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par
Sylvain Perret
Thèse n° 717
Le doyen
Bernard MORARD
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PREAMBULE & REMERCIEMENTS
5
6
Tout d’abord, je tiens à remercier les Professeurs Beat Bürgenmeier du département
d’économie politique et Paolo Urio du département de science politique de la Faculté des
sciences économiques et sociales de l’Université de Genève d’avoir assuré la direction de ce
travail de recherche. Je leur suis particulièrement reconnaissant pour leurs enseignements, leur
disponibilité et pour la grande liberté qu’ils m’ont octroyée dans son accomplissement.
De même, je remercie également les Professeurs Frédéric Varone et Pierre Lascoumes pour le
temps qu’ils m’ont consacré, respectivement en tant que Président et membre externe de mon
jury de thèse.
Mes remerciements vont également à tous mes collègues de travail que j’ai côtoyés dans le
cadre du Centre universitaire d’écologie humaine et des sciences de l’environnement (CUEH)
ou de son « successeur », l’Institut des sciences de l’environnement (ISE), avec lesquels j’ai
partagé mon intérêt pour la politique climatique suisse et internationale ou plus généralement
pour le Développement Durable.
Il est également de coutume de signifier que cette recherche a bénéficié du soutien du Fonds
national suisse de la recherche scientifique puisqu’elle a été menée, du moins pour une partie,
dans le cadre du Pôle national de recherche sur le Climat (PNR Climat)1.
Un grand merci également à mes parents, Chantal et Michel, ainsi qu’à ma sœur, Cynthia, qui
m’ont toujours encouragé dans mes projets et qui ont également joué le rôle de relecteurs pour
corriger mes multiples « fautes de frappe ». Mes remerciements à Madame Giovanna Boni qui
s’est également attelée à cette dernière tâche ingrate.
Je souhaite enfin remercier tout particulièrement ma compagne Mallory et nos deux enfants
– Nathan, qui a fêté ses quatre ans hier, et Thibaud, qui fêtera quant à lui ses deux ans en avril
prochain… comme le temps passe (trop) vite ! – qui m’ont témoigné, chacun à leur manière,
un soutien indéfectible sans lequel mon projet n’aurait tout simplement jamais pu aboutir.
1
Financement d’un poste d’assistant de recherche du 01.01.2003 au 31.03.2006.
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TABLE DES MATIERES
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PREAMBULE & REMERCIEMENTS............................................................ 5
Ière PARTIE
Des instruments aux typologies d’instruments des politiques publiques
Eléments conceptuels et théoriques................................................................... 23
Chapitre 1 Les instruments des politiques publiques : définitions, concept et
dimensions....................................................................................................... 26
1.1 Les instruments des politiques publiques : terminologies.................................... 27
1.2 Les instruments des politiques publiques : une définition consensuelle.............. 29
1.3 La non intervention, un instrument de politique publique ? ................................ 30
1.4 Les instruments des politiques publiques face aux grands concepts
de la science politique .......................................................................................... 31
1.5 Les instruments des politiques publiques : instruments externes vs
instruments internes.............................................................................................. 32
1.6 Les instruments des politiques publiques : jeu politique, jeu de pouvoir ............ 33
1.7 Les instruments des politiques publiques : administration vs politique,
moyens vs fins ...................................................................................................... 35
1.8 Les instruments des politiques publiques : des objets, des activités, des
stratégies ? ............................................................................................................ 38
1.9 Les instruments des politiques publiques : des institutions reflétant
les rapports de l’homme à son environnement..................................................... 40
1.10 Les instruments des politiques publiques : indissociables du processus
décisionnel et des acteurs impliqués dans le « jeu politique » ............................. 41
Chapitre 2 Les typologies d’instruments en sciences politiques et administratives .... 44
2.1 Les précurseurs..................................................................................................... 45
2.1.1 Les continuums de Dahl et Lindblom (1953)................................................... 46
2.1.2 Les types de pouvoirs et d’implication d’Etzioni (1961) ................................. 49
2.1.3 Lowi (1964, 1966, 1972) : les trois puis quatre types de politiques ................ 52
2.1.4 Hood (1983) : l’Etat, une boîte à instruments .................................................. 53
2.2 Quelques autres typologies d’instruments............................................................ 56
2.2.1 Typologies puissance 2 .................................................................................... 57
2.2.2 Typologies puissance 3 .................................................................................... 59
2.2.3 Typologies puissance 4 .................................................................................... 64
2.2.4 Typologies puissance 5 .................................................................................... 67
2.2.5 Typologies puissance 6 et plus......................................................................... 72
Chapitre 3 Quelques exemples de typologies d’instruments issus d’autres champs
disciplinaires ................................................................................................... 76
3.1 Quelques typologies issues de la science économique......................................... 77
3.1.1 Une typologie issue de la théorie économique du bien-être............................. 77
3.1.2 Quelques classifications « institutionnelles »................................................... 79
11
3.1.3 Quelques typologies basées sur des critères concrets ...................................... 83
3.2 Une typologie issue de la sociologie du droit ...................................................... 84
3.2.1 Les instruments juridiques ............................................................................... 86
3.2.2 Confusion entre instruments légaux et instruments politiques......................... 88
3.2.3 Aux frontières du droit et des politiques publiques.......................................... 90
3.2.4 Une typologie des Etats et de leurs modalités d’action.................................... 91
3.3 Une typologie issue de la recherche en psychologie (environnementale).......... 100
3.3.1 L’application de principes de psychologie aux modifications
comportementales........................................................................................... 100
3.3.2 La typologie de Gardner et Stern ou comment remédier à la situation
tragique des biens communs .......................................................................... 102
Chapitre 4 L’évolution des modalités d’intervention de l’Etat : vers de
« nouveaux » types d’instruments politiques ?.......................................... 106
4.1 De nouveaux modes d’intervention : vers plus de flexibilité, de participation,
d’information… vers moins de contrainte et/ou « carrément » moins d’Etat !.. 106
4.1.1 Régulation, sous-systèmes sociaux et complexité.......................................... 107
4.1.2 Réforme de l’Etat et de ses instruments ......................................................... 114
4.1.3 Synthèse et nuances........................................................................................ 118
4.2 Combinaison des types d’instruments : évolution « téléologique » vers plus
de contrainte !..................................................................................................... 121
4.3 Un paradoxe ?..................................................................................................... 126
IIe PARTIE
Des lacunes méthodologies dans la conception et l’utilisation des typologies
d’instruments politiques à une proposition de typologie idéaltypique
Eléments méthodologiques............................................................................... 129
Chapitre 5 Des « méthodes » de conception et d’utilisation des typologies
d’instruments politiques à quelques lacunes ............................................. 134
5.1 Des bases méthodologiques « éclatées »............................................................ 134
5.2 Modalités de conception des typologies et leurs lacunes ................................... 137
5.2.1 L’approche par les catégories nominales vs par les attributs ......................... 137
5.2.2 Choix vs ressources vs continuum vs max/minimalisme............................... 140
5.2.3 Approches théorique vs par critères concrets vs botom up ............................ 144
5.2.4 D’autres « méthodes » : de la synthèse par décantation à la génération
spontanée en passant par la « méthode » par amendements........................... 145
5.3 Première synthèse............................................................................................... 147
Chapitre 6 De la nécessité d’un cadre théorique relatif à l’action ? ........................... 149
6.1 Hood : des prémices théoriques à l’action étatique............................................ 149
6.2 Schneider et Ingram : les hypothèses comportementales................................... 150
6.3 Klock : du modèle de l’activité humaine............................................................ 154
6.3.1 De la conception du modèle de l’activité humaine à la typologie des
instruments de protection de l’environnement ............................................... 155
6.3.2 Une tentative intéressante mais maladroite .................................................... 158
6.4 Kaufmann-Hayoz et al. : de la théorie de l’activité humaine............................. 159
Chapitre 7 De la nécessité de ternir compte de la complexité instrumentale............. 162
12
7.1 Quid des méthodes d’application : la règne illusoire de la tentation
classificatrice ...................................................................................................... 162
7.1.1 De l’utilisation des typologies d’instruments : la tentation classificatrice..... 163
7.1.2 Retour sur la question de l’opérationnalisation de la variable type
d’instrument ................................................................................................... 164
7.1.3 Types d’instruments vs instruments concrets (niveau théorique vs
empirique) ...................................................................................................... 166
7.1.4 La (mauvaise) question de la substituabilité des instruments ........................ 166
7.2 Les concepts clés à la conception des typologies d’instruments politiques ....... 167
7.2.1 La question des acteurs-cibles........................................................................ 167
7.2.2 La question la contrainte ................................................................................ 169
7.3 La nécessité d’appréhender la question des caractéristiques fondamentales
des instruments ................................................................................................... 174
7.3.1 Retour sur la nature « fuyante » des instruments : la voie pessimiste............ 174
7.3.2 Retour sur la nature « fuyante » des instruments : la voie optimiste ............. 175
7.4 Synthèse et propositions d’orientation vers une « nouvelle » approche
méthodologique des typologies d’instruments politiques .................................. 176
Chapitre 8 La méthode compréhensive de Max Weber et ses idéaltypes................... 179
8.1 Contexte théorique et épistémologique .............................................................. 181
8.1.1 De l’empirisme au positivisme....................................................................... 182
8.1.2 L’approche compréhensive de la réalité sociale............................................. 184
8.2 La méthode idéaltypique .................................................................................... 186
8.3 Deux exemples de typologie wébérienne........................................................... 190
8.3.1 Les quatre types wébériens d’activités sociales ............................................. 191
8.3.2 La conception wébérienne du pouvoir : les trois types de domination
légitime........................................................................................................... 192
Chapitre 9 Essais d’une typologie idéaltypique d’instruments politiques
– théorie basique de l’activité humaine ...................................................... 194
9.1 Les postulats de départs...................................................................................... 194
9.1.1 De la nature de l’intervention étatique ........................................................... 195
9.1.2 Du fondement de l’intervention étatique........................................................ 195
9.1.3 De l’intervention étatique dans le domaine de la protection de
l’environnement et du climat.......................................................................... 196
9.1.4 Une définition de la notion d’instrument de politique publique .................... 199
9.1.5 De la rationalité (limitée) de l’acteur climatique ........................................... 200
9.1.6 De l’acteur au système (à l’acteur)................................................................. 200
9.1.7 De l’intervention étatique sur les déterminants de l’activité humaine
(et donc de l’activité climatique).................................................................... 202
9.2 Les déterminants de l’activité humaine.............................................................. 202
9.2.1 Les déterminants ou leviers comportementaux .............................................. 202
9.2.2 Processus d’identification des déterminants comportementaux et
(sous-)systèmes de référence.......................................................................... 203
9.2.3 Notre typologie d’instruments politiques : sources d’inspiration et types
d’instruments politiques ................................................................................. 205
9.3 Une typologie idéaltypique des instruments politiques (de protection
du climat)............................................................................................................ 206
9.3.1 Idéaltype « instrument coercitif »................................................................... 207
9.3.2 Idéaltype « instrument économique » ............................................................ 208
9.3.3 Idéaltype « instrument de communication vertueuse ».................................. 209
13
9.3.4 Idéaltype « instrument de communication affective » ................................... 210
9.3.5 Intermède : retour sur la notion de typologie idéaltypique d’instrument
politique.......................................................................................................... 216
9.3.6 Idéaltype « instrument de communication in-formationnelle » ..................... 217
9.3.7 Idéaltype « instrument de communication exemplaire »................................ 218
9.3.8 Idéaltype « instrument d’aménagement et d’infrastructures » ....................... 219
9.4 Pour un bref résumé ........................................................................................... 220
9.4.1 Une typologie d’instruments politiques de nature idéaltypique..................... 220
9.4.2 Notre typologie d’instrument politiques et la notion de contrainte................ 220
9.4.3 Une illustration sommaire .............................................................................. 221
IIIe PARTIE
Essais d’une analyse instrumentale idéaltypique+ de la politique climatique
suisse
Éléments d’analyse........................................................................................... 223
Chapitre 10 Méthode de travail ....................................................................................... 225
10.1 Unité d’observation, champ d’investigation et structure de l’analyse ............... 226
10.1.1 Unité d’observation : les instruments concrets .............................................. 226
10.1.2 Champ d’investigation : la politique climatique suisse.................................. 227
10.1.3 Structure de l’analyse ..................................................................................... 229
10.2 Fondements théoriques des questions de recherche et des hypothèses
de travail (bref rappel)........................................................................................ 230
10.2.1 Fondements théoriques pour l’analyse compréhensive et explicative ........... 230
10.2.2 Fondements théoriques pour l’analyse méthodologique ................................ 233
10.3 Questions de recherche....................................................................................... 233
10.3.1 Questions d’ordre descriptif ........................................................................... 233
10.3.2 Questions d’ordre compréhensif .................................................................... 234
10.3.3 Questions d’ordre méthodologique ................................................................ 234
10.3.4 Questions d’ordre explicatif ........................................................................... 234
10.4 Hypothèses de travail ......................................................................................... 234
10.4.1 Hypothèses compréhensives .......................................................................... 234
10.4.2 Hypothèse méthodologique générale ............................................................. 235
10.4.3 Hypothèses explicatives ................................................................................. 236
10.5 Procédure de travail............................................................................................ 238
10.5.1 Etude descriptive ............................................................................................ 238
10.5.2 Analyses compréhensive et méthodologique ................................................. 238
10.5.3 Analyse explicative ........................................................................................ 241
Chapitre 11 De la définition de la problématique du Changement Climatique à
l’émergence des acteurs à cibler.................................................................. 243
11.1 De la Biosphère de Vernadsky à la planète Gaïa de Lovelock .......................... 246
11.2 De la révolution industrielle à la dérégulation anthropique du cycle du
carbone ............................................................................................................... 248
11.3 Des changements climatiques au Changement Climatique d’origine
anthropique......................................................................................................... 251
11.3.1 Les causes naturelles des changements climatiques....................................... 251
11.3.2 Les causes anthropiques du Changement Climatique : le mécanisme de
l’effet de serre (effet de serre naturel vs effet de serre anthropique) ............. 253
14
11.4 De la controverse scientifique à la controverse politique................................... 255
11.5 De la modélisation du système climatique aux conséquences du
Changement Climatique (en Suisse et dans le Monde)...................................... 258
11.5.1 Les conséquences : les changements climatiques observés et les effets
constatés ......................................................................................................... 260
11.5.2 Synthèse : effets d’incertitudes, de vitesse, de retard et de persistance,
de seuils et d’irréversibilité, d’interrelations et différenciés. ......................... 263
11.6 Des émissions de GES aux multiples secteurs d’activités responsables :
le cas de la Suisse ............................................................................................... 265
11.6.1 Le dioxyde de carbone (CO2) : transports, ménages, industrie et
services/commerces........................................................................................ 266
11.6.2 Le méthane (CH4) : agriculture et déchets..................................................... 266
11.6.3 L’oxyde nitreux (N2O) : agriculture, industrie et déchets ............................. 266
11.6.4 Les gaz synthétiques (HFC, PFC et SF6) : industrie...................................... 267
11.6.5 Les puits de CO2 : sylviculture....................................................................... 267
11.6.6 Le secteur des énergies renouvelables............................................................ 267
11.7 Des secteurs d’activités responsables des émissions nationales de GES aux
multiples acteurs(-cibles) de la politique climatique suisse ............................... 268
11.7.1 Quelques acteurs-cibles de la politique climatique suisse.............................. 268
11.7.2 Quelques acteurs institutionnels de la politique climatique suisse ................ 269
11.7.3 La complexité des acteurs(-cibles) de la politique climatique suisse............. 269
Chapitre 12 Etude descriptive de la politique climatique suisse : les instruments
concrets et leur articulation................................................................................................. 270
12.1 Les principales dispositions constitutionnelles en matière de politique
climatique ........................................................................................................... 271
12.1.1 Les dispositions constitutionnelles dont fait explicitement référence la
LCO2 : la protection de l’environnement et la politique énergétique ............ 271
12.1.2 Les autres dispositions constitutionnelles pertinentes au regard de
la protection du climat : les principes du droit de l’environnement............... 271
12.2 La politique de réduction des émissions de CO2 ................................................ 274
12.2.1 Des objectifs quantifiés de réduction des émissions de CO2 ......................... 274
12.2.2 Les instruments pour la mise en œuvre .......................................................... 275
12.2.3 La phase volontaire des mesures librement consenties : conventions (et
engagements plus formels)............................................................................. 276
12.2.4 La phase subsidiaire : taxe sur le CO2, engagements formels et
mécanismes de flexibilité ............................................................................... 281
12.2.5 L’obligation de compensation pour les centrales à cycles combinés
alimentées au gaz ........................................................................................... 299
12.2.6 Les dispositions pénales (sanctions) de la législation sur le CO2 .................. 301
12.3 Des instruments articulés en une combinaison complexe.................................. 301
Chapitre 13 Evalution et analyse idéaltypique+ « pan-phy » des instruments de la
politique climatique suisse ................................................................................................... 303
13.1 Enquête « pan-phy » : procédures et résultats intermédiaires ............................ 304
13.1.1 Traitements et résultats de la première vague de questionnaires ................... 306
13.1.2 Mise en place de la deuxième vague de questionnaires ................................. 308
13.1.3 Traitements des réponses de la seconde vague de questionnaires ................. 309
13.1.4 Synthèse de la procédure d’analyse des résultats finaux de l’enquête
« pan-phy ».................................................................................................................... 312
15
13.2 De l’enquête « pan-phy » à la méthode idéaltypique + « pan-phi » :
présentation et modalités d’interprétation des résultats finaux .......................... 312
13.3 Interprétation des résultats finaux par idéauxtypes d’instruments politiques .... 323
13.4 Interprétation des résultats finaux par instruments concrets .............................. 327
13.5 Quid de nos hypothèses de travail...................................................................... 329
13.5.1 Quid de l’hypothèse compréhensive n°1........................................................ 329
13.5.2 Quid de l’hypothèse compréhensive n°2........................................................ 330
13.5.3 Quid de l’hypothèse compréhensive n°3........................................................ 332
13.5.4 Quid de nos hypothèses explicatives.............................................................. 332
13.5.5 Quid de l’hypothèse méthodologique ............................................................ 338
13.6 Synthèse et mise en perspective des résultas ..................................................... 339
13.6.1 Faire jaillir la complexité de la réalité instrumentale ..................................... 339
13.6.2 Vers de nouveaux instruments moins contraignants pour des
acteurs-cibles plus complexes ? ..................................................................... 340
13.6.3 L’évolution probable de la politique climatique suisse (et des autres
politiques publiques de protection de l’environnement) ................................ 342
13.6.4 Quelques limites de notre démarche et de notre analyse - petit exercice
de réflexivité................................................................................................... 342
16
INTRODUCTION & THESE
17
18
Au départ de ma recherche, une question toute simple : quelles sont les modalités
d’intervention étatique utilisées dans le domaine de la politique climatique suisse ? mais qui
s’avérera l’être en apparence seulement.
Cette question, je l’ai tout d’abord abordée au travers de mon mémoire de licence
(pluridisciplinaire) en science politique et sciences de l’environnement dans lequel j’ai mis en
évidence trois types de modalités d’intervention de l’Etat au sein des politiques de réduction
des émissions de CO2 et énergétique en Suisse (Perret, 2002).
Par la suite, dans le cadre de mon mémoire de diplôme d’études approfondies en management
et analyse des politiques publiques, et toujours selon le même cadre analytique, j’ai également
développé mon domaine d’investigation aux mesures de réduction des émissions de gaz à
effet de serre (GES) au sein des politiques des transports et environnementales suisses (Perret,
2004a).
Or je me suis assez vite rendu compte que mes analyses de ces différentes politiques
comportaient un certain biais dans la mesure où celles-ci n’arrivaient pas à prendre en compte
tout la complexité de ces modalités d’intervention qui se trouvaient quelque peu
« manipulées » dans une optique réductionniste.
En parallèle, dans le cadre de mes postes d’assistant à l’Université de Genève2, j’ai également
été confronté à la problématique du Développement Durable – une porte ouverte sur la
complexité et l’interdisciplinarité – ainsi qu’à la problématique complexe du Changement
Climatique. Dans cet état d’esprit, et dans le cadre de ma thèse de doctorat, j’ai alors réorienté
mes recherches en adoptant une approche instrumentale des politiques publiques (via une
typologie d’instruments politiques).
Il n’en faillait pas moins pour me plonger dans les abîmes de la complexité d’une réalité
instrumentale – somme toute pas si simple que cela – éclairée, ça et là, et plus ou moins à bon
escient, de multiples projecteurs disciplinaires, sans réelle cohérence. Aussi ai-je dû
restreindre mon projet de départ, qui était d’analyser les instruments de la politique climatique
suisse au sens large (Perret, 2004b) – soit ceux relevant des politiques de réduction des
émissions de CO2, de l’énergie, de protection de l’environnement (notamment concernant les
substances stables dans l’air (gaz synthétique)), des transports, agricole et sylvicole – pour me
recentrer sur le cœur de la politique climatique suisse, à savoir la législation sur la réduction
des émissions de CO2.
2
Assistant de recherche dans le cadre du PNR-Climat (NCCR-Climate) et assistant, puis coordinateur, du
Certificat de formation continue en développement durable.
19
Aussi, le challenge central de ma recherche réside dans le fait d’adopter une approche
typologique des instruments politiques qui soit capable de gérer la complexité instrumentale
(et sociale) de l’objet d’étude en question.
Dans ce cadre, la thèse principale que je défends tout au long de ma recherche réside dans
l’impérieuse nécessité de pouvoir analyser les instruments des politiques publiques sous
l’angle de leur complexité et de s’affranchir ainsi d’un certain réductionnisme (disciplinaire)
qui rend illusoire toute tentative d’analyse instrumentale cohérente et pertinente au regard de
la réalité instrumentale et sociale. Un corolaire à cette affirmation réside notamment dans le
fait qu’une telle approche réductrice ne peut également pas être à même de promouvoir des
actions adéquates.
Selon moi, il n’est en effet pas possible d’analyser les instruments des politiques publiques
dans une perspective réductrice – telle que défendue par exemple par les tenants de l’approche
du choix rationnel (rational choice) – qui ne rend compte de la réalité (instrumentale) que de
manière unidimensionnelle. Au contraire, il s’avère nécessaire et primordial de prendre en
compte cette complexité. En ce sens, je donnerai en quelque sorte raison à Max Weber et à
son approche comparative de la complexité de la réalité sociale face à toutes tentatives (et
tentations) de ne pas considérer les instruments politiques sous l’angle de leur complexité. Or,
et c’est un constat partagé, les politiques actuelles de protection de l’environnement sont,
depuis plus de 20 ans, fondées sur des approches réductionnistes et tournent autour de la
recherche d’une solution unique, qu’elle soit, c’est la tendance, technologique ou économique.
En cela elles évitent la complexité sociale et réduisent l’environnement (et ses acteurs) à une
seule dimension qui ne peut être propice à la résolution des problèmes complexes auxquels
nous sommes désormais confrontés, tel que celui du Changement Climatique.
Ma thèse peut donc également se traduire en partie par une question générale de recherche de
type exploratoire qui consiste à se demander dans quelle mesure une démarche différente de
l’analyse typologique classificatrice traditionnelle des instruments des politiques publiques
dans le domaine de la protection de l’environnement permettrait d’appréhender et de gérer de
manière plus adéquate la complexité instrumentale ?
Ces trois parties sont en étroites interdépendances et se complètent dans la perspective qui est
la nôtre. Par ailleurs, elles peuvent, sans trop de difficulté, être lues de manière indépendante
l’une de l’autre. C’est pourquoi, quelques redondances – que j’ai tenté d’éviter au plus –
subsistent entre ces différentes parties. Vous m’en excuserez par avance.
Aussi les trois parties principales de cette recherche tentent de souligner la complexité (de
l’analyse) instrumentale sous ses différentes formes, tant sur le plan compréhensif ou
explicatif que sur le plan méthodologique.
20
Je pense ainsi contribuer modestement au développement de l’analyse typologique
instrumentale des politiques publiques, notamment sous ses dimensions analytiques et
méthodologiques, et plus spécifiquement dans les domaines de la protection du climat et du
développement durable, domaines caractérisés par leur complexité socio-économique et
environnementale.
Je serai ainsi satisfait de mes développements si, après m’avoir suivi quelques instants dans
les méandres de la complexité instrumentale, l’économiste, le politologue et le juriste, mais
aussi le psychologue, le sociologique, ou tout autre « type » de chercheur qui s’intéresse aux
instruments d’action de l’Etat, pour peu qu’ils veuillent bien sortir un instant de leur cadre
respectif de référence (d’aucun dirons qu’ils déposent pour un instant leurs lunettes pour en
chausser d’autres), tout en gardant bien sûr leur esprit critique, ne perçoivent plus les
instruments politiques de la même manière et … que cela puisse alors bénéficier, ne serait-ce
qu’à la marge, à leurs prochaines recherches dans le domaine.
Enfin, notons pour terminer cette brève introduction que, comme il est de coutume dans les
travaux scientifiques, je vais désormais laisser la place au « nous » de rigueur pour vous
présenter ma recherche.
21
22
IÈRE PARTIE
23
24
Aborder le thème des instruments des politiques publiques, pour utiliser une notion plutôt
francophone, et ce plus spécifiquement dans le domaine de la protection de l’environnement,
se révèle être un exercice fastidieux. Une littérature abondante et riche existe et traite de la
thématique des instruments des politiques publiques. Mais le plus souvent ces apports ne sont
que d’une nature partielle (Varone, 1998) et émanent de plusieurs domaines disciplinaires qui
se sont attachés à éclairer la problématique d’un point de vue qui leur est propre. Nous
pensons ici principalement à la sociologie, au droit, à l’économie et, bien sûr, à la science
politique et administrative.
Si les différents types d’instruments dont l’Etat dispose font l’objet de nombreuses études et
d’une littérature étoffée en science politique, le monopole de leur classification (notamment)
n’est pas le seul fait des politologues, de nombreuses disciplines s’étant essayées à étudier les
instruments d’action de l’Etat avec leurs propres méthodes et cadres théoriques.
Parmi ces différents projecteurs pointés sur les instruments, prenons l’exemple de celui des
économistes qui n’est pas négligeable. En effet, ceux-ci se sont occupés à décrire et à analyser
les instruments de protection de l’environnement au regard du critère bien connu de
l’efficience/efficacité (théorique)3. Aussi, les instruments « émergeants » proposés à l’heure
actuelle dans le domaine de la protection de l’environnement, notamment au niveau
international (nous pensons notamment aux systèmes de permis négociables) ne sont pas sans
relancer quelque peu l’intérêt des chercheurs – notamment des économistes – pour les études
dans ce domaine.
Traiter des instruments des politiques publiques s’avère ainsi représenter une tâche complexe
dans la mesure où le sujet est traité sous différents angles disciplinaires, mais surtout parce
que le concept reste somme toute encore très ambigu et les méthodes d’approche peu
développées (notamment la possibilité de « mesurer » la variable instrument).
Aussi, nous nous proposons de débuter cette première partie en faisant un état des lieux de la
littérature sur le sujet (des instruments aux typologies d’instruments) qui, à défaut d’être
exhaustif, sera, nous l’espérons, représentatif des multiples essais en la matière. Nous sommes
ainsi conscients que bien d’autres approches pourraient raisonnablement prétendre faire partie
intégrante de notre survol de la littérature, notamment en ce qui concerne les multiples
typologies d’instruments existantes. Néanmoins, nous avons jugé inconcevable de réaliser une
revue exhaustive de la matière.
Nous débuterons ainsi notre recherche en définissant le concept d’instrument des politiques
publiques en soulignant ses multiples dimensions (chapitre 1). Nous dresserons ensuite un état
des lieux des nombreuses typologies d’instrument que nous trouvons dans la littérature
spécialisée, premièrement en science politique (chapitre 2), puis dans d’autres disciplines
(chapitre 3). Enfin, nous nous attacherons à étudier les instruments au regard de leur
3
Cette approche économique des instruments étatiques est l’une des applications principales de la « sous
discipline » de l’économie qu’est, dans sa version la plus restrictive, « l’économie de l’environnement » ou, dans
sa version la plus globale, « l’économie du développement durable ».
25
« vraisemblable » évolution à travers le temps (chapitre 4). L’ensemble de ces étapes étant
abordées dans le souci de faire ressortir la complexité de notre objet d’étude.
Si le concept d’instrument peut paraître simple à définir à première vue, la réalité est toute
différente. De Bruijn et Hufen (1998) ont remarqué qu’une grande « variété de phénomènes
[variety of phenomena] » (p. 13) a été cataloguée comme étant des instruments dans de
nombreuses recherches, sans cohérence apparente4. Dans le domaine de la science politique
soulignent Bressers et Klock (1988), différents éléments sont compris sous ce terme suivant le
contexte ou l’approche utilisée, ce qui rend la notion assez vague. Cette lacune ne permet
ainsi souvent pas de définir clairement la limite entre le concept d’instrument et certains
concepts de l’analyse des politiques publiques tout aussi flous, comme par exemple ceux de
politique publique ou de programme5. Howlett (2005), quant à lui, souligne la flexibilité de la
notion d’instruments politiques :
Early students of policy making tended to have very flexible notions of the multiple means
by which governments can affect, or give effect to, policy. (p. 34)
De manière générale, deux solutions s’offrent au chercheur qui veut définir le concept
d’instrument. D’une part, il peut le définir de façon très générale et abstraite, ce qui aboutit à
des définitions telles que :
• « A policy instrument can be described as everything a policy actor may use to obtain
certain goals » (Van der Doelen, 1998, p.131)
• « Instruments are all those means en actor uses or can use to help him achieve one or
more objectives » (Bressers et Klock, 1988, p. 32)
D’autre part, il peut tenter de donner une définition plus détaillée en spécifiant des critères,
des dimensions, sur la base desquels le concept peut être défini.
La première approche a les mérites et les désavantages de sa généralité alors que la seconde,
si elle permet de mieux cerner la nature du concept, élimine de fait certains dispositifs et
s’éloigne des autres définitions utilisées, rendant par la même occasion la compréhension du
4
Par exemple, ont été compris dans différentes études sous la dénomination d’instrument des dispositifs tels que
la gestion ou le contrôle financier et certaines formes de management interne comme la gestion des ressources
humaines ou le management par objectifs (De Bruijm et Hufen, 1998) ; voir également la définition
d’instruments internes et externes ci-après (chapitre 1.5).
5
Nous verrons par la suite que certains auteurs tentent de faire une telle distinction.
26
phénomène plus complexe. Donner une définition s’avère donc être un exercice laborieux, ce
d’autant plus que la littérature en fait état d’une multitude. Nous pourrions ainsi affirmer qu’il
existe pour ainsi dire autant de définitions de la notion d’instrument qu’il y a d’auteurs6.
Un auteur comme Salamon (2002), par exemple, qui souligne par ailleurs toute la complexité
des instruments « réels » à l’égard de la simplicité apparente du concept d’instrument, énonce
quatre éléments principaux7 qui selon lui sont constitutifs des instruments et les définissent :
Pour notre part, après avoir établi un bref résumé de la terminologie la plus couramment
employée pour parler des instruments (chapitre 1.1), nous allons tenter de réaliser une
synthèse – non exhaustive – des différentes définitions issues de la vaste littérature dédiée aux
instruments des politiques publiques (chapitre 1.2). Nous identifierons notamment à cette fin
un noyau consensuel commun aux multiples définitions rencontrées.
Dans la littérature francophone sont couramment utilisés les termes d’instruments d’action
publique (voir par exemple, Lascoumes et Le Galès (2004)), d’instruments d’action étatique
(voir par exemple Freiburghaus (1991), Bari (1993)), d’instruments (des) politiques
(publiques) (voir par exemple, Varone (1998, 2001), Larrue (2000)) ou encore d’instruments,
de modalités/modes ou de moyens d’action, d’intervention ou de régulation (de l’Etat) (voir
par exemple Muller (2000), Morand (1991a, 1991b, 1999), Willke (1991a), Lascoumes
(1994), Ost (2003)). Ils peuvent être compris grossièrement comme des synonymes dans la
mesure où ils représentent ces « choses » dont l’Etat dispose pour agir sur la société dans le
but d’atteindre un objectif politique. Cette terminologie est issue d’un courant de pensée
orienté vers une analyse des politiques publiques – ou vers une « science de l’Etat en action »
(p.3) pour reprendre la terminologie employée par Muller (2000) – qui perçoit l’action
publique de préférence en termes systémique et de régulation sociale et qui adopte une
approche plutôt juridique des politiques publiques. Cette vision que nous pourrions qualifier
« d’aux frontières du droit, de la régulation et des politiques publiques » se retrouve par
exemple chez des auteurs tels que Morand, Willke, Lascoumes et Ost.
Dans la littérature anglophone, par ailleurs beaucoup plus fournie que son homologue
francophone, des termes tels que « (public) policy instruments » (voir par exemple Woodside
6
Voire même plus !
7
Nous verrons très vite que certains de ces éléments, avec d’autres biensûr, se retrouvent de manière plus ou
moins équivalente dans certaines définitions.
27
(1986), Baxter-Moore (1987), McDonnell et Elmore (1987a), Bressers et Klock (1988),
Howlett (1991, 2005), Wallace (1995), Peters et Van Nispen (1998), Peters et Hoornbeek
(2005), Bemelmans-Videc, Rist et Vedung (1998), Bressers et O’Toole (1998), Kaufmann-
Hayoz et Gutscher (2001), Landry et Varone (2005)), « instruments of government » (voir
par exemple Linder et Peters (1989)), « governing instrument » (voir par exemple Trebilcock
et al. (1982), Trebilcock et Hartle, (1982), Trebilcock (2005)) ou « tools of government
(action) » (voir par exemple Hood (1983/1990), Salamon (1989, 2002), De Bruijn et
Heuvelhof (1997)) ou encore « policy tools » (voir par exemple Rist (1994), Schneider et
Ingram (1990, 1997)) sont communément utilisés. Dans une traduction littérale – plus ou
moins heureuse – nous pourrions ici parler d’outils ou d’instruments politiques ou
gouvernementaux8. Cette terminologie traduit sans doute une conception plus pragmatique de
l’action publique de la part de nos amis anglo-saxons qui est issue d’une approche
instrumentale de l’analyse des politiques publiques, notamment dans une perspective de
recherche de type « policy design »9, utilisée par exemple par des auteurs tels que Howlett,
Pal, Elmore, Schneider et Ingram ou encore Linder et Peters.
Notons que dans le langage des économistes (néo)classiques – par exemple dans la littérature
issue des travaux de l’OCDE – nous entendons beaucoup plus volontiers parler d’instruments
économiques (economic instruments) (voir par exemple, Tietenberg (1990), Barde (1994,
1997), OCDE (1997)). Et bien qu’issus d’une approche « différente » de l’économie, des
termes identiques sont utilisés par les socio-économistes du bien-être (théorie de l’allocation
optimale des ressources), acquis à une analyse économique des instruments d’action de l’Etat
issue des courants de l’économie de l’environnement (lacunes du marché, externalités) ou de
l’économie écologique10 (voir par exemple Bürgenmeier et al. (1997), Bürgenmeier (2005)).
Enfin, et sans être exhaustif, notons que Dahl et Lindblom (1953/1992), célèbres précurseurs
de l’analyse de l’action de l’Etat moderne en termes d’instruments, parlent quant à eux de
« techniques sociales [sociales techniques] »11 (p.6) :
In economic life the possibilities for rational social action, for planning, for reform – in
short, for solving problem – depend not upon our choice among mytical grand alternative
but largely upon choice among particular social techniques. (p.6)
Par ailleurs, et ne serait-ce que pour donner au lecteur une idée de « l’importance » de notre
sujet d’étude, soulignons ici que ces mêmes auteurs, constatant et faisant référence à la
rapidité d’invention et d’innovation des Etats modernes dans le domaine des instruments
8
Notons que Trebilcock et al. (1982) ont également produit une version française de leur étude pour le Conseil
économique du Canada dans laquelle ils ont traduit le terme de governing instruments par instruments
d’intervention.
9
Le concept de design d’une politique (policy design) est défini par Varone (1998) comme une analyse des
politiques publiques qui met l’accent sur la conception des politiques, de sa genèse à la sélection et à l’adoption
des stratégies alternatives d’action par les acteurs socio-politiques. Varone (1998, faisant référence à Pal, 1992)
souligne d’ailleurs que le point crucial d’une analyse de type « policy design » est d’arriver à / de déterminer
quel(s) instrument(s) sélectionner parmi la panoplie d’instruments à disposition qui permettent (théoriquement)
tous d’atteindre un même objectif.
10
L’économie écologique peut être définie comme une (la) troisième étape de la modélisation économique qui,
dans une perspective plus interdisciplinaire, holistique et systémique que les étapes précédentes, à savoir
l’économie classique qui postule l’efficacité absolue du marché, puis l’économie de l’environnement qui traite
des externalités comme lacune du marché qu’il faut dès lors corriger, replace le système économique à sa
«juste » place et donc au sein de la Biosphère dont il est entièrement dépendant (Bürgenmeier, 2005).
11
Ou de « techniques politico-économiques [politico-economic techniques] » (Dahl et Lindblom, 1953/1992,
p.6)
28
d’action12, affirment que ce phénomène représente « peut-être la plus importante révolution
politique de notre temps [perhaps the greatest political revolution of our times] » (p.8) et que
la question du choix de ces « techniques politico-économiques [politico-economic
techniques] » (p.6), pour reprendre les termes de Salamon (1981) ou de Schneider et Ingram
(1990), a sans doute supplanter les débats idéologiques en occident :
One of the most remarkable changes in American politics over the past 50 years has been
the proliferation of tools or instruments through which governments seek to influence
citizen behavior and achieve policy purposes (Schneider et Ingram, 1990, p.511, faisant
référence à Salamon, 1989, Doern et Wilson, 1974 et Dahl et Lindblom, 1953)
A un niveau beaucoup plus humble, nous préférerons, quant à nous, employer la notion
« d’instrument des politiques publiques » (employée par exemple par Varone (1998)) ou un
raccourci qui consiste à accoler à la notion « d’instrument » le terme « politique »,
notamment pour des raisons de style lorsqu’il s’agit de faire suivre le concept par un attribut,
par exemple lorsque l’on parle d’instruments politiques de protection de l’environnement.
Cette définition implique le fait que les instruments politiques à la disposition14 de l’Etat :
12
Pour ne pas parler, comme le fait Salamon (2002), de « prolifération massive [massive proliferation] » (p. 1)
13
Cette définition « consensuelle » est issue d’une analyse des définitions – le plus souvent explicites, mais
parfois implicites – de la notion « d’instrument » donnée notamment par Bemelmans-Videc (1998), Bressers et
Klock (1988), Brigham et Brown (1980), Dahl et Lindblom (1953/1992), De Bruijn et Heuvelhof (1997), De
Bruijn et Hufen (1998), Dente (1995), Elmore (1987), Etzioni (1961/1971), Gunningham et Sinclair (1998),
Hood (1983/1990), Howlett et Ramesh (1995), Howlett (1991, 2005), Kaufmann-Hayoz et al. (2001), Klock
(1995), Landry et Varone (2005), Lascoumes et Le Galès (2004), Linder et Peters (1989), McDonnel et Elmore
(1987a), Pal (1992), Peters et Van Nispen (1998), Salamon et Lund (1989), Salamon (1989, 2002), Schneider et
Ingram (1990, 1997), Van der Doelen (1998), Varone (1998, 2001) et Vedung (1998). Nous n’entendons pas ici
le terme de consensuel comme représentant le plus petit dénominateur commun des définitions étudiées mais
comme une définition sur laquelle les auteurs pourraient sûrement s’entendre.
14
Les instruments sont très souvent définis par les auteurs comme constituant une panoplie, un set, un éventail
ou encore un menu d’outils, de techniques, de moyens, d’instruments, etc. étant à la disposition de l’Etat et des
décideurs politiques (voir par exemple Hood (1983/1990), Pal (1992), Vedung (1998), Salamon (2002))
15
Entendons par là modifier, transformer, changer, etc.
29
Quelques éléments de cette définition se retrouvent par exemple chez un auteur comme Hood
(1983/1990) qui, tentant de répondre à un questionnement de départ consistant à savoir ce que
le gouvernement fait, propose une réponse (parmi les multiples possibles) qui consiste à
imaginer le gouvernement comme « un ensemble d’instruments administratifs [a set of
administrative tools] » (p.2) dédié au contrôle social16. Aussi, pour l’auteur, les outils dont le
gouvernement dispose sont de nature à influencer la vie des citoyens. Les instruments sont
donc ici perçus comme des mécanismes qui, combinés de différentes façons et dans des
contextes particuliers, permettent d’atteindre des buts divers de contrôle social en induisant
des conséquences sur le monde extérieur. L’analyse est donc focalisée sur les instruments se
« déployant » à l’interface « gouvernement – société » et non sur les instruments utilisés à
l’intérieur du gouvernement pour coordonner et contrôler ses propres activités.
Nous retiendrons ainsi que les instruments sont dirigés sur des acteurs (nous, les citoyens, les
acteurs sociaux) qu’ils sont destinés à influencer dans l’intention d’atteindre un objectif
politique. C’est ce que souligne par exemple des auteurs comme Schneider et Ingram (1997,
1990) lorsqu’elles définissent les instruments comme des moyens ou des mécanismes propres
à influencer les comportements des citoyens – à leur faire faire ce qu’ils ne feraient pas
autrement17 – dans le but de résoudre des problèmes collectifs ou tout au moins de poursuivre
des objectifs politiques18.
Pour reprendre la terminologie utilisée par Kaufmann-Hayoz et al. (2001) et pour souligner
l’importance des acteurs cibles vis-à-vis du mode opératoire des instruments, nous dirons
également que les instruments ne sont pas que « dirigés » sur des acteurs mais qu’ils sont
(doivent être) aussi « orientés acteurs [actor-oriented] » (p.35).
Mais une telle définition n’est sans doute pas suffisante pour faire le tour du concept
d’instrument. Aussi allons-nous maintenant éclairer sous différents angles la notion
d’instrument afin de pouvoir la cerner sous d’autres aspects intéressants et complémentaires.
16
En d’autres termes, Hood (1983/1990) propose d’analyser l’Etat comme un « kit instrumental [a tool-kit] » (p.
2) destiné à sa finalité suprême, à savoir la régulation de la société. Dans cette perspective, l’auteur, puisant son
inspiration dans la théorie des systèmes, considère l’Etat comme un système en interaction avec le système social
qu’il doit orienter.
17
Pour Schneider et Ingram (1997) « policy tools are the elements in policy design that cause agents or targets
to do something they would not otherwise do with the intention of modifying behaviour to solve public problems
or attain policy goals » (p. 93).
18
Dans le même ordre d’idée, pour McDonnell et Elmore (1987a), les instruments politiques sont des
« mechanisms that translate substantive policy goals (e.g., improved student achievement, higher quality
entering teachers) into concrete actions » (p.134) et selon Hood (1983/1990), par leur mise en œuvre, l’Etat
« makes the link between wish and fulfillment » (p.8).
19
Pour une définition de ce concept, se référer au chapitre 1.4 ci-après.
30
En accord avec cette définition, nous postulerons également que la non-intervention de l’Etat
dans un domaine particulier ne doit pas être comprise comme un instrument.
1.4 Les instruments des politiques publiques face aux grands concepts de la science
politique
Comme nous le verrons par la suite avec la définition que donne Varone (1998) des
instruments politiques20, le concept d’instrument de politique publique est un élément
« indissociable » de l’analyse des politiques publiques. Aussi est-il important de pouvoir le
définir vis-à-vis des grands concepts de la science politique tels que ceux, par exemple, de
mesure, de programme, de politique et de stratégie. Certains auteurs se sont soumis à
l’exercice.
Kaufmann-Hayoz et al. (2001), par exemple, différencient les instruments des notions de
mesure et de stratégie dans le sens où une mesure représente la réalisation concrète d’un
instrument21 et qu’une stratégie consiste en l’application d’un ensemble d’instruments et de
mesures à travers le temps et dans un contexte donné22. Par ailleurs, ils définissent également
la notion de campagne comme la mise en œuvre d’instruments et de mesures, toutefois dans
un but plus spécifique et plus étroit que celui poursuivit au sein d’une stratégie.
Quant à Salamon et Lund (Salamon 1989, 2002, Salamon et Lund, 1989), prenant comme
point de départ la définition d’un instrument « comme une méthode pour atteindre un objectif
politique [as a method through which government seeks a policy objective] » (Salamon 1989,
p. 4), ils distinguent les instruments des concepts de programmes, de politiques et de
fonctions.
Pour ces auteurs, un instrument est analogue à un programme dans la mesure où il constitue
également un mécanisme concret mis en œuvre afin d’atteindre un objectif politique. Il s’en
différencie néanmoins dans la mesure où il se réfère à la méthodologie employée dans un
programme et non pas à l’application concrète de ce programme. Dans cette perspective, les
instruments sont d’une nature plus générale que les programmes, ceux-ci permettant aux
instruments de prendre corps dans des circonstances particulières. Un instrument peut
d’ailleurs être utilisé dans différents programmes et dans différents domaines d’intervention.
Salamon note d’ailleurs que derrière le concept d’instrument se trouve l’idée fondamentale
« that the multitude of individual government programs actually embody a limited array of
mechanisms or arrangements that define how the programs work » (Salamon, 1989, p.4)
Par contre, toujours pour ces mêmes auteurs, un instrument diffère d’une politique dans le
sens où celle-ci est un assemblage de programmes visant à produire des effets dans un certain
domaine de l’intervention étatique (la santé, la protection de l’environnement, etc.) 23. Dans ce
sens, une politique peut être mise en œuvre par différents programmes utilisant différents
20
Voir chapitre 1.10 ci-après.
21
Nous pouvons à nouveau remarquer la tension entre l’instrument défini en tant que concept et l’instrument
considéré en tant que réalisation concrète.
22
Pour sa part, Elmore (1987) définit une stratégie comme une combinaison d’instruments.
23
Pour Dente (1995, citant Dunn, 1981/2004), une politique représente un set d'actions visant à résoudre un
problème politique, c'est-à-dire une valeur non réalisée, un besoin ou une opportunité qui, une fois identifiés,
devraient être atteints par l'action publique.
31
instruments et est constituée essentiellement par une collection de programmes opérant dans
un domaine similaire ou visant des objectifs généraux. Ainsi, si les instruments sont
typiquement d’une nature plus générale que les programmes, ils le sont précisément moins
que les politiques24.
Enfin, un instrument est distinct des fonctions de l’Etat dans la mesure où ces fonctions
embrassent le plus souvent plusieurs politiques, qui se déclinent en différents programmes qui
font à leur tour prendre corps à différents instruments.
Certains auteurs font également une distinction entre instruments internes et instruments
externes.
Par exemple, partant de la définition donnée par Vedung (1998) : « Public policy instruments
are the set of techniques by which governmental authorities wield their power in attempting to
ensure support and effect social change » (p. 21, cité par Bemelmans-Videc, 1998, p. 3),
Bemelmans-Videc (1998) met en évidence le fait que les instruments visent par nature à
influencer les comportements des citoyens, impliquant de ce fait un mécanisme d’influence
sociétal, et qu’ils doivent donc être compris comme des instruments externes25. Au contraire,
les instruments internes sont de nature à viser uniquement la gestion des acteurs administratifs
au sein du secteur public26.
Dans d’autres termes, mais dans le même ordre d’idée, De Bruijn et Hufen (1998) choisissent
d’assumer le fait que l’application d’un instrument soit focalisée sur la réalisation d’outputs et
d’outcomes politiques. Ils entendent par outputs, les biens physiques ou les services produits
par l’Etat et, par outcomes, l’influence qu’ont les outputs sur les processus sociaux. C’est dans
ce dernier sens qu’ils parlent ainsi d’instruments externes, par opposition aux instruments
internes à l’administration.
Quant à Salamon et Lund (Salamon, 2002, Salamon et Lund, 1989), ils font également une
distinction entre instruments internes et externes. Les premiers représentent des procédures
internes à l’administration alors que les seconds, par contraste, affectent la société dans son
ensemble et non pas uniquement le fonctionnement interne de l’administration. Ainsi, les
instruments diffèrent de ce qu’ils appellent les outils administratifs dans la mesure où ils
constituent des moyens pour l’Etat d’influencer la société (influence externe) alors que les
outils administratifs sont destinés à une influence interne.
24
Dans le même ordre d’idée, Elmore (1987) fait une distinction entre politiques (publiques) et instruments, tout
en reconnaissant que les politiques sont elles-mêmes composées d’instruments.
25
Comprenons ici par externe le fait que les instruments produisent des impacts sur la société (et donc externes à
l’administration).
26
Par exemple, les instruments de politique du personnel (procédures de recrutement du personnel ou de gestion
des ressources humaines), les instruments de politique budgétaire ou les instruments de réforme
(organisationnelle) de l’administration publique.
32
externes vs effets internes). C’est par exemple le cas de Bressers et Klock (1988) pour qui les
instruments sont par nature des instruments externes puisqu’ils ont pour objectif premier
d’influencer les comportements des acteurs. En ce sens, les auteurs se réfèrent aux
instruments en tant que :
All means that a governmental official or body uses or may use to promote the
implementation of policy-targeted changes in the behaviour of other people or bodies
without the intervention of other instruments (p. 34).
Cependant et pour tenter de réconcilier ces deux « caractéristiques » des instruments, relevons
qu’un instrument interne peut également avoir des conséquences externes. Morand (1999), par
exemple, indique que parmi la panoplie de moyens à disposition de l’Etat pour influencer les
comportements des acteurs socio-économiques, figure sa faculté à pouvoir agir sur son ordre
intérieur tout en espérant produire des effets externes. Les « actes internes à effets externes »
(p.177), comme les nomme l’auteur, représentent ainsi la capacité qu’a l’Etat d’agir sur lui-
même et pour les autres :
L’administration produit, en agissant sur l’ordre intérieur […] des effets réels qui peuvent
affecter de manière très importante les intérêts des administrés. En sa qualité
d’employeur, de producteur de biens et de services, de consommateur, l’Etat peut
conduire une politique publique en se bornant à définir sa propre ligne d’action. La
politique salariale de l’Etat a des effets sur la fixation des salaires dans le secteur privé.
Les mesures d’économie d’énergie qu’il s’impose peuvent, par un effet d’entraînement,
orienter les comportements dans le secteur privé. Une expérience pilote bien conduite,
dont les résultats sont diffusés dans le public, peut convaincre les gens de modifier leurs
comportements. (p. 178)
Notons, pour finir, que Hood (1983/1990) distingue les instruments de collecte d’information
(detectors) des instruments qui induisent un effet sur la société (effectors)27. Mais tout comme
nous avons remarqué qu’un instrument interne peut avoir des effets externes, l’action qui
consiste à rassembler de l’information peut également déployer des effets sur la société. Nous
pouvons ici dire, par analogie à la théorie d’Austin (1970) qui fait remarquer que dire, c’est
faire28, que faire quelque chose, c’est (aussi) signifier quelque chose et donc agir sur autrui.
1.6 Les instruments des politiques publiques : jeu politique, jeu de pouvoir
Pour Dente (1995), par exemple, un instrument de politique publique est une voie par laquelle
l’Etat peut modifier un ou plusieurs éléments d'un jeu politique (policy game) dans le but
d'obtenir un certain résultat. Si nous considérons dès lors le jeu politique comme un jeu de
((re)distribution de) pouvoir et d’autorité – la science politique n’est-elle pas la science qui
étudie le pouvoir – alors les instruments politiques sont intimement liés aux concepts de
pouvoir et d’exercice du pouvoir, à savoir l’autorité (pouvoir et autorité pouvant également
être compris comme des synonymes). Pour Howlett (2005) par exemple, « Policy instrument
27
La typologie de Hood est développée dans le chapitre 2.1.
28
En effet, pour Austin (1970), le fait de dire quelque chose peut notamment provoquer des effets sur autrui (sur
ses sentiments, son information, etc.) et donc sur son comportement (voir 2e partie, chapitre 9, point 9.3.6). Dans
le même ordre d’idée, nous pouvons dès lors affirmer que l’acte de faire (ou d’agir) peut avoir une signification
pour autrui (à l’image de l’acte de dire) et ainsi, par le même « mécanisme » que l’acte de parole, induire des
effets comportementaux chez autrui (pensons, par exemple, que le seul fait de collecter de l’information sur un
groupe particulier de personnes peut induire des modifications de comportement chez ce groupe).
33
are techniques of governance that, on way or another, involve the utilization of state authority
or its conscious limitation » (p.31).
Dans un langage d’économiste du bien-être, nous pourrions aussi dire que dans ce cas l’Etat
modifie l’allocation des ressources par la mise en œuvre d’un ou de plusieurs instruments.
L’une des ressources principales étant le pouvoir économique (distribution et/ou réallocation
du pouvoir économique), la mise en œuvre d’instruments impliquera inévitablement une
réallocation de la ressource économique (du moins en partie) et génèrera immanquablement
des conflits d’intérêt entre les acteurs impliqués dans le processus, notamment les acteurs
ciblés par l’intervention étatique29.
C’est dans ce sens que Vedung (1998) définit les instruments comme un « set of techniques by
which governmental authorities wield their power in attempting to ensure support and effect
or prevent social change » (p.21) et qu’il souligne en guise de conclusion que « Discourse on
public policy instruments is discourse on power » (p.50). Pour Pal (1992) également, chaque
instrument « contains an assumption of the state’s authority and power » (p.11).
Ainsi, les instruments des politiques publiques, en tant que dispositifs mis en œuvre par l’Etat
– l’organisation qui dans nos démocraties occidentales monopolise le pouvoir de contrainte
légitime (voir ci-après) – possèdent des liens très étroits avec le pouvoir et l’autorité, comme
le laisse également supposer la définition que donne Elmore (1987) d’un instrument « A
policy instrument is an authoritative choice of means to accomplish a purpose » (p.175) ainsi
que les typologies des trois types de pouvoir et de participation30 d’Etzioni (1961/1971) qui
définit le pouvoir comme étant « an actor’s ability to induce or influence another actor to
carry his directives or any other norms he supports » (p. 4).
Les instruments politiques sont donc intimement liés à ces différentes notions inhérentes à
l’Etat (et donc à ses modalités d’intervention) que sont les différentes facettes du concept de
pouvoir. Dans ce sens ils constituent donc notamment des instruments « relationnels » qui
sont définis par un rapport Etat – acteurs caractérisé par une (certaine) dissymétrie33.
29
Mais également les acteurs de la mise en œuvre, dans la mesure où le choix des instruments n’est pas neutre du
point de vue des valeurs et des objectifs poursuivis (voir nos développements dans le chapitre 1.7).
30
La typologie d’Etzioni est développée dans le chapitre 1.2.
31
« Nous dirons d’un groupement de domination qu’il est un groupement politique [politischer Verband] lorsque
et tant que son existence et la validité de ses règlements sont garanties de façon continue à l’intérieur d’un
territoire géographique déterminable par l’application et la menace d’une contrainte physique de la part de la
direction administrative. Nous entendons par État une « entreprise politique de caractère institutionnel »
[politischer Anstaltsbetrieb] lorsque et tant que sa direction administrative revendique avec succès, dans
l’application des règlements, le monopole de la contrainte physique légitime. » (Weber, 1956/1995, pp. 96-97).
32
Sur le concept wébérien du pouvoir et de la domination, voir nos développements dans le cadre du chapitre
méthodologique (voir 2e partie, chapite 8, point 8.3.2).
33
Et donc un rapport d’autorité et de domination dirait Weber (1956/1995).
34
Des auteurs tels que Crozier et Friedberg (1977) définissent ainsi le pouvoir, à un niveau
général, comme impliquant « toujours la possibilité pour certains individus ou groupes d’agir
sur d’autres individus ou groupes » (p. 65) tout en appuyant sur « le caractère relationnel du
pouvoir »34 (p.65) qu’ils comprennent notamment comme « une relation non transitive »35
(p.67), « une relation réciproque mais déséquilibrée » (p.68), mais surtout, et pour ce qui nous
occupe, comme « une relation instrumentale » (p.66) :
Dire que toute relation de pouvoir est instrumentale vise simplement à souligner que,
comme toute relation de négociation, le pouvoir ne se conçoit que dans la perspective
d’un but qui, dans une logique instrumentale, motive l’engagement de ressources de la
part des acteurs. (p. 67)
Pour en revenir aux instruments des politiques publiques, citons enfin Lascoumes et Le Galès
(2004), pour qui ces derniers, placés dans ce contexte, ne sont ni neutres, ni dissociés du
pouvoir et du rapport entre gouvernant et gouverné (étant entendu que les gouvernés font
partie intégrante du processus décisionnel gouvernemental) :
L’instrumentation de l’action publique est un enjeu majeur de l’action publique car elle
est révélatrice d’une théorisation (plus ou moins explicite) du rapport
gouvernant/gouverné, chaque instrument étant une forme condensée de savoir sur le
pouvoir social et les façons de l’exercer. L’approche technique ou fonctionnaliste des
instruments dissimule alors des enjeux politiques. Les instruments à l’œuvre ne sont pas
des dispositifs neutres, ils produisent des effets spécifiques indépendants des objectifs
poursuivis et qui structurent, selon leur logique propre, l’action publique. (p. 29)
Les rapports entre administration et politique peuvent être abordés en postulant leur
séparation et/ou la neutralité de l’administration publique vis-à-vis du politique (Urio, 1984).
Par exemple, du point de vue du principe de la séparation des pouvoirs, l’administration – en
tant que « bras exécutant » du pouvoir politique – ne devrait exercer ni fonctions législatives,
celles-ci étant réservées au parlement, ni fonctions gouvernementales, ces dernières étant
dévolues au gouvernement. L’administration devrait donc être « séparée » du pouvoir
34
« Agir sur autrui, c’est entrer en relation avec lui ; et c’est dans cette relation que se développe le pouvoir
d’une personne A sur une personne B. » (Crozier et Friedberg, 1977, p. 65)
35
« Si une personne A peut facilement obtenir d’une personne B une action X, et B peut obtenir cette même
action d’une personne C, il se peut néanmoins que A soit incapable de l’obtenir de C. » (Crozier et Friedberg ,
1977, p. 67)
36
« Il [le pouvoir] n’est au fond rien d’autre que le résultat toujours contingent de la mobilisation par les acteurs
des sources d’incertitudes pertinentes qu’ils contrôlent dans une structure de jeu donné, pour leurs relations et
tractations avec les autres participants à ce jeu. » (Crozier et Friedberg, 1977, p. 30)
35
politique (parlement et gouvernement) et n’exercer que des fonctions d’exécution « pour le
compte du gouvernement et sous le contrôle de ce dernier et du parlement » (p.21). Dans ce
sens, le politique déciderait des fins et l’administration utiliserait (ou choisirait37) les moyens
dans le respect des grands principes de l’Etat démocratique (principe de l’Etat de droit,
principe de l’égalité de traitement, etc.).
Mais cette vision classique et normative du rapport entre le politique et son administration
peut être notamment critiquée au regard de la réalité. Urio (1984), par exemple, nous fait
remarquer que la conception wébérienne de la bureaucratie permet de mettre en doute la
conception classique de la séparation entre administration et politique. En effet, l’auteur
souligne que selon la conception wébérienne de l’administration, celle-ci, au lieu d’être
totalement soumise au pouvoir légal-rationnel, aurait tendance à se soustraire à ce dernier et à
exercer une partie, voire la totalité, du pouvoir politique. Cette possibilité se fonderait sur trois
éléments qui constituent la source et le fondement du pouvoir de la bureaucratie, à savoir :
Quant à Lindblom (1966, notamment cité en référence par Urio (1984)), il juge également que
la séparation entre la phase de définition des valeurs et celle du choix des moyens – entendons
donc également par là entre le politique et l’administration – n'est pas réalisable dans la
37
Si le choix des instruments est du ressort de l’administration, celui-ci ne devrait alors pas impliquer un choix
de valeurs, choix qui doit relever du politique, seul pouvoir légitimé démocratiquement à l’assumer.
38
Ce qui n’empêche pas l’auteur d’admettre le rapport hiérarchique entre le politique et son administration.
36
pratique39. En effet, prenant comme exemple la démocratie américaine, Lindblom (1959)
montre l'impossibilité de séparer le choix des valeurs et le choix des moyens dans une
démocratie ouverte. En effet, dans ce genre de configuration politique, un accord sur le choix
des valeurs fondamentales à défendre (qui relève d'un niveau ontologique) n’est pas possible.
Aussi, pour éviter cette non faisabilité, il est nécessaire de passer par une négociation dans
laquelle on effectue à la fois le choix des valeurs et le choix des moyens (au niveau d’un
consensus).
Ainsi valeurs et moyens – politique et administration – ne peuvent être séparés, les deux étant
indissociables l’un de l’autre (cf. Encadré 1, ci-dessous).
Soulignons que les politologues ont remarqué depuis longtemps que l’administration
publique, en tant que structure multifonctionnelle, participe activement au processus politique
(et ce à chaque phase du processus de décision40) et que le débat politique est le plus souvent
centré sur les moyens que sur les fins41. Mais bien sûr les moyens sous-tendent en eux-mêmes
des fins… parfois contestées.
39
Sur les différents apports théoriques relatifs au rôle politique de l’administration publique et à la séparation
entre cette dernière et le politique, voir par exemple Urio (1984) chapitre 2.
40
Sur le rôle de l’administration suisse dans le processus décisionnel, voir par exemple les ouvrages d’Urio
(1972), L’affaire des Mirages : décision administrative et contrôle parlementaire. Genève: Editions médecine et
hygiène (pour un résumé de l’historique de l’affaire des Mirages, voir Urio (1968), L’affaire des Mirages,
Annuaire suisse de science politique, Lausanne, pp. 90-100), (1984), Le rôle politique de l’administration
publique, notamment le chapitre 1 : pp. 21-24, le chapitre 2 : entier, le chapitre 4 : pp. 181-195 et le chapitre 5 :
entier et l’ouvrage de Kriesi, (1998), Le système politique suisse, notamment les chapitres 6 et 7.
41
Voir par exemple Pal (1992).
37
1.8 Les instruments des politiques publiques : des objets, des activités, des
stratégies ?
dans sa définition la plus large, le concept d’instrument d’action représente “the generic
term provided to encompass the myriad techniques at disposal of governments to
implement their public policy objectives. Sometimes referred to as “governing
instruments” or “tools of government”, these techniques range in complexity and age,
although most are well known to students and practitioners of public administration”
(Varone, 1998, p.25, citant Howlett, 1991, p. 2)
Bressers et Klock (1988), quant à eux, s’interrogent sur la nature et le niveau d’abstraction
souhaité pour analyser les instruments. Définissant les instruments comme étant « all those
means an actor uses or can use to help him achieve one or more objectives » (Bressers et
Klock, 1988, p. 32, citant Hoogerwerf, 1985), les auteurs limitent leur analyse aux
instruments qui influencent directement les comportements. En d’autres termes, les
instruments sont ici considérés comme l’ensemble des moyens qu'un acteur étatique utilise ou
peut utiliser afin de promouvoir une modification des comportements des acteurs ciblés par
une politique42.
Par ailleurs, Bemelmans-Videc (1998) définit notamment les instruments sous l’angle suivant
lequel les « policy instruments are understood to be concrete and specified operational forms
of intervention by public authorities » (p. 4). Cette définition souligne ainsi qu’un instrument
représente une forme concrète et opérationnelle de l’action publique et qu’il peut être ainsi
considéré comme un objet43.
Au contraire et de manière plus ambiguë, Salamon et Lund (Salamon et Lund, 1989, Salamon,
2002), comparant les concepts d’instrument et de programme, font remarquer que le premier
est semblable au second dans la mesure où il représente également un mécanisme concret de
mise en œuvre d’une politique publique, mais qu’il s’en différencie dans la mesure où il fait
référence à la méthodologie ou à l’approche fondamentale utilisée dans un programme et non
à l’application particulière de ce programme. Dans ce dernier sens, le concept d’instrument est
ainsi d’une nature plus générale que celui de programme, nonobstant que le concept général
d’instrument peut être opérationnaliser et prendre corps au sein d’un programme.
Quant à De Bruijn et Hufen (1998), ils établissent, suite à leurs recherches menées sur la
nature du concept d’instrument, qu’une grande variété de phénomènes est communément
comprise sous la notion d’instrument et cela sans cohérence apparente. Il tire alors comme
conclusion préliminaire que le concept d’instrument ne donne aucune information sur la
nature du phénomène autre que celle qui consiste à dire qu’un instrument est un moyen
d’accomplir un objectif particulier. Aussi la nature d’un instrument semblerait à première vue
insaisissable et non identifiable.
Pour tenter de palier à ce problème, les auteurs proposent de définir les instruments en faisant
une distinction entre les instruments en tant qu’objets et les instruments en tant qu’activités.
42
Des dispositifs tels que les murs anti-bruit ou la construction et l'exploitation de plantes de purification ne sont
pas considérés par ces auteurs comme étant aptes à influencer les comportements et sont donc ainsi exclus de ce
qu'ils entendent par instruments.
43
Voir la définition de De Bruijn et Hufen (1998) donnée ci-après.
38
Ils remarquent ainsi que les instruments sont notamment considérés comme des objets dans la
littérature juridique, lorsque celle-ci fait référence à la panoplie d’instructions et de règles qui
forment les lois et directives administratives. Inversement, les instruments sont considérés
comme des activités lorsque la littérature associe le terme aux multiples possibilités
d’activités politiques qui ont pour objectif d’influencer et de gouverner des processus sociaux.
Selon De Bruijn et Hufen (1998), ces deux définitions possèdent leurs forces et faiblesses.
Ainsi, si la seconde définition (instrument en tant qu’activité) possède l’avantage de pouvoir
considérer des activités informelles comme des instruments (la corruption, par exemple), elle
souffre de ne pas réussir à délimiter clairement la frontière entre les concepts de politiques
publiques et d’instruments. A l’opposé, la première définition (instrument en tant qu’objet), si
elle permet de mieux pouvoir cerner le phénomène, connaît quant à elle le désavantage de
donner une image incomplète de la nature dynamique des instruments. Aussi pour ces auteurs,
il n’est pas si important de choisir parmi les deux définitions. Chacune possède en effet la
faculté d’éclairer les instruments d’un point de vue qui lui est propre. Nous ne devrions donc
ne pas les opposer mais les considérer comme des points de vue complémentaires.
Dans tous les cas, que les instruments soient considérés comme des objets ou des activités –
voire même comme des « stratégies instrumentales [‘instrumental tactics’] » (Klock, 1995, p.
34) 44 – ou qu’ils soient d’une nature plus ou moins visible pour les citoyens (Peters, 2002,
Pal, 1992)45, ils sont identifiables, même si, comme le souligne Hood (1983/1990), ils ne sont
(dans certains cas) pas directement observables et impliquent un effort d’interprétation de la
part du chercheur.
Selon nous, cet effort d’interprétation du chercheur peut (ou se doit de) prendre la forme d’un
exercice consistant à faire ressortir les caractéristiques communes ou les particularités de
certaines formes d’intervention de l’Etat, pour pouvoir ensuite les identifier sous la forme de
typologie d’instrument46. Dans ce sens, relevons que pour Salamon (2002), qui définit les
instruments « as an identifiable method through which collective action is structured to
address a public problem »47 (p.19), chaque instrument possède certains dispositifs (features)
communs qui permettent de l’identifier en tant que tel48.
Sur la base de nos propos, nous pouvons donc relever une certaine tension (pour ne pas dire
une confusion certaine) entre une définition (manipulation) de la notion d’instrument en tant
que concept abstrait (niveau théorique)49 et une définition (manipulation) de l’instrument en
tant que réalisation concrète (niveau empirique). Nous verrons par la suite toute l’importance
44
Pour Klock (1995), les instruments « can be directed towards changing human activity (behaviour) or towards
changing environmental processes » (p. 22). Pour un approfondissement de l’approche des instruments de
Klock, voir le chapitre 2.2.3.
45
Pal (1992) fait remarquer que les instruments sont la manifestation la plus concrète et visible de l’action
étatique (pour les administrés) alors que Peters (2002) place la visibilité des instruments (visibility) comme l’une
des trois dimensions principales de ces derniers, à côté du caractère direct des instruments (directness) et leur
automaticité (automaticity).
46
Ce point sera emplement développé par la suite, notamment dans le cadre de la 2e partie de notre recherche.
47
Définition, souligne Salamon, qui est proche de celle de Vedung (1998).
48
Néanmoins, remarque l’auteur, cela n’implique en aucun cas que tous les instruments d’un type particulier
soient identiques dans leur dispositif. Ainsi, plusieurs types de subventions diffèrent dans leurs dispositifs de
mise en œuvre (conditions d’octroi, etc.) mais elles ont toutes comme caractéristique commune d’établir un
transfert monétaire pour orienter les comportements. Par ailleurs, dans un ouvrage antérieur (Salamon, 1989),
l’auteur fait remarquer que l’identification des instruments est un exercice plus difficile qu’il n’y paraît.
49
Tels les « paper policy instruments » (p. 22) de Bressers et Klock (1988) ou les « nominal tools categories »
(pp. 34, 38, 258) de Salamon (1989).
39
que peut revêtir le fait de différencier le concept d’instrument de sa réalisation concrète,
notamment sur le plan théorique et méthodologique et principalement via l’élaboration d’une
typologie d’instruments de nature idéaltypique au sens wébérien du terme50.
1.9 Les instruments des politiques publiques : des institutions reflétant les rapports
de l’homme à son environnement
Nous venons déjà de constater combien les instruments pouvaient avoir de « facettes »
différentes et combien le concept pouvait être éclairé de plusieurs façons. Nous pouvons
encore ajouter à ces différentes perspectives celle qui consiste à percevoir les instruments
comme des institutions.
Pour Salamon (2002), par exemple, les instruments d’action de l’Etat ont notamment pour
caractéristique de structurer l’action. Ils peuvent donc être perçus comme des institutions au
sens du « new institutionalism »51 dans la mesure où ils constituent des modèles de régulation
qui définissent les acteurs impliqués (individus et/ou organisations), leurs rôles et leurs
modalités d’interaction52. Cette définition des instruments permet notamment de souligner
l’importance grandissante des parties tierces (third parties) impliquées dans « l’économie
politique » des « nouveaux » instruments caractérisés par une approche collaborative et
persuasive de l’action publique réactualisée par la résurgence récente du libéralisme
économique (néolibéralisme) et de son corollaire administratif : la nouvelle gestion publique
ou (nouvelle) gouvernance53.
Sont [donc] bien des institutions, car ils déterminent en partie la manière dont les acteurs
se comportent, créent des incertitudes sur les effets des rapports de force, conduisent à
privilégier certains acteurs et intérêts et à en écarter d’autres, contraignent les acteurs et
leur offrent des ressources, et véhiculent une représentation des problèmes. (p. 16)
50
Notons également que Van Nispen et Ringling (1998), dans une perspective qui pourrait s’apparenter à la
nôtre, perçoivent les instruments comme une métaphore, moyen important pour générer de la connaissance,
même si ces derniers ne semblent pas mesurer toutes les implications que cette approche implique dans la
construction et l’utilisation des typologies d’instruments.
51
Très schématiquement, le New Institutionalism est une théorie qui insiste sur le poids des institutions dans
l’explication des comportements humains. Une institution peut être définie par les règles (rules) et leurs
mécanismes de sanction (entforcement). Pour une définition plus précise du New Institutionalism et de la notion
d’institution, nous renvoyons le lecteur à l’ouvrage de Lane et Ersson (2000), The New Institutional Politics,
notamment au chapitre introductif et au chapitre 1.
52
Notons ici que, selon l’auteur, l’action ainsi structurée est une action de nature collective visant à répondre à
un problème public, ce qui est différent que de dire que les instruments structurent uniquement l’action
gouvernementale.
53
Sur ce point, voir par exemple Salamon (2002), ainsi que notre chapitre 4.1.3.
40
Nous pouvons donc remarquer que les instruments des politiques publiques sont porteurs de
significations et qu’ils entretiennent un lien étroit avec les représentations que se fait la
société des problèmes auxquels ils doivent s’attaquer54. Ainsi, dans le domaine de la
protection de l’environnement, Lascoumes (1994) associe les modalités d’intervention de
l’Etat à la représentation que l’on (nous, les acteurs politiques, les acteurs sociaux, etc.) peut
se faire de l’environnement. Telle perception de l’environnement privilégiera telle forme de
réponse : à une conception de l’environnement nourrie d’images naturalistes et
protectionnistes, répondra une intervention de l’Etat gendarme apte à garantir une jouissance
paisible du spectacle ou de l’appropriation de la nature ; à une conception individuelle libérale
répondra une intervention privilégiant la sensibilisation et la responsabilisation, etc.
Salamon (2002), quant à lui, fait remarquer que le choix des instruments :
Are also importantly shaped by cultural norms and ideological predispositions [...]. A
strong promarket bias underlies tool choices in the United States, for example, whereas
western Europe is much more wary of the market and much more favorably inclined
toward the state. (p. 11)
Les instruments peuvent donc être compris comme des révélateurs de l’état des
représentations sociales d’un problème à un moment donné.
En d’autres termes, nous pouvons également postuler qu’ils sont l’expression du rapport que
les hommes entretiennent avec la nature55, mais également du rapport que les hommes
entretiennent avec l’Etat56. A ce dernier titre, le terme de « governance instruments » (p.120),
utilisé par De Bruijn et Heuvelhof (1997) est éloquent, au même titre que la récente
« réactualisation » de la littérature sur les instruments sous le couvert de la nouvelle
gouvernance57.
Ces différentes « visions » des instruments – et donc du mode de régulation sociale – peuvent
être à l’origine de divergences entre acteurs. Cependant, celles-ci ont également pour origine
les effets « (re)distributifs » des instruments, comme nous allons pouvoir le constater ci-après.
Enfin et pour boucler notre tour d’horizon (non exhaustif) du concept d’instrument de
politique publique, nous soulignerons la définition que Varone (1998) donne de la notion
d’instrument des politiques publiques dans la mesure où celle-ci définit les instruments au
regard de la chaîne causale d’une politique publique (problème base légale outputs
54
Notons que pour Lascoumes et Le Galès (2004), chaque instrument possède sa propre histoire et que ses
propriétés sont indissociables des finalités qu’il poursuit.
55
Sur ce point, voir l’excellent ouvrage de Ost (1995/2003), La nature hors la loi, L’écologie à l’épreuve du
droit.
56
Entendons par là les différentes conceptions que peuvent se faire les individus du rapport entre Etat et société
(du tout Etat au tout privé, de la conception traditionnelle de l’Etat à la nouvelle gestion publique).
57
Pour une « mise au goût du jour » des instruments à la sauce « nouvelle gestion publique/gouvernance », voir
par exemple Eliadis, Hill et Howlett (Ed), 2005, Designing Government, From Instruments to Governance,
Montreal et Kingston, London, Ithaca : McGill-Queen’s University Press, ou Salamon, 2002, The Tools of
Government: A Guide to the New Governance, New York : Oxford University Press.
41
impacts outcomes). En effet, selon Varone, un instrument, soit un « moyen par lequel
l’Etat conduit des acteurs individuels et collectifs à prendre des décisions et à amener des
actions qui s’avèrent compatibles avec les objectifs de la politique publique » (p.25), est à
considérer comme un élément constitutif des politiques publiques dans la mesure où
l’intervention étatique et les moyens d’actions ne peuvent être dissociés. Ainsi, pour l’auteur :
• les instruments sont indissociables des problèmes collectifs que l’Etat doit résoudre
dans la mesure où l’analyse des politiques publiques postule que ceux-ci sont conçus
pour résoudre de tels problèmes58 ;
• les instruments sont légitimes dans le sens où ils émanent d’une décision politique
prise selon le principe de la légalité (base légale) ; ils possèdent donc une légitimité
démocratique : les instruments sont donc indissociables des objectifs des décideurs
politiques qui légitiment leur choix ;
• les instruments sont mis en œuvre par des acteurs étatiques ou paraétatiques selon une
certaine répartition des compétences et une certaine procédure, acteurs qui doivent
ensuite prendre des décisions administratives pour concrétiser les bases légales en
outputs selon leurs ressources à disposition et en fonction d’une marge de manœuvre
et d’appréciation qui varie : les instruments sont donc indissociables des acteurs
administratifs chargés de leur application ;
58
Pour Pal, (1992), d’ailleurs cité en référence par Varone (1998), l’un des aspects fondamentaux des
instruments réside dans le fait que ceux-ci représentent le lien logique entre un problème et les objectifs d’une
politique.
59
Mais pas seulement, pensons par exemple à l’information ou tout simplement à la liberté d’action.
42
Tableau 1 : Exemples de sources potentielles de conflits d’intérêt entre acteurs dans les différentes
phases du processus politique
Phases du processus politique Exemples d’acteurs impliqués Quelques sources de conflits
(en Suisse) plus ou moins directement d’intérêt potentiels
Source : l’auteur
Aussi, n’oublions pas que si les instruments ont avant tout pour objectif premier d’influencer
les comportements, ils ne sont pas dissociables du « jeu politique », un jeu de (distribution de)
pouvoir et donc de la distribution des ressources qu’ils induisent immanquablement.
Instruments are best regarded not as initial shapers of behaviour in policy settings but as
potential shifters of ongoing process of policy action over time. […] Instruments are
usually intended to alter the status quo ; according they carry political implications
regarding changes in the distributions of benefits and costs via governance. (Bressers et
O’Toole, 2005, p. 133)
Les instruments sont donc également indissociables des multiples acteurs qu’ils impliquent et
par conséquent de leur réseau d’interactions (De Bruijn et Heuvelhof, 1997, Bressers et
O’Toole, 2005). Nous avons déjà amplement souligné que les instruments avaient des effets
sur les acteurs ; ils en ont également sur les relations entre acteurs et ne peuvent donc être
dissociés de leur « contexte de réseau [networked contexts] »60 (Bressers et O’Toole, 2005, p.
60
Pour une mise en perspective des instruments dans un contexte de réseau (network perspective) voir par
exemple Bressers (1998), Bressers et O’Toole (1998, 2005) ainsi que Kickert, Klijn, et Koppenjan (Ed), 1997,
Managing Complex Networks: Strategies for the Public Sector, London : Sage.
43
134). Ainsi, les instruments (moyens et objectifs) et acteurs doivent être compris dans leurs
interactions multiples :
Instruments are closely linked with other elements of policy processes. […]. Instruments
are more than final element in a policy process. A more realistic view of policy processes
is to consider actors, goals and means as interacting with each other. (De Bruijn et
Heuvelhof, 1997, p. 121)
Aussi, comme les instruments modifient par essence les rapports entre acteurs, ils sont donc
impérativement liés aux intérêts du réseau d’acteurs en place (statu-quo vs changement) et des
perspectives de réallocations des ressources qu’ils vont impliquer. Leurs effets (re)distributifs
excitent de multiples intérêts, leur introduction induit immanquablement des bénéficiaires et
des lésés, directs et indirects61.
Définir le concept d’instrument est une chose, établir des typologies d’instrument en est une
autre. Nous verrons dans par la suite ce qu’implique la construction de typologies, notamment
du point de vue méthodologique, et analyserons quels peuvent être les principaux avantages et
défauts des typologies existantes dans la perspective d’une approche instrumentale des
politiques publiques.
Néanmoins, avant de franchir ce pas, nous allons dans un premier temps exposer différentes
typologies, issues de différents domaines de recherche, afin de nous familiariser avec leur
diversité.
Notons que nous utiliserons à dessein, dans cette première partie, les notions de typologies, de
classifications ou de catégorisations (ou de types, de classes, de catégories) comme des
synonymes. Nous distinguerons cependant dans le cadre de notre partie consacrée à la
méthodologie les typologies idéaltypiques (les types idéaux) des autres concepts auxquels
nous venons de nous référer62.
Nous pensons quant à nous qu’un tel exercice raterai immanquablement sa cible dans la
mesure où la diversité des typologies est telle qu’il s’avère indispensable de cibler sa
61
Nous dirons des destintaires (bénéficiaires et/ou lésés) directs qu’ils sont « le public-cible » et des destintaires
(bénéficiaires et lésés) indirects qu’ils sont touchés de manière « colatérale » pour utiliser un mot à la mode.
62
La quasi totalité des typologies rencontrées dans la littérature ne sont pas des typologies idéaltypiques au sens
wébérien de la notion, du moins elles ne s’en réclament pas explicitement.
44
recherche, par exemple, sur un domaine scientifique particulier et/ou sur une certaine
littérature (anglo-saxonne, germanophone ou francophone), voire sur certaines périodes
temporelles pertinentes.
Ainsi, pour organiser notre chapitre, nous avons choisi, premièrement, de nous référer à la
littérature anglophone et francophone pour des raisons (évidentes) de compréhension63.
Deuxièmement, afin d’illustrer la diversité des typologies existantes, nous allons également
explorer quelques domaines disciplinaires différents. Notons ici que le choix des exemples
reflète plus la pertinence des typologies choisies vis-à-vis de notre propre démarche, qu’un
choix systématique qui se voudrait être représentatif des différents domaines étudiés.
Néanmoins, dans le domaine de la science politique, nous pensons tout de même avoir abordé
les principales typologies.
Les domaines auxquels nous ferons référence seront la science politique d’une part64
(chapitres 2.1 et 2.2) et l’économie, le droit et la psychologie d’autre part (chapitre 3).
Notons enfin que nous nous contenterons dans ces quelques chapitres de présenter les
différentes typologies d’instruments proposées dans la littérature en abordant que très
furtivement (pour des raisons de compréhension) la manière et les « méthodes » employées
pour les produire et les utiliser, ainsi que leurs avantages et inconvénients. Ces
développements feront l’objet de la partie méthodologique.
Dans le domaine de la science politique, une véritable discussion théorique sur les instruments
des politiques publiques ne s’instaure, selon Varone (1998), que dès la fin des années 70, à la
suite d’une série de publications de divers auteurs, parmi lesquels nous trouvons Salamon
(1981) et Hood (1983). L’analyse de l’intervention étatique alors initiée retient dès lors
comme point de départ les instruments d’action de l’Etat et implique ainsi la nécessité de
63
Néanmoins, nous pouvons renvoer les lecteurs familiarisés avec la langue de Goethe et qui voudraient tout de
même se référer à des ouvrages de synthèse issus principalement de la littérature allemande dans le domaine, à
Kaufmann et Rosewitz (1983). Typisierung und Klassifikation politischer Massnahmen. In R. Mayntz,
Implementation Politischer Programme II. Königstein TS. (pp. 25-49), qui, comme le souligne Kaufmann-
Hayoz et al (2001), offrent une présentation générale des classifications importantes en science politique ou à
König et Dose (Ed). (1993), Instrumente und Formen staatlichen Handelns. Verwaltungswissenschafltiche
Abhandlungen (Band 2). Köln : Carl Heymanns Verlag, qui, comme l’indique Varone (1998) et Kaufmann-
Hayoz et al. (2001), à la suite de Kaufmann et Rosewitz, recensent de manière très détaillée et quasiment
« exhaustive » les différentes classifications issues des sciences politiques, juridiques, économiques et
administratives de langue allemande (notamment les typologies traditionnelles de Sharf, Mayntz et Windhoff-
Heritier). Comme source plus directe concernant les typologies néerlandaises cette fois, nous pouvons également
indiquer les typologies de Geelhoed (1983), De interveniërende staat: aanzet voor een instrumentenleer.’s-
Gravenhage: Staatzuitgeverij et de Van der Doelen (1989). Enfin, pour les lecteurs qui, comme nous, ne seraient
pas familiers avec la langue de Goethe, nous les renverrons volontiers (bien sûr en lectures complémentaires à
nos développements) à Varone (1998) qui discute des classifications issues de la littérature anglo-saxone cette
fois et qui donne d’innombrables références en la matière ou à Kaufmann et al. (2001) qui indiquent quelques
pistes et pointent les principales sources et approches pertinentes dans les domaines de la jurisprudence, des
sciences politiques, des sciences économiques et de la psychologie.
64
Ayant fait la totalité de notre cursus universitaire dans ce domaine et briguant un doctorat mention science
politique, c’est donc tout naturellement que nous privilégierons cette approche, même si nous nous intéresserons
également aux autres domaines, dans une optique interdisciplinaire.
45
dresser des typologies d’instruments. En d’autres termes, il s’agit dès lors d’interpréter l’Etat
« as a tool-kit » (p.2) selon l’expression employée par Hood (1983/1990).
Néanmoins, nous pensons qu’aborder les instruments (et leurs typologies) ne peut se faire
sans faire référence à quelques « autres » précurseurs. Nous avons ainsi choisi d’aborder ce
chapitre en combinant une approche « historique » et « pragmatique » en débutant avec quatre
typologies souvent citées en référence par bon nombre d’auteurs, à savoir celles de Dahl et
Lindblom (1953/1992), Etzioni (1961), Lowi (1964, 1966, 1972) et Hood (1983/1990).
Bien que leurs typologies ne portent pas toutes explicitement sur la notion d’instruments des
politiques publiques, ces auteurs peuvent être considérés selon nous comme les précurseurs de
l’analyse des politiques publiques en termes « d’instruments ».
En effet, pour Dahl et Lindblom (1953/1992), le débat entre les grandes idéologies sur la
conception du fonctionnement des sociétés – entendons le capitalisme vs le socialisme – est,
dès la moitié du XXe siècle, déjà dépassé et la question pertinente s’est reportée sur les
techniques de contrôle social. Ainsi, pour les auteurs, le questionnement doit désormais se
porter sur les réformes en termes de techniques d’actions sociales et non en termes de grandes
alternatives sociétales :
Plan or no plan is no choice at all ; the pertinent questions turn on particular techniques:
Who shall plan, for what purposes, in what conditions, and by what devices? […].
Reform may pass through breaking points. Even so, further debate on the old alternatives
shows no promise of discovering these points, if there are any. Nor does it succeed in
turning attention to the countless particular social techniques out of which “systems” are
compounded. […] In economic life the possibilities for rational social action, for
planning, for reform – in short, for solving problems – depend not upon our choice
among mythical grand alternatives but largely upon choice among particular social
techniques. (p. 5-6)
Ainsi, pour Dahl et Lindblom, les réformes à entreprendre pour résoudre les problèmes
sociétaux doivent désormais relever d’un questionnement sur la rationalité de l’action sociale
et donc sur le choix à faire parmi les nombreuses alternatives « techniques politico-
économiques [politico-economic techniques] » (p. 6) existantes. Ce choix, désormais très
large, découle d’un processus rapide d’innovation qui a eu lieu dans ce domaine et qui a mené
à un accroissement considérable des techniques d’intervention politico-économiques (cf.
Encadré 2, ci-après).
46
Encadré 2 : L’innovation dans le domaine des techniques d’intervention politico-économique chez
Dahl et Lindblom
Dans les années 50, découvertes, inventions et imagination ont permis une croissance fulgurante de
l’innovation dans le domaine de l’action sociale rationnelle. Selon Dahl et Lindblom, ce taux d’innovation
(rate of innovation) des techniques sociales a été extrêmement rapide et peut être expliqué de manière
hypothétique par :
1) le développement de la démocratie ;
2) le fait d’appréhender les réformes du point de vue des techniques particulières et non des grandes
alternatives de société (corollaire à la première hypothèse) ;
3) la stimulation de la recherche dans le domaine des mécanismes sociaux (aussi bien que
technologiques) de contrôle social ;
4) les découvertes et l’invention de nouvelles techniques sociales (qui sont en grande partie le produit
des sciences sociales, qui sont elles-mêmes assez nouvelles à cette époque et parmi lesquelles il faut
notamment relever le rôle de la psychologie dans la compréhension des moyens d’influencer les
comportements) ainsi que l’alphabétisation, l’éducation et les révolutions technologiques dans le
secteur des communications.
Source : adapté de Dahl et Lindblom (1953/1992)
Ainsi, selon les auteurs (Dahl et Lindblom, 1953/1992), les alternatives d’intervention étant
dès lors plus nombreuses que par le passé, la sélection des techniques politico-économiques
devient un enjeu important dans la perspective de résoudre des problèmes particuliers,
impliquant un haut degré de sélectivité qui à son tour induit une plus grande précision et une
adaptation plus fine du choix des moyens.
Aussi, Dahl et Lindblom choisissent d’analyser cette nouvelle complexité à laquelle ils se
voient confrontés en classant les différents instruments auxquels ils ont à faire le long de cinq
continuums constitués par deux pôles opposés (cf. Tableau 2, ci-après).
Notons dores et déjà, pour anticiper nos réflexions sur la méthodologie employée (développés
dans la partie méthodologique) les quelques remarques suivantes concernant la typologie de
Dahl et Lindblom (1953/1992) :
• ces continuums ne sont que d’une nature illustrative et doivent être considérés comme
des « systèmes compréhensifs [comprehensive systems] » (p. 9) ;
• par ailleurs, les différentes techniques que les auteurs positionnent sur les différents
continuums doivent être considérées comme des « types » à l’intérieur desquels des
gradations peuvent également exister (cf. Annexe 1) ;
47
• ce positionnement peut d’ailleurs être parfois arbitraire et donc remis en question
puisqu’il découle d’un jugement subjectif plus que d’une démonstration factuelle.
Continuum 1 Continuum 2
instruments impliquant des acteurs/agences… instruments de nature plutôt…
…publiques …obligatoire/contraignante
(government Ownership) (compulsive techniques)
ou ou
…privées …persuasive/informative
(private enterprise) (information/education techniques)
Continuum 3 Continuum 4
instruments impliquant un contrôle des instruments impliquant une organisation avec
dépenses… une adhésion…
…direct …volontaire
(direct control) (voluntary organization)
ou ou
…indirect …obligatoire
(indirect control) (compulsory organization)
Continuum 5
instruments impliquant des agences gouvernementales…
…autonomes
(procedures possessing a high degree of autonomy)
ou
…non-autonomes (soumises à la hiérarchie gouvernementale)
(procedures closely supervised by central government officials - prescription by a hierarchical superior)
Source : adapté de Dahl et Lindblom (1953/1992) et Howlett (1991)
Nous noterons que par la suite, Lindblom (1977), dans un ouvrage qui par ailleurs n’est
jamais cité en référence, identifie trois types de « méthodes fondamentales de contrôle social
[Basic Methods of Social Control] » (p. 11). (cf. Tableau 3, ci-après)
Notons pour conclure que, selon Lindblom (1977), il existe de multiples façons d’influencer
les comportements. Habituellement, les classifications distinguent les méthodes qui vont
avoir un effet direct sur les payoffs (récompenses ou pénalités) des individus de celles qui
modifient seulement la perception qu’ils en ont. Cependant, l’auteur note que toutes les
modalités de contrôle social n’entrent pas de manière satisfaisante dans ces deux catégories.
Aussi, afin de prendre en compte une certaine complexité, propose-t-il d’analyser les
mécanismes de contrôle social en fonction des trois types que nous venons d’aborder.
48
Tableau 3 : Les trois types de mécanismes élémentaires pour le control social
Note : Lindblom fait également référence aux codes moraux (moral codes) qui pourraient être présentés
comme un quatrième type, cependant, il ne considère pas cette catégorie comme méritant la même attention
qu’exigent les trois premiers types dans la perspective d’analyser les organisations politico-économiques.
Source : adapté de Lindblom (1977)
Son analyse comparative des organisations se fonde sur une classification de ces dernières en
fonction de deux typologies, l’une différenciant trois types d’exercice du pouvoir (three kinds
of power) par le détenteur de celui-ci et l’autre trois modèles de participation des acteurs
soumis à ce pouvoir (three kinds of involvement). Ces deux typologies, une fois associées
dans une matrice de type 3x3 définissent neuf types d’organisations. Celles-ci découlent d’une
analyse de la nature de la relation de pouvoir entre l’acteur exerçant le pouvoir et l’acteur s’y
soumettant en termes de relations de conformité (compliance) (cf. Figure 1 ci-après).
L’analyse d’Etzioni débouche ainsi sur une typologie des organisations qui s’avèrent très
pertinentes dans notre optique instrumentale, et ce à plusieurs titres.
Premièrement, la typologie des pouvoirs d’Etzioni peut être interprétée comme une
classification des moyens permettant de mettre en conformité les acteurs avec les objectifs
visés par les organisations. En d’autres termes, les trois types de pouvoir défini par Etzioni
peuvent également être interprétés comme des instruments de contrôle sociaux à la disposition
des organisations sociales – dont l’Etat en est une des principales – à des fins de régulation
(voir sur ce point Vedung, 1998).
49
Figure 1 : Organisations et régulation sociale
Organisations régulation sociale
conformité pouvoir/participation
Deuxièmement, les trois types de participation peuvent également être interprétés comme
étant des effets possibles des instruments de régulation. Dans ce sens, ils peuvent également
constituer une typologie des instruments au regard de leurs effets du point de vue des acteurs
cibles.
Enfin, la combinaison de ces deux typologies (trois types de pouvoir x trois types de
participation) débouche sur une typologie de type 3x3 qui peut par conséquent être également
interprétée comme une classification des instruments de régulation sociale.
65
Etzioni (1961/1971) définit le pouvoir (power) comme la capacité d’un acteur à induire un comportement
conforme à ses intentions.
66
Les sanctions physiques vont de la prescritption de châtiments corporels à la peine de mort, de la restriction
des libertés (par exemple de mouvement) au contrôle par la force de la satisfaction des besoins (nourriture,
confort, etc.).
67
Ces ressources vont notamment de la distribution des revenus (salaires et autres commissions ou contributions)
à la gestion des biens et services, en passant par l’attributrion d’avantages accessoires en cash ou en nature.
68
Celles-ci vont notamment de l’usage du leadership à la manipulation des mass media, en passant par
« l’allocation » de l’estime et du prestige.
50
pouvoir persuasif, manipulateur ou suggestif, terme qui cependant possède une
connotation négative qui pourrait le desservir.
C) Synthèse et éclaircissements
Le parallélisme direct que nous avons établi entre les différentes typologies d’Etzioni et les
instruments des politiques publiques mérite encore les éclaircissements suivants. Au-delà du
fait que l’analyse d’Etzioni, comme nous l’avons déjà vu, peut être appliquée à l’Etat dans la
mesure où ce dernier est une organisation (bureaucratique) qui veut atteindre des objectifs par
la mise en ouvre de moyens de régulation des comportements sociaux, il est important de
comprendre que l’analyse de l’auteur (Etzioni, 1961/1971) :
• est une étude des organisations qui souligne l’importance de la nature du processus qui
guide la mise en conformité (compliance) des comportements au sein de la relation de
pouvoir bidirectionnelle qui officie entre le détenteur du pouvoir et celui qui le
« subit » ; dans cette perspective, la « compliance » est un élément universel qui existe
dans toutes unités organisationnelles et un élément majeur de la relation entre le
détenteur du pouvoir et ceux sur qui il est exercé ;
• est une étude qui s’intéresse en d’autres termes aux conditions de l’ordre social (social
order), un thème cher à la sociologie qui explique cet ordre de trois façons
différentes : l’approche élitiste (elite approach) qui explique l’ordre social par la
distribution hiérarchique de la force, l’approche marxiste (marxian approach) qui
l’explique par la distinction et le lien déterministe bien connus entre infrastructure
(institutions qui règlent la production et la circulation des biens et des services,
51
système économique) et superstructure (système politico-juridique et système
idologique) ; ainsi Etzioni pose l’hypothèse qu’il existe trois sources majeurs de
contrôle sociétal, la contrainte (coercion), le capital (economic assets) et les valeurs
morales/normatives (normative values) ; par parallélisme il existe donc trois types de
« compliance » qui servent de base comparative pour les organisations : contraignante
(coercive compliance), utilitariste (utilitarian compliance) et normative (normative
compliance). Chacune représente un type d’ordre social.
2.1.3 Lowi (1964, 1966, 1972) : les trois puis quatre types de politiques
Selon Howlett (1991), la plupart des études sur les instruments ont pour origine plus ou moins
directe les travaux de Lowi, qui sans nul doute ont eu une grande influence sur ses
prédécesseurs. Ils peuvent ainsi être élevés au rang des « travaux précurseurs » (Schneider et
Ingram, 1990) sur les instruments compris en tant que phénomène politique.
Lowi (1966, 1972, cité par Howlett, 1991) a tenté de catégoriser les types de politiques tout en
les différenciant sur le critère de la coercition (coerciveness), adoptant ainsi l’idée originale de
Cushman (1941, cité par Howlett, 1991) selon laquelle il est possible d’analyser l’activité
gouvernementale en fonction de son degré de coercition : « il [Lowi] prétend qu’une matrice
de quatre cellules basée sur la spécificité de la cible de la coercition et de la probabilité de son
application réelle peut suffire à différencier les principaux types d’activité étatique [He
[Lowi] argued that a four-cell matrix based on the specificity of the target of coercion and the
likelihood of its actual application would suffice to distinguish the major types of government
activity] » (Howlett, 1991, p. 2)
Selon Lowi (1966, 1972, cité par Howlett, 1991), nous pouvons différencier trois types de
politiques :
52
3. les politiques redistributives fortement sanctionnées, à ciblage collectif (the strongly
sanctioned and generally targeted redistributive policies).
A ces trois types, l’auteur ajoutera par la suite une quatrième catégorie :
Selon Lowi (1964, 1972, cité par Schneider et Ingram, 1990), chacun des quatre types de
politiques a induit un modèle distinctif participatif, caractérisé notamment par le modèle
pluraliste pour les politiques de régulation et le modèle élitiste pour les politiques
distributives.
L’étude de Hood (1983/1990) propose en effet une typologie des instruments digne d’intérêt,
notamment sur le plan de sa conception et de son utilisation69. Cependant, sur le plan du
« produit fini », sa typologie est fondée sur une première distinction entre, d’une part, les
instruments permettant à l’Etat de recueillir (détecter) de l’information sur son environnement
et, d’autre part, ceux destinés à agir sur celui-ci. Ces deux types d’instruments sont
respectivement nommés par Hood « détecteurs et effecteurs [detectors and effectors] » (p. 3).
Cette distinction, que l’auteur emprunte à la science des systèmes (de contrôle), la
cybernétique70, caractérise ainsi les deux fonctions principales d’un Etat, soit celles qui
consistent pour lui à s’informer et à agir (à avoir un impact) sur la société et les acteurs qui la
composent71.
69
Nous reviendrons sur ce point de manière plus explicite dans le cadre de la 2e partie de notre recherche (voir
e
2 partie, chapitre 6, point 6.1)
70
D’après laquelle les deux capacités essentielles d’un système de contrôle sont de détecter l’information et
d’agir sur son environnement, aucun système ne se contentant de rester passif vis-à-vis de son environnement.
71
Ainsi, comme le souligne Pal (1992), le gouvernement, comme tout système de contrôle (thermostat, missile,
etc.) a besoin d’instruments pour s’informer et agir sur son environnement.
53
L’Etat possède donc deux types d’instruments :
• des instruments d’action qui ont pour effet d’agir sur son environnement sur la base de
l’information qu’il aura recueillie instruments d’action (effectors).
Une seconde distinction est également faite par Hood (1983/1990) qui différencie quatre
ressources principales dont l’Etat dispose et qui peuvent être associées chacune à un type
d’instruments (cf. Encadré 3 ci-dessous).
Encadré 4 : Les quatre ressources engagées pour la mise en œuvre des instruments
Chez Hood (1983/1990), les quatre ressources étatiques qui permettent la mise en œuvre des instruments
découlent de la propriété de l’Etat :
• à être positionné au centre d’un réseau social/d’information ou en d’autres termes à être un nœud (en
langage informatique, un nœud est un lieu de jonction des canaux d’information) ;
Nodality
Instruments nodaux (ou de communication) / information*
• à posséder le pouvoir légal de contraindre (d’interdire, d’obliger, de garantir, etc.) ;
Authority
Instruments contraignants/autoritaires / règles prescriptives*
• à posséder des ressources fongibles (stock de capital monétaire mais pas seulement) ;
Treasure
Instruments financiers / incitations financières*
• à posséder des ressources organisationnelles sous la forme de ressources humaines (fonctionnaires et
compétences), de territoire, d’infrastructures et d’équipements (Cette ressource est souvent liée avec
les trois autres mais ce n’est pas seulement un dérivé de ces trois ressources.).
Organisation
Instruments organisationnels / capacité organisationnelle*
* traductions issues de Varone (1998)
Source : adapté de Hood (1983/1990)
En d’autres termes, le second critère de classification des instruments utilisé par Hood sont les
différentes ressources qui peuvent être engagées lors de leur mise en œuvre (Varone, 1998).
Cette distinction est qualifiée par l’auteur par le terme « système NATO [‘The NATO
scheme’] » (p. 4), acronyme des quatre ressources basiques de l’Etat que sont Nodality,
Authority, Treasure et Organisation.
Par croisement des deux distinctions – relatives pour l’une aux deux fonctions principales de
l’Etat (détecter et agir) et pour l’autre aux quatre ressources de base (nodalité, autorité, trésor
et organisation) et qui définissent chacune respectivement deux et quatre types d’instruments
– Hood (1983/1990) peut dès lors distinguer huit types d’instruments différents qui se
trouvent à l’interface des deux systèmes bien distincts que sont l’Etat et la société (son
environnement) (cf. Tableau 5 ci-après).
54
Tableau 4 : Huit instruments à l’interface Etat-Société
Instruments de
détection (ID) et
Caractéristiques des instruments Ressources
Instruments d’action
(IA) typiques
-
Capacité d’échanger, d’utiliser des
ressources fongibles
consultants (ID)
Niveau de contrainte
Activité : échange Trésor
ETAT
subvention/prêts (IA)
Limite : fongibilité des ressources
médium/support : « monnaie »
Capacité de déterminer/contraindre de
manière unilatérale via la législation
Activité : déterminer/contraindre enregistrements (ID)
Autorité
Limite : durée légale lois (IA)
médium/support : symboles/signes
d’autorité officielle
Notons ici que selon Hood (1983/1990), les quatre ressources distinguées sont différentes
dans leur modalité d’exécution. Par exemple, certaines ressources introduisent plus de
contrainte que d’autres. De manière très schématique et simple et sachant que les instruments
nodaux influent sur la connaissance et les attitudes des acteurs sociaux, les instruments de
type financier influencent la pesée d’intérêt des acteurs, les instruments contraignants-
autoritaires impliquent des droits, des statuts et des devoirs et les instruments organisationnels
impliquent de manière directe l’environnement physique ou les acteurs72, Hood indique que le
niveau de contrainte des instruments augmente dans le sens nodalité trésor
autorité/organisation.
Notons par ailleurs que selon Hood, les instruments d’action peuvent être appliqués :
• de façon « généraliste » : ils peuvent être destinés à un public très large comme
l’ensemble de la population d’un pays par exemple (niveau général) ;
• de manière beaucoup plus spécifique et particulière: ils peuvent être destinés à des
individus lambdas dans des cas particuliers (niveau individuel) ;
72
« In very simple terms it could be said that ´nodality’ works on your knowledge and attitudes, ‘treasure’ on
your bank balance, ‘authority’ on your rights, status and duties, and ‘organization’ on your physical
environment or even on your person. » (Hood, 1983, p. 7)
55
• ou encore à un niveau intermédiaire : ils peuvent être destinés à des groupes cibles tels
que les agriculteurs par exemple (niveau du groupe).
Ainsi, mais sans entrer dans les détails, nous pouvons donc dresser une liste de douze types
particuliers d’instruments d’action étatique (cf. Annexe 2).
Notons enfin que selon Howlett (1991), la classification de Hood, qui comme nous l’avons vu
se fonde sur les ressources utilisées par l’Etat, a pour vertus principales d’être relativement
claire et peut ainsi servir d’excellente synthèse de bon nombre de classifications basées sur les
ressources73. Howlett synthétise d’ailleurs la classification de Hood conformément au tableau
ci-dessous.
Information Finance
Autorité Organisation
(Nodality/ (Treasure/
(Authority) (Organization)
Information) Finance)
Services
Instruments d’action Conseil Subventions, prêts Lois
(Service
(Effectors) (Advice) (Grants, Loans) (Laws)
Delivery)
Instruments de détection Enquêtes Consultation Enregistrement Statistiques
(Detectors) (Surveys) (Consultants) (Registration) (Statistics)
Suite à cette brève introduction consacrée aux typologies des « précurseurs », nous nous
proposons maintenant d’aborder les (multiples) autres typologies issues de la littérature en
science politique (comprise au sens large).
Selon Vedung (1998), il existe deux types d’approche typologisante des instruments :
Entre ces deux pôles (typologies minimales et maximales), tout un éventail de possibilité
existe dont nous allons vous livrer quelques exemples.
A cette fin, nous organisons ce deuxième chapitre consacré à la revue des typologies en
fonction de catégories construites sur la base du nombre d’instruments défini par les
typologies. Nous passons ainsi des typologies binaires distinguant deux catégories
d’instruments aux typologies à trois, puis quatre, puis cinq, puis six (et plus) instruments.
73
Par contre, note Howlett (1991), contraitement à beaucoup d’autres auteurs qui utilisent l’approche par les
ressources, Hood partage la notion de la substituabilité technique des instruments.
56
Dans le cadre de chacune de ces catégories, nous nous sommes efforcés, dans la mesure du
possible, d’analyser les typologies de manière chronologique (selon la date de leur première
publication), tout en mettant l’accent de manière plus importante sur une ou deux typologies
intéressantes, tant sur le plan de leur développement que sur le plan de leur
« représentativité ».
Notons ici que les difficultés principales de l’exercice résident tant dans la multitude des
typologies qui rend l’exhaustivité de l’exercice difficile (voire impossible), que dans le niveau
très différent de développement théorique des typologies selon les auteurs. Dès lors,
l’articulation de ces différentes typologies en un chapitre cohérent évitant au plus les
redondances mais n’omettant pas les singularités propres à chaque typologie méritant d’être
soulignées est périlleuse.
De tels exercices, plus ou moins poussés, ont déjà été entrepris par exemple par Kaufmann et
Rosewitz (1983), Salamon et Lund (1989), Salamon (1989, 2002), Schneider et Ingram
(1990) Howlett (1991), König et Dose (1993), Howlett et Ramesh (1995), Vedung (1998),
Varone (1998), Kaufmann-Hayoz et al. (2001). La plus part sont d’une nature tellement
synthétique que les typologies exposées s’en trouvent selon nous desservies.
Un exemple de typologie duale est donné par Bringham et Brown (1980, notamment cité par
Vedung, 1998) qui établit une distinction entre pénalités (Penalties) et incitations (Incentives),
préférant cette dernière à la distinction souvent établie entre méthodes coercitives (coercive
methodes) et méthodes rémunératives (remunerative methodes).
74
Si les premières ont tendance à pousser à la classification des instruments, les secondes incitent par nature plus
à analyser les instruments sur la base des continuums que de les classer de manière définitive (voir par exemple
la typologie de Bressers et O’Toole (1998) développée dans le cadre du chapitre 2.2.1).
75
Une typologie de nature identique est également utilisée par Bernard (1939, cité par Vedung, 1998).
57
Tableau 6 : Typologies dichotomiques - bipolaires
Restriction vs Promotion
Bâton vs Carotte
Punition vs Récompense
Coût vs Bénéfice
Dans une toute autre perspective, Bressers et O’Toole (1998) identifient six caractéristiques
des instruments (cf. Annexe 3) que l’on peut interpréter chacune comme des typologies de
type duale définies sur la base de continuum :
4. le degré de normativité ;
5. le degré de proportionnalité ;
Pour Vedung (1998), ce type de classifications dichotomiques possède des avantages certains
liés à leur simplicité et est également très fructueux sur le plan théorique. Cependant, ces
typologies possèdent des désavantages importants76 qui poussent l’auteur à affirmer qu’une
classification devrait dissocier trois catégories pour être valable sur le plan théorique et
pratique77.
Vedung fait ainsi remarquer qu’Etzioni (1961) a introduit une troisième dimension normative,
catégorie qui selon Vedung est très importante dans le débat sur les instruments étatiques dans
la mesure où, si la dimension coercitive est l’aspect central du pouvoir de l’Etat, la persuasion
et autres moyens de communication sont actuellement de plus en plus utilisés par les
gouvernements.
76
Nous y reviendrons dans le cadre de la 2e partie de notre recherche (voir 2e partie, chapitre 5, point 5.2).
77
Pour la typologie de Vedung (1998), voir ci-après.
58
2.2.2 Typologies puissance 3
A l’image de la typologie d’Etzioni (1961/1971), il existe bon nombre de typologies
d’instruments différenciant trois catégories. Ainsi, la plupart des typologies triptyques telles
que celles de Doern (1978), Bardach (1980), Gormley (1987), Van der Doelen (1989),
Hoogerwerf (1995), De Bruijn et Heuvelhof (1997) et De Brujin et Hufen (1998) distinguent
toutes – avec quelques nuances certes – trois catégories d’instruments que nous pouvons
regrouper sous les dénominations d’instruments contraignants (ou légaux), d’instruments
incitatifs (ou financiers) et d’instruments de communication (ou d’information) (cf. Annexe
4).
Par exemple, chez Gormley (1987, cité par Schneider et Ingram, 1990a), une distinction – qui
semble selon l’auteur intéressante du point de vue théorique – est celle qui peut être faite
entre :
• les instruments coercitifs (coercive tools), qui regroupent les mesures telles que les
mandats (mandates), les ordres (orders) les exigences (absolute requirements) ou les
interdictions (prohibitions) ;
Cette distinction se retrouve également chez Van der Doelen (1989, notamment cité par De
Bruijn et Hufen, 1998 et Salamon, 2002) qui distingue quant à lui trois familles
d’instruments : les instruments légaux (legal family), les instruments économiques (economic
family) et les instruments de communication (communication family).
Dans un ouvrage récent, Van der Doelen (1998) identifie également, au sein de ces trois
familles, une dimension répressive et stimulative (incitative) qui met en évidence le degré de
liberté de l’individu face à l’instrument78 (options vs pas d’option) (cf. Tableau 7 ci-après).
78
Selon l’auteur, il n’est en effet pas judicieux de classer les instruments de communication, économiques et
juridiques sur un axe exprimant le degré de contrainte allant du non-contraignant au plus contraignant.
59
Tableau 7 : La nature stimulative ou répressive des instruments selon Van der Doelen
Dimensions des
instruments
Stimulative Repressive
Modèle de contrôle
Obligation/Interdiction
Modèle de contrôle (Order/Prohibition)
Contrat (Contract/Covenant)
judiciaire (imposition de normes comportementales
(réciprocité, dimension volontaire)
(Judicial control model) de manière unilatérale avec obligation de
s’y conformer, pas de liberté)
La typologie de Van de Doelen – très souvent citée en exemple par les chercheurs – se
distingue néanmoins de celle de Gormley dans la mesure où elle associe explicitement les
instruments de régulation aux instruments légaux. Hoogerwerf (1995, cité par Van Nispen et
Ringling, 1998) et Van Nispen et Ringling (1998), par exemple, organisent leur typologie
dans le même ordre d’idée en différenciant :
• les instruments financiers79 (financial means) positifs tels que les subventions
(subsidies), les dépenses de soutient (grants) et négatifs tels que les impôts (taxes) et
les taxes (user charges) ;
En insistant sur le grand nombre d’études faisant référence aux trois grandes familles que sont
les instruments de régulation (regulation), les transferts financiers (financial transfer) et les
transferts d’information (information transfer), De Bruijn et Hufen (1998) soulignent
également à leur manière que les instruments de régulation (regulatory instruments) sont des
instruments légaux par nature. De manière générale, ils existent ainsi sous la forme de normes
comportementales édictées à l’égard des acteurs sociaux qui peuvent être caractérisées par
quatre points : 1) ils impliquent une fonction de normalisation et de garantie, 2) ils nécessitent
un monitoring et une mise en œuvre/exécution (enforcement), 3) ils ont un caractère coercitif
et 4) réactif de type end of pipe80 ;
79
De nature plus incitative et moins coercitive que les premiers.
80
En d’autres termes, ils ne sont pas de nature proactive.
60
Dès lors, pour ces auteurs, les incitations financières (financial incentives) sont, en
comparaison avec les instruments de régulation, des instruments de nature non-coercitive. Les
subventions (subside) et les taxes/impôts (levies) sont des exemples de ce type de mesures
quie sont caractérisées par une flexibilité qui laisse le libre choix à l’acteur cible de modifier
son comportement.
Enfin, les transferts d’information (information transfer) sont des instruments qui s’appuient
sur leur force de conviction. Ils sont d’une nature douce (soft) et se doivent d’être appliqués
en fonction du cadre de référence de l’acteur cible.
Toujours en se référant aux travaux de Van der Doelen, De Bruijn et Heuvelhof (1997) font
également une distinction équivalente. Cependant, les auteurs, qui analysent cette fois les
instruments du point de vue des implications qu’ils ont pour les acteurs compris dans leur
réseau (network) (nombre, pouvoir, relations, etc.), introduisent par la même occasion une
distinction à l’intérieur de chaque catégorie entre les instruments destinés à agir directement
sur les acteurs et les instruments destinés à influencer uniquement leurs relations.
• le pouvoir des acteurs, par la modification de l’équilibre du pouvoir entre acteurs, soit
en augmentant ou diminuant les sources du pouvoir (pouvoir, information, prestige,
ressources financières, etc.) ;
• l’organisation des acteurs (structure interne des acteurs dans le réseau), par exemple
par la séparation des pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) et l’introduction de
mécanismes de poids et contrepoids au pouvoir des acteurs (par exemple, entre
employés et employeurs).
Mais ils peuvent également viser les relations entre acteurs, soit :
• les acteurs, via la création de nouveaux acteurs en utilisant les forces du marché (offre
et demande) ou le renforcement de leur autonomie ;
81
Ou instruments légaux (legal family), principalement les ordres/commandements et les interdictions (orders
and prohibition).
82
Ou instruments économiques (economic instruments), principalement les incitations financières (financial
incentives).
61
• les relations entre acteurs, par exemple, en les incitant à coopérer.
• les acteurs, par exemple, en modifiant la perception qu’ils ont des problèmes
(modification des valeurs, des normes, des systèmes de croyance) ;
• les relations entre acteurs, par exemple, via l’analyse du cycle de vie des produits.
L’ensemble des typologies que nous venons de passer rapidement en revue sont construites
sur la même idée plus ou moins explicitée : il est possible d’influencer les acteurs socio-
économiques soit en les contraignant, soit en les intéressant, soit en les sensibilisant. Cette
distinction est sans doute exprimée de la manière la plus complète et actualisée par les travaux
de Vedung (1998). Remettant à l’ordre du jour la classification développée par Etzioni (1971,
édition de 1961) – ou celle de Van der Doelen selon Salamon (2002) – Vedung (1998)
identifie trois catégories d’instruments par la métaphore bien connue du bâton et de la carotte
– déjà identifiée en son temps par Balch (1980, in Brigham and Brown) dans un article intitulé
The Stick, the Carrot, and Other Strategies – à laquelle il ajoute le serment, soit
respectivement les instruments économiques (carrots), les instruments de régulation (sticks) et
les instruments d’information (sermons).
La typologie de Vedung (1998), carrots, sticks and sermons, est fondée sur une approche par
les ressources83 et part du postulat de base que l’Etat, ayant décidé d’intervenir pour régler un
problème, est confronté au choix des moyens qu’il va pouvoir mettre en œuvre. Ces moyens
sont, comme nous venons de le constater, au nombre de trois, et sont définis de manière assez
explicite par l’auteur qui fonde sa typologie sur la caractérisation des relations entre
gouvernants et gouvernés selon le degré de force autoritaire engagée au sein de la relation de
gouvernance (cf. Annexe 5).
Aussi, les trois types de mesures définies par Vedung induisent des efforts très différents de la
part de l’Etat sur le plan de la force autoritaire mise à profit par ce dernier. Dans cette
perspective, l’auteur « mesure » la force autoritaire comme le degré de contrainte/pouvoir que
l’Etat a investi – The authoritative force concerns the degree of constraint, or even better,
degree of power, that the governing body has invested in the governance attempt” (Vedung,
1998, p.34-35) – et classe les instruments sur cette échelle de mesure dans l’ordre suivant :
instruments de régulation (en donnant l’exemple d’une interdiction de produire des cigares) >
instrument économiques (en donnant l’exemple d’une taxe sur la production de cigares) >
instruments d’information (en donnant l’exemple d’une campagne d’information sur les
méfais des cigares).
La typologie de Vedung, comme les précédentes, insiste donc sur le caractère contraignant
des instruments de régulation par opposition aux deux autres catégories d’une nature plus
incitative et moins coercitive que sont les instruments économiques et les instruments de
communication. Aussi, la grande majorité des typologies que nous venons de voir ont toutes
pour fondement théorique plus ou moins explicite un continuum contrainte. Le degré de
contrainte est d’ailleurs utilisé par Vedung (1998, faisant référence à Woodside, 1986) pour
83
Voire sur ce point le chapitre 5, point 5.2.2, lettre A) de la 2e partie de notre recherche.
62
définir ces trois catégories d’instruments, mais aussi pour définir des sous-catégories
d’instruments.
Cependant, pour des auteurs comme Howlett et Ramesh (1995, faisant notamment référence à
Baxter-Moore, 1987), plutôt que de se concentrer sur le concept fuyant de contrainte
(coercion), il est possible d’obtenir une classification plus complète et plus simple en se
concentrant sur le niveau de présence ou d’engagement de l’Etat (level of state presence, level
of State Involvement) qu’induit l’utilisation de chaque instrument dans la fourniture de biens
et de services.
Selon ces auteurs, il est dès lors possible, en utilisant le niveau de (state provision) comme
critère, de développer une taxonomie qui range la variété des instruments sur un axe défini par
deux pôles : le pôle volontaire (voluntary) et le pôle obligatoire (compulsory). Aussi, les
instruments de nature volontaire n’impliquent aucun engagement de la part de l’Etat alors que
les instruments de nature obligatoire, par opposition, ne laissent aucune place à l’initiative
privée. Entre les deux extrêmes se trouve un éventail d’instruments qui impliquent un niveau
différent d’engagement volontaire ou obligatoire.
Sur la base de ce continuum, qu’ils combinent avec les recherches sur les instruments de
Kirschen et al. (1964), Howlett et Ramesh (1995) arrivent à établir une liste de 10 types
majeurs d’instruments (cf. Tableau 8 ci-après).
• les instruments mixtes (mixed instruements) : ils combinent les caractéristiques des
deux autres catégories ; l’engagement/l’implication du gouvernement varie du
minimum (fournir simplement de l’information) à un maximum (punition par la taxe).
63
Tableau 8 : Les instruments pour la fourniture de biens et services
Pour conclure, nous relèverons qu’un bon nombre d’autres auteurs considèrent dans le cadre
de leur recherche instrumentale trois catégories d’instruments. Par exemple, Wallace (1995)
utilise les catégories « approches régulatives conventionnelles [conventional regulatory
approaches] », « instruments économiques [economic instruments] » et « accords volontaires
[voluntary agreements] » pour étudier les politiques environnementales adressées au secteur
industriel. Plus récemment, Ingold (2008) utilise ces mêmes catégories d’instruments
(« contrôles directs/régulations », « instruments du marché » et « mesures volontaires ») dans
le but d’analyser les mécanismes de décision de la politique climatique suisse.
64
« organisationnel ». C’est le cas, par exemple, de McDonnel et Elmore (McDonnell et
Elmore, 1987a, 1987b ; Elmore, 1987), Pal (1992) et de Van Nispen et Ringling (1998).
Si l’approche typologisante utilisée par Vedung (1998) est celle des ressources, McDonnell et
Elmore (McDonnell et Elmore, 1987a, 1987b ; Elmore, 1987, McDonnel, 1988) identifient
quatre types d’instruments en fonction des fins désirées, ou, en d’autres termes, sur les effets
attendus sur les acteurs84 (cf. Tableau 9 ci-dessous)
Source : Adapté de McDonnell et Elmore (1987a, 1987b cité par Howlett et Ramesh, 1995, par Varone 1998 et
par Salamon, 2002), Elmore (1987, également cité par Schneider et Ingram, 1990a), McDonnel (1988, cité par
Schneider et Ingram, 1990a)
Dans le même ordre d’idée, Pal (1992) combine les approches de Hood et de Doern (voir plus
loin) pour dresser un catalogue d’instruments (nodaux, financiers, autoritaires et
organisationnels) complet et détaillé sur la base d’un continuum « mesurant » le degré de
contrainte exercée par l’Etat (cf. Annexe 6). Ce type de typologie est repris, par exemple, par
Van Nispen et Ringling (1998) qui distinguent :
84
Pour Howlett (1991, citant Elmore, 1987), la typologie d’Elmore est basée sur les ressources !
65
D’une manière assez semblable, Anderson (1971, 1977, 1978) adopte une typologie qui
s’apparente néanmoins plus à une catégorisation générale des choix gouvernementaux qu’à
une catégorisation des outils gouvernementaux (government tools) et qui identifie quatre
choix instrumentaux auxquels le gouvernement est confronté (1971, 1978, cité par Howlett,
1991 ; Anderson, 1977, cité par Vedung, 1998). Ces choix peuvent être également identifiés
sur un continuum allant de la liberté complète d’action à la coercition complète (cf. Tableau
10 ci-dessous).
Par contre nous pouvons aisément retrouver les quatre catégories « traditionnelles » initiées
par Hood dans la typologie donnée par Lovinfosse et Varone (2004) qui distinguent quatre
modalités d’intervention : les interventions de type régulatif ou prescriptif, de type incitatif, de
type persuasif ou informatif et de type auto-régulation des groupes cibles (regulatory or
prescriptive intervention, incentive intervention, persuasive or informative intervention et
self-regulation of target groups),.
66
Klock (1995) identifie quant à lui quatre « stratégies instrumentales » de base qui permettent
d’influencer les ressources et la motivation des acteurs afin de modifier leurs comportements
dans un sens positif (solliciter un comportement) ou négatif (inhiber un comportement). Ainsi,
l’Etat peut :
L’auteur donne également quelques exemples d’instruments rattachés à ces catégories (cf.
Annexe 7). Notons qu’il identifiera, par la suite, une cinquième catégorie de tactique
instrumentale qui consiste en l’organisation (ou la réorganisation) des acteurs (création,
suppression ou réorganisation des acteurs)
Enfin, Sullivan (2005) use des catégories instruments de type command and control
(command and control instruments), instruments économiques (economic instruments),
approches basées sur l’information (information-based approaches) et approches volontaires
(voluntary approaches) pour repenser ces dernières dans le domaine des politiques
environnementales tout soulignant l’importance de cette dernière catégorie au sein des
typologies d’instruments.
• modifier l’évaluation faite par les acteurs des « pour » et des « contre » des
alternatives instruments qui modifient les conséquences des choix
67
comportementaux alternatifs (sont les plus courants dans le domaine de la politique
environnementale) tels que les réglementations-contrôles-sanctions (interdictions,
obligations, etc.), les mesures conditionnelles (permis, autorisations, etc.), les mesures
incitatives (contrôle des prix, taxes, subventions, défiscalisation, etc.) ;
• informer sur l’existence des alternatives ou sur les « pour » et les « contre » des
alternatives instruments orientés vers l'information (information, consultation,
média, etc.).
Selon Howlett et Ramesh (1995), ce sont les politologues canadiens Doern et Phidd (Doern et
Phidd, 1983/1992, cité par Howlett et Ramesh, 1995 et Varone, 1998 ; Doern, 1981, cité par
Howlett, 1991) qui ont « révolutionné » les classifications des instruments en les ordonnant le
long d’un continuum de contrainte légitime (legitimate coercion). Leur typologie qui
distingue cinq types d’instruments considère l’autorégulation par le marché (self-regulation)
comme l’instrument le moins contraignant et les entreprises publiques (public ownership)
comme le plus contraignant. A l’image de la typologie d’Anderson (1971, 1977, 1978), cette
typologie a fourni la base pour de futures classifications en établissant la nécessité d'analyser
des instruments dans le contexte du rapport existant entre l'état et la société (effets de l’Etat
sur la société). Elle est notamment à la base de la typologie quartette de Howlett et Ramesh
(1995).
Cependant, la typologie de Doern et Phidd a évolué dans le temps. Sous l’influence de Lowi,
dont ils modifièrent la matrice de choix politiques en un continuum contrainte légitime de
choix des instruments85, Doern et ses collègues ont produit toute une série de publications qui,
au départ, identifiait uniquement quatre instruments sur ce continuum : l’autorégulation (self-
regulation), la persuasion (exhoration), les subventions/dépenses publiques (subsidies / public
expenditure) et la régulation (regulation) (Doern, 1981, cité par Howlett, 1991 ; Doern, 1978,
1983 cité par Pal, 1992). Cependant, pour Pal (Pal, 1992, citant Doern, 1978, 1983), seuls
trois des quatre concepts peuvent être compris comme des instruments (persuasion, dépenses
publiques et régulation) dans la mesure où l’autorégulation par le marché (self-regulation) est
considérée au départ comme une option gouvernementale de non intervention laissant toute la
liberté aux comportements spontanés et volontaires. Dans les termes de Vedung (1998, citant
Doern et Phidd, 1983), cette typologie est de type approche par le choix (choice approach).
Par la suite, Doern et ses collègues ajoutèrent les catégories taxes (taxation) et entreprise
publique (public entreprise) (Howlett, 1991, citant Tupper et Doern, 1981). Finalement, ils
ajoutèrent encore une série de gradations fines au sein de chaque catégorie (Doern et Phidd,
1983, cité par Howlett, 1991).
A la fin, la typologie de Doern et de ses collègues identifie cinq types d’instruments (cf.
Tableau 11 ci-après).
85
Pour ces auteurs, l’Etat utilise son pouvoir souverain pour contraindre les individus, pouvoir considéré comme
légitime car démocratiquement consacré. Cependant il use de celui-ci à différent degré et peut ainsi stimuler des
comportements volontaires ou agir par pure nationalisation ou par l’imposition de sanctions sévères pour les
comportements non-conformes aux directives étatiques.
68
Tableau 11: Les instruments sur le continuum coercition légitime chez Doern et Phidd
A la suite des travaux de McDonnell et Elmore (Salamon, 2002, citant Schneider et Ingram,
1990a), Schneider et Ingram ont élaboré une classification des instruments en fonction du
type de comportement qu’ils induisent.
En d’autres termes, Schneider et Ingram (1990a) analysent les instruments sur la base
d’hypothèses comportementales, puisque les instruments sont par nature destinés à influencer
les comportements à un niveau « micro » qui permet de souligner les caractéristiques des
instruments en fonction des comportements qu’ils suscitent.
A basic assumption underlying our approach is that public policy almost always attempts
to get people to do things that they might not otherwise do ; or it enables people to do
things they might not have done otherwise. (p. 513).
Notons que les auteurs remarquent qu’aucun de leurs confrères n’ont jusqu’alors cru bon de
développer les hypothèses comportementales qui sont sous-jacentes aux instruments.
Schneider et Ingram (1990a, 1997) distinguent ainsi cinq catégories d’instruments, les
instruments prescriptifs - autoritaires ((reliance on) Authority Tools), les instruments
d’incitation (Incentive Tools), les instruments de stimulation/fourniture des capacités
(Capacity Tools / Capacity-building), les instruments de persuasion (Hortatory (and
Symbolic) Tools) et les instruments d’apprentissage institutionnel (Learning Tools).
Les instruments prescriptifs – autoritaires sont fondés sur l’hypothèse comportementale
suivante : les acteurs-cibles possèdent une certaine obéissance, loyauté et confiance envers la
loi, la hiérarchie et l’autorité et un sens (aigu) du devoir (vertu) et du bien commun. Ils
prennent la forme des prescriptions (statements) qui émanent de l’autorité légitimée
démocratiquement (permissions, interdictions ou exigences). L’intensité de ces instruments
peut être mesurée sur un continuum action volontaire (voluntary actions) – action obligatoire
(compulsory actions). Notons que la sanction n’est pas comprise par les auteurs dans cette
catégorie car elle est comprise par ceux-ci comme un élément d’incitation qui implique un
payoff tangible pour les citoyens ; la seule menace de la sanction, implicite ou explicite, n’est
donc pas prise en compte.
69
Les instruments d’incitation repose sur l’hypothèse comportementale selon laquelle la
maximisation de l’utilité constitue un élément de motivation comportementale via une
manipulation des payoffs (argent, liberté, vie, etc.)86. Cette rationalité individuelle et
intéressée se décline subtilement en fonction des sous-types d’instruments suivants :
• Force (Force) : en tant que contrainte physique en dernier recours et/ou sanction
incitative productrice de peur (peur de la sanction) ; comportement condamné
socialement (niveau maximum de la stigmatisation) ;
Les instruments de persuasion se fonde sur une hypothèse comportementale qui souligne
l’importance des croyances, des symboles, des images, des perceptions/représentations, des
données culturelles, des valeurs (notion de droit, de justice, d’égalité, d’individualisme, etc.)
86
Incitations influençant les conséquences tangibles (tangible payoffs) des comportements de manière positive
ou négative afin d’encourager/décourager un comportement.
70
dans les motivations/décisions comportementales. Ces instruments consistent principalement
en des déclarations, discours ou des campagnes de relation publique. Ils ont pour fonction
principale de modifier les valeurs des acteurs ou de les convaincre que les comportements
souhaités sont en accord avec leurs valeurs. D’autres exemples de tels instruments sont les
campagnes d’affichage/de communication/de sensibilisation, les spots télévisés, les
associations de symboles, l’étiquetage et labels.
Les auteurs distinguent également un certain nombre de sous-types dans chaque catégorie. Par
ailleurs, ils analysent chaque catégorie, notamment en fonction de (a) leur mode de rationalité,
(b) des acteurs de leur mise en œuvre et (c) des groupes ciblés par celle-ci et (cf. Annexe 8).
D’une manière générale, la rationalité de la réponse des acteurs ciblés par les instruments
prend la forme suivante:
1. les instruments de types régulatifs agissent sur la volonté des acteurs à vouloir éviter
les sanctions qui sont associées à la violation de la prescription ;
71
4. les instruments librement consentis agissent par l’attrait des acteurs à la négociation et
à l’appréhension d’une régulation plus directe ;
Notons que les auteurs (Kaufmann-Hayoz et al., 2001) relèvent par ailleurs que leur typologie
exprime également un double continuum. En allant des instruments régulatifs vers les
instruments de communication et de diffusion, la typologie marque une diminution dans la
capacité des instruments à influencer les comportements ainsi qu’une diminution dans
l’obligation formelle générée par les instruments. De manière inverse, il existe un
accroissement de la participation des acteurs et de la prise en compte du contexte spécifique
dans lequel ceux-ci interagissent.
Nous noterons quant à nous que ces derniers propos semblent relever d’une argumentation
théorique qui n’est pas si évidente sur le plan empirique. Ainsi, la contrainte des instruments
de types régulatifs peut être toute relative (régime d’exception, manque de contrôle et
sanctions inefficaces) par rapport à la capacité des instruments de persuasion à être
contraignants (pensons à la propagande par exemple). Les mêmes arguments peuvent être
développés quant à la « contrainte » engendrée par les instruments d’infrastructure et les
instruments économiques (contrainte qui peut être extrêmement élevée dans le cadre des
infrastructures et extrêmement faible dans le cas d’une taxe dont le montant serait insignifiant
ou prohibitif).
72
Tableau 12 : Les instruments selon Salamon
Régulation
(Regulation (Regulatory activities) : Régulation sociale (Social regulation
specification of rules and the enforcement of adherence of (Prohibition / Rule))
them)
Assurance
Assurance (Insurance)
(Insurance)
Bonification d’intérêts
(Interest subsidies)
Contrat
(Contracting)
Autres (Numerous others)
Responsabilité
(Liability law (tort law))
Salamon, en compagnie de Lund cette fois (Salamon et Lund, 1989), relevant au passage que
les définitions des instruments sont le plus souvent vagues et imprécises, identifie également
d’autres typologies d’instrument pouvant compter jusqu’à 16 instruments (cf. Annexe 9, voir
également Tableau 15, chapitre 3, point 3.1.2 ci-après). Et, dans leur souci d’analyser les
instruments sous plusieurs dimensions et de passer de listes d’instrument à une typologie
analytique, les auteurs définissent néanmoins quelques caractéristiques cruciales des
instruments : a) la nature de l’activité étatique (du stimulus) pour obtenir le résultat souhaité,
b) la nature du mécanisme institutionnel, c) le degré de centralisation et d) le degré
d’automaticité.
73
Chacune de ces caractéristiques peut être considérée comme pouvant représenter le fondement
d’une typologie d’instrument.
Ainsi, concernant la nature de l’activité étatique, les auteurs identifient treize types d’activités
principales gouvernementales (cf. Annexe 10) qu’ils regroupent toutefois, avec plus ou moins
de difficultés, en quatre catégories principales : payements en argent (outright money
payements), fourniture de biens et services (provision of goods or services), protections
légales (legal protections or garantiees) et prohibition ou restriction/pénalités (prohibition or
restriction/penalties).
Concernant le degré de centralisation, qui dépend, dans une certaine mesure, de la nature du
mécanisme institutionnel, les instruments peuvent être analysés en fonction du degré de
centralisation du contrôle/de la décision. Ainsi pour chaque mécanisme institutionnel, qu’il
soit direct ou indirect, il existe des degrés différents de centralisation.
Dans un ouvrage plus récent, Salamon (2002) souligne à nouveau que les instruments sont des
phénomènes à plusieurs facettes qui peuvent être classés en fonction de chacune d’entres
elles. Ainsi, définissant au préalable les principaux éléments constitutifs des instruments – à
savoir le type de bien (good) ou d’activité (activity), le support d’attribution (delivery
vehicule), le système organisationnel d’attribution (delivery system, set of organization) et
l’ensemble des règles formelles ou informelles (set of rules, formal or informal) qui
définissent les relations entre les acteurs impliqués dans le système organisationnel
d’attribution – l’auteur organise une classification des instruments les plus communément
utilisés en fonction de ces différentes facettes (cf. Annexe 11), ce qui permet de les comparer
entre eux. Dans cette perspective, l’auteur définit treize types d’instruments : l’action
gouvernementale directe (Direct government), la régulation sociale (Social regulation), la
87
Un exercice assez semblable est entrepris par Linder et Peters (1989, voir ci-après).
74
régulation économique (Economic regulation), la contractualisation (Contracting), le
subventionnement (Grant), les prêts directs (Direct loan), les garanties de prêt (Loan
guarantee), les assurances (Insurance), les rabais d’impôt (Tax expenditure), les
redevances/charges (Fees, charges), la responsabilité civile (Liability law), la décentralisation
(Government corporations) et les bons de valeurs (Vouchers).
Enfin, et pour clore notre tour d’horizon, non exhaustif, des typologies d’instruments, nous
soulignerons que Linder et Peters (Linder et Peters, 1989 ; voir également Howlett, 1991 et
Pal, 1992) se basent sur une analyse des classifications trouvées dans la littérature88 pour en
tirer une synthèse par un processus d’élimination des répétitions.
Ainsi, par « décantation », les auteurs tirent une liste de vingt-trois instruments dits
« représentatifs » de la littérature, pour aboutir en fin de cours, par un exercice de
regroupement, à sept types de classes générales (cf. Figure 2 ci-dessous) qui rassemblent,
pour assurer un certain équilibre et une certaine représentativité entre les classes, trois
instruments par classe89.
Par ailleurs, et suivant une même méthodologie que pour les instruments, notons que les
auteurs (Linder et Peters, 1989, notamment cité par Howlett, 1991) définissent également huit
88
Pour donner quelques exemples : celles de Lowi (1972) de Hood (1984), de Dahl et Lindblom (1987) et de
Doern et Phidd (1983).
89
A l’exception des deux plus grandes classes (réglementation et subventions) qui en comptent quatre.
75
critères – sous la forme de continuum – qui permettent d’analyser ces instruments et qui, de
manière ultime, se décantent en quatre attributs basics que les gouvernements considèrent
lorsqu’ils opèrent leur choix (cf. Figure 3 ci-dessous).
1) Intensité des ressources (Ressources intensiveness), incluant notamment les coûts administratifs et la
simplicité opérationnelle (faisabilité politique interne)
2) Optimisation (Targeting), incluant notamment précision et sélectivité (faisabilité technique)
3) Risque politique (Political risk), incluant notamment la nature de l’adhésion/opposition, ainsi que la visibilité
publique (faisabilité politique externe)
4) Contrainte (Constraint), incluant notamment la coercition et les principes idéologiques qui limitent l’activité
gouvernementale (acceptabilité idéologique selon des croyances fondamentales)
Source : adapté de Linder et Peters (1989) et Howlett (1991)
Nous pouvons également déplorer ici le fait que les auteurs ne font pas plus de liens explicites
entre les huit critères et les quatre attributs qu’ils définissent.
Notons d’ores et déjà que la science économique nous offre quant à elle deux types de
typologies principalement focalisées sur les instruments économiques de protection de
l’environnement. Une approche plutôt théorique, celle de l’économie de l’environnement (et
du développement durable), s’intéresse ainsi aux familles d’instruments sous l’angle de leur
efficacité économique en s’efforçant de démontrer que certains d’entre eux sont plus efficient
que d’autres90, nous y reviendrons. De l’autre côté, certains auteurs et acteurs institutionnels,
confrontés à une réalité de terrain, dressent des classifications de manière plus pragmatique en
répartissant souvent les instruments en catégories, puis sous catégories. Ces classifications
comprennent parfois plus d’une cinquantaine d’instruments91.
90
Biensûr les économistes utilisent aussi d’autres critères pour analyser les instruments des politiques
environnementales (voire par exemple Stavins (2000, 2004) ou Baranzini, Goldemberg et Speck (2000)).
91
Voir par exemple Kirschen et al. (1964).
76
Concernant le droit, nous privilégierons une approche que nous avons déjà qualifiée « d’aux
frontières du droit, de la régulation et des politiques publiques », approche que nous pourrions
rebaptiser ici de « sociologie du droit » et qui met l’accent sur les modes de régulation sociale
dans un contexte conceptuel marqué par la théorie des systèmes92.
Nous ferons ici la distinction entre les classifications issues de la littérature institutionnelle
telle que celle l’OCDE de celles établies dans le cadre de l’analyse économique des
défaillances du marché (économie de l’environnement et ou socio-économie du
développement durable) ou par certains économistes sur la base de critères spécifiques. En
effet, les premières consistent en de longue liste de classification d’instruments « concrets »
alors que les secondes dressent des familles plus ou moins « abstraites ».
77
Les instruments réglementaires ou contrôles directs (command and control) sont les
principaux moyens utilisés par l’Etat pour protéger l’environnement. Ils sont utilisés de
manière réactive pour faire face à des « crises » environnementales qu’il s’agit de combattre
dans l’urgence de la situation. Ils « sont le résultat d’une approche normative et juridique de la
politique de l’environnement » (Bürgenmeier, 2005, p. 94) qui s’oppose à une régulation qui
serait « en phase » avec la logique du marché. Godard (2005), par exemple, remarque que ces
instruments sont (ou devraient être) mis en œuvre dans des situations caractérisées par des
enjeux de santé publique ou de sécurité (par exemple nucléaire) ou des effets de seuil.
Au sein de cette famille, nous trouvons notamment les normes d’émissions (valeurs limites),
les normes techniques d’exploitation ou de qualité96, les outils de planification
d’aménagement du territoire ainsi que les réglementations de la production et du traitement
telles que par exemple les obligations (de recyclage, d’incinération, etc.) ou les interdictions
(d’utilisation, de manipulation, etc.). Ces mesures se réfèrent pour la plupart « au pouvoir
discrétionnaire de l’Etat souverain » (Bürgenmeier, 2005, p. 96) qui tente d’obtenir par la
coercition un changement comportemental, suivant ainsi une logique juridique de type norme
mesure de police sanction.
Les instruments incitatifs (ou économiques) sont la deuxième grande famille issue de la
littérature économique du bien-être. A l’opposé des contrôles directs, ces instruments sont
réputés être conformes à la logique du marché dans la mesure où ils ne rentrent pas en
contradiction avec les fondements théoriques du libéralisme économique, le choix des
comportements étant de facto laissé à la seule discrétion de l’individu, l’Etat ne faisant
qu’inciter ceux-ci à suivre une voie plutôt qu’une autre.
Parmi ces instruments économiques, nous trouvons principalement les systèmes de taxation et
de subventionnement (approche par les prix) et les systèmes d’échange de certificats (ou
marché de droits à polluer) (approche par les quantités). Cette dernière approche est favorisée
aux Etats-Unis alors que l’Europe favorise quant à elle les taxes97 qui selon Bürgenmeier
(2005) « forment le groupe d’instruments incitatifs le plus important » (p. 101) sur le vieux
continent.
Comme le lecteur l’aura sans doute compris, l’analyse économique fonde son analyse sur les
deux premières catégories en s’attachant à démontrer la supériorité théorique en termes
d’efficience des instruments incitatifs sur les instruments réglementaires. Nous n’entrerons
pas en détail sur cette démonstration mais, tout en renvoyons le lecteur à l’Annexe 21 pour le
détail chiffré de la démonstration99, nous soulignerons ici uniquement que celle-ci consiste à
96
Issues d’un raisonnement combiné d’ingénieurs et de juristes, ces normes sont le plus souvent associées au
principe de la meilleure technique disponible et sont souvent négociées.
97
Taxes pigouviennes et/ou incitatives.
98
Sur la catégorie « accords volontaires », voir par exemple la définition que donnent Thalmann et Baranzini
(2004) des approches dites volontaires dans le contexte des politiques de protection du climat.
99
Voir par exemple également Perret (2005).
78
comparer sous l’angle de l’efficacité l’introduction d’une norme uniforme (pour la catégorie
command and control) à une taxe et à un système de permis négociables (pour la catégorie
instruments économiques), « toutes choses étant égales par ailleurs »100. Cette démonstration
n’étant que purement théorique, les économistes ont donc également développé des arguments
soulignant les avantages et les inconvénients pratiques des différentes catégories
d’instruments (voir par exemple Bürgenmeier, 2005).
Parfois, la catégorie générale des « instruments économiques » est également discutée et mise
en perspective au regard de la catégorie des « instruments réglementaires » – voir par exemple
Barde (1994) ou OCDE/AIE (2002), cette institution classant quant à elle les instruments en
six catégories : les instruments fiscaux (taxes, subventions, etc.), les permis négociables, les
100
Nous voulons ici insister sur le fait que cette démonstration est plutôt théorique et qu’elle est donc conçue
« en dehors » de toute « variabilité » qui caractérise les instruments une fois mise en œuvre de manière contrête
sur le terrain.
101
Les taxes sont définies comme des contributions obligatoires au budget de l’Etat sans contrepartie (les
prestations étatiques ainsi financées ne sont normalement pas proportionnelles aux contributions), alors que les
redevances correspondent aux paiements obligatoires avec contrepartie, c'est-à-dire avec un service fourni en
retour par l’Etat, généralement de manière proportionnelle aux contributions (Barde, 1997).
79
instruments de régulation, les accords volontaires, la recherche, développement et
démonstration (RD&D) et les instruments de processus politique (conseils, consultation,
information, etc.) – notamment pour souligner les différences, en termes d’avantages et
d’inconvénients, ainsi que de mixte instrumental102, des deux conceptions des politiques de
protection de l’environnement que sont, d’une part la stratégie traditionnelle régalienne, bien
implantée et répandue qui s’appuie sur les réglementations administratives de type command
and control (telles que les permis, les normes, les interdictions, etc.) et, d’autre part, la
stratégie plus récente des mécanismes conformes à la logique du marché, fondée sur la théorie
néo-classique des externalités (taxes, redevances et permis négociables).
Pour en revenir aux différents types d’instruments économiques, notons que selon Kaufmann-
Hayoz et al. (2001), l’une des typologies les plus détaillées est celle de Stavins (2000) qui
définit également quatre catégories d’instruments :
• les systèmes de permis négociables (tradable permit systems) : système des crédits et
système des licences ;
Mais la typologie qui est sans doute la plus souvent citée est celles des économistes hollandais
Kirschen, Bernard, Besters, Blackaby, Eckstein, Faaland, Hartog, Morrisens, et Tosco
(Kirschen et al., 1964), qui différencie soixante-trois instruments (cf. Tableau 14 ci-après).
Pour Howlett (1991), elle représente probablement l’effort le plus exhaustif pour identifier et
catégoriser les instruments dans le domaine de la politique économique et constitue, dans tous
les cas, la première tentative de production d’un inventaire d’instruments103 (Howlett et
Ramesh, 1995, Linder et Peters, 1989).
Pour Vedung (1998), elle est la liste la plus détaillée qu’il ait trouvée dans la littérature.
Cependant, elle a pour corollaire le défaut majeur de ne pas être structurée et organisée.
Ainsi, Howlett et Ramesch (1995) font remarquer qu’aucun effort systématique n’a été
entrepris pour classifier ces soixante-trois instruments ou pour les analyser en fonction de leur
origine ou de leurs effets.
102
Barde (1994) note ainsi que « les instruments économiques ne sont jamais appliqués isolément et la réalité
nous montre l’existence de systèmes mixtes où instruments économiques et réglementations sont employés non
pas concurremment mais de façon complémentaire. » (p. 53).
103
Dans les termes de Linder et Peters (1989), la liste d’instruments dressée par Kirschen et ses collègues
représente plus un exercice d’énumération qu’une tentative de dresser une typologie.
80
Tableau 14 : La typologie de Kirschen et al. – tentative de classification
Source : adapté de Howlett (1991) et Vedung (1998) faisant référence à Kirschen et al. (1964) pour partie de
gauche et de Vedung (1998) et Howlett (1991) pour partie de droite
81
Comme nous l’avons déjà expliqué, l’approche de Kirschen et al. est de type « maximaliste ».
Elle consiste à dresser de longue liste d’instruments issus de la pratique des politiques
environnementales. D’autres inventaires d’instruments gouvernementaux, certes moins
fouillés, ont également été entrepris. Nous vous en donnons ci-après quelques exemples (cf.
Tableau 15 ci-dessous).
Enfin et pour conclure ce passage sur les listes institutionnelles, notons que le GIEC (2007c,
2008), le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat104, observe
également dans ses rapports de 2007 sur l’atténuation des changements climatiques que les
gouvernements ont la possibilité de mettre en œuvre un large éventail d’instruments politiques
qui possèdent chacun leurs avantages et leurs inconvénients. Ces instruments y sont classés
parmi les catégories suivantes : les règlements et normes, les taxes et redevances, les permis
négociables, les incitations financières (subventions et crédits d’impôts), les accords
volontaires, les outils d’information (notamment les campagnes de sensibilisation) et les
travaux de recherche, développement et démonstration (RD&D).
104
Un panel d’experts qui synthétise l’ensemble des recherches de nature scientifique sur le climat au niveau
mondial (voir 3e partie, chapitre 11, point 11.4).
82
3.1.3 Quelques typologies basées sur des critères concrets
Jeanrenaud (1997, notamment cité en référence par Kaufmann-Hayoz et al., 2001),
distinguent trois approches que l’Etat peut utiliser pour répondre à une défaillance du marché
dans le domaine de la protection de l’environnement : l’intervention directe, la modification
des comportements et le « laisser-faire ».
Ces trois approches soulignent les différents rôles (le critère de classification) que peut
endosser l’Etat dans le but de résoudre les problèmes qu’il se doit de solutionner. Sur cette
base, l’auteur établit une typologie des stratégies d’intervention et des instruments. (cf.
Tableau 16 ci-après).
Réglementation directe
(command et control)
Standards, permis, interdictions, zonages, etc.
Différents auteurs construisent également des typologies sur la base de critères spécifiques
mais en se limitant aux seuls instruments économiques. C’est le cas d’un auteur comme
Lohman (1994, cité en référence par Kaufmann-Hayoz et al., 2001) qui distingue les
instruments en fonction de leur « implication comportementale » en déclinant les instruments
sous trois formes :
• les instruments financiers qui sont introduits dans le seul but de financer des tâches ou
activités de protection de l’environnement ;
105
Qu’il définit comme étant caractérisés par a) le fait qu’ils incitent les pollueurs à prendre en compte dans leur
choix les dommages dont ils sont responsables, b) le fait qu’ils influencent les comportements des pollueurs par
l’incitation plutôt que par la contrainte, c) le fait qu’ils informent les pollueurs du « vrai » coût de l’utilisation
des ressources naturelles (directement par des charges ou indirectement par le marché) et d) le fait qu’ils laissent
les pollueurs libres de choisir les moyens pour réduire leurs pollutions.
83
• les incitations économiques qui induisent, quant à elles, un effet incitatif sur les
comportements ;
• les instruments financiers « mixtes » qui ont pour effet secondaire de produire
également des incitations comportementales.
Instruments Information et
Régulations directes Régulations incitatives
Caractéristiques éducation
C’est également le cas de Turner et Oschor (1994, cité en référence par Kaufmann-Hayoz et
al., 2001) qui distinguent les instruments au regard du type d’influence qu’ils ont sur le
marché, en différenciant :
• les instruments qui modifient directement les prix relatifs : taxes sur la production et
les procédés, système de dépôts ;
• les instruments qui consistent à créer des marchés : échange de droits d’émission et
mise aux enchères de quotas ;
Passablement d’auteurs qui dressent des typologies d’instruments politique commettent selon
nous l’erreur de confondre instruments juridiques et instruments des politiques publiques dans
la mesure où ils nous soumettent une catégorie « instruments législatifs/légaux/juridiques » –
dont la caractéristique principale serait la contrainte – aux côtés des autres catégories106.
106
Soit les instruments économiques, les instruments d’information, etc.
84
Cela s’explique selon nous principalement par le fait qu’ils attribuent à cette catégorie, par
opposition aux autres catégories, une caractéristique qui semble la définir : la
contrainte/coercition et qu’ils utilisent ainsi, bien souvent, les catégories instruments
contraignants et instruments légaux comme des synonymes.
Ceci peut s’expliquer dans la mesure où l’Etat possède le monopole de la contrainte légitime
et qu’au début du XIXe siècle, le droit était synonyme de contrainte. Le raccourci est donc vite
établi entre instruments légaux et instruments contraignants. Néanmoins, cette simplification
néglige trois points importants qu’il nous faut d’ores et déjà relever :
• contrainte et coercition sont deux notions qu’il ne faut pas confondre, la contrainte
n’étant pas l’apanage unique des instruments coercitifs dans la mesure où d’autres
types instruments peuvent se révéler très contraignants également108.
En conséquence, les instruments légaux – les lois de manière générale – ne peuvent être
considérés comme un type d’instrument politique dans la mesure où tous les instruments
doivent s’appuyer sur une base légale dans un Etat démocratique.
107
Les instruments économiques (taxes, subventions, etc.), les instruments d’information (par exemple une
campagne d’information) ou d’autres types d’instruments trouvent en effet leur ancrage (certes de manière
différente) dans la loi, au même titre que les instruments coercitifs (interdiction, obligation, etc.) qui nécessitent
néanmoins une assise légale plus solide, soit si l’on peut dire proportionnelle aux restrictions de liberté qu’ils
induisent ! Notons également que les instruments qui impliquent des conséquences fiscales pour les citoyens
(taxes, impôts, …) nécessitent également une base légale solide.
108
Nous reviendrons sur ce point dans le cadre de la 2e partie de notre recherche (voir 2e partie, chapitre 7, point
7.2.2), cependant notons déjà que nous définissons la contrainte du point de vue de l’acteur cible : l’acteur est
contraint lorsque l’instrument utilisé diminue drastiquement ses options comportementales (la contrainte
maximale étant atteinte lorsqu’on ne lui laisse qu’une seule et unique option). La coercition (légitime) quant à
elle se définit par la capacité de l’Etat à utiliser la force (en dernier recours) afin de contraindre les acteurs ciblés
par l’intervention. En ce sens l’Etat peut utiliser d’autres manières de contraindre les acteurs cibles que la seule
coercition. La coercition est de fait contraignante mais l’inverse n’est pas vrai.
109
Dans le domaine de la science de la jurisprudence, l’action de l’Etat dans le domaine de l’information et des
recommandations – définie comme étant une zone grise dans le système du droit du fait de son positionnement
ambigu au regard du principe de légalité – a récemment été classée sous la catégorie « action administrative
informelle [‘’informal administrative actions’’] » (Kaufmann-Hayoz et al., 2001, p. 95).
110
Outre cette base juridique requise, les instruments de communication et de diffusion devraient, à l’image de
tous les instruments, être mis en œuvre sous réserve du respect de certains grands principes du droit tels que le
respect des droits fondamentaux, l’égalité de traitement et l’interdiction de l’arbitraire.
85
toujours très clairement établi, nous vous l’accordons, induisant un problème sur la plan de la
sécurité juridique.
Par conséquent, avant d’aborder la question des typologies d’instruments politiques issues du
droit, un bref rappel sur les types d’instruments juridiques (à ne donc pas confondre avec les
instruments contraignants) s’impose. Nous prendrons à titre d’exemple concret le cas des
instruments juridiques en Suisse.
1. les actes normatifs (ou normes de droit) (statutes) qui vont des normes générales et
abstraites de plus haut niveau hiérarchique comme la constitution (définition de la loi)
aux différents actes d’ordre inférieur tels que les ordonnances d’application, en
passant par les lois ;
2. les décrets et décisions (orders, directions, acts decreed) qui, sur la base des normes
générales et abstraites, définissent les droits et obligations individuels d’un individu
dans une situation particulière ; ils induisent notamment des charges (détermination de
l’impôt) ou des faveurs (permis de construire, etc.) ;
3. des formes transitoires entre lois et décrets tels que les plans d’aménagement du
territoire qui définissent les options d’utilisation et d’occupation du sol dans des zones
particulières ou des décrets généraux tels que l’interdiction de conduire dans une rue
piétonne ;
4. les contrats qui, similairement aux décrets, déterminent des droits et des obligations
pour des acteurs privés mais qui, contrairement aux décrets, ne sont pas le résultat
d’une imposition unilatérale souveraine mais issus d’un processus horizontal sur la
base de l’action volontaire ;
111
Pour illustrer ce point dans le domaine de la politique climatique suisse, nous pouvons nous référer à l’avis
des experts de la commission de la concurrence sur le centime climatique (ComCo, 2004) qui considèrent que ce
prélèvement faits par le secteur privé sur l’essence peut être considéré comme une restriction considérable à la
concurrence. Par ailleurs, dans le cadre de la procédure de consultation (DETEC 2005) relatives aux quatre
variantes de mesures requises pour atteindre les objectifs de réduction des émissions fixés dans la loi sur le CO2
les partis politiques en faveur de la taxe CO2 définissent le centime climatique comme un impôt dénué de base
légale, notamment en se référant à l’avis de la Commission de la concurrence précité.
86
5. l’action administrative de facto (de facto administrative action) qui ne défini ni des
droits ni des obligations mais fournit des services (par exemple peuvent relever de la
responsabilité/compétence de l’Etat l’approvisionnement en eau et en énergie, tout
comme le traitement des eaux usées ou l’éducation) ; la privatisation peut également
faire partie de cette catégorie.
En Suisse, nous trouvons plus particulièrement les types d’actes normatifs suivants (Auer,
Malinverni et Hottelier, 2000) : a) la Constitution, norme suprême de l’Etat, b) les lois et
arrêtés et c) les ordonnances. Ces différents types d’actes peuvent se distinguer de manière
hiérarchique sur le plan formel, c’est-à-dire en fonction de la procédure et de l’organe
d’adoption qui consacrent leur niveau de légitimité démocratique112 (cf. Figure 4 et Encadré 5
ci-dessous pour plus de précisions en ce qui concerne le droit Suisse). A ces actes normatifs,
nous pouvons ajouter d) les décisions, e) les contrats et f) la privatisation (réglementée par le
droit civil).
112
La hiérarchie (liens de subordination) des actes normatifs est ainsi fondée sur leur degré de légitimité
démocratique.
87
3.2.2 Confusion entre instruments légaux et instruments politiques
Dans leur ouvrage, Kaufmann-Hayoz et al. (2001) établissent (avec un peu de peine toutefois)
un lien direct entre leurs cinq catégories d’instruments politiques et les cinq types
d’instruments juridiques que sont : 1) les lois/règlements, 2) les décrets/décisions, 3) les
formes transitoires, 4) les contrats et 5) l’action administrative de facto (cf. Tableau 18 ci-
dessous).
Services et infrastructures -
Instruments de communication Assimilables à 4 tant que les droits et obligations sont des éléments
et de diffusion contractuels, sinon assimilables à 5
Comme nous l’avons déjà relevé, cette équivalence entre instruments contraignants (les
contrôles directs) et instruments législatifs (lois/règlements) n’est pas pertinente de notre point
de vue et porte même à confusion. En effet, tant les instruments de services et d’infrastructure
que les accords volontaires ou que les instruments de communication et de diffusion trouvent
leurs fondements dans la loi.
Cette confusion malheureuse se retrouve également chez des auteurs comme Lascoumes et Le
Galès (2004) qui relèvent par ailleurs que « toute analyse des instruments a du mal à échapper
à la tentation de s’achever sur une typologie » (p. 359). S’inspirant de la typologie de Hood
(1986), qui selon eux, constitue la référence des études contemporaines sur les instruments,
les auteurs proposent de distinguer cinq grands modèles d’instruments113 (cf. Tableau 19 ci-
après).
113
La typologie de Lascoumes et Le Galès (2004) s’appuie sur celle de Hood qui, rappelons-le, se fondait sur les
ressources mobilisées par les autorités publiques, à savoir nodality, authority, pressure, institution. Ils l’on
reformulée et complétée en tenant compte des types de rapport politique organisés par les instruments et des
types de légitimité qu’ils supposent.
88
Tableau 19 : La typologie de Lascoumes et Le Galès
Mixte : scientifico-technique et
Ajustements au sein de la société
Normes et standards démocratiquement négociée et/ou
civile
Best practices concurrence, pression des mécanismes
Mécanismes de concurrence
de marché
Dans les termes de ces auteurs, les instruments législatifs et réglementaires représentent
l’archétype de l’interventionnisme étatique. Néanmoins, soulignent-ils tout de même par la
suite, les instruments économiques et fiscaux nécessitent une élaboration légale identique aux
instruments législatifs et réglementaires dans la mesure où, représentant des techniques et des
outils monétaires, ils impliquent une légitimité particulière. Nous pouvons également pour
notre part ajouter que les trois dernières catégories d’instruments qu’ils proposent nécessitent
également une base légale, même si ces dernières114, comme le soulignent Lascoumes et Le
Galès, ont en commun de proposer des formes de régulation moins dirigistes qui intègrent les
critiques formulées à l’égard des instruments de type « command and control ». Cette
nouvelle organisation (différente) des rapports politiques, basée sur la communication et la
concertation, renouvelle ainsi les fondements de la légitimité :
Aujourd’hui, « gouverner par contrat » est devenu une injonction générale comme si le
recours à de tels instruments constituait a priori le choix d’une démarche juste et validée.
En fait, cette justification s’effectue sur un double registre. Tout d’abord, la
généralisation de ce mode d’intervention s’est faite dans un contexte de forte critique de
la bureaucratie, de sa lourdeur, de son caractère abstrait et déresponsabilisant. Ensuite, la
critique portait sur la rigidité des règles législatives et réglementaires et sur les impasses
de leur universalité. Dans des sociétés en mobilité croissante et animées par des secteurs
et sous-secteurs en quête d’autonomie normative constante, seuls des instruments
participatifs étaient censés pouvoir fournir des modes de régulation adéquats. Le cadre
conventionnel et les formes incitatives qui y sont liées présupposent un Etat en retrait de
ses fonctions traditionnelles, renonçant à son pouvoir de contrainte et s’engageant dans
des modes d’échange d’apparence contractuelle. Apparence, parce que les questions
centrales d’autonomie des volontés, de réciprocité des prestations et de sanction du non-
respect des engagements sont rarement prises en compte. L’Etat dirigiste est dès lors
censé faire place à un Etat animateur ou coordinateur, non-interventionniste et menant
principalement des actions de mobilisation, d’intégration et de mise en cohérence. Les
travaux réalisés depuis en ce domaine s’accordent pour considérer que la légitimité
principale de ce type d’instrument provient davantage de l’image moderniste et surtout
114
Souvent qualifiés de « nouveaux » instruments.
89
libérale de l’action publique dont il est porteur que de leur efficacité réelle qui est
d’ailleurs rarement évaluée [Gaudin, 1999]. (pp. 362-363)
Encore une fois, mais sans remettre en question l’analyse pertinente que font les auteurs des
nouveaux types d’instruments, une confusion entre instruments législatifs et instruments
contraignants (command and control) est donc faite. Mais ce ne sont de loin pas les seuls
auteurs à la commettre, remémorons-nous par exemple les typologies de Hood (1983/1990),
Van der Doelen (1989), De Bruijn et Hufen (1998) et Vedung (1998). Nous verrons par la
suite que Gardner et Stern (1996) font également ce lien direct improbable.
Dans son ouvrage de synthèse, Le droit néo-moderne des politiques publiques, Morand
(1999), analyse l’évolution du droit, notamment au regard des modalités d’intervention
étatique. L’auteur distingue ainsi cinq types d’Etat – qu’il considère comme des idéaltypes au
sens wébérien du terme – auxquels il rattache une forme particulière de droit et des modalités
d’action différente115.
D’une manière synthétique, nous pouvons dresser le tableau suivant des formes d’Etat, de
droit et de modalité d’action (cf. Tableau 20 ci-après). Notons cependant que si les types
d’Etat et les formes de droit sont explicitement énoncés par l’auteur, la colonne « modalité
d’intervention » incombe, dans une certaine mesure, à un travail d’interprétation de notre
part116. Vous ne trouverez par exemple pas les termes de mesures propulsives ou mesures
réflexives sous la plume de l’auteur. Néanmoins, nous avons pris le soin de faire correspondre
ces catégories à différents exemples concrets de mesures que donne plus ou moins
explicitement l’auteur.
Ces différentes formes d’Etat et de droits (auxquels nous avons rattaché différents types de
modalités d’intervention) constituent selon nous une tentative intéressante pour dresser une
typologie des instruments politiques dans la mesure où elles sont particulièrement révélatrices
des différentes manières que l’Etat peut mettre en œuvre pour orienter les comportements des
acteurs socio-économiques – notamment dans une perspective orientée acteurs – parmi
lesquels nous trouvons notamment la contrainte117, la fiscalité, l’information et les
infrastructures.
Aussi allons-nous nous attarder quelques instants sur la typologie des Etats du Professeur
Morand. Ce petit intermède nous permettra donc d’exposer une vision de l’action de l’Etat qui
a été une source d’inspiration non négligeable dans le déclenchement de notre réflexion sur la
nature des types d’instruments des politiques publiques.
115
Nous reviendrons sur les développements de l’auteur quant à l’évolution historique de ces types d’Etat et de
modalité d’action dans le chapitre 4.1.2. Pour l’instant nous nous contenterons d’énumérer les différents types
d’Etat et de modalité d’action sans développer cette perspective historique.
116
Notamment concernant le lien direct entre types d’Etat/formes de droit et modalités d’intervention.
117
Que nous remplacerons quant à nous par la notion de coercition dans le cadre de notre typologie.
90
Tableau 20 : Formes d’Etat, formes de droit et modalités d’intervention étatique
91
A) Le droit moderne de l’Etat libéral
Selon Morand (1999), nous pouvons qualifier de moderne un droit fondé sur une légitimité
légale rationnelle et qui repose sur les deux piliers que sont l’Etat de droit et l’Etat
démocratique :
• le principe mécanique de l’Etat de droit118, qui veut que l’action étatique soit conçue
en vertu et conformément au droit, en constitue le premier fondement de légitimation ;
• le principe de l’Etat démocratique, qui consiste à légitimer les règles par leur vertu
démocratique et à en assurer la meilleure légitimité qui soit, en constitue le second
Ce dernier principe « sert [ainsi] à clôturer le système de légitimation établi par le modèle
mécanique d’application du droit » (p. 27).
Le droit moderne se révèle donc être autonome et fondé sur des normes générales, abstraites
et légitimes. En d’autres termes, il réalise :
la synthèse entre la conception du droit de l’Etat de police (Polizeistaat) qui voit dans le
droit un commandement, une force irrésistible et la conception de l’Etat de droit
démocratique qui rend ce commandement acceptable, parce que fondé sur des règles
générales et acceptées, du fait qu’elles émanent du peuple (démocratie directe) ou
d’autorités élues par lui (démocratie représentative). (p. 28)
Cette synthèse n’est d’ailleurs pas sans rappeler la conception wébérienne de l’Etat qui est
définie par Weber (1956/1995) comme l’organisation institutionnelle, le groupement
politique, qui revendique avec succès le monopole de la contrainte légitime.
Ainsi, conformément à la conception libérale de l’Etat, l’action étatique doit être fondée sur
une norme générale et abstraite dans le but de garantir la liberté de l’individu contre
l’arbitraire119 (Morand, 1999). Elle s’appuie sur un droit qui s’applique à tous et d’une
manière identique ou, comme le veut la formule, « à un nombre illimité d’individus et pour un
nombre illimité de cas ».
Le droit moderne est donc général, abstrait et prévisible. Mais, comme nous l’avons déjà
entrevu, il est également de nature contraignante. Et c’est là, remarque Morand, l’héritage le
plus important de l’Etat de police120.
118
Qui repose sur une conception libérale de l’exercice du pouvoir.
119
Nous pouvons dire du droit moderne qu’il est paré d’un voile d’indifférence ou plutôt d’ignorance, pour
reprendre la terminologie rawlsienne.
120
Comme le relève si bien Morand (1999), cette conception du droit contraignant, sanctionné par la force, de
cet Etat autoritaire, en possession d’une puissance de coercition irrésistible, fut largement soutenue par de
multiples auteurs dont Benjamin Constant, selon lequel l’Etat devait être fort et tout-puissant dans sa
sphère « pour assurer la paix civile et la jouissance paisible des biens » (p. 38), Saint Thomas d’Aquin, qui
définissait le droit par « la règle et le pouvoir coercitif de celle-ci » (p. 38), Hobbes, pour qui métaphoriquement
« covenants without swords are but words » (Hobbes, cité par Morand, 1999, p. 38), Bentham, selon lequel « la
loi est synonyme de coercition » (p. 38), Austin, qui identifie le droit au commandement et qui caractérise celui-
ci « par le fait que celui qui commande est prêt à infliger un mal ou une peine à celui qui désobéit » (p. 39),
Jehring, qui décrivait la force du droit en ces termes aux accents lyriques : « une règle de droit dépourvue de
contrainte juridique est un non-sens : c’est un feu qui ne brûle pas, un flambeau qui n’éclaire pas » (Jehring,
1901, cité par Morand, 1999, p. 39), Kelsen, qui « a beaucoup contribué à identifier le droit à la sanction et celle-
ci à la contrainte » (p. 39) et Weber, comme nous l’avons déjà remarqué.
92
Aussi, si nous devions résumer en quelques points la conception de l’Etat libéral, nous
dirions :
• et qu’il agit d'une manière autoritaire et unilatérale sur la base d'un droit public
contraignant s'appuyant sur la sanction.
ou, pour faire plus simplement et en reprenant les termes de l’auteur, que sa « toute puissance
[…] s'exprime par un droit fort, sanctionné et coercitif » (p. 38).
B) L'Etat providence
Le terme d’Etat providence est ici employé pour « désigner, soit de manière étroite, le passage
vers une gestion assurantielle des problèmes sociaux, soit de manière beaucoup plus large
pour caractériser la délivrance par les pouvoirs publics de prestations sociales ou autres »
(Morand, 1999, p. 55). Il est considéré par l’auteur comme le contrepoids naturel au
développement du libéralisme sociétal :
La croissance de l’Etat providence qui paraissait à peu près infinie jusqu’à un temps
récent, doit énormément au dynamisme social enclenché par le libéralisme. C’est grâce
aux gains de productivité provenant de l’activité libérée des entraves corporatistes que
l’Etat a été capable de développer la solidarité et de corriger les inégalités de faits
engendrées par le marché. C’est aussi parce que l’Etat libéral a supprimé les formes
ordinaires de solidarité et qu’il a simplifié le social en laissant l’individu seul face à
l’Etat que l’Etat providence s’est révélé indispensable. La simplification des rapports
93
sociaux qu’opérait le libéralisme engendrait de manière presque mécanique la croissance
de l’Etat providence. (p. 56)
Aussi, selon Morand (1999), voit-on l’Etat providence fournir ou développer d’innombrables
prestations déjà mises en œuvre par le passé121 : réalisations d’infrastructures, développement
de l’instruction publique, développement de services publics dans des domaines tels que les
secours et, élément caractérisant l’Etat providence, le développement des assurances sociales
(maladie et accident).
Du point de vue du droit, ces différentes prestations ont été fondées sur des normes générales
légitimées démocratiquement et précisées dans des règles déterminant les droits aux
prestations et, corollaire nécessaire, le montant des prélèvements sociaux destinés à les
financer. Les activités de prestations sont ainsi indissociables de la fonction redistributive des
pouvoirs publics et donc de l’impôt.
121
L’auteur (Morand, 1999) fait ainsi remarquer que « les premiers linéaments de l’Etat providence apparaissent
dès la formation de l’Etat libéral. L’Etat providence constitue un simple approfondissement, ‘une extension de
l’Etat protecteur classique’. » (p.55)
122
Le concept d’Etat social « exprime de manière synthétique l’ensemble des normes et institutions sociales
reconnues dans un pays déterminé. Il est aussi un principe directeur de nature constitutionnelle [… et dans ce
sens constitue] une synthèse des normes constitutionnelles de caractère social […]. » (Morand, 1999, p. 57)
123
Notamment à la liberté de commerce et d’entreprise, ainsi qu’à la garantie de la propriété.
124
Droits constituant des mandats pour le législateur d’établir une réglementation sociale.
94
« démystification de la puissance de l’Etat » et du caractère autoritaire du droit.
(Morand, 1999, pp. 60-61)
Cette modification des rapports entre Etat et administrés, induite par le développement de
l’administration de prestations, s’est par exemple exprimée par le développement de
techniques de collaborations plus ou moins égalitaires entre Etat fournisseur de prestation et
usagers-clients telle que l’invention du contrat de droit administratif qui permet de négocier
les conditions d’octroi d’une concession de service public(Morand, 1999). Par la suite, le
nouvelle gestion publique développera également cette voie vers la privatisation des services
publics (gestion par mandats et enveloppe budgétaire contrats de prestation
privatisation) qui au-delà d’accentuer cette imbrication entre droit public et droit privé
s’agissant du rapport entre Etat et administrés, « consiste à insuffler l’esprit du droit privé à
tous les stades de la construction aboutissant à la fourniture de prestations » (p.62).
Enfin, l’Etat providence est selon Morand (1999) indissociable des mesures de prélèvement
obligatoire servant à la distribution de prestations (prélèvement avec contre partie) ou à
financer des services sans contrepartie financière (prélèvement sans contre partie), ainsi
qu’aux systèmes de subventions qui récompensent souvent des comportements conformes aux
objectifs d’une politique publique (via les conditions d’octroi des prestations). Notons que le
développement de l’évaluation des politiques publiques est également lié au développement
de l’administration de prestation qu’il faut dès lors évaluer au regard de son efficacité et de sa
pertinence.
C) L'Etat propulsif
L’Etat propulsif est celui des politiques publiques, de l’action volontariste et interventionniste
visant à agir sur des systèmes sociaux autonomes (notamment le système économique) afin
des les orienter conformément à un objectif d’intérêt public (lutte contre la pollution, contre le
chômage, etc.) (Morand, 1999). C’est dans les années cinquante que se situe le « tournant de
l’interventionnisme propulsif » (p. 71). A cette époque et sous l’influence des idées
keynésiennes, l’économie a cessé d’être comprise comme un donné pour être appréhendée
comme un construit. Avec ce tournant naquirent des politiques économiques, voire de grands
programmes de planification. Alors que ces derniers périclitèrent avec le développement des
idées néolibérales, les premières survécurent et prospérèrent, se développant également dans
d’autres domaines (politique environnementale, politique de la santé, etc.) pour couvrir plus
ou moins directement l’intégralité des activités humaines. La mise en place des ces politiques
publiques a, selon Morand, « entraîné une révision progressive mais fondamentales des modes
d’actions de l’Etat » (p. 71) qui se devaient non plus réglementer les systèmes sociaux, mais
les réguler.
L’Etat propulsif est donc caractérisé par l’adoption des programmes finalisés qui se doivent
de déployer des effets sur d’autres systèmes sociaux, désespérément clos, que le droit
contraignant et autoritaire ne peut pas réguler de manière efficace. Ils « peuvent constituer un
vaste ensemble de mesures juridiques et non juridiques mises au service de la réalisation
d’objectifs et prévues dans des documents politiques ou juridiques, établis le plus souvent par
le gouvernement ou l’administration, mais aussi parfois par le parlement » (p.75).
En d’autres termes, les programmes finalisés « cherchent à organiser l’action de l’Etat sur la
société. […] Ils constituent des régulations, c’est-à-dire des ensembles de processus
juridiques, économiques et sociaux qui visent, par l’interaction de règles, d’acteurs et de
95
structures, à provoquer dans la durée des effets sur la société ou une partie de celle-ci. »
(p.76).
Les politiques publiques finalisées sont composées d’objectifs, de moyens et d’un processus
d’évaluation des résultats (cf. Annexe 15)
• un droit totalitaire et inflationniste, néanmoins adouci par une forte dose de réflexivité
et d’autorégulation ;
• un droit qui trouve son fondement de validité non seulement dans la régularité de la
procédure régissant son adoption, mais aussi dans son aptitude à atteindre les objectifs
de la politique publique ;
• un droit qui donne au critère d’efficacité une importance certaine et qui met également
au premier plan un devoir de rationalisation de l’action finalisée qui ne peut dès lors se
passer des connaissances et techniques scientifiques, tout particulièrement celles des
sciences sociales, propres à éclairer la réalité qu’il s’agit de transformer ;
• un droit dont la production est rationalisée pour permettre la régulation sociale qui se
doit de reposer sur une connaissance précise de la réalité sociale (ce qui pose le
problème du rapport entre le politique et l’expert) ;
D) L'Etat réflexif
Comme nous l’avons déjà relevé, l’Etat réflexif est né de la difficulté éprouvée par l’Etat à
agir autoritairement sur des systèmes sociaux autonomes, de plus en plus complexes, et
96
résistant aux mesures étatiques de nature contraignante. D'ailleurs, comme le souligne
Morand (1999), « l'apparition […] des structures réflexives s'explique largement par la
complexification progressive de la société et par la capacité des systèmes sociaux autonomes
(autopoïétiques) à résister aux commandements étatiques » (p. 16).
En effet, tout comme les théoriciens de l'autopoïèse, Morand remarque que l’Etat s’est trouvé,
petit à petit, dans l’incapacité d'agir efficacement par la contrainte sur des sous-systèmes
désespérément clos : « une intervention autoritaire et directe sur des systèmes clos est aussi
inefficace que la politique des canonnières ou la politique des bâtons » (p. 127).
Aussi, face à une société qui se complexifie, l’Etat doit alors endosser un rôle de négociateur
et agir à travers des programmes relationnels qui engendrent un droit réflexif permettant à
l'Etat de combiner son pouvoir directionnel et son pouvoir de négociation :
Ils [les programmes relationnels] procèdent d'un double refus, celui du contrôle
autoritaire et direct de systèmes sociaux autonomes et celui de l'autonomie absolue de ces
systèmes […] conciliant autonomie et direction, ces programmes pourraient constituer la
formule magique, à savoir trouver la forme juridique qui laisserait intacte l'autonomie des
sous-systèmes sociaux, tout en les orientant dans une certaine direction, dans laquelle ils
pourraient respecter réciproquement leurs conditions de fonctionnement respectives. (p.
132)
Par conséquent, l’Etat réflexif est un Etat catalyseur, un Etat « qui tient compte des réactions
des destinataires de ses commandements ou qui cherche à s'adapter à la logique des systèmes
qu'il tente d'influencer. Il fait preuve […] d’empathie systémique. Il cherche à comprendre le
mode opératoire d’un autre système et à en tirer les conséquences pour ses opérations
internes » (p. 127).
Cette empathie systémique, relève Morand, peut être réalisée de deux manières. D’un côté,
l’Etat peut négocier avec les différents acteurs socio-économiques les solutions pour résoudre
les problèmes sociaux. De l’autre, il peut influencer ces acteurs par le biais des critères qui
motivent leurs actions. En d’autres termes, « l’Etat réflexif procède soit en réduisant par la
négociation ses capacités hétéronormatives théoriques, soit en respectant les facultés
d’autoorganisation des groupes qu’il cherche à diriger » (p. 128).
125
Selon Morand (1999), la Suisse constitue par excellence un Etat réflexif (Etat néo-corporatiste), les
institutions de démocratie directe rendant la concertation indispensable entre l’Etat et ses partenaires.
97
des systèmes devant être régulés, l’Etat, « au lieu d’intervenir de l’extérieur en cherchant à
imposer autoritairement des solutions, […] lorsqu’il recourt à des programmes relationnels,
tente de créer des structures intérieures réflexives au système qu’il tente d’orienter » (p. 132).
• les mécanismes de régulation « qui s’insèrent dans la logique des acteurs dont on
cherche à orienter les comportements » (p. 134) et qui opèrent, ainsi, un couplage avec
les systèmes dirigés : taxes d’orientation et système de permis négociables ;
E) L’Etat incitateur
Face à la difficulté de l’Etat à agir autoritairement sur des systèmes sociaux autonomes,
complexes et autorégulés (qui résistent aux mesures contraignantes), celui-ci a également
développé tout un éventail de moyens lui permettant d’orienter l’activité humaine dans un
sens donné sans recourir à son pouvoir autoritaire (Morand, 1999). Aussi, l’information, la
persuasion, la diffusion de connaissances et la formation constituent, entre autres, des
ressources que l’Etat peut mobiliser afin d’exercer une influence sur la société et par là piloter
de manière indirecte les comportements des acteurs socio-économiques.
Ainsi, nous pouvons dire de l’Etat incitateur qu’il renonce à agir de manière contraignante et
autoritaire en tentant d'orienter les comportements d’une façon beaucoup plus indirecte et
qu’il se contente alors de suggérer, d'inciter, de persuader ou encore d'informer pour exercer
son influence.
Morand distingue deux catégories de moyens qu’utilise l’Etat pour orienter sans contraindre :
a) les actes incitateurs (normes juridiques) et b) les autres formes d’influence.
Les actes incitateurs représentent des moyens d’action pour orienter les comportements
dépourvus de force obligatoire. Ce type d’acte joue un rôle majeur dans le système du droit
international caractérisé par le principe de la souveraineté des Etats126. Aussi pourrions-nous
dire « qu’en cherchant à influencer des systèmes sociaux autonomes, comme par exemple
l’économie, la science, la culture, l’Etat se trouve [dès lors] dans une position un peu
semblable à celle des organisations internationales à l’égard des Etats » (p. 164). Parmi ces
actes figurent notamment :
126
Qui détiennent, ne l’oublions jamais, le monopole de la contrainte légitime.
98
• les recommandations qui constituent « des invitations à se comporter de manière
déterminée » (p. 165) et qui ménagent aux acteurs socio-économiques une grande
marge de liberté ;
• les accords aimables qui font office d’accord entre gentleman (gentlemen’s
agreements) et qui, fondés sur la bonne foi des signataires, fixent des objectifs non
contraignants à atteindre ;
• les principes directeurs dépourvus de force obligatoire qui ne lient ni les autorités, ni
les particuliers ;
• les actes incitateurs des autorités administratives indépendantes tels que les avis, les
propositions, les recommandations et autres moyens de diffusion de l’information
destinés à convaincre les acteurs socio-économiques ;
Le mode de gouverner qui s’exprime à travers l’adoption d’actes incitateurs peut être qualifié
par les termes de pilotage, de « guidance administrative » (Timsit, 1997, cité par Morand,
1999, p. 162) ou encore par la notion de gouvernance dans l'idée d'une orientation des
comportements sans recourir au droit contraignant. Néanmoins, comme le souligne
abondamment Morand (1999), cette manière d’intervenir et d’orienter les comportements de
façon douce et indirecte par la persuasion, l’incitation, n’est pratiquement jamais présente
sans que l’ombre de la main contraignante de l’Etat ne soit bien loin. Ainsi, les actes
incitateurs sont le plus souvent accompagnés d’une menace d’intervention étatique plus
contraignante, implicite ou explicite, mais différée dans le temps. Aussi, « le droit impératif
apparaît ainsi comme une instance d’appel pour le cas où la persuasion ne suffirait pas à
résoudre un problème sociétal » (p. 164) et les actes incitateurs « constituent fréquemment la
première étape dans le voie de la création de normes obligatoires »127 (p. 170).
Dans le but d’orienter sans contraindre, l’Etat peut également exercer d’autres formes
d’influence et ce sans édicter de normes juridiques. Pour cela, il dispose d’un éventail de
moyens. Il peut prendre des mesures internes tout en espérant qu’elles produisent des effets
externes (actes internes à effets externes)128 et se comporter ainsi en tant qu’Etat modèle. Il
peut également entreprendre d’agir sur l’environnement humain dans le but d’influencer les
comportements (actes matériels portant sur l’environnement humain)129. Enfin, il peut aussi
fournir aux acteurs socio-économiques des informations et des connaissances propres à
orienter leurs actions.
127
Nous pensons que cette façon de procéder permet notamment, sur le plan stratégique, de rendre plus
acceptable une intervention contraignante de la part de l’Etat sur un secteur de la société auquel il aura
préalablement laissé la liberté de s’adapter. Nous reviendrons notamment sur cette hypothèse dans le cadre de
notre analyse de la politique climatique suisse.
128
Par exemple, la mise en application de mesures d'économie d'énergie dans le secteur public peut entraîner le
secteur privé à lui emboîter le pas et une expérience pilote ayant obtenu un certain succès et dont les résultats
sont largement diffusés peut aussi conduire à modifier les comportements des acteurs socio-économiques.
129
Par exemple, les ralentisseurs de circulation, appelés dans le langage courant gendarmes couchés, ont pour
objectif explicite d'influencer les comportements.
99
3.3 Une typologie issue de la recherche en psychologie (environnementale)
Pour conclure ce tour d’horizon des typologies d’instruments issues de différents champs
disciplinaires, nous nous proposons d’étudier une typologie issue de la psychologie
environnementale (environmental psychology).
Dans leur ouvrage, Kaufmann-Hayoz et al. (2001) relèvent que dans ce domaine des études
ont récemment appliqué des connaissances en psychologie à la résolution des problèmes
environnementaux en se focalisant sur les moyens d’influencer et de modifier les
comportements humains130. Ils font ainsi remarquer que de nouveaux types d’instruments,
fondés sur des principes comportementaux et de psychologie sociale, ont été développés soit
afin de compléter la panoplie traditionnelle des instruments de protection de l’environnement,
soit pour en augmenter l’efficacité.
De leur côté, Flury-Kleuber et Gutscher (2001) développent plus en avant les principes
psychologiques sur la base desquels fonctionnent les instruments présentés par Kaufmann-
Hayoz et al., instruments qui, rappelons-le, ont tous pour objectif de modifier les
comportements des acteurs.
Pour ces auteurs, les instruments ont pour effet de modifier les stimuli comportementaux des
acteurs qu’ils ciblent selon des processus bien définis. Ils proposent ainsi sept manières
différentes d’influencer les comportements qu’ils présentent comme sept « types » ou
« stratégies » d’intervention sur les comportements132 (cf. Encadré 7, ci-après).
130
La manière d’influencer les comportements d’autrui est d’ailleurs l’un des domaines de recherche central de
la psychologie (Flury-Kleuber et Gutscher, 2001). Sur ce point, voir par exemple Stern (2000a, 2000b) ou, pour
les lecteurs familiarisés avec la langue de Goethe, Mosler et Gutscher (1998, cités en référence par Kaufmann-
Hayoz et al, 2001).
131
Pour Kaufmann-Hayoz et al. (2001), la combinaison d'une telle approche avec des principes utilisés dans le
marketing mène au « marketing social » qui trouve aujourd’hui des applications croissantes dans le domaine
environnemental (sur ce point voir par exemple Kloter and Roberto, 1991, Prose et al., 1994 et McKenzie-Mohr
and Smith, 1999 cités en référence par Kaufmann-Hayoz et al., 2001).
132
Notons que les auteurs ont bien compris qu’un instrument peut user de plusieurs de ces « stratégies » et
qu’une « stratégie » est souvent mise à profit par plusieurs types d’instruments et qu’il s’agit donc bien de
considérer ces types d’intervention comme des éléments qui permettent de comparer les instruments (réels) avec
les stratégies mises à profit (plutôt que de considérer ces types/stratégies comme des catégories figées
d’instruments).
100
Encadré 7 : Modifier les comportements : les sept « stratégies d’intervention »
Stratégie 1 : modifier les effets attendus des alternatives comportementales (Changing the effects of
behaviour)
Sont considérées ici les interventions sur la structure externe des acteurs (leur environnement physique) qui
modifient les conséquences attendues de leurs comportements en rendant leurs alternatives comportementales
plus ou moins appropriées. Deux stratégies existent, l’une positive, l’autre négative : « construire des ponts »
(“bridge building”) – stratégie positive VS « mettre des barrières » (“barrier building”) – stratégie négative.
Les « ponts » et « barrières » peuvent être relatifs ou absolus et peuvent influencer/affecter : a) la liberté de
mouvement/manœuvre des acteurs à des degrés divers (freedom of movement), b) les ressources financières
(financial ressource), c) la santé et l’intégrité physique (health and physical integrity) et d) le degré de
coopération volontaire des acteurs (co-operation and voluntary service).
Stratégie 2 : influencer le vécu et l’expérience physique et sociale des acteurs (Shaping the sphere of
experience)
Est considéré ici l’ensemble des interventions qui ont pour effet d’influencer l’expérience et le vécu des
individus qui sont considérés comme des facteurs comportementaux importants.
Stratégies 3 : créer des « produits anthropiques » (Creating behaviour products)
L’environnement physique d’origine humaine (notamment les infrastructures humaines et les technologies) ont
une influence sur nos comportements, de même que les « traces » et les « produits » des comportements
d’autrui (par exemple par un effet de diffusion lorsque l’on va jeter des déchets dans la nature là où d’autres
l’on déjà fait).
Stratégies 4 : présenter des images et des sons (Presenting images and sounds)
Des informations (nouvelles) sur l’environnement des individus peuvent être présentées de manière directe ou
par l’intermédiaire des médias (photographie, TV, vidéo, enregistrement sonore). Les photographies et les sons
ont une certaine importance dans cette stratégie car les images et la musique ont un potentiel élevé pour
émouvoir les personnes (la musique par exemple est souvent utilisée pour accompagner des images et/ou des
discours afin de fournir des indices de pertinence et de valeurs de l’information).
Stratégies 5 : présenter des modèles comportementaux (Presenting model behaviour)
Le comportement d’autrui peut avoir une influence importante sur nos propres comportements (nous profitons
notamment des « essais-erreurs » des autres) : « Model behaviour is an important source of social influence,
[…]. It is a powerful means of social influence that can be used deliberately » (Flury-Kleuber et Gutscher, 2001,
p.119). Cette stratégie implique l’observation et a un effet sur le processus d’apprentissage.
Stratégie 6 : faire des déclarations sur la réalité du monde (vraies ou fausses !) (Making statements about
reality)
Est considérée ici la force que peut avoir l’information (et donc les médias) relative aux théories de
fonctionnement du monde (idéologies, etc.), aux relations de causalités des actions (actions – effets, théorie
scientifique) et de manière plus générale relative aux connaissances.
Stratégie 7 : « souhaiter » des actions (Resquesting actions)
Sont considérées ici les stratégies qui impliquent un souhait ou une demande (souhaiter que les individus
prennent une voie plutôt qu’une autre, avec ou sans argumentation). Les appels à des actions (action appeals)
qui ont le plus de succès sont ceux qui engagent des arguments supposés être déjà « intériorisés » par l’acteur
ciblé. Un modèle d’une telle stratégie : a) argumenter sur le fonctionnement du monde ou sur des valeurs
partagées, puis b) donner une nouvelle information (par exemple de nature scientifique) et enfin c) dresser les
conséquences logiques de a) et b).
Source : adapté de Flury-Kleuber et Gutscher (2001)
De manière générale, les sept principes psychologiques définis par Flury-Kleuber et Gutscher
(2001) qui sous-tendent le fonctionnement des instruments se fondent très schématiquement
sur le raisonnement hypothétique suivant :
1. les individus sont motivés par des buts/objectifs qui guident leurs comportements ;
2. les interventions pour modifier leurs comportements doivent donc soit s'adapter à la
structure interne de leurs buts, soit la transformer afin que les comportements
souhaités deviennent l’option évidente ;
101
3. les interventions doivent donc viser soit à transformer la situation objective des
individus (leur structure externe), soit à modifier leurs modèles de perception et
d’évaluation (leur structure interne).
Généralement, soulignent les auteurs, une combinaison de ces deux types de stratégies se
révèle être plus efficace : d’une part, la transformation de la structure (mentale) interne
augmente la bonne volonté des individus à accepter le changement de la structure externe
ainsi que ses effets sur leurs comportements et, d’autre part, les modifications de la structure
externe vont aider à stabiliser les nouveaux modèles de perception des acteurs, qui deviennent
dès lors plus commodes, rendant ainsi les changements comportementaux plus stables.
L’application exclusive d'un type d’instrument se révèle donc être moins efficace et mène à
des résultats moins stables que l'utilisation coordonnée de tous les instruments disponibles.
La même conclusion est partagée par Gardner et Stern (1996) qui, selon Kaufmann-Hayoz et
al. (2001), présentent une très belle étude sur les connaissances pertinentes en psychologie au
regard de la compréhension et de la résolution des problèmes environnementaux. Sans donner
une typologie explicite des instruments, ces auteurs définissent quatre types de stratégies pour
promouvoir les comportements dans un contexte marqué par la tragédie des biens publics.
Ainsi, les auteurs, faisant référence à Ophuls (1973, 1977, cité en référence par Gardner et
Stern, 1996), établissent qu’afin que les comportements individuels soient en adéquation avec
l’intérêt commun, seules quelques stratégies ont été utilisées jusqu’ici. Ils les résument en
identifiant quatre types de solutions basiques de promotion des comportements individuels
dans un but d’intérêt collectif, soit quatre types d’approche pouvant solutionner la
problématique de la tragédie des biens communs :
• l’intervention étatique via l’usage des lois (laws), des régulations (regulations) et des
incitations (incentives) ;
133
Par ailleurs, de manières combinées, comme nous le verrons par la suite.
102
• l’éducation (programs of education) qui comprend notamment l’information et les
modifications des attitudes ;
Ces quatre stratégies ne sont pas identifiées par les auteurs comme des instruments en tant que
tels et d’autant plus comme des instruments politiques dans la mesure où seule la première
stratégie relève pour les auteurs de la compétence de l’Etat.
Néanmoins, nous pouvons, de notre côté, prendre ces quatre stratégies (cf. Encadré 8 ci-
dessous) comme des instruments des politiques publiques dans la mesure où l’Etat peut agir
certes par la réglementation et l’incitation, mais également par l’éducation et des sollicitations
morales et éthiques, plus que religieuses, dans un Etat laïque dans tous les cas. Au demeurant,
les processus informels non-gouvernementaux auxquels font référence les auteurs peuvent
être compris comme un instrument d’autoréglementation (auto-régulation).
134
En d’autres termes, ces instruments visent à encourager les comportements pro-sociaux en faisant en sorte
que l’intérêt égoïste des individus aille dans la même direction que l’intérêt commun.
103
Alors que selon Gardner et Stern (1996), la première approche (loi-régulation-incitation) est
plébiscitée par un Hoobes (1651) par exemple, ainsi que par Hardin (1968), nous l’avons vu,
et que la troisième approche (sollicitions morales, religieuses et/ou éthiques) a la préférence
d’un Rousseau (1762), chacune des quatre approches possède des avantages qu’il ne faudrait
pas négliger en optant pour une solution unique. Ainsi les auteurs tirent comme conclusion :
The general conclusion we come to in these chapters – and the one we hope to convince
you of – is that none of the four solution approaches is, by itself, likely to work
effectively; no one approach will successfully prevent tragedies of commons, […].
Instead, we argue that only a coordinated effort involving all – or at least most – of the
four solution types will succeed. (p. 32)
Ces principes nous interpellent d’ores et déjà sur l’application et la combinaison intelligentes
des différents instruments et soulignons dès à présent que notre théorie de basique de
l’activité humaine sur laquelle nous fonderons notre typologie d’instruments politique veut
également se fonder sur la compréhension des problèmes du point de vue des acteurs (2e
principe) en voulant déduire les types instruments d’une analyse des déterminants des acteurs
et de leurs marges de manœuvre au sein des sous-systèmes sociaux dans lesquels ils
interagissent.
Par ailleurs, nous trouvons pour notre part que la balance des avantages et des inconvénients
d’une démarche participative penchera plus volontiers du côté des désavantages lorsque celle-
ci est appliquée à des grands groupes d’acteurs cibles (par exemple au niveau national). En
effet, nous estimons que la démarche est efficace lorsque nous sommes confrontés à une
problématique locale (compétence communale par exemple) et non à un problème d’ordre
national (compétence fédérale) et ceci pour les deux raisons principales suivantes :
2. le fait que plus la population cible est grande (et donc l’échantillon moins
représentatif) moins les avantages de la démarche participative en terme de gestion
collective du problème se feront sentir.
Pour cela, nous préconisons de bien peser les avantages et les inconvénients d’une démarche
participative pour chaque cas particuliers et nous conseillons d’utiliser la démarche
participative uniquement pour les problèmes d’ordre locaux et donc d’utiliser la méthode
scientifique pour les problématiques qui doivent se régler au niveau régional et national.
104
Encadré 9 : Quelques principes d’intervention dans le domaine de la protection de l’environnement
er
1 principe : sachant que les barrières à un comportement pro-environnemental peuvent être nombreuses
(attitudes, croyances et valeurs inappropriées, technologie, désinformation, manque d’engagement et/ou de
connaissance et/ou de ressources financières, habitudes inappropriées, etc.), qu’elles varient en fonction des
acteurs, de la situation et du temps et qu’elles interagissent entre elles, il est conseiller d’utiliser et de combiner
les stratégies d’intervention.
2e principe : parce que les acteurs dont le comportement doit être modifié (acteurs cibles) sont dans la meilleure
position pour identifier les barrières devant lesquelles ils se trouvent, il est conseiller avant d’intervenir de
comprendre la situation du point de vue de l’acteur cible en conduisant des enquêtes et des expériences
(méthode scientifique) (et/)ou en mettant en place une démarche participative (méthode interactive) qui va
notamment a) accroître la confiance, la satisfaction et l’engagement/l’implication des acteurs, b) renforcer la
crédibilité du programme et c) permettre le mise en place de canaux efficaces de communication ; en résumé, la
démarche participative va permettre de mettre en place un processus continuel de recueil d’information
nécessaire à la mise en œuvre du programme ainsi que les principes de gestion commune (community
management) qui en augmenteront l’efficacité.
3e principe : lorsque les facteurs limitant sont de nature psychologique, il est conseiller d’appliquer les
connaissances scientifiques des sciences sociales et comportementales (notamment la théorie de la rationalité
limitée) afin de mettre en œuvre efficacement les multiples façons d’informer, d’inciter et de gérer de manière
collective les problèmes environnementaux ; appliquer les principes de psychologie sociale revient à ne pas
réduire le choix humain à un processus mécanique de calcul coût/bénéfice mais de prendre en compte les
multiples variables psychologiques des comportements, notamment en appliquant les principes de gestion
collective (community management) qui mettent l’accent sur la crédibilité, la responsabilité collective, la
communication directe « face-à-face », la confiance, le sens moral ou du bien commun, la cohésion sociale, etc.
.
4e principe : dans le cas où les acteurs cibles n’ont que très peu de contrôle sur leurs comportements, il est
conseiller d’agir de manière indirecte en modifiant les conditions environnementales qui limitent leurs choix
individuels ou, en d’autres termes, d’agir sur les institutions qui produisent les alternatives comportementales.
5e principe : il est conseiller d’émettre des attentes réalistes quant aux issues du programme dans la mesure où
a) un certain temps et des efforts certains sont nécessaires pour identifier les barrières comportementales et pour
trouver des manières efficaces de les dépasser, b) faire des promesses « inflationnistes » et émettre des attentes
prématurées et irréalistes quant à l’efficacité du programme à court terme ne peut être que contre-productif et c)
un processus continuel d’apprentissage et de monitoring est nécessaire pour les raisons qui viennent d’être
esquissées.
6e principe : dans la mesure où a) il est difficile de connaître à l’avance quelle est la meilleure combinaison des
stratégies d’intervention pour un problème particulier, b) la nécessité d’évaluer la situation du point de vue de
l’acteur cible, c) le programme se doit d’évoluer au court du temps dans un processus d’apprentissage, il est
conseillé de considérer le programme comme un processus continuel, (socio)-expérimental et flexible de
monitoring, d’évaluation et d’ajustement ; de même que pour le 2e principe, deux stratégies permettent de
mettre en place une telle démarche : le mise en place d’un processus scientifique (méthode scientifique) ou d’un
processus participatif (méthode interactive).
7e principe : afin d’éviter de se voir confrontées à une opposition organisée, il est conseillé de rester dans les
limites d’acceptabilité des acteurs cibles ; néanmoins ces limites peuvent être « étendues », par exemple par un
processus d’éducation et d’information, ainsi que par la mise en place d’une démarche participative.
8e principe : pour de multiples raisons, dont notamment le besoin a) de comprendre la situation du point de vue
des acteurs cibles, b) de capter leur attention et de solliciter leur engagement, c) de mettre en place un
monitoring continuel d’ajustement du programme et d) de ne pas dépasser les limites d’acceptabilité des acteurs
cibles, il est conseillé d’utiliser une démarche participative qui va permettre principalement a) de contribuer
fortement à la mise en place d’une stratégie de gestion collective du problème, b) d’associer les acteurs cibles
au processus et de rendre les interventions plus acceptables et c) de permettre un processus de monitoring du
programme ; l’approche participative est conseillée tant pour travailler avec de petits groupes cibles qu’avec des
communautés plus larges.
Source : adapté de Gardner et Stern (1996)
105
Chapitre 4 L’évolution des modalités d’intervention de l’Etat :
vers de « nouveaux » types d’instruments
politiques ?
Analysant les thèmes récurrents qui tiennent une place importante dans la recherche
instrumentale des politiques publiques, De Bruijm et Hufen (1998) soulignent que les études
instrumentales semblent se focaliser sur l’analyse d’une espèce en voie d’apparition, les
« nouveaux instruments »135 (tels que les contrats, les incitations financières, la
communication, etc.) par opposition aux « anciens instruments » (de type command and
control) qui se voient dès lors fortement critiqués et remis en question.
Quels sont ces « nouveaux » types d’instruments (et d’ailleurs sont-ils si « nouveaux ») ?
quelles sont leurs caractéristiques ? et que semblent-ils « avoir de mieux » que les instruments
traditionnellement utilisés ? mais surtout, comment expliquer leur apparition au regard de
l’évolution (notamment historique) des modalités d’intervention de l’Etat ? sont les questions
principales auxquelles nous tenterons de répondre pour clore cette première partie consacrée à
la théorie des instruments des politiques publiques.
Bon nombre d’auteurs s’attachent également, plus ou moins rapidement, à souligner cette
modification des instruments de politiques publiques. Notons à titre d’exemple que :
135
Ou, en d’autres termes, « les instruments post-modernes [post-modern instruments] » (Hupe, 1990 cité par De
Bruijm et Hufen, 1998, p. 24) ou encore « les instruments de la seconde génération [second generation
instruments] » (De Bruijn et Ten Heuvelhof, 1991, cité par De Bruijm et Hufen, 1998, p. 25).
106
• Cooper (1995) souligne l’arrivée de nouveaux outils et techniques dans le domaine de
la gestion environnementale ;
• Ost (1995) relève l'apparition d’un nouveau droit de l’environnement, un droit mou,
dépourvu d’effet contraignant et « quasi expérimental » (p. 99).
Enfin, Dente (1995) note également qu’il existe une « demande » de « nouveaux
instruments », demande induite par la crise que traverse la politique environnementale.
L'intervention étatique dans ce domaine, somme tout assez récente et immature, a ainsi besoin
de se différencier des autres politiques136 et doit en parallèle relever le défi de la globalisation,
tout en étant confrontée à une crise de légitimation de la politique environnementale (et dans
son ensemble) en termes de résultats, d’efficacité et d’efficience.
Parmi celles-ci, deux explications semblent être prédominantes. L’une souligne la nécessité
d’une régulation différente par l’augmentation de la complexité des sous-systèmes sociaux,
l’autre insiste sur la place que tient le renouveau de la pensée néolibérale dans la réforme de
l’Etat et de ses modalités d’intervention. L’une et l’autre ne sont sans doute pas
indépendantes137, mais elles se proclament d’un cadre et d’une approche théorique différents
qui méritent d’être analysés séparément, bien que toutes deux aient pour objet d’analyse et de
compréhension la même réalité
Ainsi, à en croire la majorité des auteurs, d’un point de vue historique138, les modalités
d’intervention de l’Etat se sont profondément – voire fondamentalement – modifiées. Cette
évolution instrumentale peut être mise en perspective de différentes façons, perspectives qui
ne sont pas complètement dissociées l’une de l’autre mais qui constituent des points de vue
(ou portes d’entrée) intéressants et pertinents pour l’analyse139. Nous en avons retenu deux.
Ce courant d’analyse observe et souligne ainsi une évolution, une tendance, des modes de
régulation utilisés par l’Etat – si ce n’est une transformation de l’Etat lui-même – qui
semblent passer de la régulation dite « dure » (hard regulation) du début du XXe siècle à une
régulation plus « légère » (soft regulation), ou dans des termes francophones plus mole (droit
136
Notamment par la création de ministères et de départements en charge de la question.
137
Et se recoupent parfois… n’analysent-elles pas la même réalité.
138
Dans les deux sens du terme.
139
Ces analyses sont à considérer comme des mises en perspective de la réalité (nous pouvons aussi dire des
cadres théoriques) et non comme la réalité en elle-même.
107
mou). Cette transformation ou évolution est expliquée par l’adaptation nécessaire de l’Etat à
l’augmentation de la complexité des sous-systèmes qu’il doit réguler.
Varone (1998) note d’emblée les limites explicatives de ces approches diachroniques qui
traitent de l’évolution des instruments à un niveau général pour la plupart – celui de l’Etat
dans sa globalité – souvent sans différencier leurs champs d’application et qui visent à mettre
en évidence différentes périodes de l’action étatique – de manière inductive – en soulignant la
prédominance de tel ou tel type d’instrument. Ces démarches empiriques, visant donc à
dégager différentes périodes historiques instrumentales, sont notamment utilisées par des
auteurs tels que :
• Willke (1992) qui analyse également l’usage différencié des instruments d’action
étatique dans une perspective historique ;
• Morand (1991a/b) qui aborde l’évolution historique de l’Etat et des instruments sous
l’angle de la sociologie du droit et souligne l’émergence de plusieurs types d’Etat et de
droit (voir plus loin) ;
• et Pal (1992) qui discerne trois grandes étapes dans le développement des instruments
des politiques publiques au Canada (expansion des instruments basés sur des
ressources financières depuis l’après-guerre, croissance de la réglementation depuis
les années 1970 et nouvelle tendance, difficile à cerner avec clarté, à
l’autoréglementation volontaire et à la privatisation aujourd’hui).
Mais peut-être ne faut-il pas considérer ces approches comme voulant refléter la réalité mais
comme étant des outils d’interprétation. A bien lire Morand (1999) par exemple, nous
pouvons aisément identifier que les types d’Etat auxquels il fait référence sont des types
idéaux au sens wébérien du terme et qu’ils se retrouvent, en partie, de manière concomitante
aujourd’hui.
Lascoumes et Le Galès (2004), par exemple, remarquent que dans le courant du XXe siècle,
tout au long de son processus de recomposition/réforme et de sa dynamique de croissance, qui
a abouti à l’accumulation de programmes et de politiques dans différents secteurs de la
société, l’Etat a modifié ces dernières en développant et diversifiant ses instruments d’action.
Une nouvelle vague d’innovations instrumentales a par exemple vu le jour dans le cadre des
politiques environnementales, sanitaires (politiques des risques) ou économiques (voir ci-
après).
108
Pour rester dans la littérature francophone, Ost (1995) constate également que, dans le
domaine de l’environnement, le droit réglementaire140, jusque-là grandement utilisé, doit
actuellement faire face à un retour des instruments du libéralisme économique que sont le
contrat et la propriété, instruments qui introduisent « deux nouvelles figures de la régulation
juridique de la nature : un droit de l’environnement négocié et une appropriation des choses
communes » (pp. 89-90).
Ainsi, d’un droit (administratif) de l’environnement de type policier – les lois de police
environnementale – apparu141 au cours du XXe siècle et plus spécifiquement dès les années
septante142 pour lutter contre les atteintes portées à l’environnement et remédier aux
défaillances du marché et qui a vu la multiplication foisonnante des dispositions normatives
(inflation normative), nous sommes passés à un droit beaucoup plus flexible et mou. Cette
évolution du droit de l’environnement est due, selon l’auteur, à la complexité et à l’incertitude
de son objet143 qui a rendu nécessaire l’accroissement de sa flexibilité :
Ainsi, la norme juridique – et l’instrument en passant – doit pouvoir s’adapter sans cesse à
l’évolution des connaissances et des techniques. Cette nécessité à amener à l’assouplissement
de la norme, du droit et des instruments en matière de protection de l’environnement et a
débouché sur une droit qualifié par l’auteur de « quasi expérimental » (Ost, 1995, p. 99).
Notons que dans une autre perspective analytique, De Bruijm et Hufen (1998), qui notent que
les recherches dans le domaine des instruments ont été menées la plupart du temps dans les
secteurs économique et environnemental144, soulignent que dans ce dernier domaine, si les
instruments de régulation ont été le plus utilisés dès le début, les instruments financiers sont
désormais devenus une alternative intéressante, de même que les « nouveaux » instruments
tels que les contrats et accords. Par ailleurs, dans le domaine de la politique énergétique,
l’instrument actuellement le plus utilisé, certes en combinaison avec d’autres, est
l’information (campagnes de sensibilisation, etc.).
Mais c’est sans doute le Professeur Morand qui a le plus travaillé à cette mise en perspective
de l’évolution des modalités d’intervention de l’Etat. Dans plusieurs de ses écrits du début des
années 90, ainsi que dans son ouvrage de synthèse intitulé Le droit néo-moderne des politiques
publiques (Morand, 1999), l’auteur aborde l’évolution de l’Etat et de ses modalités
d’intervention d’un point de vue historique et sous un angle systémique que nous pourrions
qualifier, à la suite de Varone (1999), de sociologie du droit. Il constate une transformation de
140
Qui vise par ailleurs à une compensation tardive et toujours insuffisante d’une destruction, droit de type end
of pipe.
141
Sous la forme de réglementations administratives et de la mise sur pied d’institutions spécifiques (ministères
de l’environnement par exemple, mais aussi agences diverses).
142
Sous la pression de l’opinion publique (menace environnementale, déséquilibres écologiques, urgence), la
naissance des partis « verts » et la combativité grandissante des associations de défense de l’environnement.
143
Introduites par l’écologie, science du global et du complexe.
144
Soit dans le domaine de la politique environnementale, la politique d’économie d’énergie et la politique
économique.
109
l’Etat qui d’un « Etat policier » est passé, par plusieurs étapes successives, à un « Etat
incitateur/négociateur ».
Dans ses écrits du début des années 90, Morand (1991a, 1191b, notamment cité en référence
par Varone, 1998) souligne déjà en effet l’émergence d’un Etat « propulsif » (Morand, 1991a)
qui, lors de la conception de ses interventions, a de plus en plus fréquemment recours à de
« nouveaux instruments » (Morand 1991b). Ces derniers sont caractérisés par une action
normative plus souple et par une plus grande concertation entre l’Etat et les groupes d’acteurs
privés. Ainsi, l’Etat interventionniste, ayant été appelé à gérer de plus en plus de domaines,
opte pour des instruments de plus en plus souples.
Mais c’est sans aucun doute dans son ouvrage de 1999, sorte d’état des lieux et de synthèse de
ses recherches antérieures, que Morand nous livre une synthèse de sa pensée et de son
analyse. Et c’est profondément ancré dans une approche issue de l’école systémique
(Luhmann, etc.), qu’il dresse un « état des lieux » de l’intervention de l’Etat dans la société
dans une perspective que nous avons qualifiée dans un chapitre précédent « d’aux frontières
du droit et des politiques publiques ». L’évolution des modalités d’action de l’Etat y est
présentée de la manière suivante :
L’hypothèse est qu’au fil du développement des modalités d’action de l’Etat dans le
cadre de politiques publiques finalisées, toujours plus raffinées et astucieuses, on assiste à
l’apparition de plusieurs types d’Etats et qu’à chacun d’eux correspond une forme de
droit particulière. (Morand, 1999, p. 13)
Pour résumer brièvement sa pensée, nous constatons avec Morand (Morand), qu’alors que
tout au long du XIXe siècle l'idée règne que l'Etat (libéral) doit imposer ses commandements
de manière unilatérale et contraignante, nous avons assisté depuis le début du XXe siècle à
l'apparition de plusieurs types145 d'Etat auxquels correspond une forme particulière de droit.
Cette évolution des modalités d’action de l’Etat s’est accompagnée d’un mouvement de
transformation de la structure même du droit, dynamique qui a vu naître de nouveaux
instruments d’action étatique, notamment dans le domaine de la protection de
l’environnement.
Cependant, confronté à la difficulté d'imposer ses objectifs à une société de plus en plus
complexe, composée de sous-systèmes sociaux autonomes résistant aux actions étatiques de
nature autoritaire, l'Etat se met à négocier les solutions qu'il cherche à imposer en faisant
participer toujours plus intensément les destinataires du droit à sa formation et à sa mise en
œuvre. L’Etat devient réflexif, il acquiert la faculté de mettre en œuvre des programmes
relationnels, générateurs d'un nouveau type de droit.
145
Au sens wébérien d’idéaltype.
110
Enfin, face à des systèmes sociaux autonomes, clos et autorégulés146, l'Etat a aujourd'hui de
plus en plus recours à l'incitation et à l'information pour guider les comportements des acteurs
socio-économiques. L’Etat se métamorphose en un Etat incitateur.
Dans un tableau récapitulatif, Morand (1999) résume ainsi l'évolution des formes d'Etats et de
droits, un cheminement qui est allé dans le sens d’un droit de moins en moins contraignant
(cf. Tableau 21 ci-dessous). Comme nous l’avons fait auparavant, nous avons pour notre part
rajouté une troisième colonne à ce tableau qui associe à chacun des types d’Etat et des formes
de droits, une modalité d’intervention.
Mesures de prestations
Etat providence Droit de l'activité de prestation Droits
Mesures de prélèvements
Aussi, nous pouvons observer avec Morand que l’on peut mettre en évidence une
modification « historique » du mode d’intervention de l’Etat et le passage d’un mode de
régulation sociale de nature contraignante à un mode de moins en moins contraignant – de
plus en plus « soft » dirions-nous.
Cette modification des modes d’action de l’Etat s’explique selon Morand par l’accroissement
de la complexité sociale. Ainsi, les différents instruments de régulation sociale mis en œuvre
par les différents types d’Etat « successifs » – notamment l’Etat réflexif et l’Etat incitatif –
résultent de la difficulté éprouvée par l’Etat à agir de manière autoritaire et contraignante sur
des sous-systèmes sociaux autonomes et d’une complexité grandissante. Cette thèse est
notamment reprise par Papdopoulos (1995) qui souligne à son tour que face à
(l’accroissement de) la complexité sociale, les régulateurs classiques (tels que le droit,
l’argent et la violence) ne suffisent plus et que l’Etat a ainsi été « amené à diversifier les
matériels qu’il utilise en recourant à des moyens para-légaux : informer, inciter, expérimenter,
donner lui-même l’exemple et le diffuser, etc. » (p.14)
L’explication qui nous est donnée découle donc d’une interprétation du fonctionnement de la
société en termes systémiques et autopoiétiques147, interprétation à laquelle le sociologue
allemand Niklas Luhmann a fortement contribué et à laquelle Morand, de même que
Papadopoulos, se réfèrent volontiers (voir Encadré 10 ci-après).
146
L'autorégulation représente la capacité d'un système de se régler lui-même autour d'une norme.
147
Ecole des théoriciens de l'autopoïèse issue de l’approche systémique/cybernétique (régulation des systèmes)
appliquée à l’analyse de la société et de ses sous-systèmes.
111
Encadré 10 : Régulation et complexité sociale chez Luhmann
Selon Luhmann (1999; voir également Ossipow, 1994), notre société (moderne) se divise en quatre sous-
systèmes fonctionnellement différenciés principaux : le sous-système économique, le sous-système politique, le
sous-système juridique et le sous-système scientifique. Ces systèmes sont caractérisés par leur clôture
identitaire (chaque système est clos et possède une identité par rapport à son environnement.), leur capacité
autopoïétique (capacité d'un système à créer son identité à partir des ses propres éléments (un tel système est
qualifié de système autopoïétique)), leur fonctionnement autoréférentiel (chaque système se réfère aux règles et
aux critères qu'il a lui-même posés) et leur grande autonomie (possédant tous leur propre logique de
fonctionnement, chaque système est autonome par rapport aux autres systèmes qui ne peuvent interférer,
intervenir directement sur lui).
Ces quatre sous-systèmes sont le résultat de l'évolution des sociétés vers une plus grande complexité globale.
Aussi ont-ils émergé dans le but de réduire et de maîtriser cette complexité en la cernant d'un « point de vue »
(Ossipow, 1994, p. 300) qui leur est spécifique.
Chaque sous-système social autonome se présente donc comme un centre de décision possédant sa propre
logique, son propre langage, son propre système de régulation et ses propres lois. Il devient dès lors évident que
la manière contraignante s’avère de moins en moins adaptée à la régulation des sous-systèmes sociaux au fur-et-
à-mesure que ceux-ci se complexifient et s’autonomisent.
Néanmoins, la communication entre ces systèmes autonomes reste possible. En effet, chaque sous-système
fonctionnellement différencié traduit, interprète, ou encore traite l'information qu'il reçoit de son environnement
dans un langage qui lui est propre. Pour cela, chaque sous-système est constitué et défini par un médium
généralisé spécifique qui lui permet de véhiculer du sens en son sein. Par conséquent, chaque sous-système
fonctionnellement différencié représente un sous-système de communication qui s'organise autour d'un médium
et d'un code qui lui est propre (Le médium indique ce qui fait sens dans le système considéré. Nous pouvons
dire qu'il représente un point de vue spécifique et réductionniste propre à chaque sous-système qui permet
d'interpréter l'information venant de l'environnement du système. Par exemple, dans le cas du sous-système
économique, le raisonnement des acteurs et l'interprétation du monde se fait en terme de rentable / non rentable
(le code sémantique binaire qui permet l'opérationnalisation dans le sous-système économique), le médium
généralisé spécifique à ce sous-système étant le prix sur le marché).
Ainsi, notre société moderne, caractérisée par un processus historique de perdifférenciation (la
perdifférenciation désigne le résultat des processus de différenciation dynamique au sein d'un système, donnant
lieu à différents sous-systèmes qui permettront à ce système d'accéder à un plus haut degré de complexité), peut
être considérée comme une société fonctionnnellement différenciée formée de sous-systèmes sociaux qui se
chargent de traiter des problèmes spécifiques (ces problèmes sont résolus à l'intérieur de chaque sous-système,
chacun d’entre eux accordant le primat à sa propre fonction.) . Et comme le souligne Lhumann (1999) : « un tel
ordre […] renonce à une régulation rigide du rapport de ces systèmes entre eux : cela signifie que les rapports
au sein du système sont remplacés par des rapports système-environnement, ou pour le formuler en termes
systémiques, qu'un strict coupling est remplacé par un loose coupling. » (Luhmann, 1999, p. 44)
Source : adapté de Ossipow (1994) et Luhmann (1999)
Aussi, comme nous l’avons déjà relevé à plusieurs reprises, la nécessité d’introduire des
« nouveaux » instruments de régulation, plus flexibles et moins autoritaires, serait née de la
difficulté éprouvée par l’Etat à agir autoritairement sur des systèmes sociaux autonomes, de
plus en plus complexes, et résistant aux mesures étatiques de nature contraignante. Cette
modification « historique » du mode d’intervention de l’Etat résulte donc d’un passage d’un
mode de régulation sociale de nature contraignante à un mode de moins en moins
contraignant (cf. Figure 5 ci-après).
Notons enfin que, dans la droite ligne de la thèse de Morand, cette perspective
« évolutionniste » de transformation de l’Etat et de « recomposition » des ses techniques est
également soulignée par Lascoumes et Le Galès (2004). Citant l’ouvrage, The Nation Stat in
Question, de G. John Ikenberry (2003), Lascoumes et Le Galès caractérisent ainsi la
transformation de l’Etat :
112
La première moitié du XXe siècle était celle des Etats forts qui pouvaient mobiliser
l’ensemble de la société pour la guerre ou pour l’industrialisation […]. [Désormais], les
Etats ont besoin d’être plus flexibles afin de travailler efficacement avec des groupes
sociaux et des organisations. Implicitement, cette conclusion se révèle paradoxale : les
Etats qui limitent le pouvoir coercitif du gouvernement, via un consensus normatif ou via
des règles légales et constitutionnelles, renforcent de fait la capacité des leaders
politiques à travailler avec et au travers de la société pour mobiliser des ressources et
résoudre des problèmes. […] Le pouvoir de l’Etat a alors pour origine cette capacité à
mobiliser et à diriger le capital social et les ressources de son peuple. (Ikenberry, 2003, in
Paul, T. V., Ikenberry, G. J. et Hall, J.A., p. 353, cité par Lascoumes et Le Galès, 2004, p.
366)
Etat réflexif
Etat incitatif
Notons enfin que Lascoumes et Le Galès (2004), de manière très originale, soulignent
également que l’approche des politiques par les instruments, qui peuvent être considérés
comme des révélateurs de changement, permet à cette même analyse de penser la
transformation de l’Etat, de ses modes de domination et de gouvernement. Or lorsque l’on
113
parle de transformation de l’Etat durant ces dernières décennies, on ne peut faire l’impasse sur
le mouvement (sans précédent) de réforme de l’appareil bureaucratique dans le sens d’une
certaine nouvelle gestion publique (new public management).
Pour Salamon (2002) par exemple, cette « révolution instrumentale »149 en cours depuis plus
de cinquante ans est en effet la conséquence du renouveau de la pensée économique
néolibérale et de l’émergence de la nouvelle gestion publique qui y est rattachée, notamment
suscitée par la frustration (grandissante) des citoyens envers l’inefficacité et les coûts
(grandissants) de l’intervention étatique150. Aussi, l’évolution du mode de fonctionnement et
du rôle de l’Etat constatée ces dernières décennies correspond ainsi également à une réforme
des techniques d’action et d’intervention étatique :
The heart of this revolution has been a fundamental transformation not just in the scope
and scale of government action, but in its basic forms. A massive proliferation has
occured in the tools of public action, in the instruments or means used to address public
problem. (Salamon, 2002, p.1-2)
Ce mouvement de réforme a ainsi poussé les modalités d’intervention à évoluer dans le sens
du marché et de l’efficience.
Pour Cooper (1995), qui constate une tendance vers la dérégulation et le recours aux
mécanismes du marché au niveau national (et international), cette évolution vers moins
d'autorité, de réglementation, de contrôle et vers la décentralisation, la réduction de la taille du
148
La nouvelle gestion publique fait de « l’utilisation de ces instruments alternatifs un objectif majeur de la
réforme du secteur public » (Salamon, 2002, p. 7) quand celle-ci ne vise tout simplement pas à ce que l’Etat se
retire de certains champs d’activité (privatisation, abondons de certaines tâches, etc.) pour se « recentrer » sur ses
fonctions régaliennes.
149
Que personne n’a apparemment remarquée (« The revolution that no one noticed » (p.1)) oublions du même
coup les propos tenus par Dahl et Lindblom (1953/1992) qui parlaient déjà de « révolution » dès le début des
années 1950 !
150
Nous ne rentrerons ici pas en détails sur les éléments déclencheurs de cette réforme (crise de l’Etat
providence et des finances publiques, dysfonctionnements administratifs et inefficacité/inefficience) ni sur les
principes de mise en œuvre de cette nouvelle gestions publique (dérégulation/déréglementation, décentralisation,
privatisation, etc.). Nous conseillons toutefois au lecteur intéressé de se référer à Osborne, D. et Gaebler, T.
(1994). Reinventing government : how the entrepreneurial spirit is transforming the public sector. Menlo Park
Calif. : Addison-Wesley, et, pour une critique de cette approche, par exemple à Urio (1999).
114
secteur public et le recours accru aux instruments fondés sur le marché (Cooper, 1995, faisant
référence à Salamon, 1989) marque un passage de l’Etat traditionnel vers un « Etat hybride »
(p. 207) dont la régulation est caractérisées par :
La deuxième moitié du XXe siècle aura ainsi vu apparaître de multiples formes d’instruments,
parmi lesquels les prêts (loans, loan guarantees), les subventions (grants), les contrats
(contracts), les régulations sociales et économiques (social regulation, economic regulation),
les mécanismes d’assurance (insurance), les déductions fiscales incitatives (tax expenditures),
etc., alors que l’action de l’Etat se résumait par le passé à une simple prestation directe de
biens et de services (Salamon, 2002). Chacune des ces techniques possède ses propres
modalités de fonctionnement, sa propre « économie politique [political economy] » (Salamon,
2002, p. 2)) et la fourniture directe de Biens et de Services ne constitue plus aujourd’hui la
forme d’action publique dominante.
Ainsi, les instruments des politiques publiques, embarqués dans ce mouvement réformateur,
se sont mis « au goût du jour » dans une perspective de nouvelle gestion publique, axée sur le
modèle du marché et de son efficience. Placés dans ce contexte, les instruments politiques de
la nouvelle gestion publique se caractérisent par leur volonté affichée d’être (plus)
participatifs/collaboratifs, incitatifs, indirects, flexibles et efficients… par opposition aux
instruments traditionnels.
• et la perte grandissante d’autorité des gouvernements sur les acteurs avec lesquels il se
doit désormais de collaborer.
115
majorité de ces nouveaux instruments (newer tools) partage comme caractéristique d’être de
nature fortement indirecte dans la mesure où ils impliquent hautement des parties tierces avec
lesquelles le gouvernement partage désormais son autorité au sein d’un système de
collaboration parfois très complexe. Pour l’auteur, il est ainsi aujourd’hui nécessaire de ne
plus confondre le mode traditionnelle de gouvernement par rapport à cette nouvelle approche
dite de la gouvernance qui ouvre un nouveau paradigme pour l’analyse des instruments des
politiques publiques.
Aussi, d’un point de vue méthodologique, ce constat pousse Lascoumes et Le Galès (2004) à
souligner que la création de nouveaux instruments est un puissant révélateur des
transformations plus profondes de l’action publique. L’hypothèse esquissée est ainsi que :
Aussi, l’idéologie de la nouvelle gestion publique qui pousse à une évaluation de l’action
étatique en termes de coûts/bénéfices, de concurrence, d’efficience, de monétarisation, d’auto-
régulation, de retrait (déréglementation, dérégulation, privatisation), de logique du marché,
implique une réforme des instruments de l’action publique qui va dans le sens des accords
volontaires et autres instruments incitatifs et participatifs. Les « nouveaux » instruments
proposent alors des formes de régulation moins dirigistes et qui intègrent les critiques
formulées à l’égard des instruments traditionnels de type command and control, qui
116
organisent les rapports politiques de manière différente151. Dans ce contexte néolibéral du
moins d’Etat et plus de marché, les instruments flexibles, incitatifs et informatifs, fondés sur
la responsabilité individuelle, et émanant d’une remise en question des instruments
traditionnels de la bureaucratie, de leur inflexibilité et donc de leur inefficacité (vs efficience
du marché), semble mieux adaptés à l’air du temps.
4. des instruments directs (command and control) vers les instruments indirects de
négociation et de persuasion (negotiation and persuasion) ;
Aussi, dans un contexte marqué par ce nouveau mode de gestion publique (paradigme de la
nouvelle gouvernance), rendu nécessaire par l’augmentation de la complexité et de
l’interdépendance du réseau de relation entre acteurs – situation ne permettant à aucun acteur
d’imposer son autorité sur les autres à long terme – les instruments de type command and
control ne sont plus appropriés. Dans ces circonstances, ce sont la persuasion et la négociation
qui deviennent efficaces et qui vont immanquablement remplacer les instruments de
régulation directe de type command and control (Salamon, 2002). Majone (1997, cité en
référence par Lascoumes et Le Galès, 2004) par exemple, dans sa réflexion sur les nouvelles
formes de régulation, estime que les agences européennes tendent de plus en plus à substituer
à la hard régulation (type command and control, régulation réglementaire) une régulation
beaucoup plus soft par l’information qui privilégie la persuasion.
Ainsi, pour Salamon (2002), l’apparition de ces « nouveaux » instruments d’action publique,
différents dans leurs modes de fonctionnement et de régulation par rapport aux « anciens »
instruments, rend nécessaire l’utilisation d’une nouvelle approche pour résoudre les
problèmes (la nouvelle gouvernance), approche qui permette de rendre compte de la nouvelle
nature collaborative des instruments d’action publique moderne et qui puisse être à même
d’analyser cette évolution vers l’utilisation d’instruments allant dans un sens de moins de
contrainte (étatique) et de plus de « laisser-faire » (le marché).
151
Rapports basés sur la communication et la concertation, renouvelant ainsi les fondements de la légitimité de
l’Etat.
152
Par opposition à l’approche classique de l’administration publique.
117
4.1.3 Synthèse et nuances
L’ensemble des perspectives de recherche que nous venons d’aborder semble souligner une
certaine évolution des instruments des politiques publiques. Qu’elle soit analysée à l’aune du
processus de réforme que connait la plupart des Etats industrialisés sous l’impulsion de la
résurgence des tendances néo-libérales et du new public management qui remet en question
les modalités de fonctionnement et d’intervention dites traditionnelles de l’Etat (leur
inflexibilité, leur inefficacité) en sacrant l’efficience du marché, ou qu’elle soit la
conséquence d’une augmentation de la complexité sociale qui pousse l’Etat, ne pouvant plus
réguler de manière autoritaire et contraignante des sous-systèmes sociaux en quête
d’autonomie et réfractaire à la contrainte, à repenser ses modalités d’intervention, cette
évolution semble tendre vers un processus impliquant le renoncement aux modalités
d’intervention contraignante pour l’application de modalités plus indirectes et incitatives.
Toutefois, ce constat peut être relativisé et, comme nous l’avons déjà souligné avec Varone
(1998), possède ses limites explicatives. En effet, à un niveau général, à savoir au niveau de
l’Etat dans sa globalité – toutes politiques publiques confondues – il est difficile de dresser un
constat définitif (et exhaustif) de l’évolution des modalités d’intervention. Cette évolution
dépend en effet souvent des champs d’investigation et n’est pas forcément la même dans le
domaine de la politique environnementale que dans d’autres politiques publiques. Un Etat
peut suivre cette tendance relevée dans un certain secteur d’intervention mais aller dans un
sens contraire dans un autre. Le constat peut également être nuancé au niveau même des
différentes composantes sectorielles d’une même politique publique.
Par ailleurs, établir une tendance générale d’évolution des modalités d’intervention au niveau
général pose la question de la validité de l’analyse. En effet, induire des résultats d’analyses
(toujours) sectorielles pour en tirer des conclusions au niveau général de l’Etat dans son
ensemble, sans distinction de champs, ne semble guerre valable sur le plan scientifique.
Or, si bon nombre d’analyses corroborent la tendance énoncée, un certain nombre tendent
plutôt à la réfuter, dont celle que nous ferons de la politique climatique suisse. La
généralisation ne semble donc pas si évidente à réaliser ou du moins nécessiterait de la
consolider par une ceinture protectrice. Enfin, rien ne permet aujourd’hui de dire si ce constat
est le fait d’une analyse en terme relatif ou absolu. Nous reviendrons sur ce point par la suite
(voir le point 4.3 ci-après).
Constat à nuancer disions-nous ! Prenons par exemple le cas de l’apparente nouvelle nature
collaborative des « nouveaux » instruments. En effet, la négociation et la flexibilité n’est pas
le seul fait des instruments de la nouvelle génération et ont également une place dans le
mécanisme des normes contraignantes : prenons l’exemple du principe BAT NEC ou des
régimes d’exception et de dérogation souvent mis en place au sein des command and control.
Aussi, selon Lascoumes et Le Galès (2004), l’innovation instrumentale n’est pas si évidente
que cela. En effet, selon ces auteurs, puisque le renouvellement constant des instruments a le
plus fréquemment retenu l’attention des observateurs, peu de travaux « s’attardent » sur
l’histoire de la carrière à long terme des instruments, sur leur évolution, leur transformation,
« leur épaisseur historique » (p. 357). Aussi, les « nouveaux » instruments ne seraient-ils pas
si « nouveaux » que cela. Par exemple, les activités contractuelles ou conventionnelles
remonteraient selon François Sestier (1988, cité en référence par Lascoumes et Le Galès,
2004) à la Troisième République où l’on vit naître les techniques conventionnelles sous la
forme d’accords entre acteurs publics et privés qui s’appelaient alors « relations
118
administratives subjectives » (Sestier, 1988, thèse de droit, Université de Lyon III, cité en
référence par Lascoumes et Le Galès, 2004, p. 358).
Ainsi, faute de perspective dans le long terme (diachronique), l’apparente nouveauté d’un
instrument, l’innovation dans le domaine, a comme « effet d’annonce » de retenir l’attention
des analystes. Chaque annonce d’innovation est d’ailleurs accompagnée, selon Lascoumes et
Le Galès (2004), de trois grands types de justification :
1. elle a pour but de produire un effet symbolique d’autorité qui souligne une certaine
rupture avec les actions antérieures et démontre la compétence des gouvernants ;
2. elle traduit une recherche d’efficacité, notamment par rapport à l’échec des
instruments précédents ;
3. elle est porteuse de valeurs « dont l’introduction est censée renouveler ou enrichir
l’action publique : la modernisation, la déréglementation et l’ouverture au marché,
l’ouverture démocratique et la participation. Cela se traduit en général par l’entrée de
nouveaux acteurs dans la conduite des politiques : des spécialistes (statisticiens,
experts divers) et parfois des profanes, comme dans tous les dispositifs consultatifs et
participatifs » (pp. 358-359)
Ce même constat peut également être tiré selon ces mêmes auteurs sur le plan du déclin
annoncé par certains de l’Etat. En effet, si une évolution vers un déclin de la régulation
traditionnelle contraignante au profit de l’information et de la négociation – vers moins de
contrainte et plus de flexibilité – peut être soulignée (bien que relativisée), ce constat mérite
néanmoins d’être nuancé du point de vue du « déclin » annoncé. Ainsi, si les nouveaux
instruments se généralisent, on aurait tort, selon les auteurs, d’y percevoir la preuve d’un tel
déclin, d’y associer une perte de son pouvoir de coercition et de sa capacité à orienter les
comportements. En effet, deux traits de l’Etat en restructuration se dégagent des recherches
sur les instruments menées par Lascoumes et Le Galès : « l’Etat mobilisateur de la
gouvernance négociée et l’Etat régulateur, surveillant et contrôleur. L’Etat n’a pas dit son
dernier mot, le chantier de recherche sur les instruments peut nous permettre de comprendre
certains éléments de sa restructuration. » (p. 369).
Pour nuancer également cette tendance d’une évolution vers l’utilisation d’instruments de
nature non contraignante, relevons également que les instruments de type command and
control sont toujours utilisés actuellement, notamment dans le domaine de la protection de
l’environnement. Notons ainsi avec Cooper (1995) que la croyance qui consiste à dire que ces
« nouveaux » instruments de gestion de l’environnement tendent à la réduction de l’étendue et
de la nature des charges et des coûts administratifs en laissant le marché « accomplir » le
travail semble illusoire. En effet, selon l’auteur :
119
D’ailleurs, même les outils basés sur le marché requièrent une certaine gestion (contrôle,
information, etc.) et induisent donc des coûts :
Aussi, pour Copper (1995) le champ d’investigation du développement durable comme étude
de cas dans le problème de la gestion dans l'Etat hybride est utile à étudier et permettrai sans
doute de nuancer la tendance mise en avant.
Un autre aspect permet également de nuancer la tendance esquissée. En effet, pour observer
une évolution de l’intervention de la contrainte vers le moins de contrainte, faut-il encore que
les instruments traditionnels soient vraiment contraignants (dans leurs modalités
d’application). Or comme Ost (1995) le souligne, il s’avère que les instruments de police
environnementale (réglementation, etc.) contiennent rarement des dispositions clairement
impératives. En effet
pour fonctionner comme un instrument entre les mains des décideurs (experts,
administrations, groupes industriels), ces lois multiplient au contraire les concepts vagues
permettant toutes les interprétations, les injonctions seulement incitatives dépourvues de
sanctions claires et de calendrier précis, et – plus grave encore – les exceptions et
dérogations qui sont autant de portes ouvertes aux formes d’évasion normative, comme si
le droit de l’environnement n’était impératif que lorsqu’il s’applique aux autres. (p. 108)
Ainsi, comme nous l’avons déjà relevé, exceptions et dérogations ouvrent à un plus grand
pouvoir discrétionnaire à l’administration et permettent une gestion flexible et négociée des
normes environnementales :
Aussi, ces éléments bien considérés, nous pensons qu’établir une évolution dans la nature des
instruments utilisés par l’Etat ne paraît pertinent uniquement dans la prise en considération de
champs d’application particuliers (politique environnementale, politique énergétique). Un
discours plus général sur l’évolution des modes de régulation reste pour nous seulement
théorique et conceptuel et ne permet pas d’établir des faits (car un discours général ne peut
embrasser de manière systématique tous les champs d’intervention). Toutefois, nous pensons
qu’un constat peut plus facilement être établi si l’on se réfère à l’utilisation de types
d’instruments bien précis (à définir de manière expost) et s’il est la résultant d’une analyse
sectorielle (et non générale), analyse qui seule permet d’embrasser systématiquement
l’ensemble des mesures mises en œuvre. Il est ainsi selon nous plus intéressant et pertinent
d’établir des analyses d’étude de cas concrets ; ce à quoi nous nous attèlerons dans la partie
120
consacrée à l’analyse de la politique climatique suisse. L’induction au niveau général ne
devant dès lors rester qu’une hypothèse de travail pour le chercheur. Aussi ne faut-il pas
confondre théorie et réalité, réalité et théorie153.
En conclusion, nous pensons qu’établir par l’analyse une tendance évolutive dans l’utilisation
des instruments nécessite :
• de prendre un champ d’investigation particulier qui permet une étude systématique sur
le long terme ;
• d’établir les concepts qui vont être à l’origine de l’analyse (notamment les types
d’instruments) et ne pas utiliser des notions aussi floues que celles de contrainte (si
elles ne sont pas définies de manière opérationnelle au préalable).
Nous verrons dans notre chapitre méthodologique d’autres limites actuelles à la recherche
instrumentale et définirions également d’autres prés requis qui puissent rendre possible et
opérationnelle une telle analyse. Nous verrons par exemple qu’il est également important de
définir quels sont les acteurs cibles considérés dans l’analyse dans la mesure où la nature de
l’instrument change en fonction de l’acteur pris en considération. Enfin, notons d’ores et déjà
que des instruments incitatifs peuvent s’avérer très contraignants du point de vue de certains
acteurs cibles et de l’objectifs visés (pensons à une taxe environnementale de 1 ou de 100
CHF la tonne). Ainsi, si l’évolution vers moins (ou plus) de contrainte nous semble être
actuellement une question mal posée dans la littérature consacrée à l’analyse instrumentale,
elle mérite cependant d’être analysée. Nous pensons par contre que la notion coercitive est
plus à même de rendre compte d’une évolution de l’utilisation des instruments, notamment
parce que comme nous le définirons, le concept de coercition, à l’inverse de celui de
contrainte, est « indépendant » vis-à-vis des multiples destinataires possibles d’un instrument
(nous reviendrons sur ce point par la suite).
Pour atteindre leurs objectifs, les Etats ont théoriquement la possibilité de combiner les
instruments de manière synchronique (concomitante) ou de manière diachronique
(séquentielle). Adhérer à cette hypothèse implique d’accepter le fait que l’introduction des
instruments peut être chronologiquement séquencée et qu’une sélection doit alors être opérée
pour la mise en place d’une combinaison adéquate dans le temps. Ainsi, dans une perspective
153
Notons d’ailleurs à ce propos que, selon nous, Morand (1999) n’est pas tombé dans ce piège. En effet, s’il
part de l’hypothèse d’une modification « historique » du mode d’intervention de l’Etat et le passage d’un mode
de régulation sociale de nature contraignante à un mode de plus en plus « soft », il se garde cependant d’en
établir une réalité pratique. Ainsi, Morand (1999) souligne avec insistance le fait que les types d'Etat qu’il a
définis, bien qu'étant apparus historiquement dans un ordre chronologique, coexistent dans la réalité actuelle.
Ainsi, le fait que « divers modèles se soient succédés dans l'histoire ne signifie pas qu'à chaque étape on ait fait
tabula rasa de tout ce qui précédait » (p. 18). Nous pouvons d’ailleurs relever avec lui que le législateur mélange
fréquemment plusieurs techniques et que si les types de modalité d'action de l'Etat ont pu « prévaloir » à un
moment donné de l'histoire, ils ne sont en aucun cas exclusifs aujourd’hui. De plus, l’auteur souligne également
avec insistance que les types d’Etat théorisés doivent être considérés comme des types idéaux au sens wébérien
du terme. Comme le souligne Morand, les différentes formes d’Etat et de droit qu’il manipule à des fins
heuristiques ne sont qu’un reflet imparfait de la réalité sociale ou juridique. Ce sont des décodeurs, des outils
d’analyse. Ils ne sont pas la réalité mais servent plutôt à la « mesurer ».
121
à plus ou moins court terme, ce type de combinaison peut être illustré par les deux équations
suivantes :
Or, si nous venons de constater dans le chapitre précédent que, dans le cadre d’une
perspective analytique historique (approche diachronique du temps long), une évolution allant
vers une diminution de la contrainte peut être esquissée (mais toutefois relativisée), une
tendance inverse semble être soulignée par la littérature spécialisée dans une perspective
temporelle et analytique à plus petite échelle.
Ainsi, comme le souligne Varone (1998), les premiers chercheurs ayant abordé la question du
choix des instruments de manière diachronique (entendons par là à plus ou moins court terme)
ont souligné (plus de manière hypothétique que par la démonstration) une « évolution
(quasi)naturelle » dans leur utilisation qui suit une graduation de l’instrument le moins
contraignant vers le plus contraignant.
Selon l’auteur, les exemples des typologies de Doern et Wilson (1974), ainsi que de Hood
(1983), « illustrent la portée de telles hypothèses qui sont restées longtemps dominantes au
sein de la recherche sur les instruments des politiques publiques » (Varone, 1998, p. 42).
En effet, le continuum établit par Doern et Wilson (1974, notamment cité en référence par
Schneider et Ingram, 1990, Howlett, 1991, et Varone, 1998) est fonction du degré de
contrainte des instruments et le choix des instances gouvernementales (canadiennes) semblent
aller dans le sens d’une gradation de l’instrument le moins contraignant vers celui le plus
contraignant :
Politicians have a strong tendency to respond to policy issues (any issu) by moving
successively from the least coercive governing instrument to the most coercive. Thus they
tend to respond first in the least coercive fashion by creating a study, or by creating a
new or reorganized unit of government, or merely by uttering a broad statement of intent.
The next least coercive governing instrument would be to use a distributive spending
approach in which the resources could be handed out to constituencies in such a way that
the least attention is given as to which taxpayers’ pockets the resources are being drawn
from. At the more coercive end of the continuum of governing instruments would be a
larger redistributive programme, in which resources would be more visibly extracted
from the more advantaged classes and redistributed to the less advantaged classes. Also
the more coercive end of the governing continuum would be direct regulation in which
122
the sanctions or threat of sanctions would have to be directly applied. (Doern et Wilson
(1974, p. 339), cités par Howlett, 1991, p.12, et par Vedung, 1998, p. 40, citant également
pour la première phrase Doern et Phidd (1983, pp. 128ss))
Cette idée (ou hypothèse) selon laquelle les gouvernements combineraient les instruments de
manière séquentielle et graduellement plus contraignante (Vedung, 1998, Bemelmans-Videc
et Vedung, 1998), ou en d’autres termes que les problèmes sont résolus en trois étapes : par
l’information, puis par l’application d’incitations et finalement par une régulation/sanction,
soit par l’utilisation successive d’instruments de plus en plus contraignants, peut être
expliquée selon Vedung (1998) par le fait de la pus grande acceptabilité des instruments les
moins contraignants et d’une plus grande acceptabilité générale d’un programme par étapes
successives. Ainsi l’instrument le moins coercitif est appliqué dans une première étape afin de
lever progressivement les réticences à une intervention de l’Etat qui, par la suite, si cela
devient nécessaire, peut dès lors plus facilement utiliser des instruments plus coercitifs. Cette
stratégie d’intervention graduelle serait ainsi selon les auteurs (Howlett, 1991, Vedung, 1998,
Varone, 1998), l’expression d’une idéologie politique libérale – et de son « principe de
contrainte minimale [The minimal constraint principle] »154 (Vedung, 1998, p. 41) – et de la
difficulté à imposer des instruments contraignants à des groupes sociaux réticents face à la
contrainte et défendant leurs intérêts. Dans cette perspective, même si les instruments sont
substituables, les gouvernements vont préférer l’instrument le moins coercitif, à moins que
son inefficacité avérée les pousse à l’utilisation d’instruments plus contraignants (Howlett,
1991).
Si nous reprenons l’équation que nous avons définie au départ, la stratégie d’intervention
séquentielle et graduellement contraignante peut être illustrée de la manière suivante :
Cette stratégie instrumentale peut également être illustrée par la théorie des « trois E » de
Paisley (1981, cité en référence par Van der Doelen, 1998) (cf. Figure 6 ci-après)
Comme le relève Varone (1998, faisant référence à Hood, 1983), cette hypothèse se retrouve
également chez un auteur comme Hood (1983/1990) qui introduit une gradation du niveau de
contrainte dans sa typologie. En effet, celle-ci introduit très schématiquement une
augmentation de la contrainte en fonction des ressources utilisées qui va dans le sens nodality
treasure authority / organisation, mais également au sein même de la catégorie autorité
(low hight).
154
Selon Hood (1986), qui reprend les termes d’Adam Smith, le principe de la contrainte minimale signifie
induire chez la population le moins possible de « trouble, vexation, and oppression » (Hood, 1986, pp. 190ss cité
en référence par Bemelmans-Videc et Vedung, 1998, p. 264). Ainsi, selon Doern et Phidd (1983), « The
minimal-constraint principle would dictate that lower-constraint instruments such as moral suasion and
financial incentives be preferred to higher-constraint instruments like regulation, where all else is equal »
(Doern et Phidd 1983, p.112 cité par Bemelmans-Videc et Vedung, 1998, p. 264).
123
Figure 6 : La stratégie des « trois E » de Paisley
L’hypothèse de l’augmentation graduelle de la contrainte dans le choix des instruments peut également être
illustrée par la stratégie des trois E (Three E’s strategy : Education, Engineering, and Enforcement) de Paisley
(1981) que l’on peut illustrer comme suit
Degré de contrainte
(continuum liberté – contrainte)
Selon cette théorie un problème est résolu à travers le temps en trois étapes séquencées : premièrement par
l’information, deuxièmement par l’application d’incitation puis en dernier par l’établissement de
réglementations.
Dans cette perspective, l’Etat se doit d’utiliser des instruments de plus en plus contraignants par étapes
successives. Ceci permet notamment de lever graduellement la résistance de certains acteurs pour permettre
l’introduction d’instruments plus contraignants.
Ainsi, les politiques publiques se doivent de résoudre les problèmes à travers le temps selon trois voies :
first by the provision of information (education), subsequently by the application of selective
incentives (engineering), and lastly by the establishment of rules and regulation (enforcement).
The underlying notion is that in solving social problems the authorities apply tools of increasing
strength in successive stages. (Bemelmans-Videc et Vedung, 1998, pp. 263-264 citant en
référence Van der Doelen, 1998, p.123)
Cette évolution fait d’ailleurs supposer à Hood (Hood, 1983, notamment cité en référence par
Howlett, 1991 et Varone, 1998) l’existence d’un phénomène de « re-instrumentalisation à
travers le temps [re-tooling : change over time] » (p.126) qui caractérise les choix successifs
des instruments. Cependant, l’évolution n’est toutefois pas totalement égale à celle esquissée
auparavant. En effet, le phénomène constaté par Hood (1983, cité en référence par Howlett,
1991 et Varone, 1998) comprend un double mouvement155 qui souligne certes le passage des
instruments d’information aux instruments basés sur les autres ressources – et donc des
instruments moins contraignants aux plus contraignants – mais également un passage des
instruments coercitifs aux instruments basés sur les ressources financières et d'organisation –
passage qui ne correspond pas entièrement à l’hypothèse esquissée jusqu’à présent.
L’explication avancée par Hood (1983, cité en référence par Howlett, 1991) est celle d’un
choix des décideurs établi plus sur la base des expériences passées et des erreurs commises
(processus d’essais erreurs), qui se rapproche plus d’un choix fondé sur l’intuition et la
tradition ainsi que découlant du changement technologique. Mais les raisons exactes ne sont
155
« A shift from information-based instruments to those based on other resources, and a shift from reliance on
coercition to the use of financial and organisational resources » (Howlett, 1991, p. 10, faisant référence à Hood,
1986, pp. 126-131)
124
pas analysées plus en détail. Cependant, dans tous les cas, pour Hood (1986, cité en référence
par Howlett, 1991), même si les instruments sont substituables, les gouvernements se doivent
de faire un choix qui est dû notamment aux contraintes inhérentes aux ressources à
disposition, aux pressions politiques (notamment à celles émanant des groupes-cibles), au
cadre légal et aux leçons tirées des expériences passées. Ainsi, le choix des instruments est
défini par des forces identifiables qui influencent les gouvernements dans leur stratégie
d’intervention. Une de ces forces importantes est le groupe-cible qui va fortement influencer
le choix des instruments156. Par ailleurs, les gouvernements semblent préférer les instruments
d’information et autoritaires du fait que ces ressources soient « inépuisables » (par opposition
aux ressources financières et organisationnelles). Ainsi, les instruments les plus privilégiés
semblent être les instruments nodaux (d’information), fondés sur une ressource
informationnelle et une contrainte minimum à l’égard des citoyens. Cependant, lorsque la
contrainte est rendue nécessaire, la préférence semble aller à l’intervention autoritaire dans la
mesure où cette ressource est moins intensive, notamment par rapport aux ressources
organisationnelles.
Vedung (1998, également cité en référence par Bemelmans-Videc, 1998) souscrit également à
une classification qui soit caractérisée par le degré de contrainte des instruments (ou le degré
de la force autoritaire) comme l’ont également fait Doern et Willson et Hood, avec dans l’idée
que les décideurs choisissent en premier l’instrument le moins coercitif, pour ensuite, si
nécessaire, aller vers le plus coercitif :
decision makers will always choose first the least coercive instrument, moving
over time from least coercive to most coercive in any given policy area
(Bemelmans-Videc, 1998, p. 9)
En résumé, cette stratégie (étapes successives de plus en plus contraignantes) est sans doute la
résultante de deux phénomènes (Bemelmans-Videc et Vedung, 1998) :
• une certaine cohérence avec une philosophie politique de nature (néo)libérale qui veut
éviter le recours à l’interventionnisme étatique pour laisser le plus de liberté possible
aux acteurs (liberté du marché efficient) ; néanmoins, si l’intervention est jugée
nécessaire, c’est le principe de la contrainte minimale qui s’applique (cf. Encadré 11
ci-après)157.
156
Un groupe-cible conséquent et bien organisé va pousser le gouvernement à intervenir via les ressources
informationnelles et financières ; suivant la taille du groupe-cible, le gouvernement va également passer des
instruments actifs (plutôt destinés à des petits groupes) à des instruments passifs (plutôt destinés à des grands
groupes).
157
Le pendant du principe de la proportionnalité bien connu des juristes.
125
Encadré 11 : Le principe de la contrainte minimale
Dans le cadre de la conception des politiques publiques ou de leur évolution, ce principe commande de faire le
choix de l’instrument le moins contraignant possible pour atteindre un objectif (toutes choses étant égales par
ailleurs) et de procéder ensuite, si nécessaire, par étapes successives vers l’introduction d’instruments de plus en
plus contraignants.
Cependant, cette graduation instrumentale vers la contrainte peut être :
• prévue dès la phase de conception de la politique publique qui prévoit ainsi des étapes successives dites
subsidiaire ; nous parlons dans ce dernier cas de la subsidiarité des instruments contraignants
(instruments subsidiaires) principe choisi
• non prévue dans la phase de conception, mais procéder de l’évolution historique de la politique publique
principe subi
Source : l’auteur
C’est ainsi sur cette base, remarque Van der Doelen (1998), que les chercheurs ont développé
des stratégies pour mettre en place des politiques faisables et efficaces qui font appel à un
séquençage en trois étapes.
4.3 Un paradoxe ?
D’un côté, avec les études sur l’évolution (historique) de l’intervention de l’Etat dans la
société et celles insistant sur l’apparition de « nouveaux » instruments d’une nature
sensiblement différente que celle des instruments dits « traditionnels », nous avons pu
souligner une tendance vers l’utilisation d’instruments d’action de moins en moins
contraignants (de plus en plus flexibles, indirects, etc.).
Cette tendance peut certes être relativisée – et n’est pas empiriquement démontrée – elle n’en
reste pas moins une bonne hypothèse de travail qu’il faut néanmoins manier avec précaution.
En effet, selon nous, les études actuelles ne permettent pas de définir si l’évolution (si tant est
qu’il y en ait vraiment une) mise en exergue se pose en des termes absolus ou relatifs. Le
tableau ci-après (cf. Tableau 22 ci-après) illustre ainsi différentes « configurations »
d’évolution instrumentale pour lesquelles la conclusion peut être identique : une augmentation
des instruments non-contraignants et une diminution des instruments contraignants durant le
XXe siècle (de t1 vers t2)… mais en des termes absolus et/ou relatifs.
126
Tableau 22 : Quelques exemples de configuration de l’’évolution dans l’utilisation des modalités d’intervention qui permettent de tirer les mêmes conclusions générales en termes
relatif mais pas en terme absolu !
Légende :
EvAbsInc : évolution en terme absolu des instruments non-contraignants [évolution barres rouges] ; EvAbsIc : évolution en terme absolu des instruments contraignants [évolution barres jaunes] ;
EvRelInc/Ic : évolution des instruments non-contraignants et contraignants en terme relatif [évolution barres rouges/barres jaunes] ; t1 t2 : évolution temporelle du temps 1 vers le temps 2
Nombre total croissant d’instruments Nombre total croissant d’instruments Nombre total croissant d’instruments
t1 t2 t1 t2 t1 t2
Nombre total constant d’instruments Nombre total décroissant d’instruments Nombre total décroissant d’instruments
t1 t2 t1 t2 t1 t2
Source : l’auteur
127
Aussi, pour pouvoir tester une telle hypothèse, il nous semble nécessaire, avec Varone (1998)
de disposer d’une « mesure »158 adéquate de la variable types d’instruments (notamment
compte tenu de la nature contraignante/coercitive vs non-contraignante/non-coercitive des
instruments) et de pouvoir ainsi identifier cette évolution en des termes absolus ou relatifs et
dépasser la mise en évidence de tendances générales ambigües et impossibles à vérifier. Par
ailleurs, nous pensons également qu’une telle hypothèse n’est que difficilement testable
empiriquement si ses contours temporels et géographiques, voire sectoriels, ne sont pas
clairement définis.
De l’autre côté, les études basées sur le séquençage des instruments dans le cadre des
politiques publiques tendent à identifier une stratégie d’intervention allant dans le sens d’une
augmentation graduelle et téléologique de la nature contraignante des instruments.
Il découle de ces deux types d’analyse – qui peuvent paraître à première vue contradictoire :
évolution vers moins de contrainte/coercition vs vers plus de contrainte/coercition – des
hypothèses prospectives concernant l’évolution future des modalités d’intervention. Parmi ces
hypothèses, nous noterons la possibilité que :
2. cette tendance s’inverse ; nous assistons alors à un retour des modalités plus
contraignantes160 via la mise en œuvre de la stratégie de séquençage de l’utilisation
des instruments (principe de la subsidiarité instrumentale).
Nous reviendrons sur ces hypothèses à la lumière de notre analyse de la politique climatique
suisse161.
158
Ce point est pour nous central car sans une telle possibilité de mesure, il ne sert à rien de développer plus en
avant l’étude de l’évolution des modalités d’intervention qui pose par ailleurs la question de l’unité d’analyse :
une taxe est-elle vue comme un instrument au même titre que l’ensemble d’un programme d’éducation et de
sensibilisation ? ou chaque mesure informationnelle, de même qu’éducationnelle, est-elle identifiable en tant que
telle comme instrument non-contraignant ?, etc.
159
Cela pourrait par exemple s’expliquer par a) l’efficacité des instruments non-contraignants, qui permettrait à
l’Etat de ne pas agir de manière plus contraignante et/ou b) une impossibilité de lever les réticences de certains
acteurs clés du processus décisionnel vis-à-vis de l’introduction des instruments contraignants prévus de manière
subsidiaire qui engendrerait l’introduction d’instruments supplémentaires mais de nature non-contraignante.
160
Cela pourrait par exemple s’expliquer par a) l’inefficacité des instruments non-contraignants qui permettrait à
l’Etat d’introduire les instruments contraignants prévus de manière subsidiaire et/ou b) la possibilité de lever les
résistances vis-à-vis de l’introduction d’instruments contraignants. Ensuite, compte tenu de la nature de la
stratégie de combinaison des instruments envisagée, l’introduction d’instruments contraignants viendrait soit
remplacer les instruments non-contraignants, soit de manière complémentaire.
161
Voir nos développements consacrés à l’évolution probable de la politique climatique suisse (et des autres
politiques publiques de protection de l’environnement) dans le cadre de la dernière partie de notre recherche
(voir 3e partie, chapitre 13, point 13.6.3).
128
IIE PARTIE
ELÉMENTS MÉTHODOLOGIQUES
129
130
Dresser – mais surtout utiliser – une typologie d’instruments politiques peut se révéler être
d’une grande utilité pour comprendre et analyser les politiques publiques (de protection de
l’environnement), et notamment dans la perspective d’en expliquer leur choix.
Selon Kaufmann-Hayoz et al. (2001), leur utilisation s’avère importante pour trois raisons
principales. Premièrement, un grand nombre de typologies possèdent des capacités
intégratrice et généralisatrice non négligeables qui permettent d’élaborer un travail de
synthèse (d’études de cas hétérogènes ou de différentes perspectives analytiques par exemple)
et de formuler des conclusions générales. Deuxièmement, l’utilisation de typologies basées
sur des théories disciplinaires et spécifiques permet de générer puis de tester des hypothèses.
Enfin, une typologie permet également de développer un langage commun qui facilite la
communication entre chercheurs.
Ainsi, Howlett (1991) fait remarquer que l’étape de l’élaboration d’une classification est
primordiale dans la perspective d’analyser, de comprendre et d’expliquer le choix des
instruments au sein du processus décisionnel. Ainsi, pour bon nombre d’auteurs (voir par
exemple Linder et Peters (1989, 1990a), Ingram et Schneider (1990b) et Elmore (1987), tous
cités par Varone (1998)) la conception d’une typologie d’instrument doit pouvoir fournir « le
point de départ pour l’élaboration d’une théorie du design des politiques » (Varone, 1998,
p.26). D’ailleurs, comme le soulignent également De Bruijm et Hufen (1998), c’est dans cette
perspective que l’établissement des typologies a souvent été vue comme une contribution
nécessaire, contribution qui a d’ailleurs suscité beaucoup d’intérêt comme en atteste les
nombreuses typologies existantes.
Par ailleurs, pour des auteurs tels que Lascoumes et Le Galès (2004), les typologies semblent
également nécessaires pour analyser, au-delà des raisons du choix des instruments, leurs
effets162 ainsi que la transformation de l’action étatique163.
Selon Salamon et Lund (Salamon, 1989, Salamon et Lund, 1989) l’analyse instrumentale des
politiques publiques (tools approach) ne peut donc se faire sans prendre comme point de
départ une classification des instruments qui puisse notamment mette en exergue certaines
dimensions des instruments (pivotal dimension) à même de servir à les comparer et les
contraster. Cette approche implique selon eux trois types de travaux :
162
Même si, pour nous le choix des instruments semble découler de leurs effets (attendus et/ou réalisés), et
inversement.
163
Dans la mesure où les instruments sont de très bon révélateurs et d’efficaces traceurs de changement et de
transformation de l’Etat.
131
1. des travaux descriptifs aidant à définir et ainsi à clarifier la notion même d’instrument
et à identifier les instruments utilisés en décrivant leur mode opératoire ;
2. des travaux de nature analytique pour identifier les dimensions majeures permettant de
classer et comparer les instruments, identifier la nature des impacts des instruments et
spécifier leurs caractéristiques ;
3. des travaux prescriptifs afin de proposer quels instruments sont (les plus) appropriés
pour résoudre des problèmes particuliers et les améliorations pour les rendre plus
efficaces.
Ainsi, la question des « types » d’instruments semble revêtir une importance certaine dans la
perspective d’établir une théorie de l’action publique (policy disign) et de définir les variables
explicatives de leur choix. Par ailleurs, elle est également importante dans l’optique d’établir
des études comparatives et intégratrices, permettant par exemple de souligner l’existence
« d’approches nationales »164 et/ou l’évolution instrumentale au sein d’une politique
publique165.
Toutefois, comme nous allons pouvoir le constater par la suite, il ne suffit pas pour nous de
construire une typologie d’instruments – et c’est déjà une difficulté en soi – pour pouvoir
analyser les politiques publiques, encore faut-il pouvoir l’appliquer à bon escient.
Or nous avons déjà entrevu toutes les difficultés que pouvait soulever la tentation de définir la
notion d’instruments politiques, notamment compte tenu de sa nature « multiple », ainsi que
la grande diversité des typologies proposées par la littérature spécialisée, chacune issue de
contextes théoriques plus ou moins proches… ou très différents. Cette complexité va donc
immanquablement rejaillir sur les questions d’ordre méthodologique – inhérentes à la
conception et à l’utilisation des typologies – qui ne sont somme toute que rarement abordées
en profondeur par les chercheurs (ou du moins de manière que très « parcellaire ») et sans une
réelle réflexion systématique et aboutie.
Ces questions d’ordre méthodologique sont ainsi le plus souvent reléguées en arrière plan, les
typologies d’instruments semblant, par exemple, ne représenter qu’une importance toute
relative par rapport à l’objet étudié (notamment les variables explicatives du choix des
instruments166) ou, à l’inverse, constituer une fin en soi.
Mais n’oublions jamais qu’une typologie se doit de rester un outil d’analyse (un moyen de
compréhension) et non un objectif ultime se suffisant à lui-même. Ainsi, en accord avec la
réflexion menée par Varone (1998), nous pensons également qu’une typologie est un élément
essentiel qui se doit nécessairement d’être valorisé dans le cadre théorique de l’analyse des
politiques publiques. Nous verrons ainsi par la suite ce que cela implique, tant sur le plan de
leur conception que de leur utilisation.
164
Par exemple étude comparative des (types d’) instruments utilisés dans différents Etats dans le cadre d’une
politique donnée.
165
Par exemple étude de l’évolution des (types d’) instruments utilisés au sein d’une politique publique donnée,
dans un Etat donné.
166
Sabatier (2000) note ainsi que lorsque les instruments sont pris en compte dans la réflexion sur les politiques
publiques, c’est souvent de manière marginale par rapport aux autres variables telles que les institutions.
132
Aussi, dans la perspective de mener une analyse instrumentale des politiques publiques via
l’élaboration d’une typologie d’instruments politiques, nous pensons que les deux dimensions
que sont ses modalités de conception et d’utilisation se doivent de reposer sur une base
méthodologique solide, cohérente et systématique. Or, il nous a semblé qu’une telle attente,
légitime de la part du scientifique, ne peut être remplie en l’état actuel de l’avancement de la
recherche dans le domaine, et cela même si certains auteurs ont (entra)perçu ce « déficit
méthodologique » et ont tenté d’identifier certaines questions et lacunes méthodologiques
auxquelles les typologies étaient confrontées. Nous en soulignerons d’ailleurs les plus
importantes après avoir identifié quelques méthodes « générales » de conception (et,
beaucoup moins, d’application) des typologies telles qu’elles ont été « regroupées » au sein de
la littérature spécialisée.
Dans cette partie consacrée à la méthodologie des typologies d’instruments politiques, il n’est
ainsi pas question d’établir une étude systématique des différents « problèmes [gaps] » (De
Bruijm et Hufen, 1998, p.27) auxquels sont confrontées chacune des typologies que nous
avons traitées dans la première partie de notre recherche. Nous avons en effet choisi de traiter
la question des lacunes de manière générale dans la mesure où c’est la manière qui nous est
apparue la plus efficace pour traiter de ces questions d’ordre méthodologique sans tomber
dans une analyse systématique qui n’aurait en aucune manière été productive, tant la
systématicité est difficile (voire impossible) à établir dans ce champ d’investigation, compte
tenu de sa grande complexité, et tant ces questions d’ordre méthodologique ne sont
qu’implicitement abordées.
Pour les mêmes raisons, il ne sera pas non plus ici question d’identifier de manière
systématique pour chacune des typologies que nous avons étudiées quelles méthodes de
conception (et d’utilisation lorsqu’elles sont appliquées) ont été pratiquées. Nous préférons
ainsi rester également à un niveau plus général qui s’avère plus pertinent dans la perspective
qui est la nôtre : proposer une autre voie méthodologique et non une correction des voies
tracées.
Ainsi, nous tâcherons dans cette partie d’éclairer les questions méthodologiques inhérentes
aux typologies des instruments politiques sous différentes thématiques « globales », tout en se
référant, par moment et quand nous l’avons jugé pertinent, à des exemples plus spécifiques.
Nous nous occuperons donc des aspects méthodologiques liés, d’une part, à la conception et,
d’autre part, à l’application des typologies d’instruments politiques à l’analyse instrumentale
des politiques publiques, non sans souligner les lacunes méthodologiques et conceptuelles de
ces champs d’investigation.
Nous poursuivons ainsi un double « objectif méthodologique » qui s’articule comme suit :
• et, donnant suite à nos réflexions conceptuelles, théoriques et méthodologiques sur les
typologies d’instruments des politiques publiques, proposer une nouvelle approche
instrumentale des politiques publiques de l’environnement fondée sur l’adaptation de
la méthode compréhensive wébérienne des idéauxtypes à notre champs
d’investigation ; ce deuxième objectif revêt sous sa forme finale l’habit d’une
133
typologie idéaltypique des instruments politiques de protection de l’environnement et
du climat (chapitres 8 et 9) ;
C’est ainsi sur la base de notre cheminement dans les méandres conceptuels, théoriques et
méthodologiques des typologies d’instruments des politiques publiques que nous proposerons,
dans le cadre de cette deuxième partie de notre recherche, une solution (globale) permettant
de dépasser les difficultés relevées afin de développer une (nouvelle) perspective de recherche
(une « nouvelle voie méthodologique ») dans le domaine de l’analyse instrumentale des
politiques publiques (de protection de l’environnement), notamment dans une perspective
inter/transdisciplinaire, systémique et globale… de développement durable.
Comme nous le verrons par la suite, nous pensons que cela implique notamment, d’une part,
que concevoir une typologie d’instruments politiques, puis l’utiliser/l’appliquer, sont deux
modalités qui, si elles se doivent d’être dissociées l’une de l’autre, ne serait-ce que sur le plan
de la démarche scientifique – il est nécessaire de concevoir une typologie avant de l’utiliser –
ne peuvent être pensées l’une sans l’autre sur le plan de la réflexion méthodologique. D’autre
part cette approche implique également selon nous de permettre aux typologies d’instruments
de gérer la complexité instrumentale qu’elles se veulent pouvoir appréhender et mesurer.
Ainsi, de manière générale, les typologies reflètent des tentatives (ou une tentation) de faire
rentrer la réalité (les instruments) dans des catégories. Cela implique notamment des biais
théoriques et méthodologiques dûs à la complexité même de la réalité sociale167. Notons
également à ce stade que dans littérature qui traite des typologies d’instruments, soit comme
point central de l’analyse, soit de manière marginale, nous pouvons trouver « de tout » : les
typologies peuvent être cohérentes comme comporter des incohérences flagrantes (critère de
cohérence interne), elles peuvent être bien argumentées, comme sembler relever d’une
« génération spontanée », elles peuvent être bien structurées comme déstructurées, elles
peuvent être construites avec des références à la littérature sur le sujet ou sans la moindre
source.
Avant d’aborder les « méthodes » de conception et d’application des typologies telles qu’elles
ressortent de la littérature spécialisée et de souligner l’existence de certains lacunes
167
Comment peut-on par exemple établir que telle politique utilise tel type d’instrument, si l’instrument
réellement mis en œuvre peut être classé dans une catégorie ou une autre selon la perception subjective qu’en a
le chercheur ?
134
« générales » auxquelles elles sont confrontées, nous allons, en guise de préambule, souligner
une première insuffisance d’ordre méthodologique à laquelle nous avons été confrontée et qui
n’a pas facilité notre démarche : la présence d’un cadre méthodologiques « éclatés ».
En effet, dans nos recherches, nous avons pu nous rendre compte – d’ailleurs assez
rapidement – que la première lacune méthodologique était en réalité l’absence flagrante de
fondements ou corpus méthodologiques solides, unifiés, communs, rigoureux, systématiques
et éprouvés dans le domaine de la conception et de l’application des typologies d’instruments
à l’analyse des politiques publiques, notamment dans le domaine des politiques de protection
de l’environnement, mais pas seulement.
Pour commencer, nous noterons par exemple qu’il n’existe à notre connaissance aucun
ouvrage consacré entièrement à la question des typologies des instruments politiques de
protection de l’environnement qui proposerait une démarche globale et cohérente apte à
intégrer dans la réflexion tant les modalités de conception de la typologie que ses modalités
d’application et qui soit, dès lors, à même de pouvoir lever les lacunes méthodologiques
auxquelles sont confrontées les typologies actuelles.
En effet, comme nous l’avons déjà souligné, la littérature sur le sujet qui nous occupe se
trouve plutôt constituée d’une multitude d’essais, d’articles et de parties d’ouvrages ou
d’ouvrages constitués d’un recueil de contributions de plusieurs auteurs, qui traitent souvent
la question des typologies d’instruments de manière marginale.
Il ressort ainsi de ces différentes et multiples contributions que les questions d’ordre
méthodologique inhérentes à la conception et à l’application des typologies :
• sont traitées de manière très hétérogène à la fois sur le niveau de l’analyse théorique
que de l’application pratique ;
• sont souvent issues d’une réflexion partielle, sans réflexion globale, et placées dans
des cadres référentiels très souvent différents, tant sur plan théorique, que conceptuel
ou pratique.
Par ailleurs, lorsque des lacunes sont identifiées, chaque auteur semble également développer
ses propres pistes et réflexions méthodologiques, de manière « intuitive », sans se référer aux
fondements méthodologiques pourtant connus et développés en sciences sociales (nous y
reviendrons). Ceci nous amène à souligner que, parfois, la rigueur (scientifique) et la
cohérence interne168 et externe des ces « passages » consacrés aux typologies nous ont parfois
laissé très songeurs.
En résumé, nous dirons que la nature « éclatée » de la littérature spécialisée portant sur les
typologies des instruments politiques (de protection de l’environnement), qui s’exprime en
tout premier lieu par l’absence de réflexion globale et systématique sur la question, ne
favorise pas l’émergence d’une méthodologie apte à appréhender une réalité instrumentale
pourtant très complexe. Ainsi, nous avons également constaté que les deux étapes
168
Certaines typologies font par exemple côtoyer divers types d’instruments issus de niveaux analytiques
différents.
135
(méthodologiques) que sont la conception et l’utilisation des typologies ne sont jamais traitées
de manière « interactive » mais, au contraire, sont le plus souvent dissociées. Or, à notre sens,
si ces deux étapes doivent être dissociées sur le plan pratique (il est nécessaire de concevoir
une typologie avant de l’utiliser), ces deux questions d’ordre méthodologique sont étroitement
liées et ne peuvent être pensées l’une sans l’autre sur le plan de la réflexion méthodologique
(on ne peut penser la conception d’une typologie sans savoir comment va-t-on l’utiliser et on
ne peut l’utiliser sans savoir dans quel but elle a été conçue). De même les lacunes que nous
allons identifier par la suite ne peuvent être selon nous résolues sans cette perspective
interactive ; il est ainsi difficile de parler de lacunes méthodologiques en dissociant la
conception de l’utilisation car les deux sont intimement liés.
Ainsi, souvent issues (en plus ou moins grande partie) d’une connaissance « pratique » du
chercheur dans un secteur particulier de l’intervention étatique, la justification théorique des
typologies n’est le plus souvent pas explicitées, voir brille par son absence (cf. la méthode la
« génération spontanée » évoquée plus loin). Et, s’il est vrai que certains auteurs font reposer
leur typologie sur une réflexion théorique préalable afin de pouvoir justifier le choix de leurs
catégories169, les réflexions méthodologiques ne reste que peut poussées au regard du niveau
de complexité de l’objet qu’elle se veule appréhender.
D’ailleurs pour anticiper quelques uns de nos propos, nous pouvons d’ores et déjà souligner le
fait que toutes les typologies (toujours confrontées aux mêmes lacunes) sont à notre avis
implicitement ou explicitement construites pour être destinées à classer les instruments au
sein des catégories qu’elles définissent. Et cette idée – qui semble partagée par les chercheurs
et qui ne semble jamais avoir été remise en question – pourrait ainsi expliquer le fait qu’aucun
d’entre eux se soient réellement intéressés aux modalités d’utilisation des typologies,
contribuant ainsi à ne pas mener de réflexion globale sur le sujet, notamment dans la
perspective de résoudre certaines lacunes dont les problèmes de l’exhaustivité et de
l’exclusivité170.
169
Citons ici notamment Hood (1983/1990), qui fonde sa typologie sur la théorie cybernétique, Klock (1995) qui
base la sienne sur une théorie de l’action humaine reposant elle-même sur une théorie des ressources étatiques
tirée de Knopfel, ainsi que Kaufmann-Hayoz et al. (2001) et Schneider et Ingram (1990a, 1997) qui font quant à
eux théoriquement (et à juste titre) reposer leur typologie sur une théorie de l’action humaine, même si dans les
faits leur typologie n’est pas issue de manière « systématique » de leur raisonnement théorique.
170
Prenons par exemple le fait d’amender une ancienne typologie en y ajoutant simplement une catégorie pour
palier au défaut d’exhaustivité qui ne règle en rien le problème mais ne fait que le repousser un peu plus loin.
136
5.2 Modalités de conception des typologies et leurs lacunes
A un niveau général, différents auteurs se sont penchés sur les « types » de modalités de
conception (et d’application) des typologies des instruments politiques et en ont relevé
certaines lacunes auxquelles étaient confrontées les typologies des instruments politiques (de
protection de l’environnement).
Des auteurs tels que Varone (1998, 2001) et Kaufmann-Hayoz et al. (2001) distinguent par
exemple deux démarches alternatives de « catégorisation » en opposant la démarche par
catégories nominales de celle par les attributs. Vedung (1998) identifie quant à lui également
de manière schématique deux approches fondamentales pour concevoir des taxonomies :
l’approche du choix vs par les ressources et l’approche maximaliste vs minimaliste. Enfin,
Kaufmann-Hayoz et al. (2001) distinguent également trois approches très semblables aux
distinctions faites par Varone (1998) et Vedung (1998).
Cependant, à bien lire Varone (1998), nous percevons que, selon l’auteur, seule la première
approche permet d’établir des typologies en tant que telles, au contraire de la seconde qui ne
semble pas être « perçue » comme une démarche « typologisante »171, alors même que nous
verrons par la suite que l’on peut tout à fait dresser une typologie sur la base de cette
démarche.
L’approche par les catégories nominales consiste selon Varone (1998, 2001) à distinguer, en
fonction d’un ou plusieurs critères analytiques, des classifications d’instruments de nature
exclusives. Or, selon l’auteur, « l’application par divers chercheurs de critères alternatifs
conduit inévitablement à la construction de typologies/catégorisations divergentes » (Varone,
1998, p. 33).
Ainsi, les différentes typologies établies par les chercheurs se différencient et/ou se
confondent inévitablement suivant les critères utilisés. Ces critères (Varone, 1998, Kaufmann-
Hayoz et al., 2001) peuvent par exemple faire référence aux ressources engagées lors de la
mise en œuvre des instruments (Hood, 1983), à leur degré de contrainte légitime (Doern et
Phidd, 1983), à leurs effets attendus (McDonnell et Elmore, 1987b) ou encore aux aptitudes
comportementales des groupes visés par les instruments (Schneider et Ingram, 1990a) (cf.
Tableau 23 ci-après).
171
Comme le laissent par contre entendre Kaufmann-Hayoz et al. (2001).
137
Tableau 23 : L’approche par les catégories nominales, quelques exemples
Critère(s) de
Exemples
classification des Typologie d’instruments
d’auteur(s)
instruments
A l’opposé, l’approche par les attributs fondamentaux (Varone, 1998, 2001, Kaufmann-Hayoz
et al., 2001), qui a notamment été suggérée par Salamon (1981), ne vise pas à établir des
typologies sous la forme de catégories exclusives mais plutôt à identifier les caractéristiques
fondamentales (ou attributs) des instruments afin de rendre compte des dimensions multiples
de ces derniers et de les comparer systématiquement en fonction de leurs attributs (efficience,
efficacité, etc.). Elle débouche donc sur une approche comparative ayant pour étalon de
mesure les attributs pris en considération (cf. Tableau 24 ci-dessous).
Tableau 24 : L’approche par les attributs – quelques exemples
138
L’opposition de ces deux approches permet selon nous de souligner l’importance que semble
revêtir la « dimension caractérisante » des (types) d’instruments dans la démarche
« typologisante » (identifications des caractéristiques fondamentales des (types)
d’instrument). De même, l’approche par les attributs a le mérite selon nous de souligner un
point important dans la perspective qui est la notre, à savoir la « dimension comparative »,
même si ce n’est pas dans le but de construire une typologie d’instrument. Elle est d’ailleurs
sans doute la réponse (implicite, puisque non dirigée à résoudre ce problème) à une des
lacunes qui n’a été que « partiellement » identifiée jusqu’à présent, à savoir l’impossibilité
d’utiliser une typologie à des fins de classement, lacune qui, jusqu’à présent, s’est exprimée
chez les auteurs par le constat de l’impossibilité apparente que les typologies ont à
« appréhender » des instruments complexes aux multiples facettes.
Ainsi, souligne Varone (1998), l’approche par les catégories nominales souffre d’un
inconvénient majeur face à l’approche par les attributs :
139
à une unique dimension des instruments172. L’approche par les attributs ne vise donc plus
l’élaboration de catégories exclusives mais se focalise sur les caractéristiques fondamentales
(les attributs) des instruments, permettant ainsi de prendre en compte les multiples dimensions
des instruments (efficience, efficacité, etc.) et de les comparer de manière systématique.
Ainsi, selon l’auteur (Varone, 1998), l’approche par les attributs offre une piste pour
opérationnaliser la variable instrument :
Or selon nous, cette démarche, certes très intéressante (dans son optique comparative), ne fait
aucunement disparaître la nécessité d’élaborer au préalable une typologie d’instrument
pouvant seule constituer selon nous une rationalisation de la variable dépendante permettant
une généralisation des résultats. Par ailleurs, l’approche par les attributs n’enlève en rien la
nécessité d’identifier au préalable les instruments et donc de débuter par une démarche
conceptuelle (définir des types).
Ainsi, les défauts attribués à la démarche typologisante par Varone (1998, 2001) ne sont selon
nous pas levés par la démarche par les attributs qui est également soumise à une définition et à
un choix – par essence non unanimes – des critères à prendre en considération, plaçant par
conséquent le véritable enjeux du point de vue de l’opérationnalisation de la variable
instrument sur le plan de la méthode (d’analyse), à savoir, par conséquent, sur l’impossibilité
pour la démarche typologisante d’aboutir à répartition unanime des instruments dans les
catégories.
Or, nous remarquerons que l’auteur ne remet pas en question la pratique « classificatrice » de
l’approche par les catégories nominales qui est pourtant la raison principale pour laquelle il
rejette d’emblée cette approche. D’ailleurs, typologies et classifications semblent être des
synonymes pour ce dernier (et d’ailleurs pour la très grande majorité des auteurs). Or c’est
bien sur ce point qu’il nous semble possible de « réconcilier » approche typologisante et par
les attributs afin de dépasser les défauts (méthodologiques) inhérents à une approche
typologisante (de nature classificatrice). Mais nous reviendrons sur ces différents points
méthodologiques ultérieurement173 et préférons nous occuper pour l’instant à identifier
quelques autres démarches « typologisantes » et lacunes.
172
Nous verrons par la suite que nous proposons une méthodologie qui associe la construction d’une typologie et
la possibilité de mettre en évidence les multiples dimensions des instruments.
173
Voir notamment un peu plus loin le chapitre 4.1.3.
140
2. et « l’approche maximaliste vs minimaliste [maximalist versus minimalist approach] »
(p. 22) que nous avons déjà entrevue dans la première partie de notre thèse.
Or, pour Vedung (1998) – qui reprend ici la distinction faite par Howlett entre approche par le
continuum (continuum approach) et approche par les ressources (resource approach) et qui
substitue donc le terme de continuum par la notion de choix (cf. Encadré 12 ci-après) – si
l’approche par le choix mène à des classification très complètes174 qui mettent en exergue
l’opposition entre les deux pôles d’un continuum (fondé sur l’élément de contrainte exercée
par le gouvernement) que sont d’un côté l’interventionnisme étatique et de l’autre le laisser-
faire175, cette distinction entre « non-interventionniste » et « interventionnisme » souffre de
deux inconvénients majeurs.
Premièrement, pour l’auteur, ne pas intervenir n’est pas synonyme de laisser-faire et la société
civile ainsi que les ménages ne sont donc pas compris dans cette perspective analytique.
Deuxièmement, et c’est peut-être une remarque plus fondamentale, selon lui, la décision de ne
pas intervenir ne doit pas être considérée comme un instrument en soi mais plutôt comme une
stratégie politique dans la mesure où l’on définit les instruments politiques comme étant une
décision étatique d’agir (importance de l’action, de l’intervention). La décision d’intervenir de
la part de l’Etat constitue donc un « pré requis » au concept d’instrument qui est ainsi plus à
même d’être capté par les ressources que l’Etat devra dès lors mobiliser pour agir.
174
Par exemple les typologies de Doern et Phidd (1983) et la typologie d’Anderson (1977).
175
Soit le « le continuum contrôle – liberté [the continuum from freedom to control] » (Vedung, 1998, p. 22
citant Anderson, 1977) dans les termes d’Anderson.
141
Notons pour l’anecdote que suite à ces deux reproches, l’auteur propose donc d’amender une
typologie existante (celle d’Anderson, 1977), en y introduisant les « boîtes » société civile et
ménages. Il en profite d’ailleurs pour distinguer clairement l’approche par le choix de
l’approche par les ressources qui est conçue comme une stratégie d’intervention (cf. Figure 7
ci-dessous)
Figure 7 : Approche par le choix vs approche par les ressources chez Vedung
Public Policy Choices (Public Policy Strategies)
Bien que cette taxonomie soit confrontée à des difficultés telles que l’opérationnalisation du
concept de contrainte ou le placement des divers instruments le long du continuum, elle a
fourni, selon ces auteurs, les bases fondatrices pour les futures classifications en établissant la
nécessité d'analyser des instruments dans le contexte du rapport existant entre l'Etat et la
Société (effets de l’Etat sur la Société).
Cependant, c’est un peu vite oublier les pères fondateurs de l’analyse instrumentale des
politiques publiques, Dahl et Lindblom (1953/1992), qui, bien avant Doern et Phidd
(1983/1992), avaient déjà utilisé la méthode du continuum, et notamment celui de la
contrainte, comme élément fondateur de leur(s) typologie(s)176.
• ces continuums ne sont que d’une nature illustrative et doivent être considérés comme
des « systèmes compréhensifs [comprehensive systems] » (p. 9) ;
176
Voir le chapitre 2, point 2.1.1, de la première partie de notre recherche dans lequel nous avons constaté que
Dahl et Lindblom (1953/1992) ont classé différents instruments le long de cinq continuums, dont celui de la
contrainte.
142
• par ailleurs, les différentes techniques que les auteurs positionnent sur les différents
continuums doivent être considérées comme des « types » à l’intérieur desquels des
gradations peuvent également exister (cf. Annexe 1) ;
Nous noterons ainsi que la méthode des continuums revêt une importance dans la mesure où
elle permet de comparer les instruments à des pôles qui sont censés caractériser les
instruments et que la notion de contrainte semble prendre une certaine importance –
récurrente pourrions-nous dire – qu’elle soit d’ailleurs (plus ou moins explicitement) définie
en termes de coercition, d’autorité, de niveau d’engagement de l’Etat, de niveau
d’interventionnisme ou de niveau de propriété publique (voir plus loin nos développement sur
la notion de contrainte).
Par ailleurs et pour revenir sur les propos de Howlett (voir Encadré 12 ci-avant), nous
noterons également que la distinction entre approche par les ressources et approches par les
continuums semble perdre sons sens si l’on considère que les deux pôles d’un continuum
peuvent être définis par la différentiation de deux ressources.
Notons enfin qu’en ce qui nous concerne, nous avons pu remarquer que la méthode du
continuum est souvent utilisée par les auteurs soit comme élément fondateur de la typologie –
les deux pôles définissant en soi deux types d’instrument (cf. par exemple Dahl et Lindblom,
1953/1992 ou Bressers et O’Toole, 1998 – ou une gradation sur ce pôle définissant plusieurs
types d’instruments (cf. par exemple Howlett et Ramesh, 1995), soit comme simple élément
analytique supplémentaire/additionnel utilisé pour placer des types d’instruments déjà
prédéfinis. C’est le cas de la typologie dressée par Hood (1983/1990).
Aussi, un auteur comme Hood (1983/1990) ne prend pas directement un continuum comme
point de départ pour établir sa typologie mais va l’introduire par la suite (de manière ex-post)
pour ne pas trop déroger avec « l’air du temps ». Ce continuum contrainte est connu sous
l’acronyme N-T-A-O. En effet, selon Hood, les quatre ressources qu’il a défini, si elles sont
différentes dans leur modalité d’exécution (certaines sont par exemple auto-renouvelantes
alors que d’autres non), introduisent surtout un niveau de contrainte différent. Très
schématiquement, Hood souligne ainsi que le niveau de contrainte des ressources utilisées
augmente dans le sens Nodalité – Trésor – Autorité/Organisation. Notons également qu’il
introduit également une distinction du degré de contrainte interne à sa catégorie autorité
(Hood, 1983/1990, p. 55).
177
Exemples donnés par l’auteur de typologies de type maximaliste : U.S. Office Management and Budget,
(1981), Chelf, C. P. (1981), Kirschen et al. (1964) ; exemples données par l’auteur de typologies de type
minimaliste : Bernard (1939), Brigham et Brown (1980) et Etzioni (1975)
143
Pour rappel, l’approche minimaliste consiste à créer un petit nombre de catégories génériques
de base dans le but de classer les instruments (deux voire trois catégories) et l’approche
maximaliste consiste à dresser de longues listes d’instruments (qui se rapprochent plus d’un
inventaire « exhaustif » que de catégories générales).
Nous soulignerons ici que, selon l’auteur, les désavantages des approches maximaliste et
minimaliste sont, pour la première, le manque de structure et d’organisation, et pour la
seconde, à l’instar de la typologie dichotomique de Brigham et Brown (1980) qui
différencient pénalités et incitations, les quelques points suivants :
2) l’impossibilité d’appréhender les coûts économiques qui sont par nature souvent
rattachés à la catégorie des sanctions et punitions, alors qu’ils ne sont pas de même
nature ;
3) le fait que les coûts et les subventions sont ici opposés, alors qu’ils sont très
apparentés et semblent relevés d’une même logique.
Vedung conclut ainsi qu’une classification devrait contenir trois catégories pour être
fructueuse. Il proposera dès lors d’amender une typologie existante, celle d’Etzioni
(1961/1971), pour remédier à ce problème (voir nos développements ci-après).
Notons d’ores et déjà que par rapport aux typologies bicéphales, Etzioni introduit, en plus de
ces deux catégories que sont le pouvoir de contrainte (coercive power) et le pouvoir
rémunérateur (remunerative power), une troisième dimension : la dimension normative
(pouvoir normatif (normative power)). Or, selon Vedung, cette troisième catégorie revêt une
grande importance dans les débats sur les instruments étatiques, car si la dimension coercitive
est l’aspect central du pouvoir de l’Etat, la persuasion et les moyens de communication sont
de plus en plus utilisés par les gouvernements.
Notons pour conclure que les deux approches distinguées par Vedung (1998), de même que
celles identifiées par Varone (1998), posent toutes deux, mais dans des termes différents, la
question de l’identification des caractéristiques fondamentales des (types d’)instruments ainsi
que la question de l’opérationnalisation de la variable type d’instrument… mais dans une
perspective résolument classificatrice.
144
Plus ou moins semblable à la première approche, la seconde semble fonder ses typologies sur
des critères qui relèvent cependant, par opposition à la première approche, de l’ordre du
concret (approaches based upon concrete criteria).
Enfin, une troisième approche de type « botom up » semble basée sur l’expérience du terrain
(experience based approaches). Celle-ci débouche plutôt sur des inventaires d’instruments
concrets classifiés en rubriques souvent revues et corrigées. C’est le cas typique des
classifications issues des institutions étatiques ou internationales telle que l’OCDE (cf. par
exemple OCDE, 1997, Stavins, 2000).
La dernière approche est sans doute à mettre en relation avec la méthode dite « maximaliste »,
alors que les deux premières semblent recouper la distinction introduite par Varone (1998)
entre approches nominale vs par critères concrets.
Une autre façon consiste également, et tout simplement, à reprendre une typologie antérieure
et de l’amender (pour différentes raisons plus ou moins pertinentes) en y ajoutant le plus
souvent un nouveau type d’instrument ou en modifiant l’une ou l’autre de ces catégories. Ce
processus est souvent fondé sur un raisonnement analytique qui consiste à relever que telle ou
telle typologie n’arrive pas à cerner (classer) de manière cohérente certains instruments. La
tentative d’y remédier prend ainsi la forme d’un amendement ou d’un ajustement à la marge
qui exprime selon nous plus un constat d’échec à la résolution de problèmes méthodologiques
plus profonds (voir nos développements futurs sur la « tentation classificatrice ») qu’un
simple ajustement à la marge ne le laisse entendre. Nous l’avons appelé la « méthode par
amendement » ou « par adaptation à la marge ». L’illustration est ici faite avec l’exemple de
la typologie tripartite de Vedung (1998) qui va également nous permettre d’aborder la
question méthodologique de l’exhaustivité des typologies.
En effet, Vedung (1998), qui a bien perçu certaines des lacunes auxquelles étaient confrontées
les typologies, dont celle de l’exhaustivité, propose d’amender une typologie existante qui lui
paraît insuffisante. L’auteur propose ainsi d’amender la typologie d’Etzioni (1975) qui, selon
lui, soulève certains problèmes avec le classement de certains instruments, n’étant pas à même
de rendre compte de la nature des instruments à incitations négatives tels que les impôts et
autres taxes qui ne semblent pas être inclus dans la catégorie rémunérative (qui ne comprend
que les récompenses matérielles) élaborée par son prédécesseur.
Cet amendement, qui se veut également être conçu sur la base d’une approche par les
ressources, débouche sur une typologie tripartite qui distingue les instruments de régulation
(sticks), économiques (carrots) et d’information (sermons) (cf. Tableau 25 ci-après).
145
Tableau 25 : Méthode par amendements : de la typologie d’Etzioni à celle de Vedung
Selon Vedung (1998), une typologie devraient par conséquent distinguer trois types
d’instruments : ceux impliquant (1) la coercition, (2) l’usage de la rémunération/privation de
ressources matérielles et (3) les incitations intellectuelles et morales. Selon l’auteur les autres
« types » d’instruments peuvent être réduits à ces trois catégories fondamentales et la
typologie ainsi élaborée constitue selon lui une typologie « optimale » (p.30) qui ne peut
d’ailleurs être réduite.
Kaufmann-Hayoz et al. (2001) notent ainsi que lorsque des chercheurs proposent une nouvelle
typologie, cela ne veut pas dire qu’ils considèrent les autres comme étant fausses, mais plutôt
qu’elles ne sont pas « praticables » pour leurs propos. Les nouvelles typologies possèdent
donc souvent des similarités avec les « anciennes », mais en sont toujours distinctes sous
différentes dimensions, en fonction du background scientifique, des buts et des questions de
recherche, et/ou précisent des propriétés spécifiques importantes pour un objet d’étude (qui
étaient sans ou de moindre importance jusqu’alors). Ainsi, pour ces auteurs, aucune typologie
n’est plus « vraie » qu’une autre, mais l’une ou l’autre est plus utile pour des propos
particuliers.
Toutefois la solution envisagée, soit l’amendement d’une typologie existante, si elle peut
permettre de mieux appréhender certains instruments, ne résout en rien le fond du problème
puisque de fait, par « effet pervers », elle va immanquablement impliquer une perte de
pouvoir compréhensif pour d’autres instruments178, alors même qu’elle est élaborée pour
dépasser un déficit de pouvoir compréhensif.
Enfin, et pour clore momentanément, nos réflexions générales sur les différentes « méthodes »
pour élaborer des typologies et leurs lacunes, nous relèverons que si pour beaucoup d’auteurs
la méthodologie employée pour dresser des typologies n’est souvent pas explicitée, chez
d’autres auteurs elle n’est même pas implicite et leur typologie semble relever d’une
« génération spontanée » (méthode de la génération spontanée).
178
Et même Vedung (1998) s’en rend compte puisqu’il souligne lui-même que les taxes ont par exemple des
caractéristiques coercitives ! Prenant l’exemple entre interdiction d’achat du tabac et taxe sur le tabac, celui-ci
argumente ainsi qu’il existe cependant une différence fondamentale entre les deux instruments qui pour l’un
proscrit un comportement et pour l’autre ne fait qu’inciter une modification de comportement. Nous pouvons lui
rétorquer que son argumentation ne tient plus lorsque l’on intègre au raisonnement le destinataire de l’instrument
puisque une taxe est aussi coercitive pour le producteur de tabac qu’une interdiction à l’acheteur : le producteur
est obligé de payer la taxe comme le consommateur est obligé de ne pas consommer du tabac !
146
5.3 Première synthèse
Nous venons d’identifier un certain nombre de « méthodes » pour construire (et utiliser) des
typologies. Cependant, celles-ci doivent être considérées comme des types « purs » qui ne se
retrouvent jamais de manière aussi immaculée dans la pratique. Le plus souvent d’ailleurs, les
méthodologies employées par les chercheurs, plus ou moins implicitement, combinent
plusieurs de ces modes opératoires.
Ces méthodes semblent également être confrontées à certaines lacunes. Nous avons par
exemple déjà abordé les questions de l’opérationnalisation de la variable instrument et du
choix des caractéristiques fondamentales des (types d’)instruments ou de l’exhaustivité.
De manière générale, les chercheurs sont ainsi sensiblement d’accord pour affirmer que si
l’approche instrumentale via la conception de typologies possède des avantages certains, il
existe cependant un certain nombre de lacunes (méthodologiques) dans ce domaine de
recherche, dont certaines sont importantes.
De Bruijn et Hufen (1998) notent ainsi que l’approche par les instruments est sans aucun
doute prolifique et variée mais a également ses limites. Dans la conception et l’application des
typologies, des questions sont ainsi mises en avant tout comme d’autres sont évitées
intentionnellement, les approches clarifient certains points mais en négligent d’autres.
De manière synthétique, la plupart des auteurs soulignent ainsi de manière récurrente que les
instruments (concrets) ne semblent pas facilement se laisser catégoriser et que certains
instruments se retrouvent par exemple à cheval entre deux classes, au sein d’une sorte de zone
grise que les typologies, dans leurs conceptions, n’arrivent pas à appréhender (voir par
exemple Kaufmann-Hayoz et al., 2001, Howlett et Ramesh, 1995, De Bruijn et Hufen, 1998,
Pal, 1992).
D’une autre côté, aucun consensus sur une typologie universelle faisant autorité semble
émerger (voir par exemple Kaufmann-Hayoz et al., 2001, Varone, 2001, Salamon et Lund,
1989), les multiples typologies différant l’une de l’autre selon les perspectives de recherche et
possédant des points communs comme des divergences significatives (voir par exemple
Kaufmann-Hayoz et al., 2001, De Bruijn et Hufen, 1998, Salamon et Lund, 1989, Howlett et
Ramesh, 1995, Linder et Peters, 1998, Bressers et O'Toole, 1998).
Les classes ainsi définies sont si « assimilantes » qu’elles ne sont pas de nature mutuellement
exclusive. Les auteurs remarquent ainsi l’existence d’une zone grise ou la difficulté
d’appréhender certains instruments par la catégorisation proposée, ou d’en d’autres termes,
l’existence d’une variance entre les différentes catégories d’une typologie plus faible qu’au
sein d’une seule et même catégorie (de Varone (1998, voir également Pal, 1992). Ils
remarquent d’ailleurs également qu’elles ne sont d’ailleurs pas plus exclusives qu’exhaustives
147
(omissions d’une catégorie d’instrument) (voir par exemple Kaufmann-Hayoz et al., 2001,
Bemelmans-Videc, 1998, p.9, Van Nispen et Ringling, 1998, De Bruijm et Hufen, 1998, Pal,
1992, Varone, 1998).
Un auteur comme Klock (1995) par exemple, qui relève entre autre la rigidité des systèmes de
classifications179 et dont l’objectif est de développer une classification des instruments de
politique environnementale, signale que les tentatives antérieures de classifications souffrent
principalement de trois lacunes : a) les instruments sont souvent classifiés en fonction de leur
différence, négligeant en cela leurs caractéristiques communes (par exemple, la distinction
omniprésente entre les instruments régulatifs et les instruments économiques/financiers
néglige le fait que les premiers ont des éléments financiers ou comparables (sanctions) et que
les seconds sont formulés en termes de règles légales), b) les classifications se focalisent sur
les instruments traditionnels sans développer d'éléments d'analyse systématique des
instruments plus récents comme les différentes formes de communication, la mise en place de
consensus et arrangements institutionnels (nature conservatrice) et c) les classifications sont
des systèmes plus ou moins clos, qui ont une peine considérable à incorporer de nouveaux
instruments.
L’ensemble de ces lacunes a mené (plus ou moins directement), certains auteurs à s’interroger
plus en avant sur les modalités de conception (et d’application) des typologies d’instruments
politiques. Nous allons y consacrer quelques développements dans la mesure où nous
trouvons que ces réflexions semblent mener vers des points de convergences méthodologiques
et qu’elles traitent toutes (avec plus ou moins de succès) de thématiques qui sont pour nous
d’une importance majeure dans la perspective de proposer une méthodologie « globale » apte
à lever les lacunes que nous avons identifiées.
Aussi avons-nous identifié l’une des lacunes majeures des typologies d’instruments
politiques180, à savoir leur incapacité, tant sur le plan de leur conception que de leur
application d’appréhender la complexité instrumentale (et la complexité sociale de manière
plus générale). Ce problème se traduit d’ailleurs de manière plus pratique dans la grande
difficulté qui en découle et qui consiste à trouver le bon policy mix.
Nous pouvons d’ailleurs noter que les lacunes identifiées jusqu’à présent (non exhaustivité,
non exclusivité, rigidité, difficulté de cerner les caractéristiques fondamentales des
instruments et d’opérationnalisation, etc.) sont en réalité des « symptômes » de cette « lacune
fondamentale » qui s’exprime d’ailleurs sous plusieurs autres aspects, parmi lesquels l’idée
partagée (et jamais remise en question) qu’une typologie d’instrument sert à classer tient une
place prépondérante.
Nous allons donc aborder ces différentes « thématiques » en tentant notamment de souligner
les lacunes méthodologiques ou l’importance de préciser ou de redéfinir (l’utilité de) tel ou tel
concept dans la perspective qui est désormais la nôtre : permettre aux typologies
d’instruments d’appréhender la complexité instrumentale.
Les développements qui suivent nous permettrons ainsi tantôt de soulever des problèmes
d’ordre conceptuel, tantôt de revenir sur des lacunes déjà identifiées – mais cette fois dans un
autre « état d’esprit » – ou qui n’ont pas été prises en compte jusqu’à présent (notamment la
179
Qui court ainsi le risque d’être vite dépassés par l’émergence rapide de nouveaux instruments.
180
Qui trouve son origine tant dans les modalités de conception que d’application (qui selon nous ne peuvent être
pensées l’une sans l’autre) et qui s’exprime sous différentes formes.
148
question de la classification), tantôt de partir d’exemples concrets qui nous ont semblé
prometteurs et de revenir ainsi sur des modalités de conception tout aussi attrayantes.
En sus, ce lien souligne également tout l’importance que semble prendre le concept clé
d’acteur-cible.
La typologie de Hood (1983/1990) semble revêtir une certaine pertinence sur le plan
méthodologique car il est sans doute le premier auteur à développer une typologie sur la base
d’une approche « théorique » qui découle de la conception qu’il se fait de l’intervention de
l’Etat.
Selon Lascoumes et Le Galès (2004b), Hood est d’ailleurs le premier auteur qui :
149
Le cadre de référence est ainsi posé : ce sont les instruments étatiques. Or comme ces
instruments ne s’avèrent pas directement observables selon l’auteur leur analyse nécessite
donc une méthode compréhensive et interprétative qui puisse permettre leur classification.
Il est en effet important pour Hood (1983/1990) de pouvoir identifier des classes
d’instruments, et ce notamment afin de donner du sens à l’apparente complexité des
instruments (de rendre compte de la complexité et de l’interpréter) ce qui permet l’étude
comparative et temporelle des instruments (entre plusieurs gouvernements et au sein d’un
même gouvernement) et de permettre, au-delà de la compréhension, la sélection des
instruments (choix des instruments) et de dresser des diagnostics. Dans cette perspective, les
instruments constituent le lien entre les objectifs visés par l’Etat et leur réalisation, lien qui,
selon l’auteur, est fréquemment problématique et politisé (problématique du choix des
instruments).
Or, si l’auteur semble entrevoir le problème que nous avons soulevé de la gestion de la
complexité instrumentale, et de l’identification des types d’instruments, vous l’aurez sans
doute déjà compris, la démarche de la classification proposée est pour nous contre
productive. Mais nous y reviendrons plus tard et tâchons de prendre les points positifs
développés par l’auteur. Ainsi, l’analyse faite par Hood mène l’auteur à développer deux
étapes supplémentaires dans l’élaboration de sa typologie : l’une est empruntée à la théorie
des systèmes (cybernétiques) et l’autre est une distinction théorique des ressources
gouvernementales.
La typologie qu’il construit permet ainsi de faire ressortir les éléments de bases des
instruments au regard des fonctions et des ressources gouvernementales. Dans la perspective
qui est la nôtre, l’idée de fonder une typologie sur des bases théoriques liées à l’action
étatique (ici empruntée à la fois à la cybernétique et à la théorie des ressources étatiques) et le
fait de la concevoir en fonction d’un questionnement de départ (qu’est-ce que le
gouvernement fait ?), constitue une avancée majeure. De même, la notion de contrôle social
avancée par Hood ouvre également la voie vers une approche théorique des typologies qui
mettent en exergue l’importance de préciser ce contrôle en fonction de l’acteur sur lequel il
est dirigé, à savoir l’acteur-cible et plus spécialement son comportement.
A la suite de Hood et ayant sans aucun doute pressenti que les instruments politiques étaient
ainsi fondamentalement destinés à influencer les comportements humains, certains auteurs
(tels que Klock, Schneider et Ingram, et Kaufmann-Hayoz et al.) ont souligné l’importance
d’établir un lien entre typologies d’instruments et cadre théorique relatif à l’action de l’Etat
sur l’activité humaine. Et, comme nous allons pouvoir le constater, ces auteurs vont par
conséquent tout naturellement souligner la relation déterminante qu’il semble exister entre,
d’une part, la (méthode de) conception d’une typologie d’instruments et, d’autre part, (la
nécessité) d’élaborer des hypothèses comportementales (théorie de l’activité humaine). Cette
perspective de recherche nous semble être prometteuse et nous allons donc y consacrer une
certaine importance, même si, selon nous, les auteurs ne l’ont pas poussée jusqu’au bout dans
le dessein de disposer d’une typologie d’instruments « efficace ».
Schneider et Ingram (1990a, 1997) furent peut-être les premières à insister sur l’importance
d’un cadre théorique relatif à l’activité humaine en élaborant « les hypothèses
150
comportementales sous-jacentes aux instruments [behavioral assumptions of policy tools] »
(1990a, p. 513) ou en d’autres termes une « perspective comportementale [behavioral
perspective] » (1997, p. 93).
The amazing proliferation of policy tools witnessed over the past half century has been
accompanied by an equally amazing explosion of ideas which explore the fundamental
ways through which policy influences behaviour. Most of those who are interested in
policy content, tools, and instruments recognize the importance of motivational devices,
but none has developed a classification system based upon the underlying behavioural
assumptions. (1990a, p. 513)
Ainsi, l’hypothèse principale qui sous-tend l’élaboration de leur typologie est que l’Etat
essaye dans la plupart des cas d’influencer les personnes à faire quelque chose qu’elles
n’auraient pas fait sans son intervention. Sur le plan théorique, ceci implique que le cadre
d’analyse qui doit permettre la description des instruments se doit de faire ressortir leurs
caractéristiques comportementales. Selon les auteurs, ce cadre se doit donc de procéder d’une
théorie de l’action/décision individuelle (et collective) qui soit pertinente au regard de l’action
étatique ou, en d’autres termes, se doit de découler d’une théorie de l’action/décision qui soit
« utilisable » par le politique. Aussi, pour les auteurs :
If people are not taking actions needed to ameliorate social, economic, or political
problems, there are five reasons that can be addressed by policy : they may believe the
law does not direct them or authorize them to take action; they may lack incentives or
capacity to take the actions needed; they may disagree with the values implicit in the
means or ends; or the situation may involve such high levels of uncertainty that the
nature of the problem is not know, and its unclear what people should do or how they
might be motivated. Policy tools address these problems by providing authority,
incentives, or capacity; by using symbolic and hortatory proclamations to influence
perceptions or values, or by promoting learning to reduce uncertainty. Laws, provisions
within laws, guidelines, programs, or even the practices and routines of case workers can
be describe and analyzed in terms of types of tools upon which they rely. (1990a, P. 513-
514)
From a behavioral perspective, the choice of tools reflects assumptions and biases about
how different people behave. Tools attempt to change behaviour through several distinct
mechanisms, each of which carries significant symbolic and instrumental connotations.
Tools can be classified as reliance (confiance) on authority, inducements or sanctions,
capacity-building, hortatory, or persuasive proclamations to influence values, or
learning that will enhance recognition of problems and reduce uncertainty. (1997, p. 93)
Tools also legitimate certain kinds of behavior and in many instances privilege particular
behavioral styles. Tools that offer incentives or sanctions legitimate self-interested
behaviour, whereas hortatory tools often legitimate altruistic behaviour as people are
urged to take certain actions for the common good rather than for themselves. In
151
situations in which self-interested behaviour is rewarded, it becomes difficult for persons
to behave altruistically, even when they wish to do so. Capacity-building and learning
tools imply that people are capable to rational thinking and will take action, if they know
what to do, without other incentives being necessary. (1997, p. 96)
Ainsi, le lien est fait entre hypothèses comportementales et typologie d’instruments (cf.
Tableau 26 ci-dessous) : « The framework we present clusters tools on the basis of their
underlying motivational strategies (1990a, p. 527) ».
Cependant, il nous semble que si les auteurs ont bien su relever, sur le plan théorique,
l’importance de l’élaboration d’une théorie de l’action humaine et l’établissement
d’hypothèses comportementales dans la perspective de construire une typologie des
instruments politiques, en pratique, le lien entre leur référentiel théorique et typologique est
maladroitement établi dans la mesure où la correspondance entre les types d’instruments que
les auteurs ont définis et les hypothèses comportementales qu’elles ont énumérées reste floue.
152
Figure 8 : Représentation imagée du lien entre hypothèses comportementales et typologie
d’instruments tel qu’il ressort de Schneider et Ingram
« périmètres » des hypothèses comportementales (rationalité des acteurs-cibles)
Niveau conceptuel -
-
-
Types d’instruments
Source : l’auteur
En d’autres termes, les hypothèses comportementales ne sont que « sous-jacentes » aux types
d’instruments et non « constitutives » des types d’instruments.
Ainsi, les catégories définies par les auteurs possèdent une « rationalité comportementale »
parfois (très) semblable. Par exemple les hypothèses comportementales sous-jacentes aux
instruments prescriptifs/autoritaires et aux instruments de persuasion se chevauchent, toutes
deux faisant appel à la notion de valeur/vertu. Un autre exemple consiste dans l’élément
financier qui se retrouve aussi bien dans le « périmètre comportemental » des instruments
incitatifs (positifs) que dans celui des instruments de stimulation/fourniture de ressources, les
ressources pouvant être de nature financière. Or ce type de chevauchement reste un problème
majeur dans la perspective de dresser une typologie d’instruments qui soit de nature
exclusive.
Nous trouverons d’ailleurs, à peu de chose près, ce même problème chez des auteurs comme
Kaufmann-Hayoz et al. (2001), problème qui semble également trouver son origine dans une
certaine confusion entre types d’instruments et instruments concrets qui s’exprime souvent
par la tentative (dans une perspective classificatrice) de définir également les types
d’instruments en fonction d’instruments concrets.
Afin de dépasser ces lacunes, nous pensons qu’il est indispensable de définir de manière claire
et la plus simple possible le lien qui doit s’établir entre les types d’instrument et la théorie
comportementale ; lien qui se doit de relevé d’une relation de causalité et de réciprocité de
nature exclusive (cf. Figure 9 ci-dessous).
Types d’instruments
Source : l’auteur
153
Dans la perspective qui est la nôtre, il s’avère en effet primordial, comme nous le verrons plus
tard, d’établir ce lien direct et exclusif entre chaque hypothèse comportementale et chaque
type d’instrument (qui en réalité ne doivent former qu’un). Si tel n’est pas le cas, il nous
semble que deux systèmes référentiels cohabitent et qui rendent dès lors la compréhension des
types d’instruments problématique car non délimités de manière précises sur le plan théorique
et conceptuel.
Dans une autre perspective théorique, un auteur comme Klock (Bressers et Klock, 1988,
Klock, 1995) établit également un lien entre prémisses théoriques liées à l’activité humaine et
élaboration de types d’instruments.
A la fin des années quatre vingt déjà, avec l’aide de Bressers (Bressers et Klock, 1988), Klock
soulignait déjà l’importance de la mise en perspective d’un « modèle subjectif de l’activité
humaine [subjective rational actor model] » (pp. 28 et 33) qui puisse être à même de mettre
en évidence les déterminants des comportements des acteurs-cibles et la nécessité de lier ce
modèle à la phase de conception des classifications d’instruments. Cette première tentative
déboucha sur cinq types de « manœuvre » instrumentale (cf. Figure 10 ci-dessous).
Décision d’agir
Source : adapté de Klock, 1988
Dans la lignée de ses réflexions, Klock (1995) souligne à nouveau dans le milieu des années
nonante l’importance de concevoir un modèle de l’activité humaine dans la perspective de
dresser une typologie d’instruments de protection de l’environnement.
Cette seconde tentative nous semble intéressante principalement pour deux raisons. D’une
part, les réflexions menées par Klock permettent de se faire une idée assez précise de la façon
de concevoir une typologie d’instruments en se fondant sur l’élaboration de postulats de
départ aptes à fournir une théorie de l’activité humaine et, d’autre part, les développements de
l’auteur permettent également de mettre en évidence certaines lacunes relatives à la
conception des typologies.
154
6.3.1 De la conception du modèle de l’activité humaine à la typologie des instruments de
protection de l’environnement
Dans la perspective de Klock (1995), les problèmes environnementaux résultent de
l'interaction des activités humaines et des processus environnementaux. Par conséquent, selon
l’auteur, les instruments politiques de protection de l’environnement doivent pouvoir être
capables de modifier soit les activités humaines (les comportements), soit les processus
environnementaux. Cependant, dans le cas d’une intervention sur les processus
environnementaux (par exemple en nettoyant les sols contaminés ou en traitent l'eau polluée,
etc.), les instruments utilisés s’avèrent fondamentalement différents de ceux ayant pour but
d'influencer les activités humaines.
C’est ce deuxième type d’intervention qui fait l’objet de l’attention de Klock qui souligne dès
lors l’importance d’établir « un modèle simple de l’activité humaine [a simple model of
human activity] » (p. 22), notamment si l’on se donne pour objectif de classifier les différents
moyens dont dispose l’Etat pour l’influencer182.
Or, pour l’auteur, toutes les formes d'activités (ou de comportements) impliquent deux
dimensions : l’une relative aux ressources et l’autre relative aux motivations.
Klock (1995) définit ainsi sept types de ressources (R), qu’il emprunte et adapte de Knoepfel
et Imhof (1991)183 : les biens physiques tels que les infrastructures, les simples outils, la
nourriture, l’énergie, l’eau, l’air, etc. (R1), les compétences/capacités des personnes (skilled
people) (R2), l’information (R3), le temps (R4), l’argent (R5), les règles légales (lega rules),
notamment les droits (legal rights) (R6) et le consensus, l’autorité et la confiance (R7).
Pour notre part, nous constaterons que ces ressources ne sont pas « inscrites » sur un même
niveau conceptuel : la définition d’une ressource telle que le temps ou l’argent est très précise
comparativement à une ressource telle que les règles légales.
En ce qui concerne les motivations, Klock (1995) relève qu’une distinction générale peut être
établie entre motivation interne (internal goals) et motivation externe (external goals).
Cependant, le concept de motivation n’est pas un élément central de sa classification –
contrairement à la notion de ressources – et il ne développe donc pas plus en avant cette
dimension.
Soulignons qu’un auteur comme Kaufmann-Hayoz ne laissera pas tomber cette dimension,
qui selon nous, est d’ailleurs très importante dans la perspective de dresser une typologie des
instruments politiques dans la mesure où l’Etat, pour influencer les comportements, peut
mettre à profit cette dimension, notamment au travers des affects (émotions, sentiments, etc.)
et des valeurs morales et éthiques. Notons par ailleurs que l’intérêt économique (l’argent dans
les termes de Klock) est également une motivation importante des comportements humains.
Prenant ainsi le parti de ne s’intéresser – hélas – qu’aux ressources, Klock (1995) développe
alors les notions de stock et de flux, positifs et négatifs, en distinguant six flux fondamentaux
dans les relations entre acteurs : la « consommation » de ressources d’autres acteurs (the
182
Pour l’auteur, l’activité humaine comprend l’activité des individus autant que celles des organisations (acteurs
individuels et collectifs).
183
Knoepfel, M. et Imhof, R. (1991). Oekologische Vernetzung versus Rechtsstaatliche Handlungmaximen -
Möglichkeiten zur Überwindung eines gespannten Grundverhätnisses. Lausanne.
155
intake of resources from other actors) (F1), la « consommation » de ressources de
l’environnement (the intake of resources from the environment) (F2), la production de
ressources par les acteurs (the production of resources by the actor) (F3), l’utilisation de
ressources par les acteurs (the use of resources by the actor) (F4), la distribution de ressources
à d’autres acteurs (the giving out of resources to other actors) (F5) et la distribution de
ressources à l’environnement (the giving out of resources to the environment) (F6).
Les trois premières ressources sont des flux positifs qui font augmenter le stock des acteurs et
les trois derniers des flux négatifs qui font diminuer le stock des acteurs. Et puisque l’auteur a
pour objet premier les instruments dans le domaine de la politique environnementale, un
intérêt spécial est donc attribué à la relation entre les ressources des acteurs et leur
environnement.
Sur cette base, Klock (1995) propose donc un modèle simple d'activité humaine qui définit,
pour un acteur (motivé), sept ressources qui s’expriment sous la forme de stocks et six flux
entre ces ressources caractérisés par les six types d’activités (relations entre acteurs) (cf.
Figure 11 ci-dessous).
R1 R7 R6
F5
F1 R2 Acteur Y F3
F4
R3 R4 R5
R1 R7 R6
F3
F4 Acteur X R5 F2
F6 Environnement
R2 R3 R4
Ainsi, selon Klock, si l’on considère l’activité humaine comme le résultat d’un mélange entre
ressources et motivations, répondre à la question de savoir comment modifier l’activité
humaine revient à modifier les ressources et/ou les motivations des acteurs.
C’est sur ce fondement théorique que l’auteur établit sa typologie d’instruments, ou dans ses
propres termes, ses différentes « tactiques instrumentales [instrumental tactics] » (p. 26). A
cette fin, il distingue notamment les situations dans lesquelles l’Etat veut induire une
« activité absente », des situations où l’Etat veut restreindre une « activité présente » ainsi que
les cas où les ressources et motivations pour l’activité sont présentes ou absentes (cf. Tableau
27 ci-après). Nous sommes dès lors confrontés selon l’auteur à quatre situations.
156
Tableau 27 : Les quatre situations des acteurs-cibles chez Klock
Motivation
Présente Absente
Présentes A B
Ressources
Absentes C D
Ainsi, selon Klock (1995), si l’objectif de l’Etat est d’induire une activité, les situations B, C
et D posent problèmes, l’activité étant généralement naturellement exécutée par l’acteur dans
la situation A. L’objectif est donc de passer des situations B, C et D à la situation A, le plus
facile étant de passer de la situation C à A (motivation présente mais ressources absentes). Il
suffit en effet de fournir les ressources manquantes à l’acteur. La fourniture de ressources
(Provision of ressources) constitue donc une première tactique instrumentale.
Par ailleurs, Klock éclipse la question motivationnelle des comportements en soulignant le fait
que comme les ressources sont rares et nécessaires pour toutes activités, elles revêtent une
certaine valeur pour l'acteur et donc constituent en elles-mêmes une motivation importante.
Ainsi, la fourniture de ressources est souvent employée pour changer la motivation d’un
acteur. Or, la première tactique instrumentale qui emploie ce mécanisme est la fourniture
conditionnelle de ressources (conditional provision of resources). Dans ce cas, c’est donc la
perspective pour un acteur d’obtenir certaines ressources qui va motiver l’acteur à adopter le
comportement souhaité. Mais une façon de faire est également de menacer un acteur de lui
retirer des ressources et c’est donc la valeur donnée à la perte attendue dans son stock de
ressources qui va agir comme une motivation. Cette tactique est celle de la privation
conditionnelle des ressources (conditional deprivation of resources).
De l’analyse de la façon d’induire une activité absente, l’auteur se tourne ensuite vers la
situation où l’Etat veut que l’acteur s’abstienne d’accomplir une certaine activité. La situation
A représente donc maintenant la situation dans laquelle on veut que l’individu ne soit plus. La
tactique a donc pour objectif de passer de la situation A aux autres situations B, C et D et la
première consiste à atteindre la situation C, situation dans laquelle l’acteur manque d’une
quantité suffisante de ressources pour exécuter son activité. Le but est donc de retirer les
ressources nécessaires à son activité. C’est la tactique de privation des ressources (deprivation
of ressources).
157
Enfin, atteindre les deux autres situations (B ou D) n’implique selon l’auteur aucune nouvelle
tactique instrumentale. La fourniture ou la privation conditionnelle de ressources (de type si tu
t’abstiens de faire cela, tu recevras telle ressource, ou si tu fais cela, je vais te retirer telle
ressource) vont ici jouer le rôle de déclencheur motivationnel de manière comparable au cas
où l’Etat veut induire une activité.
Ainsi, nous pouvons résumer dans le tableau suivant les passages de la situation B, C et D à la
situation A et de la situation A aux situations B, C et D qui permettent à Klock de définir
quatre tactiques instrumentales (cf. Tableau 28 ci-dessous)
Bien qu’en accord avec les conclusions de Klock, nous pensons cependant que l’auteur a
esquivé maladroitement la dimension motivationnelle des comportements, notamment en la
réduisant à sa composante ressource. Par ailleurs, nous trouvons que si son idée de départ de
baser sa typologie d’instruments sur un modèle de l’activité humaine est pertinente, le résultat
obtenu (sa typologie) reste loin des espérances fondées dans cette approche de la réalité
instrumentale, tant sa typologie s’éloigne des prémices théoriques amorcées. Enfin, pour
éviter une confusion entre les hypothèses comportementales et les principes d’action des types
d’instruments, nous prônons quant à nous une démarche qui soit un peu plus simple et qui
fasse correspondre de manière systématique et exclusive ces deux champs théoriques.
L’approche de Klock (1995) semble ainsi déjà trop compliquée sur le plan théorique, la
complexité devant selon nous être laissée là où elle se doit d’être, à savoir au niveau de la
réalité pratique, de la réalité instrumentale.
158
6.4 Kaufmann-Hayoz et al. : de la théorie de l’activité humaine
Constatant pour leur part que de nombreux pays mettent en œuvre différentes politiques
environnementales aux travers de différents instruments184 en se fondant sur leurs capacités
(leviers économiques et légaux notamment) à induire des comportements éco-responsables de
la part des acteurs sociaux et ayant également compris la pertinence de rationaliser la relation
instrument – acteurs-cibles – comportements au regard de l’analyse instrumentale des
politiques publiques, Kaufmann-Hayoz et Gutscher (2001) dressent également un « modèle de
l’action humaine [a model of human action] » (p. 22) (cf. Figure 12 ci-dessous).
Environnements
Structure externe (facteurs et processus culturels et naturels)
Action Perception
Objectifs et connaissance
Intentions Perception de la réalité
facteurs et processus psycho-physiologiques (acteur facteurs tels que structure organisationnel et buts,
individuel) processus de communication et culture d’entreprise
(acteur organisationnel)
Structure interne (facteurs et processus psycho-physiologiques ou organisationnels)
Acteurs
Aussi, pour les auteurs, l’action humaine (les comportements humains) résulte de l’interaction
constante entre structures internes (facteurs et processus naturels et culturels) et externes
(facteurs et processus psychophysiologiques ou organisationnels) de l’acteur individuel ou
organisationnel. Et comme les instruments sont par nature destinés à modifier les
comportements humains, ils vont ainsi définir leurs types d’instruments en fonction de leur
rationalité, soit en fonction du mécanisme par lequel le type d’instrument est supposé
modifier le comportement des acteurs cibles.
184
Instruments traditionnels de type « command and control » et, dans une moindre mesure instruments
économiques
159
Cependant, selon nous, les auteurs ne vont (hélas) pas profiter de leur modèle de l’action
humaine pour construire leur typologie, puisqu’ils vont plutôt l’utiliser en tant que cadre
analytique parallèle afin d’argumenter la rationalité de leurs types d’instruments.
En effet, si la typologie élaborée par Kaufmann-Hayoz et al. (2001) permet de considérer les
instruments « du point de vue des acteurs [from an actor-oriented perspective] (p. 34) » et
donc de les évaluer du point de vue pratique au regard de critères tels que l’efficacité
(effectiveness), les coûts (costs) et l’acceptabilité (acceptance) et qu’elle permet également de
distinguer pour chaque type d’instruments (1) leurs modes de rationalité, (2) les acteurs (qui
ont la possibilité d’utiliser les instruments), (3) les groupes cibles (de l’intervention, dont le
comportement est influencé), elle n’est néanmoins pas construite sur la base de leurs théories
de l’activité humaine.
Figure 13 : Le lien entre théorie de l’action humaine et typologie chez Kaufmann-Hayoz et al.
Environnements
Structure externe (facteurs et processus culturels et naturels)
Instruments de
Instruments Instruments services et
régulatifs économiques d’infrastructures
Perception
Accords
librement
Action
Instruments de consentis
communication et
de diffusion
Objectifs et connaissance
Intentions Perception de la réalité
160
Ainsi, chaque instrument peut modifier soit la structure interne des acteurs individuels ou
organisationnels, soit leur structure externe, étant entendu que les trois premiers types
d’instruments (CC, EI et S&I) tentent clairement de modifier différents aspects de la structure
externe alors que les instruments de communication et de diffusion tentent d’influencer la
structure interne des acteurs.
Cependant, les instruments de type accords volontaires influencent les deux types de
structures.
Nous pouvons donc constater que le modèle d’activité humaine est donc bien utilisé par les
auteurs pour décrire et analyser les types d’instruments et non en tant que fondement
théorique de la construction de leur typologie. Comme avec Schneider et Ingram (1990a,
1997), nous sommes ainsi confrontés à deux systèmes référentiels : d’un côté la théorie de
l’activité humaine et de l’autre la typologie des instruments185. Celle-ci constitue d’ailleurs
selon les propres propos des auteurs plus une synthèse du travail inter-transdisciplinaire qu’ils
ont mené186, et sert par conséquent, en tant qu’outil conceptuel, à intégrer les résultats des
différentes études de cas du livre et en tant que cadre de référence utile aux acteurs politiques
qui doivent choisir un ensemble d’instruments appropriés pour mettre en œuvre une stratégie
de politique publique.
C’est là à notre sens bien dommage, car le modèle de l’action humaine esquissé, bien que
paraissant plus à même de rendre compte de la nature des instruments politiques que celui
dressé par Klock (1995), ne détermine (hélas) pas (contrairement à ce dernier) les types
d’instruments mais est « simplement » utilisé de manière « parallèle » à la typologie à des fins
analytiques et descriptives.
Or, selon nous, tous les ingrédients187 étaient présents pour réaliser une typologie qui puisse
lever certaines des lacunes que nous avons identifiées jusqu’à présent, notamment celle de la
non-exclusivité. En effet, voyant que certains de leurs instruments agissent de facto sur des
facteurs identiques, Kaufmann-Hayoz et al. (2001) renoncent alors à considérer leur typologie
comme fondant des « classes complètement mutuellement exclusives [mutually completely
exclusive classes] » (p. 36).
185
Qui ne sont donc pas liés par une relation de causalité et de réciprocité de nature exclusive.
186
Bien que placée en début d’ouvrage !
187
Modèle de l’activité humaine d’un côté, élaboration d’une typologie d’instruments de l’autre, et importance
relevée de la nécessité de rationaliser le lien entre (types d’)instruments et comportements humains via une
théorie de l’action humaine.
161
Chapitre 7 De la nécessité de ternir compte de la complexité
instrumentale
Malgré l’identification de certaines lacunes qui semblent être partagées par l’ensemble des
typologies existantes et, comme nous venons de la constater, l’amorce de pistes prometteuses
dans le processus d’élaboration des typologies d’instruments (de protection de
l’environnement), aucune proposition actuelle ne nous semble capable de permettre aux
typologies de gérer la complexité des instruments (concrets) qu’elles veulent appréhender.
Nous avons d’ailleurs déjà traité certains « symptômes » qui découlent de cette incapacité
(récurrente) des typologies à être capable de gérer la complexité instrumentale sous la forme
de lacunes : non exclusivité, non exhaustivité, difficulté à opérationnaliser la variable type
d’instrument, etc.
La première lanterne sera dirigée sur la voie qui consiste à remettre en question le mode
opératoire qui sévit actuellement dans le domaine de recherche qui nous occupe, à savoir la
conception – biaisée selon nous – qu’une typologie d’instruments politiques ne soit destinée
qu’à classer. Nous la nommerons « le règne illusoire de la tentation classificatrice ». En effet,
nous pensons qu’une autre démarche – plus apte à appréhender la complexité de la réalité
instrumentale – existe et est à même de pouvoir opérationnaliser de manière cohérente et
efficace la variable type d’instrument. Par ailleurs, l’éclairage de cet itinéraire sera également
l’occasion de mettre en exergue la nécessité – sur le plan méthodologique – de ne pas
confondre le plan théorique (les types d’instruments) du niveau empirique (les instruments
concrets) mais de fondamentalement les dissocier.
En sus, et en se reposant sur les réflexions menées dans le cadre du chapitre précédent, nous
tenterons également d’éclairer la problématique de la gestion de la complexité instrumentale
en soulignant la nécessité de revenir sur quelques concepts clés fondamentaux des instruments
politiques.
Dans la pratique, nous avons constaté que lorsque l’analyse des politiques publiques à l’aide
de typologie dépasse le simple aspect analytique et descriptif pour déboucher, par exemple,
sur une démarche de nature explicative, notamment relative aux choix des instruments,
l’utilisation qui est faite des typologies reste marginale (voire inexistante) dans la mesure où
ce sont des instruments concrets qui sont utilisés comme variable dépendante.
188
Que nous avons d’ailleurs déjà pu aborder dès le début de notre recherche dans la partie consacrée au concept
et aux typologies d’instruments politiques.
162
Les typologies font dès lors plutôt l’objet d’un chapitre descriptif permettant par exemple
d’organiser une argumentation, de décrire les instruments, dans une perspective
généralisatrice, lorsqu’elles ne sont pas simplement utilisées en tant qu’élément rassembleur
ou structurant d’un ouvrage (souvent collectif). Le cas typique est l’élaboration d’une
typologie dans la partie introductive d’un ouvrage qui structure par la suite les chapitres de ce
dernier. Il nous semble ici que l’utilisation qui est faite des typologies est un peu légère,
même si les éléments d’analyse qui y sont reportés sont toujours appréciables.
Cependant, comme nous allons pouvoir le constater, il n’est peut être pas anodin que les
modalités d’application des typologies ne semblent pas avoir mobilisé les réflexions des
chercheurs dans la mesure où règne selon nous dans cette communauté une sorte d’idée reçue,
implicitement partagée, tant elle paraît évidente, qui conditionne l’utilisation qui est faite des
typologies et qui n’est donc jamais remise en question : la « tentation classificatrice ».
En effet, la réponse qui semble partagée par la grande majorité de la communauté des
chercheurs est de concevoir une typologie d’instruments en tant que système de
classification : une typologie sert in fine à classer. Or cette réponse implique de la part des
chercheurs, tant dans la perspective de la phase d’élaboration de la typologie, que dans la
phase d’application (qui selon nous ne doivent pas être pensées l’une sans l’autre), la
tentation, toujours inassouvie et infructueuse, car jamais définitive, d’établir une
correspondance monodirectionnelle entre catégories d’instruments et instruments réels.
Dans cette perspective, la typologie « parfaite » se doit par conséquent d’être apte à faire
correspondre, sans ambigüité et dans quelque contexte que ce soit, n’importe quel instrument
(concret) à une (et une seule) catégorie d’instruments.
En d’autres termes, le rêve du chercheur serait d’établir une typologie universelle qui soit de
nature exhaustive et exclusive, l’exhaustivité reflétant la capacité d’une typologie à présenter
un nombre de catégories dans lesquelles chaque instrument concret peut être classé et
l’exclusivité reflétant la capacité des catégories à ne pas se recouper l’une dans l’autre.
Or si cette perspective classificatrice peut être perçue comme rassurante, notamment car
possédant son homologue au sein des sciences dites « exactes »189, elle constitue cependant
selon nous surtout une solution de facilité et d’évitement qui pose certains problèmes sur le
terrain de la complexité sociale et instrumentale. Certains auteurs ont sans doute remarqué ce
problème (notamment lorsqu’il s’agit de confronter les typologies à la réalité instrumentale :
existence de « zone grise », non exclusivité des catégories), mais sans toutefois s’y attarder
vraiment et donc sans jamais fondamentalement le traiter.
189
Pensons par exemple à la minéralogie qui distingue dix classes de minéraux ou à la chimie et sa classification
périodique des éléments (table de Mendeleïev) ou encore à la biologie qui classifie traditionnellement le monde
du vivant en cinq règnes (animaux, végétaux, champignons, protistes, procaryotes ; ces règnes étant eux-mêmes
soumis à des classifications).
163
Il est ainsi rapidement apparu évident pour nous que, compte tenu de la complexité
instrumentale, il s’avère impossible qu’une telle démarche classificatrice ne puisse être
propice à une compréhension efficace des instruments des politiques publiques et notamment
à remplir la double condition de l’exhaustivité et de l’exclusivité, tant le choc entre une réalité
complexe et une typologie, réductrice par nature, est important (cf. Encadré 13 ci-dessous).
Ainsi, dans une perspective classificatrice, « a defensible list of basic policy instruments is no
simple matter » (Linder et Peters, 1989, p 44, cité par Pal, 1992, p. 142) ; mais peut-être
uniquement dans un tel paradigme.
190
Nous-mêmes, nous y avons été confrontés longuement au cours de notre recherche et malgré notre « prise de
conscience » continuons encore d’y être par moment toujours confrontés.
164
[…] les typologies proposées par la littérature ne répondent pas adéquatement à la
question de l’opérationnalisation du concept d’instrument. En effet, selon cette approche,
il faudrait expliquer pourquoi au moment Ti on a retenu dans la politique publique Pi
l’instrument Ii classé [souligné par nous] dans la catégorie Cx, plutôt que l’instrument Ij
classé [souligné par nous] dans la catégorie Cy. Comme il n’y a cependant d’accord ni
sur les critères de classification, ni sur la répartition des instruments dans les multiples
catégories, la variance de la variable dépendante serait différente selon chaque typologie,
respectivement selon chaque auteur. Les conclusions d’études empiriques se basant sur
des typologies alternatives ne seraient donc pas comparables et ne favoriseraient pas un
développement cumulatif des connaissances, développement indispensable à
l’élaboration d’un modèle causal du choix des instruments de l’action publique. (p. 35-
36)
De leur côté, Rothmayr et al. (1997, également cité par Varone, 1998), concluent également
de leurs recherches – après avoir appliqué trois classifications d’instruments à l’analyse des
politiques de la drogue et de la culture dans une ville en Suisse – que si les typologies
proposées dans la littérature sont applicables, il n’en reste pas moins un grand effort théorique
à effectuer pour pouvoir élaborer une typologie multifonctionnelle et opérationnalisable sans
ambigüité. Au surplus, et comme l’ont noté plusieurs auteurs (à l’image de Van Nispen et
Ringling, 1998 ou Kaufmann-Hayoz et al., 2001), l’opérationnalisation de la variable type
d’instruments semblent également difficile dans la mesure où ceux-ci sont souvent utilisés de
manière combinée (au sein d’un mix instrumental). L’identification de la variable en est
rendue plus difficile, d’où la nécessité absolue d’identifier de manière précise sa nature.
Et, comme nous l’avons déjà souligné, la voie empruntée par certains et qui consiste à
analyser (et non classer) les instruments en fonction de leurs attributs – voie qui, rappelons-le,
est selon Varone (1998) prometteuse dans la perspective de cerner la complexité
instrumentale puisqu’elle permet d’évaluer ou, osons le terme, comparer les instruments en
fonction de plusieurs attributs/caractéristiques – semble être intéressante et fructueuse, bien
qu’elle n’ait pas été jugée jusqu’ici pertinente dans le cadre de l’approche par les typologies
d’instruments191.
Toutefois, tenter de s’émanciper de cette perspective classificatrice pour faire sienne une
démarche de nature comparative implique encore au préalable de clarifier certains points et
notamment celui de la dissociation à établir entre types d’instruments (niveau théorique) et
instruments concrets (niveau empirique).
191
En effet, cette voie n’a pas débouché à proprement parler sur la construction de typologies d’instruments mais
s’est plutôt focalisée sur des attributs de nature transversale (efficacité, légitimité, etc.).
165
7.1.3 Types d’instruments vs instruments concrets (niveau théorique vs empirique)
Selon nous, la tentation classificatrice que nous avons identifiée est étroitement liée à une
autre lacune qui, à notre connaissance, n’a également jamais été relevée dans la littérature et
qui consiste en la confusion faite par les auteurs entre types d’instruments et instruments
concrets (ou réels), ou, en d’autres termes, entre niveaux théoriques et empiriques, entre
théorie et réalité.
Or, une typologie d’instruments est par nature une représentation réductrice de la réalité
qu’elle se veut appréhender et il est donc selon nous nécessaire, dans la perspective de
s’émanciper de toute tentation classificatrice, de dissocier clairement les niveaux théorique
(typologie d’instruments, rationalisation réductrice) et empirique (complexité instrumentale).
Cependant, nous avons pu constater que la plupart des auteurs s’étant consacrés à
l’élaboration et/ou à l’utilisation de typologies d’instruments manipulent de manière assez
confuse ces deux niveaux, à l’exception de quelques-uns qui ont, comme nous l’avons déjà
relevé, sans doute perçu le paradoxe entre une réalité instrumentale complexe et une typologie
réductrice par nature, mais sans toutefois pour autant l’appréhender sur le niveau
méthodologique pertinent (principalement Bressers et Klock, 1988, Salamon, 1989, 2002,
Klock, 1995, Van Nispen et Ringling, 1998, Kaufmann-Hayoz et al., 2001).
Nous verrons par la suite comme cette dissociation entre théorie et réalité, entre typologie
d’instruments et instruments concrets, peut prendre forme sur le plan méthodologique et
pratique.
De leur côté, De Bruijm et Hufen (1998) font ainsi remarquer que les tenants de l’approche
instrumentale classique prônent une telle vision mono-instrumentale dans la mesure où ils
tendent vers une théorie des instruments pure : les instruments doivent être étudiés et mis en
œuvre de manière individuelle et autonome, ils ne sont pas substituables. Or poursuivent les
auteurs, la recherche sur la pratique des instruments remet en question cette approche et tend
166
vers une analyse combinée des instruments et sur une application simultanée et harmonisée de
plusieurs instruments.
Dans le même ordre d’idée notons que pour Dente (1995) comparer les instruments dans le
but d'affirmer la supériorité d'un tel est une stratégie de recherche beaucoup moins
prometteuse que de rechercher les combinaisons possibles entre instruments ou d’investiguer
les conditions sous lesquelles ils ont les meilleurs effets. Rappelons ainsi que les instruments
ne sont pas une fin en soi mais un moyen d'atteindre un objectif politique et donc de
solutionner un problème en influençant les comportements humains (très souvent à l’origine
même du problème).
Aussi, la question centrale n’est donc pas de savoir si les instruments sont substituables ou
non mais bien de savoir quels instruments combiner et comment les combiner dans la
perspective de modifier les comportements humains de manière efficace et durable.
Au vue de nos développements, disposer d’une typologie d’instruments qui soit apte à gérer la
complexité instrumentale nécessite donc de devoir se défaire de toute tentation classificatrice
et, notamment, de fonder sa typologie sur une théorie de l’action humaine qui soit à même de
définir les caractéristiques fondamentales utilisées pour dresser les différents types
d’instruments.
Cependant, c’est également sur le plan de l’utilisation qui est faite des typologies que la
notion d’acteurs-cibles est également importante dans la mesure où elle est également
l’expression de la complexité instrumentale et une raison supplémentaire de l’appel à
l’abandon de la tentation classificatrice. En effet, la notion même d’acteurs-cibles rend selon
nous toute tentative classificatrice caduque dans la mesure où un instrument concret peut être
167
associé à une catégorie différente selon le destinataire pris en considération. Nous verrons
d’ailleurs cela plus particulièrement dans le cadre de notre analyse de la politique climatique
suisse. Ainsi, nous pouvons imaginer qu’un même instrument peut être de type coercitif tout
aussi bien qu’informatif en fonction du destinataire pris en considération dans l’analyse.
Pensons par exemple à l’obligation imposée à un vendeur d’informer le public sur son
produit : mesure coercitive pour le vendeur, mesure informative pour le public. Cette couche
supplémentaire de complexité rend ainsi la perspective classificatrice définitivement illusoire.
Aussi pour bien appréhender les implications méthodologiques et théoriques que cette notion
d’acteurs-cibles peut revêtir sur le plan méthodologique et dans la perspective de dresser une
typologie d’instruments puis de l’utiliser, faut-il s’y arrêter quelques instants.
La première alternative consiste à influencer les activités d’un acteur-cible qui ne sont pas la
cause directe du problème environnemental mais qui vont à leur tour avoir une influence sur
ses activités néfastes. L’auteur donne en exemple le fait d’obliger un acteur à collecter de
l’information sur les conséquences environnementales de son activité, une collecte
d’information qui peut alors déboucher, dans une deuxième étape, sur une modification de son
comportement. Même si le raisonnement semble un peu tiré par les cheveux, il indique tout de
même qu’un instrument peut être analysé de différente manière en fonction d’un seul et même
destinataire.
La seconde alternative consiste cette fois à influencer non pas directement les acteurs dont le
comportement est à l’origine du problème mais les activités d’autres acteurs dans les activités
vont dès lors influer sur celles des acteurs qui posent problème. Cette situation en cascade
peut très bien compter trois, voire quatre (et même plus) chaînons d’acteurs. L’auteur donne
en exemple la fourniture d’information au public par des organisations intermédiaires ou une
convention entre Etat et une branche de l’économie. Les instruments peuvent donc également
être d’une nature différente en fonction du destinataire pris en compte (1er destinataire et
suivants vs destinataire finale).
Cette seconde stratégie est également discutée en des termes un peu différents par un auteur
comme Vedung (1998) qui, constant que les instruments sont plutôt utilisés en combinaison
plutôt que de manière isolée, définit les notions de combinaisons verticale, horizontale et
chronologique (vertical packing, horizontal packing and chronological packing). La
combinaison de type verticale est celle qui nous intéresse ici dans la mesure où un instrument
peut se « décliner » de manière verticale par rapport à un objectif et alors prendre la forme de
plusieurs types d’instruments différents selon le 1er, le 2e, le 3e, le ne destinataire considéré.
L’auteur donne en exemple l’instrument du label qui revêt la forme d’une prescription
(régulation) pour les vendeurs qui se doivent, en tant qu’agents de mise en œuvre, de
168
labelliser leurs marchandises et d’un instrument d’information pour les consommateurs
(acteur-cible finaux) qui se voient alors informés sur les implications de leurs achats.
Aussi, Vedung (1998) nous fait remarquer toute l’importance de considérer le niveau des
acteurs en fonction duquel tout instrument doit être analysé. Néanmoins, il ne semble pas tirer
les conclusions qui selon nous s’imposent, dans la mesure où l’auteur contourne assez vite la
question en précisant que dans une optique conséquencialiste et téléologique un label est
fondamentalement un instrument d’information et qu’il est donc ici nécessaire de prendre en
compte le destinataire final de l’action publique dans l’analyse. Pour notre part, nous pensons
que la tentation classificatrice explique cet évitement maladroit du problème posé.
B) Implications méthodologiques
Selon nous, dans l’optique d’analyser les instruments politiques à l’aide de typologie
d’instruments et notamment dans la perspective d’expliquer le choix des instruments, il est
nécessaire de spécifier, à chaque fois, le ou les destinataire(s) pris en considération pour
l’analyse. Faire l’économie de cet effort rend toute tentative compréhensive et explicative
sujette à une remise en question. Nous ne pouvons donc pas parler (de type) d’instruments
politiques sans définir les acteurs-cibles pris en considération dans l’analyse.
C’est pourquoi nous définissons le public-cible d’un instrument comme constituant la réunion
de l’ensemble des destinataires directs de l’action publique. Ceux-ci sont donc à dissocier des
acteurs touchés de manière indirecte par les instruments, de manière « collatérale » dirons-
nous, mais qui n’étaient pas ciblés par ces derniers dans la perspective de modifier leur
comportement.
Ainsi, il est certes intéressant, par exemple, de constater une évolution dans les modalités
d’intervention de l’Etat, mais celle-ci ne prend vraiment sens sur le plan compréhensif que
lorsqu’une variable telle que celle de l’acteur-cible pris en considération peut être tenue
constante. Il en va d’ailleurs de même pour toute tentative d’explication de l’évolution dans le
choix des instruments.
Elle tient ainsi une place importante lorsque les auteurs adoptent une approche par les
ressources pour établir leur typologie d’instruments, celle-ci se traduisant le plus souvent par
la présence d’une catégorie de type instruments contraignants192. Mais la notion de contrainte
est également souvent sollicitée dans le cadre de l’approche par continuum qui implique le
plus souvent cette dernière dans la construction de la typologie.
Or, la notion de contrainte, qui est ainsi très souvent à l’origine – plus ou moins directe – de
l’élaboration des typologies, est selon nous souvent manipulée par de nombreux auteurs de
manière assez imprécise ou avec différentes interprétations. Elle mérite donc quelques
développements.
192
Parfois confondue avec la notion d’instruments légaux nous l’avons vu.
169
A) La contrainte : une notion difficilement identifiable
Kaufmann-Hayoz et al. (2001) notent que dans le domaine des politiques environnementales,
la distinction usuelle qui est faite entre les instruments de régulation et les instruments
économiques193 montre que les instruments sont souvent ordonnés selon leur degré de
contrainte, d’un pôle coercitif à un pôle volontaire. Les auteurs identifient ainsi la notion de
contrainte par opposition à la notion d’action volontaire mettant ainsi l’accent sur la
perspective de l’acteur-cible (action volontaire vs action contrainte).
De manière différente, un auteur comme Vedung (1998) fonde sa typologie sur un continuum
« autoritaire » (p.34) marquant une gradation du degré de la force autoritaire, mesurée en
terme de contrainte/pouvoir investit par l’Etat, entre les trois types d’instruments qu’il
définit194 :
The authoritative force concerns the degree of constraint, or even better, degree of
power, that the governing body has invested in the governance attempt. (p.34-35)
Par ailleurs, les trois types d’instruments de Vedung contiennent également en eux-mêmes
une dimension affirmative et négative qu’il faut également interpréter comme un niveau de
contrainte faible ou fort (cf. Tableau 29 ci-dessous).
Tableau 29 : Dimensions affirmative vs négative au sein des trois catégories de la typologie de Vedung
Instruments politiques
Dimensions
charges, obstacles
services en nature
physiques (Taxes,
(Encouragements)
in-kind services)
Encouragements
(Proscriptions)
(Prescriptions)
Impôts, taxes,
Mises en garde
fees, physical
Proscriptions
Prescriptions
Subventions,
obstacles)
(Warnings)
193
Tous deux compris sous le vocable instruments classiques, avec des références à une classe hétérogène
qualifiée de nouveaux instruments (cf. par exemple : Dente, 1995 ; Jänicke et Weidner, 1995, Jänicke et al.,
1999, p. 101).
194
Les trois types de mesures induisent des efforts très différents de la part de l’Etat sur une échelle mesurant la
force autoritaire mise à profit.
170
La notion de contrainte semble ainsi devenir difficilement discernable et pouvoir être
interprétée de différentes manières. Ainsi, pour Van der Doelen (1998) cette fois, l’idée d’une
augmentation du degré de coercition des différentes catégories d’instruments se traduit dans la
typologie de Vedung plutôt par la distinction qu’il est possible de faire au sein même des trois
catégories entre nature stimulante (stimulative) et nature répressive (repressive) des
instruments, distinction qui met cette fois en évidence le degré de liberté de l’individu face à
l’instrument (options vs pas d’option pour l’individu) (cf. Tableau 30 ci-dessous).
Instrument
Légitimité Efficacité
6
Notons ici que la ligne de démarcage que trace Van der Doelen au sein des trois catégories de
la typologie de Vedung s’apparente notamment à la distinction que fait Hood (1983) entre les
directives positives et négatives (positive and negative directives).
Aussi, selon Van der Doelen (1998), il n’est pas judicieux de classer les instruments de
communication, économiques et juridiques sur un axe exprimant le degré de contrainte allant
du non-contraignant au plus contraignant, alors même que Vedung (1998) semble quant à lui
indiquer le contraire.
La notion de contrainte semble donc bien difficile à s’accommoder d’une analyse limpide des
instruments des politiques publiques et ce même si, comme nous allons le constater, des
auteurs tels que Bressers et Klock (1988) tentent de définir le concept de manière plus
poussée autour de la distinction faite entre directive et incitation.
171
B) Une tentative de cerner la notion de contrainte
Bressers et Klock (1988), qui dénotent en passant que les auteurs fondent souvent leurs
classifications d’instruments sur l’évaluation de leur degré de contrainte formel (formal
compulsion) ou de leur degré de contrainte effective (real compulsion), soulignent que celles-
ci établissent également souvent une distinction entre directives et incitations qui
découleraient, selon eux, de l’existence d’un continuum opposant directive pure et incitation
pure, au sens idéaltypique de la notion.
Ainsi, selon ces auteurs, ce continuum serait caractérisé par deux dimensions principales, à
savoir le niveau par lequel les acteurs-cibles sont liés moralement à l’autorité légitime de
l’Etat (les directives font appel à cet aspect, les incitations non) et le degré de proportionnalité
des réponses des autorités au comportement des acteurs-cibles (plus la proportionnalité est
élevée, plus l'instrument va agir de manière incitative).
De plus, ils soulignent également que la distinction entre directives et incitations peut se faire
à l’aune de différents critères tels que, par exemple, la sévérité des réponses de l’autorité au
comportement ou de la nature positive ou négative des sanctions. Cette distinction est illustrée
par les auteurs au sein de quatre graphiques délimités par deux axes représentants pour l’un la
nature de la réponse des autorités et pour l’autre la nature du comportement de l’acteur-cible
(cf. Figure 14 ci-dessous).
La figure 14.1 distingue directive pure (A) et incitation pure (B), alors que la figure 14.2
distingue directive caractérisée par une sanction incitative (C) et incitation avec caractère de
directive (D).
Plus concrètement, Bressers et Klock (1988) définissent les directives pures (A) comme une
interdiction à certains comportements (par exemple un niveau limité de pollution). Dans ce
cas de figure le comportement est jugé « normal » jusqu’à la limite définie qui, si elle est
dépassée, marque l’entrée en force de la sanction. La réponse des autorités n’est donc pas
proportionnelle au comportement visé et, de même que la sévérité de la sanction (qui est
normalement conçue de manière assez prohibitive). A l’inverse, les incitations pures (B) sont
conçues de façon à établir une proportionnalité entre la réponse des autorités et le
172
comportement des acteurs-cible. La sévérité de la sanction est alors mesurée par l’intensité du
stimulus définit par unité de comportement (par exemple, le montant d’une taxe par unité de
pollution). Dans ce cas ce sont les acteurs-cibles qui décident quel est le « niveau
comportemental » supportable.
Cette ambigüité de la notion de contrainte fait par exemple remarquer à des auteurs comme
Howlett et Ramesh (1995) que les classifications qui s’accommodent d’un arrangement le
long d’une échelle de contrainte (telle celle de Doern et Phidd (1992)) rendent
l’opérationnalisation du concept de contrainte et le placement des divers instruments le long
du continuum plus que difficile195.
Nous pensons pouvoir répondre par la négative dans la mesure où la notion de contrainte ne
semble pas se définir a priori mais très probablement qu’à posteriori et qu’elle représente une
dimension sans doute trop « transversale » pour prétendre définir une distinction entre
plusieurs types d’instruments.
Selon nous, la notion de contrainte ne permet ainsi pas de définir de manière précise une
caractéristique instrumentale pouvant se trouver à l’origine d’une typologie d’instruments
autre que celle qui consisterait à uniquement dissocier instruments contraignants et non
contraignants (typologie duale). Elle représente donc selon nous, comme peuvent l’être des
notions telles que l’efficacité, la légitimité, etc. (cf. l’approche par les attributs), plutôt une
sorte d’attribut « transversal » qui permet non pas de définir des types d’instruments (qui
195
Aussi suggèrent-ils de ne pas s’attarder sur le concept fuyant de contrainte (coercion), car il est selon eux
possible d’obtenir une classification plus complète et plus simple en se concentrant sur le niveau de
présence/engagement de l’Etat (level of state presence, level of State Involvement) impliqué par l'utilisation de
chaque instrument.
173
doivent être mutuellement exclusifs sur le plan de la rationalisation théorique), mais plutôt de
les évaluer à l’aide d’une dimension (typologie) duale.
Aussi, nous pensons que la notion de coercition, mise en balance avec celle de contrainte,
peut être plus à même d’être utilisée pour définir une typologie d’instrument qui ne soit pas
duale. En effet, dans la mesure où nous pouvons la définir par le recours ultime à la force
physique légitime de l’Etat, elle a le mérite d’être « mesurable » qu’à l’aune d’un seul et
même critère (tant du point de vue de l’Etat que de l’acteur-cible) : le recours à la force
physique légitime par l’Etat envers l’acteur-cible.
Nous définirons donc plus tard la coercition comme représentant la force physique légitime de
dernier recours et l’instrument coercitif comme étant composé d’une norme et d’une sanction,
d’un mécanisme de contrôle de la norme et d’application de la sanction, et d’un recours à la
force physique légitime en derniers recours196. En d’autres termes, un instrument coercitif doit
être capable de définir une norme comportementale et une sanction, de contrôler son
application et d’appliquer la sanction si il y a non observance (décision administrative voire
judiciaire, etc.), avec pour dernier recours, le recours à la force physique légitime étatique
(force de police) pour faire appliquer la norme.
Par ce biais, nous contribuons ainsi à dissocier clairement les notions de contrainte et de
coercition, découplage qui a le mérite selon nous de permettre l’établissement des types
d’instruments mutuellement exclusifs sur le plan théorique. Ainsi, et comme nous le verrons
également par la suite, le concept de coercition, emprunté dans son sens donné par Max
Weber, sera l’un des éléments clés de notre typologie.
196
Force qui n’est légitimée que si les trois premières étapes sont « dépassées ».
174
quelles peuvent être les dimensions, les attributs, les caractéristiques, les fonctions ou les
modes opératoires cruciaux qui pourraient permettre de les distinguer, d’en saisir leur nature,
afin d’en extraire les fondements à l’élaboration d’une typologie et qui sont donc le plus apte
à devenir la base pour développer une typologie d’instrument et générer des hypothèses
opérationnelles.
Des auteurs tels que Bemelmans-Videc et Vedung (1998) viennent ainsi même à se poser la
question de savoir si
D’autres s’avancent même à dire qu’une typologie convaincante qui pourrait servir au
développement d’une théorie des instruments n’existe pas (De Bruijn et Hufen, 1998) et à en
conclure que :
The failure to construct an indisputabble typology means that the theoretical possibilities
are much smaller than the supporters of the classical approach would like us to believe
(p. 27)
Enfin, certains, par exemple Varone (1998), Kaufmann-Hayoz et al. (2001) ou Linder et
Peters (1998), dissocient – à juste titre ? – la voie de l’approche par les attributs de celle des
typologies (catégories nominales) pour voir en la première une voie plus prometteuse. Ces
derniers notent d’ailleurs que l’étude des instruments par les politologues a emprunté deux
voies distinctes : la voie « canadienne » ouverte par des chercheurs tels que Phidd et Doern
(1978) ou Woodside (1986) qui se sont concentrés à étudier les instruments en fonction de
leurs attributs (tel celui de la coercition) et la voie « inductive » d’identification des fonctions
essentielles des instruments qui a poussé les chercheurs à élaborer des typologies, notamment
à l’instar d’auteurs tels que Hood (1983) ou Lowi (1972)
Sur le plan conceptuel, s’il semble en effet que beaucoup de caractéristiques peuvent être
identifiées (que ce soit des attributs ou des dimensions, des caractéristiques, etc. …), il semble
néanmoins que certaines d’entres-elles semblent revêtir une plus grande importance que
d’autres. Celles-ci sont ainsi selon nous relatives à la nature profonde des instruments que
nous avons identifiée, à savoir le fait qu’ils sont fondamentalement destinés à influencer les
comportements humains. Ces caractéristiques seront donc intimement liées à la théorie de
l’activité humaine que nous allons élaborer dans le cadre de notre proposition.
Sur le plan méthodologique, il nous semble également que l’identification des caractéristiques
fondamentales des instruments doit pouvoir s’exprimer au sein d’une démarche qui puisse
175
gérer la complexité instrumentale et qui, notamment, doit également être à même de définir
ces caractéristiques sur le même plan conceptuel et le même niveau théorique.
Ainsi, la voie qui est la nôtre prendra la forme d’une typologie d’instruments fondée sur une
théorie de l’activité humaine qui sera à même non pas de classer mais de comparer les
instruments concrets à de types conceptuels d’instruments.
Pour tenter de résumer nos développements, nous avons jugé utile de dresser une liste des
principales lacunes méthodologiques que nous avons identifiées sous la forme de quelques
conditions qu’une typologie d’instruments politiques devrait remplir pour être fructueuse sur
le plan théorique et pratique.
Pour bon nombre d’auteurs (voir notamment De Bruijn et Hufen, 1998, Klock 1995, Salamon,
1989, 2002, Salamon et Lund, 1989, Pal, 1992, Kaufmann-Hayoz et al., 2001, Lascoumes et
Galès, 2004), une typologie d’instruments devrait ainsi permettre :
4. de classer (nous dirons quant à nous comparer) les instruments, tant en fonction de
leurs différences que de leurs similitudes ;
6. de prendre en compte les acteurs cibles (typologie orientée acteur) et d’être liée à
(nous dirons d’être fondée sur) une théorie de l’activité humaine ;
En ce qui nous concerne, nous ajouterons les quelques conditions supplémentaires suivantes.
Une typologie d’instruments devrait également pouvoir :
10. reposer sur une base méthodologique cohérente, systématique et prenant en compte de
manière indissociable modalités de conception et d’application ;
176
11. permettre de dissocier les niveaux théorique (types d’instruments ; exhaustivité et
exclusivité) et empirique (instruments concrets, complexité) ;
13. reposer sur des bases conceptuelles cohérentes, praticables et d’un niveau théorique
équivalent (par exemple, remplacement du concept de contrainte par celui de
coercition) ;
14. fournir des étalons de mesure aptes à opérationnaliser la variable type d’instrument par
une démarche comparative qui abandonne la quête improbable qui consiste à tenter de
classer une réalité instrumentale beaucoup trop complexe dans des catégories
(abandon de la tentation classificatrice).
L’ensemble de ces conditions peut être brièvement résumé sous la condition unique suivante :
15. une typologie d’instruments politiques devrait pouvoir être apte à gérer la
complexité instrumentale qu’elle se veut appréhender.
Afin de remplir les conditions énumérées ci-dessus et tenter de lever les nombreuses lacunes
que nous avons identifiées auparavant, nous proposons de nous émanciper de la tentation
classificatrice que nous avons identifiée comme la lacune principale pour nous orienter vers
une nouvelle démarche méthodologique et conceptuelle.
Nous voyons ainsi dans la méthode compréhensive une alternative efficace pour la gestion de
la complexité instrumentale et la définition de concept rigoureux qui permettra dès lors de
dissocier clairement niveaux théorique (conception des (idéaux)types d’instruments, domaine
de la rationalisation en finalité, de la réduction/caractérisation) et empirique (instruments
concrets, domaine de la complexité sociale). En d’autres termes, nous proposons de laisser la
complexité là où elle se doit d’être, à savoir au niveau de la réalité, et de construire des types
sur le plan où ils se doivent d’être, à savoir au niveau de la rationalisation théorique. Nous
voyons également l’approche idéaltypique (processus de rationalisation en finalité) comme
permettant une mise en perspective des types d’instruments qui implique de manière
indissociable les deux étapes méthodologiques que sont les modalités de conception (mise en
relief de l’objet, de concept instrument en fonction de caractéristiques) et d’application
(analyse) de la typologie, dans la mesure où elle se veut une proposition méthodologique
englobant ces deux dimensions.
177
Notons également que cette démarche permet de dépasser les problèmes d’exhaustivité et
d’exclusivité dans la mesure où l’exclusivité se mesure sur le plan de la rationalisation
théorique (entre types idéaux et donc au niveau théorique uniquement ; la rationalisation de
types d’instruments mutuellement exclusifs n’ayant une pertinence qu’au niveau conceptuel)
et que l’exhaustivité se mesure quant à elle par la comparaison entre types d’instruments
concrets et types théoriques. Nous pensons ainsi lever l’exigence posée par beaucoup
d’auteur, mais jamais remplie, du critère des classes mutuellement exclusives en la (re)plaçant
sur le niveau théorique et méthodologique.
D’autre part, cette approche compréhensive nous permettra également de définir les
caractéristiques fondamentales des instruments qui permettront, à leur tour, de définir les
types d’instruments (nos étalons de mesure) au sein d’un processus d’exercice de
rationalisation en finalité. Cet exercice sera d’ailleurs issus de manière directe et systématique
de l’élaboration d’une théorie (basique) des l’activité humaine (questionnement de départ,
postulats de départ) – car les instruments, faut-il le rappeler, sont fondamentalement destinés à
modifier les comportements humains197 – qui permettra parallèlement d’obtenir des
« catégories » d’instruments relevant d’un niveau théorique et conceptuel identique.
Cette perspective méthodologique nous mène ainsi à tracer une démarcation claire entre,
d’une part, la notion de typologie idéaltypique d’instruments (méthode compréhensive
wébérienne, construction d’idéauxtypes d’instruments, approche comparative) et, d’autre part,
les classifications et autres catégorisations d’instruments (classes, familles, catégories, etc.)
qui sont irrévocablement associés à une approche classificatrice dont nous voulons
absolument nous défaire.
Ainsi, avec la typologie d’instruments que nous nous proposons de concevoir et d’utiliser au
sein de notre recherche, nous pensons posséder un instrument de compréhension à grande
valeur heuristique qui puisse permettre également l’opérationnalisation (la mesure) de la
variable type d’instruments par une approche comparative (étalon de mesure conceptuel /
réalité instrumentale). A cette fin et pour pouvoir dépasser le seul niveau compréhensif, nous
proposerons également d’accommoder la méthode compréhensive wébérienne d’une
combinaison de deux méthodologies empruntées à l’évaluation des politiques publiques
(proposition pour une méthode idéaltypique + « pan-phy ») et qui consistera à faire mesurer les
instruments du domaine étudié au regard des types d’instruments que nous aurons définis par
un groupe d’experts.
En conséquent, nous pensons que l’approche que nous proposons peut s’avérer une voie
prometteuse dans le dessein de permettre aux typologies d’instrument de pouvoir gérer la
complexité instrumentale (la perte compréhensive découlant de l’exercice de caractérisation
des types d’instruments étant rattrapée par l’exercice de comparaison entre types
d’instruments et réalité instrumentale).
Enfin, nous relèverons ici qu’en scellant les fondements théoriques et conceptuels de notre
typologie d’instruments sur une théorie (basique) de l’activité humaine, nous pensons mettre
l’accent sur une approche des instruments politiques qui veut également appeler à l’ouverture
de notre champ d’investigation à l’impérieuse nécessité de l’interdisciplinarité, voire de la
transdisciplinarité, dans une perspective de développement durable198.
197
En d’autres termes, les instruments sont fondamentalement construits sur des hypothèses comportementales
découlant de la question fondamentale qui est de savoir comment modifier les comportements humains ?
198
Voir sur ce point de la dernière partie « synthèse & de conclusion » de notre travail de recherche.
178
Ainsi, et en parfait accord avec Kaufmann-Hayoz et al. (2001) ou Bürgenmeier (2005, 2008),
nous sommes en effet persuadés que la régulation socio-environnementale (et à plus forte
raison la régulation sociale) ne peut être comprise d’un point de vue disciplinaire mais que les
réponses à apporter incombent à l’ensemble des sciences sociales et de la nature. Aussi, si
nous espérons que la typologie que nous proposerons puisse constituer une avancée, ne serait-
ce que minime, dans cette direction, nous souhaitons qu’elle puisse permettre de jeter un
regard nouveau sur les instruments des politiques publiques.
Du point de vue méthodologique et d’une manière générale, il existe en sciences sociales trois
procédés pour créer des typologies : la méthode statistique, la méthode analytique et la
méthode idéaltypique.
En résumé, pour un phénomène donné, la méthode statistique permet de définir des types
(dans notre cas des types d’instruments) par un regroupement statistique basé sur
l’identification de dimensions. Cette méthode, très largement de nature inductive et
exploratoire, met donc l’accent sur le traitement statistique et relègue le travail qui consiste à
définir les dimensions prises en considération à un second plan. La plus connue de ces
méthodes est sans doute l’analyse par grappe (cluster analysis). Or, sûrement très fructueuse
pour établir des typologies de phénomènes « connus » et facilement identifiable et mesurable,
cette méthode ne semble peu (ou pas) pertinente dans le cas qui nous occupe, notamment
parce qu’elle ne favorise pas une étape qui nous apparaît comme indispensable dans notre cas,
à savoir celle qui consiste, en amont, à définir de manière rigoureuse les dimensions qui vont
être choisies pour la création du concept (soit, en ce qui nous concerne, les dimensions qui
caractérisent la nature des instruments politiques) sur la base d’un raisonnement explicite et
dénué de prénotions199.
S’occupant ainsi à décrire cette approche conceptuelle inductive par la notion de « concept
opératoire isolé »200 (p. 117), Quivy et Campenhoudt (2006), font ainsi remarquer que cette
dernière se distingue de l’approche conceptuelle de nature déductive – et donc de la notion de
« concept systémique »201 (p.116) – par son « degré de rupture avec les prénotions » (p. 125)
(cf. Encadré 14 ci-après).
199
Etape qui constitue au contraire le « point d’entrée » des méthodes analytique et idéaltypique.
200
Notion empruntée à Bourdieu, Chamboredon et Passeron (Bourdieux, P., Chamboredon, J.-C. et Passeron, J.-
C. (1968). Le Métier de sociologue. Paris, Mouton, Bordas), un concept opératoire isolé est, selon ces auteurs, un
concept « construit empiriquement à partir d’observations directes ou d’informations rassemblées par d’autres »
(p. 116) dans le cadre d’une démarche exploratoire et de nature inductive.
201
Egalement empruntée à Bourdieux et ses collègues.
179
Encadré 14 : Approche conceptuelle inductive vs déductive
Selon Quivy et Campenhoudt (2006), l’approche conceptuelle inductive (concept opératoire isolé) et l’approche
conceptuelle déductive (concept systémique) ne se distinguent pas uniquement en fonction de la nature de
l’approche (inductive vs déductive) mais également « par le degré de rupture avec les prénotions » (p. 125).
Un concept opératoire isolé est un concept induit. Il reste doublement vulnérable par le fait qu’il est construit
empiriquement, d’abord parce que, dans l’induction, on parle de ce que l’on perçoit avec l’œil et l’oreille de
Monsieur Tout-le-monde. On construit le concept à partir d’observations partielles et d’informations souvent
tronquées ou biaisées qui se présentent à nous. De plus, même lorsqu’elle est fondée sur la comparaison, la
confrontation ou l’analyse critique, la construction reste sujette aux influences plus ou moins inconscientes de
préjugés et schémas mentaux préconçus [et non explicités].
Pour construire le concept opératoire isolé, on part des indicateurs que le réel présente, on sélectionne, on
regroupe ou on combine. Dans la construction du concept systémique, la procédure est inverse. On commence
par raisonner à partir de paradigmes développés par les grands auteurs et dont l’efficacité a déjà pu être testée
empiriquement. On situe le concept par rapport à d’autres concepts et ensuite, par déductions en chaîne, on
dégage les dimensions, les composantes et les indicateurs.
Dans ce second scénario, l’indicateur est lui-même une construction de l’esprit, une conséquence logique d’un
raisonnement antérieur. Il ne présente plus un état de choses, mais désigne une catégorie mentale à laquelle
pourrait correspondre un fait, une trace, un signe, qui est à découvrir et dont l’absence ou la présence prendra
une signification particulière.
Que l’on procède par la méthode inductive ou déductive, la construction conduit toujours à opérer une sélection
sur le réel. Le problème crucial de toute construction conceptuelle est donc celui de la qualité de cette sélection.
Ainsi pour le concept systémique, la sélection est le produit d’une logique déductive et abstraite, ce qui est
considéré comme la manière la plus apte à rompre ave les préjugés. Pour le concept opératoire isolé, la sélection
repose aussi sur une construction, mais l’empirisme du procédé inductif le rend plus vulnérable aux préjugés. Le
concept opératoire isolé se situe donc à mi-chemin entre le concept systémique et les prénotions.
Au lieu de représenter les concepts opératoires isolés et les concepts systémiques selon le schéma linéaire d’un
rapport hiérarchique, il serait dans doute plus pertinent de les situer dans un rapport dialectique par lequel ils
s’éclairent et se défient mutuellement pour faire progresser la connaissance scientifique. Car finalement, ce qui
fait la valeur d’un concept, c’est aussi sa capacité heuristique, c'est-à-dire en quoi il nous aide à découvrir et à
comprendre. C’est le progrès qu’il apporte à l’élaboration des connaissances.
Source : Quivy et Campenhoudt, 2006, pp. 125-126
La méthode analytique permet ainsi, sur la base d’un raisonnement théorique, d’expliciter les
dimensions fondamentales d’un concept, le plus souvent sous la forme de dimensions
bipolaires. C’est le croisement de ces dimensions (bipolaires) qui est utilisé pour produire des
classes. Un exemple peut être tiré de Merton (1997) qui identifie quatre types de mode
d’adaptation individuelle (conformisme, innovation, ritualisme et évasion), par le croisement
de deux dimensions du concept d’adaptation (acceptation vs rejet des buts et acceptation vs
rejet des moyens) (cf. Tableau 31 ci-dessous).
Tableau 31 : Les quatre (plus un) types d’adaptation individuelle chez Merton
Note : un cinquième type « rébellion » est défini par Merton ; celui-ci recoupe à la fois l’acceptation et le rejet
des buts, ainsi que l’acceptation et le rejet des moyens ; il est l’expression, selon l’auteur, du refus des
principales valeurs et de l’introduction de valeurs nouvelles.
Source : adapté de Merton, 1997
180
Cette méthode permet ensuite par l’opérationnalisation des dimensions de placer par un
processus statistique les « individus » dans les catégories ainsi définies. Cette méthode
pourrait s’avérer intéressante, mais nous avons pris le partit d’utiliser la troisième voie, celle
de l’approche compréhensive idéaltypique, approche qui nous paraît la mieux adaptée à notre
objet d’étude. En effet, la méthode analytique semble souffrir d’un inconvénient majeur dans
le cas qui nous occupe, à savoir qu’elle devient difficilement utilisable lorsqu’il s’agit de
« mesurer » plus de deux dimensions (passage de l’espace à deux dimensions à un espace à n
dimensions). Notons d’ailleurs au passage que ces dimensions peuvent, en elles-mêmes, être
considérées déjà comme des types et mérite donc d’être fondée avec toute l’attention qu’il
convient d’y apporter.
La méthode idéaltypique, enfin, sera donc amplement développée dans le cadre de notre
travail, puisque c’est celle que nous avons choisie pour les différentes raisons que nous avons
déjà invoquées jusqu’à présent. Notons ainsi que si certains auteurs, à l’image de Kaufmann-
Hayoz et al. (2001)202, font référence à la méthode wébérienne dans le contexte de l’analyse
instrumentale des politiques publiques, cela ne l’est jamais de manière fidèle, notamment
puisqu’intégrée dans une perspective classificatrice. Or nous allons pouvoir le constater, il n’a
jamais été question d’utiliser les types idéaux comme système de classification dans la pensée
de Max Weber203.
Aussi et afin de cerner les tenants et aboutissants d’une utilisation fidèle de la méthode
compréhensive wébérienne à l’analyse instrumentale des politiques publiques par
l’intermédiaire de l’objet qui nous occupe, soit les instruments politiques (de protection de
l’environnement), nous avons jugé nécessaire de replacer brièvement cette dernière dans son
contexte théorique et épistémologique.
Selon Baudouin (1998), en science politique, comme au sein des sciences sociales de manière
plus générale, trois courants nourrissent la controverse dont nous venons de faire état sur les
méthodes d’appréhension des phénomènes sociaux : a) l’empirisme, qui donna naissance dans
202
Pour ces auteurs, la classification est et a toujours été un élément méthodologique important dans le
développement des sciences. Et si la procédure classique utilise le critère du « genus proximum » et du
« differentia specifica » pour produire un système logique de catégories distinctes, au sein des sciences sociales,
comme le relève à juste titre Kaufmann-Hayoz et al. (2001), c’est la notion de type qui a joué un rôle important
dans la discussion méthodologique, notamment depuis les publications de Max Weber (1904).
203
Qui, d’ailleurs, met en garde le chercheur contre l’erreur qui consisterait à emprunter cette mauvaise voie.
204
De l’ordre de la théorie de la connaissance.
181
le domaine de la science politique au courant behavioriste nord-américain, b) l’approche
positiviste d’Emile Durkheim et c) l’approche compréhensive de Max Weber.
Comme indiqué auparavant, notre choix méthodologique s’étant porté sur cette dernière
méthode, nous commencerons par introduire les deux premières approches afin de pouvoir
saisir les tenants et aboutissants de notre option.
Dans le domaine de la science politique, l’empirisme donna naissance à un courant qui allait
dominer les recherches des politologues nord-américains pendant plus d’un demi-siècle : le
behaviorisme.
Aussi le politologue, n’ayant pas (ou plus) pour objectif d’expliquer mais de décrire, trouve-t-
il son salut dans la rigueur technique. Au travers de ses recherches, il ne considère que les
comportements (behavior) observés et donc observables. Dans le but d’enregistrer les faits, il
sollicite systématiquement les techniques quantitatives, statistiques et mathématiques. Enfin,
son activité de prédilection devient le travail de terrain.
Or, si le courant behavioriste, remarque Baudouin (1998), a offert à la science politique une
rigueur, une précision et un outillage technique dont elle avait besoin, son bilan reste tout de
même très contrasté. En effet, de multiples reproches peuvent lui être adressés, parmi lesquels
son obsession pour les faits quantifiables et directement observables, obsession qui pousse le
chercheur à faire porter ses recherches sur des processus visibles et non qualitatifs. Lui est
également reproché son caractère conservateur : il légitimerait l'ordre social en épousant
strictement les faits et en s'interdisant par la même occasion toute critique. Mais :
205
Dont Hume et Bacon furent les premières figures emblématiques.
206
Aussi, l’empirisme peut-il être qualifié de courant d’« appropriation immédiate du réel » (Baudouin, 1998, p.
14).
207
Qui s’est notamment développé sous l’impulsion de Merrian, Lasswell et Lazarsfeld.
182
la principale critique est, cependant, d'ordre épistémologique : les faits sont eux-mêmes
inintelligibles si l'observation n'est pas fécondée par un questionnement initial, par des
hypothèses de travail qu'il appartient au chercheur de ‘construire’ ou ‘d'imaginer’
(Baudouin, 1998, p. 16).
L'ambition scientifique de la théorie d’Émile Durkheim, exposée dans son célèbre ouvrage
Les règles de la méthode sociologique (1937/1977), se traduit par une approche de nature
scientifique208 des faits sociaux, faits qu’il faut considérer « comme des choses » (p. 15).
Selon Durkheim (1937/1977), les faits sociaux constituent « des manières d'agir, de penser et
de sentir extérieures à l'individu et qui sont douées d'un pouvoir de coercition qui s'imposent à
lui » (p. 5). Ils sont en eux-mêmes « détachés des sujets conscients qui se les représentent »
(p. 28) et sont susceptibles – tout comme les faits naturels – de faire l’objet d'une observation
rigoureuse, impersonnelle et quantifiable.
Pour parvenir à un minimum d'objectivité, le chercheur se doit alors d’étudier les faits sociaux
« du dehors comme des choses extérieures » (p. 28). A cette fin, il doit « écarter
systématiquement toutes les prénotions » (p. 31) et s’interdire « résolument l’emploi de ces
concepts qui se sont formés en dehors de la science et pour des besoins qui n’ont rien de
scientifique » (p. 32).
• la méthode expérimentale, telle qu’elle est mise en pratique dans le domaine des
« sciences dures » et qui consiste à contrôler de manière directe les variables
indépendantes209 par le bais de l’expérimentation ;
208
Une scientificité conçue à l’image de ce qui se fait alors dans le domaine des sciences naturelles, qualifiée,
par opposition aux sciences sociales, de « sciences exactes » ou « sciences dures ».
209
Ou causales.
183
Néanmoins, souligne Durkheim (1937/1977), puisque dans le domaine des sciences sociales
« les phénomènes sociaux échappent évidemment à l’action de l’opérateur (du chercheur), la
méthode comparative est la seule qui convienne » (p. 124).
184
Dans le but d’illustrer nos propos soulignons les définitions que donne Weber (1956/1995)
des notions de sociologie et de compréhension :
Nous appelons sociologie (au sens où nous entendons ici ce terme utilisé avec beaucoup
d’équivoques) une science qui se propose de comprendre par interprétation [deutend
verstehen] l’activité sociale et par là d’expliquer causalement [ursächlich erklären] son
déroulement et ses effets. Nous entendons par « activité » [Handeln] un comportement
humain […], quand et pour autant que l’agent ou les agents lui communiquent un sens
subjectif. Et par activité « sociale », l’activité qui, d’après son sens visé [gemeinten Sinn]
par l’agent ou les agents, se rapporte au comportement d’autrui, par rapport auquel
s’oriente son déroulement. (p. 28)
Dans tous les cas, « comprendre » signifie saisir par interprétation le sens ou l’ensemble
significatif visé (a) réellement dans un cas particulier (dans une étude historique par
exemple), (b) en moyenne ou approximativement (dans l’étude sociologique des masses
par exemple), (c) à construire scientifiquement (sens « idéaltypique ») pour dégager le
type pur (idéaltype) d’un phénomène se manifestant avec une certaine fréquence. (p. 35)
Par contre, nous devons relever que si la méthodologie positiviste prônée par Durkheim dans
ses écrits se refuse à toute interprétation de la réalité et rejette en cela la subjectivité du
chercheur, il n’en va pas de même dans sa pratique. Dès lors l’opposition faite entre la
méthode compréhensive wébérienne et l’approche positiviste (notamment mise en avant dans
la littérature spécialisée) ne serait en réalité qu’un « effet de style ».
En effet, selon la thèse soutenue par Boudon (1994), si dans son discours méthodologique
Durkheim prêche une épistémologie empiriste, dans sa pratique scientifique210 il applique une
méthodologie de la compréhension et ainsi « pratique une épistémologie non empiriste proche
de celle de Weber » (p. 104). Aussi, comme le souligne l’auteur, derrière l’analyse des
corrélations employée par Durkheim (1897) dans son ouvrage sur l’étude sociologique du
210
C’est-à-dire dans ses analyses et ses travaux empiriques.
185
suicide211 peut-on sans grande difficulté découvrir une analyse compréhensive du
comportement.
Dès lors ne devons-nous pas voir dans ce constat un aveu qui consiste à reconnaître que dans
le domaine des sciences sociales l'observation empirique seule ne suffit pas pour accéder à la
connaissance de la réalité, d’une part, et que, d'autre part, l'observation n'est pas un fait
complètement objectif : la subjectivité du chercheur intervient (nécessairement) dans la
perception de la réalité. Ce dernier n'est pas passif mais au contraire actif au sein du processus
de connaissance.
Concédons toutefois que la réalité n'est pas complètement ouverte à la subjectivité et que
toutes les interprétations ne sont pas possibles. Il s’agit dès lors pour le chercheur de ne pas
tomber dans le travers qui consisterait à prendre son interprétation de la réalité pour ce qu’elle
n’est pas, à savoir la réalité en elle-même. Comme nous allons pouvoir le constater, la
méthodologie wébérienne ne tombe pas dans ce travers et est donc de ce point de vue très
intéressante à appliquer dans le domaine des typologies d’instruments politiques.
Conformément à sa vision du monde Weber (1951/1965) élabore une méthode dont l'objectif
est de construire des concepts propres à expliciter l’activité sociale : la méthode idéaltypique.
Il en fera toute la démonstration dans son ouvrage L’éthique protestante et l’esprit du
capitalisme (Weber, 1947/1967).
La démarche wébérienne, nous l’avons vu, consiste à comprendre l'activité sociale par
interprétation. A cette fin Weber (1951/1965) propose au chercheur d’utiliser un instrument
méthodologique : l’idéaltype (Idealtypus). Le travail de ce dernier va donc consister à
construire de tels « concepts typiques »212 :
Selon Weber (1951/1965), l’idéaltype n’est pas en soi une hypothèse. Au contraire, il doit être
utilisé en tant que guide pour l’élaboration d’hypothèses. Il représente en cela un moyen
heuristique qui ne doit en aucun cas être utilisé pour rendre compte de la réalité mais bel et
bien pour la lui comparer : les idéaltypes « ont une très grande valeur heuristique pour la
recherche et une très grande valeur systématique pour l’exposé, si on les utilise simplement
comme moyens conceptuels pour comparer et mesurer à eux la réalité » (p. 191 – 192).
211
Très souvent donnée en exemple pour illustrer la méthodologie durkheimienne.
212
En lieu et place du terme d’idéaltype, Weber (1951/1965) utilise des notions telles que celles de concept, de
concept idéaltypique, d’idée ou encore de tableau idéal, de tableau de pensée homogène et d’utopie, qui le
recoupent ou en sont des synonymes.
186
Dans ce sens, soulignons également que si l’idéaltype constitue un tableau de pensée :
il n’est pas la réalité historique ni surtout la réalité « authentique », il sert encore moins
de schéma dans lequel on pourrait ordonner la réalité à titre d’exemplaire. Il n’a d’autre
signification que d’un concept limite [Grenzbegrift] purement idéal, auquel on mesure
[messen] la réalité pour clarifier le contenu empirique de certains éléments importants, et
avec lequel on la compare. (p. 185)
Pour illustrer de manière concrète le terme d’idéaltype, Weber (1951/1965) fait, entre autre,
référence au modèle de l’économie de marché, qui selon lui, est un concept idéaltypique :
Ainsi et pour établir une première synthèse de nos propos dans la perspective méthodologique
qui est la nôtre, soit rappelons-le, de disposer d’une typologie idéaltypique d’instruments
politique, est-il intéressant de mettre l’accent de manière illustrée (cf. Figure 15 ci-après) sur
la différence avancée par Weber entre, d’une part, l’instrument de compréhension qu’est
l’idéaltype et, d’autre part, la réalité (complexe par nature) qu’il se doit d’interpréter en
prenant l’exemple du marché.
est bien plus qu’une simple définition ou qu’une simple notion. Il implique une
conception particulière de la réalité étudiée, une manière de la considérer et de
l’interroger. (p.86)
187
objets. Dans la plupart des cas ce travail abstrait s’articule à l’un ou l’autre cadre de
pensée plus général, que l’on appelle une théorie générale ou un paradigme. (p. 119)
Marché « idéel »
THEORIE
Rationalité de l’homoeconomicus, Offre /
Compréhension des phénomènes
Demande, transparence, concurrence
sociaux
parfaite, information parfaite, …
REALITE
EMPIRIE / REALITE
Comportements irrationnels (valeurs,
COMPLEXITE
affects), information imparfaite,
Phénomènes sociaux complexes
concurrence imparfaite, ...
Source : l’auteur
Dans cette perspective, confondre théorie et réalité, réalité et théorie relève de l’erreur à ne
pas commettre et toute tentative de compréhension (et d’explication) d’un phénomène
complexe nécessite donc un effort marqué de conceptualisation, qui au demeurant ne
constitue pas un but en soi, mais un moyen de compréhension.
Notons tout de même que Weber (1951/1965) met en garde le chercheur contre une utilisation
inappropriée de l’outil conceptuel qu’il aura construit et qui consisterait à le hisser au rang de
type exemplaire en lui concédant une dimension normative. Aussi un idéaltype représente un
danger si l'on croit posséder en lui une construction ayant une validité empirique et le
chercheur ne doit pas percevoir dans son instrument un type idéal, au sens usuel et évaluatif
du terme, mais bel et bien un type idéal, au sens moins coutumier d’idée213.
Le chercheur doit dès lors séparer de manière rigoureuse la notion d’idéaltype, qui est idéal
« dans un sens purement logique, de la notion du devoir-être ou de ‘modèle’ » (Weber,
1951/1965, p. 183). Il ne doit donc en aucun cas utiliser les idéaltypes qu’il a construits en
tant que modèles idéaux et leur faire revendiquer une quelconque validité empirique dans la
perspective d’évaluer (au sens de juger) la réalité. Dans un tels cas, les idéaltypes « ne sont
évidemment plus des auxiliaires purement logiques ni non plus des concepts auxquels on
mesure par comparaison la réalité, mais des idéaux à partir desquels on juge la réalité en
l’évaluant » (p. 192) et l’outil du chercheur « s’enfonce dans la région de l’interprétation
évaluative […] : on quitte [dès lors] le domaine de la science empirique et l’on se trouve en
présence d’une profession de foi personnelle et non plus d’une construction conceptuelle
213
Et si tel n’était pas le cas, Weber (1956/1995) dirait sans doute que le chercheur laisserait alors « surgir
l’‘idée’ [le type idéal] au sens d’idéal de l’‘idée’ au sens d’‘idéaltype’ » (p. 193).
188
proprement idéaltypique » (pp. 192-193). Par conséquent, et comme se plait à le répéter
Weber, l’idéaltype est « quelque chose d’entièrement indépendant de l’appréciation
évaluative » (p. 193).
Enfin, pour obtenir une bonne compréhension de ce qu’est un concept idéaltypique (un
idéaltype), il est nécessaire de souligner l’importance et la place que tient la rationalité dans la
mise en œuvre de l’instrument. Weber (1956/1995) nous rappelle ainsi le rôle que joue la
rationalité dans la construction des idéaltypes :
Pour l’étude scientifique qui construit des types [typenbilde], la façon la plus pertinente
d’analyser et d’exposer toutes relations significatives irrationnelles du comportement,
conditionnées par l’affectivité et exerçant une influence sur l’activité, consiste à les
considérer comme des « déviations » [Ablenkungen] d’une déroulement de l’activité en
question, construit sur la base de la pure rationalité en finalité.[…] à propos d’une
entreprise militaire ou politique, on établira d’abord de façon appropriée comment
l’activité se serait déroulée si les acteurs avaient eu connaissance de toutes les
circonstances et de toutes les intentions des participants et s’ils avaient choisi les moyens
selon la stricte rationalité des fins en s’orientant d’après les règles de l’expérience qui
nous apparaissent comme valables. Ce n’est qu’ainsi qu’il est possible ensuite d’imputer
causalement les déviations aux éléments irrationnels qui les ont conditionnées. Grâce à
son évidente compréhensibilité et à son univocité [Eindeutikeit] – corollaire de sa
rationalité – la construction d’une activité strictement rationnelle en finalité sert, dans ces
cas, de « type » [Idealtypus] à la sociologie, afin de comprendre l’activité réelle,
influencée par des irrationalités de toute sorte (affections, erreurs), comme une
« déviation » par rapport au déroulement qu’il aurait fallu attendre dans l’hypothèse d’un
comportement purement rationnel. (pp. 31-32)
Cependant, Weber (1956/1995) nous met en garde contre un faux procès que l’on pourrait
dresser à l’encontre de sa méthodologie et qui consisterai à lui imputer un préjugé
rationaliste :
C’est dans cette mesure et uniquement pour ces raisons de convenance méthodologique
que la méthode de la sociologie « compréhensive » est « rationaliste ». Il ne faut donc
évidemment pas entendre ce procédé comme un préjugé rationaliste qu’impliquerait la
sociologie, mais seulement comme un moyen méthodologique, et, par conséquent il ne
faudrait pas l’interpréter inexactement au sens d’une croyance en la prédominance
effective du rationnel dans la vie humaine. (p. 32)
Ainsi, en guise de synthèse et pour tenter de donner une définition récapitulative de la notion
d’idéaltype, nous pouvons dire qu’un idéaltype (voir notamment Baudouin, 1998, Javeau,
1994, Morand, 1999, Raynaud, 2001 et Urio, 1984) :
214
Les concepts wébériens de rationalité en finalité et de rationalité en valeur, ainsi que d’affectivité seront
définis par la suite.
189
• cela afin de posséder un outil conceptuel lui ouvrant les clés de la compréhension et
dont l’utilité et la valeur heuristique réside dans son aptitude à être comparé à une
réalité trop complexe pour être comprise dans sa globalité ;
• compréhension qui passe donc par la mesure des écarts (et donc, par « effet miroir »,
également des similitudes) entre le concept et la réalité pour en faire ressortir les
éléments singuliers (et donc, par « effet miroir » également similaires).
Aussi et pour reprendre la représentation imagée que nous avons établie entre théorie et
empirie, et pour la développer dans la perspective de disposer d’une typologie idéaltypique
d’instruments politiques, nous pouvons dire que cette dernière se positionne au niveau de la
théorie (types d’instruments en tant que concepts idéels) alors que la réalité instrumentale
(instruments concrets) qui se veut être étudiée se situe dans un champ de complexité (cf.
Figure 16 ci-dessous) ; la méthode envisagée pour l’opérationnalisation de la variable type
d’instruments étant la comparaison entre ces deux niveaux.
Typologie d’instruments
THEORIE (concepts idéaltypiques)
constructions rationnelles en finalité
COMPARAISON
Source : l’auteur
Afin de se familiariser avec les typologies idéaltypiques, nous allons exposer brièvement deux
typologies élaborées par Weber telles qu’elles se trouvent énoncées dans son ouvrage
posthume Économie et société (Weber, 1956/1995). Cet exercice nous permettra, d’une part,
de mieux comprendre comment se construit une typologie (via un exercice de rationalisation
en finalité) mais aussi et peut-être surtout, d’autre part, de nous donner des éléments de
compréhension qui nous seront utiles pour la construction de notre propre typologie
d’instruments politiques (de protection de l’environnement), notamment dans la mesure où
190
ces deux exemples sont en relation directe avec l’activité sociale (le comportement humain),
pour le premier, et le pouvoir de l’Etat, pour le second.
De là, Weber construit une typologie des activités sociales qui comprend quatre types d’action
et/ou de comportement : l’action rationnelle en finalité (ou action rationnelle orientée vers une
fin), l’action rationnelle en valeur, le comportement affectif et/ou émotionnel et le
comportement traditionnel et/ou coutumier216.
Remarquons d’ores et déjà que Weber ne place pas les quatre formes d’action sur un plan
identique. En effet, selon lui, l’action rationnelle en finalité et l’action rationnelle en valeur
participent à un plus haut degré de l’activité orientée significativement alors que l’activité
traditionnelle et l’activité affective représentent des cas limites d’activité orientée de manière
significativement consciente, qui se situent même souvent au-delà de cette limite et qui
constituent en ce sens des comportements.
Rappelons dans ce sens que, selon Weber (1956/1995), une activité représente « un
comportement humain […], quand et pour autant que l’agent ou les agents lui communiquent
un sens subjectif » (p. 28). Ainsi pouvons-nous constater que Weber fait appel à la distinction
entre activité consciente et activité inconsciente pour identifier les activités rationnelles en
finalité et en valeur des comportements traditionnels et affectifs.
Selon Weber (1956/1995), le comportement traditionnel (ou coutumier) est généré par
réaction à des stimuli habituels et relève d’une attitude systématique acquise par le passé,
alors que le comportement affectif (ou émotionnel), est commandé par des passions et des
sentiments. Ce dernier se différencie de l’action rationnelle en valeur par le fait que celle-ci
soit pilotée d’une manière consciente vers « les points de direction ultimes de l’activité et
s’oriente d’après ceux-ci d’une manière méthodiquement conséquente » (p. 56). Il s’en
rapproche néanmoins « par le fait que pour l’une et l’autre [l’orientation affective et
l’orientation rationnelle en valeur de l’activité] le sens de l’activité ne se situe pas dans le
résultat, conçu comme étant au-delà d’elle-même, mais dans l’activité ayant comme telle une
nature déterminée » (p. 56).
Comme tout autre activité, l’activité sociale peut être déterminée : a) de façon rationnelle
en finalité [zweckrational], par des expectations du comportement des objets du monde
extérieur ou de celui d’autres hommes, en exploitant ces expectations comme
« conditions » ou comme « moyens » pour parvenir rationnellement aux fins propres,
mûrement réfléchies, qu’on veut atteindre ; b) de façon rationnelle en valeur
215
Affectuelle (affektuel) dans le texte.
216
En d’autres termes, l’activité sociale, comme toute autre activité, peut être orientée en fonction d’une fin
(rationalité en finalité), fondée sur la base d’une valeur (rationalité en valeur), déterminée de manière affectuelle
(cas d’activité limite) ou déterminée de manière traditionnelle (cas d’activité limite).
191
[wertrational], par la croyance en la valeur intrinsèque inconditionnelle – d’ordre
éthique. Esthétique, religieux ou autre – d’un comportement déterminé qui vaut pour lui-
même et indépendamment de son résultat ; de façon affectuelle [affektuel], et
particulièrement émotionnelle, par des passions et des sentiments actuels ; d) de façon
traditionnelle [traditional], par coutume invétérée. (p. 55)
Dans ce sens :
Agit de manière purement rationnelle en valeur celui qui agit sans tenir compte des
conséquences prévisibles de ses actes, au service qu’il est de sa conviction portant sur ce
qui lui apparaît comme commandé par le devoir, la dignité, la beauté […] ou la grandeur
d’une « cause », qu’elle qu’en soit la nature. (p. 56)
Agit de façon rationnelle en finalité celui qui oriente son activité d’après les fins, moyens
et conséquences subsidiaires [Nebenfolge] et qui confronte en même temps
rationnellement les moyens et la fin, la fin et les conséquences subsidiaires et enfin les
diverses fins possibles entre elles. En tous cas, celui-là n’opère ni par expression des
affects (et surtout pas émotionnel) ni par tradition. (p. 57)
Notons cependant que, selon Weber (1956/1995), l’activité rationnelle en finalité et l’activité
rationnelle en valeur entretiennent des rapports très divers. Ainsi, nous pouvons dire d’une
activité qu’elle est orientée rationnellement en finalité au niveau des moyens si d’aventure le
choix entre des fins et des conséquences concurrentes ou antagonistes est orientée
rationnellement en valeur. Néanmoins, l’action rationnelle en valeur se distingue toujours de
l’action rationnelle en finalité dans le sens où elle est toujours frappée d’une irrationalité.
Notons pour conclure que ces quatre types d’activité, bien sûr, n’existent pas dans leur forme
la plus pure dans la réalité : ils ne sont pas la réalité. De plus, la typologie wébérienne ne se
veut pas être exhaustive217 et les activités réelles ne s’orientent pratiquement jamais
uniquement d’après l’un de ces types. Enfin, comme nous avons déjà pu le constater, en ce
qui concerne la rationalité en valeur et la rationalité en finalité, leurs frontières restent le plus
souvent floues. Dans ce sens, relevons encore que, selon Weber (1956/1995), le
comportement traditionnel peut découler d’une activité consciente par un processus
d’affection aux coutumes et se rapproche dès lors du comportement affectif. De plus, « nous
avons à faire à une sublimation lorsque l’activité conditionnée par les affects apparaît comme
un effort conscient pour soulager un sentiment ; dans ce cas, elle se rapproche la plupart du
temps (mais pas toujours) d’une ‘rationalisation en valeur’, où d’une activité en finalité ou des
deux à la fois » (p. 56).
Puissance [Macht] signifie toute chance de faire triompher au sein d’une relation sociale
sa propre volonté, même contre des résistances, peu importe sur quoi repose cette chance.
Domination [Herrschaft] signifie la chance de trouver des personnes déterminables prêtes
à obéir à un ordre [Befehl] de contenu déterminé. (p. 95)
217
Ce ne serait d’ailleurs pas son rôle.
192
La puissance (Macht) constitue donc cette capacité absolue – à sens unique dirons-nous – qui
permet à celui qui la détient de faire prévaloir sa propre volonté par tous les moyens au sein
d’une relation sociale. Quant au concept de domination218, il traduit la tendance qu’a le
pouvoir à chercher à se légitimer vis-à-vis des dominés (processus d’adhésion au pouvoir) et
évoque donc le phénomène par lequel un groupe d’individus se soumet aux ordres d’autrui219
et lui obéit. « Il [le pouvoir légitime] ne peut que signifier la chance pour un ordre de
rencontrer une docilité » (Weber, 1956/1995, p. 95) et admet la force en dernier recours !
Par ailleurs, selon Weber (1956/1995), toute domination (ou autorité) sur un nombre
important d’individus nécessite, le plus souvent, une direction administrative (un état-major
d’individus) qui octroie au(x) détenteur(s) du pouvoir l’assurance d’exercer sa domination et
qui se doit de lui (leur) obéir. Ce lien d’obéissance qui lie le(s) détenteur(s) du pouvoir à son
administration comprend quatre types de fondement dont la nature détermine en grande partie
le type de domination : des motifs coutumiers (la coutume), des motifs affectifs (ou
affectuels), des motifs rationnels en finalité (intérêt matériel ou motifs matériels) et des motifs
rationnels en valeur (des mobiles idéaux). Néanmoins, ces différents motifs ne peuvent établir
à eux seuls les bases solides d’une domination. Tout pouvoir ne se contente donc jamais de
fonder sa domination sur ces seules raisons mais tente également de fonder sa domination sur
un facteur décisif, de nature plus large, qui consiste à susciter puis à préserver la foi en sa
légitimité. Voilà le secret du pouvoir de domination : « la croyance en la légitimité » (p. 286).
Sur cette base, Weber (1956/1995) va alors développer trois types de pouvoir légitime220 qu’il
va définir en fonction du genre de légitimité qu’ils revendiquent : la domination légale, la
domination traditionnelle et la domination charismatique.
Chaque type de domination possède ainsi une légitimité dont la validité revêt, pour la
première, un caractère rationnel fondé sur la croyance en la légalité, pour la deuxième, un
caractère traditionnel et, pour la troisième, un caractère charismatique221.
Enfin, à chaque type de domination légitime, Weber (1956/1995) fait également correspondre
un type de direction administrative : au type le plus pur de domination légale correspond
l’administration bureaucratique (la bureaucratie), à la domination traditionnelle correspond
une administration personnelle (patrimonialisme et sultanisme) ou aucune administration
(dans le cas des types primaires de domination traditionnelle tels que la gérontocratie et le
patriarcalisme) et à la domination charismatique correspond une administration « affective »
composée d’adeptes ou de fidèles222.
218
Comme l’a relevé Urio (1984), le terme allemand Herrschaft employé par Max Weber n’est pas sans poser
des problèmes pour les traducteurs qui proposent de le traduire par les termes de domination, mais aussi
d’autorité ou de pouvoir. Nous les utiliserons comme des synonymes.
219
Autrui qui peut être un ou plusieurs.
220
Ou de domination légitime.
221
Pour plus de détails, nous renvoyons le lecteur à Weber (1956/1995) : pour la domination légale au § 3, pp.
291-294 ; pour la domination traditionnelle, notamment au § 6, pp. 301-303 ; pour la domination charismatique
au § 10, notamment aux points 1 et 2, pp. 322-223).
222
Pour plus de détails, nous renvoyons le lecteur à Weber (1956/1995) : pour la bureaucratie au § 4, pp. 294-
297 ; pour l’administration personnelle au § 7a, pp. 307-312 ; pour l’administration « affectives » au § 10, point
3, pp. 322-223.
193
Chapitre 9 Essais d’une typologie idéaltypique d’instruments
politiques – théorie basique de l’activité humaine
En réponse à cette question, nous avons émis l’hypothèse selon laquelle l’Etat pouvait
modifier les comportements humains en agissant sur les leviers comportementaux qui les
déterminent, soit en d’autres termes sur les déterminants de l’activité humaine.
Ainsi, pour reprendre les termes de Schneider et Ingram (1990), notre typologie est fondée sur
des « hypothèses comportementales sous-jacentes aux instruments politiques [behavioral
assumptions of policy tools] » (p. 510) et pour aller dans le sens de Kaufmann-Hayoz et al.
(2001), elle est donc résolument « orientée acteurs [actors oriented] ».
Dans la perspective méthodologique qui est la nôtre, nous proposons donc de faire reposer cet
exercice de rationalisation en finalité sur l’établissement d’une théorie (basique) de l’activité
humaine qui comprend trois étapes :
Ces trois étapes sont en étroite interdépendance et ne peuvent être comprises l’une sans
l’autre.
Construire une typologie consiste donc en un exercice de rationalisation qui nécessite, dans un
premier temps, d’énoncer de manière explicite les « postulats »224 de départ et les définitions
des termes qui en constitueront le fondement rationnel.
Notre typologie d’instrument se fonde sur sept postulats relatifs à la nature et au fondement de
l’intervention étatique dans le domaine de la protection de l’environnement et du climat, à une
223
Par opposition aux typologies empiriques qui, pour rappel, ont pour « point de départ » le monde empirique.
224
Un postulat est un principe premier, un axiome de base, non démontré et dont l’admission est nécessaire pour
établir une démonstration (Simos, 1990).
194
définition de la notion d’instruments politiques, à la rationalité des acteurs (climatiques) et à
leurs systèmes de référence et aux déterminants de l’activité humaine.
Ce postulat peut paraître d’une nature pour le moins triviale, cependant il constitue le
fondement rationnel du raisonnement qui nous permettra de construire notre typologie.
Par agir sur les activités humaines, nous entendons le fait d’influencer de quelque manière
que ce soit l’activité humaine afin d’influer sur son cours ou d’en susciter une nouvelle.
Mettre en œuvre une politique publique visant à modifier un comportement, à l’interdire ou à
en susciter un nouveau constitue quelques exemples de ce que nous qualifierons d’action ou
d’intervention étatique.
Par activités humaines, nous entendons l’ensemble des activités ou des comportements des
acteurs sociaux individuels (un consommateur, un automobiliste, etc.) ou organisationnels225
(une entreprise privée, une administration publique, etc.). Activités et comportements sont
donc pour nous des synonymes et nous comprenons également sous la notion de
comportements, la notion de choix/décisions, si tant est qu’elle soit prise dans une perspective
d’action (par exemple, les choix de consommation). Néanmoins, nous parlons plus volontiers
de comportements pour faire référence à un acteur individuel (le comportement d’un
consommateur, d’un automobiliste, etc.) et d’activité pour faire référence à un acteur collectif
(l’activité d’une entreprise, d’une administration, etc.).
Aussi, le fait qu’un individu lambda utilise une automobile consommant une grande quantité
de carburant pour ses trajets quotidiens ou qu’une entreprise ait fait le choix d’importer un
certain type de voitures relèvent de l’activité humaine au même titre que la transaction qui a
occasionné la vente de cette voiture par l’entreprise à l’individu sur le marché de
l’automobile.
Dans le domaine de l’économie, par exemple, nous pouvons constater historiquement que
l'Etat intervient pour corriger des conséquences négatives du marché qui sont considérées, à
un moment donné, comme inacceptables par certains acteurs. Aussi, chargé par la collectivité
de remédier aux défaillances du marché, l'Etat doit alors mettre en place des politiques
publiques destinées à orienter l’activité économique.
225
Ou collectifs, ou encore institutionnels.
195
Les politiques environnementales ne dérogent pas à la règle et nous trouvons (à coup sûr) à
l’origine de l’intervention étatique un problème identifié comme tel par un acteur226. Aussi
l’intervention de l’Etat dans le domaine de la protection du climat répond-elle au problème de
l’augmentation de la concentration atmosphérique de gaz à effet de serre (GES) dues aux
activités humaines.
Dans le but de les résoudre (et à moins de s’en remettre à une quelconque divinité) l’Etat ne
dispose que d’un seul et unique moyen : agir sur l’activité humaine. Aussi, toute intervention
étatique ayant pour objectif de résoudre un problème environnemental qui trouve son origine
dans l’activité humaine et/ou qui peut être résolu (ou du moins atténué) par l’activité humaine
se doit de l’influencer.
Dans le cas précis de la protection du climat, l’activité humaine est à l’origine du problème et
représente donc le moyen de le résoudre doublement. Entendons par là que l’activité humaine
représente le moyen de résoudre le problème dans le sens où :
• elle est à l’origine du problème et constitue dans ce sens le moyen de le résoudre (cf.
point I, Tableau 32 ci-dessous) ;
• elle représente, par l’intermédiaire de certaines activités qui ne sont pas à l’origine du
problème, le moyen de le résoudre (cf. point II, Tableau 32 ci-dessous).
Problème N
Phénomènes naturels N
(III)
Source : l’auteur.
Il découle de ce constat que l’Etat, dans le cadre de sa politique climatique, peut soit
influencer « positivement »229 les activités humaines génératrices d’émissions de GES (point I
226
Qui, souvent, s’avère appartenir à la communauté scientifique.
227
Le problème du changement climatique entre bien sûr dans cette catégorie.
228
Nous pensons ici aux aléas naturels tels que les éruptions volcaniques et les séismes ou bien les avalanches,
les inondations, les cyclones et les incendies de forêt (Biomass Burning), dans la mesure où ces quatre derniers
phénomènes n’ont, bien sûr, pas pour origine l’activité humaine.
229
Soit dans le sens de l’objectif visé (réduire les émissions de GES).
196
du Tableau 32)230, soit induire des (nouvelles) activités humaines qui auront pour
conséquence de réduire la concentration atmosphérique de GES (point II du Tableau 32)231.
Au regard de nos réflexions sur la nature de l’action publique, nous pouvons dès lors affirmer
que toute intervention étatique dans le domaine de la protection du climat est destinée à
influencer les activités humaines propices à réduire les émissions nettes de GES.
Nous entendons ainsi par intervention étatique dans le domaine de la protection du climat,
toute politique publique dont l’objectif est de réduire les émissions nettes de GES.
Nous entendons par comportements propices à réduire les émissions nettes de GES, toutes les
activités humaines qui ont pour conséquence de réduire les émissions brutes de GES, c’est-à-
dire les sources des émissions anthropiques de GES ou de réduire la concentration de GES
dans le réservoir que constitue l’atmosphère par l’intermédiaire des puits.
Plus spécifiquement, nous dirons ainsi de toute intervention étatique dans le domaine de la
protection du climat qu’elle est destinée à influencer une activité climatique – ou un
comportement climatique – générée par des acteurs climatiques. Nous entendons par ces deux
termes :
• pour le premier, toutes les actions ou agissements d’un acteur socio-économique qui
ont pour effet d’influencer directement ou indirectement, et dans une proportion si
infime soit elle, la concentration de GES dans l’atmosphère ;
• et pour le second, tous les acteurs socio-économiques dont les activités ont une
influence directe ou indirecte, si petites soient elles, sur la concentration
atmosphérique de GES.
Pour illustrer nos propos, nous dirons d’un automobiliste qu’il produit une activité climatique
chaque fois qu’il utilise son automobile pour se déplacer dans la mesure où son moyen de
transport consomme du carburant et émet ainsi directement une certaine quantité de GES dans
l’atmosphère. C’est un acteur climatique. Nous dirons également d’une entreprise
d’importation d’automobiles qu’elle est un acteur climatique car son activité contribue à
émettre indirectement des émissions de GES dans la mesure où le bien qu’elle met sur le
marché fonctionne à l’énergie fossile.
Par ailleurs, nous adjoignons le qualificatif positif aux activités climatiques qui contribuent à
réduire la concentration atmosphérique de GES et le qualificatif négatif aux activités
climatiques qui concourent à produire le contraire.
Par exemple, nous considérons le fait de diminuer l’utilisation de sa voiture232 comme une
activité climatique positive. A l’inverse, la production de voitures de gros gabarits233,
consommant donc beaucoup de carburant, sera considérée comme une activité climatique
négative.
230
Par exemple, dans le secteur des transports, la diminution de l’utilisation des modes de transports qui
consomment des carburants d’origine fossile.
231
Par exemple, dans le secteur des transports, l’augmentation de l’utilisation de la marche ou du vélo.
232
Par exemple, en prenant les transports publics ou en utilisant des moyens de locomotion douce (marche, vélo,
etc.) pour les petits trajets.
233
Comme nous les voyons se multiplier sur le réseau routier de notre ville de Genève depuis quelques temps.
197
Enfin, notons encore que dans la perspective d’influencer les activités humaines qui ont pour
effet brut ou net de réduire la concentration de GES dans le réservoir que constitue
l’atmosphère, l’Etat possède trois issues principales :
a) l’Etat peut agir sur la cause et par là influencer l’activité humaine à l’origine des
émissions nettes de GES, et ce soit a1) en agissant directement sur l’activité incriminée,
soit a2) en agissant de manière indirecte en tentant de substituer à l’activité incriminée
des activités qui n’ont pas pour effet d’émettre des GES ;
b) l’Etat peut agir, non pas sur la « cause comportementale », mais trouver une solution (de
nature technique) pour que l’activité ne contribue plus à augmenter la concentration de
gaz dans l’atmosphère (problématique de la séquestration du carbone) ;
c) l’Etat peut agir, non pas sur la « cause comportementale », mais sur d’autres activités
qui ont pour effet de « compenser » les émissions engendrées par l’activité à l’origine
des émissions (problématique des puits de carbone) et donc de réduire les émissions
nettes de GES.
Nous dirons que dans le premiers cas (a), la réduction brute des émissions se conçoit à la
source, que dans le deuxième (b), elle se conçoit à la marge et que dans le troisième (c), la
réduction des émissions nettes se conçoit à distance.
Pour illustrer notre raisonnement, prenons l’exemple d’une activité industrielle de production
d’énergie (A) qui aurait pour conséquence d’émettre dans l’atmosphère une quantité de CO2
(Q), ce qui constitue notre problème (P). Dans ce cas l’Etat peut par exemple :
b) soit induire une nouvelle activité (A’) qui consisterait à acheminer le CO2 par un pipe-
line et de le séquestrer dans un puits artificiels de carbone, par exemple un gisement
de pétrole épuisé et ainsi obtenir par la « réorientation » de Q la suppression
(momentanée ?) de P ;
c) soit induire une activité (Z), par exemple la plantation d’une forêt, qui aurait pour effet
net de réduire la concentration de CO2 dans le réservoir que constitue l’atmosphère
d’une quantité Q et ainsi en la « compensant » de résoudre (à court terme) P.
Notons que ces trois orientations que l’Etat peut choisir dans le cadre de sa politique de
réduction (nette ou brute) des émissions de GES constituent des possibilités d’intervention qui
ne sont pas sur le même pied d’égalité. Ainsi, dans le deuxième cas, la résolution du problème
nécessite de posséder un savoir technologique et le troisième cas ne représente qu’une
solution à court terme234.
234
Les procédés de « déstockage » de carbone du réservoir atmosphérique connu à ce jour sont liés à des
activités dont l’objectif est d’utiliser et d’augmenter la capacité des puits naturels (forêts, sols, océans) à
séquestrer du CO2. Cette capacité n’étant, par nature, pas infinie (et de loin), cette solution ne peut être
envisagée pour résoudre le problème dans le long terme.
198
Soulignons enfin que dans tous ces cas de figure, le problème (P) est résolu à plus ou moins
long terme, mais que quelque soit la voie choisie, celle-ci a pour finalité d’influencer le
comportement de la part d’un certain nombre d’acteurs socio-économiques.
Un instrument politique est un moyen utilisé et articulé au sein d’une politique publique qui
est mis en œuvre afin d’atteindre un objectif à même de contribuer à résoudre un problème
donné et fondamentalement destiné à influencer l’activité humaine (les comportements
humains) :
• il est un instrument politique dans la mesure où il est mis en œuvre par l’Etat et destiné
à influencer les comportements des acteurs socio-économiques, qu’ils soient
individuels ou collectifs, pour atteindre un objectif de politique publique (protection
de l’environnement par exemple).
Aussi, tout instrument politique comprend intrinsèquement une norme comportementale (plus
où moins explicite et précise) qui définit ce vers quoi doit se diriger l’acteur ciblé par
l’instrument.
En d’autres termes et pour utiliser une métaphore musicale et culinaire, nous pouvons dire
qu’un instrument politique, à l'image d’une flute, qui est un instrument de musique qui utilise
les propriétés de l’air (capacité de vibration) pour obtenir un son, ou d’un fouet, qui est un
instrument de cuisine qui peut être utilisé pour mettre à profit les propriétés des blanc d’œufs
(capacité à emprisonner des bulles d’air) pour obtenir une mousse volumineuse (des œufs en
neige), est utilisé pour mettre à profit les « propriétés » d’un destinataire (ou acteur-cible)
pour obtenir de lui un comportement conforme à l’objectif qu’il poursuit. Nous nommerons
ces propriétés « déterminants comportementaux ».
Replacé dans le cadre de l’analyse des politiques publiques et d’une vision systémique, et en
accord avec Varone (1998), un instrument politique représente donc l’output produit par le
système politique en réaction à un input donné (le problème à régler). Cet output est ensuite
mis en œuvre par l’administration, généralement au sein d’un programme, d’une politique
publique, et il se concrétise par un résultat (efficace ou non) sur les comportements
individuels et collectifs (impacts/outcomes).
Dans ce sens, et en accord avec Vedung (1998), nous considérons donc que la non-
intervention de l’Etat ne constitue pas un instrument dans la mesure où nous l’interprétons
comme l’absence de production d’un output.
199
de manière indirecte par les instruments, de manière « collatérale » dirons-nous, mais qui
n’étaient pas ciblés par ces derniers dans la perspective de modifier leur comportement.
Nous entendons par chaîne de causalité théorique de l’action étatique (de l’instrument), le
modèle théorique explicitant la stratégie utilisée pour influencer le comportement d’un acteur.
Cette chaîne se doit d’identifier les différentes couches de destinataires de l’instrument
considéré (voir pour rappel Vedung, 1998) :
Par (sous-)système, nous entendons un ensemble de parties qui interagissent suivants certains
processus physiques, chimiques, géologiques, biologiques ou sociologiques (voir par exemple
Pillet et Odum, 1987). Ce système est en outre et selon la formule consacrée « plus que la
somme de ses parties » (cf. Figure 17 ci-après). La notion de propriété émergente y tient donc
une place principale237.
235
Selon Simon (1945/1965, notamment cité par Crozier et Friedberg, 1977, pp. 54ss et 320ss), la rationalité
totale qui consiste à pouvoir identifier toutes les alternatives possibles et à évaluer leurs conséquences (optique
de maximisation) n'est pas possible. Pour l’auteur la rationalité est limitée notamment par le temps (recherche de
l'information), la capacité technique (manque d'information), le coût (les finances) et le décalage entre décision
et conséquences (changement de contexte possible). Ces limites diminuent le choix des alternatives possibles et
le processus de décision s'arrête lorsqu'une alternative satisfaisante est trouvée (principe du seuil minimal de
satisfaction : on se contente d'une alternative satisfaisante par rapport aux objectifs).
236
Voir notre chapitre consacré à la problématique du Changement Climatique dans le cadre de la 3e partie de
notre recherche (voir 3e partie, chapitre 11).
237
Quelques exemples de propriétés émergentes : la transparence de l’eau (en tant que système) ne peut être
déduite des propriétés atomiques de H et de O2. La culture d’une société ne peut être expliquée par les seules
caractéristiques biologiques et psychologique des acteurs sociaux. En linguistique : c / a / t / h pris isolément ne
sont que des lettres mais inscrite dans une relation du type chat elles prennent sens et forme un mot. Prises
séparément ces lettre non pas de sens. La vie est également une propriété émergente.
200
Figure 17 : Notion illustrée de système et de propriété émergente
Système (S) = A B C D
où
S = système
A B C D = éléments du système
= interactions entre éléments (par exemples des acteurs)
Propriété émergente d’un système S = A (+) B (+) C (+) D
où (+) exprime le fait que le système composé de A B C et D
est plus que l’adition de ces composantes prises individuellement
Source : l’auteur
Nous entendons dès lors par (sous-)système social, un ensemble d’interactions sociales (de
processus sociaux) entre acteurs (individuels et organisationnels) qui en tant que tels
représentent donc plus que la somme de ses parties individuelles (notion de culture, etc.).
Ainsi, dans notre conception, les activités ou les comportements des acteurs qui font l’objet de
l’intervention étatique s’inscrivent dans le cadre de (sous-)systèmes sociaux et
environnementaux.
L’acteur n’existe pas en dehors du système qui définit la liberté qui est la sienne et la
rationalité qu’il peut utiliser dans son action. Mais le système n’existe que par l’acteur
qui seul peut le porter et lui donner vie, et qui seul peut le changer. (Crozier et Friedberg,
1977, avant-propos, p11)
Il n’y a pas de systèmes sociaux entièrement réglés ou contrôlés. Les acteurs individuels
ou collectifs qui les composent ne peuvent jamais être réduits à des fonctions abstraites et
désincarnées. Ce sont des acteurs à part entière qui, à l’intérieur des contraintes souvent
très lourdes que leur impose ‘le système’, disposent d’une marge de liberté qu’ils utilisent
de façon stratégique dans leurs interactions avec les autres. La persistance de cette liberté
défait les réglages les plus savants, faisant du pouvoir en tant que médiation commune de
stratégies divergentes le mécanisme central et inéluctable de régulation de l’ensemble.
(Crozier et Friedberg, 1977, pp. 29 – 30)
Concernant les systèmes environnementaux, nous préciserons une donnée pour le moins
triviale (mais peut-être pas pour certains) qui consiste à dire que toute activité humaine est
nécessairement mise en œuvre dans un environnement physique (et matériel). A l’instar des
(sous-)systèmes sociaux, le système environnemental a également un certain poids sur les
238
Dont la définition est somme toute assez proche de la notion d’activité sociale chez Weber puisque étant
défini comme un construit social.
201
acteurs, mais ceux-ci bénéficient néanmoins d’une certaine marge d’émancipation
(d’affranchissement)239.
Par conséquent, nous postulons que l’Etat va agir par le biais d’instruments politiques sur des
acteurs qui agissent et interagissent au sein de (sous-)systèmes sociaux et environnementaux
qui s’imposent à eux dans une certaine mesure, soit dans le cadre de leur marge de liberté.
9.1.7 De l’intervention étatique sur les déterminants de l’activité humaine (et donc de
l’activité climatique)
Par conséquent se pose, pour l’Etat, la question fondamentale de savoir comment influencer
positivement les activités et comportements des acteurs climatiques ?
C’est en tentant de donner une réponse rationnelle à cette question en accord avec nos
postulats de départs que nous construisons notre typologie des instruments politiques dans le
domaine de la protection du climat240.
Dans ce but, nous avons choisi d’identifier quels étaient les déterminants comportementaux
des acteurs climatiques et si ceux-ci pouvaient être mis à profit par l’Etat. Notre septième et
dernier postulat consiste donc à identifier les déterminants comportementaux des acteurs
climatiques. Il fait objet du chapitre suivant.
La typologie d’instruments politiques que nous proposons se fonde sur l’identification de huit
déterminants de l’activité humaine, qui sont eux-mêmes intégrés dans huit (sous-)systèmes
référentiels qui leur sont propres et qui découle de la tentative de répondre à la question
suivante : quels sont les leviers comportementaux (ou variables comportementales) qui
déterminent (dans une certaine mesure) les comportements humains (l’activité humaine) et
qui peuvent être actionnés par l’Etat par l’entremise d’instruments politiques ?
Sans rentrer dans les détails, un levier représente donc grosso modo un dispositif permettant
d’actionner241 un corps (le mettre en mouvement). Il subit donc une charge (le corps que l’on
veut bouger) et une force motrice (celle que l’on exerce dessus).
239
On ne peut pas s’affranchir des lois de la physique (par exemple la loi de la pesanteur universelle ou de
l’entropie), mais on peut sans doute les repousser.
240
Notre typologie est donc bien le fruit d’un exercice de rationalisation et diffère par conséquent des typologies
de nature empirique qui ont pour point de départ la réalité.
241
En physique, une action, soit le fait d’agir, est représentée par une force (vecteur : direction, sens, valeur).
202
Aussi, la métaphore que nous utilisons consiste à dire que l’action de l’Etat (la force motrice)
consiste à utiliser un instrument politique (le levier concret) afin d’influencer le
comportement (la mise en mouvement) d’un acteur socio-économique (le corps) par
l’intermédiaire d’un déterminant comportemental (qui définit le type de levier utilisé).
Aussi, pour obtenir une modification comportementale chez un acteur socio-économique faut-
il choisir un ou plusieurs types de leviers qui définissent chacun un angle d’attaque différent
(un déterminant de l’activité humaine différent) ainsi que l’intensité de la force motrice que
l’on veut y appliquer242.
Cet exercice a donc notamment consisté à définir de manière la plus exhaustive possible un
nombre de déterminants de l’activité humaine de nature mutuellement exclusifs et d’un
niveau théorique identique. Nous avons également tenté de le mener de la manière la plus
simple possible, notamment afin de laisser la complexité instrumentale à la place où elle se
doit d’exister, soit au niveau de la réalité empirique.
Mais bien sûr, cet exercice de rationalisation ne s’est pas fait en un instant et son origine
remonte d’ailleurs à nos premières réflexions menées dans le cadre de la rédaction de notre
mémoire de licence en sciences politiques qui avait (déjà) pour objectif d’analyser
l’intervention de l’Etat dans le domaine de la politique de protection du climat (Perret, 2002).
C’est donc bien au fil du temps et au gré de notre parcours de la littérature et de nos
discussions que nous avons défini, puis redéfini, puis re-redéfini, etc. l’identification de huit
déterminants de l’activité humaine, dont seulement sept peuvent être actionnés par les
instruments politiques. Chacun de ces sept déterminants comportementaux sont associés à un
(sous)-système référentiel. (cf. Tableau 33 et Figure 18 ci-après).
242
Par exemple, une subvention à la consommation peut être comprise comme permettant d’agir sur l’intérêt
économique des consommateurs (type de levier, type de déterminant comportemental) et son montant comme
l’intensité que l’Etat veut appliquer à l’instrument (plus le montant est élevé, plus l’efficacité comportementale
de la subvention est grand).
203
Tableau 33 : Les déterminants des comportements humains et leur (sous)-système référentiel
Source : l’auteur
204
Très schématiquement et du point de vue théorique, nous pouvons donc dire que les acteurs
(climatiques) peuvent être influencés par une intervention extérieure qui vise à actionner l’un
ou l’autre (ou plusieurs) de ces déterminants afin d’orienter leurs comportements (leurs
activités). Ces déterminants sont eux-mêmes à replacer dans leurs contextes
(sous-)systémiques de référence (les sous-systèmes référentiels) dans lesquels (inter)agit
chaque acteur et qui définissent chacun, du moins en partie et donc en fonction de la marge de
liberté laissée à l’acteur, également ses comportements.
A l’image de la théorie systémique de Luhmann (1999; voir également Ossipow, 1994), nous
pouvons dire de ces déterminants de l’activité humaine qu’ils constituent les médiums
généralisés spécifiques à chaque (sous-)système de référence que nous avons identifié.
• nous pouvons également trouver une correspondance entre nos cinq premiers
déterminants (intérêt économique, vertus, affects, tradition/habitude, contrainte
physique légitime) et les types d’activités sociales et de domination définies par
Weber (1956/1995).
A notre tour, et donc à la suite de Weber (1956/1995), nous affirmons donc que l’activité
(climatique) peut être déterminée rationnellement en finalité (via l’intérêt économique) ou en
valeur ainsi que sur la base d’émotions ou d’un comportement traditionnel.
205
Aussi, dans la perspective qui est la nôtre, nous postulons donc que l’Etat, dans le but
d’influencer les activités climatiques de manière positive, peut agir sur les acteurs climatiques
en mettant à profit sept déterminants de l’activité humaine, que nous associons à un type
d’instrument politique.
Notre typologie se fonde donc bien sur des hypothèses comportementales et définit les types
d’instruments par leur fonction première qui est celle d’influencer les comportements humains
(cf. Tableau 34 ci-dessous). Notons que nous avons ici reformulé les sept déterminants de
l’activité humaine afin qu’ils expriment le point de vue de l’acteur cible243.
Intérêt économique –
Instrument économique
calcul coût-bénéfice de l’homo-économicus
9.3 Une typologie idéaltypique des instruments politiques (de protection du climat)
Les sept types (idéaltypes) d’instruments politiques (de protection du climat) que nous avons
définis le sont donc en fonction du déterminant comportemental qu’ils mettent à profit pour
influencer le comportement des acteurs (climatiques).
243
En d’autres termes pour qu’ils soient « orientés acteur ».
206
Par ailleurs, nous rappellerons ici que tout instrument politique contient en lui-même et par
définition une norme comportementale qui se traduit par l’objectif qui est poursuivit par
l’instrument, soit la modification du comportement de l’acteur cible.
L’ordre dans lequel les instruments sont passés en revue n’a aucune signification.
Dans cette perspective, et comme nous l’avons déjà souligné par le passé, c’est la notion de
coercition que nous avons choisie pour caractériser l’idéaltype instrument « contraignant »,
étant entendu, d’une part, que la coercition représente une forme de contrainte – la contrainte
physique légitime de dernier recours – et, d’autre part, que la notion de contrainte n’est pas
praticable dans le but d’identifier des types d’instruments politiques d’une nature
mutuellement exclusive, tant elle est de nature transversale et à multiples facettes. En effet, et
tout comme nous pouvons dire à la suite de Crozier et Friedberg (1977) que tout instrument
politique constitue une relation de pouvoir, tout instrument se conçoit également comme un
élément de contrainte et de domination. Or ce n’est pas le cas avec la coercition telle que nous
l’avons définie : tout instrument ne fait pas appel en derniers recours à la force physique
légitime.
Aussi, nous définissons l’idéaltype « instrument coercitif » par la présence d’une norme
comportementale, qui par contraste avec les autres types d’instruments, se trouve sublimée
par la présence d’une sanction, d’un mécanisme de contrôle et d’application de la sanction et,
point essentiel, du recours à la force physique légitime (en dernier appel). C’est d’ailleurs ce
dernier élément qui le caractérise de manière fondamentale.
En d’autres termes, un instrument coercitif doit être capable de définir une norme
comportementale et une sanction, de contrôler son application et d’appliquer la sanction s’il y
a non observance (décision administrative voire judiciaire, etc.), avec pour dernier recours,
l’usage de la force physique légitime étatique (force de police) pour faire appliquer la norme.
Aussi, nous dirons du type « instrument coercitif » qu’il agit sur le déterminant
comportemental « disposition (de l’acteur cible) à être contraint physiquement ».
Pour illustrer nos propos de manière caricaturale, nous pouvons comprendre qu’un individu
lambda, domicilié à une certaine adresse, possède une disposition plus élevée à être contraint
(en derniers recours de manière physique) d’observer une norme comportementale ou de se
207
soumettre à la sanction qui y est liée, qu’un terroriste qui vit dans la clandestinité et qui
échappe ainsi aux autorités administratives (police, voire armée).
La contrainte physique (légitime) de derniers recours est ainsi comprise, du point de vue de
l’Etat, comme la possibilité pour lui (ou pour l’autorité compétente) d’obliger les acteurs à se
soumettre à une norme comportementale, ou à la sanction de son dépassement, dans la mesure
où il peut faire appel, en dernier recours (soit à la suit d’une procédure juridique dans un pays
démocratique), à une intervention physique via ses organes de police.
Appliqué au domaine d’intervention qui nous occupe, le type « instrument coercitif » a donc
pour fonction d’actionner le levier comportemental « coercition » pour orienter les activités
des acteurs climatiques conformément à l’objectif principal poursuivi, à savoir la réduction
des émissions nettes de GES. Aussi, si ces derniers ne suivent pas la norme comportementale
définie par l’instrument, ils s’exposent à ce que l’Etat exerce, en derniers recours, son pouvoir
de contrainte physique légitime.
Par excellence, ce sont des acteurs économiques – des homoéconomicus – dont les activités
sont orientées rationnellement en fonction d’un calcul d’utilité qui met en balance les coûts et
les bénéfices en terme monétaire et financier. Ils sont soumis à la loi de l’offre et de la
demande et leur intérêt (économique) propre (égoïste) est le moteur de leurs comportements et
activités.
Aussi, nous dirons du type « instrument économique » qu’il a pour fonction d’influencer le
déterminant comportemental « calcul coût-bénéfice » établi en terme financier par l’acteur
ciblé.
Prenons, pour illustrer la manière dont le calcul coût-bénéfice d’un acteur peut modifier son
comportement (ses choix) ou ses activités – et si tant est qu’il faille l’illustrer – l’influence du
prix d’un bien tel que celui du pétrole. Ainsi, l’augmentation fluctuante, certes, mais continue,
depuis plusieurs années, du prix du baril de brut244 induit de manière (presque) mécanique une
(ré)orientation des comportements et des activités de multiples acteurs vers les énergies
renouvelables telles que le solaire, l’éolien, les biocarburants, les piles à hydrogène, etc. Nous
en donnons deux exemples, dans deux secteurs d’activités différents, à savoir la construction
(en Suisse) et le marché des capitaux (à l’international et notamment aux USA) :
• cette augmentation de prix s’est traduite en Suisse par une hausse significative de la
demande245 en pompes à chaleur dans les nouvelles constructions (GSP, 2008)246 ;
244
Qui a battu un record historique en ce début 2008 en dépassant les 110 dollars.
245
Des « consommateurs de maison neuve », qui voient, par répercussion, le prix du fuel sans cesse augmenter.
246
Selon les statistiques du Groupement promotionnel suisse pour les pompes à chaleur (GSP, 2008), un
partenaire de SuisseEnergie, les ventes de pompes à chaleur dans les constructions neuves (villas, moins de
20kW) en Suisse sont passées de 21 % des constructions neuves avec pompes à chaleur en 1992 à plus de 80 %
en 2006.
208
• cette augmentation de prix s’est traduite sur le marché des investissements par un
soudain intérêt des investisseurs pour les technologies « propres » et l’on constate
désormais un afflux astronomique de capitaux pour financer ces alternatives vertes
(green ruch) (Lingjaerde, 2008).
Ainsi, l’augmentation du prix d’un bien rend plus concurrentiel un bien substituable
écologique qui était jusqu’alors trop cher et donc non rentable économiquement parlant.
Cependant, il est ici nécessaire de définir plus précisément ce que nous comprenons par la
notion de « vertu » (et donc de comportements « vertueux » ou d’activités « vertueuses » ou
de disposition « vertueuse » de l’acteur cible). En effet, nous ne considérons pas cette notion
en terme relatif (tel comportement serait plus vertueux que tel autre) ou faisant référence à
une conception du Bien et du Mal247, mais bel et bien en terme absolu dans la mesure où nous
la définissons par l’existence d’une concordance (d’une conformité) entre un comportement
ou une activité et les considérations d’ordre psychologique que nous avons énumérées.
Ainsi, et dans le domaine qui nous occupe par exemple, il est communément accepté que
notre conception du monde (et du rapport que nous avons avec notre environnement) – qui se
trouve être en étroite relation avec nos croyances, nos valeurs, notre culture, etc. – influence
fortement nos activités. Nous pensons ici tout spécialement aux divers liens dressés par une
littérature étoffée entre culture/religion/éthique/croyance et environnement et/ou
comportement248.
247
Qui selon nous est de nature plurielle (pluralité des conceptions du Bien et du Mal).
248
Parmi beaucoup d’autres, nous renvoyons le lecteur qui voudrait développer les thématiques liées à ce binôme
non moins complexe aux ouvrages suivants, que nous avons tenté de catégoriser :
religion – environnement : les écrits du sociologue de l’Université de Montréal Jean-Guy Vaillancourt, et par
exemple, sa contribution ‘Religion, écologie et environnement’ (2001) in J.-M. Larouche et G. Ménard (Ed),
L'étude de la religion au Québec : Bilan et prospective. Québec : Les Presses de l'Université Laval. (pp. 439-
504) ;
éthique – comportement/environnement : les œuvres du philosophe allemand Hans Jonas et notamment son
ouvrage Le principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique (1979) (à l’origine du
principe de précaution) et de l’écologue René Dubos (avec Barbara Ward), Nous n’avons qu’une terre (1972),
[Rapport non officiel établi à la demande du Secrétariat général de la Conférence des Nations Unies sur
l'environnement humain tenue à Stockholm en 1972, Sous la direction de Paul Alexandre et traduit de l'anglais
par Françoise Gaillard, Sophie de Liocourt, Marie-Claude Meplan], Paris : Denoël (à l’origine de l’expression
« penser global, agir local ») ;
209
Aussi, pour illustrer nos propos, nous allons nous contenter de donner un exemple qui révèle
le rôle que peuvent avoir la culture, la religion et les croyances249 sur nos comportements
envers la nature, et notamment l’exploitation de ses ressources.
Il est ainsi admis que l’environnement (la nature, ses ressources naturelles, etc.) est traité de
manière très différente au sein de nos sociétés occidentales (capitalistes)250 en comparaison à
d’autres types de sociétés, plus traditionnelles, telles que les communautés animistes251, qui
considèrent la nature d’une toute autre manière et dont les membres, par conséquent, adoptent
à son égard un comportement complètement différent : surexploitation dans le premier cas et
protection dans le second.
culture - comportement : les œuvres de l’anthropologue français Claude Levi-Strauss et notamment Tristes
tropiques (1975), ainsi que l’ouvrage de Geneviève Vinsonneau, Culture et comportement (2003), Paris :
Armand Colin.
Nous renvoyons également le lecteur aux revues scientifiques suivantes :
- de manière générale au Journal of Environmental Psychology (voir par exemple l’article de Kaiser,
Wölfing and Fuhrer (1999) ‘Environmental Attitude and Ecological Behaviour’ qui tisse un lien de
nature explicative entre connaissances et valeurs environnementales et (intension) de comportement
écologique ou celui de Tanner (1999) ‘Constraints on Environmental Behaviour’ qui identifie à la fois
des facteurs subjectifs (sens de la responsabilité, perceptions de barrières aux comportements, etc.) et
objectifs/structurels (tels que le revenu, la place de résidence, l’absence de voiture etc. ) pour expliquer
un comportement proenvironnemental, en l’occurrence, la fréquence d’utilisation de la voiture) ;
- plus spécifiquement, aux articles contenus dans le volume 56(3) du Journal of Social Issues (Journal of
Social Issues, 56(3), 2000, pp. 365-578), ‘intitulé Promoting Environmentalism’ et notamment à ceux
de Paul C. Stern (Stern, 2000b) ‘Toward a Coherent Theory of Environmentally Significant Behavior’
(pp. 407-424) et de P. Wesley Schultz (Schultz, 2000) ‘Empathizing With Nature: The Effects of
Perspective Taking on Concern for Environmental Issues’ (pp. 391-406), ainsi qu’à l’édition spéciale du
journal Climatic Change (Climatic Change, 77(1-2), 2006, pp. 1-193)) qui explore certains liens entre
perceptions, valeurs, opinions et comportement dans le cas particulier de la problématique du
Changement Climatique et qui « was motivated by the notion that environmental policies that target
human behaviour should incorporate insights about behavioural change and decision-making, topics
central in behavioural sciences » (Oppenheimer et Todorov, 2006, p. 1). Voire notamment dans cette
edition spéciale l’article d’Anthony Leiserowitz (Leiserowitz, 2006), ‘Climate Change Risk Perception
and Policy. Preferences : the Role of Affect, Imagery, and Values’ (pp. 45-72).
249
Importance plus ou moins grande selon les individus et les régions du monde.
250
Dans lesquelles il est considéré comme un bien de consommation (plus ou moins commun).
251
L’animisme représente une croyance générale en l’âme et les esprits qui se prolonge aux éléments biotiques et
abiotiques de la nature ; il caractérise des sociétés très diverses se trouvant sur tous les continents.
210
Nous regroupons sous cette notion, une série de dispositions psychologiques/cérébrales telles
que les sentiments, les émotions, les passions et autres phénomènes apparentés, comme la
peur, la honte, l’amour, la culpabilité, le fanatisme, la haine, la compassion, le sentiment de
responsabilité, etc. 252.
Pour illustrer l’importance que peuvent tenir les affects dans l’inférence des comportements
humains et de leurs activités, nous soulignerons leur fonction d’adaptation, de motivation et
d’orientation/organisation de l’action (Dantzer, 1994) dans trois domaines différents que sont
les relations humaines (au sein des petites communautés et de l’homme à son environnement),
la gouvernance internationale et la recherche scientifique.
A) Les relations affectives entre les hommes (rapports sociaux au sein de la famille et
des petites communautés) et entre l’homme et son environnement (la beauté de la
nature, de planète bleue)
Afin d’illustrer le rôle des affects dans la production des comportements humains, nous nous
proposons de rapidement l’analyser dans sa dimension interpersonnelle (au sein des petites
communautés) ainsi que dans sa dimension biosphérique (relation homme - nature)253.
Dans le premier cas, celui des petites communautés (dans laquelle nous comprenons la
famille), il est admis que les liens psycho-affectifs (respect, crainte, amour, honte, etc.) sont
forts et influent donc grandement sur les comportements des individus au sein du groupe254.
Nous illustrons ce cas de figure par le lien que nous dressons, mais dont nous ne
développerons pas ses probables implications dans le cadre de notre recherche, avec l’ouvrage
de Ferdinand Tönnies (1922/1977), Communauté et Société. Catégories fondamentale de la
sociologie pure, également bien connu sous son titre original allemand Gemeinschaft und
Gesellschaft.
En effet, dans son ouvrage, l’auteur établit une distinction entre les concepts de communauté
[Gemeinschaft] et de société [Gesellschaft] sur un fondement psychologique qui repose sur la
reconnaissance de deux formes de volonté humaine (deux catégories psychologiques) :
252
Emotions, sentiments et passions sont pour nous des synonymes dans la mesure où distinguer ces notions ne
s’avèrent pas pertinents dans le cadre de notre démarche. D’ailleurs il existe différentes définitions de ces
notions et l’appartenance d’un phénomène à l’une de ces « catégories » dépend donc de la définition que l’on en
donne. Toutefois, avec Dantzer (1994), nous soulignons que les émotions se différencient des « simples »
sentiments par le fait qu’elles ne restent pas purement cérébrales, mais qu’elles s’accompagnent de modifications
physiologiques et somatiques, et des passions par leur caractère fugace et d’intensité accrue. Par ailleurs, les
émotions peuvent être définies comme des « constellations de réponses de forte intensité qui comportent des
manifestations expressives, physiologiques et subjectives typiques. Elles s’accompagnent généralement de
tendances d’action caractéristiques et s’inscrivent en rupture de continuité par rapport aux processus qui étaient
en cours chez le sujet au moment de leur apparition. » (Bloch, Chemama, Gallo et al., 1994, p. 262).
253
Rôle qui, comme le souligne Stern (2000b), n’est étudié que depuis peu de temps dans le domaine connexe
environnement – comportements : « Recently, some researchers have begun to explore affective influences on
environmental concern and behaviour, including sympathy for others (Allen et Ferrand, 1999) [dimension
affective entre individus], [and] ‘‘emotional affinity’’ toward nature (Kals, Schumacher, et Montada, 1999)
[dimension affective entre homme et environnement] […]. » (p. 411)
254
Cette dimension affectuelle des comportements se retrouve par exemple, de manière « dispersée », au sein des
instruments d’auto-réglementation et de sollicitations définis par Gardner et Stern (1996) qui mettent en
évidence l’effet des sentiments (tels que celui d’appartenance, de devoir envers son voisin, etc.) et le fait qu’ils
se voient renforcés dans une communauté soudée, à forte cohésion sociale et ainsi placée sous le principe de
l’auto-surveillance.
211
• la volonté organique : moteur du comportement et de l’action, elle comprend
notamment une très forte composante affective (le plaisir, la douleur, le désir, la
répulsion, l’amour, la haine, la bonté, le respect, la crainte) qui peut acquérir une
signification morale et vertueuse ;
De ces deux formes de volonté découlent dès lors deux formes sociales essentielles (deux
catégories sociologiques) que sont les concepts de communauté et de société :
• la volonté réfléchie donne naissance à la société255 : les rapports entre individus y sont
caractérisés par l’individualisme (aucun lien entre individus) de l’homoeconomicus qui
n’agit qu’en fonction d’un calcul rationnel et intéressé s’exprimant à travers l’échange.
On s'aperçoit [ainsi] que les relations sociales sont d'une tout autre nature que les
relations communautaires. Alors que celles-ci sont vivantes et chaudes, celles-là
n'affectent nullement l'intimité de l'être; elles sont purement extérieures, froides et
conventionnelles, et peuvent être représentées de la manière la plus adéquate par le
commerce. Tönnies rappelle à ce sujet le jugement d'Adam Smith : « La société est l'état
dans lequel » chaque homme est un commerçant. » (introduction du livre)
Nous laissons ici le soin au lecteur de dresser des parallèles entre ces deux types de volonté et
de formes sociales avec les types d’instruments politiques que nous avons identifiés jusqu’ici.
Nous ne soulignerons quant à nous que la dimension comportementale d’ordre affective
qu’attribue Tönnies aux communautés – qui est l’expression du pouvoir des affects sur nos
comportements – et de l’opposition dressées par l’auteur entre celle-ci et des modalités
sociales d’une dimension bien différente, notamment la domination et l’intérêt économique,
qui ne sont pas sans rappeler nos instruments coercitif et économique.
Le second cas que nous avons choisi pour illustrer la dimension affective des comportements
humains, à savoir dans sa dimension biosphérique, peut être illustré quant à lui par les effets
(comportementaux) qu’ont induit la présentation, à la fin des années soixante, début des
255
Dans laquelle la morale est appelée à s’y dissoudre.
212
années septante, les photographies de notre planète prise par l’agence américaine de
l’aéronautique et de l’espace (NASA256) (cf. Figure 19 ci-après).
la diffusion, par la NASA, des photographies de notre planète Terre prises de l'espace
constitue une mutation culturelle dont notre « mentalité moderne » n'a sans doute pas
encore pris toute la mesure. Comme l'a remarqué l'astronome Carl Sagan, l'essor du
mouvement écologique américain est contemporain de cette nouvelle vision de la
Terre: une petite planète bleue entourée d'une fine et fragile enveloppe atmosphérique
flottant au milieu de l'océan noir du cosmos ! (p. 23)
De telles photographies ont sans aucun doute contribué à bouleverser certaines personnes, les
astronautes en première ligne d’ailleurs257, et ont ainsi également participé à induire des
comportements, notamment dans le domaine de la protection de notre environnement.
256
Pour National Aeronautics and Space Administration.
257
Chaque astronaute s’émerveille ainsi de la beauté et de la fragilité de cette petite Planète bleue qui apparaît
dans leur hublot.
213
B) La gouvernance internationale
Nous illustrons le rôle de la dimension affective des comportements dans le domaine des
relations internationales (qui, rappelons-le sont caractérisées par l’égalité souveraine des Etats
et l’absence d’un organe coercitif) par deux anecdotes, tirées de l’ouvrage du sociologue Jean
Ziegler (2005a, 2005b), l’empire de la honte, qui souligne toutes les deux l’effet que les
sentiments de déshonneur et de honte peuvent avoir sur les comportements, effet que l’auteur
synthétise dans le concept de pouvoir de la honte.
La première anecdote, avec laquelle l’auteur débute d’ailleurs son ouvrage, raconte qu’à la fin
du 18e siècle, Benjamin Franklin – premier ambassadeur de la jeune république américaine à
Paris, mais surtout co-auteur258 de la Déclaration d’indépendance des Etats-Unis d’Amérique
du 4 juillet 1976 qui peut être considérée comme la « première déclaration des droits de
l’homme » – arrive dans la capitale française où il y est fêté comme un héros par les cercles
révolutionnaires. Or, un soir, au Procope, un café de la capitale dans lequel les
révolutionnaires aimaient se réunir semi-clandestinement, Gorges Tanton, un jeune avocat de
20 ans, interpelle l’ambassadeur américain sur la question des droits humains et l’inexistence
de sanctions derrière cette Déclaration d’indépendance qui n’est donc qu’hypocrisie selon lui.
Et Benjamin Franklin de lui répondre : « vous vous trompez, derrière ces droits, il y a un
pouvoir énorme, éternel… le pouvoir de la honte, power of shame » (Ziegler, 2005b).
La seconde anecdote qui illustre également le « pouvoir de la honte » est quant à elle
directement vécue par l’auteur qui, alors qu’il était sur le point de monter à la Tribune pour
prendre la parole et présenter, en tant que rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation du
conseil des droits de l’homme, son quatrième rapport259 à l’Assemblée Générale des Nations
Unies qui comporte un passage consacré aux traitement réservé par les autorités chinoises aux
réfugiés de la faim Nord-Coréen260, est interpellé par l’ambassadeur de Chine – un pays de 1,4
milliards d’habitant – qui vient le supplier à genou – lui le « petit bourgeois » avec son
rapport qui n’a aucun pouvoir – de ne pas aborder cette question embarrassante pour la Chine
devant l’Assemblée Générale261… « ça c’est le pouvoir de la honte » (Ziegler, 2005b).
Cette thèse du « pouvoir de la honte », qui illustre à merveille le pouvoir (de contrainte) des
processus psycho-effectifs sur les individus (et leurs comportements), est également soutenue
par José Romero262 dans son analyse du régime climatique international (Romero, 2005). En
effet, selon ce dernier, si la mise en œuvre du Protocole de Kyoto se fait dans le cadre
traditionnel du droit international (de l’environnement), caractérisé par l’absence de
« contrainte » et de sanctions efficaces, elle se doit néanmoins d’être comprise dans un
contexte de gouvernance internationale, soit dans le cadre d’un processus au sein duquel tous
les acteurs de la société établissent un pouvoir et une autorité capable d’influencer et de faire
adopter des politiques et des décisions aux niveaux nationaux. Ce processus d’enforcement
258
Le projet de Déclaration d’indépendance fût confié à un comité de cinq représentants (John Adams, Thomas
Jefferson, Robert Livingston, Roger Sherman et Benjamin Franklin), mais ce fût finalement Thomas Jefferson
qui fit le plus gros du travail et qui peut donc être considéré comme l’auteur principal de ce texte fondateur.
259
Le droit à l’alimentation. Rapport présenté lors de la cinquante-neuvième session de l’Assemblée Générale
des Nations Unies, 27 septembre 2004, rapport n° A/59/385.
260
Qui sont renvoyés dans leurs pays où ils sont souvent fusillés ou disparaissent dans les camps de
concentration.
261
Chose qu’il a naturellement refusé de faire.
262
Chef de la section conventions Rio de la division Affaires internationales de l’Office fédéral de
l’environnement (OFEV), il est notamment responsable pour la Suisse, au niveau international, des questions sur
le changement climatique (négociations, conventions, protocole de Kyoto).
214
implique des dimensions qu’il ne faut pas négliger telles que la pression et le contrôle de
l’opinion publique et médiatique, la crédibilité (le respect de ses engagements), etc. qui sont
aptes à contrebalancer, dans une certaine mesure, l’inexistence d’un mode de régulation de
type coercitif par l’existence du principe « name and shame » :
C) La recherche scientifique
Enfin, pour illustrer le pouvoir des affects sur nos comportements, nous relèverons qu’en
Suisse, un programme du Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS), doté de
plus de 20 millions de francs suisse sur quatre an, a été lancé en 2005 afin d’étudier le rôle des
émotions dans les comportements individuels et les processus sociaux (FNS, 2008). Ainsi, le
Pôle national de recherche en sciences affectives (Swiss National Center of Competence in
Research (NCCR) - Affective Sciences) étudie comment les affects et les émotions façonnent
les comportements (et les prises de décision). Ces trois domaines de recherche sont :
The domain of emotion elicitation and perception comprises the study of the causes of
emotions, the processes involved on different levels, as well as the effects on our
behaviour and well-being. Researchers look at the sorts of objects and events that trigger
emotions, the various factors – genetic, environmental, social, psychological – that
influence our emotional responses, the psychological and physiological processes
involved, the neural architecture involved in affective processing, and the effects of our
emotional predispositions on our subjective well-being.
The domain of emotion regulation comprises the study of how we cope with stress and
conflict (or fail to do so) by controlling and modulating our emotions. Researchers look
at the role of emotion regulation in family settings and at the workplace with the aim of
assessing attempts at such regulation, gaining a better grasp of its role in processes of
pro-social behaviour, and evaluating its broader effects on our life.
The domain of social functions of emotions covers questions about the role of emotions in
norm compliance and their neural basis, questions regarding their role in making and
applying laws, and questions regarding their relation to social values and cultural
identity that raise historical, cultural, and conceptual issues. (Affective Sciences, 2008)
D) « Synthèse affective »
Par conséquent, et appliqué au domaine qui nous occupe, le type « instrument de
communication affective » a donc pour fonction d’actionner le levier comportemental
« disposition affective » des acteurs climatiques pour orienter leurs activités dans le sens
d’une réduction des émissions nettes de GES.
En d’autres termes, ce type d’instrument vise donc à faire vibrer la « corde sensible » des
acteurs climatiques en tentant de produire des émotions, des sentiments, etc. qui vont avoir
pour conséquence d’orienter leurs comportements climatiques de manière positive.
215
9.3.5 Intermède : retour sur la notion de typologie idéaltypique d’instrument politique
Le lecteur attentif aura sans doute perçu dans nos propos et l’élaboration de notre typologie
quelques liens qui pourraient à première vue relever d’une nature non exclusive de nos
instruments politiques. En effet, les frontières entre des notions telles que la vertu et les
affects sont difficiles à identifier dans la réalité comportementale, tant celles-ci s’entremêlent,
voire se confondent.
Leiserowitz (2006), note par exemple, que dans le domaine spécifique du changement
climatique, des études démontrent que la perception du risque et l’acceptabilité des politiques
sont fortement influencées par des facteurs tels que les affects, les perceptions et les valeurs,
de même que les réponses comportementales des acteurs climatiques sont influencées par des
processus qui combinent dimensions psychologiques et socioculturelles.
Cette zone floue de la psychologie morale (et environnementale), entre affects et vertu, entre
psychologie et culture n’est toutefois pas un problème dans la perspective méthodologique qui
est la nôtre et qui, rappelons-le, consiste à dresser des types d’instruments mutuellement
exclusifs sur le plan théorique et de la rationalisation en finalité, et qui laisse, de facto, la
complexité des comportements au domaine de la réalité.
Aussi, si, lorsque nous illustrons le type « instrument de communication affective », nous
faisons référence immanquablement à des notions qui se rapprocheraient plus de la notion
« d’instrument de communication vertueuse », et inversement, – et notamment du fait que les
auteurs auxquels nous faisons référence ne font pas une telle distinction dans leurs propos –,
cela n’est valable que dans la réalité instrumentale complexe et concrète, et non pas au niveau
théorique et typologique. Cette complexité des comportements concrets et donc des
instruments (concrets) s’exprimera d’ailleurs sans aucune dans l’analyse comparative que
nous ferons de ces derniers avec les types d’instruments mutuellement exclusifs que nous
avons identifiés.
Dans le même état d’esprit, notons d’ores et déjà que les fondements théoriques des deux
prochains types instruments que nous allons développer, soit respectivement le pouvoir de
l’in-formation et de l’exemplarité, sont également très entremêlés avec les notions d’affects
et/ou de vertu/valeurs dans la réalité (comportementale), comme en atteste par exemple
l’étude de Kaiser, Wölfing and Fuhrer (1999) qui tisse un lien de nature explicative entre
connaissances et valeurs (sociales et morales) environnementales d’une part et (intension de)
comportement écologique d’autre part. Il n’en demeure pas moins que nous les dissocions et
les considérons comme constituant des notions de nature mutuellement exclusive sur le plan
théorique et typologique.
Enfin, nous noterons également que le fait d’avoir identifié ces différents types d’instruments
par le qualificatif « instrument de communication » est peut-être la résultante de cette
perméabilité des concepts. En effet, ces types d’instruments impliquent fondamentalement un
processus de communication (qu’il soit une communication de valeurs, d’émotions,
d’information, d’exemplarité, etc.). Cependant, c’est plus par un souci de compréhension et de
style que nous avons adjoint cet attribut « communication » à ces types d’instruments,
puisque, selon nous, tout comme chaque instrument constitue un élément de pouvoir, chaque
instrument est également un instrument de communication. Rappelons en effet qu’un
instrument politique, par définition, est un vecteur au sein d’une relation Etat – acteurs cibles
216
qui est caractérisée par un rapport de pouvoir et une dimension relationnelle263. Et qui dit
relation, dit processus de communication.
Ce pouvoir de l’information (sur les comportements) peut également être illustré par les
théories respectives de John Langshaw Austin (1970) et Jürgen Habermas (1987), pour qui le
fait d’informer relève au plus haut point de l’action, et, par conséquent, de l’action sur les
comportements humains. Ainsi, dans son célèbre ouvrage Quand dire, c'est faire, Austin
(1970) relève que « dire quelque chose, c'est faire quelque chose » (p. 109) et définit la notion
d'acte perlocutoire de la sorte : « actes que nous provoquons ou accomplissons par le fait de
dire une chose » (p. 119). Dans cette perspective, l’acte d’information « provoquera souvent -
le plus souvent - certains effets sur les sentiments, les pensées, les actes de l'auditoire, ou de
celui qui parle, ou d'autres personnes encore. Et l'on peut parler dans le dessein, l'intention, ou
le propos de susciter ces effets » (p. 114). La plupart des actes locutoires ont donc pour effet
d’induire des conséquences sur autrui et notamment comportementales264. De même, selon
Habermas (1987) et sa théorie de l'agir communicationnel, le fait d’agir se traduit par un acte
de parole qui transforme l’environnement d'un individu. Celui-ci va alors adopter un
comportement en conséquence. Le côté pragmatique du langage est ici privilégié.
De notre côté, nous avons fait le choix de parler non pas d’information, mais « d’in-
formation », dans la mesure où nous définissions cette dernière comme une donnée qui, une
fois transmise d’un acteur A à un acteur B, constitue pour celui-ci une nouvelle
connaissance265 (ou information), certes, mais également un nouveau savoir-faire266
(formation). Ce transfert est donc caractérisé par la réception/l’acquisition par l’acteur B
d’une nouvelle « ressource in-formationnelle »267.
Par conséquent, nous comprenons par le concept « d’in-formation », la synthèse de termes tels
que ceux d’information, de connaissance, de savoir, de savoir-faire et de compétence, qui
peuvent dès lors être considérés comme des synonymes dans la mesure où ils expriment tous
un transfert « d’in-formation » d’un acteur A vers un acteur B ; soit, du point de vue
spécifique de l’acteur B, le passage d’un état d’ignorance – ou d’incertitude268 – à un état « in-
formé ».
263
Voire nos développements dans la première partie de notre recherche sur le caractère relationnel du pouvoir
qui est lui-même indissociable de l’instrument politique, qui est donc, par nature, un instrument relationnel
264
Donner des renseignements par exemple produit presque toujours des effets ultérieurs sur les comportements
et les actions.
265
Un nouveau savoir, une nouvelle information.
266
Une nouvelle compétence pratique.
267
Ou la « réactivation » d’une ressource « oubliée ».
268
La notion d’information est souvent liée dans la littérature spécialisée à la question de l’incertitude (voir, par
exemple, Shannon (Shannon 1948, Shannon et Weaver, 1949) qui ont montré que l’information se caractérise
par les incertitudes qu’elle permet de lever et la notion de confusion chez Watzlawick (1978)).
217
Nous distinguons ainsi dans le concept « d’in-formation », la notion d’information « pure »,
qui représente un transfert de connaissance/savoir, de la notion de formation, qui implique
non seulement le transfert d’une connaissance, mais également la transmission d’un savoir
pratique (savoir-faire/compétence).
En d’autres termes, nous pouvons dire que l'Etat peut user de son « pouvoir » in-formationnel
dans le but de transformer les comportements des acteurs climatiques dans un sens positif en
leur transmettant des informations (connaissances, compétences, savoirs, savoirs-faire). Nous
pouvons donc aisément nous imaginer toute l’importance que peut revêtir dans ce processus
de transfert d’information des secteurs d’activités tels que les médias,
l'éducation/l’enseignement, la recherche et la formation269. Pensons enfin aux (nouvelles)
perspectives qu’offre le développement fulgurant actuel des (nouveaux, mais aussi
« anciens ») médias tels qu’Internet et autres modes de communication.
Ce phénomène est par exemple mis en relief par Morand (1999) lorsque celui-ci note que
l’activité interne de l’Etat peut également déployer des « effets externes » (p. 177) et par là,
notamment orienter par « effet d’entraînement » (p. 178) le comportement des acteurs socio-
économiques, par exemple dans le domaine des économies d’énergie. Toutefois, l’auteur ne
dissocie pas dans ses propos la composante « in-formationnelle » de la dimension
« imitationnelle » de cette modalité d’intervention de l’Etat exemplaire. Or, dans la
269
Nous renvoyons le lecteur qui voudrait en savoir plus sur les « relations » qu’entretient l’Etat avec
l’information et la formation, respectivement à Knapp (1991) et à Delley (1991).
270
Comprenons ses fonctionnaires.
271
Ou socialisation écologique, éco-socialisation des fonctionnaires.
272
Nous pouvons d’ailleurs dire que l’Etat fait dans ce cas de figure pour ainsi dire « d’une pierre trois coups »
dans la mesure où a) les fonctionnaires qui ont acquis ces types de comportements contribuent à la protection de
l’environnement sur leur lieu de travail, b) ces mêmes fonctionnaires vont être tentés de reproduire leurs
comportements dans leur vie de tous les jours (en tant qu’acteurs socio-économique) et c) ils vont « entraîner »
leur entourage à leur emboîter le pas.
218
perspective qui est la nôtre, c’est cette dernière composante spécifique du processus
d’entraînement qui, par opposition aux « instruments de communication in-formationelle »,
définit le type « instrument exemplaire ».
En effet, selon nous, le phénomène d’entraînement peut être généré – sur le plan théorique et
idéaltypique – entre autre par deux processus distincts. L’un relève d’un simple processus
d’imitation : l’individu A (par exemple un fonctionnaire) adopte un comportement et
l’individu B (par exemple un membre de sa famille) le copie273. L’autre relève d’un processus
d’ordre « in-formationnel » : adopter un comportement c’est aussi signifier quelque chose,
une signification qui va donc avoir une certaine répercussion sur le comportement d’autrui.
Dans ce dernier cas, nous pouvons ainsi renverser la formule d’Austin (1970) : « dire quelque
chose, c'est faire quelque chose » (p. 109), en relevant, avec Watzlawick (1978), que faire
quelque chose, c'est aussi dire quelque chose :
C’est cette deuxième dimension, et uniquement celle-ci, qui définit dans notre cas le type
« instrument exemplaire » qui, par conséquent est appliqué au domaine qui nous occupe, a
donc pour fonction d’actionner le levier comportemental « disposition à imiter
(l’environnement humain) » des acteurs climatiques pour orienter leurs activités dans le sens
d’une réduction des émissions nettes de GES.
273
De même, si l’administration adopte une activité, le secteur privé peut lui emboîter le pas.
274
Voir également Flury-Kleuber et Gutscher (2001).
275
Nous pensons que cette modalité d’intervention est assez sous-estimée par l’Etat et que bien qu’il en use
« malgré lui » si l’on peut dire, il pourrait l’utiliser d’une manière bien plus efficace s’il avait conscience des
potentialités de cette démarche dont il ne soupçonne pas (ou du moins pas assez) l’efficacité.
276
Que se soit au niveau individuel (poubelles) ou, au niveau de la collectivité, la mise à disposition par celle-ci
d’un système de tri collectif.
219
simplement à la disposition de chicanes ou de gendarmes couchés, ou de tout autres obstacles,
sur la chaussée dans le but de faire réduire la vitesse de passage des automobilistes. Poussé à
l’extrême, une barrière, un mur, va immanquablement empêcher l’accès d’une voiture à un
endroit où l’on ne veut pas qu’elle aille.
Par conséquent, et appliqué au domaine qui nous occupe, le type « instrument d’aménagement
et d’infrastructure » a donc pour fonction d’actionner le levier comportemental « capacité
d’adaptation à l’environnement physique et matériel » des acteurs climatiques pour orienter
leurs activités dans le sens d’une réduction des émissions nettes de GES. Nous pouvons ainsi
nous imaginer que les politiques d’aménagement du territoire et d’infrastructures tiennent une
place importante dans ce domaine.
Par ailleurs, nous soulignons également que cette typologie d’instruments politiques étant
construite sur la base de leur fonction première – à savoir influencer les comportements
humains – elle n’est donc pas conçue pour établir comment y arriver. Cet objectif relève des
instruments concrets, ceux-là même qui feront l’objet de notre analyse idéaltypique.
277
A ce titre, notons que Tanner (1999) identifie deux types de facteurs pour expliquer un comportement de
nature pro-environnementale, à savoir la (baisse de) fréquence d’utilisation de la voiture. Il distingue ainsi des
facteurs subjectifs tels que le sens de la responsabilité ou la perception de barrières aux comportements mais
également des facteurs d’ordre « objectifs/structurels » tels que le revenu, la place de résidence, mais également
et très simplement l’absence de voiture. Noux y retouvons quelques uns des septs détérminants
comportementaux que nous avons identifiés dans le cadre de notre typologie.
220
d’action de l’acteur ciblé par un instrument, celle-ci ne dépend donc pas de la nature de
l’instrument mais bien de son efficacité (mesurée sur le terrain). Pour illustrer nos propos,
nous nous contenterons de donner pour seul exemple le cas de l’aménagement d’une route
dans la perspective de réduire la vitesse des automobilistes à l’aide de chicanes et autres
obstacles physiques qui s’avère représenter un instrument beaucoup plus contraignant pour un
automobiliste qu’une seule obligation de limitation de vitesse.
calcul coût-bénéfice de
l’automobiliste qui pèse les
avantages qu’il tire de passer par
Péage prohibitif rapport au prix demandé : un certain Instrument économique
nombre d’automobilistes vont
préférer contourner l’endroit plutôt
que de payer le prix demandé
Source : l’auteur
221
Cet exemple est utilisé pour bien comprendre les différences entre les déterminants
comportementaux qui sont en jeu. Cependant, dans la perspective méthodologique qui est la
nôtre, il serait nécessaire de prendre chacun des instruments et de le comparer à chacun des
sept types d’instruments.
222
IIIE PARTIE
ÉLÉMENTS D’ANALYSE
223
224
L’objectif principal que nous poursuivons dans le cadre de cette troisième et ultime partie de
notre travail de recherche réside dans la mise en œuvre de notre proposition d’analyse
instrumentale idéaltypique des politiques publiques (de protection de l’environnement). A
cette fin, nous avons choisi d’étudier la politique climatique suisse et, toujours dans le souci
de faire ressortir la complexité sociale (ou socio-environnementale) de notre objet d’étude,
nous avons organisé cette dernière partie en quatre grandes étapes :
• l’étude descriptive de la politique climatique suisse dans le but d’en identifier les
instruments et leur articulation (Chapitre 12) ;
Aussi, avec cet essai d’analyse idéaltypique de la politique climatique suisse, nous pensons
contribuer, au moins dans une certaine mesure, nous l’espérons, au renforcement d’un cadre
méthodologique et théorique propice à l’analyse instrumentale des politiques publiques par le
biais d’une typologie ou, tout au moins, à une meilleure compréhension de ce que sont les
types d’instruments politiques et la manière par laquelle ils se doivent d’être abordés et
compris.
Doté d’un outil d’analyse (compréhensif) issus d’une réflexion méthodologique de nature
générale – à savoir notre typologie idéaltypique des instruments politiques (de protection de
l’environnement et du climat) – nous nous proposons maintenant de définir de manière plus
pratique la méthodologie que nous allons appliquer afin d’analyser la politique climatique
suisse.
Il est donc ici question de définir notamment notre champ d’investigation (la délimitation du
sujet et de l’unité d’observation et d’analyse), nos questions de recherche et hypothèses de
travail ainsi que la façon dont nous allons nous y prendre pour y répondre (notre méthode de
travail).
225
10.1 Unité d’observation, champ d’investigation et structure de l’analyse
Définir un champ d’étude ne constitue jamais une chose aussi simple que nous aimerions le
penser. Parfois laissée de côté, cette étape est cependant primordiale dans la mesure où elle
permet de définir les limites, les frontières de l’analyse. Cette première phase est ainsi
nécessaire (mais sans aucun doute de loin pas suffisante) pour qu’une recherche puisse
déboucher sur des résultats scientifiques, à savoir réfutables au sens de Popper (1973, 1981).
En effet, sans fondations clairement identifiées, toutes espèces de réponses ou de conclusions
échappent au domaine du falsifiable.
Nous définissons ainsi notre champ d’étude en trois étapes que sont l’identification de l’objet
d’analyse (ou de l’unité d’observation), le champ d’investigation (une sorte de périmètre qui
définit l’espace dans lequel nous allons observer l’unité d’analyse) et la structure de l’analyse
(l’agencement et les niveaux de l’analyse).
Plus précisément, ce sont les instruments concrets de la politique dans le sens où ils sont
considérés au niveau de la législation, soit le niveau final où s’exprime le choix des acteurs du
processus décisionnel.
En effet, nous pouvons définir quatre niveaux pour appréhender les instruments des politiques
publiques : deux niveaux théoriques (ou conceptuels) et deux niveaux concrets qui se situent
sur un continuum de complexité définit par les pôles réduction – complexité (cf. Figure 20 ci-
dessous).
Ainsi, pour illustrer nos propos sur la base de la figure 20, nous pouvons dire que l’analyse
(théorique) des instruments par l’économie de l’environnement – qui, rappelons-le, postule la
meilleure efficience des instruments économiques (taxe et système de permis) sur les
instruments de contrôles directs (interdiction par exemple) – se situe aux niveaux I/II (niveaux
conceptuels A/B), alors que l’évaluation (expost ou concomitante) des politiques publiques se
situe quant à elle le plus souvent au niveau IV de la mise en œuvre.
Dans le cadre de notre analyse des instruments de la politique climatique suisse, nous nous
situons au niveau III (législatif), puisque nous nous intéressons aux instruments tels qu’ils
résultent du processus de décisions, processus au travers duquel s’exprime d’ailleurs le choix
des (différents) acteurs socio-économiques qui y sont associés.
Soulignons d’ailleurs que ce choix instrumental est (notamment) issu d’une rationalisation en
finalité des décideurs sur les réactions comportementales attendues de la part des acteurs
ciblés par l’introduction des instruments (via la chaîne de causalité théorique de l’action
étatique). En d’autres termes, ce sont bien des hypothèses comportementales qui sous-tendent
(en partie) le choix des instruments politiques, instruments que nous nous proposons d’ailleurs
d’analyser sur la base d’une typologie dont le fondement repose précisément sur de telles
hypothèses comportementales (nos sept leviers comportementaux).
226
Figure 20 : Quatre niveaux pour appréhender les instruments des politiques publiques
Par conséquent, c’est au niveau législatif que nous allons pouvoir définir les limites de notre
champ d’investigation.
Soulignons cependant d’entrée que notre champ d’investigation se limite aux instruments
politiques tels qu’ils découlent de la législation sur le CO2, à savoir de la loi fédérale du 8
octobre 1999 sur la réduction des émissions de CO2 (LCO2) dues à l’utilisation énergétique
des agents fossiles (combustibles et carburants) et de ses diverses ordonnances281.
278
Placé sous la direction du Professeur Beat Bürgenmeier (Principal Investigator)
279
Pôle de recherche national Climat (PRN Climat).
280
Recherche financée jusqu’au 31.03.2006. Voir le rapport final de notre groupe de travail (Bürgenmeier, Perret
et al., 2006) au sein du sixième rapport intermédiaire du NCCR Climate.
281
Ordonnances du 22 juin 2005 régissant l'imputation des réductions d'émissions opérées à l'étranger
(Ordonnance sur l'imputation du CO2), du 8 juin 2007 sur la taxe sur le CO2 (Ordonnance sur le CO2), du
227
En ce sens, la définition de ce que nous nommons indifféremment politique climatique suisse
ou politique suisse de protection du climat doit être comprise de manière très restrictive,
l’avantage principal de cette délimitation résidant dans le fait que notre champ d’investigation
s’en trouve simplifiée, étant entendu qu’une seule législation est prise en considération dans
l’analyse instrumentale.
Cependant, nous pouvons également mettre en exergue la pertinence de notre choix sous une
dimension quantitative. En effet, le CO2 constitue près de 85 % des émissions annuelles
brutes de gaz à effet de serre282 (GES) en Suisse et près de 95 % de ces émissions sont dues à
la combustion des énergies fossiles, celles-là même qui font l’objet de la législation sur le
CO2 (cf. Figure 21 ci-dessous et Annexe 16 pour certaines précisions).
Figure 21 : Les émissions de GES et de CO2 en Suisse (1990-2006) et les secteurs d’activités
responsables
60
50
40
Gaz synthétiques, chiffre 2001 : 1.6% (moyenne 1990-
2006 : 1%)
N2O, chiffre 2006 : 6.2% (moyenne 1990-2006 : 6.6%)
Miot
30
équ. CO2 CH4, chiffre 2006 : 6.6% (moyenne 1990-2006 : 7.4%)
10
0
1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006
50
45
40
35
10
0
1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006
Source : sur la base des données de l’inventaire des gaz à effet de serre en Suisse (OFEV, 2008a, 2008b)
DETEC du 27 septembre 2007 sur le registre national des échanges de quotas d'émission et du 21 décembre
2007 sur la compensation des émissions de CO2 des centrales à cycles combinés alimentées au gaz.
282
Converties en équivalents CO2.
228
La législation sur le CO2 couvre par conséquent près de 80 % des émissions de GES en Suisse
et peut donc être considérée comme « le fondement essentiel de la politique nationale de
protection du climat » (Perret, 2002, p. 63). Elle est d’ailleurs l’élément principal de la mise
en œuvre au niveau national des engagements que la Suisse s’est engagée à prendre au niveau
international, à savoir dans le cadre de la Convention-Cadre des Nations Unies sur les
changements climatiques (CCNUCC) et du Protocole de Kyoto (OFEN, 2001).
• premièrement, nous ne traitons pas des instruments politiques issus de toutes les autres
politiques publiques (et leurs législations respectives) qui ont pour effet de réduire les
émissions nettes de GES283 dans les différents secteurs d’activités impliqués dans la
problématique du réchauffement climatique à savoir, principalement, les instruments
des politiques énergétique, des transports, de l’environnement, agricole, sylvicole,
fiscale, d’information, de formation et d’éducation, de sensibilisation et de recherche
(cf. Annexe 16).
Notons d’ores et déjà que nous testerons donc dans ce cadre des hypothèses de nature
compréhensive et explicative. Aussi, en dissociant ces deux types d’hypothèses, nous
rejoignons les propos de Bulle (2005) sur les modèles formels et l’explication en sciences
sociales :
Pour apprécier la robustesse explicative d’un modèle, il est nécessaire de pouvoir séparer
méthodologiquement les hypothèses descriptives [ou compréhensives] (réalisme des
effets) et les hypothèses explicatives (réalisme des causes). Cette distinction est possible
283
Soit les émissions brutes (sources) auxquelles sont soustraites les émissions captées par des puits, par
exemple la forêt.
229
seulement si les phénomènes appréhendés par les premières peuvent être considérés
comme exogènes aux phénomènes appréhendés par les secondes, et inversement, dans le
cadre de la théorie développée. […]Plus précisément ici, dans un but d’explication du
phénomène social représenté, elle [cette distinction] prévient le jeu de facteurs implicites
sur les facteurs explicatifs du modèle. Les éléments essentiellement descriptifs [ou
compréhensif] doivent en effet pouvoir être développés dans la perspective d’une théorie
explicative plus générale sans réduire à néant le modèle, c’est-à-dire le rôle imputé aux
facteurs explicatifs. Les critères méthodologiques de l’explication, qui dépendent
d’options théoriques préalables, sont alors applicables aux hypothèses explicatives. Les
conditions de validité empirique, adaptées en fonction des finalités descriptives [ou
compréhensives] du modèle, permettent enfin d’apprécier si les hypothèses avancées sont
conformes aux données de l’observation. (Bulle, 2005, pp. 32-33)
Indiquons ici également que nous aurions pu, il est vrai, nous contenter d’une analyse
compréhensive dans le cadre de notre recherche sans chercher de manière explicite à cerner
une dimension explicative. Cependant, nous avons jugé utile de développer quelques pistes de
recherche explicative dans la perspective de proposer par la suite un modèle d’analyse
instrument284. D’ailleurs, comme le notent Quivy et Campenhoudt (2006) :
Une recherche sociale tend à dépasser une simple description des phénomènes sociaux
(même si une description bien faite n’est pas chose aisée et peut être fort précieuse) ; elle
vise à expliquer ces phénomènes. (p. 84)
284
Voir nos développements sur le « système instrumental » dans le cadre de la dernière partie de notre
recherche.
285
Voir notamment Morand, 1991a/b, 1999, mais également Fraiburghaus, 1991 ; Willke, 1992 ; Pal, 1992 ;
Bari, 1993 ; Cooper, 1995 ; Ost, 1995 ; Lascoumes et Le Galès, 2004 ; Salamon, 2002
230
les caractéristiques (flexibilité, participation/collaboration, information, etc.) semblent bien
différentes de celles des instruments traditionnels de nature plus contraignante.
Cette modification historique des modalités d’intervention de l’Etat semble ainsi être
l’expression d’un passage d’une régulation dite dure (hard regulation) qui sévissait au début
du XXe siècle à une régulation plus légère (soft regulation) à la fin du siècle passé et en ce
début de XXIe siècle.
Deux types d’interprétations différentes (mais sans aucun doute interdépendantes) émergent
cependant de la littérature pour expliquer cette transformation de l’intervention étatique.
D’une part, les tenants d’une analyse historique et systémique de l’évolution des modalités
d’intervention étatique (voir notamment Morand, 1991a/b, 1999 ou Papdopoulos, 1995)
explique cette bifurcation vers le moins de contrainte et le plus de laisser-faire (le marché) par
l’adaptation nécessaire de l’Etat face à l’augmentation de la complexité et de l’autonomie des
sous-systèmes sociaux qu’il doit réguler286. Rappelons ainsi brièvement avec Morand que
cette modification découle sans doute de l’accroissement de la complexité sociale et de la
difficulté alors éprouvée par l’Etat à agir de manière autoritaire et contraignante sur des sous-
systèmes sociaux autonomes et de plus en plus complexes287… pour lesquels l’Etat se
restreint dès lors à ne fixer qu’un cadre relativement mou.
D’autre part, d’autres (voir notamment Cooper, 1995, Salamon, 2002 et Lascoumes et Le
Galès, 2004) fondent quant à eux l’explication de cette transformation des modalités
d’intervention par l’influence du contexte de réforme néolibéral (renouveau de la pensée
économique néolibérale) qui caractérise l’évolution de l’Etat et de son administration,
notamment au sein des pays industrialisés depuis cette dernière moitié de siècle et qui s’est vu
porteur d’une nouvelle conception de la gestion publique (le new public management) calquée
sur le modèle de la pensée économique (néo)libéral qui érige en roi le principe de l’efficience
du marché288.
Avec Lascoumes (1994), nous avons d’ailleurs vu que la préférence pour les instruments
privilégiant la sensibilisation et la responsabilisation découlait d’une conception individuelle
et libérale du rapport de l’homme à son environnement (et donc de la régulation
environnementale), tout comme une intervention de l’Etat gendarme apte à garantir une
jouissance paisible du spectacle ou de l’appropriation de la nature est induite par une
conception de l’environnement nourrie d’images naturalistes et protectionnistes.
Cependant, notons avec Salamon (2002), que cette tendance à la gestion publique
(néo)libérale serait plus marquée dans les pays anglo-saxons qu’en Europe. Ainsi, selon cet
286
Varone (1998) note d’emblée les limites explicatives de ces approches diachroniques qui traitent de
l’évolution des instruments à un niveau général pour la plupart (celui de l’Etat dans sa globalité), souvent, sans
différencier leurs champs d’application, et qui visent à mettre en évidence différentes périodes de l’action
étatique (de manière inductive), en soulignant la prédominance de tel ou tel type d’instrument.
287
De même, des auteurs tels que Lascoumes et Le Galès (2004, citant notamment Ikenberry (2003 in Paul, T.
V., Ikenberry, G. J. & Hall, J.A., p. 353, cité par Lascoumes et Le Galès, 2004, p. 366 ) et Donzelot et Estèbe
(1994, cités en référence par Lascoumes et Le Galès, 2004)) ou Salamon (2002) font également reposer
l’explication de cette évolution – certes en des termes un peu différents – en mettant plus ou moins l’accent sur
les limites des « instruments traditionnels » à la régulation d’une complexité sociale grandissante (et notamment
la complexité croissante des acteurs-cibles).
288
Ce « nouveau paradigme de gouvernance [The new governance paradigm] » (p. 9), comme le nomme
Salamon (2002).
231
auteur le choix des instruments étant fortement influencé par la culture et l’idéologie, il
existerait ainsi une différence significative entre l’approche instrumentale américaine –
orientée vers une régulation par le marché – et européenne – plus orientée vers une
intervention étatique traditionnelle.
Enfin, si nous avons constaté qu’une évolution vers une diminution de la contrainte peut être
esquissée dans le cadre d’une perspective analytique historique (approche diachronique du
long terme), une tendance inverse semble toutefois être soulignée par la littérature spécialisée
dans une perspective temporelle et analytique à plus petite échelle.
Cette tendance, formulée de manière assez semblable dans la littérature spécialisée (voir
notamment ; Doern et Wilson, 1974 ; Doern et Phidd, 1983 ; Hood, 1983/1990 ; Schneider et
Ingram, 1990 ; Howlett, 1991 ; Varone, 1998 ; Bemelmans-Videc et Vedung, 1998 ; Vedung,
1998 ; Van der Doelen, 1998, citant notamment la Three E’s strategy de Paisley), peut être
résumée par l’hypothèse selon laquelle les instruments politiques sont combinés par les
décideurs au sein des politiques publiques selon une gradation séquentielle qui débute par le
choix de l’instrument le moins contraignant pour ensuite aller, par étapes successives, vers des
instruments de plus en plus contraignants (principe de l’escalier) :
Politicians have a strong tendency to respond to policy issues (any issu) by moving
successively from the least coercive governing instrument to the most coercive. (Doern et
Wilson, 1974, p. 339 et Doern et Phidd, 1983, p. 128 ; notamment cités par Howlett,
1991, p.12, et par Vedung, 1998, p. 40)
decision makers always choose first the least coercive instrument, moving over time from
least coercive to most coercive in any given policy area (Bemelmans-Videc, 1998, p. 9)
ou
I = instrument
a, b … n = type d’instrument a, type d’instrument b … type d’instrument n
-c0, -c1 … -cX = contrainte nulle (0), contrainte de niveau 1 … contrainte de niveau X
/t1, /t2 … /tn = temps 1, temps 2 … temps n
Rappelons par ailleurs que cette tendance est expliquée – de manière somme toute assez
théorique – (voir notamment Howlett, 1991 ; Varone, 1998 ; Vedung, 1998 ; Bemelmans-
Videc et Vedung, 1998) par la recherche de la part de l’Etat d’une certaine acceptabilité et
légitimité qui peut être associée à une conception idéologique et une philosophie politique de
nature (néo)libérale qui définit toute intervention de sa part selon le principe de la contrainte
minimale.
Ainsi, et compte tenu de la plus grande acceptabilité (hypothétique) des instruments les moins
contraignants et d’une politique conçue par étapes successives, l’Etat est poussé à introduire
l’instrument le moins contraignant dans un premier temps afin de lever les réticences des
acteurs du processus politique (notamment des décideurs et des acteurs-cibles) pour, ensuite,
dans une deuxième phase et si nécessaire, introduire des instruments de nature plus
contraignante qui se trouvent dès lors légitimés par le fait que l’Etat est intervenu dans un
premier temps de la manière la plus douce possible mais qu’il n’a pas obtenu les résultats
232
escomptés. Par conséquent, l’application du principe de la contrainte minimale peut être
associée à la difficulté éprouvée par l’Etat à imposer des instruments contraignants à des
groupes sociaux réticents face à la contrainte et défendant leurs intérêts au sein du processus
décisionnel. Elle permet notamment de laisser aux acteurs-cibles la plus grande liberté
possible d’autodétermination.
Sur cette base, nous avons donc conçu notre typologie d’instruments politiques autour de sept
déterminants comportementaux et avons proposé de l’appliquer à l’analyse (de la politique
climatique suisse) selon la méthodologie wébérienne idéaltypique. Nous pensons ainsi que
cette approche permet de dépasser les limites de l’approche classificatrice pour amener à une
compréhension des instruments politiques sous l’angle de leur complexité.
Comme le laisse entendre la structure de notre analyse, nous nous proposons d’étudier
plusieurs types de questions de recherche, soit des questions d’ordre compréhensif et
explicatif, mais également, d’ordre méthodologique.
Poser de telles questions reste essentiellement utile afin de structurer l’analyse. Mais, le
véritable enjeu scientifique se situe bien plus au niveau des hypothèses de travail que nous
allons définir ci-après.
Notons que dans un souci de structuration, nous avons également défini au préalable des
questions de recherche d’ordre descriptif, pour lesquelles nous n’avons d’ailleurs pas émis
d’hypothèses, ce type de question ne s’y prêtant pas.
233
quels sont les instruments (concrets) mis en œuvre pour solutionner la
problématique environnementale soulevée ? et comment sont-ils articulés au sein
de cette politique ?
L’analyse compréhensive tente quant à elle de répondre à la question principale qui est de
savoir
quels sont les types d’instruments de la politique climatique suisse ? (et comment
sont-ils articulés ?)
Nous nous proposons ainsi d’étudier également plusieurs types d’hypothèses de travail, soit
des hypothèses d’ordre compréhensif et explicatif, mais également d’ordre méthodologique.
C’est dans ces hypothèses de travail que se situent les véritables enjeux scientifique de notre
recherche.
234
A) Hypothèse compréhensive n°1 (Hcomp1)
En adéquation avec l’évolution historique des modalités d’intervention (vers moins de
contrainte), la politique climatique suisse, en tant que politique récente (faisant suite à la
conférence de Rio de 1992) privilégie aux instruments coercitifs les autres types
d’instruments :
Notre typologie idéaltypique est praticable et fructueuse. En d’autres termes, nos sept types
d’instruments permettent d’appréhender la complexité instrumentale de la politique
climatique suisse.
Le corollaire de cette hypothèse est l’impossibilité de procéder par une analyse classificatrice
des instruments des politiques publiques.
235
10.4.3 Hypothèses explicatives
Sur la base de nos considérations théoriques, nous postulerons à notre tour et dans la
perspective analytique qui est la nôtre (notamment par le remplacement de la notion de
contrainte par le concept d’instrument coercitif) trois hypothèses explicatives que nous allons
mettre à l’épreuve des faits, suivant ainsi la logique de la réfutation de Popper (1973).
Le principal objectif est donc ici de postuler un lien de nature causale entre une variable
expliquée, soit les (types) d’instruments de la politique climatique suisse, et une variable
explicative que nous avons déduites de nos réflexions théoriques, soit la complexité des
acteurs-cibles :
Ainsi, avec Morand (1999) notamment et l’école de pensée systémique, nous postulons que
les (types) d’instruments mis en œuvre ou prévus dans le cadre de la politique climatique
suisse sont liés à la nature complexe (ou non) des acteurs-ciblés par ces derniers de la manière
suivante : les instruments coercitifs [type instrument coercitif] ne sont destinés qu’à des
acteurs-cibles de nature non complexe (alors que les autres types d’instruments sont affectés à
des acteurs-cibles de nature plus ou moins complexe) :
En termes de choix des (types) d’instruments politiques, nous tentons donc de mettre en
évidence l’hypothèse selon laquelle si l’Etat est confronté à des acteurs-cibles de nature
complexe, il ne va pas (pouvoir) choisir d’introduire des instruments de type coercitif
(hypothèse a). A contrario, s’il est confronté à des acteurs-cibles de nature peu complexe, il
va (pouvoir) choisir des instruments de nature coercitive (hypothèse b) (cf. Figure 22 ci-
dessous).
Acteurs-cibles
Source : l’auteur
Ainsi, nos hypothèses de travail impliquent le fait qu’il ne devrait pas exister, le cas échéant,
la situation suivante :
236
Par contre, les situations suivantes sont possibles et même attendues :
Enfin, pour prolonger cette hypothèse opérationnelle sur la nature du lien entre complexité
des acteurs-cibles et choix des (types d’)instruments politiques, nous postulerons également
qu’en présence d’acteurs-cibles complexes, l’Etat porte son choix sur l’introduction
d’instruments de type économique (cf. Figure 22, flèche verte) :
En effet, nous pouvons supposer que la nature de tels instruments, fondée sur une logique
d’une très grande simplicité et universalité, celle de la logique du prix, est très bien adaptée à
des acteurs de nature complexe qui, malgré leurs différences, leur hétérogénéité, etc., ont tous
pour point commun de pouvoir intégrer le signal prix (logique économique).
Notons ici que, paradoxalement, cette troisième hypothèse explicative ne va pas dans le sens
de l’hypothèse culturelle formulée par Salamon (2002) selon laquelle les instruments
conformes à la logique du marché ne seraient pas privilégiés dans le cadre des politiques de
l’ancien continent et par conséquent au sein de la politique climatique suisse.
Ainsi, et pour résumer, nous allons donc tenter dans le cadre de notre analyse explicative de
mettre en relation les (types d’)instruments de la politique climatique suisse (choisis) – et
donc les caractéristiques qui les définissent – en fonction du degré de complexité des acteurs
ciblés par ces derniers.
Aussi, si pour Quivy et Campenhoudt (2006), « les formes prises par la vie religieuse à un
moment donné sont intelligibles quand on les relie par exemple aux fonctions de la vie
237
religieuse au regard de la communauté concernée » (p. 85), nous pouvons à notre tour penser
que le choix des instruments politiques (de protection de l’environnement) à un moment
donné n’est pas intelligible sans qu’on les relie (notamment) à la complexité des acteurs-
cibles.
Cependant, ce facteur explicatif n’est sans aucun doute pas la seule variable explicative du
choix des (types) d’instruments289 ; c’est pourquoi nous proposerons dans le cadre de la
dernière partie de notre recherche d’analyser ce choix au travers d’un modèle « explicatif »
que nous avons nommé « système instrumental » et qui sera construit sur la base des
réflexions que nous avons menées tout au long de notre recherche.
Pour tenter d’infirmer ou de confirmer nos hypothèses de travail, nous allons respectivement
procéder comme suit.
Le travail d’analyse se fera essentiellement sur la base des sources primaires (la loi et ses
ordonnances), mais afin de niveler le niveau théorique des différents instruments compris
dans la législation (parfois définis avec précisions, parfois sans aucune précision), nous allons
recouper cette analyse avec différentes sources secondaires issues soit de l’administration
(rapports, communiqués de presse, site Internet, publications, etc.) ou de la littérature
spécialisée (articles, ouvrages, etc.).
Cette procédure nous permettra ainsi de mettre à jour l’éventail des différents instruments
concrets mis en œuvre dans le cadre de la politique climatique suisse.
289
Il est sans doute nécessaires mais sans aucun doute non suffisant pour expliquer le choix des instruments.
238
Dans le cadre de l’évaluation des politiques publiques, ces deux outils d’analyse servent
principalement à juger de la valeur d’un programme et de ses effets (Monnier, 1999, cf.
également Annexe 17). Néanmoins, en tant qu’outils génériques pouvant s’appliquer à
différents contextes d’utilisation, nous avons jugé pertinent de les associer à la méthode
idéaltypique (afin de d’objectiver cette dernière) en les combinant au sein d’une démarche que
nous avons nommé la méthode « pan-phi », terminologie issue de la contraction des outils du
panel d’expert et de l’enquête Delphi.
239
Comment le mettre en œuvre ?
La démarche consiste à interroger un petit groupe d’experts (environ six) à l’aide de
questionnaires successifs afin de faire apparaître des convergences et dégager un éventuel
consensus sans pour autant éliminer de l’analyse les différences. Les phases principales sont :
Etape 1 – Détermination et formulation des questions : Un soin particulier doit être porté au
choix et à la formulation des questions afin d’obtenir des informations utilisables. Dans le cas
qui nous occupe, il est nécessaire de définir les idéauxtypes d’instruments de manière simple
et relativement succincte afin que chaque expert comprenne (de manière identique) les
« fondamentaux » de l’analyse et puisse les « intérioriser ».
Etape 2 – Identification et sélection des experts : Ceux-ci doivent être des spécialistes
reconnus dans le domaine étudié, soit, pour ce qui nous concerne, de l’analyse des instruments
des politiques publiques (de protection de l’environnement), et être prêts à s’investir dans ce
type de démarche.
Etape 3 – Elaboration du premier questionnaire et envoi aux experts : Le premier
questionnaire doit contenir un rappel de la nature de l’étude ; il peut éventuellement
comprendre deux ou trois questions semi-ouvertes ou ouvertes. Dans le cas qui nous occupe,
le questionnaire sert principalement à faire mesurer le « degré de correspondance/différence »
de chaque instrument concret d’une politique publique par rapport à chacun des idéauxtypes
d’instruments (servant pour l’occasion d’étalons de mesure) via un système de notation
échelonné de 0 à 4.
Etape 4 – Analyse des réponses au premier questionnaire : Les réponses sont analysées afin de
déterminer la tendance générale (ou centrale) et les réponses « extrêmes ».
Etape 5 – Elaboration du deuxième questionnaire et envoi aux experts : A chaque expert
informé des résultats du premier tour, il est demandé, en cas de réponse initiale identifiée
comme extrême, de fournir une nouvelle réponse et de la justifier si elle s’écarte de la
tendance générale. Cette « confrontation » joue un rôle modérateur et facilite l’apparition de
convergence de points de vue. Si aucune convergence n’est trouvée, l’analyse n’en sera que
plus riche.
Etape 5 bis – Elaboration éventuelle des questionnaires suivants : Suite à l’analyse des
réponses du deuxième questionnaire, un troisième questionnaire peut être élaboré sur le même
modèle méthodologique que le deuxième questionnaire et envoyé aux experts (et ainsi de
suite). Le choix de continuer la démarche dépend principalement de la nature des réponses
obtenues aux deux premiers questionnaires (niveau de consensus des réponses, nombre de
réponses extrêmes maintenues et nature de l’argumentation déployée (demande de précision
par exemple), etc.).
Etape 6 – Synthèse de l’évaluation par le chercheur.
240
Aussi, ce type de démarche permet de mieux tenir compte des points de vue minoritaires et
offre la possibilité de mieux comprendre les éléments sur lesquels se fondent les avis
(divergents) d’experts.
Plus spécifiquement, la mesure de la variable types d’instruments par les experts s’établira sur
la base d’une notation qui consiste à évaluer290 le degré de similitude/différence entre les
instruments concrets de la politique climatique suisse et chacun des sept idéauxtypes
d’instruments que nous avons identifiés (intitulés pour l’occasion « dimensions », ou
« leviers/déterminants comportementaux »). De même, le niveau de complexité des acteurs
ciblés par ces instruments sera également évalué.
Rappelons ainsi avec Quivy et Campenhoudt (2006) qu’un « concept est bien plus qu’une
simple définition ou qu’une simple notion. Il implique une conception particulière de la réalité
étudiée, une manière de la considérer et de l’interroger » (p.86).
Notons enfin d’ores et déjà que les résultats du processus final seront représentés par des
diagrammes de type radar (ou toile d’araignée) et d’histogrammes construits sur la base des
moyennes des réponses du panel d’experts. Le détail de la procédure suivie et du traitement
réservé aux données vous seront livrés dans le cadre du chapitre 13 ci-après.
Dans le cadre d’une approche systémique, un système complexe (un système d’acteurs par
exemple) peut être défini à la fois par le nombre d’acteurs et leur niveau d’interaction. Ainsi,
plus il y a d’acteurs (de composantes du système) et plus les interactions entre eux sont
290
Néanmoins nous n’évaluons ici pas au sens de Weber : nous ne jugeons pas la réalité vis-à-vis d’un idéal
normatif mais nous notons la réalité vis-à-vis d’un concept idéel).
241
importantes, plus le système est considéré comme complexe. Ce sont donc le nombre de
composants et le niveau d’interaction (de relation) qui sont soulignés pour caractériser la
complexité.
Edgar Morin (1977, notamment cité par Guegen, 2001) – qui aborde la complexité en tant que
mode de réflexion sur les processus organisationnels en fonction de l’antagonisme ordre /
désordre – met quant à lui l’accent sur le principe dialogique de distinction - conjonction (ou
relations ago-antagonistes) qui permet la coexistence de logiques différentes de nature
concurrente ou complémentaire pour caractériser la complexité. Comme le remarque Genelot
(1992, également cité par Guegen, 2001), cette réunion de logiques antagonistes est présente
dans une même unité sans pour autant disparaître et la coexistence de logiques différentes est
ainsi considérée comme un phénomène caractéristique des systèmes complexes. Cette fois,
c’est la dimension des logiques différentes (et coexistantes) qui est mise en exergue pour
caractériser la complexité.
Par ailleurs, la notion de complexité est souvent également associée à la notion d’incertitude
dans la mesure où tout système est en soi un système d’échange d’information, ainsi qu’aux
notions de diversité et d’hétérogénéité des éléments le composant.
Duncan (1972, également cité par Guegen, 2001), par exemple, envisage la dimension
complexe de l'environnement en fonction du degré selon lequel les facteurs
environnementaux pris en considération dans une décision sont nombreux mais également
hétérogènes. Ces deux caractéristiques de la complexité sont respectivement associées par
Gueguen (2001) à une dimension quantitative pour le premier et à une dimension qualitative
pour le second. Par ailleurs, si Osborn (1976, également cité par Guegen, 2001), en
réfléchissant sur la complexité environnementale, estime qu'il existe différentes
interprétations possibles de la notion de complexité, celle-ci apparaît toutefois pour lui
étroitement liée à l'incertitude.
Tous ces éléments bien considérés, la variable degré de complexité des acteurs-cibles
comprise dans notre première hypothèse explicative (Hex1) – par le biais de laquelle nous
tentons de souligner une différence éventuelle dans le choix des types d’instruments
politiques en fonction du degré de complexité des acteurs auxquels ils sont destinés – sera
mesurée à l’aide des dimensions suivantes :
• dimension nombre (les acteurs sont-ils plus ou moins nombreux ?) ; étant entendu que
le degré de complexité croît de manière proportionnelle avec le nombre d’acteur ;
• dimension niveau d’interaction (les acteurs sont-ils plus ou moins en relation les uns
avec les autres ?) ; étant entendu que le degré de complexité croît de manière
proportionnelle avec leur niveau de relation ;
• dimension degré d’hétérogénéité (la logique d'action des acteurs est-elle identique
pour tous les acteurs ou différente ?) ; étant entendu que le degré de complexité croît
de manière proportionnelle avec leur degré d’hétérogénéité ;
242
• dimension niveau d’incertitude (la réponse comportementale des acteurs à
l'introduction de l'instrument est-elle prévisible ou incertaine ?) ; étant entendu que le
degré de complexité croît de manière proportionnelle avec leur niveau d’incertitude.
Il sera demandé au panel d’experts d’intégrer ces dimensions dans leur évaluation globale du
niveau de complexité des acteurs ciblés par les instruments de la politique climatique suisse.
Que ce soit dans le monde, en Europe, ou en Suisse, ces dernières années n’ont pas été
épargnées par les phénomènes météorologiques extrêmes. Inondations, précipitations
extrêmes, sécheresse, vagues de chaleur, incendies, avalanches, coulées de boues et tempêtes
font ainsi régulièrement les premières pages de notre presse quotidienne ou les premiers titres
de nos journaux télévisés.
A titre d’exemple, rappelons brièvement les tempêtes dévastatrices qui ont déferlé, à la fin du
mois de décembre 1999291, sur l’Europe de l’ouest et qui ont durement touché la France, la
Suisse et l’Autriche, les pluies torrentielles et les inondations catastrophiques d’août 2002 qui
se sont abattues sur le centre et l’est de l’Europe, notamment sur l’Allemagne, l’Autriche, la
République Tchèque, la Roumanie, la Russie et l’Italie ou la canicule exceptionnelle de l’été
2003 qui a frappé l’Europe292, et plus particulièrement la France, et les immenses incendies293
qui ont ravagé le Sud de la Californie en octobre de la même année.
Plus récemment pensons aux violentes intempéries d’août 2005 qui ont touché l’Europe
centrale et orientale294, frappant notamment la Suisse, en y ravageant plusieurs cantons et en y
tuant six personnes. Les montants des dégâts causés par ces crues sans précédents dans
l’histoire récente du pays se sont chiffrés à près de trois milliards de francs suisses.
Rappelons-nous également les conséquences du cyclone Katrina, notamment sur la Nouvelle
Orléan, inondée à 80%, qui pourrait être le cyclone le plus couteux de l’histoire américaine en
terme économique (75 milliards de dollars de dégâts évalués) et de vies humaines (plus de
1’000 morts).
Enfin, tout récemment, remémorons-nous la tempête de fin janvier 2009, nommée Klaus, qui
a fortement touché la France et le nord de l’Espagne, rasant près de 60% de la forêt des
Landes, perturbant le trafic SNCF et aériens, privant plus de 1.2 millions de foyers
d’électricité dans tout le sud-ouest et causant d’innombrables dégâts (estimés à plus de 1
milliard d’euros) ou les blizzards et les inondations du mois de mars 2009 qui ont touché le
Nord des Etats-Unis et notamment le Dakota.
291
Plus connues sous les noms d’ouragans Lothar (26 décembre) et Martin (27 et 28 décembre).
292
Qui permit à bon nombre de villes européennes de battre leur record historique de chaleur (le record
historique de chaleur ayant été battu en Suisse avec une température supérieure à 41°C mesurée par la station
météorologique grisonne de Grono le lundi 11 août 2003 ; le précédent record était de 39°C à Bâle en 1952)
293
Biomass Burning.
294
France, Allemagne, Suisse, Autriche, Bulgarie, République Tchèque, Slovaquie, Hongrie et Roumanie.
243
La nouvelle donne spatiale de ces événements extrêmes, qui se sont désormais expatriés au-
dehors de leurs frontières traditionnelles, et leur probable recrudescence depuis la dernière
moitié du XXe siècle, nous amène à croire qu’un phénomène anormal est en train de se passer.
Sur le plan politique, ils ont le mérite de donner une certaine visibilité à la problématique du
Changement Climatique et donc de permettre sa mise à l’ordre du jour de l’agenda politique.
La seconde hypothèse est aujourd’hui confirmée par les scientifiques qui voient ainsi dans ces
événements les probables témoins factuels du bouleversement climatique qu’ils annoncent
depuis de nombreuses années déjà et dont ils attribuent la cause aux activités humaines, ou,
plus spécifiquement, à l’augmentation de la concentration atmosphérique du dioxyde de
carbone (CO2) – principalement – mais aussi du méthane (CH4), du protoxyde d’azote (N2O)
et d’un certain nombre de substances, connues sous le terme de gaz synthétiques, qu’elles
produisent en des quantités croissantes (exponentielles) depuis le début de l’ère industrielle.
Cet état de fait traduit toute la complexité du système climatique, un système complexe en
équilibre dynamique qui varie sous l’effet de facteurs externes, comme les paramètres
astronomiques et l’activité solaire, et de facteurs internes tels que ceux liés à l’atmosphère,
l’hydrosphère, la cryosphère, la lithosphère et la biosphère295 (cf. Figure 23 ci-après).
Par ailleurs, et lorsque l’on s’intéresse aux modalités de régulation sociale, et plus
spécifiquement à l’intervention de l’Etat, en tant que moyen de palier (à la source) aux
conséquences néfastes du Changement Climatique, la complexité de la problématique n’en est
que plus grande. En effet, en termes de disciplines scientifiques, la dimension socio-
295
Au sein de laquelle nous incluons l’anthroposphère et son prolongement : la technosphère.
244
économique de la problématique climatique recoupe des domaines tels que la science
politique, l’économie, la psychologie mais également la sociologie, la démographie, l’histoire
et l’anthropologie pour ne citer qu’elles. Elle implique par ailleurs des questions d’ordre
éthique et, de manière plus générale, un questionnement des rapports de l’homme à son
environnement naturel et entre les hommes eux-mêmes (régulation sociale au sens large de la
notion).
245
l’une de l’autre, mais bien en interrelations étroites. Elles s’entrecroisent et se renforcent,
lorsqu’elles ne se confondent pas tout simplement.
Le fonctionnement du système climatique (et du système Terre dans son ensemble d’ailleurs)
dépend des relations intimes existantes entre la Vie et son environnement physico-chimique.
Cette vision globale et complexe du système Terre traduit ce que Vernadsky (1997/1926)
entend par la notion de Biosphère et ce à quoi Lovelock (2001) pense lorsqu’il attache à notre
planète, dans le cadre de sa « vision holistique » (p. 36), le doux nom de Gaïa.
La Biosphère, telle que la définit Vernadsky296, correspond ainsi à cette mince couche qui se
situe à la surface de la Géosphère, constituée par l'ensemble des écosystèmes, où la vie est
possible en permanence (Grinevald, 1990, 2002). Elle englobe la plus grande partie de
l'hydrosphère, une fine partie de la lithosphère297, ainsi que les basses couches de
l'atmosphère298. Selon l'approche énergétique et biogéochimique de Vernadsky, la Biosphère
ne représente donc pas uniquement l'ensemble des êtres vivants, ou la biomasse totale ou la
biote. Au contraire, elle pénètre la lithosphère, l'hydrosphère et l'atmosphère et en modifie
leur composition chimique.
le système écologique global intégrant tous les êtres vivants et les relations qu’ils tissent
entre eux, avec les éléments chimiques de la lithosphère (les roches), de l’hydrosphère
(l’eau) et de l’atmosphère (l’air), dans un métabolisme global qui transforme sans cesse la
surface de la Terre (Grinevald, 2002, p. 3).
Très schématiquement, une partie de l'énergie solaire entrant dans notre Système Terre est
convertie par l'activité photosynthétique en énergie biochimique qui va circuler dans les
écosystèmes par l’intermédiaire de la chaîne trophique pour être enfin décomposée en
matières minérales par les bactéries qui bouclent du même coup le cycle de la matière
(Duplessy, 1999, Lacoste et Salamon, 1999, Ramade, 1999).
Ainsi, l'énergie et la matière circulent dans le temps et l'espace, à l'échelle globale, tout en se
transformant.
296
Fondateur de l'étude quantitative et systématique des cycles biogéochimiques qui assurent le fonctionnement
de la Biosphère (biogéochimie) et considéré aujourd’hui comme le fondateur de l’écologie globale.
297
La pédosphère.
298
Par opposition, l'écosphère est plus étendue au niveau de chacun de ses compartiments physiques et la
Biosphère représente donc un sous-ensemble de l'écosphère dont elle constitue la partie la plus centrale.
299
Indispensables à la constitution de la matière vivante.
246
C'est cette circulation cyclique des éléments biogènes, par laquelle le vivant est connecté à
son environnement physico-chimique, qui caractérise les grands cycles biogéochimiques. Ces
cycles d’énergie-matière sont interconnectés à titre divers, fonctionnent de manière globale et
comportent toujours un passage alternatif des éléments entre milieu inorganique et minéral
qui permet le recyclage des éléments biogènes sans lequel les réserves minérales du sol
nécessaires au métabolisme des producteurs seraient rapidement épuisées.
Or, fait marquant, depuis que la Vie est apparue sur Terre, il y a de cela plus de 3,6 milliards
d’années, les cycles biogéochimiques qui mettent en relation les différentes sphères de notre
Système Terre ont régulé celui-ci de manière à maintenir des conditions favorables à la Vie
(notamment la température globale, via le système climatique) et ce malgré une modification
profonde (en coévolution) de leurs composants physico-chimiques300 et biologiques
(évolution des formes de vie sur Terre301). Durant ces quelques milliards d’années se sont
donc construits de grands équilibres dynamiques globaux qui lient la vie à son environnement
physico-chimique. Le cycle du carbone en est un des plus importants et l’histoire de la
concentration atmosphérique du dioxyde de carbone (CO2) – le principal gaz à effet de serre
(GES), qui participe au phénomène du même nom, phénomène qui détermine la température
moyenne de la terre302 et par conséquent son climat – est à ce titre l’exemple sans doute le
plus marquant.
300
Prenons l’exemple de l’atmosphère dont la composition initiale principalement faite d’azote et de dioxyde de
carbone est passée à la composition actuelle via une diminution de la concentration de dioxyde de carbone,
l’apparition puis l’augmentation de l’oxygène et une augmentation puis une diminution du méthane.
301
Rôle des bactéries fermenteurs et bactéries photosynthétiques notamment au début.
302
Effet de serre qui permet à la température de l’air près du sol d’atteindre environ 15 °C en moyenne et sans
lequel la Vie n’aurait tout simplement pas pu apparaître.
247
Aussi, comment ne pas supposer que ce « miracle » ne relève pas du simple hasard (lorsque
l’on sait que la concentration atmosphérique de CO2 dépend dans une large mesure de la Vie
elle-même303) et ne pas penser que le système Terre est un système dynamique, certes, mais
autorégulé par ses composantes. C’est d’ailleurs la présence de cette régulation de la
concentration atmosphérique de CO2, que Lovelock qualifie de « mécanisme de régulation
gaïen » (2001, p. 114), qui fait dire à ce dernier, dès 1979, que la Biosphère agit dans le but de
maintenir la Planète dans un état favorable à la Vie et que le Système Terre constitue ainsi un
système autorégulé que l’on peut comparer métaphoriquement à un être vivant dénommé Gaïa
(Lovelock, 1979, 2001).
C’est en ces termes que Lovelock définit l’hypothèse Gaïa, une hypothèse qui selon lui est
incontestablement confirmée par la présence du mécanisme gaïen de régulation du climat :
« l’histoire du climat de la Terre constitue l’un des arguments les plus irréfutables en faveur
de l’existence de Gaïa » (Lovelock, 1979, p. 39), souligne-t-il dans son ouvrage La terre est
un être vivant, l’hypothèse Gaïa.
Quant à nous, et sans aller jusqu’à la conception proactive de l’hypothèse Gaïa, nous ne
retiendrons de cette vision holistique du système Terre que son aspect complexe et bio-géo-
chimique ainsi que sa dynamique autorégulée, en soulignant, l’importance du cycle du
carbone. Or c’est bel et bien ce cycle bio-géo-chimique, et sa perturbation par les activités de
l’homme, qui sont éléments clés de la problématique du Changement Climatique.
Le carbone possède un cycle complexe qui, comme nous allons pouvoir le constater, est
aujourd’hui en train d’être perturbé par l’activité humaine (cf. Figure 25 ci-après).
Naturellement, le carbone est à la fois présent dans toutes les formes vivantes et dans de
nombreux composés inorganiques304 et les processus de transformation qui rythment son
cycle possèdent des échelles temporelles très variables305 (Villeneuve et Richard, 2001). Au
cours de son cycle, le carbone est ainsi amené à se retrouver, sous différents états (solide,
liquide et gazeux) et en plus ou moins grandes concentrations, dans l’une où l’autre des
parties de la Géosphère. Ces lieux, où le carbone est potentiellement disponible en grande
quantité, sous une forme stable, sont appelés réservoirs306.
303
A l’instar de Lovelock (2001), nous remarquerons également que la teneur en oxygène de l’atmosphère s’est
stabilisée à près de 21 % pendant plusieurs centaines de millions d’années et qu’elle est restée longtemps au-
dessus de 15 % et n’a sans doute jamais dépassé 25 %, seuils qui déterminent respectivement les limites de
l’ininflammabilité ou de la combustion spontanée, au-delà desquels la Vie aurait sans doute eu beaucoup de mal
à se développer !
304
Dont la plupart sont susceptibles de participer à des réactions chimiques très diverses.
305
Pouvant aller de plusieurs millions d’années à quelques secondes.
306
Pour caractériser les flux de carbone vers le réservoir atmosphérique en provenance de la biosphère, de
l’hydrosphère et de la lithosphère, les termes de sources et de puits sont utilisés. Ces deux termes mettent bien en
évidence le phénomène de circularité ou de boucle qui caractérise les cycles biogéochimiques. En termes
248
Figure 25 : The Carbon Cycle and Atmospheric Carbon Dioxide
Ainsi, les études ont montré que les concentrations de CO2 et de CH4 oscillent respectivement
environ entre 180 et 300 parties par millions (ppm) pour le CO2 et 320 et 790 parties par
milliards (ppb) pour le CH4 depuis plus de 640'000 ans. Les données les plus récentes
montrent même que la concentration de CO2 dans l’atmosphère sur la période
-430'000 à -640'000 n’a jamais été supérieur à la limite de 260 ppm (voire notamment la
première étude de Petit et al., 1999, puis, pour les données plus récentes, l’étude de
Siegenthaler et al., 2005).
Cette oscillation naturelle marque les périodes glaciaires et interglaciaires. Cependant, depuis
le début de l’aire industrielle et plus spécifiquement depuis la fin du XIXe siècle, les
concentrations atmosphériques de CO2, de CH4 et de N2O ont explosé pour suivre une courbe
exponentielle (cf. Figures 26 et 27 ci-après).
La concentration atmosphérique mondiale du méthane (CH4) est quant à elle passée de 715
ppb à l’époque préindustrielle pour atteindre 1774 ppb en 2005. Ce dernier niveau dépasse de
loin les variations naturelles de la concentration atmosphérique de ce gaz sur les 650’000
dernières années déduites des carottes de glace (variation entre 320 et 790 ppb) (GIEC,
2007a1).
systémiques, nous pourrions parler d’input et d’output, sachant que les sources de carbone ont pour résultat net
d’augmenter la concentration atmosphérique du carbone alors que les puits ont pour résultat l’effet contraire (en
d’autres termes, ce qui rentre dans le réservoir atmosphérique (input) provient des sources et ce qui en sort
(output) va alimenter les puits).
249
Enfin, la concentration atmosphérique d’oxyde nitreux (N2O) a atteint 319 ppb en 2005 pour
une valeur de 270 ppb à l’époque préindustrielle. (GIEC, 2007a1). Le niveau atteint en 2005
n’a pas été dépassé depuis au moins un millénaire (GIEX, 2001c).
Variations de la concentration de deutérium (δD) dans les glaces de l’Antarctique (indicateur représentatif de la
température locale) ; et concentrations atmosphériques des gaz à effet de serre dioxyde de carbone (CO2),
méthane (CH4) et protoxyde d’azote (N2O) dans l’air encapsulé au cœur de la glace et provenant de mesures
atmosphériques récentes. Les données couvrent 650 000 années et les bandes grisées indiquent les périodes
chaudes interglaciaires actuelles et passées.
Source : reproduit de GIEC (2007a2, p.24).
Figure 27 : Évolution des gaz à effet de serre tirée de données obtenues à partir des carottes
de glace et de mesures récentes
Concentrations atmosphériques de dioxyde de carbone, de méthane et d’oxyde nitreux durant les 10’000
dernières années (grands panneaux) et depuis 1750 (inserts). Les mesures sont déduites des carottes de glace
(symboles de couleurs différentes pour diverses études) et d’échantillons atmosphériques (lignes rouges). Les
forçages radiatifs correspondants sont indiqués sur les axes à la droite des grands panneaux.
Source : reproduit de GIEC (2007a1, p.3)
250
Aussi devons-nous nous demander quelle est la cause de cette brutale augmentation de la
concentration atmosphérique des GES ? A cette question, les experts du climat répondent sans
ambiguïté que ce sont les activités humaines, principalement la combustion des énergies
fossiles et, dans une moindre mesure, les changements de l’affectation des terres
(déforestation), qui sont les principales responsables – au niveau mondial – de l’augmentation
rapide des concentrations atmosphériques de CO2 (GIEC, 2007a1). De même, plus du tiers
des émissions d’oxyde nitreux provient des activités humaines et essentiellement de
l’agriculture. Enfin, et toujours selon ces experts, « il est très probable que l’augmentation
observée de la concentration de méthane soit d’origine humaine, provenant essentiellement de
l’agriculture et de l’utilisation des combustibles fossiles ; cependant, la contribution exacte de
chaque source n’est pas bien déterminée. » (GIEC, 2007a1, p. 3)
Toute influence de l’homme sur le climat se superpose au bruit de fond représenté par sa
variabilité naturelle. Aussi, les études scientifiques s’efforcent d’établir une distinction entre
les influences naturelles du climat (les changements climatiques) de celles qui relèvent de
l’homme (le changement climatique)… et montrent qu’il existe une influence perceptible de
l’homme sur le climat global.
Les principales causes externes sont d’une part les paramètres astronomiques et, d’autre part,
l’activité solaire, dont les fluctuations ont une incidence sur la quantité d’énergie solaire
entrant dans l’atmosphère et donc par répercussion sur la température de l’atmosphère et le
climat de la Terre (Berger, 1992; voir également Jancovici, 2001a, Villeneuve et Richard,
2001).
Les paramètres astronomiques (ou orbitaux) qui influencent le climat sont les phénomènes
d’orbite elliptique (ou excentricité orbitale), d’écliptique (ou obliquité axiale) et de précession
des équinoxes (cf. Annexe 18). Les modifications de ces paramètres – dont les périodicités
sont respectivement de 95'000, 41'000 et 21'000 ans environ – s'accompagnent d’une
fluctuation de l'énergie solaire interceptée par la Terre qui fixe notamment les conditions de
251
température permettant la formation ou la destruction des calottes glaciaires (ères glaciaires et
périodes interglaciaires)307.
L'activité solaire semble quant à elle également avoir des répercussions sur les variations
climatiques. En effet, les fluctuations de la constante solaire –qui varie en fonction du nombre
de taches solaires mais également des régions actives à la surface du Soleil et de son activité
magnétique – constituent un des forçages externes du système climatique :
il n’est donc pas improbable que l’activité solaire puisse influencer directement le climat
via une variation, si faible soit-elle, de la constante solaire. Les modèles de bilan
énergétique zonal montrent, en effet, que tout changement de 1 % dans la valeur de la
constante solaire change la température d’équilibre de l’air en surface de 0.6 °C. (Berger,
1992, p. 102).
Du côté des principales causes internes nous trouvons les éruptions volcaniques et le
fonctionnement des océans.
En effet, les premières peuvent modifier le climat à une échelle locale ou globale durant une
période déterminée (Berger, 1992; voir également Kandel et Fouquart, 1999). Plusieurs études
montrent ainsi que les éruptions qui produisent une quantité importante d’aérosols ont
tendance à être suivies d’un refroidissement de quelques degrés Celsius une année ou deux
après leur déclenchement308. Cependant, ce phénomène est limité dans le temps et ne dure que
de un à trois ans. Notons qu'une grande éruption volcanique telle que celle du Pinatubo, du
Mt. St. Helens ou du El Chichon injecte des millions de tonnes de poussières dans
l'atmosphère contribuant ainsi à modifier la température sur l’ensemble de la planète.
Enfin, les océans sont des composants essentiels du système climatique et jouent un rôle très
important dans la problématique du Changement Climatique (GIEC, 1997a ; voir également
Villeneuve et Richard, 2001) : ils constituent d’abord un vaste réservoir de carbone et
continueront, jusqu'à un certain point, à assurer cette fonction dans l'avenir et ils tiennent
ensuite un rôle important dans le processus d’interaction avec l’atmosphère, les courants
océaniques, c’est-à-dire la circulation de masses d’eau chaude et d’eau froide, agissant sur
l’air.
Le système océanique fonctionne ainsi comme l’un des plus importants modulateurs du climat
et des changements dans le transport de chaleur océanique peuvent avoir un effet significatif
sur le climat de certaines régions en refroidissant ou en réchauffant provisoirement certaines
zones. Une perturbation des courants océaniques peut en effet engendrer à court terme de
grands changements climatiques.
Une coupure de la formation des eaux profondes, par exemple, peut avoir des répercussions
sur toute la circulation océanique et, par conséquent, agir sur l'atmosphère à travers les
échanges entre l’océan et l’air sus-jacent. L'exemple du phénomène quasi-cyclique El Niño
Southern Oscillation (ENSO) en est une bonne illustration (cf. Encadré 16 ci-après).
307
Cependant, pour les 10'000 années à venir, peu de modifications de l’énergie entrant dans le Système Terre en
relation avec ces phénomènes astronomiques sont à attendre. Notons toutefois que les conditions astronomiques
favorables à la reconstruction des glaciers ne seront pas réunies dans les 50'000 prochaines années.
308
Les émissions volcaniques émettent une certaine quantité d’aérosols qui font partiellement écran à l’énergie
solaire et refroidissent l'atmosphère
252
Encadré 16 : El Niño Southern Oscillation (ENSO)
ENSO est un phénomène quasi-cyclique dans le temps, d’une durée de 12 à 22 mois, et d’une intensité variable.
C'est un phénomène naturel très complexe qui résulte de la rencontre entre des courants chauds d’Australie et
des courants froids venant des pôles. Il se caractérise par une renverse des courants atmosphériques et
océaniques dans cette région : près de 35 % du Pacifique se réchauffe et contribue à modifier sensiblement les
flux vers l'atmosphère globale. ENSO se déplace le long de l’équateur en direction de l’Amérique du Sud et
notamment du Pérou où il influence le désert de l’Atacama, appelé le « désert en fleur », en y amenant des
précipitations.
Lors des années ENSO, nous pouvons constater des répercussions sur le climat du Pérou, de la Californie, du
Panama, en Indonésie, en Afrique de l’Est et en Afrique centrale. Nous savons même, aujourd’hui, qu’ENSO
se répercute dans l’océan Atlantique.
Notons qu'ENSO a pris une tournure beaucoup plus forte après les années 70. Il semble que ce changement
d'intensité est lié au CC, une température plus élevée induisant une variabilité plus forte d'ENSO et une
augmentation des précipitations.
Source : Berger, 1992, Tourre, 1999a ; voir également Villeneuve et Richard, 2001
Ces gaz, comme nous l’avons déjà souligné, constituent ce que l’on appelle des gaz à effet de
serre (GES), gaz qui participent au mécanisme du même nom : le mécanisme de l’effet de
serre.
Le CO2, le CH4 et le N2O, mais aussi la vapeur d’eau (H2O) et l’ozone (O3), sont
naturellement présents dans l’atmosphère, alors que certains gaz – notamment les
chlorofluorocarbures (CFCs), les hydrofluorocarbures (HFCs), les perfluorocarbures (PFCs)
et l’hexafluorure de soufre (SF6)309 – ne doivent leur présence qu’à la seule activité de
l’homme (voir Berger, 1992, Jancovici, 2002, Villeneuve et Richard, 2001). L’ensemble de
ces gaz possède la propriété d’absorber le rayonnement thermique infrarouge réfléchi par la
terre et contribuent donc à (ré)chauffer la surface de la Terre, à l’image de ce qui se passe
dans une serre (cf. Figure 28 ci-après).
309
Les gaz synthétiques, que l’on peut également qualifier de « gaz industriels » par opposition aux gaz présents
naturellement dans l’atmosphère.
310
Egalement qualifié d’effet de serre additionnel puisqu’il vient s’ajouter à l’effet de serre naturel.
253
Figure 28 : Représentation simplifiée de l’effet de serre naturel
254
Encadré 17 : Bref historique de la relation homme-nature : la révolution industrielle, un
tournant
Les rapports entre l’homme et son environnement naturel ont fondamentalement changé au cours des
millénaires. A l’aube des temps, la civilisation dite archaïque dépend surtout de la cueillette, de la chasse et de
la pêche. Elle vit en perpétuelle dépendance avec l’environnement naturel. Puis vers 10’000 avant J.-C., avec
l’apparition de la société agricole, les hommes commencent à apprivoiser, à maîtriser peu à peu la terre.
Les relations entre ces derniers et l’environnement naturel s’en voient complètement et irréversiblement
changées, la terre devenant une ressource d’exploitation naturelle pour l’homme. Cependant, cette relation reste
dans les limites fixées par la nature (cycles saisonniers notamment).
Mais c’est vraiment avec le début de l’ère industrielle (et de l’esprit capitaliste) que les relations homme-nature
se modifient profondément, marquant ainsi un tournant dans l’organisation de la société occidentale caractérisée
par la croissance économique, démographique et sociale.
En effet, le développement industriel capitaliste s’octroie le pouvoir d’influencer et d’impliquer tous les êtres
humains partout dans le monde et transforme par la même occasion les rapports qui les lient à leur
environnement naturel. S’en suit l’exploitation systématique des richesses naturelles, notamment des ressources
énergétiques fossiles (charbon, gaz et pétrole), et la production sans limite de déchets de toutes sortes. Ce
processus de détérioration et d'exploitation, qui remet en cause les grands équilibres naturels globaux, s’est
accéléré durant le XXe siècle avec la conviction générale que les ressources naturelles de la planète étaient
entièrement inépuisables et que la capacité de résilience (capacité d'un système à rester en oscillation autour
d'une norme, d'être en équilibre dynamique et stable (homéostasie)) de la Biosphère était sans limite.
Cette empreinte anthropique, que la société occidentale, plus que toute autre société, est en train de déposer sur
l'ensemble de la Biosphère en bouleversant les grands équilibres biogéochimiques du Système Terre a fait
rentrer l'humanité dans une ère nouvelle que nous pourrions qualifier, en empruntant la terminologie de
l’International Geosphere-Biosphere Programme (IGPB), « d'ère anthropocène » (2001, p. 11).
Cette nouvelle ère, à laquelle nous pouvons associer l’ère atomique et biologique, qui ont rendu possible une
intervention sur la matière vivante jusqu’à des limites extrêmes, redéfinit les rapports entre l’homme et la nature
en terme d’autolimitation et donc… d’autorégulation.
Source : IGPB (2001), Grinevald (2002) et Prades (1995).
Ce n'est qu'au début des années 90 que la controverse sur les changements climatiques devient
extrêmement publique et les débats sur le sujet quelque peu acrimonieux au sein de la
communauté scientifique américaine. Cette fois-ci, c’est un court rapport publié à la fin de
l’année 1989 par le George C. Marshall Institute de Washington qui est alors au centre de la
controverse. Ce rapport n’écarte pas d’office l’hypothèse d’un réchauffement global mais
255
soutient que les incertitudes entourant les projections des modèles climatiques pour une
augmentation des concentrations atmosphériques de CO2 sont si importantes que le
réchauffement atmosphérique ne pourrait pas exister311. Ce rapport suggère aussi que le
réchauffement de 0.5 °C observé sur le globe au cours du dernier siècle pourrait bien être
entièrement lié à la fin de la période froide anormale du XIXe siècle. Nous pouvons également
y lire que le Petit Age Glaciaire serait le résultat d’une activité solaire diminuée et que cela
pourrait se reproduire au XXIe siècle. Le rapport déclare enfin que les prévisions actuelles ne
paraissent pas suffisamment précises pour servir de fondement à une saine décision en matière
de politique nationale et suggère un investissement de 1'000 millions de dollars pour l’achat
d’un Superordinateur qui devrait permettre d’aider à fournir l’information nécessaire.
311
Notons que si les critiques formulées dans le rapport Marshall concernant les incertitudes sont justifiées, elles
ne sont pas nouvelles et les experts en la matière sont les premiers à en débattre au sein de la communauté
scientifique. De plus, le rapport oublie que l’incertitude existe dans les deux sens, c’est-à-dire que l’impact sur le
climat pourrait tout aussi bien être plus important que ce que nous soupçonnons.
312
Pour rappel, le GIEC est constitué d’un panel d’experts qui synthétise l’ensemble des recherches de nature
scientifique sur le climat au niveau mondial.
313
Expert reconnu en dynamique atmosphérique qui a critiqué publiquement les modèles parce qu’ils ne traitent
pas de façon adéquate du rôle de la convection profonde des nuages tropicaux comme rétroaction négative
314
Consensus exprimé par le Premier Rapport d'évaluation du GIEC (1990) qui peut être résumé de la manière
suivante. Il est reconnu par l’ensemble de la communauté scientifique internationale que, depuis la Révolution
industrielle, la concentration de GES dans l’atmosphère a rapidement augmenté, contribuant ainsi à renforcer
l’effet de serre naturel. Il en découle une augmentation de la température moyenne globale qui va induire des
impacts sur les systèmes environnementaux et socio-économiques. Cette augmentation de la concentration des
GES est imputable pour une partie (qu’il reste à définir) aux activités humaines, notamment à la combustion des
énergies fossiles. Il en résulte que l’homme est responsable de ce que nous pouvons appeler l’effet de serre
d’origine anthropique.
256
Cependant, les dernières études ont montré, dès 1995, date de la parution du Deuxième
Rapport d'évaluation du GIEC, qu’il existe bel et bien un effet discernable de l’Homme sur le
climat315. Néanmoins, les conclusions de ce rapport restent niées par quelques scientifiques
qui contestent notamment ses bases statistiques et la validité des modèles utilisés pour simuler
les effets anthropiques. Toutefois, les Troisième et Quatrième Rapports d'évaluation du GIEC
(2001, 2007) tendent à confirmer les prévisions d’un réchauffement climatique d'origine
anthropique. Selon ces rapports, le climat mondial est bel et bien en train de se réchauffer et
ce sont surtout les émissions de GES produites par l’activité humaine qui contribuent au
phénomène :
Des preuves plus récentes et plus concluantes permettent de dire que la majeure partie du
réchauffement observé au cours des cinquante dernières années est imputable aux
activités humaines. Il est peu probable que l’origine du réchauffement observé au cours
du XXe siècle soit complètement naturelle. […] Même si l’on tient compte des
incertitudes qui subsistent, les nouvelles données dont on dispose permettent de dire que
la majeure partie du réchauffement observé au cours des cinquante dernières années est
due probablement à l’augmentation des concentrations de gaz à effet de serre. (GIEC,
2001, p. 55)
Or, aujourd'hui encore subsiste une controverse sur le réchauffement climatique et notamment
sur le rôle joué par l'être humain dans ce processus. Cependant, celle-ci s’est réorientée sur
des chemins plus médiatiques et politiques que scientifiques.
Certains ouvrages (ou parties d’ouvrages) très médiatisés, comme par exemples ceux de
l’ingénieur Yves Lenoir (2001), Climat de panique316, du politicien et géochimiste Claude
Allègre (2007), Ma vérité sur la planète, ou encore du politologue danois, Bjorn Lomborg
(2001), l’écologiste sceptique317 remettent ainsi en cause le réchauffement climatique
d’origine anthropique.
315
Ainsi, la conclusion la plus remarquée du Deuxième Rapport d'évaluation de l’IPCC souligne qu’« un
faisceau d’éléments suggère qu’il y a une influence perceptible de l’homme sur le climat global » (GIEC, 1995,
p. 22)
316
Qui a pour sous titre évocateur la phrase suivante : « enfin un livre écologique qui vous démontre le contraire
de ce que l’on vous fait croire : il n’y à pas de réchauffement général de la planète, les changements climatiques
doivent peu à l’effet de serre, qui est indispensable à la vie sur Terre » (page de couverture)
317
Qui a pour titre original (en danois) : Verdens Sande Tilstand, soit littéralement L'état véritable du monde. La
version danoise a été publiée en 1998 et la version anglaise en 2001 par Cambridge University Press.
257
Dans tous les cas, si cette controverse devait montrer une seule chose, c’est bien la complexité
de la problématique du changement climatique.
Par ailleurs comme il s’agit d’un système naturel et global sur lequel il n’est pas envisageable
de faire d’expérience (méthode expérimentale), la seule méthode pour établir des
« certitudes » relatives à son mode de fonctionnement et notamment aux réponses qu’il
apporte à des variations (par exemple l’augmentation des concentrations de GES) consiste dès
lors à le modéliser (cf. Encadré 18 ci-dessous), et, immanquablement, à faire usage
d’hypothèses (par nature contestables), par exemple sur des processus encore mal ou peu
connus (comme ceux liés au cycle de l’eau) ou sur l’évolution future de différents paramètres
(comme les émissions futures de GES) pour tenter d’établir des prévisions.
258
Les prévisions relatives au comportement futur du système climatique sont donc
fondamentalement confrontées à la théorie du chaos, qui se traduit notamment par la présence
de l’effet papillon318, effet qui fût vulgarisé par Lorenz (1995) lors d’une conférence donnée
en 1972 et intitulée « Un battement d'aile de papillon au Brésil peut-il déclencher une tornade
au Texas ? ».
Par conséquent il est dès lors impossible de dégager des certitudes sur les questions relatives à
la problématique du Changement Climatique comme par exemple sur la part de responsabilité
humaine dans le réchauffement planétaire ou sur les prévisions futures. De telles affirmations
ne peuvent dès lors que se comprendre dans un cadre général dressé par un « traitement de
l’incertitude » (GIEC, 2008, p. 27), qui s’exprime en termes de degrés de confiance, de
concordance, d’évidence, de probabilité, etc.
Aussi, et comme nous l’avons déjà souligné dans le chapitre précédent, la communauté
scientifique internationale est, en ce début de XXIe siècle, capable d’affirmer que « l’essentiel
de l’élévation de la température moyenne du globe observée depuis le milieu du XXe siècle
est très probablement attribuable à la hausse des concentrations de GES anthropiques »
(GIEC, 2008, pp. 39-40, cf. Figure 29 ci-dessous)
Figure 29 : Évolution des températures aux échelles mondiale et continentale
Comparaison des variations de la température en surface observées à l’échelle du globe avec les résultats
simulés par des modèles climatiques intégrant les forçages naturels seulement ou les forçages naturels et
anthropiques. Les moyennes décennales des observations effectuées de 1906 à 2005 (ligne en noir) sont
reportées au milieu de chaque décennie en comparaison de la moyenne correspondante pour la période 1901-
1950. Les lignes en pointillé signalent une couverture spatiale inférieure à 50 %. Les bandes ombrées en bleu
indiquent la fourchette comprise entre 5 et 95 % de 19 simulations issues de 5 modèles climatiques qui ne
considèrent que les forçages naturels produits par l’activité solaire et volcanique. Les bandes ombrées en rouge
représentent la fourchette comprise entre 5 et 95 % de 58 simulations obtenues avec 14 modèles climatiques
tenant compte des forçages naturels et anthropiques.
Source : reproduit de GIEC (2007a1, p. 11)
Par ailleurs, et concernant le domaine des prévisions, les experts de l’Intergovernmental Panel
on Climate Change (GIEC, 2007a1) prévoient notamment une augmentation de la température
moyenne de la Terre pour la fin du XXIe siècle comprise entre 1.8 et 4 °C319 selon les
scénarios d’émissions de GES utilisés et par rapport à la fin du XXe siècle (cf. Figure 30 ci-
après).
318
Une métaphore utilisée pour illustrer l’importance de la sensibilité d’un système complexe aux conditions
initiales en théorie du chaos.
319
Valeurs minimum et maximum les plus probables ; valeurs avec intervalle : 1.1-2.9 à 2.4-6.4 °C.
259
Figure 30 : Moyennes des multi-modèles et fourchettes estimées du réchauffement en surface
Les lignes en traits pleins correspondent à des moyennes globales multi-modèles du réchauffement en surface
(relatif à 1980-1999) pour les scénarios A2, A1B et B1, indiqués comme le prolongement des simulations du
XXe siècle. Les zones ombrées matérialisent les écarts types de ±1 des moyennes annuelles pour les différents
modèles. La ligne orange représente l’expérience au cours de laquelle les concentrations ont été maintenues
constantes par rapport aux valeurs de 2000. Les barres grises sur la droite représentent les meilleures
estimations (ligne solide à l’intérieur de chaque barre) et l’étendue probable évaluée pour les six scénarios du
RSSE. L’évaluation de la meilleure estimation et des fourchettes probables dans les barres grises inclut les
nombres d’AOGCM figurant à gauche de la figure, ainsi que les résultats obtenus d’une hiérarchie de modèles
indépendants et de contraintes d’observation.
Source : reproduit de GIEC (2007a1, p14)
Pour fixer les idées et comprendre l’ampleur d’une augmentation de quelques degrés
centigrades en moyenne, relevons que lors du dernier maximum glacière, il y a environ 18'000
ans, les glaces recouvraient le nord de l’Europe et de l’Amérique jusqu’à Londres et New-
York, et la température moyenne à la surface de la Terre n’était alors inférieure que de 4 à
5 °C à sa valeur actuelle (Berger, 1992).
Mais plus alarmant encore est la vitesse à laquelle cette modification de la température
globale va avoir lieu car bien des systèmes – qu’ils soient environnementaux, sociaux ou
économiques – ne vont pas avoir le temps de s’adapter. Ainsi, si les prévisions du GIEC
s’avèrent justes, et la grande majorité de la communauté scientifique internationale est de cet
avis, il est à prévoir qu’au cours du XXIe siècle des impacts considérables sur les différents
systèmes qui composent notre planète se fassent sentir.
11.5.1 Les conséquences : les changements climatiques observés et les effets constatés
Le réchauffement du système climatique est sans équivoque. On note déjà, à l’échelle du
globe, une hausse des températures moyennes de l’atmosphère et de l’océan, une fonte
massive de la neige et de la glace et une élévation du niveau moyen de la mer. (GIEC,
2008, p. 2)
260
Dans le monde, l’augmentation de la température moyenne – augmentation de 0.74 °C entre
1906 et 2005 – et certains effets du Changement Climatique sont donc déjà perceptibles
(GIEC, 2007a1, 2008).
Sur les douze années les plus chaudes depuis 1850 (depuis que des enregistrements de la
température de surface sont disponibles), onze se situent entre 1995 et 2006 et la vitesse
moyenne du réchauffement au cours des cinquante dernières années (0.13 °C par décennie) a
pratiquement doublé par rapport à celle des cent dernières années.
entre 1900 et 2005, les précipitations ont fortement augmenté dans l’est de l’Amérique du
Nord et du Sud, dans le nord de l’Europe et dans le nord et le centre de l’Asie, tandis
qu’elles diminuaient au Sahel, en Méditerranée, en Afrique australe et dans une partie de
l’Asie du Sud. Il est probable que la sécheresse a progressé à l’échelle du globe depuis les
années 1970.
Il est très probable que les journées froides, les nuits froides et le gel ont été moins
fréquents sur la plus grande partie des terres émergées depuis cinquante ans et que le
nombre de journées chaudes et de nuits chaudes a au contraire augmenté. De plus, la
fréquence des phénomènes ci-après s’est probablement accrue : vagues de chaleur sur la
majeure partie des terres émergées, fortes précipitations dans la plupart des régions et,
depuis 1975, élévations extrêmes du niveau de la mer dans le monde entier
Enfin, les observations effectuées montrent également que les changements climatiques
régionaux et en particulier par la hausse des températures ont déjà touché un grand
nombre de systèmes naturels sur l’ensemble des continents et dans la plupart des
océans :
On peut [ainsi] affirmer avec un degré de confiance élevé que les changements intervenus
dans le manteau neigeux, les glaces et le gélisol se sont traduits par une multiplication et
une extension des lacs glaciaires, une instabilité accrue des sols dans les régions
montagneuses et d’autres zones à pergélisol et des modifications de certains écosystèmes
en Arctique et en Antarctique.
320
Principalement sous l’effet de la dilatation thermique, mais également à cause de la fonte des glaciers, des
calottes glaciaires et des nappes glaciaires polaires ; depuis 1993, on estime que l’élévation du niveau de la mer
est imputable à la dilatation thermique des océans pour environ 57 % et à la fonte des glaciers et des calottes
glaciaires pour environ 28 % (le reste étant dû à la rétraction des nappes glaciaires polaires).
261
structure thermique et de la qualité de l’eau due au réchauffement des lacs et des rivières
(degré de confiance élevé).
Mais, sur le plus long terme, ces multiples incidences du Changement Climatique seront
probablement exacerbées et iront en s’accélérant.
Prenons l’exemple de la Suisse pour illustrer ces (futurs) bouleversements. Réunis à Berne à
la fin de l’année 2000, lors d’une journée de présentation du Troisième Rapport d'évaluation
du GIEC (2001), les experts suisses qui travaillent sur le Changement Climatique ont exposé
certaines implications probables du réchauffement climatique en Suisse (OFEFP, 2000b). Le
premier constat relevé par le groupe d'experts est le fait que le réchauffement dans les Alpes
pourrait être plus important que le réchauffement global moyen et qu'il se fera surtout sentir
pendant le semestre d'hiver321. Divers secteurs économiques, principalement le tourisme
hivernal et l'hydroélectricité, en subiront directement les conséquences.
Et si, certains effets du Changement Climatique sont déjà perceptibles dans notre
environnement naturel et construit (OFEFP, 2000b), telle que la diminution de la couverture
neigeuse, le recul des glaciers alpins et l’augmentation de la fréquence de fortes précipitations
qui affectent ainsi déjà notre pays, ces phénomènes devraient être accentués par l'évolution
rapide du climat. Par exemple, d'ici la fin du siècle prochain, les glaciers suisses pourraient
perdre jusqu'à trois quarts de leur superficie et près de 90 % de leur volume (OFS, 1999, p.
17).
321
Cette tendance qui prévoit une élévation de la température plus rapide en Suisse par rapport à la moyenne
mondiale est d’ailleurs confirmée par les données déjà accumulées au cours du XXe siècle (OFEFP, 2002d, p. 3).
En effet, en Suisse, depuis 1970, la température moyenne a augmenté de 1.5 °C, alors qu’à l’échelle de la
planète, cette hausse a été de 0.5 °C.
262
Enfin, d’autres impacts découlant directement ou indirectement d’une augmentation de la
température moyenne en Suisse sont encore à envisager (OFS, 1999 ; OcCC, 2002). Sont
notamment à prévoir des impacts négatifs sur la végétation (notamment la forêt), sur
l’agriculture et la sylviculture, sur le phénomène des avalanches et des laves torrentielles, sur
la fréquence des événements extrêmes tels que les tempêtes, les crues, les torrents et les
coulées de boues, ou bien encore sur l'extension du domaine habitable de certains parasites et
agents pathogènes et sur les mécanismes d’assurance et de réassurance dans le cas des
catastrophes naturelles.
322
Durée de vie des GES dans l’atmosphère : 50 à 200 ans pour le CO2, 12 ans pour le CH4 et 114 ans pour le
N2O.
263
réchauffement climatique peuvent avoir des effets pervers (ou vertueux) sur le système
climatique en lui-même ou via les systèmes sociaux et économiques ;
Pour illustrer ces différents facteurs, prenons l’exemple des conséquences du réchauffement
climatique sur la forêt (Perret 2002, faisant notamment référence à Berger, 1992, GIEC, 1995,
1997b, 2001c et Rebetez, 1999).
Notons qu'au début, suite à une mortalité importante des arbres, les émissions de carbone
seraient plus grandes que leur absorption, accentuant par la même occasion l'effet de serre,
ceci jusqu'à l'établissement d'un nouvel équilibre entre taux de mortalité et taux de croissance
(effets d’interrelations, effets pervers).
Par ailleurs, nous pouvons également nous imaginer que de telles modifications pourraient
également avoir d’autres conséquences environnementales, par exemple sur les espèces
323
Aussi bien en latitude qu'en altitude.
324
A titre de comparaison, on estime que la migration des espèces d'arbres s'est produite dans le passé à une
vitesse de 4 à 200 km par siècle selon les espèces et l'ampleur des modifications climatiques.
264
animales et végétales intimement liées à la forêt, ou sociales, par exemple sur l’économie
forestière et, par répercussion, sur les modes de chauffage (effets d’interrelations).
Notons enfin que les pays industrialisés devraient pourvoir s’adapter sans trop de difficultés
(mais avec un coût certain) à de telles modifications, ce qui n’est pas le cas des pays en voie
de développement qui subissent les conséquences du changement climatique de manière
exacerbée (effets différenciés), notamment car elles viennent s’additionner à des problèmes
socio-économiques déjà présents (tels que la déforestation par exemple, ou la guerre, le
manque de ressources en eau, etc.).
11.6 Des émissions de GES aux multiples secteurs d’activités responsables : le cas de
la Suisse
Mais revenons quelque peu aux « responsables » du Changement Climatique. En Suisse, qui
sont-ils ?, sont-ils nombreux ? et qu’émettent-ils ?
Sur la base de l’inventaire des gaz à effet de serre en Suisse (OFEV, 2008a, cf. Annexe 16
pour certaines précisions), nous pouvons constater qu’en 2006 trois secteurs d’activité sont à
eux seuls responsables de plus des trois quart des émissions nationales de GES (cf. Figure 31
ci-dessous) : les transports (30.1 %), les ménages (21.6 %) et l’industrie (26.2 %). Suivent les
secteurs de l’agriculture (11 %), des services & commerces (9.8 %) et des déchets (1.3 %).
60
50
40
Déchets, chiffre 2006 : 1.3%
10
0
1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006
265
Miot d’équivalent CO2 en 1990 à 16.01 Miot en 2006, soit une augmentation d’environ 8 %.
Les émissions du secteur de l’industrie ont suivi la même tendance (+4.78 %).
A l’inverse, les émissions dues au secteur des déchets ont fortement diminué, passant de
1.03 Miot en 1990 à 0.70 Miot en 2006, soit une diminution de plus de 32 %. Les secteurs
agricole (-10.23 %), des services & commerces (-2.87 %) et des ménages (-2.34 %) ont suivi
la même tendance durant cette période.
Il est néanmoins intéressant de relever que parmi les 45.56 millions de tonnes de CO2 émises
en Suisse durant l’année 2006, 94.8 % provenaient de la combustion d’énergie fossile.
D’ailleurs, nous pouvons noter que depuis 1990, la combustion des énergies fossiles
représente en moyenne 94.4 % des émissions annuelles nationales de CO2.
En 2006, la part des émissions de CH4 de ces deux secteurs d’activité s’élevait respectivement
à 79.6 % et 12.01 %. Plus spécifiquement, nous pouvons relever que ce sont le bétail (pour le
secteur agricole) et les décharges (pour le secteur des déchets) qui sont les sources principales
des émissions nationales de CH4, avec respectivement 65.10 % et 8.21 % des émissions à leur
actif en 2006, soit plus des trois quarts des émissions totales de méthane.
Nous noterons tout de même une certaine diminution des émissions de CH4 depuis 1990 qui
se chiffre à -19.10 % en 2006 (diminution de plus de 43 % pour les déchets et de plus de 7 %
pour l’agriculture).
Relevons cependant que les émissions de N2O dues à l’agriculture ont diminué de -13.52 %
depuis 1990 (-10.02 % pour l’engrais et -14.23 % pour les sols agricoles), de même que celles
de l’industrie (-6.85%), alors qu’à l’inverse, les émissions dues aux déchets et aux autres
secteurs ont respectivement augmenté de 21.4 % et 11.92 %.
266
11.6.4 Les gaz synthétiques (HFC, PFC et SF6) : industrie
L’industrie325 représente l’unique secteur d’activité qui est à l’origine des émissions des
différents gaz synthétiques à effet de serre en Suisse (cf. Annexe 19, Figure 3). Leur évolution
est d’ailleurs inégale depuis 1990 et ce sont les HFCs qui constituent, en 2006, les principaux
GES « industriels » avec plus du 73 % des émissions nationales de gaz synthétiques à leur
actif. Suivent le SF6 (19,41 %) et les PFCs (6.72 %).
Rappelons ici que les émissions des gaz synthétiques ne représentent actuellement qu’une
infime part des émissions totales de GES (1.6 % en 2006). Néanmoins, ce constat pourrait
rapidement changer. En effet, il nous faut relever que si la part des émissions des autres GES
est relativement « stable » depuis 1990 (cf. graphique 1), la part des gaz synthétiques s’envole
depuis cette date et ce principalement à cause des émissions de HFCs qui ne cessent
d’augmenter depuis le milieu des années 90 : on a émis durant l’année 2006, en Suisse, plus
de 27'400 fois plus de HFCs qu’en 1990 ! Cependant, il apparaît tout de même un
fléchissement (à court terme ?) de la tendance puisque les émissions de chacun de ces gaz
synthétiques ont amorcé une diminution qui se situe dans les années 2000-2005. Par
conséquent, et si le déclin amorcé ne se confirme pas et même si actuellement les gaz
synthétiques ne font pas encore le poids face au CO2 (85.6% des émissions de GES en 2006),
ils deviendront de sérieux concurrents dans quelques années – notamment les HFCs – du fait
de leur très fort potentiel de réchauffement global (PRG).
En Suisse, ce secteur, pris dans sa globalité, ne correspond pas à une source mais à un puit de
CO2. Ceci s’explique principalement par l’augmentation de la superficie de la forêt suisse qui
a pour effet de fixer du carbone et de soustraire une certaine quantité de CO2 au réservoir que
constitue l’atmosphère. En effet, une forêt qui grandit fixe du CO2, alors que son bilan en
terme de CO2 devient nul lorsqu’elle a atteint son rythme de croisière (la fixation du carbone
par les arbres qui poussent est équilibrée par le rejet de carbone des arbres qui meurent).
325
Rubrique processus industriel (2) de l’inventaire national des GES (OFEV, 2008a).
267
anthropique en tant que moyens de substitution à la consommation d’énergie fossile (charbon,
gaz et pétrole).
11.7 Des secteurs d’activités responsables des émissions nationales de GES aux
multiples acteurs(-cibles) de la politique climatique suisse
Nous pouvons désormais regrouper les activités responsables des émissions de GES en Suisse
au sein de six secteurs d’activités : l’industrie, les transports, les ménages (immeubles
d’habitation), les services & commerces, l’agriculture et les déchets. A ces 6 secteurs, sources
d’émissions de GES, nous pouvons ajouter le secteur modification de l’utilisation des sols &
sylviculture qui en Suisse, comme nous avons pu le constater, pris dans son ensemble, ne
correspond pas à une source mais à un puit de CO2. Enfin le secteur des énergies
renouvelables représente également un élément important dans la perspective de réduire les
émissions de GES d’origine anthropique, notamment par le biais de la substitution des
ressources énergétiques d’origine fossile (charbon, gaz et pétrole) par des ressources
renouvelables.
Source : l’auteur
Nous pouvons donc constater que de nombreuses activités, très variées, sont à l’origine des
émissions de GES en Suisse. Leur diversité rend l’intervention de l’Etat d’une certaine
complexité puisque ce dernier se doit de cibler un grand nombre d’acteurs différents.
268
Aussi, et à l’image de la complexité du problème qu’elle veut tenter de résoudre, la politique
climatique suisse est par nature multisectorielle. En Suisse, « nous ne pouvons [d’ailleurs] pas
parler d’une politique climatique […] mais plutôt ‘des politiques concernées par la protection
du climat’ » (Perret, 2002, p. 62). A ce titre, nous pouvons citer, en exemple, les politiques
énergétique, environnementale et des transports ou bien encore la politique agricole et
sylvicole, autant de politiques qui, dans le domaine si complexe de la réduction des émissions
de GES, se recoupent et s'entrecroisent, avec tout le lot de contradictions inhérentes à des
politiques poursuivant également leurs propres objectifs spécifiques. Nous pouvons ainsi
imaginer combien sont nombreuses les autorités (départements et offices) concernées par la
mise en œuvre de la politique climatique au sens large du terme.
Au niveau des offices fédéraux, c’est ainsi l’office fédéral de l'environnement (OFEV)326 qui
constitue le principal organe concerné par le droit de l'environnement et la protection du
climat. Mais beaucoup d’offices ont également un grand rôle à jouer. Pensons entre autres à
l’office fédéral de l’énergie (OFEN), l’office fédéral des transports (OFT) ainsi qu’au
Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO), à la Direction du développement et de la coopération
(DDC), à l’Office fédéral du développement territorial (OFDT) et à l’office fédéral de
l’agriculture327 (OFA), ce dernier ayant « progressivement acquis des compétences en matière
de protection de l'environnement, dans la mesure où il applique la nouvelle politique agricole
qui comprend le subventionnement en fonction de critères écologiques » (Petitpierre, 2000, p.
31).
Ces différents départements et offices sont autant d’acteurs institutionnels qui participent à la
complexité de la politique climatique suisse, notamment dans le cadre du processus
décisionnel – par lequel les instruments de régulation environnementale sont obligés de
passer – dans la mesure où ils y sont tous parties-prenantes à divers titres.
A ces différents acteurs, prenant tous part aux processus décisionnels, nous pouvons
également rajouter, et sans prétention à l’exhaustivité, les associations de défenses d’intérêts
(associations économiques ou environnementales par exemple) et les nombreux partis
politiques que compte le système pluraliste suisse.
326
Egalement bien connu sous l’abréviation allemande BUWAL.
327
Qui relève du DFE.
269
par voie de conséquences, à beaucoup d’acteurs(-cibles) socio-économiques, rendant ainsi « la
politique climatique suisse » complexe, la politique de réduction des émissions de CO2 telle
qu’elle ressort de la législation sur le CO2 – avec son champ d’intervention plus restreint -
n’en n’est pas moins complexe.
Nous avons en effet dénombré de nombreux acteurs ciblés par les instruments de la législation
sur le CO2 et, pour anticiper quelque peu nos propos analytiques, nous avons également
constater leur certaine complexité (cf. chapitre 12, point 12.3 ci-après). Ces acteurs-cibles
sont principalement :
• des acteurs de type associatif ou fondations (telle que celle du centime climatique) ;
• les importateurs, les fabricants, les producteurs, les commerçants et/ou les
entrepositaires de combustibles et/ou de carburants assujettis à la Taxe CO2 ;
Cette complexité sociale se répercute dès lors sur les moyens à mettre en œuvre pour réduire
les émissions de GES, ou, en d’autres termes, sur les instruments politiques de protection du
climat qui sont notamment indissociables du processus décisionnel par lequel ils se doivent de
passer pour être mis en œuvre ; processus dans lequel l’ensemble des acteurs socio-
économiques que nous avons évoqués ont d’ailleurs leur mot à dire328. Nous reviendrons sur
les implications de cet état de fait dans la dernière partie de notre recherche.
Après avoir rapidement établi quelles étaient les principales bases constitutionnelles de
l’intervention de la Confédération Suisse dans le domaine qui nous occupe et défini ses
compétences en la matière, nous allons inventorier les instruments (concrets) de la politique
climatique suisse tels qu’ils ressortent de la législation sur la réduction des émissions de CO2.
328
Soulignons d’ailleurs que les acteurs du processus décisionnel peuvent également être des acteurs-cibles de la
politique climatique.
270
12.1 Les principales dispositions constitutionnelles en matière de politique climatique
En vertu du principe de la répartition des compétences qui régit les rapports entre la
Confédération et les cantons (Art. 3 Cst.), la compétence générale de légiférer est octroyée à
ces derniers alors que la Confédération ne jouit que d’une compétence d’attribution.
Aussi, la Confédération doit posséder une base constitutionnelle pour agir dans le domaine de
la protection du climat. Au demeurant, rappelons que selon le principe de l’Etat de droit (Art.
5 Cst.), la Confédération doit agir uniquement sur la base et dans les limites du droit et qu’en
vertu du principe du fédéralisme d’exécution (Art. 74, al. 3 Cst.), l’exécution des dispositions
fédérales incombe aux cantons dans la mesure où elle n’est pas réservée à la Confédération
par la loi.
Aussi, se fondant sur l'article 74, la Confédération peut prendre toutes les mesures propres à
atteindre l'objectif de protection de l'environnement qu’est la réduction des émissions de CO2.
Elle jouit donc d’une compétence exclusive et l’ensemble des mesures mis en œuvre dans le
cadre de la législation sur le CO2 trouve sa base juridique dans cet article, taxe d’incitation sur
le CO2 comprise329 (Conseil fédéral, 1997). Par ailleurs, étant entendu que la législation sur le
CO2 poursuit également le but d’une utilisation économe et rationnelle de l’énergie, tout en
encourageant le recours aux énergies renouvelables, elle trouve également son fondement
légal dans l’article sur l’énergie.
329
« Conformément aux pratiques du Parlement et du Conseil fédéral, mais aussi conformément à la
jurisprudence, la compétence de la Confédération pour percevoir des taxes d'incitation selon le principe de la
connexité matérielle, est conforme à la constitution » (Conseil fédéral, 1997, p. 460).
271
sont pas explicitement référencées par cette dernière, dans la mesure où elles vont dresser le
cadre dans lequel l’action de l’Etat va prendre forme et vont ainsi orienter à la fois les
autorités et les acteurs socio-économiques dans leurs choix et activités : les principes
(directeurs) du droit de l’environnement.
Notons que ces principes sont également énoncés dans la plupart des actes internationaux
concernant l’environnement. Pensons ici à la Déclaration de Rio et à la Convention cadre des
Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) notamment.
Nous pouvons distinguer cinq principes constitutionnels d’une grande importance : les
principes de prévention et de précaution, le principe du pollueur-payeur, le principe global du
développement durable et le principe de proportionnalité.
A) Le principe de prévention
Le principe de prévention est consacré par l’article 74, al. 2 de la Constitution fédérale, article
en vertu duquel la Confédération doit veiller à prévenir les atteintes à l’environnement. Dans
le domaine de la protection de l’environnement, ce principe revêt une importance
considérable dans le cas des atteintes de nature irréversibles dans la mesure où la prévention
représente un moyen efficace et efficient de ne pas bouleverser de manière irrémédiable notre
environnement.
Dans le cadre de la législation sur le CO2, ce principe revêt donc une importance majeure dans
la mesure où l’objet même de la législation est d’intervenir à la source des émissions de CO2.
B) Le principe de précaution
Le principe de précaution, quant à lui, est en quelque sorte le prolongement naturel du
principe de précaution et découle également de l’article 74, al. 2 de la Constitution.
Néanmoins, il s’en différencie dans la mesure où il s’applique précisément aux cas où
l’incertitude scientifique règne. Aussi, en vertu de ce principe, l’incertitude scientifique ne
doit en aucun cas servir d’alibi pour ne rien mettre en œuvre pour protéger l’environnement,
la sagesse recommandant alors de prendre ses précautions.
Dans le cadre de la législation sur le CO2, ce principe revêt donc une importance majeure dans
la mesure où des sources d’incertitude scientifique persistaient (et persistent d’ailleurs
toujours, même si dans une moindre mesure avec l’état d’avancement de la connaissance
scientifique) sur les causes et les conséquences du réchauffement climatique lorsque la
législation a été adoptée en 1999.
C) Le principe du pollueur-payeur
Le principe du pollueur-payeur est également consacré dans l’article 74, al. 2 de la
Constitution fédérale : « les frais de prévention et de réparation sont à la charge de ceux qui
les causent ». Ce principe, bien connu, se veut proclamer l’internalisation des coûts externes
(externalités négatives) non compris dans la production des biens polluants. Les taxes
pigouviennes illustrent une des possibilités pour l’Etat d’internaliser les coûts engendrés par
des activités polluantes (voir plus loin).
272
D) Le principe du développement durable
Le principe du développement durable est explicitement consacré par la Constitution fédérale
qui lui consacre un article : « la Confédération et les cantons œuvrent à l’établissement d’un
équilibre durable entre la nature, en particulier sa capacité de renouvellement, et son
utilisation par l’être humain » (Art. 73 Cst.). Ce principe revêt une importance majeure dans
deux cas distincts en étroite relation avec la problématique du Changement Climatique :
l’utilisation des ressources naturelles non renouvelables et les activités qui ont des
conséquences irréversibles sur l’environnement.
Dans le cadre de la législation sur le CO2, ce principe revêt donc une importance majeure dans
la mesure où l’objet même de cette législation est la réduction des émissions de CO2 dues à
l’utilisation des agents énergétiques fossiles, émissions à l’origine du réchauffement
climatique et de ses multiples conséquences potentiellement irréversibles sur
l’environnement.
• l’adéquation des mesures : les mesures envisagées doivent être propres à atteindre le
but visé ;
• la subsidiarité : parmi les mesures adéquates seront choisies celles qui portent le moins
atteinte aux intérêts privés ;
• la nécessité : la pesée d’intérêt entre l’atteinte aux intérêts privés et le résultat attendu
dans l’intérêt public ne doit pas imposer de renoncer à la mesure.
Dans le cadre de la législation sur le CO2, ces deux principes se traduisent principalement, et
comme nous allons pouvoir le constater, par la phase des mesures librement consenties
(principe de subsidiarité) et l’introduction d’une taxe subsidiaire sur le CO2 (principes de
subsidiarité et du Not Entailing Cost).
273
F) Les principes, des instruments politiques
Les principes constitutionnels (de protection de l’environnement) que nous venons
d’identifier peuvent être considérés comme des instruments politiques tout simplement parce
qu’ils sont, au moins et par leur seul évocation, des éléments d’information destinés aux
acteurs socio-économiques.
Ces principes ne sont-ils pas censés constituer, de manière plus ou moins directe, des guides à
nos actions et comportements ?
La politique climatique suisse « au sens étroit du terme » (Perret, 2002, p. 62) se fonde
principalement sur la loi fédérale du 8 octobre 1999 sur la réduction des émissions de CO2
(LCO2) et de ses diverses ordonnances330, ainsi que sur la Loi du 26 juin 1998 sur l’énergie
(LEne). Cependant, si nous ne traitons pas explicitement de cette deuxième législation dans le
cadre de notre analyse, il n’en reste pas moins que la législation sur le CO2 lui est intimement
liée, comme nous pourrons d’ailleurs assez vite le constater. C’est pourquoi nous devrons tout
de même y faire référence.
La législation sur la réduction des émissions de CO2, dont la loi fédérale entrée en vigueur le
premier mai 2000331, constitue néanmoins le fondement essentiel de la politique nationale de
protection du climat. Elle permet en effet la mise en œuvre au niveau national de la politique
climatique définie à l’échelon international (OFEN, 2001). Avec son application, la Suisse
tente ainsi de se donner les moyens de remplir les objectifs qu’elle s’est engagée à prendre
dans le cadre de la Convention-Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques
(CCNUCC) et, plus particulièrement, du Protocole de Kyoto, au titre duquel elle s’est
engagée à réduire de 8 % ses émissions de GES d’ici à 2010332 par rapport à l’année de
référence 1990.
Pour atteindre ce but, la législation s’est fixée un objectif global chiffré qui est de réduire de
10 % les émissions de CO2 dues aux agents énergétiques fossiles d’ici à l’an 2010333 par
rapport à l’année de référence 1990 (Art. 2, al. 1 LCO2). Toutefois, cet objectif global est
330
Ordonnances du 22 juin 2005 régissant l'imputation des réductions d'émissions opérées à l'étranger
(Ordonnance sur l'imputation du CO2), du 8 juin 2007 sur la taxe sur le CO2 (Ordonnance sur le CO2), du
DETEC du 27 septembre 2007 sur le registre national des échanges de quotas d'émission et du 21 décembre
2007 sur la compensation des émissions de CO2 des centrales à cycles combinés alimentées au gaz.
331
Après l’expiration du délai référendaire, aucune opposition n’ayant été formulée.
332
Calculé sur la base de la moyenne des émissions des années 2008-2012
333
La moyenne des émissions des années 2008-2012 sera prise en compte pour déterminer si l’objectif est atteint
ou non.
274
scindé par la législation en deux sous-objectifs sectoriels : le premier est d’une réduction de
15 % et concerne les émissions provenant de l’utilisation des combustibles (notamment pour
le chauffage et les foyers industriels ; objectif combustible) et le second est une réduction de 8
% qui concerne uniquement les émissions dues aux carburants (diesel et essence ; objectif
carburant) (Art 2, al. 2 LCO2).
Un certain nombre d’instruments sont dès lors proposés pour atteindre ces objectifs quantifiés
de réduction.
Cependant, si ces mesures ne s’avèrent pas efficaces et ne permettent donc pas, à elles seules,
d’atteindre les objectifs fixés, la législation donne la possibilité à la Confédération
d’introduire, dans une seconde phase dite subsidiaire, une taxe CO2 (Art. 6, al. 1 LCO2).
En sus, les mécanismes de flexibilité du Protocole de Kyoto (marché des droits d’émissions et
autres certificats de réduction d’émission) sont également pris en considération par la
législation :
lors du calcul des émissions au sens de la présente loi, le Conseil fédéral peut tenir
compte de manière appropriée des réductions d’émissions opérées à l’étranger et
financées par la Confédération ou par des entreprises sises en Suisse. Il fixe les exigences
en tenant compte des critères reconnus sur le plan international. (Art. 2, al. 7 LCO2)
Cependant, ces instruments doivent être considérés comme des mesures d’accompagnement et
ne peuvent donc se substituer aux mesures de réductions prises en Suisse que dans une
certaine limite (principe de la supplémentarité).
Ainsi, la mise en œuvre de la législation sur le CO2 s’effectue en deux « étapes » (Conseil
fédéral, 1999, p. 442) – une phase que nous qualifierons de volontaire et une phase dite
subsidiaire – qui combinent dans le temps trois types d’instruments, à savoir (cf. Figure 32 ci-
après) : a) les mesures librement consenties (ou accords volontaires) : conventions d’objectifs
et engagements formels, b) la taxe CO2 subsidiaire et c) les mécanismes de flexibilité du
Protocole de Kyoto.
334
Soit « notamment les déclarations par lesquelles les consommateurs de combustibles et de carburants fossiles
prennent de leur plein gré l’engagement de limiter leurs émissions » (Art. 4, al. 1 LCO2)
335
Soit principalement les mesures suivantes : la législation sur l’énergie et son programme de mise en œuvre
« SuisseEnergie », la redevance sur le trafic des poids lourds liées au prestations (RPLP), le transfert du trafic
transalpin de marchandises vers le rail, la modernisation de l’infrastructure des transports publics ferroviaires
(RAIL 2000, les nouvelles lignes ferroviaires à travers les alpes (NLFA) et le raccordement de la Suisse au
réseau européen des trains à haute performance), la possibilité d’introduire une taxe sur le transit alpin et la
probable future introduction d’incitations écologiques dans le cadre du régime financier de la Confédération.
275
Figure 32 : Les deux étapes de la législation sur le CO2
Phase subsidiaire : taxe CO2, engagements formels et mécanismes de
flexibilité
Phase volontaire : conventions
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 …
Source : l auteur.
Soulignons ici que ces instruments ne sont pas indépendants les uns des autres, mais qu’ils
sont articulés entre eux dans le temps, mais également, comme nous allons pouvoir le
constater tout au long de notre étude descriptive de la politique climatique suisse, à des degrés
divers.
12.2.3 La phase volontaire des mesures librement consenties : conventions (et engagements
plus formels)
La première étape se fonde sur la mise en œuvre de mesures volontaires via l’élaboration
d’accords entre l’Etat et différents secteurs ou milieux économiques. Ces mesures librement
consenties, ou accords volontaires, peuvent notamment prendre la forme de conventions
d’objectifs visant à une utilisation économe et rationnelle de l’énergie ou d’engagements plus
formels visant à remplir un objectif chiffré de réduction des émissions de CO2. Elles sont, sur
le plan de la base légale, liées à l’application de la législation sur l’énergie (cf. Encadré 19 ci-
dessous).
276
Aussi une convention est une « déclaration écrite par laquelle les parties conviennent, dans le
cadre de l’article 17, al. 1, let. g, LEne [loi fédérale sur l’énergie], d’une utilisation économe
et rationnelle de l’énergie. » (OFEN/OFEV, 2007, p. 3). Cependant et dans la perspective de
la législation sur le CO2, « cette déclaration peut comporter des mesures […] en vue de limiter
les émissions de CO2, conformément aux articles 3 et 4 de la loi sur le CO2. (OFEN/OFEV,
2007, p. 3)
Une convention d’objectifs, stricto sensu, ne comprend donc pas de manière explicite un
objectif de réduction des émissions de CO2 (du moins ce n’est pas une obligation), à l’inverse
du dispositif formellement institué par la législation sur le CO2 – sur lequel nous reviendrons
ci-après – à savoir l’engagement formel, qui n’est en réalité qu’une convention adaptée aux
exigences de la législation sur le CO2. Notons cependant d’ores et déjà que le dispositif de
l’engagement formel336 – qui peut donc « avoir été, par le passé, une convention »
(OFEFP/OFEN, 2001a, p. 3) – permet, quant à lui, aux grands consommateurs d’agents
fossiles de s’engager formellement envers la Confédération à réduire leurs émissions CO2 et
ainsi de pouvoir être exemptés de la taxe CO2.
Ce sont une directive, adoptée par l’OFEFP et l’OFEN le 2 juillet 2001 (OFEFP/OFEN,
2001a) et révisée le 2 juillet 2007 (OFEN/OFEFP, 2007), ainsi qu’une directive d’exécution
(OFEV/OFEN, 2007)337 qui définissent le cadre pour la mise en œuvre de ces mesures
volontaires et ce au regard des exigences relatives d’une part à la législation sur l’énergie
(conventions d’objectifs) mais également et plus spécifiquement à celle sur le CO2
(engagements formels) d’autre part.
Sur le plan pratique, et conformément à la stratégie par étape définie par la législation sur le
CO2338, l’instrument des conventions d’objectifs permet donc aux entreprises, agissant
individuellement ou regroupées en association, de prendre des mesures volontaires pour
accroître leur efficacité énergétique et ainsi, dans la perspective de la législation sur le CO2,
de réduire leurs émissions d’agents fossiles.
Celles-ci doivent dès lors définir une valeur cible, l’efficacité énergétique en l’occurrence339,
ainsi que des indicateurs de suivi qui sont précisés dans l’annexe de la directive d’exécution
(OFEN/OFEV, 2007). L’évolution des émissions de CO2 est donc évaluée en fonction de cette
valeur mais ne constitue donc qu’indirectement l’objectif principal recherché. Par ailleurs, les
entreprises qui ont conclu de telles conventions doivent également définir des objectifs
intermédiaires permettant le suivi du processus340 et soumettre à la Confédération un rapport
annuel comprenant les données requises sur leur consommation d’énergie. Ces données se
336
Qui, comme nos pourrons le constater par la suite, devient contraignant au moment de l’entrée en vigueur de
la taxe CO2 et entre donc « en vigueur » seulement dans le cadre de la phase dite subsidiaire.
337
Qui remplace l’annexe (OFEFP/OFEN, 2001b) à la directive de 2001.
338
Stratégie d’évitement tout d’abord, qui vise à atteindre les objectifs de la législation sans avoir recours à la
taxe CO2, suivie d’une stratégie d’exemption, qui donne la possibilité aux entreprises de se faire exempter d’une
éventuelle taxe, voir ci-après.
339
« L’efficacité énergétique établit le rapport entre le total pondéré de la consommation hypothétique d’énergie
en l’absence de mesures et le total pondéré de la consommation d’énergie. Cette valeur reflète les efforts
consentis par les entreprises ou par le groupe d’entreprises pour réduire la consommation d’énergie »
(OFEN/OFEV, 2007, p.4) ou, en d’autres termes, « le rapport entre la consommation énergétique effective et le
cas hypothétique où rien n’aurait été fait pour la réduire » (OFEFP/OFEN, 2001b, p. 8).
340
Le calendrier des conventions doit faire figurer au minimum trois étapes (fin 2003 pour la première étape, fin
2007 pour la deuxième et 2010 pour la troisième) pour lesquelles sont définis des objectifs intermédiaires. Un
rapport doit en outre être remis à l’issue de la deuxième étape.
277
doivent d’être contrôlées par un organe de révision interne à l’entreprise (ou à l’association
d’entreprise).
Notons ici que ces conventions d’objectifs sont soumises à un audit de la part de l’OFEN ou
par un organe externe composé d’experts mandatés par lui. « La Confédération se réserve [en
outre] la possibilité d’effectuer a posteriori une vérification de toutes les données relatives aux
entreprises ainsi que des visites sur place » (OFEN/OFEV, 2007, p. 7).
Sur le plan de la mise en œuvre concrète, ces conventions sont mises en œuvre dans les
domaines de l’économie (industrie, artisanat et services) dans le cadre du programme
SuisseEnergie341 par l’intermédiaire de l’Agence de l’énergie pour l’économie (AEnEc)342.
Cependant, des conventions peuvent également être conclues directement entre la
Confédération et de grandes entreprises, sans passer par cette agence.
Enfin, notons que les mesures librement consenties ne sont pas destinées aux seules
entreprises (conventions d’objectifs et engagements formels) mais peuvent également prendre
la forme d’accords avec d’autres types d’acteurs privés. Il en va ainsi, par exemple, du contrat
signé entre la Confédération et la Fondation pour le centime climatique ou avec l’Association
suisse des importateurs d’automobiles sur lesquels nous reviendrons par la suite.
Ces instruments sont à considérer comme des outils d’aide pour les entreprises à la conclusion
de conventions d’objectifs et d’engagements formels. Les trois modèles (OFEN, 2008,
AEnEC, 2008) fonctionnent sur la même idée de base dans le sens où ils se fondent sur une
action libre et volontaire de la part des entreprises en leur offrant, pour les deux premiers
modèles, la possibilité de se regrouper en association ou en section344.
341
La plate forme institutionnelle de mise en œuvre de la politique énergétique et climatique suisse.
342
Laquelle a signé un mandat de prestation en date du 2 juillet 2001, complété en date du 15 mars 2004 avec la
Confédération. Notons que l'Agence suisse des énergies renouvelables et de l'efficacité énergétique (AEE) a
également signé en juillet 2001 un mandat de prestation dans le domaine des énergies renouvelables.
343
Le premier modèle a été mis sur pied dans le cadre du programme Energie 2000 et réaménagé dans l’optique
de la législation sur le CO2 sous SuisseEnergie. Les deux autres ont été développés spécifiquement dans le cadre
de ce dernier programme.
344
Par région ou par branche.
278
En d’autres termes, les ME et MB constituent des plates formes qui permettent aux
entreprises, réunies en groupes, de réaliser d’une manière volontaire des mesures d’économie
d’énergie avec l’aide de l’AEnEC et l’appui d’experts qui facilitent l’élaboration des objectifs
et l’exécution des mesures. En outre, ces plates formes instaurent un processus de
collaboration au sein des groupes sous la forme d’un échange d’information et d’expérience,
d’un transfert de savoir et de savoir-faire et d’un système de monitoring. Les deux modèles
ont pour objectif premier l’établissement de conventions d’objectifs qui peuvent être, sous
certaines conditions, transformées en engagements formels.
Enfin, le modèle PME (Mpme) a, quant à lui, été mis en place pour toucher les petites
entreprises isolées et consiste en un outil informatique permettant une élaboration simplifiée
de Conventions d’objectifs (modèle simplifié de conventions d’objectifs destinée à une seule
entreprise). A part la détermination de l’objectif, l’ensemble du processus se fait sur Internet.
La démarche est orientée sur des mesures d'amélioration énergétique (plan de mesures) basée
sur un checkup énergétique réalisé dans l’entreprise par l’AEnEC. Sous certaines conditions,
les entreprises peuvent également être exemptées de la taxe sur le CO2.
Le 10 février 2003348, une convention d’objectifs a également été signée avec l’industrie du
ciment (cemsuisse) qui s’est engagée à limiter ses émissions de CO2 de 44 % d’ici 2010 et par
rapport à l’année de référence 1990. Notons cependant qu’entre 1990 et 2000, elle avait déjà
réduit de 30 % ses émissions349. Les cimentiers misent sur le remplacement du charbon et du
pétrole par des combustibles de substitution (huiles usées, boues d’épuration séchées, farines
animales, solvants et déchets plastiques) pour atteindre leur objectif350.
345
Communiqué de presse du DETEC du 19 février 2002 : SuisseEnergie signe la première convention
d’objectifs : la consommation des nouvelles voitures va baisser.
346
Notons que le Conseil fédéral s’est réservé le droit de dénoncer la convention à partir de 2005 si les résultats
enregistrés année après année devaient être supérieurs à 3% de ce qui était convenu et d'imposer d'autres
mesures, par exemple des prescriptions sur la consommation, ou des certificats. (Schmid, 2002, p. 2).
347
Communiqué de presse d’auto-suisse du 15 mai 2008 : 2007: Baisse sensible de la consommation de
carburant
348
Communiqué de presse du DETEC du 10 février 2003 : L’industrie du ciment signe une convention sur le
CO2.
349
Communiqué de presse du DETEC du 17 juin 2002 : CO2 : convention d’objectifs avec l’industrie du ciment
350
Notons à titre indicatif que dans le même temps cemsuisse s’est également engagé de manière volontaire à
limiter ses émissions de CO2 géogène (liées aux processus de fabrication du ciment (transformation des matières
calcaires)) de 30 % (cf. Annexe 20). Cependant cet objectif de réduction spécifique n’étant pas lié à la
combustion d’énergie fossile, il ne peut faire formellement partie de la convention d’objectif au regard de la
279
Le 23 avril 2004351 a été signée la première convention élaborée sous l’égide de l’AEnEC.
Celle-ci rassemble 45 groupes d’entreprise (comptant plus de 600 exploitations) qui se sont
engagées à réduire leur consommation d’énergie et, pour la plupart – en prévoyance d’un
engagement formel (voir ci-après, notamment point G ci-après) – plus spécifiquement leurs
émissions de CO2. ().
Le 30 août 2005352, une convention a été signée avec la fondation pour le centime climatique
qui s’est engagée à réduire les émissions de CO2 d'au moins 1,8 million de tonnes par an au
total entre 2008 et 2012 (soit 9 millions de tonnes au total), dont au moins 0,2 million doivent
être réalisées en Suisse353 – la différence (maximum 1,6 million de tonnes) pouvant être
réalisée à l’étranger en conformité avec les mécanismes de flexibilité du Protocole de Kyoto –
à l’aide d’un fonds constitué par le prélèvement volontaire d’un centime climatique (entre 1,3
et 1,9 ct./litre prélevé sur les importations de carburants) qui sera alloué à des projets ou à
l’achat de certificats354 :
Le centime climatique est une proposition des milieux des affaires qui doit permettre de
financer des projets de protection du climat en Suisse et à l’étranger grâce aux revenus de
la Fondation issus d’une redevance volontaire sur les carburants. (Confédération
suisse/Fondation Centime Climatique, 2005, p.2)
[Il] est une mesure volontaire qui peut être rangée au nombre des mesures librement
consenties au sens de l’art. 4 de la loi sur le CO2. Il ne nécessite aucune base légale, car il
sera [est] prélevé par une fondation de droit privé soutenue par l’économie privée.
(Conseil fédéral, 2005, p. 4645 et 4650)
Plus spécifiquement, sur les 9 millions de tonnes de CO2 que la fondation s’est engagée à
réduire sur la période 2008-2012, un minimum de 1 million de tonnes doivent être issues de
projets réalisés en Suisse et un maximum de 8 millions de tonnes peuvent être acquises par le
biais des mécanismes de Kyoto355 (OFEN, 2006a, 2006b, Fondation Centime Climatique,
2007) :
• les projets financés par le fonds en Suisse, à hauteur de 375 millions de CHF,
devraient permettre d’obtenir une réduction d’environ 2,6 millions de tonnes356
réparties comme suit : a) rénovations énergétiques de bâtiments résidentiels et
commerciaux (programme Bâtiments : CHF 175 millions pour une réduction prévue
de 0,5 million de tonnes), b) financement de projets relevant des domaines des
carburants ou de la chaleur ambiante, industrielle ou résiduelle (programme
Financement de projets : CHF 95 millions pour une réduction prévue 0,95 million de
tonnes) et c) achat des résultats excédentaires issus des conventions d’objectifs
législation sur le CO2 et, à ce titre, relève donc d’un accord volontaire sectoriel pris dans le cadre de la
législation sur la protection de l’environnement.
351
Communiqué de presse du DETEC du 23 avril 2004 : Signature de la première convention sur le CO2 avec
l'Agence de l'énergie pour l'économie
352
Communiqué de presse du DETEC du 30 août 2005 : Centime climatique: signature de la convention
d'objectifs. Voir également le 1er rapport annuel 2006 de la Fondation Centime Climatique (2007).
353
Principalement dans les domaines de la mobilité, du bâtiment et de la chaleur d’échappement.
354
Il est prévu de consacrer environ 30% des fonds à l’acquisition de certificats étrangers et environ 70% à des
projets en Suisse, dont une part importante (1/3) doit aller à un programme d’assainissement des bâtiments
(OFEN, 2006a).
355
Certificats étrangers issus de projets, voir plus loin.
356
Soit un excédent de 1,6 millions de tonnes par rapport au minimum prévu par le contrat avec la Confédération
(pour couvrir les risques d’efficacité des projets).
280
(combustibles et carburants) passées entre les entreprises et la Confédération
conformément à la législation sur le CO2 (programme Convention d’objectif : CHF
105 millions pour une réduction prévue 1,16 millions de tonnes) ;
En contre partie, la confédération s’est engagée à repousser l’entrée en vigueur de la taxe CO2
sur les carburants359 dont l’introduction reste toutefois possible en fonction de l’évolution
prise par les émissions nationales liées au carburant.
Notons enfin qu’une convention-cadre a également été conclue entre l’industrie gazière suisse
(représentée par Gazmobile SA) et les producteurs de gaz d’origine biologique (représenté par
Biomasse Suisse) en date du 4 juin 2003 afin de promouvoir les carburants au biogaz
(Biomasse Suisse/Gazmobile SA., 2003). Dans le cadre de cette convention, qui n’est donc
pas à proprement parler une convention d’objectifs au sens de la législation sur l’énergie, car
conclue entre deux entités privées – mais qui peut toutefois être comprise sous les mesures
librement consenties de la législation sur le CO2 – les signataires « se déclarent prêts à
encourager d'un commun accord l'emploi du biogaz indigène » (p. 1).
357
« La Fondation met l’accent sur les projets visant l’utilisation d’énergies renouvelables et la réduction de
méthane ainsi que sur les projets de petite taille de haute qualité. Elle renonce à l’achat de certificats issus de
projets visant l’évitement du gaz à puissant effet de serre HFC23, ainsi qu’aux projets relevant du domaine des
puits de carbone (boisement et reboisement) et de l’extraction de charbon, de même qu’aux projets hydrauliques
à grande échelle (> 100 MW). Tous ces projets ont en commun la possibilité de conséquences écologiques ou
sociales douteuses » (Fondation Centime Climatique, 2007, p. 15)
358
Soit un excédent de 2 millions de tonnes par rapport au maximum prévu par le contrat avec la Confédération
(pour couvrir les risques de livraison).
359
En septembre 2007, le DETEC a d’ailleurs laissé passer le premier délai de résiliation de la convention dans
la mesure où les objectifs de réductions en Suisse et à l’étranger semblait, à cette date, pouvoir être atteints par la
fondation (Communiqué de presse du DETEC du 28 septembre 2007 : Le centime climatique continuera d'être
perçu).
281
A) La taxe CO2 sur combustibles et les carburants
La taxe sur le CO2 constitue donc un instrument subsidiaire dans la mesure où son
introduction par le Conseil fédéral dépend de l’efficacité des mesures prises dans le cadre de
la première phase (volontaire) de la législation (Art. 3, al. 2 et Art. 6, al. 1 LCO2) :
S’il est prévisible que les mesures mentionnées à l’art. 3, al. 1 [les mesures librement
consenties et autres mesures prises dans le cadre des politiques énergétique, des
transports, de l’environnement et des finances] ne permettront pas, à elles seules,
d’atteindre les objectifs fixés, le Conseil fédéral introduit la taxe sur le CO2. (Art. 6, al. 1
LCO2)
Aussi, pour laisser leur chance aux mesures librement consenties par les milieux
économiques, la législation définit une limite temporelle à l’introduction de la taxe CO2 qui ne
pouvait être introduite en l’occurrence avant l’année 2004 (Art. 6, al. 3 LCO2).
Par ailleurs, notons que la taxe peut être introduite par étape, selon un calendrier fixé à
l’avance (Art. 6, al. 4 LCO2) et que le Conseil fédéral, en vertu du principe de
« l’économiquement supportable », s’il l’introduit, se doit de tenir compte de différents
critères économiques360.
Par conséquent, nous pouvons dire que la législation sur le CO2 prévoit de manière subsidiaire
l’introduction d’une taxe CO2 qui peut se dissocier en :
et/ou
Une première catégorie de taxe a pour objectif premier d’atteindre une allocation optimale des
ressources par l’internalisation des coûts externes environnementaux (externalités négatives).
Ce type de taxe est qualifié par le terme de taxe pigouvienne, du nom d’Arthur Cecil Pigou
qui les formalisa en 1918. Il consiste donc à corriger les prix du marché – qui ne reflètent pas
l’ensemble des coûts (il y a lacune du marché) – afin d’y faire figurer les coûts non pris en
compte, dans ce cas les coûts externes environnementaux (internalisation des coûts externes).
360
Notamment « a) de l’efficacité des autres taxes sur l’énergie, b) des mesures adoptées par d’autres Etats, c)
des prix des combustibles et des carburants pratiqués dans les Etats voisins, d) de la capacité concurrentielle de
l’économie en général et des différents secteurs économiques » (Art. 6, al. 2 LCO2)
282
Cependant, lorsque l’Etat veut introduire une telle taxe, il se trouve confronté à des problèmes
d’information et de mesure (notamment la difficulté d’évaluer en terme monétaire les coûts
environnementaux). En effet, il ne sait en général pas fixer correctement le niveau de la taxe
pour que le prix reflète un juste coût. Il est donc dans l’obligation d’agir par un processus
d’approximation sous la forme d’une taxe dite incitative (ou taxe dissuasive ou encore
d’orientation) :
Une taxe incitative est donc, en d’autres termes, une taxe pigouvienne que l’on pourrait
qualifier de second rang. Ainsi, le montant d’une taxe incitative ne reflète pas l’ensemble des
coûts externes réels et la taxe, une fois mise en œuvre, ne conduit qu’à une augmentation de
l’efficacité, sans pour autant atteindre une allocation optimale. En d’autres termes, une taxe
incitative ne prétend pas internaliser l’ensemble des coûts externes, ni atteindre une allocation
optimale des ressources, mais permet, très modestement, de détourner les acteurs des activités
polluantes et de se rapprocher d’une allocation optimale des ressources selon un
« mécanisme » que nous allons exposer ci-après et qui est fondé sur le principe du pollueur-
payeur (cf. Encadré 20 ci-dessous).
Une seconde catégorie de taxe environnementale, quant à elle, a pour objectif de financer la
protection de l’environnement. Ce type de taxe est qualifié de taxe financière (ou redevance
pour service rendu). Cependant, et dans la perspective qui nous concerne, notons que la
taxe CO2 est typiquement une taxe incitative. Son « mécanisme » est donc le suivant.
L’objectif premier d’une taxe incitative – et en l’occurrence de la taxe CO2 – est, sur la base
du principe du pollueur-payeur, de détourner les acteurs socio-économiques de leurs activités
polluantes. Dans le cas de la taxe sur le CO2, il s’agit donc de détourner les acteurs des
activités à la source des émissions de CO2.
Imaginons le marché du bien polluant qu’est le CO2 (cf. Figure 33 ci-après). Il existe une
offre (O) qui correspond au coût marginal privé (Cmp) pour ce bien et une demande (D) qui
correspond au bénéfice marginal (ou à l’utilité marginal Um) pour ce même bien. Or, comme
le « bien CO2 » est générateur d’un changement climatique et des conséquences négatives qui
en découlent (coûts climatiques), il existe donc aussi un coût marginal social (Cms) qui
représente le coût Cmp (celui pris en compte par le marché) auquel on ajoute le coût marginal
externe (Cme) induis par le changement climatique.
283
Par ailleurs et selon le principe d’efficience qui veut que l’on égalise le coût marginal au
bénéfice marginal, l’allocation optimale des ressources définie par la théorique économique se
situe donc en Ao [Po ;Qo], alors que l’équilibre du libre marché se situe en Em [Pm ;Qm].
Il est dès lors nécessaire d’intervenir sur le marché pour corriger cet écart. Or, comme nous
l’avons vu, l’Etat étant souvent dans l’incapacité de posséder l’ensemble de l’information
nécessaire sur les fonctions de coût et de bénéfice, va introduire une taxe d’incitation dont le
montant est défini sur la base d’autres critères que celui qui vise à internaliser le Cme (critères
politiques, économiques et/ou écologiques).
Source : l’auteur
Ainsi, alors qu’une taxe pigouvienne devrait être du montant BAo (équivalent au Cme), la
taxe incitative (Ti), le plus vraisemblablement, sera d’un montant inférieur, par exemple CD.
L’objectif premier de la taxe incitative n’étant pas l’internalisation des coûts mais bel et bien
la réduction des émissions, le montant de la taxe sera donc calculé en fonction de la quantité
d’émissions à réduire, ici la diminution de la quantité d’émissions de Qm à Qi (pour un prix
Pi supérieur à Pm). Notons cependant qu’une taxe Ti permet tout de même de se rapprocher
de l’optimum social Ao et qu’elle génère des recettes fiscales (RF) d’un montant total Ti x
Q0Qi.
Ainsi, nous pouvons constater que l’introduction d’une taxe incitative – une taxe sur le CO2
en l’occurrence – permet de réduire les émissions polluantes de Qm à Qi.
284
l’offre) pour le bien considéré (Bürgenmeier, 2005). Par conséquent, avec l’introduction
d’une telle taxe, nous constatons que la diminution de la pollution est due en partie à la
diminution des quantités demandées suite à la hausse du prix (partie répercutée sur le
consommateur) mais également en partie à la diminution des quantités offertes due à la prise
en charge d’une partie du coût par les producteurs (diminution de l’offre) qui n’arrivent
jamais à répercuter directement l’intégralité du montant de la taxe sur les consommateurs.
Au niveau des entreprises elles-mêmes, les choses se présentent d’une manière un peu
différente. Prenons le cas de deux entreprises A et B (cf. Figure 34 ci-après et Annexe 21 pour
les calculs) qui consomment de grandes quantités (Q) d’énergie fossiles (100 Q chacune, total
200 Q) et qui voient leurs coûts énergétiques augmenter à la suite de l’introduction d’une taxe
incitative (T) mise en place pour obtenir une diminution de pollution (-100 Q au total).
Source : l’auteur
Les entreprises se trouvent alors face à deux possibilités : soit payer la taxe pour émettre
autant de CO2 que par le passé, soit diminuer leurs émissions pour éviter de la payer mais en
supportant cette fois le coût de la réduction de la pollution (Cmd). Pour savoir quel est le
choix qui est économiquement le plus efficient pour elles, les entreprises vont alors
(théoriquement) comparer leur coût marginal de réduction (Cmd) respectif avec le taux de la
taxe (T). Aussi, tant que leur Cmd reste inférieur au montant de la taxe, les entreprises font
l’effort de réduire leurs émissions (dépolluer), car payer la taxe représente un coût supérieur à
leur coût de dépollution. Par contre, une fois que leur Cmd devient supérieur au taux de la
taxe (T), les entreprises préfèrent payer la taxe que de dépolluer, puisque la réduction d’une
unité d’émission coûte cette fois plus chère que de payer la taxe pour cette unité. Par
conséquent, les entreprises réduisent leurs émissions jusqu’à S, où le taux de la taxe (T) est
égal à leurs Cmd.
285
Concernant les entreprise A et B, ce sont respectivement les surfaces Q0-S x T qui
représentent le montant des taxes payées et qui constituent en cela les recettes fiscales (RF) de
l’Etat.
Le principe n’est pas tellement différent lorsqu’un individu voit le prix d’un bien augmenter
suite à l’introduction d’une taxe incitative (répercussion d’une taxe à l’importation par
exemple sur le consommateur). Selon un calcul économique, il va ainsi diminuer la
consommation du bien polluant tant que son coût marginal de réduction est inférieur au coût
que représente la hausse du prix du bien considéré.
C) Retour sur la taxe incitative prévue dans le cadre de la législation sur le CO2
(objet, montant et assujettissement)
Plus spécifiquement, le « mécanisme » de la taxe incitative que nous venons de décrire est à
transposer à la taxe CO2 telle qu’elle est prévue dans le cadre de la législation sur le CO2, tout
en tenant compte de certaines de ses caractéristiques.
• le taux maximal de taxation ne peut dépasser 210 francs par tonne de CO2 (Art. 7, al. 2
LCO2), soit, par exemple, environ 50 centimes par litre d’essence (Conseil fédéral,
1997, p.439) ou 56 centimes par litre d’huile de chauffage extra-légère ou 54 centimes
par kilo de gaz naturel à l’état gazeux (calculé d’après AFD/DGD, 2007, annexe 2).
361
Voir notamment les articles 1, 2, 3 et 4. Limpmin,
286
Enfin, concernant l’utilisation du produit de la taxe CO2362, celui-ci est redistribué à la
population d’une part et aux milieux économiques d’autre part, et ce « en fonction du montant
versé » (Art. 10, al. 2 LCO2). La part revenant aux milieux économiques est versée aux
employeurs par l’intermédiaire des caisses de compensation AVS, et ce d’une manière
proportionnelle au salaire déterminant versé aux employés363 (Art. 10, al. 4 LCO2 et Section 6
Ordonnance sur le CO2). La part revenant à la population est quant à elle répartie de manière
égale entre toutes les personnes physiques364 par le biais d’une déduction sur les primes de
l’assurance maladie (Art. 10, al. 3 LCO2 et Section 5 Ordonnance sur le CO2). Relevons que
« pour les personnes consommant une énergie inférieure à la moyenne, le remboursement est
[donc théoriquement] plus élevé que la taxe versée » (OFEFP, 2001).
Cette nouvelle stratégie, qui prit la forme d’une loi fédérale sur la réduction des émissions de
CO2, fût soumise à une procédure de consultation (accélérée) qui eut lieu du 23 octobre au 20
décembre 1996. Au contraire du précédent essai, celui-ci recueillit un plus grand succès, ce
qui permit au Conseil fédéral de proposer l’adoption de la législation qui fût d’ailleurs
acceptée à une large majorité par le Parlement. Cette législation, qui constitue l’objet principal
de notre étude, ne fût pas sujette au référendum, et entra en vigueur le 1er mai 2000. Pour
rappel, elle prévoit notamment la possibilité d’introduire une taxe CO2 de manière subsidiaire,
dans la mesure où son introduction ne pouvait se faire avant l’année 2004 et, condition sine
qua non, s’il est prévisible que les objectifs 2010 de la législation ne peuvent pas être atteints
par d’autres mesures, et notamment des mesures volontaires prises par le secteur privé (Art. 3
et 6 LCO2).
362
Est compris sous le terme produit de la taxe les recettes obtenues auxquelles on ajoute les intérêts et on
retranche tous les frais d’exécution (Art. 10, al. 1 LCO2).
363
Bien entendu, les entreprises ou les groupements d’entreprises qui sont exemptés de la taxe sur le CO2 ne sont
pas remboursés.
364
Dans cette perspective, la taxe sur le CO2 ne possède pas de but fiscal.
365
Qui peut être attribué à la tenue, en juin 1992, à Rio de Janeiro, de la Conférence des Nations Unies pour
l’Environnement et le Développement (CNUED), durant laquelle plus de 150 Etats – dont la Suisse – ont signé
la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC)
366
1/4 pour les entreprises et 3/4 pour la population.
287
Or, dès la fin de l’année 2002 et le début de l’année 2003, il est apparu vraisemblable que la
Suisse ne parviendrait pas à atteindre les objectifs qu’elle s’était fixés sur la seule base des
mesures volontaires (cf. Prognos, 2002, 2003), et l’introduction d’une taxe CO2 fût donc mise
à l’ordre du jour.
Cependant, les milieux de l’économie privée – industrie pétrolière et secteurs des transports et
de l’automobile en tête –, très réfractaires à cette solution, l’ont tout de suite combattue en
proposant une nouvelle mesure volontaire au sens de la législation sur le CO2 – sous la forme
d’un « centime en faveur du climat » (Auto-Suisse, UP, TCS, ASTAG, UPSA, ACS, 2004) –
et qui, se positionnant comme étant capables de combler l’écart entre les objectifs de
réduction et la voie empruntée par les émissions nationales de CO2, permettrait de repousser à
plus ou moins long terme l’introduction de la taxe CO2.
Cette proposition, très controversée sous plusieurs dimensions (légalité, efficacité, etc.) et
ayant donc soulevé débat367, mais ayant tout de même réussi à trouver un écho favorable
auprès du Conseiller fédéral en charge du dossier368 – alors que dans le même temps les
résultats de la deuxième étude Prognos (2004) sur l’évolution probable des émissions de CO2
en Suisse confirmaient le fait que les objectifs de réduction n’étaient pas en voie d’être
atteints – celui-ci proposa de soumettre quatre variantes à la consultation, soit :
• l’introduction d’une taxe CO2 sur les combustibles et les carburants (variante n°1) ;
• l’introduction d’une taxe CO2 sur les combustibles et les carburants mais avec
affectation partielle des recettes à l’achat de certificats d’émissions étrangers (variante
n°2) ;
• l’introduction d’une taxe CO2 sur les combustibles uniquement avec le centime
climatique pour les carburants (variante n°3) ;
- de laisser une chance au centime climatique prélevé sur les carburants jusqu’à fin 2007 ;
- [et] d’instaurer une taxe sur le CO2 pour l’essence si le centime climatique ne permet
pas d’atteindre l’objectif escompté d’ici là. (Conseil fédéral, 2005)
367
Voir par exemple les deux prises de positions de la part de plus de cent scientifiques en faveur de la taxe CO2
et en défaveur du centime climatique (Communiqué de presse du 10 mai 2004 de ProClim- : Des scientifiques
suisses appellent à des mesures de réduction du CO2 à l’échelon national et Communiqué de presse du 20
janvier 2005 de ProClim-, OcCC : La taxe sur le CO2 tient le cap) ou l’avis de la Commission de la concurrence
sur le centime climatique, donnée en pleine procédure de consultation, et qui conclut que ce dernier peut être
qualifié de restriction considérable à la concurrence et qu'il n'est pas possible actuellement de le justifier avec le
motif d'efficacité économique (ComCo, 2004)
368
Communiqué de presse du DETEC du 26 février 2004 : Réduction de CO2: Moritz Leuenberger reçoit les
promoteurs du centime climatique.
288
Cette décision fût concrétisée par la suite, d’une part, par l’entrée en force du centime
climatique en date du 1er octobre 2005, suite à la signature d’une convention entre les deux
parties en date du 30 août 2005 et, d’autre part, mais non sans peine, par l’entrée en vigueur
d’une Taxe CO2 sur les combustibles en date du 1er janvier 2008.
En effet, dans son message du 22 juin 2005, le Conseil fédéral (2005) proposait au Parlement
de fixer le montant de la taxe CO2 pour les combustibles à 35 CHF par tonne de CO2,
proposition qui fût fortement combattue par les partis affiliés aux milieux économiques –
notamment par la proposition d’un centime climatique II qui fût cette fois repoussée – et qui
déboucha, après quelques sessions parlementaires, à l’adoption par le Parlement d’un Arrêté
fédéral en date du 20 mars 2007 – qui fixait le montant de la Taxe CO2 à 12 CHF par tonne de
CO2 pour l’année 2008 (avec une évolution par étape pour les années suivantes) – et à
l’adoption d’une Ordonnance d’exécution y relatif.
E) Etat au début 2009 de la mise en œuvre de la taxe CO2 : taxe CO2 appliquée aux
combustibles par étapes successives
Le 1er janvier 2008 et marquant en cela le début de la phase dite subsidiaire de la législation
sur le CO2, une taxe CO2 a donc été introduite sur les combustibles, l’introduction d’une taxe
sur les carburants ayant étant repoussée à plus tard par le Conseil fédéral afin de « donner une
chance au centime climatique » (Conseil fédéral, 2005, p. 4622).
Le Conseil fédéral a décidé le 23 mars 2005 d’introduire une taxe sur le CO2 sur les
combustibles, tout en autorisant «pour voir» l’introduction du centime climatique sur les
carburants à titre de mesure consentie librement par l’économie. (OFEN/OFEV, 2007,
p. 2)
La taxe sur le CO2 appliquée aux combustibles est un instrument incitatif conforme aux
principes de l’économie de marché et du pollueur-payeur. En renchérissant les
combustibles fossiles, elle incite les entreprises et la population à utiliser l’énergie de
manière plus rationnelle et plus efficace et à privilégier des agents énergétiques qui
émettent moins de CO2 (p. ex gaz naturel) ou qui n’influencent pas le bilan de CO2 (p, ex.
bois). (Conseil fédéral, 2005, p. 4643)
C’est l’Ordonnance sur la taxe sur le CO2 (Ordonnance sur le CO2) du 8 juin 2007 qui en
précise les modalités de mise en œuvre. Notons ainsi que son introduction et son montant ont
été décidés par le Conseil fédéral – suivant en cela la décision de l’Assemblée fédérale arrêtée
le 20 mars 2007369, décision qui n’est d’ailleurs pas allée dans le sens de la proposition
originelle du Conseil fédéral qui voulait quant à lui introduire une taxe de 35 francs par tonne
de CO2 (Conseil fédéral, 2005) – en fonction d’un calendrier définissant des étapes
successives :
369
Arrêté fédéral concernant l’approbation du montant de la taxe sur le CO2 appliquée aux combustibles du 20
mars 2007.
289
b. à compter du 1er janvier 2009, à 24 francs si les émissions de CO2 dues aux
combustibles fossiles ont dépassé en 2007, selon la statistique tenue par l’OFEV, 90 % du
niveau de 1990 ;
c. à compter du 1er janvier 2010, à 36 francs si les émissions de CO2 dues aux
combustibles fossiles ont dépassé en 2008, selon la statistique tenue par l’OFEV, 86,5 %
du niveau de 1990 ou 85,75 % du niveau de 1990 pendant l’une des années suivantes.
(Art. 3 Ordonnance sur le CO2)
En juin 2008370, la décision a d’ailleurs été prise de ne pas augmenter le taux de la taxe pour
l’année 2009 – qui reste donc à 12 CHF par tonne de CO2 –en raison de la nette diminution
des émissions dues aux combustibles entre 2006 et 2007.
Notons que la taxe CO2 sur les combustibles touche, par définition, les agents fossiles utilisés
à des fins énergétiques, soit pour obtenir de la chaleur, pour produire de l’électricité dans des
installations thermiques et pour faire fonctionner des installations de couplage chaleur-
force371 (Art. 2 Ordonnance sur le CO2). A contrario, ne sont pas compris sous le terme de
combustibles (mais de carburants) et ne sont donc pas soumis à la taxe les agents énergétiques
fossiles qui servent à produire de l’électricité dans des installations non thermiques372 (OFEV,
2007b).
Par conséquent, sont soumis à la taxe CO2 sur les combustibles les agents fossiles tels que le
charbon, l’huile de chauffage, le gaz naturel, la coke de pétrole (pétrocoke). A contrario, ne
sont pas concernés les combustibles fossiles utilisés à des fins non énergétiques373 (en tant que
lubrifiants ou pour la transformation pétrochimique par exemple), ainsi que les combustibles
non fossiles tels que le bois et autres combustibles issus de la biomasse (car ils n’influencent
pas le bilan de CO2) ainsi que les déchets utilisés comme combustibles (OFEV, 2007b,
AFD/DGD, 2007) ;
Sont donc assujettis à la taxe CO2 sur les combustibles (AFD/DGD, 2007) :
• les importateurs de charbon (en vertu de la législation sur les douanes), ainsi que les
fabricants et les producteurs exerçant leur activité en Suisse ;
• pour les autres agents énergétiques fossiles (en vertu de Limpmin) : a) les
importateurs, b) les entrepositaires agréés, c) les personnes qui cèdent des
marchandises imposées, qui les utilisent ou qui les font utiliser à des usages soumis à
un taux plus élevé et d) les personnes qui cèdent, utilisent ou font utiliser des
marchandises non imposées.
290
• pour le charbon fabriqué ou extrait en Suisse, « au moment où celui-ci quitte
l’entreprise de fabrication ou d’extraction ou qu’il est utilisé dans l’entreprise [et] la
perception de la taxe est régie par les dispositions de la législation sur l’imposition des
huiles minérales » (Art. 23 Ordonnance sur le CO2)374 ;
Notons pour finir que l’Ordonnance sur le CO2 précise également les dispositions concernant
l’instrument des engagements formels, puisque l’entrée en force de la taxe CO2 sur les
combustibles marque le début de la possibilité pour les entreprises de s’en faire exempter.
Les dispositions de l’article 9 LCO2 permettent ainsi aux grands consommateurs d’agents
fossiles377 (carburants ou combustibles) qui se sont engagés formellement envers la
Confédération à réduire leurs émissions, de pouvoir être exemptés de la taxe CO2 (sur les
combustibles, pour le moment).
Notons également que l’Ordonnance sur le CO2 introduit une exemption pour la
consommation indirecte de combustibles d’origine fossile dans la mesure où elle permet
374
Pour les produits du charbon fabriqués en Suisse, le cas échéant, selon les dispositions de la Limpmin.
375
« La perception de la taxe est normalement régie par les dispositions de la législation sur l’imposition des
huiles minérales. La créance fiscale naît donc par la mise à la consommation des marchandises (art. 4, al. 1, loi
sur l’imposition des huiles minérales). Pour les marchandises placées en entrepôts agréés, il s’agit du moment où
la marchandise quitte l’entrepôt ou y est utilisée. On est ainsi sûr que les combustibles qui sont entreposés sans
être imposés ne sont pas grevés de la taxe sur le CO2 et qu’il n’en résulte pas de frais de capital supplémentaires.
Il n’est pas perçu de taxe sur les combustibles qui sont déjà imposés au moment du premier prélèvement de la
taxe ». (OFEN, 2007b, pp. 1-2)
376
Voir la Section 2 « Exemption des entreprises qui ont pris un engagement formel selon l’art. 9 de la loi » de
l’Ordonnance sur le CO2.
377
Notamment les grandes entreprises ou les consommateurs regroupés en associations.
291
d’exempter les entreprises qui consomment de grandes quantités de chaleur ou d’électricité
produite en combinaison avec de la chaleur, si celles-ci sont acquises directement au
producteur et ont été obtenues, au moins en partie, à partir de combustibles fossiles (OFEV,
2007b, p. 3 ; Art. 4, al.1 et 2 Ordonnance sur le CO2).
Notons également que « les producteurs de chaleur et d’électricité ne peuvent pas être
exemptés de la taxe pour l’énergie fournie » (Art. 4, al. 3 Ordonnance sur le CO2).
Aussi, et se fondant principalement sur les modèles mis en place dans le cadre de l’AEnEC379
pour la conclusion d’une convention d’objectifs, la législation offre la possibilité aux
entreprises (ou groupes d’entreprises) de contracter envers la Confédération un engagement
plus formel et contraignant leur permettant de se faire exempter de la taxe CO2 sur les
combustibles. Toutefois, il est à relever que les exigences pour ce type d’engagement sont
plus élevées que pour une simple convention d’objectifs.
Sur le plan légal, un engagement formel « peut [ainsi] revêtir la forme d’un contrat ou d’une
décision soumis à approbation [et] avoir été, par le passé, une convention » (OFEFP/OFEN,
2001a, p. 3) que l’on transforme ainsi en un engagement formel. Sur le plan pratique, c’est
l’Ordonnance sur le CO2 qui réglemente l’instrument (régime de l’exemption380) selon les
dispositions qui suivent.
Afin d’être exemptées de la taxe CO2, les entreprises (ou groupes d’entreprises) doivent
présenter une demande d’exemption qui prend la forme d’une proposition de limitation de
leurs émissions381 (Art. 5, al. 1 et art. 10 Ordonnance sur le CO2). Celles-ci peuvent le faire
directement auprès de la Confédération si leur volume d’émissions annuelles est égal ou
supérieur à 250'000 tonnes de CO2 par an. Dans le cas contraire, elles se doivent d’élaborer
leur proposition dans le cadre de l’AEnEC et des modèles mis en place par cette agence (Art.
5 Ordonnance sur le CO2, OFEV, 2007b).
En outre, l’Ordonnance sur le CO2 pose certaines exigences concernant les propositions (Art.
6), l’ampleur des limitations (Art. 7), les valeurs cibles (Art. 8), la réduction des émissions en
dehors de l’entreprise (Art. 9), le rapport et le monitoring (Art. 11), les modalités du
remboursement de la taxe (Art. 13, 14, 15, 16 et 17) et le respect de l’engagement formel (Art.
18 et 19). Notons à ce titre que :
378
Si la taxe dépasse 1 % de la valeur brute de leur production.
379
Le modèle énergétique (ME), le modèle benchmark (MB) et le modèle pme (Mpme).
380
Section 2 de l’Ordonnance : Exemption des entreprises qui ont pris un engagement formel selon l’art. 9 de la
loi
381
La décision d’exemption est prise sur la base de l’examen de la proposition par voie de décision.
292
objectif commun d’émission de CO2 » (Art. 8, al. 1 Ordonnance sur le CO2) ; un
objectif d’émission de CO2 est un « objectif limite, consistant en une valeur absolue,
énonçant l’émission maximale de CO2, exprimée en tonnes de CO2, qui doit être
atteinte d'ici à 2010 [en réalité la moyenne de la période d’engagement allant jusqu’en
2012, soit 2008-2012 pour les premières entreprises à avoir contracté un engagement
formel] » (OFEN/OFEV, 2007, p. 4) ;
• « les petites entreprises peuvent prendre un engagement formel sans fixer ni adapter
d’objectif d’émission de CO2 si les frais pour ce faire sont disproportionnés. Un
objectif spécial est fixé pour ces entreprises. Plusieurs petites entreprises peuvent en
outre fixer en commun un objectif spécial » (Art. 8, al. 3 Ordonnance sur le CO2) ;
celles-ci le font sous l’égide de l’AEnEC par l’intermédiaire des MB (valeur cible de
référence) et Mpme (plan de mesures) (OFEV, 2007b).
• « les entreprises peuvent également opérer leur réduction d’émissions par des mesures
en dehors de l’entreprise si cela n’est pas techniquement possible ou financièrement
supportable dans l’entreprise » (Art. 9 Ordonnance sur le CO2) ; peuvent notamment
se trouver dans cette situation les nouvelles entreprises déjà très efficaces sur le plan
énergétique ; celles-ci peuvent donc se faire exempter si des mesures de réduction
sont réalisées en dehors de l’entreprise en Suisse et à l’étranger dans une certaine
proportion (voire plus loin, principe de la supplémentarité) (OFEV, 2007b) ;
• « les entreprises qui ne respectent pas leur engagement formel doivent restituer […]
les taxes qui leur ont été remboursées, intérêts compris. […] Un intérêt moratoire de
5 % est dû en cas de retard de paiement » (Art. 19, al. 1 et 4 Ordonnance sur le CO2).
Ainsi, en septembre 2007382, 1'600 entreprises avaient engagé une démarche volontaire dont
700 (auxquelles s’ajoutent 250 entreprises qui avait demandé une prolongation du délai de
demande d’exemption qui était fixé au 1er septembre 2007 pour une exemption dès l’année
2008) avaient fait une demande d’exemption de la taxe CO2 (engagements formels). Sur ces
700 demandes d’exemption, près de 350 entreprises avaient déjà conclu une convention
d’objectifs (qu’il s’agissait donc juste de transformer en un engagement formel), alors que les
350 autres entreprises n’avaient pas encore passé d’examen formel de leur engagement. Par
ailleurs, les quelques 250 entreprises qui avaient déposé une demande de prolongation de
délai avaient déjà signé une convention d’objectifs.
382
Communiqué de presse de l’OFEV du 06 septembre 2007 : L'économie se prépare à la taxe sur le CO2 -
premier bilan.
293
En novembre 2007383, 970 entreprises avaient demandé d'être exemptées de la taxe CO2 et
donc de contracter un engagement formel envers la Confédération.
En février 2008384, sur les quelques mille entreprises qui avait soumis une demande
d’exemption, près de la moitié (quelque 550 entreprises) avait reçu une décision d’exemption
à mi-février 2008, les autres devant la recevoir d’ici à la fin du premier semestre 2008.
Entre les mois de mai et de juin 2008385, les premiers droits d’émission ont été attribués aux
entreprises qui ont ouvert un compte dans le registre national suisse, soit environ pour 2,2
millions de tonnes pour 2008.
En effet, ce sont les entreprises exemptées de la taxe CO2 sur les combustibles (ayant donc
contracté un engagement formel) qui se voient attribuer, dans le cadre de la législation, des
droits d’émission. Ces droits sont acquis à hauteur de leurs objectifs d’émission de CO2.
Toutefois, les petites entreprises qui, pour des raisons de coûts, ont pris un engagement formel
sans toutefois fixer d’objectif d’émission de CO2, mais un objectif spécial388 ne reçoivent pas
de tels droits (Art. 8, al. 3 et art. 12, al.1 Ordonnance sur le CO2). Elles ne sont cependant pas
exclues du marché institué dans la mesure où elles peuvent tout de même prendre part aux
échanges et notamment faire valoir l’achat de certificats dans le cadre de leurs engagements.
Ces droits sont octroyés par l’intermédiaire du registre nationale suisse des quotas d’émission
(Art. 12, al. 2 Ordonnance sur le CO2) dans lequel les entreprises doivent détenir un compte
exploitant. Les entreprises devront notamment y faire annuler annuellement les droits
d’émission reçus en fonction de leurs émissions réelles attestées (Art. 12, al. 3 Ordonnance
sur le CO2, droits d’émission utilisés).
383
Communiqué de presse de l’OFEV du 19 novembre 2007 : Taxe sur le CO2 et Registre national du
commerce des quotas d'émission en 2008.
384
Communiqué de presse de l’OFEV du 14 février 2008 : Des entreprises tirent parti de la flexibilité de la loi
sur le CO2.
385
Communiqué de presse de l’OFEV du 11 juin 2008 : Coup d'envoi du marché des émissions en Suisse.
386
« Lors du calcul des émissions au sens de la présente loi, le Conseil fédéral peut tenir compte de manière
appropriée des réductions d’émissions opérées à l’étranger et financées par la Confédération ou par des
entreprises sises en Suisse. Il fixe les exigences en tenant compte des critères reconnus sur le plan international »
(Art. 2, al. 7 LCO2).
387
L’ordonnance règle les exigences de qualité et de preuves ainsi que les volumes imputables (supplémentarité)
des réductions d’émissions opérées à l’étranger (OFEV, 2007c).
388
Soit celles qui ont uniquement établi une valeur cible spécifique (MB) ou défini un plan de mesures (Mpme).
294
attestées et les objectifs d’émission définis par l’octroi des quotas nationaux (dans le cas des
entreprises avec octroi de droits d’émission), par l’achat de droits d’émissions nationaux
achetés à d’autres entreprises ou des droits d’émissions ou des certificats acquis à l’étranger,
mais ceci, selon le principe de la supplémentarité (I), uniquement dans une certaine proportion
(Art. 18, al. 2 Ordonnance sur le CO2) :
Notons qu’à cela s’ajoute également une deuxième règle de supplémentarité (principe de
supplémentarité II) qui peut être résumée de la manière suivante (OFEV, 2007d ; voire
également Art. 3 et 5, al. 1 et 2 Ordonnance sur l’imputation du CO2) :
L’objectif de réduction de 10 % par rapport à 1990, fixé dans la loi sur le CO2, représente
environ 4 millions de tonnes de CO2. Si l’effort principal doit être consenti en Suisse,
quelques 2 millions de tonnes de CO2 de l’étranger peuvent être imputées à l’objectif
total assigné aux combustibles et aux carburants. Le contingent de 2 millions de tonnes
de CO2 environ sera réparti entre les différents secteurs et utilisateurs. L’al. 1 [de l’article
5 de l’ordonnance sur l’imputation] met un contingent de 1,6 million de tonnes de CO2 à
la disposition des mesures librement consenties (centime climatique, p. ex.). L’al. 2 [de
ce même article, quant à lui] autorise [comme nous l’avons déjà souligné] les entreprises
qui concluent des engagements formels selon l’art. 9 de la loi à imputer les réductions
d’émissions opérées à l’étranger à l’objectif de réduction pour un maximum de 8 % sur la
période de 2008 à 2012. […] Seules les entreprises au sens de l’art. 9 de l’ordonnance sur
le CO2 sont autorisées à imputer les réductions opérées à l’étranger à leur objectif de
réduction à hauteur de 30 %. Il s’agit par exemple d’entreprises nouvelles sur le marché
dont les équipements de production correspondent à la meilleure technique disponible.
Selon les estimations actuelles, le contingent de certificats réservés aux entreprises ayant
conclu des engagements formels correspondra environ à 0,4 million de tonnes de CO2.
OFEV, 2007d, p.4
Enfin, soulignons que l’intervention sur le marché d’échange des droits et certificats
d’émission prévue via la registre nationale suisse – réglé par l’Ordonnance du DETEC sur le
registre national des échanges de quotas d’émission du 27 septembre 2007 – n’est pas
seulement réservée aux entreprises ayant été exemptées de la taxe CO2 sur la base d’un
objectif d’émission et recevant donc des quotas à sa hauteur. En effet, la détention d’un
compte (non-exploitant) dans le registre est également ouverte aux autres entreprises ayant
contracté un engagement formel mais sans objectif d’émission (modèles benchmark et pme),
auxquelles n’est attribué aucun droit d’émission, ainsi qu’à toutes autres personnes physique
ou morale en faisant la demande (Art. 2 Ordonnance du DETEC sur le registre national des
échanges de quotas d’émission du 27 septembre 2007 ; OFEV, 2007d).
295
I) Intermède : théorie économique (du fonctionnement) du mécanisme d’échange de
permis négociables
Le fonctionnement des mécanismes de flexibilité du Protocole de Kyoto reposent, sur le plan
de la théorie économique, sur le théorème de Coase (Coase, 1960 ; voir également
Bürgenmeier, 2005), un économiste britannique, lauréat du Prix Nobel d’économie en 1991.
En effet, celui-ci indique dans les grandes lignes que quelle que soit l’attribution initiale des
droits de propriété entre les participants à un marché, un système d’équilibre général
débouchera, en l’absence de coûts de transaction et de manière ex poste, sur une allocation
optimale des ressources (optimum).
Du point de vue théorique, imaginons deux entreprises A et B (ou deux Etats) qui polluent
chacune une certaine quantité (Q) de pollution (chacune 100 Q, 200 Q au total) et qui ont des
coûts de réduction de dépollution (Cmd, coût de réduction des émissions de CO2) différents
(cf. Figure 35 ci-après et Annexe 21 pour les calculs). Si l’on octroie des droits d’émissions à
la hauteur d’un objectif de réduction définis pour les deux entreprises (-50 Q pour les deux
entreprises, soit -100 Q au total), et que l’on institue un marché de ces droits (possibilité de
vendre et d’acheter ces droits), le résultat d’un tel système est d’atteindre une allocation
optimale des ressources du point de vue (de l’efficience) économique, dans la mesure où
l’objectif global de réduction (soit -100 Q) est atteint à un moindre coût (comparativement à
une simple norme d’émission par exemple) puisque l’entreprise B, dont le Cmd est moindre,
va fournir un effort supplémentaire de dépollution, qu’elle va vendre à l’entreprise A, dont le
Cmd est supérieur, qui va l’acheter.
Source : l’auteur
296
système – qui permet donc de réduire la pollution (les émissions) là où les coûts de réduction
sont moindres389 – en attribuant de tels droits (les droits d’émission) et en instituant un négoce
de ceux-ci.
Indiquons brièvement qu’il existe trois instruments de flexibilité dans le cadre du Protocole de
Kyoto (Bürgenmeier, Greppin et Perret, 2007) :
En Suisse, les mécanismes de Kyoto sont mis en œuvre via un registre national392 dans lequel
tous les échanges de droits et de certificats sont répertoriés. Ainsi, par exemple, les entreprises
qui ont rempli et dépassé leur objectif d’émission de CO2 peuvent vendre leurs droits
nationaux alors que les entreprises qui n’ont pas atteint leurs engagements peuvent compenser
ce déficit, dans un certaine mesure, par l’acquisition de droits nationaux, internationaux ou de
certificats étrangers.
389
Etant entendu que la localisation territoriale des émissions de CO2 n’est pas un problème en soi du point de
vue de la problématique du changement climatique (répartition des concentrations de CO2 dans l’atmosphère au
niveau global).
390
Dans lesquels les réductions des émissions ont un coût inférieur.
391
Pour une vue synthétique du système des mécanismes de Kyoto, de ses avantages et inconvénients, nous
renvoyons le lecteur à Bürgenmeier, Greppin et Perret, 2007.
392
Réglé par l’Ordonnance du DETEC du 27 septembre 2007.
297
En adéquation avec le Protocole de Kyoto, sept types de quotas d’émission (« emission
credits ») – terme générique – sont reconnus par le registre suisse en fonction de leur origine
ou de leurs propriétés (OFEV, 2007a ; cf. Tableau 37 ci-dessous).
systèmes/registres
période d’engagement
Quotas d'émission
Source : sur la base de OFEV (2007a), Art. 4 Ordonnance sur l’imputation du CO2 et OFEV (2007c)
298
Une distinction est ainsi faite entre les certificats (certificates) qui désignent les quotas
d’émission découlant des projets de mise en œuvre conjointe (JI) et du mécanisme de
développement propre (CDM) et les droits d’émissions (emission allowances) qui désignent
les quotas alloués aux Etat industrialisés dans le cadre des objectifs du Protocole de Kyoto,
puis redistribuer par ces derniers selon leur modalités spécifiques.
Les droits attribués par l’OFEV sont appelés « droits d’émission » [« emission
allowances »]. Les quotas d’émission issus des projets dans des pays en développement
(MDP selon l’art. 12 du Protocole de Kyoto) ainsi que d’autres pays industriels ou en
transition (MOC selon l’art. 6 du Protocole de Kyoto) sont des « certificats »
[« certificates »]. Le terme générique applicable aux «droits d’émission » et aux «
certificats » est « quotas d’émission » [« emission credits »]. L'UE utilise son propre
système d'échange de quotas d'émission, les « quotas européens » (EU Allowances –
EUA). (OFEV, 2007a, p. 1)
Aussi, les réductions d’émissions de CO2 opérées à l’étranger sont définies par l’Ordonnance
sur l’imputation du CO2 en distinguant deux types de crédits d’émissions imputables/reconnus
en Suisse (Art. 2, al.1 Ordonnance sur l’imputation du CO2 ; OFEV, 2007c) :
• les certificats issus des projets JI (URE) et CDM (CER, tCER et lCER) au sens des
articles 6 et 12 du Protocole de Kyoto et attestés respectivement par le pays hôte (pays
dans lequel le projet a été réalisé) ou le Conseil exécutif du CDM393 ;
• les droits d’émission délivrés aux autres pays industrialisés en vertu de leurs
engagements chiffrés de réduction pris dans le cadre du Protocole de Kyoto (UQA,
UA et EUA), pour autant que leur système d’échange soit similaire avec celui de la
Suisse et qu’ils ne proviennent pas des Etats ayant subis de profondes mutations
structurelles après 1990 (« hot air », Russie, Ukraine).
Ces quotas d’émissions n’existent que sous forme électronique et sont donc enregistrés, de
même que leur détenteur, dans le registre national suisse. Celui-ci comptabilise d’ailleurs
toutes les transactions qui y sont effectuées : quotas délivrés, détenus, cédés, acquis, annulés
ou invalidés (Art. 2, al. 3 Ordonnance sur l’imputation du CO2 ; OFEV, 2007c).
Enfin, rappelons pour conclure sur le fonctionnement de ces mécanismes de flexibilité (en
Suisse) que le marché n’est pas réservé aux seules entreprises et que toute personne physique
ou juridique peut ouvrir un compte (non exploitant) dans le registre suisse et ainsi participer à
l’achat et à la vente de quotas d’émission avec la possibilité, très intéressante mais peu
soulignée, de les retirer définitivement du marché.
12.2.5 L’obligation de compensation pour les centrales à cycles combinés alimentées au gaz
(et toutes les installations de production d’électricité fonctionnant avec des
combustibles fossiles)
La question de la compensation des émissions de CO2 des centrales à turbines à gaz ou à
vapeur (centrales à cycles combinés alimentés au gaz), qui ne sont pas soumises à la taxe CO2
393
Ce dernier a accrédité des organes de contrôle privés chargés de valider et de vérifier les projets CDM selon
une procédure prédéfinie devant garantir l’irréprochabilité écologiques des projets, ainsi que la mesurabilité, la
durabilité et la réalité des réductions des émissions et leur conformité aux exigences du Protocole de Kyoto (Art.
4, al. 1 Ordonnance sur l’imputation du CO2 ; OFEV, 2007c).
299
frappant les combustibles dans le cadre de la législation actuelle394, est réglée, pour le
moment, par un Arrêté fédéral urgent395, entré en vigueur le 15 janvier 2008, ainsi que par une
Ordonnance396 qui en précise les dispositions de mise en œuvre.
Toutefois, la durée de validité de ces dispositions est limitée dans le temps et les dispositions
de l’Arrêté devraient être reprises dans une modification de la LCO2 pour continuer à être
valables par la suite (Art. 2, al. 3 Arrêté fédéral concernant la compensation des émissions de
CO2 des centrales à cycles combinés alimentées au gaz du 23 mars 2007).
Aussi, si la première durée de validité de ces dispositions était fixée au 31 décembre 2008, le
Parlement, dans ses décisions du 16 septembre 2008 pour le Conseil national et du 22
septembre 2008 pour le Conseil des Etats, a prolongé l’Arrêté fédéral urgent jusqu’au 31
décembre 2010, le temps d'effectuer la modification de la législation sur le CO2 (DETEC,
2008).
Selon cette modification, les centrales à cycles combinés alimentées au gaz, de même que
toutes les installations de production d’électricité fonctionnant avec des combustibles
fossiles400, seront exemptées d’office de la taxe CO2 et devront compenser entièrement leurs
émissions de CO2 avec la possibilité d’en réduire la moitié par l’achat de certificats étrangers
(DETEC, 2008).
394
Communiqué de presse de l’OFEV du 29 octobre 2008 : Compensation des émissions de CO2 des centrales à
gaz: projet de loi adopté.
395
Arrêté fédéral concernant la compensation des émissions de CO2 des centrales à cycles combinés alimentées
au gaz du 23 mars 2007.
396
Ordonnance sur la compensation des émissions de CO2 des centrales à cycles combinés alimentées au gaz du
21 décembre 2007.
397
Contrat de compensation, conclu avec l’OFEV.
398
Art. 5, al. 3 : les entreprises sans potentiel de réduction au sens de l’article 9 de l’Ordonnance sur le CO2
peuvent faire valoir des réductions effectuées à l’étranger pour un maximum de 30 %.
399
Pour assurer, le cas échéant, la sécurité de l’approvisionnement en électricité du Pays.
400
Communiqué de presse de l’OFEV du 29 octobre 2008 : Compensation des émissions de CO2 des centrales à
gaz: projet de loi adopté.
300
Par conséquent, nous pouvons souligner le fait qu’en complément aux instruments prévus
originellement par la LCO2 (combinaison entre engagements formels, taxe CO2 et
mécanismes de flexibilité du Protocole de Kyoto), le projet de modification de la législation
sur le CO2 introduit également une obligation de compensation pour les centrales thermiques
à combustibles fossiles (via le système des autorisations de construire et d’exploiter) qui, dans
sa mise en œuvre, est également combinée avec la taxe (exemption d’office des centrales) et
les mécanismes de flexibilité (possibilité de compensation à l’étranger).
S’expose également à une amende pouvant atteindre 10'000 francs, celui qui aura mis en péril
la taxe de manière intentionnelle ou par négligence a) en ne s’annonçant pas comme assujetti
à la taxe, b) en ne remplissant pas son devoir d’information et c) en dissimulant ou en donnant
de fausses informations (Art. 13, al 1 LCO2). En cas de récidive ou de cas graves, l’amende
peut alors atteindre 30'000 francs (Art. 13, al. 2 LCO2).
De même, dans le cadre de l’obligation de compensation des centrales à gaz (et par
prolongement des centrales thermiques à combustibles fossiles), soulignons que si ces
dernières ne remplissent pas leur contrat de compensation, il est prévu une peine
conventionnelle qui prend la forme d’une prestation financière (Art. 2, al. 2, lettre d
Ordonnance sur la compensation des émissions de CO2 des centrales à cycles combinés
alimentées au gaz du 21 décembre 2007).
Mais, au-delà de ces sanctions-amendes, nous pouvons également relever que la taxe sur le
CO2 doit être également considérée comme une sanction-menace à l’encontre des entreprises
qui ont conclu des engagements formels mais qui n’arriveraient pas à les tenir. Aussi la taxe
CO2 remplit-elle une triple fonction au sein de la législation suisse sur le CO2 : a) elle rend
effective la phase des engagements formels, b) elle permet de sanctionner les entreprises qui
ne remplissent par leur objectif d’émission volontairement contracté (obligation de résultat) et
c) elle incite les autres acteurs socio-économiques (individus compris) à diminuer leur
consommation directe ou indirecte de combustibles fossiles, notamment du fait que le prix des
combustibles devient moins attrayant par rapport à d’autres énergies alternatives.
401
En se procurant ou en procurant à un tiers de manière intentionnelle un avantage illicite, notamment en se
soustrayant à la taxe sur le CO2 ou en ayant obtenu une exemption, une bonification ou un remboursement
injustifié de la taxe
301
Tableau 39 : Les instruments et les acteurs-cibles de la politique climatique suisse
Instruments Acteurs-cibles
Conventions - Entreprises suisses (des PME aux grandes entreprises) consommant des énergies
d’objectifs (CO) fossiles et se regroupant ou non en association
Engagements - Entreprises suisses (des PME aux grandes entreprises) consommant des énergies
formels (EF) fossiles et se regroupant ou non en association
Source : l’auteur
302
Figure 36 : La combinaison des instruments de la législation sur le CO2 : interdépendance et
temporalité
Taxe
CO2
Engagements
Conventions formels
d’objectifs
avec entreprises
(ME, MB, Mpme)
Mise en
œuvre des
mécanismes
Centime climatique de flexibilité
en Suisse
Obligation de compenser
pour les centrales à gaz
303
13.1 Enquête « pan-phy » : procédures et résultats intermédiaires
Dans le cadre de notre enquête « pan-phy » nous avons fait appel à six experts reconnus dans
le domaine de l’étude des instruments politiques et économiques des politiques publiques,
notamment dans le domaine de la protection de l’environnement. Ces six experts – dont
l’anonymat est ici gardé – sont tous issus du domaine académique et enseignent dans les
différentes institutions que sont l’Université de Genève, la Haute école de gestion de Genève
et les deux Ecoles polytechniques fédérales de Lausanne et de Zurich. Ils sont issus des
domaines de l’économie politique, du management de l’environnement et de la science
politique. L’addition de leurs domaines d’expertises respectifs couvrent un espace que nous
pouvons définir selon deux axes, soit une vision générale des instruments économiques et
politiques et une vision plus spécifique des instruments de la politique climatique suisse.
Pour rappel, les six experts composant notre panel ont évalué dans le cadre de notre enquête
« pan-phy » les instruments concrets de la politique climatique suisse au regard de sept
dimensions (nos idéauxtypes d’instruments en réalité) ainsi que le degré de complexité des
acteurs ciblés par ces derniers à l’aide d’une notation sur une échelle de 0 à 4 au cours d’un
processus séquencé en deux vagues de questionnaires identiques.
Lors de la première vague de questionnaires, les experts ont donc établi une première notation
dans le but d’évaluer les instruments de la législation suisse sur le CO2 (conventions,
engagements formels, taxe CO2, mécanismes de flexibilité et obligation de compensation
pour les centrales à gaz) sur la base de sept dimensions analytiques – ou leviers/déterminants
comportementaux – impliquées par leur introduction :
Dans cette perspective, nous avons donc demandé aux experts d’évaluer les instruments
concrets de la politique climatique suisse du point de vue de chaque type d’acteurs ciblés par
leur introduction (évaluation orientée acteurs) en établissant une notation402 qui mesure le
degré de sollicitation chez les acteurs cibles des sept leviers comportementaux que nous leur
avons proposés.
402
Echelle de notation : (0) non sollicités, (1) un peu sollicités, (2) moyennement sollicités, (3) bien sollicités, (4)
très sollicités.
304
A cette fin, les experts devaient se mettre à la place des différents acteurs-cibles (évaluation
orientées acteurs). En d’autres termes, ils devaient se poser la question suivante : est-ce que
l’instrument pris en compte va solliciter chez « moi » (l’acteur-cible), dans le but de modifier
« mon » comportement afin de réduire « mes »/les émissions de CO2, un ou plusieurs des sept
leviers comportementaux soumis à évaluation ? Plus spécifiquement, les experts devaient
pour chaque instrument de la législation sur le CO2 se poser les questions suivantes :
1. est-ce que l’instrument mise sur le fait que « je » puisse être contraint par l’autorité (de
manière physique en derniers recours) à réduire « mes »/les émissions de CO2 ? (recours à
la force de police en tant que contrainte physique légitime en dernière instance)
2. est-ce que l’instrument mise sur le fait de solliciter « mon » intérêt économique (calcul
coût-bénéfice) afin que je réduise « mes »/les émissions de CO2 ?
3. est-ce que l’instrument mise sur le fait de solliciter « mes » dispositions vertueuses
(principes, valeurs, etc.) afin que je réduise « mes »/les émissions de CO2 ?
4. est-ce que l’instrument mise sur le fait de solliciter « mes » dispositions affectives
(sentiments, émotions, etc.) afin que je réduise « mes »/les émissions de CO2 ?
6. est-ce que l’instrument mise sur le fait de « me » donner un exemple comportemental (que
je pourrai imiter) afin que je réduise « mes »/les émissions de CO2 ?
Notons que nous avons choisi à dessein de ne pas faire référence explicitement aux sept
idéauxtypes d’instruments politiques que nous avons défini dans le cadre de ce travail, mais
plutôt à leurs dimensions fondamentales (les leviers/déterminants comportementaux qu’ils
mettent en jeux chez les acteurs-cibles) dans le but d’éviter que les experts n’évaluent (plus ou
moins consciemment) les instruments sur la base de leur propre conception de ce que sont les
typologies d’instruments. Nous pensons ainsi éviter la tentation classificatrice que nous avons
tant critiquée dans le cadre de la partie consacrée à la méthodologie pour nous diriger vers une
véritable comparaison entre les instruments concrets de la politique climatique suisse et
chacun des sept idéauxtypes d’instruments politiques composant notre typologie. C’est
pourquoi nous avons demandé aux experts d’évaluer les instruments concrets de la législation
sur le CO2 en fonction du niveau de sollicitation des sept leviers comportementaux proposés
(présentés par conséquent sous la forme de dimensions et non de types d’instrument). Aussi,
l’évaluation du degré de similitudes/différence entre les instruments concrets de la politique
climatique suisse associés à leurs acteurs-cibles et chacun des sept idéauxtypes d’instruments
des politiques publiques (ITipp) de notre typologie ne se fait donc qu’indirectement.
Notons également ici que les experts ont également évalué le niveau de complexité des
acteurs ciblés par ces instruments à l’aide d’une même échelle de notation403. Pour rappel, les
403
Echelle de notation : (0) non complexes, (1) un peu complexes, (2) moyennement complexes, (3) bien
complexes, (4) très complexes.
305
experts ont évalué ce niveau de complexité en tenant compte, de manière synthétique dans
leur réflexion, des dimensions suivantes de la complexité d'un système d'acteurs :
• leur nombre (les acteurs sont-ils plus ou moins nombreux ?) ; sachant que le degré de
complexité croît de manière proportionnelle avec le nombre d’acteur ;
• leur niveau d'interaction (les acteurs sont-ils plus ou moins en relation les uns avec les
autres ?) ; sachant que le degré de complexité croît de manière proportionnelle avec
leur niveau de relation ;
• leur degré d'hétérogénéité (la logique d'action des acteurs est-elle identique pour tous
les acteurs ou différente ?) ; sachant que le degré de complexité croît de manière
proportionnelle avec leur degré d’hétérogénéité ;
Les résultats (finaux) concernant l’évaluation par les experts du niveau de complexité des
acteurs-cibles (également comprise dans le cadre de l’enquête « pan-phy ») ne vous sont
présentés que dans un second temps (chapitre 13.5.4, point A)). Néanmoins, notons ici que la
même procédure que celle définie ci-après pour les résultats de l’évaluation des instruments a
été utilisée pour leur traitement.
Pour chaque instrument concret, respectivement pour chaque groupe d’acteurs cibles, soumis
à évaluation, nous avons calculé la moyenne des évaluations des six experts, moyenne que
nous avons considérée comme exprimant la tendance centrale des réponses du panel
d’experts404. Les réponses dites « extrêmes » ont quant à elles été identifiées par un processus
en deux étapes. La première étape a consisté à appliquer de manière systématique deux filtres
que nous qualifions d’objectifs :
404
Voir nos développements ci-après sur l’utilisation de la moyenne comme expression de la tendance centrale
dans le cadre d’une échelle ordinale (cf. chapitre 2, point 2.1.3 - A)).
306
Formule du test de Dixon pour N = 6 :
Le rapport r min permet de tester la valeur x minimale (x1) alors que r max sert à tester la
valeur x maximale (xn).
La valeur de rejet de H0 (VrH0) (et d’acceptation de H1) selon la table de Dixon est de 0.698,
0.560 ou 0.482 en fonction du degré de confiance choisi, soit respectivement 1%, 5% ou 10%.
Ainsi, si r min/max calculé est supérieur à la valeur de rejet de H0 (VrH0) alors on rejette H0
et on accepte H1 : la valeur testée est une valeur extrême. Dans le cas contraire (r min/max est
inférieur à VrH0), on accepte H0 et l’on rejette H1 : la valeur testée n’est pas considérée
comme une valeur extrême.
Dans le cas qui nous occupe, les réponses des experts ont donc été ordonnées et les valeurs
minimales et maximales ont été soumises au test de Dixon avec un degré de confiance de
10 % (r > 0.482 pour rejeter H0 et accepter H1).
Suite à ces deux étapes de filtrage des réponses du panel d’expert, deux types de résultats ont
été obtenus : identification d’une voire de deux réponses « extrêmes » (R1) ou pas de
réponses « extrêmes » identifiées (R2).
Dans le premier cas (R1), la tendance centrale est alors mesurée à l’aide de la moyenne des
réponses des experts calculée sur la base des réponses non extrêmes (TC moy. exp. hors rép.
ex.), c’est-à-dire après suppression de la (ou des) valeur(s) extrême(s), arrondie à l’unité.
Dans le second cas (R2 ; aucune réponse « extrême » identifiée après le filtrage des données),
il se présente deux variantes : soit un consensus est déjà obtenu autour de l’évaluation de
l’instrument pris en considération et respectivement du niveau de complexité de l’acteur-cible
et le processus s’arrête là, la tendance centrale est exprimée par la moyenne des réponses des
six experts (TC moy. tot. rép. exp.) ; soit aucune réponse extrême ne peut être identifiée en
raison de l’hétérogénéité des réponses des experts qui exprime l’absence d’un consensus (cas
des séries de réponses très dispersée et/ou avec double voire triple mode). Aussi, afin de
307
trouver un consensus pour ce type de séries de valeurs, nous avons choisi de définir la
moyenne de l’ensemble de la série de réponses (arrondie à l’unité) comme mesurant la
tendance centrale (TC moy. tot. rép. exp.) et de considérer les réponses des experts qui
n’avaient pas donné cette valeur comme des réponses « extrêmes ».
L’ensemble de cette procédure nous a donc permis d’identifier les réponses « extrêmes » du
panel d’experts et donc, dans le cadre de la deuxième vague de questionnaire, de demander
aux experts qui ont répondu de manière « extrêmes » de réviser leur jugement ou de le
justifier brièvement s’ils souhaitaient garder leur réponse d’origine.
A cette fin, nous avons donc communiqué à chaque expert, à la suite de leur propre notation
considérée comme extrême, deux propositions de réponses :
Trois possibilités s’offrent dès lors aux experts dont la réponse a été considérée comme
extrême :
c) ils peuvent garder leur réponse initiale ; dans ce cas deux options se présentent alors à
eux :
c1) leur réponse initiale (Ri) n’est pas égale à P 2 (réponse surlignée en rouge)
ils se doivent de justifier et de motiver leur choix de garder leur réponses
initiale considérée comme extrême ;
c2) leur réponse initiale (Ri) est égale à P 2 (réponse surlignée en orange)
ils n’ont pas besoin de justifier leur choix, leur réponse est proche de la
tendance centrale du panel d’expert.
405
Pour que celles-ci correspondent au système de notation tel que défini au départ [0 ou 1 ou 2 ou 3 ou 4].
308
Figure 37 : Illustration de la procédure de révision des réponses « extrêmes » issues de la première
vague de questionnaire.
r
r
Source : Annexe 23
Notons ici que nous n’avons pas jugé utile de faire une troisième vague de questionnaires
compte tenu de la nature assez consensuelle des réponses obtenues et du temps à notre
disposition.
309
tel que le calcul d’une moyenne406 (Amayotte, 1996). En effet, le rôle de tels codes permet
simplement d’ordonner les modalités et les seules relations qui devraient être envisageables
d’émettre entre eux sont <, >, = et ≠. Il s’en suit que le mode et la médiane devraient
constituer les mesures uniques de la tendance centrale des réponses mesurées à l’aide de ce
type d’échelle et que la moyenne ne devrait pas être utilisée, puisque ne possédant pas de sens
sur un plan strictement mathématique (cf. Encadré 21 ci-dessous).
Or nous avons jugés pertinent d’utiliser la moyenne dans le cadre de notre recherche car,
outre ces facilités d’utilisation et notamment de différenciation ou précision, ainsi que
l’ouverture sur des modalités de mesure de la dispersion des valeurs plus praticable tel que
l’écart-type, il s’avère que la procédure que nous avons suivie (notre enquête « pan-phy »)
tend à éviter les valeurs extrêmes pour rechercher un consensus. Par ailleurs, lorsque des
réponses « extrêmes » ont été maintenues (et justifiées) par les experts, celles-ci, comme nous
allons le voire ci-après, n’ont pas été prises en considération pour le calcul de la moyenne,
mais ont fait l’objet d’une analyse supplémentaire (de même que les réponses sans valeurs
« extrêmes » mais jugées comme « non consensuelles »).
En outre, notons ici que dans le cadre de nos analyses (compréhensive et explicative),
l’interprétation des résultats des moyennes (et des valeurs extrêmes et du niveau de
consensus) ne se fait pas sur un niveau de précision extrême.
406
Qui implique d’additionner les codes puis les diviser par le nombre de réponses.
407
De ce fait, en utilisant la moyenne comme mesure de la tendance centrale des réponses de notre panel
d’experts, nous considérons donc que nos deux échelles ordinales sont « assimilables » à une échelle
d’intervalles (écarts entre modalités/valeurs (unités) de nature égale, quantification possibles de ces écarts,
présence d’une unité de mesure normalisée et d’un point de référence conventionnel (zéro conventionnel)).
310
B) Identification d’un niveau de consensus autour de la moyenne des réponses du
panel d’experts
Nous avons identifié un niveau de consensus des réponses du panel d’experts pour chaque
question posée en fonction du calcul de l’écart-type et selon les intervalles définis dans le
Tableau 39 ci-dessous.
Rappelons ici que l’écart-type est une mesure de la dispersion des séries statistiques, il
donne une mesure de la dispersion plus fine que l'étendue puisqu'il tient compte de toutes
les données. Par ailleurs, contrairement à la variance, l'écart type s'exprime dans les
mêmes unités que la variable. [...] plus l'écart type est faible, plus les données sont
concentrées autour de la moyenne; plus l'écart type est élevé, plus les données sont
dispersées (Amayotte, 1996, p. 296).
5 ]1.15-2.20] Faible
Source : l’auteur
Statistiquement parlant, soulignons que 76.47 % des questions ont suscité une réponse
consensuelle de la part du panel d’expert (unanimité : 1.96 %, consensus solide 50.33 % et
consensus convenable : 24.18 %) et seulement 23.53 % des questions ont suscité des réponses
« non consensuelles » (consensus jugé assez faible : 20.26 % et faible : 3.27 %).
Statistiquement parlant, sur les 153 questions de notre questionnaire, 8 réponses « extrêmes »
ont été identifiées comme telles. Elles se répartissent comme suit : 6 questions (3.92 % des
153 questions) avec une réponse « extrême » et 1 question (1.3 % des 153 questions) avec
deux réponses « extrêmes ». Ainsi, seulement 4.58 % des questions (7 en chiffre absolu) ont
suscité le maintient d’une ou deux réponses « extrêmes ».
311
Notons à ce titre que 7 réponses « extrêmes » ont été jugées comme « aberrantes » compte
tenu de la justification avancée. Ces réponses et les justifications qui leur sont associées n’ont
donc pas été prises en compte dans le cadre de notre analyse.
Enfin soulignons ici qu’en conséquence 73.2 % des questions (112 en valeur absolue) ne sont
ni sujettes à une (ou deux) réponse(s) extrême(s) maintenue(s), ni à un niveau de consensus
jugé comme non convenable (niveaux de consensus 4 et 5 (assez faible et faible)).
La première consiste en la simple analyse des moyennes des réponses du panel d’experts sans
prise en considération des valeurs extrêmes maintenues, ni du niveau de consensus obtenu.
La seconde permet de compléter la première analyse en y ajoutant un regard plus critique qui
se décompose en trois types de considérations relatives à la mise en évidence, si nécessaire,
pour chaque question posée :
1. des réponses du panel d’experts sans consensus (niveaux de consensus 4 et 5), mais
sans valeur « extrême » (maintenue) ;
Les questions n’étant pas sujettes à ces trois composantes en seconde analyse étant celles dont
les réponses du panel d’experts peuvent être qualifiées de consensuelles (niveaux de
consensus 1 à 3) et pour lesquelles aucune valeur « extrême » n’est présente ou n’a été
maintenue. Nous rappelons ici que c’est le cas pour la grande majorité des questions (73.2 %).
+ « pan-phi »
13.2 De l’enquête « pan-phy » à la méthode idéaltypique : présentation et
modalités d’interprétation des résultats finaux
Tout les éléments du chapitre précédent bien considérés, les résultats finaux de l’évaluation
des experts pour le degré de similitude/différence avec les idéauxtypes d’instruments vous
sont présentés sous la forme d’histogrammes (graphiques A à G) et de diagrammes de type
radar (ou toile d’araignée) (graphiques A2 à G2 et A3 à G3) construits sur la base des
moyennes des réponses du panel d’experts408.
408
Il en va de même pour les résultats finaux de l’évaluation du niveau de complexité des acteurs-cibles ;
toutefois ceux-ci vous sont présentés dans le cadre du chapitre consacré à l’analyse explicative de la politique
climatique suisse (cf. chapitre 13.5.4, lettre A) ci-après).
312
Comme spécifié dans le chapitre précédent, l’analyse des valeurs « extrêmes » maintenues et
des réponses de type non consensuel se fait dans une deuxième étape, afin de préciser
l’analyse des simples moyennes. Aussi, les questions qui n’ont pas fait l’objet d’une réponse
convenablement consensuelle (niveaux de consensus 4 et 5) ou/et pour lesquelles les experts
ont maintenu une ou deux réponses « extrêmes » sont identifiées dans le cadre des
histogrammes (graphique A à G), respectivement de la manière suivante :
Notons ici que les graphiques de type radar (graphiques A2 à G2 et A3 à G3) ne font que
reprendre les résultats des graphiques A à G, seules les modalités de présentation changent,
permettant ainsi, le cas échéant, d’obtenir une meilleure vue d’ensemble des résultats.
Rappelons également ici que, dans le cadre de notre analyse, nous interprétons l’évaluation
des experts du niveau de sollicitation des sept leviers comportementaux par les instruments
concrets de la législation sur le CO2 comme représentant une évaluation du degré de
similitude/différence entre les instruments concrets de la politique climatique suisse – associés
à leurs acteurs-cibles – et chacun des sept idéauxtypes d’instruments des politiques publiques
de notre typologie409 : l’évaluation du panel d’experts permet donc de dresser (de manière
indirecte) une comparaison entre les instruments concrets de la politique climatique suisse et
les idéauxtypes d’instruments politiques, idéauxtypes que nous considérons dans le cadre de
notre recherche comme des étalons de mesure. Nous passons ainsi, et par la même occasion,
de l’enquête « pan-phi » à la méthode idéaltypique + « pan-phy ».
Afin de pouvoir obtenir une vue d’ensemble et faciliter une lecture horizontale et verticale des
résultats finaux, ceux-ci vous sont présentés ci-après dans une triple feuille dépliante : pour
les histogrammes, l’axe des abscisses (X) répertorie les différents instruments concrets de la
politique climatique suisse (associés à leur acteur-cible) et l’axe des ordonnées (Y)
l’évaluation faite par les experts du degré de similitude/différence entre ces différents
instruments concrets de la politique climatique suisse et l’idéaltype d’instrument en question.
Les résultats finaux vous sont également proposés sous la forme d’un graphique de type
radar/toile d’araignée reprenant les moyennes des réponses du panel d’experts (sans reprendre
toutefois l’identification des réponses « extrêmes » et/ou de l’absence de consensus
convenable).
409
L’échelle d’évaluation que nous avons utilisée dans le cadre de nos questionnaires (de (0) non sollicités, (1)
un peu sollicités, (2) moyennement sollicités, (3) bien sollicités et (4) très sollicités) peut donc être
« transposée » comme suit pour l’analyse des résultats finaux : évaluation du « degré de similitude/différence »
entre les ICpcs et nos sept ITipp : (0) pas similaires/très différents, (1) un peu similaires/bien différents, (2)
moyennement similaires/moyennement différents, (3) bien similaires/peu différents et (4) très similaires/pas
différents.
313
Graphique A1
Graphique C1
Graphique B1
Degré de similitude avec l'idéaltype "instr. de comm. vert." Degré de similitude avec l'idéaltype "instrument céconomique" Degré de similitude avec l'idéaltype "instrument coercitif"
(0) pas, (1) un peu, (2) moyennement, (3) bien, (4) très … similaire (0) pas, (1) un peu, (2) moyennement, (3) bien, (4) très … similaire (0) pas, (1) un peu, (2) moyennement, (3) bien, (4) très … similaire
4
0
4
0
4
*re/re
*re
0.2
2.8
1.0
0.2
0.7
0.5
2.2
0.5
1.2
2.2
0.2
0.8
0.2
3.0
0.3
0.0
0.3
2.8
CC (AC6) CC (AC6) CC (AC6)
*ac
*re
2.8
0.2
1.4
Instruments économiques
3.3
2.2
1.5
Instruments coercitifs
*ac
*ac
0.2
3.0
2.7
TCO2 (AC1) TCO2 (AC1) TCO2 (AC1)
*ac
3.7
1.0
2.7
TCO2 (AC2) TCO2 (AC2) TCO2 (AC2)
2.7
0.5
1.3
TCO2 (AC3) TCO2 (AC3) TCO2 (AC3)
0.8
2.3
1.2
TCO2 (AC4) TCO2 (AC4) TCO2 (AC4)
1.3
0.2
0.2
TCO2 (AC5) TCO2 (AC5) TCO2 (AC5)
0.3
1.3
0.2
TCO2 (AC6) TCO2 (AC6) TCO2 (AC6)
0.5
3.3
2.5
MécFlex (AC1) MécFlex (AC1) MécFlex (AC1)
*ac
*ac
1.0
2.7
1.3
MécFlex (AC2) MécFlex (AC2) MécFlex (AC2)
*re
0.4
3.7
0.2
MécFlex (AC3) MécFlex (AC3) MécFlex (AC3)
0.5
2.8
3.5
OblComp (AC1) OblComp (AC1) OblComp (AC1)
0.8
3.0
0.2
OblComp (AC2) OblComp (AC2) OblComp (AC2)
*ac
1.0
3.6
0.2
OblComp (AC3) OblComp (AC3) OblComp (AC3)
314
Graphique D1
Graphique E1
Graphique F1
Degré de similitude avec l'idéaltype "instr. de comm. exempl." Degré de similitude avec l'idéaltype "instr. de comm. in-form." Degré de similitude avec l'idéaltype "instr. de comm. aff."
(0) pas, (1) un peu, (2) moyennement, (3) bien, (4) très … similaire (0) pas, (1) un peu, (2) moyennement, (3) bien, (4) très … similaire (0) pas, (1) un peu, (2) moyennement, (3) bien, (4) très … similaire
4
0
*ac
2.2
0.0
0.3
0.8
0.3
0.2
*ac
3.0
0.0
0.3
*ac
2.0
0.2
0.5
*ac
0.2
2.5
0.3
0.3
2.0
0.3
CC (AC6) CC (AC6)
0.2
2.7
0.8
0.2
2.7
0.8
*ac
0.2
2.0
0.3
*ac
0.2
2.8
0.3
0.2
1.8
0.5
0.3
1.8
0.3
*ac
0.2
1.2
0.5
*ac
0.3
1.0
0.5
0.2
1.5
2.7
MécFlex (AC1) MécFlex (AC1) MécFlex (AC1)
*ac
0.3
1.8
2.7
MécFlex (AC2) MécFlex (AC2) MécFlex (AC2)
*re
*ac
*ac
*re
0.2
2.7
0.8
*ac
0.2
0.3
2.5
OblComp (AC1) OblComp (AC1) OblComp (AC1)
0.2
*ac
0.5
2.7
OblComp (AC2) OblComp (AC2) OblComp (AC2)
0.3
*ac
0.3
2.8
TCO2 (AC1)
TCO2 (AC2)
TCO2 (AC3)
TCO2 (AC4)
TCO2 (AC5)
TCO2 (AC6)
OblComp (AC1)
OblComp (AC2)
OblComp (AC3)
CC (AC2)
CC (AC3)
CC (AC4)
CC (AC5)
CC (AC6)
CO (AC7)
EF (AC8)
MécFlex (AC1)
MécFlex (AC2)
MécFlex (AC3)
AV (AC1)
Légende
Mesures librement consenties - (AC2) : Entreprises en tant que consommatrices
(directes ou indirectes) de combustibles et/ou de
AV : Accords volontaires
carburants ayant contracté un engagement formel et
- (AC1) : Fondation du Centime Climatique (mais a
donc ayant été exemptées de la taxe CO2
priori, tout acteur de types associatifs, fondations, etc.)
- (AC3) : Entreprises en tant que consommatrices
CC : Centime Climatique (directes ou indirectes) de combustibles et/ou de
- (AC2) : Les "consommateurs" directs ou indirects de carburants n’ayant pas contracté d’engagement formel
carburants (mais éventuellement une convention d’objectifs)
- (AC3) : Acteurs menant des projets en Suisse dans les - (AC4) : Individus/particuliers en tant que
domaines bâtiments/carburant/chaleur consommateurs (directs ou indirects) de combustibles
- (AC4) : Entreprises suisses ayant une Convention et/ou de carburants
d'objectifs dans le secteur des carburants ou des - (AC5) : Entreprises en tant que bénéficiaires de la
combustibles (achat de leurs résultats excédentaires à redistribution de la taxe par le biais de la masse
un prix compétitif) salariale (via la caisse de compensation AVS)
- (AC5) : Fonds d’investissement, Brokers, Traders - (AC6) : Individus/particuliers en tant que
(certificats par intermédiaire) qui investissent l'argent bénéficiaires de la redistribution de la taxe par le biais
pour le compte de la fondation CC dans des projets à de l’assurance maladie (via les primes)
l’étranger
- (AC6) : Propriétaires de projets à l’étranger MécFlex : Mécanismes de flexibilité
(certificats directs) bénéficiant directement des - (AC1) : Entreprises suisses ayant contracté un
investissements de la fondation CC engagement formel et ayant bénéficié de droits
d'émission à hauteur de leur objectif d'émission
CO : Conventions d’objectifs
- (AC2) : Entreprises suisses ayant contracté un
- (AC7) : Entreprises suisses (des PME aux grandes
engagement formel mais sans bénéficier de droits
entreprises) consommant des énergies fossiles et se
d'émission (entreprises sans objectif d'émission)
regroupant ou non en association
- (AC3) : Autres acteurs : meneurs/propriétaires de
EF : Engagement formel projets de réduction d'émissions à l'étranger, brookers,
- (AC8) : Entreprises suisses (des PME aux grandes traders, etc.
entreprises) consommant des énergies fossiles et se
regroupant ou non en association OblComp : Obligation de compensation
- (AC1) : Exploitants/constructeurs (actuels et futurs)
TCO2 : Taxe CO2 de centrales à gaz exemptés d'office de la taxe CO2
-(AC1) : Importateurs, fabricants, producteurs, - (AC2) : Meneurs (actuels ou potentiels) de projets de
commerçants (de marchandises non imposées ou réduction des émissions en Suisse (via
imposables à un taux plus élevé) et/ou entrepositaires investissements)
de combustibles et/ou de carburants - (AC3) : Meneurs (actuels ou potentiels) de projets de
réduction des émissions à l'étranger (via
investissements directs ou achats de certificats CO2)
316
Graphique A2 Instruments coercitifs
AV (AC1)
OblComp (AC3) 4 CC (AC2)
AV (AC1)
OblComp (AC3) 4 CC (AC2)
AV (AC1)
OblComp (AC3) 4 CC (AC2)
317
Graphique D2 Instruments de communication affective
AV (AC1)
OblComp (AC3) 4 CC (AC2)
AV (AC1)
OblComp (AC3) 4 CC (AC2)
AV (AC1)
OblComp (AC3) 4 CC (AC2)
318
Graphique G2 Instruments d'aménagement et d'infrastructure
AV (AC1)
OblComp (AC3) 4 CC (AC2)
Légende
Mesures librement consenties - (AC2) : Entreprises en tant que consommatrices
(directes ou indirectes) de combustibles et/ou de
AV : Accords volontaires
carburants ayant contracté un engagement formel et
- (AC1) : Fondation du Centime Climatique (mais a
donc ayant été exemptées de la taxe CO2
priori, tout acteur de types associatifs, fondations, etc.)
- (AC3) : Entreprises en tant que consommatrices
CC : Centime Climatique (directes ou indirectes) de combustibles et/ou de
- (AC2) : Les "consommateurs" directs ou indirects de carburants n’ayant pas contracté d’engagement formel
carburants (mais éventuellement une convention d’objectifs)
- (AC3) : Acteurs menant des projets en Suisse dans les - (AC4) : Individus/particuliers en tant que
domaines bâtiments/carburant/chaleur consommateurs (directs ou indirects) de combustibles
- (AC4) : Entreprises suisses ayant une Convention et/ou de carburants
d'objectifs dans le secteur des carburants ou des - (AC5) : Entreprises en tant que bénéficiaires de la
combustibles (achat de leurs résultats excédentaires à redistribution de la taxe par le biais de la masse
un prix compétitif) salariale (via la caisse de compensation AVS)
- (AC5) : Fonds d’investissement, Brokers, Traders - (AC6) : Individus/particuliers en tant que
(certificats par intermédiaire) qui investissent l'argent bénéficiaires de la redistribution de la taxe par le biais
pour le compte de la fondation CC dans des projets à de l’assurance maladie (via les primes)
l’étranger
- (AC6) : Propriétaires de projets à l’étranger MécFlex : Mécanismes de flexibilité
(certificats directs) bénéficiant directement des - (AC1) : Entreprises suisses ayant contracté un
investissements de la fondation CC engagement formel et ayant bénéficié de droits
d'émission à hauteur de leur objectif d'émission
CO : Conventions d’objectifs
- (AC2) : Entreprises suisses ayant contracté un
- (AC7) : Entreprises suisses (des PME aux grandes
engagement formel mais sans bénéficier de droits
entreprises) consommant des énergies fossiles et se
d'émission (entreprises sans objectif d'émission)
regroupant ou non en association
- (AC3) : Autres acteurs : meneurs/propriétaires de
EF : Engagement formel projets de réduction d'émissions à l'étranger, brookers,
- (AC8) : Entreprises suisses (des PME aux grandes traders, etc.
entreprises) consommant des énergies fossiles et se
regroupant ou non en association OblComp : Obligation de compensation
- (AC1) : Exploitants/constructeurs (actuels et futurs)
TCO2 : Taxe CO2 de centrales à gaz exemptés d'office de la taxe CO2
-(AC1) : Importateurs, fabricants, producteurs, - (AC2) : Meneurs (actuels ou potentiels) de projets de
commerçants (de marchandises non imposées ou réduction des émissions en Suisse (via
imposables à un taux plus élevé) et/ou entrepositaires investissements)
de combustibles et/ou de carburants - (AC3) : Meneurs (actuels ou potentiels) de projets de
réduction des émissions à l'étranger (via
investissements directs ou achats de certificats CO2)
319
Graphique A3 Mesures librements consenties (acteurs cibles)
0
Idéaltype instrument de communication Idéaltype instrument de communication
exemplaire vertueuse
0
Idéaltype instrument de communication Idéaltype instrument de communication
exemplaire vertueuse
0
Idéaltype instrument de communication Idéaltype instrument de communication
exemplaire vertueuse
320
Graphique D3 Taxe CO2 (acteurs cibles II)
0
Idéaltype instrument de communication Idéaltype instrument de communication
exemplaire vertueuse
0
Idéaltype instrument de communication Idéaltype instrument de communication
exemplaire vertueuse
0
Idéaltype instrument de communication Idéaltype instrument de communication
exemplaire vertueuse
321
Graphique G3 Obl Comp (acteurs cibles)
0
Idéaltype instrument de communication Idéaltype instrument de communication
exemplaire vertueuse
Légende
Mesures librement consenties - (AC2) : Entreprises en tant que consommatrices
(directes ou indirectes) de combustibles et/ou de
AV : Accords volontaires
carburants ayant contracté un engagement formel et
- (AC1) : Fondation du Centime Climatique (mais a
donc ayant été exemptées de la taxe CO2
priori, tout acteur de types associatifs, fondations, etc.)
- (AC3) : Entreprises en tant que consommatrices
CC : Centime Climatique (directes ou indirectes) de combustibles et/ou de
- (AC2) : Les "consommateurs" directs ou indirects de carburants n’ayant pas contracté d’engagement formel
carburants (mais éventuellement une convention d’objectifs)
- (AC3) : Acteurs menant des projets en Suisse dans les - (AC4) : Individus/particuliers en tant que
domaines bâtiments/carburant/chaleur consommateurs (directs ou indirects) de combustibles
- (AC4) : Entreprises suisses ayant une Convention et/ou de carburants
d'objectifs dans le secteur des carburants ou des - (AC5) : Entreprises en tant que bénéficiaires de la
combustibles (achat de leurs résultats excédentaires à redistribution de la taxe par le biais de la masse
un prix compétitif) salariale (via la caisse de compensation AVS)
- (AC5) : Fonds d’investissement, Brokers, Traders - (AC6) : Individus/particuliers en tant que
(certificats par intermédiaire) qui investissent l'argent bénéficiaires de la redistribution de la taxe par le biais
pour le compte de la fondation CC dans des projets à de l’assurance maladie (via les primes)
l’étranger
- (AC6) : Propriétaires de projets à l’étranger MécFlex : Mécanismes de flexibilité
(certificats directs) bénéficiant directement des - (AC1) : Entreprises suisses ayant contracté un
investissements de la fondation CC engagement formel et ayant bénéficié de droits
d'émission à hauteur de leur objectif d'émission
CO : Conventions d’objectifs
- (AC2) : Entreprises suisses ayant contracté un
- (AC7) : Entreprises suisses (des PME aux grandes
engagement formel mais sans bénéficier de droits
entreprises) consommant des énergies fossiles et se
d'émission (entreprises sans objectif d'émission)
regroupant ou non en association
- (AC3) : Autres acteurs : meneurs/propriétaires de
EF : Engagement formel projets de réduction d'émissions à l'étranger, brookers,
- (AC8) : Entreprises suisses (des PME aux grandes traders, etc.
entreprises) consommant des énergies fossiles et se
regroupant ou non en association OblComp : Obligation de compensation
- (AC1) : Exploitants/constructeurs (actuels et futurs)
TCO2 : Taxe CO2 de centrales à gaz exemptés d'office de la taxe CO2
-(AC1) : Importateurs, fabricants, producteurs, - (AC2) : Meneurs (actuels ou potentiels) de projets de
commerçants (de marchandises non imposées ou réduction des émissions en Suisse (via
imposables à un taux plus élevé) et/ou entrepositaires investissements)
de combustibles et/ou de carburants - (AC3) : Meneurs (actuels ou potentiels) de projets de
réduction des émissions à l'étranger (via
investissements directs ou achats de certificats CO2)
322
13.3 Interprétation des résultats finaux par idéauxtypes d’instruments politiques
(lecture des graphiques A1 à G1 et A2 à G2)
Dans le cadre de cette première analyse, nous vous proposons une lecture horizontale des
graphiques A1 à G1 et A2 à G2 qui permet ainsi d’étudier les résultats de l’évaluation du
panel d’experts par idéauxtypes d’instruments pour chacun des vingt instruments concrets de
la politique climatique suisse (associés à leurs acteurs-cibles) que nous avons identifiés.
Le premier groupe d’instruments est composé des instruments OblComp-AC1 (3.5) et TCO2-
AC1-AC2 (2.7). Ils sont tous les trois évalués comme des instruments de type bien coercitif.
Notons cependant que pour l’instrument TCO2-AC1, l’évaluation ne recueille pas un niveau
de consensus « convenable ». Néanmoins, l’évaluation des experts (2 2 2 2 4 4) n’est dans
tous les cas pas inférieure à 2 (degré de similitude moyen), ce qui nous permet de dire que
l’instrument TCO2-AC1 peut être considéré comme un instrument au minimum de type
moyennement coercitif, ce qui le placerait, tout au plus, dans le deuxième groupe
d’instruments définis ci-dessous.
Le deuxième groupe d’instruments est composé des instruments MécFlex-AC1 (2.5) et EF-
AC8 (2.2). Ce sont des instruments qui peuvent être qualifiés d’un peu plus que moyennement
coercitifs.
Le troisième groupe d’instruments est composé des instruments TCO2-AC3-AC4 (1.3 et 1.2)
et MécFlex-AC2 (1.3). Ce sont des instruments qui peuvent être qualifiés de type peu coercitif
avec, pourtant, cette précision concernant le dernier instrument : son évaluation par le panel
d’experts n’est pas jugée comme convenablement consensuelle et le résultat de l’évaluation (0
0 2 2 2 2) montre qu’il pourrait être considéré au maximum comme un instrument de type
moyennement coercitif. Sa position dans ce groupe n’est donc pas fortement ancrée et elle
peut donc être étendue au deuxième groupe ci-dessus.
Le quatrième et dernier groupe d’instruments est composé des douze instruments restants. Ce
sont des instruments de type non coercitif.
Notons ainsi que, d’une manière générale, les instruments concrets de la politique climatique
suisse sont des instruments de type peu coercitif.
Soulignons enfin le fait que des instruments sont évalués de manière significativement
différente en fonction de l’acteur-cible pris en considération. Ce constat est particulièrement
probant pour l’instrument TCO2 qui peut donc être interprété comme un instrument de type
coercitif (par exemple au regard de AC2) à peu coercitif (vis-à-vis de AC5 et AC6). Il en va
de même pour les instruments MécFlex ou OblComp. A contrario, l’instrument CC est évalué
comme un instrument non coercitif quelque soit l’acteur-cible pris en considération.
323
B) Idéaltype instrument économique
Comparativement à l’analyse concernant l’idéaltype instrument coercitif, nous pouvons
constater sur les graphiques B1 et B2 que les instruments concrets de la politique climatique
suisse peuvent être, de manière générale, considérés comme des instruments de type
économique.
En effet, seuls trois instruments ne sont pas évalués au moins comme des instruments de type
moyennement économique : l’instrument CC-AC2 et les instruments TCO2-AC5-AC6. Ce
sont sans aucun doute les montants (actuellement) en jeu qui font que l’effet incitatif de ces
instruments n’est pas significatif et qu’ils ne sont donc pas évalués comme des instruments
économiques du point de vue de l’acteur-cible. Cependant, nous pouvons postuler qu’avec des
montants plus conséquents (c’est-à-dire dans le cas d’une augmentation de la taxe CO2),
l’évaluation des experts ne seraient pas identique.
Soulignons cependant que l’évaluation de certains instruments font l’objet d’une absence de
consensus convenable et/ou du maintient d’une réponse « extrême ».
Ainsi, une absence de consensus convenable est à relever pour l’évaluation de l’instrument
TCO2-AC1 et CC-AC5. Toutefois, les résultats de l’évaluation des experts (respectivement 2
2 3 3 4 4 et 2 2 3 3 4 4) montrent qu’ils peuvent être interprétés dans tous les cas comme des
instruments de type au moins moyennement économique. Ce constat ne remet donc pas en
question nos propos précédents (c’est-à-dire que les instruments de la politique climatique
suisse sont de nature plutôt économique).
Par ailleurs, l’évaluation de deux instruments a fait l’objet du maintient d’une réponse
« extrême » par un expert : l’instrument CO-AC7, dont l’évaluation fait par ailleurs l’objet
d’une absence de consensus convenable (0 / 2 2 2 4 4) et l’instrument AV-AC1 (1 / 2 2 3 3 4).
En effet, un expert se distingue dans son évaluation en remettant en cause le réel effet incitatif
de ces types d’instruments sur le calcul coût-bénéfice des acteurs-cibles dans la mesure où, du
point de vue de ces derniers, il est évident que leur action ne va pas influencer la décision
d’introduire la taxe CO2. Pour cet expert, ce type de mesures repose ainsi beaucoup plus sur
les dispositions vertueuses des acteurs-cibles afin de modifier leur comportement (cf. analyse
de l’idéaltype instrument de communication vertueuse ci-après). Pour notre part, nous
sommes en accord avec ce point de vue, mais nous pensons que l’expert a ici négligé le fait
que l’instrument des conventions d’objectifs (CO-AC7) permet aux entreprises de réduire leur
consommation d’énergie et donc de réaliser des bénéfices et que les accords volontaires (AV-
AC1), sont pour le cas du centime climatique, spécifiquement dédiés à repousser l’entrée en
force de la taxe CO2 et, pour le cas d’autres accords envisageables avec des entreprises,
fonctionneraient sur le même mode que les conventions d’objectifs.
Par conséquent, nous jugeons que cette argumentation, bien qu’intéressante, ne remet pas en
cause l’analyse effectuée jusqu’à présent.
324
présence d’un certain nombre de réponses extrêmes maintenues et d’absence de consensus
nous indique que l’analyse doit être un peu plus affinée.
Concernant les réponses « extrêmes » maintenues, nous pouvons souligner qu’une évaluation
fait l’objet d’une double réponse extrême et que deux autres évaluations en font l’objet d’une
seule. Les instruments en question sont CO-AC7 (1 1 1 2 2 / 4), AV-AC1 (0 1 1 2 / 3 4) et
MécFlex-AC3 (0 0 0 1 1 / 3). Ces réponses « extrêmes » sont justifiées de la sorte par les deux
experts dont elles émanent :
• d’une part les mesures librement consenties telles que les conventions d’objectifs (CO-
AC7) et les accords volontaires (AV-AC1) n’existeraient pas sans dispositions un peu
vertueuses de la part des acteurs qui y adhèrent volontairement ; d’ailleurs l’un des
deux experts souligne le fait que l’accord volontaire dit du Centime Climatique a été
proposé par ses « inventeurs » pour contrer l’introduction d’une taxe CO2 qui ne
correspond pas à leurs valeurs profondes ;
• d’autre part, le deuxième expert indique que certains acteurs visés par les mécanismes
de flexibilité (MécFlex-AC3) peuvent utiliser ce système pour acheter et détruire des
certificats de manière altruiste.
Concernant les évaluations qui ne font pas l’objet d’un consensus jugé comme convenable,
soit celles relatives aux instruments CC-AC3 (0 0 2 2 2 / r aberrante), TCO2-AC2 (0 0 1 1 2
2), MécFlex-AC2 (0 0 1 1 2 2) et OblComp-AC3 (0 0 1 1 2 2), celles-ci montrent dans tous
les cas que ces instruments peuvent être évalués tout au plus moyennement comme des
instruments de communication vertueuse.
Par conséquent, nous pouvons admettre que quelques instruments, notamment les conventions
d’objectifs (CO-AC7), les accords volontaires (AV-AC1) et les mécanismes de flexibilité
(MécFlex-AC2-AC3) peuvent constituer des instruments de communication vertueuse de
manière un peu plus conséquente que ne le laissent penser les graphiques C1 et C2.
325
la question de savoir si le concept d’instrument de communication in-formationnel a été
compris de manière identique par les experts.
C’est pourquoi nous ne nous confronterons pas à une quelconque interprétation des résultats,
même si nous pouvons constater que les experts se rejoignent dans leur évaluation pour
quelques instruments, par exemple, pour les instruments CO-AC7 et EF-AC8 qui sont évalués
de manière consensuelle comme des instruments de communication in-formationnelle
(moyennes = 2.7).
Ainsi, dans le cadre des mécanismes de flexibilité, par exemple, nous pouvons dire que les
acteurs-cibles ont une tendance à se laisser entraîner par l’Etat dans le processus et ainsi
d’adopter leur comportement par mimétisme : ils participent aux mécanismes d’échange de
certificats pour « faire comme l’Etat » qui lui y participe au niveau international. La
justification de l’expert relative à sa réponse « extrême » concernant l’instrument
MécFlex-AC2 va d’ailleurs dans ce sens.
C’est pourquoi nous ne nous confronterons pas à une quelconque interprétation des résultats,
même si nous pouvons supposé sur la base des graphiques G1 et G2 que les instruments de la
politique climatique suisse ne peuvent être que peu considérés comme des instruments
d’aménagement et d’infrastructures, horsmis quelques instruments dont les résultats sont
difficilement interprétables (AV-AC1, CO-AC7, TCO2-AC2-AC3-AC4-AC5, MécFlex-AC1
et OblComp-AC2-AC3).
326
13.4 Interprétation des résultats finaux par instruments concrets (lecture verticale des
graphiques A1 à G1 et lecture des graphiques A3 à G3)
Dans le cadre de cette seconde analyse, nous vous proposons une lecture verticale des
graphiques A1 à G1 qui permet ainsi d’étudier les résultats de l’évaluation du panel d’experts
pour chaque instrument concret de la politique climatique suisse en fonction des sept
idéauxtypes d’instruments politiques. Ainsi, il s’agit cette fois de ne prendre en compte que
les instruments de la même couleur dans chacun des sept histogrammes.
Notons ici que nous avons choisi de ne pas interpréter dans le cadre de cette analyse les
réponses relatives aux idéauxtypes d’instruments de communication in-formationnelle et
d’aménagement et d’infrastructure, compte tenu de nos commentaires sur la réelle
compréhension uniforme des ces types d’instruments par les experts.
Par ailleurs, nous avons également produit des graphiques de type radar/toile d’araignée pour
chaque « famille » d’instruments qui reprennent les moyennes de l’évaluation des experts
pour chaque instrument concret de la politique climatique suisse en fonction des sept
idéauxtypes d’instruments (cf. graphiques A3 à G3).
327
D) Les engagements formels – EF-AC8
Sur la base des graphiques A1 à G1 et A3 à G3 et compte tenu de nos commentaires relatifs
aux réponses « extrêmes » et non consensuelles, nous pouvons dire que l’instrument des
engagements formels est considéré comme un instrument économique, de même que comme
un instrument moyennement coercitif. Il est également considéré, dans une moindre mesure
comme un instrument de communication vertueuse et peut être considéré tout au plus
moyennement comme un instrument de communication exemplaire. A contrario, il n’est pas
considéré comme instrument de communication affective.
328
G) L’obligation de compensation – OblComp-AC1-AC2-AC3)
Sur la base des graphiques A1 à G1 et A3 à G3 et compte tenu de nos commentaires relatifs
aux réponses « extrêmes » et non consensuelles, nous pouvons dire que :
Pour rappel, l’analyse de la politique climatique suisse que nous nous proposons d’effectuer
se décline sous trois aspects, compréhensif, explicatif et méthodologique, et tente ainsi de
répondre aux questions générales suivantes :
quels sont les types d’instruments de la politique climatique suisse ? (et comment
sont-ils articulés ?)
Sur la base de nos développements précédents, nous les avons déclinées sous la forme
d’hypothèses de travail que nous nous proposons maintenant de confronter aux résultats que
nous avons obtenus. Par la même occasion, nous replacerons nos propos au sein du cadre
théorique qui les sous-tend.
Notre première hypothèse compréhensive souligne que la politique climatique suisse, en tant
que politique récente, ne devrait pas avoir recours à des instruments de type coercitif, ceci en
adéquation avec l’évolution historique des modalités d’intervention étatique – mise en
329
évidence dans la littérature spécialisée (notamment par Morand) – vers une intervention de
moins en moins contraignante.
L’analyse que nous avons effectuée montre que cette hypothèse n’est que partiellement
vérifiée, voire invalidée si l’on dépasse la seule addition quantitative des instruments
politiques analysés.
Ainsi, les piliers de la législation sur le CO2 que sont les engagements formels (EF-AC8), la
taxe CO2 (considérée tant du point de vue des acteurs assujettis à la taxe que du point de vue
des entreprises avec engagement formel, TCO2-AC1-AC2), les mécanismes de flexibilité
(considérés du point de vue des entreprises avec engagement formel, MécFlex-AC1) et
l’obligation de compensation pour les exploitants de centrales à gaz (OblComp-AC1) sont des
instruments de nature coercitive.
Afin de vérifier si cette hypothèse est applicable à la politique climatique suisse, il nous faut
rapidement rappeler quelle est l’articulation des instruments prévue dans le cadre de la
législation sur le CO2, articulation que nous avons résumée dans le cadre de l’étude
descriptive de la politique climatique suisse sous la forme des Figures 32 et 36 que nous
avons synthétisé en une seule illustration pour l’occasion (Cf. Figure 38 ci-après).
En effet, comme nous avons pu le constater par le passé, les instruments de la politique
climatique suisse sont articulés (de manière complexe) au sein d’une combinaison
interdépendante et temporellement séquencée par deux phases : une première phase volontaire
et une seconde phase dite subsidiaire.
Ainsi, dans le cadre de la première phase dite des mesures volontaires, la législation sur le
CO2 repose « uniquement » sur les instruments AV-AC1, CC-AC2-AC3-AC4-AC5-AC6,
CO-AC7, soit des instruments de nature non coercitive. Ce n’est que dans une seconde étape
330
de nature subsidiaire que la législation prévoit la mise en œuvre des instruments que le panel a
évalué comme étant coercitifs, à savoir EF-AC8, TCO2-AC1-AC2 (voire AC3-AC4) et
MécFlex-AC1 (voire AC2).
Cependant, une exception peut être faite à ce constat. En effet, l’obligation de compensation
pour les exploitants de centrales à gaz, un instrument coercitif par excellence, n’a pas été
prévue sous le couvert d’une quelconque subsidiarité mais a été mise en place, certes non pas
dès le début de la législation, mais de manière ad hoc par la suite.
Figure 38 : L’articulation des d’instruments prévue dans le cadre de la législation sur le CO2 et
effectivités des mesures
Taxe CO2 (TCO2)
Introduite le 1er janvier 2008
Source : l’auteur
Aussi, tout en rappelant que sans l’introduction d’une taxe CO2 la mise en œuvre des
engagements formels et des mécanismes de flexibilité n’étaient tout simplement pas possible
– la taxe CO2 ayant été prévue comme une menace à faire planer sur la phase des mesures
volontaires pour que celles-ci produisent des effets et ne pouvant être mise en œuvre si les
mesures volontaires pouvaient à elles seules remplir les objectifs de réduction – nous pouvons
ainsi confirmer notre deuxième hypothèse compréhensive et souligner l’application dans le
cadre de la politique climatique suisse du principe de la contrainte minimale tel que nous
l’avons défini : en effet, les instruments de type coercitif ne sont prévus que de manière
subsidiaire et leur introduction n’est planifiée qu’en cas d’échec des instruments moins
contraignants, exception faite de l’instrument obligation de compensation (exception qui peut
s’expliquer par la nature de l’acteur ciblé par la mesure, voir ci-après).
331
A noter qu’en ce qui concerne l’instrument des engagements formels, nous pouvons parler de
mesure volontairement ou librement contraignante dans la mesure où ce n’est qu’une fois
l’engagement contracté que celui-ci devient réellement coercitif.
En suivant la première partie de l’hypothèse culturelle formulée par Salamon (2002), les
instruments conformes à la logique du marché, soit les instruments économiques, ne seraient
pas privilégiés au sein de la politique climatique suisse, une politique de l’ancien continent.
Cette affirmation est infirmée par l’analyse instrumentale de la politique climatique suisse. En
effet, nous avons pu constater que la grande majorité des instruments de la politique
climatique suisse peut être considérée comme des instruments de type économique conformes
à la logique du marché, taxe CO2 et mécanismes de flexibilité en tête.
Cependant, la deuxième partie de son hypothèse, selon laquelle les politiques de l’ancien
continent seraient plus interventionnistes (comprenons à prérogative contraignante, par
opposition aux instruments non-contraignants), semble corroborer dans la mesure où nous
avons constaté que des instruments de type coercitif sont bel et bien mis en œuvre dans le
cadre de la politique climatique suisse, mais, certes, sous le couvert du principe de
subsidiarité. L’Etat ne semble donc pas lâcher sa prérogative interventionniste, tout du moins
tente de (et réussit à) la garder.
Toutefois, ces considérations sont à replacer dans le contexte théorique et méthodologique qui
est le nôtre et qui nous ont permis de démontrer que les instruments de la politique climatique
suisse sont de nature multidimensionnelle et partagent notamment les caractéristiques des
instruments de type coercitif tout autant que des instruments de type économique.
Dans le cadre nos hypothèses explicatives, nous postulons que le choix final des instruments
politiques d’une législation peut être (en partie) expliqué par le niveau de complexité des
acteurs ciblés par ces mesures, compte tenu de la difficulté éprouvée de l’Etat d’agir de
manière coercitive sur des acteurs d’un niveau de complexité élevée.
332
Rappelons ici que les résultats de l’évaluation des experts menés dans le cadre de l’enquête
« pan-phy », tant pour le niveau de complexité des acteurs-cibles que pour le degré de
similitude/différence avec les idéauxtypes d’instruments, sont traduits par le biais de la
moyenne de leur réponse, moyenne qui est associée, d’une part, à la possible présence d’une
(ou plusieurs) réponse(s) « extrême(s) » et, d’autre part, à une évaluation du niveau de
consensus des réponses.
Les résultats vous sont également proposés sous la forme d’un graphique de type radar/toile
d’araignée reprenant les moyennes des réponses du panel d’experts (Graphique H2).
Graphique H Graphique H2
4
Niveau de complexité des acteurs-cibles (AC-a/n)
3.67
(0) non complexe, (1) un peu complexe, (2) moyennement complexe, (3) bien complexe, (4) très
(0) non complexe, (1) un peu complexe, (2) moyennement
3.17 3.17
3 2.80 AC-a
2.67 4
Niveau de complexité
AC-n AC-b
2.33 2.33
3
*ac 2.17
2.00 2.00 AC-m AC-c
2 2
1.50
1
1.33
1.17 AC-l AC-d
0
1
AC-k AC-e
0
AC-k
AC-a
AC-d
AC-e
AC-h
AC-n
AC-i
AC-j
AC-l
AC-f
AC-m
AC-c
AC-j AC-f
AC-b
Légende :
AC-a : Entreprises suisses (PME et grandes entreprises) consommatrice d'énergies fossiles
AC-b : Acteurs de type associatif, fondations (telle que celle du centime climatique), etc. (pouvant contracter un accord au titre des mesures librement
consenties)
AC-c : Importateurs, fabricants, producteurs, commerçants et/ou entrepositaires de combustibles et/ou de carburants assujettis à la Taxe CO2
AC-d : Individus/particuliers consommateurs (directs ou indirects) de combustibles et/ou de carburants
AC-e : Entreprises bénéficiaire de la redistribution de la taxe CO2 par le biais de la masse salariale
AC-f : Individus/particuliers bénéficiaires de la redistribution de la taxe CO2 par le biais de l’assurance maladie
AC-g : Acteur supprimé suite à la suppression de la question relative à l’Etat Suisse entre la 1ère et la seconde vague du questionnaire n°3 (MécFlex)
AC-h : Exploitants/constructeurs de centrales à gaz
AC-i : Meneurs de projets de réduction des émissions en Suisse
AC-j : Meneurs/propriétaires de projets de réduction d'émissions à l'étranger, brookers, traders, etc.
AC-k : Les "consommateurs" directs ou indirects de carburants "assujettis" au centime climatique
AC-l: Acteurs menant des projets en Suisse dans les domaines bâtiments/carburant/chaleur pouvant bénéficier du fonds Centime Climatique
AC-m : Entreprises suisses ayant une Convention d'objectifs dans le secteur des carburants ou des combustibles pouvant bénéficier du fonds Centime
Climatique
AC-n : Fonds d’investissement, Brokers, Traders pouvant bénéficier du fonds Centime Climatique
Ainsi, en première analyse, soit sur la base des seules moyennes, nous constatons que des
différences significatives entre les différents acteurs-cibles existent sur leur niveau de
complexité. Certains peuvent être considérés comme des acteurs particulièrement complexes
(moyennes > 3.0) alors que d’autres un peu, voire beaucoup moins. Notons par exemple, que
deux types d’acteurs se démarquent ainsi en obtenant un résultat relativement bas sur l’échelle
du niveau de complexité :
333
• les importateurs, fabricants, producteurs, commerçants et/ou entrepositaires de
combustibles et/ou de carburants assujettis à la Taxe CO2 (AC-c) ;
Nous verrons par la suite, dans le cadre de notre analyse explicative, que ce résultat revêt une
certaine importance.
Notons, en seconde analyse, qu’un seul résultat fait l’objet d’une absence de consensus et que
le niveau de complexité de l’acteur-cible AC-k est ainsi difficilement interprétable (réponse
des experts : 1 1 2 2 3 3) ; ce qui ne remet cependant pas en question notre analyse ci-dessus.
Enfin, notons également que nous avons jugé une réponse extrême maintenue par un expert
concernant l’acteur AC-n comme « aberrante » compte tenu de la justification fournie ; elle
n’a donc pas été prise en compte dans nos calculs.
334
Graphique I
Degré de sim ilitude avec l'idéaltype "instrum ent coercitif"
(0) pas similaire, (1) un peu similaire, (2) moyennement similaire, (3) bien similaire, (4) très similaire
0 1 2 3 4
0
(0) non complexe, (1) un peu complexe, (2) moyennement complexe, (3) bien
1
Niveau de complexité des acteurs cibles
*ac (222244)
complexe, (4) très complexe
*ac (112233)
2
3 *ac (002222)
4
Instruments concrets de la politique climatique suisse (acteurs-cibles)
Légende
Mesures librement consenties - (AC2) : Entreprises en tant que consommatrices (directes
ou indirectes) de combustibles et/ou de carburants ayant
AV : Accords volontaires contracté un engagement formel et donc ayant été
- (AC1) : Fondation du Centime Climatique (mais a priori,
exemptées de la taxe CO2
tout acteur de types associatifs, fondations, etc.)
- (AC3) : Entreprises en tant que consommatrices (directes
CC : Centime Climatique ou indirectes) de combustibles et/ou de carburants n’ayant
- (AC2) : Les "consommateurs" directs ou indirects de pas contracté d’engagement formel (mais éventuellement
carburants une convention d’objectifs)
- (AC3) : Acteurs menant des projets en Suisse dans les - (AC4) : Individus/particuliers en tant que consommateurs
domaines bâtiments/carburant/chaleur (directs ou indirects) de combustibles et/ou de carburants
- (AC4) : Entreprises suisses ayant une Convention d'objectifs - (AC5) : Entreprises en tant que bénéficiaires de la
dans le secteur des carburants ou des combustibles (achat de redistribution de la taxe par le biais de la masse salariale
leurs résultats excédentaires à un prix compétitif) (via la caisse de compensation AVS)
- (AC5) : Fonds d’investissement, Brockers, Traders - (AC6) : Individus/particuliers en tant que bénéficiaires de
(certificats par intermédiaire) qui investissent l'argent pour le la redistribution de la taxe par le biais de l’assurance
compte de la fondation CC dans des projets à l’étranger maladie (via les primes)
- (AC6) : Propriétaires de projets à l’étranger (certificats
MécFlex : Mécanismes de flexibilité
directs) bénéficiant directement des investissements de la
- (AC1) : Entreprises suisses ayant contracté un engagement
fondation CC
formel et ayant bénéficié de droits d'émission à hauteur de
CO : Conventions d’objectifs leur objectif d'émission
- (AC7) : Entreprises suisses (des PME aux grandes - (AC2) : Entreprises suisses ayant contracté un engagement
entreprises) consommant des énergies fossiles et se formel mais sans bénéficier de droits d'émission (entreprises
regroupant ou non en association sans objectif d'émission)
- (AC3) : Autres acteurs : meneurs/propriétaires de projets
EF : Engagement formel de réduction d'émissions à l'étranger, brookers, traders, etc.
- (AC8) : Entreprises suisses (des PME aux grandes
entreprises) consommant des énergies fossiles et se OblComp : Obligation de compensation
regroupant ou non en association - (AC1) : Exploitants/constructeurs (actuels et futurs) de
centrales à gaz exemptés d'office de la taxe CO2
TCO2 : Taxe CO2 - (AC2) : Meneurs (actuels ou potentiels) de projets de
-(AC1) : Importateurs, fabricants, producteurs, commerçants réduction des émissions en Suisse (via investissements)
(de marchandises non imposées ou imposables à un taux plus - (AC3) : Meneurs (actuels ou potentiels) de projets de
élevé) et/ou entrepositaires de combustibles et/ou de réduction des émissions à l'étranger (via investissements
carburants directs ou achats de certificats CO2)
335
En effet, la présence de ces instruments, soit les engagements formels (EF-AC8) et les
mécanismes de flexibilités (MécFlex-AC1) et la taxe CO2 vis-à-vis des entreprises avec
engagements formels (TCO2-AC2), dans le cadre IV de la figure ci-dessous (cf. Figure 39)
permet de réfuter notre hypothèse a) et de souligner que l’Etat est ainsi capable de choisir (et
de mettre en œuvre) des instruments de nature coercitive afin de modifier les comportements
d’acteurs d’une complexité élevée.
Acteurs-cibles
Source : l’auteur
Les résultats (cf. Graphique J ci-après) nous démontrent, en première analyse, que cette
hypothèse tend à être corroborée dans la mesure où les instruments ciblant des acteurs de
nature complexe sont évalués comme des instruments économiques, à une exception près
relative à la position de l’instrument TCO2-AC6 ; en seconde analyse, l’instrument CC-AC2
peut éventuellement s’ajouter à l’exception.
Cependant, il est à relever que ces deux instruments, soit la taxe CO2 vis-à-vis des particuliers
bénéficiaires de sa redistribution et le centime climatique au regard des consommateurs de
carburants, n’ont sans doute pas été évalués comme des instruments économiques en raison
des montants en jeux ; ils n’influencent donc que très peu le calcul coût-bénéfice des acteurs
socio-économiques dans une perspective de protection de l’environnement410. Ils sont
toutefois, dans l’esprit (ou en théorie), des instruments conformes à la logique du marché.
Aussi pouvons-nous supposer que la nature des instruments économiques, fondée sur une
logique d’une très grande simplicité et universalité, celle de la logique du prix, est adaptée a
des acteurs de nature complexe qui, malgré leurs différences, leur hétérogénéité, etc., ont tous
pour point commun de pouvoir intégrer facilement le signal prix (logique économique).
410
La même remarque peut être faite pour l’instrument TCO2-AC5.
336
Graphique J
Degré de similitude avec l'idéaltype "instrument économ ique"
(0) pas similaire, (1) un peu si mil aire, (2) moyennement si mil aire, (3) bi en simil aire, (4) très si milaire
0 1 2 3 4
0
(0) non complexe, (1) un peu complexe, (2) moyennement complexe, (3) bien
1
Niveau de complexité des acteurs cibles
*ac (223344)
complexe, (4) très complexe
*ac (112233)
2
*re (1/22334)
*ac (223344)
3
*ac/re (0/22244)
4
Instruments concrets de la politique climatique suisse (acteurs-cibles)
Légende
Mesures librement consenties - (AC2) : Entreprises en tant que consommatrices (directes
ou indirectes) de combustibles et/ou de carburants ayant
AV : Accords volontaires contracté un engagement formel et donc ayant été
- (AC1) : Fondation du Centime Climatique (mais a priori,
exemptées de la taxe CO2
tout acteur de types associatifs, fondations, etc.)
- (AC3) : Entreprises en tant que consommatrices (directes
CC : Centime Climatique ou indirectes) de combustibles et/ou de carburants n’ayant
- (AC2) : Les "consommateurs" directs ou indirects de pas contracté d’engagement formel (mais éventuellement
carburants une convention d’objectifs)
- (AC3) : Acteurs menant des projets en Suisse dans les - (AC4) : Individus/particuliers en tant que consommateurs
domaines bâtiments/carburant/chaleur (directs ou indirects) de combustibles et/ou de carburants
- (AC4) : Entreprises suisses ayant une Convention d'objectifs - (AC5) : Entreprises en tant que bénéficiaires de la
dans le secteur des carburants ou des combustibles (achat de redistribution de la taxe par le biais de la masse salariale
leurs résultats excédentaires à un prix compétitif) (via la caisse de compensation AVS)
- (AC5) : Fonds d’investissement, Brockers, Traders - (AC6) : Individus/particuliers en tant que bénéficiaires de
(certificats par intermédiaire) qui investissent l'argent pour le la redistribution de la taxe par le biais de l’assurance
compte de la fondation CC dans des projets à l’étranger maladie (via les primes)
- (AC6) : Propriétaires de projets à l’étranger (certificats
MécFlex : Mécanismes de flexibilité
directs) bénéficiant directement des investissements de la
- (AC1) : Entreprises suisses ayant contracté un engagement
fondation CC
formel et ayant bénéficié de droits d'émission à hauteur de
CO : Conventions d’objectifs leur objectif d'émission
- (AC7) : Entreprises suisses (des PME aux grandes - (AC2) : Entreprises suisses ayant contracté un engagement
entreprises) consommant des énergies fossiles et se formel mais sans bénéficier de droits d'émission (entreprises
regroupant ou non en association sans objectif d'émission)
- (AC3) : Autres acteurs : meneurs/propriétaires de projets
EF : Engagement formel de réduction d'émissions à l'étranger, brookers, traders, etc.
- (AC8) : Entreprises suisses (des PME aux grandes
entreprises) consommant des énergies fossiles et se OblComp : Obligation de compensation
regroupant ou non en association - (AC1) : Exploitants/constructeurs (actuels et futurs) de
centrales à gaz exemptés d'office de la taxe CO2
TCO2 : Taxe CO2 - (AC2) : Meneurs (actuels ou potentiels) de projets de
-(AC1) : Importateurs, fabricants, producteurs, commerçants réduction des émissions en Suisse (via investissements)
(de marchandises non imposées ou imposables à un taux plus - (AC3) : Meneurs (actuels ou potentiels) de projets de
élevé) et/ou entrepositaires de combustibles et/ou de réduction des émissions à l'étranger (via investissements
carburants directs ou achats de certificats CO2)
337
Cependant, et comme nous l’avons déjà spécifié, nous n’avons fait que dresser un lien entre le
choix des instruments de la politique climatique suisse d’une part et le niveau de complexité
des acteurs qu’ils ciblent d’autre part, sur la base d’un modèle théorique de nature explicative
certes, mais unidimensionnel surtout. Il ne s’agissait donc que de mettre en perspective ou,
pour reprendre les termes de Quivy et Campenhoudt (2006), de rendre intelligible la variable
choix des instruments par sa composante explicative niveau de complexité des acteurs-cibles.
Mais nous verrons dans notre partie de conclusion que ce choix peut être également mis en
relation avec de nombreux autres facteurs explicatifs que nous avons tenté d’intégrer dans un
modèle explicatif systémique : le système instrumental.
En d’autres termes, nous postulons que les instruments (concrets) de la politique climatique
suisse peuvent être associés à différents types d’instruments et que l’approche
méthodologique que nous avons mise sur pied va pouvoir faire ressortir cette complexité
inhérente aux instruments des politiques publiques, complexité qui, jusqu’à présent, n’a pas
reçu selon nous toute l’attention requise de la part des chercheurs dans le domaine.
L’analyse des instruments de la politique climatique suisse que nous avons effectuée dans le
chapitre précédent confirme cette hypothèse. En effet, nous avons pu constater que les
instruments ne sont pas évalués de manière uniforme et notamment si l’on tient compte des
acteurs qu’ils ciblent.
Ce constat est le plus marquant pour les instruments évalués au regard des types instruments
coercitifs et économiques. Ainsi, les instruments taxe CO2, mécanismes de flexibilité, et
obligation de compensation ne sont pas du tout évalués de la même manière en terme
d’instrument de type coercitif si l’on considère les acteurs qu’ils ciblent. Il en va de même
pour l’instrument taxe CO2 au regard du type instrument économique.
De même, certains instruments, tels que les engagements formels (EF-AC8), la taxe CO2
(TCO2-AC1-AC2), les mécanismes de flexibilité vis-à-vis des entreprises avec engagements
formels (MécFlex-AC1) et l’obligation de compensation vis-à-vis des exploitants de centrales
à gaz (OblComp-AC1), sont nettement évalués comme des instruments économiques, certes,
mais également comme des instruments coercitifs. Notons que dans la littérature spécialisée,
il est très rare de trouver cette nuance, ces instruments étant très souvent classés pour les
premiers comme des instruments économiques uniquement et pour le dernier comme un
instrument uniquement contraignant. Il en découle donc des analyses quelque peu biaisées.
Ainsi, nous pouvons affirmer que la typologie d’instruments politiques idéaltypique que nous
avons construite, et, de manière plus générale, que la méthodologie proposée et utilisée,
semblent fructueuses sur le plan de l’analyse instrumentale des politiques publiques. Elles
permettent en effet la mise en exergue de la complexité des instruments politiques en fonction
338
des acteurs-cibles sous différentes dimensions analytiques (nos idéauxtypes d’instruments)
qui, utilisées en tant qu’unités de comparaison (et non comme système de classification
fermé), permettent ainsi de mesurer la variable instrument dans toute sa complexité.
Un bémol peut être toutes fois esquissé. En effet, nous avons pu constater que les idéauxtypes
d’instruments de communication in-formationnelle et d’aménagement et d’infrastructure (à
savoir respectivement fondés sur les déterminants comportementaux in-formation et
environnement physique et matériel) ne sont peut être pas très praticables dans la mesure où
les experts ont évalué les mêmes instruments de manière assez différente (cf. nombre de
réponses jugées comme non convenablement consensuelles).
Ces deux dimensions analytiques ont donc peut-être posé certains problèmes d’interprétation.
Il est par exemple possible que la dimension « in-formation » (information pure et formation)
aie été interprétée de manière biaisée (ou est difficilement applicable sans explications plus
précises), à savoir non pas dans son sens restreint – information pure et formation – mais
d’une manière générale et différente pour chaque expert. Ainsi, tous les instruments politiques
ont plus ou moins été jugés comme des instruments d’in-formation. Nous avons d’ailleurs
constaté que l’information (d’une manière générale) – de même que la notion de pouvoir et
donc de contrainte – était un élément transversal à tout instrument politique : une taxe
incitative (augmentation du prix) par exemple, il est vrai, est également un élément
d’information : l’augmentation du prix est une information. Cependant, nous avions pris en
considération la notation d’information « pure » pour permettre de faire une différence entre
ce type « d’information » et l’information dont le but premier est la modification du
comportement des acteurs-cibles. Ces nuances sont donc peut-être précises pour être intégrées
dans une démarche d’évaluation par questionnaire et aurait sans doute été plus praticables
dans le cadre d’entretiens. Cependant, nous avions pris le parti d’établir une enquête de type
Delphi pour éviter le biais d’empathie entre experts. Toutefois, nous pouvons relever qu’une
étape supplémentaire aurait pu être effectuée après la procédure « pan-phy » qui aurait
consisté à reprendre les résultats issus des questionnaires pour chaque expert dans le cadre
d’entretiens. Cette possibilité, aurait pu nous permettre de dépasser le biais que nous avons ici
identifié, et d’ailleurs, auraient également pu permettre de préciser quelques autres résultats
difficilement interprétables.
Aussi, pour en revenir à nos deux questions générales de recherche, nous pouvons dire que
notre typologie semble praticable et fructueuse, hormis peut-être les deux idéauxtypes
d’instruments que nous venons de souligner, et qui sont peut-être sujets à redéfinition, et qu’il
ne fait aucun doute que notre méthode de travail aura permis d’appréhender la complexité
instrumentale de la politique climatique suisse.
Pour conclure, nous allons replacer nos résultats dans les contextes théoriques et
méthodologiques issus des deux premières parties de notre recherche.
339
Cet impératif se traduit notamment dans le cadre de notre démarche par la nécessité de
différencier, sur le plan théorique et méthodologique, et lorsque l’on parle d’instruments
politiques, le niveau conceptuel des types d’instruments (typologies, concepts, rationalisation,
réduction, théorie basique de l’activité humaine) du niveau empirique du terrain des
instruments concrets (complexité, dimensions).
Cet impératif s’est notamment traduit par l’adoption et l’adaptation de la méthode wébérienne
des ideauxtypes qui a effectivement donné les résultats escomptés : les instruments de la
politique climatique suisse ne sont pas unidimensionnels, ils mêlent notamment les
caractéristiques des instruments de types économiques et coercitifs.
• analyser le choix des instruments des politiques publiques à un niveau qui puisse être
généralisable et donc mesurer la variable type d’instrument ;
• et, sur cette base, émettre des recommandations sur le choix des instruments politiques
dans une perspective de protection de l’environnement.
Aussi, quelque soit la question à laquelle nous tentons de répondre, il est important de
considérer les instruments politiques concrets comme des phénomènes de la réalité qui ne se
laissent pas facilement classifier et donc simplifier.
13.6.2 Vers de nouveaux instruments moins contraignants pour des acteurs-cibles plus
complexes ?
Dans le cadre de la première partie de notre recherche nous avons vu, d’une part que la
littérature semble souligner une évolution dans les modalités d’intervention de l’Etat qui
marque l’apparition de nouveaux instruments dont les caractéristiques – flexibilité,
participation/collaboration, information, etc. – semblent bien différentes de celles des
instruments dits traditionnels – au caractère coercitif/contraignant – auxquels l’Etat semble
renoncer (passage d’une hard regulation à une soft regulation) et, d’autre part, que l’une des
explications données à ce phénomène résidait dans l’adaptation de l’Etat à une augmentation
de la complexité sociale (et donc des acteurs-cibles) qui rend nécessaire l’utilisation
d’instruments de nature plus flexible et moins autoritaire.
340
Les résultats que nous avons obtenus ne semblent pas aller dans cette direction. En effet, nous
avons par exemple constaté que les nouveaux instruments tels que les systèmes de permis
négociables, les taxes incitatives, ou les mesures volontaires de type engagements formels
avaient, en plus de leur dimension incitative, des caractéristiques coercitives non négligeables
(et donc à ne pas négliger dans toute analyse de politiques publiques).
La nature de l’évolution des modalités d’intervention de l’Etat mise en avant par la littérature
spécialisée ne semble donc pas si évidente, et, dans tous les cas, peut être remise en question
par l’analyse de la politique climatique suisse qui ne semble pas aller dans le sens d’un
abandon des instruments de nature coercitive. Nous avions d’ailleurs déjà évoqué l’hypothèse
selon laquelle la nouveauté dans le domaine des instruments politiques n’était en réalité pas si
nouvelle que cela, voire illusoire.
Par ailleurs, et tout en rappelant que les instruments engagements formels (EF-AC8),
mécanismes de flexibilité (MécFlex-AC1) et taxe CO2 (TCO2-AC2) de la politique
climatique suisse peuvent être considérés autant comme des instruments coercitifs que comme
des instruments économiques, notre analyse montre que l’Etat use, certes, d’instruments de
type économique à l’égard d’acteurs socio-économiques complexes, mais également, sous le
couvert du principe de subsidiarité, d’instruments de type coercitif.
Ces résultats nous poussent d’ailleurs à supposer que c’est grâce à l’articulation des
instruments prévue dans le cadre de la législation (mesures volontaires, puis mesures
subsidiaires en cas d’inefficacité avérée des mesures volontaires) – selon le principe de
subsidiarité – qu’il a été possible pour l’Etat de choisir, puis de mettre en œuvre, des
instruments de nature coercitive destinés à des acteurs d’une certaine complexité. Cette
hypothèse est également partagée par Thalmann et Baranzini (2008) qui soulignent
l’importance d’une introduction graduelle des instruments coercitifs dans le cadre de la
politique climatique suisse en tant que facteur de succès et notamment pour des raisons
d’acceptabilité sociale de la taxe CO2411.
En d’autres termes, nous pouvons postuler que l’articulation des instruments politiques au
sein d’une législation peut permettre à l’Etat de dépasser sa difficulté à réguler de manière
coercitive et contraignante des acteurs socio-économique complexes, type d’acteurs qui
caractérisent les problématiques environnementales du XXIe siècle, changement climatique en
tête.
Nous pourrions donc reformuler la théorie sur l’évolution des modalités d’intervention de
l’Etat en lui ajoutant une ceinture protectrice (Lakatos, 1974) : l’Etat, notamment confronté à
des acteurs de plus en plus complexes, emploie des instruments caractérisés par leur
flexibilité, leur mollesse diront certains, mais sous le couvert du principe de subsidiarité, tente
et réussi à garder sa prérogative régalienne et coercitive. La nouveauté résiderait donc plutôt
dans la combinaison d’instruments de nature multidimensionnelle.
341
réductionniste ; celle-ci relèvent plus de la prise en compte (ou non) dans l’analyse de
la complexité instrumentale et donc d’une question de méthodologie ;
Aussi et même face à une complexification des problématiques et des acteurs auxquels l’Etat
se voit confronté dans le domaine de la protection de l’environnement, ce dernier semble ne
pas se restreindre à ne fixer qu’un cadre relativement mou. Dans tous les cas il tente de (et
réussi à) dépasser sa difficulté d’agir de manière autoritaire et contraignante dans de telles
situations, en combinant habilement sous le couvert du principe de subsidiarité412 des
instruments de nature multidimensionnelle. Pour reprendre les termes de Lascoumes et Le
Galès (2004), « l’Etat n’a pas dit [ou, dans tous les cas, il ne semble pas encore avoir dit] son
dernier mot » (p. 369).
13.6.3 L’évolution probable de la politique climatique suisse (et des autres politiques
publiques de protection de l’environnement)
Enfin, et pour reprendre et dépasser le paradoxe que nous avions esquissé dans le dernier
chapitre de la première partie de notre recherche, et qui mettait en opposition principe de la
contrainte minimale et évolution des modalités d’intervention vers moins de contrainte, nous
pouvons émettre l’hypothèse suivante sur le devenir des politiques environnementales selon
laquelle celles-ci seront confrontées à un retour des instruments coercitifs (cf. Figure 40 ci-
après).
En effet, en se basant sur nos développements, nous pouvons postuler la résurgence à plus ou
moins court terme des instruments de nature coercitive (basée sur la mise en force du principe
de subsidiarité) et peut-être même sur la généralisation des mesures volontairement
contraignantes.
Par conséquent, nous serions en cette fin de XXe siècle et ce début de XXIe siècle, confrontés
à une phase de transition dans l’utilisation des instruments qui se joue sur le terrain de leur
combinaison413 et qui peut être mise en rapport avec une certaine évolution de la complexité
des acteurs-cibles et des problématiques environnementales au sein desquelles ils
interagissent (cf. également Tableau 40 ci-après).
412
Nous avions quant à nous formalisé cette hypothèse dans le cadre de la première partie de notre recherche par
la formule suivante : Combinaison des instruments = Ia-c0/t1 + Ib-c1/t2 + … + In-cX/tn (ou I = instrument ; a, b
… n = type d’instrument a, type d’instrument b … type d’instrument n ; t1, t2 … tn = temps 1, temps 2 … temps
n ; -c0, -c1 … -cX = contrainte nulle (0), contrainte de niveau 1 … contrainte de niveau X) ; notre analyse de la
politique climatique suisse confirme cette modalité d’intervention
413
Qui souligne ainsi non pas une « utilisation » moindre des instruments contraignants que par le passé mais
uniquement un « report » de leur application dans le temps et leur introduction de manière subsidiaire vis-à-vis
des instruments non-contraignants.
342
Figure 40 : L’hypothèse d’un retour des instruments contraignants dû à une stratégie de séquençage
de l’intervention étatique selon le principe de la subsidiarité
Aussi, l’hypothèse du déclin de l’Etat annoncée par certains dans une perspective néolibérale
ne semble pas être corroborée par nos propos. Dans tous les cas, la transformation annoncée
343
des modalités d’intervention sous l’influence du contexte de réforme néolibéral qui caractérise
l’évolution de l’Etat et de son administration, notamment au sein des pays industrialisés
depuis cette dernière moitié de siècle et qui s’est vu porteur d’une nouvelle conception de la
gestion publique (new public management) calquée sur le modèle de la pensée économique
(néo)libérale qui érige en roi le principe de l’efficience du marché n’est pas synonyme selon
nous de renoncement de la part de l’Etat à l’utilisation de formes d’intervention de nature
coercitive.
13.6.4 Quelques limites de notre démarche et de notre analyse - petit exercice de réflexivité
Les limites de notre enquête « pan-phy » sont essentiellement au nombre de trois (voir
également point C ci-après).
Troisièmement, nous aurions pu même envisager de faire une enquête (par entretiens ou
questionnaires) directement auprès des acteurs ciblés par les instruments afin d’éviter
l’évaluation indirect des instruments par des experts. Néanmoins, cela aurait impliqué la
mobilisation de ressources importante et une reformulation plus simple des critères
d’évaluation des instruments. Cela aurait sans doute également posé un certain nombre de
questions relatives à l’échantillonnage et à la représentativité inhérente à ce type d’enquête
statistique. Néanmoins, il serait intéressant de confronter les résultats d’une telle démarche
avec les résultats que nous avons obtenus par l’intermédiaire de notre enquête « pan-phy ».
L’analyse que nous avons menée des résultats pose sans doute la question suivante : est-ce
que nos résultats sont à même de remettre en cause des théories plus générales comme celle
que nous venons de « remettre en question » et que nous pouvons synthétiser sous la notion de
« théorie instrumentale néolibérale du déclin de l’Etat et de sa prérogative régalienne » ?
En réponse à cette question, nous pensons que nos résultats en eux-mêmes ne peuvent que
« questionner » cette théorie, et ce dans le domaine de la protection de l’environnement. C’est
414
Deux essais dans ce sens se sont avérés infructueux.
344
pourquoi il nous semble avoir utilisé une certaine retenue dans les propos que nous avons
tenus dans le cadre des deux chapitres précédents. En effet, il s’avère toujours difficile de
généralisé des résultats issus d’une étude de cas, et qui plus est qui soit aussi circonscrite que
la notre, tant que des études similaires n’ont pas été effectuées sur d’autres politiques
publiques de protection de l’environnement, dans d’autres domaines et/ou dans d’autres pays.
Ce dernier point nous mène tout naturellement vers la troisième limite de notre démarche, à
savoir la question de sa reproductibilité.
Cette question de la reproductibilité de notre démarche impliquerait tout d’abord que les
mêmes critères d’évaluation soient utilisés ou, en d’autres termes, que la même typologie soit
utilisée, ce qui ne constitue pas une évidence.
Elle pose également les limites du nombre de questions posées au panel d’expert et donc de la
longueur du questionnaire, si tant est que ce soit cette démarche qui soit utilisée pour l’étude
d’autres politiques publiques, un nombre de question qui par ailleurs dépend directement du
nombre d’instruments de la politique prise en considération et du nombre d’acteurs ciblés par
ces instruments. Une telle analyse appliquée à des politiques publiques plus largement
définies (à savoir qui compteraient plus d’instrument) poserait ainsi un problème de faisabilité
et, dans tous les cas, dépendrait également de la possibilité de mobiliser des ressources
supplémentaires, notamment financières.
Cependant, notons qu’à l’inverse, la nécessité d’utiliser les typologies d’instruments dans une
perspective comparative (et idéaltypique) semble être en-elle-même une démarche
reproductibe. Elle constitue en ce sens le noyeau dur (au sens de Lakatos (1974)) de notre
« programme de recheche ».
Les quelques limites que nous venons d’énoncer nous mènent à considérer, à un niveau plus
général, l’enseignement suivant. Toutes tentatives de compréhension et d’explication du réel
s’inscrit dans une démarche scientifique de nature principalement disciplinaire, notamment
compte tenu de la structure académique dans laquelle nous interagissons encore pour le
moment et de la nécessité, sans doute, d’approcher un problème de manière « solide ».
Cette limite que pose la (nécessaire ?) adoption d’une approche disciplinaire pour
appréhender une réalité qui pourtant est complexe nous mènent à anticiper sur l’une des
conclusions de notre recherche, à savoir la nécessité d’adopter une approche interdisciplinaire.
Cette « prise de conscience » est sans doute d’ailleurs, dans un certain sens, déjà en quelque
sorte un effort de réflexivité par rapport à notre propre démarche disciplinaire. Elle relève
selon nous du challenge que l’ensemble des sciences (notamment sociales, économiques et
naturelles) se doivent de relever ensemble dans un futur proche.
345
346
SYNTHESE & CONCLUSION
347
348
La dernière partie de notre travail de recherche est l’occasion de dresser une synthèse de nos
développements (chapitre 14) pour déboucher, en guise de conclusion, sur quelques
enseignements, recommandations et pistes de recherche dans le domaine de l’analyse
instrumentale des politiques publiques de protection de l’environnement et de leur mise en
œuvre (chapitre 15).
Pour rappel, la thèse principale défendue dans le cadre de notre recherche réside dans
l’impérieuse nécessité de pouvoir analyser les instruments des politiques publiques sous
l’angle de leur complexité et de s’affranchir ainsi d’un certain réductionnisme (disciplinaire)
qui rend illusoire toute tentative d’analyse instrumentale cohérente et pertinente au regard de
la réalité instrumentale et sociale. Un corolaire à cette affirmation réside notamment dans le
fait qu’une telle approche réductrice ne peut également pas être à même de promouvoir des
actions adéquates.
Dans cette perspective, notre travail de recherche se fonde sur une démarche générale de type
constat – réflexion – application qui s’articule autour de trois grandes parties qui traitent
chacune des instruments des politiques publiques au regard de la complexité :
Ces trois parties sont en étroite interdépendance et se complètent dans la perspective qui est la
nôtre selon trois couches successives telles que définies dans le cadre de la Figure 41 ci-après.
349
Figure 41 : Articulation des trois parties de la thèse par couches successives
Synthèse et conclusion
3e partie - éléments d’analyse
COMPLEXITE
2e partie - éléments méthodologiques
Source : l’auteur
Aussi, en guise de synthèse, allons-nous rappeler et souligner les liens fondamentaux qui
appuient et structurent nos développements au fil des trois parties qui composent notre thèse
sous la forme d’un leitmotiv soulignant la place de la complexité de la réalité instrumentale
dans le cadre de l’analyse instrumentale des politiques publiques.
La complexité de notre objet d’étude, à savoir les instruments (concrets) des politiques
publiques (complexité de la réalité instrumentale), s’exprime en effet dans le cadre de la
première partie de notre thèse sous la forme de la difficulté et de la grande hétérogénéité (ou
diversité) que nous avons mise en évidence tant dans la compréhension du concept multi-
facettes d’instruments politiques, que dans les (multiples) propositions de typologies
d’instruments ou dans l’interprétation de leur évolution vers de « nouveaux » instruments.
Cette complexité se traduit notamment par une complexité aux niveaux de la terminologie
employée, des définitions et des dimensions utilisées ou du niveau d’abstraction adopté pour
manipuler les notions. Elle se voie d’ailleurs démultipliée par les divers points de vue
disciplinaires adoptés (et parfois mélangés, sans toutefois les dépasser) pour aborder le sujet.
Au demeurant, elle implique selon nous dans tous les cas un effort d’interprétation et de
conceptualisation qui ne saurait être écarté par le chercheur qui veut aborder les instruments
des politiques publiques sous quelques formes que ce soit.
Dans le cadre de la deuxième partie, cette complexité instrumentale s’exprime cette fois par la
présence de déficits méthodologiques dans le domaine de la conception et de l’application des
typologies d’instruments : bases méthodologiques éclatées et relativement inconsistantes,
rigueur (scientifique) et cohérence interne parfois assez faibles, dissociation des étapes de
conception et d’utilisation des typologies (qui amènent souvent à considérer les typologies
comme une fin en soi), etc. mais surtout présence encombrante et communément partagée par
les chercheurs d’une tentation classificatrice et réductionniste qui pousse notamment à
considérer cette réalité instrumentale comme unidimensionnelle. Ces déficits traduisent
l’incapacité pour les typologies d’instruments actuelles d’appréhender la complexité
instrumentale, tant sur le plan de leur conception que de leur utilisation.
Or, compte tenu de la nature de notre objet d’étude, l’exigence de pouvoir gérer et mesurer
cette complexité ne souffre d’aucune objection selon nous, cette revendication se traduisant
notamment par la nécessité, dans le cadre d’une approche typologisante :
350
• d’utiliser une méthode comparative idéaltypique415 en lieu et place d’une démarche à
visée classificatrice, notamment en adoptant un cadre théorique relatif à l’action (des
hypothèses comportementales).
Enfin, dans le cadre de la troisième et dernière partie de notre thèse, la complexité de la réalité
instrumentale trouve son expression tant au niveau de la problématique environnementale
abordée (via les acteurs cibles, cf. également chapitre 15 ci-après), qu’au niveau des résultats
engendrés par notre analyse qui démontrent que celle-ci ne peut se faire classifier et réduire
sans être dommageable pour une analyse instrumentale pertinente sur les plans compréhensifs
et explicatifs.
Aussi pour répondre de manière synthétique à notre question générale de départ416, nous
pouvons affirmer que la complexité instrumentale et sociale ne peut être comprise, ni
expliquée, de manière productive à l’aide des approches typologiques actuelles. Dans cette
optique, une approche idéaltypique des instruments politiques semble représenter une bonne
perspective de recherche dans ce domaine car apte à pouvoir appréhender et gérer cette
complexité de manière productive.
Nous avons ainsi relevé dès le départ que les instruments politiques étaient fondamentalement
destinées à modifier/influencer les comportements des acteurs qu’ils veulent cibler. Les
multiples typologies d’instruments soulignent d’ailleurs pour la plupart cette fonction de
manière plus ou moins explicite.
Ensuite, sur le plan méthodologique cette place centrale accordée à la notion d’acteur-cible
s’est traduite par la nécessité d’adopter une perspective de recherche orientée acteur
consistant à construire une typologie d’instruments sur la base d’une théorie (basique) de
415
Adaptation de la méthode idéaltypique wébérienne à notre objet d’étude : idéauxtypes d’instruments = unité
de comparaison/mesure.
416
Pour rappel : dans quelle mesure une démarche différente de l’analyse typologique classificatrice
traditionnelle des instruments des politiques publiques dans le domaine de la protection de l’environnement
permettrait d’appréhender et de gérer de manière plus adéquate la complexité instrumentale ?
351
l’activité humaine417, puis à l’utiliser pour analyser les instruments (concrets) au regard de
chacun des acteurs-ciblés par ceux-ci.
Dans son aboutissement final, cette perspective orientée acteurs-cibles s’est traduite par la
mise en place de notre typologie des instruments politiques de protection de l’environnement
et du climat et de son application à l’analyse idéaltypique418 de la politique climatique suisse.
Or, si nous avons pu constater dans le cadre de notre recherche la fécondité d’une telle
approche à l’analyse instrumentale des politiques publiques, nous n’avons pas pu développer
jusqu’à présent certaines de ses implications.
Nous nous proposons ici de les aborder rapidement sous la forme de quelques points de
réflexion prospective concernant l’analyse instrumentale des politiques publiques dans le
cadre d’une perspective résolument proactive. Aussi aborderons-nous tour à tour :
• la place que doivent tenir dans l’analyse instrumentale non seulement les acteurs-
cibles mais également tous les acteurs parties-prenantes au processus décisionnels et
par conséquence leur préférence instrumentale (acceptabilité) ;
Ces éléments sont, dans notre perspective, interdépendants et mettent en exergue trois points
essentiels de toute analyse des politiques publiques qui veut prendre en compte la complexité
socio-environnementale des problématiques actuelles : le problème (environnemental), les
acteurs(-cibles) et les instruments politiques (cf. Figure 42 ci-dessous).
Figure 42 : Les trois points essentiels d’une analyse instrumentale des politiques publiques
Le problème (environnemental)
COMPLEXITE
Ils tendent tous à démontrer la nécessité d’adopter une approche instrumentale orientée
acteurs(-cibles), inter-transdisciplinaire, combinée et systémique des politiques publiques au
sein d’un cadre plus large défini par le développement durable.
417
Identifier les hypothèses comportementales des acteurs-cibles sous-jacentes au fonctionnement des
instruments.
418
Méthode idéaltypique + « panphy »
352
15.1 De la complexité globale de la problématique du Changement Climatique à la
nécessité d’une nouvelle approche instrumentale des politiques publiques de
protection de l’environnement
Dans le cadre de la partie précédente de notre recherche (cf. chapitre 11), nous avons abordé
la complexité de la problématique du Changement Climatique de manière globale (principe de
globalité) par le biais d’une dissociation entre complexité scientifique (et environnementale)
d’une part, et complexité sociale (ou socio-économique), d’autre part.
Par ailleurs, les interrelations entre les différentes sphères de ce système (atmosphère,
hydrosphère, cryosphère, lithosphère et biosphère, soit les facteurs internes419 auxquels il est
encore nécessaire d’ajouter les facteurs externes tels que les paramètres astronomiques et
l’activité solaire) sont caractérisées, à plus d’un titre, par des effets d’incertitudes, de vitesse,
de retards et de persistance, de seuils et d’irréversibilité, d’interrelations et de boucles de
rétroactions (effets pervers et/ou vertueux) et différenciés.
Cet état de fait pose notamment des questions d’ordre éthique – qui ont notamment été
abordées par l’adoption du principe de responsabilité commune mais différenciée dans le
cadre de la Convention-Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques
(CCNUCC)420 – et sur le rapport entre l’homme et la nature, et entre les hommes eux-
mêmes… et notamment en terme de régulation (instrumentale).
419
Que nous avons illustrés avec l’exemple des éruptions volcaniques et du fonctionnement des océans.
420
Dont il est l’un des piliers fondateurs.
353
En effet, selon nous, la complexité globale de la problématique du Changement Climatique –
qui en fait un nouveau type de problématique environnementale, résolument différent des
problématiques traditionnelles – doit indéniablement se répercuter sur le choix des
instruments politiques de protection du climat et implique donc, comme nous pourrons le
constater par la suite, une nouvelle approche instrumentale des politiques publiques.
Ainsi, le plus souvent, ces instruments ont été introduits afin d’endiguer des situations
critiques caractérisées par la nécessité d’une intervention urgente de la part de l’Etat pour
mettre fin aux pollutions, protéger des écosystèmes, sauvegarder des espèces, etc.
Ces interventions, plutôt de nature ponctuelle et immédiate, ont le plus souvent fait suite à un
constat alarmant des acteurs de la protection de l’environnement et/ou des autorités soulignant
la nécessité d’une intervention rapide. Elles peuvent être qualifiées d’interventions de type
end of pipe et ont surtout consisté à user de mesures de police tels que les interdictions, certes,
mais également et notamment de l’application de solutions technologiques et techniques.
Dès le début du XXe siècle, la Confédération interviendra également dans divers domaines,
notamment celui des forêts (protectrices)423, afin d’y résoudre les problèmes d’inondations, de
crues et d’érosions dues au déboisement excessif, en y interdisant le défrichement (Conseil
fédéral, 1875b, 1898, 1988) et l’aménagement du territoire, afin de régler des problèmes
d’urbanisation, de spéculation foncière et de protection du paysage, en imposant aux cantons
l’élaboration de plans directeurs et de plans d’affectation du sol424. Dans ce dernier domaine,
caractérisé par sa relative urgence et une certaine difficulté éprouvée par la Confédération à
proposer une législation consensuelle, celle-ci aura été contrainte d’employer la voie de
421
Loi fédérale sur la chasse et la protection des oiseaux du 17 septembre 1875.
422
Par exemple les filets de capture aveugle qui n’épargnent aucune espèce d’oiseaux.
423
Loi fédérale concernant la haute surveillance de la Confédération sur la police des forêts dans les régions
élevées du 24 mars 1876, étendue des région de montagne à l’ensemble du territoire helvétique de manière
transitoire par l’Arrêté fédéral concernant la haute surveillance de la Confédération sur la police des forêt du 15
avril 1898 dans l’attente de l’entrée en vigueur de la Loi fédérale concernant la haute surveillance de la
Confédération sur la police des forêts du 11 octobre 1902.
424
Plans délimitant des zones d’affectations telles que les zones à bâtir, les zones agricoles et les zones
protégées.
354
l’arrêté fédéral urgent425 pour obliger les Cantons à protéger certaines zones de leur territoire
(zones protégées). D’ailleurs, suite au refus par le peuple en 1974 d’un projet de loi sur
l’aménagement du territoire426, elle devra proroger cet arrêté à deux reprises, une première
fois en 1975427, puis une seconde fois en 1976428 (Conseil fédéral, 1972a, 1972b, 1975c, 1976
1978). Ce n’est que le 1er janvier 1980 qu’entrera en vigueur une loi fédérale sur
l’aménagement du territoire429.
L’ensemble des ces différentes interventions étatiques, de même que celles dans les domaines
de la protection de la nature, la protection de l’environnement (air, sol, bruit, etc.) et la
protection de l’eau, ont été caractérisées – du moins à leurs débuts – par l’introduction
d’instrument réglementaires tels que les systèmes d’autorisation, d’interdiction, de zones de
protections, etc. Elles font état d’une nécessité de résoudre des problèmes dont les causes et
les responsables sont d’une nature relativement peu complexe et dont les conséquences
(pollution de l’eau, disparition des espèces, catastrophes naturelles telles que glissements de
terrains, etc.) se sont fait immédiatement sentir, sans aucun « retard ».
Ces nouvelles problématiques, par leurs caractéristiques, devraient ainsi nécessiter une
réponse résolument différente et proactive et semblent ainsi devoir mobiliser des modalités
d’intervention distinctes de celles employées traditionnellement. En effet, l’action réactive et
unidimensionnelle ne semble plus convenir à ce type de problématiques en demande d’une
« nouvelle » régulation.
Le débat politique s’est [d’ailleurs] lentement tourné vers des mesures de protection de
l’environnement qui s’attaquaient à la pollution à la source. Ce changement de cap est
toujours en cours et prend de plus en plus d’ampleur. Il compte aussi bien sur une
politique technologique et des investissements dans la recherche et le développement que
sur la mise en place d’instruments incitatifs conformes à la logique du marché. Il est [par
ailleurs] soumis à une tension certaine entre les différents groupes d’intérêts politiques.
[Et] comme la dimension sociale n’en fait explicitement pas partie, cette tension se trouve
encore renforcée, car le débat sur la protection de l’environnement a tendance à s’orienter
425
Arrêté fédéral instituant des mesures urgentes en matière d’aménagement du territoire du 17 mars 1972.
426
Loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 4 octobre 1974.
427
Arrêté fédéral instituant des mesures urgentes en matière d’aménagement du territoire, Modification du 20
juin 1975.
428
Arrêté fédéral prorogeant durant une période limitée la validité des mesures relatives à l’aménagement du
territoire du 8 octobre 1976.
429
Loi fédérale sur l’aménagement du territoire (loi sur l’aménagement du territoire, LAT) du 22 juin 1979.
430
Pensons également aux problématiques de la biodiversité, de l’eau, de la désertification, etc.
355
dans l’idée du concept de croissance et non pas dans celle du développement durable.
Une politique préventive et proactive rencontre donc beaucoup d’obstacles (Bürgenmeier,
Greppin et Perret, pp. 142-143)
Nous l’avons vu dans le cadre de la première partie de notre recherche, l’une des
conséquences de la fonction primaire des instruments politiques, à savoir qu’ils sont destinés
à influencer les comportements des acteurs qu’ils se veulent cibler, est qu’ils induisent dès
lors des effets redistributifs (modification de l’allocation des ressources de pouvoir,
économiques, informationnelle, etc.) sur ces acteurs, et par effet d’interaction, par la même
occasion sur l’ensemble des acteurs sociaux.
Leur mise en œuvre et a fortiori leurs choix soulèvent donc immanquablement des conflits
d’intérêts qui vont être portés au sein du processus décisionnels. C’est d’ailleurs également
dans ce cadre que vont également s’exprimer les différentes significations des acteurs à leur
égard et notamment la conception du rapport homme-nature et homme-homme qu’ils
impliquent pour eux. Ainsi, les instruments politiques qui, rappelons-le également ne sont, en
tant que moyen, pas neutres du point de vue des objectifs (avoués et inavoués) qu’ils sont
appelés à remplir431, se révèlent être indissociables du processus politique et des multiples
acteurs qui y interagissent. Dans les démocraties, et plus particulièrement en Suisse – pays de
démocratie directe par excellence – cette perspective nous invite donc à (re)placer l’analyse
instrumentale sur ce terrain (cf. Encadré 22 ci-après).
Cette mise en perspective de la notion étendue d’acteurs à prendre en compte dans l’analyse
instrumentale des politiques publiques nous invite à souligner notamment que :
• les acteurs ciblés par les instruments politiques (acteurs-cibles) sont également partie-
prenante au processus décisionnels et ce à plusieurs niveaux.
431
Leurs choix est non seulement un choix de moyens mais également de fins
356
Encadré 22 : Instruments politiques, phases du processus décisionnel et acteurs impliqués
Avant de mettre en œuvre un ou plusieurs instrument(s) politique(s), il est indispensable pour un Etat
démocratique comme la Suisse de passer par le processus décisionnel et législatif. Ce processus décisionnels
comprend cinq phases et de nombreux acteurs sont appelés à y participer plus ou moins directement :
1) Phase d’impulsion*
Phase qui peut être lancée par le peuple (via l’initiative populaire visant à modifier la Constitution et qui
nécessitent 100'000 signatures), un ou plusieurs Canton(s) (via l’initiative cantonale ; un canton ou un ½ canton
peut déposer ou demander un projet d’acte législatif), le Conseil fédéral et son administration (via la
soumission d’un projet de loi) ou les parlementaires (via la motion qui oblige le Conseil Fédéral à présenter un
projet de loi, le postulat qui n’oblige pas le Conseil Fédéral à présenter un projet de loi mais qui vise à
demander d’examiner la possibilité d’élaborer un projet de loi ou d’établir un rapport sur un sujet, l’initiative
parlementaire qui permet au Parlement de proposer des modification de la Constitution, de lois et d’arrêtés
(possibilité d’adopter un projet de loi de manière autonome sans passer par le Conseil Fédéral)) ;
Acteurs partie-prenante : peuple, cantons, Conseil fédéral, administration, parlementaires
2) Phase d’élaboration :
Phase qui comprend un avant-projet (établi par un ou plusieurs office(s) ou commission(s)), une procédure de
consultation des principaux acteurs « intéressé » par le projet (procédure de co-rapport pour la mise au point du
projet) et le projet de loi en lui-même (conçu par l’administration) ;
Acteurs partie-prenante : administrations, experts, acteurs socio-économiques
3) Phase d’examen
Phase durant laquelle le projet de loi est examiné par le Parlement (procédure parlementaire) ;
Acteurs partie-prenante : parlementaire
4) Phase de ratification
Phase durant laquelle les révisions de la Constitution sont soumises au référendum obligatoire (double majorité
du peuple et des cantons) et les lois au référendum facultatif (dans un délai de 100 jours ; référendum = 50’000
signature ; si référendum : majorité simple du peuple) ;
Acteurs partie-prenante : peuple et éventuellement cantons
5) Phase d’entrée en vigueur, puis de mise en œuvre
Phase qui a lieu dans le cas où un référendum n’a pas été demandé ou si l’acte a été accepté en votation
populaire ;
Acteurs partie-prenante : acteurs de la mise en œuvre, tout acteur touché par la réallocation des ressources
induites par la mise en œuvre de l’instrument
* Dans la pratique note Kriesi (1998), entre 1971 et 1975 (soit sur 137 processus) 46 % d’impulsion
proviennent du Parlement (don 49% sont novatrices), 26 % de l’administration (dont 45% sont novatrices) et
seulement 15% du peuple (dont 71 % sont novatrices).
Source : d’après Kriesi (1998), Auer, Malinverni et Hottelier (2000) et Confédération suisse (2007, 2009)
Aussi, l’acceptabilité des instruments politiques par ces différents intervenants revêt une
importance certaine dans la mesure où l’objectif principal du processus décisionnel est
(notamment) de choisir des instruments capables d’atteindre les objectifs de régulation socio-
économiques visés ; or, si les objectifs sont (parfois) partagés, ce sont le plus souvent les
moyens de les atteindre qui sont sources de conflits.
A leur tour, ces quelques points de réflexions nous invitent à replacer l’analyse instrumentale
des politiques publiques sur le terrain de l’inter-transdisciplinarité et de la combinaison
(optimale) des instruments.
357
15.3 De la nécessité d’une approche inter-transdisciplinaire et combinée
La notion élargie d’acteurs à prendre en compte dans le cadre de l’analyse instrumentale des
politiques publiques nous amène à (re)penser l’approche instrumentale des politiques
publiques (de protection de l’environnement) sous deux angles différents mais
complémentaires qui expriment également une certaine prise en compte de la complexité
instrumentale et sociale : l’inter-transdisciplinarité et la nécessité de combiner les instruments
politiques.
15.3.1 De l’inter-transdisciplinarité
Nous avons en réalité déjà abordé de manière implicite par rapport à nos propos actuels la
question de l’inter-transdisciplinarité tout au long de notre recherche. En effet, nous avons
notamment constaté :
• qu’en se basant sur une théorie de l’activité humaine plaçant les acteurs-cibles au
centre de la conception de notre typologie d’instrument, le comportement des acteurs
que l’Etat veut influencer se positionne à la croisée de divers déterminants
comportementaux que nous pouvons aisément rattacher à divers champs
disciplinaires : sciences politiques et administratives, science économique, science de
l’environnement naturel et construit, science de l’information et des médias, sciences
de l’éducation et psychologie, sciences des comportements, sociologie, etc ;
• et que la complexité globale des problématiques du XXIe siècle telle que celle du
Changement Climatique était de nature à inviter à l’inter-transdisciplinarité au sein des
sciences naturelles certes, mais surtout entre celles-ci et les sciences dites humaines ou
sociales.
L’agenda de recherche permettant de repenser la régulation sociale doit donc porter sur
une réorganisation du monde du savoir pour le doter d’institutions qui facilitent le travail
en équipes interdisciplinaires et qui assurent la pluralité des approches. […] les
différentes options pour concrétiser le concept de développement durable […rendent
ainsi] apparente la nécessité de concevoir les différents instruments de la politique
358
environnementale d’une manière combinée. Les différentes recommandations peuvent
rarement trouver une application seule et isolée. Elles doivent être conçues en étroite
relation les unes avec les autres […]. Définir la combinaison optimale fait donc l’objet
d’un agenda de recherche orienté vers les politiques publiques dans le domaine du
développement durable. Souvent ces combinaisons ne peuvent être définies qu’à l’aide
de cas concrets. Identifier les conflits et les convergences que la recherche des
combinaisons les plus prometteuses entraîne ouvre un vaste champ encore peu défriché
pour la recherche en sciences économiques et sociales. (2008, pp. 241-242).
Dans tous les cas, l’approche instrumentale des politiques publiques devrait tendre vers une
co-construction de savoirs entre disciplines dans le sens où toutes théories du choix des
instruments politiques – où à plus petite échelle toutes recommandations sur le choix des
instruments – devraient avoir pour point de départ l’identification des acteurs-cibles (via
l’identification de la problématique environnementale) et l’analyse des déterminants et marge
de liberté de leurs comportements non durables. Dans ce cas, les points de vue disciplinaires
se doivent de dépasser leurs frontières et remettent en question lors propres logiques pour
aboutir, en commun, à une vision proactive de l’intervention de l’Etat.
432
La problématique du Changement Climatique, de par sa nature complexe, peut précisément donner corps au
contenu opérationnel du concept de développement durable puisque le réchauffement planétaire a) est la
résultante de paramètres environnementaux (mécanisme de l’effet de serre, rôle des océans, etc.), économiques
(activités industrielles, types d’énergie consommée, etc.) et sociaux (modes de vie, rapports Nord-Sud, etc.) et b)
induit des impacts sur les systèmes environnementaux (élévation du niveau des mers, accentuation du cycle
hydrologique, etc.), économiques (impacts sur l’agriculture, les infrastructures humaines, etc.) et sociaux
(impacts sur la santé, etc.).
433
Sur les notions d’interdisciplinarité et de transdisciplinarité, voir par exemple Lawrence, R. et Després, C.
(2004). Lawrence, R. (2008).
434
Rappelons-nous ici les deuxième et huitième principe de Gardner et Stern (1996).
359
Or, une telle approche ne peut selon nous que déboucher vers une (théorie de l’)action qui se
décline en terme de combinaisons (optimales) des instruments.
The general conclusion we come to in these chapters – and the one we hope to convince
you of – is that none of the four solution approaches [pointed by the authors] is, by itself,
likely to work effectively; no one approach will successfully prevent tragedies of
commons, […]. Instead, we argue that only a coordinated effort involving all – or at least
most – of the four solution types will succeed. (Gardner et Stern, 1996, p. 32)
In general, a combination of strategies is more effective than trying to change just one
parameter (Flury-Kleuber et Gutscher, 2001, p. 128)
Cependant, de notre pointe de vue, la nécessité de combiner les instruments ne relèvent pas
des mêmes prémisses que celles trouvées généralement dans la littérature spécialisées. Aussi
donnons-nous un éclairage différent sur cette dimension importante de l’analyse instrumentale
des politiques publiques dans une optique proactive, éclairage qui nous permet de tirer selon
nous des conclusions innovantes en matière de théorie (proactive) de l’action étatique.
Aussi, pour nous, les instruments politiques se doivent d’influencer les comportements
complexes des acteurs socio-économiques pour atteindre leurs objectifs. Nous venons
d’aborder une des conséquences majeures que cela induit selon nous sur l’approche
instrumentale des politiques publiques en matière de « disciplinarité », mais une autre
implication est sans aucun doute la nécessité de combiner les instruments. En effet, des
comportements complexes ne peuvent (sans doute) être influencés efficacement et
durablement que par une action multidimensionnelle à la hauteur de leur complexité. La
combinaison des instruments politiques revêt donc ici un gage d’efficacité comportementale
et donc d’efficacité environnementale.
Dans cette perspective, la combinaison d’instruments devrait être conçue sur les bases d’une
analyse ex ante interdisciplinaire (voire transdisciplinaire) de la situation des acteurs ciblés
par l’intervention et donc par la mise en évidence des leviers comportementaux à actionner
afin de dépasser les barrières comportementales auxquelles ils font face. Comme l’ont
souligné Gardner et Stern (1996), celles-ci sont nombreuses et varient en fonction des acteurs,
des situations et du temps (cf. Encadré 23 ci-après).
Notons ici que certains instruments combinent déjà une certaine multidimensionnalité, nous
l’avons constatée dans le cadre de la troisième partie de notre recherche. Nous pensons
notamment aux instruments EF-AC8, MécFlex-AC1 et TCO2-AC2 qui sont à la fois des
360
instruments de type économique et de type coercitif. Ils sont donc sans doute assez
prometteurs sur le plan de leur efficacité environnementale.
Or, si nous ajoutons à cette perspective le fait que tout choix d’instrument politique est de
facto soumis à l’acceptabilité des acteurs partie-prenante du processus décisionnel, il en
découle que l’efficacité des instruments politiques est également soumise à une autre
dimension de l’efficacité, à savoir l’efficacité politique.
Dans cette perspective, tout instrument, ou combinaison d’instruments, relèvent d’un choix
politique, choix qui reflète, en vertu du principe démocratique, les intérêts de différents
acteurs du jeu politique (au minimum de la majorité d’entre eux), intérêts qui sont souvent
divergents voire contradictoires avec les objectifs visés. En Suisse, pays de démocratie directe
par excellence, dans lequel les acteurs concernés font partie intégrante du processus
décisionnel, l’acceptabilité sociale des instruments revêt donc une importance majeure435. En
tant que processus humain, elle est l’expression de paradoxes entre intérêts individuels et
intérêts collectifs ainsi que de conflits d’intérêts entre acteurs sociaux. Elle se construit
également – à différents niveaux – sur la base des multiples dimensions des instruments (leurs
objectifs, leurs effets (re)distributifs, la perception des acteurs à leur égard, etc.).
Aussi, pour passer le « filtre instrumental » que constitue le processus décisionnels (au sein
duquel s’expriment différents intérêts, points de vue, etc.), la combinaison instrumentale
optimale du point de vue de l’efficacité environnementale se doit également de constituer une
combinaison optimale du point de vue de son acceptabilité. Celle-ci peut d’ailleurs être
435
Pour ce qui concerne spécifiquement le cas de la politique climatique suisse, voir notamment Bürgenmeier,
Baranzini, Perret et al. (2007), Bürgenmeier, Greppin et Perret (2007), Perret (2008) et Thalamann et Baranzini,
2007, 2008.
361
anticipée par une évaluation ex-ante des préférences instrumentales des acteurs partie-
prenante au processus décisionnel et notamment, dans le domaine de la protection de
l’environnement, des préférences instrumentales des milieux économiques et
environnementaux (cf. Encadré 24 ci-dessous).
Source : Bürgenmeier, Baranzini, Perret et al. (2007), Perret (2007b) et Perret et Ingold (2009) et
Conseil fédéral (2005)
L’acceptabilité des instruments revêt donc une importance majeure dans la perspective de
trouver le bon mixte instrumental. En effet, si pris séparément, les instruments jouissent d’une
acceptabilité sociale différente, qui empêcherait a priori de disposer d’une politique
climatique efficace, pris de manière combinée et dans un certain agencement, ils peuvent
s’avérer très efficaces politiquement. L’exemple de la politique climatique suisse en est une
bonne illustration.
436
Qui rappelons-le combine notamment dans le temps en entre eux des instruments volontaires (phases des
mesures volontaires : conventions d’objectifs et engagements formels) et des instruments économiques (taxe
subsidiaire sur le CO2 si les mesures envisagées durant la première phase n’atteignent par leurs objectifs
environnementaux et exemption des entreprises qui ont pris et remplis leurs engagements formels ; mise en place
d’un système de permis négociables dont la distribution des permis est liée aux engagements formels).
362
environnementaux vis-à-vis des mesures à mettre en œuvre (cf. Encadré 24 ci-avant) – pour,
d’autre part, déboucher sur une combinaison instrumentale somme toute assez efficace sur le
plan environnemental avec l’acceptation tout d’abord du principe d’une taxe CO2, puis son
introduction (certes partielle) par la suite.
Notons ici que le principe de subsidiarité437 que nous avons mis en évidence dans le cadre de
la troisième partie de notre recherche revêt une importance majeure : il permet de rendre
acceptable par certains acteurs, des instruments qui pris isolément, n’aurait jamais passé le
filtre du processus décisionnels : le cas de la taxe CO2 en est la plus flagrante illustration.
Rappelons ainsi que son introduction est historiquement liée aux échecs des tentatives passées
d’introduire de manière frontale des taxes écologiques dans le domaine de la protection de
l’environnement en Suisse, tentatives qui ont toutes échoué soit au niveau de la votation
populaire438, soit pour le cas du projet de taxe CO2 du début des années 90 que nous avons
déjà abordé dans le cadre de la troisième partie de notre recherche, au niveau de la procédure
de consultation. A contrario, la stratégie mise en place dans le cadre de la législation sur la
réduction des émissions de CO2, a permis d’obtenir un large consensus parmi les milieux
concernés (cf. Encadré 25, ci-après).
Bien sûr, et c’est le jeu politique, diverses tentatives de repousser l’introduction de cette taxe
ont vu le jour dès qu’il a été question de son introduction effective : dans le secteur des
carburants tout d’abord, avec la proposition du centime climatique qui a été acceptée, puis
dans le secteur des combustibles, avec la proposition, cette fois-ci refusée, d’un centime
climatique II. Nous pouvons ainsi constater que la stratégie mise en œuvre dans le cadre de la
politique climatique suisse permet de maintenir une pression sur les acteurs socio-
économiques qui se doivent de faire des propositions s’ils veulent éviter la contrainte tant
redoutée. Ces propositions ont le mérite d’exister et d’être innovantes. Toutefois, leur
efficacité reste toute de même encore à prouver. Cependant, et c’est peut être là la chose la
plus importante, l’acceptation du principe de la taxe CO2 par une majorité d’acteurs ayant
participé aux processus décisionnels (milieux économiques compris), constitue un jalon qui
ne peut être difficilement remis en question sur le fond et à plus ou moins court termes. Le
projet de révision de la législation sur le CO2 mis en consultation entre décembre 2008 et
mars 2009 et portant sur la politique climatique suisse d’après 2012 est également là pour en
témoigner : la taxe CO2 y joue le rôle principal (DETEC, 2008, voir également DETEC,
2007).
437
Notamment la combinaison de la taxe subsidiaire sur le CO2 aux mesures volontaires au sein d’une approche
diachronique par palier fondée sur l’évaluation de l’efficacité environnementale de ces dernières.
438
24 septembre 2000 : le peuple et les cantons rejettent l’initiative populaire « Initiative solaire » (peuple : 67 %
de non et cantons : 20 6/2 de non) et son contre-projet (peuple : 51.8 % de non et cantons : 16 5/2 de non), ainsi
qu’un contre-projet à l’initiative « énergie et environnement » (peuple : 55.5 % de non et cantons : 18 5/2 de
non) qui avait été retirée (Confédération suisse, 2002a, 2002c). L’initiative solaire proposait de taxer de 0.5 cts
par kWh les agents énergétiques non renouvelables. Le contre-projet à « l’initiative solaire », quant à lui,
proposait de prélever une taxe, pendant 10 à 15 ans, de 0.3 cts par kWh sur les agents énergétiques non
renouvelables. Enfin, le contre-projet à l’initiative « énergie et environnement » proposait une taxe sur les
énergies non renouvelables, dont le montant maximum ne devait pas dépasser 2 cts par kWh. Ensemble, les deux
projets du Conseil fédéral et du Parlement permettaient de réduire les émissions de CO2 d’environ 12% d’ici à
2010, par rapport à l’année de référence 1990. Les objectifs de la loi sur le CO2 et du Protocole de Kyoto
auraient ainsi été atteints. 2 décembre 2001 : le peuple et les cantons rejettent l’initiative « pour garantir l’AVS –
taxer l’énergie et non le travail » (peuple : 77.1 % de non et cantons : 20 6/2 de non) (Confédération Suisse,
2002b).
363
Encadré 25 : La loi sur le CO2 : une loi très consensuelle
Quelques hypothèses sur les facteurs explicatifs du niveau élevé d’acceptation de la loi fédérale sur la réduction
des émissions de CO2 lors de sa soumission à consultation et de son adoption durant la deuxième moitié des
années 90 peuvent être esquissées :
• pas ou peu de désaccords sur l’objectif poursuivi par la législation : la nécessité de réduire les
émissions de CO2 représentant un objectif environnemental faisant l’objet d’un certain consensus sur le
plan national et international ;
• des objectifs compatibles avec les engagements internationaux pris par la Suisse dans le cadre de la
lutte contre les émissions de GES ;
• l’articulation des moyens mis en œuvre dans le cadre de la législation : tout d’abord une phase
volontaire qui met l’accent sur les mesures librement consenties, des mesures très courtisées par les
milieux économiques, puisque leur laissant tout le loisir de s’organiser de manière libre (flexibilité),
puis éventuellement, dans un second temps une phase subsidiaire articulée autour de l’introduction
possible d’une taxe sur le CO2 – perçue comme une menace pesant sur l’économie si elle ne devait par
remplir librement les objectifs fixés dans la loi – mais qui peut toutefois être évitée par les gros
consommateurs d’énergie ayant conclu un engagement formel avec la Confédération ; la subsidiarité
de la taxe représentant une chance réelle pour les milieux économiques d’y échapper ;
• l’horizon temporel de l’éventuelle entrée en vigueur de la taxe a sûrement dû jouer un petit rôle dans le
sens où 2004 semblait bien lointain à la fin des années 90 lorsque les Chambres ont approuvé le projet
de loi ;
• la mise en place (en tant que mesure d’accompagnement) des instruments économiques prévus par le
Protocole de Kyoto ;
• la fixation d’un taux maximum de la taxe dans la loi ;
• le fait que le Conseil fédéral doit tenir compte de différents éléments s’il introduit la taxe, et
notamment de la capacité concurrentielle de l’économie ;
• le fait que la taxe soit introduite par étape – une flexibilité toujours appréciée par les milieux
économiques – et que son calendrier soit fixé par avance – une prévisibilité également appréciée par
les milieux économiques ;
• un contrôle parlementaire du montant de la taxe ;
• les conditions de l’utilisation du produit de la taxe : la répartition du produit de la taxe prévue par la
législation entre la population et les milieux économiques semble avoir obtenu l’adhésion du plus
grand nombre, contrairement au projet de taxe CO2 du début des années 1990 qui prévoyait de répartir
le produit de la taxe pour deux tiers à la population et à l’économie (1/4 pour les entreprises et 3/4 pour
la population) et pour un tiers à des mesures dans les domaines de l’économie d’énergie et des énergies
renouvelables.
Source : d’après Perret (2003)
Le point central est sans doute d’avoir lié la combinaison des instruments dans le temps à une
évaluation de l’efficacité environnementale des mesures volontaires, avec peut-être pour seul
bémol, le fait de n’avoir pas clairement identifié la période temporelle durant lesquelles ces
mesures pouvaient être déployées ou proposées.
364
15.3.5 De la combinaison optimale des instruments : un équilibre entre efficacité
environnementale et efficacité politique
Ainsi, le choix des instruments politiques de protection de l’environnement peut être défini
comme le résultat d’un processus politique d’ajustement entre, d’une part, des intérêts
individuels divergents (relatifs à leurs objectifs, leurs effets (re)distributifs, la perception des
acteurs à leur égard, etc.) et, d’autre part, un but de bien-être collectif (la protection efficace
de l’environnement).
Par conséquent, « le » politique se doit de faire coïncider la diversité des intérêts individuels
sans pour autant le faire au détriment du bien-être public (la protection de
l’environnement)439. Dans cette perspective, la manière dont sont combinés les différents
instruments représente un élément primordial pour mener à terme une politique efficace
puisque c’est de cette combinaison que doit émerger la meilleure synthèse entre efficacité
environnementale et efficacité politique. Combiner les instruments dans la synchronie et la
diachronie constitue en cela une approche gagnante.
Par ailleurs, et admettant qu’une politique de protection du climat efficace se doit notamment
d’être fondée sur le principe de précaution, l’utilisation unique d’instruments de type réactif
n’est pas suffisante, ni adaptée, et se doit d’être complétée par des instruments proactifs
incitant les acteurs à modifier leurs comportements avant que les effets des perturbations
humaines ne soient effectifs.
Tous ces éléments bien considérés, et soulignant que la combinaison instrumentale optimale
réside donc dans l’équilibre (difficile) à trouver entre efficacité environnementale et efficacité
politique, toute politique publique de protection de l’environnement devrait selon nous
impliquer une analyse ex ante de la situation des acteurs-cibles et des préférences des acteurs
partie-prenante au processus décisionnels qui puisse s’accommoder de la complexité des
processus sociaux. Elle devrait donc relever au plus haut point d’une approche inter-
transdisciplinaire et orientée acteurs.
Une perspective de recherche pourrait alors résider dans une compréhension de nature
systémique de cette réalité complexe. C’est sur une telle proposition – qui prend forme sous le
concept de « système instrumental » – que nous clôturerons notre chapitre de conclusion.
Celui-ci se veut donc proposer très librement les prémisses d’une réflexion systémique autour
439
En d’autres termes, il doit dépasser le paradoxe de l’action collective exprimant la difficulté de réunir intérêts
individuels et intérêt collectif.
365
de la notion d’instruments politiques qui puise ses fondements dans les différents
enseignements théoriques et méthodologiques que nous avons tirés de notre recherche.
Dans notre perspective, cette outil devrait servir de cadre de référence pour expliquer de
manière ex post le choix des instruments ou de définir de manière ex ante une combinaison
efficace (sur le plan politique et environnemental) d’instruments.
Par ailleurs, il se veut également exprimer une conception systémique de notre objet d’étude
qui nécessite, nous l’avons constaté, une approche de nature inter-transdisciplinaire.
Nous jetons donc ici les premières bases pour passer d’une approche instrumentale des
politiques publiques de protection de l’environnement à une approche par le système
instrumental. En d’autres termes, notre objectif est de proposer un modèle d’analyse afin
d’appréhender les instruments non en tant que tels mais au sein d’un système d’interactions
complexes que nous nommerons « système instrumental ». Notre typologie d’instruments (qui
reste ouverte et sans doute modulable), ainsi que notre méthodologie d’analyse y tiennent une
place centrale.
Aussi, dans notre perspective, établir la combinaison optimale des instruments de politique
publique dans la perspective de traiter une problématique environnementale complexe telle
que celle du Changement Climatique nécessite impérativement de penser les instruments en
tant que système instrumental (cf. Figure 43, ci-après).
366
Figure 43 : Esquisse du « système instrumental » en tant que modèle d’analyse des politiques environnementales
Réalité instrumentale
(les instruments concrets d’une politique publique)
Source : l’auteur
367
Au sein d’un tel système – qui devrait idéalement prendre en compte l’ensemble des
dimensions des instruments soulevées dans le cadre de la première partie de notre recherche
avec d’autres sans aucun doute – la réalité instrumentale (les d’instruments concrets des
politiques publiques) est donc à appréhender par l’intermédiaire d’une typologie idéaltypique
(au sens wébérien du terme) d’instruments qu’il faut utiliser comme référentiel comparatif.
Cette approche a selon nous le mérite de replacer les instruments des politiques publiques au
sein d’une conception plus générale et systémique – qui comprend également des dimensions
immatérielles (par exemple les perceptions des instruments par les acteurs) – beaucoup plus à
même d’appréhender et de faire ressortir la complexité de la réalité instrumentale. Elle permet
sans doute de ne jamais oublier que le choix des instruments politiques découle de beaucoup
de facteurs à prendre en compte – des facteurs qui d’ailleurs sont sans aucun doute en
interdépendances – et de replacer les instruments au sein d’une conception plus large de
l’analyse des politiques publiques.
Enfin, elle se veut représenter une approche dynamique (non statique) qui met en exergue un
processus de changement – celui des comportements des acteurs-cibles – qui relève
principalement du processus décisionnel. Dans cette perspective, les modalités de ce
changement (changement relatif des prix, des valeurs, etc.) ne sont que des moyens et non des
fins.
Et pour conclure, nous soulignerons que notre « système instrumental », comme toute
approche instrumentale des politiques publiques (de protection de l’environnement), doit être
apte à gérer la complexité.
368
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Ordonnance du 21 décembre 2007 sur la compensation des émissions de CO2 des centrales à
cycles combinés alimentées au gaz. RS 641.721
388
ANNEXES
389
390
Annexe 1
391
392
Source : reproduit de Dahl et Lindblom (1992)
393
394
Annexe 2
395
A) Les instruments de conseils, d’information et de persuasion
Deux modalités d’action : la « non-information » (suppression de l’information : secret, propagande,
désinformation) et l’information (propagation directe (par l’Etat) ou indirecte (par l’intermédiaire d’autres
acteurs)).
A1) Messages individualisés (niveau particulier)
- Informations ou réponses spontanées/anticipées (sur sollicitation indirecte)
- Informations ou réponses sur sollicitation directe individuelle (ex. : conseils individualisés)
- Information directe sans sollicitation (ex. : rappel quant à l’expiration d’une licence)
A2) Messages adressés à des publics cibles (niveau intermédiaire)
- Idem que pour A1) mais à destination de groupes d’individus déterminés
A3) Messages à diffusion large – messages standardisés (niveau général)
- Messages « grand-public » de types « privatisés » ou « self-service »
- Propagande (a pour fonction de persuader et de structurer la perception de l’information)
396
Annexe 3
397
1. Instruments impliquant la fourniture ou le retrait des ressources aux groupes cibles (provision or
withdrawal of resources) ;
3. Instruments impliquant un dispositif unilatérale vs bilatéral & multilatéral (bilateral or multilateral) entre
le gouvernement et les groupes cibles (règles verticales et ordres vs conventions/accords, règles négociées
qui sont des instruments centrés sur la notion d’ajustement mutuel horizontal) ;
4. Instruments impliquant ou non un appel normatif (normative appeal) qui joue sur la dépendance du groupe
cible vis-à-vis de la loi (« tu devrais » ou « tu ne devrais pas » vs incitation financière qui ne joue pas sur
cette dimension) (correspond à la distinction souvent établie entre les instruments économiques et les
mécanismes juridiques ou régulatifs, qui souvent portent à confusion car les instruments légaux sont
souvent accompagnés par des sanctions financières, alors que les instruments économiques sont ancrés
dans des régulations te type réglementaire ; ainsi au lieu de faire une telle distinction, l’auteur trouve plus
réaliste de se référer à un continuum dans lequel un éventail d'instruments concrets occupent des positions
intermédiaires ; la distinction entre instruments « économiques » (incitatifs) et légaux (directifs) est
souvent fondée sur la question de l’ampleur de cet appel normatif) ;
6. Instruments impliquant ou non les décideurs politiques dans le processus de mise en œuvre (role of the
policy makers in the implementation process) (choix dans la sélection de(s) organisation(s) qui appliquent
les instruments ; importance des agences du gouvernement vs délégation de l’exécution à des organisations
indépendantes (corporations ou des organisations semi étatique) ; strictement parlant ces considération
n’impliquent pas de caractéristiques spécifiques d’un instrument particulier, mais le choix du type
d’organisation représente un facteur important pour déterminer si et comment les instruments vont
fonctionner dans la pratique).
Source : adapté de Bressers et O'Toole (1998)
398
Annexe 4
399
Types d’instruments Instruments Instruments Instruments
Auteur, date « contraignants » « incitatifs » « de communication »
Gormley, 1987
Outils coercitifs Outils catalityques Outils oratoires
cité par Schneider &
(coercive tools) (catalytic tools) (hortatory tools)
Ingram, 1990a
Source : l’auteur
400
Annexe 5
La typologie de Vedung :
carottes, bâtons et serments
(carrots, sticks and sermons)
401
Instruments des politiques publiques
(policy instruments)
5
Régulation : rapports entre gouvernants et gouvernés caractérisés par un lien d’obligation, un rapport
autoritaire qui implique un mécanisme de contrôle de la règle
Instruments économiques : pas de lien d’obligation entre gouvernants et gouvernés, mais l’activité du
gouverné est rendue plus facile ou plus difficile par le gouvernant soit par une privation ou une addition de
ressources matérielles (en cash ou en nature) ; par exemple, l’activité peut être rendue plus ou moins
onéreuse
Information : aucun rapport d’obligation, pas d’engagement des ressources matérielles, relations entre le
gouvernant et le gouverné régies par la persuasion, la communication ; par définition l’information ne
contient aucune dimension contraignante
Fondement théorique de la typologie : le degré de la force autoritaire engagée dans les relations de
gouvernance, à la fois entre les catégories et au sein de chaque catégorie (permet de définir des sous-
catégories)
« Regulations are measures undertacken by governmental units to influence people by means of formulated
rules and directives which mandate receivers to act in accordance with what is ordered in these rules and
directives » (p. 31)
Les instruments de régulation sont souvent associés aux mécanismes des sanctions (et la peur de ceux-ci)
mais ce n’est pas toujours le cas (régulations non sanctionnées également)
« Economic policy instruments involve either the handing out or the taking away of material resources, be
they in cash or in kind […] [they] make it cheaper or more expensive in terms of money, time, effort, and
other valuables to pursue certain actions » (p32)
Les instruments économiques laissent une marge de manœuvre aux gouvernés qui choisissent eux-mêmes
d’entreprendre ou de ne pas entreprendre une activité, mais avec les bénéfices ou coûts qui en découlent ; ces
instruments incluent autant les ressources matérielles monétaires que non-monétaires
« Information […] also referred to as “moral suasion”, or exhortation, covers attempts at influencing people
through the transfer of knowledge, the communication of reasoned argument, and persuasion […]. The
information category is used […] as catch-all terms for all communication campaigns; for the diffusion of
printed materials like brochures, […]; for advertising, labelling, audits inspections, demonstration
programs, custom-made personal advice, training programs, and educational efforts; and for other forms of
amassing, packaging, and diffusing of knowledge and recommendations » (p.33)
Les instruments d’information indiquent aux citoyens ce qui est bien ou mal, vrai ou faux, ils les informent
de ce qu’ils sont autorisés à faire et de la manière dont ils peuvent se comporter ; ces instruments ont pour
particularité d’être une condition nécessaire au bon fonctionnement des autres types d’instruments
Exemples d’instruments :
Instruments de régulation (ensemble des réglementations-contrôles-sanctions, ainsi que des règles non-
sanctionnées (lex imperfecta) :
- les prescriptions (degré de contrainte élevé) inconditionnelles (absolues) et conditionnelles avec
exemptions, avec permissions (concessions, permis, licences, autorisations, garanties, quotas) et avec
obligation de notifier
402
- les prescriptions (degré de contrainte moins élevé) : -
Instruments économiques (dichotomie entre instrument de nature positive et négative et entre en cash ou en
nature) :
- en cash (moins contraignant) : incitations positives : subventions (grants, subsidies, transfers), garantie de
crédit (credit guarantees), bonification des intérêts (interest subsidies), prêt et taux d’intérêts
avantageux/garantie de prêts (reduced-interest loans, loan guarantees), rabais et exemption d’impôt (tax
expenditures : exemptions, write-offs, credits ; tax exemption, tax credit), assurances (insurances of loans,
crops, investments) VS incitations négatives : redevances/charges/taxes (charges, fees, taxes, customs duties,
tariffs)
- en nature (plus contraignant) : marché public (government provision of goods and services) vs marché semi-
public (private provision of goods and services under government contracts) vs papiers valeurs (vouchers);
examples : gratuité du système de santé et services de santé (free health care, free medicine, free dental care,
municipal homes for the elderly, hospitals operated by regional public bodies), gratuité du système scolaire
et service scolaire (free meals for school children, municipal childcare centers, government-operated
universities), services de sécurité (military forces, police forces), services environnementaux (government-
operated facilities for solid waste disposal : landfill sites, garbage incinerators, storage facilities for
hazardous radioactive wastes from nuclear power plants) ; gendarmes couchés (bump on the road)
403
404
Annexe 6
405
Ressources
(Resources)
Nodale Financière Autorité Organisationnelle
(Nodality) (Treasure) (Authority) (Organization)
Répondre à des Dépenses d’aide / Régulation publique Biens, services,
questions, des d’encouragement directe ou déléguée personnel de
sollicitations (Grant) (Public Regulation) l’administration,
extérieures (Query - reconnaissances administration
Response), Dépenses dans le but de (recognition), ex. : centrale (Direct
information passive réduire les coûts d’une certificats, coercition - Provision)
activité, - autorisations,
Diffusion conditions/performances habilitations Unités administratives
d’information et monitoring (Subsidy) (enablement), ex. : autonomes (Public
(Dissemination) - subventions directes licences, coercition + Corporation)
, information active + (direct) - obligations /
- à destination d’un - subventions sous interdictions Entités décentralisées
groupe-cible condition de la accompagnés d’une (Joint Private/Public),
spécifique (targetted) démonstration d’un sanction (constraint), entreprises publiques
Instruments d’action (Effectors)
406
Recueil passif Achat d’information Obligations Collecteurs passifs
d’informations, (Purchase of - d’informer sur son d’informations
informations non information) identité, etc. (Turnstiles), ex. :
sollicitées - recompenses (reward) (Obligations to radars, compteurs
(Unsolicited - payements (purchase) display)
information) - de notifier Collecteurs actifs
Instrument de détection - Information (Detectors - Information)
(Obligations to d’informations
Enquête directe, notify), de déclarer un (Scanners)
recueil actif-organisé décès, une naissance, - surveillance fixe
d’informations, d’enregistrer une (fixed), ex. : tours de
informations entreprise, etc. surveillance d’une
sollicitées (Direct - de remplir des prison
Inquiry / solicited documents (file - surveillance mobile
information) returns) tels que la (mobile), ex. :
- études scientifiques déclaration d’impôt, le patrouille de
généralisables recensement, etc. surveillance
(survey) - surveillance cachée
- commissions ad hoc Usage de (hidden), ex. : mise
non permanentes - l’interrogatoire et de sur écoute, contrôle de
auditions spécifiques l’inspection (Use of vitesse
(ad hoc commissions interrogation, use of
of Inquiry) inspection)
- commissions - assignation à
permanentes comparaître,
(permanent convocation,
commissions) interrogatoire
- interview,
inspection, contrôle
surprise, « descente »
Minimum COERCITION (COERCION) Maximum
Source : adapté de Pal (1992)
407
408
Annexe 7
409
Tactiques instrumentales Exemples d’instruments
410
Annexe 8
411
Instruments
Sous-types & analyse selon a) définition/rationalité, b) acteurs de la mise en œuvre et c) groupes-
cibles
Sous-types :
- Normes de qualité environnementale (seuils d’impact et standards)
- Norme d’émission (meilleure technologie disponible, réglementation technique obligatoire)
Règlements d’utilisation de substances toxiques et normes de produits (limitations, rationnement ou
interdictions, normes de produits)
- Autorisations obligatoires (autorisations de construction, d’exploitation, de mise en vente)
- Réglementation de la responsabilité civile (responsabilité en raison du risque, renversement de la
Instruments régulatifs
Analyse :
a) Instruments prenant la forme de prescriptions légales qui ont un impact direct sur les options, les
comportements des acteurs via leur niveau de contrainte (prescription / prohibition) ; rationalité
basée sur le « mécanisme » prescription/norme, contrôle, pénalité/sanction ; le mécanisme
d’exécution est fondamental pour la viabilité et l’efficacité de l’instrument ; l'application de la
sanction comporte souvent un « composant économique » ;
b) Dans les démocraties occidentales (Etat de droit), seules les autorités sont légitimées à les utiliser
c) Tous (individu comme acteurs organisationnels)
Sous-types :
- Subventions (contributions à fonds perdus ; allégements fiscaux, prêts et taux d’intérêts
avantageux, cautions, dédommagement pour renoncement d’utilisation des ressources)
- Taxes incitatives (taxes sur l’énergie et les ressources, taxes sur les émissions, taxes sur les
produits et processus)
- Redevances (redevances uniques de raccordement, périodiques d’utilisation, sur des avantages
(contribution à la valeur ajoutée), (avancées) d’élimination)
- Système de dépôt
- Création de marchés (certificats/licences/concessions échangeables ; joint implementation)
- Incitations ponctuelles dans le cadre de campagnes d’action (récompenses, loteries,
concours/benchmarking, rabais)
Analyse
Instruments économiques
412
a) Instruments prenant la forme d’offres ou de transformations de services ou d’infrastructures dans
le but d’influencer les comportements ; services : actions individuelles ou organisationnelles qui
permettent ou soutiennent les acteurs dans le réalisation de leurs objectifs, infrastructures : objets
physiques artificiels, mobiles ou immobiles, qui influencent les comportements des acteurs (ex. une
ligne de chemin de fer, un parking) ; infrastructures et services comme déterminants de l’activité
humaine ; encourager vs décourager des comportements (mode attractif vs répulsif)
b) Entreprises privées, autorités publiques ou ONG, mais également groupes d’individus ou groupes
informels
c) Souvent le public en général, mais également des groupes d’acteurs spécifiques (les cyclistes, les
promeneurs, etc.)
- Accords entre l’Etat et l’économie (accords sur les redevances d’élimination avancées pour des
Accords librement consentis
groupes de produits, accords sur des standards et des valeurs cibles de consommation, accords
formels avec certaines entreprises)
- Etablissement de certificats et de labels (avec conformité légale vs sans conformité légale)
a) Instruments prenant la forme d’engagements légaux contraignants (ou non contraignants) pris par
le secteur privé envers le gouvernement. Autorégulation sur base volontaire (cependant très proche
des instruments régulatifs ou économiques dans la mesure où ils comportent souvent soit une
menace d’intervention ultérieure ou mettent en place des mécanismes de prix)
b)/c) Gouvernements et secteur privés : partenariat dans le développement et la mise en œuvre de
l’instrument ; également possible entre organisations privées (souvent les accords entre privé-privé
débouchent sur un label ou une certification).
- Instruments de communication sans sollicitation directe (présentation des faits, des options, des
évaluations, des buts, des normes ; fournir l’expérience de la réalité ; présenter des modèles de
Instruments de communication et de diffusion
413
414
Annexe 9
415
Mosher, F. (1980). The Changing
1. (Grants), 2. (Income support), 3. (Loans), 4. (Loans
Responsibilities and Tactics of the Federal
guarantees), 5. (Regulation), 6. (Contracts), 7. (Direct service),
Government. Public Administration
8. (Quasi-government organization)
Review, 541-48.
Bryson, J. & al. (1983). Toward a New 1. (Formula grants), 2. (Intergovernmental agreements), 3.
Theory of Policy Intervention. Paper (Categorial grants), 4. (Vouchers), 5. (Subsidy), 6. (Insurance),
presented at American Society for Public 7. (Regulation), 8. (Tax incentive), 9. (Contract or purchase of
Administration, Annual Meeting. service), 10. (Franchise)
416
Annexe 10
417
qui peuvent toute de même être regroupées en 4
Les treize types d’activités
catégories :
8 (taxing)
11 (distributing information)
12 (purchasing (achat))
418
Annexe 11
419
Type de bien ou Système organisationnel
Instrument Support d’attribution
d’activité d’attribution
(Tool) (Vehicule)
(Product/activity) (Delivery System)
(Lower level of
(Grant award/cash
(Grant) (Good or service) government, nonprofit
payement)
organization)
(Government
(Good or service) (Direct provision/loan) (Quasi-public agency)
corporations)
420
Annexe 12
421
Initiatives populaires
Pour une révision totale de la Constitution sur proposition de 100'000 citoyen(ne)s ; initiative
(art. 138 Cst) soumise au vote du peuple
Pour une révision partielle de la Constitution sur proposition de 100'000 citoyen(ne)s ; en termes
(art. 139 Cst) généraux ou projet rédigé
Référendum facultatif
(art. 141 Cst)
Vote du peuple uniquement (majorité simple) y sont soumis sur demande de 50'000 citoyen(ne)s ou
de huit cantons :
- les lois fédérales ;
- les lois fédérales urgentes d’une validité
dépassant un an mais conforme à la
Constitution ;
- les arrêtés fédéraux (si la Constitution ou la loi
le prévoient) ;
- certains traités internationaux
422
Annexe 13
423
Les lois fédérales - adoptées par l'AF
- soumises au référendum facultatif (à la demande
Durée illimitée en principe de 50'000 citoyens ou de huit cantons dans un
Contiennent des règles de droit délai de 100 jours)
- entrent en vigueur au terme du délai référendaire
ou après l'acceptation par le peuple
Les lois fédérales urgentes - doivent être acceptées par la majorité absolue
des membres de chacun des deux Conseils
Durée limitée
Contiennent des règles de droit il en existe trois catégories
Leur entrée en vigueur "ne souffre aucun retard"
424
Annexe 14
425
Ordonnances du CF (non soumises au référendum)
indépendantes dépendantes
(reposent directement sur la Constitution) (reposent sur une loi)
426
Annexe 15
427
Les objectifs : les objectifs vers lesquels l’autorité doit s’orienter devraient idéalement être opérationnels (soit
constituer un critère de référence) et précis pour pouvoir apprécier leur réalisation. Mais ce n’est souvent pas
le cas et les objectifs restent le plus souvent très vagues*. Ce n’est ainsi que par la suite qu’ils sont précisés
soit dans le cadre des lois d’exécution ou d’actes planificateur, soit lorsque l’administration (sous le contrôle
du juge) se doit d’opérationnaliser de grands principes en procédant à une pesée d’intérêt.
Les moyens : les normes juridiques mises au service des la réalisation des objectifs se doivent d’être
suffisamment souples pour s’adapter en permanence à une réalité complexe et changeante. Cette
assouplissement peut être réalisé de deux façons très différentes : par la délégation législative (et l’adoption
de directives/ordonnances administratives qui peuvent déployer des effets sur les administrés (effets externes)
et qui « constituent un instrument très efficace de pilotage des politiques publiques » (Morand, 1999, p. 81))
qui laisse le soin au gouvernement d’agir et de préciser les objectifs par des actes rapidement et facilement
révisables ou par l’adoption de principes directeurs que l’administration doit appliquer dans chaque cas
particulier en opérant un pesée d’intérêt** (laisse un grand pouvoir d’appréciation à l’administration qui doit
adapter les normes juridiques finalisées à un environnement changeant). Les grands principes directeurs du
droit de l’environnement sont les principes de précaution, de prévention, du pollueur-payeur et du
développement durable. La pesée d’intérêt étant de nature très complexe, de nouveaux instruments d’aide à la
décision sont apparus, notamment dans le domaine de la protection de l’environnement et de l’aménagement
du territoire : l’étude d’incidence/d’impact et le rapport de synthèse en droit de l’aménagement. Enfin, les
principes permettent également de faire coexister des principes nationaux, locaux, supranationaux et
internationaux, parfois contradictoires. Cependant, « la technique des principes directeurs a pourtant le défaut
de ne pas être adaptée à la poursuite d’objectifs précis. Les pesées d’intérêts concrètes sont imprévisibles et
aléatoires. Elles ne permettent dès lors pas d’opérer une articulation précise entre des fins et des moyens. De
ce fait, les politiques publiques perdent de leur consistance. Le reproche qui leur est fait, d’être fréquemment
symboliques, d’affichage, ne tient pas seulement à un manque de volonté des autorités publiques, mais aussi à
des obstacles juridiques de caractère structurel. […] Les difficultés structurelles inhérentes au droit expliquent
que les concepteurs de politiques publiques cherchent à s’en passer pour recourir à des instruments alternatifs
» (Morand, 1999, pp. 85-86). « Les principes directeurs, que l’on rencontre en masse dans les législations
interventionnistes, ont la souplesse nécessaire pour s’adapter à n’importe quelle situation future. Alors que les
règles fixes disent ce qu’il faut faire ou ne pas faire, les principes sont relatifs : ils sont affectés d’un certains
poids. Ils se bornent à donner une direction très vague aux comportements. On s’explique dès lors que c’est
au sujet des principes du droit international que Lord Mac Nais a, pour la première fois, utilisé le terme de
soft law. La norme de comportement n’étant que très faiblement prédéterminée par les principes, la règle est
pour l’essentiel établie par l’administration ou le juge au moment où ils procèdent dans chaque cas d’espèce à
la pesée des intérêts en cause. Les décisions prises sur la base de principes, n’étant pas fondées sur des règles
fixes générales et abstraites, doivent l’être en application d’une règle individuelle et concrète fournissant le
résultat de la pesée des intérêts en jeu dans chaque cas d’espèce » (Morand, 1999, pp.123-124). Mais on
assiste également à l’apparition d’instruments d’action particuliers comme la fiscalité d’orientation
(subventions, taxes d’orientation qui illustre la pensée finalisée et réflexive, cf. point suivant sur l’évaluation
des effets) et la planification la planification :
L’évaluation des effets : du moment où les programmes finalisés ont pour objectif de déployer des effets sur
la société, de la transformer, l’évaluation constitue le moyen d’assurer que ces mesures ont produit
(évaluation rétrospective ou ex-post) les transformations voulues ou vont avoir les effets prévisibles
428
(évaluation prospective ou ex-post). Elle est également l’outil qui permet de réorienter une politique en cours
de réalisation (évaluation concomitante) conformément au contexte changeant.
* Cela peut s’expliquer pour des raisons politiques (craintes des autorités de pouvoir être critiquées) ou pour
des raisons pratiques parmi lesquelles la nécessité pour l’autorité d’agir au départ par tâtonnement dans un
domaine encore mal connus, mais aussi et surtout le fait de permettre la coexistence de nombreuses politiques
sectorielles poursuivant des objectifs multiples et le plus souvent contradictoires.
** Ces deux techniques peuvent être utilisées indépendamment l’une de l’autre mais également en
combinaison. Idéalement, « l’adoption de règles détaillées est justifiée lorsque le souci d’assurer à la fois
prévisibilité et égalité de traitement prédomine. […] Le recours aux principes directeurs […] se rencontrent
au contraire dans des secteurs où le souci de prévisibilité et d’égalité de traitement est moins forts ou lorsque
la concrétisation peut être assurée par la planification » (Morand, 1999, p.79)
Source : Morand (1999, pp. 77-90)
429
430
Annexe 16
431
La base de données qui a permis d’établir les différentes caractéristiques présentées dans le chapitre 11.6
(secteurs d’activités et émissions annuelles) sont tirées de l’inventaire des gaz à effet de serre en Suisse (OFEV,
2008a). Elle répertorie, en conformité avec le Protocole de Kyoto, les émissions nationales de gaz carbonique
(CO2), de méthane (CH4), de protoxyde d’azote (N2O) et de gaz synthétique (HFC, PFC et SF6), par secteurs
d’activités.
Notons ici que dans le but de pouvoir comparer les émissions des différents GES entre eux, on utilise un indice
– le potentiel de réchauffement globale (PRG) – qui est un :
indice fondé sur les propriétés radiatives d’un mélange homogène de gaz à effet de serre, qui sert
à mesurer le forçage radiatif d’une unité de masse d’un tel mélange dans l’atmosphère actuelle,
intégré pour un horizon temporel donné par rapport à celui du dioxyde de carbone. Le PRG
représente l’effet combiné des temps de séjour différents de ces gaz dans l’atmosphère et de leur
pouvoir relatif d’absorption du rayonnement infrarouge thermique sortant. (GIEC, 2007a, p. 149)
Le PRG permet ainsi d’exprimer les émissions des différents GES en équivalent CO2 pour permettre de les
comparer. Le PRG du CO2 est de 1, celui du CH4 de 23, celui du N2O de 296, celui du SF6 de 15'100, celui des
HFCs varie entre 12 et 12'000 et celui des PFCs entre 5'700 à 11'900 (GIEC, 2007a, Jancovici, 2002).
Par ailleurs, il est également nécessaire de faire quelques remarques supplémentaires sur la nature des données
de l’inventaire suisse des émissions de GES que nous avons utilisé et de la statistique des émissions selon la loi
sur le CO2, également publiée par l’OFEV (2008b).
En effet, il s’agit de bien distinguer ces deux sources de données dans la mesure où elles diffèrent quelque peu
puisque la loi sur le CO2 ne réglemente que les émissions de CO2 dues aux combustibles – avec correction
climatique – et aux carburants, à la différence de l’inventaire national des émissions de GES qui recense
également les émissions de CO2 ne provenant pas de la combustion de l’énergie ainsi que les émissions des cinq
autres GES réglementés par le Protocole de Kyoto.
Enfin, dernière différence entre les deux statistiques, l’inventaire national des GES fait également figurer les
données relatives aux puits de CO2 et aux émissions dues au trafic aérien international, qui, en conformité avec
les décisions de la CCNUCC, sont mentionnées mais non comptabilisées dans le total des émissions nationales
de GES (OFEV, 2008b).
Les différences entre les émissions déterminantes d’après la loi sur le CO2 et l’inventaire national des GES (de
même qu’avec la statistique de l’énergie, qui prend quant à elle en compte les émissions du trafic aérien
international) sont résumées ci-dessous.
Représentation graphique des liens entre la statistique globale de l’énergie et les gaz à effet de serre selon
le protocole de Kyoto et les émissions de CO2 selon la loi sur le CO2
432
Emissions déterminantes d’après la loi sur le CO2 et l’inventaire des GES en millions de tonnes
d’équivalents CO2.
Emissions 2005 2006 Contenues dans :
GES, trafic aérien international 3.52 3.7 -
CO2 Combustibles 23.56 22.74 IGES
CO2 Combustibles 23.87 24.24 LCO2
(avec correction climatique)
CO2 Carburants 16.87 16.97 LCO2 & IGES
CO2 Raffineries 1.01 1.10 IGES
CO2 Emissions liées à des procédés ind. 2.30 2.26 IGES
CO2 Déchets 2.32 2.50 IGES
CH4 3.54 3.54 IGES
N 2O 3.29 3.27 IGES
Gaz synthétiques : HFC / PFC / SF6 0.89 0.84 IGES
IGES = inventaire des gaz à effet de serre, LCO2 = loi sur le CO2.
La répartition des données de l’inventaire des émissions de GES au sein des secteurs d’activités que nous avons
utilisée est également indiquée ci-dessous.
Les secteurs d’activités à l’origine des émissions de GES en Suisse selon l’inventaire des émissions de
GES en Suisse
Secteurs d’activités Rubriques de l’inventaire des gaz à effet de serre en suisse / n°
Industrie I Conversion d’énergie 1A1
Industrie 1A2
Divers (machines de chantiers et militaires) 1A5
Industrie II Emissions d’évaporation (pétrole/gaz) 1B
Processus industriel (production de ciment) 2
Solvants 3
Transports Transports 1A3
Ménages (immeubles 1A4 - sous rubrique ménages de
Autres secteurs
d’habitation) l’inventaire.
1A4 - sous rubrique
Services & commerces Autres secteurs
services/artisanat de l’inventaire
Agriculture Agriculture 4
1A4 - sous rubrique autres
Autres secteur
(agriculture/sylviculture)
Déchets Déchets 6
Notons qu’à ces 6 secteurs, sources d’émissions brutes de GES, nous pouvons ajouter le secteur modification de
l’utilisation des sols & sylviculture qui en Suisse, pris dans sa globalité, ne correspond pas à une source mais à
un puits de CO2. Enfin le secteur des énergies renouvelables représente également un élément important dans la
perspective de réduire les émissions nettes de GES d’origine anthropique, notamment par le biais de la
substitution des ressources énergétiques d’origine fossile (charbon, gaz et pétrole) par des ressources
renouvelables.
Nous devons enfin souligner que les données relatives à la loi sur le CO2 ou à l’inventaire des émissions de GES
en Suisse ne sont pas publiées en même temps. Les premières sont « publiées chaque année en été pour les
données de l’année précédente, après la statistique globale suisse de l’énergie » (OFEFP, 2008b, p. 1) alors
qu’en ce qui concerne les secondes, les données d’une année de référence (par exemple 2006) sont publiées plus
d’une année après au printemps (dans notre exemple en avril 2008).
Source : d’après OFEV (2008a, 2008b)
433
434
Annexe 17
435
Le panel d’expert
Résumé
Le panel d’experts réunit plusieurs spécialistes indépendants et reconnus dans les domaines correspondant au
programme évalué. Les experts produisent collectivement un jugement sur la valeur du programme et de ses
effets. Cet outil permet de disposer rapidement et à faible coût d’un jugement global intégrant les principales
informations connues sur le programme ainsi que de multiples expériences antérieures et extérieures.
Le panel peut être considéré comme un outil d’évaluation dans la mesure où il existe une procédure standard et
répliquable pour le constituer, pour le réunir et pour l’amener à produire ses conclusions. L’outil est inspiré des
jurys universitaires, ce qui explique qu’il soit apparu dès le début des années 70, dans le domaine de
l’’évaluation des programmes de Recherche-Développement.
Par « panel d’expert », nous entendons ici un groupe de travail spécialement constitué et réuni à l’occasion de
l’évaluation. On trouvera plus loin la description d’un outil proche, l’enquête Delphi, qui s’appuie aussi sur des
experts mais qui diffère sur de nombreux points.
L’utilisation des groupes d’expert permet, dans un laps de temps de quelques mois, de rassembler l’essentiel des
points de vue et des connaissances pertinentes pour l’évaluation. L’outil est donc recommandé lorsqu’il existe
une expertise suffisante dans le domaine et que l’évaluation est complexe.
L’outil est également très bien adapté à des petits programmes simples pour l’évaluation desquels il n’est pas
justifié de consacré trop de ressources.
Etape 1 – Identification d’une liste d’experts potentiels : Les membres du panel doivent être des spécialistes
reconnus dans au moins un des champs concerné par le programme. Ils doivent avoir une large expérience du
domaine et être indépendants des commanditaires. Ils doivent par ailleurs avoir la disponibilité et la volonté de
s’impliquer dans l’évaluation.
Etape 2 – Sélection et mandatement des experts : Le panel est généralement composé de six à douze membres
appartenant aux différents « champs d’expertise ». La tendance actuelle est d’élargir le spectre d’intérêts et de
rechercher la plus grande diversité possible de points de vue au sein du panel. Les experts sont nommés intuitu
personnae et ne représentent pas leur institution. Chaque expert signe un contrat qui, selon les cas, prévoit ou ne
prévoit pas de rémunération. Le président du panel est choisi par le commanditaire ou élu par ses pairs. Il est
impératif de confier le secrétariat du panel à une personne qui a la disponibilité suffisante, ce qui n’est
généralement pas le cas des experts eux-mêmes.
Etape – 3 Investigations : Les experts se réunissent entre trois et six fois à intervalle d’environ un mois. Toutes
les dates de réunion doivent être programmées dès le début du travail. Les débats internes au panel sont placés
sous le sceau de la confidentialité. Les membres du panel consultent les documents du programme ou du projet
de programme (rapports d’activités, études préalables, enquêtes), ils auditionnent les responsables du
programme et quelques destinataires typiques. Ils peuvent aussi réaliser des visites sur le terrain, généralement
en binômes pour limiter les risques de parti-pris.
Etape 4 – Synthèse : Le panel produit un rapport et formule des conclusions et des recommandations acceptées
collectivement. En cas de désaccord, il peut être utile d’exprimer la conclusion majoritaire et d’annexer un
commentaire de l’expert minoritaire. Le panel doit tenir une dernière réunion après réception des commentaires
du commanditaire sur son rapport provisoire. Il est maintenant envisageable qu’une partie du travail du panel,
notamment dans sa phase finale, fasse appel aux techniques de communication à distance (Internet ou
436
visioconférence).
Le panel d’experts peut remplir de nombreuses fonctions, mais il est préférable de limiter sont travail à une
partie seulement de l’évaluation : structuration des objectifs, estimations des effets ou jugement. Plus le travail
du panel est défini de façon précise, plus la portée de son travail sera reconnue. La fiabilité de l’outil peut être
affaiblie si les questions posées aux experts sont trop vastes.
Le risque de biais d’empathie est important dans la mesure où les experts sont trop souvent restreints aux
spécialistes du domaine couvert par le programme (pairs) et sont donc peu enclin à critiquer la pertinence des
objectifs ou à s’intéresser à d’éventuels effets pervers.
La confrontation des avis mène souvent à la sous-évaluation des points de vue minoritaires. En effet, le mode de
fonctionnement consensuel sur lequel repose la dynamique du panel produit une convergence d’opinions autour
des valeurs majoritaires qui ne sont pas forcément les plus pertinentes.
L’outil est cependant susceptible de produire des conclusions créatives et des recommandations riches s’il est
associé à des techniques adaptées telles que celles qui sont présentées dans ce Volume (Metaplan®, vote
coloré).
L’enquête Delphi
Résumé
Les évaluations ayant recours aux avis d’experts peuvent se faire dans un cadre ex ante. La technique de
l’enquête Delphi en est une illustration ; elle se présente sous la forme d’une procédure de consultation
anonyme et itérative d’experts par voie de sondage postal. L’absence de concertation préalable au sein du
groupe permet une explication des divergences entre experts et donc de mieux comprendre la nature de
l’expertise de chacun.
Cette technique est recommandée lorsque les questions sont simples (programme comportant peu d’objectifs, à
caractère technique) et que l’on vise à établir une estimation quantitative des impacts potentiels d’une
intervention isolée (par exemple : augmentation de la fiscalité, du prix de l’énergie, …)
On peut y avoir recours lorsqu’on craint que les experts s’influencent réciproquement. L’anonymat et l’absence
d’interactions favorisent de plus une analyse en profondeur des raisonnements à l’origine des opinions
exprimées.
Etape 1 – Détermination et formulation des questions : Un soin particulier doit être porté au choix et à la
437
formulation des questions afin d’obtenir des informations utilisables.
Etape 2 – Sélection des experts : Ceux-ci doivent avoir des connaissances spécifiques du sujet et être prêts à
s’investir dans ce type de démarche. Le panel est généralement composé d’une cinquantaine d’individus.
Etape 3 – Elaboration du premier questionnaire en envoi aux experts : Le premier questionnaire doit contenir un
rappel de la nature de l’étude et comprendre deux ou trois questions semi-ouvertes ou ouvertes.
Etape 4 – Analyse des réponses au premier questionnaire : Les réponses sont analysées afin de déterminer la
tendance générale et les réponses extrêmes.
Etape 5 – Elaboration du second questionnaire et envoi aux experts : A chaque expert informé des résultats du
premier tour, il est demandé de fournir une nouvelle réponse et de la justifier si elle s’écarte de la tendance
générale.
Etape 6 – Envoi d’un troisième questionnaire : Ce questionnaire ne s’adresse qu’aux experts ayant maintenu des
réponses « extrêmes ». Il est en outre demandé de critiquer les arguments des tenants de l’autre position
extrême. La confrontation des avis joue un rôle modérateur et facilite l’apparition de convergence de points de
vue.
Une convergence suffisante des opinions apparaît généralement lors de l’exploitation du quatrième
questionnaire. Si tel n’est pas le cas, le cycle continue.
Cette technique offre moins de souplesse d’utilisation car le temps nécessaire pour les différentes itérations est
important (supérieur à trois mois).
Comme dans le cas de la démarche par panel, la fiabilité de l’outil dépend de la subjectivité des avis d’experts,
elle-même fonction du stock de connaissances dont ils disposent.
Source : reproduit de Monnier (1999, pp. 90-93, 130-132)
438
Annexe 18
439
Excentricité orbitale Obliquité axiale Précession des équinoxes
440
Annexe 19
441
Figure 1
3
Miot
2
0
1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006
Déchets, chiffre 2006 : 12.01% (décharges : 8.21%, divers : 3.80%, dont épuration des eaux usées : 0.94% et incinération : 0.11%)
Agriculture, chiffre 2006 : 79.6% (détention d'animaux : 65.10%, utilisation d'engrais de ferme : 14.18%, combustion d'énergie : 0.28%, divers : 0.05%)
Autres secteurs, chiffre 2006 : 8.39% (industrie : 5.55%, transports : 0.59%, services & commerces : 0.64%, ménages : 1.6%)
Figure 2
Miot 2
0
1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006
Déchets, chiffre 2006 : 7.85% (épuration des eaux usées : 6.48%, incinération : 0.76%, divers : 0.61%)
Agriculture, chiffre 2006 : 75.71% (utilisation d'engrais de ferme : 12.32%, sols agricoles : 63.11%, combustion d'énergie : 0.05%, divers : 0.28%)
Autres secteurs, chiffre 2006 : 16.44% (industrie : 11.21%, transports : 3.78%, services & commerces : 0.42%, ménages : 1.03%)
Industrie, chiffre 2006 : 11.21%
442
Figure 3
0.9
0.8
0.7
0.6
0.5
HFC, chiffre 2006 : 73.87%
Miot SF6, chiffre 2006 : 19.41%
0.4 PFC, chiffre 2006 : 6.72%
0.3
0.2
0.1
0.0
1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006
Figure 4
60
50
40
Puits (sols et forêts), chiffre 2006 : - 2.23 Miot
30
Miot
20 Emissions nettes, chiffre 2006 : 50.98 Miot
10
Emissions brutes, chiffre 2006 : 53.21 Miot
0
-10
1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006
443
444
Annexe 20
445
Emissions de CO2 résultant de l’utilisation énergétique de combustibles fossiles (engagement LCO2)
446
Annexe 21
447
Calcul du coût total pour une norme uniforme (cf. Figure ci-dessous) :
Réduction pour A = 50
Réduction pour B = 50
Calcul du coût total pour une taxe (cf. Figure 34, p. 285) :
Taxe = 33.3 .- / Q
448
Coût Total pour A = 555.5 (dépollution) + 2222.2 (taxe) = 2777.7
Calcul du coût total pour les permis (cf. Figure 35, p. 296) :
Coût Total de dépollution pour B = 1111.1 (aire du triangle calculé dans diapo sur la Taxe)
Coût Total de dépollution pour A = 555.5 (aire du triangle calculé dans diapo sur la Taxe)
Coût Total pour A = 555.5 (coût de dépollution) + 555.5 (achat des permis) = 1111.1
Meilleure efficience des instruments économiques (permis et taxes) sur les normes uniformes, toutes
choses étant égales par ailleurs.
Source : l’auteur
449
450
Annexe 22
451
452
453
Source : l’auteur
454
Annexe 23
455
456
457
r
458
Source : l’auteur
459
460
Annexe 24
Enquête « pan-phi » :
explications et légende
questionnaires n°1 à 5
réponses du panel d’experts
Traitement des résultats
461
Explications et légende concernant la présentation des questionnaires de l’enquête « pan-phi », des
résultats obtenus et de leur traitement
Les questions de la 1ère vague et de la seconde vague de questionnaires sont identiques, hormis quelques
corrections et rectificatifs (cf. note ci-après).
Les réponses des six experts aux questions des deux vagues de questionnaires, ainsi que leur traitement, ont été
reportés sur les questionnaires de la seconde vague de questionnaires qui vous sont présentés ci-après de la
manière suivante :
Réponses des experts Traitement des données Réponses des experts Traitement des
à la 1ère vague de à la 2e vague de données
questionnaires (les questionnaires (les
réponses considérées réponses « extrêmes »
comme « extrêmes » maintenues sont en
sont en rouge : cf. rouge et le numéro de
procédure justification est
d’identification des indiqué (cf. Annexe
valeurs « extrêmes » « justification des
en pages 306 et réponses
suivantes) « extrêmes » »))
Expert 1 Expert 2 Moyenne des réponses Expert 1 Expert 2 Moyenne des réponses
hors réponses
Ecart-type
« extrêmes »
Expert 3 Expert 4 Proposition de réponse 1 (P 1) Expert 3 Expert 4 maintenues
= Moyenne des réponses hors
Ecart-type
réponses considérées comme
Expert 5 Expert 6 extrêmes et arrondie à l’unité Expert 5 Expert 6 Niveau de consensus
de 1 à 5 : nc1 à nc5
01 00
Ce qui donne par exemple pour la 1ère question et la 1ère dimension du questionnaire n°1 : 00
0.33
0.52 00
0.17
0.41
10 0 10 nc2
Note : suite à une réorganisation de l’ordre des questions, notamment due à la suppression d’une question du
questionnaire n°3 (MécFlex) relative à l’Etat Suisse entre la 1ère et la seconde vague de questionnaires, les
« codes » des questions ont été redéfinis comme suit pour l’analyse :
462
AC3 TCO2 (AC4)
AC5 TCO2 (AC5)
TAC6 TCO2 (AC6)
Questionnaire n °3 MécFlex MécFlex pour Mécanismes de
flexibilité
AC2 MécFlex (AC1)
AC3 MécFlex (AC2)
AC4 MécFlex (AC3)
Questionnaire n °4 OblComp OblComp pour Obligation de
compensation
AC1 OblComp (AC1)
AC2 OblComp (AC2)
AC3 OblComp (AC3)
AC-e : Entreprises bénéficiaire de la redistribution de la taxe CO2 par le biais de la masse salariale
AC-f : Individus/particuliers bénéficiaires de la redistribution de la taxe CO2 par le biais de l’assurance maladie
AC-g : Acteur supprimé suite à la suppression d’une question relative à l’Etat Suisse entre la 1ère et la seconde vague du questionnaire n°3 (MécFlex)
AC-l: Acteurs menant des projets en Suisse dans les domaines bâtiments/carburant/chaleur pouvant bénéficier du fonds Centime Climatique
AC-m : Entreprises suisses ayant une Convention d'objectifs dans le secteur des carburants ou des combustibles pouvant bénéficier du fonds Centime
Climatique
AC-n : Fonds d’investissement, Brockers, Traders pouvant bénéficier du fonds Centime Climatique
Source : l’auteur
463
Annexe 24-a – page 1/2
464
Annexe 24-a – page 2/2
Source : l’auteur
465
Annexe 24-b – page 1/2
466
Annexe 24-b – page 2/2
Source : l’auteur
467
Annexe 24-c – page 1/2
468
Annexe 24-c – page 2/2
Source : l’auteur
469
Annexe 24-d – page 1/1
Source : l’auteur
470
Annexe 24-e – page 1/2
471
Annexe 24-e – page 2/2
Source : l’auteur
472
Annexe 25
473
Annexe 25-1 – page 1/1
Nous avons jugé les deux réponses de l’expert liées à ces deux justifications comme
« aberrantes » compte tenu de l’argumentation avancée ; en effet, un parallélisme est ici
établit entre d’une part la méthode d’évaluation des projets de la fondation du centime
climatique (financement de projets via le fonds du centime climatique) et l’instrument de
l’obligation de compensation (financement de projets en Suisse et à l’étranger) ; cette
comparaison ne tient pas la route selon nous, tant les modalités et le contexte institutionnel
(notamment légal) n’est pas identique dans les deux cas de figure ; ni la réponse, ni la
justification n’ont donc été prise en compte dans notre analyse.
474
Annexe 25-2 – page 1/1
Entretient du 11.12.08 : justification n°3 non faite dans le sens « dans le but de réduire les
émissions de GES » et donc à ne pas prendre en compte.
La justification n°2 n’est pas émise par rapport à l’instrument pris en considération, mais
dans l’absolu ; nous avons donc jugé la réponse liée à cette justification comme
« aberrante » ; ni la réponse, ni la justification n’ont donc été prises en compte dans notre
analyse.
475
Annexe 25-3 – page 1/1
Notes : les réponses associées à ces justifications n’ont pas été considérées comme extrêmes
dans le cadre de notre analyse pour les raisons suivantes :
• pour les six réponses liées aux six premières justifications (n°1 à n°6) l’expert n’a
pas gardé sa réponse initiale « extrême », mais il n’a pas non plus choisi de se
rattacher aux propositions de réponses P1 ou P2 ; ses nouvelles réponses ont donc
été réévaluées à l’aide du test de Dixon (avec un degré de confiance de 10%) et
aucune de celles-ci n’a pu être considérées comme « extrêmes » compte tenu des
réponses des autres experts ; ainsi les justifications de l’expert n’ont pas été
intégrées à notre analyse.
• en sus, nous avons jugé la réponse liée à la dernière justification (n°7) comme
« aberrante » compte tenu de la justification avancée ; ni la réponse, ni la
justification n’ont donc été prise en compte dans notre analyse.
476
Annexe 25-4 – page 1/1
La justification n°3 n’est pas nécessaire, car la réponse de l’expert est en réalité égale à P 2.
Les justifications n°6 et n°9 ne sont pas émises par rapport à l’instrument pris en
considération, mais dans l’absolu ; nous avons donc jugé les trois réponses liées à ces
justifications comme « aberrantes » ; ni ces réponses, ni ces justifications n’ont donc été
prises en compte dans notre analyse.
477