Vous êtes sur la page 1sur 117

Université de Picardie Jules Verne

CRIISEA

Faculté d’Economie et de Gestion

Mémoire d’habilitation à diriger des recherches

Travail et territoire

Christian Azaïs

Amiens, 13 Octobre 2000

1
INTRODUCTION ....................................................................................................3  
L’EMERGENCE D’UNE PROBLEMATIQUE DE RECHERCHE ........................................................................... 3  
ITINERAIRE UNIVERSITAIRE .................................................................................................................................... 4  
LE CHOIX DISCIPLINAIRE ......................................................................................................................................... 5  
Le choix de la méthode................................................................................................................................................5  
Le choix de la discipline et de l’objet .....................................................................................................................8  
I- Dynamique industrielle, sous-développement et formes de mise au travail 16  
1.1. L’APPROCHE DE L’ECONOMIE INDUSTRIELLE ......................................................................................16  
1.1.1. Un choix méthodologique : l’analyse en termes de filière ............................................................. 16  
1.1.2. Filière, mouvement du capital et restructurations industrielles dans le textile................... 17  
1.2. DE L’IMPORTANCE DU TRAVAIL DANS LES ANALYSES DU SOUS-DEVELOPPEMENT ..............20  
1.2.1. L’expression d’une normativité............................................................................................................... 20  
1.2.2. La lecture latino-américaine du sous-développement..................................................................... 22  
1.3. L’APPROCHE SOCIOECONOMIQUE DES FORMES DE MISE AU TRAVAIL .......................................25  
1.3.1. Le débat sur le “ Secteur informel ” urbain ....................................................................................... 25  
1.3.2. Les limites de la théorie économique...................................................................................................... 30  
II- Marché du travail, systèmes d’entreprises : implications méthodologiques34  
2.1. DE L’IMPORTANCE DU POLITIQUE DANS L’APPREHENSION DES RAPPORTS DE TRAVAIL ...34  
2.1.2. Politique et « marché » du travail.......................................................................................................... 34  
2.1.2. L’approche par la sociologie économique ............................................................................................. 36  
2.2. L’ENTREPRISE, AU CŒUR DU SYSTEME ....................................................................................................38  
2.2.1. L’entreprise, lieu de recomposition sociale.......................................................................................... 39  
2.2.2. Systèmes d’entreprises et formes de développement local : l’approche par les districts
industriels .................................................................................................................................................................... 40  
2.3. IMPLICATIONS METHODOLOGIQUES ........................................................................................................48  
2.3.1. Les rapports de pouvoir .............................................................................................................................. 48  
2.3.2. La méso-analyse : entre les dimensions macro et micro ................................................................ 55  
III- Espace, territoire et temps : vers une analyse du travail................................62  
3.1. L’ESPACE DANS LA THEORIE ECONOMIQUE ..........................................................................................63  
3.1.1. L’approche statique en économie spatiale : ses limites ................................................................... 65  
3.1.2. Economies d’échelle, économies externes et rendements croissants.......................................... 66  
3.2. LE TERRITOIRE, UN OBJET DE LA SCIENCE ECONOMIQUE .................................................................68  
3.2.1. La proximité : de l’espace au territoire ................................................................................................. 69  
3.3. TEMPS, TRAVAIL ET TERRITOIRE : REFLEXIONS SUR UNE ARTICULATION ..................................76  
3.3.1. Temps, division sociale du travail et division territoriale du travail ....................................... 80  
3.3.2. Formes d’organisation du travail et formes d’organisation des territoires ............................ 86  
IV- Perspectives et travaux en cours......................................................................97  
V- Bibliographie ................................................................................................... 104  
VI- Bibliographie de l’auteur............................................................................... 116  

2
INTRODUCTION

L’EMERGENCE D’UNE PROBLEMATIQUE DE RECHERCHE

Deux voies ont contribué à façonner ma problématique de recherche. La première porte


sur l’étude du capitalisme périphérique à travers l’analyse d’un secteur industriel et des
formes de mise au travail ; les questions abordées s’inscrivent principalement dans le
champ de l’économie industrielle et de l’économie du développement et empruntent
certains outils analytiques à la sociologie du travail. La seconde prend en compte les
résultats des recherches entreprises et opère un retour théorique sur l’économie
industrielle en l’enrichissant des enseignements de l’économie régionale. Le travail et le
territoire se trouvent au cœur de la problématique, ce qui, on le verra, pose un défi de
taille : celui de l’articulation entre deux concepts rarement mis en perspective et qui
peut, hypothèse forte, s’avérer à même de traduire la complexité des formes de mise au
travail et de développement. Ce mémoire d’ « habilitation à diriger des recherches »
constitue une autre gageure, qui est de privilégier le recours à diverses sciences sociales
et de ne pas se cantonner à une seule approche, qui ne serait pas à même de traduire la
pluralité dans laquelle est inscrit le « territoire ». La lecture des rapports économiques est
étroitement liée à celle des rapports sociaux. Tel est l’axe directeur des réflexions qui
suivent.

D’emblée, toutefois, je tiens à souligner que ma trajectoire de chercheur et même


d’enseignant-chercheur est directement liée aux contacts étroits que j’avais établis, alors
que je résidais encore au Brésil, avec les membres du GREITD – Groupe de Recherche
sur l’Etat, l’Internationalisation des Techniques et le Développement -, association
dirigée à l’époque par Pierre Salama, qui avait été mon directeur de thèse et par la suite
par Bruno Lautier. Plus tard, une fois rentré en France, ma participation à l’ERSI1 -
Equipe de Recherche sur les Systèmes Industriels, dirigée par Christian Palloix, allait
être décisive pour délimiter mon champ de recherche. Sans leur présence et leur appui
ma réinsertion dans la structure universitaire française aurait été fort difficile, voire
infaisable. Je leur en suis fort gré. A l’heure qu’il est je suis membre de cette équipe de
recherche et associé au GREITD.

1 Devenu CRIISEA –Centre de Recherche sur l’Industrie, les Institutions et les Systèmes
Economiques d’Amiens.

3
ITINERAIRE UNIVERSITAIRE

Mon parcours universitaire suit deux grands axes principaux. Le premier, représenté par
la science politique (dont je me suis un peu éloigné au fil du temps) a constitué
l’essentiel de ma formation de base. Il se matérialise par l’obtention du Diplôme de
l’Institut d’Etudes Politiques (IEP) et d’un DEA en science politique. Ces études ont été
menées parallèlement à des études de langue (maîtrise d’espagnol, licence LEA d’anglais
et portugais), qui m’ont donné l’occasion de séjourner et de travailler à l’étranger. Dans
les mémoires de l’IEP et de DEA, j’ai privilégié l’analyse des conflits et des mécanismes
de régulation politique dans deux sociétés latino-américaines, l’uruguayenne et la
brésilienne : dans le premier cas, sous l’angle des conflits politiques entre les forces au
pouvoir et la lutte armée ; dans le second, sous l’angle des conflits dans la sphère du
travail, en m’intéressant au rôle joué par les syndicats dans le processus de consolidation
démocratique brésilien, à la fin des années 70.

Puis, je me suis tourné vers la Gestion (obtention du Certificat d’Aptitude à


l’Administration des Entreprises (C.A.A.E.) de l’Institut d’Administration des
Entreprises -I.A.E. d’Aix-en-Provence), ce qui a débouché directement sur une première
expérience professionnelle au Brésil, en tant qu’économiste dans une firme
multinationale française. Quelques années plus tard, fort de cet acquis, je préparais une
thèse en science économique sur le secteur textile.

L’idée de la thèse faisait suite à toute une série de questions suggérées, entre autres, par
cette expérience professionnelle. Elles portaient principalement sur :

 les transformations subies par une filière de production (la filière textile), dans
une économie semi-industrialisée. Les outils de l’économie industrielle et les
analyses du sous-développement s’avéraient indispensables pour les saisir ;
Ø l’évolution de l’emploi au sein de la filière textile au niveau mondial et plus
particulièrement en France et au Brésil, clef de voûte des transformations que connaît
le secteur ;
Ø la configuration des rapports de travail, ce qui m’obligeait à dépasser le cadre
d’étude choisi pour le DEA et à me familiariser avec une optique de sociologie du
travail ;
Ø les formes de mise au travail, i.e. l’étude de la trajectoire des individus et de la façon
dont se constituent les marchés du travail.

Toutefois, par delà la diversité apparente, une constante demeure : l’étude d’ensembles
industriels constitué de firmes moyennes et petites, la plupart du temps, dans une
économie en développement (Brésil) et dans les économies développées (Italie, France).

4
L’enseignement que j’en retirerai me conduira à affiner les hypothèses sur l’évolution
des systèmes productifs et, plus spécifiquement, sur la dynamique territoriale et le
travail.

C’est en prenant l’optique des formes de mise au travail dans des systèmes productifs
localisés que j’en viendrai à me pencher, plus tard, sur les formes de développement
territorial. Je poserai alors une série d’interrogations sur le contenu théorique de la
notion de territoire en tant qu’objet d’étude de la science économique et lieu de
concrétisation de formes nouvelles de mise au travail.

Telle est, rapidement retracée, ma trajectoire de recherche ces quinze dernières années.
Dans les pages qui suivent, chacune de ces étapes sera détaillée en précisant la démarche
méthodologique suivie, les prémisses théoriques et les hypothèses qui en ont découlé.

LE CHOIX DISCIPLINAIRE

Le choix de la méthode

D’emblée, quelques considérations sur le plan de la méthode, de l’objet choisi et du


champ disciplinaire s’imposent. C’est le terrain qui m’a toujours informé de l’évolution
des situations que je me proposais d’étudier ; c’est lui qui m’a permis de saisir les enjeux
théoriques dégagés par la réalité analysée et non le contraire.
L’idée courante est que déduction et induction, ces deux temps de la méthode, sont
opposées, la déduction conduisant du général au particulier, l’induction du particulier
au général. Or, la démarcation entre les deux est plus subtile (Blaug, 1992) et s’inscrit, en
économie, dans la différence entre économie positive et économie normative ; i.e. entre
“ ce qui est ” et “ ce qui doit être ”, ce qui revient à poser l’existence d’une “ distinction
logique rigoureuse entre le domaine des faits et le domaine des valeurs ” (Blaug : 110).
En fait, de manière quelque peu systématique deux traitements de la réalité se font face :
le holisme méthodologique et l’individualisme méthodologique. L’option de recherche
que j’ai choisie, celle du holisme méthodologique, m’a paru à divers égards plus
adéquate pour rendre compte des situations analysées ; ma formation universitaire y est
pour quelque chose. La reconnaissance de l’importance des structures sociales, faisant en
sorte que “ les ensembles sociaux [ont] des finalités ou des fonctions qui ne peuvent pas
être réduites aux croyances, attitudes et actions des individus qui les composent ”
(Blaug, 1982 : 44 ) me semblait évidente et incontournable à partir du moment où je
travaillais sur des espaces sous-développés. C’est donc pour cette raison que je me

5
démarque radicalement de toute méthode déductive. Les généralisations que j’ai pu
faire, si généralisation il y a eu, ont toujours été le fruit de l’observation empirique, qui, à
son tour, a servi à alimenter la réflexion théorique dans un mouvement continu. Pour
reprendre les termes de Mounier (1999), “ la démarche scientifique en sciences sociales
[…] consiste essentiellement à interroger les schémas théoriques, à partir d’une ou de
plusieurs réalités dans le temps et dans l’espace, pour en confirmer la robustesse ou au
contraire les infléchir, les enrichir jusqu’à la construction de ces “ boîtes noires ” qui
représentent les certitudes les plus partagées et dont le statut scientifique devient celui
de paradigme. Ou bien au contraire, la confrontation des faits à leur interprétation
théorique peut amener le scientifique à contester, voire abandonner celle-ci et tenter de
proposer une construction théorique concurrente ” (Mounier, 1999 : 7). La démarche
comparative, qui sera celle qu’implicitement ou explicitement j’aborderai en tant que
chercheur, en France et au Brésil, sera utile pour confronter les réalités du Nord ou du
Sud aux mêmes interprétations théoriques, et ceci grâce au passage de quelques
frontières disciplinaires.

J’allais être particulièrement sensible à l’attention particulière portée à ce que Pareto –le
Pareto sociologue- appelle les « résidus », qui sont en fait les actions non logiques faites
des sentiments, croyances, instincts, que les hommes rationalisent mais ignorent le plus
souvent eux-mêmes, et qui bien qu’étant résiduelles n’appartiennent peut-être plus à la
tendance générale, mais n’ont pas pour autant disparu. Une telle approche dépasse toute
vision comportementaliste, incompatible avec le choix méthodologique opéré. Un
phénomène peut donc à tout moment réapparaître et mobiliser la réalité sociale, si les
conditions se trouvent à nouveau réunies. Je retrouverai cela chez Lacour lorsqu’il traite
de la « tectonique des territoires » (Lacour, 1996), instrument analytique pour expliquer
l’évolution différenciée des structures spatiales, l’émergence de nouvelles régions
dynamiques et le blocage de certaines.

Le franchissement des frontières nationales s’est accompagné d’un passage de frontières


disciplinaires, qui n’a pas toujours été bien aisé à manier. C’est pourtant ce à quoi je me
suis exposé (aventuré ?) en piochant çà et là ce qui pouvait servir pour comprendre la
réalité économique et sociale que je me proposais d’analyser, l’objet de recherche se
prêtant à cet exercice. Etudier la configuration productive d’ensembles industriels
composés de petites unités de production dans une région périphérique d’un pays semi-
industrialisé ne pouvait se faire ni à partir de modèles mathématiques ou statistiques
édifiés sur un arsenal de données floues, si ce n’est inexistantes, ni non plus à partir
d’une approche microéconomique ; et pourtant, d’un point de vue économique, l’objet
de recherche avait une pertinence certaine, celle de permettre à des populations de vivre,

6
de travailler chez elles et de se reproduire. Je me rappelle, à ce titre, les propos d’un
économiste, consultant chargé d’orienter les micro-entrepreneurs, qui, décontenancé par
l’organisation des installations productives, me déclarait : “ Tout indique que ça ne
devrait pas marcher et pourtant ça marche et bien ”. Cet aveu d’impuissance,
soudainement confessé, m’indiquait clairement que j’étais sur le bon chemin : la
configuration productive de systèmes de PMI ou la reproduction de la force de travail ne
peut se comprendre à partir d’une approche d’économie pure et que le recours à
d’« autres points de vue » théoriques (Boutet, 1995 : 13)2, comme ceux, entre autres, de la
sociologie du travail, ou méthodologiques, à travers le rejet de tout déterminisme
technologique ou autre, s’avérait fort utile. La réalité étudiée, de par son inscription dans
le cadre des analyses du sous-développement ajoutait une perspective nouvelle à ces
interrogations.

C’était en quelque sorte l’évidence du caractère particulier et contingent du sens que


chaque société donne aux diverses situations « économiques » (d’Iribarne, 1995 : 37),
c’est-à-dire la relativité des phénomènes et non leur dépendance de tel ou tel
comportement purement individuel, qui m’était offerte. En fait, ce qui aurait pu paraître
comme une simple boutade touchait une question théorique essentielle, celle des
postulats fondateurs de l’Economie et de ses rapports avec les autres sciences sociales,
sociologie et anthropologie, principalement. Si l’on accompagne d’Iribarne dans la
présentation qu’il fait des fondements paradigmatiques de l’économie, à savoir la
rationalité utilitariste, l’individualisme contractuel et le naturalisme universaliste (id. :
33), alors on ne peut se satisfaire d’une analyse qui ignore les déterminations sociales ou
qui, tout simplement, cantonne la passation de contrats entre individus au rang
d’« arrangements efficaces » (postulat d’individualisme contractuel) ou encore limite
l’appréhension des actes et motivations de tout un chacun à la seule observation de soi
(postulat de naturalisme universaliste) ou à des principes d’ordre psychologique
(postulat de rationalisme utilitariste). Penser que des individus rationnels passent entre
eux des contrats (institutions), inspirés par des motivations relevant d’une nature
humaine universelle relève d’une pure et simple spéculation (d’Iribarne, 1995 : 43).

« La science économique doit prendre en compte le fait que les stratégies des acteurs
économiques se construisent dans des univers de sens et ne peuvent être comprises en
dehors de ces univers » (d’Iribarne, 1995 : 44). Telle était bien la leçon que m’avait
donnée le consultant et que j’avais déjà pressentie à plusieurs reprises.

2 L’auteur écrit : “ Le travail de l'interdisciplinarité est avant tout celui d’une confrontation entre
points de vue, des problématiques, forgés au sein de disciplines spécifiques. Confronter ces
points de vue c’est chercher ce que l’autre discipline a de dérangeant, de conflictuel face à ce que
l’on sait déjà dans sa discipline ou qu’on ne sait pas encore ” (Boutet, 1995 : 13).

7
Au cours de ce cheminement de recherche, j’ai opéré plusieurs glissements et ai puisé
dans différentes sciences sociales les clefs de compréhension de phénomènes que seule
une science, que ce soit la science politique, la sociologie ou l’économie ne me fournissait
pas. Ma première prise de distance a été par rapport à l’optique des gestionnaires. C’est
ce que j’expliquerai maintenant3.

Le choix de la discipline et de l’objet

Pour quelles raisons ai-je abandonné de manière définitive l’optique de gestionnaire qui
était la mienne au départ et pourquoi lui ai-je préféré, dans un premier temps, celle des
économistes ?

Le point de départ de la réflexion a porté sur la stratégie industrielle. Il faut y voir le


reflet de ma formation académique (I.A.E.) et de ma première expérience professionnelle
à la Rhodia S.A. (filiale brésilienne de Rhône-Poulenc)2, à São Paulo, de 1974 à 1977. En
effet, les études de Gestion m’ont sensibilisé aux questions de stratégie industrielle. A
l’époque, la publication récente en français du livre de Chandler Stratégies et Structures
(1972) contribuait à élargir l’optique des gestionnaires, en indiquant clairement que la
grande entreprise en bonne partie a remplacé le marché dans la répartition des
ressources et que ce type d’organisation est plus efficace que le marché, posant ainsi un
problème crucial aux économistes, déjà soulevé par Coase dans son célèbre article « The
nature of the firm » de 1937 : firme versus marché et celui central aussi en économie
industrielle de l’internalisation des fonctions dans l’organisation. Il offrait à la théorie
économique un instrument d’analyse du marché qui s’étendait à l’étude de la grande
entreprise et une option méthodologique nouvelle pour l’examen de la firme, non plus
analysée uniquement en termes de forces et faiblesses dans une simple optique de
rationalité managériale ; ainsi il en va du recours que fait Chandler à l’histoire, ouvrant
de nouvelles voies à la compréhension de la dynamique entrepreneuriale. A cet égard,
l’exemple qu’il donne dans son ouvrage du recul de l’intégration verticale chez General
Motors après l’adoption de nouvelles stratégies et structures n’est pas sans rappeler la
tendance actuelle dans de nombreuses branches du retour au modèle de réseaux

3 La lecture que je fais aujourd’hui de mes écrits passés prend en compte la littérature publiée
depuis, sauf si je le mentionne explicitement.

2 La Rhodia, installée au Brésil depuis le début des années 20, était de loin dans les années 70 la
première entreprise productrice de fils et fibres artificiels et synthétiques au Brésil, détenant
même sur certains produits (câble acétate, par exemple) le monopole de la production.

8
d’entreprises, où une certaine intégration se manifeste entre concepteurs, producteurs,
gestionnaires et designers dans le but de satisfaire la demande finale. Chandler a
contribué ainsi à faire redécouvrir aux théoriciens le rôle des formes d’organisation, des
procédures de coordination économique et sociale qui se combinent ou se superposent
aux phénomènes de marché, thèse qui composera l’essentiel de son livre La main visible
ou le pouvoir des managers (1977). Je me rappellerai cet enseignement lorsque je me
pencherai plus tard sur l’étude du secteur textile. Toutefois, on peut lui reprocher
d’avoir ignoré l’importance de l’Etat dans l’affirmation du capitalisme industriel et de
s’en être tenu à une approche qui fait la part belle, comme le font les néo-
institutionnalistes tels que Williamson, aux relations contractuelles sans se rendre
compte qu’en fait il s’agit davantage de relations hiérarchiques, donc empreintes de
pouvoir. La thématique du pouvoir constituera depuis lors l’un des fils directeurs de
mes recherches.

Le diplôme de l’I.A.E. m’a permis d’obtenir un poste de responsable d’Etudes


Economiques au sein de la Direction de Planification Stratégique de la Division Textile
de la Rhodia, où j’ai participé à l’élaboration du Plan Stratégique commercial
quinquennal. De là vient ma connaissance du secteur textile ; j’y ai trouvé les premiers
éléments de ce qui constituera plus tard pour moi un objet de recherche universitaire.

L’objet

Le fait de connaître de l’intérieur les rouages d’une firme multinationale, de rédiger un


bulletin d’information économique bimensuel sur le secteur textile brésilien et mondial
ont éveillé en moi la volonté d’approfondir l’étude de la filière et des stratégies mises en
œuvre par les grands groupes multinationaux au niveau mondial et, plus
particulièrement, au Brésil. Je n’ai pu faire cette analyse qu’après avoir abandonné toute
perspective de carrière en entreprise et repris le chemin de l’Université.

L’entreprise a occupé le centre d’une réflexion que j’ai menée en plusieurs temps : tout
d’abord en privilégiant une optique en termes de gestion et, plus spécifiquement, de
stratégie des groupes, pour m’intéresser par la suite à l’entreprise comme lieu de
recomposition sociale.

L’optique que retiennent les gestionnaires est une optique endogène, ils s’intéressent à la
stratégie des entreprises vue de l’intérieur de l’entreprise. J’ai adopté cette position, dans
une suite logique de mes dernières années études. Le fait de travailler dans une
Direction d’Etudes Economiques m’a sensibilisé aux problèmes macroéconomiques que
rencontrait le Brésil des années 70 et, plus spécifiquement, à la situation du secteur

9
textile au niveau mondial ainsi qu’à la stratégie développée par les groupes industriels
pour asseoir leur domination. Le Brésil s’avérait être un terrain de prédilection pour
l’étude des stratégies menées par les firmes multinationales dans les économies semi-
industrialisées ; la concurrence entre les grands groupes internationaux textiles était
particulièrement féroce au Brésil et comme la Rhodia, filiale de Rhône-Poulenc, était sur
certaines productions en situation de monopole, elle se devait d’adopter des méthodes
de gestion innovantes pour contrôler le cycle du produit, maîtriser le rythme
d’innovation, ce qui ne correspondait pas toujours à la recherche effrénée de
maximisation du profit, celle-ci ne pouvant être tenue comme objectif unique de la
stratégie de l’entreprise. Cette expérience allait être décisive.

Premièrement, parce qu’elle soulignait que les enjeux du positionnement stratégique


d’une firme multinationale sur le marché ne dépendaient pas uniquement de l’adoption
de méthodes de gestion “ adéquates ”, que les décideurs étaient plus mûs par une
rationalité procédurale qu’illimitée, ce qui signifiait bien que d’autres éléments devaient
être pris en compte dans l’analyse, qui n’étaient pas forcément irrationnels. De même, il
était patent que la réalité était plus complexe que ce que la théorie microéconomique,
dans sa version première, le prétend : les comportements concurrentiels ne sont pas
radicalement opposés aux comportements monopolistiques, ainsi que l’avait fort
justement indiqué Marshall. Les entreprises adoptent des stratégies qui divergent de
l’une à l’autre et qui sont la marque de l’incertitude et de l’irréversibilité. C’est à une
rationalité limitée que l’on a affaire.

Deuxièmement, parce qu’elle indiquait clairement que seule une approche dynamique
permettrait de capter le mouvement au sein d’une filière de production. C’est pour cette
raison que je n’allais pas hésiter, lorsque j’étudierai quelques années plus tard le
mouvement du capital dans le secteur textile, dans le cadre de la thèse de doctorat, à
délaisser tout d’abord l’approche des gestionnaires au profit d’une analyse en terme de
filière de production, que la science économique pouvait m’offrir, sans oublier toutefois
la perspective historique à laquelle Chandler m’avait “ initié ” et qui m’avait séduit. Ce
choix allait être conforté par l’analyse de la filière proposée entre autres par De Bandt
comme méso-système dynamique et que j’appliquais à l’étude du secteur textile (De
Bandt, 1978). Les caractéristiques de la filière, soulignées plus tard (De Bandt, 1991a :
232), rendaient compte de la multiplicité des déterminations à l’œuvre dans la
construction d’une approche socioéconomique de la réalité textile brésilienne, dont
j’avais été un témoin quelques années auparavant de par ma situation professionnelle.
Les approches sur le méso-système, développées par cet auteur, faisaient référence aux
actions stratégiques des agents (De Bandt, 1991a : 234) ; elles faisaient écho aussi à ce que
j’avais eu l’occasion de côtoyer au sein de la Direction de Planification Stratégique où
j’avais fait mes premières armes de salarié.

10
Toutefois, cette expérience en entreprise allait avoir des répercussions sur mes choix
théoriques futurs, en ce sens où je me suis rendu compte que l’espace de décision des
firmes est régi par trois éléments : l’incertitude, l’irréversibilité et la présence
d’asymétries. La reconnaissance d’aléas liés aux décisions économiques, auxquels sont
soumis les oligopoles, particulièrement vraie dans le cas d’économies sous-développées,
si je fais mienne l’acception selon laquelle le sous-développement se caractérise par
“ l’espace-temps extrêmement rapide d’apparition des phénomènes ” (Mathias, Salama,
1983) ; l’existence de dépenses irrécupérables (“ sunk costs ”) ou l’impossibilité de faire
marche arrière pour une entreprise (“ barrières à la sortie ”) et, enfin, la constatation
d’asymétries informationnelles sur le marché et d’accès différencié aux sources de
financement des entreprises, sont autant d’éléments qui ont concouru à ce que je
m’éloigne d’une problématique en termes d’équilibre du marché et de concurrence pure
et parfaite. De plus, le poids de l’Etat brésilien était tel dans la fixation des directives de
la politique industrielle ou dans le contrôle rigide des prix que je ne pouvais l’ignorer. La
différenciation entre les entreprises concurrentes ne se faisait pas uniquement sur les
prix, dont la formation n’obéissait pas aux règles du marché.

Une des raisons principales de ma prise de distance de l’optique des gestionnaires tenait
au fait qu’elle ne me permettait pas de capter de façon satisfaisante le rapport
capital/travail. Les outils qu’offre la gestion m’aidaient, certes, à comprendre le
positionnement stratégique d’une entreprise multinationale sur le marché, mais
difficilement le mouvement du capital au sein de la filière et les répercussions sur
l’emploi ; ils ne me donnaient pas non plus les moyens de lire les formes de mise au
travail ni de déboucher sur la compréhension de la dynamique institutionnelle. Je dois
avouer, toutefois, qu’entre temps, ma situation professionnelle avait changé et que
j’avais été conduit à ouvrir mon horizon de recherche. En effet, j’avais obtenu par
concours un poste de professeur de Science Politique à l’Université Fédérale de la
Paraíba, dans le Nordeste du Brésil, où j’allais rester douze ans. Je me retrouvais ainsi
dans une région située à plus de 2 000 km de São Paulo, ce qui ne me facilitait pas la
tâche pour faire une thèse en gestion sur la stratégie de la Rhodia, comme je m’étais
proposé initialement de le faire. De plus, me retrouvant face à des étudiants de divers
cursus3, j’étais amené à m’intéresser et comprendre la réalité socioéconomique de la
région où j’habitais. Dans cette région, j’allais rencontrer plusieurs petites villes

3 Le Département de Sciences Sociales dans lequel je travaillais était “ prestataire de services ”


auprès de tous les autres départements de l’Université. La sociologie et la science politique étant
des matières obligatoires pour tous les cursus, en tant qu’enseignants nous cotoyions tous les
publics d’étudiants -des étudiants d’histoire, de communication, de service social, d’économie, de
gestion, d’architecture, de bibliothéconomie, d’éducation physique tout comme des ingénieurs ou
des infirmiers. Le seul cours à part entière que possédait le Département de Sciences Sociales était
un Mestrado en Sciences Sociales (équivalent du III° Cycle).

11
spécialisées dans la production d’articles textiles, réputées pour leur dynamisme. J’étais
fermement décidé à les étudier. L’objet de ma thèse de doctorat venait de changer.

La thèse de Doctorat en économie (option sociologie du développement), réalisée, en


1984, sous la direction de Pierre Salama, intitulée “ L’industrie textile au Nord-Est
brésilien - une analyse à la lumière des théories sur le secteur informel ”, est structurée en
deux grandes parties. La première partie emprunte les catégories analytiques et les outils
méthodologiques à l’économie industrielle, la deuxième partie s’inscrit dans une
problématique de sociologie du développement et vise à dégager l’épaisseur socio-
économique des formes de mise au travail. C’est pour cette raison que je reprends les
discussions sur le secteur informel, qui m’amènent à tisser, même si elles sont partielles
et incomplètes, quelques considérations sur la nature du salariat dans les pays sous-
développés. Cette question ne constituait pas le cœur de mes préoccupations d’alors,
malgré mon intérêt affiché pour l’étude du rapport capital/travail.

Dans la première partie, je m’intéresse à la filière textile dans sa dimension mondiale et à


l’analyse les phénomènes d’intégration et de concentration des capitaux ainsi que la
configuration de l’emploi dans les principaux pays producteurs du Centre. Je fais
l’hypothèse, contrairement à l’idée la plus en vogue à l’époque, qu’il ne s’agit pas d’un
secteur industriel en “ déclin uniforme ”, mais qu’il existe des poches de développement
et d’innovation, manifeste dans l’adoption de plus en plus répandue de systèmes de
conception assistés par ordinateur (CAO, etc.) et qu’une différenciation au sein du
système productif est en cours. Celle-ci est visible dans le double mouvement observé :
de concentration de la production textile entre les mains de quelques oligopoles et d’une
prolifération de petites unités textiles, qui, dans le meilleur des cas, jouent le rôle
d’amortisseur ou qui “ essuient les plâtres ”. Ce mouvement s’accompagne d’une
diminution du poids des moyennes entreprises en termes de capital, d’emploi et de
pouvoir de marché. J’en prends pour exemple les changements dans la composition
organique du capital, défavorables au facteur travail, et aussi dans la stratégie des grands
groupes textiles du Centre, qui ont tendance à rapatrier dans leur pays d’origine
certaines productions –de bas de gamme en raison des progrès technologiques
(production de T-shirts)- qu’ils avaient auparavant délocalisées dans des pays de la
Périphérie ou à installer des antennes dans des régions géographiques proches des
marchés consommateurs (pourtour méditerranéen, Mexique, Caraïbes, par exemple), en
raison des délais d’acheminement. Ceci a pour effet immédiat de limiter l’avantage
relatif qu’ont les pays à très bas salaires ou ceux où les organisations syndicales sont peu
puissantes. Parallèlement, les groupes centrent leur production sur des produits à haute
valeur ajoutée, fruit des innovations technologiques mises en place (utilisation de
nouveaux matériaux, de nouveaux tissus, réduction de la quantité de matière première

12
utilisée dans la production). L’adoption de nouvelles technologies a eu pour effet
d’accroître sensiblement les gains de productivité. Ainsi, de sinistré, le textile-
habillement français devenait sur certains segments de production secteur de pointe
(Benzoni, 1983). Ceci m’amène à conclure que l’évolution du secteur est symptomatique
des phénomènes de restructuration industrielle dans les pays du Centre : mouvements
de concentration ou de fusion d’activités industrielles, le plus souvent sous l’égide de
l’Etat (cas de la France), réduction drastique des emplois, développement de nouvelles
technologies permettant un basculement complet et irréversible du rapport
capital/travail, contrôle de phases de la production et redimensionnement de la
structure industrielle, le tout s’inscrivant dans une recherche accrue de qualité et de
flexibilité, ce qui contribue à redéfinir le rôle dévolu aux P.M.E., vouées à occuper une
place de plus en plus importante dans le tissu industriel. Tel est le cadre dans lequel
évolue le secteur textile au début des années quatre-vingt.

Ces constatations repérées dans la plupart des pays du Centre me serviront de base pour
analyser le comportement du secteur textile brésilien dans la mesure où l’on assiste,
toutes proportions gardées, au même type de tendance.

Selon la nomenclature officielle brésilienne, le secteur textile se range parmi les


industries « traditionnelles ». Cette dénomination, abusive, tend à englober des réalités
différentes, ainsi que j’avais pu le constater de visu au travers d’enquêtes de terrain
réalisées à Recife4.

L’histoire longue du secteur textile brésilien, l’analyse de l’impact de la concentration du


capital sur l’emploi dans les trente dernières années constituent le socle à partir duquel il
me sera possible de comprendre la place qu’y occupent les petites et moyennes
entreprises (P.M.E.) et les microentreprises, en portant une attention plus particulière au
cadre nordestin. Les discussions sur le secteur informel et l’accès à une littérature toute
récente m’ont servi de porte d’entrée pour saisir les formes que prend un
développement fondé sur des activités industrielles dans une région périphérique d’un
pays semi-industrialisé ; les enquêtes de terrain m’aidant à peaufiner l’analyse de la
spécificité du sous-développement industriel et local brésilien, sous l’aspect plus
sociologique des formes de mise au travail et sous l’angle théorique de la configuration

4 Pendant trois années consécutives j’ai coordonné, dans les deux états du Pernambuco et de la
Paraíba, une recherche nationale du Ministère de l’Industrie et du Commerce “ Analyse des
secteurs industriels –structure, évolution, problèmes ”, ce qui allait me fournir un matériau
précieux d’évaluation d’entreprises de toutes tailles et plus particulièrement du secteur textile. Je
citerai pour exemple la présence dans la même enceinte industrielle de deux établissements, une
filature et un tissage, propriétés à l’origine du même groupe industriel. A l’époque des enquêtes,
la filature, aseptisée, moderne, n’employait que peu de personnel. Fruit d’une joint-venture entre
le groupe national et un groupe allemand, le tissage, intensif en main d’œuvre, toujours aux
mains de la famille brésilienne, ne possédait que des machines obsolètes et rappelait les
industries du début du siècle par le bruit, la poussière et le désordre, qui y régnaient. Ces deux
établissements appartiennent au même secteur industriel, le secteur textile.

13
particulière du salariat. Salarisation diffuse, “ salarisation restreinte ” (Mathias, 1987)
seront les expressions les plus en vogue à l’époque ; elles reflètent la lecture que font
sociologues et économistes des politiques d’ajustement structurel adoptées dans la
région au début des années 80. Elles constituent théoriquement les premières indications
d’une remise en cause de l’extension du rapport salarial fordiste à toute la population
des pays sous-développés et l’évidence que le mode d’industrialisation des pays
développés ne s’étendra pas au Sud ipsis litteris. L’on ne perçoit pas encore les
enseignements que ces situations dans les pays sous-développés pourraient représenter
pour les pays du Centre. La richesse de phénomènes repérables initialement comme des
anomalies du développement et puis comme des formes possibles d’un (mal)
développement ou d’un autre type de développement ne sera perceptible que bien plus
tard, lorsque le modèle canonique du rapport salarial sera remis en cause à son tour
dans les pays du Centre. A ce moment-là, il deviendra patent que le développement ne
peut se calquer sur des expériences antérieures ou prises dans d’autres contrées. D’un
point de vue méthodologique, il deviendra de plus en plus clair qu’il est impossible
d’“ importer ” des modèles et qu’une telle opération présente des limites heuristiques
évidentes. L’importance des déterminations locales, l’analyse de l’histoire des peuples
m’apparaîtra incontournable, lorsque je me pencherai sur la question de la dynamique
territoriale. A l’époque, je n’avais pas encore formulé en ces termes ce qui n’était
qu’intuition.

La thèse est émaillée de plusieurs hypothèses sur le secteur textile et sur les ensembles
constitués de P.M.E. textiles, “ informelles ”, leur informalité ne reposant en aucune
façon sur une absence de règles.

La première hypothèse porte sur le dynamisme du mouvement du capital au sein de la


filière textile, au niveau mondial, au début des années 80, qui proviendrait de
l’agencement entre des logiques de grandes industries et de P.M.E., voire de
microentreprises, ce phénomène n’étant pas pour autant récurrent, ainsi que
l’indiquaient les études de cas menées. Le propos est bâti sur la base d’enquêtes réalisées
dans deux petites villes du Nordeste brésilien, spécialisées dans la fabrication d’articles
textiles. J’insiste sur le rôle joué par le “ secteur informel” dans le développement
régional et sur les formes prises par la mise au travail et, dans une moindre proportion,
sur le salariat. Je mets en évidence le fait que, contrairement à ce qu’une certaine
littérature encline au misérabilisme laissait entendre à l’époque, il ne s’agissait pas
uniquement de “ stratégies de survie ”, mais que la logique qui sous-tendait ces formes
de développement possédait une richesse que nombre d’analyses des activités
informelles avaient négligée jusqu’alors. Pour comprendre cette logique, il s’avérait
nécessaire de considérer la dimension politique, la plupart du temps évincée. Toutefois,
ce travail ne sera effectué que quelques années plus tard, à l’occasion de la reprise

14
d’enquêtes de terrain dans ces deux villes. L’intention était double : saisir le lien entre
l’économique et le politique, entre travail et pouvoir, et cerner le sens du vocable
“ entreprise ” appliqué à une région sous-développée d’une économie semi-
industrialisée. Pour l’heure, une fois expliquées les raisons de l’abandon de l’approche
des gestionnaires et manifesté le besoin de se tourner vers l’économie industrielle, il me
faut expliciter le choix théorique opéré au sein de cette branche de l’économie. Ce choix
était censé m’aider à capter deux phénomènes : tout d’abord, la dynamique industrielle
mais aussi l’impact de cette dynamique sur les formes de mise au travail dans une
économie sous-développée connaissant de fortes disparités sociales. L’entreprise restait
dans les coulisses5.

5 En raison de la dimension de sociologie économique adoptée à l’époque, il est question


d’« entreprise » et non de firme.

15
I- Dynamique industrielle, sous-développement et formes de mise au travail

De longs débats ont ponctué l’analyse de la croissance du secteur industriel et de sa


répercussion sur l’emploi : le progrès technique et l’industrialisation étaient censés sortir
les pays sous-développés de leur état et leur faire connaître, au moins en partie, les
bienfaits du développement. La croissance industrielle allait forcément de pair avec le
développement de l’emploi et la conséquente résorption de la pauvreté. Ces thèses, en
vigueur dans les années 50, seront vite dépassées par la critique faite par les théoriciens
de la dépendance et la lecture qu’ils proposent du développement dans les années 70. Ils
porteront un regard nouveau sur le développement et sur le sous-développement
(Furtado, 1970 ; Amin, 1973). L’interprétation qui en découlera des formes de mise au
travail et de la configuration du rapport salarial se trouvera indirectement enrichie de
leurs apports.

1.1. L’APPROCHE DE L’ECONOMIE INDUSTRIELLE

1.1.1. Un choix méthodologique : l’analyse en termes de filière

Le concept de “ filière de production ” semblait traduire de la meilleure façon possible la


réalité industrielle textile, telle que je l’avais perçue lors de mon passage en entreprise. Il
est clair que si j’avais voulu simplement examiner dans une optique statique comment
une forme ou une structure de marché particulière détermine les prix et les
performances d’une économie, j’aurais très bien pu me contenter d’une analyse telle que
la présente l’école nord-américaine. En effet, lorsque Mason s’intéresse à la structure des
marchés, qu’il considère comme le principal objet de l’Industrial Organization, il cherche
tout d’abord à s’affranchir de la théorie microéconomique, du modèle de concurrence
pure et parfaite. Il annonce son objectif : comprendre le fonctionnement réel des marchés
grâce au recours à une démarche inductive et, sur le plan méthodologique, en opérant
un retour à l’esprit marshallien d’Industry and Trade ou d’Economics of Industry. La
recherche d’une compréhension des situations à partir de la réalité et non pas d’un
modèle pré-établi me séduisait méthodologiquement. Les performances d’un marché,
selon Mason et Clark, sont fonction de sa capacité à s’« autodynamiser » (le concept de
workable competition remplaçant celui de concurrence pure et parfaite) et seul compte
l’examen de la pratique effective de la concurrence (moves and responses).

Bain constate que la structure de marché est souvent plus concentrée que la structure
naturelle. L’écart suppose que les firmes développent des stratégies infléchissant les
structures naturelles des marchés, en altérant les conditions d’entrée sur ces derniers. La

16
différenciation des produits, l’existence de firmes multi-établissements, les pratiques de
prix-limite sont autant de facteurs élevant les barrières à l’entrée, lesquelles accroissent
artificiellement la concentration et permettent d’augmenter la profitabilité des secteurs,
c’est-à-dire les performances sur le marché.

Toutefois, même si Bain, à travers le triptyque « Structures-Comportements-


Performances », souligne le fait qu’il existe une relation indirecte entre performances et
structures des marchés, qui passe par le filtre des comportements des acteurs, la
conception du fonctionnement des marchés qui l’anime est relativement mécaniste et
déterministe, l’aspect autodynamisant du processus concurrentiel est absent, même s’il
reconnaît la possibilité de feed-back. L’introduction de concepts comme taille optimale
(Pigou) revitalise celui de firme représentative et débouche sur celui de structure naturelle
d’équilibre (Chevalier, 1976). D’un point de vue théorique, une telle approche à forte
connotation comportementaliste n’était pas satisfaisante ; elle ne me permettait pas –de
par l’optique fonctionnaliste qui la sous-tend- de capter la dynamique du capital, ni la
complexité du rapport salarial dans une formation sociale sous-développée, ni non plus
son impact sur les formes de mise au travail. Je me suis alors tourné vers le concept de
« filière », entrevoyant par là une sortie méthodologique acceptable : plus près de la
réalité et dynamique.

1.1.2. Filière, mouvement du capital et restructurations industrielles dans le


textile

Mon expérience professionnelle m’avait bien signalé que la notion de filière reposait non
seulement sur des expériences concrètes, mais qu’elle permettait d’approfondir la
compréhension de la stratégie des entreprises et des acteurs. Cette intuition, je l’avais
trouvée exposée par De Bandt dans son étude sur la filière-textile (De Bandt, 1978) et je
la retrouverai plus tard de manière plus explicite toujours chez ce même auteur, dans la
définition qu’il donne de la filière. La multitude de travaux publiés sur la filière (Gillard,
1975 ; De Bandt, 1991b : 889 et sq.) a le mérite de donner une consistance théorique à la
mésoéconomie.

Je ne peux, au vu de mon expérience professionnelle, que me rallier après coup à la


définition de la filière de production qu’il propose : « espace d’action stratégique, lui-
même variable, qui est caractérisé, à un moment donné, par une logique d’évolution
spécifique et au sein duquel les agents développent des actions et des relations de
conflit-concours » et à l’idée selon laquelle « la dynamique méso-économique, c’est-à-
dire des filières ou méso-systèmes, résulte des articulations et confrontations entre les
stratégies des agents » (De Bandt, 1991b : 889). Au titre des agents, il faut entendre aussi

17
bien les organisations que les institutions, ce qui plus tard trouvera un écho dans les
recherches sur les districts industriels.

En fait, cette acception me convenait davantage que celle que Morvan donnait de la
filière : « un outil de description technico-économique […], une modalité du système
productif […], un instrument de politique industrielle […], une méthode d’analyse de la
stratégie des firmes » (Morvan, 1985), puisque de ces quatre rôles mentionnés plus tard
par Morvan, j’ai privilégié à l’époque le dernier : “ méthode d’analyse de la stratégie des
firmes ”, (Azaïs, 1984 : 17). Le premier sens s’avérait insatisfaisant pour capter la
dynamique du capital et des entreprises ; je l’écartais. Considérer la filière comme
« instrument de politique industrielle » dépassait quelque peu mon objet de recherche,
même si dans la thèse je soulignais le rôle de l’Etat français dans la mise en place d’une
politique industrielle spécifique pour l’industrie textile (politique d’incitation aux
fusions particulièrement intense pendant le septennat du Président Giscard d’Estaing).
L’entendre comme « modalité de découpage du système productif », même si
implicitement je le faisais, en isolant le textile-habillement du reste de l’industrie, ne
constituait pas non plus l’essentiel de mes préoccupations, alors qu’aujourd’hui je serais
plus enclin à considérer la filière sous cette optique-là, mais actuellement elle ne
constitue plus pour moi un objet de recherche.

L’expérience professionnelle m’avait montré que l’entreprise se lance dans des actions
qui visent à modifier les rapports de force en sa faveur. Son impact sur les structures
industrielles et sur le système productif apparaît au grand jour, la dynamique est ainsi
mise en avant. « Ce qui est concerné par l’analyse [de la stratégie des entreprises], c’est
davantage l’importance du rôle et des effets des actions stratégiques, et des
confrontations entre stratégies concurrentes » (De Bandt, 1991 : 898).

L’analyse des stratégies des agents contribue à cerner la dynamique de systèmes. Lors
de la rédaction de la thèse, je traduisais cette dynamique des systèmes par l’expression
« mouvement du capital » ; c’était le moyen, pour moi, de capter le changement et de le
comprendre de l’intérieur. L’enjeu était de taille : comment saisir le mouvement dans
toute sa complexité alors que les phénomènes ont des temps d’apparition différents,
mais contribuent tous au changement ? Cette question de l’enchevêtrement de
temporalités diverses deviendra plus tard l’un des axes centraux de ma problématique
de recherche, lorsque je m’intéresserai au territoire et à la nécessité de considérer
l’émergence de temps sociaux différents pour comprendre la genèse et l’évolution de
systèmes productifs locaux (Azaïs ; Corsani, 1997), faisant du temps et du travail une clef
d’entrée pour saisir la dynamique territoriale (Azaïs, 1999c).

18
La seule sphère économique ou financière ne pouvait informer sur le changement ;
l’impact sur les formes et modalités d’insertion du travail et des travailleurs était tel que
j’émettais l’hypothèse que l’évolution des formes de mise au travail présageait une
modification du système productif dans laquelle les P.M.E. occuperaient un rôle à part
entière.

Deux voies se présentaient alors pour saisir la dynamique de ces modifications :

· une approche historique et


· une approche socioéconomique -la dimension politique n’apparaîtra que plus tard.

L’impact sur l’emploi et le travail dans le textile

L’idée soutenue dans la thèse, à propos de l’emploi dans la filière textile dans les pays
développés, est que l’on assiste, à la fin des années 70 et au début des années 80, à un
double mouvement : numériquement, à une réduction du nombre de salariés et,
qualitativement, à une mutation dans le travail et le type de travailleur requis.
L’automatisation du processus de production à tous les stades de la filière a permis
l’émergence de qualifications nouvelles, faisant appel à des activités à dominante
intellectuelle, mais qui ne sont par pour autant reconnues par les directions d’usine.
L’ouvrier doit pouvoir « communiquer » avec la machine et puisque son travail est
robotisé, on va exiger de lui une polyvalence, qui correspond à une qualification
nouvelle non reconnue, car « naturelle » et « ne demandant pas d’effort », c’est ce qui
explique en partie la tendance à la baisse du salaire moyen. L’individualisation des
tâches a pour origine un désir de démantèlement du collectif ouvrier qui est compensé,
au moins en apparence par un gain d’autonomie et de responsabilité du travailleur.
Cette tendance se confirmera ultérieurement et touchera tous les secteurs industriels,
ainsi que j’ai pu le constater au milieu des années quatre-vingt-dix dans l’industrie de
l’aluminium au Brésil (Azaïs, 1996, 1999c). L’intuition que j’avais eue s’est révélée exacte.
D’un point de vue théorique, cela revient à dire que la crise du fordisme qui atteint les
économies développées n’épargne pas les économies des pays sous-développés ; elle est
l’expression de mutations dont l’impact s’exprime en grande partie dans la sphère du
travail. L’intensité avec laquelle ces transformations prendront effet sera accrue sous
l’impact des mesures d’ajustement que connaîtront la plupart des pays sous-développés.
Je reprendrai la question des mutations du travail plus tard.

A l’époque, mon attention se portait sur l’étude de la spécificité du sous-développement


et je n’étais pas particulièrement convaincu par plusieurs des thèses qui circulaient alors.

19
L’approche choisie fait une part belle au travail, ce qui allait conduire vers d’autres
horizons théoriques que celui de l’économie industrielle.

Bien que n’étant encore qu’embryonnaire, je peux à l’heure actuelle détecter a posteriori
dans ce qui était le cœur de mes préoccupations du moment les éléments d’une
discussion méthodologique sur les dynamiques territoriales. En effet, pour procéder à
l’analyse du sous-développement, il convenait d’éviter le piège qui consistait à
rechercher toute explication dans une dimension où les raisons du développement
seraient de façon exclusive soit de nature endogène ou au contraire exogène. Sans nier le
poids des déterminations locales ni celui des déterminations globales (telles que la
monnaie, l’Etat, l’international, par exemple), je me rendais compte peu à peu de
l’incomplétude de l’une ou l’autre appréhension et tentais de proposer un chemin
différent, grâce à une analyse de type méso, que je ne nommais pas encore de la sorte. Le
canevas de mon champ de recherche pourrait plus tard s’élargir et déboucher sur une
question qui me tient à cœur actuellement, celle de l’articulation du travail et du
territoire. Mais revenons à la question qui m’absorbait alors : le lien existant entre sous-
développement et travail, que je traduisais par “ secteur informel ”.

1.2. DE L’IMPORTANCE DU TRAVAIL DANS LES ANALYSES DU SOUS-DEVELOPPEMENT

1.2.1. L’expression d’une normativité

La multiplicité des approches théoriques du développement et la diversité des


appréciations à son encontre sont manifestes dans la terminologie utilisée (en voie de
développement, mal développé, sous-développé). Toutefois, l’idée implicite d’un “ peut mieux
faire ” ou d’un chemin à parcourir pour arriver à ce que les pays centraux ont accompli
est présente. Une telle pluralité aura des conséquences sur les politiques publiques
adoptées par certains pays sous-développés, qui n’hésiteront pas à préconiser un
rattrapage coûte que coûte de l’expérience industrielle des pays du Nord –l’exemple
typique étant celui des “ 50 ans en 5 ” du Président brésilien Juscelino Kubitschek, dans
les années 1950. Brûler les étapes de la sorte, c’est faire fi de l’histoire des formations
sociales et de leur spécificité. Or, la prise en compte des réalités socio-historiques est
indispensable pour analyser les formes de mise au travail dans un pays sous-développé.

M’affranchissant des analyses qui considèrent le sous-développement comme


l’expression d’un retard dont souffriraient les économies et qui tendent à comparer les
sociétés européennes du XVIII° siècle aux sociétés périphériques du XX° siècle ou alors

20
des approches idéologiques6 des étapes à franchir de Rostow (1960), je l’étudiais dans sa
forme socioéconomique, m’inspirant fortement des études faites par Perroux (1991),
Hirschman (1964, 1984a), Salama (1975) et Mathias et Salama (1983). C’est à partir de
l’examen de formes particulières de mise au travail, regroupées sous l’expression
générique de “ secteur informel ”, dans une économie sous-développée comme la
brésilienne, que j’échafaudais des hypothèses sur la configuration du « marché du
travail ».

Comme l’exprime fort justement de Bernis, les analyses sur le sous-développement sont
restées longtemps le « domaine privilégié de la confusion de l’analyse et de la norme, du
« ce qui est » et du « ce qu’il faut faire » (De Bernis, 1974 : 103). Elles se regroupent en
deux grandes familles, selon que le sous-développement « fait partie d’un ordre a priori
se ramenant à un simple retard ou qu’il est le produit contradictoire du monde
développé, exerçant par rapport à lui des fonctions bien déterminées » (id. : 104).

Une tradition d’origine keynésienne a vu dans le sous-développement l’exemple de


l’« équilibre durable de sous-emploi », idée contre laquelle s’est insurgé Perroux, car les
spécificités des pays sous-développés ne sont pas celles de l’Angleterre de 1936. La
publication de l’article de Lewis (1954) marquera un tournant dans la représentation en
matière de travail ; une offre illimitée caractériserait les pays sous-développés (de Bernis,
1974).

S’inscrivant à contre-courant de l’analyse néoclassique du commerce international,


surgissent plusieurs interprétations du sous-développement, certaines empruntant au
marxisme leur base théorique. Il est tour à tour vu comme la conséquence de la
détérioration des termes de l’échange (Prebisch, 1950 ; Singer, 1950) ou du fait de
l’inscription des économies sous-développées dans l’« économie mondiale capitaliste »
(Palloix, 1971). Ainsi, cet auteur s’insurge contre la lecture que fait Harrod de la capacité
des pays sous-développés de se dégager « rapidement du poids de l’investissement
étranger » ou de la théorie « de la transmission de la croissance par les mouvements de
capitaux » (Palloix, 1969 : 152, 178). Dans un autre écrit, critique quant à la thèse
néoclassique du développement faisant état de la capacité de l’import-substitution de
remonter les filières de production à partir des biens de consommation, il souligne la
recherche de légitimité de la part de ceux qui, dans les années soixante, n’osent pas
encore défendre ouvertement la libéralisation du commerce mondial et qui s’en tiennent
à l’illusion de la reproduction du salariat dans les formations sociales sous-développées
à l’image de ce qui s’est passé dans les pays du Centre (Palloix, 1987 : 291). L’analyse
qu’il propose de l’expansion et de la différenciation du salariat dans le Tiers-Monde

6 Le sous-titre de l’ouvrage de Rostow parle de lui-même, “ un manifeste non communiste ”.

21
prend à partir de la fin des années soixante-dix et au début de la décennie quatre-vingt
une tournure nouvelle (Palloix, 1987).

Perroux, quant à lui, insiste sur le fait que le développement est le fruit d’une histoire et
non pas le signe d’un retard quelconque, qu’il est aussi le produit d’un blocage
structurel de la croissance et qu’il imprime au pays qui en est victime une série de
manifestations apparentes outre une « domination par les prix » (Perroux, 1991).

Selon l’auteur, les économies sous-développées possèdent trois caractéristiques :

• il s’agit d’économies inarticulées, en ce sens où l’espace qui les abrite est un espace
“ en zébrure ” (Omae, 1991) ; i.e. un espace non homogène qui ne permet pas la libre
circulation des prix, des flux (en monnaies ou en biens) et des informations. A cela
s’ajoute une composante socioculturelle, qui contribue à ce que le développement soit
générateur d’inégalités du fait de l’absence de facteur de propagation uniforme. Ceci
permet à Perroux de distinguer l’économie du développement de l’économie de la
croissance ;

• ce sont, en outre, des économies dominées (par d’autres économies, d’autres nations
ou firmes) et,

• finalement, on est en présence dans ce type d’économie d’« insuffisances de niveaux


de vie » (Perroux, 1991 : 191-193).

Domination des pays du Centre, pillage des économies périphériques, détérioration des
termes de l’échange et déstructuration des sociétés locales, telles sont les conditions
auxquelles sont soumis les pays sous-développés. La lecture qu’en font Mathias et
Salama en termes de violence élargit le débat (Mathias ; Salama, 1983). L’intérêt de leur
approche tient au fait qu’ils se penchent sur les formes de mise au travail, ce qui leur
permet de tisser des considérations sur la spécificité du capitalisme périphérique et
notamment en Amérique latine.

1.2.2. La lecture latino-américaine du sous-développement

Prétendre à une spécificité latino-américaine du sous-développement s’explique par le


fait que tout un courant de pensée issu du marxisme, nourri d’auteurs aussi variés que
Prebisch (1950), Cardoso et Faletto (1970), Wallenstein (1979) ou Mathias et Salama
(1983), s’est penché sur la question. Singer avait bien indiqué que ce sont les pays du
Centre qui bénéficient en dernière instance des investissements réalisés dans les pays
sous-développés, si ceux-ci respectent les règles de la division internationale du travail.

22
Pour Prebisch (1950), c’est la structure des pays sous-développés qui conduit à une
détérioration des termes de l’échange. Autrement dit, tous deux refusaient une lecture
du sous-développement en termes de retard. La théorie de la dépendance relaiera ces
approches et confèrera au sous-développement latino-américain sa spécificité.

Centre versus Périphérie : la théorie de la dépendance

La théorie de la dépendance a eu ses heures de gloire en Amérique latine à la fin des


années 60 et dans les années 70 (Cardoso, Faletto, 1970). Elle explique la genèse et la
reproduction du sous-développement malgré le développement du capitalisme à la
« périphérie » et trouve en la C.E.P.A.L. (Commission Economique pour l’Amérique
latine) une structure qui l’aidera à propager ses idées.

La CEPAL insiste, dès la fin des années 40, sur la nécessité d’une planification étatique
pour promouvoir la substitution des importations de biens manufacturés et en terminer
avec les méfaits d’une spécialisation internationale de la région dans l’exportation de
produits primaires. Pour assurer leur développement les pays sont menés à creuser leur
déficit externe en raison de l’importation de plus en plus onéreuse de biens de capital,
qu’ils doivent réaliser. En outre, ils leur faut promouvoir simultanément
l’industrialisation de « tous les étages de l’édifice » (Tavares, in Mathias ; Salama : 200,
note 5), faute de quoi il ne saurait tenir debout. Dans une telle perspective, l’intervention
de l’Etat est primordiale. Ces propositions s’inscrivent à contre-courant de la théorie du
laisser-faire ; elles prônent le développement intra-régional et l’érection de barrières
douanières vis-à-vis des pays du Centre, seul moyen d’aboutir à un développement
autonome des Etats de la région et à une redistribution équitable des revenus, seule
façon aussi de compenser les dégâts du « développement inégal ». Cette théorie a connu
son heure de gloire en Amérique latine en ce sens qu’elle avait remis en cause le postulat
d’universalité des théories de la croissance en Amérique latine (Marques-Pereira, 2000).

Toutefois, plusieurs critiques émergeront, portant sur le caractère quelque peu


déterministe, voire manichéen, de cette interprétation, qui tenait pour responsables du
sous-développement latino-américain les pays capitalistes développés. C’était faire fi de
l’histoire du sous-continent. L’« oubli » de la composition interne de classes de chaque
Etat, que va magistralement souligner Mathias, conduit à un amalgame théorique qui
tend à considérer les pays comme des « totalités homogènes », en omettant leur
composition de classe et leurs multiples divisions internes, régionales, tout d’abord,
puis d’origine des capitaux (Mathias ; Salama, 142). Cette confusion rappelle, toutes
proportions gardées, celle qui aura cours par la suite dans certaines interprétations de la
globalisation, principalement en ce qui concerne la sphère productive, qui tendent à

23
gommer les spécificités locales et à ne pas faire état de la différenciation, qui est le
terreau sur lequel se nourrit et se développe le capital.

La reconnaissance de l’importance de la structuration sociale des sociétés analysées pour


comprendre les formes et les mécanismes de la mise au travail d’individus ne
m’apparaîtra qu’après coup. En effet, c’est plus par intuition que par certitude que je me
penche alors sur l’examen de la composition de classe des différents protagonistes du
développement local dans les microsociétés étudiées. La nécessité d’une étude plus
approfondie surgira plus tard et sera le fait de ma participation à un groupe de
recherche interdisciplinaire sur les rapports de travail et les rapports de pouvoir.

Limites de la théorie de la dépendance

L’analyse en termes de classe sociale a connu dans les pays latino-américains un réel
engouement dans les années 70. Ce n’est que peu à peu que la vision d’un marxisme
structuraliste, ne laissant pas de place aux déterminations locales, a cédé du terrain à des
analyses plus soucieuses de capter la pluralité et de ne pas réduire la réalité à un simple
conflit entre classe possédante –réduite le plus souvent à une- et classe prolétaire.
Comme je le disais en plaisantant à mes étudiants de Graduação ou de Mestrado7, à João
Pessoa, Marx n’a jamais mis les pieds dans le Sertão8. Cette boutade visait à alerter les
étudiants du danger méthodologique d’application de modèles tout faits pour expliquer
des réalités diverses et, principalement, celles des pays développés et des pays sous-
développés. L’application mécanique de préceptes s’avérait, peut-être, commode, mais
rien ne pouvait remplacer l’étude in situ de phénomènes concrets, ce à quoi j’allais
m’atteler en me rendant précisément dans le sertão de la Paraíba et dans l’Agreste9 du
Pernambuco pour y analyser des “ réalités de travail informel ”. L’étude de l’informel,
commencée dans la thèse de doctorat, allait peu à peu constituer l’essentiel de mes
activités de recherche et évincer certaines des préoccupations théoriques qui avaient été
les miennes jusqu’alors, notamment en économie industrielle. Je n’y reviendrai que bien
plus tard, de retour en France. La réalité socioéconomique dans laquelle j’étais inséré se
prêtait peu, il est vrai, à un tel travail : professeur de Science Politique dans une région –
le Nordeste- où la part de l’industrie est loin d’être prépondérante et où les discussions
tournaient soit autour de l’émergence de mouvements sociaux urbains, soit de la
structuration de la production agricole, qualifiée de « petite production marchande »
(Hugon, 1980)10. Notre inquiétude –en tant que chercheurs- portait sur la capacité de

7 L’équivalent de la Licence et du D.E.A, respectivement.


8 La zone aride du Nordeste brésilien.
9 Zone située entre la côte et le sertão.
10 A ce titre je me rappelle avoir organisé avec une collègue sociologue une journée de réflexion
sur la petite production marchande rurale et urbaine (lire “ secteur informel ”). Notre idée était

24
survie de populations, tout comme de phénomènes économiques, dans un univers que
l’on disait condamné à subir la violence des « avancées du capitalisme », que ce soit à la
ville ou, phénomène plus récent, à la campagne. La question du travail et de la
reproduction de la force de travail était au centre de notre propos, même si –et c’est le
reproche que je peux faire actuellement- cela n’a pas débouché sur une analyse
rigoureuse du rapport salarial dans les pays sous-développés. Je me contentais à
l’époque d’analyser les formes de mise au travail sans me rendre compte de la différence
de teneur entre ce qui est du domaine de la science économique et de la sociologie. Par
exemple, alors que je m’intéressais au rapport capital/travail, je ne faisais référence que
marginalement à la question de la répartition. C’est maintenant que je perçois de
manière plus nette la brèche existant entre une approche de sociologie du travail ou
socio-économique et l’approche économique.

1.3. L’APPROCHE SOCIOECONOMIQUE DES FORMES DE MISE AU TRAVAIL

1.3.1. Le débat sur le “ Secteur informel ” urbain

Le clivage est très net dans les analyses de la petite production marchande entre les
sphères rurale et urbaine ; il sera question de « petite production marchande » (Hugon,
1980) dans le premier cas et de « secteur informel », dans le second.

Les études sur le secteur informel urbain se sont affinées depuis que la question eut été
posée pour la première fois à propos de l’Afrique (Hart, 1973). Vu tout d’abord en
négatif d’un secteur formel (analyses dualistes de Lewis ou trialistes), la multiplicité des
termes pour le définir (non structuré, non officiel, souterrain, parallèle, etc.) témoigne
d’un certain malaise pour cerner sa réalité profonde. Pris tour à tour comme signe d’un
mal développement, comme fonctionnel par rapport à un secteur capitaliste, puis
comme articulé à ce même secteur et par la même subissant aussi les mouvements de
conjoncture, les positions politiques à son égard ont changé et ont souvent épousé les
politiques d’ajustement structurel mises en place dans les pays sous-développés (PSD),
dans les années quatre-vingt. Ainsi est-on passé d’attitudes franchement hostiles à son
encontre à des attitudes où il apparaît aux yeux des décideurs politiques comme
incontournable –de par son importance numérique dans les villes du Tiers-monde- pour
régler une situation de l’emploi préoccupante. Décrié tout d’abord comme contournant
le droit et donc illégal –on n’hésitait pas à mettre sous la même étiquette « secteur
informel » des activités aussi hétéroclites que le commerce de rue, de drogue, le travail

d’articuler les deux problématiques. L’équipe avec laquelle je travaillais se souciait du


dépassement de la dichotomie rural-urbain, comme en témoigne le colloque “ Mouvements
sociaux : au-delà du clivage rural-urbain ”, organisé en 1985, à l’Université de João Pessoa.

25
au noir, la fraude fiscale ou la prostitution- les Etats latino-américains en sont venus à
prôner sa formalisation et y ont vu postérieurement une solution à la crise de l’emploi.

Les analyses sur le secteur informel ont été précédées en Amérique latine, dans les
années 1970, par celles sur la marginalité urbaine, version première de l’exclusion sociale
d’aujourd’hui. Ce thème d’étude est central en économie, en sociologie et en
anthropologie, dans les sociétés latino-américaines et principalement au Brésil
(Kowarick, 1977). Il correspond à la prise en compte de la pauvreté dans des sociétés, qui
en quelques années sont passées de sociétés rurales à urbaines, et des
dysfonctionnements qui en ont résulté. A l’époque, le débat sur la marginalité s’inscrit
dans une perspective marxiste et l’on s’interroge sur la réalité urbaine de franges
entières de la population exclues du “ miracle économique ”11. L’intérêt du discours
réside dans le fait qu’il se démarque d’une lecture structuraliste du développement pour
laquelle l’Etat serait le coupable de l’histoire tourmentée des sociétés latino-américaines.
L’auteur propose que l’on abandonne la séparation entre la sphère de production et la
sphère de reproduction de la force de travail, fréquente parmi les chercheurs de
l’époque. Ce thème de la marginalité urbaine, en raison de la prolifération de recherches
sur les mouvements sociaux au Brésil, occupe une place de choix dans les
préoccupations universitaires12. Parallèlement à ces discussions, Prandi (1978) focalise
son attention sur les travailleurs indépendants du monde urbain, et justifie ainsi l’objet
de recherche urbain en tant que tel, en se démarquant des analyses qui jusqu’alors
s’étaient intéressées de façon majoritaire au monde rural, à la petite production
marchande13.

Les organisations internationales, elles aussi, ont adopté des positions contrastées à
l’encontre du « secteur informel »14. Conçu au départ comme échappant à toute
contrainte étatique, le « secteur informel » est vu comme un obstacle au développement,
car il prive l’Etat d’une partie de recettes fiscales. Il convient donc de le formaliser, pour
faire rentrer dans le giron de l’économie officielle des activités auxquelles on reconnaît le
mérite, toutefois, de faire vivre une partie de la population. L’idée que
l’industrialisation, de par ses effets d’entraînement, résorbera ces poches de pauvreté et
provoquera une extension de la salarisation est encore fortement présente. Une telle
opinion s’estompera avec l’adoption de politiques d’ajustement structurel, au début des
années quatre-vingt. L’informel est alors perçu différemment. L’industrialisation n’est

11 Une boutade à l'époque consistait à affirmer que le “ miracle ” brésilien consistait à se


demander comment tant de personnes arrivaient à vivre avec si peu, en réponse aux affirmations
selon lesquelles il fallait que le gâteau croisse pour pouvoir le distribuer par la suite.
12 Dès le début des années 80, ce thème était officiellement traité dans deux ateliers de recherche
de l'Association Nationale de Pós-Graduação en Sciences Sociales (ANPOCS), qui réunit tous les
ans des spécialistes des sciences sociales.
13 Revue Tiers-Monde (1974).
14 Cf. Cornia et al. (1987).

26
plus l’objectif prioritaire, on admet alors l’idée d’une « salarisation restreinte » et
l’informel est vu comme une source de revenus et d’emplois devant la recrudescence de
la pauvreté provoquée par le retrait programmé de l’Etat. Il s’agit donc d’encourager le
secteur informel, source d’immenses potentialités pour des individus candidats à
l’entrepreneuriat ; on y voit alors un réservoir de créativité et d’innovations. Ainsi est-on
passé d’une optique misérabiliste à une vision optimiste pour laquelle le secteur
informel est la panacée au mal développement.

La position que j’ai adoptée dans la thèse est différente. En effet, je critique les positions
dualistes et trialistes, car, selon cette acception, le secteur informel apparaît comme un
boulet à la traîne de la modernité ; d’un point de vue méthodologique, la multiplicité des
critères nuit à l’appréciation des réalités observées. Je m’insurge aussi contre
l’inventivité soudainement chantée des petits entrepreneurs de l’informel, car il est alors
considéré sans doute hâtivement, comme le pot aux roses qui doit résoudre la pauvreté
urbaine et l’insatisfaction due à la pénurie des services de base. Grand responsable de la
reproduction de la force de travail, il doit suppléer les carences de l’Etat. Dans tous les
cas les thèses sur le secteur informel apparaissent comme la confirmation d’a priori
théoriques. L’exemple le plus flagrant reste sans nul doute l’ouvrage de de Soto (1987),
dont le mérite est d’intégrer à l’analyse les niveaux étatique et juridique, mais dont je ne
partage aucunement le point de vue. C’est en raison de l’existence d’un cadre juridique
contraignant et d’une incapacité de contrôle de l’Etat qu’apparaissent les situations
d’informalité, provoquée, il est vrai, par un exode rural important : tel est l’argumentaire
soutenu par de Soto. Justification à peine voilée de la nécessité du désengagement
étatique. Le livre a fait l’objet de copieux éloges et rares sont les critiques qui se sont
insurgées contre les a priori théoriques qui le sous-tendent. Je n’en soulignerai que deux :
« Sorte de fuite en avant idéologique » (de Miras ; Roggiero, 1990 : 116) ou cette autre
critique émise par Lautier, « l’argument central de H. de Soto est qu’une loi n’est ‘bonne’
que si elle améliore l’efficacité des entreprises » (Lautier, 1997). Un tel argument, comme
le souligne l’auteur, est pour le moins douteux.

Dans les formations sociales sous-développées se produit une combinaison de différents


modes de reproduction sociale. Celle-ci se fait non plus uniquement au sein de la famille
(rapports non salariaux), mais combine les deux formes : salariales et non salariales ou
travail dans le secteur formel et travail dans le secteur informel15. Il en résulte un
partage, au niveau de la cellule familiale, entre les revenus issus du secteur capitaliste et
ceux provenant des activités informelles (Morice, 1982, 1987). L’obligation de se
soumettre au salariat induit des modifications qualitatives sensibles dans le groupe
familial (Azaïs, 1984 : 207). Sphère domestique et sphère marchande, tout en se

15 Ce qui ne veut nullement dire qu’on ne trouve pas de salariat dans le secteur informel.

27
complétant, ne peuvent être abordées avec les mêmes outils d’analyse. Elles renvoient en
ce qui concerne la question du salariat et celle du marché à des questionnements de
nature socioéconomique qui en appellent à l’interdisciplinarité.

Toute une série de recherches a soutenu la thèse séduisante selon laquelle les activités
informelles jouent le rôle dévolu à l’Etat-providence des pays développés. Le secteur
informel « joue le rôle d’alibi en l’absence de politique de l’emploi structurée et
cohérente » (Lautier, 1987 : 349). En suppléant les déficiences des systèmes officiels dans
les pays sous-développés, les petites activités ont une fonction de régulation pour ce qui
est de la satisfaction des besoins fondamentaux et la reproduction de la force de travail.
La régulation se manifeste aussi dans le fait que « l’Etat est conscient que la maîtrise du
système de prix n’est pas indépendante d’une offre satisfaisante ou élastique de
marchandises » (Benissad, 1984 : 7), ce qui revient implicitement à reconnaître le rôle
politique des activités informelles, leur rôle de régulateur social et économique.

Ainsi, il devient patent que toute analyse sur le secteur informel ne peut se satisfaire
d’une approche purement économique -non pas uniquement car les statistiques en la
matière sont le plus souvent défaillantes ou partielles- mais plutôt parce que sa
dynamique provient de l’espace dans lequel il est inséré et qu’elle est le fruit de
l’imbrication de relations marchandes, familiales et sociétales (Lautier, 1997).

Les appréciations sur les activités informelles dans les PSD ont été multiples et le fait de
pratiquement tous les courants théoriques, même si les approches marxistes –exceptée
celle de de Soto- ont tendance à dominer.

L’apport des thèses colombiennes sur le « secteur informel », dont on doit la divulgation
en France à López Castaño et al. (1984), López Castaño (1987)16, a eu pour mérite de
dépasser une vision misérabiliste du « secteur informel ». Jusqu’alors il n’était perçu que
comme stratégie de survie pour des populations exclues du circuit économique et de ses
richesses ; cette interprétation fonctionnaliste interdisant toute appréciation fine du
phénomène ; elle assimile à tort le « secteur informel » à l’« armée industrielle de
réserve », alors que justement on en explique l’émergence par un manque
d’industrialisation ou par une industrialisation excluante (Azaïs, 1987).

D’un point de vue théorique, les analyses socioéconomiques et de sociologie du travail


sur le secteur informel -et en cela la contribution des colombiens a été décisive- ont
permis de saisir le processus de formation de l’offre de travail salarié, de prendre en
compte des facteurs tels que les trajectoires professionnelles, les aller-retour entre
activité et non activité et de raisonner en termes de cycles de vie, ce qui représente un

16 Leurs travaux avaient déjà été publiés en Colombie.

28
dépassement indéniable des théories économiques qui font du marché du travail un
marché concurrentiel.

Puis, la discussion, tout au moins en Amérique latine, portera sur l’articulation entre le
secteur formel et le secteur informel, assimilés à des marchés segmentés du travail. Une
impasse totale sera faite sur « l’historicité du rapport salarial et les fondements sociaux
de la valeur du travail » (Marques-Pereira, 1997b : 22), signe d’une insuffisance du
dispositif d’analyse incapable de se démarquer d’une interprétation sociologique en
termes de mise au travail ou de trajectoire professionnelle pour proposer une analyse
économique du salariat. Des trois éléments constitutifs du salariat, seule la sphère de la
reproduction semble contemplée par les études sur le secteur informel, les sphères du
capital et du procès de travail ne sont pas approfondies avec une rigueur convaincante.
Il en est ainsi peut-être tout simplement parce qu’on fait le présupposé que les barrières
à l’entrée sont nulles ou presque –ce qui est loin de correspondre à la réalité- ou, et là le
biais revient certainement à la sociologie du travail des années soixante-dix qui en a fait
son terrain de prédilection, que le procès de travail n’a de sens que dans les grandes
entreprises de type tayloriste ou fordiste. La nouveauté que je trouvais donc dans les
analyses du secteur informel, qui abordaient la multiplicité du rapport salarial (Mathias
et Salama, 1983 ; Lautier, 1987, López Castaño, 1987) en Amérique latine résidait dans le
fait qu’elles rompaient définitivement avec l’idée que la révolution industrielle avait
constitué une scission définitive d’avec le passé et que, comme le soutiennent à la fois
Braudel et l’école des Annales, l’émergence du salariat est le fruit d’une lente évolution
qui remonte au XVI° siècle (Mounier : 10). Le puzzle représenté par les terrains d’enquête
où j’avais travaillé était la preuve tangible de la complexité socio-économique, que ni
une analyse purement économique ni une analyse sociologique n’étaient capables de
traduire. Le détour par le droit opéré par certains chercheurs (Lautier et al., 1991 ;
Lautier, 1997), relayé par la promulgation d’une nouvelle Constitution au Brésil en 1988,
considérée comme chef d’œuvre d’articulation et d’officialisation des droits civiques et
politiques, donnera un nouvel élan à l’analyse et contribuera à peaufiner les
interrogations sur la citoyenneté. Le discours sur le « secteur informel » venait de
franchir officiellement la barrière de l’économie et trouvait dans les principes du droit
son argumentaire. C’est précisément là que résidera la richesse des discussions sur le
secteur informel et les enseignements pour les pays développés, confrontés à la crise de
l’emploi. Ceci ne m’apparaîtra que plus tard.

29
1.3.2. Les limites de la théorie économique

Rejet de la notion de « secteur » à propos de l’informel

La multiplicité des déterminations qui concourent à l’existence d’activités informelles


rend invalide la notion même de secteur. Cette notion, propre à l’économie
industrielle17, si l’on retient la définition qu’en donne Billaudot, de découpage
permettant de regrouper des « entreprises ayant une ou plusieurs caractéristiques
communes », répondant à des critères de différenciation tels que la taille, la forme
juridique ou les formes de production ou le mode de production (Billaudot, 1991 : 210),
est inadaptée pour décrire les réalités qu’elle est censée éclairer lorsqu’il s’agit d’activités
informelles.

Mais ce sont de longs débats menés par des socioéconomistes ou des anthropologues
plus que par des économistes proprement dit qui ont conclu que la division entre
secteurs –formel et informel- n’était pas pertinente (ORSTOM, 1991 ; Lautier, 1994, pour
n’en citer que quelques-uns)18. N’étant point en France à l’époque, je n’ai participé que
de façon marginale à ces discussions. D’un point de vue méthodologique,
l’hétérogénéité des activités informelles est incompatible avec l’utilisation du vocable
« secteur », qui supposerait au contraire une certaine correspondance entre les activités
et les actifs, régis par une logique économique propre. Au lieu de cela, c’est à un
amalgame d’activités que l’on a affaire, mais qui répondent à un ensemble de
codifications. Leur caractère désordonné, tout du moins en apparence, en fait la richesse.
Dans nombre de secteurs industriels -le textile, par exemple- des critères d’organisation,
de hiérarchisation et des normes révèlent leur imbrication dans le tissu social (sphères
domestique, marchande et publique). La multiplicité des occupations que ces activités
recouvrent empêche toutefois de les considérer comme un secteur. Le seul point de
ralliement entre elles, s’il en est un, est leur rapport au droit et non à l’économie stricto
sensu, comme le soulignent fort justement Lautier et al. (1990). C’est ce qui lui fera écrire
que l’informalité existe bel et bien mais que le secteur informel n’existe pas : telle une
girafe on le voit partout mais à l’instar de la licorne, il n’est qu’illusion d’optique
(Lautier, 1990). En fait, il n’existe que par l’extérieur –en l’occurrence, le droit- qui le fait
vivre.

17 Une longue tradition en économie industrielle a suscité foule de réflexions sur le concept de
secteur. Pour exemple je citerai la thèse de Gillard (1971). Le secteur comme concept théorique, thèse
d’Etat non publiée, Université de Paris I, Paris (citée par Gillard, 1975) ; ou les écrits de Palloix.
18 Lautier (1994). L’économie informelle dans le tiers monde, chap. 3

30
Conscient qu’une approche purement économique ne me mènerait à aucun résultat
probant, je me tournais vers la sociologie du travail et la sociologie politique pour
comprendre des formes de développement et de mise au travail spatialement localisées.

Le détour par la Sociologie du travail

En Amérique latine et principalement au Brésil la sociologie du travail a connu ses


lettres de noblesse dans les années 70. Elle est l’héritière pour bonne part de la sociologie
du travail française, qu’elle a grosso modo suivie dans ses thématiques successives. Son
corpus théorique s’est situé dès le début des années 80 dans le sillage de la sociologie des
organisations ; en témoigne l’évolution des thèmes traités au sein du groupe « Procès de
travail et Revendications sociales », de l’ANPOCS. Ceux-ci passent successivement
d’une problématique en termes de sociologie des techniques à l’étude des relations
hiérarchiques et de pouvoir : le tout s’apparentant à une sociologie de l’action largement
d’obédience marxiste. Plus récemment, les interrogations portent sur la transformation
de l’organisation de la production et du travail ou sur l’impact causé sur les modes de
gestion de la main-d’œuvre (Hirata, 1992). L’influence sur l’économie est tout aussi
forte ; j’en prendrai pour preuve les avancées qu’a connues la théorie de la firme (Coriat,
Weinstein, 1995), l’apport des approches néo-institutionnelles, qui à leur tour ont
contribué à renouveler la théorie du marché du travail et proposé un relâchement des
hypothèses de l’approche standard, sans arriver à s’en départir totalement. En effet, les
« conventions » établies volontairement par un individu (théories du salaire d’efficience,
de la recherche d’emploi, du capital humain) ne se résument pas à des comportements
individuels ; elles sont inscrites dans des relations sociales dont le passé est
suffisamment prégnant pour n’avoir aucune prise sur lui. Auparavant, les écrits de
Doeringer et Piore (1971) sur la segmentation du marché du travail, la différenciation
proposée entre un marché primaire et un marché secondaire, avaient permis
d’abandonner le postulat du prix unique sur un marché du travail de concurrence
parfaite ou imparfaite, et d’un point de vue de sciences sociales, avaient amplement
ouvert la voie à la prise en compte de logiques multiples, d’ordre identitaire, social,
religieux (Aubrée, 1990) et non seulement économiques. Il en ressortait que
l’interprétation du marché du travail, de par les réseaux d’accès à l’emploi, ne pouvait se
résumer à la seule sphère marchande. La coordination marchande des agents n’est pas
forcément institutionnalisée, d’où mon insistance sur le caractère pluriel du marché du
travail.

C’est dans cette perspective que je m’inscris dès mes premières recherches. L’analyse des
seuls déterminants économiques pour expliquer les facteurs de succès ou d’insuccès de
systèmes industriels géographiquement localisés –que je ne nommais pas encore ainsi-,

31
me semblait limitée. Je parlais encore d’activités informelles ou même de « secteur
informel ». Pour remédier à cette insuffisance, que je ressentais peut-être de manière
plus intuitive que scientifique, je me suis engagé dans un groupe de recherche19 qui se
proposait de discuter la question de l’articulation entre rapports de travail et rapports de
pouvoir. L’idée sous-jacente était de signifier que l’analyse des transformations
socioéconomiques de régions aussi différentes que le Nordeste et le Nord du Brésil
(partie orientale de l’Amazonie), ne pouvait être menée à bien que par une recherche
interdisciplinaire (Siqueira et al., 199720). Le groupe a sélectionné deux portes d’entrée :
l’une s’intéressant aux rapports de travail et, l’autre, aux rapports de pouvoir, tout en
privilégiant les connexions existant entre les deux axes. La première approche, de nature
socio-économique, a recours aux outils de la sociologie du travail, la deuxième approche
privilégie la sociologie politique. Il s’agissait, entre autres, de comprendre le processus
par lequel des rapports sociaux spécifiques se construisent et se reproduisent au cœur
des pratiques de travail. Ceci m’invitait à entendre la sphère économique comme
socialement construite et me poussait à retenir le “ marché du travail ” comme catégorie
d’analyse. Je dépassais alors la problématique qui avait été la mienne jusqu’alors du
« secteur informel ». Ne percevant pas encore la complexité du marché du travail et me
limitant à le considérer encore dans son acception première (primaire ?) de rencontre
d’une offre et d’une demande de travail sur un marché, la prise de connaissance de toute
une littérature de sociologie du travail italienne (Paci, 1975, 1982) ou française (Casassus,
1981) allait élargir ma perception. C’est de là que provient un changement de direction
dans ma problématique de recherche.

Parallèlement à ces préoccupations qui s’inscrivaient en sociologie du travail, une


mission réalisée à la Faculté d’Economie et de Gestion d’Amiens, effectuée en 1989 dans
le cadre d’un accord de coopération CAPES/COFECUB entre l’Université de la Paraíba
et l’Université de Picardie, allait me permettre d’approfondir l’étude théorique du
marché du travail d’un point de vue économique. Je trouvais que la publication du
numéro spécial de la Revue Economique L’Economie des conventions, en mars 1989, faisait
écho, de par la prise en compte des comportements individuels et collectifs (contrats,
ententes), à ce que je venais de connaître dans la littérature socio-économique italienne
sous les termes de « construction sociale du marché » (Bagnasco, 1988). Néanmoins, cela
a eu pour avantage de me sensibiliser à une approche économique que j’ignorais jusque
là, même si par la suite je me démarquais de ce type d’analyse en partie pour des raisons
évoquées précédemment. A l’heure qu’il est je dirai que le fait de considérer le marché
du travail uniquement comme un « construit » présente le risque de ne retenir pour son

19 Groupe de recherche interrégional (Nord, Nordeste de Brésil) et interdisciplinaire « Rapports


de travail - Rapports de pouvoir », 1986-1989.
20 Près d’une dizaine d’années se sont écoulées entre le début de la recherche et la publication de
l’ouvrage qui en a découlé. La rédaction des textes date du début des années quatre-vingt-dix.

32
analyse que les éléments qui y contribuent et d’évacuer les données qui contredisent une
telle assertion. Dans la dernière partie de cet exercice, je serai amené à reprendre cette
question, à propos de la « construction » de l’objet territoire, en soulignant les dangers
méthodologiques encourus.

33
II- Marché du travail, systèmes d’entreprises : implications méthodologiques

L’analyse des ensembles industriels composés dans leur majorité de petites entreprises,
le plus souvent familiales, suppose presque constamment un détour par le politique. En
rédigeant la thèse de doctorat, je me suis aperçu de cette nécessité, mais ne m’y suis
attardé. Je ne l’ai fait que lorsque je suis revenu sur le terrain, près de dix ans plus tard,
avec l’intention de comprendre le succès de ces ensembles industriels que d’aucuns
vouaient à une faillite prochaine… dix ans auparavant. Ce thème du politique poindra
de façon récurrente dans divers de mes écrits, que ce soit lorsque je traiterai plus
particulièrement des rapports de travail (Azaïs, 1993b, cf. encadré) ou de l’analyse de
l’entreprise en tant que lieu de recomposition des rapports sociaux (Azaïs, 1996).

2.1. DE L’IMPORTANCE DU POLITIQUE DANS L’APPREHENSION DES RAPPORTS DE


TRAVAIL

2.1.2. Politique et « marché » du travail

Le politique acquiert une position de choix dans l’explication du développement


d’ensembles industriels composés de petites et moyennes entreprises. Premièrement,
parce que l’on ne peut expliquer le succès ou l’échec de certaines régions si l’on fait
l’impasse sur la structuration des rapports sociaux. Or, ceux-ci passent le plus souvent
par des rapports de clientèle, d’allégeance, de soumission voire de domination (Morice,
1982, 1991) et par un respect du droit du travail des plus aléatoires. Les recherches que
j’ai menées dans l’intérieur des états du Pernambuco et de la Paraíba m’ont conforté
dans cette idée : je ne pouvais comprendre les mécanismes de fonctionnement des
économies et des sociétés locales en faisant abstraction des rapports de pouvoir
ambiants. Aussi, me suis-je penché, tout en prenant comme porte d’entrée le travail, sur
la configuration des rapports économiques en tentant d’élucider en quoi ils s’alimentent
à la sphère politique. Dit autrement, il s’agissait de savoir en quoi ces deux grilles de
lecture de la réalité sociale se complètent mutuellement et quelle lecture s’avérait dès
lors plausible du marché du travail. C’était aussi la problématique que s’était donnée le
groupe de recherche dans lequel je venais de m’engager.

Deux textes illustrent mon parcours : l’un porte sur les dimensions politique et
économique de la petite production marchande urbaine (Azaïs, 1993 a & b, cf. encadrés) ;
l’autre, se propose de rénover l’appréhension du marché du travail par l’étude des

34
formes multiples de mise au travail dans les sociétés sous-développées ou même
développées. J’utilise alors la catégorie “ marché du travail ” en tant que “ construction
sociale ” (Bagnasco, 1988), me démarquant de l’analyse que font les économistes néo-
classiques et l’enrichit par une analyse sociologique de la formation des classes sociales
(Azaïs, Cappellin, 1993c). Notre préoccupation théorique était de souligner la nécessité
de prendre en compte les multiples déterminations qui donnent au marché du travail
une acception partagée par les économistes et les sociologues. Pour ce faire, nous avons
considéré que la subjectivité des individus est à la base de la formation d’une identité de

« Cet article présente une discussion critique des catégories “ traditionnel ” et


“ moderne ”. L’idée-force est que le monde du travail n’est pas le lieu unique de
production de changements et que, pour rendre compte de la complexité et de
l’agencement des rapports sociaux, il est nécessaire d’examiner l’articulation
entre les rapports de travail et les rapports de pouvoir, sans pour autant faire
abstraction des dimensions culturelles et symboliques, en raison de
l’hétérogénéité des processus de socialisation. La réflexion repose sur un travail
de terrain et d’enquêtes auprès de petits producteurs industriels de hamacs et
de confections dans les deux villes du Nordeste brésilien, qui avaient servi de
support empirique pour la thèse de doctorat. Les angles d’approche sont
différents dans l’un et l’autre cas.
Ainsi, en ce qui concerne São Bento, ville productrice de hamacs, mon attention
s’est portée principalement sur les rapports entre le travail et le hors-travail.
L’article vise à repenser le développement dans des formations sociales sous-
développées à partir d’une discussion critique des catégories “ traditionnel ” et
“ moderne ”. L’argument central du texte consiste en la compréhension de la
dynamique sociétale et en la nécessaire prise en compte, pour ce faire, de la
complexité des rapports de travail, de hors-travail et de pouvoir.
D’un point de vue théorique, l’accent est mis sur la diversité des temporalités
entre les phénomènes économiques et les phénomènes culturels.
D’un point de vue méthodologique, je propose une typologie des rapports entre
les entreprises et leur environnement, pour faire prévaloir les rapports entre
production et reproduction et mettre en évidence les systèmes
d’industrialisation diffuse (Azaïs, 1993a).

35
« Le travail émerge comme catégorie centrale de l’analyse mais insuffisante
pour comprendre l’évolution des rapports sociaux locaux. Le politique, quant à
lui, illustre la diversité des processus de socialisation manifeste dans les
rapports de pouvoir ; il reflète l’unité du corps social, qui se construit sur ses
divisions » (Azaïs, 1993b).

classe, c’est-à-dire le lieu d’expression de la multiplicité des expériences contrastées que


fait l’homme (Thompson (1987). Cette discussion alimentera plus tard notre souci de
comprendre la dynamique d’un territoire, pour laquelle l’analyse des rapports entre
travail et hors-travail ainsi que l’articulation entre sphères de travail et sphères de la vie
sociale apparaissent comme centrales (Azaïs, Corsani, 1998a). Ces réflexions m’ont
amené à l’époque à m’intéresser à la lecture du développement régional proposée par
des économistes et sociologues italiens. Celle-ci s’avérait fort utile pour capter les enjeux
d’une nouvelle forme d’accumulation et d’organisation de la production. C’est dans ce
sens que j’orienterai mes recherches par la suite en m’intéressant à l’étude des districts
industriels de la « Troisième Italie ». Dès lors, la question du territoire se profilait comme
objet d’étude.

2.1.2. L’approche par la sociologie économique

Des sociologues comme Paci (1975, 1982), Calza Bini (1989), par exemple, avaient tenté
de faire le pont entre les catégories « classe sociale » et « marché du travail ». La lecture
de ces auteurs me permettra à la fois d’enrichir l’appréhension que donnent les
économistes des marchés du travail et de me conforter dans l’optique méthodologique
que j’avais choisie, mais en même temps je sentais un certain malaise, car si la sociologie
du travail répondait à certaines de mes inquiétudes quant à la complexité du (des)
marché(s) du travail, elle m’offrait un cadre théorique nettement moins développé et
séduisant que l’économie. Celle-ci, en effet, donne indéniablement l’interprétation la
plus rigoureuse du fonctionnement du marché du travail et, par la même, elle risque
plus d’être enfermée dans son corpus théorique que la sociologie du travail et d’être
moins réceptive aux déterminations extérieures (institutionnelles, sociales et culturelles,
principalement). Les discussions que nous avons eues au sein du groupe de recherche
« Relations de travail, Relations de pouvoir », au Brésil, en fournissaient les prémisses.
Pour cette raison, n’en étant encore qu’à mes premiers balbutiements, je sentais la
nécessité d’approfondir la question, ce que je ne ferai que plus tard en allant chercher

36
dans la théorie économique des réponses aux questions que je m’étais posées. Le texte
« Classes sociais e Mercado de Trabalho » (« Classes sociales et Marché du travail »),
écrit en collaboration avec Paola Cappellin Giuliani, et publié seulement en 1993 (Azaïs ;
Cappellin, 1993c), s’aventurait dans cette voie. Il se présente comme une tentative de
rencontre, entre la sociologie et l’économie sur la question du travail, en ce sens où l’on
pose, d’un côté, l’analyse de l’influence de facteurs non-marchands sur le marché du
travail et, d’un autre, celle des facteurs économiques sur la structuration sociale. Je
reprendrai plus tard, à l’issue d’un séjour en France, cette thématique-là, adaptée à un
autre objet d’étude, celui des systèmes productifs locaux.

Sensiblement à la même époque, Marsden consacrait son ouvrage « aux tentatives de


certains économistes d’analyser l’influence sur le marché du travail des forces
normatives et institutionnelles de façon à les intégrer dans le cadre conceptuel de la
théorie micro-économique » (Marsden, 1989 : 219). En faisant de la concurrence la norme
sur le long terme, ces économistes ne se départissent pas d’une analyse en termes de
comportement des acteurs et nient le caractère éminemment social et institutionnel de
certaines normes. Il leur est ainsi difficile de distinguer de façon convaincante le marché
du travail de celui des marchandises. Le choix d’une approche pluridisciplinaire
pouvait, au moins en partie, combler cette lacune.

Les marchés du travail sont le fruit de compromis institutionnels, ce que l’analyse


économique a totalement intégré (théories de la segmentation du marché du travail,
théorie de la régulation). En prenant comme porte d’entrée la notion de classe sociale, il
nous semblait pouvoir rompre avec l’unité du marché du travail, prônée par les
économistes néoclassiques et ne pas en rester non plus à une vision comportementaliste
des actions individuelles. De plus, en insistant sur la présence de barrières
institutionnelles et sociales, constitutives des « marchés du travail », on soulignait
l’importance de l’étude de la genèse des règles et des normes. Pour opérer ce
cheminement, je décidais de participer au groupe de recherche dirigé par Cabanes et
Lautier, qui considérait l’entreprise comme un lieu de recomposition sociale (Cabanes,
Lautier, 1996). L’idée de l’équipe était de rechercher dans les sociétés non salariales ou
« semi-salariales », de certains pays d’Afrique, des continents indien et latino-américain,
où les valeurs concernant le travail diffèrent, comment les rapports sociaux engendrent
diverses formes d’emploi et de gestion de la main-d’œuvre, produisant d’autres
modalités de contrats de travail que dans les pays développés.

L’importance théorique d’une telle démarche sera mise en évidence lors de la discussion
sur la centralité du travail, qui me conduira à faire l’hypothèse que la question n’est pas
tant celle de la fin du travail que celle de la transformation du rapport salarial et des
nouvelles modalités de mise au travail. La sociologie du travail, de par l’examen de la

37
mobilité des individus, de leur trajectoire professionnelle en dents de scie (semblable à
ce que les pays sous-développés connaissent depuis fort longtemps), contribue à enrichir
l’appréhension qui est celle de l’économie du travail. Cette discussion dépasse pour
l’instant le cadre de mes recherches tout comme celui de la seule science économique. En
effet, l’économie semble se détacher de la société salariale et produire de la flexibilité, de
la désintégration sociale, du chômage et de la précarité. La nature du contrat de travail, à
une époque où le travail salarié n’est plus la panacée, est questionnée et les
interrogations tournent autour de la question : travail versus activité, ce qui correspond à
une tentative de remise en cause de la nature juridique du contrat de travail (Gaudu,
1998 ; Gazier, 1999).

2.2. L’ENTREPRISE, AU CŒUR DU SYSTEME

Loin de voir l’entreprise comme une « boîte noire » à l’instar des économistes
néoclassiques, je la percevais comme une entité perméable qui participe de la complexité
des rapports sociaux. Dans ce cadre-là, l’entreprise est examinée davantage dans son
acception sociologique et politique qu’économique ; c’est-à-dire ce n’est pas uniquement
une unité qui associe des facteurs de production pour produire des biens ou services
destinés à être vendus sur un marché, mais plutôt comme le reflet d’une combinaison de
rapports sociaux qui procèdent de logiques multiples. Cette discussion repose sur un
univers de petites entreprises familiales, micro-entreprises pour la plupart, d’où sont
absentes les grandes entreprises et qui emploient de la main-d'œuvre à domicile, sous-
payée généralement, mais qui est perçu dans tout le Brésil comme un « modèle
d’inventivité, du génie d’individus, comme une pépinière d’entrepreneurs, de self made
men ou women » (Azaïs, 1996 : 235). Première constatation : une analyse en termes
d’économie industrielle ne pourrait recréer dans toute sa richesse la diversité des
situations observées. En effet, on n’a pas d’un côté, un secteur moderne qui produirait
pour un Brésil moderne et qui verserait des salaires décents à ses ouvriers, dignes de
ceux versés au Nord, et d’un autre côté, un Brésil « attardé » qui produirait pour les
pauvres et verserait des rémunérations dignes de celles des travailleurs du XIX° siècle.

38
2.2.1. L’entreprise, lieu de recomposition sociale

L’hypothèse avancée est que dans l’entreprise se produit un déplacement du politique


vers la politique, qui se traduit par une digestion des éléments perturbateurs sur le plan
des rapports de travail et par une exagération des rapports dans le champ du pouvoir
politique. A plusieurs reprises, j’ai pu constater -dans les enquêtes de terrain effectuées
mais aussi dans d’autres recherches- que le détour par le politique21 s’avérait
indispensable pour comprendre l’agencement des rapports de force, que ce soit dans le
domaine du travail comme évidemment dans celui des rapports de pouvoir. Le politique
joue en même temps le rôle de producteur de formes de coopération et de générateur de
différences. Sa double nature se remarque dans les rapports de travail « harmonieux »
qui existent dans les entreprises étudiées et dans les relations conflictuelles au niveau du
pouvoir politique local. Pour signifier le déplacement du conflit opéré, j’emprunte à
Schmitt les concepts d’ « ami » et d’« ennemi » (Schmitt, 1932). Par ces concepts l’auteur
illustre clairement le côté mouvant des relations sociales, qui ne sont aucunement figées :
ami aujourd’hui, ennemi demain et pouvant redevenir ami ensuite. Cela était aisément
vérifiable dans les entreprises étudiées : au sein de l’entreprise, les individus ont entre
eux –ou tout du moins en apparence- des rapports dépolitisés, i.e. ne reposant pas sur la
force, le pouvoir, la hiérarchie ; hors de l’entreprise, le combat que se livrent les
adversaires, lors des jouxtes électorales, est tel qu’il semblerait que la pérennité de la
communauté soit en danger. Or, il n’en est rien : le conflit ne peut s’exprimer dans le
travail, dans l’entreprise, il trouve son espace dans la sphère politique et semble
démesuré au vu des enjeux locaux, qui se résument à l’alternance de familles [politiques]
au pouvoir. L’entreprise apparaît au cœur même de la structuration sociale locale. D’un
point de vue méthodologique, je souligne l’impérieuse nécessité de rompre avec la
division travail/hors-travail, rejoignant en cela nombre d’écrits de sociologie du travail,
qui insistent sur le fait que pour comprendre ce qui se passe à l’intérieur de l’entreprise
un détour par son environnement est vivement conseillé, contrairement à ce qui était
l’usage dans les années 70 (Mounier, 1999 : 10-12 ; Erbès-Seguin, 1999). Telle est
l’interprétation que je donnais du phénomène. Aujourd’hui, je serais plus enclin à dire
que si la hiérarchie ne peut s’exprimer au sein de l’entreprise, c’est peut-être tout

21 Le politique est entendu comme « l’ensemble des régulations qui assurent l’unité et la
continuité d’un espace social hétérogène et conflictuel » (Baudouin, 1991: 3).

39
simplement parce qu’elle n’en a pas besoin, en raison du caractère clientélaire, voire
paternaliste, de la société, qui a produit historiquement un assujettissement patriarcal du
travail. L’existence de liens personnels hiérarchiques hors de l’entreprise peut conduire à
une soi-disant nouvelle configuration des rapports sociaux au sein de l’entreprise, sans
rien toucher à l’architecture des rapports dans la société. L’imbrication entre le travail et
le hors-travail n’en est que plus soulignée ; les rapports d’allégeance dominent la société
et l’alimentent.

Une fois de plus j’affirmais que le travail est créateur de lien social (Durkheim, 1893 ;
Boyer, 1995), une thèse que je soutiendrai tout au long de mon parcours de recherche. Le
travail joue un rôle central dans la détermination de l’identité sociale (Jacob, 1994, 1995)
ou du fondement même de l’esprit du capitalisme (Weber). Toutefois, il n’est pas le seul
et unique lieu de création de lien social urbi et orbi ; d’autres configurations bâties sur
d’autres formes peuvent exister : l’une d’elles est la citoyenneté, telles que l’on compris
certaines analyses sur l’Etat–providence et celles que l’on classe hâtivement sous la
bannière de « secteur informel », qui s’intéressent plus à la reproduction de la force de
travail qu’à la production.

2.2.2. Systèmes d’entreprises et formes de développement local : l’approche par les


districts industriels

Au début des années 90, alors en post-doctorat à la Faculté d’Economie et de Gestion


d’Amiens, la réalité microéconomique et microsociale nordestine a cédé le pas à l’étude
de phénomènes de développement endogène, vus à partir de l’entreprise. La
problématique des systèmes productifs, que je ne nommais pas encore de la sorte se
profilait. La raison première –qui est somme toute constante dans mon parcours de
chercheur- tenait au simple fait que je désirais comprendre le fonctionnement de
complexes industriels situés dans ma nouvelle région d’accueil. Pour ce motif je
soumettais à l’ERSI un projet de recherche portant sur la comparaison entre trois
ensembles industriels picards structurés par la présence d’une grande entreprise
industrielle de verre (Saint-Gobain, Vallée de la Bresle), d’une myriade de petits
établissements familiaux (Vimeu) ou d’une grande entreprise textile typique du
capitalisme social (complexe industriel de Flixecourt). De cette proposition je n’ai retenu
que l’étude du Vimeu que je décidais de comparer avec un district industriel lombard,
Lumezzane. Ce nouveau projet de recherche, dont la composante en économie
industrielle était importante, a été l’un des premiers du Pôle en Sciences Humaines et
Sociales I. L’entreprise, le travail et le développement régional devenaient des catégories
centrales pour l’analyse de cette réalité industrielle. Je ne parlais pas encore de territoire.

40
A posteriori, il m’est possible d’avancer que l’acception que je donnais de l’entreprise me
permettait de l’insérer dans une complexité productive et sociétale et qu’ainsi je me
rapprochais de l’interprétation selon laquelle une organisation est non seulement un
« objet collectif » mais un « acteur collectif », si tant est qu’il lui soit donné de résoudre
un problème collectif productif ou sociétal (Gilly, 1997 : 42).

Je choisis alors d’étudier le rapport entre l’entreprise et les formes de développement


local, symbolisées par les systèmes de petites et moyennes entreprises industrielles, à
partir de la thématique des districts industriels. Je fais dans un premier temps la
distinction, que je déclarais purement sémantique, entre les « districts industriels » et les
« systèmes productifs locaux » (Azaïs, 1992). Je stipule que les premiers se réfèrent au cas
italien, les seconds au cas français. J’affinerai par la suite cette appréciation.

L’approche des districts industriels

Il s’agit de « systèmes » et d’ensembles productifs, ce qui signifie que l’on ne peut se


situer uniquement dans une économie d’échange mais plutôt dans une économie de
production. Cette précision sera l’occasion de me démarquer des analyses présentées par
la plupart des districtologues italiens (Becattini, 1987, 1992 ; dei Ottati, 1994), qui insistent
sur le binôme « concurrence/coopération » propre à ces formes productives et qui
tendent, tout du moins à l’époque, à ignorer les rapports de pouvoir, les phénomènes de
différenciation et les conflits, à mon avis, incontournables pour saisir la constitution de
tels systèmes productifs. Une vision idyllique est donnée du phénomène, qui ne
correspond pas à la réalité : mise au travail de toute l’unité domestique (femmes,
enfants), extension de la journée et de la semaine de travail au-delà des normes légales,
imbrication entre sphère de vie et sphère de travail (l’usine et l’habitat coïncident),
autant de questions qui n’étaient pas sans me rappeler ce que j’avais connu dans les
petites unités de production informelles du Nordeste brésilien. La discussion que je
proposais poursuivait la recherche des déterminants économiques, sociaux et politiques
propres à l'émergence et à la consolidation sur un territoire donné d'un système de
production, généralement fondé sur de petites et moyennes entreprises. Le travail et
l’entreprise se trouvaient au cœur du débat.

Ces formes d'organisation productive sont vues comme des lieux où convergent
différents principes d'organisation sociale, internes et externes à l'entreprise. Le district
industriel est un endroit privilégié qui collecte et redistribue les échanges sociaux du
monde du travail et du hors-travail, de flux marchands et non-marchands, un lieu
privilégié du jeu des interrelations sociales qui, à son tour, produit une structuration
spécifique des rapports sociaux. La réussite économique de zones productives locales

41
repose sur l'existence d'une économie marchande pré-installée, consolidée et flexible.
L’exemple de Bologne allait être révélateur pour moi de toute une réalité dont seule une
approche historique pouvait rendre compte (Capecchi, 1992).

Les considérations à leur égard permettent de renouer avec certaines catégories


d'analyse telles que le « local », qui semblaient surannées, et fournissent des éléments
théoriques à la compréhension de phénomènes comme la flexibilité ; elles représentent,
en outre, une tentative de dépassement des modèles de lecture macro-économique pour
intégrer à l'analyse des déterminants d'ordre micro –économiques, sociaux ou
politiques- et qui peuvent éventuellement déboucher sur une dimension méso. En outre,
lorsqu’il s’agit de s’intéresser aux nouvelles modalités de développement au niveau local
la multiplicité des formes d’organisation des entreprises et d’organisation du travail est
mise en exergue. Dans la mesure où la dimension méso ne se limite pas à la seule prise
en compte des comportements individuels et où le marché est plus vu comme une
« construction sociale » que comme le lieu de rencontre entre une offre et une demande,
le débat n’est pas posé en termes d’allocation des ressources.

L’intérêt porté par les socio-économistes italiens, français ou anglo-saxons,


principalement, aux districts industriels a son origine dans la recherche d’un nouveau
paradigme pouvant expliquer le déclin du fordisme et de l’organisation du travail
produite par la grande entreprise. A partir du moment où il est devenu patent que la
production et la consommation de masse dans un système de gestion rigide des rapports
sociaux et de travail s’essoufflaient, que l’Etat-providence, qui en avait assuré l’essor par
une politique keynésienne de soutien de la demande, était bousculé par l’adoption de
politiques néo-libérales et que dès lors il ne pouvait plus garantir aux grandes
entreprises un rythme de croissance de la productivité du travail comparable à celui des
Trente Glorieuses, alors les regards se sont tournés vers l’« entreprise japonaise » (Coriat,
1991) et vers les ensembles productifs (districts industriels) composés de petites et
moyennes entreprises. La grande entreprise était intégrée verticalement et
horizontalement et surtout internationalisée et déterritorialisée. A la recherche d’une
localisation optimale, elle ne recherchait pas a priori un ancrage territorial dont elle
pourrait être bénéficiaire. Son inscription sur le territoire obéissait davantage à des
considérations d’ordre fiscal –donc, en rapport étroit avec l’Etat- qu’à des considérations
d’ordre sociétal –de nature plus locale, auxquelles le territoire pouvait pleinement
participer.

La crise de l’Etat-providence et de la redistribution, la crise du système productif et de la


grande entreprise intégrée verticalement permettront au local d’émerger aux yeux des

42
chercheurs comme moyen de trouver de nouveaux modes de régulation et pour les
entreprises de répondre à une demande locale de plus en plus diversifiée. Parallèlement
à l’impérieuse nécessité pour les entreprises de trouver des débouchés sur le marché
international, en raison de la contraction de la demande interne, l’attention des
chercheurs va se porter sur des espaces qui semblent préfigurer un nouveau mode de
développement plus localisé et territorialisé, susceptible de compenser les déboires
connus par la grande entreprise fordiste. Dans ces espaces le développement est vu
davantage comme étant le fruit des synergies du milieu que de l’action de l’Etat ou de
contraintes extérieures. On passe ainsi d’une hypothèse de développement exogène à
une hypothèse de développement endogène. L’approche localiste prend alors toute son
envergure et avec elle la reconnaissance du poids des acteurs locaux et des institutions
dans le développement industriel (Sociologie du travail, 1991). L’heure est à l’insistance
sur l’émergence d’un entrepreneuriat local capable d’accompagner les mutations du
système productif et d’insuffler au territoire une dynamique sui generis. D’un point de
vue idéologique, le moment correspond à l’adoption de politiques d’obédience néo-
libérale, d’un retrait programmé de l’Etat et de l’insistance sur les vertus de l’entreprise
et du self made man.

Reprenant les écrits de Marshall sur l’atmosphère industrielle (Marshall, 1890) et


l’émergence de localités dominées par un système de petites unités de production d’où
sont absentes les grandes entreprises, Beccatini (1987, 1992) proposera toute une série de
critères permettant de détecter la présence sur un espace économique d’un district
industriel ou d’une « aire-système »22 (Garofoli, 1989 : 78 ; 1992), que l’on peut résumer
par la liste suivante :

Ø un système local de PME et de TPE (très petites entreprises) spécialisées dans une
seule branche et secondées par des PME et TPE fournissant des services de soutien
aux entreprises de production.
Ø émergence dans des communautés à forte identité professionnelle. Cette émergence
est historiquement spontanée mais, dans certains cas récents, elle est planifiée ou
tout au moins encouragée par des administrations locales ;
Ø chacune des PME produit une composante du produit caractérisant la branche
(division technique du travail) ;
Ø le système est capable de répondre à une demande finale variable et différenciée
dans le temps et dans l’espace par opposition à une demande standardisée et
constante (spécialisation flexible) ;

22 Pour Garofoli, l’aire-système regroupe dans le cas d’un district de petite taille plusieurs
branches en interaction dans la même filière, ce qui lui confère une ampleur plus grande que celle
du district industriel.

43
Ø des relations marchandes (i.e. de la concurrence) et des relations non marchandes
(coopération et réciprocité) se nouent entre les entreprises du lieu ; d’où l’importance
de la proximité géographique.
 ces entreprises se caractérisent par l’innovation de sorte qu’elles sont concurrentielles
non seulement à l’échelle nationale mais aussi internationale ; cette innovation est en
partie le fruit de la présence d’un “ milieu ” favorable à l’éclosion d’innovations
techniques et à l’inscription des entreprises dans des réseaux socio-techniques
d’innovation (Lévesque et al., sd).

Cette problématique sera reprise par les tenants de l’approche en termes de « milieux
innovateurs » (Aydalot, 1986 ; Camagni, 1995 ; Maillat, 1995).

L’empreinte de Marshall est grande dans l’analyse d’un tel système, qui repose sur :

• des économies d’échelle externes à partir de modes de coordination horizontale.


• des relations de proximité géographique ;
• des institutions locales favorisant la concurrence et la coopération ;
• une main d’œuvre compétente et spécialisée dans une branche –c’est le « marché du
travail local » cher à Marshall ;
• une « atmosphère industrielle » –expression directement empruntée à Marshall ;
• la flexibilité et l’intégration des diverses entreprises.

La flexibilité, vue comme capacité d’adaptation aux évolutions brutales de la


conjoncture, est un atout de ces systèmes de production (Piore et Sabel, 1989). Ces
mêmes auteurs n’hésiteront pas à y voir l’émergence d’un nouveau paradigme
productif, qu’ils qualifieront de spécialisation flexible. Dans ce modèle les économies sont
obtenues grâce à des hausses de la productivité du capital fixe.

« Les principaux caractères économiques structurels des districts


industriels :
- une division du travail poussée entre les entreprises du district
industriel, qui renforce leur interdépendance inter et intra-sectorielle ;
- une spécialisation productive accrue au niveau de l’entreprise qui
stimule l’accumulation de savoir-faire et l’acquisition de nouvelles
technologies et finalement qui augmente l’autonomie des entreprises
et du sous-système local ;

44
- une capacité grande de résoudre les problèmes du district industriel
grâce à la présence d’une multitude d’acteurs économiques, moteurs
d’innovation ;
- une diffusion rapide des informations internes et externes au
système (marchés nouveaux de matières premières, de distribution,
financiers, etc.), favorisant l’apparition d’un patrimoine local
d’informations ;
- un savoir-faire (professionalità) des travailleurs diffus au sein du
district industriel, fruit d’un héritage historique ;
- une intégration entre fournisseurs et utilisateurs des produits
intermédiaires et des services aux entreprises » (Azaïs, 1992 : 9).

La différenciation des produits, fabriqués à petite échelle par des machines à multi-
fonctions, requérant des travailleurs semi ou peu qualifiés, capables de s’adapter
rapidement à une demande fluctuante et exigeante (recherche de qualité) est présentée
comme son principal atout. Beccatini (1992) reprend l’idée marshallienne d’atmosphère
industrielle pour expliquer l’émergence de ce type d’organisation productive dans lequel
la concurrence et la coopération sont élevées au rang de principe organisationnel entre
les entrepreneurs du district. Elles seront à l’origine d’un nouveau mode de régulation
entre les acteurs du district sous l’égide d’institutions locales, chargées soit d’encourager
la coopération, soit d’alimenter la concurrence, en tant que lieu d’émergence d’un
processus d’innovation, soit encore d’arbitrer des conflits. Les firmes sont concurrentes
et, néanmoins, coopèrent entre elles : l’intégration horizontale de la production est
fondée sur un épais réseau entre les firmes et les rapports de sous-traitance sont flous, en
ce sens où, n’ayant pas un pouvoir de marché démesuré, il n’est pas rare que l’entreprise
sous-traitante devienne donneuse d’ordre un temps et recouvre sa condition de sous-
traitance ultérieurement. Ceci n’est possible que parce que les grandes entreprises sont
exclues du modèle du district industriel. Les formes de régulation sociale sont
présentées comme étant établies localement et le rôle des institutions locales spécifiques
tout comme celui des forces sociales locales est mis en évidence. C’est donc bien à une
structuration horizontale des rapports sociaux que l’on a affaire (Azaïs, 1992, cf. encadré
ci-dessus).
Bref, l’on assiste à l’apparition d’un nouveau paradigme qui très vite va être érigé en
modèle (Azaïs, 1992, cf. encadré). J’insisterai sur la portée du modèle d’un point de vue

45
méthodologique et l’avancée qu’une telle démarche représente pour la construction
d’une théorie de la sociologie économique.

« La « Troisième Italie » a servi de modèle, modèle de développement


endogène, qui, en tant que tel, devait expliquer des situation que l’on
jugeait a priori semblables dans d’autres contrées. Mais le passage des
frontières ne s’est pas fait sans encombre. Si le modèle a eu le mérite
de mettre en évidence l’idée que les seuls déterminants
macroéconomiques étaient capables de rendre compte de la
complexité de situations forgées historiquement et de souligner
l’importance du « local » dans l’explication du développement
industriel, le seul fait d’en faire un modèle productif, généralisable
donc, lui enlevait toute portée heuristique. C’était, en effet, opérer
d’emblée une réduction. Si l’on retient de la thèse sur les districts
industriels que leur constitution ne s’est pas faite ex nihilo mais à
partir d’un substrat culturel, économique, social et politique propre,
trouver des ressemblances entre des ensembles aussi différents que le
sont certaines régions d’Italie, de France ou de tout autre pays du
Tiers-Monde relève d’une gageure. A vouloir à tout prix mettre en
évidence des similitudes, on ne peut fournir qu’une vision fausse de
la réalité » […] Faire du district industriel un modèle de production
revient à faire abstraction des conditions sociales, économiques et
politiques, qui ont permis son émergence et façonné une structuration
propre des rapports sociaux (Azaïs, 1992 : 13). Si le modèle
fonctionne, ce n’est pas en tant que modèle de production mais en
tant que modèle d’imbrication économique, sociale et politique et en
tant que possibilité de lecture, d’interprétation de réalités diverses
(Azaïs, 1992 : 17).

Comme tout modèle il est décollé de la réalité ; l’ennui, c’est qu’il prétendait la traduire
et, dans cette tentative, il échoue. Le foisonnement de critères sera à l’origine de
controverses de la part des chercheurs qui, voulant à tout prix trouver des districts
industriels sur le territoire, n’hésiteront pas à multiplier les critères. Les travaux sur les
districts industriels ont eu cependant le mérite de retracer l’apparition de processus
autonomes de développement aux niveaux local et régional. Or, une telle description

46
procède d’un temps révolu, comme l’exprime fort justement Fumagalli, pour qui « des
rapports hiérarchiques de dépendance s’instaurent au sein de ce qui était avant les
districts et dont les caractéristiques étaient la territorialité et l’égalité du pouvoir entre
les entreprises » (Fumagalli, 1998). Telle est la réalité des districts industriels qui
s’accompagne d’une inégalité croissante dans les statuts des travailleurs.

L’intérêt de l’approche proposée par les districtologues italiens, que par ailleurs j’ai
décriée à maintes reprises (Azaïs, 1992, cf. encadré ; 1997), réside principalement dans le
fait d’avoir signifié la présence sur l’espace géographique italien de formes de
développement local, qui dépasse une vision réductrice ou misérabiliste en vigueur
jusqu’alors, qui opposait à un Nord riche et industriel un Mezzogiorno pauvre et rural. Il
est aussi d’avoir souligné l’importance des réseaux dans la constitution d’une
dynamique territoriale, même si les travaux passent sous silence nombre de
déterminations –extérieures au système productif, principalement- qui concourent au
succès des districts et s’ils en ignorent superbement les échecs. En cela, ils s’inscrivent
dans la problématique des « régions qui gagnent ». Il convient de leur reconnaître,
toutefois, le fait d’avoir souligné que la compétitivité d’un système productif local, la
dynamique d’un territoire tiennent en grande partie à leur capacité de générer des
externalités positives et de les répartir entre les acteurs locaux –firmes, institutions,
entrepreneurs, travailleurs, principalement- de telle sorte que leurs interactions puissent
en générer de nouvelles. Dans ce contexte, le territoire, en tant que construction sociale
et produit des hommes et des institutions, gagne une nouvelle dimension que ne lui
avaient octroyée jusque là ni l’économie spatiale ni l’économie régionale.

Le reproche que je ferai, outre celui d’avoir ignorer le conflit et la différenciation, est de
réduire l’interprétation de la réalité socio-économique à un small is beautiful –i. e. à forte
composante idéologique (idéologie du self made man). A trop vouloir forcer le trait sur ce
qui est petit et par déduction sur ce qui est local, on en oublie le poids des
déterminations macro ou méso, que l’interprétation en termes de réseaux (Veltz, 1992 ;
Albertini ; Pilotti, 1996) ou de systèmes productifs locaux reformuleront dans des termes
plus riches et avec plus de succès. Le danger d’une analyse qui insiste sur le local, sur le
petit est d’aboutir à l’exacerbation d’une pseudo-dichotomie entre un local et un global,
comme si les deux éléments ne faisaient pas partie du même mouvement. J’avoue ne pas
avoir échappé totalement à ce travers alors que méthodologiquement je m’en défendais
(Azaïs, 1999 ; Azaïs, Corsani, 1997). La voie n’est pas facile d’accès et le parcours semé
d’embûches, comme on le verra dans la dernière partie.

Une dernière critique, que j’emprunte à Leborgne et Lipietz (1988), à Benko et al. (1996)
et à laquelle je souscris, tient au fait que les relations interentreprises obéissent àdes

47
configurations diverses et multiples et qu’à vouloir les circonscrire à la combinaison
entre des relations de réciprocité et des rapports marchands, on laisse de côté la diversité
des formes de rapport salarial et de « gouvernance »23. Par ce concept, Storper et
Harrison (1992) y voient une forme d’organisation interentreprises dépassant les
relations marchandes. Ils ouvrent la voie à une interprétation évolutionniste de
l’économie régionale, que Storper reprendra dans un écrit ultérieur (1996). Pour ma part,
c’est la division du travail, dans ses deux variantes, division technique du travail et
division sociale du travail, l’une concernant l’organisation sous commandement d’une
grande entreprise, l’autre la coordination par le marché et par le face à face d’une
myriade de petites entreprises, qui informe sur la possibilité de dépasser la dichotomie
local-global au même titre que l’analyse des rapports de pouvoir.

La gouvernance présente trois spécificités :

1. elle est endogénéisation de l’Etat, donc sa nature n’est pas purement


économique ;
2. elle met en scène le rapport local-global ;
3. elle met l’accent sur les dimensions organisationnelle et institutionnelle,
obéissant, toutefois, à un principe de hiérarchisation puisque la dimension
institutionnelle l’emporte sur la dimension organisationnelle.

2.3. IMPLICATIONS METHODOLOGIQUES

2.3.1. Les rapports de pouvoir

La prise en compte de l’histoire et du politique –via les institutions, piste ouverte en


partie par Ganne (1992) dans son étude du succès des districts industriels italiens après
la deuxième guerre mondiale et de leur disparition dans l’entre-deux guerres en France,
permet d’enrichir l’interprétation donnée de ces phénomènes productifs.

Dans leur recherche d’un « mode de production » alternatif au fordisme, Piore et Sabel
(1989) insistent sur la flexibilité productive. L’analyse des transformations du système
productif et notamment la constatation de la désintégration verticale des grandes
entreprises dans leur recherche d’économies externes conduit ces auteurs à rechercher

23 Définie par Benko comme étant le mode de régulation des rapports entre unités productives :
hiérarchie, sous-traitance, partenariat, atmosphère, agences publiques ou parapubliques (1998 :
101). Ou encore « régulation de relations de pouvoir et de coordination plutôt non marchandes »
(Benko ; Lipietz, 1992 : note 17, pp. 31-32).

48
de nouveaux modèles de développement régional. Ils en déduiront une hypothèse de
déconstruction des grandes entreprises en réseaux de petites firmes spécialisées
obéissant à des critères de proximité, hypothèse qui s’est révélée totalement fausse par la
suite.

Ils voient dans ce nouvel agencement des forces productives une solution au chômage, à
la crise de l’emploi, qui n’est pas sans rappeler l’évolution de la position des institutions
internationales envers les activités informelles. Une fois de plus l’entreprise se trouve au
cœur du système.

Toutefois, les conflits, la complexité des agencements sociaux, indispensables pour


comprendre l’architecture des interactions sociales et les diverses configurations que
revêt le travail, sont évincés. L’histoire italienne (Ginsborg, 1989), la lecture des formes
de développement local à partir des entreprises (Lazzarato et al., 1993) sont autant
d’ouvrages qui m’ont conforté dans la critique que j’ai faite des districts industriels et
dans la certitude que toute situation de travail donne lieu à des rapports conflictuels.

Ainsi, pour comprendre les facteurs du développement, non plus limité cette fois-ci aux
pays sous-développés, mais dans une optique de développement local et régional, je me
suis tourné vers l’économie industrielle et l’économie régionale, qui m’ont permis de
souligner la spécificité de systèmes productifs localisés, ce que la sociologie ou la science
politique ne m’autorisaient pas. Je réitérais à nouveau la nécessité de m’inscrire dans
une problématique en termes de production et non d’échange. Pour cette raison, j’ai
adopté une position critique envers les analyses qui, à propos des districts industriels,
mettent en exergue les concepts de coopération ou de confiance et ignorent ou évacuent
la conflictualité inhérente aux rapports entre individus, qui est constitutive de ces
systèmes productifs ou tout du moins participe amplement à leur élaboration. La
critique que je fais est à la fois d’ordre théorique et méthodologique ; elle s’exprime dans
l’interprétation de ces phénomènes de développement industriel local. A vouloir faire de
ces manifestations un modèle emblématique de développement local, certains
chercheurs vont les ériger en paradigme et présenter toute une batterie de critères
auxquels la réalité devrait nécessairement correspondre. Si elle n’y répond pas, ce n’est
pas le modèle qui est en cause mais bien la réalité qui doit être modifiée, ce qui n’est pas
sans poser de graves problèmes heuristiques (Azaïs, 1992). Toutefois, si j’ai rejeté à
l’époque la notion de modèle, d’un point de vue épistémologique, je dois reconnaître
aujourd’hui qu’elle présente l’intérêt de n’être pas seulement une représentation du
monde, c’est aussi un monde possible ouvert, c’est-à-dire qu’il trace des pistes qui seront
empruntées ou pas, mais qui ne constitueront pas moins des ouvertures dans lesquelles
les individus pourront s’engouffrer ou non. Cette conception se rapproche de ce que

49
Lacour appelle la « tectonique des territoires » (1993, 1996), qui a l’avantage de signifier
qu’un phénomène n’a pas forcément besoin d’émerger pour se constituer en tant que
force, sa présence même souterraine peut provoquer des mouvements, des
tremblements (pour continuer la métaphore avec les secousses telluriques) que les forces
dominantes ne peuvent ignorer.

Piore et Sabel (1989) soutiennent la thèse selon laquelle les succès des districts industriels
représentent une forme spatiale de déploiement du fordisme. La tripartition entre la
conception, la fabrication qualifiée et l’exécution, typique de l’organisation fordienne du
travail, considérée à tort comme la forme définitive d’organisation scientifique du
travail, trouvait son expression spatialement sous la forme du « circuit de branche »
(Benko, Lipietz, 1992 : 22-23). Benko considérera cette forme comme une « nouvelle
bifurcation industrielle » (Benko, 1998 : 97), faisant par ces termes référence à la
professionnalité de la main-d’œuvre, à une innovation décentralisée, à la coordination
par le marché et à la réciprocité entre les firmes, autant d’éléments qui ne sont pas sans
rappeler les caractéristiques propres à l’atmosphère industrielle.

L’analyse en termes de système productif, décliné aussi bien sous la forme de système
productif local ou de système productif d’innovation, insiste sur le rôle des PME tout en
se dégageant de l’approche du district industriel, dans la mesure où il est fait référence à
des entreprises qui n’appartiennent pas forcément à la même branche ni ne sont
spécialisées dans la fabrication de composants d’un unique produit. A son tour, la
notion de système renvoie aux interactions entre les divers acteurs locaux et ne limite
pas la lecture des relations à celles qui concernent plus spécifiquement la sous-traitance.
La référence au système productif n’exclut pas non plus la présence sur le territoire
d’une grande entreprise, à la différence des analyses en termes de district industriel.
Dans le cas du système productif local, la régulation relève aussi bien du marché que de
la coopération qu’entretiennent entre elles les entreprises à la recherche d’économies
d’échelle et d’économies externes. Comme dans le cas du district industriel, cette
coopération est basée sur des règles dont il convient de présenter la nature théorique.

Les systèmes productifs locaux (SPL) trouvent leur origine aussi bien dans des systèmes
de production artisanale anciens qui ont été ignorés par le fordisme, où la main d’œuvre
est fortement impliquée dans le travail que dans des espaces productifs nouveaux. Ils
s’inscrivent dans un « processus de décentralisation territoriale de la production »
(Garofoli, 1992 : 77). Ce mode de production peut apparaître aussi bien dans des zones
rurales que dans des zones urbaines (Courlet, Soulage, 1994 : 19). Il s’agit, toutefois, de
systèmes productifs encastrés dans la communauté ; c’est en ce sens que la réciprocité et
la coopération viennent compléter la régulation marchande. Pour ce faire, la présence
sur place d’institutions locales désireuses de promouvoir le développement local est

50
indispensable. Ce sont elles qui confèrent à ce type d’organisation de la production son
caractère systémique.

L’intégration des entreprises dans le système local de production peut être plus ou
moins serrée. À la limite du système local de production, on retrouverait la « quasi-
intégration verticale » dont les caractéristiques sont : « des relations stables entre
fournisseurs et clients ; une part importante du client dans le chiffre d’affaires du
fournisseur ; un champ de sous-traitance étendu de la conception à la
commercialisation ; des formes non-marchandes de relations interfirmes allant de la
subordination au partenariat » (Leborgne, Lipietz, 1988 : 100). Comme l’écrivent Billette,
Carrier et Saglio, « la quasi intégration verticale suppose aussi l’extension des relations
non-marchandes entre firmes : alliances stratégiques, transferts de technologies,
programmes de recherches communs, joint-ventures, etc. ». Ce faisant, poursuivent les
auteurs, « la firme principale obtient à la fois les avantages de l’intégration verticale
(faible coût de transactions, gestion à flux tendus, flexibilité de la politique globale) et
ceux de la désintégration verticale (possibilité d’innovation chez les sous-traitants,
imposition de normes sur la qualité, partage des risques en matière de recherche-
développement et d’immobilisations) » (Billette, Carrier, Saglio, 1991 : 25-26). Ainsi
entendu, le système local de production passe nécessairement par la présence d’une
firme principale, ce qui n’est pas le cas pour le district industriel.

Enfin, le SPL est parfois considéré comme un contexte qui facilite les innovations,
considérées comme étant habituellement en continuité avec l’expérience acquise par le
milieu (Courlet, Soulage, 1994 : 23), ou encore, dans le cas d’innovations radicales, relié à
des institutions tournées vers le milieu (par exemple, les centres universitaires de
recherche). D’où l’importance de la gouvernance pour traduire « toutes les formes de
régulation qui ne sont ni marchandes, ni étatiques ». En d’autres mots, « la gouvernance,
c’est la société civile moins le marché » auquel on ajoute « la société politique locale, les
notables, les municipalités » (Benko ; Lipietz, 1992 : 383), ce qui ressemble étroitement au
concept de société civile de Gramsci. De la « gouvernance », je préfère retenir l’acception
qu’en donnent Gilly et Pecqueur quand ils soulignent les compromis institutionnels qui
se tissent sur un territoire et qui mettent en relation les diverses composantes sociétales,
« la gouvernance d’un territoire caractérise à un moment donné une structure composée
par différents acteurs et institutions permettant d’apprécier les règles et routines qui
donnent sa spécificité à un lieu vis-à-vis d’autres lieux et vis-à-vis du système productif
national qui l’englobe » (Gilly ; Pecqueur, 1995 : 305).

La possibilité d’un compromis institutionnel entre organisations signifie à la fois


asymétrie d’information et donc pouvoir de marché si l’on se réfère à une firme, de

51
même qu’elle indique une dynamique de coordination (coopération/conflit) entre
organisations (Gilly, 1997 : 43), manifeste lorsqu’elles en viennent à abandonner la scène.

Fondements théoriques et méthodologiques

L’approche théorique qui sous-tend la plupart des discussions sur les districts
industriels s’inscrit dans une perspective d’économie d’échange et trouve sa filiation
dans l’économie des coûts de transaction de Williamson (Dei Ottati, 1994). A ce titre le
choix du concept de gouvernance n’est pas anodin, puisqu’il a été remis en scène par
Williamson. En mettant l’accent sur la firme, ce courant valorise des concepts tels que
celui de coopération, de coordination entre agents et privilégie une approche où la
question est de savoir laquelle des instances entre la firme et le marché est la plus
recevable.

Sans négliger totalement cette approche, mais en en soulignant les limites –option
déclarée précédemment pour une économie de la production plus que pour une
approche uniquement en terme d’économie d’échange- et en rejetant toute interprétation
de la réalité économique qui fasse de la firme le lieu privilégié de coordination et, d’un
point de vue méthodologique, le dispositif de compréhension des phénomènes
économiques à partir de l’examen des comportements des individus ou des firmes, la
démarche que j’adopte me permet d’intégrer le travail et le conflit pour comprendre ces
phénomènes productifs et de ne pas m’en tenir à une approche centrée uniquement sur
la coopération entre les individus ou les firmes. Ainsi, par le biais du travail, c’est la
question des formes que prend le rapport salarial qui est posée, rapport salarial qui peut,
selon Gilly et Pecqueur, dans sa dimension locale être « à la fois dépendant et autonome
vis-à-vis du système global » (Gilly ; Pecqueur, 1995 : 305). La dépendance se mesure par
rapport aux normes locales, aux conventions locales qui contribuent à la régulation
territoriale ; l’autonomie provient en grande partie du fait que les acteurs obéissent aussi
à des logiques de branche, indépendantes du niveau local. Ces deux caractéristiques ne
sont pour ces auteurs aucunement incompatibles et trouvent dans la dimension méso
leur expression. Toutefois, j’argumenterai que le passage de la dimension macro –à
laquelle appartient pleinement le rapport salarial- à la dimension micro ou locale n’est
pas sans poser de problème méthodologique. C’est ce que s’efforce de dépasser l’analyse
mésoéconomique en proposant de jeter un pont entre les deux dimensions macro et
micro et qu’exprime Gilly dans la formulation suivante : « c’est au niveau méso, en tant
qu’‘espace’ de coopérations durables entre des organisations, que la dialectique
micro/macro peut être rendue ‘lisible’ et compréhensible dans une perspective non
dichotomique » (Gilly : 1997 : 40). Néanmoins, je doute que l’usage du concept de

52
rapport salarial puisse rendre compte à la fois de la dimension macro et de la dimension
méso, du seul fait qu’il appartienne au champ des institutions et que dès lors il possède
une dynamique propre. Il a, toutefois, l’avantage de déplacer le débat d’une approche
qui repose sur la dichotomie local-global à une analyse en termes mésoéconomiques.

Local versus global : une fausse question

La discussion sur la validité de l’approche mésoéconomique s’inscrit dans la suite des


questionnements fort présents dans la littérature économique24 sur la dichotomie « local
versus global ». Cette question me semble être un faux problème. Tout d’abord, il s’agit
d’un problème d’échelle. En effet, le « local » d’une grande région peut avoir la
dimension d’un petit Etat. Au début des années 80, deux thèses s’affrontent : celles qui
privilégient la structuration du local et celles qui au contraire insistent sur les contraintes
du global. L’ouvrage de Benko et Lipietz (1992) synthétise les débats. L’un des reproches
possibles tient à l’adhésion quelque peu aveugle au « paradigme » de la spécialisation
flexible, vue comme alternative au fordisme alors que peuvent fort bien coexister au sein
de la même aire géographique des modèles d’organisation de la production différents.
Le local émerge comme condition de la compétitivité des territoires et comme lieu de la
régulation sociale. Ce dernier point n’est pas faux –comme j’ai pu le constater dans les
recherches que j’ai faites dans le Nordeste brésilien- mais il est insuffisant.
En fait, poser la question en termes dichotomiques fausse le débat. Tout au plus peut-on
insister davantage sur la dimension locale au détriment de la dimension globale ; dans
ce cas, le local servira de point de départ à la compréhension de phénomènes
socioéconomiques, mais de manière partielle. Si les économistes ou socioéconomistes qui
se penchent sur la question ont tant de mal à franchir ou à délimiter les frontières, c’est
parce qu’il s’agit d’un continuum. Le local, et en cela j’emboîterai volontiers le pas à De
Bandt, surgit comme cet espace où « les développements sont le fait de ressources
humaines et d’apprentissages, d’interrelations et de systèmes, de l’organisation et des
institutions » (De Bandt, 1995 : XII). Il tend, dès lors, à perdre son caractère « localiste ».
Une telle acception est plus près de la dimension méso que purement locale de par
l’insistance sur les interdépendances.
Pour leur part, les analyses en termes d’aménagement du territoire ont donné, selon les
époques, deux lectures du développement, prônant soit un « développement par en
haut » soit un « développement par en bas ». Dans un cas, le territoire est vu comme le
simple produit d’une mondialisation écrasante ou d’agences institutionnelles de

24 Sur le sujet on pourra consulter l’ouvrage de Demazière (éd.), 1996. D’autres sciences sociales
s’intéressent à la question : je me rappelle à ce propos avoir assisté à un colloque intitulé « Le
local dans les sciences sociales », organisé à l’IEP de Paris, les 30-31 mai 1991 ou, plus récemment,
avoir participé à la journée d’étude « Développement régional endogène : les chances de la
périphérie », organisée par l’EHESS, à Paris, le 28/5/1997.

53
promotion, dans l’autre, le local serait affublé de vertus particulières capables de
promouvoir le développement, ce qui pourrait facilement être assimilé au small is
beautiful. Désireux de me démarquer de cette lecture du développement régional, j’en
proposerai une autre version dans laquelle je mets en évidence le lien existant entre le
territoire et le travail avec comme toile de fond une analyse de la division du travail.
Ceci constituera la dernière partie de cet exercice d’Habilitation.
La théorie du développement par en haut a subi de graves critiques, tout d’abord au regard
de la réalité, puisque là où il y a eu développement par le haut il n’y a pas eu d’effet de
rattrapage (à la Rostow) et les disparités ont continué à s’accroître entre les régions tout
comme au sein des régions entre les bénéficiaires du développement et les laissés pour
compte. L’exemple brésilien a servi de laboratoire concluant, si l’on regarde les
différences de développement entre le Sud développé et le Nordeste, à la traîne (Araújo,
1979 ; Guimarães, 1989 ; Marques-Pereira, 1997b). Cette approche réduit le
développement à une simple « affaire de capital humain et de montants
d’investissement » (Demazière, 1996 : 23), sans se préoccuper de la structuration sociale
de l’espace considéré ou, tout simplement, de savoir si l’espace est prêt à subir les
transformations provoquées par cet afflux financier, notamment les exclusions qui en
découlent.
La thèse du développement par en bas s’inscrit dans une perspective dynamique de
dépassement des contradictions générées par les formes de développement par en haut.
L’objectif est de créer ou de faire émerger une dynamique de développement endogène.
Il s’agit en fait de promouvoir un type de développement maîtrisé, qui ne soit pas
producteur de disparités plus grandes encore et qui s’inscrive dans l’histoire sociétale.
Avec ce type d’approche un glissement sémantique s’opère entre ce qui n’était qu’espace
et qui prend le statut désormais de territoire. Toutefois, ni d’un point de vue théorique
ni d’un point de vue pragmatique cette forme de développement local n’est la panacée,
car il est très difficile de faire la part de ce qui relève de l’initiative et de la dynamique
locale et de ce qui, au contraire, relève de la dimension macroéconomique, de l’Etat ou
des institutions nationales voire internationales (comme l’octroi de fonds européens aux
régions, par exemple).
Les déterminations qui structurent les territoires proviennent à la fois du local et du
global. Le développement n’est ni exclusivement exogène ni exclusivement endogène.
En effet, l’envisager dans sa dimension endogène reviendrait à évincer les
déterminations d’ordre macroéconomique ou macrosocial ; n’en saisir que la dimension
exogène, à son tour, équivaudrait à nier l’importance de la structuration
socioéconomique et historique, produit des institutions et des hommes qui « font » le
territoire et y travaillent. Une telle démarche conduirait à passer à la trappe la dimension
mésoéconomique ou mésosociale, l’appréhension du territoire s’en trouverait tronquée.

54
Comme l’exprime à juste titre Rallet, « l’économie territorialisée est un moment de
l’économie globale » (Rallet, 1993 : 369), ce qui revient à dire qu’elle s’inscrit directement
dans le mouvement général et que la question n’est pas de partir du local pour arriver
au global, celui-ci étant constitutif du local. En fait, il s’agit de prendre en compte
les « interrelations entre les dynamiques mondiales ou globales et d’autres plus locales,
plutôt territoriales » (Lacour, 1995 : VI). Plutôt que de parler de rapport local-global, cet
auteur préfère appréhender les réalités en termes de « macro-territoires et de micro-
territoires » (id. : VII), mais cela ne me semble pas suffisant pour élucider la question de
la dichotomie. Par contre, lorsqu’il fait référence à la « tectonique des territoires »
(Lacour, 1993, 1996), il permet de ne pas réduire la question du développement local à
une alternative entre un développement par en haut ou un développement par en bas.

La discussion sur le développement par en haut, qui a occupé l’espace académique jusqu’au
début des années 70, s’est étiolée depuis lors. Ceci a correspondu théoriquement à un
moindre intérêt de la science économique pour la notion d’espace et à l’émergence de
celle de territoire. Celui-ci a peu à peu acquis une dimension économique. Il n’est plus
uniquement cet espace d’échange neutre, mais il est inséré dans un système
socioéconomique et politique et il participe non seulement de la dynamique industrielle
mais aussi de la constitution des mécanismes économiques et de coordination entre
acteurs. Son inclusion dans un système requiert un détour par la méso-analyse.

2.3.2. La méso-analyse : entre les dimensions macro et micro

La tentative de mettre sur pied un programme de recherche qui se situe entre la


microéconomie industrielle et la macroéconomie industrielle a trouvé un écho au sein de
l’équipe amiénoise, l’ERSI (aujourd'hui CRIISEA). La réalisation d’un colloque sur ce
thème, en mai 1996, à Amiens l’atteste25. La raison d’un tel intérêt réside dans une
certaine insatisfaction quant aux modèles pré-établis ou aux démarches
méthodologiques dichotomiques : holisme versus individualisme méthodologique. La
question est plus complexe ; cette dichotomie ne traduit pas la complexité du réel. La
question essentielle n’est pas tant celle de la préséance méthodologique du niveau
macroéconomique sur le niveau microéconomique, qui en fait est une fausse question,
comme l’avait affirmé la majeure partie des contributions de l’ouvrage collectif Firmes et
Economie Industrielle (Palloix, Rizopoulos, 1997), fruit du colloque mentionné ci-dessus.

25 Colloque « Entre Méso et Micro, une nouvelle économie industrielle ? Ruptures industrielles et
emploi », Amiens, 3-4/5/1996.

55
Les premiers écrits tentant de poser les jalons d’une analyse mésoéconomique remontent
à Gillard, qui, selon lui, ne permet pas « tant d’analyser des phénomènes nouveaux que
d’envisager les phénomènes traditionnels sous une autre optique » (Gillard, 1975 : 478).
Cette optique dynamique vise à proposer une lecture du découpage du système
industriel différente de celle qui construit l’analyse à partir d’une structure donnée de ce
même système industriel et qui ne prend pas en compte « tous les types de
transformations imaginables que peut subir une entreprise dans son processus
d’accumulation du capital » (Gillard, 1975 : 515). Cet auteur est fort explicite lorsqu’il
traite du passage du micro au macro. Pour lui, le statut théorique de la « méso-analyse »
s’établit en raison du fait que ce « ne sont pas deux méthodes alternatives
d’appréhension de la réalité que l’économiste pourrait choisir librement en fonction de
ses goûts personnels », mais au contraire « deux moments d’une même réalité qu’il s’agit
d’appréhender simultanément » (Gillard, 1975 : 514). Une telle prise de position est tout
à fait intéressante et novatrice pour l’heure où elle a été écrite, elle est un moyen de
rendre compte du changement. Je ne la connaissais pas au moment où j’ai écrit la thèse.

Un basculement de paradigme s’est opéré au début des années 80 faisant que l’on est
passé d’un paradigme où les structures dominent à un paradigme où le thème de
l’historicité s’impose comme référence (Lévesque et al., sd). La prise en compte des
agents s’avère incontournable ; ce sont eux qui font l’histoire et leur histoire. Nier leur
liberté est dangereux et idéologiquement fallacieux. Ne comprendre leur histoire qu’à
partir de leurs comportements est encore moins satisfaisant, car c’est négliger les
structures socio-institutionnelles auxquelles ils appartiennent et qui dans une certaine
mesure les façonnent. La difficulté réside dans le fait de trouver un « juste milieu » qui
n’ignore ni les structures ni l’individu, ni le niveau global ni le niveau local ; la
dimension méso apparaissait être une piste séduisante. Le débat sur la pertinence d’une
approche en termes méso a fait des adeptes. Outre De Bandt, à la fin des années 80 et au
début des années 90 (Arena et al., 1991), la discussion en termes de méso-analyse
trouvera des adeptes dans le champ de la théorie économique. Ainsi, se grefferont à cette
problématique nombre de ceux que les approches se réclamant de l’individualisme
méthodologique ne satisfont pas et qui préfèrent raisonner en termes de territoire plutôt
que d’espace, de par la complexification croissante des phénomènes économiques.

Plus récemment, Gilly présentera le méso-système économique comme un « complexe


organisé, historiquement constitué, de relations durables entre organisations
productives et institutions, doté d’une capacité productive d’ensemble » (Gilly, 1997 :
43), et comme le « résultat de la conjonction d’une organisation (d’organisations) et d’un
dispositif régulatoire, […] ouvert sur son environnement macro par le biais
d’articulations techniques, productives et institutionnelles » (Gilly, 1997 : 46). L’une de
ses principales caractéristiques est d’être capable de générer des externalités positives et

56
de présenter une « efficacité productive collective supérieure à celle qui résulterait de la
simple agrégation des capacités individuelles des organisations (constituant le méso-
système productif) » (Gilly, 1997 : 44). L’approche mésoéconomique en économie
industrielle pénètre le champ de l’économie tout en s’écartant de l’“ économie pure ”,
pour reprendre l’expression de Max Weber. L’avantage d’une telle interprétation réside
dans la prise en compte des externalités, moyen d’exprimer la dynamique intrinsèque
aux structures économiques (Moulier-Boutang, 1997 ; Berquez, 1998).

Toutefois, d’autres approches, telles que celle par les conventions, ont tenté de franchir
la distance entre les dimensions macro et micro. Si l’on suit Gilly, par exemple, lorsqu’il
relate les perspectives ouvertes par l’Economie des Conventions, « c’est au niveau méso,
en tant qu’‘espace’ de coopérations durables entre des organisations, écrit-il, que la
dialectique micro/macro peut être rendue ‘lisible’ et compréhensible dans une
perspective non dichotomique » (Gilly, 1997 : 40). En effet, dans ses actes fondateurs,
l’approche conventionnaliste prétend offrir un dépassement de la dichotomie holisme
versus individualisme méthodologique et dès lors s’avère séduisante. Tout d’abord, elle
autorise « la reconnaissance par la théorie néo-classique de l’importance économique des
phénomènes organisationnels et institutionnels ; et la reconnaissance par les
‘conventionnalistes’ de l’importance de la méthodologie individualiste » (Orléan,
1994 :15). Cependant, sa filiation à l’individualisme méthodologique est patente lorsque
les auteurs déclarent s’accorder sur le fait que « la place admise à une convention
commune ne doit pas conduire à renoncer aux préceptes de l’individualisme
méthodologique : les seuls acteurs, continuent-ils, sont des personnes, qu’on les saisisse
ou non comme membres d’un collectif ou d’une institution, ou dans l’exercice d’une
fonction de représentation d’un groupe » (Revue Economique, 1989 : 143). Considérer que
« la convention doit être appréhendée à la fois comme le résultat d’actions individuelles
et comme un cadre contraignant les sujets » (id. ; ibid.), présente l’avantage de se
démarquer des hypothèses contraignantes de l’approche néo-classique de rationalité des
individus et de maximisation de leur utilité et permet d’inscrire l’échange dans une
dimension temporelle, donc dynamique, en ce sens que « la présence d’une référence
‘collectivement reconnue’ [efficace] arrête, temporairement, la logique spéculaire de
mise à l’épreuve des intentions des autres » (Orléan, 1994 : 26). L’échange marchand est
censé contenir les racines du collectif. Or, aussi bien Durkheim que Weber ont fort
justement insisté sur le fait que pour qu’il y ait échange il est nécessaire de s’inscrire
dans une perspective temporelle, que la confiance ne peut s’obtenir que s’il y a espoir de
renouer la transaction ultérieurement, fût-elle marchande ou non, sinon la portée
socialisatrice de cet acte est nulle. A ce stade-là, l’échange est empreint de coopération,
de solidarité et ne peut exister que si de tels ingrédients sont présents. Cependant, la
théorie conventionnaliste ignore les conflits qui, peut-être plus encore que la

57
coopération, contribuent à construire le sentiment d’appartenance à un groupe, une
société, un territoire. La société n’est, pour eux, rien d’autre qu’une somme d’« acteurs »
ou d’« agents ». « Acteur collectif » ou « agent organisé » ? Rien n’explique la genèse des
conventions ; le détour par l’histoire est indispensable, celui par les conflits s’impose.
Lorsque Favereau met en relief les particularités de la théorie des conventions et de la
régulation et qu’il compare chaque programme de recherche, il signale clairement que
« ‘régulation’ indique la priorité du système sur ses constituants ; ‘convention’ met au
premier plan la recherche de l’accord –ce qui implique au minimum trois termes : deux
individus et l’interaction entre eux deux » (Favereau, 1995 : 515) et, poursuit-il, pour
expliquer la genèse des règles la première s’apparente à un « accord partiel de
coopération entre agents à rationalité limitée » alors que pour la seconde les règles
résultent d’« armistices provisoires dans la lutte des classes » (id. : 516). Reconnaissance
explicite du fossé méthodologique et théorique existant entre les deux approches. Ici,
l’on s’intéresse aux comportements humains, que l’on considère comme la base de la
compréhension sociétale, là, c’est la différenciation entre les acteurs qui prime et qui
produit la richesse sociologique du groupe.

Toutefois, le mérite de l’économie des conventions est de « faire émerger tout un monde
logiquement (quant aux modes de coordination à l’œuvre) et topologiquement (quant
aux lieux d’exercice) distinct du marché » (Frydman, 1992 : 6). Ainsi, comme le souligne
ce même auteur, « la configuration marchande est à réécrire, car ce qui régule les
relations marchandes dépasse le rôle des prix » (id., ibid.). Les normes, règles ou
conventions qu’il convient de leur adjoindre ne sauraient être réduites à un
comportement optimisateur.

Comme le rappelle Talbot, la coordination entre agents, qui ne se limite pas à l’adoption
de comportements opportunistes, intègre la notion de confiance, vue comme
« lubrifiant » (Arrow, 1974) des relations sociales, position que ne partage pas
Williamson pour qui les individus agissant dans leur propre intérêt, évaluent le coût de
cette coordination (Talbot, 1998 : 66). En outre, si l’on se réfère à l’approche en termes de
coûts de transaction, Williamson ne cache pas les liens existant entre l’approche néo-
institutionnaliste et l’économie standard ; il la présente comme un « complément, bien
plus que comme un substitut, de l’analyse [économique] conventionnelle » (Williamson,
1975 : 1). De même, en éludant l’histoire et le pouvoir, cet auteur propose une vision tout
à fait restrictive de la réalité et des institutions qui ne sont, pour lui, autre chose que des
« solutions efficientes aux problèmes économiques » (Swedberg ; Granovetter, 1994 :
129), idée que Granovetter (1995) et Caillé (1995), respectivement, développent lorsqu’ils
se penchent sur le concept d’embeddedness. Avant de revenir sur cette question, il
convient de souligner qu’il n’est absolument pas possible de négliger le pouvoir et de
suivre Williamson lorsqu’il prétend que ce dernier est inadapté pour expliquer les

58
mécanismes de coordination économique et qu’en outre ceux-ci se résument à une
question d’efficience.

Si l’on considère les études faites sur les districts industriels comme l’un des champs
d’expérimentation des analyses mésoéconomiques, on ne tarde pas à s’apercevoir que
les districtologues ont tendance à mettre en exergue le partage de valeurs communes par
les membres d’une communauté, ce qui donne à ce concept certains relents d’une
anthropologie inscrite dans un rapport utilitariste, que par ailleurs ils prétendent
dénoncer. En fait, plutôt que de centrer l’analyse sur la « confiance », la « coopération »,
le concept de « violence symbolique » est mieux à même de traduire les rapports existant
entre les entreprises, même si l’on souligne souvent la plasticité des rapports inhérents
aux firmes d’un district industriel (passage prétendu aisé de donneur d’ordre à sous-
traitant26).

Le MAUSS (Mouvement Anti-utilitariste dans les Sciences Sociales) nous a enseigné que
le paradigme de l’intérêt ne peut s’accommoder de l’incertitude inhérente à l’échange,
qu’il est nécessaire qu’il y ait réciprocité pour que l’échange prenne une tournure
économique sans quoi l’on retombe dans une logique de don, celui-ci pouvant se
satisfaire d’une incertitude quant au retour. Le contre-don peut être différé dans le
temps et ne suppose pas une immédiateté ni n’est soumis à une exigence de qualité.
Dans le don, c’est dans cet interstice d’incertitude que se joue la socialité des relations, ce
qui n’exclut pas l’adoption de comportements opportunistes, mais le mérite est de ne
pas en limiter la lecture. Cette critique du paradigme utilitariste puise ses racines dans la
théorie du lien social de Durkheim, lequel ne repose pas uniquement sur le seul jeu des
intérêts du fait qu’il possède un caractère objectif et moral (i.e. social dans la conception
durkheimienne). Si un entrepreneur, par exemple, n’a pas un comportement solidaire
envers ses collègues, il sera tôt ou tard exclu du groupe, ce qui revient à dire que la
solidarité dont il doit faire preuve est forcée et non pas naturelle. Le fait d’ignorer les
rapports de pouvoir et les conflits qui prévalent à la constitution de tels ensembles
productifs est dangereux idéologiquement et faux d’un point de vue heuristique.

C’est contre le cloisonnement de l’économie par rapport aux autres sciences sociales que
s’insurge Granovetter lorsqu’il traite de l’« encastrement » (embeddedness) de la science
économique, reprenant les analyses qu’avait présentées Polanyi (1983). L’apport de la
sociologie économique tient principalement au fait que les divers « mécanismes
sociaux » à travers lesquels fonctionne l’économie soient mis en avant par
l’investigateur. Par « mécanisme social », on entend la relation de cause à effet que les
sociologues tentent d’établir entre deux ou plusieurs faits sociologiques et qui possèdent

26 Ce que nous avons pu dans une certaine mesure constater dans une recherche effectuée dans
le Vimeu en Picardie (Azaïs ; Corsani, 1997), mais cela est sporadique et ne saurait être généralisé
au « modèle » des districts.

59
un caractère hautement spécifique (Swedberg, 1990 : 61). Toutefois, soucieux d’éviter
l’écueil du déterminisme, Granovetter (1985) souligne que le pouvoir, tout autant que la
confiance, est nécessaire à la réduction de l’incertitude recherchée par les agents
économiques, mais ne se limite pas à cela. Les interactions ne peuvent se réduire aux
aspects marchands ; elles sont, si l’on se situe dans la pensée institutionnaliste,
fondamentalement conflictuelles, mais leur mode de résolution incombe à la nécessaire
émergence de compromis entre les intérêts individuels et l’intérêt collectif, ce qui
correspond à la naissance de la société civile telle que l’entend la science politique et qui,
traduit dans le champ de la science économique, est un moyen de résoudre les conflits
inhérents à la rareté. L’espace socio-économique est un espace construit par interaction
entre des institutions et des individus dont les intérêts divergents sont régulés par la
nécessité du maintien de l’ordre collectif, du consensus, diraient les politologues.

La compréhension de la genèse et du rôle des institutions économiques constitue le cœur


de la sociologie économique telle que la préconise Granovetter. Il considère que « [les
institutions économiques] sont construites par des individus, dont l’action est à la fois
facilitée et limitée par la structure et les ressources disponibles des agents sociaux où ils
s’inscrivent » (cité par Orléan, 1994 : 31). Délégation de l’autorité, partage de
l’information sont à la base de la confiance interpersonnelle sur laquelle se construit le
réseau, lieu privilégié de l’interaction entre individus. Une telle acception fait état de
l’incapacité du modèle sous-socialisé, i.e. celui de la logique marchande, à rendre
compte de la complexité des liens sociaux. La confiance, « fidélité à la parole donnée »
(Caillé, 1995 : 29), joue le rôle de ciment indispensable pour que l'économie soit
organisée de manière efficiente. Mais comme l’exprime fort justement cet auteur,
critiquant Granovetter, « les relations de personne à personne ne se suffisent pas à elles-
mêmes, elles s’inscrivent, elles s’insèrent dans le cadre de la macro-personne qu’est la
société et, là, on rejoint le niveau politique » (id., ibid.). C’est en quelque sorte une
avancée vers l’analyse mésosociale qui est proposée. Méthodologiquement la démarche
suivie ne diffère pas de celle de la mésoanalyse économique telle que la conçoit Gillard ;
seul son objet diffère.

L’analyse mésoéconomique et mésosociale constitue une démarche méthodologique


susceptible de capter respectivement dans leur diversité les rapports économiques et les
rapports sociaux dans un espace déterminé. En rattachant l’apport de ce courant aux
deux catégories d’espace et de temps, des pistes s’ouvrent pour comprendre la nature du
territoire, objet qui a émergé récemment dans la théorie économique. Ce sera alors
l’occasion pour renouer avec les enseignements de l’économie industrielle et les mettre
en rapport avec ceux d’une autre branche de l’économie, l’économie régionale. Dans

60
cette examen, on octroiera une place de choix au travail, dont la prise en compte
constitue l’un des éléments centraux de l’analyse de l’évolution du capitalisme
contemporain.

61
III- Espace, territoire et temps : vers une analyse du travail

Plusieurs idées ressortent des pages précédentes, qui constituent des voies de réflexion
pour la suite de ce travail.
Tout d’abord, depuis le début de cet exercice je manifeste le désir de dépasser le clivage
individualisme méthodologique – holisme méthodologique. Pour poursuivre dans cette
voie, je propose à présent d’opérer une lecture de trois catégories, qui ne sont pas
spécifiques à l’économie et qui de surcroît émanent d’auteurs appartenant à des courants
de pensée différents. Ces trois catégories sont, dans une première phase, l’espace, le
territoire et le temps. Ce cheminement permet de repérer plusieurs questions
fondamentales pour la théorie économique. Il s’agit tout d’abord des questions de
localisation des activités économiques, d’attractivité et de compétitivité des territoires,
qui intéressent au premier chef la science régionale ; ou alors des questions plus
génériques comme l’analyse de la nature du travail ou du rapport salarial, qui
débouchent pour leur part sur l’examen de l’évolution du capitalisme contemporain, vu
sous l’angle du rapport global-local, dans lequel le territoire émerge comme catégorie
centrale. C’est alors l’occasion de poser l’hypothèse de l’indissociabilité du travail des
formes territoriales27. L’analyse retenue du territoire en fait un élément central pour
comprendre une réalité multiple et diversifiée.

Le choix de ces trois concepts, le temps, d’un côté, l’espace et le territoire, d’un autre,
que je rangerai dans la même lignée, et pour finir le travail, n’est pas aléatoire. Bien qu’il
s’agisse de concepts aux contours flous, adoptés par plusieurs sciences, sociales ou non,
je leur reconnais comme mérite de présenter un caractère mouvant et de regrouper des
éléments non encore synthétisés ; c’est en cela que réside leur pertinence. Tous trois
n’ont pas le même statut théorique. En effet, le temps permet à l’économie de passer de
l’espace au territoire, mais c’est lui aussi qui est à l’origine du basculement dont est le
théâtre le territoire et qui se manifeste dans les formes nouvelles que revêt le travail.
C’est tout du moins l’approche que je soutiens. En outre, l’analyse se propose de piocher
dans différentes sciences sociales, l’économie, la géographie, l’histoire, la sociologie ou la
science politique, car le décryptage du territoire ne saurait se satisfaire du recours à une
seule science sociale. Le choix fait du territoire pour asseoir l’argumentaire autorise une
lecture plurielle de la réalité, c’est ce qui en fait la richesse. La tâche s’avère difficile mais
seule capable de traduire dans sa complexité la réalité sociale. Par cette analyse je

27 Ce qui est explicité en détail dans (Azaïs, 2000c) et qui a constitué l’essentiel du débat du
colloque organisé à Amiens en octobre 1998 « Mutations du travail et Territoires » et de la
publication de l’ouvrage « Le capitalisme chemin faisant. Entre mutations du travail et nouveaux
territoires », Azaïs, Corsani, Dieuaide (éds.) (2000), à paraître.

62
prétends contribuer in fine au dépassement de la dichotomie individualisme
méthodologique – holisme méthodologique.

3.1. L’ESPACE DANS LA THEORIE ECONOMIQUE

Les premiers économistes à s’intéresser à l’espace se sont penchés sur la question de la


localisation industrielle. Sans avoir ici aucunement la prétention de faire la genèse des
débats sur ce thème28, je soulignerai de manière relativement succincte comment s’est
effectué le passage de la notion d’espace à celle de territoire. Ce sera l’occasion de
reprendre et d’expliciter certains des arguments avancés plus haut à la fois sur les
approches socioéconomique et mésoéconomique et d’indiquer les raisons qui m’ont
poussé vers l’économie régionale.

L’économie régionale fournit des éléments de compréhension des phénomènes de


localisation industrielle ; elle éclaire la teneur du développement de régions
industrielles, mais aussi l’attractivité des territoires. Les success stories italiennes et les
échecs français (Azaïs, 1992) ont posé la question de la dynamique territoriale sous
l’angle des systèmes productifs locaux (Azaïs, 1997). Il s’agissait de savoir en quoi
l’espace oblige à reconsidérer certains paradigmes de la théorie économique : échange
marchand, concurrence, coopération. Pour ce faire, il convenait de poser les enjeux
théoriques et politiques du débat sur la localisation des activités économiques et de
s’interroger sur ce qu’a l’économiste à dire de plus que le géographe, dont c’est l’objet
d’étude principal, ou que le sociologue, qui s’intéresse aux mobiles et aux relations
tenant à la localisation des entreprises. La voie que j’ai choisie a été de partir d’une
analyse critique des théories de la localisation et de la mobilité des facteurs, en raison de
l’approche statique qu’elles défendent. Dans le même temps, je laissais délibérément de
côté l’analyse des politiques publiques locales, pour les liens qu’elle entretient avec une
problématique en termes d’aménagement du territoire, i.e. de « développement par le
haut ».
A nouveau, les enseignements effectués, à l’occasion de diverses missions effectuées en
France depuis 1989, dans le cadre du DEA « Mutations internationales et adaptation
régionale » de la Faculté d’Economie et de Gestion d’Amiens, ont été l’occasion
d’approfondir ces thèmes. La présentation au Conseil Scientifique de l’UPJV, dès 1991,
d’un projet de recherche sur la configuration productive et industrielle picarde posait
une série de questionnements théoriques auxquelles l’économie semblait pouvoir
répondre.

28 Je renverrai les intéressés, entre autres, aux ouvrages de Dockès (1969), Benko et Lipietz (1992,
2000), à l’article de Camagni (1980), à la Revue Economique (1993) et à la thèse de Girard (1999).

63
Parmi ces questions, une primait : celle de la dynamique territoriale et de la localisation
de systèmes productifs locaux (Azaïs, 1997 : 257-258, cf. encadré), qui conduisait
forcément à une distanciation de l’approche spatiale développée par le modèle de base
de concurrence pure et parfaite, dont on sait bien que certaines hypothèses sont mises à
mal par l’introduction des phénomènes spatiaux (Scotchmer ; Thisse, 1993).

« Pour l'heure, il convient de rappeler que les premiers théoriciens de


l'économie spatiale privilégiaient une approche statique et
s'attachaient plus à la structure des préférences de localisation qu'à la
compréhension d'un processus. La localisation devenait aussi
fonction de la distance et de la réduction des coûts dus à la proximité.
L'espace serait une donnée, un facteur exogène sur lequel les
entreprises n'auraient pas d'influence. La localisation des entreprises
se résumerait alors à un problème de coût et l'espace serait travaillé
en termes de distance physique. Ainsi donc, le territoire, assimilé à
l'espace, n'aurait pas une consistance sui generis.

La perception de l'espace a, toutefois, évolué vers une conception


dynamique qui présente un double mérite : d'une part, elle permet de
remettre en question certaines des hypothèses de base du modèle de
concurrence pure et parfaite, telles que l'hypothèse d'atomicité des
agents (nécessité de l'intervention d'un agent externe pour
contrecarrer la constitution de monopoles en raison de la présence
dans un territoire de rendements d'échelle croissants) ou l'hypothèse
d'homogénéité des produits : ‘ l'association de rendements d'échelle
croissants et d'une dispersion géographique de la consommation
rend indéfendable l'hypothèse d'atomicité des firmes sur chaque
marché ’ (Scotchmer ; Thisse, 1993 : 657) ou encore l'hypothèse de
libre entrée sur le marché » (Azaïs, 1997 : 257-258).

64
3.1.1. L’approche statique en économie spatiale : ses limites

Les premiers théoriciens de l’économie spatiale, ceux de l’école d’Iéna (Christaller, 1933 ;
Lösch, 1940), ont considéré l’espace comme un espace plat, sans épaisseur, sans
dimension socio-institutionnelle. La prédominance de l’analyse microéconomique29 à
cette époque les conduisait à raisonner en termes de maximisation de l’utilité des agents
et de minimisation des coûts de transport, principalement, liés à la distance. L’espace est
vu comme un agencement d’aires de marché (Lösch). Pour cet auteur, la concurrence
spatialisée est de nature oligopolistique. On y note une tendance à regarder la théorie de
la localisation comme une théorie de l’organisation internationale ; c’est-à-dire comme
une approche qui permet de comprendre à la fois l’intégration et la flexibilité.
L’intégration signifiant cohérence d’une organisation ; la flexibilité faisant référence à la
qualité, la réactivité, la variété, l’innovation, car en fait elle mesure la capacité
d’adaptation de l’organisation aux incertitudes, aux aléas.

Dans la critique qu’ils émettent de l’approche spatiale néo-classique, Scotchmer et Thisse


relèvent qu’elle conduit « presque inévitablement » à la concurrence imparfaite
(Scotchmer ; Thisse, 1993 : 654), et que, contrairement à l’hypothèse de convexité des
préférences, qui implique l’absence de rendements d’échelle croissants, elle entraîne des
rendements d’échelle croissants, ce qui est, affirment-ils, essentiel « pour expliquer la
répartition géographique des activités économiques » (id. : 657).

Le mariage entre l'économie régionale ou spatiale et l’économie industrielle est loin


d’être totalement consommé (Rallet ; Torre, 1995 ; Azaïs, 1997) ; l’espace n’est pas
économiquement neutre (Ponsard, 1988). Il oblige à dépasser certaines théories
existantes, comme la théorie nouvelle du commerce international, mise au goût du jour par
Krugman, qui propose d’intégrer l’existence de rendements croissants en concurrence
monopolistique et qui participe de la reconnaissance de l’espace. Cette approche sera
défendue par les tenants de la Nouvelle Economie Géographique.

29 Je renvoie le lecteur pour une appréciation des phénomènes de localisation dans la théorie
standard à Girard (1999 : 59-100) et plus précisément aux pages 97-100.

65
3.1.2. Economies d’échelle, économies externes et rendements croissants

L’idée que les économies d’échelle et les rendements croissants puissent être des
alternatives à l’avantage comparatif pour expliquer la spécialisation et les échanges
internationaux remonte à Adam Smith.

C’est à Marshall, toutefois, que revient la remise en cause de l’hypothèse de convexité


des préférences et l’ouverture d’une brèche dans l’édifice de la théorie néoclassique.
Lorsqu’il souligne l’importance de la localisation dans la constitution de monopoles, il
considère possible l’apparition de rendements d’échelle croissants, ce que le modèle de
concurrence pure et parfaite ne concevait pas.

Soucieux de rendre compte de la possibilité de rendements croissants sans relâcher


totalement l’hypothèse de concurrence pure et parfaite, Marshall fait des économies
externes une application du thème des externalités positives de branche. La
concentration géographique d’entreprises de la même branche a pour effet de produire
des rendements croissants, qui ne sont pas forcément producteurs de monopole
« puisqu’ils ne s’appliquent plus uniquement à une entreprise mais à un ensemble
d’entreprises, à une région de l’espace » (Girard, 1999 : 62). Les sources de rendements
croissants d’agglomération, rendements croissants externes « purs » sont internes à la
branche ou internes à l’ensemble des agglomérations (thèse soutenue par l’Ecole
marshallienne des systèmes productifs locaux). L’interaction entre les économies
d’échelle externes et les coûts de transport explique, selon Krugman, la concentration
industrielle régionale et la formation des « centres » et des « périphéries », au niveau
régional (Krugman, 1991). Dans son ouvrage il reprend les trois types d’économies
externes de Marshall, portant tour à tour sur le marché du travail, fruit de la
concentration de plusieurs firmes leur garantissant une disponibilité de la main d’œuvre
et assurant aux travailleurs la probabilité d’une embauche, la disponibilité de
fournisseurs d’inputs spécialisés non échangeables et l’existence d’effets d’entraînement
des connaissances techniques en raison des effets de report de l’information (Krugman,
1995 : 318-319). Aussi, les entreprises préfèreront-elles se concentrer sur un même lieu
pour réaliser des économies d’échelle uniquement si les coûts de transport ne sont pas
prohibitifs, car s’ils sont trop élevés ils rendront attractives les zones géographiques se
situant à proximité des grands marchés consommateurs (Martin ; Sunley, 2000 : 40).
Dans le cas où les coûts de production locaux sont sensiblement équivalents, des
économies d’échelle peuvent être engrangées si la firme se situe près d’un marché de
grande taille tout en minimisant les coûts de transport.

66
Par le biais des économies externes, on reconnaît que la concurrence est imparfaite et on
tente, en outre, d’éclairer les choix de localisation des firmes et les phénomènes
d’agglomération industrielle ainsi que les processus d’apprentissage, qui sont source
d’innovation et de différenciation des produits. Or, une telle explication des
phénomènes de concentration spatiale n’accorde pas à l’espace l’épaisseur (thickness30)
institutionnelle (Amin ; Thrift, 1993), propre au méso-système. L’épaisseur
institutionnelle renvoie au fort degré d’interaction entre les institutions de la région, à
des structures sociales fortes et au sentiment de partager un projet commun ; elle est
« inséparable d’une densité technico-productive » (Gilly, 1997 : 45), qui lui donne une
autonomie relative par rapport au système productif stricto sensu. Dans l’approche
statique l’espace est plan, sans rugosités. Il est neutre.

Si l’on poursuit la réflexion de Marshall, les économies externes ne génèrent pas de


concurrence entre les agents, puisque tous y ont en principe accès, elles « sont dans
l’air » ; elles ne peuvent être productrices de différenciation, selon l’hypothèse
d’atomicité des agents de la Théorie Economique Standard. L’analyse de l’allocation des
ressources tout comme celle de leur création trouveront chez les districtologues, sensibles
à une approche en termes de coûts de transaction, une grande audience (Dei Ottati,
1994). Reprenant les apports de Marshall, ils insistent sur le rôle de l’environnement
social dans la production d’économies externes. Facteur de diminution des coûts de
transaction dans les districts, permettant une répartition plus efficiente des ressources
rares, la proximité géographique d’entreprises sur le même espace renvoie aussi à une
proximité de valeurs, de comportements, dont l’effet sur la diffusion des innovations est
présenté comme indéniable par les défenseurs des districts industriels. Le district
industriel est bien un espace socioéconomique. Cette affirmation fera basculer
l’approche que donnait jusque là la théorie économique de l’espace. D’une
problématique en termes d’espace on passe à une problématique en termes de territoire.
La proximité se substitue à la distance ; le territoire à l’espace.
Cette évolution est centrale en économie régionale, en ce sens où elle met l’accent sur les
rendements croissants et les externalités positives, qui reposent sur les effets locaux de la
proximité entre agents et individus en interaction. Elle est capitale aussi pour
comprendre les phénomènes de développement territorial à l’échelle nationale et à
l’échelle internationale (Hirschman, 1984b). Il faut, toutefois, souligner que la proximité
n’est pas l’opposé de la distance ; elle n’est pas non plus symétrie, car l’on vit dans un
monde d’asymétrie. En fait, la proximité est une métaphore spatiale, qui permet de
renforcer davantage le social que le géographique.

30 Le terme thickness est traduit par « épaisseur » ou « densité ». Pour ma part, je préfère le terme
d’« épaisseur », car la densité rappelle une idée de mesure, difficile à rendre opérationnelle
lorsqu’il s’agit d’institution.

67
3.2. LE TERRITOIRE, UN OBJET DE LA SCIENCE ECONOMIQUE

Alors que pour les économistes industriels la dimension territoriale des phénomènes
économiques doit permettre d’appréhender la dynamique industrielle, pour les
économistes de l’espace, c’est la dynamique industrielle qui facilitera l’analyse des
phénomènes territoriaux. La dynamique d’un territoire se situe dans ce processus
cumulatif ; elle a pour effet de donner une consistance à l’atmosphère industrielle d’Alfred
Marshall. La richesse de l’intuition marshallienne, malgré le flou théorique qui l’entoure,
tient à la mise en relation d’un marché du travail et d’un territoire, ce dernier n’étant
plus vu uniquement comme espace de proximité géographique ; ce n’est pas non plus un
acteur, c’est une « construction aléatoire d’agents localisés structurés en un réseau de
relations dont l’objectif collectif, le développement d’une zone géographique, est avant
tout le support de la réalisation des intérêts individuels. […] Le territoire est le résultat
d’une construction, l’effet d’engagements territoriaux des agents et des institutions et
peut, à ce titre, tout aussi bien se défaire que se faire » (Rallet, 1993 : 370-371). Si l’espace
exprime l’unité initiale du monde, le territoire en traduit la diversité humaine et sociale ;
il est symbole de différenciation mais il est aussi unité, en dépit de la pluralité qui le
caractérise. Cette question sera reprise ultérieurement lors de l’analyse des trois
catégories temps, travail et territoire (item 3.3.).

68
3.2.1. La proximité : de l’espace au territoire

Les économistes régionaux se sont approprié la notion de proximité, empruntée à


diverses sciences sociales31. La proximité s’inscrit au cœur de la prise en compte de
l’espace dans la coordination des agents économiques. La question initiale était celle de
savoir en quoi l’espace physique intervenait dans la consolidation d’interactions sociales,
ce qui revenait à poser que la distance n’était peut-être pas le seul critère à prendre en
compte –de moins en moins même, au vu du développement des NTIC (nouvelles
technologies de l’information et de la communication). Les thèmes abordés sont
multiples, ce qui donne au concept une épaisseur institutionnelle et organisationnelle, qui
permet de le différencier de l’acception géographique32 (Lung, 1994). Le concept de
proximité est censé faire le pont entre « deux spécialités autonomisées de la science
économique, l’économie industrielle et l’économie régionale » (Bellet ; Colletis ; Lung,
1993 : 357). Cette approche insiste sur la dynamique industrielle et sur la dynamique
spatiale –qui pour sa part intègre le temps long, dans une conception en rupture totale
avec l’économie standard, qui comprend l’espace comme distance entre deux lieux et en
termes d’allocation de ressources. Désormais, l’explication du succès d’un espace
économique repose davantage sur les liens qu’entretiennent les diverses composantes
du système que sur des raisons de distance physique. La proximité est multiforme. Elle
est proximité géographique –distance d’un lieu à un autre- qu’il convient de réduire à
tout prix, mais aussi institutionnelle ou organisationnelle, voire technologique (Rallet,
1993) ou culturelle, selon les néo-institutionnalistes. Pour ces derniers, associée à la
proximité géographique, elle joue dans la réduction des coûts de transaction, en raison
de la confiance qui règne entre les acteurs. Cette vision est réductrice car elle évince la
dimension conflictuelle.
L’interaction entre les différents agents économiques et les institutions constitue le nœud
de l’analyse (Berquez, 2000). La question de l’irréversibilité des phénomènes, essentielle
lorsqu’il s’agit de territoire est dès lors posée. On a quitté le domaine exclusif de l’ordre
marchand, sans toutefois renier le marché, ce qui est une manière de contribuer au
dépassement de la dichotomie individualisme méthodologique-holisme
méthodologique.

31 Pour ce qui est de l’économie, la RERU (1993/3) lui a consacré un numéro spécial : Economies
de proximité. Bellet et al. (1998) offrent l’exemple d’autres sciences sociales, telles que la sociologie
ou le droit.
32 La proximité géographique renvoie à l’espace géonomique de Perroux ; c’est une proximité
construite socialement. La proximité organisationnelle “ traduit la séparation économique entre
les agents, les individus, les différentes organisations et/ou institutions ; création de
marchandises, de technologies, d’organisations, d’institutions, de mécanismes de régulation, etc.
[…] (elle) est multiple, pouvant être appréhendée au plan technologique, industriel ou financier ”
(Lung, 1994 : 114 & 116).

69
L’appropriation par l’économie industrielle et l’économie spatiale de la proximité donne
à la première des outils de lecture de la dynamique industrielle (économie de
l’innovation, du changement technique) et permet d’intégrer à l’analyse l’espace. De
même, elle aide l’économie spatiale à intégrer le temps ; elle lui fournit des éléments
pour saisir la dynamique d’un lieu. Désormais, ce lieu c’est un « territoire ».

L’idée sous-tendue est d’endogénéiser le territoire. La proximité territoriale fait état du


rapprochement des agents, ce qui n’est pas sans rappeler l’ « atmosphère industrielle ».
Il ne s’agit pas d’un simple substitut au local. La façon dont l’entendent les économistes
diffère de celle dont la comprennent les géographes, en ce sens où, pour ces derniers, elle
n’est pas forcément génératrice d’une dynamique et d’innovation. Par proximité
géographique, on entend un phénomène physique de distance et on sous-entend que les
individus ont des contacts fréquents entre eux. Une telle assertion est mise à mal de nos
jours par l’introduction des NTIC. Il devient de plus en plus dur de faire la distinction
entre ce qui est local et ce qui ne l’est pas, et la géographie a du mal à prendre en compte
les phénomènes de présence à distance, pourtant cruciaux à notre époque et sans lesquels
on ne peut saisir la complexité des réseaux sur lesquels reposent les territoires.

En économie, le concept de proximité puise ses racines dans l’analyse des dynamiques
industrielles locales. Il renvoie aussi à la question qui se situe à la lisière de l’économie
internationale et de l’économie régionale : celle de la constitution de blocs économiques
régionaux. Une telle discussion n’est pas étrangère à celle du rapport local-global, sur
laquelle je reviendrai plus loin.
En tant que processus, la proximité exprime les interdépendances à l’œuvre sur un
territoire entre des organisations qui sont à l’origine de l’émergence d’un méso-système
productif (Gilly, 1993). Celui-ci, à l’instar de ce qui se passe au niveau micro (la firme),
est à l’origine de création de valeur ; la littérature récente sur les réseaux appliqués à
l’étude des districts industriels l’a bien compris (Rullani, 1996). La proximité apparaît
dès lors comme une construction sociale et institutionnelle. Elle est le fruit de
l’interaction des individus ; elle exprime la « préférence territoriale », c’est-à-dire
l’inscription dans une « logique de profitabilité à long terme », qui correspond à une
« volonté de construire un environnement spécifique d’innovation » (Lecoq, 1993 : 481)
ou de croissance.

Initié par le débat sur les districts industriels, le concept de proximité a servi à théoriser
la notion de « territorialité ». Pour Pecqueur, la “ territorialité ” devient élément de la
stratégie des acteurs ; elle est présentée comme un élément de différenciation entre un
« dedans » et un « dehors », ce qu’un sociologue comme Capecchi (1989) exprime par

70
l’opposition entre un « nous » et les « autres ». Il revient aux acteurs, selon Pecqueur, de
rendre potentiels les actifs spécifiques dont ils disposent. La problématique va tourner
autour de la question des connaissances tacites et codifiées, dont la diffusion est à la base
des avantages comparatifs des systèmes productifs basés sur la proximité géographique.
La diffusion ou non de l’innovation et la différenciation entre les systèmes productifs est,
selon cette approche, à l’origine de l’émergence d’une spécificité territoriale (Pecqueur,
1992). Ainsi, la territorialité n’apparaît-elle pas seulement comme un concept
géographique ; elle reflète « la multidimensionnalité du vécu territorial par les membres
d’une collectivité, par les sociétés en général » (Raffestin, cité par Di Méo, 1998b : 53), ce
qui traduit la perméabilité des frontières disciplinaires entre la géographie, l’économie,
la sociologie et l’anthropologie. « La territorialité, écrit pour sa part Di Méo, s’identifie
pour partie à un rapport a priori, émotionnel et pré-social de l’homme à la terre » (Di
Méo, 1998a : 108).

Depuis le numéro consacré à la proximité (RERU, 1993), les réflexions des économistes
ont évolué, ainsi que le constatent Talbot (1998) et Gilly et Torre (2000). Ceux qui se
rangent derrière ce concept le font non pas dans une optique d’allocation de ressources
(économistes néo-classiques et approches de l’économie industrielle standard [industrial
organization]), mais en termes de création. Ils posent la question de la
création/destruction des territoires à partir d’une analyse centrée sur la sphère
productive. La proximité n’apparaît plus comme étant aux antipodes d’une distance
physique, ce qui confère à l’espace une dimension sociale. L’on parlera tour à tour de
« construction », d’interaction entre les agents, en insistant sur le fait que les interactions
sont aussi de nature non-marchande. La notion de proximité repose sur quatre
hypothèses de base :

1. de création de ressources : « création de marchandises, de technologies,


d’organisations, d’institutions, de mécanismes de régulation, etc. » (Lung, 1994 :
114) ;
2. elle s’inscrit dans une démarche historique, en ce sens que les rapport de proximité
se construisent dans le temps ; ils sont le fruit de mutations plus ou moins globales,
visibles et radicales ;
3. ces irréversibilités prennent en compte les interactions entre les agents et les
activités, qui sont à l’origine de la dynamique spatiale et productive ;
4. ces interactions dépassent la coordination marchande (Talbot, 1998 : 132), en faisant
du lien social et des institutions formelles et informelles un élément incontournable
de la proximité, de par la régulation à laquelle elles contribuent.

71
Qu’elle soit proximité organisationnelle ou institutionnelle, la proximité est indissociable
de la dimension géographique qu’elle intègre ; toutefois, elle s’en démarque car « l’usage
du terme ‘proximité’ repose sur l’hypothèse indissociable de séparation des individus et
des activités et en même temps de leur lien social. Il dépasse donc la connotation spatiale
ou géographique qui peut lui être intuitivement associée, mais prétend néanmoins en
rendre compte. Il suppose enfin son contraire, à savoir l’éloignement en tant que non-
relation (séparation) » (Bellet ; Kirat, 1998 : 30). Elle peut s’analyser, si l’on s’intéresse à la
firme et à l’industrie, comme une « forme particulière de division du travail et de
coordination des activités » (Bellet ; Kirat ; Largeron, 1999 : 15). A ce titre, la critique que
l’on peut faire à cette branche de l’économie est de s’être intéressée prioritairement aux
phénomènes industriels et d’avoir négligé d’autres pans des activités économiques, ce
qui fait que l’apport de sciences comme la sociologie ou l’anthropologie ne sont point
négligeables. Il y a d’un côté ceux qui font partie de l’interaction et de l’autre ceux qui
n’y interviennent pas. Aussi, l’acteur va-t-il se positionner, se « situer » dans son
environnement socio-économique en fonction du problème productif qu’il a à résoudre.
L’espace dans lequel il est inséré « présente des dimensions temporelle (historique et
dynamique) et géographique (formes productives spatiales des interactions) » (Talbot :
133). La dimension temporelle, on le verra, est plurielle. La dimension géographique
n’est pas aisée à traiter non plus : elle se reflète dans l’appréhension de la notion de
frontière, qui, dans un territoire, tel que l’entend la science économique –i.e. formé de
réseaux-, dès lors qu’elle n’est pas établie une fois pour toutes, pose d’un point de vue
théorique le problème des dichotomies –local/global ; centre/périphérie- ce qui n’est
pas sans intérêt d’un point de vue méthodologique (Azaïs ; Corsani, 1998a : 56, cf.
encadré). Le rejet de l’analyse binaire de la réalité contribue à en saisir la complexité et
s’inscrit dans un processus dynamique d’entendement des phénomènes économiques et
sociaux. A ce stade-là, le temps point comme une catégorie essentielle.

« Il devient alors nécessaire de dépasser l'appréhension binaire que


l'on a de la réalité […] le territoire ne saurait être scindé en deux,
entre un "local" qui s'opposerait à un "global" ou un "centre" à une
"périphérie". En fait, seule l'introduction d'un troisième élément, la
frontière, en ce sens où elle est mobile, permet de rendre compte de la
fluidité des relations sur le territoire. Ainsi, à une "région" (ou zone)
interne et une "région" externe se juxtapose une "région"
intermédiaire où l'on peut circuler. Cette "région" n'est pas a priori
circonscrite à un espace clos et limitée à des frontières géographiques.
Dans la mesure où la présence à distance via les télécommunications

72
(Internet, Intranet et autres) tend à redéfinir la proximité
géographique (mon voisin de palier est en relation avec New York en
temps réel mais pas avec moi) l'autre, qui n'est plus "ailleurs" (lieu
indéterminé et hors d'atteinte), est là-bas et il est aussi maintenant".
La frontière est toujours présente, mais elle est mouvante dans le
temps et dans l'espace, catégories essentielles pour la compréhension
de la richesse des formes de travail et de leur inscription sur le
territoire. Dans cette perspective, les couples "Centre/Périphérie",
"Près/Loin", "Local/Global" gagnent en richesse pour signifier la
flexibilité caractéristique de l'enchevêtrement des temps sociaux.
Ainsi il semble bien que la conception réaliste de la distance, propre
au XIXº siècle, soit dépassée et doive s'accommoder de ces
changements. Il est clair que l'économie du voisinage s'en trouve à
son tour modifiée, non pas qu'elle ne soit plus déterminante dans la
constitution du lieu mais sa configuration a évolué et celui-ci ne peut
plus se reproduire à l'identique de façon endogène » (Azaïs ; Corsani,
1998a : 56).

3.2.2. Comment traduire la dynamique ?

La dynamique territoriale fait référence à des situations de remodelage des forces


productives et sociales sans que la capacité de création de richesses du territoire ne soit
durablement atteinte. Le concept de dynamique contient, à la différence de celui de
dynamisme, la possibilité de traduire aussi bien des phénomènes d’involution que
d’évolution. Le territoire n’est plus uniquement vu comme simple réceptacle d’activités
économiques mais comme générant à son tour des externalités. Il possède une
consistance propre, en ce sens où il représente un espace historiquement et
symboliquement construit, régulé par des rapports de pouvoir et vécu par des
populations. Toutefois, il n’est pas acteur, ce qui reviendrait à supposer son existence
alors même qu’on le considère comme une construction sociale (Azaïs, 1999c : 803, cf.
encadré).

« Le territoire est un objet d’étude commun à plusieurs sciences


sociales. En se penchant sur les formes de mise au travail et les formes

73
d’organisation du territoire, l’économie souligne son intérêt pour une
étude des processus productifs et du développement régional qui
dépasse la vision économiciste du marché. Le rôle de l’espace dans les
procédures de coordination est mis en exergue et, à son tour, le lien
entre les diverses facettes que prennent le travail et le territoire. Le
passage de la notion d’espace à celle de territoire, tel que les
économistes l’ont proposé, servira dans un premier temps pour capter
l’articulation entre travail et territoire. Ceci m’amènera à réfuter toute
interprétation qui tend à ériger le territoire en “ acteur ”, pour la
simple raison que cette interprétation est incompatible avec l’assertion
selon laquelle il serait une construction ; l’envisager comme acteur,
revient à lui octroyer d’emblée une existence qui fausse la prise en
compte de la dynamique qui participe de son élaboration. La tâche est,
certes, plus ardue mais ainsi évite-t-on de tomber dans une
interprétation tautologique » (Azaïs, 1999c : 803).

C’est pour ce motif que je ne me suis pas laissé séduire par l’interprétation des milieux
innovateurs, telle que la soutient le GREMI -Groupe de Recherche Européen sur les
Milieux Innovateurs, qui entend le milieu local comme « l’ensemble des relations
intervenant dans une zone géographique qui regroupe dans un tout cohérent, un
système de production, une culture technique et des acteurs » (Maillat, 1992 : 4). Le
milieu joue un rôle actif dans le processus d’innovation et de développement
technologique (RERU, 1999). Cette approche n’arrive pas à éviter l’écueil qui consiste à
présupposer l’existence de formes de production territorialisées. En effet, la
problématique part d’une définition normative des milieux innovateurs, vérifie si de tels
phénomènes se présentent dans la réalité et considère que la proximité géographique est
le creuset de ses éléments constitutifs (Rallet, 1994 : 130). Toutefois, cette analyse a
contribué à renforcer la prise en compte du territoire par un courant de la science
économique, soucieux de se démarquer de l’approche spatiale standard.

M’inscrivant dans cette perspective, j’ai stipulé que, pour traiter de la « construction
d’un territoire », il convenait de se pencher sur la nature des mutations du travail et de
son corollaire, le contrat salarial. Partant des changements repérables dans la division du
travail, je propose d’intégrer l’approche temporelle à l’analyse et de réfléchir non plus
seulement en termes de division du travail ou de division sociale du travail mais de
division territoriale du travail. Ces transformations sont visibles à plusieurs niveaux :

74
dans les rapports de sous-traitance et de domination qui s’établissent entre grandes et
petites entreprises, dans les nouvelles configurations du marché du travail, dans
l’évolution des formes de mise au travail et de contrat salarial (cf. les débats sur le
contrat de travail-contrat d’activité, la pluriactivité, etc.). Elles reflètent une part du
chemin accompli par le capitalisme, qui met en scène de nouveaux territoires qui
piochent dans les mutations du travail leur raison d’être, leur dynamique ainsi que
parfois leur étiolement (Marques-Pereira, 1997a).

Dans ce mouvement de construction, les territoires jouent de plus en plus un rôle


déterminant, en ce sens où ils peuvent favoriser l’émergence de réseaux, qui structurent
le système productif ; ils traduisent à la fois la dynamique territoriale et l’inscription
territoriale du travail. En suivant une telle approche nous nous sommes écartés de toute
interprétation qui assimilerait développement local et développement endogène. Ce
type d’analyse, qui s’apparente au small is beautiful a pour effet d’évacuer les
articulations complexes entre le global et le local. La question de la reconfiguration ou de
la recomposition des territoires apparaît alors comme centrale et contribue à expliquer
en partie les mutations du rapport salarial ainsi que celles du capitalisme contemporain
(Azaïs ; Corsani, 1998 : 62-63 [cf. encadré] ; Azaïs ; Corsani ; Dieuaide, 2000).
Comprendre ces mutations passe par une mise en relief de l’articulation entre les trois
catégories de « temps », de « travail » et de « territoire ».

« … La réalité sociale du travail ou de l'espace de vie des hommes ne


se contente pas d'une appréhension où le global serait antinomique
du local ni non plus d’une analyse qui insisterait sur le caractère
endogène de la dynamique territoriale locale ; il s'en alimente, le
structure et en retour est structuré par lui. L’enchevêtrement des
structures sociales est par la même souligné. L'importance du local
resurgit lorsqu'il est question dans le post-fordisme de l'engagement
des individus dans l'acte de travail. La frontière entre production et
reproduction s'estompe. L'espace de travail devient aussi espace de
vie et la subjectivité des individus est mise au service du capital »
(Azaïs ; Corsani, 1998 : 62-63).

75
3.3. TEMPS, TRAVAIL ET TERRITOIRE : REFLEXIONS SUR UNE ARTICULATION

Pour traiter de l’articulation entre ces trois concepts une approche pluridisciplinaire m’a
semblé incontournable. Aussi ai-je emprunté à l’économie, la géographie, la science
politique et la sociologie quelques-unes des interprétations qu’elles donnent de ces
concepts pour trouver, à mon tour, les éléments qui me permettent de peaufiner
l’argumentaire. Les raisons sont d’ordre théorique et méthodologique, principalement.
Les réflexions reposent sur des pratiques de terrain.
Ces trois concepts, au même titre que l’espace apparaissent comme des catégories
essentielles en sciences sociales33 ; ils interrogent chacun à leur manière le devenir des
sociétés et conduisent à faire une place belle aux hommes qui les composent, en mettant
au centre de l’analyse les rapports sociaux. Si l’on s’en tient aux sciences sociales
mentionnées ci-dessus chacune s’intéresse avec ses propres outils aux profonds
bouleversements que connaissent les sociétés et qui obligent à reconsidérer les catégories
de « temps », de « travail » et de « territoire », pour de multiples raisons ; les ignorer
reviendrait à amputer l’entendement de la réalité, ce qui d’un point de vue heuristique
ne serait nullement satisfaisant. En effet, en affirmant, comme je l’ai fait au tout début de
ce texte (p. 5 et sq), que c’est le terrain qui m’informe de la réalité sociale, je ne pouvais
me cantonner aux apports d’une seule science sociale pour en capter la multiplicité et la
dynamique. Cette préoccupation n’est pas étrangère à mon désir de dépasser le clivage
individualisme méthodologique-holisme méthodologique et de m’inscrire dans une
perspective méso-analytique.

Le temps fonctionne comme un dénominateur commun aux deux autres catégories. Il


permet de comprendre la pluralité des agencements constitutifs de cette construction
sociale nommée « territoire ». De plus, il est incontournable pour saisir le lien social que
représente le travail. Ce dernier, comme l’affirme fort justement Bidet, est la « recherche
d’un résultat dans le moindre temps » (Bidet, 1995 : 245).

Le territoire ne se résume pas à « la sphère des cheminements et des représentations de


l’individu » (Di Méo, 1998b : 53) ; il est à la fois espace social, politique, de vie et de
travail, et espace vécu, de représentation que les individus s’en font ; il est de nature
éminemment sociale, même s’il est imprégné par la psyché individuelle34.

33 Je participe en tant qu’économiste au séminaire interdisciplinaire « Savoirs et Textes »,


coordonné par J.-M. Salanskis (philosophe à l’Université de Lille III, UMR 8519), Ph. Gervais-
Lambony (géographe à l’Université de Nanterre) et de l’équipe, coordonnée par ces deux
enseignants-chercheurs, chargée de la préparation d’un colloque sur l’espace dans les sciences
sociales. Une publication est prévue à terme.
34 Un seul exemple emprunté à la réalité amazonienne et rapporté par une anthropologue du
Musée Goeldi de Belém en témoigne : le pêcheur sait parfaitement délimiter son territoire sur le

76
La prise en compte du temps dans l’analyse permet de dépasser l’approche néoclassique
de l’économie spatiale, qui ne lui rattache aucune connotation sociétale. En fait, la
dimension spatiale du territoire s’avère moins prégnante que sa dimension sociétale.
Pour reprendre la formulation de Marié, « l’espace a besoin de l’épaisseur du temps, de
répétitions silencieuses, de maturations lentes, du travail de l’imaginaire social et de la
norme pour exister comme territoire » (Marié in Di Méo, 1998b : 56). Le territoire n’est
pas producteur uniquement de totalité, d’uniformité, il produit aussi de la pluralité, de
la différenciation, dont font état les économistes à travers l’importance qu’ils
reconnaissent à la division du travail, qu’elle soit internationale, régionale ou territoriale
(Araújo, 1979 ; Guimarães, 1989). Force est de convenir que « la dimension économique
des médiations territoriales joue un rôle à la fois essentiel et effacé » (Di Méo (1998b : 58).
Essentiel, parce qu’à tout moment elle peut décider de « le créer ou de l’anéantir » ;
effacé, parce que les sociétés dans lesquelles les dimensions politique et idéologique sont
importantes tendent à s’extraire de l’emprise de la sphère économique ou en sont moins
tributaires. Ceci revient à reconnaître à la fois l’importance des médiations économiques
et, par conséquent, le poids du global dans le local, mais en revanche le discours
identitaire, produit en interne dans le territoire, freine les déterminations globales et
laisse au local une marge de manœuvre. Le mouvement est à double sens. En outre, les
médiations territoriales ne doivent pas leur spécificité à la seule sphère économique, le
poids du politique est important. Leur inscription temporelle participe de leur
consolidation.

Cependant, le seul discours politique ou identitaire n’est pas toujours suffisant pour
contrecarrer les aléas provenant de la sphère économique. Ce constat, nous avons pu le
faire, dans le Vimeu où le discours sur la spécificité locale, encore relativement prégnant,
ne permet pas d’enrayer la perte de vitesse évidente de ce système de production
localisé. Si l’on a pu autrefois considérer le Vimeu comme un « territoire », voire comme
un district industriel à l’italienne, ce n’est plus le cas actuellement, même si pour certains
encore reste le souvenir de son heure de gloire, à présent révolue. Aujourd'hui,
l’utilisation du vocable « Vimeu » dans le discours ne traduit pas une nostalgie
quelconque de la part des élites économiques ou politiques, il représente au contraire,
derrière le paravent d’une « légitimité immuable » (Di Méo, 1998b : 59), l’effort pour que
ce qui reste du territoire ne s’étiole et ne disparaisse à jamais. Plus que le fruit de l’action
des acteurs ou entrepreneurs locaux, la veine identitaire est insufflée du haut et ce sont
des instances locales, régionales et nationales qui décrètent l’installation officielle d’un
« district industriel ». Ils pensent de la sorte reproduire l’expérience italienne, sauf que
dans le cas de l’Italie –de la « Troisième » ou plus récemment de la Vénétie- les choses ne

fleuve. Même par une nuit sans lune il arrive parfaitement à faire la distinction entre « son »
territoire et celui de son voisin.

77
se sont pas bien passées ainsi. L’absence de l’émergence d’un entrepreneuriat vimeusien
l’atteste. Les centres de décision tendent de plus en plus à échapper aux acteurs locaux.

Pour répondre à la question de l’articulation entre les formes d’organisation du travail et


les formes d’organisation territoriale, je propose de considérer le travail sous l’angle de
la division du travail, déclinée sous sa double forme, sociale et territoriale. Ce
cheminement intègre la dimension temporelle à l’analyse.
Je pars du présupposé que les médiations économiques et les médiations sociétales
trouvent dans la division du travail un lieu privilégié d’expression. Nous avons pu le
constater dans le cas du district industriel de Lumezzane (Azaïs, 1999c). Le quotidien du
travail en usine et la représentation que les acteurs locaux se font du travail industriel est
à l’origine des transformations du territoire productif et de l’éclatement du territoire de
vie. Si le système a pu fonctionner autrefois et que l’on a par ce biais-là expliqué
l’émergence de districts industriels en Italie, c’est, toutes proportions gardées, le même
phénomène qui se produit aujourd’hui. Seuls les résultats divergent : à l’émergence d’un
entrepreneuriat local dans les années 50-60 et à la constitution de territoires sui generis
fondés sur un projet de vie de la part de ses protagonistes (les « immigrés » du Sud de
l’Italie) a succédé une reconfiguration des territoires, la disparition de certains, l’éclosion
d’autres et l’apparition de nouvelles forces sociales, politiques et économiques. Les
individus d’aujourd’hui n’ont plus les mêmes désirs que leur aînés, l’accession à
l’entrepreneuriat –synonyme de conditions de travail difficiles- ne faisant plus toujours
recette. Le territoire risque fort à terme de s’étioler (Azaïs, 1999c : 811-813, cf. encadré).

« (…) dans les années 1950, l’“ émigration ” des paysans du sud de
l’Italie a joué un rôle central dans la constitution d’une classe de petits
entrepreneurs dans le nord industriel (…) Les années passant, une
partie de cette population d’extraction rurale arrivait à se convertir en
petit entrepreneur et à promouvoir un développement extensif du
territoire, se concrétisant par un phénomène d’essaimage de petites et
moyennes industries. La croissance de bon nombre des districts
industriels –et de celui-ci en particulier- s’est faite sur la base d’une
compétitivité-coût, pour laquelle la qualité n’apparaissait pas encore
comme une exigence incontournable (...) Le travail a servi de ciment
identitaire, même si les conditions matérielles de travail y étaient
généralement très dures et les salaires peu élevés. Au cours des
années 90, les bases de reproduction du système ont changé et la
coordination des activités par le travail n’assure plus la cohésion de

78
l’ensemble productif. Celle-ci trouvera sa prégnance dans la sphère
politique et dans l’oubli des racines originelles : les anciens
« immigrés » des régions méridionales ne manifestent pas le désir de
retourner au « pays » à l’âge de la retraite. Leur « pays », c’est bien
Lumezzane. Les plus jeunes sont nés sur place et n’ont pas de raison
majeure de quitter leur lieu de résidence (...)
L’immigré des années 90 n’est plus citoyen italien, il est “ extra-
communautaire ” et ses marges de manœuvre se sont sérieusement
réduites. Interdiction lui est faite d’immigrer avec sa famille. Parfois
plus qualifié que les autochtones il ne peut prétendre s’établir de
façon durable dans la région à l’instar de ce que ses collègues italiens
des années 50 ont fait et il reste soumis aux tâches les plus pénibles et
aux horaires de travail les plus extensibles (...) S’il arrive à accumuler
quelque pactole, il ne le réinvestit pas sur place mais l'envoie à sa
famille, à l’étranger (...) le travail salarié n’apparaît plus comme
producteur d’intégration sociale, il ne participe plus de façon directe
à la construction du territoire (…) Le district industriel ne fournit plus
les conditions optimales aux entreprises, qui quittent la vallée (…) A
terme, la survie du système productif local est en danger, car il n’y a
pas de transmission des savoir-faire aux jeunes générations, l’héritage
ayant tendance à se perdre et le territoire à s’étioler.
La population jeune (…) a perdu l’engouement pour le travail des
métaux dans les usines familiales et a de plus en plus tendance à
préférer au travail posté, aux cadences imposées, un travail plus
indépendant, mieux rémunéré et exercé en marge de tout contrôle
fiscal, même s’il est plus pénible. Les mères, de leur côté, souhaitent
pour leurs enfants une vie différente de celle que leurs maris et elles-
mêmes ont connue : longues journées de travail dans des métiers
dangereux et non reconnus socialement, absence de vacances… Que
s’est-il passé ? Si, dans les années cinquante, la recherche de ce type
de travail en usine ou dans de petits établissements industriels,
malgré les mauvaises conditions de travail (insalubrité, danger,
longues journées, etc.) qui le caractérisaient, pouvait s’expliquer par
le fait que les individus nourrissaient le projet secret de s’installer à
leur compte et donc d’accéder au statut envié et possible encore à
l’époque d’entrepreneur, dans les années 90, le contexte économique
et socio-politique ayant changé, une telle perspective n’alimente plus
l’imaginaire des jeunes (…), les travailleurs moins qualifiés ont un

79
désir plus grand de “ s’en sortir autrement ” que par le travail salarié,
ce qui les pousse à échafauder des situations de rechange (...) Plus
que reflet d’une évolution passagère, il dénote une évolution des
mentalités et peut présager de modifications radicales dans le
système productif. Le territoire doit s’adapter à l’évolution de la
perception du travail que se font les individus et proposer, à travers
ses instances régulatoires, des solutions de rechange pour perdurer
(Azaïs, 1999c : 811-813).

L’exemple relaté ci-dessus indique clairement que la seule dimension économique –


même élargie- comme l’inscription dans un rapport salarial de type fordiste, par
exemple, ne saurait traduire dans toute sa complexité l’évolution du territoire. La prise
en compte des désirs des individus, de leur projet de vie ou de leur projet politique de
même que l’histoire du lieu s’avèrent indispensables pour comprendre le territoire et sa
configuration. C’est ce qui me conduit à affirmer que le temps apparaît comme un outil
incontournable ; il aide à saisir la nature complexe et multiple du territoire. C’est lui
aussi qui autorise le passage de la division sociale du travail à la division territoriale du
travail.

3.3.1. Temps, division sociale du travail et division territoriale du travail

En suivant Braudel, on peut affirmer que deux types de temps règlent les phénomènes
humains : d’un côté, un temps long, qui s’apparente à la tradition, aux coutumes ; il
constitue le ciment identitaire d’un peuple, d’une communauté sur un espace et, de
l’autre, un temps court, représenté par les pratiques sociales des individus qui vivent sur
un territoire et le font et qui peut même contribuer à construire l’identité.

Le premier est une abstraction en ce sens où il est succession ; le second, marqué par les
événements, est simultanéité et, de ce fait, il est le temps concret, celui de la vie de tout
un chacun et du groupe ; il reflète également le processus de construction permanente,
fruit de l’action des individus, des « groupements économiques » et des institutions.

Le temps historique se rattache aux grandes périodisations de l’histoire officielle,


ponctuée par les changements de la division du travail, qui, à leur tour, ont un impact
sur l’organisation du travail.

80
Le temps « simultané » est celui qui réunit tout le monde, avec ses multiples usages de
l’espace, avec ses diverses potentialités, liées à différentes possibilités d’utilisation de
l’espace par les individus (Santos, 1997 : 114). Il se rapporte aux actions, aux pratiques
des individus, en ce sens où l’amalgame des événements, « [ce] quelque chose de
nouveau, [cette] histoire neuve » (Santos, 1997 : 104), est à l’origine des situations, créées
par les hommes dans la construction de leur histoire. Si maintenant l’on considère que
« à travers leur réalisation concrète, les événements sont localement solidaires, et les
situations sont les résultantes de leur réalisation solidaire » (Santos, 1997 : 116), alors il
s’avère plus facile de concevoir l’interdépendance comme étant un dépassement de la
dichotomie « local-global » ou « individuel-universel ». Universel et individuel
deviennent dès lors l’expression de l’interdépendance et de la simultanéité des
événements. Les niveaux mondial et local sont conjointement nécessaires à la
compréhension du monde et du lieu. Parce que le lieu « reçoit » les pratiques sociales
des individus, il acquiert la qualité de territoire. Celui-ci ne devient totalité que par le
biais du discours, car en fait il est constitué d’éléments pluriels et est en voie permanente
de totalisation. Les événements contribuent à la cristallisation et lui sont même
indispensables, mais ils ne sont pas suffisants, car s’apparentant à un processus en
construction, le territoire n’est pas une réalité définitive et immuable. Il peut apparaître
soudainement, ainsi que l’attestent les invasions urbaines dans les villes du Tiers-Monde.
En une nuit un « quartier » peut se former susciter des actions revendicatives de la part
de ses nouveaux habitants. Un « territoire » est né.

A ne considérer que le temps long, on obtient une appréhension absolue de la totalité. Le


risque alors est de ne la saisir que superficiellement. Pour éviter cet écueil, toute lecture
du territoire doit aussi considérer le temps court, comme étant fait de moments qui
reflètent l’atomisation de la totalité, et c’est précisément cette atomisation qui fait la
richesse du territoire.

Cependant, le temps court, qui concerne les actions des individus, se démultiplie à son
tour en un temps rapide et un temps lent. Cette déclinaison n’est pas spécifique au
territoire. On a vu son utilité dans la caractérisation du sous-développement, qualifié
d’apparition des événements dans un temps très court (Mathias ; Salama, 1993) ou
même dans celle des activités informelles. Il n’est pas non plus l’apanage des sociétés
sous-développées. Il a tout simplement pris de nos jours une acuité particulière avec
l’utilisation des NTIC qui pose le problème de la déterritorialisation des activités
économiques et de leur reterritorialisation immédiate, l’exemple du télétravail étant
symptomatique (Poirier ; Rallet, 1998).

Nous avons posé la question de l’impact doublement territorialisant et déterritorialisant de


la globalisation en soulignant en fait qu’elle est davantage génératrice de différenciation

81
que d’uniformisation. Nous voulions signaler que le mouvement n’est pas à sens unique
et défini une fois pour toutes, ce qui méthodologiquement conforte la nécessité d’une
approche se situant à la confluence de l’individualisme et du holisme (Azaïs ; Corsani,
1998a : 55-57, cf. encadré).

« La globalisation : entre déterritorialisation et reterritorialisation

[…] « la compétitivité dépend toujours plus des niveaux de coopération


sociale productive immatérielle et de la force des réseaux culturels,
sociaux et productifs qui caractérisent un territoire. C'est en ce sens que la
globalisation ne peut être appréhendée comme processus linéaire de
"déterritorialisation".
En fait, l'interaction des stratégies d'entreprises et des réseaux de
production structurés par la communication sociale redessine de
nouveaux territoires dans un processus complexe de déterritorialisation et
de reterritorialisation : alors que les infrastructures se déterritorialisent, les
flux se reterritorialisent. Si la caractéristique de la firme fordiste était de se
situer "au-dessus" du territoire, c'est-à-dire de ne maintenir avec lui que
des rapports ténus, tant que la réduction des coûts de production et de
main-d'œuvre s'avérait possible ; à présent, on assiste à un véritable
recentrage des entreprises et à la constitution de noyaux –cœur à partir
duquel se fait la restructuration productive » ( : 55-56). [...].
Le territoire n'apparaît pas seulement comme somme de lieux, il a des
limites, certes, mais il se dispose à la fois en concentricité et en excentricité
par rapport à un noyau central -nœud du réseau, pourrait-on dire. Le
territoire ne se réduit alors pas forcément à un lieu géographique précis. Il
y a de la distance entre le centre et ce qui est en excentré, mais cet excentré
est une ramification du centre, dépend de lui ou en est un appendice où
s’exercent des rapports de pouvoir, d'allégeance. Il s'en suit que la
territorialité, c’est-à-dire la formation d’espaces construits historiquement
et symboliquement, régulés par des rapports de pouvoir et vécus par des
populations, devient plus ou moins stable. Les relations qui s’y nouent ne
sont pas immuables. De manière plus explicite, ce n'est pas parce qu'une
entreprise va quitter le lieu géographique de son implantation première,
pour aller puiser ailleurs des externalités positives que son territoire
d’origine ne lui donne plus, et va s'installer dans une zone plus propice -
offrant, par exemple, une meilleure facilité d'accès ou de débouchés à ses
produits ou des infrastructures plus adéquates (qui optimisent sa fonction

82
de production, diraient certains)- qu'elle va se couper de son appartenance
au territoire d’origine et ne pas le faire bénéficier même indirectement de
son nouveau rôle de "passager clandestin", là où elle vient de s'implanter.
Des relations d'un type nouveau peuvent s'instaurer (sous forme de sous-
traitance ou de partenariat dans le meilleur des cas), correspondant à la
mise en valeur des connaissances et des savoir-faire locaux, qu’ils soient
tacites ou non. Toutefois, un tel processus n'est pas garanti et ce n'est pas
parce qu'une entreprise locale a quitté un territoire qu'elle va maintenir
avec lui des liens. Elle peut très bien ne plus y trouver une source de
création de valeur tout comme ne plus lui insuffler une dynamique,
génératrice de croissance, qui le tirerait vers le haut. Les sentiments, si
souvent énoncés dans la littérature sur les districts, d’appartenance, de
confiance ou d’enracinement local se trouvent quelque peu bousculés. Le
divorce est alors consommé entre l'entreprise et son environnement
d'origine, elle s'en détache » (Azaïs ; Corsani, 1998a : 56-57).

L’étude de la division du travail illustre l’inscription dans un temps multiple. Celle-ci


s’inscrit dans un univers temporel complet. Elle oblige à considérer à la fois la
périodisation historique et les « événements », c’est-à-dire le temps long et les temps
courts. Elle concerne aussi bien la totalité que les processus qui participent de son
élaboration. A ce niveau-là, le terme de « temporalité », en tant qu’interprétation
particulière du temps social par un groupe, est préférable à la dénomination « temps
court ». De telles considérations sont inscrites en filigrane dans la lecture de l’articulation
entre les formes d’organisation du travail et les formes d’organisation du territoire
(Azaïs, 1999c).

Considérer la division du travail comme lieu d’expression d’un temps multiple, aide à
percevoir le territoire comme totalité en perpétuelle construction. Sur le territoire
s’expriment la division du travail et la « solidarité »35 (Durkheim), non pas celle que
nous a léguée Adam Smith, ni non plus celle des moralistes, mais celle qui fait état des
interactions individuelles, qui sont à l’origine du processus de socialisation. L’on
parvient ainsi à dépasser toute vision éthique de la société et à faire en sorte que le
« partage des valeurs communes », cher aux districtologues, n’ait plus sa raison d’être car,
s’agissant le plus souvent d’un discours construit, il ne correspond pas à la réalité mais

35 « Les services économiques qu’elle peut rendre [la division du travail] sont peu de chose à côté
de l’effet moral qu’elle produit, et sa véritable fonction est de créer entre deux ou plusieurs
personnes un sentiment de solidarité. » (Durkheim, 1986 : 19). Pour Durkheim « moral » et
« social » sont synonymes.

83
la travestit36. A ce titre, Grossetti illustre bien les dérives des analyses qui ont tendance à
confondre les relations interindividuelles avec la présence de normes ou de règles
locales spécifiques, qui, elles, sont d’ordre collectif (Grossetti, 1999 : 5). Toutefois, le
mérite des districtologues est d’avoir pointé, sans cependant l’avoir expliqué de façon
convaincante, le lien existant entre la division sociale du travail et le phénomène
territorial, puisque d’aucuns font l’hypothèse fort judicieuse que les districts industriels
fonctionnent selon le modèle de la firme fordiste ; les différentes entreprises locales
joueraient le même rôle que les ateliers d’une firme traditionnelle (Corsani, 1998).

Durkheim s’oppose aux thèses qui, comme celles de Marx, considèrent la division du
travail comme facteur d’affrontement, et à celles des économistes classiques qui y voient
une source de progrès économique. Dans De la division du travail social (1893), il analyse
de façon générale l’évolution des rapports sociaux, et voit, dans les formes
contemporaines de division du travail, une autonomisation complexe et contradictoire
des rapports entre individu et société, sans prendre parti sur les effets de cette division
du travail. La division du travail « crée entre les hommes tout un système de droits et de
devoirs qui les lient les uns aux autres d’une manière durable [...]. [Elle] donne naissance
à des règles qui assurent le concours pacifique et régulier des fonctions divisées. La
division du travail ne met pas en présence des individus, mais des fonctions sociales »
(Durkheim, 1986). Chaque société produit des formes différentes de solidarité sociale ; la
période contemporaine voit émerger une solidarité organique contractuelle, ce que l’on
peut vérifier sur le plan de la nature du contrat de travail et de son évolution récente
(Barbier ; Gautié, 1998).

Le passage de la division du travail à la division territoriale du travail n’est pas que


l’œuvre de l'espace ; c’est aussi celle du temps entendu selon les deux conceptions
évoquées ci-dessus.
La première, celle qui se rattache au temps historique, indique que des divisions du
travail se succèdent et entraînent avec elles des transformations, voire des ruptures dont
il faut rechercher l’origine et analyser les conséquences sur les lieux de leur incidence.
La seconde conception du temps –celle de la simultanéité- permet de reconnaître les
divisions du travail superposées en un moment historique donné, en un lieu donné.
L’acception est davantage géographique. Les nouvelles divisions du travail se
superposent, s’imbriquent dans celles qui existaient déjà, dans des lieux connaissant des
temporalités diverses (Santos, 1997 : 98).

36 Je n’en nie pas pour autant la fonction légitimatoire.

84
Chaque division du travail s’inscrit dans un temps qui lui est propre et qui est différent
du temps précédent. En recevant la marque des divers agents sociaux, le temps devient
concret et perd en abstraction. En outre, tout groupe social possède sa propre
temporalité et, de par ses pratiques sociales, il l’imprime sur chaque lieu. La
combinaison de ces différentes temporalités forme la matrice de la division territoriale
du travail et donne consistance à la notion de « territoire de vie ».

Dès lors, l’idée d’hétérogénéité des territoires, provoquée par la division du travail, fait
sens. Chaque lieu reçoit à tout moment des impulsions de l’extérieur, certaines le
touchent plus que d’autres et contribuent à forger son individualité par rapport aux
autres lieux. De même, les entreprises réagissent différemment aux stimuli du marché ou
de l’Etat et, par leur inscription dans diverses formes de division du travail, tendent à
insuffler une nouvelle donne à la division territoriale du travail. Ceci ne se fait pas sans
conflit, car les intérêts des acteurs en présence sont souvent divergents.

Ainsi la division territoriale du travail renvoie-t-elle à deux formes de temps : une, qui
est le produit de la division du travail considérée d’un point de vue générique ; elle
représente pour chaque époque une sorte de règle, de modèle dominant pour les
éléments venus de modes de production antérieurs et une autre, qui est représentée par
les temporalités diverses constitutives de la spécificité du territoire qu’illustrent les
formes d’organisation du travail par l’impact qu’elles ont sur le territoire. La division
territoriale du travail se situe à la confluence de ces deux types de temps. Pour éviter le
piège de l’abstraction du temps long il est possible, d’un point de vue méthodologique,
de le découper en périodes et sous-périodes. Cela contribue à affiner la perception de la
division territoriale du travail et semble être en adéquation étroite avec une perspective
de méso-analyse.

La division du travail examinée dans sa dimension temporelle contribue à peaufiner la


lecture du territoire et in fine à le différencier radicalement de la vision économiciste de
l’espace. Ceci m’amènera à le concevoir à la fois comme lieu de production de richesse,
lieu de travail et lieu de vie. Ces trois dimensions me semblent indissociables. Elles font
appel, certes, à diverses sciences sociales, ce qui, malgré les difficultés théorique et
méthodologique, constitue la richesse de cette approche. C’est la gageure que je me suis
fixée.

Des exemples pris dans la réalité illustrent l’idée selon laquelle ce sont les différentes
temporalités qui permettent de glisser de la division sociale du travail à la division

85
territoriale du travail. L’examen de l’articulation entre les formes d’organisation du
travail et les formes d’organisation du territoire rend cette opération possible.

3.3.2. Formes d’organisation du travail et formes d’organisation des territoires

L’hypothèse de départ est que plus les ruptures sont grandes –importation d’une
nouvelle forme d’organisation du travail pour les entreprises et son placage sur le
territoire, plus nette sera la rupture entre l’ancienne ou les anciennes et la nouvelle
division du travail. Les expériences des maquiladoras au Mexique (Marques-Pereira,
1997a), celle de l’implantation d’une grande unité industrielle dans un espace vierge au
Brésil (Azaïs, 1999c, 2000a) servent d’exemple ; elles illustrent les profonds
bouleversements de la structure locale originelle.
Inversement, dans les zones où les innovations techniques et sociales sont moins
marquées, des divisions du travail concurrentes se superposent jusqu’à ce que l’une
l’emporte, à moins que –et les territoires de la ville et plus encore ceux de la métropole
sont là pour le prouver- différentes formes de division du travail ne s’agencent (Azaïs ;
Corsani et al. 1999 ; cf. encadré) et ne fonctionnent comme des facteurs de réduction
d’incertitude (Veltz, 1996) et producteurs d’externalités. De tels phénomènes sont
rarement perçus par les individus au moment de leur émergence, un recul dans le temps
étant nécessaire pour gagner une visibilité, ce qui n’est pas sans rappeler la « tectonique
des territoires » (Lacour, 1993, 1996).

« L'espace de la production de masse, standardisé et anonyme, était


un espace séparé et à la limite déterritorialisé. Dès lors que l’espace
et le temps de production et de vie sont de plus en plus étroitement
imbriqués, la qualité sociale du territoire perçu comme articulant
espace et temps de vie –de par l’agencement des pratiques sociales
des individus qui contribuent à « faire » le territoire- n'est pas
indifférente à la production.

Le territoire n’apparaît plus alors comme simple espace dans lequel


se déroulent les faits économiques et il devient, en tant que construit

86
socio-institutionnel, un élément du « capital fixe » dans la
production de la nouvelle forme et nature de la richesse.

Mais dans le postfordisme, c’est surtout le territoire de la ville qui


joue un rôle central : la ville comme lieu de mémoire, comme lieu de
production de modes de vie et surtout comme ensemble de réseaux
locaux ouverts sur des réseaux globaux ». (Azaïs ; Corsani et al.
1999).

Un exemple, pris à la réalité picarde, illustre ce propos.


La recherche effectuée dans le Vimeu éclaire la première perspective, celle d’un
bouleversement subi(t) de l’ordre établi. En effet, pendant fort longtemps, le système
productif local a fonctionné dans une relative harmonie entre ses différentes
composantes (entreprises locales, moyennes ou petites à capitaux familiaux ou
nationaux, à capitaux industriels ou commerciaux). L’arrivée sur le territoire de groupes
industriels ou financiers -qu’ils soient nationaux ou étrangers, là n’est pas le problème- a
accéléré le passage à une nouvelle division du travail, dont les répercussions sur le
territoire sont brutales, puisqu’elles induisent à terme la perte d’autonomie des
entreprises du tissu industriel local, nombre d’entre elles l’ont d’ailleurs déjà perdue. La
nouvelle donne imprimée par la conjoncture internationale contribue aussi à modifier le
paysage local, faisant en sorte que l’accélération des phénomènes provoque un trouble,
qui se répercute sur l’émergence de nouvelles modalités d’organisation du travail et sur
l’apparition d’une nouvelle organisation territoriale du travail, puisque les agents
locaux, y compris les institutions, de par la médiation qu’elles exercent, se trouvent
directement impliqués. Le territoire est ainsi, en grande partie, devenu territoire de sous-
traitance, soumis aux grands groupes industriels ou de la distribution. Sa marge de
manœuvre est réduite à une peau de chagrin.

De même, lorsque sur un territoire surgit une entreprise, qui se différencie de ses
concurrentes par l’adoption de nouvelles techniques d’organisation du travail, elle tend
à provoquer, à son tour, un remodelage des rapports avec son environnement, qui se
manifeste sous deux formes : soit elle entraîne dans son sillage –à travers son réseau de
sous-traitants ou par effet d’émulation- les autres entreprises et institutions locales, soit
elle se distingue et n’a plus avec le territoire que des relations distendues ou dans le
meilleur des cas sporadiques.

87
Deux exemples en témoignent. Celui d’un équipementier automobile installé dans la
région, qui ne considère le Vimeu que comme « une roue de secours » et qui ne cache
pas que la distance, 50 ou 500 km, n’a aucun impact sur le choix de ses sous-traitants. Ce
n’est qu’en cas de pépin qu’il fait appel à des fournisseurs locaux, fiables, qui ont une
structure financière relativement solide et aussi parce que les expériences antérieures ont
été concluantes et ont généré de la confiance. Les rares entreprises élues, triées sur le
volet, sont susceptibles de le dépanner en quelques heures.
Le deuxième exemple concerne un sous-traitant qui travaille pour les plus grandes
marques automobiles. En quelques années, sous l’impulsion de son directeur, un
personnage haut en couleur, qui n’hésite pas à se présenter en plaisantant comme un
véritable gourou, l’entreprise, en phase ascendante continue depuis quinze ans –elle est
passée de 150 à 500 employés et continue à embaucher- a révolutionné les méthodes de
travail en interne en adoptant des méthodes japonaises d’organisation du travail. Elle
fait figure dans le paysage local d’exception plus que d’exemple, tellement sa gestion de
la force de travail diffère de ce qui se fait alentour. Même si l’appartenance au Vimeu
n’est pas la première préoccupation de cet entrepreneur37, il est clair que le fait d’avoir
une échelle des salaires réduite, grâce à laquelle les « opérateurs » gagnent nettement
mieux leur vie que ce qu’ils gagneraient dans les usines avoisinantes, joue comme
facteur de différenciation. De même, le fait pour les travailleurs de se sentir mieux traités
–ils ont à la fois plus de responsabilités et d’autonomie- a des répercussions sur le
marché du travail local ; l’entreprise a un pouvoir d’attraction sur la main d’œuvre
relativement fort. Le sentiment d’étrangeté par rapport au milieu, non pas parce que
l’entreprise est installée aux confins géographiques du Vimeu, mais parce qu’elle ne
trouve pas sur le territoire les externalités dont elle a besoin, en termes d’environnement
éducatif, de recherche ou culturel, contribue à son isolement. Le territoire géographique
proche ne joue aucun effet d’entraînement. Aux yeux de l’entrepreneur, il n’accomplit
pas son rôle, car il ne lui fournit pas les réseaux indispensables à l’expansion de son
entreprise. C’est la raison pour laquelle il va puiser, aussi bien au sein de « sa famille »
(les employés) qu’auprès de son territoire institutionnel, les externalités dont il a besoin
et qui l’alimentent dans sa recherche d’innovations et de gains de productivité.
A cet égard, sa réaction à l’obligation légale des 35 heures témoigne d’un esprit
quasiment visionnaire : il voit dans le choix fait par les « opérateurs », à qui il avait
confié la résolution du problème, de deux semaines de congés annuels supplémentaires
et leur ventilation décidée (3 semaines en août et 4 fois une semaine par trimestre), la
source de fantastiques gisements de créativité. Il fait la supposition fort judicieuse que,
pendant ces 4 semaines éparpillées au cours de l’année, les individus n’auront pas le
temps d’oublier leur travail et resteront liés psychiquement à l’entreprise. A tête reposée,

37 Au vu de la réponse posée à cette question lors des enquêtes de terrain.

88
chez eux, pense-t-il, les « opérateurs » et commerciaux auront tout le temps de trouver
des solutions aux difficultés rencontrées dans l’usine. Lorsqu’ils retourneront à l’usine,
reposés après une semaine de vacances, ils rendront opérationnelle leur trouvaille,
censée améliorer leur travail au quotidien ; des gains de productivité seront alors
aisément engrangés. L’entrepreneur a ainsi parfaitement intégré le fait que le temps de
vie est de plus en plus perméable au temps de travail, que ces deux dimensions sont
indissociables et constituent la source d’externalités, de gains de productivité et de
création de richesse. Son « ouverture d’esprit » et son « désir de reconnaissance » (sic)
l’ont conduit à animer un réseau national et international d’entrepreneurs ; c’est pour
cela aussi que sans problème il ouvre sans cesse les portes de l’usine à… des chercheurs
et des étudiants de l’UPJV, entre autres ! Cet exemple est l’exception locale et suscite
l’incompréhension de la part des entrepreneurs du voisinage, plus enclins à une logique
de repli sur eux-mêmes.

En fait, la superposition de diverses divisions sociales du travail en un même lieu,


obéissant à des échelles de temps variées et simultanées, est à l’origine de la
différenciation territoriale. Les territoires sont diversement atteints, qualitativement et
quantitativement, par ces temps du monde.

La division sociale du travail, souvent considérée comme la répartition du travail vivant,


devient indissociable de la division territoriale du travail. Division sociale et division
territoriale du travail apparaissent dès lors comme des formes complémentaires et
interdépendantes (Santos, 1997 : 100). Santos y rajoute la division territoriale du travail
mort, car c’est sur les formes naturelles préexistantes et sur le travail inerte, qui a
participé autrefois à la construction du territoire, que vient s’imprimer le travail vivant,
qui a tendance à supplanter les formes naturelles du milieu (Santos, 1997 : 100). Formes
naturelles et formes artificielles sont des virtualités qui interviennent dans le procès de
travail, ce que Marx avait déjà souligné38. L’interrogation sur le rôle du milieu construit,
sur les « rugosités », c’est-à-dire « ce que le passé a laissé comme formes […] ; ce qui est
resté du processus de suppression, d’accumulation, de superposition au cours duquel
les choses disparaissent ou s’accumulent en tout lieu » (Santos, 1997 : 100) et qui
représentent les restes des divisions techniques et sociales du travail passées, confirme le
fait que les territoires ne sont pas des espaces lisses, qu’ils sont faits d’individus,
d’organisations, d’institutions dont les intérêts divergent et se combinent au gré du
temps. Cela rappelle, en outre, que le processus social est le fruit d’héritages, qui vont
générer des potentialités ou conditionner les processus ultérieurs et être, à leur tour, la
condition pour de nouvelles potentialités et de nouvelles pratiques. C’est ce qu’ont fort

38 in Le Capital, T 2, ch. VIII, I.

89
bien assimilé les analystes des districts industriels. Toutefois, même si le « milieu
construit représente un patrimoine », il n’est pas pour autant le seul déterminant.

L’articulation entre les formes d’organisation du travail et les formes d’organisation du


territoire est récurrente dans mon travail de recherche (Azaïs, 1993a : 200-201 ; Azaïs ;
Corsani, 1998a : 53-55 ; cf. encadré).

« L'analyse du rapport entre le travailleur et son environnement renvoie


schématiquement à quatre grands types de configurations qui ne se succèdent
pas forcément chronologiquement.

Le premier, où les sphères de la production et de la reproduction sont


étroitement imbriquées : la fabrique subordonne directement ses travailleurs
dans tous les recoins de leur vie privée. Il n'y a presque pas de distinction
alors entre le travail et le hors-travail. Le modèle est celui du capitalisme social
ou du paternalisme, de la « manufacture-avec-ville-ouvrière » la fabrique y
contrôle non seulement la production mais aussi la sphère domestique de ses
travailleurs par tout un réseau disciplinaire d'institutions sociales créées sous
l'égide d'un patron paternaliste : l'Etat, quant à lui, n'intervient que de façon
restreinte et marginale dans la reproduction des travailleurs.

Dans le deuxième, que l’on pourrait caractériser comme étant celui de la


grande industrie fordiste, les sphères de la production et de la reproduction
sont nettement différenciées, le capitaliste n’intervient pas directement sur la
vie du travailleur. Les parois de l'usine sont opaques en ce sens que l'industrie
structure la ville qui se constitue alentour ; la structure urbaine s'adapte aux
exigences de la manufacture et l'Etat intervient dans la reproduction de la
force de travail. Avec la crise du fordisme, c'est à la fois la centralité de l'usine
au niveau du procès de production qui est remise en cause et l'usine comme
modèle de fixation spatiale (l'habitat) ; ceci préfigure la tendance à
l’épanchement de l'organisation sociale du travail dans la ville au fur et à
mesure que l'usine se diffuse sur le territoire.

Le troisième modèle est celui de l'industrie diffuse ; la ville pénètre l'espace de


la fabrique (le plus souvent petite) ; les murs qui la séparent de la ville sont
transparents ; il n'y a pas de séparation nette entre la production et la
reproduction, l'imbrication travail/hors-travail y est fort présente et explique

90
en partie les succès et les échecs de ces unités productives, reposant en grande
partie sur l’exploitation des travailleurs. La lecture souligne le caractère
convivial des rapports qui s'instaurent entre les membres d'une même
communauté ou au sein d’un district industriel. L'Etat n'est sollicité qu'en
dernier recours aussi bien en ce qui concerne l'organisation de la production
que la reproduction de la force de travail. La législation du travail y subit
souvent des entorses.

Enfin, un dernier modèle se caractérise par l'hétérogénéité des formes de


gestion de la main-d'œuvre et des rapports sociaux et c'est dans la
différenciation qu'il puise sa richesse. L'espace de production peut paraître
géographiquement éclaté mais en fait la proximité physique et géographique
continue de jouer un rôle essentiel dans la mesure où la production doit être
en prise directe avec les consommateurs ; il convient de parler d'espace
recentré et non uniforme » (Azaïs ; Corsani, 1998a : 53-55).

Pour mener à bien cette discussion l’évocation du temps est cruciale, car il illustre
l’imbrication entre les sphères du travail et productives et la structuration des
territoires ; il contribue à faire du territoire un objet d’analyse à part entière, et non pas
un « territoire-point », à la manière dont le courant néo-classique l’a perçu dans ses
premiers écrits.

Thompson illustre magistralement la façon dont le temps de l’horloge l’a emporté sur le
temps des moissons et a définitivement scandé les activités humaines et les formes
d’organisation du travail. Il a contribué pleinement à l’essor du capitalisme (Thompson,
1979). De même, une abondante littérature a montré pourquoi dès lors qu’il a été
question de travail capitaliste et d’imposer une discipline à la force de travail, la mesure
du temps s’est avérée indispensable. Le temps du travailleur est ponctué d’obligations
sociales –ce que nous ont raconté à la perfection les nombreux écrits sur le paternalisme
social, symbolisé par l’image de la fabrique avec ville ouvrière (Lopes, 1988 ; Piore ;
Sabel, 1989). Or, il existe plusieurs sortes de temps et les divisions sociale et territoriale
du travail se rapportent à des temps différents.

Si « la logique du travail est celle de l’économie du temps » (Bidet, 1995 : 245), alors les
préceptes enseignés par Taylor, Ford ou Ohno en ce qui concerne l’organisation du
travail confortent cette définition. En effet, que l’on fasse référence au taylorisme, au
fordisme ou au toyotisme, le lien qui unit ces formes d’organisation du travail est le

91
temps, un temps qu’il convient de domestiquer. Temps des hommes, dans le premier
cas. On se rappelle, à ce propos, les préceptes de Taylor adressés aux directeurs d’usine
ainsi que les conseils pour déjouer à la fois la « flânerie naturelle » des ouvriers –envers
laquelle il reconnaît ne pas pouvoir grand chose- et leur « flânerie systématique », qui est
volontaire, délibérée et contre laquelle il faut à tout prix lutter car elle symbolise leur
résistance au travail à la chaîne.

Quant à Ford, on se remémorera, outre le fameux texte « Time is money » (Ford, 1926),
que sa principale préoccupation restait celle de contrôler le temps, non pas celui des
hommes, mais plutôt celui des machines, préfigurant ainsi le toyotisme, ce qui conforte
l’idée selon laquelle on n’est pas en présence d’un nouveau paradigme d’organisation
du travail, comme le prétend Coriat (1991), mais bien d’un continuum organisationnel, la
conjoncture macroéconomique ayant changé.

Aujourd’hui, ce qui caractérise le travail pour un individu, c’est le fait de ne pas


s’inscrire dans la continuité, soit parce qu’il est précaire –et la réalité ne nous en donne
que trop d’exemples-, soit parce que, étant donné la multiplicité des formes de mise au
travail, on ne rencontre pas un mode de rapport salarial unique puisque les trajectoires
de travail des individus n’obéissent pas à un parcours tracé au préalable et immuable
(Bouffartigue ; Eckert, 1997). Le cycle de travail d’un individu dans les pays sous-
développés, on l’a vu, est en dents de scie, partagé entre des périodes d’inactivité ou
d’emploi dans les activités formelles et les activités informelles ; c’est cet apprentissage
que sont en train de faire nombre d’individus dans les pays développés, même si les
termes ont changé et que l’on ne parle pas à leur propos d’activités informelles, mais
plutôt d’activités précaires. La nature même du contrat de travail évolue (Supiot, 1998),
ce qui a pour effet d’interpeller à la fois le droit et l’économie du travail, lorsque sont
posées, par exemple, les questions : travail versus activité ou lorsque l’on tente
d’assimiler le contrat de travail à un contrat commercial (Gaudu, 1998 ; Chaumette,
1998). C’est la nature même du rapport salarial qui se modifie. L’approfondissement de
cette question devient nécessaire à partir du moment où l’on pose que le travail est l’une
des clefs pour comprendre les mutations territoriales (Corsani, 1998).

L’analyse du lien entre les formes d’organisation du travail et les formes d’organisation
du territoire retrouve un regain d’intérêt dans les analyses du post-fordisme, qui
insistent sur un bouleversement des temporalités sociales des individus. Les heures de
travail ont tendance à se confondre avec les heures de non-travail, bousculant les
frontières entre temps de travail et temps de vie et faisant de ce dernier l’un des
éléments centraux de la création de valeur. Dès lors, la nature du rapport salarié évolue.

92
On ne peut le restreindre à la seule sphère économique, car il possède toutes les
dimensions du social. « Il ne semble pas être simplement un rapport social dans l’ordre
économique, ou un rapport économique encastré dans le social, mais un rapport
totalement social pouvant ordonner, structurer l’ensemble ou une grande part du social,
comme d’autres rapports sociaux ont pu le faire dans certaines sociétés » (Freyssenet,
1995 : 240). Dans une certaine mesure la sociologie du travail avait compris cela à demi-
mots, lorsqu’elle prône, dès la fin des années 70, la non-séparation entre le travail et le
hors-travail (Erbès-Seguin, 1999, pour ce qui est du cas français et Abramo ; Casassus,
1995 pour le cas latino-américain).

C’est en considérant le travail comme rapport structurant les sociétés et les territoires –
les exemples de Lumezzane et du Vimeu l’attestent-, tout en ne le limitant pas à sa seule
forme « travail salarié », que l’on peut mettre en avant la solidarité, en tant
qu’expression de l’entrelacs d’individus, d’organisations et d’institutions qui partagent
un « devenir » commun39, dont l’assise repose sur les formes d’organisation territoriale
du travail. Ce devenir se présente sous trois aspects principaux : celui de « devenir
homologue, de devenir complémentaire ou de devenir hiérarchique » (Santos, 1997 :
118). Ces trois types de devenir trouvent une expression dans des formes d’organisation
territoriale des activités économiques.

L’exemple du Nord-Est de l’Italie illustre le cas de figure de « devenir homologue ». A


l’instar de ce qui se passe depuis une vingtaine d’années, avec la mise en relief de
contiguïtés fonctionnelles, les districts industriels de cette région sont l’expression d’un
type particulier d’organisation territoriale des activités économiques : les forces
dominantes localement tendent à y être centripètes et contribuent par un processus
cumulatif à la pérennité du territoire. Elles sont inscrites dans des réseaux multiples,
dont le nœud central est contrôlé majoritairement par des acteurs locaux, mais
totalement ouvert sur l’extérieur et non renfermé sur lui-même, n’hésitant pas à faire
appel à des compétences hors-district, si celles-ci viennent à manquer in situ, des
designers, par exemple (Albertini ; Pilotti, 1996). Ces réseaux, constitutifs du système
productif, sont de véritables « entrelacs interactifs entre les différentes réalités locales,
sectorielles, institutionnelles, familiales » (Rullani, 1996).

Par « devenir complémentaire » on entend soit les relations ville-campagne ou ville-


métropole, dans le sens où la ville est vue comme élément central de structuration des
territoires (Azaïs, Corsani et al., 1999), soit les rapports qu’entretiennent des territoires
économiques dont les productions sont étroitement imbriquées –dans un système

39 Qui est différent du « partage des valeurs communes » énoncé plus haut, qui fait référence à la
notion de « communauté », fort critiquée par bon nombre d’anthropologues de par ses relents
conservateurs.

93
colonial, par exemple- ou parce que les matières-premières produites sont
complémentaires (Azaïs, 1999a).

On peut aisément assimiler le territoire où prime un « devenir hiérarchique » aux


territoires dépendants économiquement, les territoires de la sous-traitance « défensive »,
dans lesquels l’autonomie des acteurs locaux est réduite voire nulle. Ils subissent les
stratégies des groupes dominants localement. Seules quelques entreprises ayant adopté
une stratégie de niche arrivent à s’extraire, au moins temporairement, de leur diktat. On
ne saurait, toutefois, s’en tenir à une lecture économique des phénomènes répertoriés. Le
recours à la structure de gouvernance, i.e. la prise en compte de la façon dont les
rapports de pouvoir au sens large s’agencent est essentielle pour saisir la complexité du
système productif. L’analyse de son mode de gouvernance, en « halo », en « noyau » ou
mixte (Storper ; Harrison, 1992 : 274), permet de capter les différentes déterminations à
l’œuvre sur le territoire et de s’intéresser plus spécialement aux réseaux qui le
structurent. Ce qui revient à confirmer la thèse de Veltz lorsqu’il affirme : « alors que la
division du travail mettait l’accent sur la segmentation des process, des tâches, des
fonctions et des qualifications, le problème central n’est plus aujourd’hui comment
diviser, mais comment relier » (Veltz, 1992 : 301). L’enjeu a dépassé le cadre de la firme et
concerne les interrelations des hommes qui font le territoire.

Dès lors, la cohérence fonctionnelle du territoire repose sur l’articulation des réseaux qui
véhiculent un double mouvement, vertical et horizontal. Les verticalités traduisent les
règles et les normes en vigueur sur le territoire considéré ; elles appartiennent au
domaine collectif. Les horizontalités, quant à elles, faisant plutôt référence à la sphère
individuelle, racontent la pluralité des actions et des acteurs ainsi que leurs potentialités.
Toutes deux donnent consistance au territoire et font appel au temps.
Méthodologiquement, cela contribue en partie au dépassement de la dichotomie
« individualisme méthodologique-holisme méthodologique ». La multiplicité des formes
d’organisation territoriale de la production, en district, en réseau, en grande firme, se
nourrissant de la pluralité des expériences individuelles et socio-politiques apparaissent
comme des tentatives de non enfermement dans le local et d’ouverture vers le global,
tout en respectant les déterminations du lieu, considéré dans sa totalité.

L’interrogation sur la totalité sociale –même vue dans sa dimension plurielle- se situe au
cœur de la problématique scientifique des sociologues, qui ne cherchent aucunement à
trouver forcément des régularités dans l’apparition des phénomènes, qui seraient
valables pour toutes les sociétés connues. En ce sens, la conception présentée par Polanyi
(1983) selon laquelle l’économie, la production et le travail peuvent recevoir « des

94
définitions ‘substantives’40 valables pour toutes les sociétés connues : à savoir l’activité
nécessaire à la vie matérielle de l’homme et de la société » (Freyssenet, 1995 : 229) n’est
point satisfaisante, car il cherche dans l’économie le sens de la totalité sociale41. En fait,
plutôt que de rechercher la totalité, il semble plus « prudent et heuristiquement plus
fécond de partir du constat premier de l’existence de rapports sociaux, historiquement
datés, ayant une logique propre ; agis, actualisés et transformables par des acteurs
sociaux que chacun de ces rapports instituent ; coexistant ou s’articulant entre eux ; et
créant des champs sociaux, dont la désignation et les frontières se transforment, en
fonction de la place et de l’importance qu’acquièrent ces rapports sociaux les uns par
rapport aux autres » (Freyssenet, 1995 : 234). La dynamique ainsi créée ne risque pas de
se figer dans une quelconque totalité immuable. Le concept de pluralité s’avère plus
riche car il souligne à la fois la différenciation et l’hétérogénéité.

Ce cheminement est suggéré par Marx lorsqu’il pense « le concept de rapport social
dégagé de toute détermination « substantive », contrairement à ce qu’il avance par
ailleurs pour fonder le caractère fondamental des rapports sociaux de production »
(Freyssenet, 1995 : 234). Le souci d’éviter toute empreinte normative se retrouvera aussi
chez Elias, lorsqu’il insiste sur la continuité des processus, le continuum social, qui
correspond à l’« effort de dénaturalisation et d’historicisation des notions et des réalités
qui nous sont les plus ordinaires ».

Comme le temps fait « partie des instruments d’orientation primordiaux de notre


tradition sociale » (Elias, 1984 : 110) au même titre que l’espace, il s’avère indispensable
pour saisir la complexité sociale. Selon Elias, « ce que nous appelons ‘espace’ se rapporte
à des relations positionnelles entre des événements mobiles que l’on cherche à
déterminer en faisant abstraction de leurs mouvements et changements effectifs ; le
‘temps’, au contraire, se rapporte à des relations positionnelles à l’intérieur d’un
continuum évolutif que l’on cherche à déterminer sans faire abstraction de leurs
mouvements et changements continuels » (Elias, 1984 : 112-113). Si de plus l’on
considère que le temps et l’espace sont des « symboles conceptuels de types spécifiques
d’activités sociales et d’institutions » (Elias, 1984 : 110), représentant deux types de
« positions relationnelles », le temps correspondant à des étalons de mesure mobiles et
l’espace à des étalons de mesure immobiles, il est alors plausible de penser que le
territoire, de par les dimensions d’« activités sociales » (pratiques sociales) et
d’« institutions » qui le caractérisent, s’affranchit de la nature immobile de l’espace et
possède une dynamique propre.

40 La définition substantive du travail reviendrait à "le définir par la nature des activités qu'il est
censé regrouper ou par leur utilité" (Freyssenet, 1995 : 235).
41 Dumont, in Polanyi (1983) « Préface à la Grande Transformation », p. XXVI.

95
L’analyse de l’articulation entre les formes d’organisation du travail et les formes
d’organisation du territoire contribue à affiner l’appréhension de la multiplicité du
territoire. En effet, en cherchant dans la combinaison des différentes formes
d’organisation du travail au sein des firmes, en soulignant les diverses modalités de
mise au travail ou en insistant sur l’importance de la mobilité dans la configuration que
prennent les territoires, comme cela a été le cas dans la recherche sur le Vimeu et
Lumezzane ou dans celle sur le nord du Brésil, on contribue à inscrire le territoire dans
une dynamique. C’est un moyen de se démarquer des approches en termes
d’aménagement du territoire, assimilables à un « développement par le haut » ou de
celles qui insistent sur un « développement par le bas », qui ignorent les déterminations
multiples à l’œuvre sur le territoire, qui proviennent en grande partie de l’acte de travail.
C’est aussi un moyen pour renforcer la thèse selon laquelle ce sont les individus qui de
par leur vécu « font » le territoire, ce qui laisse la place à la prise en compte de la
multiplicité et de la richesse des expériences humaines. Les individus apparaissent dès
lors comme sujets de leur histoire. Une telle perspective conforte la dimension méso et
renforce la nécessité du concours de diverses sciences sociales pour appréhender le
territoire. C’est cette voie-là que je défends.

96
IV- Perspectives et travaux en cours

L’exercice d’« Habilitation à diriger des recherches » n’est pas un exercice facile à mener.
Tout d’abord lorsqu’on se résout à l’écrire à une époque somme toute avancée de son
parcours professionnel, les faits et les expériences se sont accumulés de telle sorte qu’il
est difficile de trouver une cohérence parfaite dans ce que l’on a pu faire ; je ne voulais
aucunement céder à la tentation de travestir les faits pour qu’ils cadrent dans un schéma
linéaire, comme si dès mes premiers pas professionnels je savais que j’allais en arriver là
où je suis parvenu aujourd'hui. Le lecteur s’en serait vite aperçu ; ma formation et mon
parcours professionnel et de recherche, de nature interdisciplinaire, m’auraient
démasqué sans tarder.

Toutefois, dès lors que l’on s’intéresse au territoire et que l’on soutient qu’il s’agit d’une
construction socio-historique, inscrite dans des temporalités diverses, l’approche
multidisciplinaire devient incontournable. En concevant le territoire sous une triple
dimension, à savoir en tant que lieu de production de richesse, lieu de travail et lieu de
vie, différentes sciences sociales sont interpellées.

Pour traiter de la production de richesse, l’analyse se focalise sur les facteurs


économiques, sociaux et institutionnels, qui expliquent la localisation des activités
économiques. Mais elle doit s’étendre aussi à l’étude de la constitution de réseaux ainsi
qu’à celle de la nature et de l’importance des externalités qu’ils génèrent. L’hypothèse
avancée est que dans le capitalisme contemporain ils sont plus importants dans la
métropole que dans la ville. L’approche économique est incontournable ; elle permet de
saisir le territoire comme « lieu de production de richesse ». Aucune science mieux que
l’économie ne peut fournir d’interprétation plus satisfaisante.

Si maintenant l’on prétend s’intéresser à l’évolution du rapport salarial et aux mutations


du travail, l’approche des sociologues devient indispensable et parfait l’analyse du
territoire que fournit l’économie. Dans un tel cas on considère non seulement que le
travail constitue toujours un élément primordial de la structuration des rapports
sociaux, mais qu’en outre il est devenu l’un des éléments de différenciation des
territoires, dans leur recherche de compétitivité (importance de la formation, des
qualifications, analyses théoriques en termes de capital cognitif). C’est ce que j’entends
par « lieu de travail ».

L’analyse du territoire comme « lieu de vie » sous-entend que l’on fasse appel aux
enseignements d’autres sciences sociales. En outre, une telle analyse suppose qu’on le

97
décline sous deux formes, qui correspondent aux dimensions macro et méso, d’un côté,
et micro, de l’autre. Les dimensions macro et méso soulèvent la question de
l’appartenance au territoire, vue sous l’angle double de la gouvernance et de l’ancrage
territorial des firmes (Zimmermann, 1999). La gouvernance informe sur la nature des
pouvoirs et leur dynamique ; elle en appelle principalement à la science politique sans
écarter toutefois la dimension économique (Dupuy ; Gilly, 2000). La dimension micro,
pour sa part, entend le territoire comme lieu de l’expression des expériences des
individus ; elle s’intéresse aux représentations qu’ils s’en font et trouve dans la
sociologie et dans l’anthropologie les éléments nécessaires à sa compréhension (cf. note
36). La combinaison de ces deux grandes formes devrait permettre de saisir les
reconfigurations territoriales d’une manière plus élaborée42.

Dès lors que l’espace et le temps de production et de vie sont de plus en plus étroitement
imbriqués, la qualité sociale du territoire n'est pas indifférente à la production. Ainsi, le
territoire, construit socio-institutionnel, tend-il à devenir un élément du « capital fixe »
dans la production de la nouvelle forme et nature de la richesse.

Travaux en cours

A l’heure actuelle j’ai plusieurs projets en cours. Il y a celui énoncé au chapitre


précédent, qui porte sur l’articulation « temps, travail et territoire ». La réflexion prend
comme base d’appui empirique l’étude de la maquila dans la province du Yucatán au
Mexique, commencée en 1999. Ce projet s’inscrit dans un travail collectif avec des
chercheurs mexicains et français et donnera lieu à la publication d’un ouvrage sur
l’évolution de la question régionale au Mexique à l’aube du XXIème siècle (Pépin-
Lehalleur et al., 2000). La notion de « régionalisme » y est discutée dans la perspective
des changements provoqués par l’inscription de l’économie mexicaine dans l’économie-
monde ; les transformations sont analysées à la lueur des évolutions politiques repérées
principalement dans deux états de la fédération mexicaine. En tant qu’économiste, je
porte la discussion sur les mécanismes de recomposition territoriale dans un état fédéré
qui, jusqu’à récemment monoproducteur, s’est ouvert récemment au capital étranger.

42 Mon intervention à la session « Recompositions territoriales et relocalisations », du Colloque


international « Mondialisation économique et gouvernement des sociétés : l’Amérique latine, un
laboratoire ? », organisé par le GREITD, l’IRD et les Universités de Paris 1 (IEDES), Paris 8 et
Paris 13, à Paris, les 7-8 juin 2000, a été l’occasion de discuter de ces questions. Je les reprendrai à
Crans-Montana au Congrès de l’ASRDLF (Association de Science Régionale de Langue
Française), en septembre prochain.

98
D’un point de vue théorique, j’insiste sur la pertinence de l’objet « territoire », préféré à
celui de « région », car trop connoté dans le cas spécifique mexicain.

En outre, avec deux chercheurs et enseignants du ISYS/MATISSE (Paris I), Antonella


Corsani et Patrick Dieuaide, nous préparons un ouvrage collectif, fruit du colloque que
nous avions organisé en octobre 1998 à Amiens sur le thème « Mutations du Travail et
Territoires ». Cet ouvrage (Azaïs et al., 2000c) ne sera pas une simple compilation des
textes que les participants ont pu produire pour l’occasion, mais il rendra compte
également de l’évolution des débats qu’ont suscités les deux jours de colloque. Sa
publication est prévue pour la fin de l’an 2000. En quelques mots : nous sommes partis
de la constatation que le travail revêt une dimension de plus en plus collective.
Travailler, c’est produire du lien social, de la coopération, en s'informant, en
communiquant, en circulant continûment au-dedans comme au dehors des entreprises.
Devenant de plus en plus incompatible avec les normes d’évaluation et d'organisation
du travail imposées par le rapport salarial fordien, les discussions ont porté, lors du
colloque, sur l’analyse des dimensions cognitives et institutionnelles des processus de
production et de circulation des savoirs et des conditions régissant l'appropriation et la
valorisation des savoirs.

Ma contribution porte sur la difficulté d’interprétation du passage du travail au


territoire. Je propose de peaufiner l’interprétation du rapport « travail-territoire » en
avançant que le territoire est le produit de rencontres mais aussi de tiraillements et de
conflits entre différents acteurs : firmes, Etat, individus, qui ont leur propre mode de vie
et de résolution des problèmes. Dès lors, l’espace le plus adéquat d’analyse de cette
conflictualité constitutive des territoires s’avère être la ville ou, plus encore, la
métropole.
La question posée reste celle des mutations des territoires et de l’émergence éventuelle
de nouvelles architectures des espaces productifs.

Au fur et à mesure des recherches, la ville est apparue comme un laboratoire permettant
d’éclaircir les notions de temps, de travail et de territoire. La question du (des)
territoire(s) de la ville apparaît dans un projet élaboré au sein de l’équipe de l’ERSI, en
199943. Le projet s’intitule : « Mutations économiques et dynamiques territoriales : étude
comparée de territoires européens ». La ville y joue un rôle fondamental : elle est lieu de
mémoire, de production de modes de vie et surtout ensemble de réseaux locaux ouverts
sur des réseaux globaux, productifs entre autres. La ville devient essentielle pour
l’appréciation du territoire. C’est plus particulièrement le lieu privilégié d’interactions

43 Ce projet soumis au Pôle SHS 2, après avoir été approuvé par les experts scientifiques du Pôle
SHS 1 n’a finalement pas été retenu. Nous prétendons le représenter à nouveau en 2000 en lui
apportant quelques modifications, quant aux partenaires de l’équipe, principalement.

99
entre des réseaux qui la rendent mouvante ; elle contribue à faire émerger la spécificité
des territoires qu’elle abrite.

Intégrer la problématique de la ville dans mes préoccupations marque un


infléchissement par rapport à la perspective menée jusqu’à présent. En effet, que ce soit
dans les études sur le textile, les activités informelles ou les systèmes productifs locaux,
la référence au travail industriel a toujours été explicite et, lorsqu’elle ne l’était pas –dans
les analyses théoriques du marché du travail, par exemple, elle était inscrite en filigrane.
Non pas que j’ai totalement délaissé la perspective industrielle –le travail de terrain
effectué en 1999, dans le Yucatán, au Mexique, sur la maquila est là pour le prouver
(Azaïs, 2000b), mais il devient patent qu’il me faut investir de nouvelles pistes, si je veux
être cohérent avec ce que j’ai annoncé dans ce mémoire, sur la perte de centralité du
rapport salarial de type fordiste et la pluralité des formes de mise au travail ; ceci, quelle
que soit la région géographique. C’est à ce titre là que prend toute sa raison d’être le
projet de recherche sur la ville et la métropole, que nous avons préparé au sein de
l’équipe de recherche de l’ERSI.
Ce projet pose comme a priori théorique la distinction entre les dynamiques territoriales
des espaces métropolitains et celles des espaces des villes de moindre importance. Il
s’inscrit dans la suite des réflexions menées auparavant sur le temps et l’imbrication de
temporalités diverses sur des territoires en construction, en déshérence ou en franche
dynamique de croissance. Il n’est pas étranger à celui engagé par ailleurs (Azaïs ;
Corsani, 1999) ; un livre est en préparation, qui reprend les thèmes principaux
développés, principalement par Antonella Corsani et moi-même44, au cours d’articles
déjà publiés45 ou en voie de l’être.

Plusieurs questions ont été soulevées par ce mémoire d’habilitation à diriger des
recherches, qui n’ont reçu que des réponses tout à fait partielles. Soit elles étaient
démesurées et beaucoup trop ambitieuses, soit elles dénotent un certain malaise de la
science économique, qui a du mal à appréhender les mutations en cours et qui nécessite
le recours à d’autres sciences sociales. Elles ne m’en laissent pas moins un sentiment
d’insatisfaction, qui a au moins l’avantage de me pousser à approfondir la réflexion dans
un double sens, à la fois théorique et méthodologique.

Les interrogations de nature théorique

44 Que je tiens à remercier vivement pour la somme de travail effectué dans le cadre de cette
recherche, qui n’aurait pu être menée à bien sans elle.
45 Il s’agit des textes de Corsani et Azaïs (1998) ; des textes de Corsani (1998, 1999) et de celui de
Azaïs (1999).

100
Parmi les constantes que l’on retrouve dans ce travail de recherche, l’analyse du travail
sous ses formes de travail industriel, travail informel, de lien social et ses
transformations dans le capitalisme contemporain. De même l’entreprise est présente en
filigrane dans toutes les discussions, que ce soit dans les recherches sur le secteur textile,
sur l’informel, sur les districts industriels ou sur les systèmes productifs locaux. Lorsque
je traite des formes d’organisation du territoire et des formes d’organisation du travail, je
le fais à partir d’un ensemble de firmes.

L’analyse du politique est venue se greffer à ces discussions socioéconomiques. Celui-ci


est sans cesse replacé dans le contexte de l’entreprise et des relations de travail. Ces
questionnements ont débouché sur la catégorie « territoire », centrale pour
l’interprétation des dynamiques industrielles. Il faut, toutefois, remarquer que les
analyses du territoire ont du mal à se départir d’une vision industrialiste et que la
frontière entre l’économie régionale et l’économie industrielle pour traiter des questions
de développement économique est d’une manière générale poreuse. Les interrogations
récentes sur la ville et la métropole, même si elles ne sont pour l’heure que balbutiantes,
ouvrent des pistes de recherche qui devraient permettre d’avancer dans la réflexion.

Tout ceci concourt à défendre une position pluridisciplinaire, qui m’a conduit à naviguer
entre diverses sciences, empruntant tour à tour à l’économie, la sociologie, la science
politique et la géographie des outils que seule une science ne me donnait pas. Conscient
du danger de me perdre dans des interprétations peu solides en raison de leur
éparpillement dans des corpi théoriques divers, cela me semble toutefois être la seule
voie pour brandir dans toute sa richesse la bannière de la pluralité, objectif que je me
suis fixé.

L’économie, dans ses variantes économie industrielle, économie régionale et économie


du travail, qui sont les trois axes que j’ai choisis, m’offre la possibilité de comprendre
l’évolution des sociétés contemporaines, examinée d’une part sous l’angle de la
localisation des activités économiques et industrielles, puis des firmes. L’horizon
s’élargit avec la prise en compte du territoire et les interrogations sur les réseaux, en ce
sens où ils apparaissent comme des ouvertures au monde, comme le produit
d’interactions et qu’ils retracent les liens sociaux dans leur nature locale ou mondiale, en
prenant soin de ne privilégier aucun des deux niveaux, fidèle à la recherche d’une voie
intermédiaire entre l’individualisme méthodologique et le holisme méthodologique.
Pour ce faire, en combinant les trois catégories « temps », « travail » et « territoire », je
tente de me dégager des approches purement économique, géographique ou
sociologique. La tâche n’est pas aisée car ces catégories sont devenues de moins en
moins faciles à cerner ; elles ont été en quelque sorte pulvérisées par l’évolution du
monde. Pour ce motif, compte tenu de l’« économie-monde », des mutations opérées

101
dans le travail et l’économie par la globalisation financière, la différenciation territoriale,
l’utilisation des NTIC, des désirs des individus et de leur inscription dans des temps
diversifiés, il devient indispensable de piocher dans chaque science, sans pour autant
prendre la totalité de chaque discipline.

Cette constatation provient non pas uniquement d’une lecture des auteurs qui ont
travaillé ces trois catégories séparément mais du travail de terrain, qui m’oblige à
emprunter à divers courants et qui fait que je refuse de me cantonner à un seul. Il s’agit
bien là d’un plaidoyer pour une approche multidisciplinaire, centrée toutefois sur
l’économie.

De la géographie je garderai la discussion sur l’espace et le territoire et ferait mienne la


formule de Raffestin « l’espace, c’est la prison originelle des hommes et le territoire, c’est
la prison qu’ils se construisent » (Raffestin, 1980). Le territoire apparaît comme référent
identitaire, qui s’inscrit dans le temps long sur un espace relativement délimité. Il n’en
reste pas moins qu’il est à la fois le fruit du discours et s’inscrit dans le collectif et
l’espace dans lequel les individus ont des pratiques sociales, donc individuelles.

De la sociologie et de l’anthropologie, même si en ce qui concerne cette dernière, je ne


m’y suis intéressé qu’à la marge, principalement dans sa version anthropologie
économique (cf. les travaux de Morice, les différentes contributions in Cabanes ; Lautier,
1996), j’ai préservé l’analyse des interactions et interdépendances entre individus,
organisations et institutions.

De la science politique, j’ai retenu principalement l’étude du pouvoir dans une optique
de sociologie politique, car elle me permet de comprendre les confrontations entre des
intérêts multiples. L’analyse que j’en fais, couplée la plupart du temps avec une réflexion
sur l’entreprise et le travail, vient renforcer l’approche socioéconomique.

Les interrogations de nature méthodologique

Dans les recherches entreprises, j’ai procédé par tâtonnements pour comprendre les
réalités observées, ne pas me laisser piéger par des a priori et tenter un dépassement de
la pseudo frontière qui sépare l’individualisme méthodologique du holisme
méthodologique. Cette tentative est une constante dans mon travail de recherche, ces
dernières années. J’ai toujours été réfractaire à l’utilisation de modèles tout prêts et aux
déterminismes de quelque ordre qu’ils soient.

Le choix fait de la mésoanalyse s’explique car elle permet de mettre en relief l’expression
des interactions entre les individus ; elle est à l’origine de l’entendement des modalités
diverses d’inscription des individus sur leur territoire de vie et de travail, le tout
consigné dans une perspective historique. Ainsi, ai-je la prétention de procéder à la

102
construction d’une approche qui mette au cœur de l’analyse les rapports économiques et
les rapports sociaux dans leur richesse et leur pluralité. C’est dans cette perspective-là
que s’inscrit cet exercice d’habilitation à diriger des recherches.

Amiens, Paris, Fontenay Saint-Père, La Bouilladisse


juillet 2000

103
V- Bibliographie

Abdelmalki, L. ; Courlet, C., (éds.) (1996). Les nouvelles logiques du développement, Paris,
L’Harmattan, Logiques Economiques.
Abramo, L. ; Montero, C. (1995). “ La Sociología del Trabajo en América latina :
Paradigmas teóricos y paradigmas productivos ”, Revista Latinoamericana de Estudios del
Trabajo, Ciudad de México, ALAST, pp.73-96.
Aglietta, M. (1997). Régulation et crises du capitalisme, Paris, Odile Jacob, nouvelle édition
(1976).
Albertini, S. ; Pilotti, L. (1996). Reti di reti –apprendimento, comunicazione e cooperazione nel
Nordest, Padova, CEDAM.
Amin, A. ; Thrift, N. (1993). « Globalization, institutional thickness and local prospects »,
Revue d’Economie Régionale et Urbaine, n° 3, pp. 405-427.
Amin, S. (1973). Le développement inégal –essai sur les formations sociales du capitalisme
périphérique, Paris, Editions de Minuit.
Aoki, M. (1990). « Towards an economic theory of the Japanese firm », Journal of
Economic Literature, March, vol. 26, 1.
Araújo, T. B. de (1979). La division interrégionale du travail au Brésil et l’exemple du Nordeste,
Thèse de III° cycle, Université de Paris I, Paris.
Archambault, E. ; Greffe, X. (1984). Les économies non officielles, Paris, La Découverte.
Arena R. ; Benzoni, L. ; De Bandt, J. ; Romani, P.-M. (dir.) (1991). Traité d’Economie
industrielle, Paris, Economica, 2° édition.
Arrow, K. (1974). “ Methodological individualism and social knowledge ”, American
Economic Review, vol. 84, n° 2, pp.1-9.
Aubrée, M. (1990). « Les orixás et le Saint-Esprit au secours de l’emploi –deux stratégies
d’insertion socio-économique dans le Nordeste brésilien », in Cahiers des Sciences
humaines, ORSTOM, Paris, vol. 23, n° 2, pp. 245-260.
Aydalot, Ph. (1986). Milieux innovateurs en Europe, Paris, GREMI.
Bagnasco, A. (1988). La costruzione sociale del mercato, Bologna, Il Mulino. Traduction
française : A. Bagnasco, C. Trigilia. La construction sociale du marché, Cachan, ENS, 1993.
Barbier, J.-C. ; Gautié, J. (1998). Les politiques de l'emploi en Europe et aux Etats-Unis, Paris,
PUF.
Baudouin, J. (1991). Introduction à la science politique, Paris, Mémentos Dalloz, 2° éd.
Beccatini, G. (1992). « Le district marshallien : une notion socio-économique », in G.
Benko, A. Lipietz. Les régions qui gagnent, Paris, PUF, pp. 35-55.

104
Beccatini, G. (a cura di) (1987). Mercato e forze locali : il distretto industriale, Bologna, Il
Mulino.
Bellet, M. ; Kirat, T. (1998). « La proximité, entre espace et coordination », deuxième
version, in M. Bellet, T. Kirat, C. Largeron (dir.), Approches multiformes de la proximité,
Paris, Hermès.
Bellet, M. ; Colletis, G. ; Lung, Y. (1993). « Introduction au numéro spécial ‘Economie de
Proximités’ », Revue d’Economie Régionale et Urbaine, pp. 357-361.
Benissad, E. (1984) « L’économie informelle en Afrique », in E. Archambault, X. Greffe.
Les économies non officielles, Paris, La Découverte/Maspero.
Benko, G. (1998). La science régionale, Paris, PUF, Que sais-je ?
Benko, G. . Dunford, M. ; Lipietz, A. (1996). « Les districts industriels revisités », in B.
Pecqueur (ed.). Dynamiques territoriales et mutations économiques, pp. 119-134.
Benko, G. ; Lipietz, A. (dir.) (2000). La richesse des régions – La nouvelle géographie socio-
économique, Paris, PUF.
Benko, G. ; Lipietz, A. (dir.) (1992). Les régions qui gagnent – Districts et réseaux : les
nouveaux paradigmes de la géographie économique, Paris, PUF.
Benzoni, L. (1983). « Le textile une industrie d’avenir », in B. Bellon, J.-M. Chevalier.
L’industrie en France, Paris, Flammarion, Coll. Enjeux pour demain, pp. 87-120.
Berquez, A. (2000). « De la pertinence d’une approche institutionnaliste du territoire »,
5th RSAI World Congress 2000 Regional Science in a small world, Lugano (CH), 16-
20/5/2000.
Berquez, A. (1998). Interdépendances, Externalités et Dynamiques Territoriales, Amiens,
Université de Picardie, Faculté d’Economie et de Gestion, Mémoire de D.E.A..
Bidet, Jacques ; Texier, J. (1995) (dir.). La crise du travail, Paris, PUF, Actuel Marx.
Billaudot, B. (1991). « Les branches et les secteurs », in Arena et al. (dir.) Traité d’Economie
industrielle, Paris, Economica, 2° édition, pp. 207-221.
Billette, A. ; Carrier, M. ; Saglio, J. (1991). Structuration sociale d’un système industriel de
PME : le cas de la région de St-Georges-de-Beauce, Québec, Université Laval.
Blaug, M. (1992). La méthodologie économique, Paris, Economica.
Boissonnat, J. (1995). Le travail dans vingt ans, Commissariat Général du Plan, rapport de
la commission, Paris, Odile Jacob, La Documentation Française.
Bouffartigue, P. ; Eckert, H. (dir.) (1997). Le travail à l’épreuve du salariat –à propos de la fin
du travail, Paris, L’Harmattan.
Boutet, J. (dir.) (1995). Paroles au travail, Paris, L’Harmattan.

105
Boyer, R. (1995) « Le travail comme source du lien social : de l’émergence à la crise d’une
construction sociale », in A. Jacob, H. Vérin. L’inscription sociale du marché, Paris,
L’Harmattan, Logiques Sociales, pp. 88-93.
Cabanes, R. ; Lautier, B. (dir.). (1996). Profils d'entreprises au Sud : pratiques de gestion,
Karthala.
Caillé, A. (1995). « Embeddedness, ordres et contextes», in A. Jacob, H. Vérin. L’inscription
sociale du marché, Paris, L’Harmattan, Logiques Sociales, pp. 22-30.
Calza Bini, P. (1989). « Classes sociales et flexibilité », in M. Maruani, E. Reynaud, C.
Romani (org.) La flexibilité en Italie, Paris, Syros/Alternatives, pp. 51-60.
Camagni, R. (1995). « Espace et temps dans le concept de milieu innovateur », in A.
Rallet, A. Torre (dir.). Economie industrielle et économie spatiale, Paris, Economica, pp. 193-
210.
Camagni, R. (1980). « Teorie e modelli di localizzazione delle attività industriale »,
Giornale degli Economisti, Annali di Economia, Milano, Università Luigi Bocconi, n° 3-4,
marzo-aprile, pp. 183-204.
Capecchi, V. (1992). « Industrializzazione flessibile e modello emiliano: storia
dell’industria mecanica bolognese dal 1900 al 1992”, Actes du colloque “Industrie et
Territoire : les systèmes productifs localisés”, Grenoble, IREP-D.
Capecchi, V. (1989). « Petite entreprise et économie locale : la flexibilité productive », in
M. Maruani, E. Reynaud, C. Romani (org.) La flexibilité en Italie, Paris,
Syros/Alternatives, pp. 271-286.
Cardoso, F.H. ; Faletto, E. (1970). Dependência e desenvolvimento na América latina, Rio de
Janeiro, Zahar. Traduction française : Dépendance et développement en Amérique latine,
Paris, PUF, 1978.
Casassus, C.M. (1981). « Le marché du travail comme niveau d’analyse de la structure de
classes », Sociologie du Travail, Paris, Seuil, n° 2, pp. 230-238.
Chandler, A. D. Jr. (1977). La main visible ou le pouvoir des managers, Paris, Economica,
traduction française 1989.
Chandler, A. D. Jr. (1962). Stratégies et structures de l’entreprise, traduction française Les
Editions d’Organisation, 1972.
Chaumette, P. (1998). « Quel avenir pour la distinction travail
dépendant/indépendant ? », in A. Supiot (dir.). Le travail en perspectives, Paris, L.G.D.J.,
pp. 79-87.
Chevalier, J.-M. (1976). L’économie industrielle en question, Paris, Calmann-Levy.

106
Colletis, G ; Pecqueur, B. (1995). « Politiques technologiques locales et création de
ressources spécifiques », in Rallet et Torre (dir.). Economie industrielle et Economie spatiale,
pp. 445-463.
Colletis, G ; Pecqueur, B. (1993). « Intégration des espaces et quasi-intégration des
firmes : vers de nouvelles rencontres productives », Revue d’Economie Régionale et
Urbaine, n° 3.
Coriat, B. (1991). Penser à l’envers. Travail et organisation dans l’entreprise japonaise, Paris,
Bourgois.
Coriat, B. ; Weinstein, O. (1995). Les nouvelles théories de l’entreprise, Paris, Librairie
Générale.
Cornia, G.A. ; Jolly, R. ; Stewart, F. (1987). L’ajustement à visage humain, Protéger les
groupes vulnérables et favoriser la croissance, Paris, UNICEF-Economica.
Corsani, A. (1999). « Dynamique du salariat et territoire », Cahiers d'économie de
l'innovation, Paris, L’Harmattan, n° 10, pp. 35-52.
Corsani, A. (1998). « Métamorphoses du rapport salarial et dynamiques territoriales : le
cas des districts industriels en Italie », Cahiers d’Economie de l’Innovation, Paris,
L’Harmattan, n°8, pp. 61-83.
Courlet, C. ; Soulage, B., éds. (1994). Industrie territoires et politiques publiques, Paris,
L’Harmattan.
d’Iribarne, Ph. (1995). « La science économique et la barrière du sens », in A. Jacob, H.
Vérin. L’inscription sociale du marché, Paris, L’Harmattan, Logiques Sociales, pp. 31-46.
De Bandt, J. (1995). Postface in A. Rallet, A. Torre (dir.). Economie industrielle et Economie
spatiale, pp. IX-XII.
De Bandt, J. (1991a). « La filière comme méso-système », in Traité d’Economie Industrielle,
chap. 3.5.3, pp. 232-238.De Bandt, J. (1991b). « Les développements et acquis de
l’économie industrielle », in Traité d’Economie Industrielle, chap. 10.2, pp. 887-915.
De Bandt, J. (1978). « La filière textile-habillement : tensions et rapports de force », Actes
du Colloque de l’ADEFI sur Filières Industrielles et Stratégies d’entreprise, Chantilly.
de Bernis, G. D. (1974). « Le sous-développement, analyses ou représentations », Revue
Tiers-Monde, tome XV, n° 57, janvier-mars, pp. 103-134.
Dei Ottati, G. (1994). “Cooperation and competition in the industrial districts as an
organization model ”, European Planning Studies, vol. 2, pp. 463-483.
Demazière, C., (1996). « Du global au local, du local au global. Origine, diversité et
enjeux des initiatives locales pour le développement économique en Europe et en
Amérique », in C. Demazière (éd). Du local au global les initiatives locales pour le
développement économique en Europe et en Amérique, Paris, L’Harmattan, pp.11-49.

107
De Miras, C. ; Roggiero, R. (1990). L’économie informelle en Equateur, Paris, ORSTOM,
les cahiers, n° 13.
de Soto, H. (1987). El otro sendero –La revolución informaI, Bogotá, Oveja Negra.
Traduction française : L’autre sentier – La révolution informelle, Paris, La Découverte, 1994.
Di Méo, G. (1998a). « De l’espace aux territoires : éléments pour une archéologie des
concepts fondamentaux de la géographie », L’information géographique, n° 3, avril, pp. 99-
110.
Di Méo, G. (1998b). « Le territoire : un concept essentiel de la géographie sociale », Les
Documents de la MRSH, n° 7, avril, pp. 49-61.
Dockès, P. (1969). L’espace dans la pensée économique –du XVI au XVIIIème siècle, Paris,
Flammarion.
Doeringer, P. ; Piore, M. (1971). Internal labour markets and manpower analysis, New York,
Sharpe.
Dosi, G. (1988). “Institutions and markets in a dynamic world ”, Manchester School of
Economics and Social Studies, June, 56 (2), pp. 119-146.
Dupuy, J.-P. ; Eymard-Duvernay, F. ; Favereau, O. ; Orléan, A., Salais, R. ; Thévenot, L.
(1989). « Introduction », Revue Economique –l'économie des conventions, Paris, Presses de la
Fondation Nationale des Sciences Politiques, pp. 141-145.
Dupuy, Y. ; Gilly, J.-P. (2000). « Relation salariale et gouvernances des territoires –le cas
des activités spatiales à Toulouse », in Ch. Azaïs, A. Corsani, P. Dieuaide (org.). Vers un
capitalisme cognitif : entre mutations du travail et nouveaux territoires, Paris, l’Harmattan, à
paraître.
Durkheim, E. (1893). De la division du travail social, Paris, PUF, 11ème éd., 1986.
Elias, N. (1984). Du temps, Paris, Fayard.
Erbès-Seguin, S. (1999). Sociologie du travail, Paris, La Découverte, Coll. Repères.
Favereau, O. (1995). « Conventions et régulation », in R. Boyer ; Y. Saillard (dir.). Théorie
de la régulation –L’état des savoirs, Paris, La Découverte, pp. 511-520.
Ford, H. (1992). « Time is money » in Propos d’hier pour aujourd’hui, Paris, Masson, 1926,
pp. 91-99.
Freyssenet, M. (1995). « Historicité et centralité du travail », in J. Bidet, J. Texier (1995),
op. cit., pp. 227-244.
Frydman, R. (1992). « Le territoire de l’économiste : marché et société marchande »,
Revue Economique, vol. 43,n° 1, janvier, pp. 5-30.
Fumagalli, A. (1997). « Lavoro e piccola impresa nell'accumulazione flessibile in Italia",
Altreragioni n° 6, pp. 127-147.
Furtado, C. (1970). Théorie du développement économique, Paris, PUF.

108
Ganne, B. (1992). « Place et évolutions des systèmes industriels locaux en France :
économie politique d’une transformation », in G. Benko ; A. Lipietz (éds.). Les régions qui
gagnent, Paris, PUF, pp. 315-345.
Garofoli, G. (1989). « Modelli locali di sviluppo: i sistemi di piccola impresa », in G.
Becattini. Modelli locali di sviluppo, pp. 75-90.
Garofoli, G. (1992). « Les systèmes de petites entreprises : un cas paradigmatique de
développement endogène », in G. Benko ; A. Lipietz. Les régions qui gagnent, Paris, PUF,
pp. 57-80.
Gaudu, F. (1998). « Travail et activité », in A. Supiot (dir.). Le travail en perspectives, Paris,
LGDJ, pp. 589-602.
Gazier, B. (1998). « Ce que sont les marchés transitionnels », in J.-C. Barbier, J. Gautié. Les
politiques de l'emploi en Europe et aux Etats-Unis, Paris, PUF, pp. 339-355.
Gillard, L. (1975). « Premier bilan d’une recherche économique sur la méso-analyse »,
Revue Economique, vol. XXVI, n° 3, pp. 478-516.
Gilly, J.-P. (1997). « Dynamiques méso-économiques et régulation macro-économique.
Quelques pistes de réflexion », in Ch. Palloix, Y. Rizopoulos. Firmes et Economie
industrielle, pp. 39-54.
Gilly, J.-P. (1991). « L’analyse des systèmes productifs régionaux », in R. Arena ; L.
Benzoni ; J. De Bandt ; P.-M. Romani (dir.). Traité d’Economie Industrielle, Paris,
Economica, 2º édition, pp. 337-355.
Gilly, J.-P ; Grossetti, M. (1993). « Organisation, individus et territoires. Le cas des
systèmes locaux d’innovation », RERU, n° 3, pp. 449-468.
Gilly, J.-P. ; Pecqueur, B. (1995). « La dimension locale de la régulation », in R. Boyer ; Y.
Saillard (dir.). Théorie de la régulation - L’état des savoirs, Paris, La Découverte, pp. 304-312.
Gilly, J.-P. ; Torre, A. (dir.) (2000). Dynamiques de proximité, Paris, L’Harmattan.
Ginsborg, P. (1989). Storia d’Italia dal dopoguerra a oggi - società e politica 1943-1988, Torino,
Einaudi.
Girard, J.-L. (1999). De la théorie des actifs à l’économie factorielle : travail et économie
marchande dans l’économie urbaine, Thèse pour le doctorat en Sciences Economiques,
Amiens, Université de Picardie Jules Verne, 562 p..
Gislain, J.-J. ; Steiner, Ph. (1995). La sociologie économique 1890-1920, Paris, PUF.
Godbout, J. (1990). « Anti-utilitarisme ou anti-intérêtisme ? », Revue du MAUSS, n° 9,
nouvelle série, pp. 116-118.
Godbout, J. ; Caillé, A. (1992). L’esprit du don, Paris, La Découverte.
Granovetter, M. (1995) « La notion d’embeddedness », in A. Jacob, H. Vérin. L’inscription
sociale du marché, Paris, L’Harmattan, Logiques Sociales, pp. 11-21.

109
Granovetter, M. (1985). “ Economic action and social structure: the problem of
embeddedness ”, American Journal of Sociology, vol. 91, n°3, pp. 481-510.
Grossetti, M. (1999). « Une théorie relationnelle de la proximité », communication pour
les Deuxièmes Journées de la Proximité, Toulouse, 19-20 mai, mimeo.
Guimarães, L.N. (1989). Introdução à formação econômica do Nordeste, Recife, Massangana,
FUNDAJ.
Hart, K. (1973). “ Informal income opportunities and urban employment in Ghana ”, in
Journal of Modern African Studies, II, I, pp. 61-89.
Hirata, H.S. (éd.) (1992). Autour du « modèle » japonais – Automatisation, nouvelles formes
d’organisation et de relations de travail, Paris, L’Harmatttan.
Hirschman, A.O. (1984a). “Les effets de liaison dans le développement économique », in
Vers une économie politique élargie, Paris, les Editions de Minuit, pp. 31-55.
Hirschman, A.O. (1984b).“Grandeur et décadence de l’économie du développement ”, in
L’Economie comme science morale et politique, Paris, Gallimard/Le Seuil.
Hirschman, A.O. (1964). La stratégie du développement économique, Paris, Ed. ouvrières.
Hugon, Ph. (dir.) (1980). Secteur informel et petite production marchande dans les villes
du tiers monde, Revue Tiers-Monde, t. XXI, n° 82, PUF, avril-juin.
Jacob, A. (1995). « Emergence de la valeur sociale du travail dans la pensée économique
du XVIII° siècle » in Jacob, A. ; Vérin, H. L’inscription sociale du marché, Paris,
L’Harmattan, pp. 55-70.
Jacob, A. (1994). Le travail, reflet des cultures, du sauvage indolent au travailleur productif,
Paris, PUF.
Jacob, A. ; Vérin, H. (1995). L’inscription sociale du marché, Paris, L’Harmattan, Logiques
Sociales.
Kowarick, L. (1977) Capitalismo e marginalidade na América latina, Rio de Janeiro, Paz e
Terra.
Krugman, P. (1995) « Rendements croissants et géographie économique », A. Rallet et A.
Torre (dir.) (1995). Economie industrielle et économie spatiale, Paris, Economica, pp. 317-334.
Krugman, P. (1991). Geography and trade, Cambridge, The MIT Press.
Lacour, C. (1996). « La tectonique des territoires : d’une métaphore à une théorisation",
in B. Pecqueur (éd.) Dynamiques territoriales et mutations économiques, Paris, L’Harmattan,
pp. 25-48.
Lacour, C. (1995). Préface in A. Rallet, A. Torre (dir.). Economie industrielle et Economie
spatiale, pp. V-VIII.

110
Lacour, C. (1993). « La tectonique des territoires : entre éclatement et intégration », in C.
Dupuy ; J.-P. Gilly (éds.). “ Industrie et Territoires en France ”, La Documentation Française,
Paris.
Lautier, B. (1997). « Les amours tumultueuses de l’Etat et l’économie informelle »,
Contemporaneidade e Educação, mai, n° 1, Instituto de Estudos da Cultura e Educação
continuada, Rio de Janeiro.
Lautier, B. (1994). L’économie informelle dans le tiers monde, Paris, La Découverte, Coll.
Repères.
Lautier, B. (1990). « La girafe et la licorne. Secteur informel et système d’emploi en
Amérique latine (Brésil, Colombie) » in : Lautier, B. et al., Informalité, formation et emploi :
une comparaison entre la Colombie et le Nordeste brésilien, rapport GREITD/CREPPRA,
Ministère de l’Education Nationale, Amiens.
Lautier, B. (coord.) (1990). Informalité, formation et emploi : une comparaison entre la
Colombie et le Nordeste brésilien, rapport GREITD/CREPPRA, Ministère de l’Education
Nationale, Amiens.
Lautier, B. (1987). « Fixation restreinte dans le salariat, secteur informel et politique
d’emploi en Amérique latine », Revue Tiers-Monde, n° 110, avril-juin, Paris, IEDES/PUF,
pp. 347-367.
Lautier, B. ; de Miras, C. ; Morice, A. (1991). L’Etat et l’informel, Paris, L’Harmattan.
Lazzaratto, M. ; Moulier-Boutang, Y. ; Negri, A. ; Santilli, G. (1993). Des entreprises pas
comme les autres - Benetton en Italie, le Sentier à Paris, Paris, Publisud.
Leborgne, D ; Lipietz, A. (1992). « Flexibilité offensive, flexibilité défensive –deux
stratégies sociales dans la production des nouveaux espaces économiques », in G.
Benko ; A. Lipietz. Les régions qui gagnent, Paris, PUF, pp. 347-377.
Leborgne, D. ; Lipietz, A. (1988). « L’après-fordisme et son espace », Les Temps modernes,
43, 501, pp. 75-114.
Lecoq, B. (1993). « Proximité et rationalité économique », RERU, n° 3, pp. 469-486.
Lévesque, B. ; Bourque, G. ; Forgues, E. « Renouveau de la sociologie économique de
langue française : originalité et diversité des approches », in
http://www.er.uqam.ca/nobel/crises/9701a.html.
Lewis, A. (1954). “ Economic Development with unlimited supply of labour ”,
Manchester School of Economic and Social Studies, n° 22, mai.
Lopes, J. Sérgio Leite (1988). A tecelagem dos conflitos de classe na « cidade das chaminés »,
Brasília, Marco Zero et UnB.
López Castaño, H. (1987). « Secteur informel et société moderne : l’expérience
colombienne », Revue Tiers-Monde, n° 110, avril-juin, Paris, IEDES/PUF, pp. 369-394.

111
López Castaño, H.. Luz Henao, M. ; Sierra, O. (1984). "L’emploi dans le secteur informel :
le cas de la Colombie ”, in E. Archambault, Greffe, X. Les économies non officielles, Paris,
La Découverte.
Lung, Y. (1994). « Proximités et apprentissage : une piste pour l’analyse régionale »,
Actes du séminaire interdisciplinaire “ Technologie, apprentissage, espace et temps ”,
Compiègne, 24-28 janvier, pp. 111-126.
Maillat, D. (1995). « Milieux innovateurs et dynamique territoriale », in A. Rallet, A.
Torre (dir.). Economie industrielle et économie spatiale, Paris, Economica, pp. 211-231.
Maillat, D. (1992). « Problématique de l’analyse des milieux », Colloque GREMI IV, Paris,
30-31 octobre.
Marques-Pereira, J. (2000). « Dépendance, monnaie et résistance à la société salariale en
Amérique latine», Economies et Sociétés, nouvelle série Développement, 1, à paraître.
Marques-Pereira, J. (1997a). « La compétitivité du sous-développement », in Ch. Palloix,
Y. Rizopoulos (dir.). Firmes et Economie industrielle, Paris, L’Harmattan, pp. 295-315.
Marques-Pereira, J. (1997b). Travail et développement, texte présenté en vue d’obtenir
l’Habilitation à diriger des recherches, Amiens, Faculté d’Economie et de Gestion.
Marsden, D. (1989). Marchés du travail. Limites sociales de nouvelles théories, Paris,
Economica.
Marshall, A. (1890). Principles of economics, Londres, Mac Millan, 1961.
Mathias, G. (1987). « Etat et salarisation restreinte au Brésil », Revue Tiers-Monde, n°110,
avril-juin, Paris, IEDES/PUF, pp. 333-346.
Mathias, G. ; Salama, P. (1983). L’Etat surdéveloppé. Des métropoles au Tiers Monde, Paris,
La Découverte.
Morice, A. (1991). « Les maîtres de l’informel », in B. Lautier et al.. L’Etat et l’informel,
Paris, L’Harmattan, pp. 143-208.
Morice, A. (1987). « Guinée 1985 : Etat, corruption et trafics », Les Temps modernes, 42, n°
487, pp. 108-136.
Morice, A. (1982). Les forgerons de Kaolak : travail non salarié et déploiement d’une caste au
Sénégal, Paris, Thèse de 3° cycle, EHESS.
Morvan, Y. (1985). Fondements d’Economie Industrielle, Paris, Economica.
Moulier-Boutang, Y. (1997). « La revanche des externalités », Futur Antérieur, n° 39-40,
pp. 85-115.
Mounier, A. (1999). « Les orientations scientifiques », Travail et mondialisation,
Programme de Recherche, Paris, IRD.
Omae, K. (1991). L’entreprise sans frontière, Paris, Inter Editions.

112
Ohno, T. (1990). L’esprit Toyota, Paris, Masson, 1978.
Orléan, A. (éd.) (1994). Analyse économique des conventions, Paris, PUF, Economica.
Orléan, A. (1994) « Vers un modèle général de la coordination économique par les
conventions », in A. Orléan (éd.). Analyse économique des conventions, Paris, PUF, pp. 9-40.
ORSTOM (1991). Les cahiers : pratiques sociales et travail en milieu urbain, n° 14.
Paci, M. (1982). La struttura sociale italiana –costanti storiche e trasformazioni recenti,
Bologna, Il Mulino.
Paci, M. (1975). « Crisi, Ristrutturazione e Piccola Impresa », Inchiesta, n° 20.
Palloix, Ch. (1997). « Eléments pour une théorie hétérodoxe de l’économie industrielle »,
in Ch. Palloix, Y. Rizopoulos, (dir.). Firmes et économie industrielle, pp. 55-73.
Palloix, Ch. (1987). « Industrialisation, désindustrialisation et formes de mise au
travail », Revue Tiers-Monde, n° 110, avril-juin, pp. 287-302.
Palloix, Ch. (1971). L’économie mondiale capitaliste, Paris, Maspero -Intervention en
économie politique.
Palloix, Ch. (1969). Problèmes de la croissance en économie ouverte, Paris, Maspero.
Palloix, Ch. ; Rizopoulos, Y. (dir.) (1997). Firmes et économie industrielle, Paris,
L’Harmattan.
Pareto, V. (1916). Traité de Sociologie générale, Œuvres Complètes, T. 4, Genève, Droz,
1968.
Pecqueur, B. (éd.) (1998). Espaces et Sociétés, numéro spécial L’inscription territoriale du
travail, Paris, L’Harmattan, N° 92/93.
Pecqueur, B. (éd.) (1996). Dynamiques territoriales et mutations économiques, Paris,
L’Harmattan.
Pecqueur, B. (1992). « Territoire, territorialité et développement », Grenoble, Colloque
Industrie et Territoire –les systèmes productifs localisés, IREP-D, Série Actes de Colloques.
Perroux, F. (1991). L’Economie du XX° siècle, Grenoble, PUG.
Perroux, F. (1987). « L’espace et le temps dans la théorie générale des unités actives »,
Economie Appliquée, Archives de l’ISMEA, 2.
Piore, M.J. ; Sabel, C.F. (1984). The second industrial divide, New York, Basic Books ;
Traduction française Les chemins de la prospérité –de la production de masse à la spécialisation
souple, Paris, Hachette, 1989.
Polanyi, K. (1944). La grande transformation. Aux origines politiques et économiques de notre
temps, Traduction française Paris, Gallimard (1983).
Poirier, C. ; Rallet, A. (1998). « Télétravail et proximité », in M. Bellet, T. Kirat, C.
Largeron, Approches multiformes de la proximité, (dir.) Paris, Hermès, pp. 223-239.

113
Ponsard, C. (1988). Analyse économique spatiale, Paris, PUF.
Prandi, J.R. (1978). O trabalhador por conta própria sob o capital, São Paulo, Símbolo.
Prebisch, R. (1950). « Le développement économique de l’Amérique latine et ses
principaux problèmes », New York, Nations Unies, reproduit dans Economic Bulletin for
Latin America, 7, 1962, pp. 1-22.
Raffestin, C. (1980). Pour une géographie du pouvoir, Paris, LITEC.
Rallet, A. (1993). « Choix de proximité et processus d’innovation technologique », RERU
(1993). Economie de proximités, n° 3, pp. 365-386.
Rallet, A. ; Torre, A. (dir.) (1995). Economie industrielle et économie spatiale, Paris,
Economica.
Requier-Desjardins, D. (1996). « L’économie du développement et l’économie des
territoires : vers une démarche intégrée ? », in L. Abdelmalki, C. Courlet, op. cit., pp. 41-
55.
RERU (1999). Le paradigme du milieu innovateur dans l’économie spatiale contemporaine,
ADICUEER, n° 3.
RERU (1993). Economie de proximités, ADICUEER, n° 3.
Revue Economique (1993). La localisation des activités économiques dans l’espace mondial –
Analyses et politiques, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques,
vol. 44, n° 4, juillet.
Revue Economique (1989). L’Economie des conventions, Paris, Presses de la Fondation
Nationale des Sciences Politiques, vol. 40, n° 2, mars.
Rostow, W. W. (1960). Les étapes de la croissance économique –un manifeste non communiste,
Paris, Le Seuil, 1970.
Rullani, E. (1996). « Prefazione », in S. Albertini, L. Pilotti. Reti di reti –apprendimento,
comunicazione e cooperazione nel Nordest, Padova, CEDAM, pp. 11-21.
Salama, P. (1975). Un procès de sous-développement, le cas de l’Amérique latine, Paris,
Maspero.
Santos, M. (1997). La nature de l’espace –Technique et, temps, raison et émotion, Paris,
L’Harmattan.
Schmitt, C. (1992). La notion de politique, Paris, Champs Flammarion, 1932.
Scotchmer, S. ; Thisse, J.-F. (1993). « Les implications de l’espace pour la concurrence »,
Revue économique, 44, 4, pp. 653-659.
Singer, H. (1950). « The distribution of gains between investing and borrowing
countries », American Economic Review, vol. 40, mai, pp. 473-485.

114
Siqueira, D. ; Potengy, G. F. ; Cappellin, P., éds. (1997). Relações de Trabalho, Relações de
Poder, Brasília, UnB.
Sociologie du travail (1991). Les acteurs du développement local, Paris, Dunod, n° XXXIII.
Storper, M. (1996). « Economie régionale évolutionniste », in B. Pecqueur, éd.
Dynamiques territoriales et mutations économiques, Paris, L’Harmattan, pp. 227-244.
Storper, M. ; Harrison, B. (1992). « Flexibilité, hiérarchie et développement régional : les
changements de structure des systèmes productifs industriels et leurs nouveaux modes
de gouvernance dans les années 1990 », in G. Benko, A. Lipietz (dir.). Les régions qui
gagnent – Districts et réseaux : les nouveaux paradigmes de la géographie économique, Paris,
PUF, pp. 265-291.
Supiot, A. (dir.) (1998). Le travail en perspectives, Paris, L.G.D.J..
Swedberg, R. (1990). « Vers une nouvelle sociologie économique –l’évolution récente des
rapports entre la science économique et la sociologie », Revue du MAUSS, n° 9, 3ème
trimestre, nouvelle série, pp. 33-70.
Swedberg, R. ; Granovetter, M. (1994). « La sociologie économique –les propositions
fondamentales de la sociologie économique », Revue semestrielle du MAUSS pour une autre
économie, Paris, la Découverte, n° 3, pp. 115-140.
Talbot, D. (1998). Les principes institutionnalistes des dynamiques industrielle et spatiale –le
cas du groupe Aérospatiale, Thèse de doctorat en Sciences Economiques, Toulouse,
Université des Sciences Sociales de Toulouse.
Taylor, F.W. (1902). « Direction des ateliers », in F. Vatin. Organisation du travail, Paris,
Les Editions d’Organisation, pp. 33-53, 1990.
Thompson, E.P. (1967). « Time, work discipline and industrial capitalism », Past and
Present, n° 38. Traduction française (1979). « Temps, travail et capitalisme industriel »,
Libre, Payot.
Thompson, E.P. (1963). The making of the English working class, London, Pelican Books.
Traduction française : La formation de la classe ouvrière en Angleterre, Paris,
Gallimard/Seuil, 1988.
Veltz, P. (1996). Mondialisation Villes et Territoires -l’économie d’archipel, Paris, PUF.
Veltz, P. (1992). « Hiérarchies et réseaux dans l’organisation de la production et du
territoire », in G. Benko, A. Lipietz (dir.). Les régions qui gagnent –Districts et réseaux : les
nouveaux paradigmes de la géographie économique, Paris, PUF, pp. 293-313.
Wallenstein, I. (1979). The capitalist world economy, Paris, MSH.
Williamson, O.E. (1975). Markets and hierarchies: analysis and anti-trust implications; a study
in the economics of internal organization, New York, Free Press.

115
Zimmermann, J.-B.(1999). « Firmes et territoires : du nomadisme à l’ancrage territorial »,
in M. Bellet et al.. Approches multiformes de la proximité, Paris, Hermès, pp. 269-287.

VI- Bibliographie de l’auteur

(2000a). « Brésil : une usine dans la forêt », Sciences Humaines, n° 29, Hors-série, juin,
juillet, août.
(2000b). « Temps et travail : une lecture de la dynamique territoriale », texte présenté au
36ème Colloque ASRDLF 2000 « Développement régional, économie du savoir, nouvelles
technologies de l’information et de la communication », Session E4 – Marché du travail,
Atelier « Travail et espace », Crans-Montana, 6-10 septembre.
(2000c). « Pour une interprétation rénovée du rapport « travail-territoire », in Ch. Azaïs,
A. Corsani, P. Dieuaide (org.). Le capitalisme chemin faisant –mutations du travail et
territoire, Paris, l’Harmattan, à paraître.
(2000d). « Les territoires de la maquila dans le Yucatán », in M. Pépin-Lehalleur, J.
Preciado, L. Ramírez (org.). Le régionalisme au Mexique, les paradoxes de l’amalgame, à
paraître.
(1999a) Compte-rendu du livre de B.J. Barickman: A Bahian counterpoint –Sugar, Tobacco,
Cassava, and Slavery in The Recôncavo, 1780-1860, Stanford (CA), Stanford University
Press, 1998 in Revue Française d’Histoire d’Outre-Mer, t. 86, n° 324-325, pp. 378-380.
(1999b) « Quelques civilités… durables entre feijoada et ficelle picarde », N. Marouf (éd).
Pour une sociologie de la forme –Mélanges Sylvia Ostrowetsky, CEFRESS, Paris, L’Harmattan,
pp. 471-474.
(1999c). « Temps, travail et territoire », Revue d’Economie Régionale et Urbaine, n° 4,
octobre, pp. 801-826.
avec Corsani, A. et al. (1999). « Mutations économiques et dynamiques territoriales :
étude comparée de territoires européens », Projet de recherche pour le Pôle SHS 2,
Université de Picardie Jules Verne, Université de Technologie de Compiègne, Conseil
Régional de Picardie.
(1998). « Territoire et travail : quelques pistes pour une articulation peu évidente », texte
présenté au Colloque Mutations du Travail et Territoires, Amiens, Université de Picardie
Jules Verne / Université de Paris I –Panthéon-Sorbonne, mimeo, 8-10 octobre.
avec Corsani, A. (1998a). « Travail, territoire, post-fordisme », Espaces et Sociétés, numéro
spécial L’inscription territoriale du travail, coordonné par B. Pecqueur, Paris, L’Harmattan,
n° 92/93, pp. 43-66.

116
avec Corsani, A. et al. (1998b). Rapports de la recherche « Systèmes Industriels locaux et
réseaux d’innovation », Pôle SHS, Conseil Régional de Picardie, Amiens, Compiègne.
(1997). « Dynamique Territoriale, localisation et systèmes productifs locaux : quelques
repères théoriques », in Ch. Palloix, Y. Rizopoulos (dir.). Firmes et Economie Industrielle,
Paris, L’Harmattan.
avec Cappellin, P. (1997). « Para uma análise das classes sociais », in D. Siqueira ; G. F.
Potengy ; P. Cappellin, éds. Relações de Trabalho, Relações de Poder, Brasília, UnB.
(1996). « Histoire d'un patchwork d'entreprises au Brésil : le politique déplacé », in R.
Cabanes, B. Lautier (dir.). Profils d'entreprises au Sud : pratiques de gestion, Karthala.
Traduction portugaise : « Estória de um "patchwork" de empresas e de empresários no
Nordeste brasileiro: o político deslocado », Revista Latinoamericana de Estudios del Trabajo,
México, nº 2, 1996.
(1993a) « L’industrie grippée dans la ville qui tourne. Tradition et Modernité au Brésil »,
Revue canadienne d’études du développement, Vol. XIV, nº 2, pp. 197-223.
(1993b). « Travail et recomposition du politique : réflexions à partir d’un exemple
brésilien », L'Homme et la Société, nº 109, juillet-septembre, pp. 67-76.
avec Cappellin, P.G. (1993c). « Classes sociais e Mercado de Trabalho », Revue du
BIB/ANPOCS, Rio de Janeiro, Relume-Dumará/ANPOCS, nº 35, 1º semestre, pp. 25-40.
(1987). “ Algumas controvérsias a respeito do ‘setor informal’ ”, João Pessoa, mimeo.
(1985). « Troc et marché parallèle au Mozambique », La Presse, 05/1985.
(1984) « L’industrie textile au Nord-Est brésilien -une analyse à la lumière des ‘théories’
sur le secteur informel », Université de Paris I, IEDES.
avec J. Bitoun (1981). « Ensaio de geografia eleitoral: a eleição presidencial de 1981 em
França », Boletim Recifense de Geografia, Recife, Ano 2, nº 4, 1981. Traduction française
« Essai de géographie électorale : l’élection présidentielle de 1981 en France ».

117

Vous aimerez peut-être aussi