citizenship Appropriate
for the Modern World ? », ibid., p. 227-347.
13. J. Rawls, Théorie de la justice, op. cit., p. 349.
Index des noms
Les auteurs dont le nom est précédé d’un astérisque sont ceux auxquels un chapitre est
consacré dans l’ouvrage. Les pages correspondantes ne sont pas spécifiées dans le présent
index.
ADAIR, Philippe : 323.
ALTHUSSER, Louis : 12, 23, 24.
ARENDT, Hannah : 189.
ARISTOTE : 197, 252.
ASTRUC, Alexandre : 144.
AUGUSTIN D’HIPPONE : 253.
BENJAMIN, Walter : 35, 36, 55, 305.
BERGSON, Henri : 202.
*BOLTANSKI, Luc : 25, 26, 31, 276.
BOSSUET, Jacques Bénigne : 253, 254.
BOUGLÉ, Célestin : 149.
*BOURDIEU, Pierre : 23, 24, 25, 240, 241, 272.
BRANDOM, Robert Boyce : 89.
BRECHT, Bertolt : 55, 84.
*CASTORIADIS, Cornelius : 28, 29, 30, 134.
CHIAPELLO, Ève : 324.
DEWEY, John : 32, 242.
DREYFUS, Hubert Lederer : 174.
DURKHEIM, Émile : 31, 119, 146, 155, 157, 159, 160, 239, 241, 320.
ELSTER, Jon : 322.
FERNANDEL, Fernand-Joseph-Désiré Contandin, dit : 223.
FEUERBACH, Ludwig Andreas : 70.
*FICHTE, Johann Gottlieb : 14, 17, 18, 88, 94, 108, 111, 134, 135, 142.
FINK-EITEL, Hinrich : 316.
FLAUBERT, Gustave : 144.
FORSTER, Georg : 150.
FOUCAULT, Michel : 31.
FRANKFURT, Harry Gordon : 115.
FRÉDÉRIC II DE PRUSSE : 46, 47.
FREUD, Sigmund : 157.
HABERMAS, Jürgen : 30, 70, 81, 188, 240.
*HEGEL, Georg Wilhelm Friedrich : 11, 14, 17, 18, 19, 20, 21, 30, 37, 48, 50, 54,
57, 70, 81, 134, 138, 142, 143, 290, 307.
HEIDEGGER, Martin : 133, 170, 257.
HENRICH, Dieter : 70.
HOBBES, Thomas : 253.
HONNETH, Axel : 311.
HORSTMANN, Rolf-Peter : 307.
HUMBOLDT, Wilhelm von : 109.
HUSSERL, Edmund : 133.
JAKOBSON, Roman Ossipovitch : 163.
JOAS, Hans : 320.
*KANT, Emmanuel : 16, 17, 19, 20, 31, 87, 88, 94, 104, 108, 111, 113, 120, 123,
124, 216, 254, 255.
KLEINGELD, Pauline : 306.
KOJÈVE, Alexandre : 21, 84, 312.
KORSCH, Karl : 184.
LACAN, Jacques : 12, 23, 24, 132, 134, 203.
LANGTHALER, Rudolf : 305, 306.
LATOUR, Bruno : 256.
LEFORT, Claude : 177, 184.
*LÉVI-STRAUSS, Claude : 192, 193, 200, 210, 211, 214, 321.
LEVINAS, Emmanuel : 60, 79.
LOCKE, John : 120, 254, 255.
LUKÁCS, Georg : 84.
LYOTARD, Jean-François : 132.
MADISON, Gary Brent : 180, 181.
MARCUSE, Herbert : 182, 183.
MARX, Karl Heinrich : 182, 186, 187, 188, 189, 190, 192, 200.
MAUSS, Marcel : 156, 157, 160.
MEAD, George Herbert : 70, 81, 242.
MENDELSSOHN, Moïse : 44, 45.
*MERLEAU-PONTY, Maurice : 28, 29, 184, 257.
MÉTRAUX, Alexandre : 174, 179.
MILL, John Stuart : 31.
*MILLER, David : 15, 31, 248, 249.
MONTESQUIEU, Charles-Louis de Secondat, baron de La Brède et de : 150.
NEUHOUSER, Frederick : 62, 91, 118, 311.
PARSONS, Talcott Edger : 192, 239, 241, 270, 272.
PIAGET, Jean : 148, 162.
PINKARD, Terry : 310.
PLESSNER, Helmuth : 95.
POLANYI, Michael : 174.
RAWLS, John Bordley : 32, 275, 279, 280, 284, 296.
RENAUT, Alain : 308.
RICHIR, Marc : 179, 180.
ROUSSEAU, Jean-Jacques : 13, 15, 23, 31, 32, 50, 111, 146, 147, 151, 152, 153,
156, 162, 166, 252, 253, 316.
SAINT-SIMON, Claude-Henri de Rouvroy, comte de : 253.
*SARTRE, Jean-Paul : 12, 22, 24, 27, 32, 170, 171, 172, 176.
SAUSSURE, Ferdinand de : 194, 234.
SCHLEGEL, Friedrich : 58, 70.
SCHMEISER, Martin : 321.
SIMMEL, Georg : 131, 322.
SMITH, Adam : 253.
SOREL, Georges : 320.
SPENCER, Herbert : 157.
STRAWSON, Peter Frederick : 297.
TAYLOR, Charles Margrave : 174, 175, 250.
THEUNISSEN, Michael : 137, 143.
*THÉVENOT, Laurent : 25, 26, 276.
THOMPSON, Edward Palmer : 184.
VIEILLARD-BARON, Jean-Louis : 313, 314.
WALDENFELS, Bernhard : 179, 180.
WALZER, Michael : 263, 276, 277.
WEBER, Maximilian Karl Emil, dit Max : 119, 146, 220, 236, 239, 241.
WINNICOTT, Donald Woods : 99, 100, 103.
YOVEL, Yirmiyahu : 307, 308.
Sommaire du tome deuxième
Éditions Gallimard
5 rue Gaston-Gallimard
75328 Paris
http://www.gallimard.fr
© Suhrkamp Verlag, 1990 & 1999 ; 2007 ; 2010.
© Éditions Gallimard, 2013, pour l’édition française.
AXEL HONNETH
CE QUE SOCIAL VEUT DIRE
I. Le déchirement du social
TRADUIT DE L’ALLEMAND
PAR PIERRE RUSCH
Ce que social veut dire est un ouvrage en deux tomes, destiné au seul lecteur français. Il entend
permettre à ce dernier de comprendre, à travers quelque vingt-cinq textes échelonnés sur vingt ans,
l’évolution théorique d’Axel Honneth, représentant de la troisième génération de l’École de
Francfort.
Le premier volume (Le déchirement du social) rassemble les contributions dans lesquelles
Honneth, à travers la confrontation avec des auteurs classiques (Kant, Fichte, Hegel) ou
contemporains et la philosophie sociale (Sartre, Lévi-Strauss, Merleau-Ponty, Castoriadis, Bourdieu,
Boltanski et Thévenot), précise les caractères constitutifs de la « lutte » sociale pour la
« reconnaissance ».
Le second (Les pathologies de la raison, à paraître) appliquera la théorie de la reconnaissance
au vaste domaine du diagnostic des injustices et des pathologies sociales (confrontations avec Adorno,
Benjamin, Neumann, Mitscherlich, Wellmer, mais aussi la psychanalyse et la théorie de la justice).
Ces deux aspects de l’évolution théorique — éclairer les causes des conflits sociaux et étudier
comment ils peuvent être justifiés et jugés sur le plan normatif — sont ici distingués en deux volumes
pour un souci de lecture, bien qu’ils se soient toujours chevauchés et mutuellement fécondés, dans un
projet global très précis : rapporter toute vie sociale au désir des sujets de valoir aux yeux de leurs
semblables comme des personnes à la fois dignes de considération et dotées d’une individualité
unique.
Ce qui exige que nous comprenions toujours les régulations centrales de la vie sociale comme des
ordres de la reconnaissance, mais aussi comme la manifestation sociale d’un devoir-être moral. Prises
ensemble, ces deux idées signifient également que la sociologie et la philosophie pratique ne peuvent
s’exercer indépendamment l’une de l’autre.
DU MÊME AUTEUR