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VERS UNE NOUVELLE APPROCHE INSTRUMENTALE

DES POLITIQUES PUBLIQUES


DE PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT

IMPLICATIONS CONCEPTUELLES, THÉORIQUES ET MÉTHODOLOGIQUES


À LA LUMIÈRE DU CAS DE LA POLITIQUE CLIMATIQUE SUISSE

Thèse présentée à la Faculté des sciences économiques et sociales


de l’Université de Genève

par

Sylvain Perret

pour l’obtention du grade de

Docteur ès sciences économiques et sociales


mention science politique

Membres du jury de thèse :


Monsieur Beat Bürgenmeier
Professeur, Université de Genève, dpt d’économie politique, Co-directeur de thèse
Monsieur Pierre Lascoumes
Directeur de recherche CNRS, CEVIPOF, SciencesPo. Paris, Membre externe du jury
Monsieur Paolo Urio
Professeur, Université de Genève, dpt de science politique, Co-directeur de thèse
Monsieur Frédéric Varone
Professeur, Université de Genève, dpt de science politique, Président du jury

Thèse n° 717

Genève, février 2010


2
La Faculté des sciences économiques et sociales, sur préavis du jury, a autorisé
l’impression de la présente thèse, sans entendre, par là, n’émettre aucune opinion sur les
propositions qui s’y trouvent énoncées et qui n’engagent que la responsabilité de leur
auteur.

Genève, le 19 février 2010

Le doyen
Bernard MORARD

Impression d’après le manuscrit de l’auteur

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4
PREAMBULE & REMERCIEMENTS

5
6
Tout d’abord, je tiens à remercier les Professeurs Beat Bürgenmeier du département
d’économie politique et Paolo Urio du département de science politique de la Faculté des
sciences économiques et sociales de l’Université de Genève d’avoir assuré la direction de ce
travail de recherche. Je leur suis particulièrement reconnaissant pour leurs enseignements, leur
disponibilité et pour la grande liberté qu’ils m’ont octroyée dans son accomplissement.

De même, je remercie également les Professeurs Frédéric Varone et Pierre Lascoumes pour le
temps qu’ils m’ont consacré, respectivement en tant que Président et membre externe de mon
jury de thèse.

Mes remerciements vont également à tous mes collègues de travail que j’ai côtoyés dans le
cadre du Centre universitaire d’écologie humaine et des sciences de l’environnement (CUEH)
ou de son « successeur », l’Institut des sciences de l’environnement (ISE), avec lesquels j’ai
partagé mon intérêt pour la politique climatique suisse et internationale ou plus généralement
pour le Développement Durable.

Il est également de coutume de signifier que cette recherche a bénéficié du soutien du Fonds
national suisse de la recherche scientifique puisqu’elle a été menée, du moins pour une partie,
dans le cadre du Pôle national de recherche sur le Climat (PNR Climat)1.

Un grand merci également à mes parents, Chantal et Michel, ainsi qu’à ma sœur, Cynthia, qui
m’ont toujours encouragé dans mes projets et qui ont également joué le rôle de relecteurs pour
corriger mes multiples « fautes de frappe ». Mes remerciements à Madame Giovanna Boni qui
s’est également attelée à cette dernière tâche ingrate.

Je souhaite enfin remercier tout particulièrement ma compagne Mallory et nos deux enfants
– Nathan, qui a fêté ses quatre ans hier, et Thibaud, qui fêtera quant à lui ses deux ans en avril
prochain… comme le temps passe (trop) vite ! – qui m’ont témoigné, chacun à leur manière,
un soutien indéfectible sans lequel mon projet n’aurait tout simplement jamais pu aboutir.

Genève, le 19 février 2010

1
Financement d’un poste d’assistant de recherche du 01.01.2003 au 31.03.2006.

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8
TABLE DES MATIERES

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10
PREAMBULE & REMERCIEMENTS............................................................ 5

TABLE DES MATIERES .................................................................................. 9

INTRODUCTION & THESE .......................................................................... 17

Ière PARTIE
Des instruments aux typologies d’instruments des politiques publiques
Eléments conceptuels et théoriques................................................................... 23
Chapitre 1 Les instruments des politiques publiques : définitions, concept et
dimensions....................................................................................................... 26
1.1 Les instruments des politiques publiques : terminologies.................................... 27
1.2 Les instruments des politiques publiques : une définition consensuelle.............. 29
1.3 La non intervention, un instrument de politique publique ? ................................ 30
1.4 Les instruments des politiques publiques face aux grands concepts
de la science politique .......................................................................................... 31
1.5 Les instruments des politiques publiques : instruments externes vs
instruments internes.............................................................................................. 32
1.6 Les instruments des politiques publiques : jeu politique, jeu de pouvoir ............ 33
1.7 Les instruments des politiques publiques : administration vs politique,
moyens vs fins ...................................................................................................... 35
1.8 Les instruments des politiques publiques : des objets, des activités, des
stratégies ? ............................................................................................................ 38
1.9 Les instruments des politiques publiques : des institutions reflétant
les rapports de l’homme à son environnement..................................................... 40
1.10 Les instruments des politiques publiques : indissociables du processus
décisionnel et des acteurs impliqués dans le « jeu politique » ............................. 41
Chapitre 2 Les typologies d’instruments en sciences politiques et administratives .... 44
2.1 Les précurseurs..................................................................................................... 45
2.1.1 Les continuums de Dahl et Lindblom (1953)................................................... 46
2.1.2 Les types de pouvoirs et d’implication d’Etzioni (1961) ................................. 49
2.1.3 Lowi (1964, 1966, 1972) : les trois puis quatre types de politiques ................ 52
2.1.4 Hood (1983) : l’Etat, une boîte à instruments .................................................. 53
2.2 Quelques autres typologies d’instruments............................................................ 56
2.2.1 Typologies puissance 2 .................................................................................... 57
2.2.2 Typologies puissance 3 .................................................................................... 59
2.2.3 Typologies puissance 4 .................................................................................... 64
2.2.4 Typologies puissance 5 .................................................................................... 67
2.2.5 Typologies puissance 6 et plus......................................................................... 72
Chapitre 3 Quelques exemples de typologies d’instruments issus d’autres champs
disciplinaires ................................................................................................... 76
3.1 Quelques typologies issues de la science économique......................................... 77
3.1.1 Une typologie issue de la théorie économique du bien-être............................. 77
3.1.2 Quelques classifications « institutionnelles »................................................... 79

11
3.1.3 Quelques typologies basées sur des critères concrets ...................................... 83
3.2 Une typologie issue de la sociologie du droit ...................................................... 84
3.2.1 Les instruments juridiques ............................................................................... 86
3.2.2 Confusion entre instruments légaux et instruments politiques......................... 88
3.2.3 Aux frontières du droit et des politiques publiques.......................................... 90
3.2.4 Une typologie des Etats et de leurs modalités d’action.................................... 91
3.3 Une typologie issue de la recherche en psychologie (environnementale).......... 100
3.3.1 L’application de principes de psychologie aux modifications
comportementales........................................................................................... 100
3.3.2 La typologie de Gardner et Stern ou comment remédier à la situation
tragique des biens communs .......................................................................... 102
Chapitre 4 L’évolution des modalités d’intervention de l’Etat : vers de
« nouveaux » types d’instruments politiques ?.......................................... 106
4.1 De nouveaux modes d’intervention : vers plus de flexibilité, de participation,
d’information… vers moins de contrainte et/ou « carrément » moins d’Etat !.. 106
4.1.1 Régulation, sous-systèmes sociaux et complexité.......................................... 107
4.1.2 Réforme de l’Etat et de ses instruments ......................................................... 114
4.1.3 Synthèse et nuances........................................................................................ 118
4.2 Combinaison des types d’instruments : évolution « téléologique » vers plus
de contrainte !..................................................................................................... 121
4.3 Un paradoxe ?..................................................................................................... 126

IIe PARTIE
Des lacunes méthodologies dans la conception et l’utilisation des typologies
d’instruments politiques à une proposition de typologie idéaltypique
Eléments méthodologiques............................................................................... 129
Chapitre 5 Des « méthodes » de conception et d’utilisation des typologies
d’instruments politiques à quelques lacunes ............................................. 134
5.1 Des bases méthodologiques « éclatées »............................................................ 134
5.2 Modalités de conception des typologies et leurs lacunes ................................... 137
5.2.1 L’approche par les catégories nominales vs par les attributs ......................... 137
5.2.2 Choix vs ressources vs continuum vs max/minimalisme............................... 140
5.2.3 Approches théorique vs par critères concrets vs botom up ............................ 144
5.2.4 D’autres « méthodes » : de la synthèse par décantation à la génération
spontanée en passant par la « méthode » par amendements........................... 145
5.3 Première synthèse............................................................................................... 147
Chapitre 6 De la nécessité d’un cadre théorique relatif à l’action ? ........................... 149
6.1 Hood : des prémices théoriques à l’action étatique............................................ 149
6.2 Schneider et Ingram : les hypothèses comportementales................................... 150
6.3 Klock : du modèle de l’activité humaine............................................................ 154
6.3.1 De la conception du modèle de l’activité humaine à la typologie des
instruments de protection de l’environnement ............................................... 155
6.3.2 Une tentative intéressante mais maladroite .................................................... 158
6.4 Kaufmann-Hayoz et al. : de la théorie de l’activité humaine............................. 159
Chapitre 7 De la nécessité de ternir compte de la complexité instrumentale............. 162

12
7.1 Quid des méthodes d’application : la règne illusoire de la tentation
classificatrice ...................................................................................................... 162
7.1.1 De l’utilisation des typologies d’instruments : la tentation classificatrice..... 163
7.1.2 Retour sur la question de l’opérationnalisation de la variable type
d’instrument ................................................................................................... 164
7.1.3 Types d’instruments vs instruments concrets (niveau théorique vs
empirique) ...................................................................................................... 166
7.1.4 La (mauvaise) question de la substituabilité des instruments ........................ 166
7.2 Les concepts clés à la conception des typologies d’instruments politiques ....... 167
7.2.1 La question des acteurs-cibles........................................................................ 167
7.2.2 La question la contrainte ................................................................................ 169
7.3 La nécessité d’appréhender la question des caractéristiques fondamentales
des instruments ................................................................................................... 174
7.3.1 Retour sur la nature « fuyante » des instruments : la voie pessimiste............ 174
7.3.2 Retour sur la nature « fuyante » des instruments : la voie optimiste ............. 175
7.4 Synthèse et propositions d’orientation vers une « nouvelle » approche
méthodologique des typologies d’instruments politiques .................................. 176
Chapitre 8 La méthode compréhensive de Max Weber et ses idéaltypes................... 179
8.1 Contexte théorique et épistémologique .............................................................. 181
8.1.1 De l’empirisme au positivisme....................................................................... 182
8.1.2 L’approche compréhensive de la réalité sociale............................................. 184
8.2 La méthode idéaltypique .................................................................................... 186
8.3 Deux exemples de typologie wébérienne........................................................... 190
8.3.1 Les quatre types wébériens d’activités sociales ............................................. 191
8.3.2 La conception wébérienne du pouvoir : les trois types de domination
légitime........................................................................................................... 192
Chapitre 9 Essais d’une typologie idéaltypique d’instruments politiques
– théorie basique de l’activité humaine ...................................................... 194
9.1 Les postulats de départs...................................................................................... 194
9.1.1 De la nature de l’intervention étatique ........................................................... 195
9.1.2 Du fondement de l’intervention étatique........................................................ 195
9.1.3 De l’intervention étatique dans le domaine de la protection de
l’environnement et du climat.......................................................................... 196
9.1.4 Une définition de la notion d’instrument de politique publique .................... 199
9.1.5 De la rationalité (limitée) de l’acteur climatique ........................................... 200
9.1.6 De l’acteur au système (à l’acteur)................................................................. 200
9.1.7 De l’intervention étatique sur les déterminants de l’activité humaine
(et donc de l’activité climatique).................................................................... 202
9.2 Les déterminants de l’activité humaine.............................................................. 202
9.2.1 Les déterminants ou leviers comportementaux .............................................. 202
9.2.2 Processus d’identification des déterminants comportementaux et
(sous-)systèmes de référence.......................................................................... 203
9.2.3 Notre typologie d’instruments politiques : sources d’inspiration et types
d’instruments politiques ................................................................................. 205
9.3 Une typologie idéaltypique des instruments politiques (de protection
du climat)............................................................................................................ 206
9.3.1 Idéaltype « instrument coercitif »................................................................... 207
9.3.2 Idéaltype « instrument économique » ............................................................ 208
9.3.3 Idéaltype « instrument de communication vertueuse ».................................. 209

13
9.3.4 Idéaltype « instrument de communication affective » ................................... 210
9.3.5 Intermède : retour sur la notion de typologie idéaltypique d’instrument
politique.......................................................................................................... 216
9.3.6 Idéaltype « instrument de communication in-formationnelle » ..................... 217
9.3.7 Idéaltype « instrument de communication exemplaire »................................ 218
9.3.8 Idéaltype « instrument d’aménagement et d’infrastructures » ....................... 219
9.4 Pour un bref résumé ........................................................................................... 220
9.4.1 Une typologie d’instruments politiques de nature idéaltypique..................... 220
9.4.2 Notre typologie d’instrument politiques et la notion de contrainte................ 220
9.4.3 Une illustration sommaire .............................................................................. 221

IIIe PARTIE
Essais d’une analyse instrumentale idéaltypique+ de la politique climatique
suisse
Éléments d’analyse........................................................................................... 223
Chapitre 10 Méthode de travail ....................................................................................... 225
10.1 Unité d’observation, champ d’investigation et structure de l’analyse ............... 226
10.1.1 Unité d’observation : les instruments concrets .............................................. 226
10.1.2 Champ d’investigation : la politique climatique suisse.................................. 227
10.1.3 Structure de l’analyse ..................................................................................... 229
10.2 Fondements théoriques des questions de recherche et des hypothèses
de travail (bref rappel)........................................................................................ 230
10.2.1 Fondements théoriques pour l’analyse compréhensive et explicative ........... 230
10.2.2 Fondements théoriques pour l’analyse méthodologique ................................ 233
10.3 Questions de recherche....................................................................................... 233
10.3.1 Questions d’ordre descriptif ........................................................................... 233
10.3.2 Questions d’ordre compréhensif .................................................................... 234
10.3.3 Questions d’ordre méthodologique ................................................................ 234
10.3.4 Questions d’ordre explicatif ........................................................................... 234
10.4 Hypothèses de travail ......................................................................................... 234
10.4.1 Hypothèses compréhensives .......................................................................... 234
10.4.2 Hypothèse méthodologique générale ............................................................. 235
10.4.3 Hypothèses explicatives ................................................................................. 236
10.5 Procédure de travail............................................................................................ 238
10.5.1 Etude descriptive ............................................................................................ 238
10.5.2 Analyses compréhensive et méthodologique ................................................. 238
10.5.3 Analyse explicative ........................................................................................ 241
Chapitre 11 De la définition de la problématique du Changement Climatique à
l’émergence des acteurs à cibler.................................................................. 243
11.1 De la Biosphère de Vernadsky à la planète Gaïa de Lovelock .......................... 246
11.2 De la révolution industrielle à la dérégulation anthropique du cycle du
carbone ............................................................................................................... 248
11.3 Des changements climatiques au Changement Climatique d’origine
anthropique......................................................................................................... 251
11.3.1 Les causes naturelles des changements climatiques....................................... 251
11.3.2 Les causes anthropiques du Changement Climatique : le mécanisme de
l’effet de serre (effet de serre naturel vs effet de serre anthropique) ............. 253

14
11.4 De la controverse scientifique à la controverse politique................................... 255
11.5 De la modélisation du système climatique aux conséquences du
Changement Climatique (en Suisse et dans le Monde)...................................... 258
11.5.1 Les conséquences : les changements climatiques observés et les effets
constatés ......................................................................................................... 260
11.5.2 Synthèse : effets d’incertitudes, de vitesse, de retard et de persistance,
de seuils et d’irréversibilité, d’interrelations et différenciés. ......................... 263
11.6 Des émissions de GES aux multiples secteurs d’activités responsables :
le cas de la Suisse ............................................................................................... 265
11.6.1 Le dioxyde de carbone (CO2) : transports, ménages, industrie et
services/commerces........................................................................................ 266
11.6.2 Le méthane (CH4) : agriculture et déchets..................................................... 266
11.6.3 L’oxyde nitreux (N2O) : agriculture, industrie et déchets ............................. 266
11.6.4 Les gaz synthétiques (HFC, PFC et SF6) : industrie...................................... 267
11.6.5 Les puits de CO2 : sylviculture....................................................................... 267
11.6.6 Le secteur des énergies renouvelables............................................................ 267
11.7 Des secteurs d’activités responsables des émissions nationales de GES aux
multiples acteurs(-cibles) de la politique climatique suisse ............................... 268
11.7.1 Quelques acteurs-cibles de la politique climatique suisse.............................. 268
11.7.2 Quelques acteurs institutionnels de la politique climatique suisse ................ 269
11.7.3 La complexité des acteurs(-cibles) de la politique climatique suisse............. 269
Chapitre 12 Etude descriptive de la politique climatique suisse : les instruments
concrets et leur articulation................................................................................................. 270
12.1 Les principales dispositions constitutionnelles en matière de politique
climatique ........................................................................................................... 271
12.1.1 Les dispositions constitutionnelles dont fait explicitement référence la
LCO2 : la protection de l’environnement et la politique énergétique ............ 271
12.1.2 Les autres dispositions constitutionnelles pertinentes au regard de
la protection du climat : les principes du droit de l’environnement............... 271
12.2 La politique de réduction des émissions de CO2 ................................................ 274
12.2.1 Des objectifs quantifiés de réduction des émissions de CO2 ......................... 274
12.2.2 Les instruments pour la mise en œuvre .......................................................... 275
12.2.3 La phase volontaire des mesures librement consenties : conventions (et
engagements plus formels)............................................................................. 276
12.2.4 La phase subsidiaire : taxe sur le CO2, engagements formels et
mécanismes de flexibilité ............................................................................... 281
12.2.5 L’obligation de compensation pour les centrales à cycles combinés
alimentées au gaz ........................................................................................... 299
12.2.6 Les dispositions pénales (sanctions) de la législation sur le CO2 .................. 301
12.3 Des instruments articulés en une combinaison complexe.................................. 301
Chapitre 13 Evalution et analyse idéaltypique+ « pan-phy » des instruments de la
politique climatique suisse ................................................................................................... 303
13.1 Enquête « pan-phy » : procédures et résultats intermédiaires ............................ 304
13.1.1 Traitements et résultats de la première vague de questionnaires ................... 306
13.1.2 Mise en place de la deuxième vague de questionnaires ................................. 308
13.1.3 Traitements des réponses de la seconde vague de questionnaires ................. 309
13.1.4 Synthèse de la procédure d’analyse des résultats finaux de l’enquête
« pan-phy ».................................................................................................................... 312

15
13.2 De l’enquête « pan-phy » à la méthode idéaltypique + « pan-phi » :
présentation et modalités d’interprétation des résultats finaux .......................... 312
13.3 Interprétation des résultats finaux par idéauxtypes d’instruments politiques .... 323
13.4 Interprétation des résultats finaux par instruments concrets .............................. 327
13.5 Quid de nos hypothèses de travail...................................................................... 329
13.5.1 Quid de l’hypothèse compréhensive n°1........................................................ 329
13.5.2 Quid de l’hypothèse compréhensive n°2........................................................ 330
13.5.3 Quid de l’hypothèse compréhensive n°3........................................................ 332
13.5.4 Quid de nos hypothèses explicatives.............................................................. 332
13.5.5 Quid de l’hypothèse méthodologique ............................................................ 338
13.6 Synthèse et mise en perspective des résultas ..................................................... 339
13.6.1 Faire jaillir la complexité de la réalité instrumentale ..................................... 339
13.6.2 Vers de nouveaux instruments moins contraignants pour des
acteurs-cibles plus complexes ? ..................................................................... 340
13.6.3 L’évolution probable de la politique climatique suisse (et des autres
politiques publiques de protection de l’environnement) ................................ 342
13.6.4 Quelques limites de notre démarche et de notre analyse - petit exercice
de réflexivité................................................................................................... 342

SYNTHESE & CONCLUSION


Vers une nouvelle approche instrumentale des politiques publiques
De quelques enseignements et recommandations à tirer sur le plan de
l’analyse et de l’action...................................................................................... 347
Chapitre 14 De la complexité de la réalité instrumentale .............................................. 349
Chapitre 15 De la nécessité d’adopter une approche « orientée acteurs(-cibles) »,
« transdisciplinaire », « combinée » et « systémique ».............................. 351
15.1 De la complexité globale de la problématique du Changement Climatique
à la nécessité d’une nouvelle approche instrumentale des politiques
publiques de protection de l’environnement ...................................................... 353
15.2 De la nécessité d’une approche orientée acteurs(-cibles)................................... 356
15.3 De la nécessité d’une approche inter-transdisciplinaire et combinée ................ 358
15.3.1 De l’inter-transdisciplinarité .......................................................................... 358
15.3.2 De la combinaison des instruments : efficacité environnementale ................ 360
15.3.3 De la combinaison des instruments : efficacité politique............................... 361
15.3.4 De la combinaison optimale des instruments : l’exemple de la politique
climatique suisse ............................................................................................ 362
15.3.5 De la combinaison optimale des instruments : un équilibre entre
efficacité environnementale et efficacité politique ........................................ 365
15.4 Perspective de recherche : le système instrumental ........................................... 366

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES...................................................... 369

ANNEXES ........................................................................................................ 389

16
INTRODUCTION & THESE

17
18
Au départ de ma recherche, une question toute simple : quelles sont les modalités
d’intervention étatique utilisées dans le domaine de la politique climatique suisse ? mais qui
s’avérera l’être en apparence seulement.

Cette question, je l’ai tout d’abord abordée au travers de mon mémoire de licence
(pluridisciplinaire) en science politique et sciences de l’environnement dans lequel j’ai mis en
évidence trois types de modalités d’intervention de l’Etat au sein des politiques de réduction
des émissions de CO2 et énergétique en Suisse (Perret, 2002).

Par la suite, dans le cadre de mon mémoire de diplôme d’études approfondies en management
et analyse des politiques publiques, et toujours selon le même cadre analytique, j’ai également
développé mon domaine d’investigation aux mesures de réduction des émissions de gaz à
effet de serre (GES) au sein des politiques des transports et environnementales suisses (Perret,
2004a).

Or je me suis assez vite rendu compte que mes analyses de ces différentes politiques
comportaient un certain biais dans la mesure où celles-ci n’arrivaient pas à prendre en compte
tout la complexité de ces modalités d’intervention qui se trouvaient quelque peu
« manipulées » dans une optique réductionniste.

En parallèle, dans le cadre de mes postes d’assistant à l’Université de Genève2, j’ai également
été confronté à la problématique du Développement Durable – une porte ouverte sur la
complexité et l’interdisciplinarité – ainsi qu’à la problématique complexe du Changement
Climatique. Dans cet état d’esprit, et dans le cadre de ma thèse de doctorat, j’ai alors réorienté
mes recherches en adoptant une approche instrumentale des politiques publiques (via une
typologie d’instruments politiques).

Il n’en faillait pas moins pour me plonger dans les abîmes de la complexité d’une réalité
instrumentale – somme toute pas si simple que cela – éclairée, ça et là, et plus ou moins à bon
escient, de multiples projecteurs disciplinaires, sans réelle cohérence. Aussi ai-je dû
restreindre mon projet de départ, qui était d’analyser les instruments de la politique climatique
suisse au sens large (Perret, 2004b) – soit ceux relevant des politiques de réduction des
émissions de CO2, de l’énergie, de protection de l’environnement (notamment concernant les
substances stables dans l’air (gaz synthétique)), des transports, agricole et sylvicole – pour me
recentrer sur le cœur de la politique climatique suisse, à savoir la législation sur la réduction
des émissions de CO2.

Grâce à ce recadrage, j’ai pu trouver le temps de développer des aspects conceptuels,


théoriques et méthodologiques, qui me sont très vite apparus comme des pré-requis
indispensables à une analyse fructueuse de la politique climatique suisse par le biais d’une
typologie d’instruments (Perret, 2007a).

2
Assistant de recherche dans le cadre du PNR-Climat (NCCR-Climate) et assistant, puis coordinateur, du
Certificat de formation continue en développement durable.

19
Aussi, le challenge central de ma recherche réside dans le fait d’adopter une approche
typologique des instruments politiques qui soit capable de gérer la complexité instrumentale
(et sociale) de l’objet d’étude en question.

Dans ce cadre, la thèse principale que je défends tout au long de ma recherche réside dans
l’impérieuse nécessité de pouvoir analyser les instruments des politiques publiques sous
l’angle de leur complexité et de s’affranchir ainsi d’un certain réductionnisme (disciplinaire)
qui rend illusoire toute tentative d’analyse instrumentale cohérente et pertinente au regard de
la réalité instrumentale et sociale. Un corolaire à cette affirmation réside notamment dans le
fait qu’une telle approche réductrice ne peut également pas être à même de promouvoir des
actions adéquates.

Selon moi, il n’est en effet pas possible d’analyser les instruments des politiques publiques
dans une perspective réductrice – telle que défendue par exemple par les tenants de l’approche
du choix rationnel (rational choice) – qui ne rend compte de la réalité (instrumentale) que de
manière unidimensionnelle. Au contraire, il s’avère nécessaire et primordial de prendre en
compte cette complexité. En ce sens, je donnerai en quelque sorte raison à Max Weber et à
son approche comparative de la complexité de la réalité sociale face à toutes tentatives (et
tentations) de ne pas considérer les instruments politiques sous l’angle de leur complexité. Or,
et c’est un constat partagé, les politiques actuelles de protection de l’environnement sont,
depuis plus de 20 ans, fondées sur des approches réductionnistes et tournent autour de la
recherche d’une solution unique, qu’elle soit, c’est la tendance, technologique ou économique.
En cela elles évitent la complexité sociale et réduisent l’environnement (et ses acteurs) à une
seule dimension qui ne peut être propice à la résolution des problèmes complexes auxquels
nous sommes désormais confrontés, tel que celui du Changement Climatique.

Ma thèse peut donc également se traduire en partie par une question générale de recherche de
type exploratoire qui consiste à se demander dans quelle mesure une démarche différente de
l’analyse typologique classificatrice traditionnelle des instruments des politiques publiques
dans le domaine de la protection de l’environnement permettrait d’appréhender et de gérer de
manière plus adéquate la complexité instrumentale ?

En conséquence, mon travail de recherche se fonde sur une démarche générale de


type constat – réflexion – application qui s’articule autour de trois grandes parties qui traitent
chacune des instruments des politiques publiques au regard de la complexité :

• la première sous l’angle conceptuel et théorique (constat – réflexion) ;

• la deuxième sous l’angle méthodologique (constat – réflexion – application) ;

• et la troisième sous l’angle analytique (réflexion – application).

Ces trois parties sont en étroites interdépendances et se complètent dans la perspective qui est
la nôtre. Par ailleurs, elles peuvent, sans trop de difficulté, être lues de manière indépendante
l’une de l’autre. C’est pourquoi, quelques redondances – que j’ai tenté d’éviter au plus –
subsistent entre ces différentes parties. Vous m’en excuserez par avance.

Aussi les trois parties principales de cette recherche tentent de souligner la complexité (de
l’analyse) instrumentale sous ses différentes formes, tant sur le plan compréhensif ou
explicatif que sur le plan méthodologique.

20
Je pense ainsi contribuer modestement au développement de l’analyse typologique
instrumentale des politiques publiques, notamment sous ses dimensions analytiques et
méthodologiques, et plus spécifiquement dans les domaines de la protection du climat et du
développement durable, domaines caractérisés par leur complexité socio-économique et
environnementale.

Je serai ainsi satisfait de mes développements si, après m’avoir suivi quelques instants dans
les méandres de la complexité instrumentale, l’économiste, le politologue et le juriste, mais
aussi le psychologue, le sociologique, ou tout autre « type » de chercheur qui s’intéresse aux
instruments d’action de l’Etat, pour peu qu’ils veuillent bien sortir un instant de leur cadre
respectif de référence (d’aucun dirons qu’ils déposent pour un instant leurs lunettes pour en
chausser d’autres), tout en gardant bien sûr leur esprit critique, ne perçoivent plus les
instruments politiques de la même manière et … que cela puisse alors bénéficier, ne serait-ce
qu’à la marge, à leurs prochaines recherches dans le domaine.

Enfin, notons pour terminer cette brève introduction que, comme il est de coutume dans les
travaux scientifiques, je vais désormais laisser la place au « nous » de rigueur pour vous
présenter ma recherche.

21
22
IÈRE PARTIE

DES INSTRUMENTS AUX TYPOLOGIES


D’INSTRUMENTS DES POLITIQUES PUBLIQUES

ELÉMENTS CONCEPTUELS ET THÉORIQUES

23
24
Aborder le thème des instruments des politiques publiques, pour utiliser une notion plutôt
francophone, et ce plus spécifiquement dans le domaine de la protection de l’environnement,
se révèle être un exercice fastidieux. Une littérature abondante et riche existe et traite de la
thématique des instruments des politiques publiques. Mais le plus souvent ces apports ne sont
que d’une nature partielle (Varone, 1998) et émanent de plusieurs domaines disciplinaires qui
se sont attachés à éclairer la problématique d’un point de vue qui leur est propre. Nous
pensons ici principalement à la sociologie, au droit, à l’économie et, bien sûr, à la science
politique et administrative.

Si les différents types d’instruments dont l’Etat dispose font l’objet de nombreuses études et
d’une littérature étoffée en science politique, le monopole de leur classification (notamment)
n’est pas le seul fait des politologues, de nombreuses disciplines s’étant essayées à étudier les
instruments d’action de l’Etat avec leurs propres méthodes et cadres théoriques.

Parmi ces différents projecteurs pointés sur les instruments, prenons l’exemple de celui des
économistes qui n’est pas négligeable. En effet, ceux-ci se sont occupés à décrire et à analyser
les instruments de protection de l’environnement au regard du critère bien connu de
l’efficience/efficacité (théorique)3. Aussi, les instruments « émergeants » proposés à l’heure
actuelle dans le domaine de la protection de l’environnement, notamment au niveau
international (nous pensons notamment aux systèmes de permis négociables) ne sont pas sans
relancer quelque peu l’intérêt des chercheurs – notamment des économistes – pour les études
dans ce domaine.

Traiter des instruments des politiques publiques s’avère ainsi représenter une tâche complexe
dans la mesure où le sujet est traité sous différents angles disciplinaires, mais surtout parce
que le concept reste somme toute encore très ambigu et les méthodes d’approche peu
développées (notamment la possibilité de « mesurer » la variable instrument).

Aussi, nous nous proposons de débuter cette première partie en faisant un état des lieux de la
littérature sur le sujet (des instruments aux typologies d’instruments) qui, à défaut d’être
exhaustif, sera, nous l’espérons, représentatif des multiples essais en la matière. Nous sommes
ainsi conscients que bien d’autres approches pourraient raisonnablement prétendre faire partie
intégrante de notre survol de la littérature, notamment en ce qui concerne les multiples
typologies d’instruments existantes. Néanmoins, nous avons jugé inconcevable de réaliser une
revue exhaustive de la matière.

Nous débuterons ainsi notre recherche en définissant le concept d’instrument des politiques
publiques en soulignant ses multiples dimensions (chapitre 1). Nous dresserons ensuite un état
des lieux des nombreuses typologies d’instrument que nous trouvons dans la littérature
spécialisée, premièrement en science politique (chapitre 2), puis dans d’autres disciplines
(chapitre 3). Enfin, nous nous attacherons à étudier les instruments au regard de leur

3
Cette approche économique des instruments étatiques est l’une des applications principales de la « sous
discipline » de l’économie qu’est, dans sa version la plus restrictive, « l’économie de l’environnement » ou, dans
sa version la plus globale, « l’économie du développement durable ».

25
« vraisemblable » évolution à travers le temps (chapitre 4). L’ensemble de ces étapes étant
abordées dans le souci de faire ressortir la complexité de notre objet d’étude.

Chapitre 1 Les instruments des politiques publiques :


définitions, concept et dimensions

Si le concept d’instrument peut paraître simple à définir à première vue, la réalité est toute
différente. De Bruijn et Hufen (1998) ont remarqué qu’une grande « variété de phénomènes
[variety of phenomena] » (p. 13) a été cataloguée comme étant des instruments dans de
nombreuses recherches, sans cohérence apparente4. Dans le domaine de la science politique
soulignent Bressers et Klock (1988), différents éléments sont compris sous ce terme suivant le
contexte ou l’approche utilisée, ce qui rend la notion assez vague. Cette lacune ne permet
ainsi souvent pas de définir clairement la limite entre le concept d’instrument et certains
concepts de l’analyse des politiques publiques tout aussi flous, comme par exemple ceux de
politique publique ou de programme5. Howlett (2005), quant à lui, souligne la flexibilité de la
notion d’instruments politiques :

Early students of policy making tended to have very flexible notions of the multiple means
by which governments can affect, or give effect to, policy. (p. 34)

De manière générale, deux solutions s’offrent au chercheur qui veut définir le concept
d’instrument. D’une part, il peut le définir de façon très générale et abstraite, ce qui aboutit à
des définitions telles que :

• « Instruments are the tools employed by institutions to do what they wish to do »


(Gunningham et Sinclair, 1998, notes de bas de page 1, p.37)

• « A policy instrument can be described as everything a policy actor may use to obtain
certain goals » (Van der Doelen, 1998, p.131)

• « Instruments are the specific means whereby a policy, as a response to a problem, is


implemented » (Pal, 1992, p.11)

• « Instruments are all those means en actor uses or can use to help him achieve one or
more objectives » (Bressers et Klock, 1988, p. 32)

D’autre part, il peut tenter de donner une définition plus détaillée en spécifiant des critères,
des dimensions, sur la base desquels le concept peut être défini.

La première approche a les mérites et les désavantages de sa généralité alors que la seconde,
si elle permet de mieux cerner la nature du concept, élimine de fait certains dispositifs et
s’éloigne des autres définitions utilisées, rendant par la même occasion la compréhension du

4
Par exemple, ont été compris dans différentes études sous la dénomination d’instrument des dispositifs tels que
la gestion ou le contrôle financier et certaines formes de management interne comme la gestion des ressources
humaines ou le management par objectifs (De Bruijm et Hufen, 1998) ; voir également la définition
d’instruments internes et externes ci-après (chapitre 1.5).
5
Nous verrons par la suite que certains auteurs tentent de faire une telle distinction.

26
phénomène plus complexe. Donner une définition s’avère donc être un exercice laborieux, ce
d’autant plus que la littérature en fait état d’une multitude. Nous pourrions ainsi affirmer qu’il
existe pour ainsi dire autant de définitions de la notion d’instrument qu’il y a d’auteurs6.

Un auteur comme Salamon (2002), par exemple, qui souligne par ailleurs toute la complexité
des instruments « réels » à l’égard de la simplicité apparente du concept d’instrument, énonce
quatre éléments principaux7 qui selon lui sont constitutifs des instruments et les définissent :

1. un type de bien (good) ou d’activité (activity) ;


2. un support d’attribution (delivery vehicule) ;
3. un système organisationnel d’attribution (delivery system/set of organization);
4. un ensemble de règles formelles ou informelles (set of rules, formal or informal)
définissant les relations entre les acteurs impliqués dans le système organisationnel
d’attribution.

Pour notre part, après avoir établi un bref résumé de la terminologie la plus couramment
employée pour parler des instruments (chapitre 1.1), nous allons tenter de réaliser une
synthèse – non exhaustive – des différentes définitions issues de la vaste littérature dédiée aux
instruments des politiques publiques (chapitre 1.2). Nous identifierons notamment à cette fin
un noyau consensuel commun aux multiples définitions rencontrées.

Nous soulignerons ensuite quelques dimensions intéressantes et originales de ces différentes


définitions (chapitres 1.3 à 1.10), exercice qui, au-delà d’amener à une meilleure
compréhension du « phénomène », nous permettra également de poser par la suite des
questionnements et des réflexions qui seront en partie à la base du fondement de notre thèse.

1.1 Les instruments des politiques publiques : terminologies

Dans la littérature francophone sont couramment utilisés les termes d’instruments d’action
publique (voir par exemple, Lascoumes et Le Galès (2004)), d’instruments d’action étatique
(voir par exemple Freiburghaus (1991), Bari (1993)), d’instruments (des) politiques
(publiques) (voir par exemple, Varone (1998, 2001), Larrue (2000)) ou encore d’instruments,
de modalités/modes ou de moyens d’action, d’intervention ou de régulation (de l’Etat) (voir
par exemple Muller (2000), Morand (1991a, 1991b, 1999), Willke (1991a), Lascoumes
(1994), Ost (2003)). Ils peuvent être compris grossièrement comme des synonymes dans la
mesure où ils représentent ces « choses » dont l’Etat dispose pour agir sur la société dans le
but d’atteindre un objectif politique. Cette terminologie est issue d’un courant de pensée
orienté vers une analyse des politiques publiques – ou vers une « science de l’Etat en action »
(p.3) pour reprendre la terminologie employée par Muller (2000) – qui perçoit l’action
publique de préférence en termes systémique et de régulation sociale et qui adopte une
approche plutôt juridique des politiques publiques. Cette vision que nous pourrions qualifier
« d’aux frontières du droit, de la régulation et des politiques publiques » se retrouve par
exemple chez des auteurs tels que Morand, Willke, Lascoumes et Ost.

Dans la littérature anglophone, par ailleurs beaucoup plus fournie que son homologue
francophone, des termes tels que « (public) policy instruments » (voir par exemple Woodside
6
Voire même plus !
7
Nous verrons très vite que certains de ces éléments, avec d’autres biensûr, se retrouvent de manière plus ou
moins équivalente dans certaines définitions.

27
(1986), Baxter-Moore (1987), McDonnell et Elmore (1987a), Bressers et Klock (1988),
Howlett (1991, 2005), Wallace (1995), Peters et Van Nispen (1998), Peters et Hoornbeek
(2005), Bemelmans-Videc, Rist et Vedung (1998), Bressers et O’Toole (1998), Kaufmann-
Hayoz et Gutscher (2001), Landry et Varone (2005)), « instruments of government » (voir
par exemple Linder et Peters (1989)), « governing instrument » (voir par exemple Trebilcock
et al. (1982), Trebilcock et Hartle, (1982), Trebilcock (2005)) ou « tools of government
(action) » (voir par exemple Hood (1983/1990), Salamon (1989, 2002), De Bruijn et
Heuvelhof (1997)) ou encore « policy tools » (voir par exemple Rist (1994), Schneider et
Ingram (1990, 1997)) sont communément utilisés. Dans une traduction littérale – plus ou
moins heureuse – nous pourrions ici parler d’outils ou d’instruments politiques ou
gouvernementaux8. Cette terminologie traduit sans doute une conception plus pragmatique de
l’action publique de la part de nos amis anglo-saxons qui est issue d’une approche
instrumentale de l’analyse des politiques publiques, notamment dans une perspective de
recherche de type « policy design »9, utilisée par exemple par des auteurs tels que Howlett,
Pal, Elmore, Schneider et Ingram ou encore Linder et Peters.

Notons que dans le langage des économistes (néo)classiques – par exemple dans la littérature
issue des travaux de l’OCDE – nous entendons beaucoup plus volontiers parler d’instruments
économiques (economic instruments) (voir par exemple, Tietenberg (1990), Barde (1994,
1997), OCDE (1997)). Et bien qu’issus d’une approche « différente » de l’économie, des
termes identiques sont utilisés par les socio-économistes du bien-être (théorie de l’allocation
optimale des ressources), acquis à une analyse économique des instruments d’action de l’Etat
issue des courants de l’économie de l’environnement (lacunes du marché, externalités) ou de
l’économie écologique10 (voir par exemple Bürgenmeier et al. (1997), Bürgenmeier (2005)).

Enfin, et sans être exhaustif, notons que Dahl et Lindblom (1953/1992), célèbres précurseurs
de l’analyse de l’action de l’Etat moderne en termes d’instruments, parlent quant à eux de
« techniques sociales [sociales techniques] »11 (p.6) :

In economic life the possibilities for rational social action, for planning, for reform – in
short, for solving problem – depend not upon our choice among mytical grand alternative
but largely upon choice among particular social techniques. (p.6)

Par ailleurs, et ne serait-ce que pour donner au lecteur une idée de « l’importance » de notre
sujet d’étude, soulignons ici que ces mêmes auteurs, constatant et faisant référence à la
rapidité d’invention et d’innovation des Etats modernes dans le domaine des instruments

8
Notons que Trebilcock et al. (1982) ont également produit une version française de leur étude pour le Conseil
économique du Canada dans laquelle ils ont traduit le terme de governing instruments par instruments
d’intervention.
9
Le concept de design d’une politique (policy design) est défini par Varone (1998) comme une analyse des
politiques publiques qui met l’accent sur la conception des politiques, de sa genèse à la sélection et à l’adoption
des stratégies alternatives d’action par les acteurs socio-politiques. Varone (1998, faisant référence à Pal, 1992)
souligne d’ailleurs que le point crucial d’une analyse de type « policy design » est d’arriver à / de déterminer
quel(s) instrument(s) sélectionner parmi la panoplie d’instruments à disposition qui permettent (théoriquement)
tous d’atteindre un même objectif.
10
L’économie écologique peut être définie comme une (la) troisième étape de la modélisation économique qui,
dans une perspective plus interdisciplinaire, holistique et systémique que les étapes précédentes, à savoir
l’économie classique qui postule l’efficacité absolue du marché, puis l’économie de l’environnement qui traite
des externalités comme lacune du marché qu’il faut dès lors corriger, replace le système économique à sa
«juste » place et donc au sein de la Biosphère dont il est entièrement dépendant (Bürgenmeier, 2005).
11
Ou de « techniques politico-économiques [politico-economic techniques] » (Dahl et Lindblom, 1953/1992,
p.6)

28
d’action12, affirment que ce phénomène représente « peut-être la plus importante révolution
politique de notre temps [perhaps the greatest political revolution of our times] » (p.8) et que
la question du choix de ces « techniques politico-économiques [politico-economic
techniques] » (p.6), pour reprendre les termes de Salamon (1981) ou de Schneider et Ingram
(1990), a sans doute supplanter les débats idéologiques en occident :

One of the most remarkable changes in American politics over the past 50 years has been
the proliferation of tools or instruments through which governments seek to influence
citizen behavior and achieve policy purposes (Schneider et Ingram, 1990, p.511, faisant
référence à Salamon, 1989, Doern et Wilson, 1974 et Dahl et Lindblom, 1953)

A un niveau beaucoup plus humble, nous préférerons, quant à nous, employer la notion
« d’instrument des politiques publiques » (employée par exemple par Varone (1998)) ou un
raccourci qui consiste à accoler à la notion « d’instrument » le terme « politique »,
notamment pour des raisons de style lorsqu’il s’agit de faire suivre le concept par un attribut,
par exemple lorsque l’on parle d’instruments politiques de protection de l’environnement.

1.2 Les instruments des politiques publiques : une définition consensuelle

Si nous devions définir un « consensus » autour de la définition du terme d’instrument


politique, nous pourrions sans doute avancer que les auteurs s’accorderaient à définir les
instruments de politiques publiques comme des moyens, des techniques, des mécanismes ou
des outils, selon la terminologie employée, dont l’Etat dispose pour influencer (modifier) les
comportements des acteurs socio-économiques (le groupe cible) dans le but d’atteindre un
objectif de politique publique censé résoudre un problème sociétal13.

Cette définition implique le fait que les instruments politiques à la disposition14 de l’Etat :

• constituent en tant que techniques, mécanismes, méthodes, processus, façons, moyens


ou outils, des outputs du système politique produits en réponse à un problème donné
(input) ;

• et qu’ils ont pour objectif premier d’influencer15 l’activité humaine (les


comportements des acteurs socio-économiques) dans la perspective d’atteindre un
objectif de politique publique approprié à la résolution du dit problème ; en d’autres
termes, les instruments visent à produire un impact sur la société.

12
Pour ne pas parler, comme le fait Salamon (2002), de « prolifération massive [massive proliferation] » (p. 1)
13
Cette définition « consensuelle » est issue d’une analyse des définitions – le plus souvent explicites, mais
parfois implicites – de la notion « d’instrument » donnée notamment par Bemelmans-Videc (1998), Bressers et
Klock (1988), Brigham et Brown (1980), Dahl et Lindblom (1953/1992), De Bruijn et Heuvelhof (1997), De
Bruijn et Hufen (1998), Dente (1995), Elmore (1987), Etzioni (1961/1971), Gunningham et Sinclair (1998),
Hood (1983/1990), Howlett et Ramesh (1995), Howlett (1991, 2005), Kaufmann-Hayoz et al. (2001), Klock
(1995), Landry et Varone (2005), Lascoumes et Le Galès (2004), Linder et Peters (1989), McDonnel et Elmore
(1987a), Pal (1992), Peters et Van Nispen (1998), Salamon et Lund (1989), Salamon (1989, 2002), Schneider et
Ingram (1990, 1997), Van der Doelen (1998), Varone (1998, 2001) et Vedung (1998). Nous n’entendons pas ici
le terme de consensuel comme représentant le plus petit dénominateur commun des définitions étudiées mais
comme une définition sur laquelle les auteurs pourraient sûrement s’entendre.
14
Les instruments sont très souvent définis par les auteurs comme constituant une panoplie, un set, un éventail
ou encore un menu d’outils, de techniques, de moyens, d’instruments, etc. étant à la disposition de l’Etat et des
décideurs politiques (voir par exemple Hood (1983/1990), Pal (1992), Vedung (1998), Salamon (2002))
15
Entendons par là modifier, transformer, changer, etc.

29
Quelques éléments de cette définition se retrouvent par exemple chez un auteur comme Hood
(1983/1990) qui, tentant de répondre à un questionnement de départ consistant à savoir ce que
le gouvernement fait, propose une réponse (parmi les multiples possibles) qui consiste à
imaginer le gouvernement comme « un ensemble d’instruments administratifs [a set of
administrative tools] » (p.2) dédié au contrôle social16. Aussi, pour l’auteur, les outils dont le
gouvernement dispose sont de nature à influencer la vie des citoyens. Les instruments sont
donc ici perçus comme des mécanismes qui, combinés de différentes façons et dans des
contextes particuliers, permettent d’atteindre des buts divers de contrôle social en induisant
des conséquences sur le monde extérieur. L’analyse est donc focalisée sur les instruments se
« déployant » à l’interface « gouvernement – société » et non sur les instruments utilisés à
l’intérieur du gouvernement pour coordonner et contrôler ses propres activités.

Nous retiendrons ainsi que les instruments sont dirigés sur des acteurs (nous, les citoyens, les
acteurs sociaux) qu’ils sont destinés à influencer dans l’intention d’atteindre un objectif
politique. C’est ce que souligne par exemple des auteurs comme Schneider et Ingram (1997,
1990) lorsqu’elles définissent les instruments comme des moyens ou des mécanismes propres
à influencer les comportements des citoyens – à leur faire faire ce qu’ils ne feraient pas
autrement17 – dans le but de résoudre des problèmes collectifs ou tout au moins de poursuivre
des objectifs politiques18.

Pour reprendre la terminologie utilisée par Kaufmann-Hayoz et al. (2001) et pour souligner
l’importance des acteurs cibles vis-à-vis du mode opératoire des instruments, nous dirons
également que les instruments ne sont pas que « dirigés » sur des acteurs mais qu’ils sont
(doivent être) aussi « orientés acteurs [actor-oriented] » (p.35).

Mais une telle définition n’est sans doute pas suffisante pour faire le tour du concept
d’instrument. Aussi allons-nous maintenant éclairer sous différents angles la notion
d’instrument afin de pouvoir la cerner sous d’autres aspects intéressants et complémentaires.

1.3 La non intervention, un instrument de politique publique ?

Un auteur comme Vedung (1998) se pose la question de savoir si la non-intervention de l’Etat


constitue un instrument. Celui-ci solutionne le problème posé en soulignant que la décision de
ne pas intervenir doit plutôt être comprise comme une stratégie politique19, réservant ainsi le
concept d’instrument aux situations où l’Etat a pris la décision d’agir activement. En d’autres
termes, la question du choix d’un instrument ne se présente à l’Etat qu'ultérieurement à la
question de l’intervention ou de la non-intervention.

16
En d’autres termes, Hood (1983/1990) propose d’analyser l’Etat comme un « kit instrumental [a tool-kit] » (p.
2) destiné à sa finalité suprême, à savoir la régulation de la société. Dans cette perspective, l’auteur, puisant son
inspiration dans la théorie des systèmes, considère l’Etat comme un système en interaction avec le système social
qu’il doit orienter.
17
Pour Schneider et Ingram (1997) « policy tools are the elements in policy design that cause agents or targets
to do something they would not otherwise do with the intention of modifying behaviour to solve public problems
or attain policy goals » (p. 93).
18
Dans le même ordre d’idée, pour McDonnell et Elmore (1987a), les instruments politiques sont des
« mechanisms that translate substantive policy goals (e.g., improved student achievement, higher quality
entering teachers) into concrete actions » (p.134) et selon Hood (1983/1990), par leur mise en œuvre, l’Etat
« makes the link between wish and fulfillment » (p.8).
19
Pour une définition de ce concept, se référer au chapitre 1.4 ci-après.

30
En accord avec cette définition, nous postulerons également que la non-intervention de l’Etat
dans un domaine particulier ne doit pas être comprise comme un instrument.

1.4 Les instruments des politiques publiques face aux grands concepts de la science
politique

Comme nous le verrons par la suite avec la définition que donne Varone (1998) des
instruments politiques20, le concept d’instrument de politique publique est un élément
« indissociable » de l’analyse des politiques publiques. Aussi est-il important de pouvoir le
définir vis-à-vis des grands concepts de la science politique tels que ceux, par exemple, de
mesure, de programme, de politique et de stratégie. Certains auteurs se sont soumis à
l’exercice.

Kaufmann-Hayoz et al. (2001), par exemple, différencient les instruments des notions de
mesure et de stratégie dans le sens où une mesure représente la réalisation concrète d’un
instrument21 et qu’une stratégie consiste en l’application d’un ensemble d’instruments et de
mesures à travers le temps et dans un contexte donné22. Par ailleurs, ils définissent également
la notion de campagne comme la mise en œuvre d’instruments et de mesures, toutefois dans
un but plus spécifique et plus étroit que celui poursuivit au sein d’une stratégie.

Quant à Salamon et Lund (Salamon 1989, 2002, Salamon et Lund, 1989), prenant comme
point de départ la définition d’un instrument « comme une méthode pour atteindre un objectif
politique [as a method through which government seeks a policy objective] » (Salamon 1989,
p. 4), ils distinguent les instruments des concepts de programmes, de politiques et de
fonctions.

Pour ces auteurs, un instrument est analogue à un programme dans la mesure où il constitue
également un mécanisme concret mis en œuvre afin d’atteindre un objectif politique. Il s’en
différencie néanmoins dans la mesure où il se réfère à la méthodologie employée dans un
programme et non pas à l’application concrète de ce programme. Dans cette perspective, les
instruments sont d’une nature plus générale que les programmes, ceux-ci permettant aux
instruments de prendre corps dans des circonstances particulières. Un instrument peut
d’ailleurs être utilisé dans différents programmes et dans différents domaines d’intervention.
Salamon note d’ailleurs que derrière le concept d’instrument se trouve l’idée fondamentale
« that the multitude of individual government programs actually embody a limited array of
mechanisms or arrangements that define how the programs work » (Salamon, 1989, p.4)

Par contre, toujours pour ces mêmes auteurs, un instrument diffère d’une politique dans le
sens où celle-ci est un assemblage de programmes visant à produire des effets dans un certain
domaine de l’intervention étatique (la santé, la protection de l’environnement, etc.) 23. Dans ce
sens, une politique peut être mise en œuvre par différents programmes utilisant différents

20
Voir chapitre 1.10 ci-après.
21
Nous pouvons à nouveau remarquer la tension entre l’instrument défini en tant que concept et l’instrument
considéré en tant que réalisation concrète.
22
Pour sa part, Elmore (1987) définit une stratégie comme une combinaison d’instruments.
23
Pour Dente (1995, citant Dunn, 1981/2004), une politique représente un set d'actions visant à résoudre un
problème politique, c'est-à-dire une valeur non réalisée, un besoin ou une opportunité qui, une fois identifiés,
devraient être atteints par l'action publique.

31
instruments et est constituée essentiellement par une collection de programmes opérant dans
un domaine similaire ou visant des objectifs généraux. Ainsi, si les instruments sont
typiquement d’une nature plus générale que les programmes, ils le sont précisément moins
que les politiques24.

Enfin, un instrument est distinct des fonctions de l’Etat dans la mesure où ces fonctions
embrassent le plus souvent plusieurs politiques, qui se déclinent en différents programmes qui
font à leur tour prendre corps à différents instruments.

1.5 Les instruments des politiques publiques : instruments externes vs instruments


internes

Certains auteurs font également une distinction entre instruments internes et instruments
externes.

Par exemple, partant de la définition donnée par Vedung (1998) : « Public policy instruments
are the set of techniques by which governmental authorities wield their power in attempting to
ensure support and effect social change » (p. 21, cité par Bemelmans-Videc, 1998, p. 3),
Bemelmans-Videc (1998) met en évidence le fait que les instruments visent par nature à
influencer les comportements des citoyens, impliquant de ce fait un mécanisme d’influence
sociétal, et qu’ils doivent donc être compris comme des instruments externes25. Au contraire,
les instruments internes sont de nature à viser uniquement la gestion des acteurs administratifs
au sein du secteur public26.

Dans d’autres termes, mais dans le même ordre d’idée, De Bruijn et Hufen (1998) choisissent
d’assumer le fait que l’application d’un instrument soit focalisée sur la réalisation d’outputs et
d’outcomes politiques. Ils entendent par outputs, les biens physiques ou les services produits
par l’Etat et, par outcomes, l’influence qu’ont les outputs sur les processus sociaux. C’est dans
ce dernier sens qu’ils parlent ainsi d’instruments externes, par opposition aux instruments
internes à l’administration.

Quant à Salamon et Lund (Salamon, 2002, Salamon et Lund, 1989), ils font également une
distinction entre instruments internes et externes. Les premiers représentent des procédures
internes à l’administration alors que les seconds, par contraste, affectent la société dans son
ensemble et non pas uniquement le fonctionnement interne de l’administration. Ainsi, les
instruments diffèrent de ce qu’ils appellent les outils administratifs dans la mesure où ils
constituent des moyens pour l’Etat d’influencer la société (influence externe) alors que les
outils administratifs sont destinés à une influence interne.

Ainsi sommes-nous confronté à deux conceptions bien différentes de la notion d’instrument,


les auteurs s’accordant le plus souvent à exclure les instruments internes du concept
d’instrument de politique publique pour les raisons que nous avons citées auparavant (effets

24
Dans le même ordre d’idée, Elmore (1987) fait une distinction entre politiques (publiques) et instruments, tout
en reconnaissant que les politiques sont elles-mêmes composées d’instruments.
25
Comprenons ici par externe le fait que les instruments produisent des impacts sur la société (et donc externes à
l’administration).
26
Par exemple, les instruments de politique du personnel (procédures de recrutement du personnel ou de gestion
des ressources humaines), les instruments de politique budgétaire ou les instruments de réforme
(organisationnelle) de l’administration publique.

32
externes vs effets internes). C’est par exemple le cas de Bressers et Klock (1988) pour qui les
instruments sont par nature des instruments externes puisqu’ils ont pour objectif premier
d’influencer les comportements des acteurs. En ce sens, les auteurs se réfèrent aux
instruments en tant que :

All means that a governmental official or body uses or may use to promote the
implementation of policy-targeted changes in the behaviour of other people or bodies
without the intervention of other instruments (p. 34).

Cependant et pour tenter de réconcilier ces deux « caractéristiques » des instruments, relevons
qu’un instrument interne peut également avoir des conséquences externes. Morand (1999), par
exemple, indique que parmi la panoplie de moyens à disposition de l’Etat pour influencer les
comportements des acteurs socio-économiques, figure sa faculté à pouvoir agir sur son ordre
intérieur tout en espérant produire des effets externes. Les « actes internes à effets externes »
(p.177), comme les nomme l’auteur, représentent ainsi la capacité qu’a l’Etat d’agir sur lui-
même et pour les autres :

L’administration produit, en agissant sur l’ordre intérieur […] des effets réels qui peuvent
affecter de manière très importante les intérêts des administrés. En sa qualité
d’employeur, de producteur de biens et de services, de consommateur, l’Etat peut
conduire une politique publique en se bornant à définir sa propre ligne d’action. La
politique salariale de l’Etat a des effets sur la fixation des salaires dans le secteur privé.
Les mesures d’économie d’énergie qu’il s’impose peuvent, par un effet d’entraînement,
orienter les comportements dans le secteur privé. Une expérience pilote bien conduite,
dont les résultats sont diffusés dans le public, peut convaincre les gens de modifier leurs
comportements. (p. 178)

Notons, pour finir, que Hood (1983/1990) distingue les instruments de collecte d’information
(detectors) des instruments qui induisent un effet sur la société (effectors)27. Mais tout comme
nous avons remarqué qu’un instrument interne peut avoir des effets externes, l’action qui
consiste à rassembler de l’information peut également déployer des effets sur la société. Nous
pouvons ici dire, par analogie à la théorie d’Austin (1970) qui fait remarquer que dire, c’est
faire28, que faire quelque chose, c’est (aussi) signifier quelque chose et donc agir sur autrui.

1.6 Les instruments des politiques publiques : jeu politique, jeu de pouvoir

Pour Dente (1995), par exemple, un instrument de politique publique est une voie par laquelle
l’Etat peut modifier un ou plusieurs éléments d'un jeu politique (policy game) dans le but
d'obtenir un certain résultat. Si nous considérons dès lors le jeu politique comme un jeu de
((re)distribution de) pouvoir et d’autorité – la science politique n’est-elle pas la science qui
étudie le pouvoir – alors les instruments politiques sont intimement liés aux concepts de
pouvoir et d’exercice du pouvoir, à savoir l’autorité (pouvoir et autorité pouvant également
être compris comme des synonymes). Pour Howlett (2005) par exemple, « Policy instrument

27
La typologie de Hood est développée dans le chapitre 2.1.
28
En effet, pour Austin (1970), le fait de dire quelque chose peut notamment provoquer des effets sur autrui (sur
ses sentiments, son information, etc.) et donc sur son comportement (voir 2e partie, chapitre 9, point 9.3.6). Dans
le même ordre d’idée, nous pouvons dès lors affirmer que l’acte de faire (ou d’agir) peut avoir une signification
pour autrui (à l’image de l’acte de dire) et ainsi, par le même « mécanisme » que l’acte de parole, induire des
effets comportementaux chez autrui (pensons, par exemple, que le seul fait de collecter de l’information sur un
groupe particulier de personnes peut induire des modifications de comportement chez ce groupe).

33
are techniques of governance that, on way or another, involve the utilization of state authority
or its conscious limitation » (p.31).

Dans un langage d’économiste du bien-être, nous pourrions aussi dire que dans ce cas l’Etat
modifie l’allocation des ressources par la mise en œuvre d’un ou de plusieurs instruments.
L’une des ressources principales étant le pouvoir économique (distribution et/ou réallocation
du pouvoir économique), la mise en œuvre d’instruments impliquera inévitablement une
réallocation de la ressource économique (du moins en partie) et génèrera immanquablement
des conflits d’intérêt entre les acteurs impliqués dans le processus, notamment les acteurs
ciblés par l’intervention étatique29.

C’est dans ce sens que Vedung (1998) définit les instruments comme un « set of techniques by
which governmental authorities wield their power in attempting to ensure support and effect
or prevent social change » (p.21) et qu’il souligne en guise de conclusion que « Discourse on
public policy instruments is discourse on power » (p.50). Pour Pal (1992) également, chaque
instrument « contains an assumption of the state’s authority and power » (p.11).

Ainsi, les instruments des politiques publiques, en tant que dispositifs mis en œuvre par l’Etat
– l’organisation qui dans nos démocraties occidentales monopolise le pouvoir de contrainte
légitime (voir ci-après) – possèdent des liens très étroits avec le pouvoir et l’autorité, comme
le laisse également supposer la définition que donne Elmore (1987) d’un instrument « A
policy instrument is an authoritative choice of means to accomplish a purpose » (p.175) ainsi
que les typologies des trois types de pouvoir et de participation30 d’Etzioni (1961/1971) qui
définit le pouvoir comme étant « an actor’s ability to induce or influence another actor to
carry his directives or any other norms he supports » (p. 4).

Le pouvoir et les différentes notions qui le caractérisent (Etat/politique, autorité, contrainte,


relations, acteurs) ont notamment été théorisés par Max Weber (1956/1995), qui définit et
caractérise l’Etat (le groupement politique) par l’exercice du pouvoir de contrainte physique
légitime31 et la domination légale rationnelle bureaucratique32. Dans le même esprit, un auteur
tel que Lhumann (1999) perçoit ainsi dans « la fonction de la politique […] le fait de rendre
possible et de réaliser des décisions contraignantes collectives » (p. 89).

Les instruments politiques sont donc intimement liés à ces différentes notions inhérentes à
l’Etat (et donc à ses modalités d’intervention) que sont les différentes facettes du concept de
pouvoir. Dans ce sens ils constituent donc notamment des instruments « relationnels » qui
sont définis par un rapport Etat – acteurs caractérisé par une (certaine) dissymétrie33.

29
Mais également les acteurs de la mise en œuvre, dans la mesure où le choix des instruments n’est pas neutre du
point de vue des valeurs et des objectifs poursuivis (voir nos développements dans le chapitre 1.7).
30
La typologie d’Etzioni est développée dans le chapitre 1.2.
31
« Nous dirons d’un groupement de domination qu’il est un groupement politique [politischer Verband] lorsque
et tant que son existence et la validité de ses règlements sont garanties de façon continue à l’intérieur d’un
territoire géographique déterminable par l’application et la menace d’une contrainte physique de la part de la
direction administrative. Nous entendons par État une « entreprise politique de caractère institutionnel »
[politischer Anstaltsbetrieb] lorsque et tant que sa direction administrative revendique avec succès, dans
l’application des règlements, le monopole de la contrainte physique légitime. » (Weber, 1956/1995, pp. 96-97).
32
Sur le concept wébérien du pouvoir et de la domination, voir nos développements dans le cadre du chapitre
méthodologique (voir 2e partie, chapite 8, point 8.3.2).
33
Et donc un rapport d’autorité et de domination dirait Weber (1956/1995).

34
Des auteurs tels que Crozier et Friedberg (1977) définissent ainsi le pouvoir, à un niveau
général, comme impliquant « toujours la possibilité pour certains individus ou groupes d’agir
sur d’autres individus ou groupes » (p. 65) tout en appuyant sur « le caractère relationnel du
pouvoir »34 (p.65) qu’ils comprennent notamment comme « une relation non transitive »35
(p.67), « une relation réciproque mais déséquilibrée » (p.68), mais surtout, et pour ce qui nous
occupe, comme « une relation instrumentale » (p.66) :

Dire que toute relation de pouvoir est instrumentale vise simplement à souligner que,
comme toute relation de négociation, le pouvoir ne se conçoit que dans la perspective
d’un but qui, dans une logique instrumentale, motive l’engagement de ressources de la
part des acteurs. (p. 67)

A la suite de Crozier et Friedberg, Bernoux (1985) souligne également que le pouvoir


représente la capacité d’un acteur A de faire agir un acteur B selon sa propre volonté au sein
d’une relation sociale dissymétrique, capacité qui renvoie automatiquement à la maîtrise par
l’acteur A d’une zone d’incertitude, une condition d’existence du pouvoir36.

Pour en revenir aux instruments des politiques publiques, citons enfin Lascoumes et Le Galès
(2004), pour qui ces derniers, placés dans ce contexte, ne sont ni neutres, ni dissociés du
pouvoir et du rapport entre gouvernant et gouverné (étant entendu que les gouvernés font
partie intégrante du processus décisionnel gouvernemental) :

L’instrumentation de l’action publique est un enjeu majeur de l’action publique car elle
est révélatrice d’une théorisation (plus ou moins explicite) du rapport
gouvernant/gouverné, chaque instrument étant une forme condensée de savoir sur le
pouvoir social et les façons de l’exercer. L’approche technique ou fonctionnaliste des
instruments dissimule alors des enjeux politiques. Les instruments à l’œuvre ne sont pas
des dispositifs neutres, ils produisent des effets spécifiques indépendants des objectifs
poursuivis et qui structurent, selon leur logique propre, l’action publique. (p. 29)

Se pose ainsi également la question de la neutralité des instruments sous le regard de la


neutralité de l’administration vis-à-vis du politique, ainsi qu’en termes de moyens et de fins.

1.7 Les instruments des politiques publiques : administration vs politique, moyens vs


fins

Les rapports entre administration et politique peuvent être abordés en postulant leur
séparation et/ou la neutralité de l’administration publique vis-à-vis du politique (Urio, 1984).
Par exemple, du point de vue du principe de la séparation des pouvoirs, l’administration – en
tant que « bras exécutant » du pouvoir politique – ne devrait exercer ni fonctions législatives,
celles-ci étant réservées au parlement, ni fonctions gouvernementales, ces dernières étant
dévolues au gouvernement. L’administration devrait donc être « séparée » du pouvoir

34
« Agir sur autrui, c’est entrer en relation avec lui ; et c’est dans cette relation que se développe le pouvoir
d’une personne A sur une personne B. » (Crozier et Friedberg, 1977, p. 65)
35
« Si une personne A peut facilement obtenir d’une personne B une action X, et B peut obtenir cette même
action d’une personne C, il se peut néanmoins que A soit incapable de l’obtenir de C. » (Crozier et Friedberg ,
1977, p. 67)
36
« Il [le pouvoir] n’est au fond rien d’autre que le résultat toujours contingent de la mobilisation par les acteurs
des sources d’incertitudes pertinentes qu’ils contrôlent dans une structure de jeu donné, pour leurs relations et
tractations avec les autres participants à ce jeu. » (Crozier et Friedberg, 1977, p. 30)

35
politique (parlement et gouvernement) et n’exercer que des fonctions d’exécution « pour le
compte du gouvernement et sous le contrôle de ce dernier et du parlement » (p.21). Dans ce
sens, le politique déciderait des fins et l’administration utiliserait (ou choisirait37) les moyens
dans le respect des grands principes de l’Etat démocratique (principe de l’Etat de droit,
principe de l’égalité de traitement, etc.).

Ne faisant aucunement allusion au principe de la séparation des pouvoirs, un auteur comme


Simon (1945/1965, notamment cité en référence par Urio (1984)) postule également la
neutralité de l’administration (et donc la séparation entre administration et politique38) en
délimitant clairement les domaines dans lesquels doivent être faits les jugements de faits et les
jugements de valeurs, domaines dans lesquels la prise de décision est fondée sur des critères
spécifiques. Ainsi, selon Simon (1945/1965), dans le domaine politique, les décisions se font
en fonction de choix de valeurs (jugement de valeurs : critère non-scientifique) que la société
décide de maximiser alors que l'administration fait, sur la base de ces choix de valeurs, le
choix des moyens les plus adaptés pour les réaliser (jugement de faits : critère scientifique).
Nous pouvons aisément constater que la distinction que fait Simon entre jugements de faits et
jugements de valeurs recoupe celle du choix des moyens et des fins.

Mais cette vision classique et normative du rapport entre le politique et son administration
peut être notamment critiquée au regard de la réalité. Urio (1984), par exemple, nous fait
remarquer que la conception wébérienne de la bureaucratie permet de mettre en doute la
conception classique de la séparation entre administration et politique. En effet, l’auteur
souligne que selon la conception wébérienne de l’administration, celle-ci, au lieu d’être
totalement soumise au pouvoir légal-rationnel, aurait tendance à se soustraire à ce dernier et à
exercer une partie, voire la totalité, du pouvoir politique. Cette possibilité se fonderait sur trois
éléments qui constituent la source et le fondement du pouvoir de la bureaucratie, à savoir :

• sa position stratégique : la bureaucratie occupe une position stratégique au sein de la


société ainsi qu’à l’intérieur même du pouvoir légal-rationnel ; elle est donc un acteur
incontournable et indispensable au bon fonctionnement de la société ;

• sa professionnalisation : les fonctionnaires, recrutés sur la base d’une compétence


technique, sont au bénéfice d’une compétence propre et spécialisée ; ils possèdent
donc un certain pouvoir face aux hommes politiques qui ne sont pas des
professionnels ; de plus, les fonctionnaires exercent leur fonction d’une manière
continue (permanence de la fonction), ce qui n’est pas le cas des politiques qui sont
réélus selon le calendrier politique ;

• sa pratique du secret : la pratique du secret permet également à la bureaucratie


d’exercer un certain pouvoir, notamment si l’on pense à sa fonction d’information
(sélection et rétention de l’information par exemple).

Quant à Lindblom (1966, notamment cité en référence par Urio (1984)), il juge également que
la séparation entre la phase de définition des valeurs et celle du choix des moyens – entendons
donc également par là entre le politique et l’administration – n'est pas réalisable dans la

37
Si le choix des instruments est du ressort de l’administration, celui-ci ne devrait alors pas impliquer un choix
de valeurs, choix qui doit relever du politique, seul pouvoir légitimé démocratiquement à l’assumer.
38
Ce qui n’empêche pas l’auteur d’admettre le rapport hiérarchique entre le politique et son administration.

36
pratique39. En effet, prenant comme exemple la démocratie américaine, Lindblom (1959)
montre l'impossibilité de séparer le choix des valeurs et le choix des moyens dans une
démocratie ouverte. En effet, dans ce genre de configuration politique, un accord sur le choix
des valeurs fondamentales à défendre (qui relève d'un niveau ontologique) n’est pas possible.
Aussi, pour éviter cette non faisabilité, il est nécessaire de passer par une négociation dans
laquelle on effectue à la fois le choix des valeurs et le choix des moyens (au niveau d’un
consensus).

Ainsi valeurs et moyens – politique et administration – ne peuvent être séparés, les deux étant
indissociables l’un de l’autre (cf. Encadré 1, ci-dessous).

Encadré 1 : Le choix des instruments, aussi un choix de valeurs


Pour beaucoup d’auteurs, les instruments sont difficilement dissociables des fins qu’ils aspirent à réaliser et leur
choix implique également un choix de valeurs.
Pal (1992) :
Defining a policy problem and determining a solution are frequently overshadowed in the policy-
making process by the question of implementation, or how. Indeed, in many policy areas,
problems and goals are relatively stable and widely understood: concrete policy debates revolve
around different ways of linking the two. […] The distinction between goals and instruments, or
the means of achieving goals, is artificial. Means and ends cannot be separated so neatly, which
is why debates rage over the best means of implementing policies. (p.11)
Vedung (1998) :
Policy instruments should not be regarded only as means through which the ends of political life
are achieved. Instruments are ends in themselves. They are an object of political dispute because
they fundamentally affect the process and the content of policy-making. Often, then, there is a
politics of policy-instruments selection. Actually, political parties quite often disagree on means
while they agree on ends. (p. 41).
Van Nispen et Ringling (1998): « Tools are not neutral at all » (p. 212)
Salamon (2002) : « Tool choices are fundamentally political choices » (p. 11)
Trebilcock (2005): « The choice of means is almost never a valuationally neutral exercise but entails making
trade-offs betweens various desired policy objectives that different means or instruments impact on in different
ways » (p. 51-52)
Rappelons également que selon Dahl et Lindblom (1953/1992) le choix des moyens a sans doute supplanté les
débats idéologiques en occident et est devenu le thème clé du XXe siècle (et du XXIe siècle !).
Source : Pal (1992), Vedung, (1998), Van Nispen et Ringling (1998), Salamon (2002), Trebilcock (2005)

Soulignons que les politologues ont remarqué depuis longtemps que l’administration
publique, en tant que structure multifonctionnelle, participe activement au processus politique
(et ce à chaque phase du processus de décision40) et que le débat politique est le plus souvent
centré sur les moyens que sur les fins41. Mais bien sûr les moyens sous-tendent en eux-mêmes
des fins… parfois contestées.

39
Sur les différents apports théoriques relatifs au rôle politique de l’administration publique et à la séparation
entre cette dernière et le politique, voir par exemple Urio (1984) chapitre 2.
40
Sur le rôle de l’administration suisse dans le processus décisionnel, voir par exemple les ouvrages d’Urio
(1972), L’affaire des Mirages : décision administrative et contrôle parlementaire. Genève: Editions médecine et
hygiène (pour un résumé de l’historique de l’affaire des Mirages, voir Urio (1968), L’affaire des Mirages,
Annuaire suisse de science politique, Lausanne, pp. 90-100), (1984), Le rôle politique de l’administration
publique, notamment le chapitre 1 : pp. 21-24, le chapitre 2 : entier, le chapitre 4 : pp. 181-195 et le chapitre 5 :
entier et l’ouvrage de Kriesi, (1998), Le système politique suisse, notamment les chapitres 6 et 7.
41
Voir par exemple Pal (1992).

37
1.8 Les instruments des politiques publiques : des objets, des activités, des
stratégies ?

Le niveau d’abstraction du concept d’instrument peut être source de définitions différentes.


Varone (1998) remarque, par exemple, que :

dans sa définition la plus large, le concept d’instrument d’action représente “the generic
term provided to encompass the myriad techniques at disposal of governments to
implement their public policy objectives. Sometimes referred to as “governing
instruments” or “tools of government”, these techniques range in complexity and age,
although most are well known to students and practitioners of public administration”
(Varone, 1998, p.25, citant Howlett, 1991, p. 2)

Bressers et Klock (1988), quant à eux, s’interrogent sur la nature et le niveau d’abstraction
souhaité pour analyser les instruments. Définissant les instruments comme étant « all those
means an actor uses or can use to help him achieve one or more objectives » (Bressers et
Klock, 1988, p. 32, citant Hoogerwerf, 1985), les auteurs limitent leur analyse aux
instruments qui influencent directement les comportements. En d’autres termes, les
instruments sont ici considérés comme l’ensemble des moyens qu'un acteur étatique utilise ou
peut utiliser afin de promouvoir une modification des comportements des acteurs ciblés par
une politique42.

Par ailleurs, Bemelmans-Videc (1998) définit notamment les instruments sous l’angle suivant
lequel les « policy instruments are understood to be concrete and specified operational forms
of intervention by public authorities » (p. 4). Cette définition souligne ainsi qu’un instrument
représente une forme concrète et opérationnelle de l’action publique et qu’il peut être ainsi
considéré comme un objet43.

Au contraire et de manière plus ambiguë, Salamon et Lund (Salamon et Lund, 1989, Salamon,
2002), comparant les concepts d’instrument et de programme, font remarquer que le premier
est semblable au second dans la mesure où il représente également un mécanisme concret de
mise en œuvre d’une politique publique, mais qu’il s’en différencie dans la mesure où il fait
référence à la méthodologie ou à l’approche fondamentale utilisée dans un programme et non
à l’application particulière de ce programme. Dans ce dernier sens, le concept d’instrument est
ainsi d’une nature plus générale que celui de programme, nonobstant que le concept général
d’instrument peut être opérationnaliser et prendre corps au sein d’un programme.

Quant à De Bruijn et Hufen (1998), ils établissent, suite à leurs recherches menées sur la
nature du concept d’instrument, qu’une grande variété de phénomènes est communément
comprise sous la notion d’instrument et cela sans cohérence apparente. Il tire alors comme
conclusion préliminaire que le concept d’instrument ne donne aucune information sur la
nature du phénomène autre que celle qui consiste à dire qu’un instrument est un moyen
d’accomplir un objectif particulier. Aussi la nature d’un instrument semblerait à première vue
insaisissable et non identifiable.

Pour tenter de palier à ce problème, les auteurs proposent de définir les instruments en faisant
une distinction entre les instruments en tant qu’objets et les instruments en tant qu’activités.
42
Des dispositifs tels que les murs anti-bruit ou la construction et l'exploitation de plantes de purification ne sont
pas considérés par ces auteurs comme étant aptes à influencer les comportements et sont donc ainsi exclus de ce
qu'ils entendent par instruments.
43
Voir la définition de De Bruijn et Hufen (1998) donnée ci-après.

38
Ils remarquent ainsi que les instruments sont notamment considérés comme des objets dans la
littérature juridique, lorsque celle-ci fait référence à la panoplie d’instructions et de règles qui
forment les lois et directives administratives. Inversement, les instruments sont considérés
comme des activités lorsque la littérature associe le terme aux multiples possibilités
d’activités politiques qui ont pour objectif d’influencer et de gouverner des processus sociaux.

Selon De Bruijn et Hufen (1998), ces deux définitions possèdent leurs forces et faiblesses.
Ainsi, si la seconde définition (instrument en tant qu’activité) possède l’avantage de pouvoir
considérer des activités informelles comme des instruments (la corruption, par exemple), elle
souffre de ne pas réussir à délimiter clairement la frontière entre les concepts de politiques
publiques et d’instruments. A l’opposé, la première définition (instrument en tant qu’objet), si
elle permet de mieux pouvoir cerner le phénomène, connaît quant à elle le désavantage de
donner une image incomplète de la nature dynamique des instruments. Aussi pour ces auteurs,
il n’est pas si important de choisir parmi les deux définitions. Chacune possède en effet la
faculté d’éclairer les instruments d’un point de vue qui lui est propre. Nous ne devrions donc
ne pas les opposer mais les considérer comme des points de vue complémentaires.

Dans tous les cas, que les instruments soient considérés comme des objets ou des activités –
voire même comme des « stratégies instrumentales [‘instrumental tactics’] » (Klock, 1995, p.
34) 44 – ou qu’ils soient d’une nature plus ou moins visible pour les citoyens (Peters, 2002,
Pal, 1992)45, ils sont identifiables, même si, comme le souligne Hood (1983/1990), ils ne sont
(dans certains cas) pas directement observables et impliquent un effort d’interprétation de la
part du chercheur.

Selon nous, cet effort d’interprétation du chercheur peut (ou se doit de) prendre la forme d’un
exercice consistant à faire ressortir les caractéristiques communes ou les particularités de
certaines formes d’intervention de l’Etat, pour pouvoir ensuite les identifier sous la forme de
typologie d’instrument46. Dans ce sens, relevons que pour Salamon (2002), qui définit les
instruments « as an identifiable method through which collective action is structured to
address a public problem »47 (p.19), chaque instrument possède certains dispositifs (features)
communs qui permettent de l’identifier en tant que tel48.

Sur la base de nos propos, nous pouvons donc relever une certaine tension (pour ne pas dire
une confusion certaine) entre une définition (manipulation) de la notion d’instrument en tant
que concept abstrait (niveau théorique)49 et une définition (manipulation) de l’instrument en
tant que réalisation concrète (niveau empirique). Nous verrons par la suite toute l’importance

44
Pour Klock (1995), les instruments « can be directed towards changing human activity (behaviour) or towards
changing environmental processes » (p. 22). Pour un approfondissement de l’approche des instruments de
Klock, voir le chapitre 2.2.3.
45
Pal (1992) fait remarquer que les instruments sont la manifestation la plus concrète et visible de l’action
étatique (pour les administrés) alors que Peters (2002) place la visibilité des instruments (visibility) comme l’une
des trois dimensions principales de ces derniers, à côté du caractère direct des instruments (directness) et leur
automaticité (automaticity).
46
Ce point sera emplement développé par la suite, notamment dans le cadre de la 2e partie de notre recherche.
47
Définition, souligne Salamon, qui est proche de celle de Vedung (1998).
48
Néanmoins, remarque l’auteur, cela n’implique en aucun cas que tous les instruments d’un type particulier
soient identiques dans leur dispositif. Ainsi, plusieurs types de subventions diffèrent dans leurs dispositifs de
mise en œuvre (conditions d’octroi, etc.) mais elles ont toutes comme caractéristique commune d’établir un
transfert monétaire pour orienter les comportements. Par ailleurs, dans un ouvrage antérieur (Salamon, 1989),
l’auteur fait remarquer que l’identification des instruments est un exercice plus difficile qu’il n’y paraît.
49
Tels les « paper policy instruments » (p. 22) de Bressers et Klock (1988) ou les « nominal tools categories »
(pp. 34, 38, 258) de Salamon (1989).

39
que peut revêtir le fait de différencier le concept d’instrument de sa réalisation concrète,
notamment sur le plan théorique et méthodologique et principalement via l’élaboration d’une
typologie d’instruments de nature idéaltypique au sens wébérien du terme50.

1.9 Les instruments des politiques publiques : des institutions reflétant les rapports
de l’homme à son environnement

Nous venons déjà de constater combien les instruments pouvaient avoir de « facettes »
différentes et combien le concept pouvait être éclairé de plusieurs façons. Nous pouvons
encore ajouter à ces différentes perspectives celle qui consiste à percevoir les instruments
comme des institutions.

Pour Salamon (2002), par exemple, les instruments d’action de l’Etat ont notamment pour
caractéristique de structurer l’action. Ils peuvent donc être perçus comme des institutions au
sens du « new institutionalism »51 dans la mesure où ils constituent des modèles de régulation
qui définissent les acteurs impliqués (individus et/ou organisations), leurs rôles et leurs
modalités d’interaction52. Cette définition des instruments permet notamment de souligner
l’importance grandissante des parties tierces (third parties) impliquées dans « l’économie
politique » des « nouveaux » instruments caractérisés par une approche collaborative et
persuasive de l’action publique réactualisée par la résurgence récente du libéralisme
économique (néolibéralisme) et de son corollaire administratif : la nouvelle gestion publique
ou (nouvelle) gouvernance53.

Dans une perspective assez semblable, Lascoumes et Le Galès (2004) dénotent :

[qu’]un instrument d’action publique constitue un dispositif à la fois technique et social


qui organise des rapports sociaux spécifiques entre la puissance publique et ses
destinataires en fonction des représentations et des significations dont il est porteur [; ou
en d’autres termes, qu’il est] un dispositif technique à vocation générique porteur d’une
conception concrète du rapport politique/société et soutenu par une conception de la
régulation. (pp. 13-14)

Dans ce sens, les instruments :

Sont [donc] bien des institutions, car ils déterminent en partie la manière dont les acteurs
se comportent, créent des incertitudes sur les effets des rapports de force, conduisent à
privilégier certains acteurs et intérêts et à en écarter d’autres, contraignent les acteurs et
leur offrent des ressources, et véhiculent une représentation des problèmes. (p. 16)

50
Notons également que Van Nispen et Ringling (1998), dans une perspective qui pourrait s’apparenter à la
nôtre, perçoivent les instruments comme une métaphore, moyen important pour générer de la connaissance,
même si ces derniers ne semblent pas mesurer toutes les implications que cette approche implique dans la
construction et l’utilisation des typologies d’instruments.
51
Très schématiquement, le New Institutionalism est une théorie qui insiste sur le poids des institutions dans
l’explication des comportements humains. Une institution peut être définie par les règles (rules) et leurs
mécanismes de sanction (entforcement). Pour une définition plus précise du New Institutionalism et de la notion
d’institution, nous renvoyons le lecteur à l’ouvrage de Lane et Ersson (2000), The New Institutional Politics,
notamment au chapitre introductif et au chapitre 1.
52
Notons ici que, selon l’auteur, l’action ainsi structurée est une action de nature collective visant à répondre à
un problème public, ce qui est différent que de dire que les instruments structurent uniquement l’action
gouvernementale.
53
Sur ce point, voir par exemple Salamon (2002), ainsi que notre chapitre 4.1.3.

40
Nous pouvons donc remarquer que les instruments des politiques publiques sont porteurs de
significations et qu’ils entretiennent un lien étroit avec les représentations que se fait la
société des problèmes auxquels ils doivent s’attaquer54. Ainsi, dans le domaine de la
protection de l’environnement, Lascoumes (1994) associe les modalités d’intervention de
l’Etat à la représentation que l’on (nous, les acteurs politiques, les acteurs sociaux, etc.) peut
se faire de l’environnement. Telle perception de l’environnement privilégiera telle forme de
réponse : à une conception de l’environnement nourrie d’images naturalistes et
protectionnistes, répondra une intervention de l’Etat gendarme apte à garantir une jouissance
paisible du spectacle ou de l’appropriation de la nature ; à une conception individuelle libérale
répondra une intervention privilégiant la sensibilisation et la responsabilisation, etc.

Salamon (2002), quant à lui, fait remarquer que le choix des instruments :

Are also importantly shaped by cultural norms and ideological predispositions [...]. A
strong promarket bias underlies tool choices in the United States, for example, whereas
western Europe is much more wary of the market and much more favorably inclined
toward the state. (p. 11)

Les instruments peuvent donc être compris comme des révélateurs de l’état des
représentations sociales d’un problème à un moment donné.

En d’autres termes, nous pouvons également postuler qu’ils sont l’expression du rapport que
les hommes entretiennent avec la nature55, mais également du rapport que les hommes
entretiennent avec l’Etat56. A ce dernier titre, le terme de « governance instruments » (p.120),
utilisé par De Bruijn et Heuvelhof (1997) est éloquent, au même titre que la récente
« réactualisation » de la littérature sur les instruments sous le couvert de la nouvelle
gouvernance57.

Ces différentes « visions » des instruments – et donc du mode de régulation sociale – peuvent
être à l’origine de divergences entre acteurs. Cependant, celles-ci ont également pour origine
les effets « (re)distributifs » des instruments, comme nous allons pouvoir le constater ci-après.

1.10 Les instruments des politiques publiques : indissociables du processus décisionnel


et des acteurs impliqués dans le « jeu politique »

Enfin et pour boucler notre tour d’horizon (non exhaustif) du concept d’instrument de
politique publique, nous soulignerons la définition que Varone (1998) donne de la notion
d’instrument des politiques publiques dans la mesure où celle-ci définit les instruments au
regard de la chaîne causale d’une politique publique (problème  base légale  outputs 

54
Notons que pour Lascoumes et Le Galès (2004), chaque instrument possède sa propre histoire et que ses
propriétés sont indissociables des finalités qu’il poursuit.
55
Sur ce point, voir l’excellent ouvrage de Ost (1995/2003), La nature hors la loi, L’écologie à l’épreuve du
droit.
56
Entendons par là les différentes conceptions que peuvent se faire les individus du rapport entre Etat et société
(du tout Etat au tout privé, de la conception traditionnelle de l’Etat à la nouvelle gestion publique).
57
Pour une « mise au goût du jour » des instruments à la sauce « nouvelle gestion publique/gouvernance », voir
par exemple Eliadis, Hill et Howlett (Ed), 2005, Designing Government, From Instruments to Governance,
Montreal et Kingston, London, Ithaca : McGill-Queen’s University Press, ou Salamon, 2002, The Tools of
Government: A Guide to the New Governance, New York : Oxford University Press.

41
impacts  outcomes). En effet, selon Varone, un instrument, soit un « moyen par lequel
l’Etat conduit des acteurs individuels et collectifs à prendre des décisions et à amener des
actions qui s’avèrent compatibles avec les objectifs de la politique publique » (p.25), est à
considérer comme un élément constitutif des politiques publiques dans la mesure où
l’intervention étatique et les moyens d’actions ne peuvent être dissociés. Ainsi, pour l’auteur :

• les instruments sont indissociables des problèmes collectifs que l’Etat doit résoudre
dans la mesure où l’analyse des politiques publiques postule que ceux-ci sont conçus
pour résoudre de tels problèmes58 ;

• les instruments sont légitimes dans le sens où ils émanent d’une décision politique
prise selon le principe de la légalité (base légale) ; ils possèdent donc une légitimité
démocratique : les instruments sont donc indissociables des objectifs des décideurs
politiques qui légitiment leur choix ;

• les instruments sont mis en œuvre par des acteurs étatiques ou paraétatiques selon une
certaine répartition des compétences et une certaine procédure, acteurs qui doivent
ensuite prendre des décisions administratives pour concrétiser les bases légales en
outputs selon leurs ressources à disposition et en fonction d’une marge de manœuvre
et d’appréciation qui varie : les instruments sont donc indissociables des acteurs
administratifs chargés de leur application ;

• les instruments doivent produire un changement comportemental chez les acteurs


ciblés par l’intervention étatique (impacts), dans la mesure où leurs comportements
sont interprétés comme étant à la source du problème collectif à résoudre : les
instruments sont donc indissociables des groupes qu’ils doivent viser ;

• enfin « le changement de comportement des groupes-cibles visés doit se traduire en


effets concrets (outcomes), visibles au niveau des bénéficiaires de la politique » (p.
29) : les instruments sont donc indissociables des effets qu’ils induisent.

La mise en lumière du concept d’instrument à l’aide de la chaîne causale des politiques


publiques telle que faite par Varone permet également de souligner un aspect des instruments
bien souvent négligé dans la littérature spécialisée : les instruments (et plus forte raison le
choix des instruments) – qui sont naturellement destinés à influencer les acteurs socio-
économiques – supposent également, comme nous l’avons déjà entraperçu dans un chapitre
ultérieur (chapitre 1.6), une modification dans la distribution des ressources, notamment
économiques59 (effets (re)distributifs des instruments). Cette (ré)allocation des ressources
implique à son tour immanquablement des conflits d’intérêt entre les innombrables acteurs
impliqués dans les différentes phases du processus politique. Nous avons dressé un tableau
recensant quelques exemples de sources de conflits d’intérêt potentiels (cf. Tableau 1 ci-
dessous).

58
Pour Pal, (1992), d’ailleurs cité en référence par Varone (1998), l’un des aspects fondamentaux des
instruments réside dans le fait que ceux-ci représentent le lien logique entre un problème et les objectifs d’une
politique.
59
Mais pas seulement, pensons par exemple à l’information ou tout simplement à la liberté d’action.

42
Tableau 1 : Exemples de sources potentielles de conflits d’intérêt entre acteurs dans les différentes
phases du processus politique
Phases du processus politique Exemples d’acteurs impliqués Quelques sources de conflits
(en Suisse) plus ou moins directement d’intérêt potentiels

Émergence du problème sur la Administration locale ou fédérale Incertitude scientifique (principe


scène politique (problèmes Associations de précaution)
collectifs) Elus locaux et nationaux Perception(s) du problème
OI (vision(s) du monde, de la société)
ONG Sensibilité
Partis politiques Partis pris, préjugés
Population etc.
etc.

Processus décisionnels suisse Administration Choix des moyens/acceptabilité


(base légale) Cantons Objectifs poursuivis
Conseil fédéral Hypothèses sur la nouvelle
Phase d’impulsion
Lobbies (associations, ONG, etc.) allocation des ressources
Phase de l’avant projet, de la
Parlement
consultation et du co-rapport
Population
Phase parlementaire
Phase référendaire

Mise en œuvre (outputs, impacts, Administration Nouvelles allocations des


outcomes), analyse, monitoring et Acteurs socio-économiques : ressources, en termes :
évaluation (feedback) public cible (ou destinataires), de compétitivité
bénéficiaires, lésés, profiteurs et de distribution du revenu
resquilleurs d’effets pervers
d’efficacité
d’efficience
d’inégalités
de liberté
etc.

Source : l’auteur

Aussi, n’oublions pas que si les instruments ont avant tout pour objectif premier d’influencer
les comportements, ils ne sont pas dissociables du « jeu politique », un jeu de (distribution de)
pouvoir et donc de la distribution des ressources qu’ils induisent immanquablement.

Instruments are best regarded not as initial shapers of behaviour in policy settings but as
potential shifters of ongoing process of policy action over time. […] Instruments are
usually intended to alter the status quo ; according they carry political implications
regarding changes in the distributions of benefits and costs via governance. (Bressers et
O’Toole, 2005, p. 133)

Les instruments sont donc également indissociables des multiples acteurs qu’ils impliquent et
par conséquent de leur réseau d’interactions (De Bruijn et Heuvelhof, 1997, Bressers et
O’Toole, 2005). Nous avons déjà amplement souligné que les instruments avaient des effets
sur les acteurs ; ils en ont également sur les relations entre acteurs et ne peuvent donc être
dissociés de leur « contexte de réseau [networked contexts] »60 (Bressers et O’Toole, 2005, p.

60
Pour une mise en perspective des instruments dans un contexte de réseau (network perspective) voir par
exemple Bressers (1998), Bressers et O’Toole (1998, 2005) ainsi que Kickert, Klijn, et Koppenjan (Ed), 1997,
Managing Complex Networks: Strategies for the Public Sector, London : Sage.

43
134). Ainsi, les instruments (moyens et objectifs) et acteurs doivent être compris dans leurs
interactions multiples :

Instruments are closely linked with other elements of policy processes. […]. Instruments
are more than final element in a policy process. A more realistic view of policy processes
is to consider actors, goals and means as interacting with each other. (De Bruijn et
Heuvelhof, 1997, p. 121)

Aussi, comme les instruments modifient par essence les rapports entre acteurs, ils sont donc
impérativement liés aux intérêts du réseau d’acteurs en place (statu-quo vs changement) et des
perspectives de réallocations des ressources qu’ils vont impliquer. Leurs effets (re)distributifs
excitent de multiples intérêts, leur introduction induit immanquablement des bénéficiaires et
des lésés, directs et indirects61.

Chapitre 2 Les typologies d’instruments en sciences politiques et


administratives

Définir le concept d’instrument est une chose, établir des typologies d’instrument en est une
autre. Nous verrons dans par la suite ce qu’implique la construction de typologies, notamment
du point de vue méthodologique, et analyserons quels peuvent être les principaux avantages et
défauts des typologies existantes dans la perspective d’une approche instrumentale des
politiques publiques.

Néanmoins, avant de franchir ce pas, nous allons dans un premier temps exposer différentes
typologies, issues de différents domaines de recherche, afin de nous familiariser avec leur
diversité.

Notons que nous utiliserons à dessein, dans cette première partie, les notions de typologies, de
classifications ou de catégorisations (ou de types, de classes, de catégories) comme des
synonymes. Nous distinguerons cependant dans le cadre de notre partie consacrée à la
méthodologie les typologies idéaltypiques (les types idéaux) des autres concepts auxquels
nous venons de nous référer62.

Toutefois, dresser un inventaire « exhaustif » des typologies d’instruments des politiques


publiques ne serait, à notre sens, tout simplement pas possible tant les contributions dans ce
domaine sont nombreuses et éparses. Kaufmann-Hayoz et al. (2001) remarquent, par exemple,
que beaucoup de disciplines, parmi lesquelles la science politique, la science administrative,
la psychologie, le droit et l’économie, ont développé des connaissances dans ce domaine,
chacune en fonction de leur propre base théorique, méthodologique et empirique. Pour ces
auteurs, une revue de cette « base multidisciplinaire [multidisciplinary backround] » (p.93)
nécessiterait plus qu’un simple chapitre.

Nous pensons quant à nous qu’un tel exercice raterai immanquablement sa cible dans la
mesure où la diversité des typologies est telle qu’il s’avère indispensable de cibler sa
61
Nous dirons des destintaires (bénéficiaires et/ou lésés) directs qu’ils sont « le public-cible » et des destintaires
(bénéficiaires et lésés) indirects qu’ils sont touchés de manière « colatérale » pour utiliser un mot à la mode.
62
La quasi totalité des typologies rencontrées dans la littérature ne sont pas des typologies idéaltypiques au sens
wébérien de la notion, du moins elles ne s’en réclament pas explicitement.

44
recherche, par exemple, sur un domaine scientifique particulier et/ou sur une certaine
littérature (anglo-saxonne, germanophone ou francophone), voire sur certaines périodes
temporelles pertinentes.

Ainsi, pour organiser notre chapitre, nous avons choisi, premièrement, de nous référer à la
littérature anglophone et francophone pour des raisons (évidentes) de compréhension63.

Deuxièmement, afin d’illustrer la diversité des typologies existantes, nous allons également
explorer quelques domaines disciplinaires différents. Notons ici que le choix des exemples
reflète plus la pertinence des typologies choisies vis-à-vis de notre propre démarche, qu’un
choix systématique qui se voudrait être représentatif des différents domaines étudiés.
Néanmoins, dans le domaine de la science politique, nous pensons tout de même avoir abordé
les principales typologies.

Les domaines auxquels nous ferons référence seront la science politique d’une part64
(chapitres 2.1 et 2.2) et l’économie, le droit et la psychologie d’autre part (chapitre 3).

Notons enfin que nous nous contenterons dans ces quelques chapitres de présenter les
différentes typologies d’instruments proposées dans la littérature en abordant que très
furtivement (pour des raisons de compréhension) la manière et les « méthodes » employées
pour les produire et les utiliser, ainsi que leurs avantages et inconvénients. Ces
développements feront l’objet de la partie méthodologique.

2.1 Les précurseurs

Dans le domaine de la science politique, une véritable discussion théorique sur les instruments
des politiques publiques ne s’instaure, selon Varone (1998), que dès la fin des années 70, à la
suite d’une série de publications de divers auteurs, parmi lesquels nous trouvons Salamon
(1981) et Hood (1983). L’analyse de l’intervention étatique alors initiée retient dès lors
comme point de départ les instruments d’action de l’Etat et implique ainsi la nécessité de

63
Néanmoins, nous pouvons renvoer les lecteurs familiarisés avec la langue de Goethe et qui voudraient tout de
même se référer à des ouvrages de synthèse issus principalement de la littérature allemande dans le domaine, à
Kaufmann et Rosewitz (1983). Typisierung und Klassifikation politischer Massnahmen. In R. Mayntz,
Implementation Politischer Programme II. Königstein TS. (pp. 25-49), qui, comme le souligne Kaufmann-
Hayoz et al (2001), offrent une présentation générale des classifications importantes en science politique ou à
König et Dose (Ed). (1993), Instrumente und Formen staatlichen Handelns. Verwaltungswissenschafltiche
Abhandlungen (Band 2). Köln : Carl Heymanns Verlag, qui, comme l’indique Varone (1998) et Kaufmann-
Hayoz et al. (2001), à la suite de Kaufmann et Rosewitz, recensent de manière très détaillée et quasiment
« exhaustive » les différentes classifications issues des sciences politiques, juridiques, économiques et
administratives de langue allemande (notamment les typologies traditionnelles de Sharf, Mayntz et Windhoff-
Heritier). Comme source plus directe concernant les typologies néerlandaises cette fois, nous pouvons également
indiquer les typologies de Geelhoed (1983), De interveniërende staat: aanzet voor een instrumentenleer.’s-
Gravenhage: Staatzuitgeverij et de Van der Doelen (1989). Enfin, pour les lecteurs qui, comme nous, ne seraient
pas familiers avec la langue de Goethe, nous les renverrons volontiers (bien sûr en lectures complémentaires à
nos développements) à Varone (1998) qui discute des classifications issues de la littérature anglo-saxone cette
fois et qui donne d’innombrables références en la matière ou à Kaufmann et al. (2001) qui indiquent quelques
pistes et pointent les principales sources et approches pertinentes dans les domaines de la jurisprudence, des
sciences politiques, des sciences économiques et de la psychologie.
64
Ayant fait la totalité de notre cursus universitaire dans ce domaine et briguant un doctorat mention science
politique, c’est donc tout naturellement que nous privilégierons cette approche, même si nous nous intéresserons
également aux autres domaines, dans une optique interdisciplinaire.

45
dresser des typologies d’instruments. En d’autres termes, il s’agit dès lors d’interpréter l’Etat
« as a tool-kit » (p.2) selon l’expression employée par Hood (1983/1990).

Néanmoins, nous pensons qu’aborder les instruments (et leurs typologies) ne peut se faire
sans faire référence à quelques « autres » précurseurs. Nous avons ainsi choisi d’aborder ce
chapitre en combinant une approche « historique » et « pragmatique » en débutant avec quatre
typologies souvent citées en référence par bon nombre d’auteurs, à savoir celles de Dahl et
Lindblom (1953/1992), Etzioni (1961), Lowi (1964, 1966, 1972) et Hood (1983/1990).

Bien que leurs typologies ne portent pas toutes explicitement sur la notion d’instruments des
politiques publiques, ces auteurs peuvent être considérés selon nous comme les précurseurs de
l’analyse des politiques publiques en termes « d’instruments ».

2.1.1 Les continuums de Dahl et Lindblom (1953)


Selon Linder et Peters (1998), dans le domaine de la science politique, les fondements de
l’étude des instruments étatiques ont été posés par Dahl et Lindblom (1953) dans le courant
des années 1950. C’est en effet ces derniers qui placèrent au centre de l’analyse de l’Etat la
question des techniques d’intervention.

En effet, pour Dahl et Lindblom (1953/1992), le débat entre les grandes idéologies sur la
conception du fonctionnement des sociétés – entendons le capitalisme vs le socialisme – est,
dès la moitié du XXe siècle, déjà dépassé et la question pertinente s’est reportée sur les
techniques de contrôle social. Ainsi, pour les auteurs, le questionnement doit désormais se
porter sur les réformes en termes de techniques d’actions sociales et non en termes de grandes
alternatives sociétales :

Plan or no plan is no choice at all ; the pertinent questions turn on particular techniques:
Who shall plan, for what purposes, in what conditions, and by what devices? […].
Reform may pass through breaking points. Even so, further debate on the old alternatives
shows no promise of discovering these points, if there are any. Nor does it succeed in
turning attention to the countless particular social techniques out of which “systems” are
compounded. […] In economic life the possibilities for rational social action, for
planning, for reform – in short, for solving problems – depend not upon our choice
among mythical grand alternatives but largely upon choice among particular social
techniques. (p. 5-6)

Ainsi, pour Dahl et Lindblom, les réformes à entreprendre pour résoudre les problèmes
sociétaux doivent désormais relever d’un questionnement sur la rationalité de l’action sociale
et donc sur le choix à faire parmi les nombreuses alternatives « techniques politico-
économiques [politico-economic techniques] » (p. 6) existantes. Ce choix, désormais très
large, découle d’un processus rapide d’innovation qui a eu lieu dans ce domaine et qui a mené
à un accroissement considérable des techniques d’intervention politico-économiques (cf.
Encadré 2, ci-après).

46
Encadré 2 : L’innovation dans le domaine des techniques d’intervention politico-économique chez
Dahl et Lindblom
Dans les années 50, découvertes, inventions et imagination ont permis une croissance fulgurante de
l’innovation dans le domaine de l’action sociale rationnelle. Selon Dahl et Lindblom, ce taux d’innovation
(rate of innovation) des techniques sociales a été extrêmement rapide et peut être expliqué de manière
hypothétique par :
1) le développement de la démocratie ;
2) le fait d’appréhender les réformes du point de vue des techniques particulières et non des grandes
alternatives de société (corollaire à la première hypothèse) ;
3) la stimulation de la recherche dans le domaine des mécanismes sociaux (aussi bien que
technologiques) de contrôle social ;
4) les découvertes et l’invention de nouvelles techniques sociales (qui sont en grande partie le produit
des sciences sociales, qui sont elles-mêmes assez nouvelles à cette époque et parmi lesquelles il faut
notamment relever le rôle de la psychologie dans la compréhension des moyens d’influencer les
comportements) ainsi que l’alphabétisation, l’éducation et les révolutions technologiques dans le
secteur des communications.
Source : adapté de Dahl et Lindblom (1953/1992)

Ce processus d’innovation – à la fois scientifique et politique – est si rapide et d’une


importance telle qu’il fera dire aux auteurs que la rapidité d’innovation qui caractérise
l’évolution des techniques sociales à leur époque « est peut-être la plus importante révolution
politique de notre temps [is perhaps the greatest political revolution of our times] » (p. 8).

Ainsi, selon les auteurs (Dahl et Lindblom, 1953/1992), les alternatives d’intervention étant
dès lors plus nombreuses que par le passé, la sélection des techniques politico-économiques
devient un enjeu important dans la perspective de résoudre des problèmes particuliers,
impliquant un haut degré de sélectivité qui à son tour induit une plus grande précision et une
adaptation plus fine du choix des moyens.

Aussi, Dahl et Lindblom choisissent d’analyser cette nouvelle complexité à laquelle ils se
voient confrontés en classant les différents instruments auxquels ils ont à faire le long de cinq
continuums constitués par deux pôles opposés (cf. Tableau 2, ci-après).

Comme le constate Howlett (1991), Dahl et Lindblom utilisent la méthodologie du continuum


pour établir leur typologie des instruments. Pensant que le nombre d’instruments politico-
économiques différents est virtuellement infini, ils n’ont donc pas tenté de développer une
liste exhaustive ou une classification des techniques existantes et se sont uniquement
concentré à décrire, sur la base de leurs cinq continuums, les différences et les similitudes
existantes dans le choix instrumental des gouvernements dans certains secteurs d’activité.

Notons dores et déjà, pour anticiper nos réflexions sur la méthodologie employée (développés
dans la partie méthodologique) les quelques remarques suivantes concernant la typologie de
Dahl et Lindblom (1953/1992) :

• ces continuums ne sont que d’une nature illustrative et doivent être considérés comme
des « systèmes compréhensifs [comprehensive systems] » (p. 9) ;

• par ailleurs, les différentes techniques que les auteurs positionnent sur les différents
continuums doivent être considérées comme des « types » à l’intérieur desquels des
gradations peuvent également exister (cf. Annexe 1) ;

47
• ce positionnement peut d’ailleurs être parfois arbitraire et donc remis en question
puisqu’il découle d’un jugement subjectif plus que d’une démonstration factuelle.

Tableau 2 : Une typologie des instruments de « type » continuum

Continuum 1 Continuum 2
instruments impliquant des acteurs/agences… instruments de nature plutôt…
…publiques …obligatoire/contraignante
(government Ownership) (compulsive techniques)
ou ou
…privées …persuasive/informative
(private enterprise) (information/education techniques)

Continuum 3 Continuum 4
instruments impliquant un contrôle des instruments impliquant une organisation avec
dépenses… une adhésion…
…direct …volontaire
(direct control) (voluntary organization)
ou ou
…indirect …obligatoire
(indirect control) (compulsory organization)

Continuum 5
instruments impliquant des agences gouvernementales…
…autonomes
(procedures possessing a high degree of autonomy)
ou
…non-autonomes (soumises à la hiérarchie gouvernementale)
(procedures closely supervised by central government officials - prescription by a hierarchical superior)
Source : adapté de Dahl et Lindblom (1953/1992) et Howlett (1991)

Nous noterons que par la suite, Lindblom (1977), dans un ouvrage qui par ailleurs n’est
jamais cité en référence, identifie trois types de « méthodes fondamentales de contrôle social
[Basic Methods of Social Control] » (p. 11). (cf. Tableau 3, ci-après)

Notons pour conclure que, selon Lindblom (1977), il existe de multiples façons d’influencer
les comportements. Habituellement, les classifications distinguent les méthodes qui vont
avoir un effet direct sur les payoffs (récompenses ou pénalités) des individus de celles qui
modifient seulement la perception qu’ils en ont. Cependant, l’auteur note que toutes les
modalités de contrôle social n’entrent pas de manière satisfaisante dans ces deux catégories.
Aussi, afin de prendre en compte une certaine complexité, propose-t-il d’analyser les
mécanismes de contrôle social en fonction des trois types que nous venons d’aborder.

48
Tableau 3 : Les trois types de mécanismes élémentaires pour le control social

Relation d’autorité (authority relation) caractérisée par l’obéissance ;


Types d’autorité : autorité acceptée sur une sur base volontaire
(voluntary authority) vs autorité concédée (grant authority) vs autorité
coercitive (coerced authority)
Autorité - Etat
Autorité indirecte (oblique authority vs indirect authority) : notamment
Authority - State
pour altérer les termes de l’échange (par exemple par la taxation) 
contrôle indirect de l’économie.
Autorité étendue (extended use of authority) : exercice de l’autorité de
manière indirecte par un « effet domino »

Relation d’échange (exchange relation) caractérisée par un bénéfice


Echange - Marché
mutuel ;
Exchange – Market
Médium : prix (monnaie)

Communication persuasive (persuasive communication) : information,


Persuasion – Système de
endoctrinement, instruction, propagande, consultation, conseils,
persuasion/d’endoctrienement
exhortation, éducation, etc.
Persuasion – Preceptoral System
Persuasion rationnelle/inconsciente vs persuasion irrationnelle/consciente

Note : Lindblom fait également référence aux codes moraux (moral codes) qui pourraient être présentés
comme un quatrième type, cependant, il ne considère pas cette catégorie comme méritant la même attention
qu’exigent les trois premiers types dans la perspective d’analyser les organisations politico-économiques.
Source : adapté de Lindblom (1977)

2.1.2 Les types de pouvoirs et d’implication d’Etzioni (1961)


Dans son ouvrage, A Comparative Analysis of Complex Organizations. On Power,
Involvement, and their Correlates, Etzioni (1961/1971) étudie les organisations, qu’il définit
comme des unités sociales – qui partagent par ailleurs bon nombre de caractéristiques
communes avec l’organisation bureaucratique wébérienne – dévouées à atteindre des objectifs
par la régulation sociale des comportements humains.

Son analyse comparative des organisations se fonde sur une classification de ces dernières en
fonction de deux typologies, l’une différenciant trois types d’exercice du pouvoir (three kinds
of power) par le détenteur de celui-ci et l’autre trois modèles de participation des acteurs
soumis à ce pouvoir (three kinds of involvement). Ces deux typologies, une fois associées
dans une matrice de type 3x3 définissent neuf types d’organisations. Celles-ci découlent d’une
analyse de la nature de la relation de pouvoir entre l’acteur exerçant le pouvoir et l’acteur s’y
soumettant en termes de relations de conformité (compliance) (cf. Figure 1 ci-après).

L’analyse d’Etzioni débouche ainsi sur une typologie des organisations qui s’avèrent très
pertinentes dans notre optique instrumentale, et ce à plusieurs titres.

Premièrement, la typologie des pouvoirs d’Etzioni peut être interprétée comme une
classification des moyens permettant de mettre en conformité les acteurs avec les objectifs
visés par les organisations. En d’autres termes, les trois types de pouvoir défini par Etzioni
peuvent également être interprétés comme des instruments de contrôle sociaux à la disposition
des organisations sociales – dont l’Etat en est une des principales – à des fins de régulation
(voir sur ce point Vedung, 1998).

49
Figure 1 : Organisations et régulation sociale
Organisations  régulation sociale
 conformité  pouvoir/participation

Trois types de pouvoir : coercitif, rémunérateur et normatif


Supports/moyens du pouvoir : récompenses ou privations physiques, matérielles ou symboliques
Pouvoir (power)
Exercice du pouvoir (dimension structurelle)

Acteur A Conformité (compliance) Acteur B

Réponse à l’exercice du pouvoir (dimension motivationnelle)


Participation (involvement)
Orientation de la participation : aliénation (alienation) vs engagement volontaire (commitement)
Trois types de participation : aliénative, calculatrice et morale

Source : adapté de Etzioni (1961/1971)

Deuxièmement, les trois types de participation peuvent également être interprétés comme
étant des effets possibles des instruments de régulation. Dans ce sens, ils peuvent également
constituer une typologie des instruments au regard de leurs effets du point de vue des acteurs
cibles.

Enfin, la combinaison de ces deux typologies (trois types de pouvoir x trois types de
participation) débouche sur une typologie de type 3x3 qui peut par conséquent être également
interprétée comme une classification des instruments de régulation sociale.

A) Les trois types de pouvoir (three kinds of power)


La classification du pouvoir65 organisationnel d’Etzioni (1961/1971, voir également Vedung,
1998) distingue trois types de pouvoir :

• Le pouvoir de contrainte (coercive power) : il se fonde sur l’application de sanctions


physiques66 ou sur la peur qu’engendre la possibilité d’une telle application ;

• Le pouvoir rémunérateur (remunerative power) : il se fonde sur le contrôle des


ressources67 matérielles monétaires ou non-monétaires ;

• Le pouvoir normatif (normative power) : il se fonde sur l’allocation et la manipulation


des récompenses et privations symboliques68 ; le pouvoir normatif est synonyme de

65
Etzioni (1961/1971) définit le pouvoir (power) comme la capacité d’un acteur à induire un comportement
conforme à ses intentions.
66
Les sanctions physiques vont de la prescritption de châtiments corporels à la peine de mort, de la restriction
des libertés (par exemple de mouvement) au contrôle par la force de la satisfaction des besoins (nourriture,
confort, etc.).
67
Ces ressources vont notamment de la distribution des revenus (salaires et autres commissions ou contributions)
à la gestion des biens et services, en passant par l’attributrion d’avantages accessoires en cash ou en nature.
68
Celles-ci vont notamment de l’usage du leadership à la manipulation des mass media, en passant par
« l’allocation » de l’estime et du prestige.

50
pouvoir persuasif, manipulateur ou suggestif, terme qui cependant possède une
connotation négative qui pourrait le desservir.

B) Les trois types de participation/d’implication des acteurs subordonnés au pouvoir


(three kinds of involvement)
Selon Etzioni (1961/1971), le niveau de participation (involvement) des acteurs subordonnés à
des relations de pouvoir peut être orienté dans le sens de l’aliénation (alienation) ou de
l’engagement volontaire (commitment). Les organisations, puisque c’est là le sujet principal
de son étude, doivent constamment user de moyens pour réaliser leurs objectifs dont le plus
important, constate Etzioni, est la nature même de l’orientation que prend la réponse des
acteurs subordonnés vis-à-vis du pouvoir exercé par l’acteur « supérieur ». Cette orientation
peut être négative, soit d’une nature aliénante, ou positive, soit d’une nature volontaire. De là,
Etzioni définit trois types de participation/implication :

• la participation/implication aliénante (alienative involvement) : elle est rattachée à


l’orientation aliénante des comportements ; elle peut être caractérisée par la relation
entre l’esclave et son maître ;

• la participation/implication calculée (calculative involvement) : elle est rattachée à


l’orientation mixte des comportements (aliénante et volontaire) ; elle peut être
caractérisée par les relations entre producteurs et consommateurs sur le marché (calcul
coût bénéfice).

• la participation/implication morale (moral involvement) : elle est rattachée à


l’orientation volontaire des comportements ; elle peut être caractérisée par la relation
du croyant envers Dieu.

C) Synthèse et éclaircissements
Le parallélisme direct que nous avons établi entre les différentes typologies d’Etzioni et les
instruments des politiques publiques mérite encore les éclaircissements suivants. Au-delà du
fait que l’analyse d’Etzioni, comme nous l’avons déjà vu, peut être appliquée à l’Etat dans la
mesure où ce dernier est une organisation (bureaucratique) qui veut atteindre des objectifs par
la mise en ouvre de moyens de régulation des comportements sociaux, il est important de
comprendre que l’analyse de l’auteur (Etzioni, 1961/1971) :

• est une étude des organisations qui souligne l’importance de la nature du processus qui
guide la mise en conformité (compliance) des comportements au sein de la relation de
pouvoir bidirectionnelle qui officie entre le détenteur du pouvoir et celui qui le
« subit » ; dans cette perspective, la « compliance » est un élément universel qui existe
dans toutes unités organisationnelles et un élément majeur de la relation entre le
détenteur du pouvoir et ceux sur qui il est exercé ;

• est une étude qui s’intéresse en d’autres termes aux conditions de l’ordre social (social
order), un thème cher à la sociologie qui explique cet ordre de trois façons
différentes : l’approche élitiste (elite approach) qui explique l’ordre social par la
distribution hiérarchique de la force, l’approche marxiste (marxian approach) qui
l’explique par la distinction et le lien déterministe bien connus entre infrastructure
(institutions qui règlent la production et la circulation des biens et des services,

51
système économique) et superstructure (système politico-juridique et système
idologique) ; ainsi Etzioni pose l’hypothèse qu’il existe trois sources majeurs de
contrôle sociétal, la contrainte (coercion), le capital (economic assets) et les valeurs
morales/normatives (normative values) ; par parallélisme il existe donc trois types de
« compliance » qui servent de base comparative pour les organisations : contraignante
(coercive compliance), utilitariste (utilitarian compliance) et normative (normative
compliance). Chacune représente un type d’ordre social.

• dans la perspective d’Etzioni, la « compliance » est l’équivalent organisationnel de


l’ordre social ; l’étude d’Etzioni est donc une étude sur les conditions de l’ordre social
au niveau des organisations à l’aide du pouvoir (power), de la
participation/implication (involvement) et de la mise en conformité (compliance).

Aussi, les trois types de pouvoir et de participation/implication d’Etzioni peuvent être


interprétés comme deux typologies d’instruments politiques. La première distingue trois types
« d’instruments » sur la base des ressources misent en œuvre par l’Etat (ressources
coercitives, rémunératives et normatives) alors que la seconde distingue trois types
« d’instruments » en fonction de la nature des réponses comportementales des acteurs ciblés
par l’exercice du pouvoir (orientation des comportements selon une participation/implication
de nature aliénative, calculée et morale). De même et par conséquent, les neufs types
d’organisation définis sur la base du croisement de ces deux typologies peuvent être
interprétés comme une typologie des instruments politiques.

2.1.3 Lowi (1964, 1966, 1972) : les trois puis quatre types de politiques
Selon Howlett (1991), la plupart des études sur les instruments ont pour origine plus ou moins
directe les travaux de Lowi, qui sans nul doute ont eu une grande influence sur ses
prédécesseurs. Ils peuvent ainsi être élevés au rang des « travaux précurseurs » (Schneider et
Ingram, 1990) sur les instruments compris en tant que phénomène politique.

Lowi (1966, 1972, cité par Howlett, 1991) a tenté de catégoriser les types de politiques tout en
les différenciant sur le critère de la coercition (coerciveness), adoptant ainsi l’idée originale de
Cushman (1941, cité par Howlett, 1991) selon laquelle il est possible d’analyser l’activité
gouvernementale en fonction de son degré de coercition : « il [Lowi] prétend qu’une matrice
de quatre cellules basée sur la spécificité de la cible de la coercition et de la probabilité de son
application réelle peut suffire à différencier les principaux types d’activité étatique [He
[Lowi] argued that a four-cell matrix based on the specificity of the target of coercion and the
likelihood of its actual application would suffice to distinguish the major types of government
activity] » (Howlett, 1991, p. 2)

Selon Lowi (1966, 1972, cité par Howlett, 1991), nous pouvons différencier trois types de
politiques :

1. les politiques distributives faiblement sanctionnées, à ciblage individuel (the weakly


sanctioned and individually targeted distributive policies) ;

2. les politiques de régulation fortement sanctionnées, à ciblage individuel (the


individually targeted and strongly sanctioned regulatory policies);

52
3. les politiques redistributives fortement sanctionnées, à ciblage collectif (the strongly
sanctioned and generally targeted redistributive policies).

A ces trois types, l’auteur ajoutera par la suite une quatrième catégorie :

4. les politiques constitutives faiblement sanctionnées, à ciblage collectif (the weakly


sanctioned and generally targeted category of constituent policy).

Selon Lowi (1964, 1972, cité par Schneider et Ingram, 1990), chacun des quatre types de
politiques a induit un modèle distinctif participatif, caractérisé notamment par le modèle
pluraliste pour les politiques de régulation et le modèle élitiste pour les politiques
distributives.

Cependant, selon Howlett (1991), la typologie de Lowi reste difficilement opérationalisable et


possède même des contradictions de cohérence interne. Elle n’a donc été que rarement
appliquée.

2.1.4 Hood (1983) : l’Etat, une boîte à instruments


Selon Varone (1998), une discussion théorique poussée sur l’apport de l’analyse de l’action
étatique en termes d’instruments ne s’instaurera qu’à la suite des publications rapprochées de
Doern et Phidd (1978, 1983), Salamon (1981), Trebilcock et al. (1982), Hood (1983) et
Atkinson et Chandler (1983). Hood (1983/1990) est sans nul doute celui qui aura le plus
contribué à définir l’Etat comme une boîte à instruments (toll-kit). Ses travaux ont par ailleurs
été fortement influencés par ceux de Lowi (Howlett, 1991).

Selon Lascoumes et Le Galès (2004), l’ouvrage de Christopher C. Hood, The Tools of


Governement, dont la première édition date de 1983, « constitue le point de référence des
travaux contemporains sur les instruments. C’est le premier ouvrage qui a développé une
perspective analytique rigoureuse et systématique qui s’inscrit, à l’époque, dans le débat sur la
mise en œuvre des politiques publiques ». (p. 359)

L’étude de Hood (1983/1990) propose en effet une typologie des instruments digne d’intérêt,
notamment sur le plan de sa conception et de son utilisation69. Cependant, sur le plan du
« produit fini », sa typologie est fondée sur une première distinction entre, d’une part, les
instruments permettant à l’Etat de recueillir (détecter) de l’information sur son environnement
et, d’autre part, ceux destinés à agir sur celui-ci. Ces deux types d’instruments sont
respectivement nommés par Hood « détecteurs et effecteurs [detectors and effectors] » (p. 3).
Cette distinction, que l’auteur emprunte à la science des systèmes (de contrôle), la
cybernétique70, caractérise ainsi les deux fonctions principales d’un Etat, soit celles qui
consistent pour lui à s’informer et à agir (à avoir un impact) sur la société et les acteurs qui la
composent71.

69
Nous reviendrons sur ce point de manière plus explicite dans le cadre de la 2e partie de notre recherche (voir
e
2 partie, chapitre 6, point 6.1)
70
D’après laquelle les deux capacités essentielles d’un système de contrôle sont de détecter l’information et
d’agir sur son environnement, aucun système ne se contentant de rester passif vis-à-vis de son environnement.
71
Ainsi, comme le souligne Pal (1992), le gouvernement, comme tout système de contrôle (thermostat, missile,
etc.) a besoin d’instruments pour s’informer et agir sur son environnement.

53
L’Etat possède donc deux types d’instruments :

• des instruments de détection afin d’observer et d’acquérir de l’information sur son


environnement  instruments d’information (detectors) ;

• des instruments d’action qui ont pour effet d’agir sur son environnement sur la base de
l’information qu’il aura recueillie  instruments d’action (effectors).

Une seconde distinction est également faite par Hood (1983/1990) qui différencie quatre
ressources principales dont l’Etat dispose et qui peuvent être associées chacune à un type
d’instruments (cf. Encadré 3 ci-dessous).

Encadré 4 : Les quatre ressources engagées pour la mise en œuvre des instruments
Chez Hood (1983/1990), les quatre ressources étatiques qui permettent la mise en œuvre des instruments
découlent de la propriété de l’Etat :
• à être positionné au centre d’un réseau social/d’information ou en d’autres termes à être un nœud (en
langage informatique, un nœud est un lieu de jonction des canaux d’information) ;
 Nodality
 Instruments nodaux (ou de communication) / information*
• à posséder le pouvoir légal de contraindre (d’interdire, d’obliger, de garantir, etc.) ;
 Authority
 Instruments contraignants/autoritaires / règles prescriptives*
• à posséder des ressources fongibles (stock de capital monétaire mais pas seulement) ;
 Treasure
 Instruments financiers / incitations financières*
• à posséder des ressources organisationnelles sous la forme de ressources humaines (fonctionnaires et
compétences), de territoire, d’infrastructures et d’équipements (Cette ressource est souvent liée avec
les trois autres mais ce n’est pas seulement un dérivé de ces trois ressources.).
 Organisation
 Instruments organisationnels / capacité organisationnelle*
* traductions issues de Varone (1998)
Source : adapté de Hood (1983/1990)

En d’autres termes, le second critère de classification des instruments utilisé par Hood sont les
différentes ressources qui peuvent être engagées lors de leur mise en œuvre (Varone, 1998).

Cette distinction est qualifiée par l’auteur par le terme « système NATO [‘The NATO
scheme’] » (p. 4), acronyme des quatre ressources basiques de l’Etat que sont Nodality,
Authority, Treasure et Organisation.

Par croisement des deux distinctions – relatives pour l’une aux deux fonctions principales de
l’Etat (détecter et agir) et pour l’autre aux quatre ressources de base (nodalité, autorité, trésor
et organisation) et qui définissent chacune respectivement deux et quatre types d’instruments
– Hood (1983/1990) peut dès lors distinguer huit types d’instruments différents qui se
trouvent à l’interface des deux systèmes bien distincts que sont l’Etat et la société (son
environnement) (cf. Tableau 5 ci-après).

54
Tableau 4 : Huit instruments à l’interface Etat-Société

Instruments de
détection (ID) et
Caractéristiques des instruments Ressources
Instruments d’action
(IA) typiques

Capacité de recueillir de l’information et


d’informer enquêtes (ID)
Activité : communication Nodalité conseils/informations
Limite : Crédibilité (IA)

SOCIETE / ACTEURS SOCIAUX


médium/support : messages

-
Capacité d’échanger, d’utiliser des
ressources fongibles
consultants (ID)

Niveau de contrainte
Activité : échange Trésor
ETAT

subvention/prêts (IA)
Limite : fongibilité des ressources
médium/support : « monnaie »

Capacité de déterminer/contraindre de
manière unilatérale via la législation
Activité : déterminer/contraindre enregistrements (ID)
Autorité
Limite : durée légale lois (IA)
médium/support : symboles/signes
d’autorité officielle

Capacité physique d’agir directement +


Activité : action directe
statistiques (ID)
Limite : stock de ressources Organisation
services (IA)
organisationnelles
médium/support : traitements

Source : adapté de Hood (1983/1990) et Howlett (1991)

Notons ici que selon Hood (1983/1990), les quatre ressources distinguées sont différentes
dans leur modalité d’exécution. Par exemple, certaines ressources introduisent plus de
contrainte que d’autres. De manière très schématique et simple et sachant que les instruments
nodaux influent sur la connaissance et les attitudes des acteurs sociaux, les instruments de
type financier influencent la pesée d’intérêt des acteurs, les instruments contraignants-
autoritaires impliquent des droits, des statuts et des devoirs et les instruments organisationnels
impliquent de manière directe l’environnement physique ou les acteurs72, Hood indique que le
niveau de contrainte des instruments augmente dans le sens nodalité  trésor 
autorité/organisation.

Notons par ailleurs que selon Hood, les instruments d’action peuvent être appliqués :

• de façon « généraliste » : ils peuvent être destinés à un public très large comme
l’ensemble de la population d’un pays par exemple (niveau général) ;

• de manière beaucoup plus spécifique et particulière: ils peuvent être destinés à des
individus lambdas dans des cas particuliers (niveau individuel) ;

72
« In very simple terms it could be said that ´nodality’ works on your knowledge and attitudes, ‘treasure’ on
your bank balance, ‘authority’ on your rights, status and duties, and ‘organization’ on your physical
environment or even on your person. » (Hood, 1983, p. 7)

55
• ou encore à un niveau intermédiaire : ils peuvent être destinés à des groupes cibles tels
que les agriculteurs par exemple (niveau du groupe).

Ainsi, mais sans entrer dans les détails, nous pouvons donc dresser une liste de douze types
particuliers d’instruments d’action étatique (cf. Annexe 2).

Notons enfin que selon Howlett (1991), la classification de Hood, qui comme nous l’avons vu
se fonde sur les ressources utilisées par l’Etat, a pour vertus principales d’être relativement
claire et peut ainsi servir d’excellente synthèse de bon nombre de classifications basées sur les
ressources73. Howlett synthétise d’ailleurs la classification de Hood conformément au tableau
ci-dessous.

Tableau 5 : La classification de Hood vu par Howlett

Information Finance
Autorité Organisation
(Nodality/ (Treasure/
(Authority) (Organization)
Information) Finance)
Services
Instruments d’action Conseil Subventions, prêts Lois
(Service
(Effectors) (Advice) (Grants, Loans) (Laws)
Delivery)
Instruments de détection Enquêtes Consultation Enregistrement Statistiques
(Detectors) (Surveys) (Consultants) (Registration) (Statistics)

Source : Howlett (1991, adaptant Hood (1986))

2.2 Quelques autres typologies d’instruments

Suite à cette brève introduction consacrée aux typologies des « précurseurs », nous nous
proposons maintenant d’aborder les (multiples) autres typologies issues de la littérature en
science politique (comprise au sens large).

Selon Vedung (1998), il existe deux types d’approche typologisante des instruments :

• l’approche minimaliste qui consiste à créer un petit nombre de catégories génériques


de base dans le but de classer les instruments ;

• l’approche maximaliste qui consiste à dresser de longues listes d’instruments (qui se


rapprochent plus d’un inventaire « exhaustif » que de catégories générales).

Entre ces deux pôles (typologies minimales et maximales), tout un éventail de possibilité
existe dont nous allons vous livrer quelques exemples.

A cette fin, nous organisons ce deuxième chapitre consacré à la revue des typologies en
fonction de catégories construites sur la base du nombre d’instruments défini par les
typologies. Nous passons ainsi des typologies binaires distinguant deux catégories
d’instruments aux typologies à trois, puis quatre, puis cinq, puis six (et plus) instruments.

73
Par contre, note Howlett (1991), contraitement à beaucoup d’autres auteurs qui utilisent l’approche par les
ressources, Hood partage la notion de la substituabilité technique des instruments.

56
Dans le cadre de chacune de ces catégories, nous nous sommes efforcés, dans la mesure du
possible, d’analyser les typologies de manière chronologique (selon la date de leur première
publication), tout en mettant l’accent de manière plus importante sur une ou deux typologies
intéressantes, tant sur le plan de leur développement que sur le plan de leur
« représentativité ».

Notons ici que les difficultés principales de l’exercice résident tant dans la multitude des
typologies qui rend l’exhaustivité de l’exercice difficile (voire impossible), que dans le niveau
très différent de développement théorique des typologies selon les auteurs. Dès lors,
l’articulation de ces différentes typologies en un chapitre cohérent évitant au plus les
redondances mais n’omettant pas les singularités propres à chaque typologie méritant d’être
soulignées est périlleuse.
De tels exercices, plus ou moins poussés, ont déjà été entrepris par exemple par Kaufmann et
Rosewitz (1983), Salamon et Lund (1989), Salamon (1989, 2002), Schneider et Ingram
(1990) Howlett (1991), König et Dose (1993), Howlett et Ramesh (1995), Vedung (1998),
Varone (1998), Kaufmann-Hayoz et al. (2001). La plus part sont d’une nature tellement
synthétique que les typologies exposées s’en trouvent selon nous desservies.

2.2.1 Typologies puissance 2


Selon Vedung (1998), les typologies les plus simples sont celles construites sur la base de
deux catégories antinomiques (division binaire ou duale), par exemple, celles qui différencient
les instruments d’encouragement des instruments de dissuasion, les instruments positifs des
instruments négatifs, les instruments contraignants des instruments non contraignants, etc.
D’une manière plus nuancée, ce type de typologie peut également être construit sur la base de
deux pôles formant un continuum74.

Un exemple de typologie duale est donné par Bringham et Brown (1980, notamment cité par
Vedung, 1998) qui établit une distinction entre pénalités (Penalties) et incitations (Incentives),
préférant cette dernière à la distinction souvent établie entre méthodes coercitives (coercive
methodes) et méthodes rémunératives (remunerative methodes).

La dichotomie de Bringham et Brown (1980) renvoie implicitement à la distinction plus


familière qui est faite entre le bâton et la carotte ou, en d’autres termes, entre la punition et la
récompense, entre les coûts et les bénéfices75. Dans cette perspective, les sanctions (punitions,
amendes, peines, etc.) – qui impliquent des conséquences négatives imposées par les autorités
pour la violation de la loi – sont considérées comme des instruments pénalisants. A l’inverse,
les subventions, les exemptions et autres instruments d’incitation positive de nature non
rémunérative sont considérés comme des instruments facilitateurs qui permettent d’inciter à
une modification volontaire des comportements. Il s’agit là d’une typologie de nature
dichotomique ou « bipolaire » (cf. Tableau 6 ci-après).

74
Si les premières ont tendance à pousser à la classification des instruments, les secondes incitent par nature plus
à analyser les instruments sur la base des continuums que de les classer de manière définitive (voir par exemple
la typologie de Bressers et O’Toole (1998) développée dans le cadre du chapitre 2.2.1).
75
Une typologie de nature identique est également utilisée par Bernard (1939, cité par Vedung, 1998).

57
Tableau 6 : Typologies dichotomiques - bipolaires

Pôle négatif vs Pôle positif

Restriction vs Promotion

Pénalité vs Incitation positive

Bâton vs Carotte

Punition vs Récompense

Coût vs Bénéfice

Sanction négative vs Mesure facilitatrice

Source : adapté de Vedung (1998)

Dans une toute autre perspective, Bressers et O’Toole (1998) identifient six caractéristiques
des instruments (cf. Annexe 3) que l’on peut interpréter chacune comme des typologies de
type duale définies sur la base de continuum :

1. le degré à travers lequel l’instrument implique une fourniture ou le retrait de


ressources ;

2. le degré de liberté du choix de l’exécution de l’instrument par le groupe cible ;

3. le degré de uni/bi et multilatéralité ;

4. le degré de normativité ;

5. le degré de proportionnalité ;

6. et le degré du rôle du gouvernement dans la mise en œuvre de l’instrument.

Pour Vedung (1998), ce type de classifications dichotomiques possède des avantages certains
liés à leur simplicité et est également très fructueux sur le plan théorique. Cependant, ces
typologies possèdent des désavantages importants76 qui poussent l’auteur à affirmer qu’une
classification devrait dissocier trois catégories pour être valable sur le plan théorique et
pratique77.

Vedung fait ainsi remarquer qu’Etzioni (1961) a introduit une troisième dimension normative,
catégorie qui selon Vedung est très importante dans le débat sur les instruments étatiques dans
la mesure où, si la dimension coercitive est l’aspect central du pouvoir de l’Etat, la persuasion
et autres moyens de communication sont actuellement de plus en plus utilisés par les
gouvernements.

76
Nous y reviendrons dans le cadre de la 2e partie de notre recherche (voir 2e partie, chapitre 5, point 5.2).
77
Pour la typologie de Vedung (1998), voir ci-après.

58
2.2.2 Typologies puissance 3
A l’image de la typologie d’Etzioni (1961/1971), il existe bon nombre de typologies
d’instruments différenciant trois catégories. Ainsi, la plupart des typologies triptyques telles
que celles de Doern (1978), Bardach (1980), Gormley (1987), Van der Doelen (1989),
Hoogerwerf (1995), De Bruijn et Heuvelhof (1997) et De Brujin et Hufen (1998) distinguent
toutes – avec quelques nuances certes – trois catégories d’instruments que nous pouvons
regrouper sous les dénominations d’instruments contraignants (ou légaux), d’instruments
incitatifs (ou financiers) et d’instruments de communication (ou d’information) (cf. Annexe
4).

Par exemple, chez Gormley (1987, cité par Schneider et Ingram, 1990a), une distinction – qui
semble selon l’auteur intéressante du point de vue théorique – est celle qui peut être faite
entre :

• les instruments coercitifs (coercive tools), qui regroupent les mesures telles que les
mandats (mandates), les ordres (orders) les exigences (absolute requirements) ou les
interdictions (prohibitions) ;

• les instruments « catalyseurs externes » (catalytic tools) qui permettent d’influencer


les comportements ;

• et les instruments oratoires (hortatory tools) qui amadouent ou menacent les


entreprises d’être en conformité avec les objectifs visés.

Cette distinction se retrouve également chez Van der Doelen (1989, notamment cité par De
Bruijn et Hufen, 1998 et Salamon, 2002) qui distingue quant à lui trois familles
d’instruments : les instruments légaux (legal family), les instruments économiques (economic
family) et les instruments de communication (communication family).

Dans un ouvrage récent, Van der Doelen (1998) identifie également, au sein de ces trois
familles, une dimension répressive et stimulative (incitative) qui met en évidence le degré de
liberté de l’individu face à l’instrument78 (options vs pas d’option) (cf. Tableau 7 ci-après).

78
Selon l’auteur, il n’est en effet pas judicieux de classer les instruments de communication, économiques et
juridiques sur un axe exprimant le degré de contrainte allant du non-contraignant au plus contraignant.

59
Tableau 7 : La nature stimulative ou répressive des instruments selon Van der Doelen

Dimensions des
instruments
Stimulative Repressive
Modèle de contrôle

Modèle de contrôle par la Information (Information) Propagande (Propaganda)


communication (objectif : augmenter les (influence visant à ébranler la capacité de
(Communicative control connaissances de l’individu ; l’individu d’avoir un jugement
model) jugement indépendant et libre) indépendant, pas si libre)

Modèle de contrôle Subvention (Subsidy) Taxe (Levy)


économique (incitation par l’encouragement (incitation par le découragement financier,
(Economic control model) financier, liberté) pas si libre que cela)

Obligation/Interdiction
Modèle de contrôle (Order/Prohibition)
Contrat (Contract/Covenant)
judiciaire (imposition de normes comportementales
(réciprocité, dimension volontaire)
(Judicial control model) de manière unilatérale avec obligation de
s’y conformer, pas de liberté)

Source : adapté de Van der Doelen (1998)

La typologie de Van de Doelen – très souvent citée en exemple par les chercheurs – se
distingue néanmoins de celle de Gormley dans la mesure où elle associe explicitement les
instruments de régulation aux instruments légaux. Hoogerwerf (1995, cité par Van Nispen et
Ringling, 1998) et Van Nispen et Ringling (1998), par exemple, organisent leur typologie
dans le même ordre d’idée en différenciant :

• les instruments de régulation (regulatory instruments) tels que les commandements


(orders) ou les interdictions (prohibition) ;

• les instruments financiers79 (financial means) positifs tels que les subventions
(subsidies), les dépenses de soutient (grants) et négatifs tels que les impôts (taxes) et
les taxes (user charges) ;

• les instruments de communication (communicative tools) qui visent de manière


générale à informer les citoyens.

En insistant sur le grand nombre d’études faisant référence aux trois grandes familles que sont
les instruments de régulation (regulation), les transferts financiers (financial transfer) et les
transferts d’information (information transfer), De Bruijn et Hufen (1998) soulignent
également à leur manière que les instruments de régulation (regulatory instruments) sont des
instruments légaux par nature. De manière générale, ils existent ainsi sous la forme de normes
comportementales édictées à l’égard des acteurs sociaux qui peuvent être caractérisées par
quatre points : 1) ils impliquent une fonction de normalisation et de garantie, 2) ils nécessitent
un monitoring et une mise en œuvre/exécution (enforcement), 3) ils ont un caractère coercitif
et 4) réactif de type end of pipe80 ;

79
De nature plus incitative et moins coercitive que les premiers.
80
En d’autres termes, ils ne sont pas de nature proactive.

60
Dès lors, pour ces auteurs, les incitations financières (financial incentives) sont, en
comparaison avec les instruments de régulation, des instruments de nature non-coercitive. Les
subventions (subside) et les taxes/impôts (levies) sont des exemples de ce type de mesures
quie sont caractérisées par une flexibilité qui laisse le libre choix à l’acteur cible de modifier
son comportement.

Enfin, les transferts d’information (information transfer) sont des instruments qui s’appuient
sur leur force de conviction. Ils sont d’une nature douce (soft) et se doivent d’être appliqués
en fonction du cadre de référence de l’acteur cible.

Toujours en se référant aux travaux de Van der Doelen, De Bruijn et Heuvelhof (1997) font
également une distinction équivalente. Cependant, les auteurs, qui analysent cette fois les
instruments du point de vue des implications qu’ils ont pour les acteurs compris dans leur
réseau (network) (nombre, pouvoir, relations, etc.), introduisent par la même occasion une
distinction à l’intérieur de chaque catégorie entre les instruments destinés à agir directement
sur les acteurs et les instruments destinés à influencer uniquement leurs relations.

Ainsi, selon De Bruijn et Heuvelhof (1997), les instruments de régulation (regulatory


instruments), soit de manière générale les règles81 (rules), peuvent viser :

• le nombre d’acteurs, de manière indirecte, par exemple en installant des barrières à


l’entrée ou en facilitant leur entrée, ou de manière directe, par exemple par la création
ou la suppression directe d’un acteur ; ces modifications vont soit dans le sens d’une
augmentation ou d’une diminution du nombre d’acteurs du réseau ;

• le pouvoir des acteurs, par la modification de l’équilibre du pouvoir entre acteurs, soit
en augmentant ou diminuant les sources du pouvoir (pouvoir, information, prestige,
ressources financières, etc.) ;

• l’organisation des acteurs (structure interne des acteurs dans le réseau), par exemple
par la séparation des pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) et l’introduction de
mécanismes de poids et contrepoids au pouvoir des acteurs (par exemple, entre
employés et employeurs).

Mais ils peuvent également viser les relations entre acteurs, soit :

• entre gouvernants et gouvernés (acteurs cibles), via le lien de dépendance


hiérarchique qui incluse par exemple le devoir de consultation et le pouvoir de veto ;

• entre acteurs cibles, par exemple, en adoptant une législation anticartel.

Les instruments financiers (financial instruments)82, quant à eux, peuvent viser :

• les acteurs, via la création de nouveaux acteurs en utilisant les forces du marché (offre
et demande) ou le renforcement de leur autonomie ;

81
Ou instruments légaux (legal family), principalement les ordres/commandements et les interdictions (orders
and prohibition).
82
Ou instruments économiques (economic instruments), principalement les incitations financières (financial
incentives).

61
• les relations entre acteurs, par exemple, en les incitant à coopérer.

Enfin, les instruments de communication (communicative instruments), principalement


focalisés sur le transfert d’information (transfer of information), peuvent également viser :

• les acteurs, par exemple, en modifiant la perception qu’ils ont des problèmes
(modification des valeurs, des normes, des systèmes de croyance) ;

• les relations entre acteurs, par exemple, via l’analyse du cycle de vie des produits.

L’ensemble des typologies que nous venons de passer rapidement en revue sont construites
sur la même idée plus ou moins explicitée : il est possible d’influencer les acteurs socio-
économiques soit en les contraignant, soit en les intéressant, soit en les sensibilisant. Cette
distinction est sans doute exprimée de la manière la plus complète et actualisée par les travaux
de Vedung (1998). Remettant à l’ordre du jour la classification développée par Etzioni (1971,
édition de 1961) – ou celle de Van der Doelen selon Salamon (2002) – Vedung (1998)
identifie trois catégories d’instruments par la métaphore bien connue du bâton et de la carotte
– déjà identifiée en son temps par Balch (1980, in Brigham and Brown) dans un article intitulé
The Stick, the Carrot, and Other Strategies – à laquelle il ajoute le serment, soit
respectivement les instruments économiques (carrots), les instruments de régulation (sticks) et
les instruments d’information (sermons).

La typologie de Vedung (1998), carrots, sticks and sermons, est fondée sur une approche par
les ressources83 et part du postulat de base que l’Etat, ayant décidé d’intervenir pour régler un
problème, est confronté au choix des moyens qu’il va pouvoir mettre en œuvre. Ces moyens
sont, comme nous venons de le constater, au nombre de trois, et sont définis de manière assez
explicite par l’auteur qui fonde sa typologie sur la caractérisation des relations entre
gouvernants et gouvernés selon le degré de force autoritaire engagée au sein de la relation de
gouvernance (cf. Annexe 5).

Aussi, les trois types de mesures définies par Vedung induisent des efforts très différents de la
part de l’Etat sur le plan de la force autoritaire mise à profit par ce dernier. Dans cette
perspective, l’auteur « mesure » la force autoritaire comme le degré de contrainte/pouvoir que
l’Etat a investi – The authoritative force concerns the degree of constraint, or even better,
degree of power, that the governing body has invested in the governance attempt” (Vedung,
1998, p.34-35) – et classe les instruments sur cette échelle de mesure dans l’ordre suivant :
instruments de régulation (en donnant l’exemple d’une interdiction de produire des cigares) >
instrument économiques (en donnant l’exemple d’une taxe sur la production de cigares) >
instruments d’information (en donnant l’exemple d’une campagne d’information sur les
méfais des cigares).

La typologie de Vedung, comme les précédentes, insiste donc sur le caractère contraignant
des instruments de régulation par opposition aux deux autres catégories d’une nature plus
incitative et moins coercitive que sont les instruments économiques et les instruments de
communication. Aussi, la grande majorité des typologies que nous venons de voir ont toutes
pour fondement théorique plus ou moins explicite un continuum contrainte. Le degré de
contrainte est d’ailleurs utilisé par Vedung (1998, faisant référence à Woodside, 1986) pour

83
Voire sur ce point le chapitre 5, point 5.2.2, lettre A) de la 2e partie de notre recherche.

62
définir ces trois catégories d’instruments, mais aussi pour définir des sous-catégories
d’instruments.

Cependant, pour des auteurs comme Howlett et Ramesh (1995, faisant notamment référence à
Baxter-Moore, 1987), plutôt que de se concentrer sur le concept fuyant de contrainte
(coercion), il est possible d’obtenir une classification plus complète et plus simple en se
concentrant sur le niveau de présence ou d’engagement de l’Etat (level of state presence, level
of State Involvement) qu’induit l’utilisation de chaque instrument dans la fourniture de biens
et de services.

Selon ces auteurs, il est dès lors possible, en utilisant le niveau de (state provision) comme
critère, de développer une taxonomie qui range la variété des instruments sur un axe défini par
deux pôles : le pôle volontaire (voluntary) et le pôle obligatoire (compulsory). Aussi, les
instruments de nature volontaire n’impliquent aucun engagement de la part de l’Etat alors que
les instruments de nature obligatoire, par opposition, ne laissent aucune place à l’initiative
privée. Entre les deux extrêmes se trouve un éventail d’instruments qui impliquent un niveau
différent d’engagement volontaire ou obligatoire.

Sur la base de ce continuum, qu’ils combinent avec les recherches sur les instruments de
Kirschen et al. (1964), Howlett et Ramesh (1995) arrivent à établir une liste de 10 types
majeurs d’instruments (cf. Tableau 8 ci-après).

Les trois familles d’instruments sont ici constituées par :

• les instruments volontaires (voluntary instruments) : ce sont des instruments


importants pour la mise en œuvre des politiques économiques et sociales ; beaucoup
de problèmes sont gérés avec ces instruments, malgré la prolifération durant le XXe
siècle des instruments contraignants (compulsory) et mixtes qui ont accompagné
l’expansion du rôle de l’Etat ; leur usage va sans doute s’accroître dans le contexte
récent de la privatisation et du néo-libéralisme ; ils sont préférés car ils sont plus
efficients (moindres coûts) et cohérents avec les normes culturelles et la liberté
individuelle ;

• les instruments obligatoires (compulsory or directive instruments) : ils contraignent


ou dirigent l’action des acteurs ciblés, ces derniers n’ayant que très peu de marge de
manœuvre dans la réponse induite par l’instrument ; ils sont l’émanation de l’autorité
souveraine de l’Etat et d’un haut degré de coercivité ;

• les instruments mixtes (mixed instruements) : ils combinent les caractéristiques des
deux autres catégories ; l’engagement/l’implication du gouvernement varie du
minimum (fournir simplement de l’information) à un maximum (punition par la taxe).

63
Tableau 8 : Les instruments pour la fourniture de biens et services

Subvention (Subsidies) : ensemble des transferts financiers vers un acteur


Organisations volontaires (Voluntary Organizations) : ONG, associations

dans le but de rendre une alternative comportementale plus avantageuse,


Famille et communauté (Family and Community) : actions individuelles

récompenser une activité souhaitée ; comprend subventions, incitations

Mise aux enchères de droit de propriété (Auction of Property Rights) :


fiscales, bons de valeurs, prêts (grants, tax incentive, vouchers, loans)

permis, etc. ; sociale = santé, sécurité, égalité, bruit, pollution de l’air,


régulation = obligation/interdiction; lois, réglementations, standards,

Fourniture directe des BetS par les fonctionnaires (Direct Provision)


Régulation sociale et économique (Social and Economic Regulation)
d’incitation/d’orientation telles que les taxes d’utilisation servant à
Taxes et charges (Tax and User Charges) : prélèvements ou taxes
Marchés privés (Private Markets) : autorégulation par le marché,

- Persuasion (Exhortation / suasion) : instrument plus actif, ex. :

consommation d’énergie, de l’utilisation des transports publics

Entreprises publiques ou semi-publiques (Public Enterprises )


campagne de sensibilisation dans le domaine de la santé, de la
ou collectives privées via individus, famille et communauté

- Information (Information) : passive, générale ou ciblée

etc.; économique = contrôle des prix et des quantités


à buts non-lucratifs; politique, religieuse ou éthique

production des biens et services privés uniquement

création d’un marché d’échange de droits


- Consultations (Consultations)

internaliser les coûts externes


FAIBLE ---------------------------------- Niveau de participation de l’Etat --------------------------------- ELEVE
(Level of State Involvement)
Instruments Instruments mixtes Instruments
volontaires (Mixed Instruments) obligatoires ou
(Voluntary combinaison des caractéristiques des instruments directifs
Instruments) volontaires et directifs (Compulsory or
pas ou peu directive Instruments)
d’intervention étatique; exercice de l’autorité
base volontaire à souveraine de l’Etat ;
l’action ; du point de pas ou peu de marge de
vue de l’Etat = non- liberté pour les acteurs
action / laisser-faire
(autorégulation)
Source : adapté de Howlett et Ramesh (1995)

Pour conclure, nous relèverons qu’un bon nombre d’autres auteurs considèrent dans le cadre
de leur recherche instrumentale trois catégories d’instruments. Par exemple, Wallace (1995)
utilise les catégories « approches régulatives conventionnelles [conventional regulatory
approaches] », « instruments économiques [economic instruments] » et « accords volontaires
[voluntary agreements] » pour étudier les politiques environnementales adressées au secteur
industriel. Plus récemment, Ingold (2008) utilise ces mêmes catégories d’instruments
(« contrôles directs/régulations », « instruments du marché » et « mesures volontaires ») dans
le but d’analyser les mécanismes de décision de la politique climatique suisse.

2.2.3 Typologies puissance 4


Par rapport aux typologies tricéphales, les typologies quartettes introduisent pour la plupart,
prenant en exemple la typologie de Hood (1983/1990), un quatrième instrument de type

64
« organisationnel ». C’est le cas, par exemple, de McDonnel et Elmore (McDonnell et
Elmore, 1987a, 1987b ; Elmore, 1987), Pal (1992) et de Van Nispen et Ringling (1998).

Si l’approche typologisante utilisée par Vedung (1998) est celle des ressources, McDonnell et
Elmore (McDonnell et Elmore, 1987a, 1987b ; Elmore, 1987, McDonnel, 1988) identifient
quatre types d’instruments en fonction des fins désirées, ou, en d’autres termes, sur les effets
attendus sur les acteurs84 (cf. Tableau 9 ci-dessous)

Tableau 9 : Les instruments chez McDonnell et Elmore

Instruments Elément principal Effets attendus

Mandats Règles prescriptives obtention de résultats/comportements conformes


(mandates) contraignantes (compliance)

obtention d’une action/comportement en contrepartie


Incitations financières Transferts financiers / (conditionnel) ;
(inducement) monnaie (procurement) production de valeurs/biens et services
(contre-partie, retour à court-terme)

obtention de bénéfices futurs à l’aide


d’investissements dans les ressources matérielles
Capacité de production
Transferts financiers / (infrastructures), intellectuelles ou humaines
d’infrastructure
monnaie (investment) (connaissance/aptitude/savoir-faire (skill),
(capacity-building)
compétence (competence))
(sans contre-partie, retour à long-terme)

Capacité de modifier le Obtention d’un changement du système de


Transfert de l’autorité
système délivrance des biens et services publics
(officielle)
(system-changing) (réorganisation, transfert de compétences)

Source : Adapté de McDonnell et Elmore (1987a, 1987b cité par Howlett et Ramesh, 1995, par Varone 1998 et
par Salamon, 2002), Elmore (1987, également cité par Schneider et Ingram, 1990a), McDonnel (1988, cité par
Schneider et Ingram, 1990a)

Dans le même ordre d’idée, Pal (1992) combine les approches de Hood et de Doern (voir plus
loin) pour dresser un catalogue d’instruments (nodaux, financiers, autoritaires et
organisationnels) complet et détaillé sur la base d’un continuum « mesurant » le degré de
contrainte exercée par l’Etat (cf. Annexe 6). Ce type de typologie est repris, par exemple, par
Van Nispen et Ringling (1998) qui distinguent :

• les instruments de régulation (regulatory instruments) : tels que les commandements


(orders) ou les interdictions (prohibition) ;

• les instruments financiers (financial means) : plus incitatifs et moins coercitifs ;


instruments positifs : subventions (subsidies), dépenses de soutient (grants) et
négatifs : impôts (taxes) et taxes (user charges) ;

• les instruments de communication (communicative tools) : information des citoyens

• les instruments organisationnels (organization) : qui visent la structure sociale.

84
Pour Howlett (1991, citant Elmore, 1987), la typologie d’Elmore est basée sur les ressources !

65
D’une manière assez semblable, Anderson (1971, 1977, 1978) adopte une typologie qui
s’apparente néanmoins plus à une catégorisation générale des choix gouvernementaux qu’à
une catégorisation des outils gouvernementaux (government tools) et qui identifie quatre
choix instrumentaux auxquels le gouvernement est confronté (1971, 1978, cité par Howlett,
1991 ; Anderson, 1977, cité par Vedung, 1998). Ces choix peuvent être également identifiés
sur un continuum allant de la liberté complète d’action à la coercition complète (cf. Tableau
10 ci-dessous).

Tableau 10 : Le choix des instruments sur le continuum liberté-coercition chez Vedung

Choix/Instruments Continuum liberté - coercition

Non interventionnisme étatique, pas d’interférence avec le marché libre ; les


Mécanismes de marché
consommateurs ont une liberté totale de décision sur le marché
(Market mechanisms)
Continum : pôle liberté extrême

Programmes gouvernementaux « en libre accès », mise sur pied de nouvelles


Options structurées
alternatives ; les individus font leur libre choix de manière volontaire, l’Etat
(Structured options)
spécifie les alternatives

Incitations (incentives) et dissuasions (deterrents), mise en place d’incitations


Options biaisées ou d’obstacles afin du guider les individus en fonction de l’objectif politique ;
(Biased options) les individus ont encore la liberté de ne pas suivre la voie tracée mais ils
doivent en payer le prix

Contrôles directs, contraintes et impératifs fondés sur le pouvoir coercitif de


Régulation/réglementation l’Etat, les activités permises ou exigées sont définies ; la liberté des choix des
(Regulation) individus est définie et délimitées par les statuts et les règles/règlements
Continum : pôle coercition extrême

Source : adapté de Vedung (1998, citant Anderson, 1977)

Les types d’instruments de la typologie d’Anderson s’écartent néanmoins des dénominations


classiques régulation, incitation, communication et organisation. Il en va de même, par
exemple, avec Bardach (Bardach, 1979, cité par Schneider et Ingram, 1990a) qui identifie
quatre techniques : les techniques prescriptives, facilitatrices, d’incitations positives et de
dissuasion (prescription, enabling, positive incentives and deterrence) et Balch (1980) qui
distingue, quant à lui, quatre stratégies d’intervention : les stratégies d’information, de
facilitation, de régulation et d’incitation (Information strategies, Facilitation stratgegies,
Regulation strategies, Incentive Strategies) ou encore Kaufmann et Rosewitz (Kaufmann and
Rosewitz, 1983, cité par Kaufmann-Hayoz et al., 2001) qui distinguent les instruments légaux,
économiques, écologiques et d’éducation ou Enevoldsen (2005) qui reporte sur un espace
bidimensionnel constitué par les axes obligatoire/volontaire et haute interaction publique-
privé/basse interaction publique-privé quatre catégories qui s’apparentent aux instruments de
type command and control (qui intègre les instruments économiques), de régulation négociés
(standards), d’autorégulation et volontaires.

Par contre nous pouvons aisément retrouver les quatre catégories « traditionnelles » initiées
par Hood dans la typologie donnée par Lovinfosse et Varone (2004) qui distinguent quatre
modalités d’intervention : les interventions de type régulatif ou prescriptif, de type incitatif, de
type persuasif ou informatif et de type auto-régulation des groupes cibles (regulatory or
prescriptive intervention, incentive intervention, persuasive or informative intervention et
self-regulation of target groups),.

66
Klock (1995) identifie quant à lui quatre « stratégies instrumentales » de base qui permettent
d’influencer les ressources et la motivation des acteurs afin de modifier leurs comportements
dans un sens positif (solliciter un comportement) ou négatif (inhiber un comportement). Ainsi,
l’Etat peut :

• fournir directement les ressources aux acteurs : la fourniture de ressources (par


exemple informationnelles) modifie directement la motivation des acteurs ;

• fournir des ressources aux acteurs de manière conditionnelle : la promesse de fournir


des ressources à l’acteur fait qu’il adopte une activité/comportement, la valeur des ces
ressources promises fonctionne comme une motivation pour adopter ce
comportement ;

• priver les acteurs de ressources de manière conditionnelle : la menace à l’encontre


d’un acteur de lui retirer des ressources s’il n’adopte pas une activité/comportement ;
c’est la valeur donnée à la perte (attendue) de ces ressources qui agit comme une
motivation ;

• priver directement les acteurs de ressources : la privation directe des ressources


nécessaires à une activité induit une modification de cette dernière.

L’auteur donne également quelques exemples d’instruments rattachés à ces catégories (cf.
Annexe 7). Notons qu’il identifiera, par la suite, une cinquième catégorie de tactique
instrumentale qui consiste en l’organisation (ou la réorganisation) des acteurs (création,
suppression ou réorganisation des acteurs)

Enfin, Sullivan (2005) use des catégories instruments de type command and control
(command and control instruments), instruments économiques (economic instruments),
approches basées sur l’information (information-based approaches) et approches volontaires
(voluntary approaches) pour repenser ces dernières dans le domaine des politiques
environnementales tout soulignant l’importance de cette dernière catégorie au sein des
typologies d’instruments.

2.2.4 Typologies puissance 5


Dans une publication antérieure, Klock (Bressers et Klock, 1988) identifie également cinq
instruments. Cette typologie est dans une certaine mesure assez semblable à la plus récente et
consiste à identifier les instruments en fonction de cinq options qui s’offrent à l’Etat pour
modifier les comportements des acteurs :

• offrir plus d’alternatives « matérielles » aux acteurs  instruments qui visent à


accroître les alternatives comportementales tels que le développement technologique
et autres mesures de stimulation (stimulating measures) ;

• supprimer les alternatives « matérielles » des acteurs  instruments qui visent à


réduire les alternatives comportementales (mesures de destruction d'opportunité
(opportunity destroying measures)) tel que le placement d’îlots routiers ;

• modifier l’évaluation faite par les acteurs des « pour » et des « contre » des
alternatives  instruments qui modifient les conséquences des choix

67
comportementaux alternatifs (sont les plus courants dans le domaine de la politique
environnementale) tels que les réglementations-contrôles-sanctions (interdictions,
obligations, etc.), les mesures conditionnelles (permis, autorisations, etc.), les mesures
incitatives (contrôle des prix, taxes, subventions, défiscalisation, etc.) ;

• modifier le niveau d’importance accordé aux « pour » et aux « contre » des


alternatives  instruments qui ont pour objectif de modifier l'importance attachée aux
conséquences des alternatives par l’intermédiaire de la persuasion (ces instruments
sont mis en œuvre de manière conjointe avec le cinquième type d’instrument) ;

• informer sur l’existence des alternatives ou sur les « pour » et les « contre » des
alternatives  instruments orientés vers l'information (information, consultation,
média, etc.).

Selon Howlett et Ramesh (1995), ce sont les politologues canadiens Doern et Phidd (Doern et
Phidd, 1983/1992, cité par Howlett et Ramesh, 1995 et Varone, 1998 ; Doern, 1981, cité par
Howlett, 1991) qui ont « révolutionné » les classifications des instruments en les ordonnant le
long d’un continuum de contrainte légitime (legitimate coercion). Leur typologie qui
distingue cinq types d’instruments considère l’autorégulation par le marché (self-regulation)
comme l’instrument le moins contraignant et les entreprises publiques (public ownership)
comme le plus contraignant. A l’image de la typologie d’Anderson (1971, 1977, 1978), cette
typologie a fourni la base pour de futures classifications en établissant la nécessité d'analyser
des instruments dans le contexte du rapport existant entre l'état et la société (effets de l’Etat
sur la société). Elle est notamment à la base de la typologie quartette de Howlett et Ramesh
(1995).

Cependant, la typologie de Doern et Phidd a évolué dans le temps. Sous l’influence de Lowi,
dont ils modifièrent la matrice de choix politiques en un continuum contrainte légitime de
choix des instruments85, Doern et ses collègues ont produit toute une série de publications qui,
au départ, identifiait uniquement quatre instruments sur ce continuum : l’autorégulation (self-
regulation), la persuasion (exhoration), les subventions/dépenses publiques (subsidies / public
expenditure) et la régulation (regulation) (Doern, 1981, cité par Howlett, 1991 ; Doern, 1978,
1983 cité par Pal, 1992). Cependant, pour Pal (Pal, 1992, citant Doern, 1978, 1983), seuls
trois des quatre concepts peuvent être compris comme des instruments (persuasion, dépenses
publiques et régulation) dans la mesure où l’autorégulation par le marché (self-regulation) est
considérée au départ comme une option gouvernementale de non intervention laissant toute la
liberté aux comportements spontanés et volontaires. Dans les termes de Vedung (1998, citant
Doern et Phidd, 1983), cette typologie est de type approche par le choix (choice approach).

Par la suite, Doern et ses collègues ajoutèrent les catégories taxes (taxation) et entreprise
publique (public entreprise) (Howlett, 1991, citant Tupper et Doern, 1981). Finalement, ils
ajoutèrent encore une série de gradations fines au sein de chaque catégorie (Doern et Phidd,
1983, cité par Howlett, 1991).

A la fin, la typologie de Doern et de ses collègues identifie cinq types d’instruments (cf.
Tableau 11 ci-après).

85
Pour ces auteurs, l’Etat utilise son pouvoir souverain pour contraindre les individus, pouvoir considéré comme
légitime car démocratiquement consacré. Cependant il use de celui-ci à différent degré et peut ainsi stimuler des
comportements volontaires ou agir par pure nationalisation ou par l’imposition de sanctions sévères pour les
comportements non-conformes aux directives étatiques.

68
Tableau 11: Les instruments sur le continuum coercition légitime chez Doern et Phidd

Autorégulation Information et Dépenses Régulation Entreprises


(Self-regulation) recommandation (Expenditure) (Regulation) publiques ou
(Exhortation) semi-publiques
(Public Ownership)
$

Comportements Discours Prêts Règles Nationalisation


libres conformes à (Speeches) (Grants) prescriptives avec (Semi)Etatisation
la logique du Conférences Subventions sanctions (amendes (Non/Semi-market/
marché (Conferences) (Subsidies) (Fines) behaviour)
(Market/Private Conseils (Advisory) Transferts emprisonnement
behaviour) Enquêtes, études (Transfers) (Imprisonnment),
(investigations) etc.)
Taxes et tarifs
(Taxes et Tariffes)
Minimum ---------------------------------- Degrés de coercicion légitime ---------------------------------Maximum
(Degrees of Legitimate Coercion)
Source : Adapté de Howlett (1991), Pal (1992) et Varone (1998) adaptant Doern et Phidd (1983)

A la suite des travaux de McDonnell et Elmore (Salamon, 2002, citant Schneider et Ingram,
1990a), Schneider et Ingram ont élaboré une classification des instruments en fonction du
type de comportement qu’ils induisent.

En d’autres termes, Schneider et Ingram (1990a) analysent les instruments sur la base
d’hypothèses comportementales, puisque les instruments sont par nature destinés à influencer
les comportements à un niveau « micro » qui permet de souligner les caractéristiques des
instruments en fonction des comportements qu’ils suscitent.

A basic assumption underlying our approach is that public policy almost always attempts
to get people to do things that they might not otherwise do ; or it enables people to do
things they might not have done otherwise. (p. 513).

Notons que les auteurs remarquent qu’aucun de leurs confrères n’ont jusqu’alors cru bon de
développer les hypothèses comportementales qui sont sous-jacentes aux instruments.

Schneider et Ingram (1990a, 1997) distinguent ainsi cinq catégories d’instruments, les
instruments prescriptifs - autoritaires ((reliance on) Authority Tools), les instruments
d’incitation (Incentive Tools), les instruments de stimulation/fourniture des capacités
(Capacity Tools / Capacity-building), les instruments de persuasion (Hortatory (and
Symbolic) Tools) et les instruments d’apprentissage institutionnel (Learning Tools).
Les instruments prescriptifs – autoritaires sont fondés sur l’hypothèse comportementale
suivante : les acteurs-cibles possèdent une certaine obéissance, loyauté et confiance envers la
loi, la hiérarchie et l’autorité et un sens (aigu) du devoir (vertu) et du bien commun. Ils
prennent la forme des prescriptions (statements) qui émanent de l’autorité légitimée
démocratiquement (permissions, interdictions ou exigences). L’intensité de ces instruments
peut être mesurée sur un continuum action volontaire (voluntary actions) – action obligatoire
(compulsory actions). Notons que la sanction n’est pas comprise par les auteurs dans cette
catégorie car elle est comprise par ceux-ci comme un élément d’incitation qui implique un
payoff tangible pour les citoyens ; la seule menace de la sanction, implicite ou explicite, n’est
donc pas prise en compte.

69
Les instruments d’incitation repose sur l’hypothèse comportementale selon laquelle la
maximisation de l’utilité constitue un élément de motivation comportementale via une
manipulation des payoffs (argent, liberté, vie, etc.)86. Cette rationalité individuelle et
intéressée se décline subtilement en fonction des sous-types d’instruments suivants :

• Incitations financières positives (Inducements) : maximisation (proportionnelle) de


l’alternative la plus avantageuse /intéressante ; valorisation et encouragement du
comportement via des payoffs positifs ; exemples : défiscalisation, subventions,
récompenses, contrats, etc. ;

• Incitations financières négatives (Charges) : minimisation (proportionnelle) de


l’activité par l’internalisation du « coût social » engendré ; pas de désapprobation
sociale (mais dévalorisation des comportements) de l’activité contrairement aux
sanctions ; usuellement associées aux standards ou aux directives (guidelines) qui
définissent des limites et spécifient les charges monétaires pour ceux qui ne répondent
pas aux standards ou qui excèdent leurs quotas ; ces charges peuvent être utilisées
pour contrôler, limiter ou allouer des biens ou activités, mais contrairement à la
sanction, elles ne sont pas là pour faire disparaître l’activité ou conférer une
désapprobation sociale de l’activité ; elles ne sont là que pour contrôler l’activité et
sont usuellement proportionnelles au besoin de régulation ou au fardeau social imposé
par l'activité ; exemple : principes du pollueur payeur (taxe) ;

• Sanctions (Sanctions) : maximisation de l’utilité par des payoffs dissuasifs


(disproportionnés) (coûts, (amendes, privation de liberté, etc.) non proportionnels aux
comportements qui soient prohibitifs ; sévérité et systématicité (certitude) de la
punition (théorie classique de la dissuasion) ; stigmatisation sociale ; usuellement
associées avec les standards ou règles ; impliquent des pénalités « disproportionnées »;
premiers instruments pour faire exécuter le code pénal et civil ;

• Force (Force) : en tant que contrainte physique en dernier recours et/ou sanction
incitative productrice de peur (peur de la sanction) ; comportement condamné
socialement (niveau maximum de la stigmatisation) ;

Les instruments de stimulation/fournitures de capacité sont fondé sur l’hypothèse


comportementale suivante : la motivation est présente chez les acteurs-cibles, mais il leur
manque des capacités pour agir (ressources, informations, organisation, etc.). Ils sont
confrontés à des barrières comportementales. Ces instruments fournissent ainsi des ressources
(information (vs propagande), formation (vs endoctrinement), éducation) pour permettre de
lever ces barrières et ainsi prendre des décisions ou agir. C’est le cas par exemple des
programmes d’information et d’éducation, de l’assistance technique, des instruments
d’évaluation et d’aide à la décision (effort pour accroître la rationalité des personnes) et la
mise à disposition de ressources telles que soutient financier, dépense, prêt, consultation,
formation continue, etc.

Les instruments de persuasion se fonde sur une hypothèse comportementale qui souligne
l’importance des croyances, des symboles, des images, des perceptions/représentations, des
données culturelles, des valeurs (notion de droit, de justice, d’égalité, d’individualisme, etc.)

86
Incitations influençant les conséquences tangibles (tangible payoffs) des comportements de manière positive
ou négative afin d’encourager/décourager un comportement.

70
dans les motivations/décisions comportementales. Ces instruments consistent principalement
en des déclarations, discours ou des campagnes de relation publique. Ils ont pour fonction
principale de modifier les valeurs des acteurs ou de les convaincre que les comportements
souhaités sont en accord avec leurs valeurs. D’autres exemples de tels instruments sont les
campagnes d’affichage/de communication/de sensibilisation, les spots télévisés, les
associations de symboles, l’étiquetage et labels.

Enfin, les instruments d’apprentissage institutionnel reposent sur l’hypothèse


comportementale selon laquelle les acteurs peuvent apprendre de leurs comportements, des
expériences et en tirer des leçons (processus d’apprentissage par soi-même, découverte). Ils
sont utilisés dans les situations inconnues et/ou caractérisées par l’incertitude (problèmes
inconnu ou reconnus mais non compris ou pas d’accord sur ce qui doit être fait). Aussi,
l’action est laissée aux acteurs locaux (qui sont encouragés à résoudre les problèmes en
mettant en place leur propre stratégie via une aide à l’action, au questionnement, à la
recherche). L’incertitude et le désaccord sur les buts et les valeurs sont traités avec des
instruments comme les enquêtes d’opinion (surveys of attitudes), les panels citoyens (citizen
advisory panels), les focus group (focus group), l’arbitrage (arbitration) et la médiation
(mediation). L’incertitude sur les moyens est traitée avec des instruments tels que la
recherche, les séances de réflexion (brainstorming) ou des programmes pilotes et des
expérimentations.

Enfin, Kaufmann-Hayoz et al. (2001) proposent également 5 types d’instruments dans la


perspective d’ordonner la complexité de la réalité :

• Instruments régulatifs (Command and Control Instruments) ;

• Instruments économiques (Economic Instruments) ;

• Instruments de service et infrastructure (Service and Infrastructure Instruments) ;

• Accords librement consentis (Collaborative Agreements) ;

• Instruments de communication et de diffusion (Communication and Diffusion


Instruments)

Les auteurs distinguent également un certain nombre de sous-types dans chaque catégorie. Par
ailleurs, ils analysent chaque catégorie, notamment en fonction de (a) leur mode de rationalité,
(b) des acteurs de leur mise en œuvre et (c) des groupes ciblés par celle-ci et (cf. Annexe 8).

D’une manière générale, la rationalité de la réponse des acteurs ciblés par les instruments
prend la forme suivante:

1. les instruments de types régulatifs agissent sur la volonté des acteurs à vouloir éviter
les sanctions qui sont associées à la violation de la prescription ;

2. les instruments économiques agissent sur la rationalité économique des acteurs ;

3. les instruments de services et d’infrastructures rendent certains comportements


possibles ou attractifs (ou l’inverse);

71
4. les instruments librement consentis agissent par l’attrait des acteurs à la négociation et
à l’appréhension d’une régulation plus directe ;

5. les instruments de communication et de diffusion agissent en influençant les valeurs et


les connaissances des acteurs.

Notons que les auteurs (Kaufmann-Hayoz et al., 2001) relèvent par ailleurs que leur typologie
exprime également un double continuum. En allant des instruments régulatifs vers les
instruments de communication et de diffusion, la typologie marque une diminution dans la
capacité des instruments à influencer les comportements ainsi qu’une diminution dans
l’obligation formelle générée par les instruments. De manière inverse, il existe un
accroissement de la participation des acteurs et de la prise en compte du contexte spécifique
dans lequel ceux-ci interagissent.

Nous noterons quant à nous que ces derniers propos semblent relever d’une argumentation
théorique qui n’est pas si évidente sur le plan empirique. Ainsi, la contrainte des instruments
de types régulatifs peut être toute relative (régime d’exception, manque de contrôle et
sanctions inefficaces) par rapport à la capacité des instruments de persuasion à être
contraignants (pensons à la propagande par exemple). Les mêmes arguments peuvent être
développés quant à la « contrainte » engendrée par les instruments d’infrastructure et les
instruments économiques (contrainte qui peut être extrêmement élevée dans le cadre des
infrastructures et extrêmement faible dans le cas d’une taxe dont le montant serait insignifiant
ou prohibitif).

2.2.5 Typologies puissance 6 et plus


Passé le cap des 5 catégories, les typologies ne proposent plus vraiment de réelles avancées
théoriques et, le plus souvent, ne font qu’hisser aux côtés des catégories traditionnelles
quelques types d’instruments, sans aucune logique d’ensemble et de cohérence, si ce n’est
descriptive. Salamon (1981, 1989, 2002), par exemple, identifie plusieurs « types »
d’instruments (cf. Tableau 12 ci-après).

72
Tableau 12 : Les instruments selon Salamon

Salamon, 1981 Salamon, 1989 Salamon, 2002

Régulation
(Regulation (Regulatory activities) : Régulation sociale (Social regulation
specification of rules and the enforcement of adherence of (Prohibition / Rule))
them)

Subventions de soutien Subvention


(Grants-in-aid (to state and local level) : (Grant (Grant award/cash payement))
categorial grants, project grants, block grants and general Bons de valeurs
revenue sharing) (Vouchers)

Régulation économique (contrôles des prix,


des taux)
(Economic regulation (fair prices, entry and
rate controls))
Prêts et Prêts-taux garantis
(Loans et Loan guarantees) Prêts-taux garantis
(Loan guarantee)
Prêt directs-crédits
(Direct loan)

Incitations fiscales positives vs taxes (Tax


Incitations fiscales/rabais d’impôt
expenditure (cash, incentives) vs Fees,
(Tax deductions/expenditures)
charges (financial penalty, tax))
Agences gouvernementales
Agences gouvernmentales
(Direct Governement)
(Direct government (public agency))
Enterprises semi-privées
(Government-sponsored
Agences
enterprises) Agences autonomes/décentralisées
autonomes/décentralisées
(Government corporations)
(Government corporations)

Assurance
Assurance (Insurance)
(Insurance)

Bonification d’intérêts
(Interest subsidies)

Contrat
(Contracting)
Autres (Numerous others)
Responsabilité
(Liability law (tort law))

Source: adapté de Salamon (1981, 1989, et 2002)

Salamon, en compagnie de Lund cette fois (Salamon et Lund, 1989), relevant au passage que
les définitions des instruments sont le plus souvent vagues et imprécises, identifie également
d’autres typologies d’instrument pouvant compter jusqu’à 16 instruments (cf. Annexe 9, voir
également Tableau 15, chapitre 3, point 3.1.2 ci-après). Et, dans leur souci d’analyser les
instruments sous plusieurs dimensions et de passer de listes d’instrument à une typologie
analytique, les auteurs définissent néanmoins quelques caractéristiques cruciales des
instruments : a) la nature de l’activité étatique (du stimulus) pour obtenir le résultat souhaité,
b) la nature du mécanisme institutionnel, c) le degré de centralisation et d) le degré
d’automaticité.

73
Chacune de ces caractéristiques peut être considérée comme pouvant représenter le fondement
d’une typologie d’instrument.

Ainsi, concernant la nature de l’activité étatique, les auteurs identifient treize types d’activités
principales gouvernementales (cf. Annexe 10) qu’ils regroupent toutefois, avec plus ou moins
de difficultés, en quatre catégories principales : payements en argent (outright money
payements), fourniture de biens et services (provision of goods or services), protections
légales (legal protections or garantiees) et prohibition ou restriction/pénalités (prohibition or
restriction/penalties).

Concernant la nature du mécanisme institutionnel – entendons par là la nature des institutions


liée à la mise en œuvre des instrument, soit le gouvernement central, le gouvernement local,
les offices gouvernementaux, les agences paraétatiques, la banque (centrale) ou même les
compagnies d’assurances, l’université, les ONG, etc. – les auteurs notent qu’elle est souvent
dictée par la nature de l’activité même. Dans cette perspective, ils différencient deux types de
mécanismes de délivrance de prestations : les mécanismes directs (principalement via les
agences fédérales) et les mécanismes indirects. Ces derniers peuvent à leur tour être divisés
entre trois sous-catégories : les mécanismes impliquant d’autres agences publiques, ceux
impliquant des organisations privées à but lucratif, et ceux impliquant des organisations
privées à but non lucratif.

Concernant le degré de centralisation, qui dépend, dans une certaine mesure, de la nature du
mécanisme institutionnel, les instruments peuvent être analysés en fonction du degré de
centralisation du contrôle/de la décision. Ainsi pour chaque mécanisme institutionnel, qu’il
soit direct ou indirect, il existe des degrés différents de centralisation.

Enfin, concernant le degré d’automaticité, qui mesure le degré nécessaire d’intervention


administrative, il permet de différencier les instruments automatiques (self-administrés)
lorsque leur mise en œuvre est basée sur des actions telles que celles relevant du marché, des
instruments non automatiques qui requièrent continuellement une activité administrative
poussée.

Ainsi, la démarche de Salamon et Lund débouche sur la possibilité de comparer et de


caractériser les instruments (nominal tools) en fonction de plusieurs dimensions qui peut être
interprétée comme une élaboration de plusieurs typologies d’instruments (dans tous les cas
duales)87.

Dans un ouvrage plus récent, Salamon (2002) souligne à nouveau que les instruments sont des
phénomènes à plusieurs facettes qui peuvent être classés en fonction de chacune d’entres
elles. Ainsi, définissant au préalable les principaux éléments constitutifs des instruments – à
savoir le type de bien (good) ou d’activité (activity), le support d’attribution (delivery
vehicule), le système organisationnel d’attribution (delivery system, set of organization) et
l’ensemble des règles formelles ou informelles (set of rules, formal or informal) qui
définissent les relations entre les acteurs impliqués dans le système organisationnel
d’attribution – l’auteur organise une classification des instruments les plus communément
utilisés en fonction de ces différentes facettes (cf. Annexe 11), ce qui permet de les comparer
entre eux. Dans cette perspective, l’auteur définit treize types d’instruments : l’action
gouvernementale directe (Direct government), la régulation sociale (Social regulation), la

87
Un exercice assez semblable est entrepris par Linder et Peters (1989, voir ci-après).

74
régulation économique (Economic regulation), la contractualisation (Contracting), le
subventionnement (Grant), les prêts directs (Direct loan), les garanties de prêt (Loan
guarantee), les assurances (Insurance), les rabais d’impôt (Tax expenditure), les
redevances/charges (Fees, charges), la responsabilité civile (Liability law), la décentralisation
(Government corporations) et les bons de valeurs (Vouchers).

Enfin, et pour clore notre tour d’horizon, non exhaustif, des typologies d’instruments, nous
soulignerons que Linder et Peters (Linder et Peters, 1989 ; voir également Howlett, 1991 et
Pal, 1992) se basent sur une analyse des classifications trouvées dans la littérature88 pour en
tirer une synthèse par un processus d’élimination des répétitions.

Ainsi, par « décantation », les auteurs tirent une liste de vingt-trois instruments dits
« représentatifs » de la littérature, pour aboutir en fin de cours, par un exercice de
regroupement, à sept types de classes générales (cf. Figure 2 ci-dessous) qui rassemblent,
pour assurer un certain équilibre et une certaine représentativité entre les classes, trois
instruments par classe89.

Figure 2 : Les instruments représentatifs de la littérature selon Linder et Peters

Subvention en cash Entreprises financées Transfert en-nature


(Cash grant) (Gov’t-sponsored enterprise) (In-kind transfer)
Garantie de prêt « Allégement fiscal » Commission/taxe
(Loan guarantee) (‘Tax break’) (Fee/charge)
Certification/contrôle réserves/prov. étatique Contravention/amende
(Certification/screening) (Gov’t provision) (Fine)
Contrat administré Contingent Interdiction
(Administered contract) (Quota) (Prohibition)
Standard de qualité « sermoner » Promotion publique
(Quality standard) (‘Jawboning)’ (Public promotion)
Information/démonstration Directives de procédure Assurance
(Information/demonstration) (Procedural ‘guideline’) (Insurance)
Prêt Permis/licence Contrôle des prix
(Loan) (License/permi)t (Price control)
Investissement public Concession
(Public investment) (Franchise)

Réserves directes (Direct provision)


Subventions (Subsidy)
Taxes (Tax)
Contrat (Contract)
Autorité (Authority)
Réglementation (Regulation (the only consensus class))
Exhortation (conseiller) (Exhortation)
Source : adapté de Linder et Peters (1989), Howlett (1991) et Pal (1992)

Malheureusement, les auteurs ne font aucun lien explicite sur ce regroupement.

Par ailleurs, et suivant une même méthodologie que pour les instruments, notons que les
auteurs (Linder et Peters, 1989, notamment cité par Howlett, 1991) définissent également huit

88
Pour donner quelques exemples : celles de Lowi (1972) de Hood (1984), de Dahl et Lindblom (1987) et de
Doern et Phidd (1983).
89
A l’exception des deux plus grandes classes (réglementation et subventions) qui en comptent quatre.

75
critères – sous la forme de continuum – qui permettent d’analyser ces instruments et qui, de
manière ultime, se décantent en quatre attributs basics que les gouvernements considèrent
lorsqu’ils opèrent leur choix (cf. Figure 3 ci-dessous).

Figure 3 : Les critères d’analyse des instruments selon Linders et Peters


Complexité de l’opération (Complexity of Operation) [Faible ; Elevé]
Niveau de visibilité publique (Level of Public Visibility) [Faible ; Elevé]
Adaptabilité (Adaptability Across Uses) [Faible ; Elevé]
Niveau d’intrusion (Level of Intrusiveness) [Faible ; Elevé]
Coût (Relative Costliness) [Faible ; Elevé]
Confiance dans le marché (Reliance on Market) [Marché ; Etat]
Échec (Chance of Failure) [Faible ; Elevé]
Précision (Precision of Targeting) [Faible ; Elevé]

1) Intensité des ressources (Ressources intensiveness), incluant notamment les coûts administratifs et la
simplicité opérationnelle (faisabilité politique interne)
2) Optimisation (Targeting), incluant notamment précision et sélectivité (faisabilité technique)
3) Risque politique (Political risk), incluant notamment la nature de l’adhésion/opposition, ainsi que la visibilité
publique (faisabilité politique externe)
4) Contrainte (Constraint), incluant notamment la coercition et les principes idéologiques qui limitent l’activité
gouvernementale (acceptabilité idéologique selon des croyances fondamentales)
Source : adapté de Linder et Peters (1989) et Howlett (1991)

Nous pouvons également déplorer ici le fait que les auteurs ne font pas plus de liens explicites
entre les huit critères et les quatre attributs qu’ils définissent.

Chapitre 3 Quelques exemples de typologies d’instruments issus


d’autres champs disciplinaires

Après le parcours de la littérature en science politique consacrée aux typologies


d’instruments, nous nous proposons, dans une perspective interdisciplinaire, de donner
quelques exemples de typologies issues de la science économique (chapitre 3.1), du droit
(chapitre 3.2) et de la psychologie environnementale (chapitre 3.3).

Notons d’ores et déjà que la science économique nous offre quant à elle deux types de
typologies principalement focalisées sur les instruments économiques de protection de
l’environnement. Une approche plutôt théorique, celle de l’économie de l’environnement (et
du développement durable), s’intéresse ainsi aux familles d’instruments sous l’angle de leur
efficacité économique en s’efforçant de démontrer que certains d’entre eux sont plus efficient
que d’autres90, nous y reviendrons. De l’autre côté, certains auteurs et acteurs institutionnels,
confrontés à une réalité de terrain, dressent des classifications de manière plus pragmatique en
répartissant souvent les instruments en catégories, puis sous catégories. Ces classifications
comprennent parfois plus d’une cinquantaine d’instruments91.

90
Biensûr les économistes utilisent aussi d’autres critères pour analyser les instruments des politiques
environnementales (voire par exemple Stavins (2000, 2004) ou Baranzini, Goldemberg et Speck (2000)).
91
Voir par exemple Kirschen et al. (1964).

76
Concernant le droit, nous privilégierons une approche que nous avons déjà qualifiée « d’aux
frontières du droit, de la régulation et des politiques publiques », approche que nous pourrions
rebaptiser ici de « sociologie du droit » et qui met l’accent sur les modes de régulation sociale
dans un contexte conceptuel marqué par la théorie des systèmes92.

Enfin, concernant la psychologie (environnementale), nous nous référerons à quelques


tentatives de typologies mettant l’accent sur les facteurs psychologiques de modification des
comportements dans le domaine de la protection de l’environnement.

3.1 Quelques typologies issues de la science économique

Nous ferons ici la distinction entre les classifications issues de la littérature institutionnelle
telle que celle l’OCDE de celles établies dans le cadre de l’analyse économique des
défaillances du marché (économie de l’environnement et ou socio-économie du
développement durable) ou par certains économistes sur la base de critères spécifiques. En
effet, les premières consistent en de longue liste de classification d’instruments « concrets »
alors que les secondes dressent des familles plus ou moins « abstraites ».

3.1.1 Une typologie issue de la théorie économique du bien-être


L’économie de l’environnement et/ou du bien-être étudie l’action étatique en termes
d’instruments sur la base d’une analyse comparative de leur efficacité théorique. Le cadre
général dans lequel est ancrée cette analyse est celui des défaillances du marché et de
l’allocation optimale des ressources (théorie du bien-être) qui définit l’existence d’un coût
social inhérent à toutes pollutions, coût qui n’est pas supporté par les pollueurs (cas des
externalités négatives). Cet état de fait résulte de la nature de certains biens et services que
l’on connaît sous la dénomination de biens collectifs ou de biens communs93. En effet, ce type
de biens, caractérisé par la non-rivalité et la non-exclusion, et donc par le problème du free
rider, ne sont (ne peuvent) pas (être) produits en quantité suffisante (cas des externalités
positives) ou sont produits en quantité trop abondante (cas des externalités négatives,
notamment de la pollution) par le marché. Dans ces cas précis, le marché ne peut donc pas
atteindre une allocation optimale des ressources94 et l’intervention de l’Etat s’avère nécessaire
pour corriger cette défaillance ou, en d’autres termes, faire internaliser les coûts externes pour
atteindre une allocation optimale des ressources95.

De manière générale, parmi les différents instruments de protection de l’environnement dont


l’Etat dispose pour internaliser les coûts externes liés à l’environnement et ainsi assurer une
allocation optimale des ressources, deux grandes familles d’instruments (plus une !) sont
différenciées (voir par exemple Bürgenmeier, 1997, 2005).
92
Et puisque nous avons, en Suisse, un auteur qui s’est particulièrement attaché à analyser l’action de l’Etat par
ce truchement, nous aborderons très modestement cette approche par le biais de son ouvrage de synthèse intitulé
Le droit néo-moderne des politiques publiques qui traduit une approche juridique des politiques publiques.
Certains auront sans doute reconnu ici le Professeur Charles-Albert Morand, Professeur de droit à l’Université de
Genève et docteur honoris causa de l'Université de Lucerne.
93
Sur ce point voir le célèbre article de Garett Hardin (1968) sur la tragédie des biens communs (voir également
le Chapitre 3, point 3.3.2 ci-après).
94
L’allocation optimale des ressources est atteinte lorsque le bénéfice net (bénéfice-coût) est maximisé, soit
lorsque le bénéfice marginal (Bm) est égal au coût marginal (Cm).
95
Ce qui ne veut pas dire « plus de pollution », mais un niveau « optimal » de pollution compte tenu des coûts
sociaux qu’il reste à définir.

77
Les instruments réglementaires ou contrôles directs (command and control) sont les
principaux moyens utilisés par l’Etat pour protéger l’environnement. Ils sont utilisés de
manière réactive pour faire face à des « crises » environnementales qu’il s’agit de combattre
dans l’urgence de la situation. Ils « sont le résultat d’une approche normative et juridique de la
politique de l’environnement » (Bürgenmeier, 2005, p. 94) qui s’oppose à une régulation qui
serait « en phase » avec la logique du marché. Godard (2005), par exemple, remarque que ces
instruments sont (ou devraient être) mis en œuvre dans des situations caractérisées par des
enjeux de santé publique ou de sécurité (par exemple nucléaire) ou des effets de seuil.

Au sein de cette famille, nous trouvons notamment les normes d’émissions (valeurs limites),
les normes techniques d’exploitation ou de qualité96, les outils de planification
d’aménagement du territoire ainsi que les réglementations de la production et du traitement
telles que par exemple les obligations (de recyclage, d’incinération, etc.) ou les interdictions
(d’utilisation, de manipulation, etc.). Ces mesures se réfèrent pour la plupart « au pouvoir
discrétionnaire de l’Etat souverain » (Bürgenmeier, 2005, p. 96) qui tente d’obtenir par la
coercition un changement comportemental, suivant ainsi une logique juridique de type norme
 mesure de police  sanction.

Les instruments incitatifs (ou économiques) sont la deuxième grande famille issue de la
littérature économique du bien-être. A l’opposé des contrôles directs, ces instruments sont
réputés être conformes à la logique du marché dans la mesure où ils ne rentrent pas en
contradiction avec les fondements théoriques du libéralisme économique, le choix des
comportements étant de facto laissé à la seule discrétion de l’individu, l’Etat ne faisant
qu’inciter ceux-ci à suivre une voie plutôt qu’une autre.

Parmi ces instruments économiques, nous trouvons principalement les systèmes de taxation et
de subventionnement (approche par les prix) et les systèmes d’échange de certificats (ou
marché de droits à polluer) (approche par les quantités). Cette dernière approche est favorisée
aux Etats-Unis alors que l’Europe favorise quant à elle les taxes97 qui selon Bürgenmeier
(2005) « forment le groupe d’instruments incitatifs le plus important » (p. 101) sur le vieux
continent.

Enfin, les instruments d’information et de persuasion, la distribution des droits de propriété,


les systèmes de dépôts, l’éduction, la recherche et le développement et les accords volontaires
sont, lorsqu’il y est fait référence, souvent compris dans une troisième catégorie de type
« fourre tout » avec des dénominations différentes selon les auteurs (par exemple, « autres
instruments »), ou sont érigés en catégorie nominative en tant que telle98, voire sont parfois
compris dans les deux premières catégories.

Comme le lecteur l’aura sans doute compris, l’analyse économique fonde son analyse sur les
deux premières catégories en s’attachant à démontrer la supériorité théorique en termes
d’efficience des instruments incitatifs sur les instruments réglementaires. Nous n’entrerons
pas en détail sur cette démonstration mais, tout en renvoyons le lecteur à l’Annexe 21 pour le
détail chiffré de la démonstration99, nous soulignerons ici uniquement que celle-ci consiste à

96
Issues d’un raisonnement combiné d’ingénieurs et de juristes, ces normes sont le plus souvent associées au
principe de la meilleure technique disponible et sont souvent négociées.
97
Taxes pigouviennes et/ou incitatives.
98
Sur la catégorie « accords volontaires », voir par exemple la définition que donnent Thalmann et Baranzini
(2004) des approches dites volontaires dans le contexte des politiques de protection du climat.
99
Voir par exemple également Perret (2005).

78
comparer sous l’angle de l’efficacité l’introduction d’une norme uniforme (pour la catégorie
command and control) à une taxe et à un système de permis négociables (pour la catégorie
instruments économiques), « toutes choses étant égales par ailleurs »100. Cette démonstration
n’étant que purement théorique, les économistes ont donc également développé des arguments
soulignant les avantages et les inconvénients pratiques des différentes catégories
d’instruments (voir par exemple Bürgenmeier, 2005).

3.1.2 Quelques classifications « institutionnelles »


Les classifications issues des travaux de l’OCDE sont souvent construites sur la base d’une
analyse de terrain et ne font référence qu’aux seuls instruments économiques. Quatre
catégories sont souvent distinguées (voire par exemple Barde 1997, OCDE, 1997) : les
redevances et taxes101, les permis négociables, les systèmes de consigne et les subventions.
Ces types d’instruments sont à leur tour différenciés en sous catégories (cf. Tableau 13 ci-
dessous).

Tableau 13 : Catégories et sous catégories institutionnelles d’instruments

Catégories Sous-catégories Quelques exemples

Taxes sur le CO2 (Norvège, Suède, Danemark, Finlande,


Redevances ou taxes
Pays-Bas) / Redevances sur les eaux usées (France,
Taxes et d’émission / Redevances
Allemagne, Pays-Bas) / Taxe sur les émissions industrielles
redevances d’utilisation / Redevances
de NOx, de HCL et de COV (France) / Taxe sur les décharges
ou taxes sur les produits
(Finlande, France et Royaume-Uni)

Dons / Prêts bonifiés /


Subventions Amortissement accéléré / Subventions à l’agriculture (pays de l’OCDE)
Crédit d’impôt

Echanges de droits d’émission de SO2 et NOx (USA)


Système de (marginalement, transfert d’obligations de réduction
permis - d’émissions (Allemagne) / principe de la « bulle » appliqué
négociables aux centrales électriques (Allemagne, Royaume-Uni) /
échanges de droits de polluer (Australie, Canada))

Consignes sur biens à


Consignes sur les récipients de boissons en verre, en métal ou
Systèmes de cycle court (batteries) /
en plastique (pays de l’OCDE) / Consignes sur les carcasses
dépôt/consigne Consignes sur biens à
de voiture (Grèce, Norvège, Suède)
cycle long (voitures)

Source : adapté de Barde (1997) et OCDE (1997)

Parfois, la catégorie générale des « instruments économiques » est également discutée et mise
en perspective au regard de la catégorie des « instruments réglementaires » – voir par exemple
Barde (1994) ou OCDE/AIE (2002), cette institution classant quant à elle les instruments en
six catégories : les instruments fiscaux (taxes, subventions, etc.), les permis négociables, les

100
Nous voulons ici insister sur le fait que cette démonstration est plutôt théorique et qu’elle est donc conçue
« en dehors » de toute « variabilité » qui caractérise les instruments une fois mise en œuvre de manière contrête
sur le terrain.
101
Les taxes sont définies comme des contributions obligatoires au budget de l’Etat sans contrepartie (les
prestations étatiques ainsi financées ne sont normalement pas proportionnelles aux contributions), alors que les
redevances correspondent aux paiements obligatoires avec contrepartie, c'est-à-dire avec un service fourni en
retour par l’Etat, généralement de manière proportionnelle aux contributions (Barde, 1997).

79
instruments de régulation, les accords volontaires, la recherche, développement et
démonstration (RD&D) et les instruments de processus politique (conseils, consultation,
information, etc.) – notamment pour souligner les différences, en termes d’avantages et
d’inconvénients, ainsi que de mixte instrumental102, des deux conceptions des politiques de
protection de l’environnement que sont, d’une part la stratégie traditionnelle régalienne, bien
implantée et répandue qui s’appuie sur les réglementations administratives de type command
and control (telles que les permis, les normes, les interdictions, etc.) et, d’autre part, la
stratégie plus récente des mécanismes conformes à la logique du marché, fondée sur la théorie
néo-classique des externalités (taxes, redevances et permis négociables).

Pour en revenir aux différents types d’instruments économiques, notons que selon Kaufmann-
Hayoz et al. (2001), l’une des typologies les plus détaillées est celle de Stavins (2000) qui
définit également quatre catégories d’instruments :

• les systèmes de redevances/taxes (charge systems) : taxes, redevances, subventions et


taxes sur primes d'assurance ;

• les systèmes de permis négociables (tradable permit systems) : système des crédits et
système des licences ;

• la éduction des barrières au marché (reducing market barriers) : création de marché,


règles de responsabilité et programmes d’information ;

• la réduction des subventions (reducing government subsidies) : dans le cas des


subventions portant atteinte à l’environnement.

Mais la typologie qui est sans doute la plus souvent citée est celles des économistes hollandais
Kirschen, Bernard, Besters, Blackaby, Eckstein, Faaland, Hartog, Morrisens, et Tosco
(Kirschen et al., 1964), qui différencie soixante-trois instruments (cf. Tableau 14 ci-après).

Pour Howlett (1991), elle représente probablement l’effort le plus exhaustif pour identifier et
catégoriser les instruments dans le domaine de la politique économique et constitue, dans tous
les cas, la première tentative de production d’un inventaire d’instruments103 (Howlett et
Ramesh, 1995, Linder et Peters, 1989).

Pour Vedung (1998), elle est la liste la plus détaillée qu’il ait trouvée dans la littérature.
Cependant, elle a pour corollaire le défaut majeur de ne pas être structurée et organisée.

Ainsi, Howlett et Ramesch (1995) font remarquer qu’aucun effort systématique n’a été
entrepris pour classifier ces soixante-trois instruments ou pour les analyser en fonction de leur
origine ou de leurs effets.

102
Barde (1994) note ainsi que « les instruments économiques ne sont jamais appliqués isolément et la réalité
nous montre l’existence de systèmes mixtes où instruments économiques et réglementations sont employés non
pas concurremment mais de façon complémentaire. » (p. 53).
103
Dans les termes de Linder et Peters (1989), la liste d’instruments dressée par Kirschen et ses collègues
représente plus un exercice d’énumération qu’une tentative de dresser une typologie.

80
Tableau 14 : La typologie de Kirschen et al. – tentative de classification

Catalogue des instruments de l’étude de Critère de regroupement : ?

regroupés en 9 groupes par Vedung (1998)


Kirschen et al. ?) 1-2
A) Expenditure instruments : 2-9
1. Manipulation of current balance of
B) Revenue instruments : 10-17
expenditures, 2. Manipulation of overall balance
C) Government new borrowing and lending : 18-21
of expenditures, 3. Government investment, 4.
D) Government operations in existing debts : 22-23
Subsidies and capital transfers to enterprises, 5.
E) Interest rate instruments : 24-26
Transfers to households, 6. Government stock
F) Instruments acting on credit ??? : 27-30
changes, 7. Current purchases of goods and
G) Instruments acting or lending or borrowing by
services, 8. Wages and salaries, 9. Transfers in
other agents : 31-34
the rest of the world, 10. Direct taxes on
H) Instrument of exchange rate : 35-36
household incomes, 11. Direct taxes on
I) Instruments of direct control
enterprise incomes, 12. Indirect taxes on
i.) Control of foreign trade, exchange and
internal transactions, 13. Customs duties, 14.
immigration : 37-41
Social security contributions, 15. Taxes on
ii.) Control of prices : 42-45
property, 16. Succession duties, 17. Transfers
iii.) Other controls on the internal economy : 46-63
from the rest of the world, 18. Lending abroad,
19. Lending to households and enterprises, 20.
Critère de regroupement : nature des ressources
Borrowing from abroad, 21. Borrowing from
gouvernementales utilisées
households and enterprises, 22. Open-market
operations in short-term securities, 23. Other A) public finance : ?
open-market operations in existing debt, 24. B) money and credit : ?
Bank rate, 25. Legal imposition of maximum C) exchange rates : ?
rates, 26. Government guarantees of loans, 27. D) direct control : ?
Reserve ratios, etc., 28. Quantitative stops on E) changes in the institutional framework : ?
advances, 29. Approval of individual loans, 30.
Other directives, recommendations, and
regroupés en 5 familles générales par Howlett (1991)

persuasion, 31. Control of local authorities and


nationalized enterprise borrowing, 32. Control
of private companies’ borrowing new issues, 33.
Control of hire-purchase transactions, 34.
Control of other financial institutions, 35.
Devaluations, 36. Revaluations, 37. Control of
private imports, 38. State import trading, 39.
Control of private exports, 40. Exchange
control, 41. Control of immigration, 42. Price
control of goods and services, 43. Rent control,
44. Dividend control, 45. Control of wages, 46.
Control of investment, 47. Raw material
allocation, 48. Control of operations, 49.
Regulation of conditions of work, 50. Control of
exploitation of natural resources, 51. Rationing
of consumer goods, 52. Quality controls and
standards, 53. Changes in the system of transfer
to households, 54. Chances in the system of
subsidies to enterprises, 55. Changes in the tax
system, 56. Changes in the credit system, 57.
Changes in the system of direct control, 58.
Agricultural land reforms, 59. Changes in the
conditions of competition, 60. Changes
increasing labor’s influence on management,
61. Changes in the extent of public ownership of
industry, 62. Creation of national institutions,
63. Creation of international institutions

Source : adapté de Howlett (1991) et Vedung (1998) faisant référence à Kirschen et al. (1964) pour partie de
gauche et de Vedung (1998) et Howlett (1991) pour partie de droite

81
Comme nous l’avons déjà expliqué, l’approche de Kirschen et al. est de type « maximaliste ».
Elle consiste à dresser de longue liste d’instruments issus de la pratique des politiques
environnementales. D’autres inventaires d’instruments gouvernementaux, certes moins
fouillés, ont également été entrepris. Nous vous en donnons ci-après quelques exemples (cf.
Tableau 15 ci-dessous).

Tableau 15 : Trois inventaires d’instruments – approche maximaliste

Auteurs Inventaires d’instruments

1. Formula grants, 2. Project grants, 3. Direct


pavements-unrestricted, 4. Direct pavements-
restricted, 5. Direct loans, 6. Loan guarantees, 7.
U.S. Office Management and Budget. (1981). Insurance, 8. Sale, exchange of property, 9. use of
Catalog of Federal Domestic Assitance. property facilities, 10. Provision of specialized
Washington, D.C. services, 11. Advisory services and counselling, 12.
Dissemination of technical information, 13. Training,
14. Investigation of complaints, 15. Federal
employment, 16. Property management

1. Grants, 2. Cooperative agreements, 3. Direct


payment, 4. Direct payment to individuals, 5.
U.S. Office Management and Budget. (1980). Vouchers, 6. Subsidies, 7. Prizes, 8. Loans with and
Managing Federal Assistance in the 1908’s. without subsidy, 9. Loans with various tapes of
Washington, D.C. forgiveness, 10. Loan guarantees, 11. Insurance, 12.
Regulation, 13. Procurement contracts, 14. Direct
federal action, 15. Fees

1. Expenditures, 2. Grants, 3. Welfare, 4. Loans, 5.


Chelf, C. P. (1981). Public Policymaking in Legal sanctions, 6. Self-regulation, 7. Inspection and
America: Difficult Choices, Limited Solutions. testing, 8. Taxation, 9. Service contracts, 10.
Santa Monica : Goodyear Publishing Company, Government ownership and operation, 11. Publicity
Inc. and investigation, 12. Certificates, 13. Licenses, 14.
Franchises

Sprenger, R.-U. (2000). Market-based instruments


in environmental policies : the lessons of 1. charges/taxes (1.1 emission charges/taxes, 1.2
experience. In Andersen, M. S. et Sprenger, R.-U., product charges/taxes, 1.3 user charges, 4. sanction
Market-based Instruments for Environmental charges), 2. deposit-refund schemes, 3. market
Management. Cheltenham, Northampton : Edward creations, 4. subsidies, 5. liability schemes
Elgar.

Source : adapté de Salamon et Lund (1989), Vedung (1998) et Sprenger (2000)

Enfin et pour conclure ce passage sur les listes institutionnelles, notons que le GIEC (2007c,
2008), le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat104, observe
également dans ses rapports de 2007 sur l’atténuation des changements climatiques que les
gouvernements ont la possibilité de mettre en œuvre un large éventail d’instruments politiques
qui possèdent chacun leurs avantages et leurs inconvénients. Ces instruments y sont classés
parmi les catégories suivantes : les règlements et normes, les taxes et redevances, les permis
négociables, les incitations financières (subventions et crédits d’impôts), les accords
volontaires, les outils d’information (notamment les campagnes de sensibilisation) et les
travaux de recherche, développement et démonstration (RD&D).

104
Un panel d’experts qui synthétise l’ensemble des recherches de nature scientifique sur le climat au niveau
mondial (voir 3e partie, chapitre 11, point 11.4).

82
3.1.3 Quelques typologies basées sur des critères concrets
Jeanrenaud (1997, notamment cité en référence par Kaufmann-Hayoz et al., 2001),
distinguent trois approches que l’Etat peut utiliser pour répondre à une défaillance du marché
dans le domaine de la protection de l’environnement : l’intervention directe, la modification
des comportements et le « laisser-faire ».

Ces trois approches soulignent les différents rôles (le critère de classification) que peut
endosser l’Etat dans le but de résoudre les problèmes qu’il se doit de solutionner. Sur cette
base, l’auteur établit une typologie des stratégies d’intervention et des instruments. (cf.
Tableau 16 ci-après).

Tableau 16 : Approches / Stratégies / Instruments

Allocation de ressources Investissements publics dans la protection de


I. Intervention directe
financières l’environnement ou la recherche

II. Modification des


Information et éducation Campagnes d’information et éducation
comportements

Réglementation directe
(command et control)
Standards, permis, interdictions, zonages, etc.

Régulation basée sur les Taxes, permis négociables, système de


incitations dépôts, mise en œuvre conjointe

Privatisation Propriété privée des ressources

Négociation sur base Allocation des droits de propriété


III. Laisser-faire
volontaire Responsabilité civile pour les dommages

Source : adapté de Jeanrenaud (1997)

Néanmoins, se concentrant tout naturellement sur les instruments économiques105 et


constatant que le terme est couramment réservé aux seuls instruments basés sur des incitations
conformes à la logique du marché, l’auteur élargit cette catégorie aux conventions et autres
accords négociés qui ont selon lui « de nombreux points communs avec les instruments
économiques [several points in common with economic instruments] » (p.11). Par ailleurs, ces
différentes catégories d’instruments peuvent également être comparées sous différents points,
notamment au regard de leur degré de flexibilité/rigidité (cf. Tableau 17 ci-après).

Différents auteurs construisent également des typologies sur la base de critères spécifiques
mais en se limitant aux seuls instruments économiques. C’est le cas d’un auteur comme
Lohman (1994, cité en référence par Kaufmann-Hayoz et al., 2001) qui distingue les
instruments en fonction de leur « implication comportementale » en déclinant les instruments
sous trois formes :

• les instruments financiers qui sont introduits dans le seul but de financer des tâches ou
activités de protection de l’environnement ;

105
Qu’il définit comme étant caractérisés par a) le fait qu’ils incitent les pollueurs à prendre en compte dans leur
choix les dommages dont ils sont responsables, b) le fait qu’ils influencent les comportements des pollueurs par
l’incitation plutôt que par la contrainte, c) le fait qu’ils informent les pollueurs du « vrai » coût de l’utilisation
des ressources naturelles (directement par des charges ou indirectement par le marché) et d) le fait qu’ils laissent
les pollueurs libres de choisir les moyens pour réduire leurs pollutions.

83
• les incitations économiques qui induisent, quant à elles, un effet incitatif sur les
comportements ;

• les instruments financiers « mixtes » qui ont pour effet secondaire de produire
également des incitations comportementales.

Tableau 17 : Modifier les comportements, rigidité vs flexibilité des instruments

Instruments Information et
Régulations directes Régulations incitatives
Caractéristiques éducation

Rigidité Contrôle direct « strict »


(technology-based
regulation)
Contrôle direct « soft »
(emission-based
regulation)
Contrôle direct Instruments économiques (taxes, permis
Flexibilité « smart » (cost-effective Autorégulation
négociables)
regulation)
Convention reliée a un instrument incitatif
Engagement
Accord entre état (mise en œuvre conjointe)

Source : adapté de Jeanrenaud (1997)

C’est également le cas de Turner et Oschor (1994, cité en référence par Kaufmann-Hayoz et
al., 2001) qui distinguent les instruments au regard du type d’influence qu’ils ont sur le
marché, en différenciant :

• les instruments qui modifient directement les prix relatifs : taxes sur la production et
les procédés, système de dépôts ;

• les instruments qui influencent indirectement les prix relatifs : subventions et


incitations d'application (honoraires de manque de conformité et garanties de bonne
exécution) ;

• les instruments qui consistent à créer des marchés : échange de droits d’émission et
mise aux enchères de quotas ;

• les instruments qui consistent à supporter le marché : les instruments de stabilisation


des prix comme le recyclage des produits.

3.2 Une typologie issue de la sociologie du droit

Passablement d’auteurs qui dressent des typologies d’instruments politique commettent selon
nous l’erreur de confondre instruments juridiques et instruments des politiques publiques dans
la mesure où ils nous soumettent une catégorie « instruments législatifs/légaux/juridiques » –
dont la caractéristique principale serait la contrainte – aux côtés des autres catégories106.
106
Soit les instruments économiques, les instruments d’information, etc.

84
Cela s’explique selon nous principalement par le fait qu’ils attribuent à cette catégorie, par
opposition aux autres catégories, une caractéristique qui semble la définir : la
contrainte/coercition et qu’ils utilisent ainsi, bien souvent, les catégories instruments
contraignants et instruments légaux comme des synonymes.

Ceci peut s’expliquer dans la mesure où l’Etat possède le monopole de la contrainte légitime
et qu’au début du XIXe siècle, le droit était synonyme de contrainte. Le raccourci est donc vite
établi entre instruments légaux et instruments contraignants. Néanmoins, cette simplification
néglige trois points importants qu’il nous faut d’ores et déjà relever :

• aujourd’hui, le droit ne peut plus être réduit à la contrainte, d’autres formes de


régulations étant apparues ; le raccourci contrainte  loi/droit n’est plus pertinent ;

• toute intervention de l’Etat dans la société (à l’aide d’instruments) se doit d’être


fondée sur une base légale dans un Etat démocratique (principes de l’Etat de droit et
de légalité) ; aussi, tous les instruments des politiques publiques sont, certes à des
degrés différents, des « instruments légaux »107 ;

• contrainte et coercition sont deux notions qu’il ne faut pas confondre, la contrainte
n’étant pas l’apanage unique des instruments coercitifs dans la mesure où d’autres
types instruments peuvent se révéler très contraignants également108.

En conséquence, les instruments légaux – les lois de manière générale – ne peuvent être
considérés comme un type d’instrument politique dans la mesure où tous les instruments
doivent s’appuyer sur une base légale dans un Etat démocratique.

En effet, comme le souligne Kaufmann-Hayoz et al. (2001), la sphère d’action de l’Etat ne


peut dépasser le cadre légal. En ce sens, les nouveaux instruments dits de « l’action
administrative informelle [‘’informal administrative action’’] » (p.95)109 tels que les accords
volontaires et les instruments de communication et de diffusion de l’information exigent (ou
devraient exiger) de manière ultime une certaine base juridique110, ce qui n’est toutefois pas

107
Les instruments économiques (taxes, subventions, etc.), les instruments d’information (par exemple une
campagne d’information) ou d’autres types d’instruments trouvent en effet leur ancrage (certes de manière
différente) dans la loi, au même titre que les instruments coercitifs (interdiction, obligation, etc.) qui nécessitent
néanmoins une assise légale plus solide, soit si l’on peut dire proportionnelle aux restrictions de liberté qu’ils
induisent ! Notons également que les instruments qui impliquent des conséquences fiscales pour les citoyens
(taxes, impôts, …) nécessitent également une base légale solide.
108
Nous reviendrons sur ce point dans le cadre de la 2e partie de notre recherche (voir 2e partie, chapitre 7, point
7.2.2), cependant notons déjà que nous définissons la contrainte du point de vue de l’acteur cible : l’acteur est
contraint lorsque l’instrument utilisé diminue drastiquement ses options comportementales (la contrainte
maximale étant atteinte lorsqu’on ne lui laisse qu’une seule et unique option). La coercition (légitime) quant à
elle se définit par la capacité de l’Etat à utiliser la force (en dernier recours) afin de contraindre les acteurs ciblés
par l’intervention. En ce sens l’Etat peut utiliser d’autres manières de contraindre les acteurs cibles que la seule
coercition. La coercition est de fait contraignante mais l’inverse n’est pas vrai.
109
Dans le domaine de la science de la jurisprudence, l’action de l’Etat dans le domaine de l’information et des
recommandations – définie comme étant une zone grise dans le système du droit du fait de son positionnement
ambigu au regard du principe de légalité – a récemment été classée sous la catégorie « action administrative
informelle [‘’informal administrative actions’’] » (Kaufmann-Hayoz et al., 2001, p. 95).
110
Outre cette base juridique requise, les instruments de communication et de diffusion devraient, à l’image de
tous les instruments, être mis en œuvre sous réserve du respect de certains grands principes du droit tels que le
respect des droits fondamentaux, l’égalité de traitement et l’interdiction de l’arbitraire.

85
toujours très clairement établi, nous vous l’accordons, induisant un problème sur la plan de la
sécurité juridique.

Ainsi, comme le souligne très justement Kaufamann-Hayoz et al., de nombreux instruments –


dans le domaine de « l’action administrative informelle » que l’on peut également qualifier
de domaine du « management environnemental » ou de nouvelle « gouvernance
environnementale » – par exemple dans le secteur de la communication et de la diffusion
d’information ou des accords volontaires, sont relativement nouveaux dans le domaine de la
jurisprudence et n’ont pas encore donner lieu à un examen étendu de leur légalité111
(problème de sécurité juridique).

Par conséquent, avant d’aborder la question des typologies d’instruments politiques issues du
droit, un bref rappel sur les types d’instruments juridiques (à ne donc pas confondre avec les
instruments contraignants) s’impose. Nous prendrons à titre d’exemple concret le cas des
instruments juridiques en Suisse.

3.2.1 Les instruments juridiques


Traditionnellement, le droit distingue les instruments légaux, soit les obligations légales (la loi
est une disposition sociale obligatoire/qui engage et est exécutoire), qui créent des droits et
des obligations (conséquences légales) des autres types de normes comportementales telles
que les obligations éthiques ou morales (Kaufmann-Hayoz et al., 2001). Cinq types
d’instruments juridiques-légaux sont généralement identifiés (Kaufmann-Hayoz et al., 2001) :

1. les actes normatifs (ou normes de droit) (statutes) qui vont des normes générales et
abstraites de plus haut niveau hiérarchique comme la constitution (définition de la loi)
aux différents actes d’ordre inférieur tels que les ordonnances d’application, en
passant par les lois ;

2. les décrets et décisions (orders, directions, acts decreed) qui, sur la base des normes
générales et abstraites, définissent les droits et obligations individuels d’un individu
dans une situation particulière ; ils induisent notamment des charges (détermination de
l’impôt) ou des faveurs (permis de construire, etc.) ;

3. des formes transitoires entre lois et décrets tels que les plans d’aménagement du
territoire qui définissent les options d’utilisation et d’occupation du sol dans des zones
particulières ou des décrets généraux tels que l’interdiction de conduire dans une rue
piétonne ;

4. les contrats qui, similairement aux décrets, déterminent des droits et des obligations
pour des acteurs privés mais qui, contrairement aux décrets, ne sont pas le résultat
d’une imposition unilatérale souveraine mais issus d’un processus horizontal sur la
base de l’action volontaire ;

111
Pour illustrer ce point dans le domaine de la politique climatique suisse, nous pouvons nous référer à l’avis
des experts de la commission de la concurrence sur le centime climatique (ComCo, 2004) qui considèrent que ce
prélèvement faits par le secteur privé sur l’essence peut être considéré comme une restriction considérable à la
concurrence. Par ailleurs, dans le cadre de la procédure de consultation (DETEC 2005) relatives aux quatre
variantes de mesures requises pour atteindre les objectifs de réduction des émissions fixés dans la loi sur le CO2
les partis politiques en faveur de la taxe CO2 définissent le centime climatique comme un impôt dénué de base
légale, notamment en se référant à l’avis de la Commission de la concurrence précité.

86
5. l’action administrative de facto (de facto administrative action) qui ne défini ni des
droits ni des obligations mais fournit des services (par exemple peuvent relever de la
responsabilité/compétence de l’Etat l’approvisionnement en eau et en énergie, tout
comme le traitement des eaux usées ou l’éducation) ; la privatisation peut également
faire partie de cette catégorie.

En Suisse, nous trouvons plus particulièrement les types d’actes normatifs suivants (Auer,
Malinverni et Hottelier, 2000) : a) la Constitution, norme suprême de l’Etat, b) les lois et
arrêtés et c) les ordonnances. Ces différents types d’actes peuvent se distinguer de manière
hiérarchique sur le plan formel, c’est-à-dire en fonction de la procédure et de l’organe
d’adoption qui consacrent leur niveau de légitimité démocratique112 (cf. Figure 4 et Encadré 5
ci-dessous pour plus de précisions en ce qui concerne le droit Suisse). A ces actes normatifs,
nous pouvons ajouter d) les décisions, e) les contrats et f) la privatisation (réglementée par le
droit civil).

Figure 4 : Les actes normatifs en Suisse et leur degré de légitimité


Actes normatifs Organe d'adoption Procédure d'adoption
- degré de légitimité +
liens de subordination

Constitution Constituant (peuple et cantons) Référendum obligatoire (cf. Annexe 12)




Lois et arrêtés Parlement (AF) Référendum facultatif (cf. Annexe 12)




Ordonnances Gouvernement (CF) / Parlement (AF)



Source : adapté de Auer, Malinverni et Hottelier (2000)

Encadré 5 : Petits rappels généraux de droit suisse


Une norme se définit comme une règle de droit ; le critère matériel qui permet de la définir (son contenu) est
son caractère général et abstrait (un acte normatif est donc, du point de vue matériel, un acte qui contient des
normes à caractère général (s'applique à un nombre indéterminé de personnes) et abstrait (s'applique à un
nombre indéterminé de cas)) ; c'est grâce à ces deux concepts (généralité et abstraction) que l'on peut
différencier une norme d'une décision, une décision représentant un acte particulier ou individuel (et non
général) qui s'adresse à un individu et un acte concret (et non abstrait) qui s'applique à une situation précise
(une décision doit d'ailleurs toujours se fonder sur une règle de droit selon le principe de la légalité).
Le processus de création de la loi est aujourd'hui entre les mains de plusieurs organes : le parlement
(compétence traditionnelle issue du principe de la séparation des pouvoirs) mais aussi et dans une moindre
mesure de l'exécutif (pour des raisons pratiques) et du judiciaire (via l’interprétation et la création de sens). En
ce qui concerne le pouvoir judiciaire, chaque processus d'application de la loi la précise, en fixe ses contours,
l’interprète et lui donne du sens, c'est ainsi qu'il crée du droit.
Les actes normatifs en Suisse selon le critère formel :
 la constitution : acte normatif supérieur de l’Etat, loi fondamentale, norme suprême
 les lois fédérales : actes adoptés par l'Assemblée fédérale soit les lois fédérales, les ordonnances de
l’Assemblée fédérale, les arrêtés fédéraux et lois fédérales urgentes (cf. Annexe 13)
 les ordonnances : les ordonnances du Conseil fédéral (cf. Annexe 14)
Les arrêtés fédéraux ne sont pas des actes normatifs selon le critère matériel qui définit une norme comme
contenant une règle de droit (norme à caractère général et abstrait).
Source : adapté de Auer, Malinverni et Hottelier (2000)

112
La hiérarchie (liens de subordination) des actes normatifs est ainsi fondée sur leur degré de légitimité
démocratique.

87
3.2.2 Confusion entre instruments légaux et instruments politiques
Dans leur ouvrage, Kaufmann-Hayoz et al. (2001) établissent (avec un peu de peine toutefois)
un lien direct entre leurs cinq catégories d’instruments politiques et les cinq types
d’instruments juridiques que sont : 1) les lois/règlements, 2) les décrets/décisions, 3) les
formes transitoires, 4) les contrats et 5) l’action administrative de facto (cf. Tableau 18 ci-
dessous).

Tableau 18 : Une équivalence entre instruments politiques et instruments juridiques, la confusion à ne


pas commettre !

Typologie des instruments de Instruments juridiques


Kaufmann-Hayoz et al. (2001) 1 = lois/règlements
2 = décrets/décisions
3 = formes transitoires
4 = contrats
5 = action administrative de facto

Assimilables à 1, à l’exception des systèmes de permis et d’autorisation


Contrôles directs
équivalents à 2

Assimilables à 2 (par exemple, les subventions constituent un droit et une


faveur alors qu’une taxe représente une obligation et une charge). Les
Instruments économiques marchés de permis négociables par contre peuvent êtres assimilés en
partie à 1 et non à 2 dans la mesure où ils règlent de manière générale et
abstraite un système concurrentiel.

Services et infrastructures -

Assimilables à 4 tant que les droits et obligations sont des éléments


Accords volontaires
contractuels, sinon assimilables à 5

Instruments de communication Assimilables à 4 tant que les droits et obligations sont des éléments
et de diffusion contractuels, sinon assimilables à 5

Source : adapté de Kaufmann-Hayoz et al. (2001)

Comme nous l’avons déjà relevé, cette équivalence entre instruments contraignants (les
contrôles directs) et instruments législatifs (lois/règlements) n’est pas pertinente de notre point
de vue et porte même à confusion. En effet, tant les instruments de services et d’infrastructure
que les accords volontaires ou que les instruments de communication et de diffusion trouvent
leurs fondements dans la loi.

Cette confusion malheureuse se retrouve également chez des auteurs comme Lascoumes et Le
Galès (2004) qui relèvent par ailleurs que « toute analyse des instruments a du mal à échapper
à la tentation de s’achever sur une typologie » (p. 359). S’inspirant de la typologie de Hood
(1986), qui selon eux, constitue la référence des études contemporaines sur les instruments,
les auteurs proposent de distinguer cinq grands modèles d’instruments113 (cf. Tableau 19 ci-
après).

113
La typologie de Lascoumes et Le Galès (2004) s’appuie sur celle de Hood qui, rappelons-le, se fondait sur les
ressources mobilisées par les autorités publiques, à savoir nodality, authority, pressure, institution. Ils l’on
reformulée et complétée en tenant compte des types de rapport politique organisés par les instruments et des
types de légitimité qu’ils supposent.

88
Tableau 19 : La typologie de Lascoumes et Le Galès

Type d’instrument Type de rapport politique Type de légitimité

Imposition d’un intérêt général par des


Législatif et réglementaire Etat tuteur du social représentants mandatés élus ou de hauts
fonctionnaires

Etat producteur de richesse, Recherche d’une utilité collective


Economique et fiscal
Etat redistributeur Efficacité sociale et économique

Conventionnel et incitatif Etat mobilisateur Recherche d’engagement direct

Informatif et Explication des décisions et


Démocratie du public
communicationnel responsabilisation des acteurs

Mixte : scientifico-technique et
Ajustements au sein de la société
Normes et standards démocratiquement négociée et/ou
civile
Best practices concurrence, pression des mécanismes
Mécanismes de concurrence
de marché

Source : Lascoumes et Le Galès (2004)

Dans les termes de ces auteurs, les instruments législatifs et réglementaires représentent
l’archétype de l’interventionnisme étatique. Néanmoins, soulignent-ils tout de même par la
suite, les instruments économiques et fiscaux nécessitent une élaboration légale identique aux
instruments législatifs et réglementaires dans la mesure où, représentant des techniques et des
outils monétaires, ils impliquent une légitimité particulière. Nous pouvons également pour
notre part ajouter que les trois dernières catégories d’instruments qu’ils proposent nécessitent
également une base légale, même si ces dernières114, comme le soulignent Lascoumes et Le
Galès, ont en commun de proposer des formes de régulation moins dirigistes qui intègrent les
critiques formulées à l’égard des instruments de type « command and control ». Cette
nouvelle organisation (différente) des rapports politiques, basée sur la communication et la
concertation, renouvelle ainsi les fondements de la légitimité :

Aujourd’hui, « gouverner par contrat » est devenu une injonction générale comme si le
recours à de tels instruments constituait a priori le choix d’une démarche juste et validée.
En fait, cette justification s’effectue sur un double registre. Tout d’abord, la
généralisation de ce mode d’intervention s’est faite dans un contexte de forte critique de
la bureaucratie, de sa lourdeur, de son caractère abstrait et déresponsabilisant. Ensuite, la
critique portait sur la rigidité des règles législatives et réglementaires et sur les impasses
de leur universalité. Dans des sociétés en mobilité croissante et animées par des secteurs
et sous-secteurs en quête d’autonomie normative constante, seuls des instruments
participatifs étaient censés pouvoir fournir des modes de régulation adéquats. Le cadre
conventionnel et les formes incitatives qui y sont liées présupposent un Etat en retrait de
ses fonctions traditionnelles, renonçant à son pouvoir de contrainte et s’engageant dans
des modes d’échange d’apparence contractuelle. Apparence, parce que les questions
centrales d’autonomie des volontés, de réciprocité des prestations et de sanction du non-
respect des engagements sont rarement prises en compte. L’Etat dirigiste est dès lors
censé faire place à un Etat animateur ou coordinateur, non-interventionniste et menant
principalement des actions de mobilisation, d’intégration et de mise en cohérence. Les
travaux réalisés depuis en ce domaine s’accordent pour considérer que la légitimité
principale de ce type d’instrument provient davantage de l’image moderniste et surtout

114
Souvent qualifiés de « nouveaux » instruments.

89
libérale de l’action publique dont il est porteur que de leur efficacité réelle qui est
d’ailleurs rarement évaluée [Gaudin, 1999]. (pp. 362-363)

Encore une fois, mais sans remettre en question l’analyse pertinente que font les auteurs des
nouveaux types d’instruments, une confusion entre instruments législatifs et instruments
contraignants (command and control) est donc faite. Mais ce ne sont de loin pas les seuls
auteurs à la commettre, remémorons-nous par exemple les typologies de Hood (1983/1990),
Van der Doelen (1989), De Bruijn et Hufen (1998) et Vedung (1998). Nous verrons par la
suite que Gardner et Stern (1996) font également ce lien direct improbable.

3.2.3 Aux frontières du droit et des politiques publiques


Le droit et les politiques publiques ne font pas bon ménage. Les politologues ont oublié
que pour l’essentiel les politiques publiques s’inscrivent dans des formes juridiques. Les
juristes n’ont pas compris qu’un droit nouveau, très différent du droit moderne, voit le
jour. (Morand, 1999, postface)

Dans son ouvrage de synthèse, Le droit néo-moderne des politiques publiques, Morand
(1999), analyse l’évolution du droit, notamment au regard des modalités d’intervention
étatique. L’auteur distingue ainsi cinq types d’Etat – qu’il considère comme des idéaltypes au
sens wébérien du terme – auxquels il rattache une forme particulière de droit et des modalités
d’action différente115.

D’une manière synthétique, nous pouvons dresser le tableau suivant des formes d’Etat, de
droit et de modalité d’action (cf. Tableau 20 ci-après). Notons cependant que si les types
d’Etat et les formes de droit sont explicitement énoncés par l’auteur, la colonne « modalité
d’intervention » incombe, dans une certaine mesure, à un travail d’interprétation de notre
part116. Vous ne trouverez par exemple pas les termes de mesures propulsives ou mesures
réflexives sous la plume de l’auteur. Néanmoins, nous avons pris le soin de faire correspondre
ces catégories à différents exemples concrets de mesures que donne plus ou moins
explicitement l’auteur.

Ces différentes formes d’Etat et de droits (auxquels nous avons rattaché différents types de
modalités d’intervention) constituent selon nous une tentative intéressante pour dresser une
typologie des instruments politiques dans la mesure où elles sont particulièrement révélatrices
des différentes manières que l’Etat peut mettre en œuvre pour orienter les comportements des
acteurs socio-économiques – notamment dans une perspective orientée acteurs – parmi
lesquels nous trouvons notamment la contrainte117, la fiscalité, l’information et les
infrastructures.

Aussi allons-nous nous attarder quelques instants sur la typologie des Etats du Professeur
Morand. Ce petit intermède nous permettra donc d’exposer une vision de l’action de l’Etat qui
a été une source d’inspiration non négligeable dans le déclenchement de notre réflexion sur la
nature des types d’instruments des politiques publiques.

115
Nous reviendrons sur les développements de l’auteur quant à l’évolution historique de ces types d’Etat et de
modalité d’action dans le chapitre 4.1.2. Pour l’instant nous nous contenterons d’énumérer les différents types
d’Etat et de modalité d’action sans développer cette perspective historique.
116
Notamment concernant le lien direct entre types d’Etat/formes de droit et modalités d’intervention.
117
Que nous remplacerons quant à nous par la notion de coercition dans le cadre de notre typologie.

90
Tableau 20 : Formes d’Etat, formes de droit et modalités d’intervention étatique

Formes d'Etat Formes de droit Modalités d’intervention / exemples

Etat libéral Droit moderne Mesures de police / contraignantes


- mesures visant à défendre la propriété et la liberté, à garantir
l’ordre public, notamment la sécurité des personnes et des biens
et la loyauté dans les transactions commerciales

Etat providence Droit de l'activité Mesures de prestations


de prestation - réalisations d’infrastructures
- instruction publique
- services publics (santé, secours, communication, etc.)
- assurances sociales
- subventions
- contrats de prestation
Droits
- droits sociaux
- droits fondamentaux
- droits-créances
Mesures de prélèvements
- prélèvements obligatoires avec ou sans contrepartie
- imposition proportionnelle et/ou progressive

Etat propulsif Droit des Mesures propulsives


programmes - principes directeurs
finalisés - planification
- directives administratives
- évaluation

Etat réflexif Droit des Mesures réflexives


programmes - contractualisation de la formation, de la mise en œuvre et de
relationnels l'application du droit
- autoréglementation dirigée
- mécanismes de régulation conforme à la logique du marché
(taxes d’orientation et système de permis négociables)
- planification réflexive et émergente

Etat incitateur Droit fondé sur la Mesures incitatives


persuasion et - actes incitateurs : recommandations, accords volontaires,
l'influence principes directeurs dépourvus de force obligatoire, actes
incitateurs des autorités administratives indépendantes (avis,
propositions, recommandations et autres moyens de diffusion de
l’information), création d'institutions dépourvues de pouvoir de
décision)
- actes à visée normative : actes internes à effets externes, actes
sur l’environnement humain, expertise
- information, persuasion, diffusion de connaissances, formation

Source : adapté de Morand (1999)

3.2.4 Une typologie des Etats et de leurs modalités d’action


Comme nous venons de le voir, Morand (1999) défini cinq types d’Etats auxquels nous avons
associés cinq types d’instruments d’action.

91
A) Le droit moderne de l’Etat libéral
Selon Morand (1999), nous pouvons qualifier de moderne un droit fondé sur une légitimité
légale rationnelle et qui repose sur les deux piliers que sont l’Etat de droit et l’Etat
démocratique :

• le principe mécanique de l’Etat de droit118, qui veut que l’action étatique soit conçue
en vertu et conformément au droit, en constitue le premier fondement de légitimation ;

• le principe de l’Etat démocratique, qui consiste à légitimer les règles par leur vertu
démocratique et à en assurer la meilleure légitimité qui soit, en constitue le second

Ce dernier principe « sert [ainsi] à clôturer le système de légitimation établi par le modèle
mécanique d’application du droit » (p. 27).

Le droit moderne se révèle donc être autonome et fondé sur des normes générales, abstraites
et légitimes. En d’autres termes, il réalise :

la synthèse entre la conception du droit de l’Etat de police (Polizeistaat) qui voit dans le
droit un commandement, une force irrésistible et la conception de l’Etat de droit
démocratique qui rend ce commandement acceptable, parce que fondé sur des règles
générales et acceptées, du fait qu’elles émanent du peuple (démocratie directe) ou
d’autorités élues par lui (démocratie représentative). (p. 28)

Cette synthèse n’est d’ailleurs pas sans rappeler la conception wébérienne de l’Etat qui est
définie par Weber (1956/1995) comme l’organisation institutionnelle, le groupement
politique, qui revendique avec succès le monopole de la contrainte légitime.

Ainsi, conformément à la conception libérale de l’Etat, l’action étatique doit être fondée sur
une norme générale et abstraite dans le but de garantir la liberté de l’individu contre
l’arbitraire119 (Morand, 1999). Elle s’appuie sur un droit qui s’applique à tous et d’une
manière identique ou, comme le veut la formule, « à un nombre illimité d’individus et pour un
nombre illimité de cas ».

Le droit moderne est donc général, abstrait et prévisible. Mais, comme nous l’avons déjà
entrevu, il est également de nature contraignante. Et c’est là, remarque Morand, l’héritage le
plus important de l’Etat de police120.

118
Qui repose sur une conception libérale de l’exercice du pouvoir.
119
Nous pouvons dire du droit moderne qu’il est paré d’un voile d’indifférence ou plutôt d’ignorance, pour
reprendre la terminologie rawlsienne.
120
Comme le relève si bien Morand (1999), cette conception du droit contraignant, sanctionné par la force, de
cet Etat autoritaire, en possession d’une puissance de coercition irrésistible, fut largement soutenue par de
multiples auteurs dont Benjamin Constant, selon lequel l’Etat devait être fort et tout-puissant dans sa
sphère « pour assurer la paix civile et la jouissance paisible des biens » (p. 38), Saint Thomas d’Aquin, qui
définissait le droit par « la règle et le pouvoir coercitif de celle-ci » (p. 38), Hobbes, pour qui métaphoriquement
« covenants without swords are but words » (Hobbes, cité par Morand, 1999, p. 38), Bentham, selon lequel « la
loi est synonyme de coercition » (p. 38), Austin, qui identifie le droit au commandement et qui caractérise celui-
ci « par le fait que celui qui commande est prêt à infliger un mal ou une peine à celui qui désobéit » (p. 39),
Jehring, qui décrivait la force du droit en ces termes aux accents lyriques : « une règle de droit dépourvue de
contrainte juridique est un non-sens : c’est un feu qui ne brûle pas, un flambeau qui n’éclaire pas » (Jehring,
1901, cité par Morand, 1999, p. 39), Kelsen, qui « a beaucoup contribué à identifier le droit à la sanction et celle-
ci à la contrainte » (p. 39) et Weber, comme nous l’avons déjà remarqué.

92
Aussi, si nous devions résumer en quelques points la conception de l’Etat libéral, nous
dirions :

• qu’il use de son pouvoir de contrainte/coercition (cf. Encadré 6 ci-après) ;

• qu’il se borne ainsi à une fonction de police ;

• qu’il est dépositaire du droit irrésistible de commandement (droit légitime puisque


fondé sur des règles générales et abstraites acceptées démocratiquement) ;

• et qu’il agit d'une manière autoritaire et unilatérale sur la base d'un droit public
contraignant s'appuyant sur la sanction.

ou, pour faire plus simplement et en reprenant les termes de l’auteur, que sa « toute puissance
[…] s'exprime par un droit fort, sanctionné et coercitif » (p. 38).

Encadré 6 : Clarifications quant à l’association des notions d’Etat libéral et de contrainte


Il peut paraître paradoxal d’associer le terme d’Etat libéral à la notion de contrainte. Cependant, cette
association traduit pourtant une réalité historique.
En effet, comme le relève Morand (1999), le droit public contraignant constitue « l’héritage le plus important de
l’Etat de police [… et] le libéralisme ne remet pas en question la conception de l’Etat fort et du droit-
contrainte » (p. 38). Aussi, pour assurer le fonctionnement d’une économie de marché – de l’ordre spontané –
« l’Etat doit être fort dans sa sphère » (p. 38).
Dans cette optique, nous pouvons ainsi dire que le concept d’Etat libéral (ou d’Etat de police) est semblable à
celui d’Etat minimal dans le sens où l’Etat doit garantir, de manière unilatérale et contraignante, l’ordre public,
notamment la sécurité des personnes et des biens et la loyauté dans les transactions commerciales.
D’ailleurs, comme le relève Morand « si dans la conception libérale l’Etat doit agir par la contrainte, celle-ci
doit cependant être contenue [ou strictement confinée] » (p. 40) aux fonctions que doit remplir l’Etat libéral
minimal.
De plus, le qualificatif d’Etat libéral, qui traduit les conceptions d’Etat de droit et d’Etat démocratique, par
opposition à la structure du pouvoir de l’ancien régime, peut également porter à confusion dans la mesure où les
deux autres types d’Etats auxquels nous allons faire maintenant référence, l’Etat réflexif et l’Etat incitatif, n’en
sont pas moins des Etats démocratiques fondés sur le droit (mais un droit de nature différente, plus incertain,
moins contraignant).
Source : Morand (1999)

B) L'Etat providence
Le terme d’Etat providence est ici employé pour « désigner, soit de manière étroite, le passage
vers une gestion assurantielle des problèmes sociaux, soit de manière beaucoup plus large
pour caractériser la délivrance par les pouvoirs publics de prestations sociales ou autres »
(Morand, 1999, p. 55). Il est considéré par l’auteur comme le contrepoids naturel au
développement du libéralisme sociétal :

La croissance de l’Etat providence qui paraissait à peu près infinie jusqu’à un temps
récent, doit énormément au dynamisme social enclenché par le libéralisme. C’est grâce
aux gains de productivité provenant de l’activité libérée des entraves corporatistes que
l’Etat a été capable de développer la solidarité et de corriger les inégalités de faits
engendrées par le marché. C’est aussi parce que l’Etat libéral a supprimé les formes
ordinaires de solidarité et qu’il a simplifié le social en laissant l’individu seul face à
l’Etat que l’Etat providence s’est révélé indispensable. La simplification des rapports

93
sociaux qu’opérait le libéralisme engendrait de manière presque mécanique la croissance
de l’Etat providence. (p. 56)

Aussi, selon Morand (1999), voit-on l’Etat providence fournir ou développer d’innombrables
prestations déjà mises en œuvre par le passé121 : réalisations d’infrastructures, développement
de l’instruction publique, développement de services publics dans des domaines tels que les
secours et, élément caractérisant l’Etat providence, le développement des assurances sociales
(maladie et accident).

Du point de vue du droit, ces différentes prestations ont été fondées sur des normes générales
légitimées démocratiquement et précisées dans des règles déterminant les droits aux
prestations et, corollaire nécessaire, le montant des prélèvements sociaux destinés à les
financer. Les activités de prestations sont ainsi indissociables de la fonction redistributive des
pouvoirs publics et donc de l’impôt.

Mais l’Etat providence, au-delà de la seule fourniture de prestations, a également contribué à


ériger au niveau constitutionnel un certain nombre de principes et de droits sociaux, que les
juristes regroupent sous le concept d’Etat social122, compris comme la face juridique de l’Etat
providence. Ainsi, il a tout d’abord été reconnu que des restrictions aux libertés
individuelles123 pouvaient être justifiées pour des motifs de politique sociale (intérêts publics).
Ensuite, ont été ancrés dans les Constitutions des droits sociaux qui ne conduisent pas à la
création de droits subjectifs124 tels que le droit au travail en France et des droits fondamentaux
comme le droit de grève. Ces deux types de droits sociaux ont été construits sur le modèle des
droits défensifs impliquant une abstention de la part de l’Etat. Enfin, un troisième type de
droits sociaux, impliquant quant à eux un droit subjectif et constitutionnel à l’octroi de
prestations, est également apparu : les droits-créances.

La consécration constitutionnelle des droits sociaux et notamment des droits-créances qui se


sont vus concrétiser dans la pratique administrative a fondamentalement bouleversé les
rapports entre administrateurs et administrés. Ces derniers sont tout d’abord devenus des
usagers bénéficiant d’une relation non plus autoritaire mais égalitaire avec l’administration
(de prestation) relevant d’un rapport de droit privé. Puis, par la suite, avec l’émergence de la
nouvelle gestion publique, les usagers se sont transformés en clients auxquels il faut
désormais fournir des prestations de manière souple et individualisée. Le droit de
l’administration de prestation n’est pas (plus) autoritaire, il est (de plus en plus) souple et
soumis en large part au droit privé :

Si l’action de l’Etat s’est considérablement étendue du fait du développement de


l’administration de prestation et des services publics, elle s’est faite plus douce, moins
contraignante. L’action bienfaisante de l’Etat ne pouvait pas se faire à coup de décisions
autoritaires ressortissant à l’exercice de la puissance publique. Elle générait une autre
conception du droit que celle qui régnait au XIXe siècle. Les métaphores de l’épée, du
feu qui brûle, n’étaient plus de mise […]. La théorie du service public repose sur la

121
L’auteur (Morand, 1999) fait ainsi remarquer que « les premiers linéaments de l’Etat providence apparaissent
dès la formation de l’Etat libéral. L’Etat providence constitue un simple approfondissement, ‘une extension de
l’Etat protecteur classique’. » (p.55)
122
Le concept d’Etat social « exprime de manière synthétique l’ensemble des normes et institutions sociales
reconnues dans un pays déterminé. Il est aussi un principe directeur de nature constitutionnelle [… et dans ce
sens constitue] une synthèse des normes constitutionnelles de caractère social […]. » (Morand, 1999, p. 57)
123
Notamment à la liberté de commerce et d’entreprise, ainsi qu’à la garantie de la propriété.
124
Droits constituant des mandats pour le législateur d’établir une réglementation sociale.

94
« démystification de la puissance de l’Etat » et du caractère autoritaire du droit.
(Morand, 1999, pp. 60-61)

Cette modification des rapports entre Etat et administrés, induite par le développement de
l’administration de prestations, s’est par exemple exprimée par le développement de
techniques de collaborations plus ou moins égalitaires entre Etat fournisseur de prestation et
usagers-clients telle que l’invention du contrat de droit administratif qui permet de négocier
les conditions d’octroi d’une concession de service public(Morand, 1999). Par la suite, le
nouvelle gestion publique développera également cette voie vers la privatisation des services
publics (gestion par mandats et enveloppe budgétaire  contrats de prestation 
privatisation) qui au-delà d’accentuer cette imbrication entre droit public et droit privé
s’agissant du rapport entre Etat et administrés, « consiste à insuffler l’esprit du droit privé à
tous les stades de la construction aboutissant à la fourniture de prestations » (p.62).

Enfin, l’Etat providence est selon Morand (1999) indissociable des mesures de prélèvement
obligatoire servant à la distribution de prestations (prélèvement avec contre partie) ou à
financer des services sans contrepartie financière (prélèvement sans contre partie), ainsi
qu’aux systèmes de subventions qui récompensent souvent des comportements conformes aux
objectifs d’une politique publique (via les conditions d’octroi des prestations). Notons que le
développement de l’évaluation des politiques publiques est également lié au développement
de l’administration de prestation qu’il faut dès lors évaluer au regard de son efficacité et de sa
pertinence.

C) L'Etat propulsif
L’Etat propulsif est celui des politiques publiques, de l’action volontariste et interventionniste
visant à agir sur des systèmes sociaux autonomes (notamment le système économique) afin
des les orienter conformément à un objectif d’intérêt public (lutte contre la pollution, contre le
chômage, etc.) (Morand, 1999). C’est dans les années cinquante que se situe le « tournant de
l’interventionnisme propulsif » (p. 71). A cette époque et sous l’influence des idées
keynésiennes, l’économie a cessé d’être comprise comme un donné pour être appréhendée
comme un construit. Avec ce tournant naquirent des politiques économiques, voire de grands
programmes de planification. Alors que ces derniers périclitèrent avec le développement des
idées néolibérales, les premières survécurent et prospérèrent, se développant également dans
d’autres domaines (politique environnementale, politique de la santé, etc.) pour couvrir plus
ou moins directement l’intégralité des activités humaines. La mise en place des ces politiques
publiques a, selon Morand, « entraîné une révision progressive mais fondamentales des modes
d’actions de l’Etat » (p. 71) qui se devaient non plus réglementer les systèmes sociaux, mais
les réguler.

L’Etat propulsif est donc caractérisé par l’adoption des programmes finalisés qui se doivent
de déployer des effets sur d’autres systèmes sociaux, désespérément clos, que le droit
contraignant et autoritaire ne peut pas réguler de manière efficace. Ils « peuvent constituer un
vaste ensemble de mesures juridiques et non juridiques mises au service de la réalisation
d’objectifs et prévues dans des documents politiques ou juridiques, établis le plus souvent par
le gouvernement ou l’administration, mais aussi parfois par le parlement » (p.75).

En d’autres termes, les programmes finalisés « cherchent à organiser l’action de l’Etat sur la
société. […] Ils constituent des régulations, c’est-à-dire des ensembles de processus
juridiques, économiques et sociaux qui visent, par l’interaction de règles, d’acteurs et de

95
structures, à provoquer dans la durée des effets sur la société ou une partie de celle-ci. »
(p.76).

Les politiques publiques finalisées sont composées d’objectifs, de moyens et d’un processus
d’évaluation des résultats (cf. Annexe 15)

Notons enfin, pour résumer, que le droit de l’Etat propulsif est :

• un droit totalitaire et inflationniste, néanmoins adouci par une forte dose de réflexivité
et d’autorégulation ;

• un droit surdéterminé par l’objectif et le résultat à atteindre ;

• un droit instrumentalisé qui devient un moyen de réaliser des finalités politiques


contingentes et un médium ordinaire à côté de l’argent et de l’information ;

• un droit qui trouve son fondement de validité non seulement dans la régularité de la
procédure régissant son adoption, mais aussi dans son aptitude à atteindre les objectifs
de la politique publique ;

• un droit qui donne au critère d’efficacité une importance certaine et qui met également
au premier plan un devoir de rationalisation de l’action finalisée qui ne peut dès lors se
passer des connaissances et techniques scientifiques, tout particulièrement celles des
sciences sociales, propres à éclairer la réalité qu’il s’agit de transformer ;

• un droit gouvernemental et bureaucratique à faible densité normative qui délègue aux


instances gouvernementales et administratives le soin de préciser l’action étatique par
la délégation législative ou la délégation administrative (via les principes directeurs) ;

• un droit en quête de légitimité pour contrebalancer sa perte de « densité formelle et


normative » et entraînant un déficit démocratique (ordonnances et décisions
administratives) ;

• un droit qui recourt à d’autres modes de légitimation (légitimation par l’efficacité de


l’action, la recherche de compensation : démocratisation du processus d’adoption des
ordonnances et des décisions et l’accroissement de la protection juridique, la
régularisation (exercice d’une légalité différée après une phase expérimentale)) ;

• un droit dont la production est rationalisée pour permettre la régulation sociale qui se
doit de reposer sur une connaissance précise de la réalité sociale (ce qui pose le
problème du rapport entre le politique et l’expert) ;

• enfin, un droit en miettes générant un immense besoin de coordination (des


législations, des décisions ; valable notamment pour un instrument tel que l’étude
d’impacts sur l’environnement (EIE)).

D) L'Etat réflexif
Comme nous l’avons déjà relevé, l’Etat réflexif est né de la difficulté éprouvée par l’Etat à
agir autoritairement sur des systèmes sociaux autonomes, de plus en plus complexes, et

96
résistant aux mesures étatiques de nature contraignante. D'ailleurs, comme le souligne
Morand (1999), « l'apparition […] des structures réflexives s'explique largement par la
complexification progressive de la société et par la capacité des systèmes sociaux autonomes
(autopoïétiques) à résister aux commandements étatiques » (p. 16).

En effet, tout comme les théoriciens de l'autopoïèse, Morand remarque que l’Etat s’est trouvé,
petit à petit, dans l’incapacité d'agir efficacement par la contrainte sur des sous-systèmes
désespérément clos : « une intervention autoritaire et directe sur des systèmes clos est aussi
inefficace que la politique des canonnières ou la politique des bâtons » (p. 127).

Aussi, face à une société qui se complexifie, l’Etat doit alors endosser un rôle de négociateur
et agir à travers des programmes relationnels qui engendrent un droit réflexif permettant à
l'Etat de combiner son pouvoir directionnel et son pouvoir de négociation :

Ils [les programmes relationnels] procèdent d'un double refus, celui du contrôle
autoritaire et direct de systèmes sociaux autonomes et celui de l'autonomie absolue de ces
systèmes […] conciliant autonomie et direction, ces programmes pourraient constituer la
formule magique, à savoir trouver la forme juridique qui laisserait intacte l'autonomie des
sous-systèmes sociaux, tout en les orientant dans une certaine direction, dans laquelle ils
pourraient respecter réciproquement leurs conditions de fonctionnement respectives. (p.
132)

Par conséquent, l’Etat réflexif est un Etat catalyseur, un Etat « qui tient compte des réactions
des destinataires de ses commandements ou qui cherche à s'adapter à la logique des systèmes
qu'il tente d'influencer. Il fait preuve […] d’empathie systémique. Il cherche à comprendre le
mode opératoire d’un autre système et à en tirer les conséquences pour ses opérations
internes » (p. 127).

Cette empathie systémique, relève Morand, peut être réalisée de deux manières. D’un côté,
l’Etat peut négocier avec les différents acteurs socio-économiques les solutions pour résoudre
les problèmes sociaux. De l’autre, il peut influencer ces acteurs par le biais des critères qui
motivent leurs actions. En d’autres termes, « l’Etat réflexif procède soit en réduisant par la
négociation ses capacités hétéronormatives théoriques, soit en respectant les facultés
d’autoorganisation des groupes qu’il cherche à diriger » (p. 128).

Ainsi, l’incapacité à contrôler et à orienter autoritairement des sous-systèmes sociaux


autonomes et autorégulés mène l'Etat à émettre des réglementations qui opèrent un couplage
avec ces derniers (Morand, 1999). Ces réglementations peuvent être l'aboutissement d'une
négociation entre l'Etat et les différents groupes d'intérêt. Dans ce cas, le lien tissé entre l’Etat
et ses partenaires sociaux – lien de type néo-corporatiste125 – assure la médiation entre ces
deux entités. Institutionnalisé, il garantit aux groupes d’intérêt de faire valoir leur point de vue
au sein du processus décisionnel et permet que soit ainsi pris en compte leur mode opératoire
interne.

Plus spécifiquement, dans le domaine économique, il permet l'harmonisation et la


confrontation des points de vue de l'Etat (qui renonce à une part de domination) et de
l'économie (qui renonce à une part de liberté). Toutefois, que ce soit par l'intermédiaire d’une
négociation ou par le simple fait de prendre en considération les modalités de fonctionnement

125
Selon Morand (1999), la Suisse constitue par excellence un Etat réflexif (Etat néo-corporatiste), les
institutions de démocratie directe rendant la concertation indispensable entre l’Etat et ses partenaires.

97
des systèmes devant être régulés, l’Etat, « au lieu d’intervenir de l’extérieur en cherchant à
imposer autoritairement des solutions, […] lorsqu’il recourt à des programmes relationnels,
tente de créer des structures intérieures réflexives au système qu’il tente d’orienter » (p. 132).

Morand distingue quatre types principaux de moyens d’action permettant d'assurer le


couplage entre l’Etat et les sous-systèmes sociaux :

• la contractualisation de la formation, de la mise en œuvre et de l'application du droit


qui consiste à associer les groupes d'intérêts à chaque étape du processus ;

• l'autoréglementation dirigée à travers laquelle l'Etat accorde aux acteurs socio-


économiques le pouvoir d'établir eux-mêmes une réglementation obligatoire ;

• les mécanismes de régulation « qui s’insèrent dans la logique des acteurs dont on
cherche à orienter les comportements » (p. 134) et qui opèrent, ainsi, un couplage avec
les systèmes dirigés : taxes d’orientation et système de permis négociables ;

• la planification réflexive et émergente qui assure la participation des groupes d’intérêts


à la formation des plans d’aménagement du territoire.

E) L’Etat incitateur
Face à la difficulté de l’Etat à agir autoritairement sur des systèmes sociaux autonomes,
complexes et autorégulés (qui résistent aux mesures contraignantes), celui-ci a également
développé tout un éventail de moyens lui permettant d’orienter l’activité humaine dans un
sens donné sans recourir à son pouvoir autoritaire (Morand, 1999). Aussi, l’information, la
persuasion, la diffusion de connaissances et la formation constituent, entre autres, des
ressources que l’Etat peut mobiliser afin d’exercer une influence sur la société et par là piloter
de manière indirecte les comportements des acteurs socio-économiques.

Ainsi, nous pouvons dire de l’Etat incitateur qu’il renonce à agir de manière contraignante et
autoritaire en tentant d'orienter les comportements d’une façon beaucoup plus indirecte et
qu’il se contente alors de suggérer, d'inciter, de persuader ou encore d'informer pour exercer
son influence.

Morand distingue deux catégories de moyens qu’utilise l’Etat pour orienter sans contraindre :
a) les actes incitateurs (normes juridiques) et b) les autres formes d’influence.

Les actes incitateurs représentent des moyens d’action pour orienter les comportements
dépourvus de force obligatoire. Ce type d’acte joue un rôle majeur dans le système du droit
international caractérisé par le principe de la souveraineté des Etats126. Aussi pourrions-nous
dire « qu’en cherchant à influencer des systèmes sociaux autonomes, comme par exemple
l’économie, la science, la culture, l’Etat se trouve [dès lors] dans une position un peu
semblable à celle des organisations internationales à l’égard des Etats » (p. 164). Parmi ces
actes figurent notamment :

126
Qui détiennent, ne l’oublions jamais, le monopole de la contrainte légitime.

98
• les recommandations qui constituent « des invitations à se comporter de manière
déterminée » (p. 165) et qui ménagent aux acteurs socio-économiques une grande
marge de liberté ;

• les accords aimables qui font office d’accord entre gentleman (gentlemen’s
agreements) et qui, fondés sur la bonne foi des signataires, fixent des objectifs non
contraignants à atteindre ;

• les principes directeurs dépourvus de force obligatoire qui ne lient ni les autorités, ni
les particuliers ;

• les actes incitateurs des autorités administratives indépendantes tels que les avis, les
propositions, les recommandations et autres moyens de diffusion de l’information
destinés à convaincre les acteurs socio-économiques ;

• la création d'institutions dépourvues de pouvoir de décision telles qu’un poste de


délégués à la question féminine ou de médiateurs.

Le mode de gouverner qui s’exprime à travers l’adoption d’actes incitateurs peut être qualifié
par les termes de pilotage, de « guidance administrative » (Timsit, 1997, cité par Morand,
1999, p. 162) ou encore par la notion de gouvernance dans l'idée d'une orientation des
comportements sans recourir au droit contraignant. Néanmoins, comme le souligne
abondamment Morand (1999), cette manière d’intervenir et d’orienter les comportements de
façon douce et indirecte par la persuasion, l’incitation, n’est pratiquement jamais présente
sans que l’ombre de la main contraignante de l’Etat ne soit bien loin. Ainsi, les actes
incitateurs sont le plus souvent accompagnés d’une menace d’intervention étatique plus
contraignante, implicite ou explicite, mais différée dans le temps. Aussi, « le droit impératif
apparaît ainsi comme une instance d’appel pour le cas où la persuasion ne suffirait pas à
résoudre un problème sociétal » (p. 164) et les actes incitateurs « constituent fréquemment la
première étape dans le voie de la création de normes obligatoires »127 (p. 170).

Dans le but d’orienter sans contraindre, l’Etat peut également exercer d’autres formes
d’influence et ce sans édicter de normes juridiques. Pour cela, il dispose d’un éventail de
moyens. Il peut prendre des mesures internes tout en espérant qu’elles produisent des effets
externes (actes internes à effets externes)128 et se comporter ainsi en tant qu’Etat modèle. Il
peut également entreprendre d’agir sur l’environnement humain dans le but d’influencer les
comportements (actes matériels portant sur l’environnement humain)129. Enfin, il peut aussi
fournir aux acteurs socio-économiques des informations et des connaissances propres à
orienter leurs actions.

127
Nous pensons que cette façon de procéder permet notamment, sur le plan stratégique, de rendre plus
acceptable une intervention contraignante de la part de l’Etat sur un secteur de la société auquel il aura
préalablement laissé la liberté de s’adapter. Nous reviendrons notamment sur cette hypothèse dans le cadre de
notre analyse de la politique climatique suisse.
128
Par exemple, la mise en application de mesures d'économie d'énergie dans le secteur public peut entraîner le
secteur privé à lui emboîter le pas et une expérience pilote ayant obtenu un certain succès et dont les résultats
sont largement diffusés peut aussi conduire à modifier les comportements des acteurs socio-économiques.
129
Par exemple, les ralentisseurs de circulation, appelés dans le langage courant gendarmes couchés, ont pour
objectif explicite d'influencer les comportements.

99
3.3 Une typologie issue de la recherche en psychologie (environnementale)

Pour conclure ce tour d’horizon des typologies d’instruments issues de différents champs
disciplinaires, nous nous proposons d’étudier une typologie issue de la psychologie
environnementale (environmental psychology).

Dans leur ouvrage, Kaufmann-Hayoz et al. (2001) relèvent que dans ce domaine des études
ont récemment appliqué des connaissances en psychologie à la résolution des problèmes
environnementaux en se focalisant sur les moyens d’influencer et de modifier les
comportements humains130. Ils font ainsi remarquer que de nouveaux types d’instruments,
fondés sur des principes comportementaux et de psychologie sociale, ont été développés soit
afin de compléter la panoplie traditionnelle des instruments de protection de l’environnement,
soit pour en augmenter l’efficacité.

3.3.1 L’application de principes de psychologie aux modifications comportementales


Pour Kaufmann-Hayoz et al. (2001), Geller et ses associés (Geller et al., 1982, Geller, 1987,
1989) sont parmi les premiers à avoir présenté une telle approche fondée sur l’analyse des
comportements et des principes qui guident leurs modification131.

De leur côté, Flury-Kleuber et Gutscher (2001) développent plus en avant les principes
psychologiques sur la base desquels fonctionnent les instruments présentés par Kaufmann-
Hayoz et al., instruments qui, rappelons-le, ont tous pour objectif de modifier les
comportements des acteurs.

Pour ces auteurs, les instruments ont pour effet de modifier les stimuli comportementaux des
acteurs qu’ils ciblent selon des processus bien définis. Ils proposent ainsi sept manières
différentes d’influencer les comportements qu’ils présentent comme sept « types » ou
« stratégies » d’intervention sur les comportements132 (cf. Encadré 7, ci-après).

130
La manière d’influencer les comportements d’autrui est d’ailleurs l’un des domaines de recherche central de
la psychologie (Flury-Kleuber et Gutscher, 2001). Sur ce point, voir par exemple Stern (2000a, 2000b) ou, pour
les lecteurs familiarisés avec la langue de Goethe, Mosler et Gutscher (1998, cités en référence par Kaufmann-
Hayoz et al, 2001).
131
Pour Kaufmann-Hayoz et al. (2001), la combinaison d'une telle approche avec des principes utilisés dans le
marketing mène au « marketing social » qui trouve aujourd’hui des applications croissantes dans le domaine
environnemental (sur ce point voir par exemple Kloter and Roberto, 1991, Prose et al., 1994 et McKenzie-Mohr
and Smith, 1999 cités en référence par Kaufmann-Hayoz et al., 2001).
132
Notons que les auteurs ont bien compris qu’un instrument peut user de plusieurs de ces « stratégies » et
qu’une « stratégie » est souvent mise à profit par plusieurs types d’instruments et qu’il s’agit donc bien de
considérer ces types d’intervention comme des éléments qui permettent de comparer les instruments (réels) avec
les stratégies mises à profit (plutôt que de considérer ces types/stratégies comme des catégories figées
d’instruments).

100
Encadré 7 : Modifier les comportements : les sept « stratégies d’intervention »
Stratégie 1 : modifier les effets attendus des alternatives comportementales (Changing the effects of
behaviour)
Sont considérées ici les interventions sur la structure externe des acteurs (leur environnement physique) qui
modifient les conséquences attendues de leurs comportements en rendant leurs alternatives comportementales
plus ou moins appropriées. Deux stratégies existent, l’une positive, l’autre négative : « construire des ponts »
(“bridge building”) – stratégie positive VS « mettre des barrières » (“barrier building”) – stratégie négative.
Les « ponts » et « barrières » peuvent être relatifs ou absolus et peuvent influencer/affecter : a) la liberté de
mouvement/manœuvre des acteurs à des degrés divers (freedom of movement), b) les ressources financières
(financial ressource), c) la santé et l’intégrité physique (health and physical integrity) et d) le degré de
coopération volontaire des acteurs (co-operation and voluntary service).
Stratégie 2 : influencer le vécu et l’expérience physique et sociale des acteurs (Shaping the sphere of
experience)
Est considéré ici l’ensemble des interventions qui ont pour effet d’influencer l’expérience et le vécu des
individus qui sont considérés comme des facteurs comportementaux importants.
Stratégies 3 : créer des « produits anthropiques » (Creating behaviour products)
L’environnement physique d’origine humaine (notamment les infrastructures humaines et les technologies) ont
une influence sur nos comportements, de même que les « traces » et les « produits » des comportements
d’autrui (par exemple par un effet de diffusion lorsque l’on va jeter des déchets dans la nature là où d’autres
l’on déjà fait).
Stratégies 4 : présenter des images et des sons (Presenting images and sounds)
Des informations (nouvelles) sur l’environnement des individus peuvent être présentées de manière directe ou
par l’intermédiaire des médias (photographie, TV, vidéo, enregistrement sonore). Les photographies et les sons
ont une certaine importance dans cette stratégie car les images et la musique ont un potentiel élevé pour
émouvoir les personnes (la musique par exemple est souvent utilisée pour accompagner des images et/ou des
discours afin de fournir des indices de pertinence et de valeurs de l’information).
Stratégies 5 : présenter des modèles comportementaux (Presenting model behaviour)
Le comportement d’autrui peut avoir une influence importante sur nos propres comportements (nous profitons
notamment des « essais-erreurs » des autres) : « Model behaviour is an important source of social influence,
[…]. It is a powerful means of social influence that can be used deliberately » (Flury-Kleuber et Gutscher, 2001,
p.119). Cette stratégie implique l’observation et a un effet sur le processus d’apprentissage.
Stratégie 6 : faire des déclarations sur la réalité du monde (vraies ou fausses !) (Making statements about
reality)
Est considérée ici la force que peut avoir l’information (et donc les médias) relative aux théories de
fonctionnement du monde (idéologies, etc.), aux relations de causalités des actions (actions – effets, théorie
scientifique) et de manière plus générale relative aux connaissances.
Stratégie 7 : « souhaiter » des actions (Resquesting actions)
Sont considérées ici les stratégies qui impliquent un souhait ou une demande (souhaiter que les individus
prennent une voie plutôt qu’une autre, avec ou sans argumentation). Les appels à des actions (action appeals)
qui ont le plus de succès sont ceux qui engagent des arguments supposés être déjà « intériorisés » par l’acteur
ciblé. Un modèle d’une telle stratégie : a) argumenter sur le fonctionnement du monde ou sur des valeurs
partagées, puis b) donner une nouvelle information (par exemple de nature scientifique) et enfin c) dresser les
conséquences logiques de a) et b).
Source : adapté de Flury-Kleuber et Gutscher (2001)

De manière générale, les sept principes psychologiques définis par Flury-Kleuber et Gutscher
(2001) qui sous-tendent le fonctionnement des instruments se fondent très schématiquement
sur le raisonnement hypothétique suivant :

1. les individus sont motivés par des buts/objectifs qui guident leurs comportements ;

2. les interventions pour modifier leurs comportements doivent donc soit s'adapter à la
structure interne de leurs buts, soit la transformer afin que les comportements
souhaités deviennent l’option évidente ;

101
3. les interventions doivent donc viser soit à transformer la situation objective des
individus (leur structure externe), soit à modifier leurs modèles de perception et
d’évaluation (leur structure interne).

Généralement, soulignent les auteurs, une combinaison de ces deux types de stratégies se
révèle être plus efficace : d’une part, la transformation de la structure (mentale) interne
augmente la bonne volonté des individus à accepter le changement de la structure externe
ainsi que ses effets sur leurs comportements et, d’autre part, les modifications de la structure
externe vont aider à stabiliser les nouveaux modèles de perception des acteurs, qui deviennent
dès lors plus commodes, rendant ainsi les changements comportementaux plus stables.
L’application exclusive d'un type d’instrument se révèle donc être moins efficace et mène à
des résultats moins stables que l'utilisation coordonnée de tous les instruments disponibles.

La même conclusion est partagée par Gardner et Stern (1996) qui, selon Kaufmann-Hayoz et
al. (2001), présentent une très belle étude sur les connaissances pertinentes en psychologie au
regard de la compréhension et de la résolution des problèmes environnementaux. Sans donner
une typologie explicite des instruments, ces auteurs définissent quatre types de stratégies pour
promouvoir les comportements dans un contexte marqué par la tragédie des biens publics.

3.3.2 La typologie de Gardner et Stern ou comment remédier à la situation tragique des


biens communs
Gardner et Stern (1996) partent du constat suivant : faisant référence au célèbre article de
Garett Hardin (1968), ils se placent dans la situation de la tragédie des biens communs qui
caractérise celle dans laquelle se trouvent notamment les biens environnementaux (protection
de l’environnement, épuisements des ressources naturelles, etc.). De là, ils déterminent des
stratégies aptes à modifier les comportements des acteurs qui se trouvent dans une telle
situation, à savoir dans laquelle leur intérêt individuel est en contradiction avec l’intérêt
commun (notamment celui de préserver les ressources naturelles). Ils constatent d’ailleurs que
la littérature n’offre seulement que peu de méthodes efficaces pour gérer ces types de
problématiques. Néanmoins, au contraire de Hardin qui marque sa préférence pour une
stratégie d’intervention étatique visant uniquement à allouer des droits de propriété (et donc à
ne dresser qu’un cadre légal minimal à l’attention des acteurs cibles par rapport à une stratégie
plus interventionniste de la part de l’Etat), Gardner et Stern pensent que chaque stratégie
envisageable possède ses avantages (et ses inconvénients) et se doit donc d’être utilisée133.

Ainsi, les auteurs, faisant référence à Ophuls (1973, 1977, cité en référence par Gardner et
Stern, 1996), établissent qu’afin que les comportements individuels soient en adéquation avec
l’intérêt commun, seules quelques stratégies ont été utilisées jusqu’ici. Ils les résument en
identifiant quatre types de solutions basiques de promotion des comportements individuels
dans un but d’intérêt collectif, soit quatre types d’approche pouvant solutionner la
problématique de la tragédie des biens communs :

• l’intervention étatique via l’usage des lois (laws), des régulations (regulations) et des
incitations (incentives) ;

133
Par ailleurs, de manières combinées, comme nous le verrons par la suite.

102
• l’éducation (programs of education) qui comprend notamment l’information et les
modifications des attitudes ;

• les processus informels non-gouvernementaux (informal (non-gouvernmental) social


process) qui opèrent au sein de petits groupes et communautés sociales ;

• les sollicitations morales, religieuses ou éthiques (moral, religious, and/or ethical


appeals).

Ces quatre stratégies ne sont pas identifiées par les auteurs comme des instruments en tant que
tels et d’autant plus comme des instruments politiques dans la mesure où seule la première
stratégie relève pour les auteurs de la compétence de l’Etat.

Néanmoins, nous pouvons, de notre côté, prendre ces quatre stratégies (cf. Encadré 8 ci-
dessous) comme des instruments des politiques publiques dans la mesure où l’Etat peut agir
certes par la réglementation et l’incitation, mais également par l’éducation et des sollicitations
morales et éthiques, plus que religieuses, dans un Etat laïque dans tous les cas. Au demeurant,
les processus informels non-gouvernementaux auxquels font référence les auteurs peuvent
être compris comme un instrument d’autoréglementation (auto-régulation).

Encadré 8 : Les instruments chez Gardner et Stern


Lois, régulations et incitations (Government laws, Regulations, and Incentives), les moyens mis en œuvre par
l’Etat pour encourager ou décourager certains comportements ; les caractéristiques principales de ces
instruments sont de faire coïncider l’intérêt individuel (monétaire ou autre) avec l’intérêt commun134 ; ils se
fondent également sur la peur de l’amende et/ou de l’emprisonnement ; sont notamment donnés en exemple
les limitations de vitesse, les panneaux de signalisation, l’impôt sur le revenu et, dans le domaine
environnemental, les déductions fiscales pour les contribuables qui installent des équipements (tels que
panneaux solaire) ou d’économie d’énergie ; la privatisation est également donnée en exemple dans la mesure
ou elle est comprise comme une réallocation des droits de propriété ;
Education (education), notamment l’école, les mass media (TV, journaux, livres, etc.), mais également
d’autres agents comme par exemple le fait de faire appel à des personnalités qui « montrent le bon exemple » ;
les programmes d’éducation visant à décrire un problème afin de modifier l’attitude des individus et de les
convaincre du bien fondé d’un comportement relèvent typiquement de cette approche dont les éléments clés
sont : l’information, le lien entre attitudes et comportements ainsi que la capacité à convaincre ;
Gestion des petits groupes/communautés (small-group/community management), le développement et
l’application de règles propres aux groupes et/ou aux petites communautés ; elle se réfère à un processus de
résolution des problèmes par auto-réglementation dans lesquels l’Etat n’est pas impliqué ; cette approche
souligne toute l’importance du respect mutuel ainsi que du sens de l’obligation et du devoir – qui se trouvent
renforcés par le fait que les individus se connaissent et forment une communauté soudée (cohésion sociale)
placée sous « auto-surveillance » – pour compenser le phénomène du free rider qui caractérise la
problématique de la tragédie des biens communs ;
Sollicitations morales, religieuses et/ou éthiques (moral, religious, and/or ethical appeals), l’ensemble des
enseignements et des principes moraux, religieux et éthiques qui encouragent les comportements pro-sociaux ;
sont notamment donnés à titre d’exemple les dix commandements (religion judéo-chrétienne) ; cette approche,
notamment caractérisée par la sollicitation des croyances, des intuitions et des émotions, voisine de l’approche
éducationnelle qu’elle recoupe en partie, met cependant à profit des composants majoritairement intuitifs,
émotionnels et spirituels.
Source : Gardner et Stern (1996)

134
En d’autres termes, ces instruments visent à encourager les comportements pro-sociaux en faisant en sorte
que l’intérêt égoïste des individus aille dans la même direction que l’intérêt commun.

103
Alors que selon Gardner et Stern (1996), la première approche (loi-régulation-incitation) est
plébiscitée par un Hoobes (1651) par exemple, ainsi que par Hardin (1968), nous l’avons vu,
et que la troisième approche (sollicitions morales, religieuses et/ou éthiques) a la préférence
d’un Rousseau (1762), chacune des quatre approches possède des avantages qu’il ne faudrait
pas négliger en optant pour une solution unique. Ainsi les auteurs tirent comme conclusion :

The general conclusion we come to in these chapters – and the one we hope to convince
you of – is that none of the four solution approaches is, by itself, likely to work
effectively; no one approach will successfully prevent tragedies of commons, […].
Instead, we argue that only a coordinated effort involving all – or at least most – of the
four solution types will succeed. (p. 32)

En se basant sur l’analyse de deux exemples de programmes d’intervention à succès dans le


domaine des économies d’énergie et du recyclage aux Etats-Unis, ainsi que des succès et des
échecs de quelques autres programmes, Gardner et Stern tirent quelques leçons et dressent
une liste des principaux principes augmentant l’efficacité des interventions visant à modifier
les comportements dans le sens d’une meilleure protection de l’environnement (cf. Encadré 9
ci-après), parmi lesquels figure en bonne place toute l’importance de combiner les stratégies
d’intervention pour promouvoir les changements comportementaux, ainsi que la valeur
ajoutée que peut constituer une approche participative de résolution des problèmes.

Ces principes nous interpellent d’ores et déjà sur l’application et la combinaison intelligentes
des différents instruments et soulignons dès à présent que notre théorie de basique de
l’activité humaine sur laquelle nous fonderons notre typologie d’instruments politique veut
également se fonder sur la compréhension des problèmes du point de vue des acteurs (2e
principe) en voulant déduire les types instruments d’une analyse des déterminants des acteurs
et de leurs marges de manœuvre au sein des sous-systèmes sociaux dans lesquels ils
interagissent.

Par ailleurs, nous trouvons pour notre part que la balance des avantages et des inconvénients
d’une démarche participative penchera plus volontiers du côté des désavantages lorsque celle-
ci est appliquée à des grands groupes d’acteurs cibles (par exemple au niveau national). En
effet, nous estimons que la démarche est efficace lorsque nous sommes confrontés à une
problématique locale (compétence communale par exemple) et non à un problème d’ordre
national (compétence fédérale) et ceci pour les deux raisons principales suivantes :

1. l’impossibilité d’établir un échantillon représentatif de l’ensemble d’une population


d’un pays sans que celui-ci soit coupé des réalités locales et des vraies préoccupations
des individus ;

2. le fait que plus la population cible est grande (et donc l’échantillon moins
représentatif) moins les avantages de la démarche participative en terme de gestion
collective du problème se feront sentir.

Pour cela, nous préconisons de bien peser les avantages et les inconvénients d’une démarche
participative pour chaque cas particuliers et nous conseillons d’utiliser la démarche
participative uniquement pour les problèmes d’ordre locaux et donc d’utiliser la méthode
scientifique pour les problématiques qui doivent se régler au niveau régional et national.

104
Encadré 9 : Quelques principes d’intervention dans le domaine de la protection de l’environnement
er
1 principe : sachant que les barrières à un comportement pro-environnemental peuvent être nombreuses
(attitudes, croyances et valeurs inappropriées, technologie, désinformation, manque d’engagement et/ou de
connaissance et/ou de ressources financières, habitudes inappropriées, etc.), qu’elles varient en fonction des
acteurs, de la situation et du temps et qu’elles interagissent entre elles, il est conseiller d’utiliser et de combiner
les stratégies d’intervention.
2e principe : parce que les acteurs dont le comportement doit être modifié (acteurs cibles) sont dans la meilleure
position pour identifier les barrières devant lesquelles ils se trouvent, il est conseiller avant d’intervenir de
comprendre la situation du point de vue de l’acteur cible en conduisant des enquêtes et des expériences
(méthode scientifique) (et/)ou en mettant en place une démarche participative (méthode interactive) qui va
notamment a) accroître la confiance, la satisfaction et l’engagement/l’implication des acteurs, b) renforcer la
crédibilité du programme et c) permettre le mise en place de canaux efficaces de communication ; en résumé, la
démarche participative va permettre de mettre en place un processus continuel de recueil d’information
nécessaire à la mise en œuvre du programme ainsi que les principes de gestion commune (community
management) qui en augmenteront l’efficacité.
3e principe : lorsque les facteurs limitant sont de nature psychologique, il est conseiller d’appliquer les
connaissances scientifiques des sciences sociales et comportementales (notamment la théorie de la rationalité
limitée) afin de mettre en œuvre efficacement les multiples façons d’informer, d’inciter et de gérer de manière
collective les problèmes environnementaux ; appliquer les principes de psychologie sociale revient à ne pas
réduire le choix humain à un processus mécanique de calcul coût/bénéfice mais de prendre en compte les
multiples variables psychologiques des comportements, notamment en appliquant les principes de gestion
collective (community management) qui mettent l’accent sur la crédibilité, la responsabilité collective, la
communication directe « face-à-face », la confiance, le sens moral ou du bien commun, la cohésion sociale, etc.
.
4e principe : dans le cas où les acteurs cibles n’ont que très peu de contrôle sur leurs comportements, il est
conseiller d’agir de manière indirecte en modifiant les conditions environnementales qui limitent leurs choix
individuels ou, en d’autres termes, d’agir sur les institutions qui produisent les alternatives comportementales.
5e principe : il est conseiller d’émettre des attentes réalistes quant aux issues du programme dans la mesure où
a) un certain temps et des efforts certains sont nécessaires pour identifier les barrières comportementales et pour
trouver des manières efficaces de les dépasser, b) faire des promesses « inflationnistes » et émettre des attentes
prématurées et irréalistes quant à l’efficacité du programme à court terme ne peut être que contre-productif et c)
un processus continuel d’apprentissage et de monitoring est nécessaire pour les raisons qui viennent d’être
esquissées.
6e principe : dans la mesure où a) il est difficile de connaître à l’avance quelle est la meilleure combinaison des
stratégies d’intervention pour un problème particulier, b) la nécessité d’évaluer la situation du point de vue de
l’acteur cible, c) le programme se doit d’évoluer au court du temps dans un processus d’apprentissage, il est
conseillé de considérer le programme comme un processus continuel, (socio)-expérimental et flexible de
monitoring, d’évaluation et d’ajustement ; de même que pour le 2e principe, deux stratégies permettent de
mettre en place une telle démarche : le mise en place d’un processus scientifique (méthode scientifique) ou d’un
processus participatif (méthode interactive).
7e principe : afin d’éviter de se voir confrontées à une opposition organisée, il est conseillé de rester dans les
limites d’acceptabilité des acteurs cibles ; néanmoins ces limites peuvent être « étendues », par exemple par un
processus d’éducation et d’information, ainsi que par la mise en place d’une démarche participative.
8e principe : pour de multiples raisons, dont notamment le besoin a) de comprendre la situation du point de vue
des acteurs cibles, b) de capter leur attention et de solliciter leur engagement, c) de mettre en place un
monitoring continuel d’ajustement du programme et d) de ne pas dépasser les limites d’acceptabilité des acteurs
cibles, il est conseillé d’utiliser une démarche participative qui va permettre principalement a) de contribuer
fortement à la mise en place d’une stratégie de gestion collective du problème, b) d’associer les acteurs cibles
au processus et de rendre les interventions plus acceptables et c) de permettre un processus de monitoring du
programme ; l’approche participative est conseillée tant pour travailler avec de petits groupes cibles qu’avec des
communautés plus larges.
Source : adapté de Gardner et Stern (1996)

105
Chapitre 4 L’évolution des modalités d’intervention de l’Etat :
vers de « nouveaux » types d’instruments
politiques ?

Analysant les thèmes récurrents qui tiennent une place importante dans la recherche
instrumentale des politiques publiques, De Bruijm et Hufen (1998) soulignent que les études
instrumentales semblent se focaliser sur l’analyse d’une espèce en voie d’apparition, les
« nouveaux instruments »135 (tels que les contrats, les incitations financières, la
communication, etc.) par opposition aux « anciens instruments » (de type command and
control) qui se voient dès lors fortement critiqués et remis en question.

Quels sont ces « nouveaux » types d’instruments (et d’ailleurs sont-ils si « nouveaux ») ?
quelles sont leurs caractéristiques ? et que semblent-ils « avoir de mieux » que les instruments
traditionnellement utilisés ? mais surtout, comment expliquer leur apparition au regard de
l’évolution (notamment historique) des modalités d’intervention de l’Etat ? sont les questions
principales auxquelles nous tenterons de répondre pour clore cette première partie consacrée à
la théorie des instruments des politiques publiques.

4.1 De nouveaux modes d’intervention : vers plus de flexibilité, de participation,


d’information… vers moins de contrainte et/ou « carrément » moins d’Etat !

Rappelons-nous en guise d’introduction que Dahl et Lindblom (1953/1992) analysaient déjà


au milieu des années cinquante ce processus d’accroissement (sans précédent) de l’innovation
instrumentale (des techniques politico-économiques).

Plus récemment, Salamon (2002) analyse également cette prolifération de nouveaux


instruments qui, en cette fin de siècle dernier, semble se diriger vers une action étatique plus
indirecte, impliquant de manière croissante les parties prenantes (third-party government),
exprimant ainsi une (nouvelle) gouvernance de nature collaborative, prônant moins de
contrainte et plus de laisser-faire. Flexibilité, information, collaboration et participation
semblent être les nouvelles dimensions de ces « nouveaux » instruments.

Bon nombre d’auteurs s’attachent également, plus ou moins rapidement, à souligner cette
modification des instruments de politiques publiques. Notons à titre d’exemple que :

• Hood (1983/1990) ou De Bruijn et Heuvelhof (1997) soulignent l’apparition d’une


seconde génération d’instruments (Second Generation Instruments) ; voire d’une
troisième génération pour Hood ;

• Lascoumes et Le Galès (2004) parlent également d’innovation instrumentale,


innovation qu’ils relativisent tout de même dans un second temps (voire chapitre 4,
point 4.1.3 ci-après) ;

135
Ou, en d’autres termes, « les instruments post-modernes [post-modern instruments] » (Hupe, 1990 cité par De
Bruijm et Hufen, 1998, p. 24) ou encore « les instruments de la seconde génération [second generation
instruments] » (De Bruijn et Ten Heuvelhof, 1991, cité par De Bruijm et Hufen, 1998, p. 25).

106
• Cooper (1995) souligne l’arrivée de nouveaux outils et techniques dans le domaine de
la gestion environnementale ;

• Ost (1995) relève l'apparition d’un nouveau droit de l’environnement, un droit mou,
dépourvu d’effet contraignant et « quasi expérimental » (p. 99).

Enfin, Dente (1995) note également qu’il existe une « demande » de « nouveaux
instruments », demande induite par la crise que traverse la politique environnementale.
L'intervention étatique dans ce domaine, somme tout assez récente et immature, a ainsi besoin
de se différencier des autres politiques136 et doit en parallèle relever le défi de la globalisation,
tout en étant confrontée à une crise de légitimation de la politique environnementale (et dans
son ensemble) en termes de résultats, d’efficacité et d’efficience.

Bon nombre d’autres auteurs soulignent également l’apparition de ces « nouveaux »


instruments et de cette tendance à une régulation étatique de moins en moins contraignante,
soit en tant que simple constat/observation, soit en tentant d’y donner une ou plusieurs
explications.

Parmi celles-ci, deux explications semblent être prédominantes. L’une souligne la nécessité
d’une régulation différente par l’augmentation de la complexité des sous-systèmes sociaux,
l’autre insiste sur la place que tient le renouveau de la pensée néolibérale dans la réforme de
l’Etat et de ses modalités d’intervention. L’une et l’autre ne sont sans doute pas
indépendantes137, mais elles se proclament d’un cadre et d’une approche théorique différents
qui méritent d’être analysés séparément, bien que toutes deux aient pour objet d’analyse et de
compréhension la même réalité

Ainsi, à en croire la majorité des auteurs, d’un point de vue historique138, les modalités
d’intervention de l’Etat se sont profondément – voire fondamentalement – modifiées. Cette
évolution instrumentale peut être mise en perspective de différentes façons, perspectives qui
ne sont pas complètement dissociées l’une de l’autre mais qui constituent des points de vue
(ou portes d’entrée) intéressants et pertinents pour l’analyse139. Nous en avons retenu deux.

4.1.1 Régulation, sous-systèmes sociaux et complexité


Une certaine littérature, qui opte plus volontiers pour une analyse de l’action étatique en terme
de régulation sociale (modes de régulation), dans une perspective diachronique et systémique
et s’intéressant plus particulièrement aux relations entre (sous-)systèmes sociaux, interprète
l’Etat comme le sous-système social ayant acquis la légitimité (démocratique) de réguler les
autres sous-systèmes sociaux.

Ce courant d’analyse observe et souligne ainsi une évolution, une tendance, des modes de
régulation utilisés par l’Etat – si ce n’est une transformation de l’Etat lui-même – qui
semblent passer de la régulation dite « dure » (hard regulation) du début du XXe siècle à une
régulation plus « légère » (soft regulation), ou dans des termes francophones plus mole (droit

136
Notamment par la création de ministères et de départements en charge de la question.
137
Et se recoupent parfois… n’analysent-elles pas la même réalité.
138
Dans les deux sens du terme.
139
Ces analyses sont à considérer comme des mises en perspective de la réalité (nous pouvons aussi dire des
cadres théoriques) et non comme la réalité en elle-même.

107
mou). Cette transformation ou évolution est expliquée par l’adaptation nécessaire de l’Etat à
l’augmentation de la complexité des sous-systèmes qu’il doit réguler.

Varone (1998) note d’emblée les limites explicatives de ces approches diachroniques qui
traitent de l’évolution des instruments à un niveau général pour la plupart – celui de l’Etat
dans sa globalité – souvent sans différencier leurs champs d’application et qui visent à mettre
en évidence différentes périodes de l’action étatique – de manière inductive – en soulignant la
prédominance de tel ou tel type d’instrument. Ces démarches empiriques, visant donc à
dégager différentes périodes historiques instrumentales, sont notamment utilisées par des
auteurs tels que :

• Fraiburghaus (1991) qui caractérise le développement des moyens d’action de l’Etat


depuis le XVe siècle à nos jour, sur la base des ressources premières de l’intervention
étatique, par l’usage successif de la violence et de la force (XVe - XVIIe), du droit
(XVIIIe - XVIVe), de l’argent (XVIVe – XXe) et de l’information (XXe – XXIe) ;

• Willke (1992) qui analyse également l’usage différencié des instruments d’action
étatique dans une perspective historique ;

• Morand (1991a/b) qui aborde l’évolution historique de l’Etat et des instruments sous
l’angle de la sociologie du droit et souligne l’émergence de plusieurs types d’Etat et de
droit (voir plus loin) ;

• Bari (1993) qui souligne l’émergence de nouveaux instruments d’intervention ;

• et Pal (1992) qui discerne trois grandes étapes dans le développement des instruments
des politiques publiques au Canada (expansion des instruments basés sur des
ressources financières depuis l’après-guerre, croissance de la réglementation depuis
les années 1970 et nouvelle tendance, difficile à cerner avec clarté, à
l’autoréglementation volontaire et à la privatisation aujourd’hui).

Mais peut-être ne faut-il pas considérer ces approches comme voulant refléter la réalité mais
comme étant des outils d’interprétation. A bien lire Morand (1999) par exemple, nous
pouvons aisément identifier que les types d’Etat auxquels il fait référence sont des types
idéaux au sens wébérien du terme et qu’ils se retrouvent, en partie, de manière concomitante
aujourd’hui.

Mais d’autres auteurs constatent également une transformation de modalités de l’intervention


de l’Etat à travers le temps.

Lascoumes et Le Galès (2004), par exemple, remarquent que dans le courant du XXe siècle,
tout au long de son processus de recomposition/réforme et de sa dynamique de croissance, qui
a abouti à l’accumulation de programmes et de politiques dans différents secteurs de la
société, l’Etat a modifié ces dernières en développant et diversifiant ses instruments d’action.
Une nouvelle vague d’innovations instrumentales a par exemple vu le jour dans le cadre des
politiques environnementales, sanitaires (politiques des risques) ou économiques (voir ci-
après).

108
Pour rester dans la littérature francophone, Ost (1995) constate également que, dans le
domaine de l’environnement, le droit réglementaire140, jusque-là grandement utilisé, doit
actuellement faire face à un retour des instruments du libéralisme économique que sont le
contrat et la propriété, instruments qui introduisent « deux nouvelles figures de la régulation
juridique de la nature : un droit de l’environnement négocié et une appropriation des choses
communes » (pp. 89-90).

Ainsi, d’un droit (administratif) de l’environnement de type policier – les lois de police
environnementale – apparu141 au cours du XXe siècle et plus spécifiquement dès les années
septante142 pour lutter contre les atteintes portées à l’environnement et remédier aux
défaillances du marché et qui a vu la multiplication foisonnante des dispositions normatives
(inflation normative), nous sommes passés à un droit beaucoup plus flexible et mou. Cette
évolution du droit de l’environnement est due, selon l’auteur, à la complexité et à l’incertitude
de son objet143 qui a rendu nécessaire l’accroissement de sa flexibilité :

aux normes juridiques classiques, conçues comme des commandements ou des


institutions closant une procédure, se substitueront des actes juridiques en constante
réélaboration, comme si la processualité de l’objet (l’environnement) gagnait également
la règle qui l’embrasse […] [Deux alternatives se présentent alors au droit :] un droit
mou, purement symbolique, dépourvu de tout effet contraignant ; ou alors […] un droit
excessivement rigide et stable, toujours dépassé par les réalités. (p. 99)

Ainsi, la norme juridique – et l’instrument en passant – doit pouvoir s’adapter sans cesse à
l’évolution des connaissances et des techniques. Cette nécessité à amener à l’assouplissement
de la norme, du droit et des instruments en matière de protection de l’environnement et a
débouché sur une droit qualifié par l’auteur de « quasi expérimental » (Ost, 1995, p. 99).

Notons que dans une autre perspective analytique, De Bruijm et Hufen (1998), qui notent que
les recherches dans le domaine des instruments ont été menées la plupart du temps dans les
secteurs économique et environnemental144, soulignent que dans ce dernier domaine, si les
instruments de régulation ont été le plus utilisés dès le début, les instruments financiers sont
désormais devenus une alternative intéressante, de même que les « nouveaux » instruments
tels que les contrats et accords. Par ailleurs, dans le domaine de la politique énergétique,
l’instrument actuellement le plus utilisé, certes en combinaison avec d’autres, est
l’information (campagnes de sensibilisation, etc.).

Mais c’est sans doute le Professeur Morand qui a le plus travaillé à cette mise en perspective
de l’évolution des modalités d’intervention de l’Etat. Dans plusieurs de ses écrits du début des
années 90, ainsi que dans son ouvrage de synthèse intitulé Le droit néo-moderne des politiques
publiques (Morand, 1999), l’auteur aborde l’évolution de l’Etat et de ses modalités
d’intervention d’un point de vue historique et sous un angle systémique que nous pourrions
qualifier, à la suite de Varone (1999), de sociologie du droit. Il constate une transformation de

140
Qui vise par ailleurs à une compensation tardive et toujours insuffisante d’une destruction, droit de type end
of pipe.
141
Sous la forme de réglementations administratives et de la mise sur pied d’institutions spécifiques (ministères
de l’environnement par exemple, mais aussi agences diverses).
142
Sous la pression de l’opinion publique (menace environnementale, déséquilibres écologiques, urgence), la
naissance des partis « verts » et la combativité grandissante des associations de défense de l’environnement.
143
Introduites par l’écologie, science du global et du complexe.
144
Soit dans le domaine de la politique environnementale, la politique d’économie d’énergie et la politique
économique.

109
l’Etat qui d’un « Etat policier » est passé, par plusieurs étapes successives, à un « Etat
incitateur/négociateur ».

Dans ses écrits du début des années 90, Morand (1991a, 1191b, notamment cité en référence
par Varone, 1998) souligne déjà en effet l’émergence d’un Etat « propulsif » (Morand, 1991a)
qui, lors de la conception de ses interventions, a de plus en plus fréquemment recours à de
« nouveaux instruments » (Morand 1991b). Ces derniers sont caractérisés par une action
normative plus souple et par une plus grande concertation entre l’Etat et les groupes d’acteurs
privés. Ainsi, l’Etat interventionniste, ayant été appelé à gérer de plus en plus de domaines,
opte pour des instruments de plus en plus souples.

Mais c’est sans aucun doute dans son ouvrage de 1999, sorte d’état des lieux et de synthèse de
ses recherches antérieures, que Morand nous livre une synthèse de sa pensée et de son
analyse. Et c’est profondément ancré dans une approche issue de l’école systémique
(Luhmann, etc.), qu’il dresse un « état des lieux » de l’intervention de l’Etat dans la société
dans une perspective que nous avons qualifiée dans un chapitre précédent « d’aux frontières
du droit et des politiques publiques ». L’évolution des modalités d’action de l’Etat y est
présentée de la manière suivante :

L’hypothèse est qu’au fil du développement des modalités d’action de l’Etat dans le
cadre de politiques publiques finalisées, toujours plus raffinées et astucieuses, on assiste à
l’apparition de plusieurs types d’Etats et qu’à chacun d’eux correspond une forme de
droit particulière. (Morand, 1999, p. 13)

Pour résumer brièvement sa pensée, nous constatons avec Morand (Morand), qu’alors que
tout au long du XIXe siècle l'idée règne que l'Etat (libéral) doit imposer ses commandements
de manière unilatérale et contraignante, nous avons assisté depuis le début du XXe siècle à
l'apparition de plusieurs types145 d'Etat auxquels correspond une forme particulière de droit.
Cette évolution des modalités d’action de l’Etat s’est accompagnée d’un mouvement de
transformation de la structure même du droit, dynamique qui a vu naître de nouveaux
instruments d’action étatique, notamment dans le domaine de la protection de
l’environnement.

Selon Morand, ce lent processus de transformation débute avec le développement de


l'administration de prestation et l’émergence de l’Etat providence. Il se poursuit ensuite durant
la période d'après guerre, époque durant laquelle l'Etat (keynésien) doit intervenir dans
l'économie, puis dans d'autres secteurs, au moyen de politiques publiques finalisées. Ses
modalités d’action se transforment, l’Etat devient alors propulsif.

Cependant, confronté à la difficulté d'imposer ses objectifs à une société de plus en plus
complexe, composée de sous-systèmes sociaux autonomes résistant aux actions étatiques de
nature autoritaire, l'Etat se met à négocier les solutions qu'il cherche à imposer en faisant
participer toujours plus intensément les destinataires du droit à sa formation et à sa mise en
œuvre. L’Etat devient réflexif, il acquiert la faculté de mettre en œuvre des programmes
relationnels, générateurs d'un nouveau type de droit.

145
Au sens wébérien d’idéaltype.

110
Enfin, face à des systèmes sociaux autonomes, clos et autorégulés146, l'Etat a aujourd'hui de
plus en plus recours à l'incitation et à l'information pour guider les comportements des acteurs
socio-économiques. L’Etat se métamorphose en un Etat incitateur.

Dans un tableau récapitulatif, Morand (1999) résume ainsi l'évolution des formes d'Etats et de
droits, un cheminement qui est allé dans le sens d’un droit de moins en moins contraignant
(cf. Tableau 21 ci-dessous). Comme nous l’avons fait auparavant, nous avons pour notre part
rajouté une troisième colonne à ce tableau qui associe à chacun des types d’Etat et des formes
de droits, une modalité d’intervention.

Tableau 21 : Evolution des formes d’Etat, de droit et de modalités d’intervention

Formes d'Etat Formes de droit Modalités d’intervention

Etat libéral Droit moderne Mesures de police / contraignantes

Mesures de prestations
Etat providence Droit de l'activité de prestation Droits
Mesures de prélèvements

Etat propulsif Droit des programmes finalisés Mesures propulsives

Etat réflexif Droit des programmes relationnels Mesures réflexives

Etat incitateur Droit fondé sur la persuasion et l'influence Mesures incitatives

Source : adapté de Morand (1999)

Aussi, nous pouvons observer avec Morand que l’on peut mettre en évidence une
modification « historique » du mode d’intervention de l’Etat et le passage d’un mode de
régulation sociale de nature contraignante à un mode de moins en moins contraignant – de
plus en plus « soft » dirions-nous.

Cette modification des modes d’action de l’Etat s’explique selon Morand par l’accroissement
de la complexité sociale. Ainsi, les différents instruments de régulation sociale mis en œuvre
par les différents types d’Etat « successifs » – notamment l’Etat réflexif et l’Etat incitatif –
résultent de la difficulté éprouvée par l’Etat à agir de manière autoritaire et contraignante sur
des sous-systèmes sociaux autonomes et d’une complexité grandissante. Cette thèse est
notamment reprise par Papdopoulos (1995) qui souligne à son tour que face à
(l’accroissement de) la complexité sociale, les régulateurs classiques (tels que le droit,
l’argent et la violence) ne suffisent plus et que l’Etat a ainsi été « amené à diversifier les
matériels qu’il utilise en recourant à des moyens para-légaux : informer, inciter, expérimenter,
donner lui-même l’exemple et le diffuser, etc. » (p.14)

L’explication qui nous est donnée découle donc d’une interprétation du fonctionnement de la
société en termes systémiques et autopoiétiques147, interprétation à laquelle le sociologue
allemand Niklas Luhmann a fortement contribué et à laquelle Morand, de même que
Papadopoulos, se réfèrent volontiers (voir Encadré 10 ci-après).

146
L'autorégulation représente la capacité d'un système de se régler lui-même autour d'une norme.
147
Ecole des théoriciens de l'autopoïèse issue de l’approche systémique/cybernétique (régulation des systèmes)
appliquée à l’analyse de la société et de ses sous-systèmes.

111
Encadré 10 : Régulation et complexité sociale chez Luhmann
Selon Luhmann (1999; voir également Ossipow, 1994), notre société (moderne) se divise en quatre sous-
systèmes fonctionnellement différenciés principaux : le sous-système économique, le sous-système politique, le
sous-système juridique et le sous-système scientifique. Ces systèmes sont caractérisés par leur clôture
identitaire (chaque système est clos et possède une identité par rapport à son environnement.), leur capacité
autopoïétique (capacité d'un système à créer son identité à partir des ses propres éléments (un tel système est
qualifié de système autopoïétique)), leur fonctionnement autoréférentiel (chaque système se réfère aux règles et
aux critères qu'il a lui-même posés) et leur grande autonomie (possédant tous leur propre logique de
fonctionnement, chaque système est autonome par rapport aux autres systèmes qui ne peuvent interférer,
intervenir directement sur lui).
Ces quatre sous-systèmes sont le résultat de l'évolution des sociétés vers une plus grande complexité globale.
Aussi ont-ils émergé dans le but de réduire et de maîtriser cette complexité en la cernant d'un « point de vue »
(Ossipow, 1994, p. 300) qui leur est spécifique.
Chaque sous-système social autonome se présente donc comme un centre de décision possédant sa propre
logique, son propre langage, son propre système de régulation et ses propres lois. Il devient dès lors évident que
la manière contraignante s’avère de moins en moins adaptée à la régulation des sous-systèmes sociaux au fur-et-
à-mesure que ceux-ci se complexifient et s’autonomisent.
Néanmoins, la communication entre ces systèmes autonomes reste possible. En effet, chaque sous-système
fonctionnellement différencié traduit, interprète, ou encore traite l'information qu'il reçoit de son environnement
dans un langage qui lui est propre. Pour cela, chaque sous-système est constitué et défini par un médium
généralisé spécifique qui lui permet de véhiculer du sens en son sein. Par conséquent, chaque sous-système
fonctionnellement différencié représente un sous-système de communication qui s'organise autour d'un médium
et d'un code qui lui est propre (Le médium indique ce qui fait sens dans le système considéré. Nous pouvons
dire qu'il représente un point de vue spécifique et réductionniste propre à chaque sous-système qui permet
d'interpréter l'information venant de l'environnement du système. Par exemple, dans le cas du sous-système
économique, le raisonnement des acteurs et l'interprétation du monde se fait en terme de rentable / non rentable
(le code sémantique binaire qui permet l'opérationnalisation dans le sous-système économique), le médium
généralisé spécifique à ce sous-système étant le prix sur le marché).
Ainsi, notre société moderne, caractérisée par un processus historique de perdifférenciation (la
perdifférenciation désigne le résultat des processus de différenciation dynamique au sein d'un système, donnant
lieu à différents sous-systèmes qui permettront à ce système d'accéder à un plus haut degré de complexité), peut
être considérée comme une société fonctionnnellement différenciée formée de sous-systèmes sociaux qui se
chargent de traiter des problèmes spécifiques (ces problèmes sont résolus à l'intérieur de chaque sous-système,
chacun d’entre eux accordant le primat à sa propre fonction.) . Et comme le souligne Lhumann (1999) : « un tel
ordre […] renonce à une régulation rigide du rapport de ces systèmes entre eux : cela signifie que les rapports
au sein du système sont remplacés par des rapports système-environnement, ou pour le formuler en termes
systémiques, qu'un strict coupling est remplacé par un loose coupling. » (Luhmann, 1999, p. 44)
Source : adapté de Ossipow (1994) et Luhmann (1999)

Aussi, comme nous l’avons déjà relevé à plusieurs reprises, la nécessité d’introduire des
« nouveaux » instruments de régulation, plus flexibles et moins autoritaires, serait née de la
difficulté éprouvée par l’Etat à agir autoritairement sur des systèmes sociaux autonomes, de
plus en plus complexes, et résistant aux mesures étatiques de nature contraignante. Cette
modification « historique » du mode d’intervention de l’Etat résulte donc d’un passage d’un
mode de régulation sociale de nature contraignante à un mode de moins en moins
contraignant (cf. Figure 5 ci-après).

Notons enfin que, dans la droite ligne de la thèse de Morand, cette perspective
« évolutionniste » de transformation de l’Etat et de « recomposition » des ses techniques est
également soulignée par Lascoumes et Le Galès (2004). Citant l’ouvrage, The Nation Stat in
Question, de G. John Ikenberry (2003), Lascoumes et Le Galès caractérisent ainsi la
transformation de l’Etat :

112
La première moitié du XXe siècle était celle des Etats forts qui pouvaient mobiliser
l’ensemble de la société pour la guerre ou pour l’industrialisation […]. [Désormais], les
Etats ont besoin d’être plus flexibles afin de travailler efficacement avec des groupes
sociaux et des organisations. Implicitement, cette conclusion se révèle paradoxale : les
Etats qui limitent le pouvoir coercitif du gouvernement, via un consensus normatif ou via
des règles légales et constitutionnelles, renforcent de fait la capacité des leaders
politiques à travailler avec et au travers de la société pour mobiliser des ressources et
résoudre des problèmes. […] Le pouvoir de l’Etat a alors pour origine cette capacité à
mobiliser et à diriger le capital social et les ressources de son peuple. (Ikenberry, 2003, in
Paul, T. V., Ikenberry, G. J. et Hall, J.A., p. 353, cité par Lascoumes et Le Galès, 2004, p.
366)

Figure 5 : Transformation des modalités d’intervention de l’Etat

Croissance de la complexité sociale  transformation du mode d’intervention de l’Etat


Passage d’un mode contraignant de régulation sociale à un mode non contraignant
Hard regulation  soft regulation // instruments autoritaires  instruments non-contraignants

Etat policier (libéral)

Etat providence / Etat propulsif

Etat réflexif

Etat incitatif

Source : adapté de Perret (2002, 2004a)

Aussi, Lascoumes et Le Galès (2004, faisant référence à Morand, 1991a/b) identifient


également une évolution « historique » de l’Etat qui s’est transformé au cours du XXe siècle
en un Etat propulsif et mobilisateur de groupes et d’organisations relativement autonomes, ou
en d’autres termes empruntés à Donzelot et Estèbe (Donzelot et Estèbe, 1994, cités en
référence par Lascoumes et Le Galès, 2004) en un Etat arbitre et animateur. Une partie de leur
analyse souligne ainsi l’abandon des instruments les plus contraignants, législatifs et fiscaux
ou réglementaires, au profit d’instruments plus flexibles tels que les trois dernières catégories
définies dans leur typologie, à savoir les instruments conventionnels et incitatifs, les
instruments d’information et de communication et les instruments de types normes et
standards (best practices). Selon les auteurs, cette évolution parait ainsi favoriser un déclin de
la régulation traditionnelle contraignante au profit de l’information et de la négociation.

Notons enfin que Lascoumes et Le Galès (2004), de manière très originale, soulignent
également que l’approche des politiques par les instruments, qui peuvent être considérés
comme des révélateurs de changement, permet à cette même analyse de penser la
transformation de l’Etat, de ses modes de domination et de gouvernement. Or lorsque l’on

113
parle de transformation de l’Etat durant ces dernières décennies, on ne peut faire l’impasse sur
le mouvement (sans précédent) de réforme de l’appareil bureaucratique dans le sens d’une
certaine nouvelle gestion publique (new public management).

4.1.2 Réforme de l’Etat et de ses instruments


Pour un certain nombre d’auteurs (notamment Hood, 1983/1990, Cooper, 1995, Salamon,
2002, Lascoumes et Le Galès, 2004), la modification des modalités d’intervention de l’Etat
s’explique par l’influence du contexte de réforme qui caractérise l’évolution de l’Etat et de
son administration, notamment au sein des pays industrialisés anglo-saxons (USA, Canada,
GB et Nouvelle Zélande en tête, mais également, peut-être dans une moindre mesure, en
France, en Suisse, etc.) depuis la dernière moitié du XXe siècle.

Ce mouvement de remise en cause de l’administration « traditionnelle », puisant sa source


dans un courant néolibéral (renouveau d’une pensée axée sur le libéralisme économique, néo-
classique) porteur d’une nouvelle gestion publique (new public management) – calquée sur le
modèle du marché et de la recherche de l’efficience – a ainsi amené l’Etat à se réformer et par
la même occasion à revoir ses modalités de régulation sociale148.

Pour Salamon (2002) par exemple, cette « révolution instrumentale »149 en cours depuis plus
de cinquante ans est en effet la conséquence du renouveau de la pensée économique
néolibérale et de l’émergence de la nouvelle gestion publique qui y est rattachée, notamment
suscitée par la frustration (grandissante) des citoyens envers l’inefficacité et les coûts
(grandissants) de l’intervention étatique150. Aussi, l’évolution du mode de fonctionnement et
du rôle de l’Etat constatée ces dernières décennies correspond ainsi également à une réforme
des techniques d’action et d’intervention étatique :

The heart of this revolution has been a fundamental transformation not just in the scope
and scale of government action, but in its basic forms. A massive proliferation has
occured in the tools of public action, in the instruments or means used to address public
problem. (Salamon, 2002, p.1-2)

Ce mouvement de réforme a ainsi poussé les modalités d’intervention à évoluer dans le sens
du marché et de l’efficience.

Pour Cooper (1995), qui constate une tendance vers la dérégulation et le recours aux
mécanismes du marché au niveau national (et international), cette évolution vers moins
d'autorité, de réglementation, de contrôle et vers la décentralisation, la réduction de la taille du

148
La nouvelle gestion publique fait de « l’utilisation de ces instruments alternatifs un objectif majeur de la
réforme du secteur public » (Salamon, 2002, p. 7) quand celle-ci ne vise tout simplement pas à ce que l’Etat se
retire de certains champs d’activité (privatisation, abondons de certaines tâches, etc.) pour se « recentrer » sur ses
fonctions régaliennes.
149
Que personne n’a apparemment remarquée (« The revolution that no one noticed » (p.1)) oublions du même
coup les propos tenus par Dahl et Lindblom (1953/1992) qui parlaient déjà de « révolution » dès le début des
années 1950 !
150
Nous ne rentrerons ici pas en détails sur les éléments déclencheurs de cette réforme (crise de l’Etat
providence et des finances publiques, dysfonctionnements administratifs et inefficacité/inefficience) ni sur les
principes de mise en œuvre de cette nouvelle gestions publique (dérégulation/déréglementation, décentralisation,
privatisation, etc.). Nous conseillons toutefois au lecteur intéressé de se référer à Osborne, D. et Gaebler, T.
(1994). Reinventing government : how the entrepreneurial spirit is transforming the public sector. Menlo Park
Calif. : Addison-Wesley, et, pour une critique de cette approche, par exemple à Urio (1999).

114
secteur public et le recours accru aux instruments fondés sur le marché (Cooper, 1995, faisant
référence à Salamon, 1989) marque un passage de l’Etat traditionnel vers un « Etat hybride »
(p. 207) dont la régulation est caractérisées par :

• la décentralisation et la restructuration (pour réduire les coûts) ;

• la réduction de la taille du secteur public ;

• la dérégulation (les réglementations étant considérées comme coûteuses) ;

• et par conséquent, à l’utilisation d'autres mécanismes d’intervention fondés sur la


logique du marché.

Ces nouveaux modes d’intervention se traduisent ainsi par la conception de systèmes


d'incitation qui encouragent les acteurs à l’autoréglementation, l’abandon de systèmes de
régulation relativement rigides à caractère punitif et la mise en place favorisée d’options
négociées et souples qui encouragent le recours à des critères de performance plutôt qu'à des
règles de procédure spécifiques, laissant ainsi à l’acteur régulé une marge de manœuvre.

La deuxième moitié du XXe siècle aura ainsi vu apparaître de multiples formes d’instruments,
parmi lesquels les prêts (loans, loan guarantees), les subventions (grants), les contrats
(contracts), les régulations sociales et économiques (social regulation, economic regulation),
les mécanismes d’assurance (insurance), les déductions fiscales incitatives (tax expenditures),
etc., alors que l’action de l’Etat se résumait par le passé à une simple prestation directe de
biens et de services (Salamon, 2002). Chacune des ces techniques possède ses propres
modalités de fonctionnement, sa propre « économie politique [political economy] » (Salamon,
2002, p. 2)) et la fourniture directe de Biens et de Services ne constitue plus aujourd’hui la
forme d’action publique dominante.

Ainsi, les instruments des politiques publiques, embarqués dans ce mouvement réformateur,
se sont mis « au goût du jour » dans une perspective de nouvelle gestion publique, axée sur le
modèle du marché et de son efficience. Placés dans ce contexte, les instruments politiques de
la nouvelle gestion publique se caractérisent par leur volonté affichée d’être (plus)
participatifs/collaboratifs, incitatifs, indirects, flexibles et efficients… par opposition aux
instruments traditionnels.

Ce « nouveau paradigme de gouvernance [The new governance paradigm] » (p. 9) comme


l’appelle Salamon (2002), constitue une approche nécessaire pour trois raisons principales :

• la complexité grandissante des problématiques (les problèmes sont devenus trop


complexes pour que l’Etat les résolve seul) ;

• l’existence de désaccords sur les fins de l’action publique ;

• et la perte grandissante d’autorité des gouvernements sur les acteurs avec lesquels il se
doit désormais de collaborer.

Ces « nouveaux » instruments de politique publique, de nature indirecte et caractérisés par


leur diversité, sont, pour Salamon (2002), nécessairement de nature collaborative et se doivent
donc d’impliquer les parties tierces (third-party government). En effet, constate l’auteur, la

115
majorité de ces nouveaux instruments (newer tools) partage comme caractéristique d’être de
nature fortement indirecte dans la mesure où ils impliquent hautement des parties tierces avec
lesquelles le gouvernement partage désormais son autorité au sein d’un système de
collaboration parfois très complexe. Pour l’auteur, il est ainsi aujourd’hui nécessaire de ne
plus confondre le mode traditionnelle de gouvernement par rapport à cette nouvelle approche
dite de la gouvernance qui ouvre un nouveau paradigme pour l’analyse des instruments des
politiques publiques.

D’un point de vue théorique et méthodologique et reprenant la distinction entre gouvernement


et gouvernance de Salamon, Lascoumes et Le Galès (2004) replacent également l’analyse des
instruments des politiques publiques dans le contexte de la recomposition de l’Etat. Aussi
notent-ils que dans le courant du XXe siècle une question fondamentale est apparue : la
question du comment gouverner ? L’Etat alors contesté se réorganise et l’analyse des
instruments par les chercheurs prend le même chemin. Ainsi, des auteurs comme Linder et
Peters (1984, 1989, 1990, cités en référence par Lascoumes et Le Galès, 2004) ou Kickert et
all. (1997 cité en référence par Lascoumes et Le Galès, 2004) ont remplacé la question
instrumentale par celle du management et de la gouvernance des réseaux d’action publique.

Cependant, les recherches instrumentales placées dans un contexte de déconstruction de


l’Etat, de limites du gouvernement et des échecs à le réformer, ont surtout mis en évidence le
renouvellement des instruments soit, comme nous l’avons vu, par le développement de
recettes dépolitisées de la « nouvelle gouvernance » (Salamon, 2002, cité en référence par
Lascoumes et Le Galès, 2004), mais également, et de manière contradictoire, soit via le
renforcement de puissants mécanismes de contrôle et d’orientation des comportements (Hood
et al., 2001, cités en référence par Lascoumes et Le Galès, 2004).

Aussi, d’un point de vue méthodologique, ce constat pousse Lascoumes et Le Galès (2004) à
souligner que la création de nouveaux instruments est un puissant révélateur des
transformations plus profondes de l’action publique. L’hypothèse esquissée est ainsi que :

l’importation et l’utilisation de toute une série d’instruments de l’action publique sont


surdéterminées par la restructuration de l’Etat, dans le sens de l’Etat régulateur et/ou sous
l’influence des idées néolibérales. Le « nouveau management public », dans une version
simplifiée, se traduit par l’application du principe du choix rationnel et de la micro-
économie classique à la gestion publique, parfois de manière plus directe de transferts de
recette de la gestion privée à la gestion publique. Ceci conduit notamment à une
fragmentation des instruments d’action publique et à une spécialisation croissante, une
concurrence forte entre différents types d’instrument (jugés à l’aune du rapport
coût/efficacité) et à un fort mouvement en faveur des instruments plus incitatifs que
classiquement normatifs. (p. 26)

Aussi, l’idéologie de la nouvelle gestion publique qui pousse à une évaluation de l’action
étatique en termes de coûts/bénéfices, de concurrence, d’efficience, de monétarisation, d’auto-
régulation, de retrait (déréglementation, dérégulation, privatisation), de logique du marché,
implique une réforme des instruments de l’action publique qui va dans le sens des accords
volontaires et autres instruments incitatifs et participatifs. Les « nouveaux » instruments
proposent alors des formes de régulation moins dirigistes et qui intègrent les critiques
formulées à l’égard des instruments traditionnels de type command and control, qui

116
organisent les rapports politiques de manière différente151. Dans ce contexte néolibéral du
moins d’Etat et plus de marché, les instruments flexibles, incitatifs et informatifs, fondés sur
la responsabilité individuelle, et émanant d’une remise en question des instruments
traditionnels de la bureaucratie, de leur inflexibilité et donc de leur inefficacité (vs efficience
du marché), semble mieux adaptés à l’air du temps.

Ce nouveau « paradigme » de « nouvelle gouvernance » est ainsi défini et résumé par


Salamon (2002) par cinq transitions (shift) de perspective d’analyse152 :

1. des programmes gouvernementaux (program/agency) vers les instruments (tool,


instruments) (déplacement dans l’unité d’analyse) ;

2. de la hiérarchie (hierarchy) vers le réseau (network) ;

3. de la confrontation entre secteur public et privé (public vs private) vers le partenariat


public privé (public + private) ;

4. des instruments directs (command and control) vers les instruments indirects de
négociation et de persuasion (negotiation and persuasion) ;

5. de la gestion des compétences / savoir-faire (management skills) vers la possibilité de


permettre aux acteurs d’exprimer leurs compétences / savoir-faire (enablement skills).

Aussi, dans un contexte marqué par ce nouveau mode de gestion publique (paradigme de la
nouvelle gouvernance), rendu nécessaire par l’augmentation de la complexité et de
l’interdépendance du réseau de relation entre acteurs – situation ne permettant à aucun acteur
d’imposer son autorité sur les autres à long terme – les instruments de type command and
control ne sont plus appropriés. Dans ces circonstances, ce sont la persuasion et la négociation
qui deviennent efficaces et qui vont immanquablement remplacer les instruments de
régulation directe de type command and control (Salamon, 2002). Majone (1997, cité en
référence par Lascoumes et Le Galès, 2004) par exemple, dans sa réflexion sur les nouvelles
formes de régulation, estime que les agences européennes tendent de plus en plus à substituer
à la hard régulation (type command and control, régulation réglementaire) une régulation
beaucoup plus soft par l’information qui privilégie la persuasion.

Ainsi, pour Salamon (2002), l’apparition de ces « nouveaux » instruments d’action publique,
différents dans leurs modes de fonctionnement et de régulation par rapport aux « anciens »
instruments, rend nécessaire l’utilisation d’une nouvelle approche pour résoudre les
problèmes (la nouvelle gouvernance), approche qui permette de rendre compte de la nouvelle
nature collaborative des instruments d’action publique moderne et qui puisse être à même
d’analyser cette évolution vers l’utilisation d’instruments allant dans un sens de moins de
contrainte (étatique) et de plus de « laisser-faire » (le marché).

151
Rapports basés sur la communication et la concertation, renouvelant ainsi les fondements de la légitimité de
l’Etat.
152
Par opposition à l’approche classique de l’administration publique.

117
4.1.3 Synthèse et nuances
L’ensemble des perspectives de recherche que nous venons d’aborder semble souligner une
certaine évolution des instruments des politiques publiques. Qu’elle soit analysée à l’aune du
processus de réforme que connait la plupart des Etats industrialisés sous l’impulsion de la
résurgence des tendances néo-libérales et du new public management qui remet en question
les modalités de fonctionnement et d’intervention dites traditionnelles de l’Etat (leur
inflexibilité, leur inefficacité) en sacrant l’efficience du marché, ou qu’elle soit la
conséquence d’une augmentation de la complexité sociale qui pousse l’Etat, ne pouvant plus
réguler de manière autoritaire et contraignante des sous-systèmes sociaux en quête
d’autonomie et réfractaire à la contrainte, à repenser ses modalités d’intervention, cette
évolution semble tendre vers un processus impliquant le renoncement aux modalités
d’intervention contraignante pour l’application de modalités plus indirectes et incitatives.

Toutefois, ce constat peut être relativisé et, comme nous l’avons déjà souligné avec Varone
(1998), possède ses limites explicatives. En effet, à un niveau général, à savoir au niveau de
l’Etat dans sa globalité – toutes politiques publiques confondues – il est difficile de dresser un
constat définitif (et exhaustif) de l’évolution des modalités d’intervention. Cette évolution
dépend en effet souvent des champs d’investigation et n’est pas forcément la même dans le
domaine de la politique environnementale que dans d’autres politiques publiques. Un Etat
peut suivre cette tendance relevée dans un certain secteur d’intervention mais aller dans un
sens contraire dans un autre. Le constat peut également être nuancé au niveau même des
différentes composantes sectorielles d’une même politique publique.

Par ailleurs, établir une tendance générale d’évolution des modalités d’intervention au niveau
général pose la question de la validité de l’analyse. En effet, induire des résultats d’analyses
(toujours) sectorielles pour en tirer des conclusions au niveau général de l’Etat dans son
ensemble, sans distinction de champs, ne semble guerre valable sur le plan scientifique.

Or, si bon nombre d’analyses corroborent la tendance énoncée, un certain nombre tendent
plutôt à la réfuter, dont celle que nous ferons de la politique climatique suisse. La
généralisation ne semble donc pas si évidente à réaliser ou du moins nécessiterait de la
consolider par une ceinture protectrice. Enfin, rien ne permet aujourd’hui de dire si ce constat
est le fait d’une analyse en terme relatif ou absolu. Nous reviendrons sur ce point par la suite
(voir le point 4.3 ci-après).

Constat à nuancer disions-nous ! Prenons par exemple le cas de l’apparente nouvelle nature
collaborative des « nouveaux » instruments. En effet, la négociation et la flexibilité n’est pas
le seul fait des instruments de la nouvelle génération et ont également une place dans le
mécanisme des normes contraignantes : prenons l’exemple du principe BAT NEC ou des
régimes d’exception et de dérogation souvent mis en place au sein des command and control.

Aussi, selon Lascoumes et Le Galès (2004), l’innovation instrumentale n’est pas si évidente
que cela. En effet, selon ces auteurs, puisque le renouvellement constant des instruments a le
plus fréquemment retenu l’attention des observateurs, peu de travaux « s’attardent » sur
l’histoire de la carrière à long terme des instruments, sur leur évolution, leur transformation,
« leur épaisseur historique » (p. 357). Aussi, les « nouveaux » instruments ne seraient-ils pas
si « nouveaux » que cela. Par exemple, les activités contractuelles ou conventionnelles
remonteraient selon François Sestier (1988, cité en référence par Lascoumes et Le Galès,
2004) à la Troisième République où l’on vit naître les techniques conventionnelles sous la
forme d’accords entre acteurs publics et privés qui s’appelaient alors « relations

118
administratives subjectives » (Sestier, 1988, thèse de droit, Université de Lyon III, cité en
référence par Lascoumes et Le Galès, 2004, p. 358).

Ainsi, faute de perspective dans le long terme (diachronique), l’apparente nouveauté d’un
instrument, l’innovation dans le domaine, a comme « effet d’annonce » de retenir l’attention
des analystes. Chaque annonce d’innovation est d’ailleurs accompagnée, selon Lascoumes et
Le Galès (2004), de trois grands types de justification :

1. elle a pour but de produire un effet symbolique d’autorité qui souligne une certaine
rupture avec les actions antérieures et démontre la compétence des gouvernants ;

2. elle traduit une recherche d’efficacité, notamment par rapport à l’échec des
instruments précédents ;

3. elle est porteuse de valeurs « dont l’introduction est censée renouveler ou enrichir
l’action publique : la modernisation, la déréglementation et l’ouverture au marché,
l’ouverture démocratique et la participation. Cela se traduit en général par l’entrée de
nouveaux acteurs dans la conduite des politiques : des spécialistes (statisticiens,
experts divers) et parfois des profanes, comme dans tous les dispositifs consultatifs et
participatifs » (pp. 358-359)

« L’innovation revendiquée ne doit, cependant, pas faire illusion et l’introduction des


dispositifs fondamentalement nouveaux est rare » (Lascoumes et Le Galès, 2004, p. 359).
Ainsi, le plus souvent, l’apparente innovation n’est que le fruit d’une évolution (à la marge),
d’un recyclage d’instruments.

Ce même constat peut également être tiré selon ces mêmes auteurs sur le plan du déclin
annoncé par certains de l’Etat. En effet, si une évolution vers un déclin de la régulation
traditionnelle contraignante au profit de l’information et de la négociation – vers moins de
contrainte et plus de flexibilité – peut être soulignée (bien que relativisée), ce constat mérite
néanmoins d’être nuancé du point de vue du « déclin » annoncé. Ainsi, si les nouveaux
instruments se généralisent, on aurait tort, selon les auteurs, d’y percevoir la preuve d’un tel
déclin, d’y associer une perte de son pouvoir de coercition et de sa capacité à orienter les
comportements. En effet, deux traits de l’Etat en restructuration se dégagent des recherches
sur les instruments menées par Lascoumes et Le Galès : « l’Etat mobilisateur de la
gouvernance négociée et l’Etat régulateur, surveillant et contrôleur. L’Etat n’a pas dit son
dernier mot, le chantier de recherche sur les instruments peut nous permettre de comprendre
certains éléments de sa restructuration. » (p. 369).

Pour nuancer également cette tendance d’une évolution vers l’utilisation d’instruments de
nature non contraignante, relevons également que les instruments de type command and
control sont toujours utilisés actuellement, notamment dans le domaine de la protection de
l’environnement. Notons ainsi avec Cooper (1995) que la croyance qui consiste à dire que ces
« nouveaux » instruments de gestion de l’environnement tendent à la réduction de l’étendue et
de la nature des charges et des coûts administratifs en laissant le marché « accomplir » le
travail semble illusoire. En effet, selon l’auteur :

la réglementation traditionnelle persistera et augmentera sous certains aspects, la


représentation la plus exacte est que la batterie de nouveaux outils et de nouvelles
techniques se superposera aux structures et aux procédures existantes. (p. 218)

119
D’ailleurs, même les outils basés sur le marché requièrent une certaine gestion (contrôle,
information, etc.) et induisent donc des coûts :

les droits et les taxes ne permettent pas de se passer de systèmes administratifs


complexes ; ils permettent seulement de modifier ces systèmes. (p. 219)

Au demeurant, dans certains domaines d’activité et notamment dans celui du développement


durable, il existe de fortes limites à cette tendance et

le gouvernement continuera à jouer un rôle de régulateur, même s'il a recours à des


incitants économiques et à d'autres mécanismes financiers. […] dans des matières telles
que la santé, la sécurité et l'environnement, pour ne donner que quelques exemples, il
paraît peu vraisemblable que les pays renoncent à réglementer ces domaines, bien qu'ils
puissent continuer leurs efforts pour les restructurer et les améliorer. (pp. 206-211)

Aussi, pour Copper (1995) le champ d’investigation du développement durable comme étude
de cas dans le problème de la gestion dans l'Etat hybride est utile à étudier et permettrai sans
doute de nuancer la tendance mise en avant.

Un autre aspect permet également de nuancer la tendance esquissée. En effet, pour observer
une évolution de l’intervention de la contrainte vers le moins de contrainte, faut-il encore que
les instruments traditionnels soient vraiment contraignants (dans leurs modalités
d’application). Or comme Ost (1995) le souligne, il s’avère que les instruments de police
environnementale (réglementation, etc.) contiennent rarement des dispositions clairement
impératives. En effet

pour fonctionner comme un instrument entre les mains des décideurs (experts,
administrations, groupes industriels), ces lois multiplient au contraire les concepts vagues
permettant toutes les interprétations, les injonctions seulement incitatives dépourvues de
sanctions claires et de calendrier précis, et – plus grave encore – les exceptions et
dérogations qui sont autant de portes ouvertes aux formes d’évasion normative, comme si
le droit de l’environnement n’était impératif que lorsqu’il s’applique aux autres. (p. 108)

Ainsi, comme nous l’avons déjà relevé, exceptions et dérogations ouvrent à un plus grand
pouvoir discrétionnaire à l’administration et permettent une gestion flexible et négociée des
normes environnementales :

les normes environnementales sont elles-mêmes des dispositions de compromis,


juxtaposant la référence à des intérêts, virtuellement opposés, et renvoyant finalement à
l’administration et au juge pour opérer les arbitrages nécessaires. (p. 109)

Aussi, ces éléments bien considérés, nous pensons qu’établir une évolution dans la nature des
instruments utilisés par l’Etat ne paraît pertinent uniquement dans la prise en considération de
champs d’application particuliers (politique environnementale, politique énergétique). Un
discours plus général sur l’évolution des modes de régulation reste pour nous seulement
théorique et conceptuel et ne permet pas d’établir des faits (car un discours général ne peut
embrasser de manière systématique tous les champs d’intervention). Toutefois, nous pensons
qu’un constat peut plus facilement être établi si l’on se réfère à l’utilisation de types
d’instruments bien précis (à définir de manière expost) et s’il est la résultant d’une analyse
sectorielle (et non générale), analyse qui seule permet d’embrasser systématiquement
l’ensemble des mesures mises en œuvre. Il est ainsi selon nous plus intéressant et pertinent
d’établir des analyses d’étude de cas concrets ; ce à quoi nous nous attèlerons dans la partie

120
consacrée à l’analyse de la politique climatique suisse. L’induction au niveau général ne
devant dès lors rester qu’une hypothèse de travail pour le chercheur. Aussi ne faut-il pas
confondre théorie et réalité, réalité et théorie153.

En conclusion, nous pensons qu’établir par l’analyse une tendance évolutive dans l’utilisation
des instruments nécessite :

• de prendre un champ d’investigation particulier qui permet une étude systématique sur
le long terme ;

• d’établir les concepts qui vont être à l’origine de l’analyse (notamment les types
d’instruments) et ne pas utiliser des notions aussi floues que celles de contrainte (si
elles ne sont pas définies de manière opérationnelle au préalable).

Nous verrons dans notre chapitre méthodologique d’autres limites actuelles à la recherche
instrumentale et définirions également d’autres prés requis qui puissent rendre possible et
opérationnelle une telle analyse. Nous verrons par exemple qu’il est également important de
définir quels sont les acteurs cibles considérés dans l’analyse dans la mesure où la nature de
l’instrument change en fonction de l’acteur pris en considération. Enfin, notons d’ores et déjà
que des instruments incitatifs peuvent s’avérer très contraignants du point de vue de certains
acteurs cibles et de l’objectifs visés (pensons à une taxe environnementale de 1 ou de 100
CHF la tonne). Ainsi, si l’évolution vers moins (ou plus) de contrainte nous semble être
actuellement une question mal posée dans la littérature consacrée à l’analyse instrumentale,
elle mérite cependant d’être analysée. Nous pensons par contre que la notion coercitive est
plus à même de rendre compte d’une évolution de l’utilisation des instruments, notamment
parce que comme nous le définirons, le concept de coercition, à l’inverse de celui de
contrainte, est « indépendant » vis-à-vis des multiples destinataires possibles d’un instrument
(nous reviendrons sur ce point par la suite).

4.2 Combinaison des types d’instruments : évolution « téléologique » vers plus de


contrainte !

Pour atteindre leurs objectifs, les Etats ont théoriquement la possibilité de combiner les
instruments de manière synchronique (concomitante) ou de manière diachronique
(séquentielle). Adhérer à cette hypothèse implique d’accepter le fait que l’introduction des
instruments peut être chronologiquement séquencée et qu’une sélection doit alors être opérée
pour la mise en place d’une combinaison adéquate dans le temps. Ainsi, dans une perspective

153
Notons d’ailleurs à ce propos que, selon nous, Morand (1999) n’est pas tombé dans ce piège. En effet, s’il
part de l’hypothèse d’une modification « historique » du mode d’intervention de l’Etat et le passage d’un mode
de régulation sociale de nature contraignante à un mode de plus en plus « soft », il se garde cependant d’en
établir une réalité pratique. Ainsi, Morand (1999) souligne avec insistance le fait que les types d'Etat qu’il a
définis, bien qu'étant apparus historiquement dans un ordre chronologique, coexistent dans la réalité actuelle.
Ainsi, le fait que « divers modèles se soient succédés dans l'histoire ne signifie pas qu'à chaque étape on ait fait
tabula rasa de tout ce qui précédait » (p. 18). Nous pouvons d’ailleurs relever avec lui que le législateur mélange
fréquemment plusieurs techniques et que si les types de modalité d'action de l'Etat ont pu « prévaloir » à un
moment donné de l'histoire, ils ne sont en aucun cas exclusifs aujourd’hui. De plus, l’auteur souligne également
avec insistance que les types d’Etat théorisés doivent être considérés comme des types idéaux au sens wébérien
du terme. Comme le souligne Morand, les différentes formes d’Etat et de droit qu’il manipule à des fins
heuristiques ne sont qu’un reflet imparfait de la réalité sociale ou juridique. Ce sont des décodeurs, des outils
d’analyse. Ils ne sont pas la réalité mais servent plutôt à la « mesurer ».

121
à plus ou moins court terme, ce type de combinaison peut être illustré par les deux équations
suivantes :

Combinaison instrumentale synchronique = Ia/t1 + Ib/t1 + … + In/t1


Combinaison instrumentale diachronique = Ia/t1 + Ib/t2 + … + In/tn
ou
I = instrument
a, b … n = type d’instrument a, type d’instrument b … type d’instrument n
t1, t2 … tn = temps 1, temps 2 … temps n

Une combinaison de ces deux possibilités peut également être envisagée :

Combinaison instrumentale synchronique et diachronique = Ia/t1 + Ib/t2 + Ic/t2 + … + In/tn


ou
I = instrument
a, b … n = type d’instrument a, type d’instrument b … type d’instrument n
t1, t2 … tn = temps 1, temps 2 … temps n

Or, si nous venons de constater dans le chapitre précédent que, dans le cadre d’une
perspective analytique historique (approche diachronique du temps long), une évolution allant
vers une diminution de la contrainte peut être esquissée (mais toutefois relativisée), une
tendance inverse semble être soulignée par la littérature spécialisée dans une perspective
temporelle et analytique à plus petite échelle.

Ainsi, comme le souligne Varone (1998), les premiers chercheurs ayant abordé la question du
choix des instruments de manière diachronique (entendons par là à plus ou moins court terme)
ont souligné (plus de manière hypothétique que par la démonstration) une « évolution
(quasi)naturelle » dans leur utilisation qui suit une graduation de l’instrument le moins
contraignant vers le plus contraignant.

Selon l’auteur, les exemples des typologies de Doern et Wilson (1974), ainsi que de Hood
(1983), « illustrent la portée de telles hypothèses qui sont restées longtemps dominantes au
sein de la recherche sur les instruments des politiques publiques » (Varone, 1998, p. 42).

En effet, le continuum établit par Doern et Wilson (1974, notamment cité en référence par
Schneider et Ingram, 1990, Howlett, 1991, et Varone, 1998) est fonction du degré de
contrainte des instruments et le choix des instances gouvernementales (canadiennes) semblent
aller dans le sens d’une gradation de l’instrument le moins contraignant vers celui le plus
contraignant :

Politicians have a strong tendency to respond to policy issues (any issu) by moving
successively from the least coercive governing instrument to the most coercive. Thus they
tend to respond first in the least coercive fashion by creating a study, or by creating a
new or reorganized unit of government, or merely by uttering a broad statement of intent.
The next least coercive governing instrument would be to use a distributive spending
approach in which the resources could be handed out to constituencies in such a way that
the least attention is given as to which taxpayers’ pockets the resources are being drawn
from. At the more coercive end of the continuum of governing instruments would be a
larger redistributive programme, in which resources would be more visibly extracted
from the more advantaged classes and redistributed to the less advantaged classes. Also
the more coercive end of the governing continuum would be direct regulation in which

122
the sanctions or threat of sanctions would have to be directly applied. (Doern et Wilson
(1974, p. 339), cités par Howlett, 1991, p.12, et par Vedung, 1998, p. 40, citant également
pour la première phrase Doern et Phidd (1983, pp. 128ss))

Cette idée (ou hypothèse) selon laquelle les gouvernements combineraient les instruments de
manière séquentielle et graduellement plus contraignante (Vedung, 1998, Bemelmans-Videc
et Vedung, 1998), ou en d’autres termes que les problèmes sont résolus en trois étapes : par
l’information, puis par l’application d’incitations et finalement par une régulation/sanction,
soit par l’utilisation successive d’instruments de plus en plus contraignants, peut être
expliquée selon Vedung (1998) par le fait de la pus grande acceptabilité des instruments les
moins contraignants et d’une plus grande acceptabilité générale d’un programme par étapes
successives. Ainsi l’instrument le moins coercitif est appliqué dans une première étape afin de
lever progressivement les réticences à une intervention de l’Etat qui, par la suite, si cela
devient nécessaire, peut dès lors plus facilement utiliser des instruments plus coercitifs. Cette
stratégie d’intervention graduelle serait ainsi selon les auteurs (Howlett, 1991, Vedung, 1998,
Varone, 1998), l’expression d’une idéologie politique libérale – et de son « principe de
contrainte minimale [The minimal constraint principle] »154 (Vedung, 1998, p. 41) – et de la
difficulté à imposer des instruments contraignants à des groupes sociaux réticents face à la
contrainte et défendant leurs intérêts. Dans cette perspective, même si les instruments sont
substituables, les gouvernements vont préférer l’instrument le moins coercitif, à moins que
son inefficacité avérée les pousse à l’utilisation d’instruments plus contraignants (Howlett,
1991).

Si nous reprenons l’équation que nous avons définie au départ, la stratégie d’intervention
séquentielle et graduellement contraignante peut être illustrée de la manière suivante :

Combinaison instrumentale diachronique


=
Ia-c0/t1 + Ib-c1/t2 + … + In-cX/tn
ou
I = instrument
a, b … n = type d’instrument a, type d’instrument b … type d’instrument n
t1, t2 … tn = temps 1, temps 2 … temps n
-c0, -c1 … -cX = contrainte nulle (0), contrainte de niveau 1 … contrainte de niveau X

Cette stratégie instrumentale peut également être illustrée par la théorie des « trois E » de
Paisley (1981, cité en référence par Van der Doelen, 1998) (cf. Figure 6 ci-après)

Comme le relève Varone (1998, faisant référence à Hood, 1983), cette hypothèse se retrouve
également chez un auteur comme Hood (1983/1990) qui introduit une gradation du niveau de
contrainte dans sa typologie. En effet, celle-ci introduit très schématiquement une
augmentation de la contrainte en fonction des ressources utilisées qui va dans le sens nodality
 treasure  authority / organisation, mais également au sein même de la catégorie autorité
(low  hight).

154
Selon Hood (1986), qui reprend les termes d’Adam Smith, le principe de la contrainte minimale signifie
induire chez la population le moins possible de « trouble, vexation, and oppression » (Hood, 1986, pp. 190ss cité
en référence par Bemelmans-Videc et Vedung, 1998, p. 264). Ainsi, selon Doern et Phidd (1983), « The
minimal-constraint principle would dictate that lower-constraint instruments such as moral suasion and
financial incentives be preferred to higher-constraint instruments like regulation, where all else is equal »
(Doern et Phidd 1983, p.112 cité par Bemelmans-Videc et Vedung, 1998, p. 264).

123
Figure 6 : La stratégie des « trois E » de Paisley
L’hypothèse de l’augmentation graduelle de la contrainte dans le choix des instruments peut également être
illustrée par la stratégie des trois E (Three E’s strategy : Education, Engineering, and Enforcement) de Paisley
(1981) que l’on peut illustrer comme suit

Education  Engineering  Enforcement

éducation techniques incitatives dont : règles


(communication/  subventions taxes  contraignantes-
information) (-) (+) autoritaires

Contrainte faible Contrainte moyenne Contrainte forte


(--) (-/+) (++)
 
(Liberté haute) (Liberté moyenne) (Liberté faible)

Degré de contrainte
(continuum liberté – contrainte)

Selon cette théorie un problème est résolu à travers le temps en trois étapes séquencées : premièrement par
l’information, deuxièmement par l’application d’incitation puis en dernier par l’établissement de
réglementations.
Dans cette perspective, l’Etat se doit d’utiliser des instruments de plus en plus contraignants par étapes
successives. Ceci permet notamment de lever graduellement la résistance de certains acteurs pour permettre
l’introduction d’instruments plus contraignants.
Ainsi, les politiques publiques se doivent de résoudre les problèmes à travers le temps selon trois voies :
first by the provision of information (education), subsequently by the application of selective
incentives (engineering), and lastly by the establishment of rules and regulation (enforcement).
The underlying notion is that in solving social problems the authorities apply tools of increasing
strength in successive stages. (Bemelmans-Videc et Vedung, 1998, pp. 263-264 citant en
référence Van der Doelen, 1998, p.123)

Source : adapté de Van der Doelen (1998), Bemelmans-Videc et Vedung (1998)

Cette évolution fait d’ailleurs supposer à Hood (Hood, 1983, notamment cité en référence par
Howlett, 1991 et Varone, 1998) l’existence d’un phénomène de « re-instrumentalisation à
travers le temps [re-tooling : change over time] » (p.126) qui caractérise les choix successifs
des instruments. Cependant, l’évolution n’est toutefois pas totalement égale à celle esquissée
auparavant. En effet, le phénomène constaté par Hood (1983, cité en référence par Howlett,
1991 et Varone, 1998) comprend un double mouvement155 qui souligne certes le passage des
instruments d’information aux instruments basés sur les autres ressources – et donc des
instruments moins contraignants aux plus contraignants – mais également un passage des
instruments coercitifs aux instruments basés sur les ressources financières et d'organisation –
passage qui ne correspond pas entièrement à l’hypothèse esquissée jusqu’à présent.

L’explication avancée par Hood (1983, cité en référence par Howlett, 1991) est celle d’un
choix des décideurs établi plus sur la base des expériences passées et des erreurs commises
(processus d’essais erreurs), qui se rapproche plus d’un choix fondé sur l’intuition et la
tradition ainsi que découlant du changement technologique. Mais les raisons exactes ne sont

155
« A shift from information-based instruments to those based on other resources, and a shift from reliance on
coercition to the use of financial and organisational resources » (Howlett, 1991, p. 10, faisant référence à Hood,
1986, pp. 126-131)

124
pas analysées plus en détail. Cependant, dans tous les cas, pour Hood (1986, cité en référence
par Howlett, 1991), même si les instruments sont substituables, les gouvernements se doivent
de faire un choix qui est dû notamment aux contraintes inhérentes aux ressources à
disposition, aux pressions politiques (notamment à celles émanant des groupes-cibles), au
cadre légal et aux leçons tirées des expériences passées. Ainsi, le choix des instruments est
défini par des forces identifiables qui influencent les gouvernements dans leur stratégie
d’intervention. Une de ces forces importantes est le groupe-cible qui va fortement influencer
le choix des instruments156. Par ailleurs, les gouvernements semblent préférer les instruments
d’information et autoritaires du fait que ces ressources soient « inépuisables » (par opposition
aux ressources financières et organisationnelles). Ainsi, les instruments les plus privilégiés
semblent être les instruments nodaux (d’information), fondés sur une ressource
informationnelle et une contrainte minimum à l’égard des citoyens. Cependant, lorsque la
contrainte est rendue nécessaire, la préférence semble aller à l’intervention autoritaire dans la
mesure où cette ressource est moins intensive, notamment par rapport aux ressources
organisationnelles.

Vedung (1998, également cité en référence par Bemelmans-Videc, 1998) souscrit également à
une classification qui soit caractérisée par le degré de contrainte des instruments (ou le degré
de la force autoritaire) comme l’ont également fait Doern et Willson et Hood, avec dans l’idée
que les décideurs choisissent en premier l’instrument le moins coercitif, pour ensuite, si
nécessaire, aller vers le plus coercitif :

decision makers will always choose first the least coercive instrument, moving
over time from least coercive to most coercive in any given policy area
(Bemelmans-Videc, 1998, p. 9)

En résumé, cette stratégie (étapes successives de plus en plus contraignantes) est sans doute la
résultante de deux phénomènes (Bemelmans-Videc et Vedung, 1998) :

• une certaine recherche de légitimité (legitimacy) et d’acceptabilité (public


confidence) : l’instrument le moins coercitif est introduit dans une première étape pour
tenter de lever les résistances des acteurs(-cibles) réticents à une intervention ; dans un
second temps, si nécessaire, l’Etat introduit alors des instruments plus contraignants
pour atteindre ses objectifs et si de nouvelles résistances apparaissent, il peut
s’appuyer sur le fait qu’il est intervenu en premier de la manière la plus douce possible
mais qu’il n’a pas obtenu de résultats ;

• une certaine cohérence avec une philosophie politique de nature (néo)libérale qui veut
éviter le recours à l’interventionnisme étatique pour laisser le plus de liberté possible
aux acteurs (liberté du marché efficient) ; néanmoins, si l’intervention est jugée
nécessaire, c’est le principe de la contrainte minimale qui s’applique (cf. Encadré 11
ci-après)157.

156
Un groupe-cible conséquent et bien organisé va pousser le gouvernement à intervenir via les ressources
informationnelles et financières ; suivant la taille du groupe-cible, le gouvernement va également passer des
instruments actifs (plutôt destinés à des petits groupes) à des instruments passifs (plutôt destinés à des grands
groupes).
157
Le pendant du principe de la proportionnalité bien connu des juristes.

125
Encadré 11 : Le principe de la contrainte minimale
Dans le cadre de la conception des politiques publiques ou de leur évolution, ce principe commande de faire le
choix de l’instrument le moins contraignant possible pour atteindre un objectif (toutes choses étant égales par
ailleurs) et de procéder ensuite, si nécessaire, par étapes successives vers l’introduction d’instruments de plus en
plus contraignants.
Cependant, cette graduation instrumentale vers la contrainte peut être :
• prévue dès la phase de conception de la politique publique qui prévoit ainsi des étapes successives dites
subsidiaire ; nous parlons dans ce dernier cas de la subsidiarité des instruments contraignants
(instruments subsidiaires)  principe choisi
• non prévue dans la phase de conception, mais procéder de l’évolution historique de la politique publique
 principe subi
Source : l’auteur

C’est ainsi sur cette base, remarque Van der Doelen (1998), que les chercheurs ont développé
des stratégies pour mettre en place des politiques faisables et efficaces qui font appel à un
séquençage en trois étapes.

Cependant, notent Varone (1998) et Bemelmans-Videc et Vedung (1998), ces hypothèses ne


sont pas discutées de manière explicite par les auteurs, restent difficilement
opérationnalisables et donc difficilement testables empiriquement. Les réponses ne sont donc
de loin pas établies et requièrent encore des recherches approfondies. Nous irons notamment
dans ce sens dans le cadre de notre recherche.

4.3 Un paradoxe ?

D’un côté, avec les études sur l’évolution (historique) de l’intervention de l’Etat dans la
société et celles insistant sur l’apparition de « nouveaux » instruments d’une nature
sensiblement différente que celle des instruments dits « traditionnels », nous avons pu
souligner une tendance vers l’utilisation d’instruments d’action de moins en moins
contraignants (de plus en plus flexibles, indirects, etc.).

Cette tendance peut certes être relativisée – et n’est pas empiriquement démontrée – elle n’en
reste pas moins une bonne hypothèse de travail qu’il faut néanmoins manier avec précaution.
En effet, selon nous, les études actuelles ne permettent pas de définir si l’évolution (si tant est
qu’il y en ait vraiment une) mise en exergue se pose en des termes absolus ou relatifs. Le
tableau ci-après (cf. Tableau 22 ci-après) illustre ainsi différentes « configurations »
d’évolution instrumentale pour lesquelles la conclusion peut être identique : une augmentation
des instruments non-contraignants et une diminution des instruments contraignants durant le
XXe siècle (de t1 vers t2)… mais en des termes absolus et/ou relatifs.

126
Tableau 22 : Quelques exemples de configuration de l’’évolution dans l’utilisation des modalités d’intervention qui permettent de tirer les mêmes conclusions générales en termes
relatif mais pas en terme absolu !
Légende :
EvAbsInc : évolution en terme absolu des instruments non-contraignants [évolution barres rouges] ; EvAbsIc : évolution en terme absolu des instruments contraignants [évolution barres jaunes] ;
EvRelInc/Ic : évolution des instruments non-contraignants et contraignants en terme relatif [évolution barres rouges/barres jaunes] ; t1 t2 : évolution temporelle du temps 1 vers le temps 2
Nombre total croissant d’instruments Nombre total croissant d’instruments Nombre total croissant d’instruments
t1 t2 t1 t2 t1 t2

EvAbsInc : augmentation EvAbsInc : augmentation EvAbsInc : augmentation


EvAbsIc : diminution EvAbsIc : augmentation EvAbsIc : constant
EvRelInc/Ic : augmentation relative des Inc par rapport au Ic et EvRelInc/Ic : idem EvRelInc/Ic : idem
diminution relative des Ic par rapport aux Inc

Nombre total constant d’instruments Nombre total décroissant d’instruments Nombre total décroissant d’instruments
t1 t2 t1 t2 t1 t2

EvAbsInc : augmentation EvAbsInc : constant EvAbsInc : diminution


EvAbsIc : diminution EvAbsIc : diminution EvAbsIc : diminution
EvRelInc/Ic : idem EvRelInc/Ic : idem EvRelInc/Ic : idem
Notes : le terme d’instrument contraignant est ici utilisé de manière générale pour illustrer la catégorie des instruments de type command and control et le terme d’instrument non-contraignant
pour définir a contrario la catégorie opposée (instrument de type information et communication ou de type volontaire). Notons cependant que la place d’autres types d’instruments, notamment les
instruments économiques (taxes vs subventions), est ambiguë et reste à définir (elle est cependant souvent comprise sous les types d’instruments incitatifs (soit non-contraignants) par opposition
aux instruments traditionnels de type command and control) et qu’il est sans aucun doute nécessaire de pouvoir mesurer de manière adéquate la variable [type d’instrument] pour pouvoir aller plus
en avant de l’analyse de l’évolution des modalités d’intervention, ce qui n’est pas le cas actuellement.

Source : l’auteur

127
Aussi, pour pouvoir tester une telle hypothèse, il nous semble nécessaire, avec Varone (1998)
de disposer d’une « mesure »158 adéquate de la variable types d’instruments (notamment
compte tenu de la nature contraignante/coercitive vs non-contraignante/non-coercitive des
instruments) et de pouvoir ainsi identifier cette évolution en des termes absolus ou relatifs et
dépasser la mise en évidence de tendances générales ambigües et impossibles à vérifier. Par
ailleurs, nous pensons également qu’une telle hypothèse n’est que difficilement testable
empiriquement si ses contours temporels et géographiques, voire sectoriels, ne sont pas
clairement définis.

De l’autre côté, les études basées sur le séquençage des instruments dans le cadre des
politiques publiques tendent à identifier une stratégie d’intervention allant dans le sens d’une
augmentation graduelle et téléologique de la nature contraignante des instruments.

Résumée sous la forme du principe de la contrainte minimale, cette stratégie semble se


positionner de manière paradoxale avec la première tendance esquissée.

Il découle de ces deux types d’analyse – qui peuvent paraître à première vue contradictoire :
évolution vers moins de contrainte/coercition vs vers plus de contrainte/coercition – des
hypothèses prospectives concernant l’évolution future des modalités d’intervention. Parmi ces
hypothèses, nous noterons la possibilité que :

1. la tendance vers l’utilisation d’instruments non-contraignants se confirme dans le


futur159 ;

2. cette tendance s’inverse ; nous assistons alors à un retour des modalités plus
contraignantes160 via la mise en œuvre de la stratégie de séquençage de l’utilisation
des instruments (principe de la subsidiarité instrumentale).

Nous reviendrons sur ces hypothèses à la lumière de notre analyse de la politique climatique
suisse161.

158
Ce point est pour nous central car sans une telle possibilité de mesure, il ne sert à rien de développer plus en
avant l’étude de l’évolution des modalités d’intervention qui pose par ailleurs la question de l’unité d’analyse :
une taxe est-elle vue comme un instrument au même titre que l’ensemble d’un programme d’éducation et de
sensibilisation ? ou chaque mesure informationnelle, de même qu’éducationnelle, est-elle identifiable en tant que
telle comme instrument non-contraignant ?, etc.
159
Cela pourrait par exemple s’expliquer par a) l’efficacité des instruments non-contraignants, qui permettrait à
l’Etat de ne pas agir de manière plus contraignante et/ou b) une impossibilité de lever les réticences de certains
acteurs clés du processus décisionnel vis-à-vis de l’introduction des instruments contraignants prévus de manière
subsidiaire qui engendrerait l’introduction d’instruments supplémentaires mais de nature non-contraignante.
160
Cela pourrait par exemple s’expliquer par a) l’inefficacité des instruments non-contraignants qui permettrait à
l’Etat d’introduire les instruments contraignants prévus de manière subsidiaire et/ou b) la possibilité de lever les
résistances vis-à-vis de l’introduction d’instruments contraignants. Ensuite, compte tenu de la nature de la
stratégie de combinaison des instruments envisagée, l’introduction d’instruments contraignants viendrait soit
remplacer les instruments non-contraignants, soit de manière complémentaire.
161
Voir nos développements consacrés à l’évolution probable de la politique climatique suisse (et des autres
politiques publiques de protection de l’environnement) dans le cadre de la dernière partie de notre recherche
(voir 3e partie, chapitre 13, point 13.6.3).

128
IIE PARTIE

DES LACUNES MÉTHODOLOGIES DANS LA


CONCEPTION ET L’UTILISATION DES
TYPOLOGIES D’INSTRUMENTS POLITIQUES À
UNE PROPOSITION DE TYPOLOGIE
IDÉALTYPIQUE

ELÉMENTS MÉTHODOLOGIQUES

129
130
Dresser – mais surtout utiliser – une typologie d’instruments politiques peut se révéler être
d’une grande utilité pour comprendre et analyser les politiques publiques (de protection de
l’environnement), et notamment dans la perspective d’en expliquer leur choix.

Selon Kaufmann-Hayoz et al. (2001), leur utilisation s’avère importante pour trois raisons
principales. Premièrement, un grand nombre de typologies possèdent des capacités
intégratrice et généralisatrice non négligeables qui permettent d’élaborer un travail de
synthèse (d’études de cas hétérogènes ou de différentes perspectives analytiques par exemple)
et de formuler des conclusions générales. Deuxièmement, l’utilisation de typologies basées
sur des théories disciplinaires et spécifiques permet de générer puis de tester des hypothèses.
Enfin, une typologie permet également de développer un langage commun qui facilite la
communication entre chercheurs.

En ce sens, l’élaboration de typologies apporte à l’analyse instrumentale des politiques


publiques une valeur heuristique – « c’est-à-dire en quoi il nous aide à découvrir et à
comprendre » (Quivy et Campenhoudt, 2006, p. 126) – non négligeable comme le notent Van
Nispen et Ringling (1998) : « However, that is not to say that it is useless : it may have a
heuristic value in the analysis as the design of a policy » (p. 207).

Ainsi, Howlett (1991) fait remarquer que l’étape de l’élaboration d’une classification est
primordiale dans la perspective d’analyser, de comprendre et d’expliquer le choix des
instruments au sein du processus décisionnel. Ainsi, pour bon nombre d’auteurs (voir par
exemple Linder et Peters (1989, 1990a), Ingram et Schneider (1990b) et Elmore (1987), tous
cités par Varone (1998)) la conception d’une typologie d’instrument doit pouvoir fournir « le
point de départ pour l’élaboration d’une théorie du design des politiques » (Varone, 1998,
p.26). D’ailleurs, comme le soulignent également De Bruijm et Hufen (1998), c’est dans cette
perspective que l’établissement des typologies a souvent été vue comme une contribution
nécessaire, contribution qui a d’ailleurs suscité beaucoup d’intérêt comme en atteste les
nombreuses typologies existantes.

Par ailleurs, pour des auteurs tels que Lascoumes et Le Galès (2004), les typologies semblent
également nécessaires pour analyser, au-delà des raisons du choix des instruments, leurs
effets162 ainsi que la transformation de l’action étatique163.

Selon Salamon et Lund (Salamon, 1989, Salamon et Lund, 1989) l’analyse instrumentale des
politiques publiques (tools approach) ne peut donc se faire sans prendre comme point de
départ une classification des instruments qui puisse notamment mette en exergue certaines
dimensions des instruments (pivotal dimension) à même de servir à les comparer et les
contraster. Cette approche implique selon eux trois types de travaux :

162
Même si, pour nous le choix des instruments semble découler de leurs effets (attendus et/ou réalisés), et
inversement.
163
Dans la mesure où les instruments sont de très bon révélateurs et d’efficaces traceurs de changement et de
transformation de l’Etat.

131
1. des travaux descriptifs aidant à définir et ainsi à clarifier la notion même d’instrument
et à identifier les instruments utilisés en décrivant leur mode opératoire ;

2. des travaux de nature analytique pour identifier les dimensions majeures permettant de
classer et comparer les instruments, identifier la nature des impacts des instruments et
spécifier leurs caractéristiques ;

3. des travaux prescriptifs afin de proposer quels instruments sont (les plus) appropriés
pour résoudre des problèmes particuliers et les améliorations pour les rendre plus
efficaces.

Ainsi, la question des « types » d’instruments semble revêtir une importance certaine dans la
perspective d’établir une théorie de l’action publique (policy disign) et de définir les variables
explicatives de leur choix. Par ailleurs, elle est également importante dans l’optique d’établir
des études comparatives et intégratrices, permettant par exemple de souligner l’existence
« d’approches nationales »164 et/ou l’évolution instrumentale au sein d’une politique
publique165.

Toutefois, comme nous allons pouvoir le constater par la suite, il ne suffit pas pour nous de
construire une typologie d’instruments – et c’est déjà une difficulté en soi – pour pouvoir
analyser les politiques publiques, encore faut-il pouvoir l’appliquer à bon escient.

Or nous avons déjà entrevu toutes les difficultés que pouvait soulever la tentation de définir la
notion d’instruments politiques, notamment compte tenu de sa nature « multiple », ainsi que
la grande diversité des typologies proposées par la littérature spécialisée, chacune issue de
contextes théoriques plus ou moins proches… ou très différents. Cette complexité va donc
immanquablement rejaillir sur les questions d’ordre méthodologique – inhérentes à la
conception et à l’utilisation des typologies – qui ne sont somme toute que rarement abordées
en profondeur par les chercheurs (ou du moins de manière que très « parcellaire ») et sans une
réelle réflexion systématique et aboutie.

Ces questions d’ordre méthodologique sont ainsi le plus souvent reléguées en arrière plan, les
typologies d’instruments semblant, par exemple, ne représenter qu’une importance toute
relative par rapport à l’objet étudié (notamment les variables explicatives du choix des
instruments166) ou, à l’inverse, constituer une fin en soi.

Mais n’oublions jamais qu’une typologie se doit de rester un outil d’analyse (un moyen de
compréhension) et non un objectif ultime se suffisant à lui-même. Ainsi, en accord avec la
réflexion menée par Varone (1998), nous pensons également qu’une typologie est un élément
essentiel qui se doit nécessairement d’être valorisé dans le cadre théorique de l’analyse des
politiques publiques. Nous verrons ainsi par la suite ce que cela implique, tant sur le plan de
leur conception que de leur utilisation.

164
Par exemple étude comparative des (types d’) instruments utilisés dans différents Etats dans le cadre d’une
politique donnée.
165
Par exemple étude de l’évolution des (types d’) instruments utilisés au sein d’une politique publique donnée,
dans un Etat donné.
166
Sabatier (2000) note ainsi que lorsque les instruments sont pris en compte dans la réflexion sur les politiques
publiques, c’est souvent de manière marginale par rapport aux autres variables telles que les institutions.

132
Aussi, dans la perspective de mener une analyse instrumentale des politiques publiques via
l’élaboration d’une typologie d’instruments politiques, nous pensons que les deux dimensions
que sont ses modalités de conception et d’utilisation se doivent de reposer sur une base
méthodologique solide, cohérente et systématique. Or, il nous a semblé qu’une telle attente,
légitime de la part du scientifique, ne peut être remplie en l’état actuel de l’avancement de la
recherche dans le domaine, et cela même si certains auteurs ont (entra)perçu ce « déficit
méthodologique » et ont tenté d’identifier certaines questions et lacunes méthodologiques
auxquelles les typologies étaient confrontées. Nous en soulignerons d’ailleurs les plus
importantes après avoir identifié quelques méthodes « générales » de conception (et,
beaucoup moins, d’application) des typologies telles qu’elles ont été « regroupées » au sein de
la littérature spécialisée.

Dans cette partie consacrée à la méthodologie des typologies d’instruments politiques, il n’est
ainsi pas question d’établir une étude systématique des différents « problèmes [gaps] » (De
Bruijm et Hufen, 1998, p.27) auxquels sont confrontées chacune des typologies que nous
avons traitées dans la première partie de notre recherche. Nous avons en effet choisi de traiter
la question des lacunes de manière générale dans la mesure où c’est la manière qui nous est
apparue la plus efficace pour traiter de ces questions d’ordre méthodologique sans tomber
dans une analyse systématique qui n’aurait en aucune manière été productive, tant la
systématicité est difficile (voire impossible) à établir dans ce champ d’investigation, compte
tenu de sa grande complexité, et tant ces questions d’ordre méthodologique ne sont
qu’implicitement abordées.

Pour les mêmes raisons, il ne sera pas non plus ici question d’identifier de manière
systématique pour chacune des typologies que nous avons étudiées quelles méthodes de
conception (et d’utilisation lorsqu’elles sont appliquées) ont été pratiquées. Nous préférons
ainsi rester également à un niveau plus général qui s’avère plus pertinent dans la perspective
qui est la nôtre : proposer une autre voie méthodologique et non une correction des voies
tracées.

Ainsi, nous tâcherons dans cette partie d’éclairer les questions méthodologiques inhérentes
aux typologies des instruments politiques sous différentes thématiques « globales », tout en se
référant, par moment et quand nous l’avons jugé pertinent, à des exemples plus spécifiques.
Nous nous occuperons donc des aspects méthodologiques liés, d’une part, à la conception et,
d’autre part, à l’application des typologies d’instruments politiques à l’analyse instrumentale
des politiques publiques, non sans souligner les lacunes méthodologiques et conceptuelles de
ces champs d’investigation.

Nous poursuivons ainsi un double « objectif méthodologique » qui s’articule comme suit :

• identifier les bases méthodologiques actuelles de la conception et de l’utilisation des


typologies d’instruments politiques, ainsi que les lacunes auxquelles elles sont
confrontées et pointer des pistes de réflexion pouvant permettre de dépasser ces
lacunes (chapitres 5, 6 et 7) ;

• et, donnant suite à nos réflexions conceptuelles, théoriques et méthodologiques sur les
typologies d’instruments des politiques publiques, proposer une nouvelle approche
instrumentale des politiques publiques de l’environnement fondée sur l’adaptation de
la méthode compréhensive wébérienne des idéauxtypes à notre champs
d’investigation ; ce deuxième objectif revêt sous sa forme finale l’habit d’une

133
typologie idéaltypique des instruments politiques de protection de l’environnement et
du climat (chapitres 8 et 9) ;

C’est ainsi sur la base de notre cheminement dans les méandres conceptuels, théoriques et
méthodologiques des typologies d’instruments des politiques publiques que nous proposerons,
dans le cadre de cette deuxième partie de notre recherche, une solution (globale) permettant
de dépasser les difficultés relevées afin de développer une (nouvelle) perspective de recherche
(une « nouvelle voie méthodologique ») dans le domaine de l’analyse instrumentale des
politiques publiques (de protection de l’environnement), notamment dans une perspective
inter/transdisciplinaire, systémique et globale… de développement durable.

Comme nous le verrons par la suite, nous pensons que cela implique notamment, d’une part,
que concevoir une typologie d’instruments politiques, puis l’utiliser/l’appliquer, sont deux
modalités qui, si elles se doivent d’être dissociées l’une de l’autre, ne serait-ce que sur le plan
de la démarche scientifique – il est nécessaire de concevoir une typologie avant de l’utiliser –
ne peuvent être pensées l’une sans l’autre sur le plan de la réflexion méthodologique. D’autre
part cette approche implique également selon nous de permettre aux typologies d’instruments
de gérer la complexité instrumentale qu’elles se veulent pouvoir appréhender et mesurer.

Ainsi, de manière générale, les typologies reflètent des tentatives (ou une tentation) de faire
rentrer la réalité (les instruments) dans des catégories. Cela implique notamment des biais
théoriques et méthodologiques dûs à la complexité même de la réalité sociale167. Notons
également à ce stade que dans littérature qui traite des typologies d’instruments, soit comme
point central de l’analyse, soit de manière marginale, nous pouvons trouver « de tout » : les
typologies peuvent être cohérentes comme comporter des incohérences flagrantes (critère de
cohérence interne), elles peuvent être bien argumentées, comme sembler relever d’une
« génération spontanée », elles peuvent être bien structurées comme déstructurées, elles
peuvent être construites avec des références à la littérature sur le sujet ou sans la moindre
source.

Chapitre 5 Des « méthodes » de conception et d’utilisation des


typologies d’instruments politiques à quelques
lacunes

La composante méthodologique des typologies d’instruments politiques semblent –


comparativement au foisonnement de typologies – être le parent pauvre de notre domaine de
recherche, même si quelques tentatives de réflexion sur cette dernière aie été menée par
quelques chercheurs.

5.1 Des bases méthodologiques « éclatées »

Avant d’aborder les « méthodes » de conception et d’application des typologies telles qu’elles
ressortent de la littérature spécialisée et de souligner l’existence de certains lacunes
167
Comment peut-on par exemple établir que telle politique utilise tel type d’instrument, si l’instrument
réellement mis en œuvre peut être classé dans une catégorie ou une autre selon la perception subjective qu’en a
le chercheur ?

134
« générales » auxquelles elles sont confrontées, nous allons, en guise de préambule, souligner
une première insuffisance d’ordre méthodologique à laquelle nous avons été confrontée et qui
n’a pas facilité notre démarche : la présence d’un cadre méthodologiques « éclatés ».

En effet, dans nos recherches, nous avons pu nous rendre compte – d’ailleurs assez
rapidement – que la première lacune méthodologique était en réalité l’absence flagrante de
fondements ou corpus méthodologiques solides, unifiés, communs, rigoureux, systématiques
et éprouvés dans le domaine de la conception et de l’application des typologies d’instruments
à l’analyse des politiques publiques, notamment dans le domaine des politiques de protection
de l’environnement, mais pas seulement.

Pour commencer, nous noterons par exemple qu’il n’existe à notre connaissance aucun
ouvrage consacré entièrement à la question des typologies des instruments politiques de
protection de l’environnement qui proposerait une démarche globale et cohérente apte à
intégrer dans la réflexion tant les modalités de conception de la typologie que ses modalités
d’application et qui soit, dès lors, à même de pouvoir lever les lacunes méthodologiques
auxquelles sont confrontées les typologies actuelles.

En effet, comme nous l’avons déjà souligné, la littérature sur le sujet qui nous occupe se
trouve plutôt constituée d’une multitude d’essais, d’articles et de parties d’ouvrages ou
d’ouvrages constitués d’un recueil de contributions de plusieurs auteurs, qui traitent souvent
la question des typologies d’instruments de manière marginale.

Il ressort ainsi de ces différentes et multiples contributions que les questions d’ordre
méthodologique inhérentes à la conception et à l’application des typologies :

• sont traitées de manière très hétérogène à la fois sur le niveau de l’analyse théorique
que de l’application pratique ;

• sont le plus souvent traitées de manière implicite par les auteurs ;

• sont souvent issues d’une réflexion partielle, sans réflexion globale, et placées dans
des cadres référentiels très souvent différents, tant sur plan théorique, que conceptuel
ou pratique.

Par ailleurs, lorsque des lacunes sont identifiées, chaque auteur semble également développer
ses propres pistes et réflexions méthodologiques, de manière « intuitive », sans se référer aux
fondements méthodologiques pourtant connus et développés en sciences sociales (nous y
reviendrons). Ceci nous amène à souligner que, parfois, la rigueur (scientifique) et la
cohérence interne168 et externe des ces « passages » consacrés aux typologies nous ont parfois
laissé très songeurs.

En résumé, nous dirons que la nature « éclatée » de la littérature spécialisée portant sur les
typologies des instruments politiques (de protection de l’environnement), qui s’exprime en
tout premier lieu par l’absence de réflexion globale et systématique sur la question, ne
favorise pas l’émergence d’une méthodologie apte à appréhender une réalité instrumentale
pourtant très complexe. Ainsi, nous avons également constaté que les deux étapes

168
Certaines typologies font par exemple côtoyer divers types d’instruments issus de niveaux analytiques
différents.

135
(méthodologiques) que sont la conception et l’utilisation des typologies ne sont jamais traitées
de manière « interactive » mais, au contraire, sont le plus souvent dissociées. Or, à notre sens,
si ces deux étapes doivent être dissociées sur le plan pratique (il est nécessaire de concevoir
une typologie avant de l’utiliser), ces deux questions d’ordre méthodologique sont étroitement
liées et ne peuvent être pensées l’une sans l’autre sur le plan de la réflexion méthodologique
(on ne peut penser la conception d’une typologie sans savoir comment va-t-on l’utiliser et on
ne peut l’utiliser sans savoir dans quel but elle a été conçue). De même les lacunes que nous
allons identifier par la suite ne peuvent être selon nous résolues sans cette perspective
interactive ; il est ainsi difficile de parler de lacunes méthodologiques en dissociant la
conception de l’utilisation car les deux sont intimement liés.

Or ce constat de « déficit méthodologique » peut nous apparaître surprenant, et plus encore


dans le champ des instruments politiques, puisque la question des typologies est un objet traité
en sciences sociales, tout particulièrement dans les travaux de Max Weber sur le pouvoir de
l’Etat. Or ce n’est qu’à de rare exception que des références (d’ailleurs souvent erronées) sont
faites à la méthode compréhensive idéaltypique. Nous contribuerons à « lever » cette lacune
en fondant nos développements méthodologiques sur cette dernière.

Toutefois, et pour revenir sur le manque de référentiel théorique et méthodologique, nous


pouvons avancer quelques pistes d’explication.

Ainsi, souvent issues (en plus ou moins grande partie) d’une connaissance « pratique » du
chercheur dans un secteur particulier de l’intervention étatique, la justification théorique des
typologies n’est le plus souvent pas explicitées, voir brille par son absence (cf. la méthode la
« génération spontanée » évoquée plus loin). Et, s’il est vrai que certains auteurs font reposer
leur typologie sur une réflexion théorique préalable afin de pouvoir justifier le choix de leurs
catégories169, les réflexions méthodologiques ne reste que peut poussées au regard du niveau
de complexité de l’objet qu’elle se veule appréhender.

D’ailleurs pour anticiper quelques uns de nos propos, nous pouvons d’ores et déjà souligner le
fait que toutes les typologies (toujours confrontées aux mêmes lacunes) sont à notre avis
implicitement ou explicitement construites pour être destinées à classer les instruments au
sein des catégories qu’elles définissent. Et cette idée – qui semble partagée par les chercheurs
et qui ne semble jamais avoir été remise en question – pourrait ainsi expliquer le fait qu’aucun
d’entre eux se soient réellement intéressés aux modalités d’utilisation des typologies,
contribuant ainsi à ne pas mener de réflexion globale sur le sujet, notamment dans la
perspective de résoudre certaines lacunes dont les problèmes de l’exhaustivité et de
l’exclusivité170.

169
Citons ici notamment Hood (1983/1990), qui fonde sa typologie sur la théorie cybernétique, Klock (1995) qui
base la sienne sur une théorie de l’action humaine reposant elle-même sur une théorie des ressources étatiques
tirée de Knopfel, ainsi que Kaufmann-Hayoz et al. (2001) et Schneider et Ingram (1990a, 1997) qui font quant à
eux théoriquement (et à juste titre) reposer leur typologie sur une théorie de l’action humaine, même si dans les
faits leur typologie n’est pas issue de manière « systématique » de leur raisonnement théorique.
170
Prenons par exemple le fait d’amender une ancienne typologie en y ajoutant simplement une catégorie pour
palier au défaut d’exhaustivité qui ne règle en rien le problème mais ne fait que le repousser un peu plus loin.

136
5.2 Modalités de conception des typologies et leurs lacunes

A un niveau général, différents auteurs se sont penchés sur les « types » de modalités de
conception (et d’application) des typologies des instruments politiques et en ont relevé
certaines lacunes auxquelles étaient confrontées les typologies des instruments politiques (de
protection de l’environnement).

Des auteurs tels que Varone (1998, 2001) et Kaufmann-Hayoz et al. (2001) distinguent par
exemple deux démarches alternatives de « catégorisation » en opposant la démarche par
catégories nominales de celle par les attributs. Vedung (1998) identifie quant à lui également
de manière schématique deux approches fondamentales pour concevoir des taxonomies :
l’approche du choix vs par les ressources et l’approche maximaliste vs minimaliste. Enfin,
Kaufmann-Hayoz et al. (2001) distinguent également trois approches très semblables aux
distinctions faites par Varone (1998) et Vedung (1998).

5.2.1 L’approche par les catégories nominales vs par les attributs


Dans leurs ouvrages respectifs Varone (1998, 2001) et Kaufmann-Hayoz et al. (2001)
distinguent deux démarches alternatives de « catégorisation ». Une première façon consiste à
produire des catégories nominales d’instruments (les typologies) et une seconde porte son
centre d’intérêt sur les attributs fondamentaux de ces derniers.

Cependant, à bien lire Varone (1998), nous percevons que, selon l’auteur, seule la première
approche permet d’établir des typologies en tant que telles, au contraire de la seconde qui ne
semble pas être « perçue » comme une démarche « typologisante »171, alors même que nous
verrons par la suite que l’on peut tout à fait dresser une typologie sur la base de cette
démarche.

L’approche par les catégories nominales consiste selon Varone (1998, 2001) à distinguer, en
fonction d’un ou plusieurs critères analytiques, des classifications d’instruments de nature
exclusives. Or, selon l’auteur, « l’application par divers chercheurs de critères alternatifs
conduit inévitablement à la construction de typologies/catégorisations divergentes » (Varone,
1998, p. 33).

Ainsi, les différentes typologies établies par les chercheurs se différencient et/ou se
confondent inévitablement suivant les critères utilisés. Ces critères (Varone, 1998, Kaufmann-
Hayoz et al., 2001) peuvent par exemple faire référence aux ressources engagées lors de la
mise en œuvre des instruments (Hood, 1983), à leur degré de contrainte légitime (Doern et
Phidd, 1983), à leurs effets attendus (McDonnell et Elmore, 1987b) ou encore aux aptitudes
comportementales des groupes visés par les instruments (Schneider et Ingram, 1990a) (cf.
Tableau 23 ci-après).

171
Comme le laissent par contre entendre Kaufmann-Hayoz et al. (2001).

137
Tableau 23 : L’approche par les catégories nominales, quelques exemples

Critère(s) de
Exemples
classification des Typologie d’instruments
d’auteur(s)
instruments

Instruments de conseils, d’information et de persuasion (nodality) /


Ressources
Instruments financiers (treasure) / instruments
Hood (1983) engagées pour la
Autoritaires/contraignants (authority) / instruments organisationnels
mise en œuvre
(organization)

Autorégulation (Self-regulation) / Information et


Doern et Phidd Degré de contrainte Recommandation (Exhortation) / Dépenses (Expenditure) /
(1983) légitime Régulation (Regulation) / Entreprises publiques ou semi-publiques
(Public Ownership)

McDonnell et Mandats (mandates) / Incitations financières (inducement) / Capacité


Elmore Effets attendus de production d’infrastructure (capacity-building) / Capacité de
(1987b) modifier le système (system-changing)

Instruments prescriptifs ((reliance on) Authority Tools) / Instruments


Schneider et Aptitudes d’incitation (Incentive Tools) / Instruments de stimulation/fourniture
Ingram comportementales des capacités (Capacity Tools / Capacity-building) / Instruments de
(1990a) des groupes-cibles persuasion (Hortatory (and Symbolic) Tools) / Instruments
d’apprentissage institutionnel (Learning Tools)

Source : adapté de Varone, 1998, p. 34

A l’opposé, l’approche par les attributs fondamentaux (Varone, 1998, 2001, Kaufmann-Hayoz
et al., 2001), qui a notamment été suggérée par Salamon (1981), ne vise pas à établir des
typologies sous la forme de catégories exclusives mais plutôt à identifier les caractéristiques
fondamentales (ou attributs) des instruments afin de rendre compte des dimensions multiples
de ces derniers et de les comparer systématiquement en fonction de leurs attributs (efficience,
efficacité, etc.). Elle débouche donc sur une approche comparative ayant pour étalon de
mesure les attributs pris en considération (cf. Tableau 24 ci-dessous).
Tableau 24 : L’approche par les attributs – quelques exemples

Exemples d’auteur(s) Attributs des instruments

Intensité des ressources investies et coûts économiques (economic cost) /


Sabatier et Pelkey (1987) Risque et coûts politiques induits (political cost) / Efficacité, degré de
réalisation des objectifs de la coalition politique (efficacy)

Faisabilité et coûts administratifs (administrative feasability) / Efficacité des


acteurs administratifs vs vis-à-vis du groupe cible (supply vs targeting
Salamon (1989)
effectiveness) / Efficience des ressources investies (efficiency) / Effets
redistributifs entre les groupes (equity) / Coûts politiques (political support)

Intensité des ressources et des coûts administratifs (resource intensiveness) /


Qualité du ciblage selon sélectivité et flexibilité (targeting) / Risque politique
Linder et Peters (1989)
selon visibilité et échec potentiel (political risk) / Degré de contrainte,
connotation idéologique (constraint)

Efficience des ressources investies (technical or efficency considerations) /


Trebilcock (1994) Effets redistributifs entre les groupes (distributive consideration) / Implication
pour le soutien partisan (political constraints)

Source : adapté de Varone (1998)

138
L’opposition de ces deux approches permet selon nous de souligner l’importance que semble
revêtir la « dimension caractérisante » des (types) d’instruments dans la démarche
« typologisante » (identifications des caractéristiques fondamentales des (types)
d’instrument). De même, l’approche par les attributs a le mérite selon nous de souligner un
point important dans la perspective qui est la notre, à savoir la « dimension comparative »,
même si ce n’est pas dans le but de construire une typologie d’instrument. Elle est d’ailleurs
sans doute la réponse (implicite, puisque non dirigée à résoudre ce problème) à une des
lacunes qui n’a été que « partiellement » identifiée jusqu’à présent, à savoir l’impossibilité
d’utiliser une typologie à des fins de classement, lacune qui, jusqu’à présent, s’est exprimée
chez les auteurs par le constat de l’impossibilité apparente que les typologies ont à
« appréhender » des instruments complexes aux multiples facettes.

Ainsi, souligne Varone (1998), l’approche par les catégories nominales souffre d’un
inconvénient majeur face à l’approche par les attributs :

compte tenu des dimensions multiples de tout instrument et de l’importance relative


accordée à l’une ou l’autre de celles-ci selon des intérêts de recherche particuliers (Doern
et Phidd, 1992, p. 110), aucune classification n’apparaît aujourd’hui comme
unanimement acceptée, ni même comme dominante. Quelques recoupements entre ces
différentes classifications sont certes possibles. Pal (1992, pp. 142-144) propose ainsi une
taxinomie des instruments qui combine la typologie de Doern et al. avec celle de Hood.
Une véritable convergence entre les classifications ne peut cependant être envisagée. A
notre avis, les typologies proposées par la littérature ne répondent pas adéquatement à la
question de l’opérationnalisation du concept d’instrument. En effet, selon cette approche,
il faudrait expliquer pourquoi au moment Ti on a retenu dans la politique publique Pi
l’instrument Ii classé dans la catégorie Cx, plutôt que l’instrument Ij classé dans la
catégorie Cy. Comme il n’y a cependant d’accord ni sur les critères de classification, ni
sur la répartition des instruments dans les multiples catégories, la variance de la variable
dépendante serait différente selon chaque typologie, respectivement selon chaque auteur.
Les conclusions d’études empiriques se basant sur des typologies alternatives ne seraient
donc pas comparables et ne favoriseraient pas un développement cumulatif des
connaissances, développement indispensable à l’élaboration d’un modèle causal du choix
des instruments de l’action publique. (Varone, 1998, pp. 35-36)

En des termes plus synthétiques (Varone, 2001) :

aucune classification ne semble unanimement acceptée, ni même dominante. Les


différentes typologies proposées par la littérature s’avèrent donc insatisfaisantes pour
opérationnaliser le concept d’instrument. En effet, comme il n’y a d’accord ni sur les
critères de classification ni sur la répartition des instruments dans les multiples
catégories, la variance de notre variable dépendante est différente selon chaque typologie.
Par conséquent, les conclusions d’études empiriques se basant sur des classifications
alternatives demeurent peu comparables, ce qui ne favorise pas un développement
cumulatif des connaissances. (p. 5)

La question de l’opérationnalisation de la variable instrument est ainsi posée, mais non


résolue dans l’optique de dresser une typologie puisque l’auteur (Varone, 1998) tire de ce
constat sa préférence pour l’approche par les attributs (qui rappelons-le n’est pas perçue
comme une démarche typologisante) qui s’avère a priori plus fructueuse que l’élaboration de
typologies qui tendent à ne mettre en évidence que les similitudes ou les différences relatives

139
à une unique dimension des instruments172. L’approche par les attributs ne vise donc plus
l’élaboration de catégories exclusives mais se focalise sur les caractéristiques fondamentales
(les attributs) des instruments, permettant ainsi de prendre en compte les multiples dimensions
des instruments (efficience, efficacité, etc.) et de les comparer de manière systématique.

Ainsi, selon l’auteur (Varone, 1998), l’approche par les attributs offre une piste pour
opérationnaliser la variable instrument :

Cette démarche de définition permet ensuite de structurer la conduite de premières


études empiriques sur la nature des instruments retenus dans une politique particulière
et sur les raisons de ces choix. Il est ainsi suggéré de définir et de comparer les
instruments Ii et Ij d’une politique Pi en fonction de leurs attributs Ai-l et d’expliquer le
choix de l’instrument Ii plutôt que de l’instrument Ij en fonction de l’attention accordée
par les acteurs d’une politique à ces quatre attributs (Varone, 1998, p. 40).

Or selon nous, cette démarche, certes très intéressante (dans son optique comparative), ne fait
aucunement disparaître la nécessité d’élaborer au préalable une typologie d’instrument
pouvant seule constituer selon nous une rationalisation de la variable dépendante permettant
une généralisation des résultats. Par ailleurs, l’approche par les attributs n’enlève en rien la
nécessité d’identifier au préalable les instruments et donc de débuter par une démarche
conceptuelle (définir des types).

Ainsi, les défauts attribués à la démarche typologisante par Varone (1998, 2001) ne sont selon
nous pas levés par la démarche par les attributs qui est également soumise à une définition et à
un choix – par essence non unanimes – des critères à prendre en considération, plaçant par
conséquent le véritable enjeux du point de vue de l’opérationnalisation de la variable
instrument sur le plan de la méthode (d’analyse), à savoir, par conséquent, sur l’impossibilité
pour la démarche typologisante d’aboutir à répartition unanime des instruments dans les
catégories.

Or, nous remarquerons que l’auteur ne remet pas en question la pratique « classificatrice » de
l’approche par les catégories nominales qui est pourtant la raison principale pour laquelle il
rejette d’emblée cette approche. D’ailleurs, typologies et classifications semblent être des
synonymes pour ce dernier (et d’ailleurs pour la très grande majorité des auteurs). Or c’est
bien sur ce point qu’il nous semble possible de « réconcilier » approche typologisante et par
les attributs afin de dépasser les défauts (méthodologiques) inhérents à une approche
typologisante (de nature classificatrice). Mais nous reviendrons sur ces différents points
méthodologiques ultérieurement173 et préférons nous occuper pour l’instant à identifier
quelques autres démarches « typologisantes » et lacunes.

5.2.2 Choix vs ressources vs continuum vs max/minimalisme


A l’image de Varone, Vedung (1998) identifie également de manière très schématique deux
approches fondamentales pour concevoir des taxonomies (entendons typologies) :

1. « l’approche choix vs ressources [choice versus resource approach] » (p. 22) ;

172
Nous verrons par la suite que nous proposons une méthodologie qui associe la construction d’une typologie et
la possibilité de mettre en évidence les multiples dimensions des instruments.
173
Voir notamment un peu plus loin le chapitre 4.1.3.

140
2. et « l’approche maximaliste vs minimaliste [maximalist versus minimalist approach] »
(p. 22) que nous avons déjà entrevue dans la première partie de notre thèse.

A) Approche par le choix vs par les ressources


En opposant choix étatique et ressources à mettre en œuvre, la première approche pose la
question de savoir si la classification doit se faire en fonction du point de vue du choix de
l’Etat d’intervenir ou de ne pas intervenir ou si elle doit se restreindre à ne considérer que les
outils (les ressources) dont l’Etat dispose lorsqu’il a choisi d’intervenir.

Vous en conviendrez, répondre à cette question revêt une certaine importance


méthodologique dans la perspective de dresser puis d’appliquer une typologie d’instruments
politiques.

Or, pour Vedung (1998) – qui reprend ici la distinction faite par Howlett entre approche par le
continuum (continuum approach) et approche par les ressources (resource approach) et qui
substitue donc le terme de continuum par la notion de choix (cf. Encadré 12 ci-après) – si
l’approche par le choix mène à des classification très complètes174 qui mettent en exergue
l’opposition entre les deux pôles d’un continuum (fondé sur l’élément de contrainte exercée
par le gouvernement) que sont d’un côté l’interventionnisme étatique et de l’autre le laisser-
faire175, cette distinction entre « non-interventionniste » et « interventionnisme » souffre de
deux inconvénients majeurs.

Premièrement, pour l’auteur, ne pas intervenir n’est pas synonyme de laisser-faire et la société
civile ainsi que les ménages ne sont donc pas compris dans cette perspective analytique.

Deuxièmement, et c’est peut-être une remarque plus fondamentale, selon lui, la décision de ne
pas intervenir ne doit pas être considérée comme un instrument en soi mais plutôt comme une
stratégie politique dans la mesure où l’on définit les instruments politiques comme étant une
décision étatique d’agir (importance de l’action, de l’intervention). La décision d’intervenir de
la part de l’Etat constitue donc un « pré requis » au concept d’instrument qui est ainsi plus à
même d’être capté par les ressources que l’Etat devra dès lors mobiliser pour agir.

Encadré 12 : L’approche par les ressources et l’approche continuum chez Howlett


La distinction entre choix et ressources a été faite initialement par Howlett (1991) qui, en des termes très
semblables, oppose quant à lui l’approche par les continuums (continuum approach) de l’approche par les
ressources (resource approach).
Pour Howlett, il existe deux méthodes pour traiter des instruments : l’approche par les ressources à travers
laquelle les instruments sont classifiés en fonction de la nature des ressources employées par l’Etat (ressources
fiscales, ressources organisationnelles, etc.) et l’approche dite du continuum qui organise les instruments en
fonction du choix des modalités de leur mise en œuvre et notamment en fonction de l’opposition faite entre Etat
et Marché. La première approche met en évidence les différences existantes entre les instruments et suggère
implicitement que les instruments ne sont pas substituables et que pour un problème bien défini un instrument
particulier est à retenir (exemple typologie de Hood) alors que la seconde souligne les similitudes et la
substituabilité technique des instruments (exemple : le continuum de Doern et Phidd (1983)).
Source : adapté de Howlett, 1991, pp. 3-4, Varone, 1998, pp. 34-35

174
Par exemple les typologies de Doern et Phidd (1983) et la typologie d’Anderson (1977).
175
Soit le « le continuum contrôle – liberté [the continuum from freedom to control] » (Vedung, 1998, p. 22
citant Anderson, 1977) dans les termes d’Anderson.

141
Notons pour l’anecdote que suite à ces deux reproches, l’auteur propose donc d’amender une
typologie existante (celle d’Anderson, 1977), en y introduisant les « boîtes » société civile et
ménages. Il en profite d’ailleurs pour distinguer clairement l’approche par le choix de
l’approche par les ressources qui est conçue comme une stratégie d’intervention (cf. Figure 7
ci-dessous)

Figure 7 : Approche par le choix vs approche par les ressources chez Vedung
Public Policy Choices (Public Policy Strategies)

Non intervention (Market mechanisms vs Civil society vs Household)

Choice approach Resources approach

Intervention (Structured options vs Biased options vs Regulation)


Source : adapté de Vedung, 1998

B) Intermède : l’approche par les continuums (contrainte)


Selon Howlett et Ramesh (1995), les politologues canadiens Doern et Phidd (1983/1992) ont
« révolutionné » les classifications des instruments en les arrangeant le long d’une échelle
mesurant le degré de contrainte légitime (legitimate coercion) délimitée, d’une part, par le
pôle de l’autorégulation (self-regulation), l’instrument le moins contraignant (coercive), et,
d’autre part, par le pôle « propriété publique » (public ownership), l’instrument le plus
contraignant (coercive).

Bien que cette taxonomie soit confrontée à des difficultés telles que l’opérationnalisation du
concept de contrainte ou le placement des divers instruments le long du continuum, elle a
fourni, selon ces auteurs, les bases fondatrices pour les futures classifications en établissant la
nécessité d'analyser des instruments dans le contexte du rapport existant entre l'Etat et la
Société (effets de l’Etat sur la Société).

Cependant, c’est un peu vite oublier les pères fondateurs de l’analyse instrumentale des
politiques publiques, Dahl et Lindblom (1953/1992), qui, bien avant Doern et Phidd
(1983/1992), avaient déjà utilisé la méthode du continuum, et notamment celui de la
contrainte, comme élément fondateur de leur(s) typologie(s)176.

Or en procédant de la sorte, Dahl et Lindblom (1953/1992) dressent en réalité cinq typologies


différentes définissant elles-mêmes deux types d’instruments antinomiques, représentés par
les deux pôles de chaque continuum. Ces continuums, dont la méthode de construction n’est
pas explicitée par les auteurs et ne fait donc pas l’objet d’un développement théorique, servent
donc de cadre d’analyse appliqué aux instruments des politiques publiques.

Pour rappel, pour Dahl et Lindblom (1953/1992) :

• ces continuums ne sont que d’une nature illustrative et doivent être considérés comme
des « systèmes compréhensifs [comprehensive systems] » (p. 9) ;

176
Voir le chapitre 2, point 2.1.1, de la première partie de notre recherche dans lequel nous avons constaté que
Dahl et Lindblom (1953/1992) ont classé différents instruments le long de cinq continuums, dont celui de la
contrainte.

142
• par ailleurs, les différentes techniques que les auteurs positionnent sur les différents
continuums doivent être considérées comme des « types » à l’intérieur desquels des
gradations peuvent également exister (cf. Annexe 1) ;

• ce positionnement peut d’ailleurs être parfois arbitraire et donc remis en question


puisqu’il découle d’un jugement subjectif plus que d’une démonstration factuelle.

Nous noterons ainsi que la méthode des continuums revêt une importance dans la mesure où
elle permet de comparer les instruments à des pôles qui sont censés caractériser les
instruments et que la notion de contrainte semble prendre une certaine importance –
récurrente pourrions-nous dire – qu’elle soit d’ailleurs (plus ou moins explicitement) définie
en termes de coercition, d’autorité, de niveau d’engagement de l’Etat, de niveau
d’interventionnisme ou de niveau de propriété publique (voir plus loin nos développement sur
la notion de contrainte).

Par ailleurs et pour revenir sur les propos de Howlett (voir Encadré 12 ci-avant), nous
noterons également que la distinction entre approche par les ressources et approches par les
continuums semble perdre sons sens si l’on considère que les deux pôles d’un continuum
peuvent être définis par la différentiation de deux ressources.

Notons enfin qu’en ce qui nous concerne, nous avons pu remarquer que la méthode du
continuum est souvent utilisée par les auteurs soit comme élément fondateur de la typologie –
les deux pôles définissant en soi deux types d’instrument (cf. par exemple Dahl et Lindblom,
1953/1992 ou Bressers et O’Toole, 1998 – ou une gradation sur ce pôle définissant plusieurs
types d’instruments (cf. par exemple Howlett et Ramesh, 1995), soit comme simple élément
analytique supplémentaire/additionnel utilisé pour placer des types d’instruments déjà
prédéfinis. C’est le cas de la typologie dressée par Hood (1983/1990).

Aussi, un auteur comme Hood (1983/1990) ne prend pas directement un continuum comme
point de départ pour établir sa typologie mais va l’introduire par la suite (de manière ex-post)
pour ne pas trop déroger avec « l’air du temps ». Ce continuum contrainte est connu sous
l’acronyme N-T-A-O. En effet, selon Hood, les quatre ressources qu’il a défini, si elles sont
différentes dans leur modalité d’exécution (certaines sont par exemple auto-renouvelantes
alors que d’autres non), introduisent surtout un niveau de contrainte différent. Très
schématiquement, Hood souligne ainsi que le niveau de contrainte des ressources utilisées
augmente dans le sens Nodalité – Trésor – Autorité/Organisation. Notons également qu’il
introduit également une distinction du degré de contrainte interne à sa catégorie autorité
(Hood, 1983/1990, p. 55).

C) Approche maximaliste vs minimaliste


La seconde approche soulignée par Vedung (1998) met quant à elle en opposition les
classifications de type maximaliste aux classifications de type minimaliste (maximalist vs
minimalist approach)177, approches qui, au demeurant, peuvent également être « croisées »
avec l’approche opposant choix et ressources.

177
Exemples donnés par l’auteur de typologies de type maximaliste : U.S. Office Management and Budget,
(1981), Chelf, C. P. (1981), Kirschen et al. (1964) ; exemples données par l’auteur de typologies de type
minimaliste : Bernard (1939), Brigham et Brown (1980) et Etzioni (1975)

143
Pour rappel, l’approche minimaliste consiste à créer un petit nombre de catégories génériques
de base dans le but de classer les instruments (deux voire trois catégories) et l’approche
maximaliste consiste à dresser de longues listes d’instruments (qui se rapprochent plus d’un
inventaire « exhaustif » que de catégories générales).

Nous soulignerons ici que, selon l’auteur, les désavantages des approches maximaliste et
minimaliste sont, pour la première, le manque de structure et d’organisation, et pour la
seconde, à l’instar de la typologie dichotomique de Brigham et Brown (1980) qui
différencient pénalités et incitations, les quelques points suivants :

1) l’impossibilité de classer explicitement certains instruments qui semblent toutefois


importants de ne pas oublier dans le contexte de notre société postindustrielle
(notamment en rapport avec la dimension informative/persuasive de l’action étatique :
transfert de connaissance, éducation, conseils, persuasion (y compris émotionnelle),
propagande, argumentation, etc.) ;

2) l’impossibilité d’appréhender les coûts économiques qui sont par nature souvent
rattachés à la catégorie des sanctions et punitions, alors qu’ils ne sont pas de même
nature ;

3) le fait que les coûts et les subventions sont ici opposés, alors qu’ils sont très
apparentés et semblent relevés d’une même logique.

Vedung conclut ainsi qu’une classification devrait contenir trois catégories pour être
fructueuse. Il proposera dès lors d’amender une typologie existante, celle d’Etzioni
(1961/1971), pour remédier à ce problème (voir nos développements ci-après).

Notons d’ores et déjà que par rapport aux typologies bicéphales, Etzioni introduit, en plus de
ces deux catégories que sont le pouvoir de contrainte (coercive power) et le pouvoir
rémunérateur (remunerative power), une troisième dimension : la dimension normative
(pouvoir normatif (normative power)). Or, selon Vedung, cette troisième catégorie revêt une
grande importance dans les débats sur les instruments étatiques, car si la dimension coercitive
est l’aspect central du pouvoir de l’Etat, la persuasion et les moyens de communication sont
de plus en plus utilisés par les gouvernements.

Notons pour conclure que les deux approches distinguées par Vedung (1998), de même que
celles identifiées par Varone (1998), posent toutes deux, mais dans des termes différents, la
question de l’identification des caractéristiques fondamentales des (types d’)instruments ainsi
que la question de l’opérationnalisation de la variable type d’instrument… mais dans une
perspective résolument classificatrice.

5.2.3 Approches théorique vs par critères concrets vs botom up


Enfin, et presque à titre anecdotique, notons que Kaufmann-Hayoz et al. (2001) distinguent
quant à eux trois approches très semblables aux distinctions faites par Varone (1998) et
Vedung (1998).

Prenant l’exemple des typologies issues de l’économie du bien-être et des externalités


(notamment Tietenberg, 1990, Baumol et Oates, 1993), la première approche semble
concevoir les typologies sur des bases de nature plutôt théorique (theory based approaches).

144
Plus ou moins semblable à la première approche, la seconde semble fonder ses typologies sur
des critères qui relèvent cependant, par opposition à la première approche, de l’ordre du
concret (approaches based upon concrete criteria).

Enfin, une troisième approche de type « botom up » semble basée sur l’expérience du terrain
(experience based approaches). Celle-ci débouche plutôt sur des inventaires d’instruments
concrets classifiés en rubriques souvent revues et corrigées. C’est le cas typique des
classifications issues des institutions étatiques ou internationales telle que l’OCDE (cf. par
exemple OCDE, 1997, Stavins, 2000).

La dernière approche est sans doute à mettre en relation avec la méthode dite « maximaliste »,
alors que les deux premières semblent recouper la distinction introduite par Varone (1998)
entre approches nominale vs par critères concrets.

5.2.4 D’autres « méthodes » : de la synthèse par décantation à la génération spontanée en


passant par la « méthode » par amendements
D’autres façons de concevoir des typologies peuvent néanmoins encore être « identifiées ».
L’une d’entre elles consiste à tenter d’établir une synthèse (la plus exhaustive possible) des
typologies existantes et d’obtenir par une sorte de processus de « décantation » un produit fini
qui aboutit à l’identification d’un nombre défini de types sensés être « représentatifs » de
l’état de la littérature (cf. par exemple Linder et Peters, 1989). En quelque sorte, ce procédé
fait émerger une sorte de typologie « moyenne » issue du processus de décantation engagé.
Nous l’avons nommée la « méthode par décantation ».

Une autre façon consiste également, et tout simplement, à reprendre une typologie antérieure
et de l’amender (pour différentes raisons plus ou moins pertinentes) en y ajoutant le plus
souvent un nouveau type d’instrument ou en modifiant l’une ou l’autre de ces catégories. Ce
processus est souvent fondé sur un raisonnement analytique qui consiste à relever que telle ou
telle typologie n’arrive pas à cerner (classer) de manière cohérente certains instruments. La
tentative d’y remédier prend ainsi la forme d’un amendement ou d’un ajustement à la marge
qui exprime selon nous plus un constat d’échec à la résolution de problèmes méthodologiques
plus profonds (voir nos développements futurs sur la « tentation classificatrice ») qu’un
simple ajustement à la marge ne le laisse entendre. Nous l’avons appelé la « méthode par
amendement » ou « par adaptation à la marge ». L’illustration est ici faite avec l’exemple de
la typologie tripartite de Vedung (1998) qui va également nous permettre d’aborder la
question méthodologique de l’exhaustivité des typologies.

En effet, Vedung (1998), qui a bien perçu certaines des lacunes auxquelles étaient confrontées
les typologies, dont celle de l’exhaustivité, propose d’amender une typologie existante qui lui
paraît insuffisante. L’auteur propose ainsi d’amender la typologie d’Etzioni (1975) qui, selon
lui, soulève certains problèmes avec le classement de certains instruments, n’étant pas à même
de rendre compte de la nature des instruments à incitations négatives tels que les impôts et
autres taxes qui ne semblent pas être inclus dans la catégorie rémunérative (qui ne comprend
que les récompenses matérielles) élaborée par son prédécesseur.

Cet amendement, qui se veut également être conçu sur la base d’une approche par les
ressources, débouche sur une typologie tripartite qui distingue les instruments de régulation
(sticks), économiques (carrots) et d’information (sermons) (cf. Tableau 25 ci-après).

145
Tableau 25 : Méthode par amendements : de la typologie d’Etzioni à celle de Vedung

Instrument coercitif Instrument rémunérateur Instrument normatif

devient … devient … devient …

Instrument de régulation Instrument économique Instrument d’information

Source : adapté de Vedung, 1998

Selon Vedung (1998), une typologie devraient par conséquent distinguer trois types
d’instruments : ceux impliquant (1) la coercition, (2) l’usage de la rémunération/privation de
ressources matérielles et (3) les incitations intellectuelles et morales. Selon l’auteur les autres
« types » d’instruments peuvent être réduits à ces trois catégories fondamentales et la
typologie ainsi élaborée constitue selon lui une typologie « optimale » (p.30) qui ne peut
d’ailleurs être réduite.

Kaufmann-Hayoz et al. (2001) notent ainsi que lorsque des chercheurs proposent une nouvelle
typologie, cela ne veut pas dire qu’ils considèrent les autres comme étant fausses, mais plutôt
qu’elles ne sont pas « praticables » pour leurs propos. Les nouvelles typologies possèdent
donc souvent des similarités avec les « anciennes », mais en sont toujours distinctes sous
différentes dimensions, en fonction du background scientifique, des buts et des questions de
recherche, et/ou précisent des propriétés spécifiques importantes pour un objet d’étude (qui
étaient sans ou de moindre importance jusqu’alors). Ainsi, pour ces auteurs, aucune typologie
n’est plus « vraie » qu’une autre, mais l’une ou l’autre est plus utile pour des propos
particuliers.

Toutefois la solution envisagée, soit l’amendement d’une typologie existante, si elle peut
permettre de mieux appréhender certains instruments, ne résout en rien le fond du problème
puisque de fait, par « effet pervers », elle va immanquablement impliquer une perte de
pouvoir compréhensif pour d’autres instruments178, alors même qu’elle est élaborée pour
dépasser un déficit de pouvoir compréhensif.

Cette méthode de travail ne résout donc en rien le problème d’exhaustivité de la typologie, la


solution proposée n’étant sans doute pas posée à un niveau théorique pertinent. Nous
percevons par exemple au travers de cet exemple la confusion entre types d’instruments et
instruments réels et la tentation de toujours vouloir classifier la réalité complexe au sein de
catégories par nature réductrice (nous y reviendrons plus tard).

Enfin, et pour clore momentanément, nos réflexions générales sur les différentes « méthodes »
pour élaborer des typologies et leurs lacunes, nous relèverons que si pour beaucoup d’auteurs
la méthodologie employée pour dresser des typologies n’est souvent pas explicitée, chez
d’autres auteurs elle n’est même pas implicite et leur typologie semble relever d’une
« génération spontanée » (méthode de la génération spontanée).

178
Et même Vedung (1998) s’en rend compte puisqu’il souligne lui-même que les taxes ont par exemple des
caractéristiques coercitives ! Prenant l’exemple entre interdiction d’achat du tabac et taxe sur le tabac, celui-ci
argumente ainsi qu’il existe cependant une différence fondamentale entre les deux instruments qui pour l’un
proscrit un comportement et pour l’autre ne fait qu’inciter une modification de comportement. Nous pouvons lui
rétorquer que son argumentation ne tient plus lorsque l’on intègre au raisonnement le destinataire de l’instrument
puisque une taxe est aussi coercitive pour le producteur de tabac qu’une interdiction à l’acheteur : le producteur
est obligé de payer la taxe comme le consommateur est obligé de ne pas consommer du tabac !

146
5.3 Première synthèse

Nous venons d’identifier un certain nombre de « méthodes » pour construire (et utiliser) des
typologies. Cependant, celles-ci doivent être considérées comme des types « purs » qui ne se
retrouvent jamais de manière aussi immaculée dans la pratique. Le plus souvent d’ailleurs, les
méthodologies employées par les chercheurs, plus ou moins implicitement, combinent
plusieurs de ces modes opératoires.

Ces méthodes semblent également être confrontées à certaines lacunes. Nous avons par
exemple déjà abordé les questions de l’opérationnalisation de la variable instrument et du
choix des caractéristiques fondamentales des (types d’)instruments ou de l’exhaustivité.

De manière générale, les chercheurs sont ainsi sensiblement d’accord pour affirmer que si
l’approche instrumentale via la conception de typologies possède des avantages certains, il
existe cependant un certain nombre de lacunes (méthodologiques) dans ce domaine de
recherche, dont certaines sont importantes.

De Bruijn et Hufen (1998) notent ainsi que l’approche par les instruments est sans aucun
doute prolifique et variée mais a également ses limites. Dans la conception et l’application des
typologies, des questions sont ainsi mises en avant tout comme d’autres sont évitées
intentionnellement, les approches clarifient certains points mais en négligent d’autres.

De manière synthétique, la plupart des auteurs soulignent ainsi de manière récurrente que les
instruments (concrets) ne semblent pas facilement se laisser catégoriser et que certains
instruments se retrouvent par exemple à cheval entre deux classes, au sein d’une sorte de zone
grise que les typologies, dans leurs conceptions, n’arrivent pas à appréhender (voir par
exemple Kaufmann-Hayoz et al., 2001, Howlett et Ramesh, 1995, De Bruijn et Hufen, 1998,
Pal, 1992).

Les instruments semblent d’ailleurs posséder de multiples caractéristiques, parfois mouvantes


selon les cas particuliers, alors qu’ils sont souvent définis de manière statique, et il semble
ainsi difficile d’identifier les dimensions ou les caractéristiques principales des instruments et
donc un nombre limité de catégories (voir par exemple, Salamon, 1989, 2002, Salamon et
Lund, 1989, Bemelmans-Videc et Vedung, 1998, p. 249). Les catégories sont donc trop
abstraites, vagues et imprécises (voir par exemple, Howlett et Ramesh, 1995, p. 81, Salamon
et Lund, 1989, p.28, Varone, 1998).

D’une autre côté, aucun consensus sur une typologie universelle faisant autorité semble
émerger (voir par exemple Kaufmann-Hayoz et al., 2001, Varone, 2001, Salamon et Lund,
1989), les multiples typologies différant l’une de l’autre selon les perspectives de recherche et
possédant des points communs comme des divergences significatives (voir par exemple
Kaufmann-Hayoz et al., 2001, De Bruijn et Hufen, 1998, Salamon et Lund, 1989, Howlett et
Ramesh, 1995, Linder et Peters, 1998, Bressers et O'Toole, 1998).

Les classes ainsi définies sont si « assimilantes » qu’elles ne sont pas de nature mutuellement
exclusive. Les auteurs remarquent ainsi l’existence d’une zone grise ou la difficulté
d’appréhender certains instruments par la catégorisation proposée, ou d’en d’autres termes,
l’existence d’une variance entre les différentes catégories d’une typologie plus faible qu’au
sein d’une seule et même catégorie (de Varone (1998, voir également Pal, 1992). Ils
remarquent d’ailleurs également qu’elles ne sont d’ailleurs pas plus exclusives qu’exhaustives

147
(omissions d’une catégorie d’instrument) (voir par exemple Kaufmann-Hayoz et al., 2001,
Bemelmans-Videc, 1998, p.9, Van Nispen et Ringling, 1998, De Bruijm et Hufen, 1998, Pal,
1992, Varone, 1998).

Un auteur comme Klock (1995) par exemple, qui relève entre autre la rigidité des systèmes de
classifications179 et dont l’objectif est de développer une classification des instruments de
politique environnementale, signale que les tentatives antérieures de classifications souffrent
principalement de trois lacunes : a) les instruments sont souvent classifiés en fonction de leur
différence, négligeant en cela leurs caractéristiques communes (par exemple, la distinction
omniprésente entre les instruments régulatifs et les instruments économiques/financiers
néglige le fait que les premiers ont des éléments financiers ou comparables (sanctions) et que
les seconds sont formulés en termes de règles légales), b) les classifications se focalisent sur
les instruments traditionnels sans développer d'éléments d'analyse systématique des
instruments plus récents comme les différentes formes de communication, la mise en place de
consensus et arrangements institutionnels (nature conservatrice) et c) les classifications sont
des systèmes plus ou moins clos, qui ont une peine considérable à incorporer de nouveaux
instruments.

L’ensemble de ces lacunes a mené (plus ou moins directement), certains auteurs à s’interroger
plus en avant sur les modalités de conception (et d’application) des typologies d’instruments
politiques. Nous allons y consacrer quelques développements dans la mesure où nous
trouvons que ces réflexions semblent mener vers des points de convergences méthodologiques
et qu’elles traitent toutes (avec plus ou moins de succès) de thématiques qui sont pour nous
d’une importance majeure dans la perspective de proposer une méthodologie « globale » apte
à lever les lacunes que nous avons identifiées.

Aussi avons-nous identifié l’une des lacunes majeures des typologies d’instruments
politiques180, à savoir leur incapacité, tant sur le plan de leur conception que de leur
application d’appréhender la complexité instrumentale (et la complexité sociale de manière
plus générale). Ce problème se traduit d’ailleurs de manière plus pratique dans la grande
difficulté qui en découle et qui consiste à trouver le bon policy mix.

Nous pouvons d’ailleurs noter que les lacunes identifiées jusqu’à présent (non exhaustivité,
non exclusivité, rigidité, difficulté de cerner les caractéristiques fondamentales des
instruments et d’opérationnalisation, etc.) sont en réalité des « symptômes » de cette « lacune
fondamentale » qui s’exprime d’ailleurs sous plusieurs autres aspects, parmi lesquels l’idée
partagée (et jamais remise en question) qu’une typologie d’instrument sert à classer tient une
place prépondérante.

Nous allons donc aborder ces différentes « thématiques » en tentant notamment de souligner
les lacunes méthodologiques ou l’importance de préciser ou de redéfinir (l’utilité de) tel ou tel
concept dans la perspective qui est désormais la nôtre : permettre aux typologies
d’instruments d’appréhender la complexité instrumentale.

Les développements qui suivent nous permettrons ainsi tantôt de soulever des problèmes
d’ordre conceptuel, tantôt de revenir sur des lacunes déjà identifiées – mais cette fois dans un
autre « état d’esprit » – ou qui n’ont pas été prises en compte jusqu’à présent (notamment la

179
Qui court ainsi le risque d’être vite dépassés par l’émergence rapide de nouveaux instruments.
180
Qui trouve son origine tant dans les modalités de conception que d’application (qui selon nous ne peuvent être
pensées l’une sans l’autre) et qui s’exprime sous différentes formes.

148
question de la classification), tantôt de partir d’exemples concrets qui nous ont semblé
prometteurs et de revenir ainsi sur des modalités de conception tout aussi attrayantes.

Chapitre 6 De la nécessité d’un cadre théorique relatif à


l’action ?

Certains auteurs ont mené une réflexion relativement approfondie à l’occasion de


l’élaboration de leur typologie. Ces réflexions qui selon nous sont les prémices de bases
méthodologiques solides, cohérente et systématique, semblent converger vers une thématique
récurrente qui va revêtir une grande importance méthodologique dans la perspective qui est
désormais la notre dans la mesure où elle jette un lien explicite entre le mode opératoire de
conception de la typologie181 d’une part, et la nature des instruments d’autre part.

En sus, ce lien souligne également tout l’importance que semble prendre le concept clé
d’acteur-cible.

6.1 Hood : des prémices théoriques à l’action étatique

La typologie de Hood (1983/1990) semble revêtir une certaine pertinence sur le plan
méthodologique car il est sans doute le premier auteur à développer une typologie sur la base
d’une approche « théorique » qui découle de la conception qu’il se fait de l’intervention de
l’Etat.

Selon Lascoumes et Le Galès (2004b), Hood est d’ailleurs le premier auteur qui :

a développé une perspective analytique rigoureuse et systématique qui s’inscrit, à


l’époque, dans le débat sur la mise en œuvre des politiques publiques. L’auteur s’était
donné un but à la fois ambitieux et limité : proposer une analyse systématique des
instruments à l’interface entre le gouvernement et les citoyens à partir de deux activités
essentielles des gouvernements, la collecte et l’analyse d’information, la modification des
comportements. De manière originale, il s’était appuyé sur l’étude des systèmes de
contrôle développé par l’analyse cybernétique transférée dans le champ de l’action
publique. Dans cette perspective, trois ensembles d’institutions de mécanismes sont
présents dans tout système de contrôle : des moyens d’établir des normes et des objectifs,
des moyens d’observation de l’état d’un système par rapport aux objectifs et, enfin, des
moyens de correction pour faire évoluer le système par rapport aux objectifs définis. (pp.
359-360)

Dans la perspective de concevoir sa typologie d’instrument, Hood (1983/1990) va ainsi


développer une approche en trois étapes.

Premièrement, en réponse à sa question de départ qui consiste à savoir ce que le


gouvernement fait, Hood adopte le point du vue suivant : l’Etat est un set d’instruments dédié
au contrôle social adoptant ainsi la « perspective du kit instrumental [tool-kit perspective]
(p.2) ».
181
Par contre, notons que les modalités d’application ne sont jamais abordées, du moins à la hauteur de ce
qu’elles mériteraient.

149
Le cadre de référence est ainsi posé : ce sont les instruments étatiques. Or comme ces
instruments ne s’avèrent pas directement observables selon l’auteur leur analyse nécessite
donc une méthode compréhensive et interprétative qui puisse permettre leur classification.

Il est en effet important pour Hood (1983/1990) de pouvoir identifier des classes
d’instruments, et ce notamment afin de donner du sens à l’apparente complexité des
instruments (de rendre compte de la complexité et de l’interpréter) ce qui permet l’étude
comparative et temporelle des instruments (entre plusieurs gouvernements et au sein d’un
même gouvernement) et de permettre, au-delà de la compréhension, la sélection des
instruments (choix des instruments) et de dresser des diagnostics. Dans cette perspective, les
instruments constituent le lien entre les objectifs visés par l’Etat et leur réalisation, lien qui,
selon l’auteur, est fréquemment problématique et politisé (problématique du choix des
instruments).

Or, si l’auteur semble entrevoir le problème que nous avons soulevé de la gestion de la
complexité instrumentale, et de l’identification des types d’instruments, vous l’aurez sans
doute déjà compris, la démarche de la classification proposée est pour nous contre
productive. Mais nous y reviendrons plus tard et tâchons de prendre les points positifs
développés par l’auteur. Ainsi, l’analyse faite par Hood mène l’auteur à développer deux
étapes supplémentaires dans l’élaboration de sa typologie : l’une est empruntée à la théorie
des systèmes (cybernétiques) et l’autre est une distinction théorique des ressources
gouvernementales.

La typologie qu’il construit permet ainsi de faire ressortir les éléments de bases des
instruments au regard des fonctions et des ressources gouvernementales. Dans la perspective
qui est la nôtre, l’idée de fonder une typologie sur des bases théoriques liées à l’action
étatique (ici empruntée à la fois à la cybernétique et à la théorie des ressources étatiques) et le
fait de la concevoir en fonction d’un questionnement de départ (qu’est-ce que le
gouvernement fait ?), constitue une avancée majeure. De même, la notion de contrôle social
avancée par Hood ouvre également la voie vers une approche théorique des typologies qui
mettent en exergue l’importance de préciser ce contrôle en fonction de l’acteur sur lequel il
est dirigé, à savoir l’acteur-cible et plus spécialement son comportement.

A la suite de Hood et ayant sans aucun doute pressenti que les instruments politiques étaient
ainsi fondamentalement destinés à influencer les comportements humains, certains auteurs
(tels que Klock, Schneider et Ingram, et Kaufmann-Hayoz et al.) ont souligné l’importance
d’établir un lien entre typologies d’instruments et cadre théorique relatif à l’action de l’Etat
sur l’activité humaine. Et, comme nous allons pouvoir le constater, ces auteurs vont par
conséquent tout naturellement souligner la relation déterminante qu’il semble exister entre,
d’une part, la (méthode de) conception d’une typologie d’instruments et, d’autre part, (la
nécessité) d’élaborer des hypothèses comportementales (théorie de l’activité humaine). Cette
perspective de recherche nous semble être prometteuse et nous allons donc y consacrer une
certaine importance, même si, selon nous, les auteurs ne l’ont pas poussée jusqu’au bout dans
le dessein de disposer d’une typologie d’instruments « efficace ».

6.2 Schneider et Ingram : les hypothèses comportementales

Schneider et Ingram (1990a, 1997) furent peut-être les premières à insister sur l’importance
d’un cadre théorique relatif à l’activité humaine en élaborant « les hypothèses

150
comportementales sous-jacentes aux instruments [behavioral assumptions of policy tools] »
(1990a, p. 513) ou en d’autres termes une « perspective comportementale [behavioral
perspective] » (1997, p. 93).

En effet, voulant fournir un cadre d’analyse permettant de capturer les attributs


comportementaux ou caractéristiques comportementales des instruments mis en œuvre, les
auteurs centrent leur analyse instrumentale sur certaines hypothèses comportementales sous-
jacentes (explicites ou implicites) au choix des instruments. Il est ainsi primordial selon elles
d’étudier ces hypothèses pour pouvoir déterminer si les instruments vont pouvoir développer
des effets sur les publics qu’ils visent. Aussi, dans la perspective d’établir leur classification,
elles utilisent un système référentiel qui souligne les caractéristiques comportementales des
instruments :

The amazing proliferation of policy tools witnessed over the past half century has been
accompanied by an equally amazing explosion of ideas which explore the fundamental
ways through which policy influences behaviour. Most of those who are interested in
policy content, tools, and instruments recognize the importance of motivational devices,
but none has developed a classification system based upon the underlying behavioural
assumptions. (1990a, p. 513)

Ainsi, l’hypothèse principale qui sous-tend l’élaboration de leur typologie est que l’Etat
essaye dans la plupart des cas d’influencer les personnes à faire quelque chose qu’elles
n’auraient pas fait sans son intervention. Sur le plan théorique, ceci implique que le cadre
d’analyse qui doit permettre la description des instruments se doit de faire ressortir leurs
caractéristiques comportementales. Selon les auteurs, ce cadre se doit donc de procéder d’une
théorie de l’action/décision individuelle (et collective) qui soit pertinente au regard de l’action
étatique ou, en d’autres termes, se doit de découler d’une théorie de l’action/décision qui soit
« utilisable » par le politique. Aussi, pour les auteurs :

If people are not taking actions needed to ameliorate social, economic, or political
problems, there are five reasons that can be addressed by policy : they may believe the
law does not direct them or authorize them to take action; they may lack incentives or
capacity to take the actions needed; they may disagree with the values implicit in the
means or ends; or the situation may involve such high levels of uncertainty that the
nature of the problem is not know, and its unclear what people should do or how they
might be motivated. Policy tools address these problems by providing authority,
incentives, or capacity; by using symbolic and hortatory proclamations to influence
perceptions or values, or by promoting learning to reduce uncertainty. Laws, provisions
within laws, guidelines, programs, or even the practices and routines of case workers can
be describe and analyzed in terms of types of tools upon which they rely. (1990a, P. 513-
514)

From a behavioral perspective, the choice of tools reflects assumptions and biases about
how different people behave. Tools attempt to change behaviour through several distinct
mechanisms, each of which carries significant symbolic and instrumental connotations.
Tools can be classified as reliance (confiance) on authority, inducements or sanctions,
capacity-building, hortatory, or persuasive proclamations to influence values, or
learning that will enhance recognition of problems and reduce uncertainty. (1997, p. 93)

Tools also legitimate certain kinds of behavior and in many instances privilege particular
behavioral styles. Tools that offer incentives or sanctions legitimate self-interested
behaviour, whereas hortatory tools often legitimate altruistic behaviour as people are
urged to take certain actions for the common good rather than for themselves. In

151
situations in which self-interested behaviour is rewarded, it becomes difficult for persons
to behave altruistically, even when they wish to do so. Capacity-building and learning
tools imply that people are capable to rational thinking and will take action, if they know
what to do, without other incentives being necessary. (1997, p. 96)

Ainsi, le lien est fait entre hypothèses comportementales et typologie d’instruments (cf.
Tableau 26 ci-dessous) : « The framework we present clusters tools on the basis of their
underlying motivational strategies (1990a, p. 527) ».

Tableau 26 : Raisonnement théorique à la source de l’élaboration de la typologie de Schneider et


Ingram
Quelles sont les raisons qui poussent les acteurs à adopter un comportement qui peut ne pas être conforme à
l’objectif politique visé ?
 élaboration des hypothèses comportementales découlant de la rationalité des acteurs-cibles

1) Manque d’autorité (lois) ;


2) Absence d’incitation ;
3) Absence de capacité ;
Raisons invoquées (lacunes comportementales)
4) Valeurs non partagées sur les moyens envisagés
ou les objectifs visés ;
5) Incertitude

1) de l’autorité (confiance en l’autorité) ;


Conséquences théoriques tirées : les instruments 2) des incitations ;
doivent pouvoir permettre de combler ces lacunes en 3) des capacités ;
fournissant 4) des éléments de persuasion ;
5) des éléments d’apprentissage.

1) les instruments prescriptifs ;


2) les instruments d’incitation ;
Les instruments peuvent donc être classés selon la 3) les instruments de stimulation/fourniture des
typologie suivante capacités ;
4) les instruments de persuasion ;
5) les instruments d’apprentissage institutionnel.

Source : adapté de Schneider et Ingram, 1990a, 1997

Cependant, il nous semble que si les auteurs ont bien su relever, sur le plan théorique,
l’importance de l’élaboration d’une théorie de l’action humaine et l’établissement
d’hypothèses comportementales dans la perspective de construire une typologie des
instruments politiques, en pratique, le lien entre leur référentiel théorique et typologique est
maladroitement établi dans la mesure où la correspondance entre les types d’instruments que
les auteurs ont définis et les hypothèses comportementales qu’elles ont énumérées reste floue.

Ainsi, le « périmètre conceptuel » utilisé pour établir leurs hypothèses comportementales et


leurs types d’instruments semble « à géométrie variable » et d’une nature « non exclusive ».
Nous avons ainsi plus l’impression d’être confrontés à deux « systèmes référentiels », soit les
hypothèses comportementales d’une part et les types d’instruments d’autre part, qui
cohabitent sans vraiment être reliés de manière systématique et exclusive. Le niveau
conceptuel envisagé n’est pas le même et par conséquent ne permet pas de définir des
hypothèses comportementales en terme « d’exclusivité relative » (cf. Figure 8 ci-après).

152
Figure 8 : Représentation imagée du lien entre hypothèses comportementales et typologie
d’instruments tel qu’il ressort de Schneider et Ingram
« périmètres » des hypothèses comportementales (rationalité des acteurs-cibles)

Niveau conceptuel -
-
-

Types d’instruments
Source : l’auteur

En d’autres termes, les hypothèses comportementales ne sont que « sous-jacentes » aux types
d’instruments et non « constitutives » des types d’instruments.

Ainsi, les catégories définies par les auteurs possèdent une « rationalité comportementale »
parfois (très) semblable. Par exemple les hypothèses comportementales sous-jacentes aux
instruments prescriptifs/autoritaires et aux instruments de persuasion se chevauchent, toutes
deux faisant appel à la notion de valeur/vertu. Un autre exemple consiste dans l’élément
financier qui se retrouve aussi bien dans le « périmètre comportemental » des instruments
incitatifs (positifs) que dans celui des instruments de stimulation/fourniture de ressources, les
ressources pouvant être de nature financière. Or ce type de chevauchement reste un problème
majeur dans la perspective de dresser une typologie d’instruments qui soit de nature
exclusive.

Nous trouverons d’ailleurs, à peu de chose près, ce même problème chez des auteurs comme
Kaufmann-Hayoz et al. (2001), problème qui semble également trouver son origine dans une
certaine confusion entre types d’instruments et instruments concrets qui s’exprime souvent
par la tentative (dans une perspective classificatrice) de définir également les types
d’instruments en fonction d’instruments concrets.

Afin de dépasser ces lacunes, nous pensons qu’il est indispensable de définir de manière claire
et la plus simple possible le lien qui doit s’établir entre les types d’instrument et la théorie
comportementale ; lien qui se doit de relevé d’une relation de causalité et de réciprocité de
nature exclusive (cf. Figure 9 ci-dessous).

Figure 9 : Représentation imagée du lien entre hypothèses comportementales et typologie


d’instruments tel qu’il devrait être conçut
« périmètres » des hypothèses comportementales (rationalité des acteurs-cibles)
niveau conceptuel -
-
-

Types d’instruments

Source : l’auteur

153
Dans la perspective qui est la nôtre, il s’avère en effet primordial, comme nous le verrons plus
tard, d’établir ce lien direct et exclusif entre chaque hypothèse comportementale et chaque
type d’instrument (qui en réalité ne doivent former qu’un). Si tel n’est pas le cas, il nous
semble que deux systèmes référentiels cohabitent et qui rendent dès lors la compréhension des
types d’instruments problématique car non délimités de manière précises sur le plan théorique
et conceptuel.

6.3 Klock : du modèle de l’activité humaine

Dans une autre perspective théorique, un auteur comme Klock (Bressers et Klock, 1988,
Klock, 1995) établit également un lien entre prémisses théoriques liées à l’activité humaine et
élaboration de types d’instruments.

A la fin des années quatre vingt déjà, avec l’aide de Bressers (Bressers et Klock, 1988), Klock
soulignait déjà l’importance de la mise en perspective d’un « modèle subjectif de l’activité
humaine [subjective rational actor model] » (pp. 28 et 33) qui puisse être à même de mettre
en évidence les déterminants des comportements des acteurs-cibles et la nécessité de lier ce
modèle à la phase de conception des classifications d’instruments. Cette première tentative
déboucha sur cinq types de « manœuvre » instrumentale (cf. Figure 10 ci-dessous).

Figure 10 : Les cinq circonstances déterminantes pour l’activité des acteurs

Circonstances (déterminants des actions individuelles) Instruments politiques visant à …

1) Alternatives possibles réduire 1) ou augmenter 1)

2) Pour et contre des alternatives possibles modifier 2)

3) Information sur ces alternatives


fournir de nouvelle 3)/4)
4) Information sur les pour et contre des alternatives possibles

5) Importance accordée aux pour et contre (concept de rationalité


modifier 5)
limitée (empruntée à Simon) de type analyse coût-bénéfice)

Décision d’agir
Source : adapté de Klock, 1988

Dans la lignée de ses réflexions, Klock (1995) souligne à nouveau dans le milieu des années
nonante l’importance de concevoir un modèle de l’activité humaine dans la perspective de
dresser une typologie d’instruments de protection de l’environnement.

Cette seconde tentative nous semble intéressante principalement pour deux raisons. D’une
part, les réflexions menées par Klock permettent de se faire une idée assez précise de la façon
de concevoir une typologie d’instruments en se fondant sur l’élaboration de postulats de
départ aptes à fournir une théorie de l’activité humaine et, d’autre part, les développements de
l’auteur permettent également de mettre en évidence certaines lacunes relatives à la
conception des typologies.

154
6.3.1 De la conception du modèle de l’activité humaine à la typologie des instruments de
protection de l’environnement
Dans la perspective de Klock (1995), les problèmes environnementaux résultent de
l'interaction des activités humaines et des processus environnementaux. Par conséquent, selon
l’auteur, les instruments politiques de protection de l’environnement doivent pouvoir être
capables de modifier soit les activités humaines (les comportements), soit les processus
environnementaux. Cependant, dans le cas d’une intervention sur les processus
environnementaux (par exemple en nettoyant les sols contaminés ou en traitent l'eau polluée,
etc.), les instruments utilisés s’avèrent fondamentalement différents de ceux ayant pour but
d'influencer les activités humaines.

C’est ce deuxième type d’intervention qui fait l’objet de l’attention de Klock qui souligne dès
lors l’importance d’établir « un modèle simple de l’activité humaine [a simple model of
human activity] » (p. 22), notamment si l’on se donne pour objectif de classifier les différents
moyens dont dispose l’Etat pour l’influencer182.

Or, pour l’auteur, toutes les formes d'activités (ou de comportements) impliquent deux
dimensions : l’une relative aux ressources et l’autre relative aux motivations.

Klock (1995) définit ainsi sept types de ressources (R), qu’il emprunte et adapte de Knoepfel
et Imhof (1991)183 : les biens physiques tels que les infrastructures, les simples outils, la
nourriture, l’énergie, l’eau, l’air, etc. (R1), les compétences/capacités des personnes (skilled
people) (R2), l’information (R3), le temps (R4), l’argent (R5), les règles légales (lega rules),
notamment les droits (legal rights) (R6) et le consensus, l’autorité et la confiance (R7).

Pour notre part, nous constaterons que ces ressources ne sont pas « inscrites » sur un même
niveau conceptuel : la définition d’une ressource telle que le temps ou l’argent est très précise
comparativement à une ressource telle que les règles légales.

En ce qui concerne les motivations, Klock (1995) relève qu’une distinction générale peut être
établie entre motivation interne (internal goals) et motivation externe (external goals).
Cependant, le concept de motivation n’est pas un élément central de sa classification –
contrairement à la notion de ressources – et il ne développe donc pas plus en avant cette
dimension.

Soulignons qu’un auteur comme Kaufmann-Hayoz ne laissera pas tomber cette dimension,
qui selon nous, est d’ailleurs très importante dans la perspective de dresser une typologie des
instruments politiques dans la mesure où l’Etat, pour influencer les comportements, peut
mettre à profit cette dimension, notamment au travers des affects (émotions, sentiments, etc.)
et des valeurs morales et éthiques. Notons par ailleurs que l’intérêt économique (l’argent dans
les termes de Klock) est également une motivation importante des comportements humains.

Prenant ainsi le parti de ne s’intéresser – hélas – qu’aux ressources, Klock (1995) développe
alors les notions de stock et de flux, positifs et négatifs, en distinguant six flux fondamentaux
dans les relations entre acteurs : la « consommation » de ressources d’autres acteurs (the

182
Pour l’auteur, l’activité humaine comprend l’activité des individus autant que celles des organisations (acteurs
individuels et collectifs).
183
Knoepfel, M. et Imhof, R. (1991). Oekologische Vernetzung versus Rechtsstaatliche Handlungmaximen -
Möglichkeiten zur Überwindung eines gespannten Grundverhätnisses. Lausanne.

155
intake of resources from other actors) (F1), la « consommation » de ressources de
l’environnement (the intake of resources from the environment) (F2), la production de
ressources par les acteurs (the production of resources by the actor) (F3), l’utilisation de
ressources par les acteurs (the use of resources by the actor) (F4), la distribution de ressources
à d’autres acteurs (the giving out of resources to other actors) (F5) et la distribution de
ressources à l’environnement (the giving out of resources to the environment) (F6).

Les trois premières ressources sont des flux positifs qui font augmenter le stock des acteurs et
les trois derniers des flux négatifs qui font diminuer le stock des acteurs. Et puisque l’auteur a
pour objet premier les instruments dans le domaine de la politique environnementale, un
intérêt spécial est donc attribué à la relation entre les ressources des acteurs et leur
environnement.

Sur cette base, Klock (1995) propose donc un modèle simple d'activité humaine qui définit,
pour un acteur (motivé), sept ressources qui s’expriment sous la forme de stocks et six flux
entre ces ressources caractérisés par les six types d’activités (relations entre acteurs) (cf.
Figure 11 ci-dessous).

Figure 11 : Représentation imagée du modèle simple d’activité humaine chez Klock

R1 R7 R6
F5
F1 R2 Acteur Y F3
F4

R3 R4 R5
R1 R7 R6

F3
F4 Acteur X R5 F2

F6 Environnement
R2 R3 R4

Source : d’après Klock (1995).

Ainsi, selon Klock, si l’on considère l’activité humaine comme le résultat d’un mélange entre
ressources et motivations, répondre à la question de savoir comment modifier l’activité
humaine revient à modifier les ressources et/ou les motivations des acteurs.

C’est sur ce fondement théorique que l’auteur établit sa typologie d’instruments, ou dans ses
propres termes, ses différentes « tactiques instrumentales [instrumental tactics] » (p. 26). A
cette fin, il distingue notamment les situations dans lesquelles l’Etat veut induire une
« activité absente », des situations où l’Etat veut restreindre une « activité présente » ainsi que
les cas où les ressources et motivations pour l’activité sont présentes ou absentes (cf. Tableau
27 ci-après). Nous sommes dès lors confrontés selon l’auteur à quatre situations.

156
Tableau 27 : Les quatre situations des acteurs-cibles chez Klock

Motivation

Présente Absente

Présentes A B
Ressources
Absentes C D

Source : adapté de Klock (1995)

Ainsi, selon Klock (1995), si l’objectif de l’Etat est d’induire une activité, les situations B, C
et D posent problèmes, l’activité étant généralement naturellement exécutée par l’acteur dans
la situation A. L’objectif est donc de passer des situations B, C et D à la situation A, le plus
facile étant de passer de la situation C à A (motivation présente mais ressources absentes). Il
suffit en effet de fournir les ressources manquantes à l’acteur. La fourniture de ressources
(Provision of ressources) constitue donc une première tactique instrumentale.

De la même manière passer de la situation B à la situation A implique une modification de la


composante motivationnelle du comportement de l’acteur et la première manière d’influencer
la motivation selon Klock est de le convaincre qu’il doit en changer. C’est ici un cas spécial
de fourniture de ressources, à savoir informationnelles, qui joue ici le rôle de déclencheur
comportemental. Cette approche ne constitue donc pas une nouvelle forme de tactique
instrumentale.

Par ailleurs, Klock éclipse la question motivationnelle des comportements en soulignant le fait
que comme les ressources sont rares et nécessaires pour toutes activités, elles revêtent une
certaine valeur pour l'acteur et donc constituent en elles-mêmes une motivation importante.
Ainsi, la fourniture de ressources est souvent employée pour changer la motivation d’un
acteur. Or, la première tactique instrumentale qui emploie ce mécanisme est la fourniture
conditionnelle de ressources (conditional provision of resources). Dans ce cas, c’est donc la
perspective pour un acteur d’obtenir certaines ressources qui va motiver l’acteur à adopter le
comportement souhaité. Mais une façon de faire est également de menacer un acteur de lui
retirer des ressources et c’est donc la valeur donnée à la perte attendue dans son stock de
ressources qui va agir comme une motivation. Cette tactique est celle de la privation
conditionnelle des ressources (conditional deprivation of resources).

Enfin, aller de la situation D à la situation A nécessite un changement à la fois des ressources


et des motivations, ce qui ne mène pas à de nouvelles formes de tactique instrumentale, les
trois première tactiques pouvant alors être utilisées.

De l’analyse de la façon d’induire une activité absente, l’auteur se tourne ensuite vers la
situation où l’Etat veut que l’acteur s’abstienne d’accomplir une certaine activité. La situation
A représente donc maintenant la situation dans laquelle on veut que l’individu ne soit plus. La
tactique a donc pour objectif de passer de la situation A aux autres situations B, C et D et la
première consiste à atteindre la situation C, situation dans laquelle l’acteur manque d’une
quantité suffisante de ressources pour exécuter son activité. Le but est donc de retirer les
ressources nécessaires à son activité. C’est la tactique de privation des ressources (deprivation
of ressources).

157
Enfin, atteindre les deux autres situations (B ou D) n’implique selon l’auteur aucune nouvelle
tactique instrumentale. La fourniture ou la privation conditionnelle de ressources (de type si tu
t’abstiens de faire cela, tu recevras telle ressource, ou si tu fais cela, je vais te retirer telle
ressource) vont ici jouer le rôle de déclencheur motivationnel de manière comparable au cas
où l’Etat veut induire une activité.

Ainsi, nous pouvons résumer dans le tableau suivant les passages de la situation B, C et D à la
situation A et de la situation A aux situations B, C et D qui permettent à Klock de définir
quatre tactiques instrumentales (cf. Tableau 28 ci-dessous)

Tableau 28 : Les quatre tactiques instrumentales de Klock

Pour induire une Pour restreindre une


Les quatre tactiques instrumentales
activité activité

CA:1 AC:4 (1) Fourniture de resources (Provision of resources)


B  A : 2 ou 3 A  B : 2 ou 3 (2) Fourniture conditionnelle de resources (Conditional
D  A : 1 avec 2 ou 3 A  D : 4 avec 2 ou 3 provision of resources)
(3) Privation conditionnelle de resources (Conditional
deprivation of resources)
(4) Privation de resources (Deprivation of resources)

Source : adapté de Klock, 1995

6.3.2 Une tentative intéressante mais maladroite


Au départ, Klock (1995) souligne l’importance d’élaborer une classification large et ouverte
des instruments et le résultat de son travail n’est donc pas une classification en forme de
matrice dans laquelle on trouverait des boîtes exclusives et où l’on ordonnerait les instruments
concrets. Ainsi, la typologie de l’auteur ressemble plus à une méthode pour caractériser les
instruments au regard des moyens d’influencer les activités humaines et c’est d’ailleurs pour
cette raison que Klock choisit de parler plus volontiers de tactiques instrumentales que
d’instruments en tant que tels. Il est d’ailleurs beaucoup plus fructueux selon lui d’analyser les
instruments concrets au regard de concepts généraux, ce qui permet notamment de constater
que les instruments possèdent souvent des caractéristiques communes, contribuant en cela à
l’étude et à la discussion des instruments d’une manière bien plus efficace que les différentes
tentatives désespérées pour adapter ou ordonner des phénomènes complexes tels que les
instruments dans des catégories exclusives.

Bien qu’en accord avec les conclusions de Klock, nous pensons cependant que l’auteur a
esquivé maladroitement la dimension motivationnelle des comportements, notamment en la
réduisant à sa composante ressource. Par ailleurs, nous trouvons que si son idée de départ de
baser sa typologie d’instruments sur un modèle de l’activité humaine est pertinente, le résultat
obtenu (sa typologie) reste loin des espérances fondées dans cette approche de la réalité
instrumentale, tant sa typologie s’éloigne des prémices théoriques amorcées. Enfin, pour
éviter une confusion entre les hypothèses comportementales et les principes d’action des types
d’instruments, nous prônons quant à nous une démarche qui soit un peu plus simple et qui
fasse correspondre de manière systématique et exclusive ces deux champs théoriques.

L’approche de Klock (1995) semble ainsi déjà trop compliquée sur le plan théorique, la
complexité devant selon nous être laissée là où elle se doit d’être, à savoir au niveau de la
réalité pratique, de la réalité instrumentale.

158
6.4 Kaufmann-Hayoz et al. : de la théorie de l’activité humaine

Constatant pour leur part que de nombreux pays mettent en œuvre différentes politiques
environnementales aux travers de différents instruments184 en se fondant sur leurs capacités
(leviers économiques et légaux notamment) à induire des comportements éco-responsables de
la part des acteurs sociaux et ayant également compris la pertinence de rationaliser la relation
instrument – acteurs-cibles – comportements au regard de l’analyse instrumentale des
politiques publiques, Kaufmann-Hayoz et Gutscher (2001) dressent également un « modèle de
l’action humaine [a model of human action] » (p. 22) (cf. Figure 12 ci-dessous).

Figure 12 : le modèle d’action humaine chez Kaufmann-Hayoz et Gutscher

Environnements
Structure externe (facteurs et processus culturels et naturels)

environnement environnement environnement socio- environnement légal,


physique socioculturel économique politique et
administratif
(environnement naturel, (représentation du (définissant le cadre des
objets artificiels et monde, systèmes de activités économiques ; (ensembles des normes
infrastructures) valeurs, relations de facteurs : bien-être, légales ; système et
pouvoirs, modes de croissance économique, institutions politico-
production et de compétitivité administratives)
reproduction de la internationale, emploi,
connaissance, relations etc.)
sociales entre acteurs)

Options et contraintes objectives

Action Perception

Objectifs et connaissance
Intentions Perception de la réalité
facteurs et processus psycho-physiologiques (acteur facteurs tels que structure organisationnel et buts,
individuel) processus de communication et culture d’entreprise
(acteur organisationnel)
Structure interne (facteurs et processus psycho-physiologiques ou organisationnels)
Acteurs

Source : adapté de Kaufmann-Hayoz et Gutscher (2001)

Aussi, pour les auteurs, l’action humaine (les comportements humains) résulte de l’interaction
constante entre structures internes (facteurs et processus naturels et culturels) et externes
(facteurs et processus psychophysiologiques ou organisationnels) de l’acteur individuel ou
organisationnel. Et comme les instruments sont par nature destinés à modifier les
comportements humains, ils vont ainsi définir leurs types d’instruments en fonction de leur
rationalité, soit en fonction du mécanisme par lequel le type d’instrument est supposé
modifier le comportement des acteurs cibles.

184
Instruments traditionnels de type « command and control » et, dans une moindre mesure instruments
économiques

159
Cependant, selon nous, les auteurs ne vont (hélas) pas profiter de leur modèle de l’action
humaine pour construire leur typologie, puisqu’ils vont plutôt l’utiliser en tant que cadre
analytique parallèle afin d’argumenter la rationalité de leurs types d’instruments.

En effet, si la typologie élaborée par Kaufmann-Hayoz et al. (2001) permet de considérer les
instruments « du point de vue des acteurs [from an actor-oriented perspective] (p. 34) » et
donc de les évaluer du point de vue pratique au regard de critères tels que l’efficacité
(effectiveness), les coûts (costs) et l’acceptabilité (acceptance) et qu’elle permet également de
distinguer pour chaque type d’instruments (1) leurs modes de rationalité, (2) les acteurs (qui
ont la possibilité d’utiliser les instruments), (3) les groupes cibles (de l’intervention, dont le
comportement est influencé), elle n’est néanmoins pas construite sur la base de leurs théories
de l’activité humaine.

Ainsi, si la démarche de Kaufmann-Hayoz et al. a selon nous le mérite de mettre en évidence


l’importance de la définition d’un modèle d’activité humaine (et la place des acteurs-cibles)
dans la définition d’une typologie d’instruments politiques, cette dernière reste cependant
fondée de manière indépendante de ce cadre relatif à l’action. L’agencement de leur modèle
d’action humaine et de leur typologie est d’ailleurs présenté et illustré par les auteurs comme
tel (cf. Figure 13 ci-dessous) :

Figure 13 : Le lien entre théorie de l’action humaine et typologie chez Kaufmann-Hayoz et al.

Environnements
Structure externe (facteurs et processus culturels et naturels)

environnement environnement environnement socio- environnement légal,


physique socioculturel économique politique et
administratif

Options et contraintes objectives

Instruments de
Instruments Instruments services et
régulatifs économiques d’infrastructures
Perception

Accords
librement
Action

Instruments de consentis
communication et
de diffusion

Objectifs et connaissance
Intentions Perception de la réalité

Structure interne (facteurs et processus psycho-physiologiques ou organisationnels)


Acteurs

Source : adapté de Kaufmann-Hayoz et Gutscher (2001)

160
Ainsi, chaque instrument peut modifier soit la structure interne des acteurs individuels ou
organisationnels, soit leur structure externe, étant entendu que les trois premiers types
d’instruments (CC, EI et S&I) tentent clairement de modifier différents aspects de la structure
externe alors que les instruments de communication et de diffusion tentent d’influencer la
structure interne des acteurs.

Most command-and-control instruments as well as many service and infrastructure


instruments directly restrict agents’ options, while economic instruments and some
service and infrastructure instruments make environmentally desirable actions more
attractive or rewarding and undesirable actions less attractive. In contrast, most
communication and diffusion instruments clearly aim to influencing the actors’ internal
structures. They attempt to influence the knowledge and goals of individuals and
organisations and their respective way of achieving them as well as to affect their
perceptions and appraisals of the social and physical reality (p. 83).

Cependant, les instruments de type accords volontaires influencent les deux types de
structures.

Nous pouvons donc constater que le modèle d’activité humaine est donc bien utilisé par les
auteurs pour décrire et analyser les types d’instruments et non en tant que fondement
théorique de la construction de leur typologie. Comme avec Schneider et Ingram (1990a,
1997), nous sommes ainsi confrontés à deux systèmes référentiels : d’un côté la théorie de
l’activité humaine et de l’autre la typologie des instruments185. Celle-ci constitue d’ailleurs
selon les propres propos des auteurs plus une synthèse du travail inter-transdisciplinaire qu’ils
ont mené186, et sert par conséquent, en tant qu’outil conceptuel, à intégrer les résultats des
différentes études de cas du livre et en tant que cadre de référence utile aux acteurs politiques
qui doivent choisir un ensemble d’instruments appropriés pour mettre en œuvre une stratégie
de politique publique.

C’est là à notre sens bien dommage, car le modèle de l’action humaine esquissé, bien que
paraissant plus à même de rendre compte de la nature des instruments politiques que celui
dressé par Klock (1995), ne détermine (hélas) pas (contrairement à ce dernier) les types
d’instruments mais est « simplement » utilisé de manière « parallèle » à la typologie à des fins
analytiques et descriptives.

Or, selon nous, tous les ingrédients187 étaient présents pour réaliser une typologie qui puisse
lever certaines des lacunes que nous avons identifiées jusqu’à présent, notamment celle de la
non-exclusivité. En effet, voyant que certains de leurs instruments agissent de facto sur des
facteurs identiques, Kaufmann-Hayoz et al. (2001) renoncent alors à considérer leur typologie
comme fondant des « classes complètement mutuellement exclusives [mutually completely
exclusive classes] » (p. 36).

185
Qui ne sont donc pas liés par une relation de causalité et de réciprocité de nature exclusive.
186
Bien que placée en début d’ouvrage !
187
Modèle de l’activité humaine d’un côté, élaboration d’une typologie d’instruments de l’autre, et importance
relevée de la nécessité de rationaliser le lien entre (types d’)instruments et comportements humains via une
théorie de l’action humaine.

161
Chapitre 7 De la nécessité de ternir compte de la complexité
instrumentale

Malgré l’identification de certaines lacunes qui semblent être partagées par l’ensemble des
typologies existantes et, comme nous venons de la constater, l’amorce de pistes prometteuses
dans le processus d’élaboration des typologies d’instruments (de protection de
l’environnement), aucune proposition actuelle ne nous semble capable de permettre aux
typologies de gérer la complexité des instruments (concrets) qu’elles veulent appréhender.

Nous avons d’ailleurs déjà traité certains « symptômes » qui découlent de cette incapacité
(récurrente) des typologies à être capable de gérer la complexité instrumentale sous la forme
de lacunes : non exclusivité, non exhaustivité, difficulté à opérationnaliser la variable type
d’instrument, etc.

Cependant, d’autres « lacunes » plus fondamentales sont à l’origine de cette faiblesse – de ce


« déficit méthodologique » pourrions-nous dire – et elles méritent donc que l’on s’y attarde
quelque peu.

Nous proposons dès lors d’aborder la question fondamentale de la complexité instrumentale188


sous de nouveaux éclairages.

La première lanterne sera dirigée sur la voie qui consiste à remettre en question le mode
opératoire qui sévit actuellement dans le domaine de recherche qui nous occupe, à savoir la
conception – biaisée selon nous – qu’une typologie d’instruments politiques ne soit destinée
qu’à classer. Nous la nommerons « le règne illusoire de la tentation classificatrice ». En effet,
nous pensons qu’une autre démarche – plus apte à appréhender la complexité de la réalité
instrumentale – existe et est à même de pouvoir opérationnaliser de manière cohérente et
efficace la variable type d’instrument. Par ailleurs, l’éclairage de cet itinéraire sera également
l’occasion de mettre en exergue la nécessité – sur le plan méthodologique – de ne pas
confondre le plan théorique (les types d’instruments) du niveau empirique (les instruments
concrets) mais de fondamentalement les dissocier.

En sus, et en se reposant sur les réflexions menées dans le cadre du chapitre précédent, nous
tenterons également d’éclairer la problématique de la gestion de la complexité instrumentale
en soulignant la nécessité de revenir sur quelques concepts clés fondamentaux des instruments
politiques.

7.1 Quid des méthodes d’application : le règne illusoire de la tentation classificatrice

Dans la pratique, nous avons constaté que lorsque l’analyse des politiques publiques à l’aide
de typologie dépasse le simple aspect analytique et descriptif pour déboucher, par exemple,
sur une démarche de nature explicative, notamment relative aux choix des instruments,
l’utilisation qui est faite des typologies reste marginale (voire inexistante) dans la mesure où
ce sont des instruments concrets qui sont utilisés comme variable dépendante.

188
Que nous avons d’ailleurs déjà pu aborder dès le début de notre recherche dans la partie consacrée au concept
et aux typologies d’instruments politiques.

162
Les typologies font dès lors plutôt l’objet d’un chapitre descriptif permettant par exemple
d’organiser une argumentation, de décrire les instruments, dans une perspective
généralisatrice, lorsqu’elles ne sont pas simplement utilisées en tant qu’élément rassembleur
ou structurant d’un ouvrage (souvent collectif). Le cas typique est l’élaboration d’une
typologie dans la partie introductive d’un ouvrage qui structure par la suite les chapitres de ce
dernier. Il nous semble ici que l’utilisation qui est faite des typologies est un peu légère,
même si les éléments d’analyse qui y sont reportés sont toujours appréciables.

Cependant, comme nous allons pouvoir le constater, il n’est peut être pas anodin que les
modalités d’application des typologies ne semblent pas avoir mobilisé les réflexions des
chercheurs dans la mesure où règne selon nous dans cette communauté une sorte d’idée reçue,
implicitement partagée, tant elle paraît évidente, qui conditionne l’utilisation qui est faite des
typologies et qui n’est donc jamais remise en question : la « tentation classificatrice ».

7.1.1 De l’utilisation des typologies d’instruments : la tentation classificatrice


La première expression de l’incapacité des typologies actuelles à pouvoir gérer la complexité
instrumentale se traduit sans aucun doute par la réponse qui est généralement donnée – de
manière plus ou moins implicite ou de manière pratique – par les auteurs à la question qui est
de savoir comment se sert-on des typologies d’instruments politiques ?

En effet, la réponse qui semble partagée par la grande majorité de la communauté des
chercheurs est de concevoir une typologie d’instruments en tant que système de
classification : une typologie sert in fine à classer. Or cette réponse implique de la part des
chercheurs, tant dans la perspective de la phase d’élaboration de la typologie, que dans la
phase d’application (qui selon nous ne doivent pas être pensées l’une sans l’autre), la
tentation, toujours inassouvie et infructueuse, car jamais définitive, d’établir une
correspondance monodirectionnelle entre catégories d’instruments et instruments réels.

Dans cette perspective, la typologie « parfaite » se doit par conséquent d’être apte à faire
correspondre, sans ambigüité et dans quelque contexte que ce soit, n’importe quel instrument
(concret) à une (et une seule) catégorie d’instruments.

En d’autres termes, le rêve du chercheur serait d’établir une typologie universelle qui soit de
nature exhaustive et exclusive, l’exhaustivité reflétant la capacité d’une typologie à présenter
un nombre de catégories dans lesquelles chaque instrument concret peut être classé et
l’exclusivité reflétant la capacité des catégories à ne pas se recouper l’une dans l’autre.

Or si cette perspective classificatrice peut être perçue comme rassurante, notamment car
possédant son homologue au sein des sciences dites « exactes »189, elle constitue cependant
selon nous surtout une solution de facilité et d’évitement qui pose certains problèmes sur le
terrain de la complexité sociale et instrumentale. Certains auteurs ont sans doute remarqué ce
problème (notamment lorsqu’il s’agit de confronter les typologies à la réalité instrumentale :
existence de « zone grise », non exclusivité des catégories), mais sans toutefois s’y attarder
vraiment et donc sans jamais fondamentalement le traiter.

189
Pensons par exemple à la minéralogie qui distingue dix classes de minéraux ou à la chimie et sa classification
périodique des éléments (table de Mendeleïev) ou encore à la biologie qui classifie traditionnellement le monde
du vivant en cinq règnes (animaux, végétaux, champignons, protistes, procaryotes ; ces règnes étant eux-mêmes
soumis à des classifications).

163
Il est ainsi rapidement apparu évident pour nous que, compte tenu de la complexité
instrumentale, il s’avère impossible qu’une telle démarche classificatrice ne puisse être
propice à une compréhension efficace des instruments des politiques publiques et notamment
à remplir la double condition de l’exhaustivité et de l’exclusivité, tant le choc entre une réalité
complexe et une typologie, réductrice par nature, est important (cf. Encadré 13 ci-dessous).

Encadré 13 : Exemples de choc entre système de classification et complexité instrumentale


Pour illustrer l’impossibilité d’articuler types d’instruments (rationalisation réductrice) et réalité instrumentale
(complexité sociale) au sein d’une démarche classificatrice, nous allons nous arrêter sur deux exemples
emblématiques.
Ainsi, dans l’optique de défendre sa classification et de justifier l’exhaustivité et l’exclusivité de ses catégories,
un auteur comme Vedung (1998) tient une argumentation sur plusieurs pages avec une attention particulière
vouée à l’instrument « organisation ». Nous renvoyons le lecteur à ce passage pour qu’il se fasse lui-même une
idée de « l’absurdité » de la démarche, mais selon nous, ces développements démontrent que le classement
« figé » des instruments au sein d’une et une seule catégorie, même si elle découle d’une argumentation, reste
peine perdue et infructueuse sur le plan méthodologique. Nous noterons donc juste ici à titre d’exemple que
pour Vedung (1998), qui définit uniquement trois types d’instruments (instruments de régulations, instruments
économiques et instruments d’information) « A bump in the road to prevent motorists from speeding is an
economic instrument just as a tax levied on gasoline is” (Vedung, 1998, cité également en référence par
Kaufmann-Hayoz et al., 2001) ! Vous en conviendrez, l’argumentation est assez « légère ».
Un autre exemple (parmi tant d’autres) peut être tiré de Kaufmann-Hayoz et al. (2001) qui, cette fois,
établissent une comparaison entre leur typologie et celle de Vedung (1998) en tentant de justifier le placement
de tels ou tel instrument dans telle ou telle autre catégorie.
Il découle de ces exemples que la nécessité de devoir toujours justifier ou défendre le classement de tel ou tel
instrument dans telle ou telle catégorie n’est pas productive sur le plan scientifique et notamment sur le plan de
l’opérationnalisation de la variable type d’instrument ; au-delà du fait de mettre en évidence toute la complexité
instrumentale.
Source : d’après Vedung (1998) et Kaufmann-Hayoz et al. (2001)

Ainsi, dans une perspective classificatrice, « a defensible list of basic policy instruments is no
simple matter » (Linder et Peters, 1989, p 44, cité par Pal, 1992, p. 142) ; mais peut-être
uniquement dans un tel paradigme.

Cependant, à la décharge de Vedung (1998), de Kaufmann-Hayoz et al. (2001) et de Linder et


Peters (1989) – et d’autres encore – nous pouvons souligner la difficulté insoupçonnée
d’arriver à délaisser cette tentation classificatrice tant notre structure intellectuelle semble s’y
être (ou y être) accommodée190.

7.1.2 Retour sur la question de l’opérationnalisation de la variable type d’instrument


Selon Varone (1992), dans la perspective d’une approche de type policy design, il est
nécessaire de pouvoir identifier et mesurer la variable (type) d’instrument et donc de pouvoir
l’opérationnaliser. Or, nous l’avons déjà constaté, cette nécessité souffre de lacunes qui
rendent difficile – voire impossible – de faire ressortir des analyses actuelles des conclusions
généralisables en terme de types d’instruments, dans la mesure où le classement d’un
instrument concret au sein d’une et une seule catégorie relève de critères qui peuvent être
remis en question. Rappelons ainsi une des conclusions tirée par Varone :

190
Nous-mêmes, nous y avons été confrontés longuement au cours de notre recherche et malgré notre « prise de
conscience » continuons encore d’y être par moment toujours confrontés.

164
[…] les typologies proposées par la littérature ne répondent pas adéquatement à la
question de l’opérationnalisation du concept d’instrument. En effet, selon cette approche,
il faudrait expliquer pourquoi au moment Ti on a retenu dans la politique publique Pi
l’instrument Ii classé [souligné par nous] dans la catégorie Cx, plutôt que l’instrument Ij
classé [souligné par nous] dans la catégorie Cy. Comme il n’y a cependant d’accord ni
sur les critères de classification, ni sur la répartition des instruments dans les multiples
catégories, la variance de la variable dépendante serait différente selon chaque typologie,
respectivement selon chaque auteur. Les conclusions d’études empiriques se basant sur
des typologies alternatives ne seraient donc pas comparables et ne favoriseraient pas un
développement cumulatif des connaissances, développement indispensable à
l’élaboration d’un modèle causal du choix des instruments de l’action publique. (p. 35-
36)

De leur côté, Rothmayr et al. (1997, également cité par Varone, 1998), concluent également
de leurs recherches – après avoir appliqué trois classifications d’instruments à l’analyse des
politiques de la drogue et de la culture dans une ville en Suisse – que si les typologies
proposées dans la littérature sont applicables, il n’en reste pas moins un grand effort théorique
à effectuer pour pouvoir élaborer une typologie multifonctionnelle et opérationnalisable sans
ambigüité. Au surplus, et comme l’ont noté plusieurs auteurs (à l’image de Van Nispen et
Ringling, 1998 ou Kaufmann-Hayoz et al., 2001), l’opérationnalisation de la variable type
d’instruments semblent également difficile dans la mesure où ceux-ci sont souvent utilisés de
manière combinée (au sein d’un mix instrumental). L’identification de la variable en est
rendue plus difficile, d’où la nécessité absolue d’identifier de manière précise sa nature.

La question de l’opérationnalisation de la variable type d’instrument semble donc poser


certains problèmes insurmontables. Or, selon nous, ce constat de l’impuissance opérationnelle
des typologies est établi par les auteurs dans le cadre de la perspective classificatrice que nous
avons soulignée et dénoncée auparavant, et peut sans doute être dépassé si l’on ouvre la voie
vers un paradigme méthodologique émancipateur. En d’autres termes, nous pensons que,
compte tenu de la complexité instrumentale, la réponse à ce déficit d’opérationnalisation de la
variable type d’instrument est peut-être à rechercher dans l’abandon de la dite perspective
classificatrice et dans la recherche d’une autre modalité de mesure.

Et, comme nous l’avons déjà souligné, la voie empruntée par certains et qui consiste à
analyser (et non classer) les instruments en fonction de leurs attributs – voie qui, rappelons-le,
est selon Varone (1998) prometteuse dans la perspective de cerner la complexité
instrumentale puisqu’elle permet d’évaluer ou, osons le terme, comparer les instruments en
fonction de plusieurs attributs/caractéristiques – semble être intéressante et fructueuse, bien
qu’elle n’ait pas été jugée jusqu’ici pertinente dans le cadre de l’approche par les typologies
d’instruments191.

Toutefois, tenter de s’émanciper de cette perspective classificatrice pour faire sienne une
démarche de nature comparative implique encore au préalable de clarifier certains points et
notamment celui de la dissociation à établir entre types d’instruments (niveau théorique) et
instruments concrets (niveau empirique).

191
En effet, cette voie n’a pas débouché à proprement parler sur la construction de typologies d’instruments mais
s’est plutôt focalisée sur des attributs de nature transversale (efficacité, légitimité, etc.).

165
7.1.3 Types d’instruments vs instruments concrets (niveau théorique vs empirique)
Selon nous, la tentation classificatrice que nous avons identifiée est étroitement liée à une
autre lacune qui, à notre connaissance, n’a également jamais été relevée dans la littérature et
qui consiste en la confusion faite par les auteurs entre types d’instruments et instruments
concrets (ou réels), ou, en d’autres termes, entre niveaux théoriques et empiriques, entre
théorie et réalité.

En effet, dans une perspective classificatrice et dans un contexte de complexité instrumentale,


une typologie parfaite, entendons par là qui se voudrait exhaustive et exclusive, devraient être,
à l’instar de la carte de géographie parfaite, aussi grande que le territoire qu’elle se veut
représenter et se (con)fondrait donc entièrement avec la réalité en elle-même (pour ne pas dire
s’y perdrait).

Or, une typologie d’instruments est par nature une représentation réductrice de la réalité
qu’elle se veut appréhender et il est donc selon nous nécessaire, dans la perspective de
s’émanciper de toute tentation classificatrice, de dissocier clairement les niveaux théorique
(typologie d’instruments, rationalisation réductrice) et empirique (complexité instrumentale).

Cependant, nous avons pu constater que la plupart des auteurs s’étant consacrés à
l’élaboration et/ou à l’utilisation de typologies d’instruments manipulent de manière assez
confuse ces deux niveaux, à l’exception de quelques-uns qui ont, comme nous l’avons déjà
relevé, sans doute perçu le paradoxe entre une réalité instrumentale complexe et une typologie
réductrice par nature, mais sans toutefois pour autant l’appréhender sur le niveau
méthodologique pertinent (principalement Bressers et Klock, 1988, Salamon, 1989, 2002,
Klock, 1995, Van Nispen et Ringling, 1998, Kaufmann-Hayoz et al., 2001).

Nous verrons par la suite comme cette dissociation entre théorie et réalité, entre typologie
d’instruments et instruments concrets, peut prendre forme sur le plan méthodologique et
pratique.

7.1.4 La (mauvaise) question de la substituabilité des instruments


Enfin, la tentation classificatrice trouve également son expression dans le débat sur la
substituabilité des instruments qui consiste à se demander si différents (types d’)instruments
peuvent être utilisés pour remplir les mêmes objectifs (solutionner un problème) ou, en
prenant la question par l’autre bout, s’il existe pour un problème (un objectif) donné, un seul
(type d’)instrument(s) (voire par exemple Hood, 1986 ; Howlett, 1991 ; Schneider et Ingram,
1990a ; Howlett et Ramesh, 1995).

La vision de la non-substituabilité peut être illustrée par la règle de Tinbergen (1952) – le


célèbre économiste néerlandais lauréat, avec Ragnar Frisch, du premier prix Nobel
d’économie décerné en 1969 – selon laquelle il est nécessaire de disposer d'autant
d'instruments qu'il y a d'objectifs à atteindre pour réussir une politique économique.

De leur côté, De Bruijm et Hufen (1998) font ainsi remarquer que les tenants de l’approche
instrumentale classique prônent une telle vision mono-instrumentale dans la mesure où ils
tendent vers une théorie des instruments pure : les instruments doivent être étudiés et mis en
œuvre de manière individuelle et autonome, ils ne sont pas substituables. Or poursuivent les
auteurs, la recherche sur la pratique des instruments remet en question cette approche et tend

166
vers une analyse combinée des instruments et sur une application simultanée et harmonisée de
plusieurs instruments.

Dans le même ordre d’idée notons que pour Dente (1995) comparer les instruments dans le
but d'affirmer la supériorité d'un tel est une stratégie de recherche beaucoup moins
prometteuse que de rechercher les combinaisons possibles entre instruments ou d’investiguer
les conditions sous lesquelles ils ont les meilleurs effets. Rappelons ainsi que les instruments
ne sont pas une fin en soi mais un moyen d'atteindre un objectif politique et donc de
solutionner un problème en influençant les comportements humains (très souvent à l’origine
même du problème).

Aussi, se poser la question de la (non)substituabilité des instruments représente selon nous


une question inappropriée. En effet, compte tenu de la nature complexe des comportements
humains – à l’origine des problèmes et donc des objectifs politiques – l’utilisation de chaque
(type d’)instrument(s) est probablement pertinente dans le but de les modifier et par là
d’atteindre un objectif de politique environnementale.

Aussi, la question centrale n’est donc pas de savoir si les instruments sont substituables ou
non mais bien de savoir quels instruments combiner et comment les combiner dans la
perspective de modifier les comportements humains de manière efficace et durable.

7.2 Les concepts clés à la conception des typologies d’instruments politiques

Au vue de nos développements, disposer d’une typologie d’instruments qui soit apte à gérer la
complexité instrumentale nécessite donc de devoir se défaire de toute tentation classificatrice
et, notamment, de fonder sa typologie sur une théorie de l’action humaine qui soit à même de
définir les caractéristiques fondamentales utilisées pour dresser les différents types
d’instruments.

Cette perspective méthodologique implique également selon nous la nécessité de revenir et de


préciser, voire de redéfinir, deux notions, ou concepts clés, qui semblent prendre une grande
importance dans la perspective de construire mais également d’appliquer une typologie
d’instruments à bon escient – et donc dans une perspective qui ne soit pas classificatrice – à
savoir celles d’acteurs-cibles et de contrainte/coercition.

7.2.1 La question des acteurs-cibles


Nous avons pu constater dans notre partie consacrée aux instruments des politiques publiques
quel rôle jouait la notion d’acteurs-cibles dans la définition du concept d’instrument politique
et, plus récemment, quel était l’importance de faire appel à une théorie de l’action humaine
dans le dessein de construire une typologie d’instruments qui soit fondée sur des hypothèses
comportementales. Aussi, est-il indispensable selon nous de placer la notion de public-cible
au centre de la démarche d’élaboration de toute typologie d’instruments politiques.

Cependant, c’est également sur le plan de l’utilisation qui est faite des typologies que la
notion d’acteurs-cibles est également importante dans la mesure où elle est également
l’expression de la complexité instrumentale et une raison supplémentaire de l’appel à
l’abandon de la tentation classificatrice. En effet, la notion même d’acteurs-cibles rend selon
nous toute tentative classificatrice caduque dans la mesure où un instrument concret peut être

167
associé à une catégorie différente selon le destinataire pris en considération. Nous verrons
d’ailleurs cela plus particulièrement dans le cadre de notre analyse de la politique climatique
suisse. Ainsi, nous pouvons imaginer qu’un même instrument peut être de type coercitif tout
aussi bien qu’informatif en fonction du destinataire pris en considération dans l’analyse.
Pensons par exemple à l’obligation imposée à un vendeur d’informer le public sur son
produit : mesure coercitive pour le vendeur, mesure informative pour le public. Cette couche
supplémentaire de complexité rend ainsi la perspective classificatrice définitivement illusoire.

Aussi pour bien appréhender les implications méthodologiques et théoriques que cette notion
d’acteurs-cibles peut revêtir sur le plan méthodologique et dans la perspective de dresser une
typologie d’instruments puis de l’utiliser, faut-il s’y arrêter quelques instants.

A) Les (multiples) destinataires des instruments


En guise d’introduction, rappelons avec Klock (1995) qu’un instrument politique, et tout
particulièrement dans le domaine de la protection de l’environnement, est par nature destiné à
influencer des acteurs dont les comportements ont des conséquences néfastes pour
l’environnement (les acteurs-cibles, les destinataires). Or, parmi les quatre tactiques
instrumentales qu’il a définies, deux « méta-tactiques » supplémentaires de type multicouche
(multi-layer) peuvent également être esquissées selon l’auteur.

La première alternative consiste à influencer les activités d’un acteur-cible qui ne sont pas la
cause directe du problème environnemental mais qui vont à leur tour avoir une influence sur
ses activités néfastes. L’auteur donne en exemple le fait d’obliger un acteur à collecter de
l’information sur les conséquences environnementales de son activité, une collecte
d’information qui peut alors déboucher, dans une deuxième étape, sur une modification de son
comportement. Même si le raisonnement semble un peu tiré par les cheveux, il indique tout de
même qu’un instrument peut être analysé de différente manière en fonction d’un seul et même
destinataire.

La seconde alternative consiste cette fois à influencer non pas directement les acteurs dont le
comportement est à l’origine du problème mais les activités d’autres acteurs dans les activités
vont dès lors influer sur celles des acteurs qui posent problème. Cette situation en cascade
peut très bien compter trois, voire quatre (et même plus) chaînons d’acteurs. L’auteur donne
en exemple la fourniture d’information au public par des organisations intermédiaires ou une
convention entre Etat et une branche de l’économie. Les instruments peuvent donc également
être d’une nature différente en fonction du destinataire pris en compte (1er destinataire et
suivants vs destinataire finale).

Cette seconde stratégie est également discutée en des termes un peu différents par un auteur
comme Vedung (1998) qui, constant que les instruments sont plutôt utilisés en combinaison
plutôt que de manière isolée, définit les notions de combinaisons verticale, horizontale et
chronologique (vertical packing, horizontal packing and chronological packing). La
combinaison de type verticale est celle qui nous intéresse ici dans la mesure où un instrument
peut se « décliner » de manière verticale par rapport à un objectif et alors prendre la forme de
plusieurs types d’instruments différents selon le 1er, le 2e, le 3e, le ne destinataire considéré.

L’auteur donne en exemple l’instrument du label qui revêt la forme d’une prescription
(régulation) pour les vendeurs qui se doivent, en tant qu’agents de mise en œuvre, de

168
labelliser leurs marchandises et d’un instrument d’information pour les consommateurs
(acteur-cible finaux) qui se voient alors informés sur les implications de leurs achats.

Aussi, Vedung (1998) nous fait remarquer toute l’importance de considérer le niveau des
acteurs en fonction duquel tout instrument doit être analysé. Néanmoins, il ne semble pas tirer
les conclusions qui selon nous s’imposent, dans la mesure où l’auteur contourne assez vite la
question en précisant que dans une optique conséquencialiste et téléologique un label est
fondamentalement un instrument d’information et qu’il est donc ici nécessaire de prendre en
compte le destinataire final de l’action publique dans l’analyse. Pour notre part, nous pensons
que la tentation classificatrice explique cet évitement maladroit du problème posé.

B) Implications méthodologiques
Selon nous, dans l’optique d’analyser les instruments politiques à l’aide de typologie
d’instruments et notamment dans la perspective d’expliquer le choix des instruments, il est
nécessaire de spécifier, à chaque fois, le ou les destinataire(s) pris en considération pour
l’analyse. Faire l’économie de cet effort rend toute tentative compréhensive et explicative
sujette à une remise en question. Nous ne pouvons donc pas parler (de type) d’instruments
politiques sans définir les acteurs-cibles pris en considération dans l’analyse.

C’est pourquoi nous définissons le public-cible d’un instrument comme constituant la réunion
de l’ensemble des destinataires directs de l’action publique. Ceux-ci sont donc à dissocier des
acteurs touchés de manière indirecte par les instruments, de manière « collatérale » dirons-
nous, mais qui n’étaient pas ciblés par ces derniers dans la perspective de modifier leur
comportement.

Ainsi, il est certes intéressant, par exemple, de constater une évolution dans les modalités
d’intervention de l’Etat, mais celle-ci ne prend vraiment sens sur le plan compréhensif que
lorsqu’une variable telle que celle de l’acteur-cible pris en considération peut être tenue
constante. Il en va d’ailleurs de même pour toute tentative d’explication de l’évolution dans le
choix des instruments.

7.2.2 La question la contrainte


A l’image de la notion d’acteurs-cibles le concept de contrainte semble également tenir une
place importante dans le cadre de la conception et de l’application des typologies
d’instruments politiques.

Elle tient ainsi une place importante lorsque les auteurs adoptent une approche par les
ressources pour établir leur typologie d’instruments, celle-ci se traduisant le plus souvent par
la présence d’une catégorie de type instruments contraignants192. Mais la notion de contrainte
est également souvent sollicitée dans le cadre de l’approche par continuum qui implique le
plus souvent cette dernière dans la construction de la typologie.

Or, la notion de contrainte, qui est ainsi très souvent à l’origine – plus ou moins directe – de
l’élaboration des typologies, est selon nous souvent manipulée par de nombreux auteurs de
manière assez imprécise ou avec différentes interprétations. Elle mérite donc quelques
développements.

192
Parfois confondue avec la notion d’instruments légaux nous l’avons vu.

169
A) La contrainte : une notion difficilement identifiable
Kaufmann-Hayoz et al. (2001) notent que dans le domaine des politiques environnementales,
la distinction usuelle qui est faite entre les instruments de régulation et les instruments
économiques193 montre que les instruments sont souvent ordonnés selon leur degré de
contrainte, d’un pôle coercitif à un pôle volontaire. Les auteurs identifient ainsi la notion de
contrainte par opposition à la notion d’action volontaire mettant ainsi l’accent sur la
perspective de l’acteur-cible (action volontaire vs action contrainte).

De manière différente, un auteur comme Vedung (1998) fonde sa typologie sur un continuum
« autoritaire » (p.34) marquant une gradation du degré de la force autoritaire, mesurée en
terme de contrainte/pouvoir investit par l’Etat, entre les trois types d’instruments qu’il
définit194 :

The authoritative force concerns the degree of constraint, or even better, degree of
power, that the governing body has invested in the governance attempt. (p.34-35)

Par ailleurs, les trois types d’instruments de Vedung contiennent également en eux-mêmes
une dimension affirmative et négative qu’il faut également interpréter comme un niveau de
contrainte faible ou fort (cf. Tableau 29 ci-dessous).

Tableau 29 : Dimensions affirmative vs négative au sein des trois catégories de la typologie de Vedung

Instruments politiques

Degré de contrainte (force autoritaire)

Régulation/bâton Instruments économiques/carotte Information/serment


(Regulation/stick) (Economic means/carrot) (Information/sermon)

Exemples tirés de la gestion du problème du tabagisme

Interdiction d’importer Campagne d’information sur


Taxe sur la production de cigarettes/cigares
des cigarettes/cigares les méfaits du tabagisme

Dimensions

Affirmative Négative Affirmative Négative Affirmative Négative


Exemples
(Subsidies, grants,

charges, obstacles
services en nature

physiques (Taxes,

(Encouragements)
in-kind services)

Encouragements
(Proscriptions)
(Prescriptions)

Impôts, taxes,

Mises en garde
fees, physical
Proscriptions
Prescriptions

Subventions,

obstacles)

(Warnings)

Source: adapté de Bemelmans-Videc et Vedung (1998)

193
Tous deux compris sous le vocable instruments classiques, avec des références à une classe hétérogène
qualifiée de nouveaux instruments (cf. par exemple : Dente, 1995 ; Jänicke et Weidner, 1995, Jänicke et al.,
1999, p. 101).
194
Les trois types de mesures induisent des efforts très différents de la part de l’Etat sur une échelle mesurant la
force autoritaire mise à profit.

170
La notion de contrainte semble ainsi devenir difficilement discernable et pouvoir être
interprétée de différentes manières. Ainsi, pour Van der Doelen (1998) cette fois, l’idée d’une
augmentation du degré de coercition des différentes catégories d’instruments se traduit dans la
typologie de Vedung plutôt par la distinction qu’il est possible de faire au sein même des trois
catégories entre nature stimulante (stimulative) et nature répressive (repressive) des
instruments, distinction qui met cette fois en évidence le degré de liberté de l’individu face à
l’instrument (options vs pas d’option pour l’individu) (cf. Tableau 30 ci-dessous).

Tableau 30 : Dimensions stimulatives vs répressives au sein des trois catégories de la typologie de


Vedung selon Van der Doelen

Dimensions Stimulative (Stimulative) Répressive (Repressive)

Instrument

Instrument de Information (Information) Propagande (Propaganda)


communication
objectif : augmenter les connaissances objectif : ébranler la capacité de
(Communicative
de l’individu l’individu d’avoir un jugement
control model)
degré de liberté : + (jugement indépendant
indépendant et libre) degré de liberté : - (jugement dépendant,
pas si libre)

Instruments Subvention (Subsidy) Taxes (Levy)


économiques
objectif : inciter par l’encouragement objectif : inciter par le découragement
(Economic control
financier financier
model)
degré de liberté : + degré de liberté : - (pas si libre que cela)

Instruments de Engagement volontaire/contractuel Commandement/interdiction


régulation juridique (Contract/Covenant) (Order/Prohibition)
(Judicial control
Objectif : activé un comportement sur Objectif : imposer de normes
model)
une base volontaire et réciproque comportementales de manière unilatérale
avec obligation de s’y conformer
degré de liberté : +
degré de liberté : - - (pas de liberté)

Légitimité Efficacité
6

Source : adapté de Van der Doelen, 1998, p. 132-134

Notons ici que la ligne de démarcage que trace Van der Doelen au sein des trois catégories de
la typologie de Vedung s’apparente notamment à la distinction que fait Hood (1983) entre les
directives positives et négatives (positive and negative directives).

Aussi, selon Van der Doelen (1998), il n’est pas judicieux de classer les instruments de
communication, économiques et juridiques sur un axe exprimant le degré de contrainte allant
du non-contraignant au plus contraignant, alors même que Vedung (1998) semble quant à lui
indiquer le contraire.

La notion de contrainte semble donc bien difficile à s’accommoder d’une analyse limpide des
instruments des politiques publiques et ce même si, comme nous allons le constater, des
auteurs tels que Bressers et Klock (1988) tentent de définir le concept de manière plus
poussée autour de la distinction faite entre directive et incitation.

171
B) Une tentative de cerner la notion de contrainte
Bressers et Klock (1988), qui dénotent en passant que les auteurs fondent souvent leurs
classifications d’instruments sur l’évaluation de leur degré de contrainte formel (formal
compulsion) ou de leur degré de contrainte effective (real compulsion), soulignent que celles-
ci établissent également souvent une distinction entre directives et incitations qui
découleraient, selon eux, de l’existence d’un continuum opposant directive pure et incitation
pure, au sens idéaltypique de la notion.

Ainsi, selon ces auteurs, ce continuum serait caractérisé par deux dimensions principales, à
savoir le niveau par lequel les acteurs-cibles sont liés moralement à l’autorité légitime de
l’Etat (les directives font appel à cet aspect, les incitations non) et le degré de proportionnalité
des réponses des autorités au comportement des acteurs-cibles (plus la proportionnalité est
élevée, plus l'instrument va agir de manière incitative).

De plus, ils soulignent également que la distinction entre directives et incitations peut se faire
à l’aune de différents critères tels que, par exemple, la sévérité des réponses de l’autorité au
comportement ou de la nature positive ou négative des sanctions. Cette distinction est illustrée
par les auteurs au sein de quatre graphiques délimités par deux axes représentants pour l’un la
nature de la réponse des autorités et pour l’autre la nature du comportement de l’acteur-cible
(cf. Figure 14 ci-dessous).

Figure 14 : La distinction idéaltypique entre directives et incitations de Bressers et Klock


Figure 14.1 Figure 14.2
A B C D
Réponse de la part de l’autorité

Réponse de la part de l’autorité

Réponse de la part de l’autorité

Réponse de la part de l’autorité

Comportement Comportement Comportement Comportement


Instruments pures Instruments hybrides
Source : adapté (et corrigé) de Bressers et Klock (1998)

La figure 14.1 distingue directive pure (A) et incitation pure (B), alors que la figure 14.2
distingue directive caractérisée par une sanction incitative (C) et incitation avec caractère de
directive (D).

Plus concrètement, Bressers et Klock (1988) définissent les directives pures (A) comme une
interdiction à certains comportements (par exemple un niveau limité de pollution). Dans ce
cas de figure le comportement est jugé « normal » jusqu’à la limite définie qui, si elle est
dépassée, marque l’entrée en force de la sanction. La réponse des autorités n’est donc pas
proportionnelle au comportement visé et, de même que la sévérité de la sanction (qui est
normalement conçue de manière assez prohibitive). A l’inverse, les incitations pures (B) sont
conçues de façon à établir une proportionnalité entre la réponse des autorités et le

172
comportement des acteurs-cible. La sévérité de la sanction est alors mesurée par l’intensité du
stimulus définit par unité de comportement (par exemple, le montant d’une taxe par unité de
pollution). Dans ce cas ce sont les acteurs-cibles qui décident quel est le « niveau
comportemental » supportable.

Néanmoins, comme dans la pratique il existe de nombreuses formes hybrides d’instruments


qui se situent entre ces deux pôles définissant le continuum dressés par les auteurs, ceux-ci
définissent également deux autres cas ((C) et (D)) qui définissent pour le premier le fait que
des directives peuvent être associée à des sanctions qui sont si proportionnelles aux
comportements qu'elles commencent à montrer des ressemblance forte avec les incitations et,
pour le second, le fait que des incitations peuvent également fortement ressembler à des
directives.

C) Limites de la notion de contrainte


Nous pouvons ainsi constater que la notion de contrainte est très souvent associée et/ou
recoupe des notions telles que celle de force autoritaire, de coercition, de régulation, de
directives ou, rappelons nous, d’une certaine dimension légale/juridique qui, comme nous
l’avons déjà souligné par le passé ne peut pas être si facilement associée à la notion de
contrainte.

De même, le concept de contrainte est tantôt mesuré en se rapportant à l’Etat (contrainte


investie ou formelle), tantôt à l’acteur ciblé par l’instrument (degré de liberté d’option,
contrainte effective), tantôt à ces deux niveaux de manière confondue.

Cette ambigüité de la notion de contrainte fait par exemple remarquer à des auteurs comme
Howlett et Ramesh (1995) que les classifications qui s’accommodent d’un arrangement le
long d’une échelle de contrainte (telle celle de Doern et Phidd (1992)) rendent
l’opérationnalisation du concept de contrainte et le placement des divers instruments le long
du continuum plus que difficile195.

Plus concrètement, la notion de contrainte, si fuyante et malléable, représente-t-elle le bon


concept opératoire pour définir les instruments par un processus de différenciation ?

Nous pensons pouvoir répondre par la négative dans la mesure où la notion de contrainte ne
semble pas se définir a priori mais très probablement qu’à posteriori et qu’elle représente une
dimension sans doute trop « transversale » pour prétendre définir une distinction entre
plusieurs types d’instruments.

Selon nous, la notion de contrainte ne permet ainsi pas de définir de manière précise une
caractéristique instrumentale pouvant se trouver à l’origine d’une typologie d’instruments
autre que celle qui consisterait à uniquement dissocier instruments contraignants et non
contraignants (typologie duale). Elle représente donc selon nous, comme peuvent l’être des
notions telles que l’efficacité, la légitimité, etc. (cf. l’approche par les attributs), plutôt une
sorte d’attribut « transversal » qui permet non pas de définir des types d’instruments (qui

195
Aussi suggèrent-ils de ne pas s’attarder sur le concept fuyant de contrainte (coercion), car il est selon eux
possible d’obtenir une classification plus complète et plus simple en se concentrant sur le niveau de
présence/engagement de l’Etat (level of state presence, level of State Involvement) impliqué par l'utilisation de
chaque instrument.

173
doivent être mutuellement exclusifs sur le plan de la rationalisation théorique), mais plutôt de
les évaluer à l’aide d’une dimension (typologie) duale.

Aussi, nous pensons que la notion de coercition, mise en balance avec celle de contrainte,
peut être plus à même d’être utilisée pour définir une typologie d’instrument qui ne soit pas
duale. En effet, dans la mesure où nous pouvons la définir par le recours ultime à la force
physique légitime de l’Etat, elle a le mérite d’être « mesurable » qu’à l’aune d’un seul et
même critère (tant du point de vue de l’Etat que de l’acteur-cible) : le recours à la force
physique légitime par l’Etat envers l’acteur-cible.

Nous définirons donc plus tard la coercition comme représentant la force physique légitime de
dernier recours et l’instrument coercitif comme étant composé d’une norme et d’une sanction,
d’un mécanisme de contrôle de la norme et d’application de la sanction, et d’un recours à la
force physique légitime en derniers recours196. En d’autres termes, un instrument coercitif doit
être capable de définir une norme comportementale et une sanction, de contrôler son
application et d’appliquer la sanction si il y a non observance (décision administrative voire
judiciaire, etc.), avec pour dernier recours, le recours à la force physique légitime étatique
(force de police) pour faire appliquer la norme.

Par ce biais, nous contribuons ainsi à dissocier clairement les notions de contrainte et de
coercition, découplage qui a le mérite selon nous de permettre l’établissement des types
d’instruments mutuellement exclusifs sur le plan théorique. Ainsi, et comme nous le verrons
également par la suite, le concept de coercition, emprunté dans son sens donné par Max
Weber, sera l’un des éléments clés de notre typologie.

7.3 La nécessité d’appréhender la question des caractéristiques fondamentales des


instruments

Fondamentalement, une typologie d’instruments politiques doit permettre de mesurer les


instruments (concrets) sur la base de caractéristiques différentes ou, en d’autres termes, de
nature exclusive. Ce n’est qu’à cette condition que l’opérationnalisation de la variable type
d’instrument devient pertinente pour l’analyse. Certes nous pouvons nous prévaloir que cela
peut être réalisé sans typologie, par exemple en mesurant les instruments sur des critères tels
que l’efficacité, la légitimité, etc. (cf. la démarche par les attributs), mais ces critères ne
définissent pas la nature fondamentale propre à définir les instruments politiques.

7.3.1 Retour sur la nature « fuyante » des instruments : la voie pessimiste


Nous l’avons largement constaté dans la première partie de notre recherche, les instruments
sont des phénomènes complexes, mouvants, à plusieurs facettes et caractéristiques multiples
et qui peuvent être ainsi classés en fonction de différentes options (Salamon, 2002). Leur
classification revêt donc un certain « challenge » (p.21) qui à défaut d’être relevé à pousser
certains auteurs à se demander si le concept d’instrument est assez rigoureux pour permettre
des analyses sérieuses (Salamon, 2002, faisant référence à De Bruijn et Hufen, 1998).

Ainsi, l’identification des caractéristiques fondamentales permettant de cerner le concept


d’instruments semble poser un problème récurrent et beaucoup d’auteurs se demandent alors

196
Force qui n’est légitimée que si les trois premières étapes sont « dépassées ».

174
quelles peuvent être les dimensions, les attributs, les caractéristiques, les fonctions ou les
modes opératoires cruciaux qui pourraient permettre de les distinguer, d’en saisir leur nature,
afin d’en extraire les fondements à l’élaboration d’une typologie et qui sont donc le plus apte
à devenir la base pour développer une typologie d’instrument et générer des hypothèses
opérationnelles.

Des auteurs tels que Bemelmans-Videc et Vedung (1998) viennent ainsi même à se poser la
question de savoir si

Is there a general typology of policy instruments, of sufficient theoretical and empirical


value, that helps discern the crucial characteristics of policy instruments and the choice
between them? (p.249)

D’autres s’avancent même à dire qu’une typologie convaincante qui pourrait servir au
développement d’une théorie des instruments n’existe pas (De Bruijn et Hufen, 1998) et à en
conclure que :

The failure to construct an indisputabble typology means that the theoretical possibilities
are much smaller than the supporters of the classical approach would like us to believe
(p. 27)

Enfin, certains, par exemple Varone (1998), Kaufmann-Hayoz et al. (2001) ou Linder et
Peters (1998), dissocient – à juste titre ? – la voie de l’approche par les attributs de celle des
typologies (catégories nominales) pour voir en la première une voie plus prometteuse. Ces
derniers notent d’ailleurs que l’étude des instruments par les politologues a emprunté deux
voies distinctes : la voie « canadienne » ouverte par des chercheurs tels que Phidd et Doern
(1978) ou Woodside (1986) qui se sont concentrés à étudier les instruments en fonction de
leurs attributs (tel celui de la coercition) et la voie « inductive » d’identification des fonctions
essentielles des instruments qui a poussé les chercheurs à élaborer des typologies, notamment
à l’instar d’auteurs tels que Hood (1983) ou Lowi (1972)

7.3.2 Retour sur la nature « fuyante » des instruments : la voie optimiste


Selon nous, et vous l’aurez sans doute déjà compris, le challenge soulevé par Salamon (2002)
peut être relevé et le principe de rigueur scientifique qui semble faire défaut dans le cadre de
l’approche par les typologies d’instruments est sans aucun doute à trouver sur le plan
conceptuel et méthodologique : il réside dans la proposition d’un nouveau « paradigme »
d’analyse typologique des instruments des politiques publiques.

Sur le plan conceptuel, s’il semble en effet que beaucoup de caractéristiques peuvent être
identifiées (que ce soit des attributs ou des dimensions, des caractéristiques, etc. …), il semble
néanmoins que certaines d’entres-elles semblent revêtir une plus grande importance que
d’autres. Celles-ci sont ainsi selon nous relatives à la nature profonde des instruments que
nous avons identifiée, à savoir le fait qu’ils sont fondamentalement destinés à influencer les
comportements humains. Ces caractéristiques seront donc intimement liées à la théorie de
l’activité humaine que nous allons élaborer dans le cadre de notre proposition.

Sur le plan méthodologique, il nous semble également que l’identification des caractéristiques
fondamentales des instruments doit pouvoir s’exprimer au sein d’une démarche qui puisse

175
gérer la complexité instrumentale et qui, notamment, doit également être à même de définir
ces caractéristiques sur le même plan conceptuel et le même niveau théorique.

Ainsi, la voie qui est la nôtre prendra la forme d’une typologie d’instruments fondée sur une
théorie de l’activité humaine qui sera à même non pas de classer mais de comparer les
instruments concrets à de types conceptuels d’instruments.

7.4 Synthèse et propositions d’orientation vers une « nouvelle » approche


méthodologique des typologies d’instruments politiques

Pour tenter de résumer nos développements, nous avons jugé utile de dresser une liste des
principales lacunes méthodologiques que nous avons identifiées sous la forme de quelques
conditions qu’une typologie d’instruments politiques devrait remplir pour être fructueuse sur
le plan théorique et pratique.

Pour bon nombre d’auteurs (voir notamment De Bruijn et Hufen, 1998, Klock 1995, Salamon,
1989, 2002, Salamon et Lund, 1989, Pal, 1992, Kaufmann-Hayoz et al., 2001, Lascoumes et
Galès, 2004), une typologie d’instruments devrait ainsi permettre :

1. de définir un « menu » d’instruments à disposition ;

2. de définir de manière exhaustive un nombre de catégories mutuellement exclusives


(critères de l’exhaustivité et de l’exclusivité mutuelle des catégories) ;

3. une systématicité évolutive (typologie non statique, large, systématique, ouverte et


intégratrice) ;

4. de classer (nous dirons quant à nous comparer) les instruments, tant en fonction de
leurs différences que de leurs similitudes ;

5. d’appréhender la nature fondamentale des instruments


(dimensions/caractéristiques/critères…) ;

6. de prendre en compte les acteurs cibles (typologie orientée acteur) et d’être liée à
(nous dirons d’être fondée sur) une théorie de l’activité humaine ;

7. une analyse rigoureuse de la question du choix des instruments par la possibilité


offerte d’opérationnaliser la variable type d’instruments ;

8. un « travail de déconstruction via les instruments » (Lascoumes et Galès, 2004, p.


13) ;

9. d’appréhender la diversité et la complexité des instruments.

En ce qui nous concerne, nous ajouterons les quelques conditions supplémentaires suivantes.
Une typologie d’instruments devrait également pouvoir :

10. reposer sur une base méthodologique cohérente, systématique et prenant en compte de
manière indissociable modalités de conception et d’application ;

176
11. permettre de dissocier les niveaux théorique (types d’instruments ; exhaustivité et
exclusivité) et empirique (instruments concrets, complexité) ;

12. permettre un travail de reconstruction à même de rendre compte de la complexité


instrumentale ;

13. reposer sur des bases conceptuelles cohérentes, praticables et d’un niveau théorique
équivalent (par exemple, remplacement du concept de contrainte par celui de
coercition) ;

14. fournir des étalons de mesure aptes à opérationnaliser la variable type d’instrument par
une démarche comparative qui abandonne la quête improbable qui consiste à tenter de
classer une réalité instrumentale beaucoup trop complexe dans des catégories
(abandon de la tentation classificatrice).

L’ensemble de ces conditions peut être brièvement résumé sous la condition unique suivante :

15. une typologie d’instruments politiques devrait pouvoir être apte à gérer la
complexité instrumentale qu’elle se veut appréhender.

Afin de remplir les conditions énumérées ci-dessus et tenter de lever les nombreuses lacunes
que nous avons identifiées auparavant, nous proposons de nous émanciper de la tentation
classificatrice que nous avons identifiée comme la lacune principale pour nous orienter vers
une nouvelle démarche méthodologique et conceptuelle.

Nous proposerons ainsi par la suite d’appliquer la méthode compréhensive wébérienne


(idéaltypique) afin de dresser une typologie des instruments politiques qui soit conçue sur des
fondements méthodologiques solides. Aussi, et dans l’optique de permettre
l’opérationnalisation de la variable types d’instruments, nous prônerons, en conformité avec la
méthode compréhensive, une approche comparative (comparaison types d’instruments /
réalité instrumentale) et un abandon, sans concession, de la démarche classificatrice. En effet,
la méthode comparative permet selon nous de dépasser le choc inhérent de la confrontation
entre une théorie par nature simplificatrice (rationalisation réductrice) et une réalité par nature
complexe.

Nous voyons ainsi dans la méthode compréhensive une alternative efficace pour la gestion de
la complexité instrumentale et la définition de concept rigoureux qui permettra dès lors de
dissocier clairement niveaux théorique (conception des (idéaux)types d’instruments, domaine
de la rationalisation en finalité, de la réduction/caractérisation) et empirique (instruments
concrets, domaine de la complexité sociale). En d’autres termes, nous proposons de laisser la
complexité là où elle se doit d’être, à savoir au niveau de la réalité, et de construire des types
sur le plan où ils se doivent d’être, à savoir au niveau de la rationalisation théorique. Nous
voyons également l’approche idéaltypique (processus de rationalisation en finalité) comme
permettant une mise en perspective des types d’instruments qui implique de manière
indissociable les deux étapes méthodologiques que sont les modalités de conception (mise en
relief de l’objet, de concept instrument en fonction de caractéristiques) et d’application
(analyse) de la typologie, dans la mesure où elle se veut une proposition méthodologique
englobant ces deux dimensions.

177
Notons également que cette démarche permet de dépasser les problèmes d’exhaustivité et
d’exclusivité dans la mesure où l’exclusivité se mesure sur le plan de la rationalisation
théorique (entre types idéaux et donc au niveau théorique uniquement ; la rationalisation de
types d’instruments mutuellement exclusifs n’ayant une pertinence qu’au niveau conceptuel)
et que l’exhaustivité se mesure quant à elle par la comparaison entre types d’instruments
concrets et types théoriques. Nous pensons ainsi lever l’exigence posée par beaucoup
d’auteur, mais jamais remplie, du critère des classes mutuellement exclusives en la (re)plaçant
sur le niveau théorique et méthodologique.

D’autre part, cette approche compréhensive nous permettra également de définir les
caractéristiques fondamentales des instruments qui permettront, à leur tour, de définir les
types d’instruments (nos étalons de mesure) au sein d’un processus d’exercice de
rationalisation en finalité. Cet exercice sera d’ailleurs issus de manière directe et systématique
de l’élaboration d’une théorie (basique) des l’activité humaine (questionnement de départ,
postulats de départ) – car les instruments, faut-il le rappeler, sont fondamentalement destinés à
modifier les comportements humains197 – qui permettra parallèlement d’obtenir des
« catégories » d’instruments relevant d’un niveau théorique et conceptuel identique.

Cette perspective méthodologique nous mène ainsi à tracer une démarcation claire entre,
d’une part, la notion de typologie idéaltypique d’instruments (méthode compréhensive
wébérienne, construction d’idéauxtypes d’instruments, approche comparative) et, d’autre part,
les classifications et autres catégorisations d’instruments (classes, familles, catégories, etc.)
qui sont irrévocablement associés à une approche classificatrice dont nous voulons
absolument nous défaire.

Ainsi, avec la typologie d’instruments que nous nous proposons de concevoir et d’utiliser au
sein de notre recherche, nous pensons posséder un instrument de compréhension à grande
valeur heuristique qui puisse permettre également l’opérationnalisation (la mesure) de la
variable type d’instruments par une approche comparative (étalon de mesure conceptuel /
réalité instrumentale). A cette fin et pour pouvoir dépasser le seul niveau compréhensif, nous
proposerons également d’accommoder la méthode compréhensive wébérienne d’une
combinaison de deux méthodologies empruntées à l’évaluation des politiques publiques
(proposition pour une méthode idéaltypique + « pan-phy ») et qui consistera à faire mesurer les
instruments du domaine étudié au regard des types d’instruments que nous aurons définis par
un groupe d’experts.

En conséquent, nous pensons que l’approche que nous proposons peut s’avérer une voie
prometteuse dans le dessein de permettre aux typologies d’instrument de pouvoir gérer la
complexité instrumentale (la perte compréhensive découlant de l’exercice de caractérisation
des types d’instruments étant rattrapée par l’exercice de comparaison entre types
d’instruments et réalité instrumentale).

Enfin, nous relèverons ici qu’en scellant les fondements théoriques et conceptuels de notre
typologie d’instruments sur une théorie (basique) de l’activité humaine, nous pensons mettre
l’accent sur une approche des instruments politiques qui veut également appeler à l’ouverture
de notre champ d’investigation à l’impérieuse nécessité de l’interdisciplinarité, voire de la
transdisciplinarité, dans une perspective de développement durable198.

197
En d’autres termes, les instruments sont fondamentalement construits sur des hypothèses comportementales
découlant de la question fondamentale qui est de savoir comment modifier les comportements humains ?
198
Voir sur ce point de la dernière partie « synthèse & de conclusion » de notre travail de recherche.

178
Ainsi, et en parfait accord avec Kaufmann-Hayoz et al. (2001) ou Bürgenmeier (2005, 2008),
nous sommes en effet persuadés que la régulation socio-environnementale (et à plus forte
raison la régulation sociale) ne peut être comprise d’un point de vue disciplinaire mais que les
réponses à apporter incombent à l’ensemble des sciences sociales et de la nature. Aussi, si
nous espérons que la typologie que nous proposerons puisse constituer une avancée, ne serait-
ce que minime, dans cette direction, nous souhaitons qu’elle puisse permettre de jeter un
regard nouveau sur les instruments des politiques publiques.

Chapitre 8 La méthode compréhensive de Max Weber et ses


idéaltypes

Du point de vue méthodologique et d’une manière générale, il existe en sciences sociales trois
procédés pour créer des typologies : la méthode statistique, la méthode analytique et la
méthode idéaltypique.

En résumé, pour un phénomène donné, la méthode statistique permet de définir des types
(dans notre cas des types d’instruments) par un regroupement statistique basé sur
l’identification de dimensions. Cette méthode, très largement de nature inductive et
exploratoire, met donc l’accent sur le traitement statistique et relègue le travail qui consiste à
définir les dimensions prises en considération à un second plan. La plus connue de ces
méthodes est sans doute l’analyse par grappe (cluster analysis). Or, sûrement très fructueuse
pour établir des typologies de phénomènes « connus » et facilement identifiable et mesurable,
cette méthode ne semble peu (ou pas) pertinente dans le cas qui nous occupe, notamment
parce qu’elle ne favorise pas une étape qui nous apparaît comme indispensable dans notre cas,
à savoir celle qui consiste, en amont, à définir de manière rigoureuse les dimensions qui vont
être choisies pour la création du concept (soit, en ce qui nous concerne, les dimensions qui
caractérisent la nature des instruments politiques) sur la base d’un raisonnement explicite et
dénué de prénotions199.

S’occupant ainsi à décrire cette approche conceptuelle inductive par la notion de « concept
opératoire isolé »200 (p. 117), Quivy et Campenhoudt (2006), font ainsi remarquer que cette
dernière se distingue de l’approche conceptuelle de nature déductive – et donc de la notion de
« concept systémique »201 (p.116) – par son « degré de rupture avec les prénotions » (p. 125)
(cf. Encadré 14 ci-après).

A l’inverse de la méthode statistique, les méthodes analytique et idéaltypique sont, quant à


elles, de nature déductive et insistent donc sur l’importance et la qualité du travail de sélection
des dimensions qui vont être à l’origine des typologies.

199
Etape qui constitue au contraire le « point d’entrée » des méthodes analytique et idéaltypique.
200
Notion empruntée à Bourdieu, Chamboredon et Passeron (Bourdieux, P., Chamboredon, J.-C. et Passeron, J.-
C. (1968). Le Métier de sociologue. Paris, Mouton, Bordas), un concept opératoire isolé est, selon ces auteurs, un
concept « construit empiriquement à partir d’observations directes ou d’informations rassemblées par d’autres »
(p. 116) dans le cadre d’une démarche exploratoire et de nature inductive.
201
Egalement empruntée à Bourdieux et ses collègues.

179
Encadré 14 : Approche conceptuelle inductive vs déductive
Selon Quivy et Campenhoudt (2006), l’approche conceptuelle inductive (concept opératoire isolé) et l’approche
conceptuelle déductive (concept systémique) ne se distinguent pas uniquement en fonction de la nature de
l’approche (inductive vs déductive) mais également « par le degré de rupture avec les prénotions » (p. 125).
Un concept opératoire isolé est un concept induit. Il reste doublement vulnérable par le fait qu’il est construit
empiriquement, d’abord parce que, dans l’induction, on parle de ce que l’on perçoit avec l’œil et l’oreille de
Monsieur Tout-le-monde. On construit le concept à partir d’observations partielles et d’informations souvent
tronquées ou biaisées qui se présentent à nous. De plus, même lorsqu’elle est fondée sur la comparaison, la
confrontation ou l’analyse critique, la construction reste sujette aux influences plus ou moins inconscientes de
préjugés et schémas mentaux préconçus [et non explicités].
Pour construire le concept opératoire isolé, on part des indicateurs que le réel présente, on sélectionne, on
regroupe ou on combine. Dans la construction du concept systémique, la procédure est inverse. On commence
par raisonner à partir de paradigmes développés par les grands auteurs et dont l’efficacité a déjà pu être testée
empiriquement. On situe le concept par rapport à d’autres concepts et ensuite, par déductions en chaîne, on
dégage les dimensions, les composantes et les indicateurs.
Dans ce second scénario, l’indicateur est lui-même une construction de l’esprit, une conséquence logique d’un
raisonnement antérieur. Il ne présente plus un état de choses, mais désigne une catégorie mentale à laquelle
pourrait correspondre un fait, une trace, un signe, qui est à découvrir et dont l’absence ou la présence prendra
une signification particulière.
Que l’on procède par la méthode inductive ou déductive, la construction conduit toujours à opérer une sélection
sur le réel. Le problème crucial de toute construction conceptuelle est donc celui de la qualité de cette sélection.
Ainsi pour le concept systémique, la sélection est le produit d’une logique déductive et abstraite, ce qui est
considéré comme la manière la plus apte à rompre ave les préjugés. Pour le concept opératoire isolé, la sélection
repose aussi sur une construction, mais l’empirisme du procédé inductif le rend plus vulnérable aux préjugés. Le
concept opératoire isolé se situe donc à mi-chemin entre le concept systémique et les prénotions.
Au lieu de représenter les concepts opératoires isolés et les concepts systémiques selon le schéma linéaire d’un
rapport hiérarchique, il serait dans doute plus pertinent de les situer dans un rapport dialectique par lequel ils
s’éclairent et se défient mutuellement pour faire progresser la connaissance scientifique. Car finalement, ce qui
fait la valeur d’un concept, c’est aussi sa capacité heuristique, c'est-à-dire en quoi il nous aide à découvrir et à
comprendre. C’est le progrès qu’il apporte à l’élaboration des connaissances.
Source : Quivy et Campenhoudt, 2006, pp. 125-126

La méthode analytique permet ainsi, sur la base d’un raisonnement théorique, d’expliciter les
dimensions fondamentales d’un concept, le plus souvent sous la forme de dimensions
bipolaires. C’est le croisement de ces dimensions (bipolaires) qui est utilisé pour produire des
classes. Un exemple peut être tiré de Merton (1997) qui identifie quatre types de mode
d’adaptation individuelle (conformisme, innovation, ritualisme et évasion), par le croisement
de deux dimensions du concept d’adaptation (acceptation vs rejet des buts et acceptation vs
rejet des moyens) (cf. Tableau 31 ci-dessous).

Tableau 31 : Les quatre (plus un) types d’adaptation individuelle chez Merton

Adaptation vis-à-vis des moyens


Dimensions duales
acceptation rejet

acceptation conformisme innovation


Adaptation vis-à-vis des
buts
rejet ritualisme évasion

Note : un cinquième type « rébellion » est défini par Merton ; celui-ci recoupe à la fois l’acceptation et le rejet
des buts, ainsi que l’acceptation et le rejet des moyens ; il est l’expression, selon l’auteur, du refus des
principales valeurs et de l’introduction de valeurs nouvelles.
Source : adapté de Merton, 1997

180
Cette méthode permet ensuite par l’opérationnalisation des dimensions de placer par un
processus statistique les « individus » dans les catégories ainsi définies. Cette méthode
pourrait s’avérer intéressante, mais nous avons pris le partit d’utiliser la troisième voie, celle
de l’approche compréhensive idéaltypique, approche qui nous paraît la mieux adaptée à notre
objet d’étude. En effet, la méthode analytique semble souffrir d’un inconvénient majeur dans
le cas qui nous occupe, à savoir qu’elle devient difficilement utilisable lorsqu’il s’agit de
« mesurer » plus de deux dimensions (passage de l’espace à deux dimensions à un espace à n
dimensions). Notons d’ailleurs au passage que ces dimensions peuvent, en elles-mêmes, être
considérées déjà comme des types et mérite donc d’être fondée avec toute l’attention qu’il
convient d’y apporter.

La méthode idéaltypique, enfin, sera donc amplement développée dans le cadre de notre
travail, puisque c’est celle que nous avons choisie pour les différentes raisons que nous avons
déjà invoquées jusqu’à présent. Notons ainsi que si certains auteurs, à l’image de Kaufmann-
Hayoz et al. (2001)202, font référence à la méthode wébérienne dans le contexte de l’analyse
instrumentale des politiques publiques, cela ne l’est jamais de manière fidèle, notamment
puisqu’intégrée dans une perspective classificatrice. Or nous allons pouvoir le constater, il n’a
jamais été question d’utiliser les types idéaux comme système de classification dans la pensée
de Max Weber203.

Aussi et afin de cerner les tenants et aboutissants d’une utilisation fidèle de la méthode
compréhensive wébérienne à l’analyse instrumentale des politiques publiques par
l’intermédiaire de l’objet qui nous occupe, soit les instruments politiques (de protection de
l’environnement), nous avons jugé nécessaire de replacer brièvement cette dernière dans son
contexte théorique et épistémologique.

En effet, à l'image de toutes les sciences sociales, la science politique, en s'efforçant de


construire son objet et de définir ses méthodes d'observation et d'interprétation, a rencontré
certaines difficultés (Baudouin, 1998). Parmi celles-ci, la question portant sur les méthodes
d’appréhension de la réalité a soulevé, soulève encore, et selon nous ne cessera de soulever de
façon durable une controverse entre différents courants de pensée. Etayant les réflexions
méthodologiques en sciences sociales, cette controverse se doit ainsi d’être également
comprise dans un questionnement plus large d’ordre épistémologique204. C’est pourquoi nous
nous attacherons dans le chapitre qui suit à ne pas oublier d’y faire référence en insérant les
considérations méthodologiques exposées dans leur cadre épistémologique.

8.1 Contexte théorique et épistémologique

Selon Baudouin (1998), en science politique, comme au sein des sciences sociales de manière
plus générale, trois courants nourrissent la controverse dont nous venons de faire état sur les
méthodes d’appréhension des phénomènes sociaux : a) l’empirisme, qui donna naissance dans

202
Pour ces auteurs, la classification est et a toujours été un élément méthodologique important dans le
développement des sciences. Et si la procédure classique utilise le critère du « genus proximum » et du
« differentia specifica » pour produire un système logique de catégories distinctes, au sein des sciences sociales,
comme le relève à juste titre Kaufmann-Hayoz et al. (2001), c’est la notion de type qui a joué un rôle important
dans la discussion méthodologique, notamment depuis les publications de Max Weber (1904).
203
Qui, d’ailleurs, met en garde le chercheur contre l’erreur qui consisterait à emprunter cette mauvaise voie.
204
De l’ordre de la théorie de la connaissance.

181
le domaine de la science politique au courant behavioriste nord-américain, b) l’approche
positiviste d’Emile Durkheim et c) l’approche compréhensive de Max Weber.

Comme indiqué auparavant, notre choix méthodologique s’étant porté sur cette dernière
méthode, nous commencerons par introduire les deux premières approches afin de pouvoir
saisir les tenants et aboutissants de notre option.

8.1.1 De l’empirisme au positivisme


L’empirisme, considéré en tant que tradition philosophique, mais aussi et surtout en tant que
courant méthodologique205, prône « l'exaltation des faits » (Baudouin, 1998, p. 14). Les faits,
les faits, rien que les faits, pourrions-nous avancer. L’empirisme est « un ‘factualisme’ : il a la
religion du fait » (Baudouin, 1998, p. 14).

Conformément à la philosophie méthodologique prêchée par l’empirisme, le travail du


chercheur, ou devrions-nous plutôt dire de « l’observateur-cueilleur », pour faire référence à
notre ancêtre chasseur-cueilleur homo erectus, consiste à recueillir et à décrire les faits tels
qu’ils s’imposent à lui. Ces derniers sont un matériau brut qui ne nécessite aucun traitement
pour nous révéler leurs secrets. Ils « sont eux-mêmes porteurs de signification et ne laissent
[donc] au chercheur d'autre alternative que de les décrire avec minutie »206 (Baudouin, 1998,
p. 14). Voilà une conception de la recherche qui ne laisse donc guère de place à la subjectivité
du chercheur.

Dans le domaine de la science politique, l’empirisme donna naissance à un courant qui allait
dominer les recherches des politologues nord-américains pendant plus d’un demi-siècle : le
behaviorisme.

Selon Baudouin (1998), ce courant207 ne constitue qu’une « version raffinée de l’empirisme »


(p. 14) qui, dans le but de délivrer la science politique de l'abstraction, condamne « le parti-
pris propre à la philosophie politique et l'exigence conceptuelle chère aux fondateurs
européens des sciences sociales » (p. 14).

Aussi le politologue, n’ayant pas (ou plus) pour objectif d’expliquer mais de décrire, trouve-t-
il son salut dans la rigueur technique. Au travers de ses recherches, il ne considère que les
comportements (behavior) observés et donc observables. Dans le but d’enregistrer les faits, il
sollicite systématiquement les techniques quantitatives, statistiques et mathématiques. Enfin,
son activité de prédilection devient le travail de terrain.

Or, si le courant behavioriste, remarque Baudouin (1998), a offert à la science politique une
rigueur, une précision et un outillage technique dont elle avait besoin, son bilan reste tout de
même très contrasté. En effet, de multiples reproches peuvent lui être adressés, parmi lesquels
son obsession pour les faits quantifiables et directement observables, obsession qui pousse le
chercheur à faire porter ses recherches sur des processus visibles et non qualitatifs. Lui est
également reproché son caractère conservateur : il légitimerait l'ordre social en épousant
strictement les faits et en s'interdisant par la même occasion toute critique. Mais :

205
Dont Hume et Bacon furent les premières figures emblématiques.
206
Aussi, l’empirisme peut-il être qualifié de courant d’« appropriation immédiate du réel » (Baudouin, 1998, p.
14).
207
Qui s’est notamment développé sous l’impulsion de Merrian, Lasswell et Lazarsfeld.

182
la principale critique est, cependant, d'ordre épistémologique : les faits sont eux-mêmes
inintelligibles si l'observation n'est pas fécondée par un questionnement initial, par des
hypothèses de travail qu'il appartient au chercheur de ‘construire’ ou ‘d'imaginer’
(Baudouin, 1998, p. 16).

C’est ainsi en réaction à l'empirisme « qui rabaisse la pensée à la ‘cueillette de faits’ »


(Baudouin, 1998, p. 16), mais aussi à l'apriorisme « qui ignore l’expérience empirique pour
s’en tenir au verdict de la raison ou des sentiments » (p. 16), que s’est dressé le courant
positiviste, dont la paternité peut être attribuée au philosophe français Auguste Compte mais
qui a, à la suite de ce dernier, principalement été prolongé et enrichi par les réflexions du
grand sociologue français Émile Durkheim.

L'ambition scientifique de la théorie d’Émile Durkheim, exposée dans son célèbre ouvrage
Les règles de la méthode sociologique (1937/1977), se traduit par une approche de nature
scientifique208 des faits sociaux, faits qu’il faut considérer « comme des choses » (p. 15).

Selon Durkheim (1937/1977), les faits sociaux constituent « des manières d'agir, de penser et
de sentir extérieures à l'individu et qui sont douées d'un pouvoir de coercition qui s'imposent à
lui » (p. 5). Ils sont en eux-mêmes « détachés des sujets conscients qui se les représentent »
(p. 28) et sont susceptibles – tout comme les faits naturels – de faire l’objet d'une observation
rigoureuse, impersonnelle et quantifiable.

Pour parvenir à un minimum d'objectivité, le chercheur se doit alors d’étudier les faits sociaux
« du dehors comme des choses extérieures » (p. 28). A cette fin, il doit « écarter
systématiquement toutes les prénotions » (p. 31) et s’interdire « résolument l’emploi de ces
concepts qui se sont formés en dehors de la science et pour des besoins qui n’ont rien de
scientifique » (p. 32).

Enfin, pour expliquer un phénomène social, le chercheur se doit de « rechercher séparément la


cause efficiente qui le produit et la fonction qu’il remplit » (p. 95). Ainsi « l’explication
sociologique consiste exclusivement à établir des rapports de causalité » (p. 124) et, dans le
but de « démontrer qu’un phénomène est cause d’un autre » (p. 124), le chercheur ne possède
qu’un seul et unique moyen : « c’est de comparer les cas où ils sont simultanément présents
ou absents et de chercher si les variations qu’ils présentent dans ces différentes combinaisons
de circonstances témoignent que l’un dépend de l’autre » (p. 124).

A cette fin, deux méthodes peuvent être utilisées par le chercheur :

• la méthode expérimentale, telle qu’elle est mise en pratique dans le domaine des
« sciences dures » et qui consiste à contrôler de manière directe les variables
indépendantes209 par le bais de l’expérimentation ;

• ou la méthode comparative qui peut être qualifiée de méthode expérimentale indirecte


puisque le chercheur, confronté à l'impossibilité de contrôler directement les causes et
leurs effets, se doit de les contrôler indirectement en comparant des situations dans
lesquelles ils sont absents ou présents.

208
Une scientificité conçue à l’image de ce qui se fait alors dans le domaine des sciences naturelles, qualifiée,
par opposition aux sciences sociales, de « sciences exactes » ou « sciences dures ».
209
Ou causales.

183
Néanmoins, souligne Durkheim (1937/1977), puisque dans le domaine des sciences sociales
« les phénomènes sociaux échappent évidemment à l’action de l’opérateur (du chercheur), la
méthode comparative est la seule qui convienne » (p. 124).

Ainsi, l’approche positiviste peut être qualifiée d'explicative et d'objective puisqu’elle


souligne l’importance pour le chercheur en sciences sociales d’exclure tous préjugés ou
jugements de valeurs pour produire, à l’image du chercheur en « sciences exactes », une
explication causale des faits sociaux.

8.1.2 L’approche compréhensive de la réalité sociale


La tradition positiviste qu’Emile Durkheim a grandement contribué à imposer dans le
domaine de la recherche en sciences sociales a été remise en question par les écrits du célèbre
sociologue allemand Max Weber (Baudouin, 1998). Et même si, comme nous pourrons le
constater par la suite, la conception wébérienne de la scientificité des sciences sociales ne
conteste pas l’intégralité du message positiviste, elle s’en démarque néanmoins fortement en
rétablissant une part certaine de subjectivité dans la démarche du chercheur (cf. Encadré 15
ci-après).

En vertu de la conception wébérienne du monde, la matière sociale est inépuisable et d'une


excessive complexité et la réalité ne peut donc être comprise dans sa globalité. Dans cette
perspective, le chercheur, qui doit « repérer des régularités et élaborer des lois générales
[…] » (Baudouin, 1998, p. 21) de nature causale, se doit au préalable de « forger des concepts
propres à expliciter les faits sociaux » (p. 21).

Par conséquent, l’approche wébérienne souligne l'importance de la conceptualisation du


monde pour expliciter les faits sociaux. En comparaison avec l'approche explicative et
objective du positivisme, cette approche peut ainsi être qualifiée de compréhensive et de
subjective puisqu’elle réhabilite la subjectivité du chercheur en sciences sociales. Pour
comprendre l’activité sociale, nous nous devons donc aussi de l’interpréter. Rappelons ici que
du point de vue de l’empirisme, « non seulement l'élaboration des concepts n'est pas
nécessaire, mais elle ne peut que brouiller la compréhension des faits ou l'égarer vers la
spéculation idéologique » (Baudouin, 1998, p. 14). Ces deux visions de la science sont donc
en réelle opposition.

Encadré 15 : La réhabilitation de la subjectivité dans la démarche du chercheur


La réhabilitation de la subjectivité au sein de la démarche du chercheur en sciences sociales a notamment été
soutenue par Dilthey (1900/1995) qui, dans son approche du fondement scientifique des sciences humaines,
oppose les sciences de l'esprit aux sciences de la nature et récuse le positivisme en tant qu'application à l'analyse
des sciences de l'esprit. Selon lui, ces dernières se prêtent à la méthode compréhensive qui, au contraire de la
méthode explicative, n'écarte pas la subjectivité du chercheur. Celui-ci doit dès lors exécuter un travail
d'interprétation dans le but de donner du sens aux phénomènes qu'il étudie.
Cette idée se retrouve également chez Held (1991) qui s'intéresse plus particulièrement au domaine de la théorie
politique. Pour lui, la nature de la théorie politique est d'étudier des concepts qui ne sont pas directement
observables en tent que tels dans la société (tels que ceux de souveraineté, de classe sociale, de domination
politique). Cette nature se prête donc à l'interprétation et la subjectivité du chercheur n'est plus considérée
comme un piège en tout point. Cette dimension interprétative de la théorie politique se fonde sur la science
herméneutique qui dégage des règles d'interprétation. Dans ce sens, Held définit le champ d'investigation de la
théorie politique autour des quatre pôles suivants : le contexte, l'analyse conceptuelle (signification des
concepts), la question des valeurs et la modélisation. Il en sera de même pour Weber.
Source : adapté de Dilthey (1900/1995) et Held (1991)

184
Dans le but d’illustrer nos propos soulignons les définitions que donne Weber (1956/1995)
des notions de sociologie et de compréhension :

Nous appelons sociologie (au sens où nous entendons ici ce terme utilisé avec beaucoup
d’équivoques) une science qui se propose de comprendre par interprétation [deutend
verstehen] l’activité sociale et par là d’expliquer causalement [ursächlich erklären] son
déroulement et ses effets. Nous entendons par « activité » [Handeln] un comportement
humain […], quand et pour autant que l’agent ou les agents lui communiquent un sens
subjectif. Et par activité « sociale », l’activité qui, d’après son sens visé [gemeinten Sinn]
par l’agent ou les agents, se rapporte au comportement d’autrui, par rapport auquel
s’oriente son déroulement. (p. 28)

Dans tous les cas, « comprendre » signifie saisir par interprétation le sens ou l’ensemble
significatif visé (a) réellement dans un cas particulier (dans une étude historique par
exemple), (b) en moyenne ou approximativement (dans l’étude sociologique des masses
par exemple), (c) à construire scientifiquement (sens « idéaltypique ») pour dégager le
type pur (idéaltype) d’un phénomène se manifestant avec une certaine fréquence. (p. 35)

Ainsi, et comme le remarque très justement Raynaud (2001), au sein de la démarche


wébérienne, la compréhension n’est utile que dans le but avoué de générer une explication
causale « qui seule peut vérifier l’objectivité des constructions scientifiques » (p. 1211).
« C’est donc bien l’idéal d’une science ‘objective’ » (p. 1211) qui, selon la conception
wébérienne de la démarche scientifique en sciences sociales, oriente la recherche. D’ailleurs,
comme le souligne ce même auteur, « la compréhension doit être vérifiée par l’explication
parce que, en elles-mêmes, les analyses compréhensives n’ont qu’une valeur hypothétique
[…]. » (p. 1209).

L’approche compréhensive wébérienne ne dispense donc pas le chercheur d’établir les


relations sur le plan causal mais signale l’importance d’une étape préliminaire par laquelle le
chercheur doit (obligatoirement) passer pour donner sens à la réalité sociale qui fait l’objet de
ses recherches.

Ainsi et contrairement à la démarche scientifique prônée par le positivisme d’Émile


Durkheim, la démarche wébérienne insiste sur le fait que c’est au chercheur de donner un sens
à l’activité humaine et, par conséquent, d’élaborer l’outil conceptuel dont il va se servir pour
l’interpréter.

Par contre, nous devons relever que si la méthodologie positiviste prônée par Durkheim dans
ses écrits se refuse à toute interprétation de la réalité et rejette en cela la subjectivité du
chercheur, il n’en va pas de même dans sa pratique. Dès lors l’opposition faite entre la
méthode compréhensive wébérienne et l’approche positiviste (notamment mise en avant dans
la littérature spécialisée) ne serait en réalité qu’un « effet de style ».

En effet, selon la thèse soutenue par Boudon (1994), si dans son discours méthodologique
Durkheim prêche une épistémologie empiriste, dans sa pratique scientifique210 il applique une
méthodologie de la compréhension et ainsi « pratique une épistémologie non empiriste proche
de celle de Weber » (p. 104). Aussi, comme le souligne l’auteur, derrière l’analyse des
corrélations employée par Durkheim (1897) dans son ouvrage sur l’étude sociologique du

210
C’est-à-dire dans ses analyses et ses travaux empiriques.

185
suicide211 peut-on sans grande difficulté découvrir une analyse compréhensive du
comportement.

Dès lors ne devons-nous pas voir dans ce constat un aveu qui consiste à reconnaître que dans
le domaine des sciences sociales l'observation empirique seule ne suffit pas pour accéder à la
connaissance de la réalité, d’une part, et que, d'autre part, l'observation n'est pas un fait
complètement objectif : la subjectivité du chercheur intervient (nécessairement) dans la
perception de la réalité. Ce dernier n'est pas passif mais au contraire actif au sein du processus
de connaissance.

Concédons toutefois que la réalité n'est pas complètement ouverte à la subjectivité et que
toutes les interprétations ne sont pas possibles. Il s’agit dès lors pour le chercheur de ne pas
tomber dans le travers qui consisterait à prendre son interprétation de la réalité pour ce qu’elle
n’est pas, à savoir la réalité en elle-même. Comme nous allons pouvoir le constater, la
méthodologie wébérienne ne tombe pas dans ce travers et est donc de ce point de vue très
intéressante à appliquer dans le domaine des typologies d’instruments politiques.

8.2 La méthode idéaltypique

Conformément à sa vision du monde Weber (1951/1965) élabore une méthode dont l'objectif
est de construire des concepts propres à expliciter l’activité sociale : la méthode idéaltypique.
Il en fera toute la démonstration dans son ouvrage L’éthique protestante et l’esprit du
capitalisme (Weber, 1947/1967).

La démarche wébérienne, nous l’avons vu, consiste à comprendre l'activité sociale par
interprétation. A cette fin Weber (1951/1965) propose au chercheur d’utiliser un instrument
méthodologique : l’idéaltype (Idealtypus). Le travail de ce dernier va donc consister à
construire de tels « concepts typiques »212 :

On obtient un idéaltype en accentuant unilatéralement un ou plusieurs points de vue et en


enchaînant une multitude de phénomènes donnés isolément, diffus et discrets, que l’on
trouve tantôt en grand nombre, tantôt en petit nombre et par endroits pas du tout, qu’on
ordonne selon les précédents points de vues choisis unilatéralement, pour former un
tableau de pensée homogène [einheitlich]. On ne trouvera nulle part empiriquement un
pareil tableau dans sa pureté conceptuelle : il est une utopie. Le travail historique aura
pour tâche de déterminer dans chaque cas particulier combien la réalité se rapproche ou
s’écarte de ce tableau idéal […]. (p. 181)

Selon Weber (1951/1965), l’idéaltype n’est pas en soi une hypothèse. Au contraire, il doit être
utilisé en tant que guide pour l’élaboration d’hypothèses. Il représente en cela un moyen
heuristique qui ne doit en aucun cas être utilisé pour rendre compte de la réalité mais bel et
bien pour la lui comparer : les idéaltypes « ont une très grande valeur heuristique pour la
recherche et une très grande valeur systématique pour l’exposé, si on les utilise simplement
comme moyens conceptuels pour comparer et mesurer à eux la réalité » (p. 191 – 192).

211
Très souvent donnée en exemple pour illustrer la méthodologie durkheimienne.
212
En lieu et place du terme d’idéaltype, Weber (1951/1965) utilise des notions telles que celles de concept, de
concept idéaltypique, d’idée ou encore de tableau idéal, de tableau de pensée homogène et d’utopie, qui le
recoupent ou en sont des synonymes.

186
Dans ce sens, soulignons également que si l’idéaltype constitue un tableau de pensée :

il n’est pas la réalité historique ni surtout la réalité « authentique », il sert encore moins
de schéma dans lequel on pourrait ordonner la réalité à titre d’exemplaire. Il n’a d’autre
signification que d’un concept limite [Grenzbegrift] purement idéal, auquel on mesure
[messen] la réalité pour clarifier le contenu empirique de certains éléments importants, et
avec lequel on la compare. (p. 185)

Construire de tels concepts idéaltypiques autorise donc le chercheur à prendre conscience de


la nature singulière d’un phénomène social et non pas de ce qui est générique.

Pour illustrer de manière concrète le terme d’idéaltype, Weber (1951/1965) fait, entre autre,
référence au modèle de l’économie de marché, qui selon lui, est un concept idéaltypique :

La théorie abstraite de l’économie nous offre justement un exemple de ces sortes de


synthèse qu’on désigne habituellement par « idées » [Ideen] des phénomènes historiques.
Elle nous présente, en effet, un tableau idéal [idealbild] des événements qui ont lieu sur le
marché des biens, dans le cas d’une société organisée selon le principe de l’échange, de la
libre concurrence et d’une activité strictement rationnelle. Ce tableau de pensée
[Gedankenbild] réunit des relations et des événements déterminés de la vie historique en
un cosmos non contradictoire de relations pensées. Par son contenu, cette construction a
le caractère d’une utopie que l’on obtient en accentuant par la pensée [gedankliche
Steigerung] des éléments déterminés de la réalité. Son rapport avec les faits donnés
empiriquement consiste simplement en ceci : là où on constate ou soupçonne que des
relations, du genre de celles qui sont présentées abstraitement dans la construction
précitée, en l’espèce celles des événements qui dépendent du « marché », ont eu à un
degré quelconque une action dans la réalité, nous pouvons nous représenter
pragmatiquement, de façon intuitive et compréhensible, la nature particulière de ces
relations d’après un idéaltype [Idealtypus]. » (Weber, 1951/1965, pp. 179- 180)

Ainsi et pour établir une première synthèse de nos propos dans la perspective méthodologique
qui est la nôtre, soit rappelons-le, de disposer d’une typologie idéaltypique d’instruments
politique, est-il intéressant de mettre l’accent de manière illustrée (cf. Figure 15 ci-après) sur
la différence avancée par Weber entre, d’une part, l’instrument de compréhension qu’est
l’idéaltype et, d’autre part, la réalité (complexe par nature) qu’il se doit d’interpréter en
prenant l’exemple du marché.

La méthode idéaltypique relève donc d’une approche hypothético-déductive qui souligne


l’importance du travail théorique et conceptuel dans le sens où tout concept est en soi
l’aboutissement d’un exercice de rationalisation et de réduction de la réalité (complexe) qu’il
se veut appréhender et donc un point de vue (parmi d’autres) sur celle-ci.

Notons ainsi avec Quivy et Campenhoudt (2006) qu’un concept (hypothético-déductif) :

est bien plus qu’une simple définition ou qu’une simple notion. Il implique une
conception particulière de la réalité étudiée, une manière de la considérer et de
l’interroger. (p.86)

La rigueur déductive et synthétique caractérise les concepts systémiques. Leur


construction repose sur la logique des relations entre les éléments d’un système. Le
concept systémique n’est pas induit par l’expérience ; il est construit par raisonnement
abstrait : déduction, analogie, opposition, implication, etc., même s’il s’inspire forcément
du comportement des objets réels et des connaissances acquises antérieurement sur ces

187
objets. Dans la plupart des cas ce travail abstrait s’articule à l’un ou l’autre cadre de
pensée plus général, que l’on appelle une théorie générale ou un paradigme. (p. 119)

Figure 15 : Différence entre théorie et réalité

Marché « idéel »
THEORIE
Rationalité de l’homoeconomicus, Offre /
Compréhension des phénomènes
Demande, transparence, concurrence
sociaux
parfaite, information parfaite, …

REALITE
EMPIRIE / REALITE
Comportements irrationnels (valeurs,
COMPLEXITE
affects), information imparfaite,
Phénomènes sociaux complexes
concurrence imparfaite, ...

Source : l’auteur

Dans cette perspective, confondre théorie et réalité, réalité et théorie relève de l’erreur à ne
pas commettre et toute tentative de compréhension (et d’explication) d’un phénomène
complexe nécessite donc un effort marqué de conceptualisation, qui au demeurant ne
constitue pas un but en soi, mais un moyen de compréhension.

Ainsi, et comme le souligne Weber (1951/1965), « la construction d’idéaltypes abstraits


n’entre pas en ligne de compte comme but, mais uniquement comme moyen de la
connaissance » (p. 183). Elle ne doit être utilisée qu'à des fins de comparaison avec la réalité
et toute interprétation découlant de la comparaison de la réalité à un idéaltype n’est « jamais
en elle-même qu’une hypothèse causale » (Weber, 1956/1995, p. 35).

Notons tout de même que Weber (1951/1965) met en garde le chercheur contre une utilisation
inappropriée de l’outil conceptuel qu’il aura construit et qui consisterait à le hisser au rang de
type exemplaire en lui concédant une dimension normative. Aussi un idéaltype représente un
danger si l'on croit posséder en lui une construction ayant une validité empirique et le
chercheur ne doit pas percevoir dans son instrument un type idéal, au sens usuel et évaluatif
du terme, mais bel et bien un type idéal, au sens moins coutumier d’idée213.

Le chercheur doit dès lors séparer de manière rigoureuse la notion d’idéaltype, qui est idéal
« dans un sens purement logique, de la notion du devoir-être ou de ‘modèle’ » (Weber,
1951/1965, p. 183). Il ne doit donc en aucun cas utiliser les idéaltypes qu’il a construits en
tant que modèles idéaux et leur faire revendiquer une quelconque validité empirique dans la
perspective d’évaluer (au sens de juger) la réalité. Dans un tels cas, les idéaltypes « ne sont
évidemment plus des auxiliaires purement logiques ni non plus des concepts auxquels on
mesure par comparaison la réalité, mais des idéaux à partir desquels on juge la réalité en
l’évaluant » (p. 192) et l’outil du chercheur « s’enfonce dans la région de l’interprétation
évaluative […] : on quitte [dès lors] le domaine de la science empirique et l’on se trouve en
présence d’une profession de foi personnelle et non plus d’une construction conceptuelle

213
Et si tel n’était pas le cas, Weber (1956/1995) dirait sans doute que le chercheur laisserait alors « surgir
l’‘idée’ [le type idéal] au sens d’idéal de l’‘idée’ au sens d’‘idéaltype’ » (p. 193).

188
proprement idéaltypique » (pp. 192-193). Par conséquent, et comme se plait à le répéter
Weber, l’idéaltype est « quelque chose d’entièrement indépendant de l’appréciation
évaluative » (p. 193).

Enfin, pour obtenir une bonne compréhension de ce qu’est un concept idéaltypique (un
idéaltype), il est nécessaire de souligner l’importance et la place que tient la rationalité dans la
mise en œuvre de l’instrument. Weber (1956/1995) nous rappelle ainsi le rôle que joue la
rationalité dans la construction des idéaltypes :

Pour l’étude scientifique qui construit des types [typenbilde], la façon la plus pertinente
d’analyser et d’exposer toutes relations significatives irrationnelles du comportement,
conditionnées par l’affectivité et exerçant une influence sur l’activité, consiste à les
considérer comme des « déviations » [Ablenkungen] d’une déroulement de l’activité en
question, construit sur la base de la pure rationalité en finalité.[…] à propos d’une
entreprise militaire ou politique, on établira d’abord de façon appropriée comment
l’activité se serait déroulée si les acteurs avaient eu connaissance de toutes les
circonstances et de toutes les intentions des participants et s’ils avaient choisi les moyens
selon la stricte rationalité des fins en s’orientant d’après les règles de l’expérience qui
nous apparaissent comme valables. Ce n’est qu’ainsi qu’il est possible ensuite d’imputer
causalement les déviations aux éléments irrationnels qui les ont conditionnées. Grâce à
son évidente compréhensibilité et à son univocité [Eindeutikeit] – corollaire de sa
rationalité – la construction d’une activité strictement rationnelle en finalité sert, dans ces
cas, de « type » [Idealtypus] à la sociologie, afin de comprendre l’activité réelle,
influencée par des irrationalités de toute sorte (affections, erreurs), comme une
« déviation » par rapport au déroulement qu’il aurait fallu attendre dans l’hypothèse d’un
comportement purement rationnel. (pp. 31-32)

Cependant, Weber (1956/1995) nous met en garde contre un faux procès que l’on pourrait
dresser à l’encontre de sa méthodologie et qui consisterai à lui imputer un préjugé
rationaliste :

C’est dans cette mesure et uniquement pour ces raisons de convenance méthodologique
que la méthode de la sociologie « compréhensive » est « rationaliste ». Il ne faut donc
évidemment pas entendre ce procédé comme un préjugé rationaliste qu’impliquerait la
sociologie, mais seulement comme un moyen méthodologique, et, par conséquent il ne
faudrait pas l’interpréter inexactement au sens d’une croyance en la prédominance
effective du rationnel dans la vie humaine. (p. 32)

Ainsi, en guise de synthèse et pour tenter de donner une définition récapitulative de la notion
d’idéaltype, nous pouvons dire qu’un idéaltype (voir notamment Baudouin, 1998, Javeau,
1994, Morand, 1999, Raynaud, 2001 et Urio, 1984) :

• consiste en un concept que nous qualifierions d’idéel, pour reprendre la terminologie


employée par Javeau (1994) ;

• que ce concept idéel tire sa substance d’un exercice intellectuel de rationalisation en


finalité214 d’un phénomène social, exercice exécuté par le chercheur en accentuant
unilatéralement un ensemble de traits significatifs du dit phénomène social ;

214
Les concepts wébériens de rationalité en finalité et de rationalité en valeur, ainsi que d’affectivité seront
définis par la suite.

189
• cela afin de posséder un outil conceptuel lui ouvrant les clés de la compréhension et
dont l’utilité et la valeur heuristique réside dans son aptitude à être comparé à une
réalité trop complexe pour être comprise dans sa globalité ;

• compréhension qui passe donc par la mesure des écarts (et donc, par « effet miroir »,
également des similitudes) entre le concept et la réalité pour en faire ressortir les
éléments singuliers (et donc, par « effet miroir » également similaires).

Il découle de cette définition que l’idéaltype, en tant qu’instrument conceptuel de


connaissance par abstraction ne possède jamais d'équivalent strict dans l'empirie, se distingue
donc nécessairement de la réalité sociale et n’est jamais un type moyen, ni un concept
statistique.

Aussi et pour reprendre la représentation imagée que nous avons établie entre théorie et
empirie, et pour la développer dans la perspective de disposer d’une typologie idéaltypique
d’instruments politiques, nous pouvons dire que cette dernière se positionne au niveau de la
théorie (types d’instruments en tant que concepts idéels) alors que la réalité instrumentale
(instruments concrets) qui se veut être étudiée se situe dans un champ de complexité (cf.
Figure 16 ci-dessous) ; la méthode envisagée pour l’opérationnalisation de la variable type
d’instruments étant la comparaison entre ces deux niveaux.

Figure 16 : Différence entre types d’instruments et réalité instrumentale

Typologie d’instruments
THEORIE (concepts idéaltypiques)
constructions rationnelles en finalité

COMPARAISON

Réalité instrumentales telle que nous


EMPIRIE / REALITE
pouvons l’étudier
COMPLEXITE
(instruments concrets)

Source : l’auteur

8.3 Deux exemples de typologie wébérienne

Afin de se familiariser avec les typologies idéaltypiques, nous allons exposer brièvement deux
typologies élaborées par Weber telles qu’elles se trouvent énoncées dans son ouvrage
posthume Économie et société (Weber, 1956/1995). Cet exercice nous permettra, d’une part,
de mieux comprendre comment se construit une typologie (via un exercice de rationalisation
en finalité) mais aussi et peut-être surtout, d’autre part, de nous donner des éléments de
compréhension qui nous seront utiles pour la construction de notre propre typologie
d’instruments politiques (de protection de l’environnement), notamment dans la mesure où

190
ces deux exemples sont en relation directe avec l’activité sociale (le comportement humain),
pour le premier, et le pouvoir de l’Etat, pour le second.

8.3.1 Les quatre types wébériens d’activités sociales


Selon Weber (1956/1995,), il existe quatre types d’activité sociale définis en fonction du
mode qui les anime. Ainsi, toute activité sociale peut être déterminée a) d’une manière
rationnelle en finalité, b) d’une manière rationnelle en valeur, c) d’une manière affective215 et
en particulier émotionnelle et d) d’une manière traditionnelle ou coutumière.

De là, Weber construit une typologie des activités sociales qui comprend quatre types d’action
et/ou de comportement : l’action rationnelle en finalité (ou action rationnelle orientée vers une
fin), l’action rationnelle en valeur, le comportement affectif et/ou émotionnel et le
comportement traditionnel et/ou coutumier216.

Remarquons d’ores et déjà que Weber ne place pas les quatre formes d’action sur un plan
identique. En effet, selon lui, l’action rationnelle en finalité et l’action rationnelle en valeur
participent à un plus haut degré de l’activité orientée significativement alors que l’activité
traditionnelle et l’activité affective représentent des cas limites d’activité orientée de manière
significativement consciente, qui se situent même souvent au-delà de cette limite et qui
constituent en ce sens des comportements.

Rappelons dans ce sens que, selon Weber (1956/1995), une activité représente « un
comportement humain […], quand et pour autant que l’agent ou les agents lui communiquent
un sens subjectif » (p. 28). Ainsi pouvons-nous constater que Weber fait appel à la distinction
entre activité consciente et activité inconsciente pour identifier les activités rationnelles en
finalité et en valeur des comportements traditionnels et affectifs.

Selon Weber (1956/1995), le comportement traditionnel (ou coutumier) est généré par
réaction à des stimuli habituels et relève d’une attitude systématique acquise par le passé,
alors que le comportement affectif (ou émotionnel), est commandé par des passions et des
sentiments. Ce dernier se différencie de l’action rationnelle en valeur par le fait que celle-ci
soit pilotée d’une manière consciente vers « les points de direction ultimes de l’activité et
s’oriente d’après ceux-ci d’une manière méthodiquement conséquente » (p. 56). Il s’en
rapproche néanmoins « par le fait que pour l’une et l’autre [l’orientation affective et
l’orientation rationnelle en valeur de l’activité] le sens de l’activité ne se situe pas dans le
résultat, conçu comme étant au-delà d’elle-même, mais dans l’activité ayant comme telle une
nature déterminée » (p. 56).

Aussi, pour Weber (1956/1995) :

Comme tout autre activité, l’activité sociale peut être déterminée : a) de façon rationnelle
en finalité [zweckrational], par des expectations du comportement des objets du monde
extérieur ou de celui d’autres hommes, en exploitant ces expectations comme
« conditions » ou comme « moyens » pour parvenir rationnellement aux fins propres,
mûrement réfléchies, qu’on veut atteindre ; b) de façon rationnelle en valeur

215
Affectuelle (affektuel) dans le texte.
216
En d’autres termes, l’activité sociale, comme toute autre activité, peut être orientée en fonction d’une fin
(rationalité en finalité), fondée sur la base d’une valeur (rationalité en valeur), déterminée de manière affectuelle
(cas d’activité limite) ou déterminée de manière traditionnelle (cas d’activité limite).

191
[wertrational], par la croyance en la valeur intrinsèque inconditionnelle – d’ordre
éthique. Esthétique, religieux ou autre – d’un comportement déterminé qui vaut pour lui-
même et indépendamment de son résultat ; de façon affectuelle [affektuel], et
particulièrement émotionnelle, par des passions et des sentiments actuels ; d) de façon
traditionnelle [traditional], par coutume invétérée. (p. 55)

Dans ce sens :

Agit de manière purement rationnelle en valeur celui qui agit sans tenir compte des
conséquences prévisibles de ses actes, au service qu’il est de sa conviction portant sur ce
qui lui apparaît comme commandé par le devoir, la dignité, la beauté […] ou la grandeur
d’une « cause », qu’elle qu’en soit la nature. (p. 56)

Agit de façon rationnelle en finalité celui qui oriente son activité d’après les fins, moyens
et conséquences subsidiaires [Nebenfolge] et qui confronte en même temps
rationnellement les moyens et la fin, la fin et les conséquences subsidiaires et enfin les
diverses fins possibles entre elles. En tous cas, celui-là n’opère ni par expression des
affects (et surtout pas émotionnel) ni par tradition. (p. 57)

Notons cependant que, selon Weber (1956/1995), l’activité rationnelle en finalité et l’activité
rationnelle en valeur entretiennent des rapports très divers. Ainsi, nous pouvons dire d’une
activité qu’elle est orientée rationnellement en finalité au niveau des moyens si d’aventure le
choix entre des fins et des conséquences concurrentes ou antagonistes est orientée
rationnellement en valeur. Néanmoins, l’action rationnelle en valeur se distingue toujours de
l’action rationnelle en finalité dans le sens où elle est toujours frappée d’une irrationalité.

Notons pour conclure que ces quatre types d’activité, bien sûr, n’existent pas dans leur forme
la plus pure dans la réalité : ils ne sont pas la réalité. De plus, la typologie wébérienne ne se
veut pas être exhaustive217 et les activités réelles ne s’orientent pratiquement jamais
uniquement d’après l’un de ces types. Enfin, comme nous avons déjà pu le constater, en ce
qui concerne la rationalité en valeur et la rationalité en finalité, leurs frontières restent le plus
souvent floues. Dans ce sens, relevons encore que, selon Weber (1956/1995), le
comportement traditionnel peut découler d’une activité consciente par un processus
d’affection aux coutumes et se rapproche dès lors du comportement affectif. De plus, « nous
avons à faire à une sublimation lorsque l’activité conditionnée par les affects apparaît comme
un effort conscient pour soulager un sentiment ; dans ce cas, elle se rapproche la plupart du
temps (mais pas toujours) d’une ‘rationalisation en valeur’, où d’une activité en finalité ou des
deux à la fois » (p. 56).

8.3.2 La conception wébérienne du pouvoir : les trois types de domination légitime


Selon Weber (1956/1995), une distinction est à opérer entre les concepts de puissance et de
domination :

Puissance [Macht] signifie toute chance de faire triompher au sein d’une relation sociale
sa propre volonté, même contre des résistances, peu importe sur quoi repose cette chance.
Domination [Herrschaft] signifie la chance de trouver des personnes déterminables prêtes
à obéir à un ordre [Befehl] de contenu déterminé. (p. 95)

217
Ce ne serait d’ailleurs pas son rôle.

192
La puissance (Macht) constitue donc cette capacité absolue – à sens unique dirons-nous – qui
permet à celui qui la détient de faire prévaloir sa propre volonté par tous les moyens au sein
d’une relation sociale. Quant au concept de domination218, il traduit la tendance qu’a le
pouvoir à chercher à se légitimer vis-à-vis des dominés (processus d’adhésion au pouvoir) et
évoque donc le phénomène par lequel un groupe d’individus se soumet aux ordres d’autrui219
et lui obéit. « Il [le pouvoir légitime] ne peut que signifier la chance pour un ordre de
rencontrer une docilité » (Weber, 1956/1995, p. 95) et admet la force en dernier recours !

Par ailleurs, selon Weber (1956/1995), toute domination (ou autorité) sur un nombre
important d’individus nécessite, le plus souvent, une direction administrative (un état-major
d’individus) qui octroie au(x) détenteur(s) du pouvoir l’assurance d’exercer sa domination et
qui se doit de lui (leur) obéir. Ce lien d’obéissance qui lie le(s) détenteur(s) du pouvoir à son
administration comprend quatre types de fondement dont la nature détermine en grande partie
le type de domination : des motifs coutumiers (la coutume), des motifs affectifs (ou
affectuels), des motifs rationnels en finalité (intérêt matériel ou motifs matériels) et des motifs
rationnels en valeur (des mobiles idéaux). Néanmoins, ces différents motifs ne peuvent établir
à eux seuls les bases solides d’une domination. Tout pouvoir ne se contente donc jamais de
fonder sa domination sur ces seules raisons mais tente également de fonder sa domination sur
un facteur décisif, de nature plus large, qui consiste à susciter puis à préserver la foi en sa
légitimité. Voilà le secret du pouvoir de domination : « la croyance en la légitimité » (p. 286).

Sur cette base, Weber (1956/1995) va alors développer trois types de pouvoir légitime220 qu’il
va définir en fonction du genre de légitimité qu’ils revendiquent : la domination légale, la
domination traditionnelle et la domination charismatique.

Chaque type de domination possède ainsi une légitimité dont la validité revêt, pour la
première, un caractère rationnel fondé sur la croyance en la légalité, pour la deuxième, un
caractère traditionnel et, pour la troisième, un caractère charismatique221.

Enfin, à chaque type de domination légitime, Weber (1956/1995) fait également correspondre
un type de direction administrative : au type le plus pur de domination légale correspond
l’administration bureaucratique (la bureaucratie), à la domination traditionnelle correspond
une administration personnelle (patrimonialisme et sultanisme) ou aucune administration
(dans le cas des types primaires de domination traditionnelle tels que la gérontocratie et le
patriarcalisme) et à la domination charismatique correspond une administration « affective »
composée d’adeptes ou de fidèles222.

218
Comme l’a relevé Urio (1984), le terme allemand Herrschaft employé par Max Weber n’est pas sans poser
des problèmes pour les traducteurs qui proposent de le traduire par les termes de domination, mais aussi
d’autorité ou de pouvoir. Nous les utiliserons comme des synonymes.
219
Autrui qui peut être un ou plusieurs.
220
Ou de domination légitime.
221
Pour plus de détails, nous renvoyons le lecteur à Weber (1956/1995) : pour la domination légale au § 3, pp.
291-294 ; pour la domination traditionnelle, notamment au § 6, pp. 301-303 ; pour la domination charismatique
au § 10, notamment aux points 1 et 2, pp. 322-223).
222
Pour plus de détails, nous renvoyons le lecteur à Weber (1956/1995) : pour la bureaucratie au § 4, pp. 294-
297 ; pour l’administration personnelle au § 7a, pp. 307-312 ; pour l’administration « affectives » au § 10, point
3, pp. 322-223.

193
Chapitre 9 Essais d’une typologie idéaltypique d’instruments
politiques – théorie basique de l’activité humaine

Toutes typologies d’instruments politiques devraient pouvoir être capables d’appréhender la


complexité de la réalité instrumentale. Selon nous, cette nécessité implique notamment de
fonder sa typologie sur une théorie (basique) de l’activité humaine qui puisse mettre en
exergue la relation de régulation existante entre, d’une part, l’Etat (activité étatique) et,
d’autre part, les acteurs ciblés par ce dernier (acteurs-cibles). D’autre part, elle peut être
remplie par le biais d’une méthode de nature idéaltypique.

Aussi et conformément à la méthode idéaltypique wébérienne envisagée, nous faisons reposer


le fondement théorique de notre typologie – qui se doit de s’appuyer sur un exercice de
rationalisation en finalité223 – sur une question (basique) qui consiste à se demander comment
l’Etat peut-il agir sur les comportements humains (l’activité humaine) ?

En réponse à cette question, nous avons émis l’hypothèse selon laquelle l’Etat pouvait
modifier les comportements humains en agissant sur les leviers comportementaux qui les
déterminent, soit en d’autres termes sur les déterminants de l’activité humaine.

Ainsi, pour reprendre les termes de Schneider et Ingram (1990), notre typologie est fondée sur
des « hypothèses comportementales sous-jacentes aux instruments politiques [behavioral
assumptions of policy tools] » (p. 510) et pour aller dans le sens de Kaufmann-Hayoz et al.
(2001), elle est donc résolument « orientée acteurs [actors oriented] ».

Dans la perspective méthodologique qui est la nôtre, nous proposons donc de faire reposer cet
exercice de rationalisation en finalité sur l’établissement d’une théorie (basique) de l’activité
humaine qui comprend trois étapes :

1. la définition des postulats de départ ;

2. l’identification des déterminants de l’activité humaine ;

3. et la typologie idéaltypique en elle-même.

Ces trois étapes sont en étroite interdépendance et ne peuvent être comprises l’une sans
l’autre.

9.1 Les postulats de départs

Construire une typologie consiste donc en un exercice de rationalisation qui nécessite, dans un
premier temps, d’énoncer de manière explicite les « postulats »224 de départ et les définitions
des termes qui en constitueront le fondement rationnel.

Notre typologie d’instrument se fonde sur sept postulats relatifs à la nature et au fondement de
l’intervention étatique dans le domaine de la protection de l’environnement et du climat, à une
223
Par opposition aux typologies empiriques qui, pour rappel, ont pour « point de départ » le monde empirique.
224
Un postulat est un principe premier, un axiome de base, non démontré et dont l’admission est nécessaire pour
établir une démonstration (Simos, 1990).

194
définition de la notion d’instruments politiques, à la rationalité des acteurs (climatiques) et à
leurs systèmes de référence et aux déterminants de l’activité humaine.

9.1.1 De la nature de l’intervention étatique


Toute intervention de l’Etat sur la société (et spécialement dans le domaine de la protection de
l’environnement) se traduit nécessairement par une action destinée à agir sur les activités
humaines.

Ce postulat peut paraître d’une nature pour le moins triviale, cependant il constitue le
fondement rationnel du raisonnement qui nous permettra de construire notre typologie.

Par agir sur les activités humaines, nous entendons le fait d’influencer de quelque manière
que ce soit l’activité humaine afin d’influer sur son cours ou d’en susciter une nouvelle.
Mettre en œuvre une politique publique visant à modifier un comportement, à l’interdire ou à
en susciter un nouveau constitue quelques exemples de ce que nous qualifierons d’action ou
d’intervention étatique.

Par activités humaines, nous entendons l’ensemble des activités ou des comportements des
acteurs sociaux individuels (un consommateur, un automobiliste, etc.) ou organisationnels225
(une entreprise privée, une administration publique, etc.). Activités et comportements sont
donc pour nous des synonymes et nous comprenons également sous la notion de
comportements, la notion de choix/décisions, si tant est qu’elle soit prise dans une perspective
d’action (par exemple, les choix de consommation). Néanmoins, nous parlons plus volontiers
de comportements pour faire référence à un acteur individuel (le comportement d’un
consommateur, d’un automobiliste, etc.) et d’activité pour faire référence à un acteur collectif
(l’activité d’une entreprise, d’une administration, etc.).

Aussi, le fait qu’un individu lambda utilise une automobile consommant une grande quantité
de carburant pour ses trajets quotidiens ou qu’une entreprise ait fait le choix d’importer un
certain type de voitures relèvent de l’activité humaine au même titre que la transaction qui a
occasionné la vente de cette voiture par l’entreprise à l’individu sur le marché de
l’automobile.

9.1.2 Du fondement de l’intervention étatique


Une maxime – bien connue des chercheurs et des étudiants en science politique – énonce de
manière rudimentaire et sommaire « qu’il n’y a pas de politique publique sans problème ».
Entendons par là que l’Etat intervient (le plus souvent) dans la société pour résoudre un
problème, identifié comme tel par certains acteurs.

Dans le domaine de l’économie, par exemple, nous pouvons constater historiquement que
l'Etat intervient pour corriger des conséquences négatives du marché qui sont considérées, à
un moment donné, comme inacceptables par certains acteurs. Aussi, chargé par la collectivité
de remédier aux défaillances du marché, l'Etat doit alors mettre en place des politiques
publiques destinées à orienter l’activité économique.

225
Ou collectifs, ou encore institutionnels.

195
Les politiques environnementales ne dérogent pas à la règle et nous trouvons (à coup sûr) à
l’origine de l’intervention étatique un problème identifié comme tel par un acteur226. Aussi
l’intervention de l’Etat dans le domaine de la protection du climat répond-elle au problème de
l’augmentation de la concentration atmosphérique de gaz à effet de serre (GES) dues aux
activités humaines.

9.1.3 De l’intervention étatique dans le domaine de la protection de l’environnement et du


climat
Dans le domaine de la protection de l’environnement, l’Etat peut être confronté à deux types
de problèmes : les problèmes anthropiques qui ont, par définition, pour origine l’activité
humaine227 et les problèmes liés à des phénomènes d’ordre naturel228.

Dans le but de les résoudre (et à moins de s’en remettre à une quelconque divinité) l’Etat ne
dispose que d’un seul et unique moyen : agir sur l’activité humaine. Aussi, toute intervention
étatique ayant pour objectif de résoudre un problème environnemental qui trouve son origine
dans l’activité humaine et/ou qui peut être résolu (ou du moins atténué) par l’activité humaine
se doit de l’influencer.

Dans le cas précis de la protection du climat, l’activité humaine est à l’origine du problème et
représente donc le moyen de le résoudre doublement. Entendons par là que l’activité humaine
représente le moyen de résoudre le problème dans le sens où :

• elle est à l’origine du problème et constitue dans ce sens le moyen de le résoudre (cf.
point I, Tableau 32 ci-dessous) ;

• elle représente, par l’intermédiaire de certaines activités qui ne sont pas à l’origine du
problème, le moyen de le résoudre (cf. point II, Tableau 32 ci-dessous).

Tableau 32 : Les types de problèmes environnementaux


Solutions
Activités humaines A Activités humaines X ou Y
Origine du problème
Problème A Problème A
Activités humaines A
(I) (II)

Problème N
Phénomènes naturels N
(III)

Source : l’auteur.

Il découle de ce constat que l’Etat, dans le cadre de sa politique climatique, peut soit
influencer « positivement »229 les activités humaines génératrices d’émissions de GES (point I

226
Qui, souvent, s’avère appartenir à la communauté scientifique.
227
Le problème du changement climatique entre bien sûr dans cette catégorie.
228
Nous pensons ici aux aléas naturels tels que les éruptions volcaniques et les séismes ou bien les avalanches,
les inondations, les cyclones et les incendies de forêt (Biomass Burning), dans la mesure où ces quatre derniers
phénomènes n’ont, bien sûr, pas pour origine l’activité humaine.
229
Soit dans le sens de l’objectif visé (réduire les émissions de GES).

196
du Tableau 32)230, soit induire des (nouvelles) activités humaines qui auront pour
conséquence de réduire la concentration atmosphérique de GES (point II du Tableau 32)231.

Au regard de nos réflexions sur la nature de l’action publique, nous pouvons dès lors affirmer
que toute intervention étatique dans le domaine de la protection du climat est destinée à
influencer les activités humaines propices à réduire les émissions nettes de GES.

Nous entendons ainsi par intervention étatique dans le domaine de la protection du climat,
toute politique publique dont l’objectif est de réduire les émissions nettes de GES.

Nous entendons par comportements propices à réduire les émissions nettes de GES, toutes les
activités humaines qui ont pour conséquence de réduire les émissions brutes de GES, c’est-à-
dire les sources des émissions anthropiques de GES ou de réduire la concentration de GES
dans le réservoir que constitue l’atmosphère par l’intermédiaire des puits.

Plus spécifiquement, nous dirons ainsi de toute intervention étatique dans le domaine de la
protection du climat qu’elle est destinée à influencer une activité climatique – ou un
comportement climatique – générée par des acteurs climatiques. Nous entendons par ces deux
termes :

• pour le premier, toutes les actions ou agissements d’un acteur socio-économique qui
ont pour effet d’influencer directement ou indirectement, et dans une proportion si
infime soit elle, la concentration de GES dans l’atmosphère ;

• et pour le second, tous les acteurs socio-économiques dont les activités ont une
influence directe ou indirecte, si petites soient elles, sur la concentration
atmosphérique de GES.

Pour illustrer nos propos, nous dirons d’un automobiliste qu’il produit une activité climatique
chaque fois qu’il utilise son automobile pour se déplacer dans la mesure où son moyen de
transport consomme du carburant et émet ainsi directement une certaine quantité de GES dans
l’atmosphère. C’est un acteur climatique. Nous dirons également d’une entreprise
d’importation d’automobiles qu’elle est un acteur climatique car son activité contribue à
émettre indirectement des émissions de GES dans la mesure où le bien qu’elle met sur le
marché fonctionne à l’énergie fossile.

Par ailleurs, nous adjoignons le qualificatif positif aux activités climatiques qui contribuent à
réduire la concentration atmosphérique de GES et le qualificatif négatif aux activités
climatiques qui concourent à produire le contraire.

Par exemple, nous considérons le fait de diminuer l’utilisation de sa voiture232 comme une
activité climatique positive. A l’inverse, la production de voitures de gros gabarits233,
consommant donc beaucoup de carburant, sera considérée comme une activité climatique
négative.

230
Par exemple, dans le secteur des transports, la diminution de l’utilisation des modes de transports qui
consomment des carburants d’origine fossile.
231
Par exemple, dans le secteur des transports, l’augmentation de l’utilisation de la marche ou du vélo.
232
Par exemple, en prenant les transports publics ou en utilisant des moyens de locomotion douce (marche, vélo,
etc.) pour les petits trajets.
233
Comme nous les voyons se multiplier sur le réseau routier de notre ville de Genève depuis quelques temps.

197
Enfin, notons encore que dans la perspective d’influencer les activités humaines qui ont pour
effet brut ou net de réduire la concentration de GES dans le réservoir que constitue
l’atmosphère, l’Etat possède trois issues principales :

a) l’Etat peut agir sur la cause et par là influencer l’activité humaine à l’origine des
émissions nettes de GES, et ce soit a1) en agissant directement sur l’activité incriminée,
soit a2) en agissant de manière indirecte en tentant de substituer à l’activité incriminée
des activités qui n’ont pas pour effet d’émettre des GES ;

b) l’Etat peut agir, non pas sur la « cause comportementale », mais trouver une solution (de
nature technique) pour que l’activité ne contribue plus à augmenter la concentration de
gaz dans l’atmosphère (problématique de la séquestration du carbone) ;

c) l’Etat peut agir, non pas sur la « cause comportementale », mais sur d’autres activités
qui ont pour effet de « compenser » les émissions engendrées par l’activité à l’origine
des émissions (problématique des puits de carbone) et donc de réduire les émissions
nettes de GES.

Nous dirons que dans le premiers cas (a), la réduction brute des émissions se conçoit à la
source, que dans le deuxième (b), elle se conçoit à la marge et que dans le troisième (c), la
réduction des émissions nettes se conçoit à distance.

Pour illustrer notre raisonnement, prenons l’exemple d’une activité industrielle de production
d’énergie (A) qui aurait pour conséquence d’émettre dans l’atmosphère une quantité de CO2
(Q), ce qui constitue notre problème (P). Dans ce cas l’Etat peut par exemple :

a) agir en défavorisant l’activité A (a1) et en favorisant une activité B (a2) de substitution,


et obtenir ainsi une diminution de Q et de P ;

b) soit induire une nouvelle activité (A’) qui consisterait à acheminer le CO2 par un pipe-
line et de le séquestrer dans un puits artificiels de carbone, par exemple un gisement
de pétrole épuisé et ainsi obtenir par la « réorientation » de Q la suppression
(momentanée ?) de P ;

c) soit induire une activité (Z), par exemple la plantation d’une forêt, qui aurait pour effet
net de réduire la concentration de CO2 dans le réservoir que constitue l’atmosphère
d’une quantité Q et ainsi en la « compensant » de résoudre (à court terme) P.

Notons que ces trois orientations que l’Etat peut choisir dans le cadre de sa politique de
réduction (nette ou brute) des émissions de GES constituent des possibilités d’intervention qui
ne sont pas sur le même pied d’égalité. Ainsi, dans le deuxième cas, la résolution du problème
nécessite de posséder un savoir technologique et le troisième cas ne représente qu’une
solution à court terme234.

234
Les procédés de « déstockage » de carbone du réservoir atmosphérique connu à ce jour sont liés à des
activités dont l’objectif est d’utiliser et d’augmenter la capacité des puits naturels (forêts, sols, océans) à
séquestrer du CO2. Cette capacité n’étant, par nature, pas infinie (et de loin), cette solution ne peut être
envisagée pour résoudre le problème dans le long terme.

198
Soulignons enfin que dans tous ces cas de figure, le problème (P) est résolu à plus ou moins
long terme, mais que quelque soit la voie choisie, celle-ci a pour finalité d’influencer le
comportement de la part d’un certain nombre d’acteurs socio-économiques.

9.1.4 Une définition de la notion d’instrument de politique publique


Dans la cadre dressé par les deux premiers postulats et dans le prolongement « synthétique »
de nos développements sur le concept d’instruments politiques issus de la première partie de
notre recherche, nous proposons donc de définir succinctement un instrument politique de la
manière suivante.

Un instrument politique est un moyen utilisé et articulé au sein d’une politique publique qui
est mis en œuvre afin d’atteindre un objectif à même de contribuer à résoudre un problème
donné et fondamentalement destiné à influencer l’activité humaine (les comportements
humains) :

• il est un instrument politique dans le sens où il représente un moyen d’action ;

• il est un instrument politique dans la mesure où il est mis en œuvre par l’Etat et destiné
à influencer les comportements des acteurs socio-économiques, qu’ils soient
individuels ou collectifs, pour atteindre un objectif de politique publique (protection
de l’environnement par exemple).

Aussi, tout instrument politique comprend intrinsèquement une norme comportementale (plus
où moins explicite et précise) qui définit ce vers quoi doit se diriger l’acteur ciblé par
l’instrument.

En d’autres termes et pour utiliser une métaphore musicale et culinaire, nous pouvons dire
qu’un instrument politique, à l'image d’une flute, qui est un instrument de musique qui utilise
les propriétés de l’air (capacité de vibration) pour obtenir un son, ou d’un fouet, qui est un
instrument de cuisine qui peut être utilisé pour mettre à profit les propriétés des blanc d’œufs
(capacité à emprisonner des bulles d’air) pour obtenir une mousse volumineuse (des œufs en
neige), est utilisé pour mettre à profit les « propriétés » d’un destinataire (ou acteur-cible)
pour obtenir de lui un comportement conforme à l’objectif qu’il poursuit. Nous nommerons
ces propriétés « déterminants comportementaux ».

Replacé dans le cadre de l’analyse des politiques publiques et d’une vision systémique, et en
accord avec Varone (1998), un instrument politique représente donc l’output produit par le
système politique en réaction à un input donné (le problème à régler). Cet output est ensuite
mis en œuvre par l’administration, généralement au sein d’un programme, d’une politique
publique, et il se concrétise par un résultat (efficace ou non) sur les comportements
individuels et collectifs (impacts/outcomes).

Dans ce sens, et en accord avec Vedung (1998), nous considérons donc que la non-
intervention de l’Etat ne constitue pas un instrument dans la mesure où nous l’interprétons
comme l’absence de production d’un output.

En outre, nous entendons par destinataires ou publics/acteurs-cibles, l’ensemble des acteurs-


socio-économiques sur lesquels l’instrument politique déploie une influence selon une chaîne
de causalité théorique de l’action étatique. Ceux-ci sont donc à dissocier des acteurs touchés

199
de manière indirecte par les instruments, de manière « collatérale » dirons-nous, mais qui
n’étaient pas ciblés par ces derniers dans la perspective de modifier leur comportement.

Nous entendons par chaîne de causalité théorique de l’action étatique (de l’instrument), le
modèle théorique explicitant la stratégie utilisée pour influencer le comportement d’un acteur.
Cette chaîne se doit d’identifier les différentes couches de destinataires de l’instrument
considéré (voir pour rappel Vedung, 1998) :

Chaîne de causalité théorique de l’action étatique = instrument  acteur A1 (destinataire


premier)  acteur A2 à Ax (destinataires intermédiaires)  acteurs Af (destinataire final)

9.1.5 De la rationalité (limitée) de l’acteur climatique


En accord avec Weber (1956/1995), pour qui l’action peut être déterminée rationnellement en
finalité, en valeur ou en affect et Simon (1945/1965), qui pose le concept de rationalité
limitée235, nous postulons que les acteurs (climatiques) agissent sur la base d’un raisonnement
rationnel, mais limité.

En effet, dans le cadre de problématiques environnementales telles que celle du Changement


Climatique, d’une nature complexe et multisectorielle236, il est impossible pour les acteurs –
notamment les acteurs ciblés par les instruments politiques – d’adopter des comportements
sur la base d’une rationalité parfaite, notamment parce qu’ils sont en possession d’une
information qui ne peut pas être complète.

9.1.6 De l’acteur au système (à l’acteur)


A la suite de Crozier et Friedberg (1977) et de Luhmann (1999, voir également Ossipow,
1994), nous postulons également que chaque acteur exerce son activité (et sa rationalité) dans
le cadre de différents référentiels systémiques qui lui offrent des clés d’interprétations
différentes (ou un langage différent). Nous appelons ces référentiels des (sous-)systèmes
sociaux.

Par (sous-)système, nous entendons un ensemble de parties qui interagissent suivants certains
processus physiques, chimiques, géologiques, biologiques ou sociologiques (voir par exemple
Pillet et Odum, 1987). Ce système est en outre et selon la formule consacrée « plus que la
somme de ses parties » (cf. Figure 17 ci-après). La notion de propriété émergente y tient donc
une place principale237.

235
Selon Simon (1945/1965, notamment cité par Crozier et Friedberg, 1977, pp. 54ss et 320ss), la rationalité
totale qui consiste à pouvoir identifier toutes les alternatives possibles et à évaluer leurs conséquences (optique
de maximisation) n'est pas possible. Pour l’auteur la rationalité est limitée notamment par le temps (recherche de
l'information), la capacité technique (manque d'information), le coût (les finances) et le décalage entre décision
et conséquences (changement de contexte possible). Ces limites diminuent le choix des alternatives possibles et
le processus de décision s'arrête lorsqu'une alternative satisfaisante est trouvée (principe du seuil minimal de
satisfaction : on se contente d'une alternative satisfaisante par rapport aux objectifs).
236
Voir notre chapitre consacré à la problématique du Changement Climatique dans le cadre de la 3e partie de
notre recherche (voir 3e partie, chapitre 11).
237
Quelques exemples de propriétés émergentes : la transparence de l’eau (en tant que système) ne peut être
déduite des propriétés atomiques de H et de O2. La culture d’une société ne peut être expliquée par les seules
caractéristiques biologiques et psychologique des acteurs sociaux. En linguistique : c / a / t / h pris isolément ne
sont que des lettres mais inscrite dans une relation du type chat elles prennent sens et forme un mot. Prises
séparément ces lettre non pas de sens. La vie est également une propriété émergente.

200
Figure 17 : Notion illustrée de système et de propriété émergente
Système (S) = A  B  C  D

S = système
A B C D = éléments du système
 = interactions entre éléments (par exemples des acteurs)
Propriété émergente d’un système  S = A (+) B (+) C (+) D
où (+) exprime le fait que le système composé de A B C et D
est plus que l’adition de ces composantes prises individuellement
Source : l’auteur

Nous entendons dès lors par (sous-)système social, un ensemble d’interactions sociales (de
processus sociaux) entre acteurs (individuels et organisationnels) qui en tant que tels
représentent donc plus que la somme de ses parties individuelles (notion de culture, etc.).

Ainsi, dans notre conception, les activités ou les comportements des acteurs qui font l’objet de
l’intervention étatique s’inscrivent dans le cadre de (sous-)systèmes sociaux et
environnementaux.

Concernant les (sous-)systèmes sociaux, et à la suite de Crozier et Friedberg (1977), nous


postulons donc que toute action humaine (collective)238 relève d’une action de la part
d’acteurs qui agissent et interagissent au sein d’un (ou de plusieurs) (sous-)système(s)
donné(s). Les acteurs en constituent les parties, mais le (sous-)système est en soi plus que la
somme de ces derniers. Acteurs et systèmes sont intimement liés : les acteurs interagissent au
sein de (sous-)systèmes dont les « règles » de fonctionnement déterminent en partie leurs
comportements, mais dont ils peuvent néanmoins s’émanciper en partie grâce à leur marge de
liberté. En d’autres termes, le système s’impose aux acteurs qui mobilisent leurs ressources
dans la marge de liberté qui leur est laissée afin de poursuivre une stratégie :

L’acteur n’existe pas en dehors du système qui définit la liberté qui est la sienne et la
rationalité qu’il peut utiliser dans son action. Mais le système n’existe que par l’acteur
qui seul peut le porter et lui donner vie, et qui seul peut le changer. (Crozier et Friedberg,
1977, avant-propos, p11)

Il n’y a pas de systèmes sociaux entièrement réglés ou contrôlés. Les acteurs individuels
ou collectifs qui les composent ne peuvent jamais être réduits à des fonctions abstraites et
désincarnées. Ce sont des acteurs à part entière qui, à l’intérieur des contraintes souvent
très lourdes que leur impose ‘le système’, disposent d’une marge de liberté qu’ils utilisent
de façon stratégique dans leurs interactions avec les autres. La persistance de cette liberté
défait les réglages les plus savants, faisant du pouvoir en tant que médiation commune de
stratégies divergentes le mécanisme central et inéluctable de régulation de l’ensemble.
(Crozier et Friedberg, 1977, pp. 29 – 30)

Concernant les systèmes environnementaux, nous préciserons une donnée pour le moins
triviale (mais peut-être pas pour certains) qui consiste à dire que toute activité humaine est
nécessairement mise en œuvre dans un environnement physique (et matériel). A l’instar des
(sous-)systèmes sociaux, le système environnemental a également un certain poids sur les

238
Dont la définition est somme toute assez proche de la notion d’activité sociale chez Weber puisque étant
défini comme un construit social.

201
acteurs, mais ceux-ci bénéficient néanmoins d’une certaine marge d’émancipation
(d’affranchissement)239.

Par conséquent, nous postulons que l’Etat va agir par le biais d’instruments politiques sur des
acteurs qui agissent et interagissent au sein de (sous-)systèmes sociaux et environnementaux
qui s’imposent à eux dans une certaine mesure, soit dans le cadre de leur marge de liberté.

9.1.7 De l’intervention étatique sur les déterminants de l’activité humaine (et donc de
l’activité climatique)
Par conséquent se pose, pour l’Etat, la question fondamentale de savoir comment influencer
positivement les activités et comportements des acteurs climatiques ?

C’est en tentant de donner une réponse rationnelle à cette question en accord avec nos
postulats de départs que nous construisons notre typologie des instruments politiques dans le
domaine de la protection du climat240.

Dans ce but, nous avons choisi d’identifier quels étaient les déterminants comportementaux
des acteurs climatiques et si ceux-ci pouvaient être mis à profit par l’Etat. Notre septième et
dernier postulat consiste donc à identifier les déterminants comportementaux des acteurs
climatiques. Il fait objet du chapitre suivant.

9.2 Les déterminants de l’activité humaine

La typologie d’instruments politiques que nous proposons se fonde sur l’identification de huit
déterminants de l’activité humaine, qui sont eux-mêmes intégrés dans huit (sous-)systèmes
référentiels qui leur sont propres et qui découle de la tentative de répondre à la question
suivante : quels sont les leviers comportementaux (ou variables comportementales) qui
déterminent (dans une certaine mesure) les comportements humains (l’activité humaine) et
qui peuvent être actionnés par l’Etat par l’entremise d’instruments politiques ?

9.2.1 Les déterminants ou leviers comportementaux


Nous entendons par actionner un levier comportemental, le fait pour l’Etat de susciter un
comportement chez l’acteur ciblé par son intervention. La métaphore utilisée ici est celle du
principe du levier (ou effet de levier) bien connue en mécanique : un levier (soit un levier et
un appui) permet de transformer un mouvement et sa disposition de démultiplier la force qui y
est projetée (augmenter le bras de levier permet de démultiplier la force qui y est appliquée et
donc de réduire l’effort en intensité mais en l’augmentant sur la durée).

Sans rentrer dans les détails, un levier représente donc grosso modo un dispositif permettant
d’actionner241 un corps (le mettre en mouvement). Il subit donc une charge (le corps que l’on
veut bouger) et une force motrice (celle que l’on exerce dessus).

239
On ne peut pas s’affranchir des lois de la physique (par exemple la loi de la pesanteur universelle ou de
l’entropie), mais on peut sans doute les repousser.
240
Notre typologie est donc bien le fruit d’un exercice de rationalisation et diffère par conséquent des typologies
de nature empirique qui ont pour point de départ la réalité.
241
En physique, une action, soit le fait d’agir, est représentée par une force (vecteur : direction, sens, valeur).

202
Aussi, la métaphore que nous utilisons consiste à dire que l’action de l’Etat (la force motrice)
consiste à utiliser un instrument politique (le levier concret) afin d’influencer le
comportement (la mise en mouvement) d’un acteur socio-économique (le corps) par
l’intermédiaire d’un déterminant comportemental (qui définit le type de levier utilisé).

Aussi, pour obtenir une modification comportementale chez un acteur socio-économique faut-
il choisir un ou plusieurs types de leviers qui définissent chacun un angle d’attaque différent
(un déterminant de l’activité humaine différent) ainsi que l’intensité de la force motrice que
l’on veut y appliquer242.

Selon la formule d’Archimède : « donnez-moi un appui et un levier et je soulèverai la


Terre » ; appliqué au domaine qui nous occupe, et bien plus modestement, nous pourrions
dire, en anticipant l’une des conclusions majeures de notre thèse : combinez les instruments
politiques et vous changerez les comportements humains.

9.2.2 Processus d’identification des déterminants comportementaux et (sous-)systèmes de


référence
Les déterminants comportementaux que nous avons identifiés l’ont été sur la base d’un
exercice de rationalisation en finalité qui a consisté en un va et vient multiple entre
théorisation rationnelle de l’intervention étatique et connaissance pratique des instruments,
dans lequel nous avons intégré les différentes dimensions instrumentales et méthodologiques
que nous avons définies jusqu’à présent.

Cet exercice a donc notamment consisté à définir de manière la plus exhaustive possible un
nombre de déterminants de l’activité humaine de nature mutuellement exclusifs et d’un
niveau théorique identique. Nous avons également tenté de le mener de la manière la plus
simple possible, notamment afin de laisser la complexité instrumentale à la place où elle se
doit d’exister, soit au niveau de la réalité empirique.

Mais bien sûr, cet exercice de rationalisation ne s’est pas fait en un instant et son origine
remonte d’ailleurs à nos premières réflexions menées dans le cadre de la rédaction de notre
mémoire de licence en sciences politiques qui avait (déjà) pour objectif d’analyser
l’intervention de l’Etat dans le domaine de la politique de protection du climat (Perret, 2002).

C’est donc bien au fil du temps et au gré de notre parcours de la littérature et de nos
discussions que nous avons défini, puis redéfini, puis re-redéfini, etc. l’identification de huit
déterminants de l’activité humaine, dont seulement sept peuvent être actionnés par les
instruments politiques. Chacun de ces sept déterminants comportementaux sont associés à un
(sous)-système référentiel. (cf. Tableau 33 et Figure 18 ci-après).

242
Par exemple, une subvention à la consommation peut être comprise comme permettant d’agir sur l’intérêt
économique des consommateurs (type de levier, type de déterminant comportemental) et son montant comme
l’intensité que l’Etat veut appliquer à l’instrument (plus le montant est élevé, plus l’efficacité comportementale
de la subvention est grand).

203
Tableau 33 : Les déterminants des comportements humains et leur (sous)-système référentiel

Déterminants de l’activité humaine (sous-)systèmes référentiels

l’intérêt économique (sous-)système économique (capitaliste)

les vertus (sous-)système culturel

les affects (sous-)système (psycho-)affectif

les tradition/habitudes (sous-)système comportemental

la contrainte physique (légitime) / la (sous-)système politico-juridique (législatif, exécutif et


coercition judiciaire)

l’in-formation* (sous-)système in-formationnel

l’imitation, l’effet d’entraînement (sous-)système environnemental humain

l’environnement physique et matériel (sous-)système environnemental naturel et construit


* Note : nous expliquons par la suite ce que nous entendons par la notion d’in-formation
Source : l’auteur

Figure 18 : Représention imagée des déterminants de l’activité humaine et de leurs (sous-)systèmes


de référence.

Source : l’auteur

204
Très schématiquement et du point de vue théorique, nous pouvons donc dire que les acteurs
(climatiques) peuvent être influencés par une intervention extérieure qui vise à actionner l’un
ou l’autre (ou plusieurs) de ces déterminants afin d’orienter leurs comportements (leurs
activités). Ces déterminants sont eux-mêmes à replacer dans leurs contextes
(sous-)systémiques de référence (les sous-systèmes référentiels) dans lesquels (inter)agit
chaque acteur et qui définissent chacun, du moins en partie et donc en fonction de la marge de
liberté laissée à l’acteur, également ses comportements.

A l’image de la théorie systémique de Luhmann (1999; voir également Ossipow, 1994), nous
pouvons dire de ces déterminants de l’activité humaine qu’ils constituent les médiums
généralisés spécifiques à chaque (sous-)système de référence que nous avons identifié.

9.2.3 Notre typologie d’instruments politiques : sources d’inspiration et types


d’instruments politiques
Nous noterons que bon nombre d’analogies peuvent être dressées entre notre typologie
idéaltypique des instruments politiques et les multiples sources d’inspiration qui nous ont aidé
dans notre démarche. Mais il ne s’agit pas pour nous de nous positionner par rapport à celles-
ci, l’exercice serait d’ailleurs trop complexe et nous ne voulons d’ailleurs pas nous en
démarquer, étant entendu que nous considérons ces similitudes comme une force plus qu’une
faiblesse. Nous nous contenterons ici juste de relever que :

• nous pouvons retrouver partiellement ou plus complètement bon nombre de typologies


existantes, par exemple, mais c’est de loin pas la seule, la typologie d’instruments que
nous avons identifiée sur la base des travaux du Professeur Morand (1999) qui auront
été, mais également parmi beaucoup d’autres, une source de réflexion non négligeable
pour nous ;

• nous pouvons également trouver une correspondance entre nos cinq premiers
déterminants (intérêt économique, vertus, affects, tradition/habitude, contrainte
physique légitime) et les types d’activités sociales et de domination définies par
Weber (1956/1995).

A notre tour, et donc à la suite de Weber (1956/1995), nous affirmons donc que l’activité
(climatique) peut être déterminée rationnellement en finalité (via l’intérêt économique) ou en
valeur ainsi que sur la base d’émotions ou d’un comportement traditionnel.

Néanmoins, si pour Weber la tradition constitue un déterminant de l’activité humaine, dans la


perspective qui est la nôtre (soit identifier les déterminants pouvant être actionnés par les
instruments politiques), celle-ci échappe à l’emprise de l’Etat qui ne peut en user dans le but
d’influencer les comportements (climatiques). En effet, l’Etat n’a aucun moyen de peser
directement sur ce déterminant : s’il peut agir dans la perspective d’habituer les acteurs à
adopter des activités (climatiques positives) – et par là induire des activités (climatiques
positives) de nature coutumière – il ne peut le faire qu’indirectement et doit obligatoirement
mettre à profit d’autres déterminants sur lesquels il peut agir directement. En d’autres termes,
le comportement traditionnel ou habituel d’un acteur étant lui-même une conséquence de son
propre comportement (passé), on ne peut donc l’influencer qu’en actionnant l’un (ou
plusieurs) des sept autres déterminants de l’activité humaine.

205
Aussi, dans la perspective qui est la nôtre, nous postulons donc que l’Etat, dans le but
d’influencer les activités climatiques de manière positive, peut agir sur les acteurs climatiques
en mettant à profit sept déterminants de l’activité humaine, que nous associons à un type
d’instrument politique.

Notre typologie se fonde donc bien sur des hypothèses comportementales et définit les types
d’instruments par leur fonction première qui est celle d’influencer les comportements humains
(cf. Tableau 34 ci-dessous). Notons que nous avons ici reformulé les sept déterminants de
l’activité humaine afin qu’ils expriment le point de vue de l’acteur cible243.

Tableau 34 : Les sept types d’instruments politiques (de protection du climat)

Déterminants de l’activité humaine


Types d’instruments politiques R* (climatique) – formulation du point de vue
de l’acteur cible**

 Contrainte physique (légitime) – disposition à


Instrument coercitif
 être contraint physiquement par l’autorité

 Intérêt économique –
Instrument économique
 calcul coût-bénéfice de l’homo-économicus

 Vertus (valeurs, principes, croyances) –


Instrument de communication vertueuse
 disposition vertueuse

 Affects (sentiments, émotions) – disposition


Instrument de communication affective
 affective

Instrument de communication in-formationnelle In-formation – ressources in-formationnelle


Instrument exemplaire Environnement humain – disposition à imiter

 Environnement physique et matériel –
Instrument d’aménagement et d’infrastructures
 capacité d’adaptation

*R = Relations types d’instruments  déterminants de l’activité humaine (hypothèses comportementales) :


 : l’hypothèse comportementale définit le type d’instrument
 : le type d’instrument est définit par sa fonction comportementale (vise à actionner)
** Note : capacités, dispositions, ressources sont ici pris comme des synonymes qui définissent le levier
comportemental sur lequel l’instrument considéré agit pour influencer le comportement humain (l’activité
humaine).
Source : l’auteur

9.3 Une typologie idéaltypique des instruments politiques (de protection du climat)

Les sept types (idéaltypes) d’instruments politiques (de protection du climat) que nous avons
définis le sont donc en fonction du déterminant comportemental qu’ils mettent à profit pour
influencer le comportement des acteurs (climatiques).

243
En d’autres termes pour qu’ils soient « orientés acteur ».

206
Par ailleurs, nous rappellerons ici que tout instrument politique contient en lui-même et par
définition une norme comportementale qui se traduit par l’objectif qui est poursuivit par
l’instrument, soit la modification du comportement de l’acteur cible.

L’ordre dans lequel les instruments sont passés en revue n’a aucune signification.

9.3.1 Idéaltype « instrument coercitif »


Selon Max Weber (1956/1995), l’Etat et son administration constituent par définition l’unique
organisation institutionnelle qui possède entre ses mains le pouvoir de contraindre
physiquement les acteurs socio-économiques de manière légitime sur son territoire :

Nous dirons d’un groupement de domination qu’il est un groupement politique


[politischer Verband] lorsque et tant que son existence et la validité de ses règlements
sont garanties de façon continue à l’intérieur d’un territoire géographique déterminable
par l’application et la menace d’une contrainte physique de la part de la direction
administrative. Nous entendons par État une « entreprise politique de caractère
institutionnel » [politischer Anstaltsbetrieb] lorsque et tant que sa direction administrative
revendique avec succès, dans l’application des règlements, le monopole de la contrainte
physique légitime. (pp. 96-97)

Dans cette perspective, et comme nous l’avons déjà souligné par le passé, c’est la notion de
coercition que nous avons choisie pour caractériser l’idéaltype instrument « contraignant »,
étant entendu, d’une part, que la coercition représente une forme de contrainte – la contrainte
physique légitime de dernier recours – et, d’autre part, que la notion de contrainte n’est pas
praticable dans le but d’identifier des types d’instruments politiques d’une nature
mutuellement exclusive, tant elle est de nature transversale et à multiples facettes. En effet, et
tout comme nous pouvons dire à la suite de Crozier et Friedberg (1977) que tout instrument
politique constitue une relation de pouvoir, tout instrument se conçoit également comme un
élément de contrainte et de domination. Or ce n’est pas le cas avec la coercition telle que nous
l’avons définie : tout instrument ne fait pas appel en derniers recours à la force physique
légitime.

Aussi, nous définissons l’idéaltype « instrument coercitif » par la présence d’une norme
comportementale, qui par contraste avec les autres types d’instruments, se trouve sublimée
par la présence d’une sanction, d’un mécanisme de contrôle et d’application de la sanction et,
point essentiel, du recours à la force physique légitime (en dernier appel). C’est d’ailleurs ce
dernier élément qui le caractérise de manière fondamentale.

En d’autres termes, un instrument coercitif doit être capable de définir une norme
comportementale et une sanction, de contrôler son application et d’appliquer la sanction s’il y
a non observance (décision administrative voire judiciaire, etc.), avec pour dernier recours,
l’usage de la force physique légitime étatique (force de police) pour faire appliquer la norme.

Aussi, nous dirons du type « instrument coercitif » qu’il agit sur le déterminant
comportemental « disposition (de l’acteur cible) à être contraint physiquement ».

Pour illustrer nos propos de manière caricaturale, nous pouvons comprendre qu’un individu
lambda, domicilié à une certaine adresse, possède une disposition plus élevée à être contraint
(en derniers recours de manière physique) d’observer une norme comportementale ou de se

207
soumettre à la sanction qui y est liée, qu’un terroriste qui vit dans la clandestinité et qui
échappe ainsi aux autorités administratives (police, voire armée).

La contrainte physique (légitime) de derniers recours est ainsi comprise, du point de vue de
l’Etat, comme la possibilité pour lui (ou pour l’autorité compétente) d’obliger les acteurs à se
soumettre à une norme comportementale, ou à la sanction de son dépassement, dans la mesure
où il peut faire appel, en dernier recours (soit à la suit d’une procédure juridique dans un pays
démocratique), à une intervention physique via ses organes de police.

Appliqué au domaine d’intervention qui nous occupe, le type « instrument coercitif » a donc
pour fonction d’actionner le levier comportemental « coercition » pour orienter les activités
des acteurs climatiques conformément à l’objectif principal poursuivi, à savoir la réduction
des émissions nettes de GES. Aussi, si ces derniers ne suivent pas la norme comportementale
définie par l’instrument, ils s’exposent à ce que l’Etat exerce, en derniers recours, son pouvoir
de contrainte physique légitime.

9.3.2 Idéaltype « instrument économique »


Bon nombre d’acteurs (climatiques) – pour ne pas dire quasiment tous – se doivent d’agir de
manière économiquement rationnelle puisque ils doivent se positionner en tant que
consommateurs ou producteurs sur un marché soumis (dans l’idéal) à la concurrence.

Par excellence, ce sont des acteurs économiques – des homoéconomicus – dont les activités
sont orientées rationnellement en fonction d’un calcul d’utilité qui met en balance les coûts et
les bénéfices en terme monétaire et financier. Ils sont soumis à la loi de l’offre et de la
demande et leur intérêt (économique) propre (égoïste) est le moteur de leurs comportements et
activités.

Aussi, nous dirons du type « instrument économique » qu’il a pour fonction d’influencer le
déterminant comportemental « calcul coût-bénéfice » établi en terme financier par l’acteur
ciblé.

Prenons, pour illustrer la manière dont le calcul coût-bénéfice d’un acteur peut modifier son
comportement (ses choix) ou ses activités – et si tant est qu’il faille l’illustrer – l’influence du
prix d’un bien tel que celui du pétrole. Ainsi, l’augmentation fluctuante, certes, mais continue,
depuis plusieurs années, du prix du baril de brut244 induit de manière (presque) mécanique une
(ré)orientation des comportements et des activités de multiples acteurs vers les énergies
renouvelables telles que le solaire, l’éolien, les biocarburants, les piles à hydrogène, etc. Nous
en donnons deux exemples, dans deux secteurs d’activités différents, à savoir la construction
(en Suisse) et le marché des capitaux (à l’international et notamment aux USA) :

• cette augmentation de prix s’est traduite en Suisse par une hausse significative de la
demande245 en pompes à chaleur dans les nouvelles constructions (GSP, 2008)246 ;

244
Qui a battu un record historique en ce début 2008 en dépassant les 110 dollars.
245
Des « consommateurs de maison neuve », qui voient, par répercussion, le prix du fuel sans cesse augmenter.
246
Selon les statistiques du Groupement promotionnel suisse pour les pompes à chaleur (GSP, 2008), un
partenaire de SuisseEnergie, les ventes de pompes à chaleur dans les constructions neuves (villas, moins de
20kW) en Suisse sont passées de 21 % des constructions neuves avec pompes à chaleur en 1992 à plus de 80 %
en 2006.

208
• cette augmentation de prix s’est traduite sur le marché des investissements par un
soudain intérêt des investisseurs pour les technologies « propres » et l’on constate
désormais un afflux astronomique de capitaux pour financer ces alternatives vertes
(green ruch) (Lingjaerde, 2008).

Ainsi, l’augmentation du prix d’un bien rend plus concurrentiel un bien substituable
écologique qui était jusqu’alors trop cher et donc non rentable économiquement parlant.

Appliqué au domaine d’intervention qui nous occupe, le type « instrument économique » a


donc pour fonction d’actionner le levier comportemental « calcul coût-bénéfice (ou intérêt
économique) » des acteurs climatiques pour orienter leurs activités dans le sens d’une
réduction des émissions nettes de GES.

9.3.3 Idéaltype « instrument de communication vertueuse »


Les activités et les comportements des acteurs (climatiques) peuvent certes être induits par des
considérations d’ordre économique et purement égoïste, mais ils peuvent également relever de
ce que nous avons synthétisé sous la notion de vertu, à savoir des considérations d’ordre
intellectuel telles que les valeurs (et leur hiérarchie), l’éthique, les principes, les croyances,
etc. que nous regroupons sous la notion de conception (ou représentation/perception) du
monde et de son rapport à lui.

Cependant, il est ici nécessaire de définir plus précisément ce que nous comprenons par la
notion de « vertu » (et donc de comportements « vertueux » ou d’activités « vertueuses » ou
de disposition « vertueuse » de l’acteur cible). En effet, nous ne considérons pas cette notion
en terme relatif (tel comportement serait plus vertueux que tel autre) ou faisant référence à
une conception du Bien et du Mal247, mais bel et bien en terme absolu dans la mesure où nous
la définissons par l’existence d’une concordance (d’une conformité) entre un comportement
ou une activité et les considérations d’ordre psychologique que nous avons énumérées.

Ainsi, et dans le domaine qui nous occupe par exemple, il est communément accepté que
notre conception du monde (et du rapport que nous avons avec notre environnement) – qui se
trouve être en étroite relation avec nos croyances, nos valeurs, notre culture, etc. – influence
fortement nos activités. Nous pensons ici tout spécialement aux divers liens dressés par une
littérature étoffée entre culture/religion/éthique/croyance et environnement et/ou
comportement248.

247
Qui selon nous est de nature plurielle (pluralité des conceptions du Bien et du Mal).
248
Parmi beaucoup d’autres, nous renvoyons le lecteur qui voudrait développer les thématiques liées à ce binôme
non moins complexe aux ouvrages suivants, que nous avons tenté de catégoriser :
religion – environnement : les écrits du sociologue de l’Université de Montréal Jean-Guy Vaillancourt, et par
exemple, sa contribution ‘Religion, écologie et environnement’ (2001) in J.-M. Larouche et G. Ménard (Ed),
L'étude de la religion au Québec : Bilan et prospective. Québec : Les Presses de l'Université Laval. (pp. 439-
504) ;
éthique – comportement/environnement : les œuvres du philosophe allemand Hans Jonas et notamment son
ouvrage Le principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique (1979) (à l’origine du
principe de précaution) et de l’écologue René Dubos (avec Barbara Ward), Nous n’avons qu’une terre (1972),
[Rapport non officiel établi à la demande du Secrétariat général de la Conférence des Nations Unies sur
l'environnement humain tenue à Stockholm en 1972, Sous la direction de Paul Alexandre et traduit de l'anglais
par Françoise Gaillard, Sophie de Liocourt, Marie-Claude Meplan], Paris : Denoël (à l’origine de l’expression
« penser global, agir local ») ;

209
Aussi, pour illustrer nos propos, nous allons nous contenter de donner un exemple qui révèle
le rôle que peuvent avoir la culture, la religion et les croyances249 sur nos comportements
envers la nature, et notamment l’exploitation de ses ressources.

Il est ainsi admis que l’environnement (la nature, ses ressources naturelles, etc.) est traité de
manière très différente au sein de nos sociétés occidentales (capitalistes)250 en comparaison à
d’autres types de sociétés, plus traditionnelles, telles que les communautés animistes251, qui
considèrent la nature d’une toute autre manière et dont les membres, par conséquent, adoptent
à son égard un comportement complètement différent : surexploitation dans le premier cas et
protection dans le second.

Par conséquent, et appliqué au domaine qui nous occupe, le type « instrument de


communication vertueuse » a donc pour fonction d’actionner le levier comportemental
« disposition vertueuse » des acteurs climatiques pour orienter leurs activités dans le sens
d’une réduction des émissions nettes de GES. Dans ce sens, ce type d’instrument vise donc à
inculquer aux acteurs climatiques ou à faire appel à des valeurs, des principes, des
conceptions du monde, etc. propices à générer une activité climatique positive.

9.3.4 Idéaltype « instrument de communication affective »


A l’opposé des deux déterminants que nous venons d’illustrer et qui font chacun appel à une
certaine rationalité de la part de l’acteur-cible – rationalité en finalité de l’homoeconomicus et
rationalité en valeur pour « l’homovertuous » – le quatrième déterminant comportemental que
nous avons identifié relève d’une certaine irrationalité dans le sens où il fait référence aux
affects.

culture - comportement : les œuvres de l’anthropologue français Claude Levi-Strauss et notamment Tristes
tropiques (1975), ainsi que l’ouvrage de Geneviève Vinsonneau, Culture et comportement (2003), Paris :
Armand Colin.
Nous renvoyons également le lecteur aux revues scientifiques suivantes :
- de manière générale au Journal of Environmental Psychology (voir par exemple l’article de Kaiser,
Wölfing and Fuhrer (1999) ‘Environmental Attitude and Ecological Behaviour’ qui tisse un lien de
nature explicative entre connaissances et valeurs environnementales et (intension) de comportement
écologique ou celui de Tanner (1999) ‘Constraints on Environmental Behaviour’ qui identifie à la fois
des facteurs subjectifs (sens de la responsabilité, perceptions de barrières aux comportements, etc.) et
objectifs/structurels (tels que le revenu, la place de résidence, l’absence de voiture etc. ) pour expliquer
un comportement proenvironnemental, en l’occurrence, la fréquence d’utilisation de la voiture) ;
- plus spécifiquement, aux articles contenus dans le volume 56(3) du Journal of Social Issues (Journal of
Social Issues, 56(3), 2000, pp. 365-578), ‘intitulé Promoting Environmentalism’ et notamment à ceux
de Paul C. Stern (Stern, 2000b) ‘Toward a Coherent Theory of Environmentally Significant Behavior’
(pp. 407-424) et de P. Wesley Schultz (Schultz, 2000) ‘Empathizing With Nature: The Effects of
Perspective Taking on Concern for Environmental Issues’ (pp. 391-406), ainsi qu’à l’édition spéciale du
journal Climatic Change (Climatic Change, 77(1-2), 2006, pp. 1-193)) qui explore certains liens entre
perceptions, valeurs, opinions et comportement dans le cas particulier de la problématique du
Changement Climatique et qui « was motivated by the notion that environmental policies that target
human behaviour should incorporate insights about behavioural change and decision-making, topics
central in behavioural sciences » (Oppenheimer et Todorov, 2006, p. 1). Voire notamment dans cette
edition spéciale l’article d’Anthony Leiserowitz (Leiserowitz, 2006), ‘Climate Change Risk Perception
and Policy. Preferences : the Role of Affect, Imagery, and Values’ (pp. 45-72).
249
Importance plus ou moins grande selon les individus et les régions du monde.
250
Dans lesquelles il est considéré comme un bien de consommation (plus ou moins commun).
251
L’animisme représente une croyance générale en l’âme et les esprits qui se prolonge aux éléments biotiques et
abiotiques de la nature ; il caractérise des sociétés très diverses se trouvant sur tous les continents.

210
Nous regroupons sous cette notion, une série de dispositions psychologiques/cérébrales telles
que les sentiments, les émotions, les passions et autres phénomènes apparentés, comme la
peur, la honte, l’amour, la culpabilité, le fanatisme, la haine, la compassion, le sentiment de
responsabilité, etc. 252.

Pour illustrer l’importance que peuvent tenir les affects dans l’inférence des comportements
humains et de leurs activités, nous soulignerons leur fonction d’adaptation, de motivation et
d’orientation/organisation de l’action (Dantzer, 1994) dans trois domaines différents que sont
les relations humaines (au sein des petites communautés et de l’homme à son environnement),
la gouvernance internationale et la recherche scientifique.

A) Les relations affectives entre les hommes (rapports sociaux au sein de la famille et
des petites communautés) et entre l’homme et son environnement (la beauté de la
nature, de planète bleue)

Afin d’illustrer le rôle des affects dans la production des comportements humains, nous nous
proposons de rapidement l’analyser dans sa dimension interpersonnelle (au sein des petites
communautés) ainsi que dans sa dimension biosphérique (relation homme - nature)253.

Dans le premier cas, celui des petites communautés (dans laquelle nous comprenons la
famille), il est admis que les liens psycho-affectifs (respect, crainte, amour, honte, etc.) sont
forts et influent donc grandement sur les comportements des individus au sein du groupe254.

Nous illustrons ce cas de figure par le lien que nous dressons, mais dont nous ne
développerons pas ses probables implications dans le cadre de notre recherche, avec l’ouvrage
de Ferdinand Tönnies (1922/1977), Communauté et Société. Catégories fondamentale de la
sociologie pure, également bien connu sous son titre original allemand Gemeinschaft und
Gesellschaft.

En effet, dans son ouvrage, l’auteur établit une distinction entre les concepts de communauté
[Gemeinschaft] et de société [Gesellschaft] sur un fondement psychologique qui repose sur la
reconnaissance de deux formes de volonté humaine (deux catégories psychologiques) :

252
Emotions, sentiments et passions sont pour nous des synonymes dans la mesure où distinguer ces notions ne
s’avèrent pas pertinents dans le cadre de notre démarche. D’ailleurs il existe différentes définitions de ces
notions et l’appartenance d’un phénomène à l’une de ces « catégories » dépend donc de la définition que l’on en
donne. Toutefois, avec Dantzer (1994), nous soulignons que les émotions se différencient des « simples »
sentiments par le fait qu’elles ne restent pas purement cérébrales, mais qu’elles s’accompagnent de modifications
physiologiques et somatiques, et des passions par leur caractère fugace et d’intensité accrue. Par ailleurs, les
émotions peuvent être définies comme des « constellations de réponses de forte intensité qui comportent des
manifestations expressives, physiologiques et subjectives typiques. Elles s’accompagnent généralement de
tendances d’action caractéristiques et s’inscrivent en rupture de continuité par rapport aux processus qui étaient
en cours chez le sujet au moment de leur apparition. » (Bloch, Chemama, Gallo et al., 1994, p. 262).
253
Rôle qui, comme le souligne Stern (2000b), n’est étudié que depuis peu de temps dans le domaine connexe
environnement – comportements : « Recently, some researchers have begun to explore affective influences on
environmental concern and behaviour, including sympathy for others (Allen et Ferrand, 1999) [dimension
affective entre individus], [and] ‘‘emotional affinity’’ toward nature (Kals, Schumacher, et Montada, 1999)
[dimension affective entre homme et environnement] […]. » (p. 411)
254
Cette dimension affectuelle des comportements se retrouve par exemple, de manière « dispersée », au sein des
instruments d’auto-réglementation et de sollicitations définis par Gardner et Stern (1996) qui mettent en
évidence l’effet des sentiments (tels que celui d’appartenance, de devoir envers son voisin, etc.) et le fait qu’ils
se voient renforcés dans une communauté soudée, à forte cohésion sociale et ainsi placée sous le principe de
l’auto-surveillance.

211
• la volonté organique : moteur du comportement et de l’action, elle comprend
notamment une très forte composante affective (le plaisir, la douleur, le désir, la
répulsion, l’amour, la haine, la bonté, le respect, la crainte) qui peut acquérir une
signification morale et vertueuse ;

• la volonté réfléchie ou rationnelle : produit de la pensée orientée vers un but, elle ne


fait en réalité qu’orienter superficiellement la volonté organique (et donc les
comportements) vers l’objectif ainsi défini, et consiste essentiellement à choisir et
hiérarchisés les buts via un processus de réflexion et de décision ou d’un système de
pensée (principalement caractérisé par le calcul) ; l’objectif suprême de cette volonté
est la recherche du Bonheur, et notamment par l’égoïsme et la domination.

De ces deux formes de volonté découlent dès lors deux formes sociales essentielles (deux
catégories sociologiques) que sont les concepts de communauté et de société :

• la volonté organique donne naissance à la communauté : les rapports entre individus


sont caractérisés par le rapport mère/enfant (lien maternel), homme/femme (en tant
qu’époux) et au sein de la fratrie (frères/sœurs, lien fraternel) ; le lien de sang
caractérise ainsi la communauté « famille », la communauté de localité (village,
l’expression la plus parfaite de la communauté) étant constituée en plus par des
relations de voisinage et d’amitié ; « ainsi la nature de la communauté […] est d'ordre
affectif et sentimental comme celle de la volonté organique elle-même » (introduction
du livre) ;

• la volonté réfléchie donne naissance à la société255 : les rapports entre individus y sont
caractérisés par l’individualisme (aucun lien entre individus) de l’homoeconomicus qui
n’agit qu’en fonction d’un calcul rationnel et intéressé s’exprimant à travers l’échange.

On s'aperçoit [ainsi] que les relations sociales sont d'une tout autre nature que les
relations communautaires. Alors que celles-ci sont vivantes et chaudes, celles-là
n'affectent nullement l'intimité de l'être; elles sont purement extérieures, froides et
conventionnelles, et peuvent être représentées de la manière la plus adéquate par le
commerce. Tönnies rappelle à ce sujet le jugement d'Adam Smith : « La société est l'état
dans lequel » chaque homme est un commerçant. » (introduction du livre)

Nous laissons ici le soin au lecteur de dresser des parallèles entre ces deux types de volonté et
de formes sociales avec les types d’instruments politiques que nous avons identifiés jusqu’ici.
Nous ne soulignerons quant à nous que la dimension comportementale d’ordre affective
qu’attribue Tönnies aux communautés – qui est l’expression du pouvoir des affects sur nos
comportements – et de l’opposition dressées par l’auteur entre celle-ci et des modalités
sociales d’une dimension bien différente, notamment la domination et l’intérêt économique,
qui ne sont pas sans rappeler nos instruments coercitif et économique.

Le second cas que nous avons choisi pour illustrer la dimension affective des comportements
humains, à savoir dans sa dimension biosphérique, peut être illustré quant à lui par les effets
(comportementaux) qu’ont induit la présentation, à la fin des années soixante, début des

255
Dans laquelle la morale est appelée à s’y dissoudre.

212
années septante, les photographies de notre planète prise par l’agence américaine de
l’aéronautique et de l’espace (NASA256) (cf. Figure 19 ci-après).

Ainsi, selon Grinevald (1990) :

la diffusion, par la NASA, des photographies de notre planète Terre prises de l'espace
constitue une mutation culturelle dont notre « mentalité moderne » n'a sans doute pas
encore pris toute la mesure. Comme l'a remarqué l'astronome Carl Sagan, l'essor du
mouvement écologique américain est contemporain de cette nouvelle vision de la
Terre: une petite planète bleue entourée d'une fine et fragile enveloppe atmosphérique
flottant au milieu de l'océan noir du cosmos ! (p. 23)

De telles photographies ont sans aucun doute contribué à bouleverser certaines personnes, les
astronautes en première ligne d’ailleurs257, et ont ainsi également participé à induire des
comportements, notamment dans le domaine de la protection de notre environnement.

Figure 19 : Photographies de la terre dans toute sa beauté, sa fragilité et sa finitude (NASA)


Titre : Première image de la Terre depuis la Lune Titre : La Terre depuis Apollo 8
(First View of Earth from Moon) (Earth from Apollo 8)
23.08.1966 01.12.1968

© NASA Center : Headquarters; Image # : 67-H-218;


GRIN DataBase Number: GPN-2000-001588.
© NASA Center : Johnson Space Center; Image # :
AS8-16-2606; GRIN DataBase Number: GPN-2000-
001489.
Titre : « Lever de Terre » – Apollo 8 Titre : « Pleine Terre »
(Earthrise - Apollo 8) (Full Earth )
29.12.1968 12.07.1972

© NASA Center : Johnson Space Center; Image # :


© NASA Center : Headquarters ; Image # : 68-HC- AS17-148-22727; GRIN DataBase Number: GPN-
870; GRIN DataBase Number: GPN-2001-000009. 2000-001138.

Source : NASA/GRIN (2008)

256
Pour National Aeronautics and Space Administration.
257
Chaque astronaute s’émerveille ainsi de la beauté et de la fragilité de cette petite Planète bleue qui apparaît
dans leur hublot.

213
B) La gouvernance internationale
Nous illustrons le rôle de la dimension affective des comportements dans le domaine des
relations internationales (qui, rappelons-le sont caractérisées par l’égalité souveraine des Etats
et l’absence d’un organe coercitif) par deux anecdotes, tirées de l’ouvrage du sociologue Jean
Ziegler (2005a, 2005b), l’empire de la honte, qui souligne toutes les deux l’effet que les
sentiments de déshonneur et de honte peuvent avoir sur les comportements, effet que l’auteur
synthétise dans le concept de pouvoir de la honte.

La première anecdote, avec laquelle l’auteur débute d’ailleurs son ouvrage, raconte qu’à la fin
du 18e siècle, Benjamin Franklin – premier ambassadeur de la jeune république américaine à
Paris, mais surtout co-auteur258 de la Déclaration d’indépendance des Etats-Unis d’Amérique
du 4 juillet 1976 qui peut être considérée comme la « première déclaration des droits de
l’homme » – arrive dans la capitale française où il y est fêté comme un héros par les cercles
révolutionnaires. Or, un soir, au Procope, un café de la capitale dans lequel les
révolutionnaires aimaient se réunir semi-clandestinement, Gorges Tanton, un jeune avocat de
20 ans, interpelle l’ambassadeur américain sur la question des droits humains et l’inexistence
de sanctions derrière cette Déclaration d’indépendance qui n’est donc qu’hypocrisie selon lui.
Et Benjamin Franklin de lui répondre : « vous vous trompez, derrière ces droits, il y a un
pouvoir énorme, éternel… le pouvoir de la honte, power of shame » (Ziegler, 2005b).

La seconde anecdote qui illustre également le « pouvoir de la honte » est quant à elle
directement vécue par l’auteur qui, alors qu’il était sur le point de monter à la Tribune pour
prendre la parole et présenter, en tant que rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation du
conseil des droits de l’homme, son quatrième rapport259 à l’Assemblée Générale des Nations
Unies qui comporte un passage consacré aux traitement réservé par les autorités chinoises aux
réfugiés de la faim Nord-Coréen260, est interpellé par l’ambassadeur de Chine – un pays de 1,4
milliards d’habitant – qui vient le supplier à genou – lui le « petit bourgeois » avec son
rapport qui n’a aucun pouvoir – de ne pas aborder cette question embarrassante pour la Chine
devant l’Assemblée Générale261… « ça c’est le pouvoir de la honte » (Ziegler, 2005b).

Cette thèse du « pouvoir de la honte », qui illustre à merveille le pouvoir (de contrainte) des
processus psycho-effectifs sur les individus (et leurs comportements), est également soutenue
par José Romero262 dans son analyse du régime climatique international (Romero, 2005). En
effet, selon ce dernier, si la mise en œuvre du Protocole de Kyoto se fait dans le cadre
traditionnel du droit international (de l’environnement), caractérisé par l’absence de
« contrainte » et de sanctions efficaces, elle se doit néanmoins d’être comprise dans un
contexte de gouvernance internationale, soit dans le cadre d’un processus au sein duquel tous
les acteurs de la société établissent un pouvoir et une autorité capable d’influencer et de faire
adopter des politiques et des décisions aux niveaux nationaux. Ce processus d’enforcement

258
Le projet de Déclaration d’indépendance fût confié à un comité de cinq représentants (John Adams, Thomas
Jefferson, Robert Livingston, Roger Sherman et Benjamin Franklin), mais ce fût finalement Thomas Jefferson
qui fit le plus gros du travail et qui peut donc être considéré comme l’auteur principal de ce texte fondateur.
259
Le droit à l’alimentation. Rapport présenté lors de la cinquante-neuvième session de l’Assemblée Générale
des Nations Unies, 27 septembre 2004, rapport n° A/59/385.
260
Qui sont renvoyés dans leurs pays où ils sont souvent fusillés ou disparaissent dans les camps de
concentration.
261
Chose qu’il a naturellement refusé de faire.
262
Chef de la section conventions Rio de la division Affaires internationales de l’Office fédéral de
l’environnement (OFEV), il est notamment responsable pour la Suisse, au niveau international, des questions sur
le changement climatique (négociations, conventions, protocole de Kyoto).

214
implique des dimensions qu’il ne faut pas négliger telles que la pression et le contrôle de
l’opinion publique et médiatique, la crédibilité (le respect de ses engagements), etc. qui sont
aptes à contrebalancer, dans une certaine mesure, l’inexistence d’un mode de régulation de
type coercitif par l’existence du principe « name and shame » :

finalement, vu la transparence du processus, les pays ont intérêt à remplir leurs


engagements afin de sauvegarder leur réputation internationale : cette obligation est bien
exprimée par « name and shame ». Car ils sont sous les projecteurs de l’opinion publique
internationale, des ONG, des médias, etc. (Romero, 2005, diapositive n°33)

C) La recherche scientifique
Enfin, pour illustrer le pouvoir des affects sur nos comportements, nous relèverons qu’en
Suisse, un programme du Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS), doté de
plus de 20 millions de francs suisse sur quatre an, a été lancé en 2005 afin d’étudier le rôle des
émotions dans les comportements individuels et les processus sociaux (FNS, 2008). Ainsi, le
Pôle national de recherche en sciences affectives (Swiss National Center of Competence in
Research (NCCR) - Affective Sciences) étudie comment les affects et les émotions façonnent
les comportements (et les prises de décision). Ces trois domaines de recherche sont :

The domain of emotion elicitation and perception comprises the study of the causes of
emotions, the processes involved on different levels, as well as the effects on our
behaviour and well-being. Researchers look at the sorts of objects and events that trigger
emotions, the various factors – genetic, environmental, social, psychological – that
influence our emotional responses, the psychological and physiological processes
involved, the neural architecture involved in affective processing, and the effects of our
emotional predispositions on our subjective well-being.
The domain of emotion regulation comprises the study of how we cope with stress and
conflict (or fail to do so) by controlling and modulating our emotions. Researchers look
at the role of emotion regulation in family settings and at the workplace with the aim of
assessing attempts at such regulation, gaining a better grasp of its role in processes of
pro-social behaviour, and evaluating its broader effects on our life.
The domain of social functions of emotions covers questions about the role of emotions in
norm compliance and their neural basis, questions regarding their role in making and
applying laws, and questions regarding their relation to social values and cultural
identity that raise historical, cultural, and conceptual issues. (Affective Sciences, 2008)

D) « Synthèse affective »
Par conséquent, et appliqué au domaine qui nous occupe, le type « instrument de
communication affective » a donc pour fonction d’actionner le levier comportemental
« disposition affective » des acteurs climatiques pour orienter leurs activités dans le sens
d’une réduction des émissions nettes de GES.

En d’autres termes, ce type d’instrument vise donc à faire vibrer la « corde sensible » des
acteurs climatiques en tentant de produire des émotions, des sentiments, etc. qui vont avoir
pour conséquence d’orienter leurs comportements climatiques de manière positive.

215
9.3.5 Intermède : retour sur la notion de typologie idéaltypique d’instrument politique
Le lecteur attentif aura sans doute perçu dans nos propos et l’élaboration de notre typologie
quelques liens qui pourraient à première vue relever d’une nature non exclusive de nos
instruments politiques. En effet, les frontières entre des notions telles que la vertu et les
affects sont difficiles à identifier dans la réalité comportementale, tant celles-ci s’entremêlent,
voire se confondent.

Leiserowitz (2006), note par exemple, que dans le domaine spécifique du changement
climatique, des études démontrent que la perception du risque et l’acceptabilité des politiques
sont fortement influencées par des facteurs tels que les affects, les perceptions et les valeurs,
de même que les réponses comportementales des acteurs climatiques sont influencées par des
processus qui combinent dimensions psychologiques et socioculturelles.

Cette zone floue de la psychologie morale (et environnementale), entre affects et vertu, entre
psychologie et culture n’est toutefois pas un problème dans la perspective méthodologique qui
est la nôtre et qui, rappelons-le, consiste à dresser des types d’instruments mutuellement
exclusifs sur le plan théorique et de la rationalisation en finalité, et qui laisse, de facto, la
complexité des comportements au domaine de la réalité.

Aussi, si, lorsque nous illustrons le type « instrument de communication affective », nous
faisons référence immanquablement à des notions qui se rapprocheraient plus de la notion
« d’instrument de communication vertueuse », et inversement, – et notamment du fait que les
auteurs auxquels nous faisons référence ne font pas une telle distinction dans leurs propos –,
cela n’est valable que dans la réalité instrumentale complexe et concrète, et non pas au niveau
théorique et typologique. Cette complexité des comportements concrets et donc des
instruments (concrets) s’exprimera d’ailleurs sans aucune dans l’analyse comparative que
nous ferons de ces derniers avec les types d’instruments mutuellement exclusifs que nous
avons identifiés.

Dans le même état d’esprit, notons d’ores et déjà que les fondements théoriques des deux
prochains types instruments que nous allons développer, soit respectivement le pouvoir de
l’in-formation et de l’exemplarité, sont également très entremêlés avec les notions d’affects
et/ou de vertu/valeurs dans la réalité (comportementale), comme en atteste par exemple
l’étude de Kaiser, Wölfing and Fuhrer (1999) qui tisse un lien de nature explicative entre
connaissances et valeurs (sociales et morales) environnementales d’une part et (intension de)
comportement écologique d’autre part. Il n’en demeure pas moins que nous les dissocions et
les considérons comme constituant des notions de nature mutuellement exclusive sur le plan
théorique et typologique.

Enfin, nous noterons également que le fait d’avoir identifié ces différents types d’instruments
par le qualificatif « instrument de communication » est peut-être la résultante de cette
perméabilité des concepts. En effet, ces types d’instruments impliquent fondamentalement un
processus de communication (qu’il soit une communication de valeurs, d’émotions,
d’information, d’exemplarité, etc.). Cependant, c’est plus par un souci de compréhension et de
style que nous avons adjoint cet attribut « communication » à ces types d’instruments,
puisque, selon nous, tout comme chaque instrument constitue un élément de pouvoir, chaque
instrument est également un instrument de communication. Rappelons en effet qu’un
instrument politique, par définition, est un vecteur au sein d’une relation Etat – acteurs cibles

216
qui est caractérisée par un rapport de pouvoir et une dimension relationnelle263. Et qui dit
relation, dit processus de communication.

9.3.6 Idéaltype « instrument de communication in-formationnelle »


L’information est en soi un vecteur comportemental. En effet, comment peut-on attendre d’un
acteur d’adopter un comportement lambda s’il ne sait même pas que cette possibilité existe.
Plus concrètement, un acteur qui ne sait pas faire la distinction entre ses déchets n’est dès lors
pas capable des les trier pour les recycler. A l’aide de cet exemple (pour le moins trivial),
nous pouvons aisément constater que l’information – soit celle propre à permettre à l’acteur
de pouvoir distinguer les types de déchets recyclables – est ici une condition nécessaire (mais
sans doute pas suffisante) à la mise en œuvre du comportement envisagé.

Ce pouvoir de l’information (sur les comportements) peut également être illustré par les
théories respectives de John Langshaw Austin (1970) et Jürgen Habermas (1987), pour qui le
fait d’informer relève au plus haut point de l’action, et, par conséquent, de l’action sur les
comportements humains. Ainsi, dans son célèbre ouvrage Quand dire, c'est faire, Austin
(1970) relève que « dire quelque chose, c'est faire quelque chose » (p. 109) et définit la notion
d'acte perlocutoire de la sorte : « actes que nous provoquons ou accomplissons par le fait de
dire une chose » (p. 119). Dans cette perspective, l’acte d’information « provoquera souvent -
le plus souvent - certains effets sur les sentiments, les pensées, les actes de l'auditoire, ou de
celui qui parle, ou d'autres personnes encore. Et l'on peut parler dans le dessein, l'intention, ou
le propos de susciter ces effets » (p. 114). La plupart des actes locutoires ont donc pour effet
d’induire des conséquences sur autrui et notamment comportementales264. De même, selon
Habermas (1987) et sa théorie de l'agir communicationnel, le fait d’agir se traduit par un acte
de parole qui transforme l’environnement d'un individu. Celui-ci va alors adopter un
comportement en conséquence. Le côté pragmatique du langage est ici privilégié.

De notre côté, nous avons fait le choix de parler non pas d’information, mais « d’in-
formation », dans la mesure où nous définissions cette dernière comme une donnée qui, une
fois transmise d’un acteur A à un acteur B, constitue pour celui-ci une nouvelle
connaissance265 (ou information), certes, mais également un nouveau savoir-faire266
(formation). Ce transfert est donc caractérisé par la réception/l’acquisition par l’acteur B
d’une nouvelle « ressource in-formationnelle »267.

Par conséquent, nous comprenons par le concept « d’in-formation », la synthèse de termes tels
que ceux d’information, de connaissance, de savoir, de savoir-faire et de compétence, qui
peuvent dès lors être considérés comme des synonymes dans la mesure où ils expriment tous
un transfert « d’in-formation » d’un acteur A vers un acteur B ; soit, du point de vue
spécifique de l’acteur B, le passage d’un état d’ignorance – ou d’incertitude268 – à un état « in-
formé ».
263
Voire nos développements dans la première partie de notre recherche sur le caractère relationnel du pouvoir
qui est lui-même indissociable de l’instrument politique, qui est donc, par nature, un instrument relationnel
264
Donner des renseignements par exemple produit presque toujours des effets ultérieurs sur les comportements
et les actions.
265
Un nouveau savoir, une nouvelle information.
266
Une nouvelle compétence pratique.
267
Ou la « réactivation » d’une ressource « oubliée ».
268
La notion d’information est souvent liée dans la littérature spécialisée à la question de l’incertitude (voir, par
exemple, Shannon (Shannon 1948, Shannon et Weaver, 1949) qui ont montré que l’information se caractérise
par les incertitudes qu’elle permet de lever et la notion de confusion chez Watzlawick (1978)).

217
Nous distinguons ainsi dans le concept « d’in-formation », la notion d’information « pure »,
qui représente un transfert de connaissance/savoir, de la notion de formation, qui implique
non seulement le transfert d’une connaissance, mais également la transmission d’un savoir
pratique (savoir-faire/compétence).

Par conséquent, et appliqué au domaine qui nous occupe, le type « instrument de


communication in-formationnelle » a donc pour fonction d’actionner le levier
comportemental « ressources in-formationnelles » des acteurs climatiques pour orienter leurs
activités dans le sens d’une réduction des émissions nettes de GES.

En d’autres termes, nous pouvons dire que l'Etat peut user de son « pouvoir » in-formationnel
dans le but de transformer les comportements des acteurs climatiques dans un sens positif en
leur transmettant des informations (connaissances, compétences, savoirs, savoirs-faire). Nous
pouvons donc aisément nous imaginer toute l’importance que peut revêtir dans ce processus
de transfert d’information des secteurs d’activités tels que les médias,
l'éducation/l’enseignement, la recherche et la formation269. Pensons enfin aux (nouvelles)
perspectives qu’offre le développement fulgurant actuel des (nouveaux, mais aussi
« anciens ») médias tels qu’Internet et autres modes de communication.

9.3.7 Idéaltype « instrument de communication exemplaire »


Disposition à être contraint physiquement, calcul coût-bénéfice, dispositions vertueuses ou
affectives et ressources in-formationnelles constituent les cinq premiers leviers
comportementaux que l’Etat peut actionner pour modifier les comportements des acteurs
socio-économiques. Selon nous, l’Etat peut également agir sur un sixième levier qui est
intimement lié à son propre comportement, à savoir la disposition des acteurs à imiter le
comportement d’autrui, et par la même occasion, le comportement de l’Etat270 lui-même.

Pour illustrer ce phénomène, considérons un exemple hypothétique que nous nommerons


« l’écologisation des fonctionnaires »271. En effet, l’Etat, en inculquant à ses fonctionnaires
une pratique de travail respectueuse de l’environnement (utilisation du papier recyclé,
économie d’énergie sur le lieu de travail, etc.), peut obtenir une influence sur les
comportements de l’entourage du fonctionnaire (par exemple sa famille, ses amis) qui va, par
effet d’entraînement, faire sien le comportement du dit fonctionnaire272.

Ce phénomène est par exemple mis en relief par Morand (1999) lorsque celui-ci note que
l’activité interne de l’Etat peut également déployer des « effets externes » (p. 177) et par là,
notamment orienter par « effet d’entraînement » (p. 178) le comportement des acteurs socio-
économiques, par exemple dans le domaine des économies d’énergie. Toutefois, l’auteur ne
dissocie pas dans ses propos la composante « in-formationnelle » de la dimension
« imitationnelle » de cette modalité d’intervention de l’Etat exemplaire. Or, dans la

269
Nous renvoyons le lecteur qui voudrait en savoir plus sur les « relations » qu’entretient l’Etat avec
l’information et la formation, respectivement à Knapp (1991) et à Delley (1991).
270
Comprenons ses fonctionnaires.
271
Ou socialisation écologique, éco-socialisation des fonctionnaires.
272
Nous pouvons d’ailleurs dire que l’Etat fait dans ce cas de figure pour ainsi dire « d’une pierre trois coups »
dans la mesure où a) les fonctionnaires qui ont acquis ces types de comportements contribuent à la protection de
l’environnement sur leur lieu de travail, b) ces mêmes fonctionnaires vont être tentés de reproduire leurs
comportements dans leur vie de tous les jours (en tant qu’acteurs socio-économique) et c) ils vont « entraîner »
leur entourage à leur emboîter le pas.

218
perspective qui est la nôtre, c’est cette dernière composante spécifique du processus
d’entraînement qui, par opposition aux « instruments de communication in-formationelle »,
définit le type « instrument exemplaire ».

En effet, selon nous, le phénomène d’entraînement peut être généré – sur le plan théorique et
idéaltypique – entre autre par deux processus distincts. L’un relève d’un simple processus
d’imitation : l’individu A (par exemple un fonctionnaire) adopte un comportement et
l’individu B (par exemple un membre de sa famille) le copie273. L’autre relève d’un processus
d’ordre « in-formationnel » : adopter un comportement c’est aussi signifier quelque chose,
une signification qui va donc avoir une certaine répercussion sur le comportement d’autrui.
Dans ce dernier cas, nous pouvons ainsi renverser la formule d’Austin (1970) : « dire quelque
chose, c'est faire quelque chose » (p. 109), en relevant, avec Watzlawick (1978), que faire
quelque chose, c'est aussi dire quelque chose :

C’est l’une des lois fondamentales de la communication que tout comportement en


présence d’autrui a valeur de message, en ce sens qu’il définit et modifie le rapport entre
les personnes. Tout comportement dit quelque chose [et il peut donc être adopté dans une
visée comportementale]. (p. 16).

Aussi, et en d’autres termes, le comportement de l’Etat peut-il être considéré comme


exemplaire – Etat modèle274 dirons-nous – et avoir une visée comportementale, un effet
d’entraînement, en tentant de montrer le chemin à suivre aux acteurs socio-économiques de
deux manières différentes275 : en agissant sur leurs « ressources in-formationnelles » et/ou en
déclenchant chez eux un « effet d’imitation ».

C’est cette deuxième dimension, et uniquement celle-ci, qui définit dans notre cas le type
« instrument exemplaire » qui, par conséquent est appliqué au domaine qui nous occupe, a
donc pour fonction d’actionner le levier comportemental « disposition à imiter
(l’environnement humain) » des acteurs climatiques pour orienter leurs activités dans le sens
d’une réduction des émissions nettes de GES.

9.3.8 Idéaltype « instrument d’aménagement et d’infrastructures »


En reprenant l’exemple du recyclage des déchets à travers lequel nous avons vu que
l’information est une condition nécessaire (mais certainement pas suffisante) à la production
du comportement « trier ses déchets », nous pouvons également mettre en évidence
l’importance de la présence (ou de l’absence) de récipients pour le tri276 dans la production de
ce type de comportement.

En d’autres termes, avoir à disposition un aménagement matériel propice au tri va


immanquablement avoir un effet sur notre comportement. Dans un autre domaine, celui de la
circulation routière, nous pouvons également constater combien notre environnement
physique et matériel peut avoir des conséquences sur nos comportements : pensons

273
De même, si l’administration adopte une activité, le secteur privé peut lui emboîter le pas.
274
Voir également Flury-Kleuber et Gutscher (2001).
275
Nous pensons que cette modalité d’intervention est assez sous-estimée par l’Etat et que bien qu’il en use
« malgré lui » si l’on peut dire, il pourrait l’utiliser d’une manière bien plus efficace s’il avait conscience des
potentialités de cette démarche dont il ne soupçonne pas (ou du moins pas assez) l’efficacité.
276
Que se soit au niveau individuel (poubelles) ou, au niveau de la collectivité, la mise à disposition par celle-ci
d’un système de tri collectif.

219
simplement à la disposition de chicanes ou de gendarmes couchés, ou de tout autres obstacles,
sur la chaussée dans le but de faire réduire la vitesse de passage des automobilistes. Poussé à
l’extrême, une barrière, un mur, va immanquablement empêcher l’accès d’une voiture à un
endroit où l’on ne veut pas qu’elle aille.

Par conséquent, et appliqué au domaine qui nous occupe, le type « instrument d’aménagement
et d’infrastructure » a donc pour fonction d’actionner le levier comportemental « capacité
d’adaptation à l’environnement physique et matériel » des acteurs climatiques pour orienter
leurs activités dans le sens d’une réduction des émissions nettes de GES. Nous pouvons ainsi
nous imaginer que les politiques d’aménagement du territoire et d’infrastructures tiennent une
place importante dans ce domaine.

9.4 Pour un bref résumé

En guise de synthèse, nous nous contentons de rappeler la nature idéaltypique de notre


typologie d’instrument et sa mise en perspective au regard de la notion de contrainte pour
enfin illustrer nos sept idéauxtypes d’instruments à l’aide d’un exemple choisi dans le même
domaine d’intervention : la circulation routière277.

9.4.1 Une typologie d’instruments politiques de nature idéaltypique


Notre typologie d’instruments politiques consiste en une typologie de nature idéaltypique au
sens wébérien du terme. Aussi, les sept types d’instruments politiques que nous avons
identifiés sur la base de leur fonction première, à savoir influencer les comportements
humains, doivent être envisagés comme des concepts idéels (réducteurs) dont l’utilisation
consiste à les considérer comme des points de comparaison avec une réalité instrumentale
concrète et complexe par nature. Ils n’ont donc aucune prétention à vouloir définir ou
emprisonner cette dernière qui se doit d’ailleurs d’être le point de départ de l’analyse.

Par ailleurs, nous soulignons également que cette typologie d’instruments politiques étant
construite sur la base de leur fonction première – à savoir influencer les comportements
humains – elle n’est donc pas conçue pour établir comment y arriver. Cet objectif relève des
instruments concrets, ceux-là même qui feront l’objet de notre analyse idéaltypique.

9.4.2 Notre typologie d’instruments politiques et la notion de contrainte


Nous rappellerons ici que conformément à nos réflexions sur le concept de contrainte et son
application aux typologies d’instruments, nous avons préféré caractérisé notre premier type
d’instrument par la notion de coercition. Aussi, dans notre perspective, la contrainte est une
dimension partagée par l’ensemble des types d’instruments que nous avons identifié dans la
mesure où, d’une part, les instruments politiques sont par définition des instruments de
contrainte, et d’autre part, étant définie comme une restriction des possibilités (options)

277
A ce titre, notons que Tanner (1999) identifie deux types de facteurs pour expliquer un comportement de
nature pro-environnementale, à savoir la (baisse de) fréquence d’utilisation de la voiture. Il distingue ainsi des
facteurs subjectifs tels que le sens de la responsabilité ou la perception de barrières aux comportements mais
également des facteurs d’ordre « objectifs/structurels » tels que le revenu, la place de résidence, mais également
et très simplement l’absence de voiture. Noux y retouvons quelques uns des septs détérminants
comportementaux que nous avons identifiés dans le cadre de notre typologie.

220
d’action de l’acteur ciblé par un instrument, celle-ci ne dépend donc pas de la nature de
l’instrument mais bien de son efficacité (mesurée sur le terrain). Pour illustrer nos propos,
nous nous contenterons de donner pour seul exemple le cas de l’aménagement d’une route
dans la perspective de réduire la vitesse des automobilistes à l’aide de chicanes et autres
obstacles physiques qui s’avère représenter un instrument beaucoup plus contraignant pour un
automobiliste qu’une seule obligation de limitation de vitesse.

9.4.3 Une illustration sommaire


Enfin, nous illustrons ici notre typologie idéaltypique d’instruments politique à l’aide d’un
exemple imaginaire pris dans le domaine de la circulation routière : l’Etat doit modifier le
comportement routier des automobilistes afin qu’il ne passe pas à un endroit où une espèce en
voie de disparition séjourne en pleine période de reproduction (cf. Tableau 35 ci-dessous).

Tableau 35 : Une illustration de notre typologie idéaltypique des instruments politiques

Déterminants de l’activité humaine


Instruments concrets Types d’instruments
formulé du point de vue de l’acteur
Acteur cible = automobiliste politiques
cible*

disposition à être contraint


Panneau « obligation de prendre la physiquement par l’autorité si
Instrument coercitif
route de contournement » l’automobiliste ne respecte pas
l’obligation de contournement

calcul coût-bénéfice de
l’automobiliste qui pèse les
avantages qu’il tire de passer par
Péage prohibitif rapport au prix demandé : un certain Instrument économique
nombre d’automobilistes vont
préférer contourner l’endroit plutôt
que de payer le prix demandé

Annonce à la radio qui fait état de


la nécessité de protéger l’espèce en disposition vertueuse de
Instrument de communication
voie de disparition et de ne pas la l’automobiliste vis-à-vis de l’espèce
vertueuse
déranger durant la période de menacée
reproduction

Campagne publicitaire au bord de


disposition affective de
la route que qui vise à émouvoir Instrument de communication
l’automobiliste vis-à-vis de l’espèce
les automobilistes sur le cas de affective
menacée
l’espèce qui est menacée

Panneau qui indique : espèces en


voie disparition, ne pas déranger, Instrument de communication
ressources in-formationnelles
voie de contournement : suivre in-formationnelle
flèche jaune

Une voiture de police emprunte la imitation des automobilistes qui se


Instrument exemplaire
voie de contournement suivent « comme des moutons »

Une barrière est placée sur la


adaptation de la trajectoire par Instrument d’aménagement et
chaussée pour obstruer
rapport à la présence de la barrière d’infrastructures
complètement le passage

Source : l’auteur

221
Cet exemple est utilisé pour bien comprendre les différences entre les déterminants
comportementaux qui sont en jeu. Cependant, dans la perspective méthodologique qui est la
nôtre, il serait nécessaire de prendre chacun des instruments et de le comparer à chacun des
sept types d’instruments.

Enfin, nous soulignerons la particularité suivante : le recours à la force physique légitime


relève, dans nos démocraties, d’un monopole, celui du système étatique qui est par
conséquent le seul à pouvoir légitimement user de l’instrument coercitif. A fortiori, tous les
autres types d’instruments peuvent être mis en œuvre par d’autres acteurs, tels que les médias,
les associations, etc.

222
IIIE PARTIE

ESSAIS D’UNE ANALYSE INSTRUMENTALE


+
IDÉALTYPIQUE DE LA POLITIQUE
CLIMATIQUE SUISSE

ÉLÉMENTS D’ANALYSE

223
224
L’objectif principal que nous poursuivons dans le cadre de cette troisième et ultime partie de
notre travail de recherche réside dans la mise en œuvre de notre proposition d’analyse
instrumentale idéaltypique des politiques publiques (de protection de l’environnement). A
cette fin, nous avons choisi d’étudier la politique climatique suisse et, toujours dans le souci
de faire ressortir la complexité sociale (ou socio-environnementale) de notre objet d’étude,
nous avons organisé cette dernière partie en quatre grandes étapes :

• la définition de notre champ d’investigation et de nos questions, hypothèses et


méthodes de travail (Chapitres 10) ;

• l’identification de la problématique environnementale – le changement climatique –


dans le but d’en faire ressortit notamment les enjeux, la complexité et les acteurs
principaux (Chapitre 11) ;

• l’étude descriptive de la politique climatique suisse dans le but d’en identifier les
instruments et leur articulation (Chapitre 12) ;

• l’évaluation et l’analyse idéaltypique de ces instruments dans le but d’en faire


ressortir des éléments compréhensifs, explicatifs et méthodologiques (Chapitre 13) ;

Aussi, avec cet essai d’analyse idéaltypique de la politique climatique suisse, nous pensons
contribuer, au moins dans une certaine mesure, nous l’espérons, au renforcement d’un cadre
méthodologique et théorique propice à l’analyse instrumentale des politiques publiques par le
biais d’une typologie ou, tout au moins, à une meilleure compréhension de ce que sont les
types d’instruments politiques et la manière par laquelle ils se doivent d’être abordés et
compris.

Chapitre 10 Méthode de travail

Doté d’un outil d’analyse (compréhensif) issus d’une réflexion méthodologique de nature
générale – à savoir notre typologie idéaltypique des instruments politiques (de protection de
l’environnement et du climat) – nous nous proposons maintenant de définir de manière plus
pratique la méthodologie que nous allons appliquer afin d’analyser la politique climatique
suisse.

Il est donc ici question de définir notamment notre champ d’investigation (la délimitation du
sujet et de l’unité d’observation et d’analyse), nos questions de recherche et hypothèses de
travail ainsi que la façon dont nous allons nous y prendre pour y répondre (notre méthode de
travail).

225
10.1 Unité d’observation, champ d’investigation et structure de l’analyse

Définir un champ d’étude ne constitue jamais une chose aussi simple que nous aimerions le
penser. Parfois laissée de côté, cette étape est cependant primordiale dans la mesure où elle
permet de définir les limites, les frontières de l’analyse. Cette première phase est ainsi
nécessaire (mais sans aucun doute de loin pas suffisante) pour qu’une recherche puisse
déboucher sur des résultats scientifiques, à savoir réfutables au sens de Popper (1973, 1981).
En effet, sans fondations clairement identifiées, toutes espèces de réponses ou de conclusions
échappent au domaine du falsifiable.

Nous définissons ainsi notre champ d’étude en trois étapes que sont l’identification de l’objet
d’analyse (ou de l’unité d’observation), le champ d’investigation (une sorte de périmètre qui
définit l’espace dans lequel nous allons observer l’unité d’analyse) et la structure de l’analyse
(l’agencement et les niveaux de l’analyse).

10.1.1 Unité d’observation : les instruments concrets


Comme vous l’aurez sans aucun doute compris, l’unité d’observation que nous nous
proposons d’étudier dans le cadre de notre recherche sont les instruments de la politique
climatique suisse.

Plus précisément, ce sont les instruments concrets de la politique dans le sens où ils sont
considérés au niveau de la législation, soit le niveau final où s’exprime le choix des acteurs du
processus décisionnel.

En effet, nous pouvons définir quatre niveaux pour appréhender les instruments des politiques
publiques : deux niveaux théoriques (ou conceptuels) et deux niveaux concrets qui se situent
sur un continuum de complexité définit par les pôles réduction – complexité (cf. Figure 20 ci-
dessous).

Ainsi, pour illustrer nos propos sur la base de la figure 20, nous pouvons dire que l’analyse
(théorique) des instruments par l’économie de l’environnement – qui, rappelons-le, postule la
meilleure efficience des instruments économiques (taxe et système de permis) sur les
instruments de contrôles directs (interdiction par exemple) – se situe aux niveaux I/II (niveaux
conceptuels A/B), alors que l’évaluation (expost ou concomitante) des politiques publiques se
situe quant à elle le plus souvent au niveau IV de la mise en œuvre.

Dans le cadre de notre analyse des instruments de la politique climatique suisse, nous nous
situons au niveau III (législatif), puisque nous nous intéressons aux instruments tels qu’ils
résultent du processus de décisions, processus au travers duquel s’exprime d’ailleurs le choix
des (différents) acteurs socio-économiques qui y sont associés.

Soulignons d’ailleurs que ce choix instrumental est (notamment) issu d’une rationalisation en
finalité des décideurs sur les réactions comportementales attendues de la part des acteurs
ciblés par l’introduction des instruments (via la chaîne de causalité théorique de l’action
étatique). En d’autres termes, ce sont bien des hypothèses comportementales qui sous-tendent
(en partie) le choix des instruments politiques, instruments que nous nous proposons d’ailleurs
d’analyser sur la base d’une typologie dont le fondement repose précisément sur de telles
hypothèses comportementales (nos sept leviers comportementaux).

226
Figure 20 : Quatre niveaux pour appréhender les instruments des politiques publiques

Source : d’après Perret (2006)

Par conséquent, c’est au niveau législatif que nous allons pouvoir définir les limites de notre
champ d’investigation.

10.1.2 Champ d’investigation : la politique climatique suisse


Nous avons choisi d’analyser la politique climatique suisse (ou politique suisse de protection
du climat) pour différentes raisons interdépendantes, parmi lesquelles notre intérêt pour le
sujet, l’existence de nos travaux antérieurs et le fait que notre recherche ait été menée dans le
cadre du groupe de travail International Economic Mechanisms: Implications for Domestic
Policies (IEM)278 du National Centre of Competence in Research on Climate (NCCR
Climate)279 dont l’objectif était d’intégrer la perspective des sciences économiques et sociales
à l’étude de la question climatique au travers d’une analyse socio-économique des instruments
politiques de protection du climat280.

Soulignons cependant d’entrée que notre champ d’investigation se limite aux instruments
politiques tels qu’ils découlent de la législation sur le CO2, à savoir de la loi fédérale du 8
octobre 1999 sur la réduction des émissions de CO2 (LCO2) dues à l’utilisation énergétique
des agents fossiles (combustibles et carburants) et de ses diverses ordonnances281.

278
Placé sous la direction du Professeur Beat Bürgenmeier (Principal Investigator)
279
Pôle de recherche national Climat (PRN Climat).
280
Recherche financée jusqu’au 31.03.2006. Voir le rapport final de notre groupe de travail (Bürgenmeier, Perret
et al., 2006) au sein du sixième rapport intermédiaire du NCCR Climate.
281
Ordonnances du 22 juin 2005 régissant l'imputation des réductions d'émissions opérées à l'étranger
(Ordonnance sur l'imputation du CO2), du 8 juin 2007 sur la taxe sur le CO2 (Ordonnance sur le CO2), du

227
En ce sens, la définition de ce que nous nommons indifféremment politique climatique suisse
ou politique suisse de protection du climat doit être comprise de manière très restrictive,
l’avantage principal de cette délimitation résidant dans le fait que notre champ d’investigation
s’en trouve simplifiée, étant entendu qu’une seule législation est prise en considération dans
l’analyse instrumentale.

Cependant, nous pouvons également mettre en exergue la pertinence de notre choix sous une
dimension quantitative. En effet, le CO2 constitue près de 85 % des émissions annuelles
brutes de gaz à effet de serre282 (GES) en Suisse et près de 95 % de ces émissions sont dues à
la combustion des énergies fossiles, celles-là même qui font l’objet de la législation sur le
CO2 (cf. Figure 21 ci-dessous et Annexe 16 pour certaines précisions).

Figure 21 : Les émissions de GES et de CO2 en Suisse (1990-2006) et les secteurs d’activités
responsables

Emissions de GES en Suisse, 1990-2006

60

50

40
Gaz synthétiques, chiffre 2001 : 1.6% (moyenne 1990-
2006 : 1%)
N2O, chiffre 2006 : 6.2% (moyenne 1990-2006 : 6.6%)
Miot
30
équ. CO2 CH4, chiffre 2006 : 6.6% (moyenne 1990-2006 : 7.4%)

CO2, chiffre 2006 : 85.6% (moyenne 1990-2006 : 85%)


20

10

0
1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006

Emissions de CO2 en Suisse, par secteurs d'activité, 1990-2006


Part de la combustion des énergies fossiles, chiffre 1990 - 2006 : 92,4 % - 94.8 % (moyenne 94.4%)

50

45

40

35

Déchets, chiffre 2006 : 0%


30
Industrie II, chiffre 2006 : 5.2%

Miot 25 Agriculture, chiffre 2006 : 1.2%

Ménages, chiffre 2006 : 25.1%


20 Services & commerces, chiffre 2006 : 11.3%

Transports, chiffre 2006 : 34.8%


15
Industrie I, chiffre 2006 : 22.3%

10

0
1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006

Source : sur la base des données de l’inventaire des gaz à effet de serre en Suisse (OFEV, 2008a, 2008b)

DETEC du 27 septembre 2007 sur le registre national des échanges de quotas d'émission et du 21 décembre
2007 sur la compensation des émissions de CO2 des centrales à cycles combinés alimentées au gaz.
282
Converties en équivalents CO2.

228
La législation sur le CO2 couvre par conséquent près de 80 % des émissions de GES en Suisse
et peut donc être considérée comme « le fondement essentiel de la politique nationale de
protection du climat » (Perret, 2002, p. 63). Elle est d’ailleurs l’élément principal de la mise
en œuvre au niveau national des engagements que la Suisse s’est engagée à prendre au niveau
international, à savoir dans le cadre de la Convention-Cadre des Nations Unies sur les
changements climatiques (CCNUCC) et du Protocole de Kyoto (OFEN, 2001).

Cependant, une telle délimitation de notre champ d’investigation possède différentes


implications interdépendantes :

• premièrement, nous ne traitons pas des instruments politiques issus de toutes les autres
politiques publiques (et leurs législations respectives) qui ont pour effet de réduire les
émissions nettes de GES283 dans les différents secteurs d’activités impliqués dans la
problématique du réchauffement climatique à savoir, principalement, les instruments
des politiques énergétique, des transports, de l’environnement, agricole, sylvicole,
fiscale, d’information, de formation et d’éducation, de sensibilisation et de recherche
(cf. Annexe 16).

• deuxièmement, en nous limitant à un domaine d’intervention dans lequel la


Confédération jouit d’une compétence exclusive et dans lequel elle fixe non seulement
les objectifs mais également les moyens de les atteindre, nous éliminons de notre
analyse les politiques ou programmes cantonaux voire communaux.

10.1.3 Structure de l’analyse


L’analyse que nous nous proposons d’effectuer de la politique climatique suisse comprend
quatre niveaux : un niveau descriptif, un niveau compréhensif, un niveau méthodologique et
un niveau explicatif.

Très succinctement, alors que l’étude descriptive de la problématique du changement


climatique nous permettra d’en faire ressortir sa complexité et ses acteurs principaux, l’étude
descriptive de la législation nous permettra quant à elle d’identifier les instruments concrets
de la politique climatique suisse. L’analyse compréhensive et méthodologique nous permettra
pour sa part d’identifier les types d’instruments politiques qui ont été ancrés au niveau
législatif (après avoir passé avec succès l’étape du processus décisionnel) et de discuter
certains aspects méthodologiques liés à notre questionnement de départ. Enfin, l’analyse
explicative nous permettra de mettre en relation certaines variables explicatives au regard des
types d’instruments mis en œuvre.

Notons d’ores et déjà que nous testerons donc dans ce cadre des hypothèses de nature
compréhensive et explicative. Aussi, en dissociant ces deux types d’hypothèses, nous
rejoignons les propos de Bulle (2005) sur les modèles formels et l’explication en sciences
sociales :

Pour apprécier la robustesse explicative d’un modèle, il est nécessaire de pouvoir séparer
méthodologiquement les hypothèses descriptives [ou compréhensives] (réalisme des
effets) et les hypothèses explicatives (réalisme des causes). Cette distinction est possible

283
Soit les émissions brutes (sources) auxquelles sont soustraites les émissions captées par des puits, par
exemple la forêt.

229
seulement si les phénomènes appréhendés par les premières peuvent être considérés
comme exogènes aux phénomènes appréhendés par les secondes, et inversement, dans le
cadre de la théorie développée. […]Plus précisément ici, dans un but d’explication du
phénomène social représenté, elle [cette distinction] prévient le jeu de facteurs implicites
sur les facteurs explicatifs du modèle. Les éléments essentiellement descriptifs [ou
compréhensif] doivent en effet pouvoir être développés dans la perspective d’une théorie
explicative plus générale sans réduire à néant le modèle, c’est-à-dire le rôle imputé aux
facteurs explicatifs. Les critères méthodologiques de l’explication, qui dépendent
d’options théoriques préalables, sont alors applicables aux hypothèses explicatives. Les
conditions de validité empirique, adaptées en fonction des finalités descriptives [ou
compréhensives] du modèle, permettent enfin d’apprécier si les hypothèses avancées sont
conformes aux données de l’observation. (Bulle, 2005, pp. 32-33)

Indiquons ici également que nous aurions pu, il est vrai, nous contenter d’une analyse
compréhensive dans le cadre de notre recherche sans chercher de manière explicite à cerner
une dimension explicative. Cependant, nous avons jugé utile de développer quelques pistes de
recherche explicative dans la perspective de proposer par la suite un modèle d’analyse
instrument284. D’ailleurs, comme le notent Quivy et Campenhoudt (2006) :

Une recherche sociale tend à dépasser une simple description des phénomènes sociaux
(même si une description bien faite n’est pas chose aisée et peut être fort précieuse) ; elle
vise à expliquer ces phénomènes. (p. 84)

Expliquer un phénomène […] revient à la mettre en relation avec autre chose : un ou


plusieurs phénomènes, un système d’action dont il relève, un contexte macrosocial, un
ensemble de transformations historiques, un sens qu’il recèle dans l’esprit de ceux qui le
font exister, des stratégies d’agents en compétition, des fonctions qu’il assure pour le
système social… Bref, expliquer un phénomène revient « à le sortir de son immédiateté
et de l’isolement que celle-ci implique » (J. Lardrière, La causalité dans les sciences de la
nature et dans les sciences humaines, In R. Frank (Ed), Faut-il chercher aux causes une
raison ? L’explication causale dans les sciences humaines, Paris : Vrin, 1994, pp. 248-
274). » C’est cette mise en relation qui rend le phénomène intelligible. (pp. 84-85)

10.2 Fondements théoriques des questions de recherche et des hypothèses de travail


(bref rappel)

Les différentes questions de recherche et hypothèses de travail que nous soumettons à


l’expérience des faits sont issues des développements et réflexions menées au sein de notre
cadre théorique et méthodologique. C’est pourquoi nous ne les développons que de manière
assez succincte sans revenir en détail sur les propos que nous avons déployés par le passé.

10.2.1 Fondements théoriques pour l’analyse compréhensive et explicative


Comme nous l’avons vu dans la première partie de cette recherche, bon nombre d’auteurs285
semblent faire un constat identique et observent l’apparition de « nouveaux » instruments dont

284
Voir nos développements sur le « système instrumental » dans le cadre de la dernière partie de notre
recherche.
285
Voir notamment Morand, 1991a/b, 1999, mais également Fraiburghaus, 1991 ; Willke, 1992 ; Pal, 1992 ;
Bari, 1993 ; Cooper, 1995 ; Ost, 1995 ; Lascoumes et Le Galès, 2004 ; Salamon, 2002

230
les caractéristiques (flexibilité, participation/collaboration, information, etc.) semblent bien
différentes de celles des instruments traditionnels de nature plus contraignante.

Cette modification historique des modalités d’intervention de l’Etat semble ainsi être
l’expression d’un passage d’une régulation dite dure (hard regulation) qui sévissait au début
du XXe siècle à une régulation plus légère (soft regulation) à la fin du siècle passé et en ce
début de XXIe siècle.

Deux types d’interprétations différentes (mais sans aucun doute interdépendantes) émergent
cependant de la littérature pour expliquer cette transformation de l’intervention étatique.

D’une part, les tenants d’une analyse historique et systémique de l’évolution des modalités
d’intervention étatique (voir notamment Morand, 1991a/b, 1999 ou Papdopoulos, 1995)
explique cette bifurcation vers le moins de contrainte et le plus de laisser-faire (le marché) par
l’adaptation nécessaire de l’Etat face à l’augmentation de la complexité et de l’autonomie des
sous-systèmes sociaux qu’il doit réguler286. Rappelons ainsi brièvement avec Morand que
cette modification découle sans doute de l’accroissement de la complexité sociale et de la
difficulté alors éprouvée par l’Etat à agir de manière autoritaire et contraignante sur des sous-
systèmes sociaux autonomes et de plus en plus complexes287… pour lesquels l’Etat se
restreint dès lors à ne fixer qu’un cadre relativement mou.

D’autre part, d’autres (voir notamment Cooper, 1995, Salamon, 2002 et Lascoumes et Le
Galès, 2004) fondent quant à eux l’explication de cette transformation des modalités
d’intervention par l’influence du contexte de réforme néolibéral (renouveau de la pensée
économique néolibérale) qui caractérise l’évolution de l’Etat et de son administration,
notamment au sein des pays industrialisés depuis cette dernière moitié de siècle et qui s’est vu
porteur d’une nouvelle conception de la gestion publique (le new public management) calquée
sur le modèle de la pensée économique (néo)libéral qui érige en roi le principe de l’efficience
du marché288.

Avec Lascoumes (1994), nous avons d’ailleurs vu que la préférence pour les instruments
privilégiant la sensibilisation et la responsabilisation découlait d’une conception individuelle
et libérale du rapport de l’homme à son environnement (et donc de la régulation
environnementale), tout comme une intervention de l’Etat gendarme apte à garantir une
jouissance paisible du spectacle ou de l’appropriation de la nature est induite par une
conception de l’environnement nourrie d’images naturalistes et protectionnistes.

Cependant, notons avec Salamon (2002), que cette tendance à la gestion publique
(néo)libérale serait plus marquée dans les pays anglo-saxons qu’en Europe. Ainsi, selon cet

286
Varone (1998) note d’emblée les limites explicatives de ces approches diachroniques qui traitent de
l’évolution des instruments à un niveau général pour la plupart (celui de l’Etat dans sa globalité), souvent, sans
différencier leurs champs d’application, et qui visent à mettre en évidence différentes périodes de l’action
étatique (de manière inductive), en soulignant la prédominance de tel ou tel type d’instrument.
287
De même, des auteurs tels que Lascoumes et Le Galès (2004, citant notamment Ikenberry (2003 in Paul, T.
V., Ikenberry, G. J. & Hall, J.A., p. 353, cité par Lascoumes et Le Galès, 2004, p. 366 ) et Donzelot et Estèbe
(1994, cités en référence par Lascoumes et Le Galès, 2004)) ou Salamon (2002) font également reposer
l’explication de cette évolution – certes en des termes un peu différents – en mettant plus ou moins l’accent sur
les limites des « instruments traditionnels » à la régulation d’une complexité sociale grandissante (et notamment
la complexité croissante des acteurs-cibles).
288
Ce « nouveau paradigme de gouvernance [The new governance paradigm] » (p. 9), comme le nomme
Salamon (2002).

231
auteur le choix des instruments étant fortement influencé par la culture et l’idéologie, il
existerait ainsi une différence significative entre l’approche instrumentale américaine –
orientée vers une régulation par le marché – et européenne – plus orientée vers une
intervention étatique traditionnelle.

Enfin, si nous avons constaté qu’une évolution vers une diminution de la contrainte peut être
esquissée dans le cadre d’une perspective analytique historique (approche diachronique du
long terme), une tendance inverse semble toutefois être soulignée par la littérature spécialisée
dans une perspective temporelle et analytique à plus petite échelle.

Cette tendance, formulée de manière assez semblable dans la littérature spécialisée (voir
notamment ; Doern et Wilson, 1974 ; Doern et Phidd, 1983 ; Hood, 1983/1990 ; Schneider et
Ingram, 1990 ; Howlett, 1991 ; Varone, 1998 ; Bemelmans-Videc et Vedung, 1998 ; Vedung,
1998 ; Van der Doelen, 1998, citant notamment la Three E’s strategy de Paisley), peut être
résumée par l’hypothèse selon laquelle les instruments politiques sont combinés par les
décideurs au sein des politiques publiques selon une gradation séquentielle qui débute par le
choix de l’instrument le moins contraignant pour ensuite aller, par étapes successives, vers des
instruments de plus en plus contraignants (principe de l’escalier) :

Politicians have a strong tendency to respond to policy issues (any issu) by moving
successively from the least coercive governing instrument to the most coercive. (Doern et
Wilson, 1974, p. 339 et Doern et Phidd, 1983, p. 128 ; notamment cités par Howlett,
1991, p.12, et par Vedung, 1998, p. 40)

decision makers always choose first the least coercive instrument, moving over time from
least coercive to most coercive in any given policy area (Bemelmans-Videc, 1998, p. 9)

Nous avions quant à nous formalisé cette hypothèse par la formule :

Combinaison instrumentale diachronique = Ia-c0/t1 + Ib-c1/t2 + … + In-cX/tn

ou
I = instrument
a, b … n = type d’instrument a, type d’instrument b … type d’instrument n
-c0, -c1 … -cX = contrainte nulle (0), contrainte de niveau 1 … contrainte de niveau X
/t1, /t2 … /tn = temps 1, temps 2 … temps n

Rappelons par ailleurs que cette tendance est expliquée – de manière somme toute assez
théorique – (voir notamment Howlett, 1991 ; Varone, 1998 ; Vedung, 1998 ; Bemelmans-
Videc et Vedung, 1998) par la recherche de la part de l’Etat d’une certaine acceptabilité et
légitimité qui peut être associée à une conception idéologique et une philosophie politique de
nature (néo)libérale qui définit toute intervention de sa part selon le principe de la contrainte
minimale.

Ainsi, et compte tenu de la plus grande acceptabilité (hypothétique) des instruments les moins
contraignants et d’une politique conçue par étapes successives, l’Etat est poussé à introduire
l’instrument le moins contraignant dans un premier temps afin de lever les réticences des
acteurs du processus politique (notamment des décideurs et des acteurs-cibles) pour, ensuite,
dans une deuxième phase et si nécessaire, introduire des instruments de nature plus
contraignante qui se trouvent dès lors légitimés par le fait que l’Etat est intervenu dans un
premier temps de la manière la plus douce possible mais qu’il n’a pas obtenu les résultats

232
escomptés. Par conséquent, l’application du principe de la contrainte minimale peut être
associée à la difficulté éprouvée par l’Etat à imposer des instruments contraignants à des
groupes sociaux réticents face à la contrainte et défendant leurs intérêts au sein du processus
décisionnel. Elle permet notamment de laisser aux acteurs-cibles la plus grande liberté
possible d’autodétermination.

10.2.2 Fondements théoriques pour l’analyse méthodologique


Nous nous contentons ici de rappeler de manière synthétique que nous prônons un abandon
sans concession de ce que nous avons appelé la tentation classificatrice pour le
développement d’une méthodologie qui puisse être capable d’appréhender la complexité des
instruments politiques.

Cet impératif se traduit notamment par la nécessité de différencier le niveau théorique où se


placent les typologies d’instruments (concept, rationalisation, réduction, théorie basique de
l’activité humaine) et le niveau empirique du terrain des instruments concrets (complexité,
dimensions, acteurs-cibles) ainsi que par l’application d’une approche comparative de nature
idéaltypique. De même, il implique également d’analyser les instruments concrets en fonction
de leur destinataire (qui peuvent être multiples).

Sur cette base, nous avons donc conçu notre typologie d’instruments politiques autour de sept
déterminants comportementaux et avons proposé de l’appliquer à l’analyse (de la politique
climatique suisse) selon la méthodologie wébérienne idéaltypique. Nous pensons ainsi que
cette approche permet de dépasser les limites de l’approche classificatrice pour amener à une
compréhension des instruments politiques sous l’angle de leur complexité.

10.3 Questions de recherche

Comme le laisse entendre la structure de notre analyse, nous nous proposons d’étudier
plusieurs types de questions de recherche, soit des questions d’ordre compréhensif et
explicatif, mais également, d’ordre méthodologique.

Poser de telles questions reste essentiellement utile afin de structurer l’analyse. Mais, le
véritable enjeu scientifique se situe bien plus au niveau des hypothèses de travail que nous
allons définir ci-après.

Notons que dans un souci de structuration, nous avons également défini au préalable des
questions de recherche d’ordre descriptif, pour lesquelles nous n’avons d’ailleurs pas émis
d’hypothèses, ce type de question ne s’y prêtant pas.

10.3.1 Questions d’ordre descriptif


L’étude descriptive tente de répondre aux questions principales suivantes :

de quelle nature est la problématique environnementale visée par la politique


climatique suisse ? et quels acteurs y sont associés ?

233
quels sont les instruments (concrets) mis en œuvre pour solutionner la
problématique environnementale soulevée ? et comment sont-ils articulés au sein
de cette politique ?

10.3.2 Questions d’ordre compréhensif

L’analyse compréhensive tente quant à elle de répondre à la question principale qui est de
savoir

quels sont les types d’instruments de la politique climatique suisse ? (et comment
sont-ils articulés ?)

10.3.3 Questions d’ordre méthodologique


Répondre à la question d’ordre compréhensif nous permettra également de répondre à des
questions d’ordre méthodologique – qui mettent toutes en exergue la problématique soulevée
de la gestion de la complexité instrumentale par les typologies d’instruments – telles que :

notre typologie est-elle fructueuse, nos déterminants comportementaux (hypothèses


comportementales) sont-ils pertinents ?

notre méthodologie (idéaltypique) permet-elle de faire ressortir toute la complexité


instrumentale, ou, en d’autres termes la multi-dimensionnalité des instruments
concrets ?

10.3.4 Questions d’ordre explicatif


Enfin, l’analyse explicative tentera de répondre à la question :

dans quelle mesure le choix des types d’instruments de la politique climatique


suisse [variable types d’instruments] peut être mis en relation avec (expliquer par)
la complexité des acteurs cibles [variable complexité sociale] ?

10.4 Hypothèses de travail

Nous nous proposons ainsi d’étudier également plusieurs types d’hypothèses de travail, soit
des hypothèses d’ordre compréhensif et explicatif, mais également d’ordre méthodologique.

C’est dans ces hypothèses de travail que se situent les véritables enjeux scientifique de notre
recherche.

10.4.1 Hypothèses compréhensives


Sur la base de nos considérations théoriques, nous postulerons à notre tour et dans la
perspective analytique qui est la nôtre (notamment par le remplacement de la notion de
contrainte par le concept d’instrument coercitif) les hypothèses compréhensives suivantes.

234
A) Hypothèse compréhensive n°1 (Hcomp1)
En adéquation avec l’évolution historique des modalités d’intervention (vers moins de
contrainte), la politique climatique suisse, en tant que politique récente (faisant suite à la
conférence de Rio de 1992) privilégie aux instruments coercitifs les autres types
d’instruments :

instruments (concrets) de la politique climatique suisse = types instruments non coercitif

B) Hypothèse compréhensive n°2 (Hcomp2)


Cependant et conformément au principe de la contrainte minimale, les instruments de nature
plus contraignante ne sont prévus que de manière subsidiaire (dès la phase de conception de la
politique) ou n’ont été introduit qu’à la suite de l’échec des instruments moins contraignants
(suite à l’évolution de la politique) :

articulation des instruments (concrets) de la politique climatique suisse = combinaison des


instruments les moins contraignants [types instruments non coercitifs] aux instruments les
plus contraignants [types instruments coercitifs] de manière subsidiaire ou non

C) Hypothèse compréhensive n° 3 (Hcomp3)


Par contre, et suivant l’hypothèse culturelle formulée par Salamon (2002), les instruments
conformes à la logique du marché ne serait pas privilégiés au sein de la politique climatique
suisse, une politique de l’ancien continent :

instruments (concrets) de la politique climatique suisse ≠ type instrument économique

10.4.2 Hypothèse méthodologique générale


Sur la base de nos considérations théoriques, nous postulerons à notre tour et dans la
perspective analytique qui est la nôtre l’hypothèse méthodologique générale suivante.

Notre typologie idéaltypique est praticable et fructueuse. En d’autres termes, nos sept types
d’instruments permettent d’appréhender la complexité instrumentale de la politique
climatique suisse.

Plus spécifiquement, et compte tenu de la complexité (probable) des instruments (concrets) de


la politique climatique suisse, un instrument (concret) peut être associé à différents types
d’instruments (multiplicités des dimensions), notamment si l’on considère celui-ci du point de
vue de chacun de ses destinataires.

analyse idéaltypique de la politique climatique suisse = fait ressortir la complexité de la réalité


instrumentale, notamment si l’on considère les multiples destinataires des instruments

Le corollaire de cette hypothèse est l’impossibilité de procéder par une analyse classificatrice
des instruments des politiques publiques.

235
10.4.3 Hypothèses explicatives
Sur la base de nos considérations théoriques, nous postulerons à notre tour et dans la
perspective analytique qui est la nôtre (notamment par le remplacement de la notion de
contrainte par le concept d’instrument coercitif) trois hypothèses explicatives que nous allons
mettre à l’épreuve des faits, suivant ainsi la logique de la réfutation de Popper (1973).

Le principal objectif est donc ici de postuler un lien de nature causale entre une variable
expliquée, soit les (types) d’instruments de la politique climatique suisse, et une variable
explicative que nous avons déduites de nos réflexions théoriques, soit la complexité des
acteurs-cibles :

niveau de complexité des acteurs-cibles  lien  (types) d’instruments de la politique


climatique suisse

Ainsi, avec Morand (1999) notamment et l’école de pensée systémique, nous postulons que
les (types) d’instruments mis en œuvre ou prévus dans le cadre de la politique climatique
suisse sont liés à la nature complexe (ou non) des acteurs-ciblés par ces derniers de la manière
suivante : les instruments coercitifs [type instrument coercitif] ne sont destinés qu’à des
acteurs-cibles de nature non complexe (alors que les autres types d’instruments sont affectés à
des acteurs-cibles de nature plus ou moins complexe) :

a) acteur(s)-cible(s) complexe(s)  (type) instrument non-coercitif


b) acteur(s)-cible(s) non-complexe(s)  (type) instrument coercitif

En termes de choix des (types) d’instruments politiques, nous tentons donc de mettre en
évidence l’hypothèse selon laquelle si l’Etat est confronté à des acteurs-cibles de nature
complexe, il ne va pas (pouvoir) choisir d’introduire des instruments de type coercitif
(hypothèse a). A contrario, s’il est confronté à des acteurs-cibles de nature peu complexe, il
va (pouvoir) choisir des instruments de nature coercitive (hypothèse b) (cf. Figure 22 ci-
dessous).

Figure 22 : Illustration de nos hypothèses explicatives


Instruments de type économique

Instrument de type non coercitif coercitif

Acteurs-cibles

non complexes I possible II attendu

complexes III attendu IV attendu

Source : l’auteur

Ainsi, nos hypothèses de travail impliquent le fait qu’il ne devrait pas exister, le cas échéant,
la situation suivante :

• présence d’acteurs(s)-cible(s) complexes et présence d’instruments de type coercitif


(cf. Figure 22, point IV).

236
Par contre, les situations suivantes sont possibles et même attendues :

• présence d’acteurs(s)-cible(s) complexes et présence d’instruments de type non


coercitif (cf. Figure 22, point III) ;

• présence d’acteur(s)-cible(s) non complexe(s) et présence d’instruments de type


coercitif (cf. Figure 22, point II), ce qui n’implique pas forcément l’absence
d’instruments non-coercitifs pour la présence d’acteur(s)-cible(s) non complexe(s) (cf.
Figure 22, point I).

Il s’agira donc pour nous d’identifier la présence d’acteurs-cibles complexes et non-


complexes et de la relier à la présence d’instruments de type coercitif et non-coercitif selon les
trois logiques suivantes :

• logique de la réfutation : si nous identifions la présence d’acteurs-cibles complexes


pour lesquels des instruments de type coercitif ont été introduits, notre hypothèse sera
infirmée ;

• logique de la corroboration : si nous identifions la présence d’acteurs cibles complexes


et la présence d’instruments de type non-coercitif notre hypothèse sera corroborée ; de
même, si nous identifions la présence d’acteurs cibles non-complexes pour lesquels
des instruments de type coercitif ont été introduits, notre hypothèse sera également
corroborée ; notons par ailleurs que si nous identifions la présence d’acteurs cibles
non-complexes pour lesquels des instruments de type non coercitif ont été introduits,
notre hypothèse ne sera pas remise en cause.

Enfin, pour prolonger cette hypothèse opérationnelle sur la nature du lien entre complexité
des acteurs-cibles et choix des (types d’)instruments politiques, nous postulerons également
qu’en présence d’acteurs-cibles complexes, l’Etat porte son choix sur l’introduction
d’instruments de type économique (cf. Figure 22, flèche verte) :

c) acteur(s)-cible(s) complexe(s)  (type) instrument économique

En effet, nous pouvons supposer que la nature de tels instruments, fondée sur une logique
d’une très grande simplicité et universalité, celle de la logique du prix, est très bien adaptée à
des acteurs de nature complexe qui, malgré leurs différences, leur hétérogénéité, etc., ont tous
pour point commun de pouvoir intégrer le signal prix (logique économique).

Notons ici que, paradoxalement, cette troisième hypothèse explicative ne va pas dans le sens
de l’hypothèse culturelle formulée par Salamon (2002) selon laquelle les instruments
conformes à la logique du marché ne seraient pas privilégiés dans le cadre des politiques de
l’ancien continent et par conséquent au sein de la politique climatique suisse.

Ainsi, et pour résumer, nous allons donc tenter dans le cadre de notre analyse explicative de
mettre en relation les (types d’)instruments de la politique climatique suisse (choisis) – et
donc les caractéristiques qui les définissent – en fonction du degré de complexité des acteurs
ciblés par ces derniers.

Aussi, si pour Quivy et Campenhoudt (2006), « les formes prises par la vie religieuse à un
moment donné sont intelligibles quand on les relie par exemple aux fonctions de la vie

237
religieuse au regard de la communauté concernée » (p. 85), nous pouvons à notre tour penser
que le choix des instruments politiques (de protection de l’environnement) à un moment
donné n’est pas intelligible sans qu’on les relie (notamment) à la complexité des acteurs-
cibles.

Cependant, ce facteur explicatif n’est sans aucun doute pas la seule variable explicative du
choix des (types) d’instruments289 ; c’est pourquoi nous proposerons dans le cadre de la
dernière partie de notre recherche d’analyser ce choix au travers d’un modèle « explicatif »
que nous avons nommé « système instrumental » et qui sera construit sur la base des
réflexions que nous avons menées tout au long de notre recherche.

10.5 Procédure de travail

Pour tenter d’infirmer ou de confirmer nos hypothèses de travail, nous allons respectivement
procéder comme suit.

10.5.1 Etude descriptive


Afin d’identifier de manière systématique les instruments (concrets) ancrés dans la législation
sur le CO2 que nous nous proposons d’analyser, nous allons tout d’abord étudier celle-ci (de
manière implicite) sur la base de la définition suivante des instruments politiques de
protection du climat : un instrument politique de protection du climat est un moyen de
modifier le comportement/l’activité d’un ou de plusieurs acteur(s) socio-économique(s)
(acteurs(s)-cible(s)) dans le but de lui faire réduire ses émissions de CO2.

Le travail d’analyse se fera essentiellement sur la base des sources primaires (la loi et ses
ordonnances), mais afin de niveler le niveau théorique des différents instruments compris
dans la législation (parfois définis avec précisions, parfois sans aucune précision), nous allons
recouper cette analyse avec différentes sources secondaires issues soit de l’administration
(rapports, communiqués de presse, site Internet, publications, etc.) ou de la littérature
spécialisée (articles, ouvrages, etc.).

Cette procédure nous permettra ainsi de mettre à jour l’éventail des différents instruments
concrets mis en œuvre dans le cadre de la politique climatique suisse.

10.5.2 Analyses compréhensive et méthodologique


Afin de confirmer ou d’infirmer nos hypothèses de travail compréhensives et
méthodologiques, nous allons utiliser la méthode idéaltypique que nous avons largement
développée dans le cadre de la deuxième partie de notre recherche et qui consiste à comparer
les instruments politiques concrets aux différents types d’instruments que nous avons définis.

Cependant, afin de compléter la méthode compréhensive wébérienne, nous avons choisi de


l’accommoder avec deux outils d’analyse que nous avons empruntés à l’évaluation des
politiques publiques – à savoir le panel d’expert et l’enquête Delphi, que nous avons d’ailleurs
combiner pour l’occasion – pour produire la méthode « idéaltypique + « pan-phy » ».

289
Il est sans doute nécessaires mais sans aucun doute non suffisant pour expliquer le choix des instruments.

238
Dans le cadre de l’évaluation des politiques publiques, ces deux outils d’analyse servent
principalement à juger de la valeur d’un programme et de ses effets (Monnier, 1999, cf.
également Annexe 17). Néanmoins, en tant qu’outils génériques pouvant s’appliquer à
différents contextes d’utilisation, nous avons jugé pertinent de les associer à la méthode
idéaltypique (afin de d’objectiver cette dernière) en les combinant au sein d’une démarche que
nous avons nommé la méthode « pan-phi », terminologie issue de la contraction des outils du
panel d’expert et de l’enquête Delphi.

A) La méthode « pan-phi » : une combinaison du panel d’expert et de l’enquête


Delphi
La méthode « pan-phi » est le résultat de la combinaison de deux outils d’analyse bien connus
des évaluateurs des politiques publiques. Adaptés à notre méthodologie idéaltypique (dont
l’objectif est de mesurer/comparer les instruments concrets par rapport aux idéauxtypes
d’instruments construits) et à notre objet d’analyse (les instruments de la politique climatique
suisse), nous pouvons mettre en évidence les quelques points suivants (synthèse des outils du
panel d’expert et de l’enquête Delphi adaptée d’après Monnier, 1999, pp. 90-93, 130-132) :

La méthode « pan-phi » pour l’analyse instrumentale des politiques publiques


La méthode « pan-phi » (contraction de l’outil panel d’expert et de l’enquête Delphi) consiste
en la réunion de quelques spécialistes reconnus de l’analyse des instruments politiques (de
protection de l’environnement) sous diverses dimensions (économique, sociale,
psychologique, etc.). Ces experts produisent un « jugement » consistant à mesurer le « degré
de correspondance/différence » entre les instruments concrets (d’une politique publique, dans
notre cas la politique climatique suisse) et les idéauxtypes d’instruments définis par le
chercheur. Ce procédé permet notamment de disposer rapidement et à moindre coût d’une
« évaluation » des instruments.
Cependant, contrairement à la procédure de l’outil du panel d’expert, « l’évaluation » « pan-
phi » des instruments concrets par les experts se fera, à l’image de la technique de l’enquête
Delphi, sous la forme d’une procédure de consultation anonyme et itérative par voie de
sondage postal. Ainsi, l’absence de concertation préalable au sein du groupe d’expert permet
d’obtenir une explication des divergences entre experts et donc de mieux comprendre la
nature de l’expertise de chacun.

A quoi sert l’outil « pan-phi » ?


La technique « pan-phi » permet de rendre (plus) crédible la mesure de la variable [type
d’instruments] compte tenu de la légitimité des experts choisis. Elle permet ainsi
« d’objectiver » la mesure de la variable en fonction des dimensions choisies (nos sept
idéauxtypes).

Dans quels cas l’utiliser ?


La méthode « pan-phi » permet de dégager un consensus sur des questions complexes sans
pour autant faire fi des nuances ou différences dans l’analyse. L’outil permet notamment
d’éviter une influence réciproque entre experts étant donné l’anonymat et l’absence
d’interaction.

239
Comment le mettre en œuvre ?
La démarche consiste à interroger un petit groupe d’experts (environ six) à l’aide de
questionnaires successifs afin de faire apparaître des convergences et dégager un éventuel
consensus sans pour autant éliminer de l’analyse les différences. Les phases principales sont :
Etape 1 – Détermination et formulation des questions : Un soin particulier doit être porté au
choix et à la formulation des questions afin d’obtenir des informations utilisables. Dans le cas
qui nous occupe, il est nécessaire de définir les idéauxtypes d’instruments de manière simple
et relativement succincte afin que chaque expert comprenne (de manière identique) les
« fondamentaux » de l’analyse et puisse les « intérioriser ».
Etape 2 – Identification et sélection des experts : Ceux-ci doivent être des spécialistes
reconnus dans le domaine étudié, soit, pour ce qui nous concerne, de l’analyse des instruments
des politiques publiques (de protection de l’environnement), et être prêts à s’investir dans ce
type de démarche.
Etape 3 – Elaboration du premier questionnaire et envoi aux experts : Le premier
questionnaire doit contenir un rappel de la nature de l’étude ; il peut éventuellement
comprendre deux ou trois questions semi-ouvertes ou ouvertes. Dans le cas qui nous occupe,
le questionnaire sert principalement à faire mesurer le « degré de correspondance/différence »
de chaque instrument concret d’une politique publique par rapport à chacun des idéauxtypes
d’instruments (servant pour l’occasion d’étalons de mesure) via un système de notation
échelonné de 0 à 4.
Etape 4 – Analyse des réponses au premier questionnaire : Les réponses sont analysées afin de
déterminer la tendance générale (ou centrale) et les réponses « extrêmes ».
Etape 5 – Elaboration du deuxième questionnaire et envoi aux experts : A chaque expert
informé des résultats du premier tour, il est demandé, en cas de réponse initiale identifiée
comme extrême, de fournir une nouvelle réponse et de la justifier si elle s’écarte de la
tendance générale. Cette « confrontation » joue un rôle modérateur et facilite l’apparition de
convergence de points de vue. Si aucune convergence n’est trouvée, l’analyse n’en sera que
plus riche.
Etape 5 bis – Elaboration éventuelle des questionnaires suivants : Suite à l’analyse des
réponses du deuxième questionnaire, un troisième questionnaire peut être élaboré sur le même
modèle méthodologique que le deuxième questionnaire et envoyé aux experts (et ainsi de
suite). Le choix de continuer la démarche dépend principalement de la nature des réponses
obtenues aux deux premiers questionnaires (niveau de consensus des réponses, nombre de
réponses extrêmes maintenues et nature de l’argumentation déployée (demande de précision
par exemple), etc.).
Etape 6 – Synthèse de l’évaluation par le chercheur.

Points forts et limites d’utilisation de l’outil


L’outil est relativement peu coûteux, rapide et flexible. Ses conclusions jouissent d’une bonne
crédibilité lorsque l’on dispose d’experts reconnus. Sa fiabilité peut être toutefois affaiblie si
les questions posées aux experts sont trop vastes.
L’outil évite le biais d’empathie (qui est potentiellement important dans le cadre du panel
d’expert) dans la mesure où les experts se connaissent sans doute (il existe peu de spécialistes
du domaine d’étude) et qu’ils soient réunis pour l’occasion, ce qui les rend donc peu enclins à
se critiquer mutuellement. Il évite donc également une certaine sous-évaluation des points de
vue minoritaires, même si c’est le consensus qui est (plutôt) recherché.

240
Aussi, ce type de démarche permet de mieux tenir compte des points de vue minoritaires et
offre la possibilité de mieux comprendre les éléments sur lesquels se fondent les avis
(divergents) d’experts.

B) La méthode idéaltypique + « pan-phi »


Notre méthodologie consiste donc en un exercice de comparaison entre, d’une part, nos sept
idéauxtypes d’instruments et, d’autre part, les instruments concrets de la politique climatique
suisse (méthode idéaltypique), réalisé par un panel d’expert selon la méthode « pan-phi » ;
d’où le qualificatif de méthode idéaltypique + « pan-phi ».

Plus spécifiquement, la mesure de la variable types d’instruments par les experts s’établira sur
la base d’une notation qui consiste à évaluer290 le degré de similitude/différence entre les
instruments concrets de la politique climatique suisse et chacun des sept idéauxtypes
d’instruments que nous avons identifiés (intitulés pour l’occasion « dimensions », ou
« leviers/déterminants comportementaux »). De même, le niveau de complexité des acteurs
ciblés par ces instruments sera également évalué.

Ainsi, compte tenu de la procédure proposée, notre typologie idéaltypique d’instruments


politiques (de protection de l’environnement) consiste bien en une grille analytique et
conceptuelle qui sert d’étalon de mesure pour le panel d’expert dans une perspective
comparative.

Rappelons ainsi avec Quivy et Campenhoudt (2006) qu’un « concept est bien plus qu’une
simple définition ou qu’une simple notion. Il implique une conception particulière de la réalité
étudiée, une manière de la considérer et de l’interroger » (p.86).

Notons enfin d’ores et déjà que les résultats du processus final seront représentés par des
diagrammes de type radar (ou toile d’araignée) et d’histogrammes construits sur la base des
moyennes des réponses du panel d’experts. Le détail de la procédure suivie et du traitement
réservé aux données vous seront livrés dans le cadre du chapitre 13 ci-après.

10.5.3 Analyse explicative


Afin de mettre en perspective la relation postulée entre notre variable expliquée, à savoir le
choix des types d’instruments de la politique climatique suisse et notre variable explicative,
soit le niveau de complexité des acteurs-cibles, nous allons procéder par une analyse
statistique de type descriptive (analyse de moyennes).

Plus spécifiquement, si la variable type d’instruments sera mesurée conformément à la


méthode idéaltypique + « pan-phi » définie ci-avant, notre variable explicative sera mesurée à
l’aide de différents indicateurs tirés de la théorie de la complexité que nous vous présentons
ci-dessous.

Dans le cadre d’une approche systémique, un système complexe (un système d’acteurs par
exemple) peut être défini à la fois par le nombre d’acteurs et leur niveau d’interaction. Ainsi,
plus il y a d’acteurs (de composantes du système) et plus les interactions entre eux sont

290
Néanmoins nous n’évaluons ici pas au sens de Weber : nous ne jugeons pas la réalité vis-à-vis d’un idéal
normatif mais nous notons la réalité vis-à-vis d’un concept idéel).

241
importantes, plus le système est considéré comme complexe. Ce sont donc le nombre de
composants et le niveau d’interaction (de relation) qui sont soulignés pour caractériser la
complexité.

Edgar Morin (1977, notamment cité par Guegen, 2001) – qui aborde la complexité en tant que
mode de réflexion sur les processus organisationnels en fonction de l’antagonisme ordre /
désordre – met quant à lui l’accent sur le principe dialogique de distinction - conjonction (ou
relations ago-antagonistes) qui permet la coexistence de logiques différentes de nature
concurrente ou complémentaire pour caractériser la complexité. Comme le remarque Genelot
(1992, également cité par Guegen, 2001), cette réunion de logiques antagonistes est présente
dans une même unité sans pour autant disparaître et la coexistence de logiques différentes est
ainsi considérée comme un phénomène caractéristique des systèmes complexes. Cette fois,
c’est la dimension des logiques différentes (et coexistantes) qui est mise en exergue pour
caractériser la complexité.

Par ailleurs, la notion de complexité est souvent également associée à la notion d’incertitude
dans la mesure où tout système est en soi un système d’échange d’information, ainsi qu’aux
notions de diversité et d’hétérogénéité des éléments le composant.

Duncan (1972, également cité par Guegen, 2001), par exemple, envisage la dimension
complexe de l'environnement en fonction du degré selon lequel les facteurs
environnementaux pris en considération dans une décision sont nombreux mais également
hétérogènes. Ces deux caractéristiques de la complexité sont respectivement associées par
Gueguen (2001) à une dimension quantitative pour le premier et à une dimension qualitative
pour le second. Par ailleurs, si Osborn (1976, également cité par Guegen, 2001), en
réfléchissant sur la complexité environnementale, estime qu'il existe différentes
interprétations possibles de la notion de complexité, celle-ci apparaît toutefois pour lui
étroitement liée à l'incertitude.

Par conséquent, un (système d’)acteur peut-être considéré comme complexe lorsqu’il


comprend un nombre important d’individus et qu’il peut être caractérisé par une certaine
hétérogénéité, des logiques différentes et des comportements (ou réponses comportementales)
incertain(e)s.

Tous ces éléments bien considérés, la variable degré de complexité des acteurs-cibles
comprise dans notre première hypothèse explicative (Hex1) – par le biais de laquelle nous
tentons de souligner une différence éventuelle dans le choix des types d’instruments
politiques en fonction du degré de complexité des acteurs auxquels ils sont destinés – sera
mesurée à l’aide des dimensions suivantes :

• dimension nombre (les acteurs sont-ils plus ou moins nombreux ?) ; étant entendu que
le degré de complexité croît de manière proportionnelle avec le nombre d’acteur ;

• dimension niveau d’interaction (les acteurs sont-ils plus ou moins en relation les uns
avec les autres ?) ; étant entendu que le degré de complexité croît de manière
proportionnelle avec leur niveau de relation ;

• dimension degré d’hétérogénéité (la logique d'action des acteurs est-elle identique
pour tous les acteurs ou différente ?) ; étant entendu que le degré de complexité croît
de manière proportionnelle avec leur degré d’hétérogénéité ;

242
• dimension niveau d’incertitude (la réponse comportementale des acteurs à
l'introduction de l'instrument est-elle prévisible ou incertaine ?) ; étant entendu que le
degré de complexité croît de manière proportionnelle avec leur niveau d’incertitude.

Il sera demandé au panel d’experts d’intégrer ces dimensions dans leur évaluation globale du
niveau de complexité des acteurs ciblés par les instruments de la politique climatique suisse.

Chapitre 11 De la définition de la problématique du Changement


Climatique à l’émergence des acteurs à cibler

Que ce soit dans le monde, en Europe, ou en Suisse, ces dernières années n’ont pas été
épargnées par les phénomènes météorologiques extrêmes. Inondations, précipitations
extrêmes, sécheresse, vagues de chaleur, incendies, avalanches, coulées de boues et tempêtes
font ainsi régulièrement les premières pages de notre presse quotidienne ou les premiers titres
de nos journaux télévisés.

A titre d’exemple, rappelons brièvement les tempêtes dévastatrices qui ont déferlé, à la fin du
mois de décembre 1999291, sur l’Europe de l’ouest et qui ont durement touché la France, la
Suisse et l’Autriche, les pluies torrentielles et les inondations catastrophiques d’août 2002 qui
se sont abattues sur le centre et l’est de l’Europe, notamment sur l’Allemagne, l’Autriche, la
République Tchèque, la Roumanie, la Russie et l’Italie ou la canicule exceptionnelle de l’été
2003 qui a frappé l’Europe292, et plus particulièrement la France, et les immenses incendies293
qui ont ravagé le Sud de la Californie en octobre de la même année.

Plus récemment pensons aux violentes intempéries d’août 2005 qui ont touché l’Europe
centrale et orientale294, frappant notamment la Suisse, en y ravageant plusieurs cantons et en y
tuant six personnes. Les montants des dégâts causés par ces crues sans précédents dans
l’histoire récente du pays se sont chiffrés à près de trois milliards de francs suisses.
Rappelons-nous également les conséquences du cyclone Katrina, notamment sur la Nouvelle
Orléan, inondée à 80%, qui pourrait être le cyclone le plus couteux de l’histoire américaine en
terme économique (75 milliards de dollars de dégâts évalués) et de vies humaines (plus de
1’000 morts).

Enfin, tout récemment, remémorons-nous la tempête de fin janvier 2009, nommée Klaus, qui
a fortement touché la France et le nord de l’Espagne, rasant près de 60% de la forêt des
Landes, perturbant le trafic SNCF et aériens, privant plus de 1.2 millions de foyers
d’électricité dans tout le sud-ouest et causant d’innombrables dégâts (estimés à plus de 1
milliard d’euros) ou les blizzards et les inondations du mois de mars 2009 qui ont touché le
Nord des Etats-Unis et notamment le Dakota.

291
Plus connues sous les noms d’ouragans Lothar (26 décembre) et Martin (27 et 28 décembre).
292
Qui permit à bon nombre de villes européennes de battre leur record historique de chaleur (le record
historique de chaleur ayant été battu en Suisse avec une température supérieure à 41°C mesurée par la station
météorologique grisonne de Grono le lundi 11 août 2003 ; le précédent record était de 39°C à Bâle en 1952)
293
Biomass Burning.
294
France, Allemagne, Suisse, Autriche, Bulgarie, République Tchèque, Slovaquie, Hongrie et Roumanie.

243
La nouvelle donne spatiale de ces événements extrêmes, qui se sont désormais expatriés au-
dehors de leurs frontières traditionnelles, et leur probable recrudescence depuis la dernière
moitié du XXe siècle, nous amène à croire qu’un phénomène anormal est en train de se passer.

Sur le plan politique, ils ont le mérite de donner une certaine visibilité à la problématique du
Changement Climatique et donc de permettre sa mise à l’ordre du jour de l’agenda politique.

Sur le plan environnemental cependant, ces événements relèvent-ils de la variabilité naturelle


du climat ? ou sont-ils à considérer comme la conséquence d’une force plus profonde, d’une
tendance lourde, qui serait en train de le dérégler ?

La seconde hypothèse est aujourd’hui confirmée par les scientifiques qui voient ainsi dans ces
événements les probables témoins factuels du bouleversement climatique qu’ils annoncent
depuis de nombreuses années déjà et dont ils attribuent la cause aux activités humaines, ou,
plus spécifiquement, à l’augmentation de la concentration atmosphérique du dioxyde de
carbone (CO2) – principalement – mais aussi du méthane (CH4), du protoxyde d’azote (N2O)
et d’un certain nombre de substances, connues sous le terme de gaz synthétiques, qu’elles
produisent en des quantités croissantes (exponentielles) depuis le début de l’ère industrielle.

Néanmoins, pour comprendre la nature (complexe) du Changement Climatique annoncé – qui


aura très probablement pour conséquence de remettre en cause l’équilibre même de notre
Planète si nous ne diminuons pas de manière conséquente nos émissions de GES– il nous faut
dépasser l’échelle du temps court, qui caractérise ces événements météorologiques extrêmes,
tout autant d’ailleurs que celui de l’agenda politique, pour se plonger dans des échelles de
temps que l’homme a souvent bien du mal à appréhender.

Ainsi, pour comprendre les causes profondes du Changement Climatique d’origine


anthropique annoncé, mais trop souvent contesté par quelques scientifiques dissidents dont les
propos sont hélas relayés par des médias friands de contestation, nous devons élargir notre
champ de compréhension tant sous une dimension spatiale que temporelle.

Toutefois, tenter d’expliquer la problématique du Changement Climatique dans toute sa


complexité n’est pas chose simple dans la mesure où celle-ci recouvre un champ
d’investigation si vaste qu’il inclut, pour sa seule dimension environnementale, une panoplie
de connaissances relatives à la climatologie bien sûr, mais aussi à l’astronomie et
l’astrophysique, à la thermodynamique, à la science de l’atmosphère, à la physique, à la
géographie, à la météorologique, à l’océanographique et à la (biogéo)chimie pour ne citer que
ces domaines d’investigation.

Cet état de fait traduit toute la complexité du système climatique, un système complexe en
équilibre dynamique qui varie sous l’effet de facteurs externes, comme les paramètres
astronomiques et l’activité solaire, et de facteurs internes tels que ceux liés à l’atmosphère,
l’hydrosphère, la cryosphère, la lithosphère et la biosphère295 (cf. Figure 23 ci-après).

Par ailleurs, et lorsque l’on s’intéresse aux modalités de régulation sociale, et plus
spécifiquement à l’intervention de l’Etat, en tant que moyen de palier (à la source) aux
conséquences néfastes du Changement Climatique, la complexité de la problématique n’en est
que plus grande. En effet, en termes de disciplines scientifiques, la dimension socio-

295
Au sein de laquelle nous incluons l’anthroposphère et son prolongement : la technosphère.

244
économique de la problématique climatique recoupe des domaines tels que la science
politique, l’économie, la psychologie mais également la sociologie, la démographie, l’histoire
et l’anthropologie pour ne citer qu’elles. Elle implique par ailleurs des questions d’ordre
éthique et, de manière plus générale, un questionnement des rapports de l’homme à son
environnement naturel et entre les hommes eux-mêmes (régulation sociale au sens large de la
notion).

Par conséquent, nous avons choisi d’aborder les caractéristiques de la problématique du


Changement Climatique en plaçant notre analyse sous le regard de la complexité. Une
complexité que nous avons pour l’occasion dissociée en complexité scientifique (et
environnementale) et complexité sociale (ou socio-économiques).
Figure 23 : Représentation simplifiée des composantes du système climatique, leurs processus et
interactions

Source : reproduit de GIEC (2007a3, p. 102)

La première notion met notamment en exergue la complexité physique du système climatique


(présences de boucles de rétroaction (et non de causalités simples), processus non linéaires,
interactions complexes, effets de seuils, irréversibilité, incertitude élevée et décalage temporel
entre le moment t1 où s’exerce la pression anthropique et le moment t2 où sévit la réponse du
système (naturel) à la perturbation, controverse scientifique, etc.) alors que la seconde
exprime la complexité des facteurs humains (multiplicité des secteurs de l’activité humaine à
la sources des émissions de GES, responsabilité diffuse, générale et complexe, controverse
politique, etc.).

Au demeurant, soulignons, que ces deux dimensions de la complexité globale de la


problématique du Changement Climatique (principe de globalité) ne sont pas indépendantes

245
l’une de l’autre, mais bien en interrelations étroites. Elles s’entrecroisent et se renforcent,
lorsqu’elles ne se confondent pas tout simplement.

11.1 De la Biosphère de Vernadsky à la planète Gaïa de Lovelock

Le fonctionnement du système climatique (et du système Terre dans son ensemble d’ailleurs)
dépend des relations intimes existantes entre la Vie et son environnement physico-chimique.
Cette vision globale et complexe du système Terre traduit ce que Vernadsky (1997/1926)
entend par la notion de Biosphère et ce à quoi Lovelock (2001) pense lorsqu’il attache à notre
planète, dans le cadre de sa « vision holistique » (p. 36), le doux nom de Gaïa.

La Biosphère, telle que la définit Vernadsky296, correspond ainsi à cette mince couche qui se
situe à la surface de la Géosphère, constituée par l'ensemble des écosystèmes, où la vie est
possible en permanence (Grinevald, 1990, 2002). Elle englobe la plus grande partie de
l'hydrosphère, une fine partie de la lithosphère297, ainsi que les basses couches de
l'atmosphère298. Selon l'approche énergétique et biogéochimique de Vernadsky, la Biosphère
ne représente donc pas uniquement l'ensemble des êtres vivants, ou la biomasse totale ou la
biote. Au contraire, elle pénètre la lithosphère, l'hydrosphère et l'atmosphère et en modifie
leur composition chimique.

La Biosphère peut ainsi être définie comme :

le système écologique global intégrant tous les êtres vivants et les relations qu’ils tissent
entre eux, avec les éléments chimiques de la lithosphère (les roches), de l’hydrosphère
(l’eau) et de l’atmosphère (l’air), dans un métabolisme global qui transforme sans cesse la
surface de la Terre (Grinevald, 2002, p. 3).

Deux types de processus essentiels, intimement liés, caractérisent le fonctionnement de la


Biosphère : le flux énergétique et le cycle de la matière.

Très schématiquement, une partie de l'énergie solaire entrant dans notre Système Terre est
convertie par l'activité photosynthétique en énergie biochimique qui va circuler dans les
écosystèmes par l’intermédiaire de la chaîne trophique pour être enfin décomposée en
matières minérales par les bactéries qui bouclent du même coup le cycle de la matière
(Duplessy, 1999, Lacoste et Salamon, 1999, Ramade, 1999).

L'écoulement permanent de ce flux d'énergie dans l'écosphère et les écosystèmes est


associé à la circulation de la matière et, finalement, celle-ci s'identifie aux éléments
biogènes299 (carbone, oxygène, hydrogène, azote, phosphore, fer, etc.) intervenant dans la
constitution des composés organiques présents chez les êtres vivants (Ramade, 1999, p.
450).

Ainsi, l'énergie et la matière circulent dans le temps et l'espace, à l'échelle globale, tout en se
transformant.

296
Fondateur de l'étude quantitative et systématique des cycles biogéochimiques qui assurent le fonctionnement
de la Biosphère (biogéochimie) et considéré aujourd’hui comme le fondateur de l’écologie globale.
297
La pédosphère.
298
Par opposition, l'écosphère est plus étendue au niveau de chacun de ses compartiments physiques et la
Biosphère représente donc un sous-ensemble de l'écosphère dont elle constitue la partie la plus centrale.
299
Indispensables à la constitution de la matière vivante.

246
C'est cette circulation cyclique des éléments biogènes, par laquelle le vivant est connecté à
son environnement physico-chimique, qui caractérise les grands cycles biogéochimiques. Ces
cycles d’énergie-matière sont interconnectés à titre divers, fonctionnent de manière globale et
comportent toujours un passage alternatif des éléments entre milieu inorganique et minéral
qui permet le recyclage des éléments biogènes sans lequel les réserves minérales du sol
nécessaires au métabolisme des producteurs seraient rapidement épuisées.

Or, fait marquant, depuis que la Vie est apparue sur Terre, il y a de cela plus de 3,6 milliards
d’années, les cycles biogéochimiques qui mettent en relation les différentes sphères de notre
Système Terre ont régulé celui-ci de manière à maintenir des conditions favorables à la Vie
(notamment la température globale, via le système climatique) et ce malgré une modification
profonde (en coévolution) de leurs composants physico-chimiques300 et biologiques
(évolution des formes de vie sur Terre301). Durant ces quelques milliards d’années se sont
donc construits de grands équilibres dynamiques globaux qui lient la vie à son environnement
physico-chimique. Le cycle du carbone en est un des plus importants et l’histoire de la
concentration atmosphérique du dioxyde de carbone (CO2) – le principal gaz à effet de serre
(GES), qui participe au phénomène du même nom, phénomène qui détermine la température
moyenne de la terre302 et par conséquent son climat – est à ce titre l’exemple sans doute le
plus marquant.

En effet, durant plus de 3,6 milliards d’années, la teneur atmosphérique en CO2 a


miraculeusement permis – en compensant l’augmentation des flux d’énergie solaire – à la
température moyenne de la Planète de rester stable et a ainsi préservé les conditions propices
à l’évolution de la Vie sur Terre depuis son origine (cf. Figure 24 ci-dessous).

Figure 24 : Brightness of the Sun and temparature increase

Source : reproduit de Watson (1991, p.1)

300
Prenons l’exemple de l’atmosphère dont la composition initiale principalement faite d’azote et de dioxyde de
carbone est passée à la composition actuelle via une diminution de la concentration de dioxyde de carbone,
l’apparition puis l’augmentation de l’oxygène et une augmentation puis une diminution du méthane.
301
Rôle des bactéries fermenteurs et bactéries photosynthétiques notamment au début.
302
Effet de serre qui permet à la température de l’air près du sol d’atteindre environ 15 °C en moyenne et sans
lequel la Vie n’aurait tout simplement pas pu apparaître.

247
Aussi, comment ne pas supposer que ce « miracle » ne relève pas du simple hasard (lorsque
l’on sait que la concentration atmosphérique de CO2 dépend dans une large mesure de la Vie
elle-même303) et ne pas penser que le système Terre est un système dynamique, certes, mais
autorégulé par ses composantes. C’est d’ailleurs la présence de cette régulation de la
concentration atmosphérique de CO2, que Lovelock qualifie de « mécanisme de régulation
gaïen » (2001, p. 114), qui fait dire à ce dernier, dès 1979, que la Biosphère agit dans le but de
maintenir la Planète dans un état favorable à la Vie et que le Système Terre constitue ainsi un
système autorégulé que l’on peut comparer métaphoriquement à un être vivant dénommé Gaïa
(Lovelock, 1979, 2001).

L’atmosphère de la Terre était un mélange de gaz extraordinaire et instable, et je savais


pourtant que sa composition était restée constante pendant de très longues périodes. Se
pouvait-il que la présence de la vie sur Terre non seulement ait créé l’atmosphère, mais
l’ait aussi régulée – en lui conservant la même composition, et dans des proportions
favorables aux organismes vivantes ? (Lovelock, 2001, p.22)

C’est en ces termes que Lovelock définit l’hypothèse Gaïa, une hypothèse qui selon lui est
incontestablement confirmée par la présence du mécanisme gaïen de régulation du climat :
« l’histoire du climat de la Terre constitue l’un des arguments les plus irréfutables en faveur
de l’existence de Gaïa » (Lovelock, 1979, p. 39), souligne-t-il dans son ouvrage La terre est
un être vivant, l’hypothèse Gaïa.

Quant à nous, et sans aller jusqu’à la conception proactive de l’hypothèse Gaïa, nous ne
retiendrons de cette vision holistique du système Terre que son aspect complexe et bio-géo-
chimique ainsi que sa dynamique autorégulée, en soulignant, l’importance du cycle du
carbone. Or c’est bel et bien ce cycle bio-géo-chimique, et sa perturbation par les activités de
l’homme, qui sont éléments clés de la problématique du Changement Climatique.

11.2 De la révolution industrielle à la dérégulation anthropique du cycle du carbone

Le carbone possède un cycle complexe qui, comme nous allons pouvoir le constater, est
aujourd’hui en train d’être perturbé par l’activité humaine (cf. Figure 25 ci-après).

Naturellement, le carbone est à la fois présent dans toutes les formes vivantes et dans de
nombreux composés inorganiques304 et les processus de transformation qui rythment son
cycle possèdent des échelles temporelles très variables305 (Villeneuve et Richard, 2001). Au
cours de son cycle, le carbone est ainsi amené à se retrouver, sous différents états (solide,
liquide et gazeux) et en plus ou moins grandes concentrations, dans l’une où l’autre des
parties de la Géosphère. Ces lieux, où le carbone est potentiellement disponible en grande
quantité, sous une forme stable, sont appelés réservoirs306.

303
A l’instar de Lovelock (2001), nous remarquerons également que la teneur en oxygène de l’atmosphère s’est
stabilisée à près de 21 % pendant plusieurs centaines de millions d’années et qu’elle est restée longtemps au-
dessus de 15 % et n’a sans doute jamais dépassé 25 %, seuils qui déterminent respectivement les limites de
l’ininflammabilité ou de la combustion spontanée, au-delà desquels la Vie aurait sans doute eu beaucoup de mal
à se développer !
304
Dont la plupart sont susceptibles de participer à des réactions chimiques très diverses.
305
Pouvant aller de plusieurs millions d’années à quelques secondes.
306
Pour caractériser les flux de carbone vers le réservoir atmosphérique en provenance de la biosphère, de
l’hydrosphère et de la lithosphère, les termes de sources et de puits sont utilisés. Ces deux termes mettent bien en
évidence le phénomène de circularité ou de boucle qui caractérise les cycles biogéochimiques. En termes

248
Figure 25 : The Carbon Cycle and Atmospheric Carbon Dioxide

Source : tirée de Houghton et al. (2001, p. 188)

Les principaux réservoirs de carbone sont la biosphère (biomasse terrestre ou océanique),


l’hydrosphère (océan de surface ou de profondeur), la lithosphère (sols, détritus et sédiments)
et l’atmosphère, dans lequel le carbone est naturellement présent sous la forme de CO2, mais
aussi de méthane (CH4), dans des proportions qui oscillent naturellement depuis des millions
d’années, les puits équilibrant de manière naturelle les sources.

Ainsi, les études ont montré que les concentrations de CO2 et de CH4 oscillent respectivement
environ entre 180 et 300 parties par millions (ppm) pour le CO2 et 320 et 790 parties par
milliards (ppb) pour le CH4 depuis plus de 640'000 ans. Les données les plus récentes
montrent même que la concentration de CO2 dans l’atmosphère sur la période
-430'000 à -640'000 n’a jamais été supérieur à la limite de 260 ppm (voire notamment la
première étude de Petit et al., 1999, puis, pour les données plus récentes, l’étude de
Siegenthaler et al., 2005).

Cette oscillation naturelle marque les périodes glaciaires et interglaciaires. Cependant, depuis
le début de l’aire industrielle et plus spécifiquement depuis la fin du XIXe siècle, les
concentrations atmosphériques de CO2, de CH4 et de N2O ont explosé pour suivre une courbe
exponentielle (cf. Figures 26 et 27 ci-après).

Ainsi, la concentration atmosphérique mondiale de dioxyde de carbone (CO2) est passée


d’une valeur préindustrielle d’environ 280 ppm à 379 ppm en 2005. D’après les analyses des
carottes de glace, le niveau atteint en 2005 dépasse largement la variation naturelle de la
concentration de CO2 atmosphérique calculée sur les 650’000 dernières années (variation
entre 180 et 300 ppm) (GIEC, 2007a1) et n’a probablement jamais été atteint durant les 20
derniers millions d’années (GIEC, 2001c).

La concentration atmosphérique mondiale du méthane (CH4) est quant à elle passée de 715
ppb à l’époque préindustrielle pour atteindre 1774 ppb en 2005. Ce dernier niveau dépasse de
loin les variations naturelles de la concentration atmosphérique de ce gaz sur les 650’000
dernières années déduites des carottes de glace (variation entre 320 et 790 ppb) (GIEC,
2007a1).

systémiques, nous pourrions parler d’input et d’output, sachant que les sources de carbone ont pour résultat net
d’augmenter la concentration atmosphérique du carbone alors que les puits ont pour résultat l’effet contraire (en
d’autres termes, ce qui rentre dans le réservoir atmosphérique (input) provient des sources et ce qui en sort
(output) va alimenter les puits).

249
Enfin, la concentration atmosphérique d’oxyde nitreux (N2O) a atteint 319 ppb en 2005 pour
une valeur de 270 ppb à l’époque préindustrielle. (GIEC, 2007a1). Le niveau atteint en 2005
n’a pas été dépassé depuis au moins un millénaire (GIEX, 2001c).

Figure 26 : Données issues des carottes glaciaires, périodes glaciaires et interglaciaires

Variations de la concentration de deutérium (δD) dans les glaces de l’Antarctique (indicateur représentatif de la
température locale) ; et concentrations atmosphériques des gaz à effet de serre dioxyde de carbone (CO2),
méthane (CH4) et protoxyde d’azote (N2O) dans l’air encapsulé au cœur de la glace et provenant de mesures
atmosphériques récentes. Les données couvrent 650 000 années et les bandes grisées indiquent les périodes
chaudes interglaciaires actuelles et passées.
Source : reproduit de GIEC (2007a2, p.24).

Figure 27 : Évolution des gaz à effet de serre tirée de données obtenues à partir des carottes
de glace et de mesures récentes

10'000 5'000 0 10'000 5'000 0 10'000 5'000 0

temps (avant 2005)

Concentrations atmosphériques de dioxyde de carbone, de méthane et d’oxyde nitreux durant les 10’000
dernières années (grands panneaux) et depuis 1750 (inserts). Les mesures sont déduites des carottes de glace
(symboles de couleurs différentes pour diverses études) et d’échantillons atmosphériques (lignes rouges). Les
forçages radiatifs correspondants sont indiqués sur les axes à la droite des grands panneaux.
Source : reproduit de GIEC (2007a1, p.3)

250
Aussi devons-nous nous demander quelle est la cause de cette brutale augmentation de la
concentration atmosphérique des GES ? A cette question, les experts du climat répondent sans
ambiguïté que ce sont les activités humaines, principalement la combustion des énergies
fossiles et, dans une moindre mesure, les changements de l’affectation des terres
(déforestation), qui sont les principales responsables – au niveau mondial – de l’augmentation
rapide des concentrations atmosphériques de CO2 (GIEC, 2007a1). De même, plus du tiers
des émissions d’oxyde nitreux provient des activités humaines et essentiellement de
l’agriculture. Enfin, et toujours selon ces experts, « il est très probable que l’augmentation
observée de la concentration de méthane soit d’origine humaine, provenant essentiellement de
l’agriculture et de l’utilisation des combustibles fossiles ; cependant, la contribution exacte de
chaque source n’est pas bien déterminée. » (GIEC, 2007a1, p. 3)

La corrélation entre la croissance économique et l’augmentation des concentrations


atmosphériques des GES est d’ailleurs tellement relevante que ces mêmes experts ont fait
remarquer dans leur Rapport de synthèse de 2001 que :

les données indicatrices des changements de la composition de l’atmosphère au cours du


dernier millénaire mettent en évidence l’augmentation rapide des gaz à effet de serre […]
qui est imputable principalement à la croissance économique depuis 1750. (GIEC, 2001b,
p. 51)

Mais si seulement tout était aussi simple que cela.

11.3 Des changements climatiques au Changement Climatique d’origine anthropique

Toute influence de l’homme sur le climat se superpose au bruit de fond représenté par sa
variabilité naturelle. Aussi, les études scientifiques s’efforcent d’établir une distinction entre
les influences naturelles du climat (les changements climatiques) de celles qui relèvent de
l’homme (le changement climatique)… et montrent qu’il existe une influence perceptible de
l’homme sur le climat global.

11.3.1 Les causes naturelles des changements climatiques


Nous pouvons distinguer deux types de causes naturelles des modifications climatiques de
notre planète, soit des causes externes et des causes internes vis-à-vis du système Terre. Elles
sont chacune l’expression de la complexité du système climatique.

Les principales causes externes sont d’une part les paramètres astronomiques et, d’autre part,
l’activité solaire, dont les fluctuations ont une incidence sur la quantité d’énergie solaire
entrant dans l’atmosphère et donc par répercussion sur la température de l’atmosphère et le
climat de la Terre (Berger, 1992; voir également Jancovici, 2001a, Villeneuve et Richard,
2001).

Les paramètres astronomiques (ou orbitaux) qui influencent le climat sont les phénomènes
d’orbite elliptique (ou excentricité orbitale), d’écliptique (ou obliquité axiale) et de précession
des équinoxes (cf. Annexe 18). Les modifications de ces paramètres – dont les périodicités
sont respectivement de 95'000, 41'000 et 21'000 ans environ – s'accompagnent d’une
fluctuation de l'énergie solaire interceptée par la Terre qui fixe notamment les conditions de

251
température permettant la formation ou la destruction des calottes glaciaires (ères glaciaires et
périodes interglaciaires)307.

L'activité solaire semble quant à elle également avoir des répercussions sur les variations
climatiques. En effet, les fluctuations de la constante solaire –qui varie en fonction du nombre
de taches solaires mais également des régions actives à la surface du Soleil et de son activité
magnétique – constituent un des forçages externes du système climatique :

il n’est donc pas improbable que l’activité solaire puisse influencer directement le climat
via une variation, si faible soit-elle, de la constante solaire. Les modèles de bilan
énergétique zonal montrent, en effet, que tout changement de 1 % dans la valeur de la
constante solaire change la température d’équilibre de l’air en surface de 0.6 °C. (Berger,
1992, p. 102).

Du côté des principales causes internes nous trouvons les éruptions volcaniques et le
fonctionnement des océans.

En effet, les premières peuvent modifier le climat à une échelle locale ou globale durant une
période déterminée (Berger, 1992; voir également Kandel et Fouquart, 1999). Plusieurs études
montrent ainsi que les éruptions qui produisent une quantité importante d’aérosols ont
tendance à être suivies d’un refroidissement de quelques degrés Celsius une année ou deux
après leur déclenchement308. Cependant, ce phénomène est limité dans le temps et ne dure que
de un à trois ans. Notons qu'une grande éruption volcanique telle que celle du Pinatubo, du
Mt. St. Helens ou du El Chichon injecte des millions de tonnes de poussières dans
l'atmosphère contribuant ainsi à modifier la température sur l’ensemble de la planète.

Enfin, les océans sont des composants essentiels du système climatique et jouent un rôle très
important dans la problématique du Changement Climatique (GIEC, 1997a ; voir également
Villeneuve et Richard, 2001) : ils constituent d’abord un vaste réservoir de carbone et
continueront, jusqu'à un certain point, à assurer cette fonction dans l'avenir et ils tiennent
ensuite un rôle important dans le processus d’interaction avec l’atmosphère, les courants
océaniques, c’est-à-dire la circulation de masses d’eau chaude et d’eau froide, agissant sur
l’air.

Le système océanique fonctionne ainsi comme l’un des plus importants modulateurs du climat
et des changements dans le transport de chaleur océanique peuvent avoir un effet significatif
sur le climat de certaines régions en refroidissant ou en réchauffant provisoirement certaines
zones. Une perturbation des courants océaniques peut en effet engendrer à court terme de
grands changements climatiques.

Une coupure de la formation des eaux profondes, par exemple, peut avoir des répercussions
sur toute la circulation océanique et, par conséquent, agir sur l'atmosphère à travers les
échanges entre l’océan et l’air sus-jacent. L'exemple du phénomène quasi-cyclique El Niño
Southern Oscillation (ENSO) en est une bonne illustration (cf. Encadré 16 ci-après).

307
Cependant, pour les 10'000 années à venir, peu de modifications de l’énergie entrant dans le Système Terre en
relation avec ces phénomènes astronomiques sont à attendre. Notons toutefois que les conditions astronomiques
favorables à la reconstruction des glaciers ne seront pas réunies dans les 50'000 prochaines années.
308
Les émissions volcaniques émettent une certaine quantité d’aérosols qui font partiellement écran à l’énergie
solaire et refroidissent l'atmosphère

252
Encadré 16 : El Niño Southern Oscillation (ENSO)
ENSO est un phénomène quasi-cyclique dans le temps, d’une durée de 12 à 22 mois, et d’une intensité variable.
C'est un phénomène naturel très complexe qui résulte de la rencontre entre des courants chauds d’Australie et
des courants froids venant des pôles. Il se caractérise par une renverse des courants atmosphériques et
océaniques dans cette région : près de 35 % du Pacifique se réchauffe et contribue à modifier sensiblement les
flux vers l'atmosphère globale. ENSO se déplace le long de l’équateur en direction de l’Amérique du Sud et
notamment du Pérou où il influence le désert de l’Atacama, appelé le « désert en fleur », en y amenant des
précipitations.
Lors des années ENSO, nous pouvons constater des répercussions sur le climat du Pérou, de la Californie, du
Panama, en Indonésie, en Afrique de l’Est et en Afrique centrale. Nous savons même, aujourd’hui, qu’ENSO
se répercute dans l’océan Atlantique.

Notons qu'ENSO a pris une tournure beaucoup plus forte après les années 70. Il semble que ce changement
d'intensité est lié au CC, une température plus élevée induisant une variabilité plus forte d'ENSO et une
augmentation des précipitations.
Source : Berger, 1992, Tourre, 1999a ; voir également Villeneuve et Richard, 2001

11.3.2 Les causes anthropiques du Changement Climatique : le mécanisme de l’effet de


serre (effet de serre naturel vs effet de serre anthropique)
Nous l’avons entrevu, depuis 1750 et le début de l’ère industrielle, les activités humaines ont
contribué à modifier profondément les concentrations naturelles de CO2, de CH4 et de N2O
dans le réservoir que constitue l’atmosphère. Ce fait est scientifiquement établi et n’est pas
contesté. De même, elles ont également eu pour conséquence d’émettre une quantité non
négligeable de gaz synthétiques.

Ces gaz, comme nous l’avons déjà souligné, constituent ce que l’on appelle des gaz à effet de
serre (GES), gaz qui participent au mécanisme du même nom : le mécanisme de l’effet de
serre.

Le CO2, le CH4 et le N2O, mais aussi la vapeur d’eau (H2O) et l’ozone (O3), sont
naturellement présents dans l’atmosphère, alors que certains gaz – notamment les
chlorofluorocarbures (CFCs), les hydrofluorocarbures (HFCs), les perfluorocarbures (PFCs)
et l’hexafluorure de soufre (SF6)309 – ne doivent leur présence qu’à la seule activité de
l’homme (voir Berger, 1992, Jancovici, 2002, Villeneuve et Richard, 2001). L’ensemble de
ces gaz possède la propriété d’absorber le rayonnement thermique infrarouge réfléchi par la
terre et contribuent donc à (ré)chauffer la surface de la Terre, à l’image de ce qui se passe
dans une serre (cf. Figure 28 ci-après).

Cependant, les émissions anthropiques de GES – et principalement de CO2 – par leur


explosion depuis le milieu du XVIIIe siècle ont donc contribué à amplifier ce phénomène
naturel – l’effet de serre naturel – et participent donc à générer un effet de serre d’origine
humaine que l’on qualifie d’effet de serre anthropique310.

309
Les gaz synthétiques, que l’on peut également qualifier de « gaz industriels » par opposition aux gaz présents
naturellement dans l’atmosphère.
310
Egalement qualifié d’effet de serre additionnel puisqu’il vient s’ajouter à l’effet de serre naturel.

253
Figure 28 : Représentation simplifiée de l’effet de serre naturel

Source : reproduit de GIEC (2007a3, p. 104)

Aussi, les activités humaines, en contribuant à augmenter la concentration de GES,


concourent à augmenter la température de l’atmosphère et de la surface de la Terre (forçage
radiatif d’origine anthropique). La responsabilité originelle en revient aux pays industrialisés
qui ont dès la fin du XVIIIe siècle brûlé quantité de charbon, puis de pétrole et de gaz, pour
assurer leur croissance économique. Cette révolution industrielle comme il est courant de la
nommer peut donc également être interprétée comme une révolution « thermo-industrielle »
(Grinevald, 1990, p. 11) qui est à l’origine d’un tournant sans précédent dans la relation que
l’homme entretenait jusqu’alors avec la nature et ses ressources (cf. Encadré 17 ci-après).

Toutefois, en raison de la complexité inhérente de la problématique du Changement


Climatique, l’effet radiatif de la concentration de ces différents gaz, CO2 en tête, a été (et l’est
d’ailleurs toujours) sujet à controverse.

254
Encadré 17 : Bref historique de la relation homme-nature : la révolution industrielle, un
tournant
Les rapports entre l’homme et son environnement naturel ont fondamentalement changé au cours des
millénaires. A l’aube des temps, la civilisation dite archaïque dépend surtout de la cueillette, de la chasse et de
la pêche. Elle vit en perpétuelle dépendance avec l’environnement naturel. Puis vers 10’000 avant J.-C., avec
l’apparition de la société agricole, les hommes commencent à apprivoiser, à maîtriser peu à peu la terre.
Les relations entre ces derniers et l’environnement naturel s’en voient complètement et irréversiblement
changées, la terre devenant une ressource d’exploitation naturelle pour l’homme. Cependant, cette relation reste
dans les limites fixées par la nature (cycles saisonniers notamment).
Mais c’est vraiment avec le début de l’ère industrielle (et de l’esprit capitaliste) que les relations homme-nature
se modifient profondément, marquant ainsi un tournant dans l’organisation de la société occidentale caractérisée
par la croissance économique, démographique et sociale.
En effet, le développement industriel capitaliste s’octroie le pouvoir d’influencer et d’impliquer tous les êtres
humains partout dans le monde et transforme par la même occasion les rapports qui les lient à leur
environnement naturel. S’en suit l’exploitation systématique des richesses naturelles, notamment des ressources
énergétiques fossiles (charbon, gaz et pétrole), et la production sans limite de déchets de toutes sortes. Ce
processus de détérioration et d'exploitation, qui remet en cause les grands équilibres naturels globaux, s’est
accéléré durant le XXe siècle avec la conviction générale que les ressources naturelles de la planète étaient
entièrement inépuisables et que la capacité de résilience (capacité d'un système à rester en oscillation autour
d'une norme, d'être en équilibre dynamique et stable (homéostasie)) de la Biosphère était sans limite.
Cette empreinte anthropique, que la société occidentale, plus que toute autre société, est en train de déposer sur
l'ensemble de la Biosphère en bouleversant les grands équilibres biogéochimiques du Système Terre a fait
rentrer l'humanité dans une ère nouvelle que nous pourrions qualifier, en empruntant la terminologie de
l’International Geosphere-Biosphere Programme (IGPB), « d'ère anthropocène » (2001, p. 11).
Cette nouvelle ère, à laquelle nous pouvons associer l’ère atomique et biologique, qui ont rendu possible une
intervention sur la matière vivante jusqu’à des limites extrêmes, redéfinit les rapports entre l’homme et la nature
en terme d’autolimitation et donc… d’autorégulation.
Source : IGPB (2001), Grinevald (2002) et Prades (1995).

11.4 De la controverse scientifique à la controverse politique

Le début de la controverse sur l’effet radiatif du changement de la concentration de CO2 dans


l’atmosphère peut être fixée au début des années 1970 à la suite de la parution d’un article de
Newell et Dopplick sur le sujet en 1970 (Berger, 1992, voir également Villeneuve et Richard,
2001). Elle est remise à l’ordre du jour dès 1980 à la suite d’une nouvelle publication de ces
deux mêmes auteurs et de la parution d’un article rédigé par Idso. Suite à ces deux
publications s’élève un débat entre les auteurs de ces dernières d'une part et la communauté
scientifique d’autre part. La mésentente entre les deux camps porte alors essentiellement sur
la notion de réponse du système climatique face à l’augmentation de l’effet des GES, cette
réponse incluant ou non les rétroactions. D’un côté Newell et Idso, ne considérant que la
perturbation radiative directe, prétendent que l’intensification de l’effet de serre est faible ; de
l’autre, la communauté scientifique s’efforce de montrer combien les rétroactions jouent un
rôle fondamental dans l’amplification de la perturbation initiale créée par les émissions de
GES. Cependant, ce débat n’a que peu d’échos dans le public, le sujet n’étant pas encore
suffisamment populaire à cette époque pour être repris par les média.

Ce n'est qu'au début des années 90 que la controverse sur les changements climatiques devient
extrêmement publique et les débats sur le sujet quelque peu acrimonieux au sein de la
communauté scientifique américaine. Cette fois-ci, c’est un court rapport publié à la fin de
l’année 1989 par le George C. Marshall Institute de Washington qui est alors au centre de la
controverse. Ce rapport n’écarte pas d’office l’hypothèse d’un réchauffement global mais

255
soutient que les incertitudes entourant les projections des modèles climatiques pour une
augmentation des concentrations atmosphériques de CO2 sont si importantes que le
réchauffement atmosphérique ne pourrait pas exister311. Ce rapport suggère aussi que le
réchauffement de 0.5 °C observé sur le globe au cours du dernier siècle pourrait bien être
entièrement lié à la fin de la période froide anormale du XIXe siècle. Nous pouvons également
y lire que le Petit Age Glaciaire serait le résultat d’une activité solaire diminuée et que cela
pourrait se reproduire au XXIe siècle. Le rapport déclare enfin que les prévisions actuelles ne
paraissent pas suffisamment précises pour servir de fondement à une saine décision en matière
de politique nationale et suggère un investissement de 1'000 millions de dollars pour l’achat
d’un Superordinateur qui devrait permettre d’aider à fournir l’information nécessaire.

Peu après la publication du rapport Marshall s’élèvent de vives réactions, notamment de la


part des membres dirigeants de la communauté de recherches sur les variations climatiques.
Le comité scientifique conjoint du Programme Climatologique Mondial déclare pour sa part
que le rapport n’est pas un rapport scientifique digne de ce nom. Plusieurs chercheurs
soulignent aussi que le rapport a été rédigé par des gens qui ne sont pas des experts dans le
domaine de la recherche sur les systèmes climatiques mondiaux et que ce dernier n’a pas été
soumis à un comité de lecture comme cela se fait normalement. Mais la meilleure réponse qui
est sans aucun doute apportée au rapport Marshall et à ses défenseurs est la parution du
Premier Rapport d'évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du
climat312 (GIEC, en anglais Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC)) en 1990 qui
fait état d’un consensus de la communauté scientifique international sur la question du
Changement Climatique et qui convient notamment que l’homme a une influence sur le
climat.

Par la suite, un groupe de chercheurs-dissidents, composé notamment de J. Namias, R.


Newell, du Dr. R. Lindzen du Massachusetts Institute of Technology313 et de quelques autres
personnages venant d’horizons divers s'opposent à la communauté scientifique et remettent en
cause l’existence d’un réchauffement climatique. Mais cette divergence de point de vue est
présentée par les médias, et même par la littérature scientifique, comme un désaccord
fondamental entre tous les scientifiques, omettant de préciser qu’un consensus énorme314
existe au sein de la communauté qui étudie le problème. Le plus surprenant réside sans doute
dans le fait que ces « chercheurs-dissidents » ne se soient pas intégrés à la communauté
scientifique pour la faire bénéficier directement de leurs critiques et de leur savoir, mais qu’ils
aient choisi la manière médiatique et fourni, peut-être malgré eux, de l’eau au moulin des
décideurs opposés à toute politique de réduction des émissions de GES.

311
Notons que si les critiques formulées dans le rapport Marshall concernant les incertitudes sont justifiées, elles
ne sont pas nouvelles et les experts en la matière sont les premiers à en débattre au sein de la communauté
scientifique. De plus, le rapport oublie que l’incertitude existe dans les deux sens, c’est-à-dire que l’impact sur le
climat pourrait tout aussi bien être plus important que ce que nous soupçonnons.
312
Pour rappel, le GIEC est constitué d’un panel d’experts qui synthétise l’ensemble des recherches de nature
scientifique sur le climat au niveau mondial.
313
Expert reconnu en dynamique atmosphérique qui a critiqué publiquement les modèles parce qu’ils ne traitent
pas de façon adéquate du rôle de la convection profonde des nuages tropicaux comme rétroaction négative
314
Consensus exprimé par le Premier Rapport d'évaluation du GIEC (1990) qui peut être résumé de la manière
suivante. Il est reconnu par l’ensemble de la communauté scientifique internationale que, depuis la Révolution
industrielle, la concentration de GES dans l’atmosphère a rapidement augmenté, contribuant ainsi à renforcer
l’effet de serre naturel. Il en découle une augmentation de la température moyenne globale qui va induire des
impacts sur les systèmes environnementaux et socio-économiques. Cette augmentation de la concentration des
GES est imputable pour une partie (qu’il reste à définir) aux activités humaines, notamment à la combustion des
énergies fossiles. Il en résulte que l’homme est responsable de ce que nous pouvons appeler l’effet de serre
d’origine anthropique.

256
Cependant, les dernières études ont montré, dès 1995, date de la parution du Deuxième
Rapport d'évaluation du GIEC, qu’il existe bel et bien un effet discernable de l’Homme sur le
climat315. Néanmoins, les conclusions de ce rapport restent niées par quelques scientifiques
qui contestent notamment ses bases statistiques et la validité des modèles utilisés pour simuler
les effets anthropiques. Toutefois, les Troisième et Quatrième Rapports d'évaluation du GIEC
(2001, 2007) tendent à confirmer les prévisions d’un réchauffement climatique d'origine
anthropique. Selon ces rapports, le climat mondial est bel et bien en train de se réchauffer et
ce sont surtout les émissions de GES produites par l’activité humaine qui contribuent au
phénomène :

Des preuves plus récentes et plus concluantes permettent de dire que la majeure partie du
réchauffement observé au cours des cinquante dernières années est imputable aux
activités humaines. Il est peu probable que l’origine du réchauffement observé au cours
du XXe siècle soit complètement naturelle. […] Même si l’on tient compte des
incertitudes qui subsistent, les nouvelles données dont on dispose permettent de dire que
la majeure partie du réchauffement observé au cours des cinquante dernières années est
due probablement à l’augmentation des concentrations de gaz à effet de serre. (GIEC,
2001, p. 55)

L’essentiel de l’élévation de la température moyenne du globe observée depuis le milieu


du XXe siècle est très probablement attribuable à la hausse des concentrations de GES
anthropiques. Cette constatation marque un progrès par rapport à la conclusion du
troisième Rapport d’évaluation, selon laquelle « l’essentiel du réchauffement observé au
cours des 50 dernières années est probablement dû à l’accroissement de la concentration
de GES » (GIEC, 2008, pp. 39-40).

Or, aujourd'hui encore subsiste une controverse sur le réchauffement climatique et notamment
sur le rôle joué par l'être humain dans ce processus. Cependant, celle-ci s’est réorientée sur
des chemins plus médiatiques et politiques que scientifiques.

Certains ouvrages (ou parties d’ouvrages) très médiatisés, comme par exemples ceux de
l’ingénieur Yves Lenoir (2001), Climat de panique316, du politicien et géochimiste Claude
Allègre (2007), Ma vérité sur la planète, ou encore du politologue danois, Bjorn Lomborg
(2001), l’écologiste sceptique317 remettent ainsi en cause le réchauffement climatique
d’origine anthropique.

Par ailleurs, cette controverse pseudo-scientifique sur l'empreinte climatique de l’homme se


voit depuis quelques années entretenue et amplifiée à des fins autres que scientifiques par les
lobbies noirs (Western Fuels Association) des charbonniers et des pétroliers, par les
délégations des pays producteurs de pétrole et par les pays grands consommateurs de GES
(Kandel, 1999a ; Kandel et Fouquart). Ceux-ci voient, en effet, d’une manière négative la
possibilité de contraindre les pays à diminuer leur consommation de GES et notamment de
CO2.

315
Ainsi, la conclusion la plus remarquée du Deuxième Rapport d'évaluation de l’IPCC souligne qu’« un
faisceau d’éléments suggère qu’il y a une influence perceptible de l’homme sur le climat global » (GIEC, 1995,
p. 22)
316
Qui a pour sous titre évocateur la phrase suivante : « enfin un livre écologique qui vous démontre le contraire
de ce que l’on vous fait croire : il n’y à pas de réchauffement général de la planète, les changements climatiques
doivent peu à l’effet de serre, qui est indispensable à la vie sur Terre » (page de couverture)
317
Qui a pour titre original (en danois) : Verdens Sande Tilstand, soit littéralement L'état véritable du monde. La
version danoise a été publiée en 1998 et la version anglaise en 2001 par Cambridge University Press.

257
Dans tous les cas, si cette controverse devait montrer une seule chose, c’est bien la complexité
de la problématique du changement climatique.

11.5 De la modélisation du système climatique aux conséquences du Changement


Climatique (en Suisse et dans le Monde)

Le système climatique est un système complexe, chaotique, ou du moins non-linéaire,


caractérisé par des phénomènes de seuil, d’irréversibilité et de rétroactions dont la
connaissance n’est (et ne sera jamais) parfaite. Et même si les incertitudes sur son
fonctionnement diminuent au fil des recherches scientifiques, elles ne seront jamais levées en
totalité.

Par ailleurs comme il s’agit d’un système naturel et global sur lequel il n’est pas envisageable
de faire d’expérience (méthode expérimentale), la seule méthode pour établir des
« certitudes » relatives à son mode de fonctionnement et notamment aux réponses qu’il
apporte à des variations (par exemple l’augmentation des concentrations de GES) consiste dès
lors à le modéliser (cf. Encadré 18 ci-dessous), et, immanquablement, à faire usage
d’hypothèses (par nature contestables), par exemple sur des processus encore mal ou peu
connus (comme ceux liés au cycle de l’eau) ou sur l’évolution future de différents paramètres
(comme les émissions futures de GES) pour tenter d’établir des prévisions.

Encadré 18 : La modélisation du Changement Climatique


La modélisation mathématique permet de synthétiser les connaissances sur les mécanismes fondamentaux qui
gèrent le système climatique et d'en étudier la sensibilité à diverses perturbations. Le modèle mathématique qui
la génère est par conséquent le seul outil capable de simuler et de prévoir l'évolution du climat au niveau local
et global.
Les modèles de circulation générale (MCG) comptent parmi les applications informatiques et les outils
mathématiques les plus complexes. Les MCG comprennent non seulement la composante atmosphérique mais
tentent également d'incorporer d'autres éléments du système climatique tels que les océans, la cryosphère et la
biosphère. Dans ces modèles sont effectués des couplages océan-atmosphère où sont incorporés des forçages
quasi-périodiques tels que El Niño Southern Oscillation (ENSO).
Aujourd'hui, les modèles parviennent à reproduire le climat à grande échelle. Certains sont même capables de
fournir un certain détail sur la variabilité climatique interannuelle. Cependant, des problèmes essentiellement
liés au degré de fiabilité des calculs effectués et aux incertitudes qui caractérisent les prévisions climatiques
persistent. De nombreux facteurs limitent en effet la capacité de prévoir et de détecter les changements
climatiques à venir.
Pour réduire ces incertitudes, il convient donc d’approfondir notamment les connaissances dans des domaines
tels que a) l’évaluation des émissions futures, des cycles biogéochimiques et des concentrations futures des
GES et des aérosols ou b) la collecte systématique et à long terme d’observations directes de certains
paramètres climatiques et d’observations de reconstitution faite à partir d’indicateurs indirects de leurs
variations dans le passé, afin de vérifier la validité des modèles et d’évaluer la variabilité de ces paramètres dans
le temps.
De plus, la précision d'un modèle dépend essentiellement a) de l'échelle spatiale du phénomène étudié et b) de
l’amélioration des connaissances des processus climatiques, tels que les rétroactions liées aux nuages, aux
océans, à la glace de mer et à la végétation, qui sont nécessaires afin d’affiner les projections concernant la
rapidité et les caractéristiques régionales des changements climatiques. En effet, les interactions entre les
nuages et le rayonnement, les rétroactions entre les sols/végétation et l'atmosphère, les liens entre l’humidité des
sols et le bilan hydrologique ainsi que les couplages océan-atmosphère et glaces océaniques-atmosphère qui
doivent être incorporés dans les modèles sont encore difficiles à évaluer, même si des avancées ont été menées
dans ces différents domaines.
Source : d’après Berger (1992), Sadourny (2002), Jancovici (2002), UNFCC/UNEP (2001), GIEC (1995, 2003,
2008)

258
Les prévisions relatives au comportement futur du système climatique sont donc
fondamentalement confrontées à la théorie du chaos, qui se traduit notamment par la présence
de l’effet papillon318, effet qui fût vulgarisé par Lorenz (1995) lors d’une conférence donnée
en 1972 et intitulée « Un battement d'aile de papillon au Brésil peut-il déclencher une tornade
au Texas ? ».

Par conséquent il est dès lors impossible de dégager des certitudes sur les questions relatives à
la problématique du Changement Climatique comme par exemple sur la part de responsabilité
humaine dans le réchauffement planétaire ou sur les prévisions futures. De telles affirmations
ne peuvent dès lors que se comprendre dans un cadre général dressé par un « traitement de
l’incertitude » (GIEC, 2008, p. 27), qui s’exprime en termes de degrés de confiance, de
concordance, d’évidence, de probabilité, etc.

Aussi, et comme nous l’avons déjà souligné dans le chapitre précédent, la communauté
scientifique internationale est, en ce début de XXIe siècle, capable d’affirmer que « l’essentiel
de l’élévation de la température moyenne du globe observée depuis le milieu du XXe siècle
est très probablement attribuable à la hausse des concentrations de GES anthropiques »
(GIEC, 2008, pp. 39-40, cf. Figure 29 ci-dessous)
Figure 29 : Évolution des températures aux échelles mondiale et continentale

Comparaison des variations de la température en surface observées à l’échelle du globe avec les résultats
simulés par des modèles climatiques intégrant les forçages naturels seulement ou les forçages naturels et
anthropiques. Les moyennes décennales des observations effectuées de 1906 à 2005 (ligne en noir) sont
reportées au milieu de chaque décennie en comparaison de la moyenne correspondante pour la période 1901-
1950. Les lignes en pointillé signalent une couverture spatiale inférieure à 50 %. Les bandes ombrées en bleu
indiquent la fourchette comprise entre 5 et 95 % de 19 simulations issues de 5 modèles climatiques qui ne
considèrent que les forçages naturels produits par l’activité solaire et volcanique. Les bandes ombrées en rouge
représentent la fourchette comprise entre 5 et 95 % de 58 simulations obtenues avec 14 modèles climatiques
tenant compte des forçages naturels et anthropiques.
Source : reproduit de GIEC (2007a1, p. 11)

Par ailleurs, et concernant le domaine des prévisions, les experts de l’Intergovernmental Panel
on Climate Change (GIEC, 2007a1) prévoient notamment une augmentation de la température
moyenne de la Terre pour la fin du XXIe siècle comprise entre 1.8 et 4 °C319 selon les
scénarios d’émissions de GES utilisés et par rapport à la fin du XXe siècle (cf. Figure 30 ci-
après).

318
Une métaphore utilisée pour illustrer l’importance de la sensibilité d’un système complexe aux conditions
initiales en théorie du chaos.
319
Valeurs minimum et maximum les plus probables ; valeurs avec intervalle : 1.1-2.9 à 2.4-6.4 °C.

259
Figure 30 : Moyennes des multi-modèles et fourchettes estimées du réchauffement en surface

Les lignes en traits pleins correspondent à des moyennes globales multi-modèles du réchauffement en surface
(relatif à 1980-1999) pour les scénarios A2, A1B et B1, indiqués comme le prolongement des simulations du
XXe siècle. Les zones ombrées matérialisent les écarts types de ±1 des moyennes annuelles pour les différents
modèles. La ligne orange représente l’expérience au cours de laquelle les concentrations ont été maintenues
constantes par rapport aux valeurs de 2000. Les barres grises sur la droite représentent les meilleures
estimations (ligne solide à l’intérieur de chaque barre) et l’étendue probable évaluée pour les six scénarios du
RSSE. L’évaluation de la meilleure estimation et des fourchettes probables dans les barres grises inclut les
nombres d’AOGCM figurant à gauche de la figure, ainsi que les résultats obtenus d’une hiérarchie de modèles
indépendants et de contraintes d’observation.
Source : reproduit de GIEC (2007a1, p14)

Pour fixer les idées et comprendre l’ampleur d’une augmentation de quelques degrés
centigrades en moyenne, relevons que lors du dernier maximum glacière, il y a environ 18'000
ans, les glaces recouvraient le nord de l’Europe et de l’Amérique jusqu’à Londres et New-
York, et la température moyenne à la surface de la Terre n’était alors inférieure que de 4 à
5 °C à sa valeur actuelle (Berger, 1992).

Mais plus alarmant encore est la vitesse à laquelle cette modification de la température
globale va avoir lieu car bien des systèmes – qu’ils soient environnementaux, sociaux ou
économiques – ne vont pas avoir le temps de s’adapter. Ainsi, si les prévisions du GIEC
s’avèrent justes, et la grande majorité de la communauté scientifique internationale est de cet
avis, il est à prévoir qu’au cours du XXIe siècle des impacts considérables sur les différents
systèmes qui composent notre planète se fassent sentir.

11.5.1 Les conséquences : les changements climatiques observés et les effets constatés
Le réchauffement du système climatique est sans équivoque. On note déjà, à l’échelle du
globe, une hausse des températures moyennes de l’atmosphère et de l’océan, une fonte
massive de la neige et de la glace et une élévation du niveau moyen de la mer. (GIEC,
2008, p. 2)

260
Dans le monde, l’augmentation de la température moyenne – augmentation de 0.74 °C entre
1906 et 2005 – et certains effets du Changement Climatique sont donc déjà perceptibles
(GIEC, 2007a1, 2008).

Sur les douze années les plus chaudes depuis 1850 (depuis que des enregistrements de la
température de surface sont disponibles), onze se situent entre 1995 et 2006 et la vitesse
moyenne du réchauffement au cours des cinquante dernières années (0.13 °C par décennie) a
pratiquement doublé par rapport à celle des cent dernières années.

Concernant les glaciers de montagne et la couverture neigeuse, ceux-ci ont décliné en


moyenne dans les deux hémisphères et les données satellites montrent que l’étendue annuelle
moyenne des glaces à diminué de 2.7 % tous les dix ans dans l’océan Arctique, avec un recul
plus marqué en été (7.4 %). Le niveau moyen des mers a également augmenté320 de
1.8 mm/an depuis 1961 et 3.1 mm/an depuis 1993. Par ailleurs :

entre 1900 et 2005, les précipitations ont fortement augmenté dans l’est de l’Amérique du
Nord et du Sud, dans le nord de l’Europe et dans le nord et le centre de l’Asie, tandis
qu’elles diminuaient au Sahel, en Méditerranée, en Afrique australe et dans une partie de
l’Asie du Sud. Il est probable que la sécheresse a progressé à l’échelle du globe depuis les
années 1970.

Il est très probable que les journées froides, les nuits froides et le gel ont été moins
fréquents sur la plus grande partie des terres émergées depuis cinquante ans et que le
nombre de journées chaudes et de nuits chaudes a au contraire augmenté. De plus, la
fréquence des phénomènes ci-après s’est probablement accrue : vagues de chaleur sur la
majeure partie des terres émergées, fortes précipitations dans la plupart des régions et,
depuis 1975, élévations extrêmes du niveau de la mer dans le monde entier

Les observations révèlent une augmentation de l’activité cyclonique intense dans


l’Atlantique Nord depuis 1970 environ, cette évolution étant moins nette ailleurs. Aucune
tendance claire ne se dégage quant au nombre de cyclones tropicaux qui se forment
chaque année, et il est difficile de retracer avec certitude une évolution à long terme,
surtout avant 1970. (GIEC, 2008, p. 2)

Enfin, les observations effectuées montrent également que les changements climatiques
régionaux et en particulier par la hausse des températures ont déjà touché un grand
nombre de systèmes naturels sur l’ensemble des continents et dans la plupart des
océans :

On peut [ainsi] affirmer avec un degré de confiance élevé que les changements intervenus
dans le manteau neigeux, les glaces et le gélisol se sont traduits par une multiplication et
une extension des lacs glaciaires, une instabilité accrue des sols dans les régions
montagneuses et d’autres zones à pergélisol et des modifications de certains écosystèmes
en Arctique et en Antarctique.

De même, certains systèmes hydrologiques ont été perturbés par l’intensification du


ruissellement et la précocité des crues de printemps dans de nombreux cours d’eau
alimentés par la fonte des glaciers et de la neige ainsi que par la modification de la

320
Principalement sous l’effet de la dilatation thermique, mais également à cause de la fonte des glaciers, des
calottes glaciaires et des nappes glaciaires polaires ; depuis 1993, on estime que l’élévation du niveau de la mer
est imputable à la dilatation thermique des océans pour environ 57 % et à la fonte des glaciers et des calottes
glaciaires pour environ 28 % (le reste étant dû à la rétraction des nappes glaciaires polaires).

261
structure thermique et de la qualité de l’eau due au réchauffement des lacs et des rivières
(degré de confiance élevé).

Dans les écosystèmes terrestres, le caractère hâtif des phénomènes printaniers et la


migration d’espèces animales et végétales vers les pôles et vers les hauteurs sont associés
au réchauffement récent avec un degré de confiance très élevé. Dans certains écosystèmes
marins et d’eau douce, le déplacement des aires de répartition et les variations du degré
d’abondance des algues, du plancton et des poissons sont liés à la hausse de la
température de l’eau ainsi qu’aux modifications connexes de la couche de glace, de la
salinité, de la teneur en oxygène et de la circulation de l’eau (degré de confiance élevé).
(GIEC, 2008, pp. 2-3)

Ces changements climatiques régionaux commencent d’ailleurs également à avoir


d’autres effets sur le milieu naturel et l’environnement humain, bien que nombre de
ceux-ci soient difficiles à cerner en raison de l’adaptation et de facteurs non
climatiques. Il s’agit notamment des effets de l’élévation des températures sur :

- les pratiques agricoles et sylvicoles aux latitudes élevées de l’hémisphère Nord


(plantation plus précoce au printemps, par exemple) et les régimes de perturbation des
forêts (incendies, parasites, etc.) ;

- plusieurs aspects de la santé, dont la mortalité associée à la chaleur en Europe, les


vecteurs de maladies infectieuses dans diverses régions et les allergies aux pollens aux
latitudes moyennes et élevées de l’hémisphère Nord ;

- certaines activités conduites dans l’Arctique (chasse et déplacement sur la neige et la


glace, par exemple) et dans les régions alpines de faible altitude (sports d’hiver,
notamment). (GIEC, 2008, pp. 3-5)

Mais, sur le plus long terme, ces multiples incidences du Changement Climatique seront
probablement exacerbées et iront en s’accélérant.

Prenons l’exemple de la Suisse pour illustrer ces (futurs) bouleversements. Réunis à Berne à
la fin de l’année 2000, lors d’une journée de présentation du Troisième Rapport d'évaluation
du GIEC (2001), les experts suisses qui travaillent sur le Changement Climatique ont exposé
certaines implications probables du réchauffement climatique en Suisse (OFEFP, 2000b). Le
premier constat relevé par le groupe d'experts est le fait que le réchauffement dans les Alpes
pourrait être plus important que le réchauffement global moyen et qu'il se fera surtout sentir
pendant le semestre d'hiver321. Divers secteurs économiques, principalement le tourisme
hivernal et l'hydroélectricité, en subiront directement les conséquences.

Et si, certains effets du Changement Climatique sont déjà perceptibles dans notre
environnement naturel et construit (OFEFP, 2000b), telle que la diminution de la couverture
neigeuse, le recul des glaciers alpins et l’augmentation de la fréquence de fortes précipitations
qui affectent ainsi déjà notre pays, ces phénomènes devraient être accentués par l'évolution
rapide du climat. Par exemple, d'ici la fin du siècle prochain, les glaciers suisses pourraient
perdre jusqu'à trois quarts de leur superficie et près de 90 % de leur volume (OFS, 1999, p.
17).

321
Cette tendance qui prévoit une élévation de la température plus rapide en Suisse par rapport à la moyenne
mondiale est d’ailleurs confirmée par les données déjà accumulées au cours du XXe siècle (OFEFP, 2002d, p. 3).
En effet, en Suisse, depuis 1970, la température moyenne a augmenté de 1.5 °C, alors qu’à l’échelle de la
planète, cette hausse a été de 0.5 °C.

262
Enfin, d’autres impacts découlant directement ou indirectement d’une augmentation de la
température moyenne en Suisse sont encore à envisager (OFS, 1999 ; OcCC, 2002). Sont
notamment à prévoir des impacts négatifs sur la végétation (notamment la forêt), sur
l’agriculture et la sylviculture, sur le phénomène des avalanches et des laves torrentielles, sur
la fréquence des événements extrêmes tels que les tempêtes, les crues, les torrents et les
coulées de boues, ou bien encore sur l'extension du domaine habitable de certains parasites et
agents pathogènes et sur les mécanismes d’assurance et de réassurance dans le cas des
catastrophes naturelles.

11.5.2 Synthèse : effets d’incertitudes, de vitesse, de retard et de persistance, de seuils et


d’irréversibilité, d’interrelations et différenciés.
Si nous venons de constater que certains effets du Changement Climatique pouvaient déjà être
observés en Suisse et dans le monde, il est sans doute nécessaire de souligner ici que leur
probable évolution sera déterminée par différents facteurs d’une grande importance. Ces
facteurs, qui caractérisent la problématique du Changement Climatique par rapport à des
problématiques environnementales plus traditionnelles, sont principalement :

• l’effet d’incertitudes : dû à la complexité de la problématique ; il est ainsi quasi


impossible de dégager des certitudes sur les questions relatives à la problématique du
Changement Climatique ;

• l’effet de vitesse à laquelle les perturbations des systèmes environnementaux, mais


également économiques et sociaux vont avoir lieu : cette vitesse est liée à
l’augmentation exponentielle des émissions de GES depuis la révolution industrielle et
de leur concentration dans l’atmosphère et donc à l’augmentation rapide des
températures (sur quelques siècles seulement) et de sa probable accélération ;

• les effets de retard et de persistance : dûs à l’inertie du système climatique, nos


émissions actuelles de GES ne vont déployer toutes leurs conséquences que dans un
futur plus ou moins proche ; ainsi il existe un décalage temporel entre le moment t1 oû
s’exerce la pression anthropique (période des émissions) et le moment t2 oû sévit la
réponse du système (naturel) à la perturbation (conséquences du changement
climatique) qui est principalement dû à la persistance des GES dans le réservoir que
constitue l’atmosphère322 ;

• les effets de seuils et les phénomènes d’irréversibilité : dûs à la complexité d’un


système climatique de nature non-linéaire ; il est probable que sa perturbation subira
des effets de seuils qui peuvent engendrer des conséquences inattendues (accentuation
tout comme minimisation de certains impacts) ainsi que des phénomènes
d’irréversibilité (extinctions d’espèces, modification du fonctionnement de certains
écosystèmes, voire du système climatique) ;

• les effets d’interrelations (boucle de rétroaction notamment) : dûs à la complexité des


relations entre les différents composants du système climatique et entre ceux-ci et les
activités humaines (via les cycles biogéochimiques) ; les conséquences du

322
Durée de vie des GES dans l’atmosphère : 50 à 200 ans pour le CO2, 12 ans pour le CH4 et 114 ans pour le
N2O.

263
réchauffement climatique peuvent avoir des effets pervers (ou vertueux) sur le système
climatique en lui-même ou via les systèmes sociaux et économiques ;

• les effets différenciés du changement climatique : liés au réchauffement global du


climat, mais avec des incidences différenciées selon les régions et touchant plus
particulièrement les pays en voie de développement (pour des questions d’ordre
climatique mais principalement pour des raisons d’ordre socio-économique (absence
de potentiel d’adaptation aux conséquences du changement climatique)

Pour illustrer ces différents facteurs, prenons l’exemple des conséquences du réchauffement
climatique sur la forêt (Perret 2002, faisant notamment référence à Berger, 1992, GIEC, 1995,
1997b, 2001c et Rebetez, 1999).

En effet, certaines espèces sont sensibles à de faibles écarts de température moyenne et


peuvent réagir déjà lorsque les seuils de température dépassent ± 1 °C (effet de seuil). Aussi,
dans l'hypothèse d'un doublement de la concentration de CO2 qui entraînerait une évolution
des températures et de la quantité d'eau disponible, une proportion importante des zones
actuellement boisées pourrait subir dans un avenir plus ou moins proche de vastes mutations
dans les types de végétation (effet de retard/de persistance). Ces incidences seraient
maximales dans les latitudes élevées et minimales dans les latitudes tropicales. Par ailleurs,
notons que selon le GIEC (2008), si (et seulement si) la concentration atmosphérique des GES
devait être maintenue constante au niveau de celle de l’an 2000, un réchauffement probable de
+ 0.6 °C devrait être mesuré pour la fin du XXIe siècle ; soit un réchauffement d’environ
+ 1.2 °C en l’espace de 200 ans si l’on considère le réchauffement déjà observé de + 0.6 °C
entre 1900 et 2000 (effet de retard/de persistance).

Mais le problème principal provient surtout de la vitesse à laquelle s’effectueraient les


modifications climatiques puisque l'on s'attend à ce que le climat évolue de manière rapide par
rapport au rythme de croissance, de reproduction et de régénération des forêts (effet de
vitesse). En effet, le taux de migration de la plupart des espèces végétales s'avérerait plus lent
que la vitesse de déplacement des zones climatiques323 prévue au siècle prochain. Dans les
latitudes moyennes, un réchauffement de 1 à 3.5 °C en moyenne d'ici 2100 équivaudrait à un
déplacement des isothermes actuels vers les pôles de 150 à 550 km324 ou à leur déplacement
en altitude de 150 à 550 m.

L'évolution rapide du climat induirait donc la disparition de nombreuses espèces – dans


certaines régions, des types entiers de forêts pourraient ainsi disparaître et être remplacés par
de nouvelles essences et donc par de nouveaux écosystèmes (phénomènes d’irréversibilité) –
et une forte concurrence parmi les espèces survivantes (effets d’interrelations).

Notons qu'au début, suite à une mortalité importante des arbres, les émissions de carbone
seraient plus grandes que leur absorption, accentuant par la même occasion l'effet de serre,
ceci jusqu'à l'établissement d'un nouvel équilibre entre taux de mortalité et taux de croissance
(effets d’interrelations, effets pervers).

Par ailleurs, nous pouvons également nous imaginer que de telles modifications pourraient
également avoir d’autres conséquences environnementales, par exemple sur les espèces
323
Aussi bien en latitude qu'en altitude.
324
A titre de comparaison, on estime que la migration des espèces d'arbres s'est produite dans le passé à une
vitesse de 4 à 200 km par siècle selon les espèces et l'ampleur des modifications climatiques.

264
animales et végétales intimement liées à la forêt, ou sociales, par exemple sur l’économie
forestière et, par répercussion, sur les modes de chauffage (effets d’interrelations).

Notons enfin que les pays industrialisés devraient pourvoir s’adapter sans trop de difficultés
(mais avec un coût certain) à de telles modifications, ce qui n’est pas le cas des pays en voie
de développement qui subissent les conséquences du changement climatique de manière
exacerbée (effets différenciés), notamment car elles viennent s’additionner à des problèmes
socio-économiques déjà présents (tels que la déforestation par exemple, ou la guerre, le
manque de ressources en eau, etc.).

11.6 Des émissions de GES aux multiples secteurs d’activités responsables : le cas de
la Suisse

Mais revenons quelque peu aux « responsables » du Changement Climatique. En Suisse, qui
sont-ils ?, sont-ils nombreux ? et qu’émettent-ils ?

Sur la base de l’inventaire des gaz à effet de serre en Suisse (OFEV, 2008a, cf. Annexe 16
pour certaines précisions), nous pouvons constater qu’en 2006 trois secteurs d’activité sont à
eux seuls responsables de plus des trois quart des émissions nationales de GES (cf. Figure 31
ci-dessous) : les transports (30.1 %), les ménages (21.6 %) et l’industrie (26.2 %). Suivent les
secteurs de l’agriculture (11 %), des services & commerces (9.8 %) et des déchets (1.3 %).

Figure 31 : Emissions de GES en Suisse, par secteurs d’activités

Emissions de GES en Suisse, par secteurs d'activité, 1990-2006


Part de la combustion des énergies fossiles, chiffre 1990 - 2006 : 90 % - 92 % (moyenne 91.8%)

60

50

40
Déchets, chiffre 2006 : 1.3%

Agriculture, chiffre 2006 : 11%


Miot 30 Ménages, chiffre 2006 : 21.6%

Services & commerces, chiffre 2006 : 9.8%

Transports, chiffre 2006 : 30.1%


20
Industrie, chiffre 2006 : 26.2%

10

0
1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006

Source : d’après OFEV (2008a)

Néanmoins, si ces proportions apparaissent comme relativement stables durant la période


1990 - 2006, notons tout de même que les émissions de GES dues aux transports sont en
sensible (mais irrégulière) augmentation depuis 1990. Ces émissions sont passées de 14.81

265
Miot d’équivalent CO2 en 1990 à 16.01 Miot en 2006, soit une augmentation d’environ 8 %.
Les émissions du secteur de l’industrie ont suivi la même tendance (+4.78 %).

A l’inverse, les émissions dues au secteur des déchets ont fortement diminué, passant de
1.03 Miot en 1990 à 0.70 Miot en 2006, soit une diminution de plus de 32 %. Les secteurs
agricole (-10.23 %), des services & commerces (-2.87 %) et des ménages (-2.34 %) ont suivi
la même tendance durant cette période.

11.6.1 Le dioxyde de carbone (CO2) : transports, ménages, industrie et services/commerces


Depuis 1990, ce sont principalement les secteurs des transports, des ménages, de l’industrie et
des services & commerces qui représentent les principales sources d’émissions de CO2 en
Suisse (cf. pour rappel la Figure 21 du chapitre 10.1.2 en page 228). Aussi, en 2006, ces
divers secteurs étaient respectivement à l’origine de 34.8 %, 25.1 %, 27.5 % et 11.3 % des
émissions nationales de CO2.

Il est néanmoins intéressant de relever que parmi les 45.56 millions de tonnes de CO2 émises
en Suisse durant l’année 2006, 94.8 % provenaient de la combustion d’énergie fossile.
D’ailleurs, nous pouvons noter que depuis 1990, la combustion des énergies fossiles
représente en moyenne 94.4 % des émissions annuelles nationales de CO2.

11.6.2 Le méthane (CH4) : agriculture et déchets


Le secteur agricole représente la principale source d’émission de CH4 en Suisse et le secteur
des déchets constitue également une source non négligeable (cf. Annexe 19, Figure 1).

En 2006, la part des émissions de CH4 de ces deux secteurs d’activité s’élevait respectivement
à 79.6 % et 12.01 %. Plus spécifiquement, nous pouvons relever que ce sont le bétail (pour le
secteur agricole) et les décharges (pour le secteur des déchets) qui sont les sources principales
des émissions nationales de CH4, avec respectivement 65.10 % et 8.21 % des émissions à leur
actif en 2006, soit plus des trois quarts des émissions totales de méthane.

Nous noterons tout de même une certaine diminution des émissions de CH4 depuis 1990 qui
se chiffre à -19.10 % en 2006 (diminution de plus de 43 % pour les déchets et de plus de 7 %
pour l’agriculture).

11.6.3 L’oxyde nitreux (N2O) : agriculture, industrie et déchets


L’agriculture constitue également le principal secteur d’activité à l’origine des émissions de
N2O (cf. Annexe 19, Figure 2). L’industrie et le secteur des déchets y contribuent également,
mais dans une moindre mesure. En 2006, la part relative des émissions de ces trois secteurs
s’élevaient respectivement à 75.71 % pour l’agriculture (63.11 % pour les sols et 12.32 %
pour l’engrais), 11.21 % pour l’industrie et 7.85 % pour les déchets.

Relevons cependant que les émissions de N2O dues à l’agriculture ont diminué de -13.52 %
depuis 1990 (-10.02 % pour l’engrais et -14.23 % pour les sols agricoles), de même que celles
de l’industrie (-6.85%), alors qu’à l’inverse, les émissions dues aux déchets et aux autres
secteurs ont respectivement augmenté de 21.4 % et 11.92 %.

266
11.6.4 Les gaz synthétiques (HFC, PFC et SF6) : industrie
L’industrie325 représente l’unique secteur d’activité qui est à l’origine des émissions des
différents gaz synthétiques à effet de serre en Suisse (cf. Annexe 19, Figure 3). Leur évolution
est d’ailleurs inégale depuis 1990 et ce sont les HFCs qui constituent, en 2006, les principaux
GES « industriels » avec plus du 73 % des émissions nationales de gaz synthétiques à leur
actif. Suivent le SF6 (19,41 %) et les PFCs (6.72 %).

Rappelons ici que les émissions des gaz synthétiques ne représentent actuellement qu’une
infime part des émissions totales de GES (1.6 % en 2006). Néanmoins, ce constat pourrait
rapidement changer. En effet, il nous faut relever que si la part des émissions des autres GES
est relativement « stable » depuis 1990 (cf. graphique 1), la part des gaz synthétiques s’envole
depuis cette date et ce principalement à cause des émissions de HFCs qui ne cessent
d’augmenter depuis le milieu des années 90 : on a émis durant l’année 2006, en Suisse, plus
de 27'400 fois plus de HFCs qu’en 1990 ! Cependant, il apparaît tout de même un
fléchissement (à court terme ?) de la tendance puisque les émissions de chacun de ces gaz
synthétiques ont amorcé une diminution qui se situe dans les années 2000-2005. Par
conséquent, et si le déclin amorcé ne se confirme pas et même si actuellement les gaz
synthétiques ne font pas encore le poids face au CO2 (85.6% des émissions de GES en 2006),
ils deviendront de sérieux concurrents dans quelques années – notamment les HFCs – du fait
de leur très fort potentiel de réchauffement global (PRG).

11.6.5 Les puits de CO2 : sylviculture


Sur la période 1990 - 2006, le secteur « modification de l’utilisation des sols & sylviculture »
a permis de réduire les émissions brutes de GES en Suisse de -1.93 Miot (cf. Annexe 19,
Figure 4). Ainsi, en Suisse, les puits de CO2 ne constituent pas une solution permettant de
réduire les émissions brutes des GES de manière importante. De plus, rappelons que tant la
forêt que les sols peuvent se transformer en sources d’émissions et leur capacité respective de
stockage est limitée à terme.

En Suisse, ce secteur, pris dans sa globalité, ne correspond pas à une source mais à un puit de
CO2. Ceci s’explique principalement par l’augmentation de la superficie de la forêt suisse qui
a pour effet de fixer du carbone et de soustraire une certaine quantité de CO2 au réservoir que
constitue l’atmosphère. En effet, une forêt qui grandit fixe du CO2, alors que son bilan en
terme de CO2 devient nul lorsqu’elle a atteint son rythme de croisière (la fixation du carbone
par les arbres qui poussent est équilibrée par le rejet de carbone des arbres qui meurent).

11.6.6 Le secteur des énergies renouvelables


Outre les transports, l’industrie, les ménages, les services & commerces, l’agriculture, les
déchets, la modification de l’utilisation des sols & la sylviculture, il existe un autre secteur
dans lequel l’activité humaine peut contribuer à réduire les émissions de GES : le secteur des
énergies renouvelables. En effet, nous avons pu constater auparavant que la combustion
d’énergie représentait en moyenne plus de 94 % des émissions de CO2 en Suisse depuis 1990.
Aussi les énergies renouvelables (force hydraulique, bois, biomasse, vent, soleil, chaleur
ambiante et géothermie, dont le bilan en terme d’émissions de CO2 est nul) constituent un
secteur d’activité d’une importance considérable dans la lutte contre l’effet de serre d’origine

325
Rubrique processus industriel (2) de l’inventaire national des GES (OFEV, 2008a).

267
anthropique en tant que moyens de substitution à la consommation d’énergie fossile (charbon,
gaz et pétrole).

11.7 Des secteurs d’activités responsables des émissions nationales de GES aux
multiples acteurs(-cibles) de la politique climatique suisse

Nous pouvons désormais regrouper les activités responsables des émissions de GES en Suisse
au sein de six secteurs d’activités : l’industrie, les transports, les ménages (immeubles
d’habitation), les services & commerces, l’agriculture et les déchets. A ces 6 secteurs, sources
d’émissions de GES, nous pouvons ajouter le secteur modification de l’utilisation des sols &
sylviculture qui en Suisse, comme nous avons pu le constater, pris dans son ensemble, ne
correspond pas à une source mais à un puit de CO2. Enfin le secteur des énergies
renouvelables représente également un élément important dans la perspective de réduire les
émissions de GES d’origine anthropique, notamment par le biais de la substitution des
ressources énergétiques d’origine fossile (charbon, gaz et pétrole) par des ressources
renouvelables.

11.7.1 Quelques acteurs-cibles de la politique climatique suisse


Ainsi, en Suisse, dans le dessein de réduire les émissions nationales nettes de GES, l’Etat a la
possibilité d’intervenir sur différents acteurs socio-économiques répartis selon les huit
secteurs d’activités que nous venons d’énumérer (cf. Tableau 36 ci-dessous).

Tableau 36 : Quelques exemples d’acteurs-cibles par secteurs d’activité

Industrie Transports Ménages Services & commerces

Petites, moyennes et Automobilistes (mobilité Propriétaire d’immeuble Petites, moyennes et


grandes entreprises privée) / Transporteurs / Locataires grandes entreprises
(notamment industrie de (mobilité d’entreprise) /
l’automobile et du Tourisme de l’essence
ciment)

Utilisation des sols &


Agriculture Déchets Energies renouvelables
sylviculture

Agriculteurs de tous Stations d’épuration / Forestiers / Agriculteurs Producteurs /


types (producteurs de décharges, etc. Consommateurs
denrées alimentaires
(viande, lait, fromage,
céréales, etc. ; éleveurs
de bétails, etc.)

Source : l’auteur

Nous pouvons donc constater que de nombreuses activités, très variées, sont à l’origine des
émissions de GES en Suisse. Leur diversité rend l’intervention de l’Etat d’une certaine
complexité puisque ce dernier se doit de cibler un grand nombre d’acteurs différents.

268
Aussi, et à l’image de la complexité du problème qu’elle veut tenter de résoudre, la politique
climatique suisse est par nature multisectorielle. En Suisse, « nous ne pouvons [d’ailleurs] pas
parler d’une politique climatique […] mais plutôt ‘des politiques concernées par la protection
du climat’ » (Perret, 2002, p. 62). A ce titre, nous pouvons citer, en exemple, les politiques
énergétique, environnementale et des transports ou bien encore la politique agricole et
sylvicole, autant de politiques qui, dans le domaine si complexe de la réduction des émissions
de GES, se recoupent et s'entrecroisent, avec tout le lot de contradictions inhérentes à des
politiques poursuivant également leurs propres objectifs spécifiques. Nous pouvons ainsi
imaginer combien sont nombreuses les autorités (départements et offices) concernées par la
mise en œuvre de la politique climatique au sens large du terme.

11.7.2 Quelques acteurs institutionnels de la politique climatique suisse


Si « l'autorité fédérale compétente pour appliquer la plus grande partie du droit de
l'environnement est le Département fédéral de l’énergie, de la communication, des transports
et de l'environnement [DETEC] » (Petitpierre, 2000, p. 31), celui-ci se doit, dans le cadre
d’une politique climatique par nature intersectorielle, d’agir en étroite collaboration avec le
Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) et le Département fédéral de l'économie
(DFE) pour ne citer qu’eux.

Au niveau des offices fédéraux, c’est ainsi l’office fédéral de l'environnement (OFEV)326 qui
constitue le principal organe concerné par le droit de l'environnement et la protection du
climat. Mais beaucoup d’offices ont également un grand rôle à jouer. Pensons entre autres à
l’office fédéral de l’énergie (OFEN), l’office fédéral des transports (OFT) ainsi qu’au
Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO), à la Direction du développement et de la coopération
(DDC), à l’Office fédéral du développement territorial (OFDT) et à l’office fédéral de
l’agriculture327 (OFA), ce dernier ayant « progressivement acquis des compétences en matière
de protection de l'environnement, dans la mesure où il applique la nouvelle politique agricole
qui comprend le subventionnement en fonction de critères écologiques » (Petitpierre, 2000, p.
31).

Ces différents départements et offices sont autant d’acteurs institutionnels qui participent à la
complexité de la politique climatique suisse, notamment dans le cadre du processus
décisionnel – par lequel les instruments de régulation environnementale sont obligés de
passer – dans la mesure où ils y sont tous parties-prenantes à divers titres.

A ces différents acteurs, prenant tous part aux processus décisionnels, nous pouvons
également rajouter, et sans prétention à l’exhaustivité, les associations de défenses d’intérêts
(associations économiques ou environnementales par exemple) et les nombreux partis
politiques que compte le système pluraliste suisse.

11.7.3 La complexité des acteurs(-cibles) de la politique climatique suisse


Dans le cadre de notre recherche, nous avons restreint notre champ d’investigation aux seuls
instruments de la législation sur le CO2, soit ceux à même de réduire les émissions de GES
dues à la combustion des carburantes et combustibles. Aussi, si les instruments « des
politiques publiques concernées par la protection du climat » (Perret, 2002, p. 62) s’adressent,

326
Egalement bien connu sous l’abréviation allemande BUWAL.
327
Qui relève du DFE.

269
par voie de conséquences, à beaucoup d’acteurs(-cibles) socio-économiques, rendant ainsi « la
politique climatique suisse » complexe, la politique de réduction des émissions de CO2 telle
qu’elle ressort de la législation sur le CO2 – avec son champ d’intervention plus restreint -
n’en n’est pas moins complexe.

Nous avons en effet dénombré de nombreux acteurs ciblés par les instruments de la législation
sur le CO2 et, pour anticiper quelque peu nos propos analytiques, nous avons également
constater leur certaine complexité (cf. chapitre 12, point 12.3 ci-après). Ces acteurs-cibles
sont principalement :

• les entreprises suisses (des PME aux grandes entreprises) ;

• des acteurs de type associatif ou fondations (telle que celle du centime climatique) ;

• les importateurs, les fabricants, les producteurs, les commerçants et/ou les
entrepositaires de combustibles et/ou de carburants assujettis à la Taxe CO2 ;

• les individus/particuliers, notamment en tant que consommateurs de carburants et de


combustibles et en tant que bénéficiaires de la redistribution de la taxe CO2 ;

• les exploitants/constructeurs de centrales à gaz ;

• les meneurs/propriétaires de projets de réduction d'émissions en Suisse et à l'étranger,


les brookers/traders, etc.

Cette complexité sociale se répercute dès lors sur les moyens à mettre en œuvre pour réduire
les émissions de GES, ou, en d’autres termes, sur les instruments politiques de protection du
climat qui sont notamment indissociables du processus décisionnel par lequel ils se doivent de
passer pour être mis en œuvre ; processus dans lequel l’ensemble des acteurs socio-
économiques que nous avons évoqués ont d’ailleurs leur mot à dire328. Nous reviendrons sur
les implications de cet état de fait dans la dernière partie de notre recherche.

Chapitre 12 Etude descriptive de la politique climatique suisse :


les instruments concrets et leur articulation

Après avoir rapidement établi quelles étaient les principales bases constitutionnelles de
l’intervention de la Confédération Suisse dans le domaine qui nous occupe et défini ses
compétences en la matière, nous allons inventorier les instruments (concrets) de la politique
climatique suisse tels qu’ils ressortent de la législation sur la réduction des émissions de CO2.

328
Soulignons d’ailleurs que les acteurs du processus décisionnel peuvent également être des acteurs-cibles de la
politique climatique.

270
12.1 Les principales dispositions constitutionnelles en matière de politique climatique

En vertu du principe de la répartition des compétences qui régit les rapports entre la
Confédération et les cantons (Art. 3 Cst.), la compétence générale de légiférer est octroyée à
ces derniers alors que la Confédération ne jouit que d’une compétence d’attribution.

Aussi, la Confédération doit posséder une base constitutionnelle pour agir dans le domaine de
la protection du climat. Au demeurant, rappelons que selon le principe de l’Etat de droit (Art.
5 Cst.), la Confédération doit agir uniquement sur la base et dans les limites du droit et qu’en
vertu du principe du fédéralisme d’exécution (Art. 74, al. 3 Cst.), l’exécution des dispositions
fédérales incombe aux cantons dans la mesure où elle n’est pas réservée à la Confédération
par la loi.

Par conséquent, les dispositions constitutionnelles peuvent être considérées comme le


fondement originel législatif des politiques publiques nationales. Elles vont en effet déjà
orienter ces politiques en indiquant – le plus souvent de manière assez générale, mais parfois
plus précisément – une certaine direction dont la façon d’intervenir dans le domaine en
question. Dans cette perspective, il convient dés lors d’identifier les bases constitutionnelles
de la législation sur le CO2.

12.1.1 Les dispositions constitutionnelles dont fait explicitement référence la LCO2 : la


protection de l’environnement et la politique énergétique
La législation sur le CO2 se fonde sur les articles de la Constitution fédérale relatifs à la
protection de l’environnement (Art. 74) et à la politique énergétique (Art. 89).

Selon le premier article, « la Confédération légifère sur la protection de l’être humain et de


son environnement naturel contre les atteintes nuisibles ou incommodantes » (Art. 74, al. 1
Cst.) et selon le second article, dans son alinéa 2, « la Confédération fixe les principes
applicables à l’utilisation des énergies indigènes et des énergies renouvelables et à la
consommation économe et rationnelle de l’énergie » (Art. 89, al. 2 Cst.).

Aussi, se fondant sur l'article 74, la Confédération peut prendre toutes les mesures propres à
atteindre l'objectif de protection de l'environnement qu’est la réduction des émissions de CO2.
Elle jouit donc d’une compétence exclusive et l’ensemble des mesures mis en œuvre dans le
cadre de la législation sur le CO2 trouve sa base juridique dans cet article, taxe d’incitation sur
le CO2 comprise329 (Conseil fédéral, 1997). Par ailleurs, étant entendu que la législation sur le
CO2 poursuit également le but d’une utilisation économe et rationnelle de l’énergie, tout en
encourageant le recours aux énergies renouvelables, elle trouve également son fondement
légal dans l’article sur l’énergie.

12.1.2 Les autres dispositions constitutionnelles pertinentes au regard de la protection du


climat : les principes du droit de l’environnement
D’autres dispositions constitutionnelles, d’ordre plus général, doivent également être
considérées comme importantes au regard de la législation sur le CO2, même si celles-ci ne

329
« Conformément aux pratiques du Parlement et du Conseil fédéral, mais aussi conformément à la
jurisprudence, la compétence de la Confédération pour percevoir des taxes d'incitation selon le principe de la
connexité matérielle, est conforme à la constitution » (Conseil fédéral, 1997, p. 460).

271
sont pas explicitement référencées par cette dernière, dans la mesure où elles vont dresser le
cadre dans lequel l’action de l’Etat va prendre forme et vont ainsi orienter à la fois les
autorités et les acteurs socio-économiques dans leurs choix et activités : les principes
(directeurs) du droit de l’environnement.

Notons que ces principes sont également énoncés dans la plupart des actes internationaux
concernant l’environnement. Pensons ici à la Déclaration de Rio et à la Convention cadre des
Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) notamment.

Nous pouvons distinguer cinq principes constitutionnels d’une grande importance : les
principes de prévention et de précaution, le principe du pollueur-payeur, le principe global du
développement durable et le principe de proportionnalité.

A) Le principe de prévention
Le principe de prévention est consacré par l’article 74, al. 2 de la Constitution fédérale, article
en vertu duquel la Confédération doit veiller à prévenir les atteintes à l’environnement. Dans
le domaine de la protection de l’environnement, ce principe revêt une importance
considérable dans le cas des atteintes de nature irréversibles dans la mesure où la prévention
représente un moyen efficace et efficient de ne pas bouleverser de manière irrémédiable notre
environnement.

Dans le cadre de la législation sur le CO2, ce principe revêt donc une importance majeure dans
la mesure où l’objet même de la législation est d’intervenir à la source des émissions de CO2.

B) Le principe de précaution
Le principe de précaution, quant à lui, est en quelque sorte le prolongement naturel du
principe de précaution et découle également de l’article 74, al. 2 de la Constitution.
Néanmoins, il s’en différencie dans la mesure où il s’applique précisément aux cas où
l’incertitude scientifique règne. Aussi, en vertu de ce principe, l’incertitude scientifique ne
doit en aucun cas servir d’alibi pour ne rien mettre en œuvre pour protéger l’environnement,
la sagesse recommandant alors de prendre ses précautions.

Dans le cadre de la législation sur le CO2, ce principe revêt donc une importance majeure dans
la mesure où des sources d’incertitude scientifique persistaient (et persistent d’ailleurs
toujours, même si dans une moindre mesure avec l’état d’avancement de la connaissance
scientifique) sur les causes et les conséquences du réchauffement climatique lorsque la
législation a été adoptée en 1999.

C) Le principe du pollueur-payeur
Le principe du pollueur-payeur est également consacré dans l’article 74, al. 2 de la
Constitution fédérale : « les frais de prévention et de réparation sont à la charge de ceux qui
les causent ». Ce principe, bien connu, se veut proclamer l’internalisation des coûts externes
(externalités négatives) non compris dans la production des biens polluants. Les taxes
pigouviennes illustrent une des possibilités pour l’Etat d’internaliser les coûts engendrés par
des activités polluantes (voir plus loin).

Dans le cadre de la législation sur le CO2, ce principe se traduit principalement par la


possibilité offerte d’introduire une taxe incitative sur le CO2.

272
D) Le principe du développement durable
Le principe du développement durable est explicitement consacré par la Constitution fédérale
qui lui consacre un article : « la Confédération et les cantons œuvrent à l’établissement d’un
équilibre durable entre la nature, en particulier sa capacité de renouvellement, et son
utilisation par l’être humain » (Art. 73 Cst.). Ce principe revêt une importance majeure dans
deux cas distincts en étroite relation avec la problématique du Changement Climatique :
l’utilisation des ressources naturelles non renouvelables et les activités qui ont des
conséquences irréversibles sur l’environnement.

Dans le cadre de la législation sur le CO2, ce principe revêt donc une importance majeure dans
la mesure où l’objet même de cette législation est la réduction des émissions de CO2 dues à
l’utilisation des agents énergétiques fossiles, émissions à l’origine du réchauffement
climatique et de ses multiples conséquences potentiellement irréversibles sur
l’environnement.

E) Le principe de la proportionnalité : BATNEC et subsidiarité


A ces quatre grands principes du droit de l’environnement vient encore s’ajouter un grand
principe qui régit les rapports entre l’Etat (l’administration) et la collectivité (les administrés)
et qui déploie également des effets dans le domaine de la protection de l’environnement : le
principe de la proportionnalité (Art. 5, al. 2 Cst.). Ce principe régit le choix des moyens
effectué par l’Etat, choix qui se doit d’atteindre un but dans l’intérêt public tout en tenant
compte de l’intérêt privé. Il poursuit un idéal d’équilibre entre l’administration et l’administré
qui se fonde sur :

• l’adéquation des mesures : les mesures envisagées doivent être propres à atteindre le
but visé ;

• la subsidiarité : parmi les mesures adéquates seront choisies celles qui portent le moins
atteinte aux intérêts privés ;

• la nécessité : la pesée d’intérêt entre l’atteinte aux intérêts privés et le résultat attendu
dans l’intérêt public ne doit pas imposer de renoncer à la mesure.

Dans le domaine de la protection de l’environnement, ce principe constitutionnel se traduit


notamment sous la forme opérationnelle de l’exigence BATNEC (Best Available Technologies
and Not Entailing Costs) qui impose à l’Etat de choisir des mesures faisant appel aux
techniques les plus appropriées et de nature économiquement supportable. En outre, il trouve
également son prolongement dans le principe de la subsidiarité qui jette, entre autres, les
bases de la collaboration entre l’Etat et ses partenaires (cantons, communes, associations,
milieux économiques, etc.), notamment par l’injonction qui est faite à l’Etat de tenir compte
des efforts consentis par ses partenaires (ou leur potentiel d’effort) et d’examiner les mesures
prises par l’économie avant d’édicter des dispositions d’exécution.

Dans le cadre de la législation sur le CO2, ces deux principes se traduisent principalement, et
comme nous allons pouvoir le constater, par la phase des mesures librement consenties
(principe de subsidiarité) et l’introduction d’une taxe subsidiaire sur le CO2 (principes de
subsidiarité et du Not Entailing Cost).

273
F) Les principes, des instruments politiques
Les principes constitutionnels (de protection de l’environnement) que nous venons
d’identifier peuvent être considérés comme des instruments politiques tout simplement parce
qu’ils sont, au moins et par leur seul évocation, des éléments d’information destinés aux
acteurs socio-économiques.

Ces principes ne sont-ils pas censés constituer, de manière plus ou moins directe, des guides à
nos actions et comportements ?

12.2 La politique de réduction des émissions de CO2

La politique climatique suisse « au sens étroit du terme » (Perret, 2002, p. 62) se fonde
principalement sur la loi fédérale du 8 octobre 1999 sur la réduction des émissions de CO2
(LCO2) et de ses diverses ordonnances330, ainsi que sur la Loi du 26 juin 1998 sur l’énergie
(LEne). Cependant, si nous ne traitons pas explicitement de cette deuxième législation dans le
cadre de notre analyse, il n’en reste pas moins que la législation sur le CO2 lui est intimement
liée, comme nous pourrons d’ailleurs assez vite le constater. C’est pourquoi nous devrons tout
de même y faire référence.

La législation sur la réduction des émissions de CO2, dont la loi fédérale entrée en vigueur le
premier mai 2000331, constitue néanmoins le fondement essentiel de la politique nationale de
protection du climat. Elle permet en effet la mise en œuvre au niveau national de la politique
climatique définie à l’échelon international (OFEN, 2001). Avec son application, la Suisse
tente ainsi de se donner les moyens de remplir les objectifs qu’elle s’est engagée à prendre
dans le cadre de la Convention-Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques
(CCNUCC) et, plus particulièrement, du Protocole de Kyoto, au titre duquel elle s’est
engagée à réduire de 8 % ses émissions de GES d’ici à 2010332 par rapport à l’année de
référence 1990.

12.2.1 Des objectifs quantifiés de réduction des émissions de CO2


L’objectif principal de la législation sur le CO2 est de viser « à réduire les émissions de CO2
dues à l’utilisation énergétique des agents fossiles (combustibles et carburants) » (Art. 1
LCO2). Cependant, par la même occasion, elle tend également « à la réduction d’autres
atteintes à l’environnement, à une utilisation économe et rationnelle de l’énergie ainsi qu’à un
recours accru aux énergies renouvelables » (Art. 1 LCO2) ce qui la rend très liée à la mise en
œuvre de la politique énergétique (nous y reviendrons).

Pour atteindre ce but, la législation s’est fixée un objectif global chiffré qui est de réduire de
10 % les émissions de CO2 dues aux agents énergétiques fossiles d’ici à l’an 2010333 par
rapport à l’année de référence 1990 (Art. 2, al. 1 LCO2). Toutefois, cet objectif global est
330
Ordonnances du 22 juin 2005 régissant l'imputation des réductions d'émissions opérées à l'étranger
(Ordonnance sur l'imputation du CO2), du 8 juin 2007 sur la taxe sur le CO2 (Ordonnance sur le CO2), du
DETEC du 27 septembre 2007 sur le registre national des échanges de quotas d'émission et du 21 décembre
2007 sur la compensation des émissions de CO2 des centrales à cycles combinés alimentées au gaz.
331
Après l’expiration du délai référendaire, aucune opposition n’ayant été formulée.
332
Calculé sur la base de la moyenne des émissions des années 2008-2012
333
La moyenne des émissions des années 2008-2012 sera prise en compte pour déterminer si l’objectif est atteint
ou non.

274
scindé par la législation en deux sous-objectifs sectoriels : le premier est d’une réduction de
15 % et concerne les émissions provenant de l’utilisation des combustibles (notamment pour
le chauffage et les foyers industriels ; objectif combustible) et le second est une réduction de 8
% qui concerne uniquement les émissions dues aux carburants (diesel et essence ; objectif
carburant) (Art 2, al. 2 LCO2).

Un certain nombre d’instruments sont dès lors proposés pour atteindre ces objectifs quantifiés
de réduction.

12.2.2 Les instruments pour la mise en œuvre


Les objectifs fixés par la loi sur le CO2 doivent être atteints en priorité par des mesures
librement consenties334, au cours d’une première phase dite volontaire, ainsi que par d’autres
mesures, déjà décidées ou prévues, dans le cadre des politiques de l’énergie, des transports, de
l’environnement et des finances335 (Art. 3, al. 1 LCO2 ; Conseil fédéral, 1999).

Cependant, si ces mesures ne s’avèrent pas efficaces et ne permettent donc pas, à elles seules,
d’atteindre les objectifs fixés, la législation donne la possibilité à la Confédération
d’introduire, dans une seconde phase dite subsidiaire, une taxe CO2 (Art. 6, al. 1 LCO2).

En sus, les mécanismes de flexibilité du Protocole de Kyoto (marché des droits d’émissions et
autres certificats de réduction d’émission) sont également pris en considération par la
législation :

lors du calcul des émissions au sens de la présente loi, le Conseil fédéral peut tenir
compte de manière appropriée des réductions d’émissions opérées à l’étranger et
financées par la Confédération ou par des entreprises sises en Suisse. Il fixe les exigences
en tenant compte des critères reconnus sur le plan international. (Art. 2, al. 7 LCO2)

Cependant, ces instruments doivent être considérés comme des mesures d’accompagnement et
ne peuvent donc se substituer aux mesures de réductions prises en Suisse que dans une
certaine limite (principe de la supplémentarité).

Ainsi, la mise en œuvre de la législation sur le CO2 s’effectue en deux « étapes » (Conseil
fédéral, 1999, p. 442) – une phase que nous qualifierons de volontaire et une phase dite
subsidiaire – qui combinent dans le temps trois types d’instruments, à savoir (cf. Figure 32 ci-
après) : a) les mesures librement consenties (ou accords volontaires) : conventions d’objectifs
et engagements formels, b) la taxe CO2 subsidiaire et c) les mécanismes de flexibilité du
Protocole de Kyoto.

334
Soit « notamment les déclarations par lesquelles les consommateurs de combustibles et de carburants fossiles
prennent de leur plein gré l’engagement de limiter leurs émissions » (Art. 4, al. 1 LCO2)
335
Soit principalement les mesures suivantes : la législation sur l’énergie et son programme de mise en œuvre
« SuisseEnergie », la redevance sur le trafic des poids lourds liées au prestations (RPLP), le transfert du trafic
transalpin de marchandises vers le rail, la modernisation de l’infrastructure des transports publics ferroviaires
(RAIL 2000, les nouvelles lignes ferroviaires à travers les alpes (NLFA) et le raccordement de la Suisse au
réseau européen des trains à haute performance), la possibilité d’introduire une taxe sur le transit alpin et la
probable future introduction d’incitations écologiques dans le cadre du régime financier de la Confédération.

275
Figure 32 : Les deux étapes de la législation sur le CO2
Phase subsidiaire : taxe CO2, engagements formels et mécanismes de
flexibilité
Phase volontaire : conventions

2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 …

Source : l auteur.

Soulignons ici que ces instruments ne sont pas indépendants les uns des autres, mais qu’ils
sont articulés entre eux dans le temps, mais également, comme nous allons pouvoir le
constater tout au long de notre étude descriptive de la politique climatique suisse, à des degrés
divers.

12.2.3 La phase volontaire des mesures librement consenties : conventions (et engagements
plus formels)
La première étape se fonde sur la mise en œuvre de mesures volontaires via l’élaboration
d’accords entre l’Etat et différents secteurs ou milieux économiques. Ces mesures librement
consenties, ou accords volontaires, peuvent notamment prendre la forme de conventions
d’objectifs visant à une utilisation économe et rationnelle de l’énergie ou d’engagements plus
formels visant à remplir un objectif chiffré de réduction des émissions de CO2. Elles sont, sur
le plan de la base légale, liées à l’application de la législation sur l’énergie (cf. Encadré 19 ci-
dessous).

Encadré 19 : Les bases légales des mesures librement consenties


Les mesures librement consenties de la législation sur le CO2, soit « les déclarations par lesquelles les
consommateurs de combustibles et de carburants fossiles prennent de leur plein gré l’engagement de limiter
leurs émissions » (Art. 4, al. 1 LCO2), tirent essentiellement leur base légale des dispositions de la Loi sur
l’énergie (LEne) et de son Ordonnance (OEne) qui font notamment état de (OFEN/OFEV, 2007, pp. 4-5) :
• la nécessité d'examiner les mesures que l'économie a prises de son plein gré avant d'édicter des dispositions
d'exécution (Art. 2, al. 3 LEne) ;
• la possibilité pour le Conseil fédéral de confier à des organisations économiques des tâches telles que
«mener à bien ou réaliser des programmes visant à promouvoir l'utilisation économe et rationnelle de
l'énergie ainsi que le recours aux énergies indigènes renouvelables» et «convenir des objectifs concernant
l'évolution de la consommation d'énergie des gros consommateurs» (Art. 17, al. 1, lettres e et g LEne) ;
• la possibilité de faire appel aux organisations privées pour collaborer à l'exécution des mesures et que des
tâches de vérification, de contrôle et de surveillance soient confiées à des tiers (Art. 16, al. 2 et 3 LEne) ;
• la possibilité pour le département d’attribuer des contrats de prestations aux organisations concernées (Art.
18 LEne), les conditions régissant leur financement et modalités étant définies aux articles 23, 24 et 25
OEne.
Ces dispositions trouvent naturellement leurs équivalents dans la législation sur le CO2 qui accorde une place
importante aux organisations privées, en particulier en laissant la possibilité à l’Etat fédéral de charger celles-ci
de mettre en œuvre les mesures librement consenties et d’autres tâches d’exécution liées à l’exemption de la
taxe (Art. 4, 11, al. 3 et 15, al. 2 LCO2, Conseil fédéral, 1999) ainsi qu’à la consultation nécessaire et préalable
des cantons et des milieux intéressés avant l’édiction de dispositions d’exécution (Art. 15, al.1 LCO2).
Source : d’après OFEN/OFEV (2007), LCO2, LEne et OEne

276
Aussi une convention est une « déclaration écrite par laquelle les parties conviennent, dans le
cadre de l’article 17, al. 1, let. g, LEne [loi fédérale sur l’énergie], d’une utilisation économe
et rationnelle de l’énergie. » (OFEN/OFEV, 2007, p. 3). Cependant et dans la perspective de
la législation sur le CO2, « cette déclaration peut comporter des mesures […] en vue de limiter
les émissions de CO2, conformément aux articles 3 et 4 de la loi sur le CO2. (OFEN/OFEV,
2007, p. 3)

Une convention d’objectifs, stricto sensu, ne comprend donc pas de manière explicite un
objectif de réduction des émissions de CO2 (du moins ce n’est pas une obligation), à l’inverse
du dispositif formellement institué par la législation sur le CO2 – sur lequel nous reviendrons
ci-après – à savoir l’engagement formel, qui n’est en réalité qu’une convention adaptée aux
exigences de la législation sur le CO2. Notons cependant d’ores et déjà que le dispositif de
l’engagement formel336 – qui peut donc « avoir été, par le passé, une convention »
(OFEFP/OFEN, 2001a, p. 3) – permet, quant à lui, aux grands consommateurs d’agents
fossiles de s’engager formellement envers la Confédération à réduire leurs émissions CO2 et
ainsi de pouvoir être exemptés de la taxe CO2.

Ce sont une directive, adoptée par l’OFEFP et l’OFEN le 2 juillet 2001 (OFEFP/OFEN,
2001a) et révisée le 2 juillet 2007 (OFEN/OFEFP, 2007), ainsi qu’une directive d’exécution
(OFEV/OFEN, 2007)337 qui définissent le cadre pour la mise en œuvre de ces mesures
volontaires et ce au regard des exigences relatives d’une part à la législation sur l’énergie
(conventions d’objectifs) mais également et plus spécifiquement à celle sur le CO2
(engagements formels) d’autre part.

Sur le plan pratique, et conformément à la stratégie par étape définie par la législation sur le
CO2338, l’instrument des conventions d’objectifs permet donc aux entreprises, agissant
individuellement ou regroupées en association, de prendre des mesures volontaires pour
accroître leur efficacité énergétique et ainsi, dans la perspective de la législation sur le CO2,
de réduire leurs émissions d’agents fossiles.

Celles-ci doivent dès lors définir une valeur cible, l’efficacité énergétique en l’occurrence339,
ainsi que des indicateurs de suivi qui sont précisés dans l’annexe de la directive d’exécution
(OFEN/OFEV, 2007). L’évolution des émissions de CO2 est donc évaluée en fonction de cette
valeur mais ne constitue donc qu’indirectement l’objectif principal recherché. Par ailleurs, les
entreprises qui ont conclu de telles conventions doivent également définir des objectifs
intermédiaires permettant le suivi du processus340 et soumettre à la Confédération un rapport
annuel comprenant les données requises sur leur consommation d’énergie. Ces données se

336
Qui, comme nos pourrons le constater par la suite, devient contraignant au moment de l’entrée en vigueur de
la taxe CO2 et entre donc « en vigueur » seulement dans le cadre de la phase dite subsidiaire.
337
Qui remplace l’annexe (OFEFP/OFEN, 2001b) à la directive de 2001.
338
Stratégie d’évitement tout d’abord, qui vise à atteindre les objectifs de la législation sans avoir recours à la
taxe CO2, suivie d’une stratégie d’exemption, qui donne la possibilité aux entreprises de se faire exempter d’une
éventuelle taxe, voir ci-après.
339
« L’efficacité énergétique établit le rapport entre le total pondéré de la consommation hypothétique d’énergie
en l’absence de mesures et le total pondéré de la consommation d’énergie. Cette valeur reflète les efforts
consentis par les entreprises ou par le groupe d’entreprises pour réduire la consommation d’énergie »
(OFEN/OFEV, 2007, p.4) ou, en d’autres termes, « le rapport entre la consommation énergétique effective et le
cas hypothétique où rien n’aurait été fait pour la réduire » (OFEFP/OFEN, 2001b, p. 8).
340
Le calendrier des conventions doit faire figurer au minimum trois étapes (fin 2003 pour la première étape, fin
2007 pour la deuxième et 2010 pour la troisième) pour lesquelles sont définis des objectifs intermédiaires. Un
rapport doit en outre être remis à l’issue de la deuxième étape.

277
doivent d’être contrôlées par un organe de révision interne à l’entreprise (ou à l’association
d’entreprise).

Notons ici que ces conventions d’objectifs sont soumises à un audit de la part de l’OFEN ou
par un organe externe composé d’experts mandatés par lui. « La Confédération se réserve [en
outre] la possibilité d’effectuer a posteriori une vérification de toutes les données relatives aux
entreprises ainsi que des visites sur place » (OFEN/OFEV, 2007, p. 7).

Sur le plan de la mise en œuvre concrète, ces conventions sont mises en œuvre dans les
domaines de l’économie (industrie, artisanat et services) dans le cadre du programme
SuisseEnergie341 par l’intermédiaire de l’Agence de l’énergie pour l’économie (AEnEc)342.
Cependant, des conventions peuvent également être conclues directement entre la
Confédération et de grandes entreprises, sans passer par cette agence.

Enfin, notons que les mesures librement consenties ne sont pas destinées aux seules
entreprises (conventions d’objectifs et engagements formels) mais peuvent également prendre
la forme d’accords avec d’autres types d’acteurs privés. Il en va ainsi, par exemple, du contrat
signé entre la Confédération et la Fondation pour le centime climatique ou avec l’Association
suisse des importateurs d’automobiles sur lesquels nous reviendrons par la suite.

A) Les modèles de l’AEnEC


Dans le but de réduire la consommation d’énergie des entreprises et pour faciliter la
conclusion de conventions (et d’engagements formels, voir ci-après) avec le secteur de
l’économie, la Confédération, par l’intermédiaire de l’AEnEC, s’appuie sur trois modèles343 :
le modèle énergétique (ME), le modèle benchmark (MB) et le modèle PME (Mpme).

Ces instruments sont à considérer comme des outils d’aide pour les entreprises à la conclusion
de conventions d’objectifs et d’engagements formels. Les trois modèles (OFEN, 2008,
AEnEC, 2008) fonctionnent sur la même idée de base dans le sens où ils se fondent sur une
action libre et volontaire de la part des entreprises en leur offrant, pour les deux premiers
modèles, la possibilité de se regrouper en association ou en section344.

Le ME s’adresse aux entreprises grandes consommatrices d’énergie issues des secteurs de


l’industrie, des services, du commerce et des transports, qui se rassemblent en groupe de huit
à quinze entreprises qui recherchent ensemble des possibilités d’accroître leur efficacité
énergétique et qui planifient des mesures pour aller dans ce sens.

A l’inverse, le MB s’adresse aux petites et moyennes entreprises dont les processus de


production sont assez simples et qui fabriquent des produits homogènes. Celles-ci se
rassemblent en groupe d’au moins trente entreprises appartenant à une même branche et ayant
pour caractéristique d’être comparables. Les objectifs de consommation sont ainsi définis par
une valeur de référence établie par benchmarking (valeur cible spécifique).

341
La plate forme institutionnelle de mise en œuvre de la politique énergétique et climatique suisse.
342
Laquelle a signé un mandat de prestation en date du 2 juillet 2001, complété en date du 15 mars 2004 avec la
Confédération. Notons que l'Agence suisse des énergies renouvelables et de l'efficacité énergétique (AEE) a
également signé en juillet 2001 un mandat de prestation dans le domaine des énergies renouvelables.
343
Le premier modèle a été mis sur pied dans le cadre du programme Energie 2000 et réaménagé dans l’optique
de la législation sur le CO2 sous SuisseEnergie. Les deux autres ont été développés spécifiquement dans le cadre
de ce dernier programme.
344
Par région ou par branche.

278
En d’autres termes, les ME et MB constituent des plates formes qui permettent aux
entreprises, réunies en groupes, de réaliser d’une manière volontaire des mesures d’économie
d’énergie avec l’aide de l’AEnEC et l’appui d’experts qui facilitent l’élaboration des objectifs
et l’exécution des mesures. En outre, ces plates formes instaurent un processus de
collaboration au sein des groupes sous la forme d’un échange d’information et d’expérience,
d’un transfert de savoir et de savoir-faire et d’un système de monitoring. Les deux modèles
ont pour objectif premier l’établissement de conventions d’objectifs qui peuvent être, sous
certaines conditions, transformées en engagements formels.

Enfin, le modèle PME (Mpme) a, quant à lui, été mis en place pour toucher les petites
entreprises isolées et consiste en un outil informatique permettant une élaboration simplifiée
de Conventions d’objectifs (modèle simplifié de conventions d’objectifs destinée à une seule
entreprise). A part la détermination de l’objectif, l’ensemble du processus se fait sur Internet.
La démarche est orientée sur des mesures d'amélioration énergétique (plan de mesures) basée
sur un checkup énergétique réalisé dans l’entreprise par l’AEnEC. Sous certaines conditions,
les entreprises peuvent également être exemptées de la taxe sur le CO2.

B) Etat au début 2009 des démarches volontaires (conventions)


Le 19 février 2002345, une convention a été conclue avec l’Association suisse des importateurs
d’automobiles (auto-suisse). Il s’agit de la première convention d’objectifs prise dans le cadre
des dispositions des législations sur le CO2 et de l’énergie. La convention stipule que la
consommation moyenne des véhicules neufs doit diminuer en moyenne de 0.25 litre aux 100
km par année jusqu’en 2008 et donc passer de 8.4 l/100 km (référence année 2000) à 6.4 l/100
km en 2008346. En contrepartie, la Confédération s’est engagée à soutenir les efforts de
l’association, principalement avec l’introduction de l’étiquette énergétique pour les
automobiles, la promotion des véhicules diesel à meilleur rendement énergétique, le soutien à
de nouvelles technologies dans la conception des moteurs et l’encouragement de concepts
novateurs de circulation. En 2007, la consommation moyenne des voitures neuves était de
7.43 l/100 km347.

Le 10 février 2003348, une convention d’objectifs a également été signée avec l’industrie du
ciment (cemsuisse) qui s’est engagée à limiter ses émissions de CO2 de 44 % d’ici 2010 et par
rapport à l’année de référence 1990. Notons cependant qu’entre 1990 et 2000, elle avait déjà
réduit de 30 % ses émissions349. Les cimentiers misent sur le remplacement du charbon et du
pétrole par des combustibles de substitution (huiles usées, boues d’épuration séchées, farines
animales, solvants et déchets plastiques) pour atteindre leur objectif350.

345
Communiqué de presse du DETEC du 19 février 2002 : SuisseEnergie signe la première convention
d’objectifs : la consommation des nouvelles voitures va baisser.
346
Notons que le Conseil fédéral s’est réservé le droit de dénoncer la convention à partir de 2005 si les résultats
enregistrés année après année devaient être supérieurs à 3% de ce qui était convenu et d'imposer d'autres
mesures, par exemple des prescriptions sur la consommation, ou des certificats. (Schmid, 2002, p. 2).
347
Communiqué de presse d’auto-suisse du 15 mai 2008 : 2007: Baisse sensible de la consommation de
carburant
348
Communiqué de presse du DETEC du 10 février 2003 : L’industrie du ciment signe une convention sur le
CO2.
349
Communiqué de presse du DETEC du 17 juin 2002 : CO2 : convention d’objectifs avec l’industrie du ciment
350
Notons à titre indicatif que dans le même temps cemsuisse s’est également engagé de manière volontaire à
limiter ses émissions de CO2 géogène (liées aux processus de fabrication du ciment (transformation des matières
calcaires)) de 30 % (cf. Annexe 20). Cependant cet objectif de réduction spécifique n’étant pas lié à la
combustion d’énergie fossile, il ne peut faire formellement partie de la convention d’objectif au regard de la

279
Le 23 avril 2004351 a été signée la première convention élaborée sous l’égide de l’AEnEC.
Celle-ci rassemble 45 groupes d’entreprise (comptant plus de 600 exploitations) qui se sont
engagées à réduire leur consommation d’énergie et, pour la plupart – en prévoyance d’un
engagement formel (voir ci-après, notamment point G ci-après) – plus spécifiquement leurs
émissions de CO2. ().

Le 30 août 2005352, une convention a été signée avec la fondation pour le centime climatique
qui s’est engagée à réduire les émissions de CO2 d'au moins 1,8 million de tonnes par an au
total entre 2008 et 2012 (soit 9 millions de tonnes au total), dont au moins 0,2 million doivent
être réalisées en Suisse353 – la différence (maximum 1,6 million de tonnes) pouvant être
réalisée à l’étranger en conformité avec les mécanismes de flexibilité du Protocole de Kyoto –
à l’aide d’un fonds constitué par le prélèvement volontaire d’un centime climatique (entre 1,3
et 1,9 ct./litre prélevé sur les importations de carburants) qui sera alloué à des projets ou à
l’achat de certificats354 :

Le centime climatique est une proposition des milieux des affaires qui doit permettre de
financer des projets de protection du climat en Suisse et à l’étranger grâce aux revenus de
la Fondation issus d’une redevance volontaire sur les carburants. (Confédération
suisse/Fondation Centime Climatique, 2005, p.2)

[Il] est une mesure volontaire qui peut être rangée au nombre des mesures librement
consenties au sens de l’art. 4 de la loi sur le CO2. Il ne nécessite aucune base légale, car il
sera [est] prélevé par une fondation de droit privé soutenue par l’économie privée.
(Conseil fédéral, 2005, p. 4645 et 4650)

Plus spécifiquement, sur les 9 millions de tonnes de CO2 que la fondation s’est engagée à
réduire sur la période 2008-2012, un minimum de 1 million de tonnes doivent être issues de
projets réalisés en Suisse et un maximum de 8 millions de tonnes peuvent être acquises par le
biais des mécanismes de Kyoto355 (OFEN, 2006a, 2006b, Fondation Centime Climatique,
2007) :

• les projets financés par le fonds en Suisse, à hauteur de 375 millions de CHF,
devraient permettre d’obtenir une réduction d’environ 2,6 millions de tonnes356
réparties comme suit : a) rénovations énergétiques de bâtiments résidentiels et
commerciaux (programme Bâtiments : CHF 175 millions pour une réduction prévue
de 0,5 million de tonnes), b) financement de projets relevant des domaines des
carburants ou de la chaleur ambiante, industrielle ou résiduelle (programme
Financement de projets : CHF 95 millions pour une réduction prévue 0,95 million de
tonnes) et c) achat des résultats excédentaires issus des conventions d’objectifs

législation sur le CO2 et, à ce titre, relève donc d’un accord volontaire sectoriel pris dans le cadre de la
législation sur la protection de l’environnement.
351
Communiqué de presse du DETEC du 23 avril 2004 : Signature de la première convention sur le CO2 avec
l'Agence de l'énergie pour l'économie
352
Communiqué de presse du DETEC du 30 août 2005 : Centime climatique: signature de la convention
d'objectifs. Voir également le 1er rapport annuel 2006 de la Fondation Centime Climatique (2007).
353
Principalement dans les domaines de la mobilité, du bâtiment et de la chaleur d’échappement.
354
Il est prévu de consacrer environ 30% des fonds à l’acquisition de certificats étrangers et environ 70% à des
projets en Suisse, dont une part importante (1/3) doit aller à un programme d’assainissement des bâtiments
(OFEN, 2006a).
355
Certificats étrangers issus de projets, voir plus loin.
356
Soit un excédent de 1,6 millions de tonnes par rapport au minimum prévu par le contrat avec la Confédération
(pour couvrir les risques d’efficacité des projets).

280
(combustibles et carburants) passées entre les entreprises et la Confédération
conformément à la législation sur le CO2 (programme Convention d’objectif : CHF
105 millions pour une réduction prévue 1,16 millions de tonnes) ;

• les réductions financées à l’étranger357, à hauteur de 210 millions de CHF devraient


permettre l’acquisition de plus de 10 millions de tonnes358 réparties comme suit : a)
participation à un fonds de protection du climat et obtention de contrats avec b) des
brokers, c) des traders et d) des propriétaires de projets (contrats directs).

En contre partie, la confédération s’est engagée à repousser l’entrée en vigueur de la taxe CO2
sur les carburants359 dont l’introduction reste toutefois possible en fonction de l’évolution
prise par les émissions nationales liées au carburant.

Notons enfin qu’une convention-cadre a également été conclue entre l’industrie gazière suisse
(représentée par Gazmobile SA) et les producteurs de gaz d’origine biologique (représenté par
Biomasse Suisse) en date du 4 juin 2003 afin de promouvoir les carburants au biogaz
(Biomasse Suisse/Gazmobile SA., 2003). Dans le cadre de cette convention, qui n’est donc
pas à proprement parler une convention d’objectifs au sens de la législation sur l’énergie, car
conclue entre deux entités privées – mais qui peut toutefois être comprise sous les mesures
librement consenties de la législation sur le CO2 – les signataires « se déclarent prêts à
encourager d'un commun accord l'emploi du biogaz indigène » (p. 1).

12.2.4 La phase subsidiaire : taxe sur le CO2, engagements formels et mécanismes de


flexibilité
La seconde étape (dite phase subsidiaire) définie dans le cadre de la législation sur le CO2
permet au Conseil fédéral d’introduire une taxe sur les agents énergétiques fossiles (taxe CO2)
si les mesures librement consenties ne s’avèrent pas efficaces du point de vue des objectifs de
réduction arrêtés dans la loi.

En parallèle, la législation introduit également de manière combinée et complémentaire à la


taxe CO2 les deux instruments que sont, d’une part, les engagements formels et, d’autre part,
les mécanismes de flexibilité du Protocol de Kyoto (système national et international de
permis négociables).

357
« La Fondation met l’accent sur les projets visant l’utilisation d’énergies renouvelables et la réduction de
méthane ainsi que sur les projets de petite taille de haute qualité. Elle renonce à l’achat de certificats issus de
projets visant l’évitement du gaz à puissant effet de serre HFC23, ainsi qu’aux projets relevant du domaine des
puits de carbone (boisement et reboisement) et de l’extraction de charbon, de même qu’aux projets hydrauliques
à grande échelle (> 100 MW). Tous ces projets ont en commun la possibilité de conséquences écologiques ou
sociales douteuses » (Fondation Centime Climatique, 2007, p. 15)
358
Soit un excédent de 2 millions de tonnes par rapport au maximum prévu par le contrat avec la Confédération
(pour couvrir les risques de livraison).
359
En septembre 2007, le DETEC a d’ailleurs laissé passer le premier délai de résiliation de la convention dans
la mesure où les objectifs de réductions en Suisse et à l’étranger semblait, à cette date, pouvoir être atteints par la
fondation (Communiqué de presse du DETEC du 28 septembre 2007 : Le centime climatique continuera d'être
perçu).

281
A) La taxe CO2 sur combustibles et les carburants
La taxe sur le CO2 constitue donc un instrument subsidiaire dans la mesure où son
introduction par le Conseil fédéral dépend de l’efficacité des mesures prises dans le cadre de
la première phase (volontaire) de la législation (Art. 3, al. 2 et Art. 6, al. 1 LCO2) :

S’il est prévisible que les mesures mentionnées à l’art. 3, al. 1 [les mesures librement
consenties et autres mesures prises dans le cadre des politiques énergétique, des
transports, de l’environnement et des finances] ne permettront pas, à elles seules,
d’atteindre les objectifs fixés, le Conseil fédéral introduit la taxe sur le CO2. (Art. 6, al. 1
LCO2)

Aussi, pour laisser leur chance aux mesures librement consenties par les milieux
économiques, la législation définit une limite temporelle à l’introduction de la taxe CO2 qui ne
pouvait être introduite en l’occurrence avant l’année 2004 (Art. 6, al. 3 LCO2).

Par ailleurs, notons que la taxe peut être introduite par étape, selon un calendrier fixé à
l’avance (Art. 6, al. 4 LCO2) et que le Conseil fédéral, en vertu du principe de
« l’économiquement supportable », s’il l’introduit, se doit de tenir compte de différents
critères économiques360.

De plus, en fonction du degré de réalisation des objectifs combustible et carburant, le Conseil


fédéral a la possibilité d’introduire une taxe uniquement pour l’un des deux domaines visés,
sachant que si celle-ci est introduite dans les deux domaines, son montant peut être différent.
(Art. 7, al. 3 LCO2). Notons toutefois que ce montant doit être approuvé par l’Assemblée
fédérale (Art. 7, al. 4 LCO2).

Par conséquent, nous pouvons dire que la législation sur le CO2 prévoit de manière subsidiaire
l’introduction d’une taxe CO2 qui peut se dissocier en :

• une taxe CO2 sur les combustibles

et/ou

• une taxe CO2 sur les carburants.

B) Intermède : théorie économique (de l’incidence) des taxes environnementales


Nous pouvons distinguer deux types de taxes environnementales (Bürgenmeier, Harayama et
Wallart, 1997).

Une première catégorie de taxe a pour objectif premier d’atteindre une allocation optimale des
ressources par l’internalisation des coûts externes environnementaux (externalités négatives).
Ce type de taxe est qualifié par le terme de taxe pigouvienne, du nom d’Arthur Cecil Pigou
qui les formalisa en 1918. Il consiste donc à corriger les prix du marché – qui ne reflètent pas
l’ensemble des coûts (il y a lacune du marché) – afin d’y faire figurer les coûts non pris en
compte, dans ce cas les coûts externes environnementaux (internalisation des coûts externes).

360
Notamment « a) de l’efficacité des autres taxes sur l’énergie, b) des mesures adoptées par d’autres Etats, c)
des prix des combustibles et des carburants pratiqués dans les Etats voisins, d) de la capacité concurrentielle de
l’économie en général et des différents secteurs économiques » (Art. 6, al. 2 LCO2)

282
Cependant, lorsque l’Etat veut introduire une telle taxe, il se trouve confronté à des problèmes
d’information et de mesure (notamment la difficulté d’évaluer en terme monétaire les coûts
environnementaux). En effet, il ne sait en général pas fixer correctement le niveau de la taxe
pour que le prix reflète un juste coût. Il est donc dans l’obligation d’agir par un processus
d’approximation sous la forme d’une taxe dite incitative (ou taxe dissuasive ou encore
d’orientation) :

le plus souvent, l’approche de la taxe pigouvienne est impossible, ce qui implique de


choisir des taxes incitatives (ou dissuasives) de manière plus pragmatique. (Bürgenmeier,
Harayama et Wallart, 1997, p. 103)

Une taxe incitative est donc, en d’autres termes, une taxe pigouvienne que l’on pourrait
qualifier de second rang. Ainsi, le montant d’une taxe incitative ne reflète pas l’ensemble des
coûts externes réels et la taxe, une fois mise en œuvre, ne conduit qu’à une augmentation de
l’efficacité, sans pour autant atteindre une allocation optimale. En d’autres termes, une taxe
incitative ne prétend pas internaliser l’ensemble des coûts externes, ni atteindre une allocation
optimale des ressources, mais permet, très modestement, de détourner les acteurs des activités
polluantes et de se rapprocher d’une allocation optimale des ressources selon un
« mécanisme » que nous allons exposer ci-après et qui est fondé sur le principe du pollueur-
payeur (cf. Encadré 20 ci-dessous).

Encadré 20 : Le principe du pollueur-payeur (PPP) et les taxes environnementales


Le principe du pollueur-payeur (PPP) est un principe que nous pouvons mettre en relation avec la logique des
taxes environnementales. En effet, les taxes environnementales rejoignent l’objectif de ce principe puisqu’une
entreprise soumise à une telle taxe a la possibilité soit de dépolluer, soit de payer pour la pollution qu’elle
engendre (soit de faire un peu des deux). Les recettes de la taxe correspondent alors à un dédommagement pour
la pollution émise que l’Etat redistribue à la population par transferts forfaitaires ou dépenses publiques
« gratuites ».
Notons cependant qu’une taxe est toujours répercutée par les producteurs vers les consommateurs d’une
manière directe (répercussion par une hausse des prix) ou indirecte (baisse de la production répercutée sur les
emplois). Ce sont donc toujours les consommateurs seuls qui supportent le fardeau de l’impôt. Ainsi, le principe
du pollueur payeur se transforme en principe du « consommateur pollueur payeur ».
Source : d’après Bürgenmeier, Harayama et Wallart, 1997

Une seconde catégorie de taxe environnementale, quant à elle, a pour objectif de financer la
protection de l’environnement. Ce type de taxe est qualifié de taxe financière (ou redevance
pour service rendu). Cependant, et dans la perspective qui nous concerne, notons que la
taxe CO2 est typiquement une taxe incitative. Son « mécanisme » est donc le suivant.

L’objectif premier d’une taxe incitative – et en l’occurrence de la taxe CO2 – est, sur la base
du principe du pollueur-payeur, de détourner les acteurs socio-économiques de leurs activités
polluantes. Dans le cas de la taxe sur le CO2, il s’agit donc de détourner les acteurs des
activités à la source des émissions de CO2.

Imaginons le marché du bien polluant qu’est le CO2 (cf. Figure 33 ci-après). Il existe une
offre (O) qui correspond au coût marginal privé (Cmp) pour ce bien et une demande (D) qui
correspond au bénéfice marginal (ou à l’utilité marginal Um) pour ce même bien. Or, comme
le « bien CO2 » est générateur d’un changement climatique et des conséquences négatives qui
en découlent (coûts climatiques), il existe donc aussi un coût marginal social (Cms) qui
représente le coût Cmp (celui pris en compte par le marché) auquel on ajoute le coût marginal
externe (Cme) induis par le changement climatique.

283
Par ailleurs et selon le principe d’efficience qui veut que l’on égalise le coût marginal au
bénéfice marginal, l’allocation optimale des ressources définie par la théorique économique se
situe donc en Ao [Po ;Qo], alors que l’équilibre du libre marché se situe en Em [Pm ;Qm].

Il est dès lors nécessaire d’intervenir sur le marché pour corriger cet écart. Or, comme nous
l’avons vu, l’Etat étant souvent dans l’incapacité de posséder l’ensemble de l’information
nécessaire sur les fonctions de coût et de bénéfice, va introduire une taxe d’incitation dont le
montant est défini sur la base d’autres critères que celui qui vise à internaliser le Cme (critères
politiques, économiques et/ou écologiques).

Figure 33 : Le « mécanisme » de la taxe incitative

Source : l’auteur

Ainsi, alors qu’une taxe pigouvienne devrait être du montant BAo (équivalent au Cme), la
taxe incitative (Ti), le plus vraisemblablement, sera d’un montant inférieur, par exemple CD.

L’objectif premier de la taxe incitative n’étant pas l’internalisation des coûts mais bel et bien
la réduction des émissions, le montant de la taxe sera donc calculé en fonction de la quantité
d’émissions à réduire, ici la diminution de la quantité d’émissions de Qm à Qi (pour un prix
Pi supérieur à Pm). Notons cependant qu’une taxe Ti permet tout de même de se rapprocher
de l’optimum social Ao et qu’elle génère des recettes fiscales (RF) d’un montant total Ti x
Q0Qi.

Ainsi, nous pouvons constater que l’introduction d’une taxe incitative – une taxe sur le CO2
en l’occurrence – permet de réduire les émissions polluantes de Qm à Qi.

Toutefois, il est important de constater que la réduction de la quantité de pollution, si elle


résulte du montant de la Taxe (Ti), dépend également de l’élasticité-prix de la demande (et de

284
l’offre) pour le bien considéré (Bürgenmeier, 2005). Par conséquent, avec l’introduction
d’une telle taxe, nous constatons que la diminution de la pollution est due en partie à la
diminution des quantités demandées suite à la hausse du prix (partie répercutée sur le
consommateur) mais également en partie à la diminution des quantités offertes due à la prise
en charge d’une partie du coût par les producteurs (diminution de l’offre) qui n’arrivent
jamais à répercuter directement l’intégralité du montant de la taxe sur les consommateurs.

Au niveau des entreprises elles-mêmes, les choses se présentent d’une manière un peu
différente. Prenons le cas de deux entreprises A et B (cf. Figure 34 ci-après et Annexe 21 pour
les calculs) qui consomment de grandes quantités (Q) d’énergie fossiles (100 Q chacune, total
200 Q) et qui voient leurs coûts énergétiques augmenter à la suite de l’introduction d’une taxe
incitative (T) mise en place pour obtenir une diminution de pollution (-100 Q au total).

Figure 34 : Le « mécanisme » de la taxe incitative sur les entreprises

Source : l’auteur

Les entreprises se trouvent alors face à deux possibilités : soit payer la taxe pour émettre
autant de CO2 que par le passé, soit diminuer leurs émissions pour éviter de la payer mais en
supportant cette fois le coût de la réduction de la pollution (Cmd). Pour savoir quel est le
choix qui est économiquement le plus efficient pour elles, les entreprises vont alors
(théoriquement) comparer leur coût marginal de réduction (Cmd) respectif avec le taux de la
taxe (T). Aussi, tant que leur Cmd reste inférieur au montant de la taxe, les entreprises font
l’effort de réduire leurs émissions (dépolluer), car payer la taxe représente un coût supérieur à
leur coût de dépollution. Par contre, une fois que leur Cmd devient supérieur au taux de la
taxe (T), les entreprises préfèrent payer la taxe que de dépolluer, puisque la réduction d’une
unité d’émission coûte cette fois plus chère que de payer la taxe pour cette unité. Par
conséquent, les entreprises réduisent leurs émissions jusqu’à S, où le taux de la taxe (T) est
égal à leurs Cmd.

285
Concernant les entreprise A et B, ce sont respectivement les surfaces Q0-S x T qui
représentent le montant des taxes payées et qui constituent en cela les recettes fiscales (RF) de
l’Etat.

Le principe n’est pas tellement différent lorsqu’un individu voit le prix d’un bien augmenter
suite à l’introduction d’une taxe incitative (répercussion d’une taxe à l’importation par
exemple sur le consommateur). Selon un calcul économique, il va ainsi diminuer la
consommation du bien polluant tant que son coût marginal de réduction est inférieur au coût
que représente la hausse du prix du bien considéré.

C) Retour sur la taxe incitative prévue dans le cadre de la législation sur le CO2
(objet, montant et assujettissement)
Plus spécifiquement, le « mécanisme » de la taxe incitative que nous venons de décrire est à
transposer à la taxe CO2 telle qu’elle est prévue dans le cadre de la législation sur le CO2, tout
en tenant compte de certaines de ses caractéristiques.

Ainsi, dans le cadre de la taxe CO2 :

• sont soumises à la taxe « la fabrication, l’extraction et l’importation de charbon ainsi


que des combustibles et des carburants fossiles énumérés à l’art. 2 de la loi du 21 juin
1996 sur l’imposition des huiles minérales [Limpmin], dans la mesure où ils sont
commercialisés à des fins d’utilisation énergétique » (Art. 7, al. 1 LCO2) ; soit, en
d’autres termes, les agents énergétiques fossiles suivants : charbon, huile de chauffage,
gaz naturel, pétrocoke et autres produits pétroliers, essence, diesel et kérosène utilisés
pour les vols intérieurs ; a contrario, ne sont pas concernés les produits fossiles
utilisés à des fins non énergétique (en tant que matières premières ou lubrifiants par
exemple), le bois et la biomasse (car ils n’influencent pas le bilan de CO2), les déchets
combustibles et le kérosène utilisés pour le trafic aérien international (Conseil fédéral,
1997) ;

• l'assujettissement à la taxe se fonde sur les réglementations de la Limpmin361 et de la


législation douanière (pour le charbon) (Conseil fédéral, 1997) ; sont donc assujetties à
la taxe les personnes juridiques suivantes : « a) pour la taxe sur le charbon : les
personnes assujetties au paiement en vertu de la loi du 18 mars 2005 sur les douanes
[importateurs de charbon], ainsi que [le cas échéant] les fabricants et les producteurs
exerçant leur activité en Suisse ; b) pour la taxe sur les autres agents fossiles : les
personnes assujetties à l’impôt en vertu de la loi du 21 juin 1996 sur l’imposition des
huiles minérales [Limpmin, soit les importateurs, ainsi que les fabricants et les
producteurs d’huiles minérales sur territoire suisse] » (Art. 8 LCO2) ;

• le taux maximal de taxation ne peut dépasser 210 francs par tonne de CO2 (Art. 7, al. 2
LCO2), soit, par exemple, environ 50 centimes par litre d’essence (Conseil fédéral,
1997, p.439) ou 56 centimes par litre d’huile de chauffage extra-légère ou 54 centimes
par kilo de gaz naturel à l’état gazeux (calculé d’après AFD/DGD, 2007, annexe 2).

361
Voir notamment les articles 1, 2, 3 et 4. Limpmin,

286
Enfin, concernant l’utilisation du produit de la taxe CO2362, celui-ci est redistribué à la
population d’une part et aux milieux économiques d’autre part, et ce « en fonction du montant
versé » (Art. 10, al. 2 LCO2). La part revenant aux milieux économiques est versée aux
employeurs par l’intermédiaire des caisses de compensation AVS, et ce d’une manière
proportionnelle au salaire déterminant versé aux employés363 (Art. 10, al. 4 LCO2 et Section 6
Ordonnance sur le CO2). La part revenant à la population est quant à elle répartie de manière
égale entre toutes les personnes physiques364 par le biais d’une déduction sur les primes de
l’assurance maladie (Art. 10, al. 3 LCO2 et Section 5 Ordonnance sur le CO2). Relevons que
« pour les personnes consommant une énergie inférieure à la moyenne, le remboursement est
[donc théoriquement] plus élevé que la taxe versée » (OFEFP, 2001).

D) La question de l’introduction de la taxe CO2 en Suisse


La question de l’introduction d’une taxe CO2 en Suisse s’est posée au début des années 1990,
en réponse au départ officiel de la politique internationale de protection du climat365. A cette
époque, la Suisse décida d’y répondre par la mise en place d’un instrument : la taxe CO2.
Aussi, un projet relatif à l’introduction d’une taxe CO2 (Loi sur la taxe CO2) fût soumis à une
procédure de consultation de fin mars à fin septembre 1994. Il proposait l’introduction
frontale d’une taxe sur le CO2 dont les recettes devaient être redistribuées pour deux tiers à la
population et à l’économie366 et pour un tiers à des mesures dans les domaines de l’économie
d’énergie et des énergies renouvelables (OFEFP, 1994, voire également Thalmann, 1994,
Thalamann et Baranzini, 2007, 2008).

Or, ce projet de loi ne recueillit de loin l’unanimité – notamment en raison du mode de


redistribution du produit de la taxe (démontrant ainsi l’importance des effets redistributifs des
instruments dans le processus décisionnel) – puisque, faisant suite aux résultats de la
consultation, le Conseil fédéral dû remettre l’ouvrage sur le métier pour proposer, en 1996,
« une nouvelle stratégie en matière de politique climatique » (Conseil fédéral, 1997, p. 396).

Cette nouvelle stratégie, qui prit la forme d’une loi fédérale sur la réduction des émissions de
CO2, fût soumise à une procédure de consultation (accélérée) qui eut lieu du 23 octobre au 20
décembre 1996. Au contraire du précédent essai, celui-ci recueillit un plus grand succès, ce
qui permit au Conseil fédéral de proposer l’adoption de la législation qui fût d’ailleurs
acceptée à une large majorité par le Parlement. Cette législation, qui constitue l’objet principal
de notre étude, ne fût pas sujette au référendum, et entra en vigueur le 1er mai 2000. Pour
rappel, elle prévoit notamment la possibilité d’introduire une taxe CO2 de manière subsidiaire,
dans la mesure où son introduction ne pouvait se faire avant l’année 2004 et, condition sine
qua non, s’il est prévisible que les objectifs 2010 de la législation ne peuvent pas être atteints
par d’autres mesures, et notamment des mesures volontaires prises par le secteur privé (Art. 3
et 6 LCO2).

362
Est compris sous le terme produit de la taxe les recettes obtenues auxquelles on ajoute les intérêts et on
retranche tous les frais d’exécution (Art. 10, al. 1 LCO2).
363
Bien entendu, les entreprises ou les groupements d’entreprises qui sont exemptés de la taxe sur le CO2 ne sont
pas remboursés.
364
Dans cette perspective, la taxe sur le CO2 ne possède pas de but fiscal.
365
Qui peut être attribué à la tenue, en juin 1992, à Rio de Janeiro, de la Conférence des Nations Unies pour
l’Environnement et le Développement (CNUED), durant laquelle plus de 150 Etats – dont la Suisse – ont signé
la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC)
366
1/4 pour les entreprises et 3/4 pour la population.

287
Or, dès la fin de l’année 2002 et le début de l’année 2003, il est apparu vraisemblable que la
Suisse ne parviendrait pas à atteindre les objectifs qu’elle s’était fixés sur la seule base des
mesures volontaires (cf. Prognos, 2002, 2003), et l’introduction d’une taxe CO2 fût donc mise
à l’ordre du jour.

Cependant, les milieux de l’économie privée – industrie pétrolière et secteurs des transports et
de l’automobile en tête –, très réfractaires à cette solution, l’ont tout de suite combattue en
proposant une nouvelle mesure volontaire au sens de la législation sur le CO2 – sous la forme
d’un « centime en faveur du climat » (Auto-Suisse, UP, TCS, ASTAG, UPSA, ACS, 2004) –
et qui, se positionnant comme étant capables de combler l’écart entre les objectifs de
réduction et la voie empruntée par les émissions nationales de CO2, permettrait de repousser à
plus ou moins long terme l’introduction de la taxe CO2.

Cette proposition, très controversée sous plusieurs dimensions (légalité, efficacité, etc.) et
ayant donc soulevé débat367, mais ayant tout de même réussi à trouver un écho favorable
auprès du Conseiller fédéral en charge du dossier368 – alors que dans le même temps les
résultats de la deuxième étude Prognos (2004) sur l’évolution probable des émissions de CO2
en Suisse confirmaient le fait que les objectifs de réduction n’étaient pas en voie d’être
atteints – celui-ci proposa de soumettre quatre variantes à la consultation, soit :

• l’introduction d’une taxe CO2 sur les combustibles et les carburants (variante n°1) ;

• l’introduction d’une taxe CO2 sur les combustibles et les carburants mais avec
affectation partielle des recettes à l’achat de certificats d’émissions étrangers (variante
n°2) ;

• l’introduction d’une taxe CO2 sur les combustibles uniquement avec le centime
climatique pour les carburants (variante n°3) ;

• et l’introduction du centime climatique uniquement (variante n°4).

Cette procédure de consultation fût ouverte du 20 octobre 2004 au 20 janvier 2005 et


déboucha sur la décision du Conseil fédéral du 23 mars 2005 (Conseil fédéral, 2005) d’opter
pour la variante n°3, soit, dans ses propres termes :

- d’introduire une taxe sur le CO2 appliquée aux combustibles fossiles ;

- de laisser une chance au centime climatique prélevé sur les carburants jusqu’à fin 2007 ;

- [et] d’instaurer une taxe sur le CO2 pour l’essence si le centime climatique ne permet
pas d’atteindre l’objectif escompté d’ici là. (Conseil fédéral, 2005)

367
Voir par exemple les deux prises de positions de la part de plus de cent scientifiques en faveur de la taxe CO2
et en défaveur du centime climatique (Communiqué de presse du 10 mai 2004 de ProClim- : Des scientifiques
suisses appellent à des mesures de réduction du CO2 à l’échelon national et Communiqué de presse du 20
janvier 2005 de ProClim-, OcCC : La taxe sur le CO2 tient le cap) ou l’avis de la Commission de la concurrence
sur le centime climatique, donnée en pleine procédure de consultation, et qui conclut que ce dernier peut être
qualifié de restriction considérable à la concurrence et qu'il n'est pas possible actuellement de le justifier avec le
motif d'efficacité économique (ComCo, 2004)
368
Communiqué de presse du DETEC du 26 février 2004 : Réduction de CO2: Moritz Leuenberger reçoit les
promoteurs du centime climatique.

288
Cette décision fût concrétisée par la suite, d’une part, par l’entrée en force du centime
climatique en date du 1er octobre 2005, suite à la signature d’une convention entre les deux
parties en date du 30 août 2005 et, d’autre part, mais non sans peine, par l’entrée en vigueur
d’une Taxe CO2 sur les combustibles en date du 1er janvier 2008.

En effet, dans son message du 22 juin 2005, le Conseil fédéral (2005) proposait au Parlement
de fixer le montant de la taxe CO2 pour les combustibles à 35 CHF par tonne de CO2,
proposition qui fût fortement combattue par les partis affiliés aux milieux économiques –
notamment par la proposition d’un centime climatique II qui fût cette fois repoussée – et qui
déboucha, après quelques sessions parlementaires, à l’adoption par le Parlement d’un Arrêté
fédéral en date du 20 mars 2007 – qui fixait le montant de la Taxe CO2 à 12 CHF par tonne de
CO2 pour l’année 2008 (avec une évolution par étape pour les années suivantes) – et à
l’adoption d’une Ordonnance d’exécution y relatif.

E) Etat au début 2009 de la mise en œuvre de la taxe CO2 : taxe CO2 appliquée aux
combustibles par étapes successives
Le 1er janvier 2008 et marquant en cela le début de la phase dite subsidiaire de la législation
sur le CO2, une taxe CO2 a donc été introduite sur les combustibles, l’introduction d’une taxe
sur les carburants ayant étant repoussée à plus tard par le Conseil fédéral afin de « donner une
chance au centime climatique » (Conseil fédéral, 2005, p. 4622).

Le Conseil fédéral a décidé le 23 mars 2005 d’introduire une taxe sur le CO2 sur les
combustibles, tout en autorisant «pour voir» l’introduction du centime climatique sur les
carburants à titre de mesure consentie librement par l’économie. (OFEN/OFEV, 2007,
p. 2)

La taxe sur le CO2 appliquée aux combustibles est un instrument incitatif conforme aux
principes de l’économie de marché et du pollueur-payeur. En renchérissant les
combustibles fossiles, elle incite les entreprises et la population à utiliser l’énergie de
manière plus rationnelle et plus efficace et à privilégier des agents énergétiques qui
émettent moins de CO2 (p. ex gaz naturel) ou qui n’influencent pas le bilan de CO2 (p, ex.
bois). (Conseil fédéral, 2005, p. 4643)

C’est l’Ordonnance sur la taxe sur le CO2 (Ordonnance sur le CO2) du 8 juin 2007 qui en
précise les modalités de mise en œuvre. Notons ainsi que son introduction et son montant ont
été décidés par le Conseil fédéral – suivant en cela la décision de l’Assemblée fédérale arrêtée
le 20 mars 2007369, décision qui n’est d’ailleurs pas allée dans le sens de la proposition
originelle du Conseil fédéral qui voulait quant à lui introduire une taxe de 35 francs par tonne
de CO2 (Conseil fédéral, 2005) – en fonction d’un calendrier définissant des étapes
successives :

Le montant de la taxe s’élève par tonne de CO2 :


a. à compter du 1er janvier 2008, à 12 francs si les émissions de CO2 dues aux
combustibles fossiles ont dépassé en 2006, selon la statistique tenue par l’Office fédéral
de l’environnement (OFEV), 94 % du niveau de 1990 ;

369
Arrêté fédéral concernant l’approbation du montant de la taxe sur le CO2 appliquée aux combustibles du 20
mars 2007.

289
b. à compter du 1er janvier 2009, à 24 francs si les émissions de CO2 dues aux
combustibles fossiles ont dépassé en 2007, selon la statistique tenue par l’OFEV, 90 % du
niveau de 1990 ;
c. à compter du 1er janvier 2010, à 36 francs si les émissions de CO2 dues aux
combustibles fossiles ont dépassé en 2008, selon la statistique tenue par l’OFEV, 86,5 %
du niveau de 1990 ou 85,75 % du niveau de 1990 pendant l’une des années suivantes.
(Art. 3 Ordonnance sur le CO2)

En juin 2008370, la décision a d’ailleurs été prise de ne pas augmenter le taux de la taxe pour
l’année 2009 – qui reste donc à 12 CHF par tonne de CO2 –en raison de la nette diminution
des émissions dues aux combustibles entre 2006 et 2007.

Notons que la taxe CO2 sur les combustibles touche, par définition, les agents fossiles utilisés
à des fins énergétiques, soit pour obtenir de la chaleur, pour produire de l’électricité dans des
installations thermiques et pour faire fonctionner des installations de couplage chaleur-
force371 (Art. 2 Ordonnance sur le CO2). A contrario, ne sont pas compris sous le terme de
combustibles (mais de carburants) et ne sont donc pas soumis à la taxe les agents énergétiques
fossiles qui servent à produire de l’électricité dans des installations non thermiques372 (OFEV,
2007b).

Par conséquent, sont soumis à la taxe CO2 sur les combustibles les agents fossiles tels que le
charbon, l’huile de chauffage, le gaz naturel, la coke de pétrole (pétrocoke). A contrario, ne
sont pas concernés les combustibles fossiles utilisés à des fins non énergétiques373 (en tant que
lubrifiants ou pour la transformation pétrochimique par exemple), ainsi que les combustibles
non fossiles tels que le bois et autres combustibles issus de la biomasse (car ils n’influencent
pas le bilan de CO2) ainsi que les déchets utilisés comme combustibles (OFEV, 2007b,
AFD/DGD, 2007) ;

Sont donc assujettis à la taxe CO2 sur les combustibles (AFD/DGD, 2007) :

• les importateurs de charbon (en vertu de la législation sur les douanes), ainsi que les
fabricants et les producteurs exerçant leur activité en Suisse ;

• pour les autres agents énergétiques fossiles (en vertu de Limpmin) : a) les
importateurs, b) les entrepositaires agréés, c) les personnes qui cèdent des
marchandises imposées, qui les utilisent ou qui les font utiliser à des usages soumis à
un taux plus élevé et d) les personnes qui cèdent, utilisent ou font utiliser des
marchandises non imposées.

La créance fiscale naît donc (AFD/DGD, 2007, OFEV, 2007b) :

• à l’importation pour le charbon importé (selon les dispositions de la législation


douanières) ;
370
Communiqué de presse du DETEC du 26 juin 2008 : Pas d'augmentation de la taxe sur le CO2 sur les
combustibles en 2009.
371
Cette définition correspond à celle utilisée dans le cadre du Protocole de Kyoto, pour la statistique de l'énergie
et du CO2, ainsi que pour l'inventaire des gaz à effet de serre (AFD/DGD, 2007).
372
Par exemple les groupes électrogènes de secours.
373
Les combustibles importés ou mis à la consommation qui ne sont pas destinés à une utilisation énergétique
sont exemptés de la taxe CO2 pour autant qu’un engagement préalable à ne pas s’en servir pour une telle
utilisation soit contracté (Art. 21 Ordonnance sur le CO2 ; OFEV, 2007b)

290
• pour le charbon fabriqué ou extrait en Suisse, « au moment où celui-ci quitte
l’entreprise de fabrication ou d’extraction ou qu’il est utilisé dans l’entreprise [et] la
perception de la taxe est régie par les dispositions de la législation sur l’imposition des
huiles minérales » (Art. 23 Ordonnance sur le CO2)374 ;

• pour les combustibles compris sous le régime de la Limpmin, par la mise à la


consommation des marchandises, soit : pour les combustibles qui sont mis à la
consommation directement après la taxation à l'importation, en même temps que celle
de l'impôt sur les huiles minérales et pour les entrepôts agréés et les entrepôts de
réserves obligatoires hors entrepôts agréés, au moment de la mise à la
consommation375.

Notons pour finir que l’Ordonnance sur le CO2 précise également les dispositions concernant
l’instrument des engagements formels, puisque l’entrée en force de la taxe CO2 sur les
combustibles marque le début de la possibilité pour les entreprises de s’en faire exempter.

F) Les engagements formels


L’instrument des engagements formels, devenu effectif avec l’entrée en force de la taxe CO2
sur les combustibles, est réglé principalement par les dispositions de la loi sur le CO2 et de
son Ordonnance (Ordonnance du 8 juin 2007 sur la taxe sur le CO2 (Ordonnance sur le CO2))
sous le régime de l’exemption376.

L’Ordonnance du 22 juin 2005 régissant l’imputation des réductions d’émissions opérées à


l’étranger (ordonnance sur l’imputation du CO2) règlemente également cet instrument dans la
mesure où les mécanismes de flexibilité du Protocol de Kyoto sont introduits dans la
législation de manière combinée avec les engagements formels (voir également plus loin).

Les dispositions de l’article 9 LCO2 permettent ainsi aux grands consommateurs d’agents
fossiles377 (carburants ou combustibles) qui se sont engagés formellement envers la
Confédération à réduire leurs émissions, de pouvoir être exemptés de la taxe CO2 (sur les
combustibles, pour le moment).

Quiconque consomme de grandes quantités de combustibles ou de carburants fossiles, ou


dont la compétitivité au niveau international serait entravée par l’introduction de la taxe
sur le CO2 est exempté de la taxe s’il s’engage formellement envers la Confédération à
limiter ses émissions de CO2. (Art. 9, al. 1 LCO2)

Notons également que l’Ordonnance sur le CO2 introduit une exemption pour la
consommation indirecte de combustibles d’origine fossile dans la mesure où elle permet

374
Pour les produits du charbon fabriqués en Suisse, le cas échéant, selon les dispositions de la Limpmin.
375
« La perception de la taxe est normalement régie par les dispositions de la législation sur l’imposition des
huiles minérales. La créance fiscale naît donc par la mise à la consommation des marchandises (art. 4, al. 1, loi
sur l’imposition des huiles minérales). Pour les marchandises placées en entrepôts agréés, il s’agit du moment où
la marchandise quitte l’entrepôt ou y est utilisée. On est ainsi sûr que les combustibles qui sont entreposés sans
être imposés ne sont pas grevés de la taxe sur le CO2 et qu’il n’en résulte pas de frais de capital supplémentaires.
Il n’est pas perçu de taxe sur les combustibles qui sont déjà imposés au moment du premier prélèvement de la
taxe ». (OFEN, 2007b, pp. 1-2)
376
Voir la Section 2 « Exemption des entreprises qui ont pris un engagement formel selon l’art. 9 de la loi » de
l’Ordonnance sur le CO2.
377
Notamment les grandes entreprises ou les consommateurs regroupés en associations.

291
d’exempter les entreprises qui consomment de grandes quantités de chaleur ou d’électricité
produite en combinaison avec de la chaleur, si celles-ci sont acquises directement au
producteur et ont été obtenues, au moins en partie, à partir de combustibles fossiles (OFEV,
2007b, p. 3 ; Art. 4, al.1 et 2 Ordonnance sur le CO2).

Notons également que « les producteurs de chaleur et d’électricité ne peuvent pas être
exemptés de la taxe pour l’énergie fournie » (Art. 4, al. 3 Ordonnance sur le CO2).

Ainsi, selon la LCO2, les grandes entreprises, les consommateurs de combustibles et de


carburants fossiles qui se regroupent et les entreprises dont la consommation d’énergie est
importante378, peuvent s’engager dans le cadre d’un engagement formel à limiter leurs
émissions de CO2 (Art. 9, al. 1 LCO2). Cet engagement comprend au minimum une
limitation des émissions de CO2 d’ici à 2010 (objectif d’émission), un plan de mesures dont
l’efficacité doit être contrôlée et rapportée (rapport) à intervalle régulier (Art. 9, al. 2 LCO2).

Aussi, et se fondant principalement sur les modèles mis en place dans le cadre de l’AEnEC379
pour la conclusion d’une convention d’objectifs, la législation offre la possibilité aux
entreprises (ou groupes d’entreprises) de contracter envers la Confédération un engagement
plus formel et contraignant leur permettant de se faire exempter de la taxe CO2 sur les
combustibles. Toutefois, il est à relever que les exigences pour ce type d’engagement sont
plus élevées que pour une simple convention d’objectifs.

Sur le plan légal, un engagement formel « peut [ainsi] revêtir la forme d’un contrat ou d’une
décision soumis à approbation [et] avoir été, par le passé, une convention » (OFEFP/OFEN,
2001a, p. 3) que l’on transforme ainsi en un engagement formel. Sur le plan pratique, c’est
l’Ordonnance sur le CO2 qui réglemente l’instrument (régime de l’exemption380) selon les
dispositions qui suivent.

Afin d’être exemptées de la taxe CO2, les entreprises (ou groupes d’entreprises) doivent
présenter une demande d’exemption qui prend la forme d’une proposition de limitation de
leurs émissions381 (Art. 5, al. 1 et art. 10 Ordonnance sur le CO2). Celles-ci peuvent le faire
directement auprès de la Confédération si leur volume d’émissions annuelles est égal ou
supérieur à 250'000 tonnes de CO2 par an. Dans le cas contraire, elles se doivent d’élaborer
leur proposition dans le cadre de l’AEnEC et des modèles mis en place par cette agence (Art.
5 Ordonnance sur le CO2, OFEV, 2007b).

En outre, l’Ordonnance sur le CO2 pose certaines exigences concernant les propositions (Art.
6), l’ampleur des limitations (Art. 7), les valeurs cibles (Art. 8), la réduction des émissions en
dehors de l’entreprise (Art. 9), le rapport et le monitoring (Art. 11), les modalités du
remboursement de la taxe (Art. 13, 14, 15, 16 et 17) et le respect de l’engagement formel (Art.
18 et 19). Notons à ce titre que :

• les engagements formels doivent « comprendre pour chaque entreprise un objectif de


limitation absolue (objectif d’émission de CO2) et un indicateur de l’efficacité des
mesures (objectif d’intensité en CO2). Plusieurs entreprises peuvent en outre fixer un

378
Si la taxe dépasse 1 % de la valeur brute de leur production.
379
Le modèle énergétique (ME), le modèle benchmark (MB) et le modèle pme (Mpme).
380
Section 2 de l’Ordonnance : Exemption des entreprises qui ont pris un engagement formel selon l’art. 9 de la
loi
381
La décision d’exemption est prise sur la base de l’examen de la proposition par voie de décision.

292
objectif commun d’émission de CO2 » (Art. 8, al. 1 Ordonnance sur le CO2) ; un
objectif d’émission de CO2 est un « objectif limite, consistant en une valeur absolue,
énonçant l’émission maximale de CO2, exprimée en tonnes de CO2, qui doit être
atteinte d'ici à 2010 [en réalité la moyenne de la période d’engagement allant jusqu’en
2012, soit 2008-2012 pour les premières entreprises à avoir contracté un engagement
formel] » (OFEN/OFEV, 2007, p. 4) ;

• « les petites entreprises peuvent prendre un engagement formel sans fixer ni adapter
d’objectif d’émission de CO2 si les frais pour ce faire sont disproportionnés. Un
objectif spécial est fixé pour ces entreprises. Plusieurs petites entreprises peuvent en
outre fixer en commun un objectif spécial » (Art. 8, al. 3 Ordonnance sur le CO2) ;
celles-ci le font sous l’égide de l’AEnEC par l’intermédiaire des MB (valeur cible de
référence) et Mpme (plan de mesures) (OFEV, 2007b).

• « les entreprises peuvent également opérer leur réduction d’émissions par des mesures
en dehors de l’entreprise si cela n’est pas techniquement possible ou financièrement
supportable dans l’entreprise » (Art. 9 Ordonnance sur le CO2) ; peuvent notamment
se trouver dans cette situation les nouvelles entreprises déjà très efficaces sur le plan
énergétique ; celles-ci peuvent donc se faire exempter si des mesures de réduction
sont réalisées en dehors de l’entreprise en Suisse et à l’étranger dans une certaine
proportion (voire plus loin, principe de la supplémentarité) (OFEV, 2007b) ;

• « la taxe ou la taxe répercutée sur des entreprises conformément à l’art. 4


[consommation indirecte] est remboursée sur demande » (Art. 13 al. 1 Ordonnance
sur le CO2) et avec une périodicité pouvant aller de un à douze mois (Art. 14, al. 1 sur
le CO2) ;

• « les entreprises qui ne respectent pas leur engagement formel doivent restituer […]
les taxes qui leur ont été remboursées, intérêts compris. […] Un intérêt moratoire de
5 % est dû en cas de retard de paiement » (Art. 19, al. 1 et 4 Ordonnance sur le CO2).

G) Etat au début 2009 de la conclusion des engagements formels


C’est suite à l’adoption par le Parlement de la taxe CO2 sur les combustibles en mars 2007,
puis à son entrée en force le 1er janvier 2008, que les mesures volontaires au sens de la
législation sur le CO2 sont passées de l’étape dite des conventions (cf. notamment chapitre
12.2.3, point B ci-avant) à l’étape des engagements formels.

Ainsi, en septembre 2007382, 1'600 entreprises avaient engagé une démarche volontaire dont
700 (auxquelles s’ajoutent 250 entreprises qui avait demandé une prolongation du délai de
demande d’exemption qui était fixé au 1er septembre 2007 pour une exemption dès l’année
2008) avaient fait une demande d’exemption de la taxe CO2 (engagements formels). Sur ces
700 demandes d’exemption, près de 350 entreprises avaient déjà conclu une convention
d’objectifs (qu’il s’agissait donc juste de transformer en un engagement formel), alors que les
350 autres entreprises n’avaient pas encore passé d’examen formel de leur engagement. Par
ailleurs, les quelques 250 entreprises qui avaient déposé une demande de prolongation de
délai avaient déjà signé une convention d’objectifs.

382
Communiqué de presse de l’OFEV du 06 septembre 2007 : L'économie se prépare à la taxe sur le CO2 -
premier bilan.

293
En novembre 2007383, 970 entreprises avaient demandé d'être exemptées de la taxe CO2 et
donc de contracter un engagement formel envers la Confédération.

En février 2008384, sur les quelques mille entreprises qui avait soumis une demande
d’exemption, près de la moitié (quelque 550 entreprises) avait reçu une décision d’exemption
à mi-février 2008, les autres devant la recevoir d’ici à la fin du premier semestre 2008.

Entre les mois de mai et de juin 2008385, les premiers droits d’émission ont été attribués aux
entreprises qui ont ouvert un compte dans le registre national suisse, soit environ pour 2,2
millions de tonnes pour 2008.

H) Les mécanismes de flexibilité du Protocole de Kyoto


Comme nous l’avons déjà souligné, les mécanismes de flexibilité du Protocole de Kyoto
(marché des droits d’émissions et autres certificats de réduction d’émission) sont également
pris en considération par la législation sur le CO2386. Ce sont plus précisément les dispositions
des Ordonnances du 22 juin 2005 régissant l’imputation des réductions d’émissions opérées à
l’étranger (Ordonnance sur l’imputation du CO2)387 et du 8 juin 2007 sur la taxe sur le CO2
(Ordonnance sur le CO2) qui règlemente l’utilisation de ces instruments de marché dans la
mesure où ils sont introduits dans la législation de manière combinée avec l’instrument des
engagements formels.

En effet, ce sont les entreprises exemptées de la taxe CO2 sur les combustibles (ayant donc
contracté un engagement formel) qui se voient attribuer, dans le cadre de la législation, des
droits d’émission. Ces droits sont acquis à hauteur de leurs objectifs d’émission de CO2.
Toutefois, les petites entreprises qui, pour des raisons de coûts, ont pris un engagement formel
sans toutefois fixer d’objectif d’émission de CO2, mais un objectif spécial388 ne reçoivent pas
de tels droits (Art. 8, al. 3 et art. 12, al.1 Ordonnance sur le CO2). Elles ne sont cependant pas
exclues du marché institué dans la mesure où elles peuvent tout de même prendre part aux
échanges et notamment faire valoir l’achat de certificats dans le cadre de leurs engagements.

Ces droits sont octroyés par l’intermédiaire du registre nationale suisse des quotas d’émission
(Art. 12, al. 2 Ordonnance sur le CO2) dans lequel les entreprises doivent détenir un compte
exploitant. Les entreprises devront notamment y faire annuler annuellement les droits
d’émission reçus en fonction de leurs émissions réelles attestées (Art. 12, al. 3 Ordonnance
sur le CO2, droits d’émission utilisés).

Cependant, la législation offre la possibilité aux entreprises de compenser le non-respect de


leur objectif d’émission, mesuré en fonction de la différence entre les émissions réelles

383
Communiqué de presse de l’OFEV du 19 novembre 2007 : Taxe sur le CO2 et Registre national du
commerce des quotas d'émission en 2008.
384
Communiqué de presse de l’OFEV du 14 février 2008 : Des entreprises tirent parti de la flexibilité de la loi
sur le CO2.
385
Communiqué de presse de l’OFEV du 11 juin 2008 : Coup d'envoi du marché des émissions en Suisse.
386
« Lors du calcul des émissions au sens de la présente loi, le Conseil fédéral peut tenir compte de manière
appropriée des réductions d’émissions opérées à l’étranger et financées par la Confédération ou par des
entreprises sises en Suisse. Il fixe les exigences en tenant compte des critères reconnus sur le plan international »
(Art. 2, al. 7 LCO2).
387
L’ordonnance règle les exigences de qualité et de preuves ainsi que les volumes imputables (supplémentarité)
des réductions d’émissions opérées à l’étranger (OFEV, 2007c).
388
Soit celles qui ont uniquement établi une valeur cible spécifique (MB) ou défini un plan de mesures (Mpme).

294
attestées et les objectifs d’émission définis par l’octroi des quotas nationaux (dans le cas des
entreprises avec octroi de droits d’émission), par l’achat de droits d’émissions nationaux
achetés à d’autres entreprises ou des droits d’émissions ou des certificats acquis à l’étranger,
mais ceci, selon le principe de la supplémentarité (I), uniquement dans une certaine proportion
(Art. 18, al. 2 Ordonnance sur le CO2) :

• principe de la supplémentarité Ia : les entreprises qui ont contracté un engagement


formel peuvent imputer des réductions d’émissions opérées à l’étranger à concurrence
de 8 % de leur objectif de limitation (objectif d’émission de CO2) (Art. 5, al. 2
Ordonnance sur l’imputation du CO2) ;

• principe de la supplémentarité Ib : pour les entreprises dont la réduction n’est pas


techniquement possible ou financièrement supportable (entreprises sans potentiel de
réduction au sens de l’article 9 de l’Ordonnance sur le CO2), cette proportion est de
30 % au plus (Art. 5, al. 3 Ordonnance sur l’imputation du CO2).

Notons qu’à cela s’ajoute également une deuxième règle de supplémentarité (principe de
supplémentarité II) qui peut être résumée de la manière suivante (OFEV, 2007d ; voire
également Art. 3 et 5, al. 1 et 2 Ordonnance sur l’imputation du CO2) :

L’objectif de réduction de 10 % par rapport à 1990, fixé dans la loi sur le CO2, représente
environ 4 millions de tonnes de CO2. Si l’effort principal doit être consenti en Suisse,
quelques 2 millions de tonnes de CO2 de l’étranger peuvent être imputées à l’objectif
total assigné aux combustibles et aux carburants. Le contingent de 2 millions de tonnes
de CO2 environ sera réparti entre les différents secteurs et utilisateurs. L’al. 1 [de l’article
5 de l’ordonnance sur l’imputation] met un contingent de 1,6 million de tonnes de CO2 à
la disposition des mesures librement consenties (centime climatique, p. ex.). L’al. 2 [de
ce même article, quant à lui] autorise [comme nous l’avons déjà souligné] les entreprises
qui concluent des engagements formels selon l’art. 9 de la loi à imputer les réductions
d’émissions opérées à l’étranger à l’objectif de réduction pour un maximum de 8 % sur la
période de 2008 à 2012. […] Seules les entreprises au sens de l’art. 9 de l’ordonnance sur
le CO2 sont autorisées à imputer les réductions opérées à l’étranger à leur objectif de
réduction à hauteur de 30 %. Il s’agit par exemple d’entreprises nouvelles sur le marché
dont les équipements de production correspondent à la meilleure technique disponible.
Selon les estimations actuelles, le contingent de certificats réservés aux entreprises ayant
conclu des engagements formels correspondra environ à 0,4 million de tonnes de CO2.
OFEV, 2007d, p.4

Enfin, soulignons que l’intervention sur le marché d’échange des droits et certificats
d’émission prévue via la registre nationale suisse – réglé par l’Ordonnance du DETEC sur le
registre national des échanges de quotas d’émission du 27 septembre 2007 – n’est pas
seulement réservée aux entreprises ayant été exemptées de la taxe CO2 sur la base d’un
objectif d’émission et recevant donc des quotas à sa hauteur. En effet, la détention d’un
compte (non-exploitant) dans le registre est également ouverte aux autres entreprises ayant
contracté un engagement formel mais sans objectif d’émission (modèles benchmark et pme),
auxquelles n’est attribué aucun droit d’émission, ainsi qu’à toutes autres personnes physique
ou morale en faisant la demande (Art. 2 Ordonnance du DETEC sur le registre national des
échanges de quotas d’émission du 27 septembre 2007 ; OFEV, 2007d).

295
I) Intermède : théorie économique (du fonctionnement) du mécanisme d’échange de
permis négociables
Le fonctionnement des mécanismes de flexibilité du Protocole de Kyoto reposent, sur le plan
de la théorie économique, sur le théorème de Coase (Coase, 1960 ; voir également
Bürgenmeier, 2005), un économiste britannique, lauréat du Prix Nobel d’économie en 1991.
En effet, celui-ci indique dans les grandes lignes que quelle que soit l’attribution initiale des
droits de propriété entre les participants à un marché, un système d’équilibre général
débouchera, en l’absence de coûts de transaction et de manière ex poste, sur une allocation
optimale des ressources (optimum).

Du point de vue théorique, imaginons deux entreprises A et B (ou deux Etats) qui polluent
chacune une certaine quantité (Q) de pollution (chacune 100 Q, 200 Q au total) et qui ont des
coûts de réduction de dépollution (Cmd, coût de réduction des émissions de CO2) différents
(cf. Figure 35 ci-après et Annexe 21 pour les calculs). Si l’on octroie des droits d’émissions à
la hauteur d’un objectif de réduction définis pour les deux entreprises (-50 Q pour les deux
entreprises, soit -100 Q au total), et que l’on institue un marché de ces droits (possibilité de
vendre et d’acheter ces droits), le résultat d’un tel système est d’atteindre une allocation
optimale des ressources du point de vue (de l’efficience) économique, dans la mesure où
l’objectif global de réduction (soit -100 Q) est atteint à un moindre coût (comparativement à
une simple norme d’émission par exemple) puisque l’entreprise B, dont le Cmd est moindre,
va fournir un effort supplémentaire de dépollution, qu’elle va vendre à l’entreprise A, dont le
Cmd est supérieur, qui va l’acheter.

Figure 35 : Le « mécanisme » de l’échange de droits d’émission pour les entreprises

Source : l’auteur

Sur un plan plus concret et concernant plus spécifiquement le fonctionnement du système


d’échange de droits d’émission, l’idée principale est ainsi d’utiliser la flexibilité d’un tel

296
système – qui permet donc de réduire la pollution (les émissions) là où les coûts de réduction
sont moindres389 – en attribuant de tels droits (les droits d’émission) et en instituant un négoce
de ceux-ci.

J) Le mode de fonctionnement des mécanismes de flexibilité du Protocole de Kyoto


via le registre nationale suisse d’échange de quotas d’émission
Nous l’avons vu, les différents instruments économiques introduits par le Protocole de Kyoto,
communément appelé « mécanismes de Kyoto » ou « mécanismes de flexibilité », figurent
dans la législation suisse sur le CO2 en tant que mesures d’accompagnement dans la mesure
où ils ne peuvent être utilisés que dans une certaine limite.

Indiquons brièvement qu’il existe trois instruments de flexibilité dans le cadre du Protocole de
Kyoto (Bürgenmeier, Greppin et Perret, 2007) :

• l’échange international de crédits d’émissions (« International Emissions


Trading (IET) ») institue un marché d’échange de droits d’émissions entre pays
industrialisés ;

• la mise en œuvre conjointe (« Joint Implementation (JI) ») permet à certains pays


industrialisés de faire des réductions dans d’autres pays industrialisés ou en transition
vers une économie de marché390 sous la forme de projets conjoints (Art. 6 Protocole de
Kyoto) ;

• le mécanisme pour un développement propre (« Clean Development Mecanism


(CDM) ») permet aux pays industrialisés de mettre sur pied des projets communs de
réduction dans les pays en développement (Art. 12 Protocole de Kyoto).

De manière schématique et simplifiée (Bürgenmeier, Greppin et Perret, 2007), les deux


premiers mécanismes permettent aux Etats des pays industrialisés (ou en transition) ainsi qu’à
leurs entreprises de faire le commerce, respectivement, de droits et de certificats d’émissions.
De cette manière, les Etats qui ont de la difficulté à atteindre leur engagement ont la
possibilité de ne pas réduire directement leurs émissions mais de les obtenir indirectement
dans un autre pays industrialisé ou en voie de transition. Le troisième mécanisme, quant à lui,
permet d’associer les pays en développement aux efforts de réduction par l’intermédiaire du
transfert de technologie391 et de les faire valoir pour les pays industrialisés.

En Suisse, les mécanismes de Kyoto sont mis en œuvre via un registre national392 dans lequel
tous les échanges de droits et de certificats sont répertoriés. Ainsi, par exemple, les entreprises
qui ont rempli et dépassé leur objectif d’émission de CO2 peuvent vendre leurs droits
nationaux alors que les entreprises qui n’ont pas atteint leurs engagements peuvent compenser
ce déficit, dans un certaine mesure, par l’acquisition de droits nationaux, internationaux ou de
certificats étrangers.

389
Etant entendu que la localisation territoriale des émissions de CO2 n’est pas un problème en soi du point de
vue de la problématique du changement climatique (répartition des concentrations de CO2 dans l’atmosphère au
niveau global).
390
Dans lesquels les réductions des émissions ont un coût inférieur.
391
Pour une vue synthétique du système des mécanismes de Kyoto, de ses avantages et inconvénients, nous
renvoyons le lecteur à Bürgenmeier, Greppin et Perret, 2007.
392
Réglé par l’Ordonnance du DETEC du 27 septembre 2007.

297
En adéquation avec le Protocole de Kyoto, sept types de quotas d’émission (« emission
credits ») – terme générique – sont reconnus par le registre suisse en fonction de leur origine
ou de leurs propriétés (OFEV, 2007a ; cf. Tableau 37 ci-dessous).

Tableau 37 : Les sept types de quotas d’émission

Possibilité de report sur la prochaine


l'objectif de limitation de CO2 dans

Possibilité d’échange entre


le cadre de la législation suisse
Possibilité d’une imputation à

systèmes/registres

période d’engagement
Quotas d'émission

Code selon Kyoto


Abréviation
CH UE Int
Unités de quantité attribuée UQA
1 √/X √ √ √ √
Assigned Amount Unit AAU
Droits d’émission délivrés aux Etats en fonction de leurs objectifs respectifs d’émission selon le Protocole de Kyoto pour
une période d’engagement (première période : 2008-2012). En Suisse, une partie de ces droits est cédée aux entreprises
qui ont contracté via un engagement formel un objectif d’émission de CO2. Les droits non utilisés peuvent être transférés
sans limites dans la période d’engagement suivante. Les droits issus du « hot air » ne sont pas imputables.
Unités d'absorption UA
2 √ √ √ √ X
Removal Unit RMU
Droits d’émission générés en plus des UQA à la suite d’une augmentation des puits de carbone (par exemple la forêt).
Ces droits, compte tenu de leur nature, ne sont plus valables après la période d’engagement.
Unités de réduction des émissions (converties à partir des
URE
UQA) 3 √ √ √ √ √
ERU
Emission Reduction Unit (converted from AAU)
Unités de réduction des émissions (converties à partir des UA) URE
4 √ √ √ √ √
Emission Reduction Unit (converted from RMU) ERU
Crédits d’émission issus de la réalisation entre deux pays industrialisés de projets de mise en œuvre conjointe (JI).
Unités de réduction certifiée des émissions CER
5 √ √ √ √ √
Certified Emission Reduction CER
Certificats d’émission issus des projets MDP.
CER temporaires tCER
6 √/X √ √ √ X
Temporary CER tCER
Certificats d'émission obtenus dans le cadre d'un projet MDP de boisement ou de reboisement. Ils arrivent à échéance à
la fin de la période d’engagement suivante et peuvent être renouvelés si la fixation du carbone dans la forêt peut être
prouvée.
CER à long terme lCER
7 √/X √ √ √ X
Long-term CER lCER
Certificats d'émission obtenus dans le cadre d'un projet MDP de boisement ou de reboisement. Ils n’échoient qu’à l’issue
de la durée du projet et ne peuvent par conséquent pas être renouvelés. Ils doivent cependant être remplacés par d’autres
droits d’émission si la preuve de la fixation du carbone par la forêt ne peut pas être apportée tous les cinq ans.
L’OFEV peut à tout moment exiger une garantie appropriée pour tenir compte du risque de perte d’efficacité des projets
de boisement et de reboisement. Par contre, conformément aux positions de la Suisse sur la plan international, ceux qui
recourent à du matériel végétal étranger ou génétiquement modifié ne peuvent être imputés. Si les entreprises ayant
contracté un engagement formel veulent faire valoir des tCER et des lCER, elles ont l’obligation de remplacer les
certificats dont la validité a expiré. Il en va de même par exemple pour la fondation du centime climatique, l’obligation
prenant la forme d’une attestation d’assurance ou d’une autre garantie, qui doit garantir qu’au moment de l’échéance des
tCER et lCER, la même quantité de CO2 a été remplacée par d’autres crédits.
Quotas européens EUA
0 X X √ X √
European Union Allowance EUA
Droits d’émission attribués aux entreprises par les Etats membres dans le cadre du système européen d’échange de droits
d’émission.

Source : sur la base de OFEV (2007a), Art. 4 Ordonnance sur l’imputation du CO2 et OFEV (2007c)

298
Une distinction est ainsi faite entre les certificats (certificates) qui désignent les quotas
d’émission découlant des projets de mise en œuvre conjointe (JI) et du mécanisme de
développement propre (CDM) et les droits d’émissions (emission allowances) qui désignent
les quotas alloués aux Etat industrialisés dans le cadre des objectifs du Protocole de Kyoto,
puis redistribuer par ces derniers selon leur modalités spécifiques.

Les droits attribués par l’OFEV sont appelés « droits d’émission » [« emission
allowances »]. Les quotas d’émission issus des projets dans des pays en développement
(MDP selon l’art. 12 du Protocole de Kyoto) ainsi que d’autres pays industriels ou en
transition (MOC selon l’art. 6 du Protocole de Kyoto) sont des « certificats »
[« certificates »]. Le terme générique applicable aux «droits d’émission » et aux «
certificats » est « quotas d’émission » [« emission credits »]. L'UE utilise son propre
système d'échange de quotas d'émission, les « quotas européens » (EU Allowances –
EUA). (OFEV, 2007a, p. 1)

Aussi, les réductions d’émissions de CO2 opérées à l’étranger sont définies par l’Ordonnance
sur l’imputation du CO2 en distinguant deux types de crédits d’émissions imputables/reconnus
en Suisse (Art. 2, al.1 Ordonnance sur l’imputation du CO2 ; OFEV, 2007c) :

• les certificats issus des projets JI (URE) et CDM (CER, tCER et lCER) au sens des
articles 6 et 12 du Protocole de Kyoto et attestés respectivement par le pays hôte (pays
dans lequel le projet a été réalisé) ou le Conseil exécutif du CDM393 ;

• les droits d’émission délivrés aux autres pays industrialisés en vertu de leurs
engagements chiffrés de réduction pris dans le cadre du Protocole de Kyoto (UQA,
UA et EUA), pour autant que leur système d’échange soit similaire avec celui de la
Suisse et qu’ils ne proviennent pas des Etats ayant subis de profondes mutations
structurelles après 1990 (« hot air », Russie, Ukraine).

Ces quotas d’émissions n’existent que sous forme électronique et sont donc enregistrés, de
même que leur détenteur, dans le registre national suisse. Celui-ci comptabilise d’ailleurs
toutes les transactions qui y sont effectuées : quotas délivrés, détenus, cédés, acquis, annulés
ou invalidés (Art. 2, al. 3 Ordonnance sur l’imputation du CO2 ; OFEV, 2007c).

Enfin, rappelons pour conclure sur le fonctionnement de ces mécanismes de flexibilité (en
Suisse) que le marché n’est pas réservé aux seules entreprises et que toute personne physique
ou juridique peut ouvrir un compte (non exploitant) dans le registre suisse et ainsi participer à
l’achat et à la vente de quotas d’émission avec la possibilité, très intéressante mais peu
soulignée, de les retirer définitivement du marché.

12.2.5 L’obligation de compensation pour les centrales à cycles combinés alimentées au gaz
(et toutes les installations de production d’électricité fonctionnant avec des
combustibles fossiles)
La question de la compensation des émissions de CO2 des centrales à turbines à gaz ou à
vapeur (centrales à cycles combinés alimentés au gaz), qui ne sont pas soumises à la taxe CO2

393
Ce dernier a accrédité des organes de contrôle privés chargés de valider et de vérifier les projets CDM selon
une procédure prédéfinie devant garantir l’irréprochabilité écologiques des projets, ainsi que la mesurabilité, la
durabilité et la réalité des réductions des émissions et leur conformité aux exigences du Protocole de Kyoto (Art.
4, al. 1 Ordonnance sur l’imputation du CO2 ; OFEV, 2007c).

299
frappant les combustibles dans le cadre de la législation actuelle394, est réglée, pour le
moment, par un Arrêté fédéral urgent395, entré en vigueur le 15 janvier 2008, ainsi que par une
Ordonnance396 qui en précise les dispositions de mise en œuvre.

Selon ces dispositions, aucune autorisation de construction ou d’exploitation n’est donnée,


respectivement pour tous projets de construction ou toutes demandes d’autorisation en cours,
pour ce type de centrales, s’il n’est pas prévu, par contrat397, de compenser totalement les
émissions de CO2 de celles-ci sur la période 2008-2012 (obligation de compensation). En
adéquation avec le principe de supplémentarité Ib de l’Ordonnance sur l’imputation du
CO2398, un maximum de 30 % des compensations peuvent l’être par des réductions
d’émissions à l’étranger, cette part pouvant tout de même être augmentée à 50 % au plus par
le Conseil fédéral399, le reste devant l’être en Suisse (Art. 1, Arrêté fédéral concernant la
compensation des émissions de CO2 des centrales à cycles combinés alimentées au gaz du 23
mars 2007 ; Art. 2, 3, 4 et 5 Ordonnance sur la compensation des émissions de CO2 des
centrales à cycles combinés alimentées au gaz du 21 décembre 2007 ; OFEV, 2007e).

Toutefois, la durée de validité de ces dispositions est limitée dans le temps et les dispositions
de l’Arrêté devraient être reprises dans une modification de la LCO2 pour continuer à être
valables par la suite (Art. 2, al. 3 Arrêté fédéral concernant la compensation des émissions de
CO2 des centrales à cycles combinés alimentées au gaz du 23 mars 2007).

Aussi, si la première durée de validité de ces dispositions était fixée au 31 décembre 2008, le
Parlement, dans ses décisions du 16 septembre 2008 pour le Conseil national et du 22
septembre 2008 pour le Conseil des Etats, a prolongé l’Arrêté fédéral urgent jusqu’au 31
décembre 2010, le temps d'effectuer la modification de la législation sur le CO2 (DETEC,
2008).

Un projet de modification de la LCO2 a d’ailleurs été mis en consultation en juin 2008. Il y


introduit l’exemption de la taxe pour les centrales thermiques à combustibles fossiles et leur
obligation de compenser leurs émissions. Suite à cette consultation, le Conseil fédéral (2008)
a adopté le 29 octobre 2008 un projet de modification de la LCO2 qui devrait être débattu par
le Parlement à plus ou moins court terme.

Selon cette modification, les centrales à cycles combinés alimentées au gaz, de même que
toutes les installations de production d’électricité fonctionnant avec des combustibles
fossiles400, seront exemptées d’office de la taxe CO2 et devront compenser entièrement leurs
émissions de CO2 avec la possibilité d’en réduire la moitié par l’achat de certificats étrangers
(DETEC, 2008).

394
Communiqué de presse de l’OFEV du 29 octobre 2008 : Compensation des émissions de CO2 des centrales à
gaz: projet de loi adopté.
395
Arrêté fédéral concernant la compensation des émissions de CO2 des centrales à cycles combinés alimentées
au gaz du 23 mars 2007.
396
Ordonnance sur la compensation des émissions de CO2 des centrales à cycles combinés alimentées au gaz du
21 décembre 2007.
397
Contrat de compensation, conclu avec l’OFEV.
398
Art. 5, al. 3 : les entreprises sans potentiel de réduction au sens de l’article 9 de l’Ordonnance sur le CO2
peuvent faire valoir des réductions effectuées à l’étranger pour un maximum de 30 %.
399
Pour assurer, le cas échéant, la sécurité de l’approvisionnement en électricité du Pays.
400
Communiqué de presse de l’OFEV du 29 octobre 2008 : Compensation des émissions de CO2 des centrales à
gaz: projet de loi adopté.

300
Par conséquent, nous pouvons souligner le fait qu’en complément aux instruments prévus
originellement par la LCO2 (combinaison entre engagements formels, taxe CO2 et
mécanismes de flexibilité du Protocole de Kyoto), le projet de modification de la législation
sur le CO2 introduit également une obligation de compensation pour les centrales thermiques
à combustibles fossiles (via le système des autorisations de construire et d’exploiter) qui, dans
sa mise en œuvre, est également combinée avec la taxe (exemption d’office des centrales) et
les mécanismes de flexibilité (possibilité de compensation à l’étranger).

12.2.6 Les dispositions pénales (sanctions) de la législation sur le CO2


Le mécanisme de sanction prévu dans la législation sur le CO2 est fondé sur l’amende. Ainsi,
quiconque se sera soustrait à la taxe401 sera puni d’une amende qui peut atteindre le triple de
la valeur de l’avantage illicite (Art. 12, al. 1 LCO2). Sont également punissables les tentatives
d’infraction, la complicité et les avantages illicites obtenus par négligence (Art. 12, al. 2 et 3
LCO2).

S’expose également à une amende pouvant atteindre 10'000 francs, celui qui aura mis en péril
la taxe de manière intentionnelle ou par négligence a) en ne s’annonçant pas comme assujetti
à la taxe, b) en ne remplissant pas son devoir d’information et c) en dissimulant ou en donnant
de fausses informations (Art. 13, al 1 LCO2). En cas de récidive ou de cas graves, l’amende
peut alors atteindre 30'000 francs (Art. 13, al. 2 LCO2).

De même, dans le cadre de l’obligation de compensation des centrales à gaz (et par
prolongement des centrales thermiques à combustibles fossiles), soulignons que si ces
dernières ne remplissent pas leur contrat de compensation, il est prévu une peine
conventionnelle qui prend la forme d’une prestation financière (Art. 2, al. 2, lettre d
Ordonnance sur la compensation des émissions de CO2 des centrales à cycles combinés
alimentées au gaz du 21 décembre 2007).

Mais, au-delà de ces sanctions-amendes, nous pouvons également relever que la taxe sur le
CO2 doit être également considérée comme une sanction-menace à l’encontre des entreprises
qui ont conclu des engagements formels mais qui n’arriveraient pas à les tenir. Aussi la taxe
CO2 remplit-elle une triple fonction au sein de la législation suisse sur le CO2 : a) elle rend
effective la phase des engagements formels, b) elle permet de sanctionner les entreprises qui
ne remplissent par leur objectif d’émission volontairement contracté (obligation de résultat) et
c) elle incite les autres acteurs socio-économiques (individus compris) à diminuer leur
consommation directe ou indirecte de combustibles fossiles, notamment du fait que le prix des
combustibles devient moins attrayant par rapport à d’autres énergies alternatives.

12.3 Des instruments articulés en une combinaison complexe

En guise de synthèse de ce chapitre consacré à l’étude descriptive de la politique climatique


suisse, nous énumérons les différents instruments concrets de cette politique et les acteurs
auxquels ils sont destinés (cf. Tableau 38 ci-après).

401
En se procurant ou en procurant à un tiers de manière intentionnelle un avantage illicite, notamment en se
soustrayant à la taxe sur le CO2 ou en ayant obtenu une exemption, une bonification ou un remboursement
injustifié de la taxe

301
Tableau 39 : Les instruments et les acteurs-cibles de la politique climatique suisse

Instruments Acteurs-cibles

Conventions - Entreprises suisses (des PME aux grandes entreprises) consommant des énergies
d’objectifs (CO) fossiles et se regroupant ou non en association

Engagements - Entreprises suisses (des PME aux grandes entreprises) consommant des énergies
formels (EF) fossiles et se regroupant ou non en association

- A priori, tout acteur de type associatif, fondation, etc. Exemple : la Fondation du


Centime Climatique (CC)
De manière indirecte pour l’exemple du CC : consommateurs directs ou indirects de
Accords carburants / acteurs menant des projets en Suisse dans les domaines
volontaires (CO et bâtiments/carburant/chaleur (via investissements du fond CCs) / entreprises suisses
EF). Exemple : ayant une Convention d'objectifs dans le secteur des carburants ou des combustibles
Centime (via l’achat de leurs résultats excédentaires à un prix compétitif par le fonds CC) /
Climatique (CC) fonds d’investissement, brockers, traders (certificats par intermédiaire) qui
investissent l'argent pour le compte de la fondation CC dans des projets à l’étranger /
propriétaires de projets à l’étranger (certificats directs) bénéficiant directement des
investissements du fonds CC

- Importateurs, fabricants, producteurs, commerçants (de marchandises non imposées


ou imposables à un taux plus élevé) et/ou entrepositaires de combustibles et/ou de
carburants
- Entreprises en tant que consommatrices (directes ou indirectes) de combustibles
et/ou de carburants n’ayant pas contracté d’engagement formel (mais éventuellement
une convention d’objectifs)
- Individus/particuliers en tant que consommateurs (directs ou indirects) de
Taxe CO2 combustibles et/ou de carburants
- Entreprises en tant que consommatrices (directes ou indirectes) de combustibles
et/ou de carburants ayant contracté un engagement formel et donc ayant été exemptées
de la taxe CO2
- Entreprises en tant que bénéficiaires de la redistribution de la taxe par le biais de la
masse salariale (via la caisse de compensation AVS)
- Individus/particuliers en tant que bénéficiaires de la redistribution de la taxe par le
biais de l’assurance maladie (via les primes d’assurance maladie)

- Entreprises suisses ayant contracté un engagement formel et ayant bénéficié de droits


d'émission à hauteur de leur objectif d'émission
Mécanismes de - Entreprises suisses ayant contracté un engagement formel mais sans bénéficier de
flexibilité droits d'émission (entreprises sans objectif d'émission)
- Autres acteurs : meneurs/propriétaires de projets de réduction d'émissions à
l'étranger, brookers, traders, etc.

- Exploitants/constructeurs de centrales à gaz exemptés d'office de la taxe CO2


- Meneurs de projets de réduction des émissions en Suisse (via investissements de
Obligation de
compensation)
compensation
- Meneurs de projets de réduction des émissions à l'étranger (via investissements
directs de compensation ou achats de certificats CO2)

Source : l’auteur

Nous soulignons également de manière illustrée l’articulation complexe de ces instruments au


sein d’une combinaison interdépendante et temporelle (cf. Figure 36 ci-après).

302
Figure 36 : La combinaison des instruments de la législation sur le CO2 : interdépendance et
temporalité
Taxe
CO2

Engagements
Conventions formels
d’objectifs
avec entreprises
(ME, MB, Mpme)
Mise en
œuvre des
mécanismes
Centime climatique de flexibilité
en Suisse

Obligation de compenser
pour les centrales à gaz

Temps : années 2000 – 2008/12


Source : l’auteur

Chapitre 13 Evaluation et analyse idéaltypique+ « pan-phy » des


instruments de la politique climatique suisse

Ce chapitre est consacré à l’évaluation et à l’analyse idéaltypique + « pan-phy » des instruments de


la politique climatique suisse. Nous comprenons sous ces deux notions les étapes suivantes :

• pour ce qui concerne l’évaluation idéaltypique + « pan-phy » des instruments : l’enquête


« pan-phy » que nous avons réalisée auprès d’un panel d’expert dont la tâche était
d’évaluer les instruments de la politique climatique suisse au regard des sept leviers
comportementaux que nous leurs avons soumis (chapitre 13.1) ; la procédure, les
questionnaires, la marche à suivre, les résultats et le traitement « bruts » des deux
vagues de questionnaires que nous avons soumis au panel d’experts sont reproduits
dans les Annexes 22, 23, 24 et 25 ;

• pour ce qui concerne l’analyse idéaltypique + « pan-phy » : a) l’interprétation des résultats


finaux de cette évaluation en tant que mesure idéaltypique des instruments de la
politique climatique suisse (chapitres 13.2 13.3 et 13.4) ainsi que b) la mise en
perspective de nos résultats finaux à l’aune de nos hypothèses de travail (chapitres
13.5 et 13.6).

303
13.1 Enquête « pan-phy » : procédures et résultats intermédiaires

Dans le cadre de notre enquête « pan-phy » nous avons fait appel à six experts reconnus dans
le domaine de l’étude des instruments politiques et économiques des politiques publiques,
notamment dans le domaine de la protection de l’environnement. Ces six experts – dont
l’anonymat est ici gardé – sont tous issus du domaine académique et enseignent dans les
différentes institutions que sont l’Université de Genève, la Haute école de gestion de Genève
et les deux Ecoles polytechniques fédérales de Lausanne et de Zurich. Ils sont issus des
domaines de l’économie politique, du management de l’environnement et de la science
politique. L’addition de leurs domaines d’expertises respectifs couvrent un espace que nous
pouvons définir selon deux axes, soit une vision générale des instruments économiques et
politiques et une vision plus spécifique des instruments de la politique climatique suisse.

Pour rappel, les six experts composant notre panel ont évalué dans le cadre de notre enquête
« pan-phy » les instruments concrets de la politique climatique suisse au regard de sept
dimensions (nos idéauxtypes d’instruments en réalité) ainsi que le degré de complexité des
acteurs ciblés par ces derniers à l’aide d’une notation sur une échelle de 0 à 4 au cours d’un
processus séquencé en deux vagues de questionnaires identiques.

Lors de la première vague de questionnaires, les experts ont donc établi une première notation
dans le but d’évaluer les instruments de la législation suisse sur le CO2 (conventions,
engagements formels, taxe CO2, mécanismes de flexibilité et obligation de compensation
pour les centrales à gaz) sur la base de sept dimensions analytiques – ou leviers/déterminants
comportementaux – impliquées par leur introduction :

1) la disposition de l’acteur-cible à être contraint physiquement par l’autorité (recours à


la force/contrainte physique légitime en dernier recours)

2) le calcul coût-bénéfice de l’acteur-cible (intérêt économique de l’homoeconomicus)

3) les dispositions vertueuses de l’acteur-cible (valeurs, principes, croyances)

4) les dispositions affectives de l’acteur-cible (sentiments, émotions)

5) les ressources in-formationnelles de l’acteur-cible (information pure et/ou savoirs-


faires/compétences)

6) la disposition de l’acteur-cible à imiter les comportements/activités de l’Etat

7) la capacité d’adaptation de l’acteur-cible à son environnement physique et matériel

Dans cette perspective, nous avons donc demandé aux experts d’évaluer les instruments
concrets de la politique climatique suisse du point de vue de chaque type d’acteurs ciblés par
leur introduction (évaluation orientée acteurs) en établissant une notation402 qui mesure le
degré de sollicitation chez les acteurs cibles des sept leviers comportementaux que nous leur
avons proposés.

402
Echelle de notation : (0) non sollicités, (1) un peu sollicités, (2) moyennement sollicités, (3) bien sollicités, (4)
très sollicités.

304
A cette fin, les experts devaient se mettre à la place des différents acteurs-cibles (évaluation
orientées acteurs). En d’autres termes, ils devaient se poser la question suivante : est-ce que
l’instrument pris en compte va solliciter chez « moi » (l’acteur-cible), dans le but de modifier
« mon » comportement afin de réduire « mes »/les émissions de CO2, un ou plusieurs des sept
leviers comportementaux soumis à évaluation ? Plus spécifiquement, les experts devaient
pour chaque instrument de la législation sur le CO2 se poser les questions suivantes :

1. est-ce que l’instrument mise sur le fait que « je » puisse être contraint par l’autorité (de
manière physique en derniers recours) à réduire « mes »/les émissions de CO2 ? (recours à
la force de police en tant que contrainte physique légitime en dernière instance)

2. est-ce que l’instrument mise sur le fait de solliciter « mon » intérêt économique (calcul
coût-bénéfice) afin que je réduise « mes »/les émissions de CO2 ?

3. est-ce que l’instrument mise sur le fait de solliciter « mes » dispositions vertueuses
(principes, valeurs, etc.) afin que je réduise « mes »/les émissions de CO2 ?

4. est-ce que l’instrument mise sur le fait de solliciter « mes » dispositions affectives
(sentiments, émotions, etc.) afin que je réduise « mes »/les émissions de CO2 ?

5. est-ce que l’instrument mise sur le fait de « me » transmettre de « l’in-formation »


(informations, savoirs-faires/compétences) afin que je réduise mes/les émissions de CO2 ?

6. est-ce que l’instrument mise sur le fait de « me » donner un exemple comportemental (que
je pourrai imiter) afin que je réduise « mes »/les émissions de CO2 ?

7. est-ce que l’instrument mise sur « ma » capacité d’adaptation à mon environnement


physique et matériel afin que je réduise « mes »/les émissions de CO2 ?

Notons que nous avons choisi à dessein de ne pas faire référence explicitement aux sept
idéauxtypes d’instruments politiques que nous avons défini dans le cadre de ce travail, mais
plutôt à leurs dimensions fondamentales (les leviers/déterminants comportementaux qu’ils
mettent en jeux chez les acteurs-cibles) dans le but d’éviter que les experts n’évaluent (plus ou
moins consciemment) les instruments sur la base de leur propre conception de ce que sont les
typologies d’instruments. Nous pensons ainsi éviter la tentation classificatrice que nous avons
tant critiquée dans le cadre de la partie consacrée à la méthodologie pour nous diriger vers une
véritable comparaison entre les instruments concrets de la politique climatique suisse et
chacun des sept idéauxtypes d’instruments politiques composant notre typologie. C’est
pourquoi nous avons demandé aux experts d’évaluer les instruments concrets de la législation
sur le CO2 en fonction du niveau de sollicitation des sept leviers comportementaux proposés
(présentés par conséquent sous la forme de dimensions et non de types d’instrument). Aussi,
l’évaluation du degré de similitudes/différence entre les instruments concrets de la politique
climatique suisse associés à leurs acteurs-cibles et chacun des sept idéauxtypes d’instruments
des politiques publiques (ITipp) de notre typologie ne se fait donc qu’indirectement.

Notons également ici que les experts ont également évalué le niveau de complexité des
acteurs ciblés par ces instruments à l’aide d’une même échelle de notation403. Pour rappel, les

403
Echelle de notation : (0) non complexes, (1) un peu complexes, (2) moyennement complexes, (3) bien
complexes, (4) très complexes.

305
experts ont évalué ce niveau de complexité en tenant compte, de manière synthétique dans
leur réflexion, des dimensions suivantes de la complexité d'un système d'acteurs :

• leur nombre (les acteurs sont-ils plus ou moins nombreux ?) ; sachant que le degré de
complexité croît de manière proportionnelle avec le nombre d’acteur ;

• leur niveau d'interaction (les acteurs sont-ils plus ou moins en relation les uns avec les
autres ?) ; sachant que le degré de complexité croît de manière proportionnelle avec
leur niveau de relation ;

• leur degré d'hétérogénéité (la logique d'action des acteurs est-elle identique pour tous
les acteurs ou différente ?) ; sachant que le degré de complexité croît de manière
proportionnelle avec leur degré d’hétérogénéité ;

• leur niveau d'incertitude (la réponse comportementale des acteurs à l'introduction de


l'instrument est-elle prévisible ou incertaine ?) ; sachant que le degré de complexité
croît de manière proportionnelle avec leur niveau d’incertitude.

Les résultats (finaux) concernant l’évaluation par les experts du niveau de complexité des
acteurs-cibles (également comprise dans le cadre de l’enquête « pan-phy ») ne vous sont
présentés que dans un second temps (chapitre 13.5.4, point A)). Néanmoins, notons ici que la
même procédure que celle définie ci-après pour les résultats de l’évaluation des instruments a
été utilisée pour leur traitement.

13.1.1 Traitements et résultats de la première vague de questionnaires


Les résultats de la première vague de questionnaires ont été analysés selon la procédure
définie ci-dessous afin de faire ressortir la tendance centrale des réponses aux différentes
questions posées et d’identifier les réponses « extrêmes ».

Pour chaque instrument concret, respectivement pour chaque groupe d’acteurs cibles, soumis
à évaluation, nous avons calculé la moyenne des évaluations des six experts, moyenne que
nous avons considérée comme exprimant la tendance centrale des réponses du panel
d’experts404. Les réponses dites « extrêmes » ont quant à elles été identifiées par un processus
en deux étapes. La première étape a consisté à appliquer de manière systématique deux filtres
que nous qualifions d’objectifs :

Premier filtre : le test de Dixon


Le test de Dixon permet d’identifier si les valeurs minimale et maximale d’une série de
données chiffrées ordonnées de manière croissante (x1 à xn, avec N < ou = 25) peuvent être
considérées comme des valeurs « extrêmes » (ou « aberrantes »).
Le test de Dixon soumet les valeurs (soit les réponses des experts) aux hypothèses suivantes :
l’hypothèse nulle (dite hypothèse H0) est « la valeur testée n’est pas une valeur extrême (ou
aberrante) » ; l’hypothèse alternative (dite hypothèse H1) est « la valeur testée est une valeur
extrême (aberrante) » à l’aide des formules suivantes et d’un certain degré de confiance se
reportant à la table de Dixon définissant les seuils d’acceptation/rejet de H0 et H1 :

404
Voir nos développements ci-après sur l’utilisation de la moyenne comme expression de la tendance centrale
dans le cadre d’une échelle ordinale (cf. chapitre 2, point 2.1.3 - A)).

306
Formule du test de Dixon pour N = 6 :
Le rapport r min permet de tester la valeur x minimale (x1) alors que r max sert à tester la
valeur x maximale (xn).
La valeur de rejet de H0 (VrH0) (et d’acceptation de H1) selon la table de Dixon est de 0.698,
0.560 ou 0.482 en fonction du degré de confiance choisi, soit respectivement 1%, 5% ou 10%.
Ainsi, si r min/max calculé est supérieur à la valeur de rejet de H0 (VrH0) alors on rejette H0
et on accepte H1 : la valeur testée est une valeur extrême. Dans le cas contraire (r min/max est
inférieur à VrH0), on accepte H0 et l’on rejette H1 : la valeur testée n’est pas considérée
comme une valeur extrême.
Dans le cas qui nous occupe, les réponses des experts ont donc été ordonnées et les valeurs
minimales et maximales ont été soumises au test de Dixon avec un degré de confiance de
10 % (r > 0.482 pour rejeter H0 et accepter H1).

Second filtre : la prise en compte de l’écart-type


Après l’application du premier filtre (test de Dixon) et l’identification de certaines réponses
« extrêmes », les réponses ont été filtrées une seconde fois ; ont été systématiquement
considérées comme des réponses « extrêmes » les valeurs comprises au-delà de la moyenne ±
un écart-type (filtre appliqué sur les valeurs calculées arrondies à l’unité).

Enfin la seconde étape a, quant à elle, consisté à appliquer de manière systématique un


troisième filtre que nous qualifions de « subjectif ».

Troisième filtre : le filtre « subjectif »


En tenant compte des résultats de la première étape de filtrage des réponses, celles-ci sont
analysées une dernière fois via le regard critique de la part du chercheur qui identifie, de
manière plus subjective, de nouvelles valeurs « extrêmes », en prenant en considération les
critères d’analyse suivants : une analyse du mode (par exemple, en présence d’un mode
représenté quatre fois dans la série de réponses, les deux réponses ne représentant pas le mode
sont considérées comme « extrêmes ») associée, le cas échéant, à la pertinence des réponses
des experts par rapport à la question posée (à savoir par rapport à la nature de l’instrument).

Suite à ces deux étapes de filtrage des réponses du panel d’expert, deux types de résultats ont
été obtenus : identification d’une voire de deux réponses « extrêmes » (R1) ou pas de
réponses « extrêmes » identifiées (R2).

Dans le premier cas (R1), la tendance centrale est alors mesurée à l’aide de la moyenne des
réponses des experts calculée sur la base des réponses non extrêmes (TC moy. exp. hors rép.
ex.), c’est-à-dire après suppression de la (ou des) valeur(s) extrême(s), arrondie à l’unité.

Dans le second cas (R2 ; aucune réponse « extrême » identifiée après le filtrage des données),
il se présente deux variantes : soit un consensus est déjà obtenu autour de l’évaluation de
l’instrument pris en considération et respectivement du niveau de complexité de l’acteur-cible
et le processus s’arrête là, la tendance centrale est exprimée par la moyenne des réponses des
six experts (TC moy. tot. rép. exp.) ; soit aucune réponse extrême ne peut être identifiée en
raison de l’hétérogénéité des réponses des experts qui exprime l’absence d’un consensus (cas
des séries de réponses très dispersée et/ou avec double voire triple mode). Aussi, afin de

307
trouver un consensus pour ce type de séries de valeurs, nous avons choisi de définir la
moyenne de l’ensemble de la série de réponses (arrondie à l’unité) comme mesurant la
tendance centrale (TC moy. tot. rép. exp.) et de considérer les réponses des experts qui
n’avaient pas donné cette valeur comme des réponses « extrêmes ».

L’ensemble de cette procédure nous a donc permis d’identifier les réponses « extrêmes » du
panel d’experts et donc, dans le cadre de la deuxième vague de questionnaire, de demander
aux experts qui ont répondu de manière « extrêmes » de réviser leur jugement ou de le
justifier brièvement s’ils souhaitaient garder leur réponse d’origine.

13.1.2 Mise en place de la deuxième vague de questionnaires


Ainsi, dans le cadre de la deuxième vague de questionnaires, les experts ont été informés des
résultats du premier tour et ont été invités à réévaluer leurs réponses initiales (Ri) considérées
comme « extrêmes ».

A cette fin, nous avons donc communiqué à chaque expert, à la suite de leur propre notation
considérée comme extrême, deux propositions de réponses :

1. la proposition de réponse P 1, qui exprime la tendance centrale des réponses du panel


d’expert (soit TC moy. exp. hors rép. ex. dans le cas de R1 ou TC moy. tot. rép. exp.
dans le cas de R2, arrondies à l’unité405) ;

2. et la proposition de réponse P 2, qui permet aux experts de se rapprocher de P 1 (P 2


est égale à P 1 ± 1 selon la réponse initiale de l’expert).

Trois possibilités s’offrent dès lors aux experts dont la réponse a été considérée comme
extrême :

a) ils peuvent se rallier à la tendance centrale en choisissant la proposition de réponse P


1;

b) ils peuvent se rapprocher de la tendance centrale en choisissant la proposition de


réponse P 2 ;

c) ils peuvent garder leur réponse initiale ; dans ce cas deux options se présentent alors à
eux :

c1) leur réponse initiale (Ri) n’est pas égale à P 2 (réponse surlignée en rouge)
 ils se doivent de justifier et de motiver leur choix de garder leur réponses
initiale considérée comme extrême ;

c2) leur réponse initiale (Ri) est égale à P 2 (réponse surlignée en orange) 
ils n’ont pas besoin de justifier leur choix, leur réponse est proche de la
tendance centrale du panel d’expert.

405
Pour que celles-ci correspondent au système de notation tel que défini au départ [0 ou 1 ou 2 ou 3 ou 4].

308
Figure 37 : Illustration de la procédure de révision des réponses « extrêmes » issues de la première
vague de questionnaire.

r
r

Source : Annexe 23

Notons ici que nous n’avons pas jugé utile de faire une troisième vague de questionnaires
compte tenu de la nature assez consensuelle des réponses obtenues et du temps à notre
disposition.

13.1.3 Traitement des réponses de la seconde vague de questionnaires


Dans cette dernière phase de traitement des réponses du panel d’experts, il a été question
d’identifier la tendance centrale des réponses du panel d’experts sur la base de la seconde
vague de questionnaires. A cette fin nous avons calculé pour chaque question la moyenne
issue des réponses des six experts en éliminant toutefois, comme nous pourrons le constater
ci-dessous, les réponses « extrêmes » maintenues et justifiées par les experts (ou considérées
comme « aberrantes » compte tenu de la justification) de nos calculs. De même, nous avons
calculé l’écart-type de ces moyennes afin de définir pour chaque question un niveau de
consensus des réponses du panel d’experts.

A) Le choix de la moyenne comme mesure de la tendance centrale des réponses du


panel d’experts
Ayant utilisé dans nos questionnaires des variables qualitatives (degré de sollicitation des
leviers comportementaux et niveau de complexité) mesurées sur deux échelles de type ordinal
– ne possédant donc pas d’écart constant entre les codes de leurs modalités – nous ne pouvons
pas, normalement, effectuer d’opérations arithmétiques sur les codes associés aux modalités,

309
tel que le calcul d’une moyenne406 (Amayotte, 1996). En effet, le rôle de tels codes permet
simplement d’ordonner les modalités et les seules relations qui devraient être envisageables
d’émettre entre eux sont <, >, = et ≠. Il s’en suit que le mode et la médiane devraient
constituer les mesures uniques de la tendance centrale des réponses mesurées à l’aide de ce
type d’échelle et que la moyenne ne devrait pas être utilisée, puisque ne possédant pas de sens
sur un plan strictement mathématique (cf. Encadré 21 ci-dessous).

Encadré 21 : Mode, médiane et moyenne


Mode : valeur ou modalité la plus fréquente parmi les réponses ; c’est le centre de concentration de la
distribution ; il peut ne pas être unique (par exemple distribution bimodale) et ne subit pas l’influence des
réponses extrêmes mais n’a vraiment de sens que si la fréquence du mode est nettement supérieur à celle des
autres valeurs ou modalités.
Médiane : valeur qui sépare une série statistique en deux groupes distincts d’une proportion sensiblement
similaire ; c’est le centre de position de la distribution des réponses ordonnées par ordre croissant ; elle est
unique et ne subit pas l’influence des réponses extrêmes et représente un bon complément de la moyenne pour
l’interprétation des résultats.
Moyenne : somme des valeurs de chaque réponse divisée par le nombre de réponses ; elle est unique mais subit,
le cas échéant, l’influence des réponses extrêmes.
Source : d’après Amayotte (1996)

Cependant, l’extension du concept de moyenne à une variable mesurée au moyen d’une


échelle ordinale reste cependant possible (et est d’ailleurs souvent utilisée dans ces cas de
figure), la moyenne ouvrant des possibilités plus larges sur le plan arithmétique. Cependant,
l’utilisation de la moyenne dans ce type de situation doit dès lors être considérée avec
prudence, puisque l’on attribue dans ce cas des propriétés à l’échelle qu’elle n’a pas407 et que,
par rapport au mode et à la médiane, cette mesure de la tendance centrale peut être influencée
par la présence de valeurs extrêmes (Amayotte, 1996).

Or nous avons jugés pertinent d’utiliser la moyenne dans le cadre de notre recherche car,
outre ces facilités d’utilisation et notamment de différenciation ou précision, ainsi que
l’ouverture sur des modalités de mesure de la dispersion des valeurs plus praticable tel que
l’écart-type, il s’avère que la procédure que nous avons suivie (notre enquête « pan-phy »)
tend à éviter les valeurs extrêmes pour rechercher un consensus. Par ailleurs, lorsque des
réponses « extrêmes » ont été maintenues (et justifiées) par les experts, celles-ci, comme nous
allons le voire ci-après, n’ont pas été prises en considération pour le calcul de la moyenne,
mais ont fait l’objet d’une analyse supplémentaire (de même que les réponses sans valeurs
« extrêmes » mais jugées comme « non consensuelles »).

En outre, notons ici que dans le cadre de nos analyses (compréhensive et explicative),
l’interprétation des résultats des moyennes (et des valeurs extrêmes et du niveau de
consensus) ne se fait pas sur un niveau de précision extrême.

406
Qui implique d’additionner les codes puis les diviser par le nombre de réponses.
407
De ce fait, en utilisant la moyenne comme mesure de la tendance centrale des réponses de notre panel
d’experts, nous considérons donc que nos deux échelles ordinales sont « assimilables » à une échelle
d’intervalles (écarts entre modalités/valeurs (unités) de nature égale, quantification possibles de ces écarts,
présence d’une unité de mesure normalisée et d’un point de référence conventionnel (zéro conventionnel)).

310
B) Identification d’un niveau de consensus autour de la moyenne des réponses du
panel d’experts
Nous avons identifié un niveau de consensus des réponses du panel d’experts pour chaque
question posée en fonction du calcul de l’écart-type et selon les intervalles définis dans le
Tableau 39 ci-dessous.

Rappelons ici que l’écart-type est une mesure de la dispersion des séries statistiques, il

donne une mesure de la dispersion plus fine que l'étendue puisqu'il tient compte de toutes
les données. Par ailleurs, contrairement à la variance, l'écart type s'exprime dans les
mêmes unités que la variable. [...] plus l'écart type est faible, plus les données sont
concentrées autour de la moyenne; plus l'écart type est élevé, plus les données sont
dispersées (Amayotte, 1996, p. 296).

Tableau 39 : Les 5 niveaux de consensus des réponses du panel d’expert

Intervalles de consensus - Ecart-type Niveau de Consensus

1 [0.00 - 0.25] Parfait (unanime)

2 ]0.25 - 0.55] Solide

3 ]0.55 - 0.85] Convenable

4 ]0.85 - 1.15] Assez faible

5 ]1.15-2.20] Faible

Source : l’auteur

Statistiquement parlant, soulignons que 76.47 % des questions ont suscité une réponse
consensuelle de la part du panel d’expert (unanimité : 1.96 %, consensus solide 50.33 % et
consensus convenable : 24.18 %) et seulement 23.53 % des questions ont suscité des réponses
« non consensuelles » (consensus jugé assez faible : 20.26 % et faible : 3.27 %).

C) Identification et différenciation des réponses « extrêmes » et des réponses


« aberrantes » et analyse des résultats finaux de l’enquête « pan-phy »
L’analyse qualitative des justifications des réponses « extrêmes » maintenues par les experts
nous a permis de différencier les réponses « extrêmes » dites « valables » des réponses
« aberrantes » que nous n’avons pas prises en compte dans le cadre de notre analyse (cf. nos
commentaires en italiques intégrés aux formulaires « Justifications des réponses
« extrêmes » » des différents experts, cf. Annexes 25-1 à 25-4).

Statistiquement parlant, sur les 153 questions de notre questionnaire, 8 réponses « extrêmes »
ont été identifiées comme telles. Elles se répartissent comme suit : 6 questions (3.92 % des
153 questions) avec une réponse « extrême » et 1 question (1.3 % des 153 questions) avec
deux réponses « extrêmes ». Ainsi, seulement 4.58 % des questions (7 en chiffre absolu) ont
suscité le maintient d’une ou deux réponses « extrêmes ».

311
Notons à ce titre que 7 réponses « extrêmes » ont été jugées comme « aberrantes » compte
tenu de la justification avancée. Ces réponses et les justifications qui leur sont associées n’ont
donc pas été prises en compte dans le cadre de notre analyse.

Enfin soulignons ici qu’en conséquence 73.2 % des questions (112 en valeur absolue) ne sont
ni sujettes à une (ou deux) réponse(s) extrême(s) maintenue(s), ni à un niveau de consensus
jugé comme non convenable (niveaux de consensus 4 et 5 (assez faible et faible)).

13.1.4 Synthèse de la procédure d’analyse des résultats finaux de l’enquête « pan-phy »


La procédure que nous avons décrite jusqu’ici nous permet ainsi d’analyser nos résultats sous
deux dimensions.

La première consiste en la simple analyse des moyennes des réponses du panel d’experts sans
prise en considération des valeurs extrêmes maintenues, ni du niveau de consensus obtenu.

La seconde permet de compléter la première analyse en y ajoutant un regard plus critique qui
se décompose en trois types de considérations relatives à la mise en évidence, si nécessaire,
pour chaque question posée :

1. des réponses du panel d’experts sans consensus (niveaux de consensus 4 et 5), mais
sans valeur « extrême » (maintenue) ;

2. la mise en évidence des réponses du panel d’experts avec valeurs « extrêmes »


maintenues (et justifiées) mais avec un consensus au-delà de cette (ou ces) valeur(s)
extrême(s) (niveaux de consensus 1 à 3) ;

3. la mise en évidence des réponses du panel d’experts sans consensus (niveaux de


consensus 4 et 5) et avec valeurs « extrêmes » maintenues (et justifiées).

Les questions n’étant pas sujettes à ces trois composantes en seconde analyse étant celles dont
les réponses du panel d’experts peuvent être qualifiées de consensuelles (niveaux de
consensus 1 à 3) et pour lesquelles aucune valeur « extrême » n’est présente ou n’a été
maintenue. Nous rappelons ici que c’est le cas pour la grande majorité des questions (73.2 %).

+ « pan-phi »
13.2 De l’enquête « pan-phy » à la méthode idéaltypique : présentation et
modalités d’interprétation des résultats finaux

Tout les éléments du chapitre précédent bien considérés, les résultats finaux de l’évaluation
des experts pour le degré de similitude/différence avec les idéauxtypes d’instruments vous
sont présentés sous la forme d’histogrammes (graphiques A à G) et de diagrammes de type
radar (ou toile d’araignée) (graphiques A2 à G2 et A3 à G3) construits sur la base des
moyennes des réponses du panel d’experts408.

408
Il en va de même pour les résultats finaux de l’évaluation du niveau de complexité des acteurs-cibles ;
toutefois ceux-ci vous sont présentés dans le cadre du chapitre consacré à l’analyse explicative de la politique
climatique suisse (cf. chapitre 13.5.4, lettre A) ci-après).

312
Comme spécifié dans le chapitre précédent, l’analyse des valeurs « extrêmes » maintenues et
des réponses de type non consensuel se fait dans une deuxième étape, afin de préciser
l’analyse des simples moyennes. Aussi, les questions qui n’ont pas fait l’objet d’une réponse
convenablement consensuelle (niveaux de consensus 4 et 5) ou/et pour lesquelles les experts
ont maintenu une ou deux réponses « extrêmes » sont identifiées dans le cadre des
histogrammes (graphique A à G), respectivement de la manière suivante :

• Absence de consensus convenable : moyenne entourée + signe « *ac » ;

• Présence d’une réponse « extrême » maintenue (et justifiée) : moyenne entourée +


signe « *re »;

• Présence de deux réponses « extrêmes » maintenues (et justifiées) : moyenne entourée


+ signe « *re/re ».

Notons ici que les graphiques de type radar (graphiques A2 à G2 et A3 à G3) ne font que
reprendre les résultats des graphiques A à G, seules les modalités de présentation changent,
permettant ainsi, le cas échéant, d’obtenir une meilleure vue d’ensemble des résultats.

Rappelons également ici que, dans le cadre de notre analyse, nous interprétons l’évaluation
des experts du niveau de sollicitation des sept leviers comportementaux par les instruments
concrets de la législation sur le CO2 comme représentant une évaluation du degré de
similitude/différence entre les instruments concrets de la politique climatique suisse – associés
à leurs acteurs-cibles – et chacun des sept idéauxtypes d’instruments des politiques publiques
de notre typologie409 : l’évaluation du panel d’experts permet donc de dresser (de manière
indirecte) une comparaison entre les instruments concrets de la politique climatique suisse et
les idéauxtypes d’instruments politiques, idéauxtypes que nous considérons dans le cadre de
notre recherche comme des étalons de mesure. Nous passons ainsi, et par la même occasion,
de l’enquête « pan-phi » à la méthode idéaltypique + « pan-phy ».

Afin de pouvoir obtenir une vue d’ensemble et faciliter une lecture horizontale et verticale des
résultats finaux, ceux-ci vous sont présentés ci-après dans une triple feuille dépliante : pour
les histogrammes, l’axe des abscisses (X) répertorie les différents instruments concrets de la
politique climatique suisse (associés à leur acteur-cible) et l’axe des ordonnées (Y)
l’évaluation faite par les experts du degré de similitude/différence entre ces différents
instruments concrets de la politique climatique suisse et l’idéaltype d’instrument en question.
Les résultats finaux vous sont également proposés sous la forme d’un graphique de type
radar/toile d’araignée reprenant les moyennes des réponses du panel d’experts (sans reprendre
toutefois l’identification des réponses « extrêmes » et/ou de l’absence de consensus
convenable).

409
L’échelle d’évaluation que nous avons utilisée dans le cadre de nos questionnaires (de (0) non sollicités, (1)
un peu sollicités, (2) moyennement sollicités, (3) bien sollicités et (4) très sollicités) peut donc être
« transposée » comme suit pour l’analyse des résultats finaux : évaluation du « degré de similitude/différence »
entre les ICpcs et nos sept ITipp : (0) pas similaires/très différents, (1) un peu similaires/bien différents, (2)
moyennement similaires/moyennement différents, (3) bien similaires/peu différents et (4) très similaires/pas
différents.

313
Graphique A1
Graphique C1

Graphique B1
Degré de similitude avec l'idéaltype "instr. de comm. vert." Degré de similitude avec l'idéaltype "instrument céconomique" Degré de similitude avec l'idéaltype "instrument coercitif"
(0) pas, (1) un peu, (2) moyennement, (3) bien, (4) très … similaire (0) pas, (1) un peu, (2) moyennement, (3) bien, (4) très … similaire (0) pas, (1) un peu, (2) moyennement, (3) bien, (4) très … similaire

4
0

4
0

4
*re/re

*re

0.2
2.8
1.0

AV (AC1) AV (AC1) AV (AC1)

0.2
0.7
0.5

CC (AC2) CC (AC2) CC (AC2)


*ac

2.2

0.5
1.2

CC (AC3) CC (AC3) CC (AC3)

2.2

0.2
0.8

CC (AC4) CC (AC4) CC (AC4)


Instruments concrets de la politique climatique suisse (acteurs-cibles), cf. légende

Instruments concrets de la politique climatique suisse (acteurs-cibles), cf. légende

Instruments concrets de la politique climatique suisse (acteurs-cibles), cf. légende


*ac

0.2
3.0
0.3

CC (AC5) CC (AC5) CC (AC5)

0.0
0.3

2.8
CC (AC6) CC (AC6) CC (AC6)

Instruments de communication vertueuse


*re

*ac
*re
2.8

0.2
1.4

CO (AC7) CO (AC7) CO (AC7)

Instruments économiques
3.3

2.2
1.5

EF (AC8) EF (AC8) EF (AC8)

Instruments coercitifs
*ac

*ac
0.2

3.0

2.7
TCO2 (AC1) TCO2 (AC1) TCO2 (AC1)
*ac

3.7
1.0

2.7
TCO2 (AC2) TCO2 (AC2) TCO2 (AC2)

2.7
0.5

1.3
TCO2 (AC3) TCO2 (AC3) TCO2 (AC3)
0.8

2.3

1.2
TCO2 (AC4) TCO2 (AC4) TCO2 (AC4)

1.3
0.2

0.2
TCO2 (AC5) TCO2 (AC5) TCO2 (AC5)
0.3

1.3

0.2
TCO2 (AC6) TCO2 (AC6) TCO2 (AC6)
0.5

3.3

2.5
MécFlex (AC1) MécFlex (AC1) MécFlex (AC1)

*ac
*ac
1.0

2.7

1.3
MécFlex (AC2) MécFlex (AC2) MécFlex (AC2)
*re
0.4

3.7

0.2
MécFlex (AC3) MécFlex (AC3) MécFlex (AC3)
0.5

2.8

3.5
OblComp (AC1) OblComp (AC1) OblComp (AC1)
0.8

3.0

0.2
OblComp (AC2) OblComp (AC2) OblComp (AC2)
*ac
1.0

3.6

0.2
OblComp (AC3) OblComp (AC3) OblComp (AC3)
314
Graphique D1
Graphique E1
Graphique F1
Degré de similitude avec l'idéaltype "instr. de comm. exempl." Degré de similitude avec l'idéaltype "instr. de comm. in-form." Degré de similitude avec l'idéaltype "instr. de comm. aff."
(0) pas, (1) un peu, (2) moyennement, (3) bien, (4) très … similaire (0) pas, (1) un peu, (2) moyennement, (3) bien, (4) très … similaire (0) pas, (1) un peu, (2) moyennement, (3) bien, (4) très … similaire

4
0

*ac
2.2

0.0
0.3

AV (AC1) AV (AC1) AV (AC1)

0.8

0.3
0.2

CC (AC2) CC (AC2) CC (AC2)

*ac
3.0

0.0
0.3

CC (AC3) CC (AC3) CC (AC3)

*ac
2.0

0.2
0.5

CC (AC4) CC (AC4) CC (AC4)

Instruments concrets de la politique climatique suisse (acteurs-cibles), cf. légende


Instruments concrets de la politique climatique suisse (acteurs-cibles), cf. légende
Instruments concrets de la politique climatique suisse (acteurs-cibles), cf. légende

*ac

0.2
2.5
0.3

CC (AC5) CC (AC5) CC (AC5)

Instruments de communication in-formationnelle


*ac

0.3
2.0
0.3

CC (AC6) CC (AC6)

Instruments de communication exemplaire


CC (AC6)

Instruments de communication affective


*ac

0.2
2.7
0.8

CO (AC7) CO (AC7) CO (AC7)


*ac

0.2
2.7
0.8

EF (AC8) EF (AC8) EF (AC8)

*ac

0.2
2.0
0.3

TCO2 (AC1) TCO2 (AC1) TCO2 (AC1)

*ac

0.2
2.8
0.3

TCO2 (AC2) TCO2 (AC2) TCO2 (AC2)

0.2
1.8
0.5

TCO2 (AC3) TCO2 (AC3) TCO2 (AC3)

0.3
1.8
0.3

TCO2 (AC4) TCO2 (AC4) TCO2 (AC4)

*ac

0.2
1.2
0.5

TCO2 (AC5) TCO2 (AC5) TCO2 (AC5)

*ac

0.3
1.0
0.5

TCO2 (AC6) TCO2 (AC6) TCO2 (AC6)

0.2
1.5

2.7
MécFlex (AC1) MécFlex (AC1) MécFlex (AC1)
*ac

0.3
1.8

2.7
MécFlex (AC2) MécFlex (AC2) MécFlex (AC2)

*re
*ac
*ac
*re

0.2
2.7
0.8

MécFlex (AC3) MécFlex (AC3) MécFlex (AC3)

*ac

0.2
0.3

2.5
OblComp (AC1) OblComp (AC1) OblComp (AC1)

0.2
*ac
0.5

2.7
OblComp (AC2) OblComp (AC2) OblComp (AC2)

0.3
*ac
0.3

2.8

OblComp (AC3) OblComp (AC3) OblComp (AC3)


315
Graphique G1 Instruments d'aménagement et d'infrastructures

Degré de similitude avec l'idéaltype "instr. d'amé. et d'infra."


(0) pas, (1) un peu, (2) moyennement, (3) bien, (4) très … similaire
3

*ac *ac *ac *ac


2 1.8 1.8 1.8 1.8
1.7
*ac
*ac 1.3 *ac
1.2 1.2 *ac 1.2
1.0 1.0 *ac
1 0.8 0.8 0.8
0.7
0.5 0.5
0.3 0.3 0.3

TCO2 (AC1)

TCO2 (AC2)

TCO2 (AC3)

TCO2 (AC4)

TCO2 (AC5)

TCO2 (AC6)

OblComp (AC1)

OblComp (AC2)

OblComp (AC3)
CC (AC2)

CC (AC3)

CC (AC4)

CC (AC5)

CC (AC6)

CO (AC7)

EF (AC8)

MécFlex (AC1)

MécFlex (AC2)

MécFlex (AC3)
AV (AC1)

Instruments concrets de la politique climatique suisse (acteurs-cibles), cf. légende

Légende
Mesures librement consenties - (AC2) : Entreprises en tant que consommatrices
(directes ou indirectes) de combustibles et/ou de
AV : Accords volontaires
carburants ayant contracté un engagement formel et
- (AC1) : Fondation du Centime Climatique (mais a
donc ayant été exemptées de la taxe CO2
priori, tout acteur de types associatifs, fondations, etc.)
- (AC3) : Entreprises en tant que consommatrices
CC : Centime Climatique (directes ou indirectes) de combustibles et/ou de
- (AC2) : Les "consommateurs" directs ou indirects de carburants n’ayant pas contracté d’engagement formel
carburants (mais éventuellement une convention d’objectifs)
- (AC3) : Acteurs menant des projets en Suisse dans les - (AC4) : Individus/particuliers en tant que
domaines bâtiments/carburant/chaleur consommateurs (directs ou indirects) de combustibles
- (AC4) : Entreprises suisses ayant une Convention et/ou de carburants
d'objectifs dans le secteur des carburants ou des - (AC5) : Entreprises en tant que bénéficiaires de la
combustibles (achat de leurs résultats excédentaires à redistribution de la taxe par le biais de la masse
un prix compétitif) salariale (via la caisse de compensation AVS)
- (AC5) : Fonds d’investissement, Brokers, Traders - (AC6) : Individus/particuliers en tant que
(certificats par intermédiaire) qui investissent l'argent bénéficiaires de la redistribution de la taxe par le biais
pour le compte de la fondation CC dans des projets à de l’assurance maladie (via les primes)
l’étranger
- (AC6) : Propriétaires de projets à l’étranger MécFlex : Mécanismes de flexibilité
(certificats directs) bénéficiant directement des - (AC1) : Entreprises suisses ayant contracté un
investissements de la fondation CC engagement formel et ayant bénéficié de droits
d'émission à hauteur de leur objectif d'émission
CO : Conventions d’objectifs
- (AC2) : Entreprises suisses ayant contracté un
- (AC7) : Entreprises suisses (des PME aux grandes
engagement formel mais sans bénéficier de droits
entreprises) consommant des énergies fossiles et se
d'émission (entreprises sans objectif d'émission)
regroupant ou non en association
- (AC3) : Autres acteurs : meneurs/propriétaires de
EF : Engagement formel projets de réduction d'émissions à l'étranger, brookers,
- (AC8) : Entreprises suisses (des PME aux grandes traders, etc.
entreprises) consommant des énergies fossiles et se
regroupant ou non en association OblComp : Obligation de compensation
- (AC1) : Exploitants/constructeurs (actuels et futurs)
TCO2 : Taxe CO2 de centrales à gaz exemptés d'office de la taxe CO2
-(AC1) : Importateurs, fabricants, producteurs, - (AC2) : Meneurs (actuels ou potentiels) de projets de
commerçants (de marchandises non imposées ou réduction des émissions en Suisse (via
imposables à un taux plus élevé) et/ou entrepositaires investissements)
de combustibles et/ou de carburants - (AC3) : Meneurs (actuels ou potentiels) de projets de
réduction des émissions à l'étranger (via
investissements directs ou achats de certificats CO2)

316
Graphique A2 Instruments coercitifs

AV (AC1)
OblComp (AC3) 4 CC (AC2)

OblComp (AC2) CC (AC3)


3

OblComp (AC1) CC (AC4)


2

MécFlex (AC3) CC (AC5)


1

MécFlex (AC2) 0 CC (AC6)

MécFlex (AC1) CO (AC7)

TCO2 (AC6) EF (AC8)

TCO2 (AC5) TCO2 (AC1)

TCO2 (AC4) TCO2 (AC2)


TCO2 (AC3)

Graphique B2 Instruments économiques

AV (AC1)
OblComp (AC3) 4 CC (AC2)

OblComp (AC2) CC (AC3)


3
OblComp (AC1) CC (AC4)
2

MécFlex (AC3) CC (AC5)


1

MécFlex (AC2) 0 CC (AC6)

MécFlex (AC1) CO (AC7)

TCO2 (AC6) EF (AC8)

TCO2 (AC5) TCO2 (AC1)

TCO2 (AC4) TCO2 (AC2)


TCO2 (AC3)

Graphique C2 Instruments de communication vertueuse

AV (AC1)
OblComp (AC3) 4 CC (AC2)

OblComp (AC2) CC (AC3)


3
OblComp (AC1) CC (AC4)
2

MécFlex (AC3) CC (AC5)


1

MécFlex (AC2) 0 CC (AC6)

MécFlex (AC1) CO (AC7)

TCO2 (AC6) EF (AC8)

TCO2 (AC5) TCO2 (AC1)

TCO2 (AC4) TCO2 (AC2)


TCO2 (AC3)

317
Graphique D2 Instruments de communication affective

AV (AC1)
OblComp (AC3) 4 CC (AC2)

OblComp (AC2) CC (AC3)


3
OblComp (AC1) CC (AC4)
2

MécFlex (AC3) CC (AC5)


1

MécFlex (AC2) 0 CC (AC6)

MécFlex (AC1) CO (AC7)

TCO2 (AC6) EF (AC8)

TCO2 (AC5) TCO2 (AC1)

TCO2 (AC4) TCO2 (AC2)


TCO2 (AC3)

Graphique E2 Instruments de communication in-formationnelle

AV (AC1)
OblComp (AC3) 4 CC (AC2)

OblComp (AC2) CC (AC3)


3
OblComp (AC1) CC (AC4)
2

MécFlex (AC3) CC (AC5)


1

MécFlex (AC2) 0 CC (AC6)

MécFlex (AC1) CO (AC7)

TCO2 (AC6) EF (AC8)

TCO2 (AC5) TCO2 (AC1)

TCO2 (AC4) TCO2 (AC2)


TCO2 (AC3)

Graphique F2 Instruments de communication exemplaire

AV (AC1)
OblComp (AC3) 4 CC (AC2)

OblComp (AC2) CC (AC3)


3
OblComp (AC1) CC (AC4)
2

MécFlex (AC3) CC (AC5)


1

MécFlex (AC2) 0 CC (AC6)

MécFlex (AC1) CO (AC7)

TCO2 (AC6) EF (AC8)

TCO2 (AC5) TCO2 (AC1)

TCO2 (AC4) TCO2 (AC2)


TCO2 (AC3)

318
Graphique G2 Instruments d'aménagement et d'infrastructure

AV (AC1)
OblComp (AC3) 4 CC (AC2)

OblComp (AC2) CC (AC3)


3
OblComp (AC1) CC (AC4)
2

MécFlex (AC3) CC (AC5)


1

MécFlex (AC2) 0 CC (AC6)

MécFlex (AC1) CO (AC7)

TCO2 (AC6) EF (AC8)

TCO2 (AC5) TCO2 (AC1)

TCO2 (AC4) TCO2 (AC2)


TCO2 (AC3)

Légende
Mesures librement consenties - (AC2) : Entreprises en tant que consommatrices
(directes ou indirectes) de combustibles et/ou de
AV : Accords volontaires
carburants ayant contracté un engagement formel et
- (AC1) : Fondation du Centime Climatique (mais a
donc ayant été exemptées de la taxe CO2
priori, tout acteur de types associatifs, fondations, etc.)
- (AC3) : Entreprises en tant que consommatrices
CC : Centime Climatique (directes ou indirectes) de combustibles et/ou de
- (AC2) : Les "consommateurs" directs ou indirects de carburants n’ayant pas contracté d’engagement formel
carburants (mais éventuellement une convention d’objectifs)
- (AC3) : Acteurs menant des projets en Suisse dans les - (AC4) : Individus/particuliers en tant que
domaines bâtiments/carburant/chaleur consommateurs (directs ou indirects) de combustibles
- (AC4) : Entreprises suisses ayant une Convention et/ou de carburants
d'objectifs dans le secteur des carburants ou des - (AC5) : Entreprises en tant que bénéficiaires de la
combustibles (achat de leurs résultats excédentaires à redistribution de la taxe par le biais de la masse
un prix compétitif) salariale (via la caisse de compensation AVS)
- (AC5) : Fonds d’investissement, Brokers, Traders - (AC6) : Individus/particuliers en tant que
(certificats par intermédiaire) qui investissent l'argent bénéficiaires de la redistribution de la taxe par le biais
pour le compte de la fondation CC dans des projets à de l’assurance maladie (via les primes)
l’étranger
- (AC6) : Propriétaires de projets à l’étranger MécFlex : Mécanismes de flexibilité
(certificats directs) bénéficiant directement des - (AC1) : Entreprises suisses ayant contracté un
investissements de la fondation CC engagement formel et ayant bénéficié de droits
d'émission à hauteur de leur objectif d'émission
CO : Conventions d’objectifs
- (AC2) : Entreprises suisses ayant contracté un
- (AC7) : Entreprises suisses (des PME aux grandes
engagement formel mais sans bénéficier de droits
entreprises) consommant des énergies fossiles et se
d'émission (entreprises sans objectif d'émission)
regroupant ou non en association
- (AC3) : Autres acteurs : meneurs/propriétaires de
EF : Engagement formel projets de réduction d'émissions à l'étranger, brookers,
- (AC8) : Entreprises suisses (des PME aux grandes traders, etc.
entreprises) consommant des énergies fossiles et se
regroupant ou non en association OblComp : Obligation de compensation
- (AC1) : Exploitants/constructeurs (actuels et futurs)
TCO2 : Taxe CO2 de centrales à gaz exemptés d'office de la taxe CO2
-(AC1) : Importateurs, fabricants, producteurs, - (AC2) : Meneurs (actuels ou potentiels) de projets de
commerçants (de marchandises non imposées ou réduction des émissions en Suisse (via
imposables à un taux plus élevé) et/ou entrepositaires investissements)
de combustibles et/ou de carburants - (AC3) : Meneurs (actuels ou potentiels) de projets de
réduction des émissions à l'étranger (via
investissements directs ou achats de certificats CO2)

319
Graphique A3 Mesures librements consenties (acteurs cibles)

Idéaltype instrument coercitif


4

Idéaltype instrument d'aménagement et 3


iIdéaltype instrument économique
d'infrastructure
2

0
Idéaltype instrument de communication Idéaltype instrument de communication
exemplaire vertueuse

Idéaltype instrument de communication in- Idéaltype instrument de communication


formationnelle affective

CO (AC7) EF (AC8) AV (AC1)

Graphique B3 Centime climatique (acteurs cibles)

Idéaltype instrument coercitif


4

Idéaltype instrument d'aménagement et 3


iIdéaltype instrument économique
d'infrastructure
2

0
Idéaltype instrument de communication Idéaltype instrument de communication
exemplaire vertueuse

Idéaltype instrument de communication in- Idéaltype instrument de communication


formationnelle affective

CC (AC2) CC (AC3) CC (AC4) CC (AC5) CC (AC6)

Graphique C3 Taxe CO2 (acteurs cibles I)

Idéaltype instrument coercitif


4

Idéaltype instrument d'aménagement et 3


iIdéaltype instrument économique
d'infrastructure
2

0
Idéaltype instrument de communication Idéaltype instrument de communication
exemplaire vertueuse

Idéaltype instrument de communication in- Idéaltype instrument de communication


formationnelle affective

TCO2 (AC1) TCO2 (AC2)

320
Graphique D3 Taxe CO2 (acteurs cibles II)

Idéaltype instrument coercitif


4

Idéaltype instrument d'aménagement et 3


iIdéaltype instrument économique
d'infrastructure
2

0
Idéaltype instrument de communication Idéaltype instrument de communication
exemplaire vertueuse

Idéaltype instrument de communication in- Idéaltype instrument de communication


formationnelle affective

TCO2 (AC3) TCO2 (AC4)

Graphique E3 Taxe CO2 (acteurs cibles III)

Idéaltype instrument coercitif


4

Idéaltype instrument d'aménagement et 3


iIdéaltype instrument économique
d'infrastructure
2

0
Idéaltype instrument de communication Idéaltype instrument de communication
exemplaire vertueuse

Idéaltype instrument de communication in- Idéaltype instrument de communication


formationnelle affective

TCO2 (AC5) TCO2 (AC6)

Graphique F3 Méc Flex (acteurs cibles)

Idéaltype instrument coercitif


4

Idéaltype instrument d'aménagement et 3


iIdéaltype instrument économique
d'infrastructure
2

0
Idéaltype instrument de communication Idéaltype instrument de communication
exemplaire vertueuse

Idéaltype instrument de communication in- Idéaltype instrument de communication


formationnelle affective

MécFlex (AC1) MécFlex (AC2) MécFlex (AC3)

321
Graphique G3 Obl Comp (acteurs cibles)

Idéaltype instrument coercitif


4

Idéaltype instrument d'aménagement et 3


iIdéaltype instrument économique
d'infrastructure
2

0
Idéaltype instrument de communication Idéaltype instrument de communication
exemplaire vertueuse

Idéaltype instrument de communication in- Idéaltype instrument de communication


formationnelle affective

OblComp (AC1) OblComp (AC2) OblComp (AC3)

Légende
Mesures librement consenties - (AC2) : Entreprises en tant que consommatrices
(directes ou indirectes) de combustibles et/ou de
AV : Accords volontaires
carburants ayant contracté un engagement formel et
- (AC1) : Fondation du Centime Climatique (mais a
donc ayant été exemptées de la taxe CO2
priori, tout acteur de types associatifs, fondations, etc.)
- (AC3) : Entreprises en tant que consommatrices
CC : Centime Climatique (directes ou indirectes) de combustibles et/ou de
- (AC2) : Les "consommateurs" directs ou indirects de carburants n’ayant pas contracté d’engagement formel
carburants (mais éventuellement une convention d’objectifs)
- (AC3) : Acteurs menant des projets en Suisse dans les - (AC4) : Individus/particuliers en tant que
domaines bâtiments/carburant/chaleur consommateurs (directs ou indirects) de combustibles
- (AC4) : Entreprises suisses ayant une Convention et/ou de carburants
d'objectifs dans le secteur des carburants ou des - (AC5) : Entreprises en tant que bénéficiaires de la
combustibles (achat de leurs résultats excédentaires à redistribution de la taxe par le biais de la masse
un prix compétitif) salariale (via la caisse de compensation AVS)
- (AC5) : Fonds d’investissement, Brokers, Traders - (AC6) : Individus/particuliers en tant que
(certificats par intermédiaire) qui investissent l'argent bénéficiaires de la redistribution de la taxe par le biais
pour le compte de la fondation CC dans des projets à de l’assurance maladie (via les primes)
l’étranger
- (AC6) : Propriétaires de projets à l’étranger MécFlex : Mécanismes de flexibilité
(certificats directs) bénéficiant directement des - (AC1) : Entreprises suisses ayant contracté un
investissements de la fondation CC engagement formel et ayant bénéficié de droits
d'émission à hauteur de leur objectif d'émission
CO : Conventions d’objectifs
- (AC2) : Entreprises suisses ayant contracté un
- (AC7) : Entreprises suisses (des PME aux grandes
engagement formel mais sans bénéficier de droits
entreprises) consommant des énergies fossiles et se
d'émission (entreprises sans objectif d'émission)
regroupant ou non en association
- (AC3) : Autres acteurs : meneurs/propriétaires de
EF : Engagement formel projets de réduction d'émissions à l'étranger, brookers,
- (AC8) : Entreprises suisses (des PME aux grandes traders, etc.
entreprises) consommant des énergies fossiles et se
regroupant ou non en association OblComp : Obligation de compensation
- (AC1) : Exploitants/constructeurs (actuels et futurs)
TCO2 : Taxe CO2 de centrales à gaz exemptés d'office de la taxe CO2
-(AC1) : Importateurs, fabricants, producteurs, - (AC2) : Meneurs (actuels ou potentiels) de projets de
commerçants (de marchandises non imposées ou réduction des émissions en Suisse (via
imposables à un taux plus élevé) et/ou entrepositaires investissements)
de combustibles et/ou de carburants - (AC3) : Meneurs (actuels ou potentiels) de projets de
réduction des émissions à l'étranger (via
investissements directs ou achats de certificats CO2)

322
13.3 Interprétation des résultats finaux par idéauxtypes d’instruments politiques
(lecture des graphiques A1 à G1 et A2 à G2)

Dans le cadre de cette première analyse, nous vous proposons une lecture horizontale des
graphiques A1 à G1 et A2 à G2 qui permet ainsi d’étudier les résultats de l’évaluation du
panel d’experts par idéauxtypes d’instruments pour chacun des vingt instruments concrets de
la politique climatique suisse (associés à leurs acteurs-cibles) que nous avons identifiés.

A) Idéaltype instrument coercitif


Sur la base des graphiques A1 et A2, nous pouvons mettre en évidence quatre groupes
d’instruments concrets qui se différencient de manière significative quant à leur niveau de
similitude avec l’idéaltype « instrument coercitif ».

Le premier groupe d’instruments est composé des instruments OblComp-AC1 (3.5) et TCO2-
AC1-AC2 (2.7). Ils sont tous les trois évalués comme des instruments de type bien coercitif.
Notons cependant que pour l’instrument TCO2-AC1, l’évaluation ne recueille pas un niveau
de consensus « convenable ». Néanmoins, l’évaluation des experts (2 2 2 2 4 4) n’est dans
tous les cas pas inférieure à 2 (degré de similitude moyen), ce qui nous permet de dire que
l’instrument TCO2-AC1 peut être considéré comme un instrument au minimum de type
moyennement coercitif, ce qui le placerait, tout au plus, dans le deuxième groupe
d’instruments définis ci-dessous.

Le deuxième groupe d’instruments est composé des instruments MécFlex-AC1 (2.5) et EF-
AC8 (2.2). Ce sont des instruments qui peuvent être qualifiés d’un peu plus que moyennement
coercitifs.

Le troisième groupe d’instruments est composé des instruments TCO2-AC3-AC4 (1.3 et 1.2)
et MécFlex-AC2 (1.3). Ce sont des instruments qui peuvent être qualifiés de type peu coercitif
avec, pourtant, cette précision concernant le dernier instrument : son évaluation par le panel
d’experts n’est pas jugée comme convenablement consensuelle et le résultat de l’évaluation (0
0 2 2 2 2) montre qu’il pourrait être considéré au maximum comme un instrument de type
moyennement coercitif. Sa position dans ce groupe n’est donc pas fortement ancrée et elle
peut donc être étendue au deuxième groupe ci-dessus.

Le quatrième et dernier groupe d’instruments est composé des douze instruments restants. Ce
sont des instruments de type non coercitif.

Notons ainsi que, d’une manière générale, les instruments concrets de la politique climatique
suisse sont des instruments de type peu coercitif.

Soulignons enfin le fait que des instruments sont évalués de manière significativement
différente en fonction de l’acteur-cible pris en considération. Ce constat est particulièrement
probant pour l’instrument TCO2 qui peut donc être interprété comme un instrument de type
coercitif (par exemple au regard de AC2) à peu coercitif (vis-à-vis de AC5 et AC6). Il en va
de même pour les instruments MécFlex ou OblComp. A contrario, l’instrument CC est évalué
comme un instrument non coercitif quelque soit l’acteur-cible pris en considération.

323
B) Idéaltype instrument économique
Comparativement à l’analyse concernant l’idéaltype instrument coercitif, nous pouvons
constater sur les graphiques B1 et B2 que les instruments concrets de la politique climatique
suisse peuvent être, de manière générale, considérés comme des instruments de type
économique.

En effet, seuls trois instruments ne sont pas évalués au moins comme des instruments de type
moyennement économique : l’instrument CC-AC2 et les instruments TCO2-AC5-AC6. Ce
sont sans aucun doute les montants (actuellement) en jeu qui font que l’effet incitatif de ces
instruments n’est pas significatif et qu’ils ne sont donc pas évalués comme des instruments
économiques du point de vue de l’acteur-cible. Cependant, nous pouvons postuler qu’avec des
montants plus conséquents (c’est-à-dire dans le cas d’une augmentation de la taxe CO2),
l’évaluation des experts ne seraient pas identique.

Soulignons cependant que l’évaluation de certains instruments font l’objet d’une absence de
consensus convenable et/ou du maintient d’une réponse « extrême ».

Ainsi, une absence de consensus convenable est à relever pour l’évaluation de l’instrument
TCO2-AC1 et CC-AC5. Toutefois, les résultats de l’évaluation des experts (respectivement 2
2 3 3 4 4 et 2 2 3 3 4 4) montrent qu’ils peuvent être interprétés dans tous les cas comme des
instruments de type au moins moyennement économique. Ce constat ne remet donc pas en
question nos propos précédents (c’est-à-dire que les instruments de la politique climatique
suisse sont de nature plutôt économique).

Par ailleurs, l’évaluation de deux instruments a fait l’objet du maintient d’une réponse
« extrême » par un expert : l’instrument CO-AC7, dont l’évaluation fait par ailleurs l’objet
d’une absence de consensus convenable (0 / 2 2 2 4 4) et l’instrument AV-AC1 (1 / 2 2 3 3 4).

En effet, un expert se distingue dans son évaluation en remettant en cause le réel effet incitatif
de ces types d’instruments sur le calcul coût-bénéfice des acteurs-cibles dans la mesure où, du
point de vue de ces derniers, il est évident que leur action ne va pas influencer la décision
d’introduire la taxe CO2. Pour cet expert, ce type de mesures repose ainsi beaucoup plus sur
les dispositions vertueuses des acteurs-cibles afin de modifier leur comportement (cf. analyse
de l’idéaltype instrument de communication vertueuse ci-après). Pour notre part, nous
sommes en accord avec ce point de vue, mais nous pensons que l’expert a ici négligé le fait
que l’instrument des conventions d’objectifs (CO-AC7) permet aux entreprises de réduire leur
consommation d’énergie et donc de réaliser des bénéfices et que les accords volontaires (AV-
AC1), sont pour le cas du centime climatique, spécifiquement dédiés à repousser l’entrée en
force de la taxe CO2 et, pour le cas d’autres accords envisageables avec des entreprises,
fonctionneraient sur le même mode que les conventions d’objectifs.

Par conséquent, nous jugeons que cette argumentation, bien qu’intéressante, ne remet pas en
cause l’analyse effectuée jusqu’à présent.

C) Idéaltype instrument de communication vertueuse


De même que pour l’idéaltype d’instrument coercitif, nous pouvons constater sur la base de
graphiques C1 et C2 que les instruments de la politique climatique suisse ne sont pas évalués
comme des instruments de (type) communication vertueuse (moyennes ≤ 1.5). Néanmoins la

324
présence d’un certain nombre de réponses extrêmes maintenues et d’absence de consensus
nous indique que l’analyse doit être un peu plus affinée.

Concernant les réponses « extrêmes » maintenues, nous pouvons souligner qu’une évaluation
fait l’objet d’une double réponse extrême et que deux autres évaluations en font l’objet d’une
seule. Les instruments en question sont CO-AC7 (1 1 1 2 2 / 4), AV-AC1 (0 1 1 2 / 3 4) et
MécFlex-AC3 (0 0 0 1 1 / 3). Ces réponses « extrêmes » sont justifiées de la sorte par les deux
experts dont elles émanent :

• d’une part les mesures librement consenties telles que les conventions d’objectifs (CO-
AC7) et les accords volontaires (AV-AC1) n’existeraient pas sans dispositions un peu
vertueuses de la part des acteurs qui y adhèrent volontairement ; d’ailleurs l’un des
deux experts souligne le fait que l’accord volontaire dit du Centime Climatique a été
proposé par ses « inventeurs » pour contrer l’introduction d’une taxe CO2 qui ne
correspond pas à leurs valeurs profondes ;

• d’autre part, le deuxième expert indique que certains acteurs visés par les mécanismes
de flexibilité (MécFlex-AC3) peuvent utiliser ce système pour acheter et détruire des
certificats de manière altruiste.

Concernant les évaluations qui ne font pas l’objet d’un consensus jugé comme convenable,
soit celles relatives aux instruments CC-AC3 (0 0 2 2 2 / r aberrante), TCO2-AC2 (0 0 1 1 2
2), MécFlex-AC2 (0 0 1 1 2 2) et OblComp-AC3 (0 0 1 1 2 2), celles-ci montrent dans tous
les cas que ces instruments peuvent être évalués tout au plus moyennement comme des
instruments de communication vertueuse.

Par conséquent, nous pouvons admettre que quelques instruments, notamment les conventions
d’objectifs (CO-AC7), les accords volontaires (AV-AC1) et les mécanismes de flexibilité
(MécFlex-AC2-AC3) peuvent constituer des instruments de communication vertueuse de
manière un peu plus conséquente que ne le laissent penser les graphiques C1 et C2.

D) Idéaltype instrument de communication affective


Les graphiques D1 et D2 nous montrent que les instruments de la politique climatique suisse
ne sont pas des instruments de communication affective (moyennes ≤ 0.3). Tout au plus, une
réponse « extrême » indique le fait que l’instrument MécFlex-AC3 peut jouer sur la corde
sensible de certains acteurs ciblés par celui-ci afin que ceux-ci l’utilise pour retirer
définitivement des certificats du marché sur la base d’une motivation émotionnelle. Toutefois,
cela semble constituer plus une exception que la règle ; la remarque est toutefois pertinente et
va dans le sens de la remarque de ce même expert concernant la motivation vertueuse de tels
acteurs dans la même situation.

E) Idéaltype instrument de communication in-formationnelle


Les graphiques E1 et E2 laissent à penser que les instruments de la politique climatique suisse
peuvent être considérés, de manière générale, comme des instruments plutôt de type in-
formationnel.

Cependant, la présence d’un nombre conséquent d’évaluation sans consensus convenable


nous indique que l’interprétation des résultats reste difficile à effectuer et pose tout de même

325
la question de savoir si le concept d’instrument de communication in-formationnel a été
compris de manière identique par les experts.

C’est pourquoi nous ne nous confronterons pas à une quelconque interprétation des résultats,
même si nous pouvons constater que les experts se rejoignent dans leur évaluation pour
quelques instruments, par exemple, pour les instruments CO-AC7 et EF-AC8 qui sont évalués
de manière consensuelle comme des instruments de communication in-formationnelle
(moyennes = 2.7).

F) Idéaltype instrument de communication exemplaire


De même que pour les idéauxtypes d’instruments coercitifs et de communication vertueuse et
affective, nous pouvons constater sur la base des graphiques F1 et F2 que les instruments de la
politique climatique suisse ne sont pas évalués, de manière générale, comme des instruments
de (type) exemplaire (moyennes ≤ 0.5 à cinq exceptions près).

Néanmoins la présence d’une réponse « extrême » et d’une absence de consensus convenable


pour quatre évaluations retiennent notre attention dans ce sens. Les instruments CO-AC7 (0 0
0 1 2 2), EF-AC8 (0 0 0 1 2 2) et MécFlex-AC2-AC3 (1 1 1 2 3 3 et 0 0 0 2 2 / 4) se
démarquent néanmoins et l’absence de consensus convenable pour ces instruments indiquerait
un plus haut niveau de similitude avec l’idéaltype d’instrument exemplaire que ne le laisse
transparaître les graphiques à première vue.

Ainsi, dans le cadre des mécanismes de flexibilité, par exemple, nous pouvons dire que les
acteurs-cibles ont une tendance à se laisser entraîner par l’Etat dans le processus et ainsi
d’adopter leur comportement par mimétisme : ils participent aux mécanismes d’échange de
certificats pour « faire comme l’Etat » qui lui y participe au niveau international. La
justification de l’expert relative à sa réponse « extrême » concernant l’instrument
MécFlex-AC2 va d’ailleurs dans ce sens.

G) Idéaltype instrument d’aménagement et d’infrastructures


Tout comme pour l’idéaltype instrument de communication in-formationnelle, la présence
d’un nombre conséquent d’évaluations sans consensus convenable souligne la difficulté
d’interpréter les résultats des graphiques G1 et G2, posant ainsi une nouvelle fois la question
de la compréhension par les experts du concept d’instrument d’aménagement et
d’infrastructure.

C’est pourquoi nous ne nous confronterons pas à une quelconque interprétation des résultats,
même si nous pouvons supposé sur la base des graphiques G1 et G2 que les instruments de la
politique climatique suisse ne peuvent être que peu considérés comme des instruments
d’aménagement et d’infrastructures, horsmis quelques instruments dont les résultats sont
difficilement interprétables (AV-AC1, CO-AC7, TCO2-AC2-AC3-AC4-AC5, MécFlex-AC1
et OblComp-AC2-AC3).

326
13.4 Interprétation des résultats finaux par instruments concrets (lecture verticale des
graphiques A1 à G1 et lecture des graphiques A3 à G3)

Dans le cadre de cette seconde analyse, nous vous proposons une lecture verticale des
graphiques A1 à G1 qui permet ainsi d’étudier les résultats de l’évaluation du panel d’experts
pour chaque instrument concret de la politique climatique suisse en fonction des sept
idéauxtypes d’instruments politiques. Ainsi, il s’agit cette fois de ne prendre en compte que
les instruments de la même couleur dans chacun des sept histogrammes.

Notons ici que nous avons choisi de ne pas interpréter dans le cadre de cette analyse les
réponses relatives aux idéauxtypes d’instruments de communication in-formationnelle et
d’aménagement et d’infrastructure, compte tenu de nos commentaires sur la réelle
compréhension uniforme des ces types d’instruments par les experts.

Par ailleurs, nous avons également produit des graphiques de type radar/toile d’araignée pour
chaque « famille » d’instruments qui reprennent les moyennes de l’évaluation des experts
pour chaque instrument concret de la politique climatique suisse en fonction des sept
idéauxtypes d’instruments (cf. graphiques A3 à G3).

A) Les accords volontaires du type centime climatique – AV-AC1


Sur la base des graphiques A1 à G1 et A3 à G3 et compte tenu de nos commentaires relatifs
aux réponses « extrêmes » et non consensuelles, nous pouvons dire que l’instrument des
accords volontaires (type centime climatique) n’est pas considéré comme un instrument
coercitif, ni d’ailleurs comme un instrument de communication affective ou exemplaire. A
contrario, les accords volontaires sont considérés comme des instruments économiques et
pourraient, dans une certaine mesure, être considérés comme des instruments de
communication vertueuse.

B) Le centime climatique – CC-AC2-AC3-AC4-AC5-AC6


Sur la base des graphiques A1 à G1 et A3 à G3 et compte tenu de nos commentaires relatifs
aux réponses « extrêmes » et non consensuelles, nous pouvons dire que les instruments
découlant de l’accord volontaire du centime climatique ne sont considérés par les experts
qu’en tant qu’instrument de type économique, à l’exception de l’instrument CC-AC2 qui n’est
pas considéré comme agissant sur le calcul coût-bénéfice des acteurs qu’il cible et de
l’instrument CC-AC3 qui peut être considéré tout au plus moyennement comme un
instrument de communication vertueuse.

C) Les conventions d’objectifs – CO-AC7


Sur la base des graphiques A1 à G1 et A3 à G3 et compte tenu de nos commentaires relatifs
aux réponses « extrêmes » et non consensuelles, nous pouvons dire que l’instrument des
conventions d’objectifs peut être au moins moyennement considéré comme un instrument
économique et qu’il pourrait être considéré, dans une certaine mesure, comme un instrument
de communication vertueuse. Par ailleurs, il peut également être considéré tout au plus
moyennement comme un instrument de communication exemplaire. A contrario, il n’est pas
considéré comme un instrument coercitif, ni comme un instrument de communication
affective.

327
D) Les engagements formels – EF-AC8
Sur la base des graphiques A1 à G1 et A3 à G3 et compte tenu de nos commentaires relatifs
aux réponses « extrêmes » et non consensuelles, nous pouvons dire que l’instrument des
engagements formels est considéré comme un instrument économique, de même que comme
un instrument moyennement coercitif. Il est également considéré, dans une moindre mesure
comme un instrument de communication vertueuse et peut être considéré tout au plus
moyennement comme un instrument de communication exemplaire. A contrario, il n’est pas
considéré comme instrument de communication affective.

E) La taxe CO2 – TCO2-AC1-AC2-AC3-AC4-AC5-AC6


Sur la base des graphiques A1 à G1 et A3 à G3 et compte tenu de nos commentaires relatifs
aux réponses « extrêmes » et non consensuelles, nous pouvons dire que :

• l’instrument TCO2-AC1 peut être considéré au moins moyennement comme un


instrument coercitif et économique ; à contrario, il n’est pas considéré comme un
instrument de communication vertueuse, affective ou exemplaire ;

• l’instrument TCO2-AC2 est considéré comme un instrument coercitif et économique


et, tout au plus, peut être considéré moyennement comme un instrument de
communication vertueuse ; à contrario, il n’est pas considéré comme un instrument de
communication affective ni exemplaire ;

• l’instrument TCO2-AC3-AC4 est considéré comme un instrument économique et dans


une moindre mesure comme un instrument coercitif ; à contrario, il n’est pas
considéré comme instrument de communication vertueuse, affective ou exemplaire ;

• l’instrument TCO2-AC5-AC6 est considéré uniquement comme un instrument un peu


économique ; à contrario, il n’est pas considéré comme un instrument coercitif, ni de
communication vertueuse, affective ou exemplaire.

F) Les mécanismes de flexibilité – MécFlex-AC1-AC2-AC3


Sur la base des graphiques A1 à G1 et A3 à G3 et compte tenu de nos commentaires relatifs
aux réponses « extrêmes » et non consensuelles, nous pouvons dire que :

• l’instrument MécFlex-AC1 est considéré comme un instrument économique et dans


une moindre mesure coercitif ; à contrario, il n’est que peu considéré comme un
instrument de communication exemplaire et encore moins comme un instrument de
communication vertueuse ou affective ;

• l’instrument MécFlex-AC2 est considéré comme un instrument économique et peut


être tout au plus moyennement considéré comme un instrument coercitif et de
communication vertueuse ; par ailleurs, il peut également être considéré comme un
instrument de communication exemplaire dans une certaine mesure ;

• l’instrument MécFlex-AC3 est considéré comme un instrument économique et


pourrait également être considéré, dans une certaine mesure, comme un instrument de
communication vertueuse, affective et exemplaire ; à contrario, il n’est pas considéré
comme un instrument coercitif.

328
G) L’obligation de compensation – OblComp-AC1-AC2-AC3)
Sur la base des graphiques A1 à G1 et A3 à G3 et compte tenu de nos commentaires relatifs
aux réponses « extrêmes » et non consensuelles, nous pouvons dire que :

• l’instrument OblComp-AC1 est considéré comme un instrument coercitif et


économique ; à contrario il n’est pas considéré comme un instrument de
communication vertueuse, affective ou exemplaire ;

• l’instrument OblComp-AC2 est considéré comme un instrument économique ; à


contrario, il n’est pas considéré comme un instrument coercitif, ni comme un
instrument de communication vertueuse, affective ou exemplaire ;

• l’instrument OblComp-AC3 est considéré comme un instrument économique et peut


être considéré tout au plus moyennement comme un instrument de communication
vertueuse ; à contrario, il n’est pas considéré comme un instrument coercitif, ni
comme un instrument de communication affective ou exemplaire.

13.5 Quid de nos hypothèses de travail

Pour rappel, l’analyse de la politique climatique suisse que nous nous proposons d’effectuer
se décline sous trois aspects, compréhensif, explicatif et méthodologique, et tente ainsi de
répondre aux questions générales suivantes :

quels sont les types d’instruments de la politique climatique suisse ? (et comment
sont-ils articulés ?)

dans quelle mesure le choix des types d’instruments de la politique climatique


suisse [variable types d’instruments] peut être mis en relation avec (expliquer par)
la complexité des acteurs cibles [variable complexité sociale] ?

notre typologie est-elle fructueuse, nos déterminants comportementaux (hypothèses


comportementales) sont-ils pertinents ? notre méthodologie (idéaltypique) permet-
elle de faire ressortir toute la complexité instrumentale, ou, en d’autres termes la
multi-dimensionnalité des instruments concrets ?

Sur la base de nos développements précédents, nous les avons déclinées sous la forme
d’hypothèses de travail que nous nous proposons maintenant de confronter aux résultats que
nous avons obtenus. Par la même occasion, nous replacerons nos propos au sein du cadre
théorique qui les sous-tend.

13.5.1 Quid de l’hypothèse compréhensive n°1


instruments (concrets) de la politique climatique suisse = types instruments non coercitifs

Notre première hypothèse compréhensive souligne que la politique climatique suisse, en tant
que politique récente, ne devrait pas avoir recours à des instruments de type coercitif, ceci en
adéquation avec l’évolution historique des modalités d’intervention étatique – mise en

329
évidence dans la littérature spécialisée (notamment par Morand) – vers une intervention de
moins en moins contraignante.

L’analyse que nous avons effectuée montre que cette hypothèse n’est que partiellement
vérifiée, voire invalidée si l’on dépasse la seule addition quantitative des instruments
politiques analysés.

En effet, si la majorité (quantitative) des instruments de la politique climatique suisse ne sont


pas considérés comme des instruments de type coercitif (AV-AC1, CC-AC2-AC3-AC4-AC5-
AC6, CO-AC7, TCO2-AC3-AC4-AC5-AC6, MécFlex-AC2-AC3, OblComp-AC2-AC3), il
n’en reste pas moins que, sur le plan qualitatif, les mesures phares de la politique, en terme de
conception, mais également, pour la plupart, en terme de public-cibles visés, sont de nature
coercitive.

Ainsi, les piliers de la législation sur le CO2 que sont les engagements formels (EF-AC8), la
taxe CO2 (considérée tant du point de vue des acteurs assujettis à la taxe que du point de vue
des entreprises avec engagement formel, TCO2-AC1-AC2), les mécanismes de flexibilité
(considérés du point de vue des entreprises avec engagement formel, MécFlex-AC1) et
l’obligation de compensation pour les exploitants de centrales à gaz (OblComp-AC1) sont des
instruments de nature coercitive.

Néanmoins, ces considérations se doivent d’être mises en lumière à l’aune de l’hypothèse


compréhensive n°2 et du principe de la contrainte minimale.

13.5.2 Quid de l’hypothèse compréhensive n°2


articulation des instruments (concrets) de la politique climatique suisse = combinaison des
instruments les moins contraignants [types instruments non coercitifs] aux instruments les
plus contraignants [types instruments coercitifs] de manière subsidiaire ou non

Conformément au principe de la contrainte minimale également mis en évidence dans la


littérature spécialisée, les instruments de nature plus « contraignante » (entendons coercitive)
ne sont prévus que de manière subsidiaire (dès la phase de conception de la politique) ou
n’ont été introduits qu’à la suite de l’échec des instruments moins contraignants (suite à
l’évolution de la politique).

Afin de vérifier si cette hypothèse est applicable à la politique climatique suisse, il nous faut
rapidement rappeler quelle est l’articulation des instruments prévue dans le cadre de la
législation sur le CO2, articulation que nous avons résumée dans le cadre de l’étude
descriptive de la politique climatique suisse sous la forme des Figures 32 et 36 que nous
avons synthétisé en une seule illustration pour l’occasion (Cf. Figure 38 ci-après).

En effet, comme nous avons pu le constater par le passé, les instruments de la politique
climatique suisse sont articulés (de manière complexe) au sein d’une combinaison
interdépendante et temporellement séquencée par deux phases : une première phase volontaire
et une seconde phase dite subsidiaire.

Ainsi, dans le cadre de la première phase dite des mesures volontaires, la législation sur le
CO2 repose « uniquement » sur les instruments AV-AC1, CC-AC2-AC3-AC4-AC5-AC6,
CO-AC7, soit des instruments de nature non coercitive. Ce n’est que dans une seconde étape

330
de nature subsidiaire que la législation prévoit la mise en œuvre des instruments que le panel a
évalué comme étant coercitifs, à savoir EF-AC8, TCO2-AC1-AC2 (voire AC3-AC4) et
MécFlex-AC1 (voire AC2).

Cependant, une exception peut être faite à ce constat. En effet, l’obligation de compensation
pour les exploitants de centrales à gaz, un instrument coercitif par excellence, n’a pas été
prévue sous le couvert d’une quelconque subsidiarité mais a été mise en place, certes non pas
dès le début de la législation, mais de manière ad hoc par la suite.

Figure 38 : L’articulation des d’instruments prévue dans le cadre de la législation sur le CO2 et
effectivités des mesures
Taxe CO2 (TCO2)
Introduite le 1er janvier 2008

Engagements formels (EF)


Effectifs avec l’introduction de la Taxe CO2
Conventions d’objectifs avec entreprises
(CO)
Accord volontaire (AV)
Mai 2000
Centime climatique (CC)
Prélevé depuis le 1er octobre 2005

Mise en œuvre des mécanismes de flexibilité


en Suisse (MécFlex) - Octobre 2007

Obligation de compenser pour les centrales


à gaz (OblComp) - Janvier 2008

Phase subsidiaire : taxe CO2, engagements formels et


mécanismes de flexibilité
Phase volontaire : conventions

… 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 …

Source : l’auteur

Aussi, tout en rappelant que sans l’introduction d’une taxe CO2 la mise en œuvre des
engagements formels et des mécanismes de flexibilité n’étaient tout simplement pas possible
– la taxe CO2 ayant été prévue comme une menace à faire planer sur la phase des mesures
volontaires pour que celles-ci produisent des effets et ne pouvant être mise en œuvre si les
mesures volontaires pouvaient à elles seules remplir les objectifs de réduction – nous pouvons
ainsi confirmer notre deuxième hypothèse compréhensive et souligner l’application dans le
cadre de la politique climatique suisse du principe de la contrainte minimale tel que nous
l’avons défini : en effet, les instruments de type coercitif ne sont prévus que de manière
subsidiaire et leur introduction n’est planifiée qu’en cas d’échec des instruments moins
contraignants, exception faite de l’instrument obligation de compensation (exception qui peut
s’expliquer par la nature de l’acteur ciblé par la mesure, voir ci-après).

331
A noter qu’en ce qui concerne l’instrument des engagements formels, nous pouvons parler de
mesure volontairement ou librement contraignante dans la mesure où ce n’est qu’une fois
l’engagement contracté que celui-ci devient réellement coercitif.

13.5.3 Quid de l’hypothèse compréhensive n°3


instruments (concrets) de la politique climatique suisse ≠ type instrument économique

En suivant la première partie de l’hypothèse culturelle formulée par Salamon (2002), les
instruments conformes à la logique du marché, soit les instruments économiques, ne seraient
pas privilégiés au sein de la politique climatique suisse, une politique de l’ancien continent.

Cette affirmation est infirmée par l’analyse instrumentale de la politique climatique suisse. En
effet, nous avons pu constater que la grande majorité des instruments de la politique
climatique suisse peut être considérée comme des instruments de type économique conformes
à la logique du marché, taxe CO2 et mécanismes de flexibilité en tête.

Cependant, la deuxième partie de son hypothèse, selon laquelle les politiques de l’ancien
continent seraient plus interventionnistes (comprenons à prérogative contraignante, par
opposition aux instruments non-contraignants), semble corroborer dans la mesure où nous
avons constaté que des instruments de type coercitif sont bel et bien mis en œuvre dans le
cadre de la politique climatique suisse, mais, certes, sous le couvert du principe de
subsidiarité. L’Etat ne semble donc pas lâcher sa prérogative interventionniste, tout du moins
tente de (et réussit à) la garder.

Toutefois, ces considérations sont à replacer dans le contexte théorique et méthodologique qui
est le nôtre et qui nous ont permis de démontrer que les instruments de la politique climatique
suisse sont de nature multidimensionnelle et partagent notamment les caractéristiques des
instruments de type coercitif tout autant que des instruments de type économique.

13.5.4 Quid de nos hypothèses explicatives


niveau de complexité des acteurs-cibles  lien  (types) d’instruments de la politique
climatique suisse

a) acteur(s)-cible(s) complexe(s)  (type) instrument non-coercitif


b) acteur(s)-cible(s) non-complexe(s)  (type) instrument coercitif
c) acteur(s)-cible(s) complexe(s)  (type) instrument économique

Dans le cadre nos hypothèses explicatives, nous postulons que le choix final des instruments
politiques d’une législation peut être (en partie) expliqué par le niveau de complexité des
acteurs ciblés par ces mesures, compte tenu de la difficulté éprouvée de l’Etat d’agir de
manière coercitive sur des acteurs d’un niveau de complexité élevée.

Afin de confronter nos hypothèses à la réalité instrumentale de la politique climatique suisse,


nous allons par conséquent mettre en relation les résultats que nous avons obtenus dans le
cadre de l’analyse compréhensive relatifs à l’idéaltype instrument coercitif, puis à l’idéaltype
instrument économique, avec l’évaluation effectuée par le panel d’experts du niveau de
complexité des acteurs-cibles ; évaluation que nous vous présentons en prémices.

332
Rappelons ici que les résultats de l’évaluation des experts menés dans le cadre de l’enquête
« pan-phy », tant pour le niveau de complexité des acteurs-cibles que pour le degré de
similitude/différence avec les idéauxtypes d’instruments, sont traduits par le biais de la
moyenne de leur réponse, moyenne qui est associée, d’une part, à la possible présence d’une
(ou plusieurs) réponse(s) « extrême(s) » et, d’autre part, à une évaluation du niveau de
consensus des réponses.

A) Niveau de complexité des acteurs-cibles


Les résultats finaux vous sont présentés sous la forme d’un histogramme de moyennes dont
l’axe des abscisses (X) répertorie les différentes catégories d’acteurs ciblés par les instruments
de la politique climatique suisse et l’axe des ordonnées (Y) l’évaluation faite par les experts
du degré de complexité de ces différents types d’acteurs-cibles (Graphique H).

Les résultats vous sont également proposés sous la forme d’un graphique de type radar/toile
d’araignée reprenant les moyennes des réponses du panel d’experts (Graphique H2).

Graphique H Graphique H2
4
Niveau de complexité des acteurs-cibles (AC-a/n)
3.67
(0) non complexe, (1) un peu complexe, (2) moyennement complexe, (3) bien complexe, (4) très
(0) non complexe, (1) un peu complexe, (2) moyennement

complexe; cf. légende


complexe, (3) bien complexe, (4) très complexe

3.17 3.17

3 2.80 AC-a
2.67 4
Niveau de complexité

AC-n AC-b
2.33 2.33
3
*ac 2.17
2.00 2.00 AC-m AC-c
2 2

1.50
1
1.33
1.17 AC-l AC-d
0
1

AC-k AC-e

0
AC-k
AC-a

AC-d

AC-e

AC-h

AC-n
AC-i

AC-j

AC-l
AC-f

AC-m
AC-c

AC-j AC-f
AC-b

Acteurs-cibles AC-i AC-h


cf. légende

Légende :
AC-a : Entreprises suisses (PME et grandes entreprises) consommatrice d'énergies fossiles
AC-b : Acteurs de type associatif, fondations (telle que celle du centime climatique), etc. (pouvant contracter un accord au titre des mesures librement
consenties)
AC-c : Importateurs, fabricants, producteurs, commerçants et/ou entrepositaires de combustibles et/ou de carburants assujettis à la Taxe CO2
AC-d : Individus/particuliers consommateurs (directs ou indirects) de combustibles et/ou de carburants
AC-e : Entreprises bénéficiaire de la redistribution de la taxe CO2 par le biais de la masse salariale
AC-f : Individus/particuliers bénéficiaires de la redistribution de la taxe CO2 par le biais de l’assurance maladie
AC-g : Acteur supprimé suite à la suppression de la question relative à l’Etat Suisse entre la 1ère et la seconde vague du questionnaire n°3 (MécFlex)
AC-h : Exploitants/constructeurs de centrales à gaz
AC-i : Meneurs de projets de réduction des émissions en Suisse
AC-j : Meneurs/propriétaires de projets de réduction d'émissions à l'étranger, brookers, traders, etc.
AC-k : Les "consommateurs" directs ou indirects de carburants "assujettis" au centime climatique
AC-l: Acteurs menant des projets en Suisse dans les domaines bâtiments/carburant/chaleur pouvant bénéficier du fonds Centime Climatique
AC-m : Entreprises suisses ayant une Convention d'objectifs dans le secteur des carburants ou des combustibles pouvant bénéficier du fonds Centime
Climatique
AC-n : Fonds d’investissement, Brokers, Traders pouvant bénéficier du fonds Centime Climatique

Ainsi, en première analyse, soit sur la base des seules moyennes, nous constatons que des
différences significatives entre les différents acteurs-cibles existent sur leur niveau de
complexité. Certains peuvent être considérés comme des acteurs particulièrement complexes
(moyennes > 3.0) alors que d’autres un peu, voire beaucoup moins. Notons par exemple, que
deux types d’acteurs se démarquent ainsi en obtenant un résultat relativement bas sur l’échelle
du niveau de complexité :

333
• les importateurs, fabricants, producteurs, commerçants et/ou entrepositaires de
combustibles et/ou de carburants assujettis à la Taxe CO2 (AC-c) ;

• et les exploitants/constructeurs de centrales à gaz (AC-h).

Nous verrons par la suite, dans le cadre de notre analyse explicative, que ce résultat revêt une
certaine importance.

Notons, en seconde analyse, qu’un seul résultat fait l’objet d’une absence de consensus et que
le niveau de complexité de l’acteur-cible AC-k est ainsi difficilement interprétable (réponse
des experts : 1 1 2 2 3 3) ; ce qui ne remet cependant pas en question notre analyse ci-dessus.

Enfin, notons également que nous avons jugé une réponse extrême maintenue par un expert
concernant l’acteur AC-n comme « aberrante » compte tenu de la justification fournie ; elle
n’a donc pas été prise en compte dans nos calculs.

B) Mise en relation de la variable niveau de complexité des acteurs-cibles avec la


variable type d’instrument politique coercitif et économique
Les résultats de la mise en relation de la variable types d’instruments politiques avec la
variable niveau de complexité des acteurs-cibles vous sont présentés sous la forme d’un nuage
de points qui représentent chacun un instrument concret de la politique climatique suisse,
associé à son acteur-cible (ainsi, la taxe CO2, par exemple, est dissociée en six instruments
distincts puisqu’elle cible six types d’acteurs différents).

Chaque point, ou en d’autres termes, chaque instruments concrets associés à un acteur-cible,


est ainsi répertorié dans l’espace selon son degré de similitude/différence avec l’idéaltype
instrument coercitif, puis économique – nos étalons de mesure dans une perspective
comparative – et selon le niveau de complexité des acteurs ciblés par l’instrument,
respectivement selon l’axe des abscisses (X) et l’axe des ordonnées (Y) (cf. Graphiques I et J
ci-après)).

C) Niveau de complexité des acteurs-cibles et instruments de type coercitif


En première analyse, soit sur la base des seules moyennes, de même d’ailleurs qu’en seconde
analyse, soit sur la base du niveau de consensus des réponses, nous constatons que nos
résultats tendent à infirmer notre hypothèse explicative dans la mesure où des instruments
d’un certain niveau de coercition (ou plutôt d’un niveau certain de coercition) – qui par
ailleurs constituent des mesures phares de la politique climatique suisse – sont effectivement
destinés à des acteurs de nature complexe (cf. Graphique I ci-après).

334
Graphique I
Degré de sim ilitude avec l'idéaltype "instrum ent coercitif"
(0) pas similaire, (1) un peu similaire, (2) moyennement similaire, (3) bien similaire, (4) très similaire
0 1 2 3 4
0
(0) non complexe, (1) un peu complexe, (2) moyennement complexe, (3) bien

1
Niveau de complexité des acteurs cibles

*ac (222244)
complexe, (4) très complexe

*ac (112233)
2

3 *ac (002222)

4
Instruments concrets de la politique climatique suisse (acteurs-cibles)

CO (AC7) EF (AC8) AV (AC1) CC (AC2) CC (AC3) CC (AC4) CC (AC5) CC (AC6)


TCO2 (AC1) TCO2 (AC3) TCO2 (AC4) TCO2 (AC2) TCO2 (AC5) TCO2 (AC6) MécFlex (AC1) MécFlex (AC2)
MécFlex (AC3) OblComp (AC1) OblComp (AC2) OblComp (AC3)

Légende
Mesures librement consenties - (AC2) : Entreprises en tant que consommatrices (directes
ou indirectes) de combustibles et/ou de carburants ayant
AV : Accords volontaires contracté un engagement formel et donc ayant été
- (AC1) : Fondation du Centime Climatique (mais a priori,
exemptées de la taxe CO2
tout acteur de types associatifs, fondations, etc.)
- (AC3) : Entreprises en tant que consommatrices (directes
CC : Centime Climatique ou indirectes) de combustibles et/ou de carburants n’ayant
- (AC2) : Les "consommateurs" directs ou indirects de pas contracté d’engagement formel (mais éventuellement
carburants une convention d’objectifs)
- (AC3) : Acteurs menant des projets en Suisse dans les - (AC4) : Individus/particuliers en tant que consommateurs
domaines bâtiments/carburant/chaleur (directs ou indirects) de combustibles et/ou de carburants
- (AC4) : Entreprises suisses ayant une Convention d'objectifs - (AC5) : Entreprises en tant que bénéficiaires de la
dans le secteur des carburants ou des combustibles (achat de redistribution de la taxe par le biais de la masse salariale
leurs résultats excédentaires à un prix compétitif) (via la caisse de compensation AVS)
- (AC5) : Fonds d’investissement, Brockers, Traders - (AC6) : Individus/particuliers en tant que bénéficiaires de
(certificats par intermédiaire) qui investissent l'argent pour le la redistribution de la taxe par le biais de l’assurance
compte de la fondation CC dans des projets à l’étranger maladie (via les primes)
- (AC6) : Propriétaires de projets à l’étranger (certificats
MécFlex : Mécanismes de flexibilité
directs) bénéficiant directement des investissements de la
- (AC1) : Entreprises suisses ayant contracté un engagement
fondation CC
formel et ayant bénéficié de droits d'émission à hauteur de
CO : Conventions d’objectifs leur objectif d'émission
- (AC7) : Entreprises suisses (des PME aux grandes - (AC2) : Entreprises suisses ayant contracté un engagement
entreprises) consommant des énergies fossiles et se formel mais sans bénéficier de droits d'émission (entreprises
regroupant ou non en association sans objectif d'émission)
- (AC3) : Autres acteurs : meneurs/propriétaires de projets
EF : Engagement formel de réduction d'émissions à l'étranger, brookers, traders, etc.
- (AC8) : Entreprises suisses (des PME aux grandes
entreprises) consommant des énergies fossiles et se OblComp : Obligation de compensation
regroupant ou non en association - (AC1) : Exploitants/constructeurs (actuels et futurs) de
centrales à gaz exemptés d'office de la taxe CO2
TCO2 : Taxe CO2 - (AC2) : Meneurs (actuels ou potentiels) de projets de
-(AC1) : Importateurs, fabricants, producteurs, commerçants réduction des émissions en Suisse (via investissements)
(de marchandises non imposées ou imposables à un taux plus - (AC3) : Meneurs (actuels ou potentiels) de projets de
élevé) et/ou entrepositaires de combustibles et/ou de réduction des émissions à l'étranger (via investissements
carburants directs ou achats de certificats CO2)

335
En effet, la présence de ces instruments, soit les engagements formels (EF-AC8) et les
mécanismes de flexibilités (MécFlex-AC1) et la taxe CO2 vis-à-vis des entreprises avec
engagements formels (TCO2-AC2), dans le cadre IV de la figure ci-dessous (cf. Figure 39)
permet de réfuter notre hypothèse a) et de souligner que l’Etat est ainsi capable de choisir (et
de mettre en œuvre) des instruments de nature coercitive afin de modifier les comportements
d’acteurs d’une complexité élevée.

Figure 39 : Illustration de nos hypothèses explicatives (bis)


Instruments de type économique

Instrument de type non coercitif coercitif

Acteurs-cibles

non complexes I possible II attendu

complexes III attendu IV attendu

Source : l’auteur

D) Niveau de complexité des acteurs-cibles et instruments de type économique


Afin de prolonger l’hypothèse opérationnelle sur la nature du lien entre complexité des
acteurs-cibles et choix des types d’instruments politiques, nous avons également postulé
qu’en présence d’acteurs-cibles complexes, l’Etat porte son choix sur l’introduction
d’instruments de type économique (cf. Figure 39 ci-avant, flèche verte) :

Les résultats (cf. Graphique J ci-après) nous démontrent, en première analyse, que cette
hypothèse tend à être corroborée dans la mesure où les instruments ciblant des acteurs de
nature complexe sont évalués comme des instruments économiques, à une exception près
relative à la position de l’instrument TCO2-AC6 ; en seconde analyse, l’instrument CC-AC2
peut éventuellement s’ajouter à l’exception.

Cependant, il est à relever que ces deux instruments, soit la taxe CO2 vis-à-vis des particuliers
bénéficiaires de sa redistribution et le centime climatique au regard des consommateurs de
carburants, n’ont sans doute pas été évalués comme des instruments économiques en raison
des montants en jeux ; ils n’influencent donc que très peu le calcul coût-bénéfice des acteurs
socio-économiques dans une perspective de protection de l’environnement410. Ils sont
toutefois, dans l’esprit (ou en théorie), des instruments conformes à la logique du marché.

Aussi pouvons-nous supposer que la nature des instruments économiques, fondée sur une
logique d’une très grande simplicité et universalité, celle de la logique du prix, est adaptée a
des acteurs de nature complexe qui, malgré leurs différences, leur hétérogénéité, etc., ont tous
pour point commun de pouvoir intégrer facilement le signal prix (logique économique).

410
La même remarque peut être faite pour l’instrument TCO2-AC5.

336
Graphique J
Degré de similitude avec l'idéaltype "instrument économ ique"
(0) pas similaire, (1) un peu si mil aire, (2) moyennement si mil aire, (3) bi en simil aire, (4) très si milaire
0 1 2 3 4
0
(0) non complexe, (1) un peu complexe, (2) moyennement complexe, (3) bien

1
Niveau de complexité des acteurs cibles

*ac (223344)
complexe, (4) très complexe

*ac (112233)
2

*re (1/22334)

*ac (223344)
3

*ac/re (0/22244)

4
Instruments concrets de la politique climatique suisse (acteurs-cibles)

CO (AC7) EF (AC8) AV (AC1) CC (AC2) CC (AC3) CC (AC4) CC (AC5) CC (AC6)


TCO2 (AC1) TCO2 (AC3) TCO2 (AC4) TCO2 (AC2) TCO2 (AC5) TCO2 (AC6) MécFlex (AC1) MécFlex (AC2)
MécFlex (AC3) OblComp (AC1) OblComp (AC2) OblComp (AC3)

Légende
Mesures librement consenties - (AC2) : Entreprises en tant que consommatrices (directes
ou indirectes) de combustibles et/ou de carburants ayant
AV : Accords volontaires contracté un engagement formel et donc ayant été
- (AC1) : Fondation du Centime Climatique (mais a priori,
exemptées de la taxe CO2
tout acteur de types associatifs, fondations, etc.)
- (AC3) : Entreprises en tant que consommatrices (directes
CC : Centime Climatique ou indirectes) de combustibles et/ou de carburants n’ayant
- (AC2) : Les "consommateurs" directs ou indirects de pas contracté d’engagement formel (mais éventuellement
carburants une convention d’objectifs)
- (AC3) : Acteurs menant des projets en Suisse dans les - (AC4) : Individus/particuliers en tant que consommateurs
domaines bâtiments/carburant/chaleur (directs ou indirects) de combustibles et/ou de carburants
- (AC4) : Entreprises suisses ayant une Convention d'objectifs - (AC5) : Entreprises en tant que bénéficiaires de la
dans le secteur des carburants ou des combustibles (achat de redistribution de la taxe par le biais de la masse salariale
leurs résultats excédentaires à un prix compétitif) (via la caisse de compensation AVS)
- (AC5) : Fonds d’investissement, Brockers, Traders - (AC6) : Individus/particuliers en tant que bénéficiaires de
(certificats par intermédiaire) qui investissent l'argent pour le la redistribution de la taxe par le biais de l’assurance
compte de la fondation CC dans des projets à l’étranger maladie (via les primes)
- (AC6) : Propriétaires de projets à l’étranger (certificats
MécFlex : Mécanismes de flexibilité
directs) bénéficiant directement des investissements de la
- (AC1) : Entreprises suisses ayant contracté un engagement
fondation CC
formel et ayant bénéficié de droits d'émission à hauteur de
CO : Conventions d’objectifs leur objectif d'émission
- (AC7) : Entreprises suisses (des PME aux grandes - (AC2) : Entreprises suisses ayant contracté un engagement
entreprises) consommant des énergies fossiles et se formel mais sans bénéficier de droits d'émission (entreprises
regroupant ou non en association sans objectif d'émission)
- (AC3) : Autres acteurs : meneurs/propriétaires de projets
EF : Engagement formel de réduction d'émissions à l'étranger, brookers, traders, etc.
- (AC8) : Entreprises suisses (des PME aux grandes
entreprises) consommant des énergies fossiles et se OblComp : Obligation de compensation
regroupant ou non en association - (AC1) : Exploitants/constructeurs (actuels et futurs) de
centrales à gaz exemptés d'office de la taxe CO2
TCO2 : Taxe CO2 - (AC2) : Meneurs (actuels ou potentiels) de projets de
-(AC1) : Importateurs, fabricants, producteurs, commerçants réduction des émissions en Suisse (via investissements)
(de marchandises non imposées ou imposables à un taux plus - (AC3) : Meneurs (actuels ou potentiels) de projets de
élevé) et/ou entrepositaires de combustibles et/ou de réduction des émissions à l'étranger (via investissements
carburants directs ou achats de certificats CO2)

337
Cependant, et comme nous l’avons déjà spécifié, nous n’avons fait que dresser un lien entre le
choix des instruments de la politique climatique suisse d’une part et le niveau de complexité
des acteurs qu’ils ciblent d’autre part, sur la base d’un modèle théorique de nature explicative
certes, mais unidimensionnel surtout. Il ne s’agissait donc que de mettre en perspective ou,
pour reprendre les termes de Quivy et Campenhoudt (2006), de rendre intelligible la variable
choix des instruments par sa composante explicative niveau de complexité des acteurs-cibles.
Mais nous verrons dans notre partie de conclusion que ce choix peut être également mis en
relation avec de nombreux autres facteurs explicatifs que nous avons tenté d’intégrer dans un
modèle explicatif systémique : le système instrumental.

13.5.5 Quid de l’hypothèse méthodologique


analyse idéaltypique de la politique climatique suisse = fait ressortir la complexité de la réalité
instrumentale, notamment si l’on considère les multiples destinataires des instruments

Enfin, notre hypothèse méthodologique générale met en évidence l’impossibilité pour le


chercheur de procéder à une analyse classificatrice des instruments des politiques publiques
compte tenu de leur complexité et notamment si l’on considère les instruments politiques du
point de vue de chacun de leurs destinataires (ou acteurs-cibles).

En d’autres termes, nous postulons que les instruments (concrets) de la politique climatique
suisse peuvent être associés à différents types d’instruments et que l’approche
méthodologique que nous avons mise sur pied va pouvoir faire ressortir cette complexité
inhérente aux instruments des politiques publiques, complexité qui, jusqu’à présent, n’a pas
reçu selon nous toute l’attention requise de la part des chercheurs dans le domaine.

L’analyse des instruments de la politique climatique suisse que nous avons effectuée dans le
chapitre précédent confirme cette hypothèse. En effet, nous avons pu constater que les
instruments ne sont pas évalués de manière uniforme et notamment si l’on tient compte des
acteurs qu’ils ciblent.

Ce constat est le plus marquant pour les instruments évalués au regard des types instruments
coercitifs et économiques. Ainsi, les instruments taxe CO2, mécanismes de flexibilité, et
obligation de compensation ne sont pas du tout évalués de la même manière en terme
d’instrument de type coercitif si l’on considère les acteurs qu’ils ciblent. Il en va de même
pour l’instrument taxe CO2 au regard du type instrument économique.

De même, certains instruments, tels que les engagements formels (EF-AC8), la taxe CO2
(TCO2-AC1-AC2), les mécanismes de flexibilité vis-à-vis des entreprises avec engagements
formels (MécFlex-AC1) et l’obligation de compensation vis-à-vis des exploitants de centrales
à gaz (OblComp-AC1), sont nettement évalués comme des instruments économiques, certes,
mais également comme des instruments coercitifs. Notons que dans la littérature spécialisée,
il est très rare de trouver cette nuance, ces instruments étant très souvent classés pour les
premiers comme des instruments économiques uniquement et pour le dernier comme un
instrument uniquement contraignant. Il en découle donc des analyses quelque peu biaisées.

Ainsi, nous pouvons affirmer que la typologie d’instruments politiques idéaltypique que nous
avons construite, et, de manière plus générale, que la méthodologie proposée et utilisée,
semblent fructueuses sur le plan de l’analyse instrumentale des politiques publiques. Elles
permettent en effet la mise en exergue de la complexité des instruments politiques en fonction

338
des acteurs-cibles sous différentes dimensions analytiques (nos idéauxtypes d’instruments)
qui, utilisées en tant qu’unités de comparaison (et non comme système de classification
fermé), permettent ainsi de mesurer la variable instrument dans toute sa complexité.

Un bémol peut être toutes fois esquissé. En effet, nous avons pu constater que les idéauxtypes
d’instruments de communication in-formationnelle et d’aménagement et d’infrastructure (à
savoir respectivement fondés sur les déterminants comportementaux in-formation et
environnement physique et matériel) ne sont peut être pas très praticables dans la mesure où
les experts ont évalué les mêmes instruments de manière assez différente (cf. nombre de
réponses jugées comme non convenablement consensuelles).

Ces deux dimensions analytiques ont donc peut-être posé certains problèmes d’interprétation.
Il est par exemple possible que la dimension « in-formation » (information pure et formation)
aie été interprétée de manière biaisée (ou est difficilement applicable sans explications plus
précises), à savoir non pas dans son sens restreint – information pure et formation – mais
d’une manière générale et différente pour chaque expert. Ainsi, tous les instruments politiques
ont plus ou moins été jugés comme des instruments d’in-formation. Nous avons d’ailleurs
constaté que l’information (d’une manière générale) – de même que la notion de pouvoir et
donc de contrainte – était un élément transversal à tout instrument politique : une taxe
incitative (augmentation du prix) par exemple, il est vrai, est également un élément
d’information : l’augmentation du prix est une information. Cependant, nous avions pris en
considération la notation d’information « pure » pour permettre de faire une différence entre
ce type « d’information » et l’information dont le but premier est la modification du
comportement des acteurs-cibles. Ces nuances sont donc peut-être précises pour être intégrées
dans une démarche d’évaluation par questionnaire et aurait sans doute été plus praticables
dans le cadre d’entretiens. Cependant, nous avions pris le parti d’établir une enquête de type
Delphi pour éviter le biais d’empathie entre experts. Toutefois, nous pouvons relever qu’une
étape supplémentaire aurait pu être effectuée après la procédure « pan-phy » qui aurait
consisté à reprendre les résultats issus des questionnaires pour chaque expert dans le cadre
d’entretiens. Cette possibilité, aurait pu nous permettre de dépasser le biais que nous avons ici
identifié, et d’ailleurs, auraient également pu permettre de préciser quelques autres résultats
difficilement interprétables.

Aussi, pour en revenir à nos deux questions générales de recherche, nous pouvons dire que
notre typologie semble praticable et fructueuse, hormis peut-être les deux idéauxtypes
d’instruments que nous venons de souligner, et qui sont peut-être sujets à redéfinition, et qu’il
ne fait aucun doute que notre méthode de travail aura permis d’appréhender la complexité
instrumentale de la politique climatique suisse.

13.6 Synthèse et mise en perspective des résultats

Pour conclure, nous allons replacer nos résultats dans les contextes théoriques et
méthodologiques issus des deux premières parties de notre recherche.

13.6.1 Faire jaillir la complexité de la réalité instrumentale


Dans le cadre de la deuxième partie de notre recherche, nous avons prôné l’abandon sans
concession de la tentation classificatrice pour une méthodologie qui puisse être capable
d’appréhender la complexité des instruments politiques.

339
Cet impératif se traduit notamment dans le cadre de notre démarche par la nécessité de
différencier, sur le plan théorique et méthodologique, et lorsque l’on parle d’instruments
politiques, le niveau conceptuel des types d’instruments (typologies, concepts, rationalisation,
réduction, théorie basique de l’activité humaine) du niveau empirique du terrain des
instruments concrets (complexité, dimensions).

Cet impératif s’est notamment traduit par l’adoption et l’adaptation de la méthode wébérienne
des ideauxtypes qui a effectivement donné les résultats escomptés : les instruments de la
politique climatique suisse ne sont pas unidimensionnels, ils mêlent notamment les
caractéristiques des instruments de types économiques et coercitifs.

En conclusion, nous ne pouvons qu’inviter les chercheurs s’intéressant à l’analyse


instrumentale des politiques publiques de ne pas sous-estimer la complexité de leur champ
d’investigation et de se défaire d’une tentation classificatrice qui n’est que contreproductive si
l’on poursuit notamment l’un de ces trois buts :

• comprendre comment les instruments des politiques publiques influencent les


comportements des acteurs socio-économiques dans le but de résoudre des
problématiques environnementales (complexes) ;

• analyser le choix des instruments des politiques publiques à un niveau qui puisse être
généralisable et donc mesurer la variable type d’instrument ;

• et, sur cette base, émettre des recommandations sur le choix des instruments politiques
dans une perspective de protection de l’environnement.

Aussi, quelque soit la question à laquelle nous tentons de répondre, il est important de
considérer les instruments politiques concrets comme des phénomènes de la réalité qui ne se
laissent pas facilement classifier et donc simplifier.

La prise en compte des acteurs-cibles et l’adoption d’une approche de type idéaltypique


apparaissent ainsi comme des éléments primordiaux à prendre en considération lorsque l’on
veut passer, dans le domaine de l’analyse instrumentale des politiques publiques, de la théorie
à la pratique, et inversement.

13.6.2 Vers de nouveaux instruments moins contraignants pour des acteurs-cibles plus
complexes ?
Dans le cadre de la première partie de notre recherche nous avons vu, d’une part que la
littérature semble souligner une évolution dans les modalités d’intervention de l’Etat qui
marque l’apparition de nouveaux instruments dont les caractéristiques – flexibilité,
participation/collaboration, information, etc. – semblent bien différentes de celles des
instruments dits traditionnels – au caractère coercitif/contraignant – auxquels l’Etat semble
renoncer (passage d’une hard regulation à une soft regulation) et, d’autre part, que l’une des
explications données à ce phénomène résidait dans l’adaptation de l’Etat à une augmentation
de la complexité sociale (et donc des acteurs-cibles) qui rend nécessaire l’utilisation
d’instruments de nature plus flexible et moins autoritaire.

340
Les résultats que nous avons obtenus ne semblent pas aller dans cette direction. En effet, nous
avons par exemple constaté que les nouveaux instruments tels que les systèmes de permis
négociables, les taxes incitatives, ou les mesures volontaires de type engagements formels
avaient, en plus de leur dimension incitative, des caractéristiques coercitives non négligeables
(et donc à ne pas négliger dans toute analyse de politiques publiques).

La nature de l’évolution des modalités d’intervention de l’Etat mise en avant par la littérature
spécialisée ne semble donc pas si évidente, et, dans tous les cas, peut être remise en question
par l’analyse de la politique climatique suisse qui ne semble pas aller dans le sens d’un
abandon des instruments de nature coercitive. Nous avions d’ailleurs déjà évoqué l’hypothèse
selon laquelle la nouveauté dans le domaine des instruments politiques n’était en réalité pas si
nouvelle que cela, voire illusoire.

Par ailleurs, et tout en rappelant que les instruments engagements formels (EF-AC8),
mécanismes de flexibilité (MécFlex-AC1) et taxe CO2 (TCO2-AC2) de la politique
climatique suisse peuvent être considérés autant comme des instruments coercitifs que comme
des instruments économiques, notre analyse montre que l’Etat use, certes, d’instruments de
type économique à l’égard d’acteurs socio-économiques complexes, mais également, sous le
couvert du principe de subsidiarité, d’instruments de type coercitif.

Ces résultats nous poussent d’ailleurs à supposer que c’est grâce à l’articulation des
instruments prévue dans le cadre de la législation (mesures volontaires, puis mesures
subsidiaires en cas d’inefficacité avérée des mesures volontaires) – selon le principe de
subsidiarité – qu’il a été possible pour l’Etat de choisir, puis de mettre en œuvre, des
instruments de nature coercitive destinés à des acteurs d’une certaine complexité. Cette
hypothèse est également partagée par Thalmann et Baranzini (2008) qui soulignent
l’importance d’une introduction graduelle des instruments coercitifs dans le cadre de la
politique climatique suisse en tant que facteur de succès et notamment pour des raisons
d’acceptabilité sociale de la taxe CO2411.

En d’autres termes, nous pouvons postuler que l’articulation des instruments politiques au
sein d’une législation peut permettre à l’Etat de dépasser sa difficulté à réguler de manière
coercitive et contraignante des acteurs socio-économique complexes, type d’acteurs qui
caractérisent les problématiques environnementales du XXIe siècle, changement climatique en
tête.

Nous pourrions donc reformuler la théorie sur l’évolution des modalités d’intervention de
l’Etat en lui ajoutant une ceinture protectrice (Lakatos, 1974) : l’Etat, notamment confronté à
des acteurs de plus en plus complexes, emploie des instruments caractérisés par leur
flexibilité, leur mollesse diront certains, mais sous le couvert du principe de subsidiarité, tente
et réussi à garder sa prérogative régalienne et coercitive. La nouveauté résiderait donc plutôt
dans la combinaison d’instruments de nature multidimensionnelle.

Aussi tirons-nous deux conclusions :

• sur le plan méthodologique : la différenciation faite entre « nouveaux » et « anciens »


instruments et par conséquent l’analyse de l’évolution des modalités d’intervention se
retrouve surévaluée par une approche instrumentale de nature classificatrice et donc
411
Nous reviendrons plus spécifiquement sur l’acceptabilité des instruments de la politique climatique suisse
dans le cadre de la dernière partie de notre travail.

341
réductionniste ; celle-ci relèvent plus de la prise en compte (ou non) dans l’analyse de
la complexité instrumentale et donc d’une question de méthodologie ;

• sur le plan analytique : l’Etat ne semble pas lâcher sa prérogative régalienne du


pouvoir de coercition ; dans tous les cas, il n’y a pas renoncement aux modalités
d’intervention contraignante au bénéfice de modalités plus indirectes et incitatives,
mais plutôt processus de combinaison – notamment via le principe de subsidiarité –
d’instrument multidimensionnels (c’est d’ailleurs peut-être là la vraie caractéristique
de l’évolution des modalités d’intervention étatique) ;

Aussi et même face à une complexification des problématiques et des acteurs auxquels l’Etat
se voit confronté dans le domaine de la protection de l’environnement, ce dernier semble ne
pas se restreindre à ne fixer qu’un cadre relativement mou. Dans tous les cas il tente de (et
réussi à) dépasser sa difficulté d’agir de manière autoritaire et contraignante dans de telles
situations, en combinant habilement sous le couvert du principe de subsidiarité412 des
instruments de nature multidimensionnelle. Pour reprendre les termes de Lascoumes et Le
Galès (2004), « l’Etat n’a pas dit [ou, dans tous les cas, il ne semble pas encore avoir dit] son
dernier mot » (p. 369).

13.6.3 L’évolution probable de la politique climatique suisse (et des autres politiques
publiques de protection de l’environnement)
Enfin, et pour reprendre et dépasser le paradoxe que nous avions esquissé dans le dernier
chapitre de la première partie de notre recherche, et qui mettait en opposition principe de la
contrainte minimale et évolution des modalités d’intervention vers moins de contrainte, nous
pouvons émettre l’hypothèse suivante sur le devenir des politiques environnementales selon
laquelle celles-ci seront confrontées à un retour des instruments coercitifs (cf. Figure 40 ci-
après).

En effet, en se basant sur nos développements, nous pouvons postuler la résurgence à plus ou
moins court terme des instruments de nature coercitive (basée sur la mise en force du principe
de subsidiarité) et peut-être même sur la généralisation des mesures volontairement
contraignantes.

Par conséquent, nous serions en cette fin de XXe siècle et ce début de XXIe siècle, confrontés
à une phase de transition dans l’utilisation des instruments qui se joue sur le terrain de leur
combinaison413 et qui peut être mise en rapport avec une certaine évolution de la complexité
des acteurs-cibles et des problématiques environnementales au sein desquelles ils
interagissent (cf. également Tableau 40 ci-après).

412
Nous avions quant à nous formalisé cette hypothèse dans le cadre de la première partie de notre recherche par
la formule suivante : Combinaison des instruments = Ia-c0/t1 + Ib-c1/t2 + … + In-cX/tn (ou I = instrument ; a, b
… n = type d’instrument a, type d’instrument b … type d’instrument n ; t1, t2 … tn = temps 1, temps 2 … temps
n ; -c0, -c1 … -cX = contrainte nulle (0), contrainte de niveau 1 … contrainte de niveau X) ; notre analyse de la
politique climatique suisse confirme cette modalité d’intervention
413
Qui souligne ainsi non pas une « utilisation » moindre des instruments contraignants que par le passé mais
uniquement un « report » de leur application dans le temps et leur introduction de manière subsidiaire vis-à-vis
des instruments non-contraignants.

342
Figure 40 : L’hypothèse d’un retour des instruments contraignants dû à une stratégie de séquençage
de l’intervention étatique selon le principe de la subsidiarité

XXe fin XXe /début XXIe siècle futur

Dans le courant du siècle :


- augmentation du nombre total d’instruments
- augmentation relative des Inc par rapport au Ic / diminution relative des Ic par rapport aux Inc
- diminution des Ic et augmentation des Inc en terme absolu
Evolution des barres rouges = évolution en terme absolu des instruments non-contraignants
Evolution des barres jaunes = évolution en terme absolu des instruments contraignants
Evolution des barres jaunes par rapport aux barres rouges ou inversement = évolution des instruments non-
contraignants et contraignants en terme relatif
t1, t2, puis futur = évolution temporelle de l’utilisation des instruments du temps 1 vers le temps 2, puis
perspective future
Source : l’auteur

Tableau 40 : La combinaison des instruments, une phase de transition


XXe siècle Transition fin Futur
A B XXe /début
XXIe siècle
Problématiques environnementales - ++ +++ ++++
globales, complexes, multisectorielles
Instruments non-coercitifs - + ++ ?
Instruments coercitifs + - -/+ +++
Subsidiarité
Combinaison des instruments - + ++ +++++
Source : l’auteur

Aussi, l’hypothèse du déclin de l’Etat annoncée par certains dans une perspective néolibérale
ne semble pas être corroborée par nos propos. Dans tous les cas, la transformation annoncée

343
des modalités d’intervention sous l’influence du contexte de réforme néolibéral qui caractérise
l’évolution de l’Etat et de son administration, notamment au sein des pays industrialisés
depuis cette dernière moitié de siècle et qui s’est vu porteur d’une nouvelle conception de la
gestion publique (new public management) calquée sur le modèle de la pensée économique
(néo)libérale qui érige en roi le principe de l’efficience du marché n’est pas synonyme selon
nous de renoncement de la part de l’Etat à l’utilisation de formes d’intervention de nature
coercitive.

13.6.4 Quelques limites de notre démarche et de notre analyse - petit exercice de réflexivité

A) Certaines limites de l’enquête « pan-phy »

Les limites de notre enquête « pan-phy » sont essentiellement au nombre de trois (voir
également point C ci-après).

Premièrement, un nombre plus importants d’experts des instruments de la politique climatique


suisse interrogés aurait sans aucun doute rendu nos résultats plus robustes. Cependant, il est à
noter qu’ils n’en existent pas tant que cela et que nous pensons avoir interrogé six experts
« assez représentatif » du monde académique suisse. Les questionnaires exigeant un niveau de
compréhension élevé et un temps assez important pour y répondre, il s’est avéré que des
experts non issus du monde académique avaient certaines difficultés à nous le retourner414.

Deuxièmement, la mise en place d’entretiens semi-directifs, comme je l’ai d’ailleurs souligné


dans le chapitre 13.5.5 ci-avant, aurait pu être envisagée en complément ou même à la place
des questionnaires. Ce procédé aurait peut-être permis aux experts de mieux interpréter
certains des critères d’évaluation des instruments, notamment celui des instruments de
communication in-formationnelle et d’aménagement et d’infrastructure dont les résultats sont
entachés d’un niveau de consensus assez faible.

Troisièmement, nous aurions pu même envisager de faire une enquête (par entretiens ou
questionnaires) directement auprès des acteurs ciblés par les instruments afin d’éviter
l’évaluation indirect des instruments par des experts. Néanmoins, cela aurait impliqué la
mobilisation de ressources importante et une reformulation plus simple des critères
d’évaluation des instruments. Cela aurait sans doute également posé un certain nombre de
questions relatives à l’échantillonnage et à la représentativité inhérente à ce type d’enquête
statistique. Néanmoins, il serait intéressant de confronter les résultats d’une telle démarche
avec les résultats que nous avons obtenus par l’intermédiaire de notre enquête « pan-phy ».

B) Les limites de la « montée en généralité » de l’analyse de nos résultats

L’analyse que nous avons menée des résultats pose sans doute la question suivante : est-ce
que nos résultats sont à même de remettre en cause des théories plus générales comme celle
que nous venons de « remettre en question » et que nous pouvons synthétiser sous la notion de
« théorie instrumentale néolibérale du déclin de l’Etat et de sa prérogative régalienne » ?

En réponse à cette question, nous pensons que nos résultats en eux-mêmes ne peuvent que
« questionner » cette théorie, et ce dans le domaine de la protection de l’environnement. C’est
414
Deux essais dans ce sens se sont avérés infructueux.

344
pourquoi il nous semble avoir utilisé une certaine retenue dans les propos que nous avons
tenus dans le cadre des deux chapitres précédents. En effet, il s’avère toujours difficile de
généralisé des résultats issus d’une étude de cas, et qui plus est qui soit aussi circonscrite que
la notre, tant que des études similaires n’ont pas été effectuées sur d’autres politiques
publiques de protection de l’environnement, dans d’autres domaines et/ou dans d’autres pays.

Ce dernier point nous mène tout naturellement vers la troisième limite de notre démarche, à
savoir la question de sa reproductibilité.

C) Les limites de la reproductibilité de la démarche à d’autres analyses de politiques


publiques

Cette question de la reproductibilité de notre démarche impliquerait tout d’abord que les
mêmes critères d’évaluation soient utilisés ou, en d’autres termes, que la même typologie soit
utilisée, ce qui ne constitue pas une évidence.

Elle pose également les limites du nombre de questions posées au panel d’expert et donc de la
longueur du questionnaire, si tant est que ce soit cette démarche qui soit utilisée pour l’étude
d’autres politiques publiques, un nombre de question qui par ailleurs dépend directement du
nombre d’instruments de la politique prise en considération et du nombre d’acteurs ciblés par
ces instruments. Une telle analyse appliquée à des politiques publiques plus largement
définies (à savoir qui compteraient plus d’instrument) poserait ainsi un problème de faisabilité
et, dans tous les cas, dépendrait également de la possibilité de mobiliser des ressources
supplémentaires, notamment financières.

Cependant, notons qu’à l’inverse, la nécessité d’utiliser les typologies d’instruments dans une
perspective comparative (et idéaltypique) semble être en-elle-même une démarche
reproductibe. Elle constitue en ce sens le noyeau dur (au sens de Lakatos (1974)) de notre
« programme de recheche ».

D) Synthèse : limites et réflexivité

Les quelques limites que nous venons d’énoncer nous mènent à considérer, à un niveau plus
général, l’enseignement suivant. Toutes tentatives de compréhension et d’explication du réel
s’inscrit dans une démarche scientifique de nature principalement disciplinaire, notamment
compte tenu de la structure académique dans laquelle nous interagissons encore pour le
moment et de la nécessité, sans doute, d’approcher un problème de manière « solide ».

Cette limite que pose la (nécessaire ?) adoption d’une approche disciplinaire pour
appréhender une réalité qui pourtant est complexe nous mènent à anticiper sur l’une des
conclusions de notre recherche, à savoir la nécessité d’adopter une approche interdisciplinaire.

Cette « prise de conscience » est sans doute d’ailleurs, dans un certain sens, déjà en quelque
sorte un effort de réflexivité par rapport à notre propre démarche disciplinaire. Elle relève
selon nous du challenge que l’ensemble des sciences (notamment sociales, économiques et
naturelles) se doivent de relever ensemble dans un futur proche.

345
346
SYNTHESE & CONCLUSION

VERS UNE NOUVELLE APPROCHE


INSTRUMENTALE DES POLITIQUES PUBLIQUES

DE QUELQUES ENSEIGNEMENTS ET RECOMMANDATIONS À TIRER


SUR LE PLAN DE L’ANALYSE ET DE L’ACTION

347
348
La dernière partie de notre travail de recherche est l’occasion de dresser une synthèse de nos
développements (chapitre 14) pour déboucher, en guise de conclusion, sur quelques
enseignements, recommandations et pistes de recherche dans le domaine de l’analyse
instrumentale des politiques publiques de protection de l’environnement et de leur mise en
œuvre (chapitre 15).

Comme nous pourrons le constater assez rapidement, l’ensemble de ces développements


conclusifs veulent, d’une part, mettre en évidence l’interdépendance des trois parties qui
composent notre travail de recherche et sur laquelle ils sont fondés et, d’autre part, ouvrir sur
certaines perspectives de recherche par le biais de « nouvelles » considérations – que nous
avons intégrées jusqu’à présent de manière assez concises dans le cadre de notre recherche –
principalement issues de travaux antérieurs sur l’acceptabilité des instruments politiques de
protection du climat (voir notamment Perret, 2007b, Perret et Ingold, 2009).

Chapitre 14 De la complexité de la réalité instrumentale

Pour rappel, la thèse principale défendue dans le cadre de notre recherche réside dans
l’impérieuse nécessité de pouvoir analyser les instruments des politiques publiques sous
l’angle de leur complexité et de s’affranchir ainsi d’un certain réductionnisme (disciplinaire)
qui rend illusoire toute tentative d’analyse instrumentale cohérente et pertinente au regard de
la réalité instrumentale et sociale. Un corolaire à cette affirmation réside notamment dans le
fait qu’une telle approche réductrice ne peut également pas être à même de promouvoir des
actions adéquates.

Dans cette perspective, notre travail de recherche se fonde sur une démarche générale de type
constat – réflexion – application qui s’articule autour de trois grandes parties qui traitent
chacune des instruments des politiques publiques au regard de la complexité :

• la première sous l’angle conceptuel et théorique (constat – réflexion) ;

• la deuxième sous l’angle méthodologique (constat – réflexion – application) ;

• et la troisième sous l’angle analytique (réflexion – application).

Ces trois parties sont en étroite interdépendance et se complètent dans la perspective qui est la
nôtre selon trois couches successives telles que définies dans le cadre de la Figure 41 ci-après.

349
Figure 41 : Articulation des trois parties de la thèse par couches successives

Synthèse et conclusion
3e partie - éléments d’analyse

COMPLEXITE
2e partie - éléments méthodologiques

1ère partie - éléments conceptuels et théoriques

Source : l’auteur

Aussi, en guise de synthèse, allons-nous rappeler et souligner les liens fondamentaux qui
appuient et structurent nos développements au fil des trois parties qui composent notre thèse
sous la forme d’un leitmotiv soulignant la place de la complexité de la réalité instrumentale
dans le cadre de l’analyse instrumentale des politiques publiques.

La complexité de notre objet d’étude, à savoir les instruments (concrets) des politiques
publiques (complexité de la réalité instrumentale), s’exprime en effet dans le cadre de la
première partie de notre thèse sous la forme de la difficulté et de la grande hétérogénéité (ou
diversité) que nous avons mise en évidence tant dans la compréhension du concept multi-
facettes d’instruments politiques, que dans les (multiples) propositions de typologies
d’instruments ou dans l’interprétation de leur évolution vers de « nouveaux » instruments.

Cette complexité se traduit notamment par une complexité aux niveaux de la terminologie
employée, des définitions et des dimensions utilisées ou du niveau d’abstraction adopté pour
manipuler les notions. Elle se voie d’ailleurs démultipliée par les divers points de vue
disciplinaires adoptés (et parfois mélangés, sans toutefois les dépasser) pour aborder le sujet.

Au demeurant, elle implique selon nous dans tous les cas un effort d’interprétation et de
conceptualisation qui ne saurait être écarté par le chercheur qui veut aborder les instruments
des politiques publiques sous quelques formes que ce soit.

Dans le cadre de la deuxième partie, cette complexité instrumentale s’exprime cette fois par la
présence de déficits méthodologiques dans le domaine de la conception et de l’application des
typologies d’instruments : bases méthodologiques éclatées et relativement inconsistantes,
rigueur (scientifique) et cohérence interne parfois assez faibles, dissociation des étapes de
conception et d’utilisation des typologies (qui amènent souvent à considérer les typologies
comme une fin en soi), etc. mais surtout présence encombrante et communément partagée par
les chercheurs d’une tentation classificatrice et réductionniste qui pousse notamment à
considérer cette réalité instrumentale comme unidimensionnelle. Ces déficits traduisent
l’incapacité pour les typologies d’instruments actuelles d’appréhender la complexité
instrumentale, tant sur le plan de leur conception que de leur utilisation.

Or, compte tenu de la nature de notre objet d’étude, l’exigence de pouvoir gérer et mesurer
cette complexité ne souffre d’aucune objection selon nous, cette revendication se traduisant
notamment par la nécessité, dans le cadre d’une approche typologisante :

• de séparer clairement théorie (niveau de la réduction) et réalité instrumentale (niveau


de la complexité sociale) et notamment de penser la conception et l’application des
typologies de manière concomitante ;

350
• d’utiliser une méthode comparative idéaltypique415 en lieu et place d’une démarche à
visée classificatrice, notamment en adoptant un cadre théorique relatif à l’action (des
hypothèses comportementales).

Ces prescriptions se traduisent sur le plan méthodologique, et en dernière instance,


principalement par l’importance à accorder à la place de l’acteur-cible dans l’analyse (pour
plus de développements, cf. chapitre 15 ci-après) et, pour notre cas, par la conception, puis
l’application de notre typologie idéaltypique des instruments politiques de protection de
l’environnement et du climat.

Enfin, dans le cadre de la troisième et dernière partie de notre thèse, la complexité de la réalité
instrumentale trouve son expression tant au niveau de la problématique environnementale
abordée (via les acteurs cibles, cf. également chapitre 15 ci-après), qu’au niveau des résultats
engendrés par notre analyse qui démontrent que celle-ci ne peut se faire classifier et réduire
sans être dommageable pour une analyse instrumentale pertinente sur les plans compréhensifs
et explicatifs.

Aussi pour répondre de manière synthétique à notre question générale de départ416, nous
pouvons affirmer que la complexité instrumentale et sociale ne peut être comprise, ni
expliquée, de manière productive à l’aide des approches typologiques actuelles. Dans cette
optique, une approche idéaltypique des instruments politiques semble représenter une bonne
perspective de recherche dans ce domaine car apte à pouvoir appréhender et gérer cette
complexité de manière productive.

Chapitre 15 De la nécessité d’adopter une approche « orientée


acteurs(-cibles) », « transdisciplinaire »,
« combinée » et « systémique ».

Si nous avons pu souligner tout au long de notre recherche la complexité de la réalité


instrumentale, nous avons cependant mit en exergue, sur le plan théorique et méthodologique,
un élément réducteur, à savoir celui d’acteur(s)-cible(s).

Nous avons ainsi relevé dès le départ que les instruments politiques étaient fondamentalement
destinées à modifier/influencer les comportements des acteurs qu’ils veulent cibler. Les
multiples typologies d’instruments soulignent d’ailleurs pour la plupart cette fonction de
manière plus ou moins explicite.

Ensuite, sur le plan méthodologique cette place centrale accordée à la notion d’acteur-cible
s’est traduite par la nécessité d’adopter une perspective de recherche orientée acteur
consistant à construire une typologie d’instruments sur la base d’une théorie (basique) de

415
Adaptation de la méthode idéaltypique wébérienne à notre objet d’étude : idéauxtypes d’instruments = unité
de comparaison/mesure.
416
Pour rappel : dans quelle mesure une démarche différente de l’analyse typologique classificatrice
traditionnelle des instruments des politiques publiques dans le domaine de la protection de l’environnement
permettrait d’appréhender et de gérer de manière plus adéquate la complexité instrumentale ?

351
l’activité humaine417, puis à l’utiliser pour analyser les instruments (concrets) au regard de
chacun des acteurs-ciblés par ceux-ci.

Dans son aboutissement final, cette perspective orientée acteurs-cibles s’est traduite par la
mise en place de notre typologie des instruments politiques de protection de l’environnement
et du climat et de son application à l’analyse idéaltypique418 de la politique climatique suisse.

Or, si nous avons pu constater dans le cadre de notre recherche la fécondité d’une telle
approche à l’analyse instrumentale des politiques publiques, nous n’avons pas pu développer
jusqu’à présent certaines de ses implications.

Nous nous proposons ici de les aborder rapidement sous la forme de quelques points de
réflexion prospective concernant l’analyse instrumentale des politiques publiques dans le
cadre d’une perspective résolument proactive. Aussi aborderons-nous tour à tour :

• l’importance de cerner de manière adéquate les caractéristiques de la problématique


environnementale à l’origine de l’intervention étatique ;

• la place que doivent tenir dans l’analyse instrumentale non seulement les acteurs-
cibles mais également tous les acteurs parties-prenantes au processus décisionnels et
par conséquence leur préférence instrumentale (acceptabilité) ;

• la nécessité d’adopter une approche interdisciplinaire (voire transdisciplinaire) et


combinée des instruments politiques (efficacités environnementale et politique) ;

• pour enfin déboucher sur la possibilité d’adopter une perspective de recherche


instrumentale globale et systémique.

Ces éléments sont, dans notre perspective, interdépendants et mettent en exergue trois points
essentiels de toute analyse des politiques publiques qui veut prendre en compte la complexité
socio-environnementale des problématiques actuelles : le problème (environnemental), les
acteurs(-cibles) et les instruments politiques (cf. Figure 42 ci-dessous).

Figure 42 : Les trois points essentiels d’une analyse instrumentale des politiques publiques
Le problème (environnemental)

COMPLEXITE

Les acteurs(-cibles) Les instruments politiques


Source : l’auteur

Ils tendent tous à démontrer la nécessité d’adopter une approche instrumentale orientée
acteurs(-cibles), inter-transdisciplinaire, combinée et systémique des politiques publiques au
sein d’un cadre plus large défini par le développement durable.

417
Identifier les hypothèses comportementales des acteurs-cibles sous-jacentes au fonctionnement des
instruments.
418
Méthode idéaltypique + « panphy »

352
15.1 De la complexité globale de la problématique du Changement Climatique à la
nécessité d’une nouvelle approche instrumentale des politiques publiques de
protection de l’environnement

Dans le cadre de la partie précédente de notre recherche (cf. chapitre 11), nous avons abordé
la complexité de la problématique du Changement Climatique de manière globale (principe de
globalité) par le biais d’une dissociation entre complexité scientifique (et environnementale)
d’une part, et complexité sociale (ou socio-économique), d’autre part.

Aussi avons-nous constaté que la complexité scientifique et environnementale de la


problématique climatique est l’expression de la complexité du système climatique, un système
en équilibre dynamique, dont le comportement est caractérisé par des processus non linéaires
via le fonctionnement des cycles biogéochimiques globaux – principalement celui du carbone
– qui mettent en relation les différents composants biotiques et abiotiques du système Terre
(relation vie- environnement physico-chimique) par le truchement d’interconnexions diverses
et complexes.

Par ailleurs, les interrelations entre les différentes sphères de ce système (atmosphère,
hydrosphère, cryosphère, lithosphère et biosphère, soit les facteurs internes419 auxquels il est
encore nécessaire d’ajouter les facteurs externes tels que les paramètres astronomiques et
l’activité solaire) sont caractérisées, à plus d’un titre, par des effets d’incertitudes, de vitesse,
de retards et de persistance, de seuils et d’irréversibilité, d’interrelations et de boucles de
rétroactions (effets pervers et/ou vertueux) et différenciés.

En conséquence, il est difficile de dissocier la variabilité naturelle du climat de ses


perturbations anthropiques et de pouvoir dire, de manière simple, unanime et certaine à cent
pour cent –comme cela peut se faire dans certains domaines scientifiques (et encore) – que se
sont bien les activités humaines et l’augmentation exponentielle des émissions de GES depuis
le début de l’ère industrielle qui sont à l’origine du réchauffement climatique observé (effet de
serre anthropique) et annoncé pour les siècles futurs, avec les probables conséquences qu’il
implique pour l’ensemble des systèmes socio-économiques et environnementaux de la
Planète.

Quant à la complexité sociale (ou socio-économiques), nous avons vu qu’elle est


principalement exprimée par la responsabilité globale, mais diffuse et différenciée des
multiples acteurs socio-économiques qui sont à l’origine des émissions (nettes) de GES
(acteurs-cibles), à laquelle vient s’ajouter, si l’on considère la dimension politique de la
problématique climatique, celle des multiples acteurs parties-prenantes aux processus
décisionnels (qui peuvent également être eux-mêmes des acteurs-cibles).

Cet état de fait pose notamment des questions d’ordre éthique – qui ont notamment été
abordées par l’adoption du principe de responsabilité commune mais différenciée dans le
cadre de la Convention-Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques
(CCNUCC)420 – et sur le rapport entre l’homme et la nature, et entre les hommes eux-
mêmes… et notamment en terme de régulation (instrumentale).

419
Que nous avons illustrés avec l’exemple des éruptions volcaniques et du fonctionnement des océans.
420
Dont il est l’un des piliers fondateurs.

353
En effet, selon nous, la complexité globale de la problématique du Changement Climatique –
qui en fait un nouveau type de problématique environnementale, résolument différent des
problématiques traditionnelles – doit indéniablement se répercuter sur le choix des
instruments politiques de protection du climat et implique donc, comme nous pourrons le
constater par la suite, une nouvelle approche instrumentale des politiques publiques.

En effet, du point de vue historique, l’intervention de l’Etat dans le domaine de la protection


de l’environnement a été caractérisée à ses débuts par l’utilisation de normes et de
réglementations qui ont été les moyens les plus communément utilisés pour régler, dans une
optique réactive et réparatrice, les problèmes environnementaux auxquels la société s’est vue
confrontée (Bürgenmeier, 2005, Bürgenmeier, Greppin et Perret, 2007).

Ainsi, le plus souvent, ces instruments ont été introduits afin d’endiguer des situations
critiques caractérisées par la nécessité d’une intervention urgente de la part de l’Etat pour
mettre fin aux pollutions, protéger des écosystèmes, sauvegarder des espèces, etc.

Ces interventions, plutôt de nature ponctuelle et immédiate, ont le plus souvent fait suite à un
constat alarmant des acteurs de la protection de l’environnement et/ou des autorités soulignant
la nécessité d’une intervention rapide. Elles peuvent être qualifiées d’interventions de type
end of pipe et ont surtout consisté à user de mesures de police tels que les interdictions, certes,
mais également et notamment de l’application de solutions technologiques et techniques.

En Suisse, l’une des premières interventions fédérales de ce type concerna la régulation de la


chasse et la protection des oiseaux à la fin du XIXe siècle421. A cette occasion, la
Confédération (Conseil fédéral, 1875a) dû palier aux carences des diverses législations
cantonales et faire face au massacre du gibier, notamment en région de montagne (disparition
du bouquetin en Suisse ainsi que des chamois et des marmottes dans certaines régions), ainsi
que prohiber certains moyens de chasses trop dévastateurs422. La réglementation dans ce
secteur d’activité se fit notamment par l’introduction de systèmes de permis et de périodes de
chasse, d’un bon nombre d’interdictions (par exemple d’achat/vente de gibier ou d’utilisation
de certains matériels de chasse), ainsi que par le classement d’espèces protégées tels que les
fauvettes, rossignoles et autres insectivores.

Dès le début du XXe siècle, la Confédération interviendra également dans divers domaines,
notamment celui des forêts (protectrices)423, afin d’y résoudre les problèmes d’inondations, de
crues et d’érosions dues au déboisement excessif, en y interdisant le défrichement (Conseil
fédéral, 1875b, 1898, 1988) et l’aménagement du territoire, afin de régler des problèmes
d’urbanisation, de spéculation foncière et de protection du paysage, en imposant aux cantons
l’élaboration de plans directeurs et de plans d’affectation du sol424. Dans ce dernier domaine,
caractérisé par sa relative urgence et une certaine difficulté éprouvée par la Confédération à
proposer une législation consensuelle, celle-ci aura été contrainte d’employer la voie de

421
Loi fédérale sur la chasse et la protection des oiseaux du 17 septembre 1875.
422
Par exemple les filets de capture aveugle qui n’épargnent aucune espèce d’oiseaux.
423
Loi fédérale concernant la haute surveillance de la Confédération sur la police des forêts dans les régions
élevées du 24 mars 1876, étendue des région de montagne à l’ensemble du territoire helvétique de manière
transitoire par l’Arrêté fédéral concernant la haute surveillance de la Confédération sur la police des forêt du 15
avril 1898 dans l’attente de l’entrée en vigueur de la Loi fédérale concernant la haute surveillance de la
Confédération sur la police des forêts du 11 octobre 1902.
424
Plans délimitant des zones d’affectations telles que les zones à bâtir, les zones agricoles et les zones
protégées.

354
l’arrêté fédéral urgent425 pour obliger les Cantons à protéger certaines zones de leur territoire
(zones protégées). D’ailleurs, suite au refus par le peuple en 1974 d’un projet de loi sur
l’aménagement du territoire426, elle devra proroger cet arrêté à deux reprises, une première
fois en 1975427, puis une seconde fois en 1976428 (Conseil fédéral, 1972a, 1972b, 1975c, 1976
1978). Ce n’est que le 1er janvier 1980 qu’entrera en vigueur une loi fédérale sur
l’aménagement du territoire429.

L’ensemble des ces différentes interventions étatiques, de même que celles dans les domaines
de la protection de la nature, la protection de l’environnement (air, sol, bruit, etc.) et la
protection de l’eau, ont été caractérisées – du moins à leurs débuts – par l’introduction
d’instrument réglementaires tels que les systèmes d’autorisation, d’interdiction, de zones de
protections, etc. Elles font état d’une nécessité de résoudre des problèmes dont les causes et
les responsables sont d’une nature relativement peu complexe et dont les conséquences
(pollution de l’eau, disparition des espèces, catastrophes naturelles telles que glissements de
terrains, etc.) se sont fait immédiatement sentir, sans aucun « retard ».

Or, les problèmes environnementaux globaux actuels, problématique du Changement


Climatique en tête430, semblent cependant relever d’une autre dimension. Comme nous avons
pu le constater avec l’exemple du Changement Climatique ils sont en effet caractérisés par
leur grande complexité : boucles de rétroaction (et non causalités simples), processus non
linéaire, interactions complexes, effets de seuils, irréversibilité, incertitude élevée et décalage
temporel entre le moment t1 où s’exerce la pression anthropique et le moment t2 où sévit la
réponse du système (naturel) à la perturbation et implication d’une responsabilité diffuse,
générale et complexe d’acteurs multisectoriels.

Ces nouvelles problématiques, par leurs caractéristiques, devraient ainsi nécessiter une
réponse résolument différente et proactive et semblent ainsi devoir mobiliser des modalités
d’intervention distinctes de celles employées traditionnellement. En effet, l’action réactive et
unidimensionnelle ne semble plus convenir à ce type de problématiques en demande d’une
« nouvelle » régulation.

Les instruments économiques (taxes et systèmes de permis) sont d’ailleurs davantage


appliqués depuis les années 1990, non pas en substitution aux autres approches, mais de
manière complémentaire.

Le débat politique s’est [d’ailleurs] lentement tourné vers des mesures de protection de
l’environnement qui s’attaquaient à la pollution à la source. Ce changement de cap est
toujours en cours et prend de plus en plus d’ampleur. Il compte aussi bien sur une
politique technologique et des investissements dans la recherche et le développement que
sur la mise en place d’instruments incitatifs conformes à la logique du marché. Il est [par
ailleurs] soumis à une tension certaine entre les différents groupes d’intérêts politiques.
[Et] comme la dimension sociale n’en fait explicitement pas partie, cette tension se trouve
encore renforcée, car le débat sur la protection de l’environnement a tendance à s’orienter

425
Arrêté fédéral instituant des mesures urgentes en matière d’aménagement du territoire du 17 mars 1972.
426
Loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 4 octobre 1974.
427
Arrêté fédéral instituant des mesures urgentes en matière d’aménagement du territoire, Modification du 20
juin 1975.
428
Arrêté fédéral prorogeant durant une période limitée la validité des mesures relatives à l’aménagement du
territoire du 8 octobre 1976.
429
Loi fédérale sur l’aménagement du territoire (loi sur l’aménagement du territoire, LAT) du 22 juin 1979.
430
Pensons également aux problématiques de la biodiversité, de l’eau, de la désertification, etc.

355
dans l’idée du concept de croissance et non pas dans celle du développement durable.
Une politique préventive et proactive rencontre donc beaucoup d’obstacles (Bürgenmeier,
Greppin et Perret, pp. 142-143)

Par ailleurs, les nouvelles réponses à donner à ce nouveau type de problématique


environnementale en terme de régulation sociale et instrumentale impliquent également selon
nous une nouvelle approche théorique, compréhensive et méthodologique de l’intervention
étatique qui soit de nature à appréhender la complexité (environnementale, socio-
économiques, instrumentale, etc.).

Cette nouvelle approche se doit d’être orientée acteurs(-cibles), inter-transdisciplinaire,


combinée, systémique et dirigée dans une perspective de développement durable.

15.2 De la nécessité d’une approche orientée acteurs(-cibles)

Nous l’avons vu dans le cadre de la première partie de notre recherche, l’une des
conséquences de la fonction primaire des instruments politiques, à savoir qu’ils sont destinés
à influencer les comportements des acteurs qu’ils se veulent cibler, est qu’ils induisent dès
lors des effets redistributifs (modification de l’allocation des ressources de pouvoir,
économiques, informationnelle, etc.) sur ces acteurs, et par effet d’interaction, par la même
occasion sur l’ensemble des acteurs sociaux.

Leur mise en œuvre et a fortiori leurs choix soulèvent donc immanquablement des conflits
d’intérêts qui vont être portés au sein du processus décisionnels. C’est d’ailleurs également
dans ce cadre que vont également s’exprimer les différentes significations des acteurs à leur
égard et notamment la conception du rapport homme-nature et homme-homme qu’ils
impliquent pour eux. Ainsi, les instruments politiques qui, rappelons-le également ne sont, en
tant que moyen, pas neutres du point de vue des objectifs (avoués et inavoués) qu’ils sont
appelés à remplir431, se révèlent être indissociables du processus politique et des multiples
acteurs qui y interagissent. Dans les démocraties, et plus particulièrement en Suisse – pays de
démocratie directe par excellence – cette perspective nous invite donc à (re)placer l’analyse
instrumentale sur ce terrain (cf. Encadré 22 ci-après).

Cette mise en perspective de la notion étendue d’acteurs à prendre en compte dans l’analyse
instrumentale des politiques publiques nous invite à souligner notamment que :

• les acteurs partie-prenante au processus décisionnel sont d’autant plus nombreux et de


nature diverse que la problématique environnementale soulevée est de nature
multisectorielle et complexe ;

• les acteurs ciblés par les instruments politiques (acteurs-cibles) sont également partie-
prenante au processus décisionnels et ce à plusieurs niveaux.

431
Leurs choix est non seulement un choix de moyens mais également de fins

356
Encadré 22 : Instruments politiques, phases du processus décisionnel et acteurs impliqués
Avant de mettre en œuvre un ou plusieurs instrument(s) politique(s), il est indispensable pour un Etat
démocratique comme la Suisse de passer par le processus décisionnel et législatif. Ce processus décisionnels
comprend cinq phases et de nombreux acteurs sont appelés à y participer plus ou moins directement :
1) Phase d’impulsion*
Phase qui peut être lancée par le peuple (via l’initiative populaire visant à modifier la Constitution et qui
nécessitent 100'000 signatures), un ou plusieurs Canton(s) (via l’initiative cantonale ; un canton ou un ½ canton
peut déposer ou demander un projet d’acte législatif), le Conseil fédéral et son administration (via la
soumission d’un projet de loi) ou les parlementaires (via la motion qui oblige le Conseil Fédéral à présenter un
projet de loi, le postulat qui n’oblige pas le Conseil Fédéral à présenter un projet de loi mais qui vise à
demander d’examiner la possibilité d’élaborer un projet de loi ou d’établir un rapport sur un sujet, l’initiative
parlementaire qui permet au Parlement de proposer des modification de la Constitution, de lois et d’arrêtés
(possibilité d’adopter un projet de loi de manière autonome sans passer par le Conseil Fédéral)) ;
Acteurs partie-prenante : peuple, cantons, Conseil fédéral, administration, parlementaires
2) Phase d’élaboration :
Phase qui comprend un avant-projet (établi par un ou plusieurs office(s) ou commission(s)), une procédure de
consultation des principaux acteurs « intéressé » par le projet (procédure de co-rapport pour la mise au point du
projet) et le projet de loi en lui-même (conçu par l’administration) ;
Acteurs partie-prenante : administrations, experts, acteurs socio-économiques
3) Phase d’examen
Phase durant laquelle le projet de loi est examiné par le Parlement (procédure parlementaire) ;
Acteurs partie-prenante : parlementaire
4) Phase de ratification
Phase durant laquelle les révisions de la Constitution sont soumises au référendum obligatoire (double majorité
du peuple et des cantons) et les lois au référendum facultatif (dans un délai de 100 jours ; référendum = 50’000
signature ; si référendum : majorité simple du peuple) ;
Acteurs partie-prenante : peuple et éventuellement cantons
5) Phase d’entrée en vigueur, puis de mise en œuvre
Phase qui a lieu dans le cas où un référendum n’a pas été demandé ou si l’acte a été accepté en votation
populaire ;
Acteurs partie-prenante : acteurs de la mise en œuvre, tout acteur touché par la réallocation des ressources
induites par la mise en œuvre de l’instrument
* Dans la pratique note Kriesi (1998), entre 1971 et 1975 (soit sur 137 processus) 46 % d’impulsion
proviennent du Parlement (don 49% sont novatrices), 26 % de l’administration (dont 45% sont novatrices) et
seulement 15% du peuple (dont 71 % sont novatrices).
Source : d’après Kriesi (1998), Auer, Malinverni et Hottelier (2000) et Confédération suisse (2007, 2009)

Aussi, l’acceptabilité des instruments politiques par ces différents intervenants revêt une
importance certaine dans la mesure où l’objectif principal du processus décisionnel est
(notamment) de choisir des instruments capables d’atteindre les objectifs de régulation socio-
économiques visés ; or, si les objectifs sont (parfois) partagés, ce sont le plus souvent les
moyens de les atteindre qui sont sources de conflits.

A leur tour, ces quelques points de réflexions nous invitent à replacer l’analyse instrumentale
des politiques publiques sur le terrain de l’inter-transdisciplinarité et de la combinaison
(optimale) des instruments.

357
15.3 De la nécessité d’une approche inter-transdisciplinaire et combinée

La notion élargie d’acteurs à prendre en compte dans le cadre de l’analyse instrumentale des
politiques publiques nous amène à (re)penser l’approche instrumentale des politiques
publiques (de protection de l’environnement) sous deux angles différents mais
complémentaires qui expriment également une certaine prise en compte de la complexité
instrumentale et sociale : l’inter-transdisciplinarité et la nécessité de combiner les instruments
politiques.

15.3.1 De l’inter-transdisciplinarité
Nous avons en réalité déjà abordé de manière implicite par rapport à nos propos actuels la
question de l’inter-transdisciplinarité tout au long de notre recherche. En effet, nous avons
notamment constaté :

• que de nombreuses disciplines s’intéressaient à l’étude les instruments d’action de


l’Etat ;

• qu’en se basant sur une théorie de l’activité humaine plaçant les acteurs-cibles au
centre de la conception de notre typologie d’instrument, le comportement des acteurs
que l’Etat veut influencer se positionne à la croisée de divers déterminants
comportementaux que nous pouvons aisément rattacher à divers champs
disciplinaires : sciences politiques et administratives, science économique, science de
l’environnement naturel et construit, science de l’information et des médias, sciences
de l’éducation et psychologie, sciences des comportements, sociologie, etc ;

• et que la complexité globale des problématiques du XXIe siècle telle que celle du
Changement Climatique était de nature à inviter à l’inter-transdisciplinarité au sein des
sciences naturelles certes, mais surtout entre celles-ci et les sciences dites humaines ou
sociales.

Aussi, c’est en réalité la prise en compte de la complexité instrumentale et socio-


environnementale (au niveau des acteurs-cibles et de leurs comportements non durables), et
non son évitement, notamment via le cloisonnement des savoirs et des disciplines (ou à plus
petite échelle via une approche classificatrice et réductionniste), qui plaide en faveur d’une
approche instrumentale des politiques publiques de nature inter-transdisciplinaire… et ouverte
sur le développement durable.

Selon Bürgenmeier (2005, 2008), le concept de développement durable – indissociable pour


nous d’une approche de prise en compte de la complexité (de nature systémique) – pousse à
repenser la régulation sociale, notamment au niveau politique, tout en s’écartant d’une dérive
qui caractérise le monde du savoir, soit « le cloisonnement croissant des différentes
disciplines formant les sciences sociales et humaines » (2008, p. 241), auxquelles nous
ajouterons les sciences naturelles de l’environnement :

L’agenda de recherche permettant de repenser la régulation sociale doit donc porter sur
une réorganisation du monde du savoir pour le doter d’institutions qui facilitent le travail
en équipes interdisciplinaires et qui assurent la pluralité des approches. […] les
différentes options pour concrétiser le concept de développement durable […rendent
ainsi] apparente la nécessité de concevoir les différents instruments de la politique

358
environnementale d’une manière combinée. Les différentes recommandations peuvent
rarement trouver une application seule et isolée. Elles doivent être conçues en étroite
relation les unes avec les autres […]. Définir la combinaison optimale fait donc l’objet
d’un agenda de recherche orienté vers les politiques publiques dans le domaine du
développement durable. Souvent ces combinaisons ne peuvent être définies qu’à l’aide
de cas concrets. Identifier les conflits et les convergences que la recherche des
combinaisons les plus prometteuses entraîne ouvre un vaste champ encore peu défriché
pour la recherche en sciences économiques et sociales. (2008, pp. 241-242).

La pertinence d’une perspective de développement durable dans le contexte de l’analyse


instrumentale des politiques publiques de protection de l’environnement est d’ailleurs très
prometteuse dans le sens où les causes, les conséquences et donc les enjeux des
problématiques environnementales globales actuelles – Changement Climatique en tête – se
trouvent à l’interface des dimensions environnementale, sociale et économique des activités
humaines432 et posent des questions d’ordre éthique intra/intergénérationnelle. Par ailleurs, la
notion de développement durable est également propice à la mise en exergue de la complexité
sociale et environnementale et à l’application d’une approche systémique et globale.

La signification du concept de développement durable réside dans l’interaction des


dimensions économiques, sociales et environnementales. Elle condamne donc une
approche par une seule discipline et réclame une analyse de la complexité au lieu
d’études de causalités simples. (Bürgenmeier, 2008, p. 213)

Cependant, plus que vers de l’interdisciplinarité, l’approche instrumentale des politiques


publiques devrait selon nous tendre vers de la transdisciplinarité433 : la prise en compte des
savoirs non scientifiques qui pourraient, par exemple, s’exprimer par l’implication des
acteurs-cibles et/ou des acteurs du processus décisionnels dans le cadre d’une démarche
participative (à une échelle territoriale pertinente) serait par exemple une piste à suivre434.
Une telle approche instrumentale pourrait sans doute induire une théorie instrumentale
proactive ou des recommandations plus effectives, non déconnectées d’une réalité sociale
complexe.

Dans tous les cas, l’approche instrumentale des politiques publiques devrait tendre vers une
co-construction de savoirs entre disciplines dans le sens où toutes théories du choix des
instruments politiques – où à plus petite échelle toutes recommandations sur le choix des
instruments – devraient avoir pour point de départ l’identification des acteurs-cibles (via
l’identification de la problématique environnementale) et l’analyse des déterminants et marge
de liberté de leurs comportements non durables. Dans ce cas, les points de vue disciplinaires
se doivent de dépasser leurs frontières et remettent en question lors propres logiques pour
aboutir, en commun, à une vision proactive de l’intervention de l’Etat.

432
La problématique du Changement Climatique, de par sa nature complexe, peut précisément donner corps au
contenu opérationnel du concept de développement durable puisque le réchauffement planétaire a) est la
résultante de paramètres environnementaux (mécanisme de l’effet de serre, rôle des océans, etc.), économiques
(activités industrielles, types d’énergie consommée, etc.) et sociaux (modes de vie, rapports Nord-Sud, etc.) et b)
induit des impacts sur les systèmes environnementaux (élévation du niveau des mers, accentuation du cycle
hydrologique, etc.), économiques (impacts sur l’agriculture, les infrastructures humaines, etc.) et sociaux
(impacts sur la santé, etc.).
433
Sur les notions d’interdisciplinarité et de transdisciplinarité, voir par exemple Lawrence, R. et Després, C.
(2004). Lawrence, R. (2008).
434
Rappelons-nous ici les deuxième et huitième principe de Gardner et Stern (1996).

359
Or, une telle approche ne peut selon nous que déboucher vers une (théorie de l’)action qui se
décline en terme de combinaisons (optimales) des instruments.

15.3.2 De la combinaison des instruments : efficacité environnementale


La nécessité de combiner les instruments politiques semble constituer un enseignement tiré
par bon nombres de chercheurs, et notamment par Kaufmann-Hayoz et al., Gardner et Stern
ou Flury-Kleuber et Gutscher :

No single-factor or one-dimensional intervention can be successful in stimulating


changes in individual behaviour or corporate action. Examples from history show that
major changes occur when many factors together create a constellation strong enough to
transgress the inertia of ten existing system (Kaufmann et Gutscher, 2001, p. 24, citant
Loessoe, 1996).

The general conclusion we come to in these chapters – and the one we hope to convince
you of – is that none of the four solution approaches [pointed by the authors] is, by itself,
likely to work effectively; no one approach will successfully prevent tragedies of
commons, […]. Instead, we argue that only a coordinated effort involving all – or at least
most – of the four solution types will succeed. (Gardner et Stern, 1996, p. 32)

In general, a combination of strategies is more effective than trying to change just one
parameter (Flury-Kleuber et Gutscher, 2001, p. 128)

Cependant, de notre pointe de vue, la nécessité de combiner les instruments ne relèvent pas
des mêmes prémisses que celles trouvées généralement dans la littérature spécialisées. Aussi
donnons-nous un éclairage différent sur cette dimension importante de l’analyse instrumentale
des politiques publiques dans une optique proactive, éclairage qui nous permet de tirer selon
nous des conclusions innovantes en matière de théorie (proactive) de l’action étatique.

Aussi, pour nous, les instruments politiques se doivent d’influencer les comportements
complexes des acteurs socio-économiques pour atteindre leurs objectifs. Nous venons
d’aborder une des conséquences majeures que cela induit selon nous sur l’approche
instrumentale des politiques publiques en matière de « disciplinarité », mais une autre
implication est sans aucun doute la nécessité de combiner les instruments. En effet, des
comportements complexes ne peuvent (sans doute) être influencés efficacement et
durablement que par une action multidimensionnelle à la hauteur de leur complexité. La
combinaison des instruments politiques revêt donc ici un gage d’efficacité comportementale
et donc d’efficacité environnementale.

Dans cette perspective, la combinaison d’instruments devrait être conçue sur les bases d’une
analyse ex ante interdisciplinaire (voire transdisciplinaire) de la situation des acteurs ciblés
par l’intervention et donc par la mise en évidence des leviers comportementaux à actionner
afin de dépasser les barrières comportementales auxquelles ils font face. Comme l’ont
souligné Gardner et Stern (1996), celles-ci sont nombreuses et varient en fonction des acteurs,
des situations et du temps (cf. Encadré 23 ci-après).

Notons ici que certains instruments combinent déjà une certaine multidimensionnalité, nous
l’avons constatée dans le cadre de la troisième partie de notre recherche. Nous pensons
notamment aux instruments EF-AC8, MécFlex-AC1 et TCO2-AC2 qui sont à la fois des

360
instruments de type économique et de type coercitif. Ils sont donc sans doute assez
prometteurs sur le plan de leur efficacité environnementale.

Encadré 23 : Un exemple de comportement complexe soumis à différentes barrières comportementales


Prenons l’exemple d’un consommateur dans un supermarché. Quels produits va-t-il acheter pour le diner de ce
soir ? Son choix va sans doute dépendre de son budget, mais également de l’information qu’il peut obtenir des
produits, de son système de valeur, des produits effectivement disponibles, voire même du comportement
d’autres consommateurs (acheter un produit sur un rayon car il semble que d’autres ont choisi celui-ci ne vous
est-il jamais arrivé ?) ou même de son état émotionnel. Ces différents facteurs peuvent d’ailleurs avoir un poids
différent dans l’explication de son comportement de consommateur d’un jour à l’autre.
Aussi son choix de consommer (non durable) peut découler d’un manque de ressources financières ou
d’information, de certaines de ces valeurs, etc. Il en va de même pour la plupart de nos comportements et de nos
actions.
Dans cette perspective, pour modifier le comportement d’un acteur (vers un choix de consommation plus
durable par exemple), lever une barrière comportementale est sans doute nécessaire (par exemple faisant baisser
le prix d’un produit via une subvention) mais sans aucun doute non suffisant.
Le comportement des acteurs est complexe. Il est donc nécessaire d’agir de manière multidimensionnelle pour
le modifier et donc d’adopter une approche apte à pouvoir faire transparaître cette complexité.
Source : l’auteur

Or, si nous ajoutons à cette perspective le fait que tout choix d’instrument politique est de
facto soumis à l’acceptabilité des acteurs partie-prenante du processus décisionnel, il en
découle que l’efficacité des instruments politiques est également soumise à une autre
dimension de l’efficacité, à savoir l’efficacité politique.

15.3.3 De la combinaison des instruments : efficacité politique


Rappelons ainsi avec Elmore (1987) que la combinaison des instruments au sein des
politiques est le plus souvent la conséquence d’une négociation politique que la conséquence
de leurs caractéristiques opératoires ou de leurs capacités supposées d’avoir des effets
attendus.

Dans cette perspective, tout instrument, ou combinaison d’instruments, relèvent d’un choix
politique, choix qui reflète, en vertu du principe démocratique, les intérêts de différents
acteurs du jeu politique (au minimum de la majorité d’entre eux), intérêts qui sont souvent
divergents voire contradictoires avec les objectifs visés. En Suisse, pays de démocratie directe
par excellence, dans lequel les acteurs concernés font partie intégrante du processus
décisionnel, l’acceptabilité sociale des instruments revêt donc une importance majeure435. En
tant que processus humain, elle est l’expression de paradoxes entre intérêts individuels et
intérêts collectifs ainsi que de conflits d’intérêts entre acteurs sociaux. Elle se construit
également – à différents niveaux – sur la base des multiples dimensions des instruments (leurs
objectifs, leurs effets (re)distributifs, la perception des acteurs à leur égard, etc.).

Aussi, pour passer le « filtre instrumental » que constitue le processus décisionnels (au sein
duquel s’expriment différents intérêts, points de vue, etc.), la combinaison instrumentale
optimale du point de vue de l’efficacité environnementale se doit également de constituer une
combinaison optimale du point de vue de son acceptabilité. Celle-ci peut d’ailleurs être

435
Pour ce qui concerne spécifiquement le cas de la politique climatique suisse, voir notamment Bürgenmeier,
Baranzini, Perret et al. (2007), Bürgenmeier, Greppin et Perret (2007), Perret (2008) et Thalamann et Baranzini,
2007, 2008.

361
anticipée par une évaluation ex-ante des préférences instrumentales des acteurs partie-
prenante au processus décisionnel et notamment, dans le domaine de la protection de
l’environnement, des préférences instrumentales des milieux économiques et
environnementaux (cf. Encadré 24 ci-dessous).

Encadré 24 : Les préférences instrumentales des milieux économiques et environnementaux,


principaux résultats de nos études menées sur l’acceptabilité des instruments de la
politique climatique suisse
Dans le cadre de différentes études que nous avons menées sur l’acceptabilité des instruments de la politique
climatique en Suisse (Bürgenmeier, Baranzini, Perret et al. (2007), Perret (2007b) et Perret et Ingold (2009)),
nous avons mis en évidence les préférences instrumentales antagonistes des milieux économiques et
environnementaux.
A la suite de ces études, nous pouvons ainsi affirmer de manière somme toute assez solide que les milieux
économiques traditionnels marquent leur préférence pour les mesures volontaires et le système (inter)national
de permis négociables et sont opposés aux instruments plus contraignants que sont la taxe et les contrôles
directs.
A l’opposé, les milieux environnementaux rejettent l’instrument non contraignant des mesures volontaires (ou
au mieux sont partagées quant à son introduction) et plébiscitent à l’inverse des mesures plus contraignantes tels
que la taxe et les contrôles directs.
Cette opposition de préférence a sans doute été la plus marquée dans le cadre de la prise de position des milieux
concernés lors de la procédure de consultation relative aux quartes variantes de la législation sur le CO2 de
2004. Ainsi, dans son message concernant l’introduction de la taxe CO2 adressé au Parlement, le Conseil fédéral
(2005) indique que lors de la consultation sur les quatre variantes « si la quasi-totalité des participants soutient
les objectifs de la politique climatique [suisse, …] les avis sur les mesures à prendre pour atteindre les objectifs,
en revanche, sont très partagés » (p. 4637). Aussi, le PS, le PE, le PCS et les organisations
environnementales « se prononcent en faveur de […] la perception unique d’une taxe CO2 appliquée aux
combustibles et aux carburants » alors que les milieux de l’économie et le PRD, l’UDF, marquent leur
préférence pour le centime climatique et le rejet de toute taxation.

Source : Bürgenmeier, Baranzini, Perret et al. (2007), Perret (2007b) et Perret et Ingold (2009) et
Conseil fédéral (2005)

L’acceptabilité des instruments revêt donc une importance majeure dans la perspective de
trouver le bon mixte instrumental. En effet, si pris séparément, les instruments jouissent d’une
acceptabilité sociale différente, qui empêcherait a priori de disposer d’une politique
climatique efficace, pris de manière combinée et dans un certain agencement, ils peuvent
s’avérer très efficaces politiquement. L’exemple de la politique climatique suisse en est une
bonne illustration.

15.3.4 De la combinaison optimale des instruments : l’exemple de la politique climatique


suisse
Nous avons constaté dans le cadre de la troisième partie de notre recherche que la politique
climatique suisse était construite sur une combinaison d’instrument de nature synchronique et
diachronique436. Elle constitue en cela une synthèse innovante en terme d’efficacité politique
et d’efficacité environnementale qui, d’une part, a su concilier des intérêts divergents –
intérêts qui peuvent être illustrés par les opinions opposées des milieux économiques et

436
Qui rappelons-le combine notamment dans le temps en entre eux des instruments volontaires (phases des
mesures volontaires : conventions d’objectifs et engagements formels) et des instruments économiques (taxe
subsidiaire sur le CO2 si les mesures envisagées durant la première phase n’atteignent par leurs objectifs
environnementaux et exemption des entreprises qui ont pris et remplis leurs engagements formels ; mise en place
d’un système de permis négociables dont la distribution des permis est liée aux engagements formels).

362
environnementaux vis-à-vis des mesures à mettre en œuvre (cf. Encadré 24 ci-avant) – pour,
d’autre part, déboucher sur une combinaison instrumentale somme toute assez efficace sur le
plan environnemental avec l’acceptation tout d’abord du principe d’une taxe CO2, puis son
introduction (certes partielle) par la suite.

Notons ici que le principe de subsidiarité437 que nous avons mis en évidence dans le cadre de
la troisième partie de notre recherche revêt une importance majeure : il permet de rendre
acceptable par certains acteurs, des instruments qui pris isolément, n’aurait jamais passé le
filtre du processus décisionnels : le cas de la taxe CO2 en est la plus flagrante illustration.

Rappelons ainsi que son introduction est historiquement liée aux échecs des tentatives passées
d’introduire de manière frontale des taxes écologiques dans le domaine de la protection de
l’environnement en Suisse, tentatives qui ont toutes échoué soit au niveau de la votation
populaire438, soit pour le cas du projet de taxe CO2 du début des années 90 que nous avons
déjà abordé dans le cadre de la troisième partie de notre recherche, au niveau de la procédure
de consultation. A contrario, la stratégie mise en place dans le cadre de la législation sur la
réduction des émissions de CO2, a permis d’obtenir un large consensus parmi les milieux
concernés (cf. Encadré 25, ci-après).

Bien sûr, et c’est le jeu politique, diverses tentatives de repousser l’introduction de cette taxe
ont vu le jour dès qu’il a été question de son introduction effective : dans le secteur des
carburants tout d’abord, avec la proposition du centime climatique qui a été acceptée, puis
dans le secteur des combustibles, avec la proposition, cette fois-ci refusée, d’un centime
climatique II. Nous pouvons ainsi constater que la stratégie mise en œuvre dans le cadre de la
politique climatique suisse permet de maintenir une pression sur les acteurs socio-
économiques qui se doivent de faire des propositions s’ils veulent éviter la contrainte tant
redoutée. Ces propositions ont le mérite d’exister et d’être innovantes. Toutefois, leur
efficacité reste toute de même encore à prouver. Cependant, et c’est peut être là la chose la
plus importante, l’acceptation du principe de la taxe CO2 par une majorité d’acteurs ayant
participé aux processus décisionnels (milieux économiques compris), constitue un jalon qui
ne peut être difficilement remis en question sur le fond et à plus ou moins court termes. Le
projet de révision de la législation sur le CO2 mis en consultation entre décembre 2008 et
mars 2009 et portant sur la politique climatique suisse d’après 2012 est également là pour en
témoigner : la taxe CO2 y joue le rôle principal (DETEC, 2008, voir également DETEC,
2007).

437
Notamment la combinaison de la taxe subsidiaire sur le CO2 aux mesures volontaires au sein d’une approche
diachronique par palier fondée sur l’évaluation de l’efficacité environnementale de ces dernières.
438
24 septembre 2000 : le peuple et les cantons rejettent l’initiative populaire « Initiative solaire » (peuple : 67 %
de non et cantons : 20 6/2 de non) et son contre-projet (peuple : 51.8 % de non et cantons : 16 5/2 de non), ainsi
qu’un contre-projet à l’initiative « énergie et environnement » (peuple : 55.5 % de non et cantons : 18 5/2 de
non) qui avait été retirée (Confédération suisse, 2002a, 2002c). L’initiative solaire proposait de taxer de 0.5 cts
par kWh les agents énergétiques non renouvelables. Le contre-projet à « l’initiative solaire », quant à lui,
proposait de prélever une taxe, pendant 10 à 15 ans, de 0.3 cts par kWh sur les agents énergétiques non
renouvelables. Enfin, le contre-projet à l’initiative « énergie et environnement » proposait une taxe sur les
énergies non renouvelables, dont le montant maximum ne devait pas dépasser 2 cts par kWh. Ensemble, les deux
projets du Conseil fédéral et du Parlement permettaient de réduire les émissions de CO2 d’environ 12% d’ici à
2010, par rapport à l’année de référence 1990. Les objectifs de la loi sur le CO2 et du Protocole de Kyoto
auraient ainsi été atteints. 2 décembre 2001 : le peuple et les cantons rejettent l’initiative « pour garantir l’AVS –
taxer l’énergie et non le travail » (peuple : 77.1 % de non et cantons : 20 6/2 de non) (Confédération Suisse,
2002b).

363
Encadré 25 : La loi sur le CO2 : une loi très consensuelle
Quelques hypothèses sur les facteurs explicatifs du niveau élevé d’acceptation de la loi fédérale sur la réduction
des émissions de CO2 lors de sa soumission à consultation et de son adoption durant la deuxième moitié des
années 90 peuvent être esquissées :
• pas ou peu de désaccords sur l’objectif poursuivi par la législation : la nécessité de réduire les
émissions de CO2 représentant un objectif environnemental faisant l’objet d’un certain consensus sur le
plan national et international ;
• des objectifs compatibles avec les engagements internationaux pris par la Suisse dans le cadre de la
lutte contre les émissions de GES ;
• l’articulation des moyens mis en œuvre dans le cadre de la législation : tout d’abord une phase
volontaire qui met l’accent sur les mesures librement consenties, des mesures très courtisées par les
milieux économiques, puisque leur laissant tout le loisir de s’organiser de manière libre (flexibilité),
puis éventuellement, dans un second temps une phase subsidiaire articulée autour de l’introduction
possible d’une taxe sur le CO2 – perçue comme une menace pesant sur l’économie si elle ne devait par
remplir librement les objectifs fixés dans la loi – mais qui peut toutefois être évitée par les gros
consommateurs d’énergie ayant conclu un engagement formel avec la Confédération ; la subsidiarité
de la taxe représentant une chance réelle pour les milieux économiques d’y échapper ;
• l’horizon temporel de l’éventuelle entrée en vigueur de la taxe a sûrement dû jouer un petit rôle dans le
sens où 2004 semblait bien lointain à la fin des années 90 lorsque les Chambres ont approuvé le projet
de loi ;
• la mise en place (en tant que mesure d’accompagnement) des instruments économiques prévus par le
Protocole de Kyoto ;
• la fixation d’un taux maximum de la taxe dans la loi ;
• le fait que le Conseil fédéral doit tenir compte de différents éléments s’il introduit la taxe, et
notamment de la capacité concurrentielle de l’économie ;
• le fait que la taxe soit introduite par étape – une flexibilité toujours appréciée par les milieux
économiques – et que son calendrier soit fixé par avance – une prévisibilité également appréciée par
les milieux économiques ;
• un contrôle parlementaire du montant de la taxe ;
• les conditions de l’utilisation du produit de la taxe : la répartition du produit de la taxe prévue par la
législation entre la population et les milieux économiques semble avoir obtenu l’adhésion du plus
grand nombre, contrairement au projet de taxe CO2 du début des années 1990 qui prévoyait de répartir
le produit de la taxe pour deux tiers à la population et à l’économie (1/4 pour les entreprises et 3/4 pour
la population) et pour un tiers à des mesures dans les domaines de l’économie d’énergie et des énergies
renouvelables.
Source : d’après Perret (2003)

En effet, la politique climatique suisse, avec sa subtile combinaison d’instruments, a jouit


d’une acceptabilité élevée qui, même si elle est (et sera) toujours remise en question par les
milieux réfractaires à l’introduction de la taxe CO2, ne peut plus être fondamentalement
combattue.

Le point central est sans doute d’avoir lié la combinaison des instruments dans le temps à une
évaluation de l’efficacité environnementale des mesures volontaires, avec peut-être pour seul
bémol, le fait de n’avoir pas clairement identifié la période temporelle durant lesquelles ces
mesures pouvaient être déployées ou proposées.

364
15.3.5 De la combinaison optimale des instruments : un équilibre entre efficacité
environnementale et efficacité politique
Ainsi, le choix des instruments politiques de protection de l’environnement peut être défini
comme le résultat d’un processus politique d’ajustement entre, d’une part, des intérêts
individuels divergents (relatifs à leurs objectifs, leurs effets (re)distributifs, la perception des
acteurs à leur égard, etc.) et, d’autre part, un but de bien-être collectif (la protection efficace
de l’environnement).

Par conséquent, « le » politique se doit de faire coïncider la diversité des intérêts individuels
sans pour autant le faire au détriment du bien-être public (la protection de
l’environnement)439. Dans cette perspective, la manière dont sont combinés les différents
instruments représente un élément primordial pour mener à terme une politique efficace
puisque c’est de cette combinaison que doit émerger la meilleure synthèse entre efficacité
environnementale et efficacité politique. Combiner les instruments dans la synchronie et la
diachronie constitue en cela une approche gagnante.

D’ailleurs, et pour reprendre l’exemple de la problématique de la réduction des émissions de


CO2, nous pouvons désormais sensiblement comprendre pourquoi une telle problématique ne
peut être résolue de manière unidimensionnelle. Les enjeux, les acteurs impliqués et les
conflits d’intérêts sont trop importants et le problème trop complexe. Le tout réglementation
comme le tout volontaire ou le tout économique ne peuvent être envisagés ni sur le plan de
l’efficacité environnementale, ni sur le plan de l’acceptabilité politique et sociale. Ce n’est
ainsi que par l’intégration de différents instruments d’action qu’une politique cohérente et
globale peut déployer tous ses effets dans le domaine du Changement Climatique.

Par ailleurs, et admettant qu’une politique de protection du climat efficace se doit notamment
d’être fondée sur le principe de précaution, l’utilisation unique d’instruments de type réactif
n’est pas suffisante, ni adaptée, et se doit d’être complétée par des instruments proactifs
incitant les acteurs à modifier leurs comportements avant que les effets des perturbations
humaines ne soient effectifs.

Trouver la bonne combinaison pour allier efficacité environnementale et efficacité politique


semble donc représenter le défi que les politiques publiques vont devoir relever pour régler les
problèmes environnementaux complexes actuels et futurs.

Tous ces éléments bien considérés, et soulignant que la combinaison instrumentale optimale
réside donc dans l’équilibre (difficile) à trouver entre efficacité environnementale et efficacité
politique, toute politique publique de protection de l’environnement devrait selon nous
impliquer une analyse ex ante de la situation des acteurs-cibles et des préférences des acteurs
partie-prenante au processus décisionnels qui puisse s’accommoder de la complexité des
processus sociaux. Elle devrait donc relever au plus haut point d’une approche inter-
transdisciplinaire et orientée acteurs.

Une perspective de recherche pourrait alors résider dans une compréhension de nature
systémique de cette réalité complexe. C’est sur une telle proposition – qui prend forme sous le
concept de « système instrumental » – que nous clôturerons notre chapitre de conclusion.
Celui-ci se veut donc proposer très librement les prémisses d’une réflexion systémique autour

439
En d’autres termes, il doit dépasser le paradoxe de l’action collective exprimant la difficulté de réunir intérêts
individuels et intérêt collectif.

365
de la notion d’instruments politiques qui puise ses fondements dans les différents
enseignements théoriques et méthodologiques que nous avons tirés de notre recherche.

15.4 Perspective de recherche : le système instrumental

Ce dernier chapitre de conclusion est l’occasion d’ouvrir une esquisse de perspective de


recherche dans le domaine de l’étude des instruments des politiques publiques (de protection
de l’environnement). Cette proposition n’est qu’au stade de l’idée première et tente de
synthétiser la plupart des challenges de l’analyse instrumentale que nous avons relevés dans le
cadre de notre recherche. Elle représente donc une voie ouverte dont l’idée originelle est bien
entendu encore à développer. Cette idée est celle du « système instrumental », un outil/modèle
d’analyse des politiques publiques de protection de l’environnement qui peut servir à
comprendre puis expliquer le choix des instruments politiques dans des domaines
environnementaux aussi complexes que la problématique du Changement Climatique par
exemple.

Dans notre perspective, cette outil devrait servir de cadre de référence pour expliquer de
manière ex post le choix des instruments ou de définir de manière ex ante une combinaison
efficace (sur le plan politique et environnemental) d’instruments.

Par ailleurs, il se veut également exprimer une conception systémique de notre objet d’étude
qui nécessite, nous l’avons constaté, une approche de nature inter-transdisciplinaire.

Nous jetons donc ici les premières bases pour passer d’une approche instrumentale des
politiques publiques de protection de l’environnement à une approche par le système
instrumental. En d’autres termes, notre objectif est de proposer un modèle d’analyse afin
d’appréhender les instruments non en tant que tels mais au sein d’un système d’interactions
complexes que nous nommerons « système instrumental ». Notre typologie d’instruments (qui
reste ouverte et sans doute modulable), ainsi que notre méthodologie d’analyse y tiennent une
place centrale.

Aussi, dans notre perspective, établir la combinaison optimale des instruments de politique
publique dans la perspective de traiter une problématique environnementale complexe telle
que celle du Changement Climatique nécessite impérativement de penser les instruments en
tant que système instrumental (cf. Figure 43, ci-après).

366
Figure 43 : Esquisse du « système instrumental » en tant que modèle d’analyse des politiques environnementales

Processus décisionnel / Processus de changement

Acteurs (acteurs-cibles, Problématique


décideurs, etc.) environnementale
Autres dimensions
réseaux d’acteurs, etc. Autres dimensions
(cf. Tableau 24, p. 138)

Typologie idéal typique d’instruments


unité de mesure/d’analyse / caractéristiques
Perceptions et préférences Modifications des
instrumentales / conception comportements individuels et
du rapport de l’homme à son collectifs / implications sur la
environnement/à l’Etat/aux Méthode idéaltypique+ / Comparaison (ré)allocation des ressources
instruments

Réalité instrumentale
(les instruments concrets d’une politique publique)

Niveau de complexité Fins / objectifs poursuivis

Jeux de pouvoir, délibération/négociation avec d’autres politiques,


pesées d’intérêts

Source : l’auteur

367
Au sein d’un tel système – qui devrait idéalement prendre en compte l’ensemble des
dimensions des instruments soulevées dans le cadre de la première partie de notre recherche
avec d’autres sans aucun doute – la réalité instrumentale (les d’instruments concrets des
politiques publiques) est donc à appréhender par l’intermédiaire d’une typologie idéaltypique
(au sens wébérien du terme) d’instruments qu’il faut utiliser comme référentiel comparatif.

Cette approche a selon nous le mérite de replacer les instruments des politiques publiques au
sein d’une conception plus générale et systémique – qui comprend également des dimensions
immatérielles (par exemple les perceptions des instruments par les acteurs) – beaucoup plus à
même d’appréhender et de faire ressortir la complexité de la réalité instrumentale. Elle permet
sans doute de ne jamais oublier que le choix des instruments politiques découle de beaucoup
de facteurs à prendre en compte – des facteurs qui d’ailleurs sont sans aucun doute en
interdépendances – et de replacer les instruments au sein d’une conception plus large de
l’analyse des politiques publiques.

Enfin, elle se veut représenter une approche dynamique (non statique) qui met en exergue un
processus de changement – celui des comportements des acteurs-cibles – qui relève
principalement du processus décisionnel. Dans cette perspective, les modalités de ce
changement (changement relatif des prix, des valeurs, etc.) ne sont que des moyens et non des
fins.

Et pour conclure, nous soulignerons que notre « système instrumental », comme toute
approche instrumentale des politiques publiques (de protection de l’environnement), doit être
apte à gérer la complexité.

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387
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Arrêté fédéral du 23 mars 2007 concernant la compensation des émissions de CO2 des
centrales à cycles combinés alimentées au gaz. RS 641.72

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Loi fédérale du 8 octobre 1999 sur la réduction des émissions de CO2 (Loi sur le CO2). RS
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Ordonnance du 22 juin 2005 régissant l'imputation des réductions d'émissions opérées à


l'étranger (Ordonnance sur l'imputation du CO2). RS 641.711.1

Ordonnance du 8 juin 2007 sur la taxe sur le CO2 (Ordonnance sur le CO2). RS 641.712

Ordonnance du DETEC du 27 septembre 2007 sur le registre national des échanges de quotas
d'émission. RS 641.712.2

Ordonnance du 21 décembre 2007 sur la compensation des émissions de CO2 des centrales à
cycles combinés alimentées au gaz. RS 641.721

388
ANNEXES

389
390
Annexe 1

Les cinq continuums de Dahl et Lindblom

391
392
Source : reproduit de Dahl et Lindblom (1992)

393
394
Annexe 2

Les douze types d’instruments d’action


étatique chez Hood

395
A) Les instruments de conseils, d’information et de persuasion
Deux modalités d’action : la « non-information » (suppression de l’information : secret, propagande,
désinformation) et l’information (propagation directe (par l’Etat) ou indirecte (par l’intermédiaire d’autres
acteurs)).
A1) Messages individualisés (niveau particulier)
- Informations ou réponses spontanées/anticipées (sur sollicitation indirecte)
- Informations ou réponses sur sollicitation directe individuelle (ex. : conseils individualisés)
- Information directe sans sollicitation (ex. : rappel quant à l’expiration d’une licence)
A2) Messages adressés à des publics cibles (niveau intermédiaire)
- Idem que pour A1) mais à destination de groupes d’individus déterminés
A3) Messages à diffusion large – messages standardisés (niveau général)
- Messages « grand-public » de types « privatisés » ou « self-service »
- Propagande (a pour fonction de persuader et de structurer la perception de l’information)

B) Les instruments « financiers »


Sont uniquement abordés les instruments impliquant des ressources financières.
B4) Payements individualisés : avec ou sans contrepartie (niveau particulier)
- Payements individualisés (avec conditions/contrepartie vs sans conditions/contrepartie)
B5) Payements par des intermédiaires (niveau intermédiaire)
- Subventions distribuées à des groupes (via des organisations, associations, etc.)
B6) Payements ouverts/anonymes (niveau général)
- Primes sur contrepartie (ex. : subventions allouées par lapins tués !)
- Payements sans contrepartie immédiate - titre au porteur

C) Les instruments autoritaires/contraignants


Une distinction du degré de contrainte est fait pour chaque sous-type d’instruments (du moins contraignants au
plus contraignants).
C7) Instruments autoritaires/contraignants individualisés (niveau particulier)
- Certificats/attestations officielles (ex. : certificat de naissance)
- Engagements conditionnels de la part de l’Etat (ex. : garanties)
- Autorisations (ex. : licences, patentes, permissions)
- Interdictions & obligations
C8) Instruments autoritaires/contraignants ciblés (niveau intermédiaire)
- Idem que pour C7) mais à destination de groupes d’individus déterminés
C9) Instruments autoritaires/contraignants généraux (niveau général)
- Conventions (ex. : l’heure des différents Etats, passage de l’heure d’été à l’heure d’hiver)
- Engagements conditionnels de nature générale (ex. : amnistie)
- Autorisations de natures générales (ex. : permis de conduire)
- Interdictions & obligations de nature générale

D) Les instruments organisationnels d’action directe


Quelques exemples donnés à titre indicatif.
D10) instruments organisationnels individualisés (niveau particulier)
- Marquage (Merking) (ex : colorer le fuel pour voir si la taxe à été payée !)
- Stockage et détention (Storage and custody)
- Transport et distribution (Transportation and distribution)
- Traitement (Processing)
D11) Instruments organisationnels ciblés (niveau intermédiaire)
- déportation de personnes, contrôle de masse
D12) Instruments organisationnels « tout-public » (niveau général)
- infrastructures
Source : adapté de Hood (1983/1990)

396
Annexe 3

Les six caractéristiques des instruments


selon Bressers & O’Toole

397
1. Instruments impliquant la fourniture ou le retrait des ressources aux groupes cibles (provision or
withdrawal of resources) ;

2. Instruments impliquant la présence/absence d’une liberté formelle de choisir l’exécution de l’instrument


par les acteurs cibles (freedom of choice to apply) (des instruments tels que certaines formes d’information
et de subventions sur requêtes laissent le choix d’agir dans les mains des acteurs qui sont libres de choisir
si l’instrument s’appliquera à eux) ;

3. Instruments impliquant un dispositif unilatérale vs bilatéral & multilatéral (bilateral or multilateral) entre
le gouvernement et les groupes cibles (règles verticales et ordres vs conventions/accords, règles négociées
qui sont des instruments centrés sur la notion d’ajustement mutuel horizontal) ;

4. Instruments impliquant ou non un appel normatif (normative appeal) qui joue sur la dépendance du groupe
cible vis-à-vis de la loi (« tu devrais » ou « tu ne devrais pas » vs incitation financière qui ne joue pas sur
cette dimension) (correspond à la distinction souvent établie entre les instruments économiques et les
mécanismes juridiques ou régulatifs, qui souvent portent à confusion car les instruments légaux sont
souvent accompagnés par des sanctions financières, alors que les instruments économiques sont ancrés
dans des régulations te type réglementaire ; ainsi au lieu de faire une telle distinction, l’auteur trouve plus
réaliste de se référer à un continuum dans lequel un éventail d'instruments concrets occupent des positions
intermédiaires ; la distinction entre instruments « économiques » (incitatifs) et légaux (directifs) est
souvent fondée sur la question de l’ampleur de cet appel normatif) ;

5. Instruments impliquant ou non la proportionnalité (proportionality) (degré de réponse) du gouvernement


vis-à-vis du comportement de l’acteur cible (la taille ou l’intensité des comportements du groupe cible est
proportionnel à la taille ou à l’intensité de la réaction du gouvernement à ce comportement  de manière
générale, les instruments incitatifs sont plus proportionnels au comportement que les instruments
régulatifs, particulièrement lorsque ces derniers fixent une limite normative ; les caractéristiques des
instruments incitatifs et directifs reposent sur ce degré de réponse) ;

6. Instruments impliquant ou non les décideurs politiques dans le processus de mise en œuvre (role of the
policy makers in the implementation process) (choix dans la sélection de(s) organisation(s) qui appliquent
les instruments ; importance des agences du gouvernement vs délégation de l’exécution à des organisations
indépendantes (corporations ou des organisations semi étatique) ; strictement parlant ces considération
n’impliquent pas de caractéristiques spécifiques d’un instrument particulier, mais le choix du type
d’organisation représente un facteur important pour déterminer si et comment les instruments vont
fonctionner dans la pratique).
Source : adapté de Bressers et O'Toole (1998)

398
Annexe 4

Exemples de typologies tryptiques

399
Types d’instruments Instruments Instruments Instruments
Auteur, date « contraignants » « incitatifs » « de communication »

Doern 1978 Régulation Dépenses publiques Exortation


cité par Pal, 1992 (regulation) (public expenditure) (exhortation)

Bardach, 1980 Exécution contraignante Incitations financières Persuasion


cité par Howlett, 1991 (enforcement) (benefaction) (inducement)

Gormley, 1987
Outils coercitifs Outils catalityques Outils oratoires
cité par Schneider &
(coercive tools) (catalytic tools) (hortatory tools)
Ingram, 1990a

Van der Doelen, 1989


Instruments Instruments de
cité par De Bruijn & Instruments légaux
économiques communication
Hufen, 1998 ; Salamon, (legal family)
(economic family) (communication family)
2002

Hoogerwerf, 1995 Instruments de


Moyens financiers Outils de communication
cité par Van Nispen & régulation
(financial means) (communicative tools)
Ringling, 1998 (regulatory instruments)
1
Instruments de
Instruments de
De Bruijn & Heuvelhof, Intruments financiers communication
régulation
1997 (financial instruments) (communicative
(regulatory instruments)
instruments)
Instruments de
De Bruijn & Hufen, Instruments d’incitation Transfert d’information
régulation
1998 (financial incentives) (information transfer)
(regulatory instruments)

Source : l’auteur

400
Annexe 5

La typologie de Vedung :
carottes, bâtons et serments
(carrots, sticks and sermons)

401
Instruments des politiques publiques
(policy instruments)
5

Instruments de régulation Instruments économiques Instruments d’information


(Regulations / sticks) (Economic means / carrots) (Information (means) / semons)

Propriétés « définissantes » : relations entre gouvernants et gouvernés

Régulation : rapports entre gouvernants et gouvernés caractérisés par un lien d’obligation, un rapport
autoritaire qui implique un mécanisme de contrôle de la règle

Instruments économiques : pas de lien d’obligation entre gouvernants et gouvernés, mais l’activité du
gouverné est rendue plus facile ou plus difficile par le gouvernant soit par une privation ou une addition de
ressources matérielles (en cash ou en nature) ; par exemple, l’activité peut être rendue plus ou moins
onéreuse

Information : aucun rapport d’obligation, pas d’engagement des ressources matérielles, relations entre le
gouvernant et le gouverné régies par la persuasion, la communication ; par définition l’information ne
contient aucune dimension contraignante

Fondement théorique de la typologie : le degré de la force autoritaire engagée dans les relations de
gouvernance, à la fois entre les catégories et au sein de chaque catégorie (permet de définir des sous-
catégories)

Définitions des instruments :

« Regulations are measures undertacken by governmental units to influence people by means of formulated
rules and directives which mandate receivers to act in accordance with what is ordered in these rules and
directives » (p. 31)
Les instruments de régulation sont souvent associés aux mécanismes des sanctions (et la peur de ceux-ci)
mais ce n’est pas toujours le cas (régulations non sanctionnées également)

« Economic policy instruments involve either the handing out or the taking away of material resources, be
they in cash or in kind […] [they] make it cheaper or more expensive in terms of money, time, effort, and
other valuables to pursue certain actions » (p32)
Les instruments économiques laissent une marge de manœuvre aux gouvernés qui choisissent eux-mêmes
d’entreprendre ou de ne pas entreprendre une activité, mais avec les bénéfices ou coûts qui en découlent ; ces
instruments incluent autant les ressources matérielles monétaires que non-monétaires

« Information […] also referred to as “moral suasion”, or exhortation, covers attempts at influencing people
through the transfer of knowledge, the communication of reasoned argument, and persuasion […]. The
information category is used […] as catch-all terms for all communication campaigns; for the diffusion of
printed materials like brochures, […]; for advertising, labelling, audits inspections, demonstration
programs, custom-made personal advice, training programs, and educational efforts; and for other forms of
amassing, packaging, and diffusing of knowledge and recommendations » (p.33)
Les instruments d’information indiquent aux citoyens ce qui est bien ou mal, vrai ou faux, ils les informent
de ce qu’ils sont autorisés à faire et de la manière dont ils peuvent se comporter ; ces instruments ont pour
particularité d’être une condition nécessaire au bon fonctionnement des autres types d’instruments

Exemples d’instruments :

Instruments de régulation (ensemble des réglementations-contrôles-sanctions, ainsi que des règles non-
sanctionnées (lex imperfecta) :
- les prescriptions (degré de contrainte élevé) inconditionnelles (absolues) et conditionnelles avec
exemptions, avec permissions (concessions, permis, licences, autorisations, garanties, quotas) et avec
obligation de notifier

402
- les prescriptions (degré de contrainte moins élevé) : -

Instruments économiques (dichotomie entre instrument de nature positive et négative et entre en cash ou en
nature) :
- en cash (moins contraignant) : incitations positives : subventions (grants, subsidies, transfers), garantie de
crédit (credit guarantees), bonification des intérêts (interest subsidies), prêt et taux d’intérêts
avantageux/garantie de prêts (reduced-interest loans, loan guarantees), rabais et exemption d’impôt (tax
expenditures : exemptions, write-offs, credits ; tax exemption, tax credit), assurances (insurances of loans,
crops, investments) VS incitations négatives : redevances/charges/taxes (charges, fees, taxes, customs duties,
tariffs)
- en nature (plus contraignant) : marché public (government provision of goods and services) vs marché semi-
public (private provision of goods and services under government contracts) vs papiers valeurs (vouchers);
examples : gratuité du système de santé et services de santé (free health care, free medicine, free dental care,
municipal homes for the elderly, hospitals operated by regional public bodies), gratuité du système scolaire
et service scolaire (free meals for school children, municipal childcare centers, government-operated
universities), services de sécurité (military forces, police forces), services environnementaux (government-
operated facilities for solid waste disposal : landfill sites, garbage incinerators, storage facilities for
hazardous radioactive wastes from nuclear power plants) ; gendarmes couchés (bump on the road)

Instruments d’information (incitations positives vs négatives/dissuasives) :


Médias (mediated transmission : television, radio, film; Newspapers; Printed matter : books, brochures,
booklets, leaflets, folders; label; posters)
Transmissions interpersonnelles (interpersonal transmission : direct, personale advice; classroom or on-site
education; workshops; conferences; demonstrations; government example; exhibitions; investigation and
publicity)
Source : adapté de Vedung (1998) et Bemelmans-Videc (1998)

403
404
Annexe 6

L’inventaire des instruments de politique


publique de Pal

405
Ressources
(Resources)
Nodale Financière Autorité Organisationnelle
(Nodality) (Treasure) (Authority) (Organization)
Répondre à des Dépenses d’aide / Régulation publique Biens, services,
questions, des d’encouragement directe ou déléguée personnel de
sollicitations (Grant) (Public Regulation) l’administration,
extérieures (Query - reconnaissances administration
Response), Dépenses dans le but de (recognition), ex. : centrale (Direct
information passive réduire les coûts d’une certificats, coercition - Provision)
activité, - autorisations,
Diffusion conditions/performances habilitations Unités administratives
d’information et monitoring (Subsidy) (enablement), ex. : autonomes (Public
(Dissemination) - subventions directes licences, coercition + Corporation)
, information active + (direct) - obligations /
- à destination d’un - subventions sous interdictions Entités décentralisées
groupe-cible condition de la accompagnés d’une (Joint Private/Public),
spécifique (targetted) démonstration d’un sanction (constraint), entreprises publiques
Instruments d’action (Effectors)

- à destination de la financement privé coercition ++ agissant sur le marché


population en général (leverd) comme une entreprise
(broadcast) Régulation déléguée privée
Dépenses des aux acteurs privés
Exhortation assurances sociales, organisés en
(Exhortation), fonds commun associations (Self-
information active ++ (Insurance Expenditure) Regulation), ex. :
- rappels (prompt) rabais d’impôt (Tax autoréglementation
- persuasion logique Expenditure) des professions
ou émotionnelle médicales
(suasion) Achats publics
- lignes directrices, (Mandated Purchase) Sanctions (Sanctions)
comportements / - dépenses de biens & - suspensions, retraits
attitudes à suivre services pour le d’autorisations, de
(guidelines) fonctionnement de permis, etc.
l’Etat (governemnt (suspensions)
Consultation - oriented) - prélèvements sur les
conférence - dépenses pour garantir biens ou le revenus
(Consultation) un marché à des (levy), ex. : amendes,
fournisseurs (supplier saisies, etc.
oriented) - sanctions physique
- dépenses de biens & (physical punishment),
services pour les ex. : détentions,
« clients », contracting- emprisonnements,
out (consumer oriented) peine de mort

406
Recueil passif Achat d’information Obligations Collecteurs passifs
d’informations, (Purchase of - d’informer sur son d’informations
informations non information) identité, etc. (Turnstiles), ex. :
sollicitées - recompenses (reward) (Obligations to radars, compteurs
(Unsolicited - payements (purchase) display)
information) - de notifier Collecteurs actifs
Instrument de détection - Information (Detectors - Information)

(Obligations to d’informations
Enquête directe, notify), de déclarer un (Scanners)
recueil actif-organisé décès, une naissance, - surveillance fixe
d’informations, d’enregistrer une (fixed), ex. : tours de
informations entreprise, etc. surveillance d’une
sollicitées (Direct - de remplir des prison
Inquiry / solicited documents (file - surveillance mobile
information) returns) tels que la (mobile), ex. :
- études scientifiques déclaration d’impôt, le patrouille de
généralisables recensement, etc. surveillance
(survey) - surveillance cachée
- commissions ad hoc Usage de (hidden), ex. : mise
non permanentes - l’interrogatoire et de sur écoute, contrôle de
auditions spécifiques l’inspection (Use of vitesse
(ad hoc commissions interrogation, use of
of Inquiry) inspection)
- commissions - assignation à
permanentes comparaître,
(permanent convocation,
commissions) interrogatoire
- interview,
inspection, contrôle
surprise, « descente »
Minimum COERCITION (COERCION) Maximum
Source : adapté de Pal (1992)

407
408
Annexe 7

Quelques exemples d’instruments rattachés


aux quatre catégories de tactiques
instrumentales de Klock

409
Tactiques instrumentales Exemples d’instruments

Dans le domaine de la protection de la forêt :


Fourniture de ressources fourniture de machines (physical goods) à un
(Provision of resources) groupe environnemental qui veut maintenir une
forêt ou de subventions (money), d’expertise
Tactique utile lorsque la motivation est présente ou (skilled people), de conseils et d’information et/ou
est le résultat d’une autre tactique de droits légaux pour faire l'entretien de la forêt
(legal rights) ; des combinaisons de ces différents
moyens sont également possibles.

La fourniture des ressources (en biens/services ou


Fourniture conditionnelle de ressources
en argent) est fondée soit sur l'intention d’un acteur
(Conditional provision of resources)
de se comporter d’une certaine manière (a priori),
soit sur la démonstration qu’il a déjà exécuté une
La fourniture de ressources dépend explicitement
activité (a posteriori) ; les exemples classiques sont
de l’activité qui veut être obtenue ou limitée ; la
les systèmes de licences et de permis (fourniture de
condition agit comme motivation (sens positif)
droits légaux).

La privation conditionnelle de ressources est


souvent liée aux sanctions qui accompagnent les
normes légales : par exemple, dans le domaine de
Privation conditionnelle de ressources législation routière, l’amende ou la confiscation du
(Conditional deprivation of resources) véhicule lors d’infractions ; mais les sanctions ne
sont pas le seul moyen de priver de manière
Même fonction motivationnelle que ci-dessus, mais conditionnelle les ressources d’un acteur, la
dans un sens négatif taxation conditionnelle en est un bon exemple ; les
autres ressources (droits, temps, confiance,
information, etc.) peuvent également être retirées
de manière conditionnelle à un acteur.

La privation de ressources possède dans certains


cas (comme l’emprisonnement et la confiscation du
Privation de ressources
moyen de locomotion) des effets préventifs (elle
(Deprivation of resources)
agit sur les motivations et est une force de
dissuasion), cependant l’exécution de la privation
Tactique utile si la motivation est présente
de ressources a également pour fonction de rendre
réellement une certaine activité impossible.

Source : adapté de Klock (1995)

410
Annexe 8

Les sous-types d’instruments chez


Kaufmann-Hayoz et al. et leur analyse

411
Instruments
Sous-types & analyse selon a) définition/rationalité, b) acteurs de la mise en œuvre et c) groupes-
cibles

Sous-types :
- Normes de qualité environnementale (seuils d’impact et standards)
- Norme d’émission (meilleure technologie disponible, réglementation technique obligatoire)
Règlements d’utilisation de substances toxiques et normes de produits (limitations, rationnement ou
interdictions, normes de produits)
- Autorisations obligatoires (autorisations de construction, d’exploitation, de mise en vente)
- Réglementation de la responsabilité civile (responsabilité en raison du risque, renversement de la
Instruments régulatifs

charge de preuve, assurance responsabilité civile obligatoire)


- Règlements de planification (plans d’utilisation et d’affectation des sols, zones de protection des
eaux, zones naturelles protégées)
Note : ces sous-catégories sont basées sur la classification de l’IEA de l’OCDE (IEA, 1989).

Analyse :
a) Instruments prenant la forme de prescriptions légales qui ont un impact direct sur les options, les
comportements des acteurs via leur niveau de contrainte (prescription / prohibition) ; rationalité
basée sur le « mécanisme » prescription/norme, contrôle, pénalité/sanction ; le mécanisme
d’exécution est fondamental pour la viabilité et l’efficacité de l’instrument ; l'application de la
sanction comporte souvent un « composant économique » ;
b) Dans les démocraties occidentales (Etat de droit), seules les autorités sont légitimées à les utiliser
c) Tous (individu comme acteurs organisationnels)

Sous-types :
- Subventions (contributions à fonds perdus ; allégements fiscaux, prêts et taux d’intérêts
avantageux, cautions, dédommagement pour renoncement d’utilisation des ressources)
- Taxes incitatives (taxes sur l’énergie et les ressources, taxes sur les émissions, taxes sur les
produits et processus)
- Redevances (redevances uniques de raccordement, périodiques d’utilisation, sur des avantages
(contribution à la valeur ajoutée), (avancées) d’élimination)
- Système de dépôt
- Création de marchés (certificats/licences/concessions échangeables ; joint implementation)
- Incitations ponctuelles dans le cadre de campagnes d’action (récompenses, loteries,
concours/benchmarking, rabais)

Analyse
Instruments économiques

a) Instruments fondés sur la théorie économique de la recherche de l’allocation optimale des


ressources (théorie du bien être, internalisation des coûts et bénéfices externes – externalités
négatives et positives – par une intervention de l’Etat ; deux options incitatives : (1) augmenter le
coût des comportements polluants (taxe) vs (2) réduire les coûts des comportements respectueux de
l’environnement (subvention) & (3) une troisième option qui consiste à établir un marché de droit à
polluer
b) Autorités publiques
c) Destinataires directs (entreprises, investisseurs, individus, ménages, etc.) et indirects (via le mode
de redistribution des taxes ou de financement des subventions)

- Instruments de service (offre ou amélioration de produits écologiques vs suppression de produits


d’infrastructure
Instruments de

nocifs, offre ou amélioration de services permettant ou facilitant un comportement écologique vs


service et

réduction de services permettant ou facilitant un comportement néfaste à l’environnement)


- Instruments d’infrastructure (offre ou revalorisation d’infrastructures permettant ou facilitant un
comportement écologique vs réduction ou dévalorisation d’infrastructures empêchant un
comportement écologique)

412
a) Instruments prenant la forme d’offres ou de transformations de services ou d’infrastructures dans
le but d’influencer les comportements ; services : actions individuelles ou organisationnelles qui
permettent ou soutiennent les acteurs dans le réalisation de leurs objectifs, infrastructures : objets
physiques artificiels, mobiles ou immobiles, qui influencent les comportements des acteurs (ex. une
ligne de chemin de fer, un parking) ; infrastructures et services comme déterminants de l’activité
humaine ; encourager vs décourager des comportements (mode attractif vs répulsif)
b) Entreprises privées, autorités publiques ou ONG, mais également groupes d’individus ou groupes
informels
c) Souvent le public en général, mais également des groupes d’acteurs spécifiques (les cyclistes, les
promeneurs, etc.)

- Accords entre l’Etat et l’économie (accords sur les redevances d’élimination avancées pour des
Accords librement consentis

groupes de produits, accords sur des standards et des valeurs cibles de consommation, accords
formels avec certaines entreprises)
- Etablissement de certificats et de labels (avec conformité légale vs sans conformité légale)

a) Instruments prenant la forme d’engagements légaux contraignants (ou non contraignants) pris par
le secteur privé envers le gouvernement. Autorégulation sur base volontaire (cependant très proche
des instruments régulatifs ou économiques dans la mesure où ils comportent souvent soit une
menace d’intervention ultérieure ou mettent en place des mécanismes de prix)
b)/c) Gouvernements et secteur privés : partenariat dans le développement et la mise en œuvre de
l’instrument ; également possible entre organisations privées (souvent les accords entre privé-privé
débouchent sur un label ou une certification).

- Instruments de communication sans sollicitation directe (présentation des faits, des options, des
évaluations, des buts, des normes ; fournir l’expérience de la réalité ; présenter des modèles de
Instruments de communication et de diffusion

comportement ; donner un feedback et permette l’auto-feedback)


- Instruments de communication avec sollicitation directe (persuasion à propos des faits, des
options, des évaluations, des buts, des normes ; envoyer des appels, offrir des indications et des
rappels ; inciter à l’auto engagement)
- Instruments de diffusion :
établissant un contact personnel (monologue, dialogue, discours, etc.)
établissant un contact via un média de personne à personne (lettre, téléphone, faxes, emails,
etc.)
établissant un contact via les masse médias (Web, TV, radio, journaux, livres, etc.)

a) Instruments de communication ayant pour objectif d’influencer les conditions internes


(conditions motivationnelles, cognitives et sociales) des acteurs pré requises aux modifications
comportementales (dans sa conception restrictive est équivalent à la notion d’instrument de
persuasion (influence la connaissance)).
b) Autorités publiques (système éducatif), media, ONG, mouvements sociaux, secteur privé et
individus (spécialement les parents et les enseignants)
c) Tous, « tout public » ou groupes spécifiques (catégories d’âges notamment).

Source : adapté de Kaufmann-Hayoz et al. (2001)

413
414
Annexe 9

Des instruments en séries

415
Mosher, F. (1980). The Changing
1. (Grants), 2. (Income support), 3. (Loans), 4. (Loans
Responsibilities and Tactics of the Federal
guarantees), 5. (Regulation), 6. (Contracts), 7. (Direct service),
Government. Public Administration
8. (Quasi-government organization)
Review, 541-48.

Bryson, J. & al. (1983). Toward a New 1. (Formula grants), 2. (Intergovernmental agreements), 3.
Theory of Policy Intervention. Paper (Categorial grants), 4. (Vouchers), 5. (Subsidy), 6. (Insurance),
presented at American Society for Public 7. (Regulation), 8. (Tax incentive), 9. (Contract or purchase of
Administration, Annual Meeting. service), 10. (Franchise)

MacRae, D. (1980). Policy Analysis 1. (Direct monetary transaction-subsidy), 2. (Regulation), 3.


Methods and Governmentals Functions. In (Monitoring and enforcement), 4. (Direct monetary
S. Nagel (Ed), Improving Policy Analysis. transactions-taxes), 5. (Production and delivery of goods), 6.
Beverly Hills : Sage Publications. (Meta-policy), 7. (Delivery of services)

Herzlinger, R. & Kane, N. (1979). A


1. (Grants), 2. (Direct payment to individuals), 3. (Loans to
Managerial Analysis of Federal Income
producers), 4. (Loan guarantees), 5. (Insurance), 6. (Contracts
Distribution Mechanisms. Cambridge :
with producers), 7. (Government services)
Ballinger.

Weaver, K. (1980). Choosing Instruments


1. (Subsidy), 2. (Loans), 3. (Loan guarantees), 4. (Regulation),
for State Intervention : Public Entreprise
5. (Tax incentives), 6. (Contract out), 7. (Stat-owned enterprise
and Passenger Trains in Canada.
indicative planning), 8. (Jawboning), 9. (Government agencies)
Unpublished manuscript.

Rivlin, A. M. (1977). Social Policy :


Alternate Strategies for the Federal
1. (Federal grants for human services), 2. (Revenue sharing),
Government. In R. Haveman & J.
3. (Vouchers for specific services), 4. (Social insurance), 5.
Margolis (Ed), Public Expenditure and
(“Neat” cash transfers), 6. (Institution changing)
Policy Analysis (2nd edition). Chicago :
Rand McNallys College Publishing.

Source : adapté de Salamon et Lund (1989)

416
Annexe 10

Les treize types d’activités


gouvernementales de Salamon & Lund

417
qui peuvent toute de même être regroupées en 4
Les treize types d’activités
catégories :

1 (providing payements to individuals)

2 (making grants to organization)

3 (providing services or goods)

4 (guaranteeing loans or other financial obligations) (outright money payements) 1, 2

5 (restricting or penalizing specified activities) (provision of goods or services) 3, 11, 12


(legal protections or garantiees)
6 (making loans)
4, 6, 9, 10, 13
7 (imposing charges) (prohibition or restriction/penalties) 5

8 (taxing)

9 (granting exemptions from regular tax liabilities) ? 7, 8 ?

10 (guaranteeing prices or markets for products)

11 (distributing information)

12 (purchasing (achat))

13 (granting preferential treatment)

Source : adapté de Salmon et Lund (1989)

418
Annexe 11

Instruments d’action et caractéristiques


analytiques chez Salamon

419
Type de bien ou Système organisationnel
Instrument Support d’attribution
d’activité d’attribution
(Tool) (Vehicule)
(Product/activity) (Delivery System)

(Direct government) (Good or service) (Direct provision) (Public agency)

(Social regulation) (Prohibition) (Rule) (Public agency/regulatee)

(Entry and rate


(Economic regulation) (Fair prices) (Regulatory commission)
controls)

(Contract and cash (Business, nonprofit


(Contracting) (Good or service)
payement) organization)

(Lower level of
(Grant award/cash
(Grant) (Good or service) government, nonprofit
payement)
organization)

(Direct loan) (Cash) (Loan) (Public agency)

(Loan guarantee) (Cash) (Loan) (Commercial bank)

(Insurance) (Protection) (Insurance policy) (Public agency)

(Tax expenditure) (Cash, incentives) (Tax) (Tax system)

(Fees, charges) (Financial penalty) (Tax) (Tax system)

(Liability law) (Social protections) (Tort law) (Courts system)

(Government
(Good or service) (Direct provision/loan) (Quasi-public agency)
corporations)

(Vouchers) (Good or service) (Consumer subsidy) (Public agency/consumer)

Source : Salamon (2002)

420
Annexe 12

Petit rappel concernant l’initiative et le


référendum en suisse

421
Initiatives populaires

Pour une révision totale de la Constitution sur proposition de 100'000 citoyen(ne)s ; initiative
(art. 138 Cst) soumise au vote du peuple

Pour une révision partielle de la Constitution sur proposition de 100'000 citoyen(ne)s ; en termes
(art. 139 Cst) généraux ou projet rédigé

Référendum obligatoire (art. 140 Cst)

Vote du peuple et des cantons (double majorité) y sont soumis :


- les révisions de la Constitution (totale ou
partielle) ;
- l’adhésion à des organisations de sécurité
collective ou à des communautés
supranationales ;
- les lois fédérales urgentes dépourvues de base
constitutionnelle d’une validité de plus d’un an

Vote du peuple uniquement (majorité simple) : y sont soumis :


- les initiatives populaires (révision totale de la
Constitution) ;
- les initiatives populaires (en termes généraux,
révision partielle de la Constitution, rejetée par
l’AF) ;
- le principe d’une révision totale de la
Constitution en cas de désaccord entre les deux
conseils

Référendum facultatif
(art. 141 Cst)

Vote du peuple uniquement (majorité simple) y sont soumis sur demande de 50'000 citoyen(ne)s ou
de huit cantons :
- les lois fédérales ;
- les lois fédérales urgentes d’une validité
dépassant un an mais conforme à la
Constitution ;
- les arrêtés fédéraux (si la Constitution ou la loi
le prévoient) ;
- certains traités internationaux

Source : adapté de Constitution fédérale suisse du 18 décembre 1998

422
Annexe 13

Typologies des actes législatifs en suisse

423
Les lois fédérales - adoptées par l'AF
- soumises au référendum facultatif (à la demande
Durée illimitée en principe de 50'000 citoyens ou de huit cantons dans un
Contiennent des règles de droit délai de 100 jours)
- entrent en vigueur au terme du délai référendaire
ou après l'acceptation par le peuple

Les lois fédérales urgentes - doivent être acceptées par la majorité absolue
des membres de chacun des deux Conseils
Durée limitée
Contiennent des règles de droit il en existe trois catégories
Leur entrée en vigueur "ne souffre aucun retard"

- durée de validité inf. à un - durée de validité sup. à un an - durée de validité sup. à un an


an - conforme à la Constitution - dépourvue de base constitutionnelle
- pas de référendum - référendum facultatif résolutoire - référendum obligatoire résolutoire

Les ordonnances de l'AF (rares en pratique) - adoptées par l'AF seule


- pas de référendum
Durée illimitée en principe - reposent sur une délégation contenu dans la
Contiennent des règles de droit Constitution ou dans la loi

Les arrêtés fédéraux (rares en pratique) - adoptées par l'AF


- référendum facultatif uniquement si la
Ne contiennent pas de règles de droit Constitution ou la loi le prévoient

Les arrêtés fédéraux simples - adoptés par l'AF seule


- pas de référendum
Ne contiennent pas de règles de droit
Source : adapté de Auer, Malinverni et Hottelier (2000)

424
Annexe 14

Les ordonnances du conseil fédéral

425
Ordonnances du CF (non soumises au référendum)

Ordonnances administratives Ordonnances


législatives
(à portée interne)

indépendantes dépendantes
(reposent directement sur la Constitution) (reposent sur une loi)

fondées sur des dispositions de police de stricte nécessité, fondées sur


spéciales de la Constitution un principe constitutionnel non
écrit, implicite

d'exécution, ne contiennent que de substitution, fondées sur de pleins pouvoirs, substitution


des normes secondaires une délégation législative totale au législateur

Source : adapté de Auer, Malinverni et Hottelier (2000)

426
Annexe 15

Les objectifs, les moyens et l’évaluation des


politiques publiques finalisées chez Morand

427
Les objectifs : les objectifs vers lesquels l’autorité doit s’orienter devraient idéalement être opérationnels (soit
constituer un critère de référence) et précis pour pouvoir apprécier leur réalisation. Mais ce n’est souvent pas
le cas et les objectifs restent le plus souvent très vagues*. Ce n’est ainsi que par la suite qu’ils sont précisés
soit dans le cadre des lois d’exécution ou d’actes planificateur, soit lorsque l’administration (sous le contrôle
du juge) se doit d’opérationnaliser de grands principes en procédant à une pesée d’intérêt.

Les moyens : les normes juridiques mises au service des la réalisation des objectifs se doivent d’être
suffisamment souples pour s’adapter en permanence à une réalité complexe et changeante. Cette
assouplissement peut être réalisé de deux façons très différentes : par la délégation législative (et l’adoption
de directives/ordonnances administratives qui peuvent déployer des effets sur les administrés (effets externes)
et qui « constituent un instrument très efficace de pilotage des politiques publiques » (Morand, 1999, p. 81))
qui laisse le soin au gouvernement d’agir et de préciser les objectifs par des actes rapidement et facilement
révisables ou par l’adoption de principes directeurs que l’administration doit appliquer dans chaque cas
particulier en opérant un pesée d’intérêt** (laisse un grand pouvoir d’appréciation à l’administration qui doit
adapter les normes juridiques finalisées à un environnement changeant). Les grands principes directeurs du
droit de l’environnement sont les principes de précaution, de prévention, du pollueur-payeur et du
développement durable. La pesée d’intérêt étant de nature très complexe, de nouveaux instruments d’aide à la
décision sont apparus, notamment dans le domaine de la protection de l’environnement et de l’aménagement
du territoire : l’étude d’incidence/d’impact et le rapport de synthèse en droit de l’aménagement. Enfin, les
principes permettent également de faire coexister des principes nationaux, locaux, supranationaux et
internationaux, parfois contradictoires. Cependant, « la technique des principes directeurs a pourtant le défaut
de ne pas être adaptée à la poursuite d’objectifs précis. Les pesées d’intérêts concrètes sont imprévisibles et
aléatoires. Elles ne permettent dès lors pas d’opérer une articulation précise entre des fins et des moyens. De
ce fait, les politiques publiques perdent de leur consistance. Le reproche qui leur est fait, d’être fréquemment
symboliques, d’affichage, ne tient pas seulement à un manque de volonté des autorités publiques, mais aussi à
des obstacles juridiques de caractère structurel. […] Les difficultés structurelles inhérentes au droit expliquent
que les concepteurs de politiques publiques cherchent à s’en passer pour recourir à des instruments alternatifs
» (Morand, 1999, pp. 85-86). « Les principes directeurs, que l’on rencontre en masse dans les législations
interventionnistes, ont la souplesse nécessaire pour s’adapter à n’importe quelle situation future. Alors que les
règles fixes disent ce qu’il faut faire ou ne pas faire, les principes sont relatifs : ils sont affectés d’un certains
poids. Ils se bornent à donner une direction très vague aux comportements. On s’explique dès lors que c’est
au sujet des principes du droit international que Lord Mac Nais a, pour la première fois, utilisé le terme de
soft law. La norme de comportement n’étant que très faiblement prédéterminée par les principes, la règle est
pour l’essentiel établie par l’administration ou le juge au moment où ils procèdent dans chaque cas d’espèce à
la pesée des intérêts en cause. Les décisions prises sur la base de principes, n’étant pas fondées sur des règles
fixes générales et abstraites, doivent l’être en application d’une règle individuelle et concrète fournissant le
résultat de la pesée des intérêts en jeu dans chaque cas d’espèce » (Morand, 1999, pp.123-124). Mais on
assiste également à l’apparition d’instruments d’action particuliers comme la fiscalité d’orientation
(subventions, taxes d’orientation qui illustre la pensée finalisée et réflexive, cf. point suivant sur l’évaluation
des effets) et la planification  la planification :

C’est l’invention majeure de l’Etat propulsif, concepteur et réalisateur de politiques publiques


finalisées. La planification est un processus « qui a pour but de produire un résultat articulé,
sous la forme d’un système intégré de décisions ». Elle représente la quintessence de l’action
finalisée. Elle articule sciemment des objectifs et des moyens. […] A la logique de la norme
que l’on peut appliquer sans fin de la même façon, la planification oppose une logique
systémique d’adaptation des normes aux objectifs, adaptation réalisée grâce à la mise en place
de mécanisme d’évaluation. […] La planification assume dans l’Etat propulsif plusieurs
fonctions. Elle assure une direction souple des comportements ; elle vise à coordonner des
décisions complexes et à fournir au droit une cohérence qu’il n’est plus capable de produire au
moment de son édiction ; elle tend aussi à produire une combinaison entre le droit et d’autres
moyens d’action (infrastructure, information, formation, etc.). Elle sert de catalyseur à l’action
de l’Etat propulsif. Elle cherche enfin à réduire l’incertitude qui règne dans la réalité sociale. En
bref, le plan permet d’assurer la fonction de direction souple, de gestion et de contrôle que les
normes conditionnelles ne sont pas capables d’exercer « dans un contexte non répétitif, non
reproductible, non prédéterminable, non prévisible » (Morand, 1999, p.86-87)

L’évaluation des effets : du moment où les programmes finalisés ont pour objectif de déployer des effets sur
la société, de la transformer, l’évaluation constitue le moyen d’assurer que ces mesures ont produit
(évaluation rétrospective ou ex-post) les transformations voulues ou vont avoir les effets prévisibles

428
(évaluation prospective ou ex-post). Elle est également l’outil qui permet de réorienter une politique en cours
de réalisation (évaluation concomitante) conformément au contexte changeant.

* Cela peut s’expliquer pour des raisons politiques (craintes des autorités de pouvoir être critiquées) ou pour
des raisons pratiques parmi lesquelles la nécessité pour l’autorité d’agir au départ par tâtonnement dans un
domaine encore mal connus, mais aussi et surtout le fait de permettre la coexistence de nombreuses politiques
sectorielles poursuivant des objectifs multiples et le plus souvent contradictoires.

** Ces deux techniques peuvent être utilisées indépendamment l’une de l’autre mais également en
combinaison. Idéalement, « l’adoption de règles détaillées est justifiée lorsque le souci d’assurer à la fois
prévisibilité et égalité de traitement prédomine. […] Le recours aux principes directeurs […] se rencontrent
au contraire dans des secteurs où le souci de prévisibilité et d’égalité de traitement est moins forts ou lorsque
la concrétisation peut être assurée par la planification » (Morand, 1999, p.79)
Source : Morand (1999, pp. 77-90)

429
430
Annexe 16

Remarques sur la statistique concernant les


émissions de Gaz à effet de serre (GES) en
Suisse

431
La base de données qui a permis d’établir les différentes caractéristiques présentées dans le chapitre 11.6
(secteurs d’activités et émissions annuelles) sont tirées de l’inventaire des gaz à effet de serre en Suisse (OFEV,
2008a). Elle répertorie, en conformité avec le Protocole de Kyoto, les émissions nationales de gaz carbonique
(CO2), de méthane (CH4), de protoxyde d’azote (N2O) et de gaz synthétique (HFC, PFC et SF6), par secteurs
d’activités.
Notons ici que dans le but de pouvoir comparer les émissions des différents GES entre eux, on utilise un indice
– le potentiel de réchauffement globale (PRG) – qui est un :
indice fondé sur les propriétés radiatives d’un mélange homogène de gaz à effet de serre, qui sert
à mesurer le forçage radiatif d’une unité de masse d’un tel mélange dans l’atmosphère actuelle,
intégré pour un horizon temporel donné par rapport à celui du dioxyde de carbone. Le PRG
représente l’effet combiné des temps de séjour différents de ces gaz dans l’atmosphère et de leur
pouvoir relatif d’absorption du rayonnement infrarouge thermique sortant. (GIEC, 2007a, p. 149)
Le PRG permet ainsi d’exprimer les émissions des différents GES en équivalent CO2 pour permettre de les
comparer. Le PRG du CO2 est de 1, celui du CH4 de 23, celui du N2O de 296, celui du SF6 de 15'100, celui des
HFCs varie entre 12 et 12'000 et celui des PFCs entre 5'700 à 11'900 (GIEC, 2007a, Jancovici, 2002).
Par ailleurs, il est également nécessaire de faire quelques remarques supplémentaires sur la nature des données
de l’inventaire suisse des émissions de GES que nous avons utilisé et de la statistique des émissions selon la loi
sur le CO2, également publiée par l’OFEV (2008b).
En effet, il s’agit de bien distinguer ces deux sources de données dans la mesure où elles diffèrent quelque peu
puisque la loi sur le CO2 ne réglemente que les émissions de CO2 dues aux combustibles – avec correction
climatique – et aux carburants, à la différence de l’inventaire national des émissions de GES qui recense
également les émissions de CO2 ne provenant pas de la combustion de l’énergie ainsi que les émissions des cinq
autres GES réglementés par le Protocole de Kyoto.
Enfin, dernière différence entre les deux statistiques, l’inventaire national des GES fait également figurer les
données relatives aux puits de CO2 et aux émissions dues au trafic aérien international, qui, en conformité avec
les décisions de la CCNUCC, sont mentionnées mais non comptabilisées dans le total des émissions nationales
de GES (OFEV, 2008b).
Les différences entre les émissions déterminantes d’après la loi sur le CO2 et l’inventaire national des GES (de
même qu’avec la statistique de l’énergie, qui prend quant à elle en compte les émissions du trafic aérien
international) sont résumées ci-dessous.
Représentation graphique des liens entre la statistique globale de l’énergie et les gaz à effet de serre selon
le protocole de Kyoto et les émissions de CO2 selon la loi sur le CO2

432
Emissions déterminantes d’après la loi sur le CO2 et l’inventaire des GES en millions de tonnes
d’équivalents CO2.
Emissions 2005 2006 Contenues dans :
GES, trafic aérien international 3.52 3.7 -
CO2 Combustibles 23.56 22.74 IGES
CO2 Combustibles 23.87 24.24 LCO2
(avec correction climatique)
CO2 Carburants 16.87 16.97 LCO2 & IGES
CO2 Raffineries 1.01 1.10 IGES
CO2 Emissions liées à des procédés ind. 2.30 2.26 IGES
CO2 Déchets 2.32 2.50 IGES
CH4 3.54 3.54 IGES
N 2O 3.29 3.27 IGES
Gaz synthétiques : HFC / PFC / SF6 0.89 0.84 IGES
IGES = inventaire des gaz à effet de serre, LCO2 = loi sur le CO2.
La répartition des données de l’inventaire des émissions de GES au sein des secteurs d’activités que nous avons
utilisée est également indiquée ci-dessous.
Les secteurs d’activités à l’origine des émissions de GES en Suisse selon l’inventaire des émissions de
GES en Suisse
Secteurs d’activités Rubriques de l’inventaire des gaz à effet de serre en suisse / n°
Industrie I Conversion d’énergie 1A1
Industrie 1A2
Divers (machines de chantiers et militaires) 1A5
Industrie II Emissions d’évaporation (pétrole/gaz) 1B
Processus industriel (production de ciment) 2
Solvants 3
Transports Transports 1A3
Ménages (immeubles 1A4 - sous rubrique ménages de
Autres secteurs
d’habitation) l’inventaire.
1A4 - sous rubrique
Services & commerces Autres secteurs
services/artisanat de l’inventaire
Agriculture Agriculture 4
1A4 - sous rubrique autres
Autres secteur
(agriculture/sylviculture)
Déchets Déchets 6
Notons qu’à ces 6 secteurs, sources d’émissions brutes de GES, nous pouvons ajouter le secteur modification de
l’utilisation des sols & sylviculture qui en Suisse, pris dans sa globalité, ne correspond pas à une source mais à
un puits de CO2. Enfin le secteur des énergies renouvelables représente également un élément important dans la
perspective de réduire les émissions nettes de GES d’origine anthropique, notamment par le biais de la
substitution des ressources énergétiques d’origine fossile (charbon, gaz et pétrole) par des ressources
renouvelables.
Nous devons enfin souligner que les données relatives à la loi sur le CO2 ou à l’inventaire des émissions de GES
en Suisse ne sont pas publiées en même temps. Les premières sont « publiées chaque année en été pour les
données de l’année précédente, après la statistique globale suisse de l’énergie » (OFEFP, 2008b, p. 1) alors
qu’en ce qui concerne les secondes, les données d’une année de référence (par exemple 2006) sont publiées plus
d’une année après au printemps (dans notre exemple en avril 2008).
Source : d’après OFEV (2008a, 2008b)

433
434
Annexe 17

Les outils du panel d’expert et de l’enquête


Delphi dans la cadre de l’évaluation des
politiques publiques chez Monnier

435
Le panel d’expert

Résumé
Le panel d’experts réunit plusieurs spécialistes indépendants et reconnus dans les domaines correspondant au
programme évalué. Les experts produisent collectivement un jugement sur la valeur du programme et de ses
effets. Cet outil permet de disposer rapidement et à faible coût d’un jugement global intégrant les principales
informations connues sur le programme ainsi que de multiples expériences antérieures et extérieures.

Le panel peut être considéré comme un outil d’évaluation dans la mesure où il existe une procédure standard et
répliquable pour le constituer, pour le réunir et pour l’amener à produire ses conclusions. L’outil est inspiré des
jurys universitaires, ce qui explique qu’il soit apparu dès le début des années 70, dans le domaine de
l’’évaluation des programmes de Recherche-Développement.

Par « panel d’expert », nous entendons ici un groupe de travail spécialement constitué et réuni à l’occasion de
l’évaluation. On trouvera plus loin la description d’un outil proche, l’enquête Delphi, qui s’appuie aussi sur des
experts mais qui diffère sur de nombreux points.

A quoi sert l’outil ?


Le panel d’expert sert principalement à juger un programme, mais c’est un outil générique. Les termes de
référence donnés au panel peuvent en effet comprendre un grand éventail de questions allant de la pertinence
des objectifs du programme jusqu’à l’estimation de ses effets réels ou probables.

Dans quels cas l’utiliser ?


On fait appel aux panels d’experts pour dégager un consensus sur des questions complexes et mal structurées,
pour lesquelles les autres outils ne permettent pas de fournir des réponses univoques ou crédibles.

L’utilisation des groupes d’expert permet, dans un laps de temps de quelques mois, de rassembler l’essentiel des
points de vue et des connaissances pertinentes pour l’évaluation. L’outil est donc recommandé lorsqu’il existe
une expertise suffisante dans le domaine et que l’évaluation est complexe.

L’outil est également très bien adapté à des petits programmes simples pour l’évaluation desquels il n’est pas
justifié de consacré trop de ressources.

Comment le mettre en œuvre ?

Etape 1 – Identification d’une liste d’experts potentiels : Les membres du panel doivent être des spécialistes
reconnus dans au moins un des champs concerné par le programme. Ils doivent avoir une large expérience du
domaine et être indépendants des commanditaires. Ils doivent par ailleurs avoir la disponibilité et la volonté de
s’impliquer dans l’évaluation.

Etape 2 – Sélection et mandatement des experts : Le panel est généralement composé de six à douze membres
appartenant aux différents « champs d’expertise ». La tendance actuelle est d’élargir le spectre d’intérêts et de
rechercher la plus grande diversité possible de points de vue au sein du panel. Les experts sont nommés intuitu
personnae et ne représentent pas leur institution. Chaque expert signe un contrat qui, selon les cas, prévoit ou ne
prévoit pas de rémunération. Le président du panel est choisi par le commanditaire ou élu par ses pairs. Il est
impératif de confier le secrétariat du panel à une personne qui a la disponibilité suffisante, ce qui n’est
généralement pas le cas des experts eux-mêmes.

Etape – 3 Investigations : Les experts se réunissent entre trois et six fois à intervalle d’environ un mois. Toutes
les dates de réunion doivent être programmées dès le début du travail. Les débats internes au panel sont placés
sous le sceau de la confidentialité. Les membres du panel consultent les documents du programme ou du projet
de programme (rapports d’activités, études préalables, enquêtes), ils auditionnent les responsables du
programme et quelques destinataires typiques. Ils peuvent aussi réaliser des visites sur le terrain, généralement
en binômes pour limiter les risques de parti-pris.

Etape 4 – Synthèse : Le panel produit un rapport et formule des conclusions et des recommandations acceptées
collectivement. En cas de désaccord, il peut être utile d’exprimer la conclusion majoritaire et d’annexer un
commentaire de l’expert minoritaire. Le panel doit tenir une dernière réunion après réception des commentaires
du commanditaire sur son rapport provisoire. Il est maintenant envisageable qu’une partie du travail du panel,
notamment dans sa phase finale, fasse appel aux techniques de communication à distance (Internet ou

436
visioconférence).

Points forts et limites d’utilisation


Le panel d’experts est un outil relativement peu coûteux, rapide, flexible. Ses conclusions jouissent d’une bonne
crédibilité lorsque l’on dispose d’experts reconnus.

Le panel d’experts peut remplir de nombreuses fonctions, mais il est préférable de limiter sont travail à une
partie seulement de l’évaluation : structuration des objectifs, estimations des effets ou jugement. Plus le travail
du panel est défini de façon précise, plus la portée de son travail sera reconnue. La fiabilité de l’outil peut être
affaiblie si les questions posées aux experts sont trop vastes.

Le risque de biais d’empathie est important dans la mesure où les experts sont trop souvent restreints aux
spécialistes du domaine couvert par le programme (pairs) et sont donc peu enclin à critiquer la pertinence des
objectifs ou à s’intéresser à d’éventuels effets pervers.

La confrontation des avis mène souvent à la sous-évaluation des points de vue minoritaires. En effet, le mode de
fonctionnement consensuel sur lequel repose la dynamique du panel produit une convergence d’opinions autour
des valeurs majoritaires qui ne sont pas forcément les plus pertinentes.

L’outil est cependant susceptible de produire des conclusions créatives et des recommandations riches s’il est
associé à des techniques adaptées telles que celles qui sont présentées dans ce Volume (Metaplan®, vote
coloré).

L’enquête Delphi

Résumé
Les évaluations ayant recours aux avis d’experts peuvent se faire dans un cadre ex ante. La technique de
l’enquête Delphi en est une illustration ; elle se présente sous la forme d’une procédure de consultation
anonyme et itérative d’experts par voie de sondage postal. L’absence de concertation préalable au sein du
groupe permet une explication des divergences entre experts et donc de mieux comprendre la nature de
l’expertise de chacun.

Cette technique est recommandée lorsque les questions sont simples (programme comportant peu d’objectifs, à
caractère technique) et que l’on vise à établir une estimation quantitative des impacts potentiels d’une
intervention isolée (par exemple : augmentation de la fiscalité, du prix de l’énergie, …)

A quoi sert l’outil ?


L’enquête Delphi, comme les autres démarches s’appuyant sur les experts, est utile pour produire, dans le cadre
d’une évaluation, des recommandations dont la crédibilité est fonction de la légitimité des experts eux-mêmes.
Cette approche peut être utilisée de manière prospective pour établir des hypothèses sur la réalisation
d’événements et sur leurs implications socio-économiques.
Cette méthode permet notamment d’éclaircir l’évolution d’une situation, d’identifier les priorités, ou encore,
d’élaborer des scénarios prospectifs.

Dans quels cas l’utiliser ?


Cette technique est utilisable lorsqu’il existe une expertise important sur le sujet, donc dans le cas de
programmes qui ne sont pas innovants. Elle est en outre indiquée dans le cadre d’une évaluation ex ante s’il
s’agit d’intervention publique à caractère technique. Elle a été ainsi très fréquemment utilisée dans le cadre des
politiques énergétiques pour des études prospectives sur l’impact des modifications fiscales,…

On peut y avoir recours lorsqu’on craint que les experts s’influencent réciproquement. L’anonymat et l’absence
d’interactions favorisent de plus une analyse en profondeur des raisonnements à l’origine des opinions
exprimées.

Comment le mettre en œuvre ?


La démarche consiste à interroger des experts à l’aide de questionnaires successifs afin de faire apparaître des
convergences et dégager un éventuel consensus. Les phases principales sont :

Etape 1 – Détermination et formulation des questions : Un soin particulier doit être porté au choix et à la

437
formulation des questions afin d’obtenir des informations utilisables.

Etape 2 – Sélection des experts : Ceux-ci doivent avoir des connaissances spécifiques du sujet et être prêts à
s’investir dans ce type de démarche. Le panel est généralement composé d’une cinquantaine d’individus.

Etape 3 – Elaboration du premier questionnaire en envoi aux experts : Le premier questionnaire doit contenir un
rappel de la nature de l’étude et comprendre deux ou trois questions semi-ouvertes ou ouvertes.

Etape 4 – Analyse des réponses au premier questionnaire : Les réponses sont analysées afin de déterminer la
tendance générale et les réponses extrêmes.

Etape 5 – Elaboration du second questionnaire et envoi aux experts : A chaque expert informé des résultats du
premier tour, il est demandé de fournir une nouvelle réponse et de la justifier si elle s’écarte de la tendance
générale.

Etape 6 – Envoi d’un troisième questionnaire : Ce questionnaire ne s’adresse qu’aux experts ayant maintenu des
réponses « extrêmes ». Il est en outre demandé de critiquer les arguments des tenants de l’autre position
extrême. La confrontation des avis joue un rôle modérateur et facilite l’apparition de convergence de points de
vue.
Une convergence suffisante des opinions apparaît généralement lors de l’exploitation du quatrième
questionnaire. Si tel n’est pas le cas, le cycle continue.

Etape 7 – Résumé du processus et rédaction du rapport final.

Points forts et limites d’utilisation


Les conclusions issues de ce type de démarche permettent à l’inverse de la démarche par le panel de mieux tenir
compte des points de vue minoritaires. Elle offre de plus la possibilité de mieux comprendre les éléments sur
lesquels se fondent les avis d’experts.

Cette technique offre moins de souplesse d’utilisation car le temps nécessaire pour les différentes itérations est
important (supérieur à trois mois).

Comme dans le cas de la démarche par panel, la fiabilité de l’outil dépend de la subjectivité des avis d’experts,
elle-même fonction du stock de connaissances dont ils disposent.
Source : reproduit de Monnier (1999, pp. 90-93, 130-132)

438
Annexe 18

Les paramètres astronomiques qui


influencent le climat (hors variation de
l’activité solaire proprement dite)

439
Excentricité orbitale Obliquité axiale Précession des équinoxes

∆α:0à7% β = [21,8°- 24,4°]


(α = aplatissement de l'orbite elliptique) β = ± 1°30’’

Source : E is after Strahler (1965)

440
Annexe 19

Les émissions de gaz à effet de serre (GES)


en Suisse : CO2 (par secteurs d’activité),
CH4, N2O, gaz synthétique et puits de CO2

441
Figure 1

Emissions de CH4 en Suisse, par secteurs d'activité, 1990-2006

3
Miot
2

0
1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006

Déchets, chiffre 2006 : 12.01% (décharges : 8.21%, divers : 3.80%, dont épuration des eaux usées : 0.94% et incinération : 0.11%)
Agriculture, chiffre 2006 : 79.6% (détention d'animaux : 65.10%, utilisation d'engrais de ferme : 14.18%, combustion d'énergie : 0.28%, divers : 0.05%)
Autres secteurs, chiffre 2006 : 8.39% (industrie : 5.55%, transports : 0.59%, services & commerces : 0.64%, ménages : 1.6%)

Figure 2

Emissions de N20 en Suisse, par secteurs d'activité, 1990-2006

Miot 2

0
1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006

Déchets, chiffre 2006 : 7.85% (épuration des eaux usées : 6.48%, incinération : 0.76%, divers : 0.61%)
Agriculture, chiffre 2006 : 75.71% (utilisation d'engrais de ferme : 12.32%, sols agricoles : 63.11%, combustion d'énergie : 0.05%, divers : 0.28%)
Autres secteurs, chiffre 2006 : 16.44% (industrie : 11.21%, transports : 3.78%, services & commerces : 0.42%, ménages : 1.03%)
Industrie, chiffre 2006 : 11.21%

442
Figure 3

Emissions de gaz synthétiques en Suisse, par secteurs d'activité, 1990-2006

0.9

0.8

0.7

0.6

0.5
HFC, chiffre 2006 : 73.87%
Miot SF6, chiffre 2006 : 19.41%
0.4 PFC, chiffre 2006 : 6.72%

0.3

0.2

0.1

0.0
1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006

Figure 4

Emissions brutes & émissions nettes de GES en Suisse, 1990-2006


Les puits de CO2

60

50

40
Puits (sols et forêts), chiffre 2006 : - 2.23 Miot

30
Miot
20 Emissions nettes, chiffre 2006 : 50.98 Miot

10
Emissions brutes, chiffre 2006 : 53.21 Miot
0

-10
1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006

Source : d’après OFEV (2008a)

443
444
Annexe 20

La convention d’objectifs avec cemsuisse en


chiffres

445
Emissions de CO2 résultant de l’utilisation énergétique de combustibles fossiles (engagement LCO2)

Emissions de CO2 en 1990 : 1'326'253 t


Emissions de CO2 en 2010 (objectif de l’engagement) : 740'000 t

Réduction de 44.2 % 586'000 t

Emissions de CO2 géogène (engagement volontaire)

Emissions de CO2 en 1990 : 2'524'283 t


Emissions de CO2 en 2010 (objectif de l’engagement) 1'760'000 t

Réduction de 30.3 % 764'000 t

Engagement cemsuisse total : 1'350'000 t de CO2


+
Réduction supplémentaire (engagement non sanctionnable) : 213'000 t
=
Réduction totale : 1'563'000 t de CO2
Source : OFEFP (2003)

446
Annexe 21

Comparaison théorique chiffrée du coût


total de l’introduction d’une norme
uniforme vs d’une taxe incitative vs d’un
système d’échange de permis négociables

447
Calcul du coût total pour une norme uniforme (cf. Figure ci-dessous) :

 Objectif total de réduction de pollution de 100 Q

 Normes uniformes de 50 Q pour entreprise A et B

 Réduction pour A = 50

 Coût de dépollution pour A (aire du triangle A) = (50 x 50) / 2 = 1250

 Réduction pour B = 50

 Coût de dépollution pour B (aire du triangle B) = (50 x 25) / 2 = 625

 Coût Total de dépollution pour A et B = 1250 + 625 = 1875

POUR COMPARAISON THEORIQUE :

Calcul du coût total pour une taxe (cf. Figure 34, p. 285) :

 Objectif total de réduction de pollution de 100 Q

 Taxe = 33.3 .- / Q

 Réduction pour A = 33.3 Q

 Coût de dépollution pour A (aire du triangle A) = (33.3 x 33.3) / 2 = 555.5

 Réduction pour B = 66.6 Q

 Coût de dépollution pour B (aire du triangle B) = (66.6 x 33.3) / 2 = 1111.1

 Recette fiscale = 3333.3


- C de la taxe pour A = 66.6 x 33.3 = 2222.2
- C de la taxe pour B = 33.3 x 33.3 = 1111.1

448
 Coût Total pour A = 555.5 (dépollution) + 2222.2 (taxe) = 2777.7

 Coût Total pour B = 1111.1 (dépollution) + 1111.1 (taxe) = 2222.2

 Coût Total pour A et B = 2777.7 + 2222.2 = 4999.9

 Coût collectif = 4999.9 - 3333.3 = 1666.6

Calcul du coût total pour les permis (cf. Figure 35, p. 296) :

 Objectif total de réduction de pollution de 100 Q

 Droit de pollution de 50 Q pour A et de 50 Q pour B

 Coût Total de dépollution pour B = 1111.1 (aire du triangle calculé dans diapo sur la Taxe)

 Gain de la vente de 16.6 Q à l’entreprise A à 33.3 .- / Q = 555.5

 Coût Total pour B = 1111.1 - 555.5 (vente des permis) = 555.5

 Coût Total de dépollution pour A = 555.5 (aire du triangle calculé dans diapo sur la Taxe)

 Coût de l’achat de 16.6 Q par l’entreprise A à 33.3 .- / Q = 555.5

 Coût Total pour A = 555.5 (coût de dépollution) + 555.5 (achat des permis) = 1111.1

 Coût Total pour A et B = 1111.1 + 555.5 = 1666.6

Pour rappel, le Coût Total de l’introduction d’une norme uniforme = 1875

 Meilleure efficience des instruments économiques (permis et taxes) sur les normes uniformes, toutes
choses étant égales par ailleurs.
Source : l’auteur

449
450
Annexe 22

Enquête « pan-phi » : procédure et marche


à suivre – 1ère vague de questionnaires

451
452
453
Source : l’auteur

454
Annexe 23

Enquête « pan-phi » : procédure et marche


à suivre – 2e vague de questionnaires

455
456
457
r

458
Source : l’auteur

459
460
Annexe 24

Enquête « pan-phi » :

explications et légende
questionnaires n°1 à 5
réponses du panel d’experts
Traitement des résultats

461
Explications et légende concernant la présentation des questionnaires de l’enquête « pan-phi », des
résultats obtenus et de leur traitement

Les questions de la 1ère vague et de la seconde vague de questionnaires sont identiques, hormis quelques
corrections et rectificatifs (cf. note ci-après).

Les réponses des six experts aux questions des deux vagues de questionnaires, ainsi que leur traitement, ont été
reportés sur les questionnaires de la seconde vague de questionnaires qui vous sont présentés ci-après de la
manière suivante :

Réponses des experts Traitement des données Réponses des experts Traitement des
à la 1ère vague de à la 2e vague de données
questionnaires (les questionnaires (les
réponses considérées réponses « extrêmes »
comme « extrêmes » maintenues sont en
sont en rouge : cf. rouge et le numéro de
procédure justification est
d’identification des indiqué (cf. Annexe
valeurs « extrêmes » « justification des
en pages 306 et réponses
suivantes) « extrêmes » »))

Expert 1 Expert 2 Moyenne des réponses Expert 1 Expert 2 Moyenne des réponses
hors réponses
Ecart-type
« extrêmes »
Expert 3 Expert 4 Proposition de réponse 1 (P 1) Expert 3 Expert 4 maintenues
= Moyenne des réponses hors
Ecart-type
réponses considérées comme
Expert 5 Expert 6 extrêmes et arrondie à l’unité Expert 5 Expert 6 Niveau de consensus
de 1 à 5 : nc1 à nc5

01 00
Ce qui donne par exemple pour la 1ère question et la 1ère dimension du questionnaire n°1 : 00
0.33
0.52 00
0.17
0.41
10 0 10 nc2

Note : suite à une réorganisation de l’ordre des questions, notamment due à la suppression d’une question du
questionnaire n°3 (MécFlex) relative à l’Etat Suisse entre la 1ère et la seconde vague de questionnaires, les
« codes » des questions ont été redéfinis comme suit pour l’analyse :

« Codes » sur les questionnaires … devient … « codes » des Notes


(de la seconde vague de réponses utilisés
questionnaires) dans le cadre de
l’analyse
Questionnaire n°1 MLC MLC pour Mesures librement
consenties
AC1  CO (AC7) CO pour Conventions d’objectifs
AC2  EF (AC8) EF pour Engagements formels
AC3  AV (AC1) AV pour Accords volontaires
AC4  CC (AC2) CC pour Centime Climatique
AC5  CC (AC3) ‘’
AC6  CC (AC4) ‘’
AC7  CC (AC5) ‘’
AC8  CC (AC6) ‘’
Questionnaire n °2 TCO2 TCO2 pour Taxe CO2
AC1  TCO2 (AC1)
AC4  TCO2 (AC2)
AC2  TCO2 (AC3)

462
AC3  TCO2 (AC4)
AC5  TCO2 (AC5)
TAC6  TCO2 (AC6)
Questionnaire n °3 MécFlex MécFlex pour Mécanismes de
flexibilité
AC2  MécFlex (AC1)
AC3  MécFlex (AC2)
AC4  MécFlex (AC3)
Questionnaire n °4 OblComp OblComp pour Obligation de
compensation
AC1  OblComp (AC1)
AC2  OblComp (AC2)
AC3  OblComp (AC3)

Questionnaire n°5 Complexité des acteurs ciblés par les instruments


AC-a : Entreprises suisses (PME et grandes entreprises) consommatrice d'énergies fossiles
AC-b : Acteurs de type associatif, fondations (telle que celle du centime climatique), etc. (pouvant contracter un accord au titre des mesures librement
consenties)
AC-c : Importateurs, fabricants, producteurs, commerçants et/ou entrepositaires de combustibles et/ou de carburants assujettis à la Taxe CO2

AC-d : Individus/particuliers consommateurs (directs ou indirects) de combustibles et/ou de carburants

AC-e : Entreprises bénéficiaire de la redistribution de la taxe CO2 par le biais de la masse salariale

AC-f : Individus/particuliers bénéficiaires de la redistribution de la taxe CO2 par le biais de l’assurance maladie

AC-g : Acteur supprimé suite à la suppression d’une question relative à l’Etat Suisse entre la 1ère et la seconde vague du questionnaire n°3 (MécFlex)

AC-h : Exploitants/constructeurs de centrales à gaz

AC-i : Meneurs de projets de réduction des émissions en Suisse

AC-j : Meneurs/propriétaires de projets de réduction d'émissions à l'étranger, brookers, traders, etc.

AC-k : Les "consommateurs" directs ou indirects de carburants "assujettis" au centime climatique

AC-l: Acteurs menant des projets en Suisse dans les domaines bâtiments/carburant/chaleur pouvant bénéficier du fonds Centime Climatique
AC-m : Entreprises suisses ayant une Convention d'objectifs dans le secteur des carburants ou des combustibles pouvant bénéficier du fonds Centime
Climatique
AC-n : Fonds d’investissement, Brockers, Traders pouvant bénéficier du fonds Centime Climatique

Source : l’auteur

463
Annexe 24-a – page 1/2

464
Annexe 24-a – page 2/2

Source : l’auteur

465
Annexe 24-b – page 1/2

466
Annexe 24-b – page 2/2

Source : l’auteur

467
Annexe 24-c – page 1/2

468
Annexe 24-c – page 2/2

Source : l’auteur

469
Annexe 24-d – page 1/1

Source : l’auteur

470
Annexe 24-e – page 1/2

471
Annexe 24-e – page 2/2

Source : l’auteur

472
Annexe 25

Justifications par les experts des


réponses « extrêmes » maintenues

473
Annexe 25-1 – page 1/1

Justifications des réponses « extrêmes » - Expert n°1

N° de renvois Justification et motivation du maintient de la réponse « extrême »


N°1 et N°2 J’ai fait une évaluation du programme ECO-DRIVE qui est cofinancé par
l’OFEN et le SKR (rapport sur le site BFE). Vu le peu de rigueur des
méthodes d’évaluation des projets SKR, l’impact sur un réel calcul
sérieux coûts-bénéfices est quasi-nul ! Je ne crois tout simplement pas
dans l’effet incitatif. Seule la manière habile ou non de présenter le projet
compte.

Nous avons jugé les deux réponses de l’expert liées à ces deux justifications comme
« aberrantes » compte tenu de l’argumentation avancée ; en effet, un parallélisme est ici
établit entre d’une part la méthode d’évaluation des projets de la fondation du centime
climatique (financement de projets via le fonds du centime climatique) et l’instrument de
l’obligation de compensation (financement de projets en Suisse et à l’étranger) ; cette
comparaison ne tient pas la route selon nous, tant les modalités et le contexte institutionnel
(notamment légal) n’est pas identique dans les deux cas de figure ; ni la réponse, ni la
justification n’ont donc été prise en compte dans notre analyse.

474
Annexe 25-2 – page 1/1

Justifications des réponses « extrêmes » - Expert n°3

N° de renvois Justification et motivation du maintient de la réponse « extrême »


N°1 Les inventeurs du centime climatique ont développé ce nouvel instrument
car l’introduction d’une taxe n’aurait pas correspondue aux valeurs
profondes de leur coalition. Cf. ma thèse : secondary aspects (taxe) en
désaccord avec policy case (Sabatier 1993)
N°2 Je trouve toujours qu’il y a un certain degré d’empathie de la part des
acteurs qui mènent un tel projet
N°3 Je trouve que la taxe (ou mesure de compensation) sollicite des valeurs,
principes, sentiments (bien que négatifs) chez les acteurs. (

Entretient du 11.12.08 : justification n°3 non faite dans le sens « dans le but de réduire les
émissions de GES » et donc à ne pas prendre en compte.
La justification n°2 n’est pas émise par rapport à l’instrument pris en considération, mais
dans l’absolu ; nous avons donc jugé la réponse liée à cette justification comme
« aberrante » ; ni la réponse, ni la justification n’ont donc été prises en compte dans notre
analyse.

475
Annexe 25-3 – page 1/1

Justifications des réponses « extrêmes » - Expert n°4

N° de renvois Justification et motivation du maintient de la réponse « extrême »


N°1 J’aimerais corriger ma réponse initiale de 0 pour AC7, mais mettre 1 (et
pas 2) car je trouve que AC7, une fois compris le mécanisme, n’aurait pas
besoin de solliciter beaucoup leurs ressources informationnelles,
étant donné leur habitude à travailler avec des mécanismes très complexes
 je révise au lieu de 0  1
N°2 Ok de réviser ma réponse 0, mais cf. avant n°1 : ici aussi je ne crois pas
que AC4 ont besoin de solliciter beaucoup leurs ressources
informationnelles.
Mécanismes pas très compliqué + acteurs bien organisés et habitués à des
réglementations complexes
N°3 Cf. même note que n°1
N°4+5+6 Mêmes remarques : je trouve (i) instruments pas particulièrement
complexe + (ii) acteurs habitués aux réglementations de mécanismes
complexes  disposé à réviser ma réponse extrême mais mettre 1 et pas
2, si possible
N°7 Cf. questionnaire 5 : ce type de AC est (à mon avis) habitué avec des
instruments /mécanismes bien plus complexes

Notes : les réponses associées à ces justifications n’ont pas été considérées comme extrêmes
dans le cadre de notre analyse pour les raisons suivantes :

• pour les six réponses liées aux six premières justifications (n°1 à n°6) l’expert n’a
pas gardé sa réponse initiale « extrême », mais il n’a pas non plus choisi de se
rattacher aux propositions de réponses P1 ou P2 ; ses nouvelles réponses ont donc
été réévaluées à l’aide du test de Dixon (avec un degré de confiance de 10%) et
aucune de celles-ci n’a pu être considérées comme « extrêmes » compte tenu des
réponses des autres experts ; ainsi les justifications de l’expert n’ont pas été
intégrées à notre analyse.

• en sus, nous avons jugé la réponse liée à la dernière justification (n°7) comme
« aberrante » compte tenu de la justification avancée ; ni la réponse, ni la
justification n’ont donc été prise en compte dans notre analyse.

476
Annexe 25-4 – page 1/1

Justifications des réponses « extrêmes » - Expert n°5

N° de renvois Justification et motivation du maintient de la réponse « extrême »


N°1 Sans dispositions un peu vertueuses, il n’y a pas de mesures librement
consenties
N°2 La convention d’objectif ne repose pas sur une analyse coûts-bénéfices,
car il doit être évident pour presque chaque entreprise que son action ne
va pas influencer la décision d’introduire la taxe CO2
N°3 Là il y a une avantage direct à signer un engagement formel, l’évitement
de la taxe, avec le risque personnel de devoir la payer quant même si on
n’arrive pas à tenir son engagement
N°4 Comme n°2 ou presque
N°5 Comme n°1 ou presque
N°6 Il faut des dispositions vertueuses car il est souvent bcp plus simple et pas
tellement plus coûteux de payer la taxe
N°7 J’ai pensé à des ONG et individus qui achètent des certificats pour les
détruire
N°8 Comme 7, ils forcent à une réduction des émissions au-delà du plafond
fixé par l’autorité
N°9 Comme n° 6

La justification n°3 n’est pas nécessaire, car la réponse de l’expert est en réalité égale à P 2.
Les justifications n°6 et n°9 ne sont pas émises par rapport à l’instrument pris en
considération, mais dans l’absolu ; nous avons donc jugé les trois réponses liées à ces
justifications comme « aberrantes » ; ni ces réponses, ni ces justifications n’ont donc été
prises en compte dans notre analyse.

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