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METHODOLOGIE DE LA RECHERCHE EN SCIENCES SOCIALES

Professeur : Seydou KONATE

Durée : 20h L1 : Droit

Plan du cours

INTRODUCTION......................................................................................................................................3
I- METHODES ET TECHNIQUES...........................................................................................................4
1.1 La méthode et les méthodes........................................................................................................4
1.2 Les techniques..............................................................................................................................5
1.3 Les Écoles et leurs méthodes........................................................................................................5
II- Typologie des Sciences Sociales.........................................................................................................6
2.1 Evolution...............................................................................................................................6
2.2 Typologie...............................................................................................................................6
III. Les logiques de la recherche dans les sciences sociales..................................................................10
3.1 Méthode clinique et méthode expérimentale............................................................................10
3.2 Les étapes de la méthode expérimentale...................................................................................11
3.2.1 L’observation : on distingue trois types d’observation........................................................11
3.2.2 L’hypothèse.........................................................................................................................12
3.2.3 L’expérimentation ou la vérification de l’hypothèse...........................................................13
IV- Le niveau de la recherche...............................................................................................................14
4.1 Description................................................................................................................................14
4. I.1 Généralités..........................................................................................................................14
4.1.2 Techniques de la description..............................................................................................16
4.1.3 Les techniques mathématiques...........................................................................................16
4.1.4 Les techniques graphiques..................................................................................................16
4.2 Classification...............................................................................................................................17
4.2.1 La notion de type sociologique................................................................................................17
V- Méthodes et techniques d'études et de collecte.............................................................................25
5.1. Observer quoi ?.............................................................................................................................25
5.2. Observer sur qui ?.........................................................................................................................25
5.2.1 Le champ d'analyse..............................................................................................................25
5.2.2 L'échantillon........................................................................................................................26
5.3. Observer comment ? Les instruments d'observation et la collecte des données......................28
5.3.1 L'élaboration des instruments d 'observation.....................................................................28
5.3.2 Les trois opérations de l'observation...................................................................................29
5.4. Les principales méthodes de recueil des informations..............................................................31
5.4.1 L'enquête par questionnaire................................................................................................32
5.4.2 L'entretien...........................................................................................................................33
CONCLUSION........................................................................................................................................35
INTRODUCTION

Etudier la méthode des sciences sociales revient à se poser sois même la question de savoir ;
qu’est-ce que les sciences sociales ? À cette question, J.-L. Loubet des Bayle, Initiation aux
méthodes des sciences sociales (2000)17, répond en ces termes « les sciences sociales
constituent une branche des sciences humaines, c’est-à-dire des sciences qui ont l’homme et
ses activités pour objet d’étude ». En effet, si nous décidions d’étudier l’humain, nous serions
rapidement appeler à prendre en compte son aspect insaisissable. Il ne peut être étudié comme
un objet physique ou un animal.

Parmi les sciences humaines, les sciences sociales se distinguent des disciplines qui étudient
les aspects physiques de l’homme, comme la médecine, ou qui envisagent les hommes en tant
qu’individus, comme la psychologie. Les sciences sociales étudient une catégorie particulière
de phénomènes humains : les phénomènes sociaux, les faits sociaux. Dans une première
approche, on peut définir les faits sociaux comme ceux qui résultent de la vie en société et qui
ne se produiraient pas dans une existence humaine totalement solitaire. Donc les faits sociaux
sont les faits relatifs à l’homme en société.

Depuis leur naissance et leur constitution en science sociales, les méthodes des sciences
sociales connaissent un développement continu. En attestent les nombreux ouvrages qui y
sont consacrés.

Au regard de leur diversité, de leurs ramifications et de leurs interprétations, il peut paraitre


prétentieux et utopiques de vouloir embrasser l’intégralité des problèmes épistémologiques,
sociologiques, philosophiques et éthiques que soulève une réflexion sur les méthodes des
sciences sociales. Toutefois, nous tenterons l’exercice, en allant à l’essentiel des points de
notre plan. L’objectif visé étant de permettre aux apprenants de maitriser les principaux
courants théoriques ainsi que les principales méthodes et techniques de l’investigation
scientifiques.
I- METHODES ET TECHNIQUES

Généralités sur les méthodes et techniques

Définitions

En sciences sociales, une recherche comporte l’utilisation de procédés opératoires bien définis
que l’on nomme ‘’ techniques ‘’. Le choix de la technique dépend de l’objectif poursuivi,
lequel est lui-même lié à la méthode de travail. Une telle interdépendance entraîne souvent
une confusion dans les termes technique et méthode qu’il convient de lever.

1.1 La méthode et les méthodes


Au plan de la représentation philosophique, la méthode comprend l’ensemble des opérations
intellectuelles qu’une discipline met en œuvre pour démontrer, vérifier et établir les vérités
qu’elle poursuit. A partir de cette conception, la méthode apparaît comme un ensemble de
règles indépendantes de toute recherche, mais visant des formes de raisonnement qui
rendraient accessible la réalité à saisir. Toutes les méthodes n’agissent pas de la même
manière sur les étapes de la recherche :

- En méthode expérimentale par exemple, une place importante est accordée à


l’empirisme au stade de l’observation et du traitement des données.

- En revanche, la méthode clinique, parce qu’elle est thérapeutique, s’intéresse surtout


aux résultats et ne dicte par elle-même aucune attitude spécifique.

- La méthode liée à une tentative d’explication qui à l’instar de la dialectique implique


des observations concrètes et vise avant tout un schéma explicatif.

- La méthode liée à un domaine particulier : la démographie comme l’économie utilisent


pleinement la statistique. Cependant le terme de méthode est justifié lorsqu’il s’attache à un
domaine particulier et comporte une manière de procéder qui lui est propre :

La méthode historique, la méthode psychanalytique. La méthode ne devrait pas être


confondue à la théorie ; si les problèmes de méthode donnent une réponse à la question du
‘’comment ‘’ ceux liés à la théorie définissent la question du ‘’ quoi ‘’. Dans un sens restreint,
ces méthodes ont en commun d’être structurées autour d’un ensemble concerté d’opérations,
un corps de principe présidant à toute recherche organisée, un ensemble de normes permettant
de sélectionner et de coordonner des techniques. Elles constituent donc un plan de travail.

1.2 Les techniques


Dans son sens étroit, la méthode doit être distinguée de la technique. A l’instar de la méthode,
la technique doit répondre à la question du ‘’ comment ‘’. Elle constitue un moyen d’atteindre
un but. Gestuelle au départ (technique du sportif …) elle peut marquer des étapes
intellectuelles, comme c’est le cas dans la pratique de l’interview. Ainsi perçue, la technique
représente les étapes d’opérations limitées, liées à des éléments pratiques, adaptées à un but
défini alors que la méthode est une conception intellectuelle, coordonnant un ensemble
d’opérations, en général plusieurs techniques. (Ex : chaque joueur de tennis possède une
technique ou des techniques structurées autour de revers, drive, service, façon de poser les
pieds, de tenir sa raquette… Mais chacun utilise sa technique en fonction d’une méthode :
fatiguer l’adversaire, jouer du fond du court ou au filet…) La méthode est avant tout réflexion
: elle utilise et organise ses techniques pour la réalisation du seul but qui vaille : gagner.

1.3 Les Écoles et leurs méthodes


L’évolution des sciences a été très liée au développement de la technique et de la
méthodologie. Dans l’entre-deux guerres et plus précisément au sortir des années trente,
l’opposition entre empirisme et rationalisme commande les attitudes sur le rôle de la théorie et
de la recherche dans les sciences sociales. Elle s’étend et de façon indirecte à l’interrogation
sur la place des mathématiques dans les recherches en sciences sociales.

· Empirisme

L’empirisme constitue une attitude d’esprit, une façon de penser mais surtout une manière de
prélever des données, de choisir des sujets de réflexion. L’empirisme croit en la valeur de
l’observation, en la soumission de la raison à l’évidence de l’expérimentation. C’est à partir
d’observations particulières qui ont été menées que l’on établit une généralisation

· Rationalisme

Pour le rationaliste, le critère de la vérité est intellectuel et ne dépend pas de nos sens :
constructions logiques, schémas conceptuels constituent les démarches d’une pensée qui part
du général pour s’appliquer au particulier

· Induction
On oppose habituellement l’induction énumérative à l’induction analytique. L’induction
énumérative abstrait par la généralisation ; autrement dit, elle reconnaît certaines
caractéristiques aux phénomènes observés et en fonction de leur nombre, procède à une
généralisation statistique. Pour sa part l’induction analytique généralise grâce à l’abstraction,
c’est à dire qu’elle abstrait du cas concret ses caractéristiques et du fait que celles-ci sont
essentielles, les généralise.

II- Typologie des Sciences Sociales


2.1 Evolution
Il est habituellement admis que les principales sciences sociales sont la sociologie,
l’anthropologie, l’ethnologie, la psychologie sociale, l’histoire, la géographie, la démographie,
l’économie politique, la science politique. Cette liste n’est qu’indicative car dans leur
développement respectif, ces sciences en arrivent à des subdivisions particulières. C’est ainsi
que la sociologie se subdivise en sociologie du travail, en sociologie religieuse. Chaque
science sociale comporte différentes définitions qui dépendent des auteurs et de leurs écoles
de pensée. Les uns et les autres évoluant, il est préférable de marquer les étapes essentielles
du développement de quelques sciences sociales, tout en se gardant de prendre en compte les
perceptions d’écoles.

2.2 Typologie

Sociologie

La sociologie est l’étude de la réalité sociale. Ce qui est généralement accolé à cette
définition relève des auteurs et des objets de leurs études. La sociologie naît en tant que
science à partir du moment où les faits sociaux sont observés en dehors de tout jugement de
valeur. Les précurseurs sont nombreux : Aristote, Hobbes, Spinoza et surtout Montesquieu qui
‘’ dit ce qui est et non ce qui doit être … ne justifie pas les usages mais les explique ‘’.

En ce qui concerne les fondateurs, plusieurs repères sont proposés : Saint Simon (1760 –
1865) est retenu par Durkheim ‘’ on rencontre chez Saint Simon les germes déjà développés
de toutes les idées qui ont alimenté la réflexion de notre époque ‘’ (il pose la question de la
sociologie de la connaissance et établit la correspondance entre certains régimes et les idées
d’une époque : régime militaire et connaissance théologique, régimes industriels et
connaissance technique …)

La sociologie de Proudhon (1805 – 1865) est plus réaliste et plus dogmatique. Marx (1818 –
1883) suit car comme le note Gurvitch ‘’ l’aspect fondamental de sa pensée est la sociologie :
l’intégration des manifestations partielles de la réalité sociale, dans les cadres totaux dont
l’explication est à rechercher aux confins de l’histoire et de l’analyse structurelle ‘’. Le mot de
sociologie est une invention d’Auguste Comte (1798 – 1850) qu’il substitue dans son cours de
philosophie positive (vol. IV) à la notion de ‘’ physique sociale ‘’ utilisée jusqu’alors. Il situe
la place de la sociologie dans les autres sciences sociales et s’emploie à définir ses liens avec
l’histoire et l’ethnographie. Mais son ambition de faire de la sociologie une science qui
surplombe toutes les autres finit par en faire une religion, lui faisant perdre le relativisme qu’il
reconnaissait lui-même comme indispensable. Spencer (1820 – 1903) est le premier
représentant d’une sociologie à tendance naturaliste et le premier utilisateur des notions de
structure et fonction empruntées à la biologie.

A ses débuts, la sociologie a cru devoir se rendre autonome en se détachant des postulats de la
philosophie historique. Mais celle-ci lui a inspiré ses premières questions du genre : où allons-
nous ? Où va la société ? Où va le monde ? Au XXe siècle, la sociologie ne se propose plus
de résoudre ni le problème du sort de l’humanité ni celui de l’ordre et du progrès, ni celui des
lois sociologiques. Il se produit une crise de renouvellement et de croissance qui conduit la
sociologie à réviser son appareil conceptuel, sa méthode, ses techniques. La première
démarche de la sociologie contemporaine est l’étude en profondeur de la réalité sociale ; cette
étude est avant tout pluridimensionnelle. A en croire Gurvitch, la mission du sociologue ‘’ se
reconnaît d’abord à sa capacité de dévoiler les antinomies et les tensions latentes propres à
une réalité sociale donnée, envisagée comme phénomène social ‘’. La vitalité de la sociologie
se lit au travers de sa forte spécialisation en disciplines secondaires : sociologie de la
connaissance, sociologie religieuse, urbaine, rurale, juridique, politique, économique etc. Il ne
s’agit pas pourtant d’un émiettement ni d’un risque de rivalité car ces disciplines restent
encore fidèles à l’esprit de la sociologie.

. Anthropologie

Considérée comme la discipline qui décrit les mœurs des différents peuples primitifs et
archaïques, l’ethnologie est souvent confondue à l’ethnographie et à l’anthropologie. Aussi,
certaines précisions de vocabulaire s’imposent :

- l’ethnographe travaille sur le matériel recueilli sur le terrain


- l’ethnologue tente un effort d’élaboration, de synthèse qui peut être géographique (étude
des caractéristiques des tribus d’une région) historique (évolution d’un groupement humain)
soit systématique (recherche sur une coutume particulière)

- l’anthropologue interviendrait à la troisième étape d’une même recherche : son projet


est d’étudier l’homme dans sa totalité.

L’évolution de la discipline a conduit à l’apparition de variantes telles que l’anthropologie


sociale qui part des objets, productions de l’Homme pour aboutir à ses activités sociales. A
côté de cette perception des Britanniques, les Américains ont créé une autre variante,
l’anthropologie culturelle qui effectue le schéma inverse : partir des activités de l’Homme
pour en arriver à ses objets. En France, s’est surtout développé l’anthropologie physique basée
sur les types morphologiques, les races. En définitive, l’ethnologie et l’anthropologie sont
utilisées indifféremment pour désigner une seule et même réalité scientifique.

. Histoire

Elle est considérée comme la discipline qui se préoccupe de la connaissance du passé. Elle
fascine car l’individu cherche par son biais à expliquer voire à justifier son être et son destin.
Relevant souvent de la philosophie, elle revendique le statut de science dans la mesure où
l’idéologie du progrès estime qu’elle est maîtresse de l’événement qu’elle est capable
d’organiser et dont elle peut rendre compte des différents mouvements. Au plan de la
pratique, une telle influence a eu pour conséquence de spécifier le champ d’action de
l’historien dans deux directions :

- d’une part elle est technique dans la mesure où son objet est de contribuer à la critique
des textes

- de l’autre est rattrape la philosophie dans son souci de rechercher de grandes lois à
découvrir.

Mais la discipline au XIXe siècle elle-même subit le poids de l’histoire dans son déroulement.
Ainsi, les bouleversements liés à la Révolution en Europe ne manquent pas de susciter une
sorte de nostalgie du passé que G. Gusdorf établit précisément ‘’ … elle (l’histoire) sert
d’instrument à une subjectivité qui se cherche, subjectivité des individus et des peuples en
quête de leur propre authenticité. La tendance s’inverse vers 1860 lorsque le goût du
document donne celui de l’exactitude qui est l’aspect technique du métier de l’historien. Ainsi
perçue et en s’appuyant exclusivement sur la documentation, l’histoire s’oppose à la
littérature d’imagination et à la philosophie. Le statut de science ne lui est pas reconnu pour
autant dès lors que le document même authentique n’est qu’un aspect du fait et ne coïncide
pas exactement avec lui. S’y ajouterait par ailleurs le fait que le choix et l’interprétation du
document engagent la personnalité de l’historien. Ces difficultés paraissent provisoires et
n’agissent pas négativement sur le développement de l’histoire car la vérité est supposée
enfermée dans les documents et seule une conception historique permet d’expliquer le passé :
il s’agit d’accumuler les matériaux en s’efforçant de laisser parler les faits. L‘histoire est donc
une méthode et comme l’annonce L. Febvre cette perception dispense les historiens de se
poser la question : ‘’ Qu’est-ce que l’Histoire ? ‘’La question reviendra au XXe siècle mais se
présente sous une formulation nouvelle : l’interrogation concerne désormais le domaine de
l’histoire. Selon l’acception de Paul Mantoux qui écrit en 1903 (In la revue de Synthèse
historique) sa tâche est de commémorer le passé, tout le passé, ‘’ ce qui est particulier, ce qui
n’arrive qu’une fois est du domaine de l’histoire ‘’. La contestation ne tarde pas à s’exprimer
contre cette vision linéaire, éventuelle, évènementielle ; elle se structure en école de pensée et
prend corps dans les années trente et à travers les colonnes des Annales que dirigent Marc
Bloch et Lucien Febvre. Dans

Apologie pour le métier d’historien, le champ d’études ne subit plus de restrictions :


l’Histoire est tout à la fois science du passé et science du présent.

. Démographie

Elle a pour objet l’étude de l’état et des mouvements des populations humaines. Proposé en
1855 par A. Guillard, l’expression n’est pas universellement acceptée puisque les Anglo-
saxons lui préfèrent le terme ‘’ population study ‘’ pour mieux en spécifier l’objet. . Par état
de population on entend l’importance numérique de la population, la répartition de ses
membres dans l’espace, sa composition par sexe et par âge, par profession et même son
niveau d’instruction et son état de santé. Pour leur part, les mouvements de populations
renvoient aux évènements démographiques que sont les naissances et les décès. L’essor de la
démographie supposait une vie administrative assez organisée qui permette la tenue de
statistiques complètes et le développement des mathématiques et du calcul des probabilités.
Ces facteurs techniques ont été appuyés par le désir de mieux comprendre les phénomènes
humains et la conviction partagée et selon laquelle cette connaissance permettrait une action
utile. La démographie a pris son essor à partir des interrogations formulées par les
économistes, les médecins, les biologistes etc. Ainsi, on peut constater que les premières
recherches sur la population ont été le fait d’économistes et de biologistes. Dans le même
temps, les travaux de démographie ont été entrepris par les mathématiciens, les statisticiens.
Limité à l’étude des mouvements de populations, le domaine de la démographie est déjà très
étendu car englobant la prise en charge de facteurs physiologiques, climatiques,
sociologiques, psychologiques les plus divers et qui agissent sur la population.

Les logiques de la recherche dans les sciences sociales A l’instar des autres disciplines, celles
qui relèvent des sciences sociales peuvent valablement revendiquer la paternité des démarches
scientifiques. Ainsi en est-il de l’appropriation qu’elles font de la méthode expérimentale dès
lors qu’elles mettent l’accent sur l’observation. Mais en sus de l’observation, les sciences
sociales tirent parti des éclairages d’un instrument tout aussi utile : il s’agit de la méthode
clinique. Voyons à présent les réalités que recouvrent ces deux méthodes.

III. Les logiques de la recherche dans les sciences sociales

A l’instar des autres disciplines, celles qui relèvent des sciences sociales peuvent valablement
revendiquer la paternité des démarches scientifiques. Ainsi en est-il de l’appropriation
qu’elles font de la méthode expérimentale dès lors qu’elles mettent l’accent sur l’observation.
Mais en sus de l’observation, les sciences sociales tirent profit des éclairages d’un instrument
tout aussi utile : il s’agit de la méthode clinique. Voyons à présent les réalités que recouvrent
ces deux méthodes.

3.1 Méthode clinique et méthode expérimentale

L’observation clinique se retrouve traditionnellement dans l’arsenal méthodologique usité par


la médecine. Elle signifie littéralement l’étude que le médecin pratique au chevet de son
malade. Par extension, l’approche clinique dépasse la technique structurée et normalisée pour
suggérer une façon de sentir, d’agir, de procéder. Son objet est d’appréhender et de manière
approfondie, les cas individuels en insistant sur les déterminants héréditaires, biographiques,
génétiques d’une conduite. . Pour sa part, la méthode expérimentale – appliquée au domaine
de la psychologie par exemple

– cherche à étudier l’Homme en général, mettant l’accent sur les interactions entre son
comportement et les situations qu’il vit concrètement. Il y a donc différence d’objet dans les
deux démarches ainsi exposées ; les buts poursuivis de même que les moyens investis ne
peuvent être similaires. La méthode clinique poursuit un but pratique ; elle émet un diagnostic
assorti le plus souvent d’une prescription thérapeutique qui vise à guérir le malade. Se fondant
sur l’observation, la méthode expérimentale manipule des variables dont elle ne tire pas
nécessairement des applications.

Ces deux méthodes ne sont pas exemptes de limites. En effet et parce qu’elle se préoccupe
davantage des cas particuliers, la méthode clinique ne peut être suffisamment théorique.
Même s’il fonde son intervention sur des connaissances théoriques et générales, le praticien
réserve très peu de place à l’effort d’abstraction, en raison de l’urgence des problèmes - de
survie très souvent - auxquels il doit apporter des réponses pressantes. Par ailleurs on reproche
à la méthode expérimentale de fractionner les situations pour les appréhender. A cela s’ajoute
une seconde réserve qui tient au fait que cette méthode est habituellement menée en
laboratoire. En définitive, les critiques ainsi articulées ont l’avantage prouver la
complémentarité de ces deux méthodes ; si la méthode clinique garantit profondeur et
clairvoyance, la méthode expérimentale assure une généralisation qui autorise une bonne
lecture des réalités observées.

3.2 Les étapes de la méthode expérimentale


L’administration d’une démarche expérimentale exige la prise en compte de trois étapes :
l’observation, l’hypothèse et l’expérimentation proprement dite.

3.2.1 L’observation :
On distingue trois types d’observation.

· l’observation non systématisée qui consiste en une accumulation plus ou moins


structurée de données qui peuvent cependant suggérer une orientation, une idée de recherche.
C’est une attitude proche de la pratique en clinique et dont l’intérêt est de saisir les faits
pertinents qui peuvent apparaître dans le champ d’observation.

· L’observation préparée : dans cette phase, le chercheur recueille ses données dans un
domaine connu et spécifié à priori.

· L’observation armée. Elle découle de l’utilisation de données contrôlées par


l’observateur.

Il y a lieu de retenir que ce schéma a un caractère indicatif ; autrement dit et dans son
processus de réflexion, le chercheur ne peut les séparer chronologiquement. Ainsi par
exemple, toute observation, même occasionnelle ne constitue pas un enregistrement passif,
mais bien plus une sélection au sein d’un nombre de faits importants. Dans l’administration
de ce processus d’observation, le chercheur a recours au concept qui n’est pas seulement une
aide pour percevoir mais surtout une façon de concevoir. Sous ce rapport, le concept guide la
recherche et lui procure au départ un point de vue.

L’exemple de la lutte contre malaria est révélateur de l’intérêt que constitue la prise en
compte du concept dans une stratégie d’observation. Jusqu’alors attribuée au ‘’ mauvais air ‘’,
la malaria a été traitée avec succès à partir du moment où le moustique a été identifiée comme
agent responsable de cette maladie. Dans ce cas précis, le progrès est devenu possible après
l’inversion du paradigme : le moustique en lieu et place du mauvais air.

En tant qu’outil, le concept fournit un point de départ mais aussi un moyen d’imaginer ce qui
n’est pas directement perceptible. C’est du reste cette vérité qu’Einstein s’est employé à
établir à travers l’image suivante : ‘’ le chercheur est parfois comme un homme qui veut
comprendre le mécanisme d’une montre qu’il ne peut ouvrir’’. A partir des seuls éléments
qu’il voit ou entend ( mouvement des aiguilles tic-tac ) il peut chercher une explication
rendant compte de la façon la plus simple, de faits nombreux même invisibles. Ce sont les
concepts de mouvement, de roue, d’engrenage, qui permettent de comprendre sans le voir, le
mécanisme de la montre ’’. Dans le secteur des sciences sociales, le concept remplit trois
fonctions : organiser la perception, guider l’observation, prévoir des faits nouveaux.
L’observation en Sciences Sociales pose problème dès l’instant où l’objet de l’observation
était l’Homme qui est dans le même temps l’agent chargé de l’observation. Il en découle une
conséquence qui touche aux moyens d’investigation:

qu’il s’agisse des instruments d’enregistrement qui offrent d’intéressantes possibilités de


reproduction et d’extension de l’observation ou encore du film qui permet de revoir un
ensemble de faits qui n’ont pu être analysés en même temps ou qui ont été oublié. Ces
différents moyens permettent au chercheur de contourner les défaillances de sa mémoire,
d’aller au-delà des constats immédiats, d’élargir son champs de vision.

3.2.2 L’hypothèse
Elle tend à formuler une relation entre des faits significatifs sous l’aspect d’une loi plus
ou moins générale et aide à sélectionner les faits observés. L’interprétation de ces
derniers autorise la déduction d’hypothèses qui, une fois vérifiées constituent un élément
de la théorie. Aussi, en tant que système d’explication intégrant plusieurs hypothèses, la
théorie est plus vaste que l’hypothèse. Mais il s’avère important de vérifier l’existence
effective d’un fait avant de prétendre l’expliquer par une hypothèse. Une bonne
observation permet de prémunir le chercheur contre ce genre d’erreurs. Les hypothèses
se proposent de trouver des solutions à différentes sortes de questions. Elles naissent à
partir d’une observation de la vie quotidienne ou de constats opérés au cours d’une
recherche. Elles peuvent être aussi le résultat d’une élaboration purement théorique à partir
d’un ensemble de connaissances. Les hypothèses varient en fonction de leur étendue ; elles
peuvent faire l’objet d’une généralisation après avoir fait l’objet d’un test sur un objectif
spécifique. En sciences sociales on distingue trois types d’hypothèses suivant leur niveau
d’abstraction :

Des hypothèses supposant l’existence d’uniformités : elles s’emploient à quantifier des


comportements (exemple : rapport entre taux de divorce et revenus des ménages). L’intérêt de
telles hypothèses est de corriger des préjugés ou de préciser ce qui est déjà connu.

Hypothèses supposant l’existence de liens logiques : c’est le cas de comportements


particuliers que l’on trouve dans les groupes minoritaires. Il s’agit d’épurer les constatations
pour garder les caractéristiques communes à ces différents groupes et expliquer leur
comportement.

. Hypothèses concernant des relations entre variables analytiques : ce 3e type implique la


formulation de relations entre variables complexes, par exemple l’influence du niveau
économique, de la religion etc. sur le taux de fécondité.

Mais pour être valables, les hypothèses doivent être utilisées sous certaines conditions :

· L’hypothèse doit être vérifiable

· Elle doit mettre en œuvre des faits réels et ne pas comporter de jugements de valeur
(proscrire les termes ambigus : bon, mauvais, devraient etc.)

· Enfin elle doit se rattacher à une théorie existante et être en conformité avec le contenu
actuel de la science.

3.2.3 L’expérimentation ou la vérification de l’hypothèse


Elle concerne avant tout la preuve et exige des conditions spécifiques de rigueur.
L’expérimentation est devenue garante de la méthode. Elle se ramène pour l’essentiel à une
observation systématique de résultats.
IV- Le niveau de la recherche
4.1 Description
Elle consiste en la réunification d’observations faites au sujet de tel phénomène en vue d’en
livrer une image aussi cohérente et approfondie que possible. Il s’agira dans les lignes qui
suivent d’évoquer les principes généraux de la description dans un premier temps, puis les
techniques à mettre en œuvre pour présenter les éléments de la description.

4. I.1 Généralités
Les principes : la description a pour but de représenter la réalité en réunissant dans un tableau
complet les caractéristiques des phénomènes étudiés. Cette phase est d’une importance
capitale entre l’étape de l’observation et celle de l’explication.

La description complète l’observation qui fournit les matériaux disparates. A priori, une
description correcte ne se dégage pas des matériaux ainsi collectés. Par le biais de
l’observation, le chercheur rassemble des données brutes souvent contradictoires, rarement
cohérentes. La mise en œuvre d’une bonne description permet au chercheur de reconstituer le
phénomène étudié en rapprochant les données disponibles de manière à restituer l’image la
plus complète possible du phénomène.

L’observation intervient le long du processus de recherche car avant d’aborder la


classification et l’explication des phénomènes, il importe d’en saisir la quintessence réelle.

Ainsi donc, cet effort de description long et fastidieux autorise une bonne attaque des étapes
supérieures de la classification et de l’explication sur la base de matériaux solides.

En dégageant les exigences qui président à la description, on peut en retenir deux qui sont
particulièrement importantes : le souci de la validité, celui du caractère opératoire. La
description doit être valide puisque pour reprendre Claude Bernard parlant de l’observation,
elle doit être une photographie des phénomènes en reproduisant exactement les faits. La
description doit être opératoire. Le chercheur doit essayer de rendre la description opératoire.
Autrement dit il s’emploiera à faciliter et au maximum possible les étapes suivantes de sa
recherche. Ainsi par exemple, lorsqu’on prévoit d’exploiter des techniques mathématiques à
la suite de l’analyse, on veillera de fournir à l’étape de la description le maximum de données
chiffrées.

Par voie de conséquence, une bonne description exige un cadre conceptuel qui permet
d’organiser les données collectées en leur donnant une signification. C’est dire qu’une
description correcte constitue une ébauche de classification et d’explication.

Les formes : plusieurs moralités peuvent être envisagées dans la description des phénomènes
sociaux. On évoquera en guise d’illustration la technique de monographies et celle des cases
studies.

a. La technique monographique consiste à livrer une description approfondie d’un objet


social réduit. Elle présente deux caractéristiques majeures : son objet est limité et concret (une
famille, un village, etc.). Cet objet est décrit de manière exhaustive dans sa singularité et dans
ses particularités. Mise au point au XIXe siècle, cette technique du sociologue français Le
Play ( 1806-1882 ) lui a permis de comprendre les problèmes sociaux à travers l’analyse
monographique de familles ouvrières originaires de différents pays européens. A sa suite,
d’autres spécialistes ont élargi la technique en particulier l’abbé de Tourville qui suggéra une
nomenclature comprenant 326 questions obligatoires auxquelles devrait répondre la
monographie de tout groupe social. L’application de telles orientations président à la
construction d’enquêtes restées célèbres à l’instar des recherches d’Oscar Lewis : Mexican
case studies and the culture of poverty (New York) ou encore les recherches Pédro Martinez
“Une famille portoricaine dans une culture de la pauvreté (Paris 1969)”. Initialement
confinée à l’étude des familles ou villages, la technique monographique a été étendue régions,
aux groupes professionnels et autres organisations (partis politiques, syndicats etc.). Le souci
d’étendre l’application de la méthode à l’échelle d’une société a conduit le sociologue
Hollandais Steinmetz à suggérer l’émergence d’une discipline autonome : la sociographie.

Aujourd’hui, le procédé est appliqué à des groupes et à des phénomènes sociaux les plus
divers. Ainsi, Edgard Morin et son équipe ont consacré des travaux à la “Rumeur d’Orléans”
(Enquête à partir de rumeurs relatives à l’enlèvement de jeunes femmes dans les magasins de
confection gérés par des Israélites.). Dans le détail, on apprend dans la monographie
consacrée à Auxerre par S. Frères et C. Bettelheim qu’en 1950, 3.674.000 lettres y étaient
expédiées pour 3.873.000 lettres reçues. Sur un autre registre, la durée des fiançailles était de
trois mois pour 5% des couples, 5 mois pour 15%, 8 mois pour 33%.
b- La technique des case studies : Elle consiste à décrire un même phénomène en intégrant
les résultats d’observation faites par ailleurs et selon les techniques différentes. Dans ce cas
précis la description s’approprie des éléments empruntés à des recherches pluridisciplinaires.
A l’origine, cette technique née aux Etats-Unis se préoccupait d’étudier un ensemble d’Etats
présentant une unité politico - sociale en vue de les situer dans la société internationale. Pour
ce faire, la technique avait recours aux ressources de la géographie, de la démographie, la
science politique, de l’histoire, de la sociologie etc. Aujourd’hui cette technique met garde les
deux caractéristiques suivantes :

- l’objet ne se limite plus à un cadre géographique et peut embrasser une organisation, un type
de phénomène, un évènement

- une approche pluridisciplinaire dont les résultats sont synthétisés au niveau de la description.

4.1.2 Techniques de la description


Elles concernent les procédés mis en œuvre pour exposer les éléments entrant dans la
description d’un phénomène. A côté d’une description littéraire, le chercheur peut utiliser un
schéma qui présente souvent l’avantage de la clarté et de la simplicité. De façon générale, on
distingue deux grands types de techniques descriptives : les techniques mathématiques et les
techniques graphiques.

4.1.3 Les techniques mathématiques


Il s’agit dans ce cas précis de présenter les éléments de la description sous une forme
mathématique. Dans ce cas de figure, les éléments doivent être quantifiables. Ce procédé
présente trois types d’avantage :

- la simplification : la technique permet de résumer en un seul chiffre les observations dont


l’évocation serait fastidieuse (une moyenne extraite d’un ensemble informe plus facilement
sur la totalité.)

- la précision : les chiffres peuvent traduire des phénomènes dont la perception aurait pu être
très approximative.

- le caractère opératoire : le procédé mathématique facilite la progression ultérieure des


recherches, en favorisant les comparaisons entre divers phénomènes.

4.1.4 Les techniques graphiques


Elles visent à donner une traduction visuelle des éléments de la description. A l’instar des
techniques mathématiques, elles présentent de nombreux avantages :
- synthèse d’éléments dispersés et de natures différentes

- appréciation plus rapide des éléments de la description

- comparaison plus aisée entre phénomènes.

Pour être opératoires, les techniques graphiques doivent réunir les qualités suivantes :
simplicité et précision. En outre, ‘’ le mode d’emploi ‘’ pour lire le graphique ne doit pas être
complexe. Parmi les différentes techniques graphiques, on distingue celles qui sont
entièrement construites sur des données numériques et celles non mathématiques pour
lesquelles les données numériques n’interviennent que partiellement ou pas du tout.

Les graphiques mathématiques : il s’agit de graphiques dont tous les éléments de


construction représentent des données mesurables. On distingue ici les diagrammes
numériques et les diagrammes en barres ou en surfaces.

Les graphiques non mathématiques : dans ces graphiques certains éléments se rapportant à
des phénomènes ne sont pas obligatoirement mesurables et quantifiables.

On peut citer au titre de ces graphiques des techniques cartographiques et les figures
imaginaires (tableaux synthétiques et organigrammes).

4.2 Classification
Une fois les phénomènes observés, le chercheur s’emploie à les classifier en vue d’une
exploitation optimale. Le but de la classification est de regrouper les phénomènes semblables,
de réduire en catégories et en types, l’innombrable variété des faits recueillis et décrits. Une
telle étape existe dans toutes les sciences. Son importance a été telle que la classification a
constitué le principal objet de certaines disciplines scientifiques à l’instar de la botanique ou
de la zoologie. La classification se caractérise par deux opérations principales : la
généralisation et la réduction. La généralisation consiste en la définition de catégories
regroupant un grand nombre de faits et de phénomènes concrets. La réduction permet au
chercheur de répartir de multiples faits observés à l’intérieur de ces catégories générales. Les
classifications (ou typologies) sont très diverses en Sciences Sociales car chaque spécialiste a
tendance à construire ses propres classifications. Il s’agira d’évoquer :

* dans une première partie les problèmes liés à la construction de ces typologies.

* dans une deuxième partie, quelques grandes catégories de typologies utilisées


4.2.1 La notion de type sociologique
A l’opposé de la description qui se charge de photographier un phénomène, le type renvoie à
un portrait stylisé qui ne retiendrait que les traits essentiels du modèle, en négligeant les traits
secondaires. Le type vise à regrouper les phénomènes présentant les mêmes traits
fondamentaux malgré leurs différences sur des points jugés accessoires. Par exemple au type‘’
régime parlementaire ‘’ correspond dans la réalité concrète un grand nombre de régimes
politiques différents, mais ayant entre eux un certain nombre de traits communs. Pour définir
les éléments qui fondent le type, deux approches ont été mises en œuvre par les typologistes :

 La technique du type idéal vulgarisée par le sociologue allemand Max Weber (1864 –
1920)
 La technique du type réel mis au point par le sociologue français Georges Gurvitch
(1894 -1965)

La notion de type-idéal

Conçue à la fin du XIXe siècle, la notion de type idéal est opposée à celle de type moyen,
construit sur la base des caractères moyens communs à des phénomènes semblables.
Négligeant cette moyenne des caractères communs, Weber reprend en les exagérant, les
éléments qui sont jugés les plus significatifs et les plus originaux du phénomène que l’on veut
typer. Dans ses Essais sur la théorie des Sciences, Weber précise sa conception du type idéal
‘’ on obtient un type idéal en accentuant unilatéralement un ou plusieurs points de vue et en
enchaînant une multitude de phénomènes isolés, diffus et discrets, que l’on retrouve tantôt en
grand nombre, tantôt en petit nombre, qu’on ordonne selon les précédents points de vue
choisis unilatéralement pour former un tableau de pensée homogène. On ne trouve nulle part
empiriquement un pareil tableau dans sa pureté conceptuelle : il est une utopie ‘’ L’intérêt de
cette citation tient au fait qu’elle documente les trois phases caractéristiques du phénomène :

 Au départ l’observation des phénomènes,


 Suit ensuite la sélection des traits les plus significatifs : ici la sélection ne dépend pas
de la fréquence ou l’importance apparente. Elle est liée au jugement de l’observateur
qui retient les traits considérés comme les plus significatifs,
 Enfin l’accentuation et le grossissement de ces traits les plus significatifs ; dans cette
perspective, le souci de la typologie n’est pas le réalisme mais la cohérence logique et
la valeur explicative.
Max Weber mettait l’accent sur l’utilité de ce genre de typologie non seulement comme
instrument de classification, mais aussi comme instrument de mesure, parce que l’on peut
apprécier à quel point la réalité se rapproche du modèle constitué par le type-idéal. En voulant
par exemple appréhender l’artisanat au Moyen âge, il préconise de construire un type idéal de
société artisanale qui sera ensuite confrontée avec la société médiévale réelle. On pourra ainsi
mesurer à quel degré la société réelle était ou non une société artisanale. Cette méthode
comporte quelques limites liées à ses caractères artificiel et subjectif. Artificiel car à en croire
Weber lui-même, le type-idéal est une ‘’utopie’’ qui ne recoupe pas les phénomènes réels.
Ensuite et parce qu’il participe de la construction personnelle du sociologue, le type-idéal peut
être influencé par la subjectivité de celui-ci. Qu’en est-il de la notion de type réel ?

La notion de type réel

Illustrée et vulgarisée par le sociologue français Georges GURVITCH, la technique du type


réel cherche à se conformer le plus possible à la réalité : à en croire Gurvitch ‘’ la typologie
doit être réaliste : il faut constituer les types sociaux en combinant différents critères à partir
de l’observation des phénomènes réels ‘’. Les classifications élaborées seraient fondées sur
l’existence de distinctions naturelles entre les phénomènes et le typologiste aurait seulement à
constater la réalité sans avoir à la manipuler en se fondant seulement sur l’observation.

D’une grande simplicité apparente, ce procédé n’en reste pas moins difficile à mettre en
œuvre car la recherche de typologies naturelles présente des difficultés qui obligent la révision
des classifications botaniques ou zoologiques. Si les typologies naturelles prêtent à
contestation dans les sciences de la nature, ces difficultés s’en trouvent accrues lorsqu’il s'agit
de classer des phénomènes beaucoup plus complexes que les faits sociaux. Pour sa part, la
notion de type réel fait l’objet de réserves articulées dans les mêmes directions que le type
idéal :

Le caractère artificiel est mis en évidence par les sociologues qui doutent de l’existence dans
la réalité, de types ou de catégories naturels. Or il se trouve que bien souvent, les phénomènes
sociaux ne sont pas aussi discontinus que peuvent l’être les phénomènes naturels. En effet, il
est presque impossible de séparer dans la réalité les phénomènes sociaux les uns des autres.

Ainsi par exemple, il est pratiquement impossible de situer la frontière entre un


rassemblement, une manifestation, une émeute ou encore entre un parti politique, un syndicat
ou un groupe de pression.
En définitive, les critiques s’accordent à considérer le type réel comme des catégories
intellectuelles projetées artificiellement sur la réalité avec le risque de subjectivité que peut
impliquer cette projection.

Les grandes catégories de typologies

Dans l’établissement des typologies, la question principale à régler tient au choix des
caractéristiques à définir pour la construction des types. Par exemple quels critères doivent
prévaloir pour une typologie des partis politiques : la doctrine, le nombre de membres, le
comportement face au pouvoir, la stratégie etc.

Les critères de choix étant très différenciés, des efforts ont été entrepris en vue de rendre
homogène l’établissement des typologies en privilégiant des types de critères. On distingue
trois grandes orientations :

 Les typologies institutionnelles ou structurelles,


 Les typologies à base psychologique,
 Les typologies à base fonctionnelle
 Les typologies institutionnelles

Elles mettent l’accent sur l’aspect cohérent et organisé des phénomènes sociaux. On entend
par institution un ensemble constitué d’éléments divers (idées et croyances, usages et
comportements, éléments matériels) formant un tout coordonné et organisé (exemple : la
famille, le mariage, un parti politique, le parlement)

Dans une institution les éléments constitutifs ne sont pas juxtaposés mais constituent un tout
cohérent dont les parties sont solidaires et hiérarchisées. Une autre caractéristique de
l’institution est relative à son aspect durable. S’inscrivant dans le temps, elle a habituellement
une durée plus grande que celle des membres qui la composent ; autrement dit, l’institution
préexiste aux individus et leur survit. Les institutions ne peuvent être réduites à des modes de
relation entre individus. D’abord parce que les relations qu’elles engendrent sont stables et
durables ; ensuite parce que l’institution comporte des éléments non relationnels : le
Parlement par exemple est davantage que les relations interpersonnelles entre les
parlementaires.

Une classification institutionnelle consiste à classer les phénomènes sociaux en fonction des
parties qui les composent et des relations qui existent entre ces parties. Observant la
nomenclature des partis, Maurice DUVERGER (les partis politiques, 1951) leur applique une
classification de type institutionnel qui les différencie en partis de cadres et en partis de
masses. De son point de vue, les individus et les groupes ont un comportement assez
discipliné dans les partis de cadres ; à l’inverse la discipline ai sein des partis de masse serait
très forte.

 Les typologies psychologiques

Ces typologies sont apparues en Allemagne mais se sont surtout développées dans les
Sciences Sociales américaines, notamment avec l’influence de l’Ecole de la Psychologie du
Comportement. La construction de ces typologies se rattache aux tendances qui voient dans
les phénomènes sociaux des systèmes de relations interindividuelles. Dans cette optique, les
phénomènes sociaux apparaissent comme des sommes de comportements individuels ou des
sommes de rapports interindividuels.

En guise d’exemple de typologie des faits sociaux à base psychologique, on peut citer
l’exemple des tendances politiques suggérées par Eysenck (The psychology of politics).
Partant de la distinction traditionnelle droit gauche, il complète cette classification
idéologique ne la combinant avec une classification psychologique des individus participant
aux diverses tendances politiques. L’échelle droite /gauche étant croisée avec cette échelle
des tempéraments, il en arrive à une classification des tendances politiques :

 Les partis de type libéral se retrouvent dans la classification ‘’ droite – mou ‘’


 Les partis de type social réformiste se trouvent dans la classification ‘’ gauche –
mou‘’
 Les partis de type communiste se trouvent dans la classification ‘’ gauche – dur ’’
 Les partis de type fasciste se trouvent dans la classification ‘’ droite – dur ‘’.

Discutable dans le fonds, cette typologie est un bon indicateur d’un modèle de construction à
partir de variables psychologiques.

 Les typologies fonctionnalistes

Elles consistent à classer les phénomènes sociaux selon le rôle, la fonction qu’ils ont au sein
de l’ensemble social dans lequel ils s’insèrent. Le développement de ce genre de typologie a
été lié au succès d’une méthode d’analyse des faits sociaux que l’on appelle la ‘’ méthode
fonctionnelle ‘’. Fondée par le sociologue d’origine polonaise Malinowski, cette thèse repose
sur le postulat selon lequel tout fait social remplit des fonctions sociales essentielles pour le
maintien et le développement du groupe auquel il appartient. Ainsi par exemple, et dans cette
perspective, la religion est un instrument d’intégration et de cohésion sociale. De même, la
famille est définie par rapport à ses fonctions de perpétuation de l’espèce, de socialisation des
enfants etc.

Les typologies fonctionnalistes classent donc les phénomènes sociaux d’après leur fonction
dans le groupe dont ils sont un élément jugé indispensable. Un modèle de typologie à base
fonctionnelle permet de distinguer (depuis Montesquieu) le pouvoir législatif, le pouvoir
exécutif et le pouvoir judiciaire : ces trois pouvoirs sont définis d’après leurs fonctions.

4.3 L’explication

Dans sa démarche de systématisation, le chercheur propose des explications. Expliquer c’est


tenter de mettre à jour le processus ayant entraîné tel phénomène. En d’autres termes,
l’explication est la découverte des rapports que le phénomène étudié entretient avec d’autres
phénomènes et qui permettent de comprendre pourquoi le phénomène en question s’est
produit. En sciences sociales, la difficulté de l’explication est liée au fait qu’il n’est pas aisé
de découvrir et d’isoler les facteurs susceptibles de rendre compte de la situation étudiée. A
cela s’ajoute une autre contrainte : à supposer qu’on arrive à établir l’existence de relations
entre le phénomène analysé et un ou plusieurs facteurs d’explication, il resterait à déterminer
la portée de cette explication.

L’explication et ses causes

Expliquer c’est répondre à la question ‘’ pourquoi ? ‘’. C’est donc un exercice visant à établir
des causes. Les sciences sociales ont renoncé à opposer systématiquement compréhension et
explication. La compréhension peut être un auxiliaire indispensable à la genèse d’hypothèses
explicatives mais si les faits sociaux sont justiciables d’un traitement scientifique, celui-ci
implique une recherche de causes traduites en des termes objectifs.

En sciences sociales, la notion de cause présente de nombreuses particularités. La recherche


des causes doit être distinguée d’une démarche de caractère philosophique. Celle-ci consiste à
expliquer l’homme et la société par une ‘’ cause finale ‘’ ou une cause première souvent
proposée en dehors de la société. C’est contre cette propension que semblait avertir Durkheim
lorsqu’il écrit ‘’ la cause déterminante d’un fait social doit être cherchée parmi les faits
sociaux ‘’. Aussi, la recherche de l’explication d’un phénomène devra être orientée vers
l’identification de liens d’interdépendance, de rapports entre plusieurs faits sociaux. En lieu et
place de causes formelles, on cherchera des implications et des connexions.
Dans une démarche d’explication, on oppose les notions de causalité interne et externe. La
causalité interne renvoie aux explications qui font exclusivement appel à la situation observée
ou au point de vue qu’on lui applique. Quant à la causalité externe, elle mobilise les principes
explicatifs extérieurs. S’en tenir à l’une ou l’autre de ces explications peut comporter des
limites objectives :

- le risque de réduire l’explication à la seule psychologie des sujets étudiés

- celui de juxtaposer des explications séparées et hétérogènes, méconnaissant la notion de


totalité inhérente aux phénomènes sociaux

- le risque de tenter des explications simplifiées et mécaniques en faisant appel à une


cause purement externe.

La théorie explicative

Définie comme un ensemble de propositions dont les termes sont rigoureusement circonscrits,
la théorie se conçoit à partir d’une conceptualisation de la réalité perçue ou observée. En
permettant de déduire et de prévoir, elle élabore des hypothèses qui sont à l’origine de la
recherche. Elle se retrouve à la fin du processus grâce à la tentative d’explication qu’elle
suggère.

En sciences sociales, les théories sont d’ampleur et de niveau variables. L’ampleur vise le
nombre de ‘’segments sociaux ‘’, de conduites englobées par une théorie alors que le niveau
dépend de l’objet de l’explication. Si elles conçoivent l’existence de théories globales qui
jouent le rôle de fil conducteur, les sciences sociales contemporaines n’admettent pas une
théorie générale de l’homme scientifiquement établie et universellement acceptée. Elles
s’emploient plutôt à rechercher des théories moyennes qui intègrent des observations variées
dans des schémas explicatifs cependant limités à un processus ou à un segment social donné.

Quelques exemples de démarches théoriques peuvent être évoqués. En premier lieu il faut
observer qu’il n’existe pas à proprement parler de méthode pour formuler une explication
théorique ; toutes les méthodes utilisées pour vérifier une hypothèse conduisent à des
explications et permettent donc d’énoncer des théories. On peut toutefois distinguer quelques
grands types de démarches intellectuelles qui affectent la présentation et la signification des
schémas explicatifs.

· L’analyse diachronique. Elle consiste en la recherche de la genèse des situations


étudiées. L’explication prend en compte les antécédents et leur succession temporelle pour
expliciter la situation actuelle. L’analyse diachronique s’oppose à l’approche synchronique.
Elle est a été expérimentée dans le domaine de la psychologie où elle a permis de mieux
comprendre la naissance et le développement. Cette méthode de l’analyse diachronique ne fait
pas l’unanimité de sa pertinence car elle ne prend pas en charge tous les aspects de la réalité.

· L’analyse fonctionnelle. Le terme fonction s’entend ici dans un sens analogue à celui
qu’il a en biologie : la fonction d’un processus biologique c’est le rôle qu’il joue dans le
maintien de la vie de l’organisme. Appliquée aux phénomènes sociaux, l’analyse
fonctionnelle s’efforce de les expliquer par le rôle, la fonction qu’ils assurent dans le système
social auquel ils appartiennent.

Dans la pratique, on distingue différents types de fonctionnalisme :

- le fonctionnalisme ‘’ absolu ‘’ se rattache à l’école anthropologique anglo-saxonne


des

années 1930. Elle s’appuie sur trois postulats : l’unité fonctionnelle de la société (chaque
élément est analysé par rapport à l’ensemble), l’universalité de la fonction (chaque élément a
effectivement une fonction), la nécessité de la fonction (chaque élément du système est
indispensable au tout)

- le fonctionnalisme limité atténue les postulats du fonctionnalisme absolu. Dans ce cas


le cadre de référence peut être un segment de la société et non la société globale ; les
différentes fonctions peuvent être remplies alternativement ou successivement par des
éléments très différents, soit dans le temps, soit d’une société à l’autre.

L’analyse fonctionnelle comporte quelques difficultés. Elles sont liées à la notion de besoin
très présente dans ce genre d’analyses où il est fréquent d’attribuer les besoins aux individus.

La conséquence suivante en découle : la réduction de l’explication des phénomènes


sociologiques à des causes psychologiques

- L’analyse structurale. La notion de structure s’oppose à celle de conjoncture,


comme ce qui est permanent, stable par opposition à l’évènement ou au cas particulier. Elle
désigne une réalité dans laquelle on note l’existence de relations déterminées entre des
éléments telles que la modification d’une relation affecterait l’ensemble. La structure désigne
enfin et de façon plus précise, un ensemble d’axiomes déterminé qui rend compte de toutes
mes implications nécessaires entre les éléments d’un système, tel qu’il permet d’en déduire
toutes les caractéristiques et toutes les formes possibles à partir de la connaissance de sa
logique interne.

On distingue différentes sortes d’analyses structurales :

- des analyses portant sur des objets qui ne peuvent être correctement identifiés que par
leurs relations à l’intérieur d’un système

- des analyses qui ont pour objet de décrire un phénomène social comme un système

- d’une façon plus générale et plus vague il s’agit d’analyses qui privilégient
l’explication synchronique

- L’analyse dialectique. Le raisonnement dialectique s’applique à saisir les relations de


contradiction dans la réalité sociale. La dialectique est associée au concept de totalité. Elle
perçoit la réalité sociale comme constituée par l’ensemble des interactions entre ses différents
niveaux ou instances (notions d’infrastructures et de superstructures) et entre les groupes que
déterminent les différentes conduites sociales. L’analyse dialectique, notamment dans
l’interprétation marxiste situe les contradictions dans la réalité et non dans la pensée du sujet
et impose une recherche concrète, tenant compte notamment de l’historicité des phénomènes
sociaux. Sous ce dernier rapport la dialectique marxiste est matérialiste et historique.

V- Méthodes et techniques d'études et de collecte

5.1. Observer quoi ?


La définition des données pertinentes

Pour tester ses hypothèses, le chercheur a besoin de données définies par les indicateurs.
En recherche sociale il s'agit de rassembler les seules données utiles à la vérification des
hypothèses, à l'exclusion des autres. Ces données nécessaires sont justement appelées
données pertinentes. En revanche, les données surnuméraires (qui sont en surnombre)
égarent le chercheur et risquent de le conduire à fournir un gros effort aux résultats
médiocres. Le problème de la définition des données nécessaires pour tester les
hypothèses n'est pas aussi simple qu'il parait de prime abord. Il n'existe aucune
procédure technique permettant de résoudre cette question de manière standardisée.
Ainsi, chaque recherche est un cas d'espèce que le chercheur doit résoudre en faisant
appel à son propre jugement et à son bon sens.
Pour s'aider dans cette tâche, il dispose de guides, d'hypothèses et de points de repère,
d'indicateurs. Le meilleur et le seul moyen de définir aussi justement que possible les
données pertinentes utiles au travail empirique consistent à élaborer un modèle
d'analyse aussi clair, précis et explicite que possible.

5.2. Observer sur qui ?


Le champ d'analyse et la sélection des unités d'observation

5.2.1 Le champ d'analyse


Il ne suffit pas de savoir quel type de données il faut recueillir mais aussi de circonscrire le
champ des analyses empiriques dans l'espace géographique et social et dans le temps. A cet
égard deux situations peuvent se présenter

Première situation : le travail porte sur un phénomène ou un événement singulier, par


exemple le recrutement d'une école ou l'échec d'une conférence nationale. Dans ce cas, l'objet
du travail définit lui-même de facto, les limites de l'analyse et le chercheur ne rencontrera pas
de difficultés particulières. Pour se prémunir des risques de dispersion de l'analyse, il lui
faudra préciser explicitement les limites du champ d'analyse même si elles paraissent évidents
: période de temps prise en compte, zone géographique considérée, organisations et acteurs
sur lesquels l'accent sera mis.

Dans la deuxième situation, le chercheur ne met pas l'accent sur des phénomènes singuliers
mais sur des processus sociaux de caractère plus ou moins universel. Dans ce cas des choix
s'imposent et doivent être raisonnés en fonction de plusieurs critères.

Au premier rang de ces critères figurent les hypothèses de travail elles-mêmes et ce qu'elles
dictent au bon sens. Un autre critère dans la pratique est la marge de manœuvre du chercheur ;
les délais et les ressources dont il dispose, les contacts et les informations sur lesquels il peut
valablement compter, ses propres aptitudes notamment dans la manipulation des langues
étrangères.

Quoiqu'il en soit, le champ d'analyse exige d'être clairement circonscrit. Une erreur fréquente
chez les débutants consiste à choisir un champ d'analyse trop vaste. Un chercheur débutant
sera tenté de travailler sur le sous-développement à partir d'un examen sommaire de diverses
données relatives à une dizaine de pays tandis que pour sa part, un chercheur aguerri qui
prépare une thèse concentre ses analyses sur une communauté de dimension très réduite dont
il étudiera avec soin l'histoire, le fonctionnement politique, les structures sociales et
économiques et les représentations culturelles et religieuses. Au total, un travail empirique
apporte des éléments fiables de contrôle d'hypothèses s'il se présente lui-même comme un
examen approfondi et précis de situations singulières.

5.2.2 L'échantillon
Le sociologue s'intéresse à l'étude des ensembles sociaux (par exemple une société globale ou
des organisations concrètes dans la société globale) comme des totalités différentes de la
somme de leurs parties. Au premier chef, il s'intéresse aux comportements d'ensemble, les
structures et les systèmes de relations sociales qui les font fonctionner et changer, non pour
eux-mêmes, les comportements des unités qui les constituent. Mais même dans ce type de
recherches spécifiquement sociologiques, les informations utiles ne peuvent souvent être
obtenues qu'auprès des éléments qui constituent l'ensemble. Ainsi pour étudier l'idéologie d'un
journal, il faudra analyser les articles publiés, même si ces analyses ne constituent pas en eux-
mêmes, l'objet de l'analyse.

La totalité de ces éléments ou des " unités " constitutives de l'ensemble considéré est appelée "
population " ; ce terme pouvant désigner aussi bien un ensemble de personnes, d'organisations
ou d'objet de quelque nature que ce soit.

Une population étant délimitée (par exemple, la population active d'une région, l'ensemble des
entreprises d'un secteur industriel ou les articles publiés dans la presse sur un sujet donné au
cours d’une année) il n'est pas pourtant toujours possible, ni d'ailleurs utile, de rassembler des
informations sur chacune des unités qui la composent. De nos jours l'usage fréquent des
sondages d'opinion a fini de prouver que l'on peut obtenir des informations fiables relatives à
une population de plusieurs dizaines de millions d'habitants en n'interrogeant que quelques
milliers d'entre eux. Toutefois, on peut avoir recours aux techniques d'échantillonnage pour
des objets les plus variés. Par exemple, un auditeur dans une entreprise analysera un nombre
N de factures pour en tirer des informations relatives à la totalité des factures envoyées ou
reçues par l'entreprise. Un bibliothécaire examinera un échantillon représentatif des ouvrages
possédés afin d'estimer leur état général de conservation. Cependant et en dépit des nombreux
avantages qu'elles présentent, les techniques d'échantillonnage sont loin de constituer une
panacée (remède universel à toutes les maladies) en recherche sociale. Qu'en est-il exactement
?

Lorsqu'il a circonscrit son champ d'étude, trois possibilités s'offrent au chercheur :

1. il recueille des données et porte ses analyses sur la totalité de la population couverte par ce
champ
2. il étudie un échantillon représentatif de cette population

3. étudier exclusivement certaines composantes très typiques, bien que non strictement
représentatives de cette population.

Première possibilité : étudier la totalité de la population

Le mot population doit être entendu au sens d'un ensemble d'éléments constituant un tout.
L'ensemble des factures d'une entreprise, des livres d'une bibliothèque des élèves d'une école,
des articles d'un journal ou des clubs sportifs d'une ville constituent autant de populations
différentes. Cette formule s'impose souvent dans deux situations :

 lorsque le chercheur analysant des facteurs macro sociaux (les taux de natalité par
exemple) et étudiant la population en tant que telle n'a dès lors pas besoin
d'informations précises sur le comportement des unités qui la composent, mais
uniquement de données globales disponibles dans les statistiques
 lorsque la population considérée est très réduite et peut être étudiée entièrement en
elle-même.

Deuxième possibilité : étudier un échantillon représentatif de la population

Cette formule s'impose quand deux conditions sont rassemblées :

 lorsque la population est trop nombreuse et qu'il faut récolter beaucoup de données
pour chaque individu ou unité ;
 lorsque sur les points qui intéressent le chercheur il est important de recueillir une
image globalement conforme à celle qui serait obtenue en interrogeant l'ensemble de
la population, bref lorsque se pose un problème de représentativité.

Troisième possibilité : étudié des composantes non strictement représentatives mais


caractéristiques de la population

Cette formule est sans doute la plus courante. Lorsqu'un chercheur veut étudier par exemple
la manière différenciée dont plusieurs journaux rendent compte de l'actualité économique, la
meilleure solution consiste à analyser dans le détail quelques articles de ces différents
journaux qui portent sur les mêmes évènements de manière à procéder à des comparaisons
significatives. Vouloir étudier tous les articles publiés est impossible et vouloir constituer un
échantillon représentatif de l'ensemble des articles de chaque journal n'a guère de sens car les
critères de représentativité seraient très partiels et arbitraires.
5.3. Observer comment ? Les instruments d'observation et la collecte des données
Dans ce troisième point il sera d'abord question des principes d'élaboration des instruments
d'observation. Suivra un exposé des différentes opérations qui font partie du travail de la
phase d'observation. La dernière étape sera consacrée à un panorama des méthodes de collecte
les plus courantes.

5.3.1 L'élaboration des instruments d 'observation


Cette phase du travail consiste à construire l'instrument capable de recueillir ou de produire
l'information prescrite par les indicateurs. Cette opération ne se présente pas de la même
façon selon qu'il s'agit d'une observation directe ou indirecte

a. L'observation directe et l'observation indirecte

Dans l'observation directe, le chercheur procède directement lui-même au recueil des


informations sans s'adresser aux sujets concernés ; il fait appel à son sens de l'observation. Par
exemple pour comparer le public du théâtre à celui du cinéma, un chercheur peut compter les
gens à la sortie, observé s'ils sont jeunes ou vieux, comment ils sont habillés etc. Dans ce cas
l'observation porte sur tous les indicateurs pertinents prévus. Elle a pour support, un guide
d'observation qui est construit à partir de ces indicateurs et qui désigne les comportements à
observer ; mais le chercheur enregistre directement les informations sans que n'interviennent
les sujets observés dans la production de l'information recherchée.

Dans le cas de l'observation indirecte, le chercheur s'adresse au sujet pour obtenir


l'information recherchée. En répondant aux questions le sujet intervient dans la production de
l'information. Celle-ci n'est pas prélevée directement et est donc moins objective. Elle l'est
d'autant que la construction de l'information fait intervenir deux liens : la personne qui élabore
l'information et l'instrument qui en permet la collecte. Il s'agit là de deux sources possibles de
déformation et d'erreurs que le chercheur doit contrôler pour que l'information apportée ne
soit pas faussée, volontairement ou non. Dans l'observation indirecte, l'instrument
d'observation est soit un questionnaire soit un guide d'interview. L'un et l'autre ont pour
fonction de produire ou d'enregistrer les informations requises par les hypothèses et prescrites
par les indicateurs. (Quand on fait une enquête sur la pratique religieuse on aura comme
indicateurs les sacrements, la messe, les pèlerinages, les grandes fêtes religieuses etc.) Il est
très conseillé de présenter le questionnaire auprès d'un petit nombre d'individus appartenant
aux diverses catégories du public concerné par l'étude, mais si possible différents de ceux qui
ont été retenus dans l'échantillon. Ce test préalable permet souvent de détecter les ambiguïtés
et tous les problèmes que soulèvent les réponses. Ce n'est qu'après avoir testé et corrigé le
questionnaire que l'on procédera à la collecte des données.

5.3.2 Les trois opérations de l'observation


a. concevoir l'instrument d'observation

Comme cela a été noté précédemment, la première étape dans la phase d'observation consiste
à concevoir un instrument capable de produire toutes les informations adéquates et
nécessaires afin de tester les hypothèses. Cet instrument sera souvent mais pas toujours un
questionnaire ou un guide d'interview. Dans ces deux cas, leur mise en œuvre passe souvent
par un pré enquête en complément de la phase exploratoire. Pour que cet instrument donne
l'information adéquate, il doit contenir des questions portant sur chacun des indicateurs
préalablement retenus et atteindre le meilleur degré de précision dans la formulation de ces
questions. Cette précision ne s'obtenant pas du premier coup, il est utile de tester l'instrument
d'observation.

b. tester l'instrument d'observation

Le guide d'interview est le support de l'entretien tenu par l'enquêteur. Par contre, le
questionnaire est souvent destiné à la personne interrogée qui le lit et le remplit. Il est donc
important que les questions soient claires et précises, c'est à dire formulées de telle sorte que
tous les sujets interrogés le traitent de la même manière. Dans un questionnaire adressé à des
jeunes et portant sur la pratique du sport, se trouvait la question suivante : " Vos parents font-
ils du sport ? ". Cette question parait claire et simple mais reste pourtant mal formulée et
conduit à des réponses inutilisables. Tout d'abord le mot parent manque de précisions. S'agit
du père et de la mère ; de l'une des deux personnes ; de quelque autorité de la famille élargie
etc. Ensuite que répondre si l'un des deux fait du sport ? Les uns répondront oui en pensant
qu'il suffit que l'un des deux soit sportif ; les autres diront non estimant que la question
concerne les deux à la fois. Ces réponses sont donc inutilisables et toute la partie de la
recherche qui tournait autour de cette question a dû être abandonnée. Sur un autre plan, il est
important que le sujet interrogé soit en mesure de répondre et qu'il ne soit pas enclin à cacher
sa réponse.

Pour arriver au résultat escompté et avec le moins de dommage possible, il y a lieu de tester
la pertinence de son outil sur un petit nombre de sujets appartenant aux différentes catégories
d'individus composant l'échantillon. L'exercice aide à préciser les formulations obscures mais
également à élaguer les questions idéologiquement chargées (ex. de questions à problème : "
point n'est faute ni crime à aimer sa femme et autant sa voisine " Etes-vous d'accord ou pas ?

Réponse garantie : non absolu et massif des femmes dont certaines ne verraient plus d'intérêt
à poursuivre l'entretien. ) L'exercice peut aider sur un autre plan à déterminer l'ordre de
succession des questions : si elles ne peuvent être élaguées, les plus agaçantes trouveraient
intérêt à figurer vers la fin de l'entretien. Le guide d'interview résume la façon dont l'entretien
doit être expérimenté. Le degré d'organisation et de structuration du guide dépend de l'objectif
recherché par l'enquêteur. Dans ce cas, il s'agit d'amener la personne à se prononcer avec le
maximum de liberté sur des questions volontairement ouvertes (élargies) de manière à
autoriser le traitement d'aspects plus ou moins connexes. La structure des hypothèses et des
concepts n'est pas nécessairement présente dans le guide même s'il est important que le
chercheur les garde en ligne de mire, en trouvant le moyen d'y ramener son interlocuteur. Il
est donc important de se tester soit même en écoutant à nouveau des passages de précédents
entretiens pour identifier les instants qui auraient dû se prêter aux incursions de l'enquêteur.

c. collecter des données

Cette troisième phase correspond à la mise en œuvre de l'instrument d'observation. Elle


consiste en la réunification effective des informations auprès des personnes inscrites dans
l'échantillon.

Lorsque l'information recherchée est directement accessible, on procède par observation


directe en tenant naturellement compte des indications du guide d'observation : données
statistiques, documents écrits ou picturaux.

L'observation indirecte doit vaincre la résistance ou l'inertie des personnes ce que ne saurait
faire et à priori l'instrument préalablement conçu. Autrement dit il appartient au chercheur de
savoir vendre sa marchandise car les cibles ne sont pas théoriquement et mécaniquement
hostiles aux échanges auxquels ils sont invités. Aussi il faut éviter d'envoyer un questionnaire
par la poste. A moins de la présenter de façon attirante et de toujours l'accompagner d'une
lettre de présentation claire, concise et motivante. Lorsqu'on choisit d'enquêter par
questionnaire un échantillon de plusieurs centaines de personnes, il faut se garder de traiter
isolément les données collectées. C'est dire que le choix des méthodes de recueil des données
influe sur les résultats du travail ; il est donc important de définir les méthodes de collecte et
les méthodes d'analyse en tenant compte de ses objectifs et hypothèses de travail. Autrement
dit, le chercheur doit avoir une vision globale de son travail et prévoir les modalités de chaque
étape en s'interrogeant constamment sur ses implications ultérieures. Dans cet ordre d'idées, le
chercheur doit se préoccuper de savoir si telle question qu'il pose va lui donner l'information
et le degré de précision dont il a besoin dans la phase ultérieure. Ou encore à quoi doit servir
cette information et comment le chercheur pourra la mesurer et la mettre en relation avec les
autres ?

5.4. Les principales méthodes de recueil des informations


Un rappel : on ne connaît la valeur d'une méthode de recherche qu'après l'avoir expérimentée.
Dans le cas contraire le premier réflexe devrait consister à s'informer auprès d'utilisateurs
rompus de telle ou telle autre méthode. Le terme méthode ne s'entend plus ici au sens large de
dispositif global d'élucidation du réel mais dans un sens plus restreint, celui de dispositif
spécifique de recueil ou d'analyse des informations destiné à tester des hypothèses de travail.

En ce sens précis, l'entretien de groupe, l'enquête par questionnaire ou l'analyse de contenu


sont des exemples de méthodes de recherche. Il s'agira ici de présenter brièvement, les
grandes catégories de méthodes les plus couramment utilisées. Chaque fiche technique
comportera les 5 points suivants :

 une présentation générale de la méthode


 un exposé des objectifs pour lesquels elle convient particulièrement
 un exposé de ses principaux avantages
 un exposé de ses limites et des problèmes qu'elle pose
 une ouverture sur les autres méthodes avec lesquelles elle va souvent de pair

5.4.1 L'enquête par questionnaire


a. présentation

Elle consiste à poser à un ensemble de répondants, le plus souvent représentatifs d'une


population, une série de questions relatives à leur situation sociale, professionnelle ou
familiale, à leurs opinions, à leur attitude à l'égard d'options ou d'enjeux humains et sociaux,
à leurs attentes, à leur niveau de connaissance, ou encore sur tout autre point qui intéresse les
chercheurs. A la différence du sondage d'opinions, l'enquête par questionnaire vise la
vérification d'hypothèses théoriques et l'examen des corrélations que suggèrent ces
hypothèses. Compte tenu du grand nombre de personnes concernées et du traitement
quantitatif des informations, les réponses aux questions sont pré codées pour conduire les
répondants à choisir leurs réponses parmi celles qui leur sont proposées.

b. objectifs à atteindre à partir de l'enquête par questionnaire


On peut citer entre autres objectifs :

 la connaissance d'une population en tant que telle : ses conditions et ses modes de

vie, ses comportements, ses valeurs ou ses opinions

 l'analyse d'un phénomène social que l'on pense mieux cerner à partir d'informations
portant sur les individus de la population concernée (ex. impact d'une politique
familiale ou de l'introduction de l'informatique dans l’enseignement)

c. avantages

Elle offre :

 la possibilité de quantifier des données et de procéder à de nombreuses analyses de


corrélation,
 de réaliser l'objectif d'une réelle représentativité de l'ensemble des répondants

d. les limites et problèmes de cette méthode

Il y a lieu de prévoir :

 à lourdeur et le coût généralement élevé du dispositif


 le caractère souvent superficiel de certaines réponses empêche d'analyser à
fond des phénomènes évolutifs tels que le travail au noir par exemple. Aussi et
dans bien des cas, les résultats se présentent bien souvent comme de simples
descriptions dépourvues d'éléments de compréhension pénétrante
 le risque d'individualisation des répondants considérés indépendamment de
leurs réseaux de relations sociales
 la fiabilité du travail peut souffrir d'une formulation peu claire des questions,
du manque de confiance entre enquêteur et enquêté, ou simplement de
l'inconscience professionnelle des enquêteurs.

c. méthode complémentaire

Puisque les données collectées restent brutes et impertinentes, il y a lieu de leur faire subir un
traitement quantitatif de manière à comparer les réponses de différentes catégories sociales, et
d'analyser les corrélations possibles entre variables. Ces traitements exigent de bonnes
dispositions dans l'analyse statistique des données.
5.4.2 L'entretien
a. présentation

Sous leurs différentes formes, les méthodes d'entretien se distinguent par la mise en œuvre de
processus spécifiques de communication et d'interaction humaine qui offrent au chercheur des
informations et des éléments de réflexion très riches et nuancés. A l'inverse de la précédente
méthode, celle de l'entretien permet d'instaurer un échange au terme duquel l'interlocuteur
exprime ses perceptions d'un évènement ou ses expériences. Par les questions qu'il pose, le
chercheur facilite cette expression, évite une trop grande dispersion de son vis à vis et l'aide à
accéder à un degré plus profond d'authenticité et de profondeur. Enfin, le chercheur
s'emploiera à garder en vue ses hypothèses de travail, sans exclure pour autant les
développements parallèles susceptibles de les nuancer ou de les corriger.

b. objectifs pour lesquels la méthode convient particulièrement

On peut citer entre autres objectifs :

 l'analyse du sens que les acteurs donnent à leurs pratiques et aux évènements
auxquels ils sont confrontés : systèmes de valeur, repères normatifs,
interprétations de situations conflictuelles ou non, lectures d'expériences
personnelles etc.
 l'analyse d'un problème précis: ses données, les points de vue en présence, ses
enjeux, les systèmes de relations, le fonctionnement d'une organisation etc.
 la reconstitution de processus, d'actions, d'expériences ou d'évènements du
passé.

c. avantages

Elle offre :

 une certaine profondeur dans l'analyse des éléments recueillis


 une souplesse du dispositif qui permet de récolter les témoignages et les
interprétations des interlocuteurs en respectant leurs propres cadres de
références : leur langage et leurs catégories mentales.

d. les limites et problèmes de cette méthode

Il y a lieu de prévoir que :


 la trop grande souplesse de la méthode peut dérouter le chercheur qui a besoin
d'aiguillonner son interlocuteur
 à l'inverse, un autre peut douter de la pertinence d'une souplesse qui autorise la
dispersion de l'interlocuteur
 la souplesse de la méthode ne signifie pas nécessairement une complète
spontanéité de l'interviewé et une totale neutralité du chercheur. Les propos de
l'interviewé sont toujours liés à la relation spécifique qui le lie au chercheur et ce
dernier ne peut donc les interpréter valablement que s'il les considère comme
tels. L'analyse d'un entretien doit donc comprendre une élucidation de ce que les
questions du chercheur, la relation d'échange et le cadre de l'entretien induisent
dans les propos de son interlocuteur.

c. méthode complémentaire

En recherche sociale, la méthode de l'entretien est toujours associée à une méthode d'analyse
de contenu. En effet, au cours des entretiens, le chercheur s'efforcera de faire surgir le
maximum d'éléments d'information et de réflexion qui seront autant de matériaux pour une
analyse de contenu.

CONCLUSION

« Au terme de cette introduction aux méthodes des sciences sociales, il importe de souligner
la rigueur intellectuelle qu’exige la recherche sociologique. La longue histoire de la réflexion
sociale et politique et la brève histoire des sciences sociales sont là pour rappeler que ce n’est
pas sans difficultés que s’est développée la connaissance scientifique des phénomènes
sociaux. Il faut bien voir que les obstacles aux- quels s’est heurté le progrès de la recherche
sociologique existent toujours et qu’à un moment ou à un autre le chercheur contemporain est
amené lui-même à les affronter. Ces obstacles sont d’ailleurs d’autant plus difficiles à vaincre
que ce ne sont pas seulement des obstacles extérieurs, mais aussi des obstacles intérieurs que
chaque chercheur rencontre en lui-même. Le premier de ces obstacles est constitué par les
pièges que tend au chercheur la sociologie spontanée du sens commun. De ce fait, le premier
effort du chercheur doit être de résister aux illusions du savoir immédiat que peut nourrir
l’expérience quotidienne de beaucoup des phénomènes étudiés par les sciences sociales. Tout
l’appareil méthodologique, parfois pesant, que l’on a décrit a d’ailleurs pour but d’objectiver
le processus de la recherche et de prévenir ces risques sans cesse renaissants. Cet effort
méthodologique est nécessaire, même si, au bout du compte, les conclusions auxquelles l’on
parvient rejoignent certaines des intuitions du sens commun. Comme l’écrivait Maurice
Halbwachs : "Dans le domaine du vraisemblable, une proposition s’oppose généralement à
une autre qui peut paraître aussi évidente. Il y a donc autant de mérite scientifique à
déterminer, de deux opinions vraisemblables, laquelle répond à la réalité, qu’à mettre à jour
une vérité entièrement nouvelle. C’est exactement franchir la limite qui sépare la
connaissance scientifique de la connaissance vulgaire". L’autre tentation contre laquelle doit
se cuirasser le chercheur est la tentation philosophique et normativiste qui pendant longtemps
a freiné, on l’a vu, le développement de la connaissance des faits sociaux. Le chercheur doit
se souvenir en effet que sa tâche n’est pas de juger les phénomènes ou les comportements
qu’il constate mais de les expliquer. Le sociologue, en tant que tel, ne peut et ne doit être ni
moraliste, ni réformateur. Le chercheur doit s’imposer une neutralité axiologique à laquelle il
lui est souvent difficile de se tenir, et il n’est pas sans intérêt de tenir compte ici des analyses
des auteurs qui estiment impossible cette distinction dans la pratique de la réflexion sociale.

Enfin, il convient d’être lucide sur les implications et les limites de la démarche
méthodologique que l’on a tenté de décrire. Ainsi qu’on l’a vu, l’approche scientifique des
phénomènes sociaux suppose une certaine objectivation des comportements humains qui en
sont la base. Par ailleurs, s’il faut se féliciter des acquis des sciences sociales et ne pas douter
de l’intérêt et de l’efficacité des méthodes et des techniques qu’elles mettent en œuvre, il est
aussi nécessaire d’être conscient de leurs limites, car, comme on l’a observé, "chaque science
ne fait que codifier un système d’opérations aboutissant à des savoirs qui, loin d’être une
connaissance intégrale de l’homme, ne nous en révèlent précisément que l’aspect atteint par
ces techniques, ou, plus précisément encore, construit à partir de ce que ces techniques
atteignent". Les connaissances ainsi acquises ne sont donc que des connaissances partielles
appréhendant une part seulement de la réalité. Il ne faut donc ni sous-estimer ni surestimer
l’importance des sciences sociales. Il est souhaitable de mieux connaître les phénomènes
sociaux et les conditionnements sociaux de l’homme tout en sachant que l’homme n’est pas
réductible à ses conditionnements sociaux. Ceci n’enlève rien à l’intérêt de l’approche
scientifique des phénomènes sociaux et des phénomènes humains, mais doit mettre en garde
contre une illusion scientiste qui prétendrait par cette voie connaître l’homme et les
comportements humains dans leur intégralité et leur essence, en récusant par là même toute
autre forme de savoir. » : Jean-Louis Loubet del Bayle Professeur de science politique,
Institut d’Études Politiques de Toulouse, Directeur du Département de Sc. pol. et de
sociologie de l’Université des Sciences sociales. (2000)

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