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Plan du Cours

INTRODUCTION ..................................................................................................................... 3
I Eléments de définition et sources d’inspiration des études prospectives ................................ 4
1. 1 Qu’est-ce que la prospective ? ....................................................................................... 4
1.2 Différentes formes de prospective ................................................................................. 5
1.3 Qu’est-ce qu’un prospectiviste ? Un futuriste ?............................................................... 6
1.4 Les concepts de la prospective ....................................................................................... 7
II Cadre théorique et historique de l’analyse prospective........................................................ 11
2.1 Historique de la prospective ........................................................................................ 11
2.2 La notion du temps ..................................................................................................... 11
2.3 Le désir, force productive d’avenir ............................................................................... 12
2.4 L’avenir, raison d’être du présent ................................................................................. 12
2.5 L’avenir ouvert aux projets d’acteurs ............................................................................ 12
2.6 Réactivité – préactivité – proactivité ............................................................................. 13
2.7 Comment faire la prospective ? .................................................................................... 13
2.8 Conduire les changements ....................................................................................... 16
2.9 Les entreprises face aux mutations ............................................................................... 16
2 .10 Motiver les hommes .................................................................................................. 16
2.11 Les clés de l’excellence ............................................................................................... 17
III La prospective au cœur des grands débats contemporains ............................................... 18
3.1 La prise de conscience de l’insuffisance/épuisement des ressources ........................ 18
3.2 Les limites des stratégies de développement basées sur la croissance économique ... 18
3.3 La prise de conscience des enjeux culturels.............................................................. 18
3.4 Les études prospectives d’aujourd’hui et de demain................................................. 19
IV Méthodologie des études prospectives .............................................................................. 21
4.1 Les prévisions à long terme : une science et un art ...................................................... 21
4.2 Que peuvent attendre les planificateurs de la recherche prospective ? .......................... 22
4.3 Les méthodes quantitatives : de l’extrapolation à la construction de modèles ‘holistiques’
.......................................................................................................................................... 22
4.4 Construction de modèles simples : projection et tabulations ....................................... 23
4.5 La construction des modèles dynamiques et les méthodes de simulation ..................... 26
4.6 Modèles holistiques et analyse de scénario .................................................................. 26
4.7 L’organisation des méthodes prospectives.................................................................... 27

ISEP : 226 Rue du Grand Hôtel, Quartier Terminus, BP 11443 Niamey Niger,
Tél.:20739611/20739613, Mobile: 96 072906, E-mail: isep4@yahoo.fr, site : www.isep.ne
4.8 Relations avec les pouvoirs publics .............................................................................. 28
V L’analyse des scénarios : les différentes visions du futur ..................................................... 29
5.1 Qu’est-ce qu’un scénario ? ........................................................................................... 29
5.2 La conception des scénarios ......................................................................................... 30
BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................... 30

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INTRODUCTION
Le désir de connaître l’avenir est aussi vieux que l’humanité. Mais, les études prospectives
ne portent pas que sur l’avenir, elles cherchent aussi à mieux connaître le présent, celui qui
nous entoure et celui qui est en nous. Car toute activité prospective est un apprentissage,
impliquant des efforts pour se comprendre soi-même et comprendre la société à laquelle
on appartient.

La prospective n’est pas seulement une approche, une étude ou une recherche, elle est un état
d’esprit. Son côté à la fois passionnant et complexe, c’est d’être un système ouvert, la seule
certitude étant l’incertitude. C’est pour cela que la prospective exige la rigueur, mais aussi
l’imagination et la créativité, l’audace et surtout l’humilité intellectuelle. Elle appelle une
démarche intégrée et une vision à long terme des différents choix possibles, en pleine conscience
de leurs impacts respectifs. Les méthodes employées n’ont d’utilité que si elles structurent et font
partager une compréhension profonde de la situation existante, l’analyse des causes de son
évolution, le repérage des facteurs de changement qui peuvent intervenir. C’est pour cela que
l’étude prospective, aussi technique qu’elle puisse devenir, demeure toujours une
opération intrinsèquement politique, du seul fait qu’elle traite de valeurs, de perspectives,
d’options et de choix. Elle est un outil de liberté, qui forge notre personnalité et
responsabilité.

La prospective s’est développée depuis une quarantaine d’années comme un champ de recherche
à part entière. Elle se présente comme une indiscipline plutôt que comme une discipline (Massé,
1971), comme un art plutôt que comme une science (Jouvenel, 1964, Schwartz, 1991). Elle ne
facilite pas le travail du chercheur qui s’efforce de la situer d’un point de vue épistémologique et
méthodologique.

Approche pluridisciplinaire d’inspiration systémique (Jouvenel, 1993, Godet, 1997), la


prospective renvoie à un certain nombre d’appellations (Bain et Roubelat, 1994) traduisant
chacune des relations avec les principales disciplines des sciences humaines. Les raisons
de ce rattachement disciplinaire, que l’on peut considérer comme contre nature, réside en premier
lieu dans le fait que la prospective a été pensée et définie par des chercheurs qui y ont traduit les
interrogations qu’ils se posaient dans leur champ disciplinaire d’origine, même si ces
interrogations les conduisaient à en sortir.

Aussi peut-on considérer que ces disciplines, en particulier la philosophie, l’histoire et la


sociologie, se trouvent, au moins de manière implicite quand elle n’est pas explicite, à l’origine
de la naissance de la prospective. En second lieu, la prospective, de mode d’interrogation, est
devenue un domaine de recherche et d’application d’un certain nombre de disciplines
comme la sociologie toujours, mais aussi les sciences politiques, les sciences
économiques et, last but not least, les sciences de gestion.

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I Eléments de définition et sources d’inspiration des études prospectives
1. 1 Qu’est-ce que la prospective ?

Def1 : c'est l'art de prendre en compte l’avenir dans les décisions du présent. « Prospecter selon
des perspectives » comme disait François Guiraud.

Def2 : c’est une analyse qui vise :


1. la compréhension critique du présent,
2. l’anticipation du changement;
3. l’éclairage à la décision.

Def3 : la prospective c’est l'étude des avenirs possibles (concept créé par Gaston Berger). Le
terme s'emploie généralement lorsqu'il s'appuie sur des recherches scientifiques variées, et qu'il
sert de base à la réflexion politique (au sens premier) (Ellipses, l'encyclopédie libre).

Def4 : c'est la science portant sur l’évolution future de la société, et visant, par l’étude des
diverses causalités en jeu, à favoriser la prise en compte de l’avenir dans les décisions du présent
(Petit Larousse 2003).

Def5 : la prospective n’est ni une doctrine, ni un système ; c'est une réflexion sur l’avenir, qui
s’applique à en décrire les structures les plus générales et qui voudrait dégager les éléments d’une
méthode applicable à notre monde en accélération.
Avant d’être donc une méthode ou une discipline, la prospective est une attitude (G. Berger).

Autres définitions : tirées de Raoelison Harilanto, Antananarivo, août-sept.- oct. 2005

1. La prospective est une ‘science ayant pour objet l’étude des causes techniques, scientifiques,
économiques et sociales qui accélèrent l’évolution du monde moderne, et la prévision des
situations qui pourraient découler de leurs influences conjuguées’.

2. La prospective apparaît en opposition de phase avec la prévision (forecasting) qui,


empruntant une démarche déterministe, s’appuie sur l’analyse du passé pour dessiner des
futurs probables.

3. La prospective est avant tout un état d’esprit, une façon d’être, qui consiste à accepter l’idée
d’accueillir le futur, d’être ouvert à lui, sans a priori dogmatique ou idéologique.
Contrairement à une idée reçue, l’ouverture d’esprit vers l’avenir, vers le futur comme objet
d’un débat sur une réalité à construire, n’est pas aussi fréquente et générale qu’on pourrait
le penser.

4. C’est un mécanisme de la pensée qui consiste à se tourner vers l’avenir pour réfléchir sur
l’actuel, le contemporain, et parfois même l’immédiat.

5. Il s’agit au fond d’une démarche qui vise à mettre en perspective les problèmes et les
enjeux, leur donner en somme une profondeur de champ que l’on n’a pas toujours quand
on "colle" de trop près à l’événement.

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6. Il s’agit de mettre en perspective une réalité, un enjeu perçu et vécu à un moment donné, de
façon à élaborer une position, prendre position, et se retourner vers le futur, vers le
lendemain.

7. C’est un jeu itératif entre une mise en scène du futur, qui est en général un futur lointain,
hypothétique, spéculatif, et le présent, et qui débouche in fine sur un retour sur le futur, mais
un futur d’une autre nature, le futur proche, palpable, tangible, le futur de l’action et de la
transformation des choses, du changement et des ruptures voulues et non pas subies. D’où
l’idée d’un mouvement de balancement entre une temporalité tournée vers des horizons
lointains et une temporalité tournée vers des horizons proches qui porte sur les conditions
de la transformation de la réalité.

8. C’est le "rêve passé au crible de la raison".

1.2 Différentes formes de prospective


La prospective, veut dire littéralement regarder devant. C’est une discipline des sciences
humaines qui s'appuie sur les fondements de l'économie, de la sociologie et de la science politique
pour maîtriser les dynamiques temporelles et les changements qui en découlent.
Elle est dite exploratoire, en ce qu’elle permet de dessiner les futurs possibles, en se servant
des scénarios.
Elle est normative, lorsqu’elle est un outil d'intelligence collective permettant de définir une
vision du futur. Cette vision représente l'objectif à atteindre pour une organisation donnée,
entreprise, Etat ou collectivité territoriale.
Elle peut se décliner en projet d'entreprise, de territoire ou de société.
L’approche prospective opérationnelle, à la fois exploratoire et normative, est plutôt orientée
vers l'action (politiques publiques, stratégies à long terme, mise en œuvre d'une innovation, etc.).
Approche opérationnelle : ‘Dans un contexte industriel, la prospective n'a de sens et ne trouve sa
justification que dans ses prolongements concrets. Elle doit donc s'assurer en permanence qu'elle s'inscrit
précisément dans les besoins de l'utilisateur opérationnel, quitte à risquer son âme. C'est dans ce fragile exercice
entre long terme et préoccupations immédiates, vision et décision concrète, que se situe l'art du prospectiviste’.
Francis GIRAUD, ELF-Aquitaine, "Prospective et Management stratégique du groupe
industriel ELF-Aquitaine", in Les Cahiers de l'ENSPTT, n°1, juin 1996

Approche normative : ‘Contrairement à la quasi-totalité des sociétés du passé et à la plupart de celles du


présent, penser le futur est devenu un enjeu vital pour la nôtre, parce qu'il n'existe aucune alternative et que nous
ne pouvons pas nous en remettre purement et simplement au hasard ou à l'interaction de forces dont le contrôle nous
échapperait’. Jean-Pierre WARNIER, ethnologue, professeur d'anthropologie à l'Université Paris V
- René Descartes, 1997

Approche collective : ‘Une approche prospective qui, au-delà d'une visée planificatrice fondée sur des
prévisions parfois contredites par la réalité, s'efforce, pour surmonter l'incertitude, d'accroître l'intelligence collective
des acteurs et d'accorder aux hommes la place centrale qui leur revient’. Prospective, débat, décision
publique, Avis du CES sur le rapport présenté par J.P. BAILLY au nom de la Commission
spéciale du Plan - juillet 1998.

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1.3 Qu’est-ce qu’un prospectiviste ? Un futuriste ?

Un prospectiviste est un spécialiste de la prospective, mais il existe plusieurs courants, les deux
principaux étant l'approche américaine et l'approche française.

Il connaît le corpus conceptuel et méthodologique de celle-ci, soit du fait de ses études (diplômes
de prospective), soit en tant qu'autodidacte.

Professionnel, son métier est d'aider ses interlocuteurs à penser le futur, notamment en termes
d'innovation et de responsabilité, et à prendre des décisions intégrant cette réflexion, d'où la nécessité que celle-
ci soit opérationnelle.

Dans ce cadre, le prospectiviste se présente comme un architecte d'exercices de prospective


(participatifs), un méthodologue choisissant ou élaborant les outils les plus appropriés, un
spécialiste de certaines thématiques et plus particulièrement des tendances, ruptures et signaux
faibles qui peuvent dessiner l'avenir.

La neutralité du prospectiviste est essentielle à son métier : pour lui l'avenir n'est jamais écrit,
quelque soit le poids des tendances.

Un futuriste, à l'inverse du prospectiviste, est fortement engagé. Il croit en une vision donnée du
futur dont il cherche à convaincre les décideurs afin qu'ils prennent les décisions appropriées.

Certains sont parfois qualifiés de gourou, du fait de leur charisme et de leur habileté à convaincre
de la justesse de leur vision.

Approche pragmatique : on définit la prospective à partir de ce qu’elle permet de faire. Ainsi,


relève de la prospective, tout ce qui permet de :

▪ préparer l’avenir à travers la proposition de scénarios plausibles et utiles à l’élaboration des


politiques de demain ;
▪ préparer les actions de demain par la connaissance, l’identification et la maîtrise des logiques
profondes qui gouvernent les comportements sociaux, politiques et économiques et qui
donnent forme au futur ;
▪ construire les images du futur, qui au-delà de son caractère pédagogique, sensibilise et
prépare psychologiquement et mentalement les praticiens de l’économie (planificateurs,
financiers, opérateurs, etc.) et les décideurs politiques à l’importance et à la valeur ajoutée de
l’anticipation ;
▪ présenter les perspectives à long terme (économie, société), attitude transcendantale par
rapport au réalisme étriqué du prévisionniste. Michel Godet disait à juste titre que la
prospective ‘traduit la conception d’un futur à la fois déterministe et libre, passivement subi et activement
voulu’.

Prospective et prévision sont des notions à la fois opposées et complémentaires. La « prospective »


fait référence à une réflexion qui ne porte pas sur un seul futur mais sur de nombreux futurs
possibles tandis que la prévision selon Robert Ayers ‘analyse des possibilités et des probabilités mais pas
des certitudes’. La prospective, dans l’esprit philosophique français, va au-delà de l’extrapolation
pure et simple et associe l’action à la réflexion et à la connaissance (G. Berger).

Au vu de tout ce qui précède, la prospective n’est donc pas une simple projection linéaire des
tendances constatées dans le passé. Elle consiste à examiner la manière dont les tendances

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actuelles (existantes) peuvent être réorientées de façon à faciliter la réalisation des objectifs à long
terme fixés.

La poursuite de ces objectifs à long terme exige une bonne grille de lecture de la situation actuelle
et des tendances passées et présentes, la formulation d’hypothèses solides et cohérentes sur les
incertitudes liées à l’environnement et sur les facteurs de changement qui l’affectent et
l’établissement des plans d’une durée de trois (3) ou de cinq (5) ans pour rendre effectives les
transformations souhaitées.

Bertrand de Jouvenel disait que la prospective donne une grande importance à la notion de choix.
Par l’emploi du terme ‘futuribles’, l’auteur considère que le futur comporte différents futurs
possibles que notre imagination doit concevoir pour donner naissance à un univers de
préférences. Le choix du concept ‘futuribles’ met l’accent sur les différentes possibilités qu’offre le
présent ainsi que sur les options et les choix du futur.

Le ‘long terme’ doit donc venir avant le ‘moyen terme’ et non l’inverse, comme c’est souvent le cas.

D’après ce qui précède, la prospective est un art, une science, une discipline, mais aussi un état
d’esprit, une attitude et un comportement ; elle est un ensemble de méthodes, d’instruments et de
terminologies nécessaires pour expliquer, interpréter, prédire, décrypter et imaginer le futur. Ces
méthodes, instruments et terminologies ne se sont pas développés dans un univers abstrait, ils
sont solidement liés à un processus historique. Il importe de comprendre ce processus pour
évaluer les acquis des études prospectives.

1.4 Les concepts de la prospective


Les théoriciens anglophones sont les premiers à introduire dans le vocabulaire, le terme ‘futures
studies’ (études prospectives). Cette expression recouvre le champ sémantique des termes de
‘forecasting’ (prévision) et de ‘prospective’ (prospective). Elle recouvre aussi le terme de ‘pronostic’ que
les pays d’Europe orientale emploient pour qualifier le moment de la réflexion sur le futur qui
précède l’acte de planification proprement dit.

D’après McHale, les études prospectives sont en quelque sorte ‘une activité qui recouvre de nombreux
éléments – prédiction, conjecture, extrapolation imaginaire et projection normative’. Ces études ont tendance à
mettre l’accent sur le long terme et restent largement ouvertes. En prenant en considération des
ensembles fondamentaux de valeurs et en cherchant à cerner différents futurs possibles, ces
études soulèvent donc des questions de liberté, de choix et de pouvoir ;

Flechteim a inventé la notion de ‘futurologie’, traçant ainsi un parallèle entre l’histoire et la science
du passé. Dévoyé de son sens originel par les médias, ce concept signifie de plus en plus toutes
les façons d’envisager l’avenir.

Toute réflexion prospective est une quête de sens, un effort pour répondre à des interrogations
existentielles, sociologiques et culturelles. Cette quête est d’autant plus ardue que dans tout
ensemble économique grand ou petit (continent, Etat, collectivité, terroir), les acteurs concernés
sont nombreux et diversifiés : enfants, étudiants, paysans, ouvriers, intellectuels, universitaires,
acteurs de la société civile, décideurs politiques, entrepreneurs, banquiers/financiers, etc.

- Pourquoi la prospective s’était-elle imposée dans le passé et s’impose-t-elle encore


aujourd’hui aux sociétés modernes ?

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Pour deux raisons fondamentales :

1. le sentiment de l’accélération du changement technologique économique et social


nécessite une vision à LT car comme le disait G. Berger : ‘plus l’on roule vite, plus les
phares doivent porter loin’.
2. les facteurs d’inertie liés aux structures et aux comportements commandent de semer
aujourd’hui pour récolter demain : ‘plus un arbre est long à pousser, moins il faut
tarder pour le planter’ disait un penseur.

- Pourquoi la prospective s’impose-t-elle à l’Afrique ?

Témoins de nombreuses évolutions, les africains, décideurs et non-décideurs, ont tiré des leçons
qui se sont avérées très utiles aux études prospectives. C’est ainsi qu’il convient d’interpréter
certaines circonstances, notamment :

 l’adoption du PAL (Plan d’Action de Lagos), qui consacrait déjà la fin d’une époque :
l’euphorie ayant marqué la vie du continent des indépendances à la fin des années 1970.
Fort de cette euphorie, on a pensé à tort que le développement se décrétait, qu’il découlait
de soi et que les ‘faveurs’ miroitées au continent étaient des moyens à la fois neutres et
tangibles pour hâter la marche du continent vers le développement.

 l’angoisse née des échecs répétés des stratégies de développement (tel que le PAS), la
marche rapide du monde qui contraste avec la stagnation du continent, comme en
témoigne le développement des NTIC et la mondialisation, et de plus, le nouveau regard
porté sur le développement ont eu un grand impact sur l’élite africaine qui commence à
reconnaître les vertus de l’anticipation.

 tombés dans le piège de la réactivité et témoins des effets néfastes d’une vision
privilégiant ‘l’instantané’, le ‘temps court’ (dit réel), la plupart des gouvernements africains
commencent à voir l’intérêt de la ‘proactivité’, auparavant rejetée sous prétexte d’être
dépourvue de réalisme ou de caractère opératoire.

 le développement ne se décrète pas ! Les élites se trouvant dans les cercles du pouvoir
commencent à le comprendre. Mais, pour prendre forme, le développement a besoin du
temps et de la durée. Les inerties, les contraintes et les rigidités à vaincre pour libérer
l’énergie créatrice des populations ne sont pas superficielles ; elles remontent à un passé
lointain de la société et touchent à ses racines profondes.

 alors que le long terme est réhabilité, la perception de l’avenir chez les africains elle-même
a complètement changé. Comme l’a su bien dit Alioune Sall (2003), ‘ …l’avenir n’arrive pas
de lui-même, [qu’] il faut aller à sa rencontre ou à tout le moins créer les conditions pour qu’il puisse
éclore’.

 la conscience d’appartenir à un monde incertain, à un environnement international plein


de turbulences affectant les économies nationales à travers les désordres financiers, les
crises de change, d’endettement, etc. est en soi suffisante pour faire valoir la prospective,
seul moyen permettant de s’orienter lorsque tous les repères traditionnels (culture, langue,
habitudes, frontières politiques et économiques) sont totalement brouillés.

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Les années 1990 sont porteuses de changement. Des initiatives vont être prises en faveur des
études prospectives à LT en Afrique :

 publié en 1980, au même moment que le PAL, le rapport Berg apparut pour celui-ci
comme une réplique de mauvais alois ;
 cela se confirma par la suite lorsque, éclipsant le Plan d’intégration continental, le rapport
Berg servit de référence à la Banque mondiale pour réorienter sa politique d’assistance au
développement en faveur des pays africains vers les plans d’ajustement structurel (PAS),
considérées dès lors comme l’unique moyen d’arrêter la dégradation généralisée des
économies africaines ;
 dix ans plus tard, le seul rétablissement des équilibres macroéconomiques et financiers
visé par les PAS est apparu comme très insuffisant ;
 en juillet 1990, à l’initiative du gouvernement néerlandais, une Conférence de haut niveau
sur l’Afrique fut tenue à Maastricht. Formant la Coalition mondiale pour l’Afrique,
l’occasion était solennelle pour reconnaître l’échec des PAS, contre l’avis de ses
défenseurs ;
 la Conférence recommanda aux pays africains, tout en poursuivant la lutte contre la crise,
d’inscrire leurs politiques dans des perspectives de LT. Admettant elle-même
l’insuffisance des politiques d’ajustement structurel, dans son rapport de 1990, la Banque
mondiale acceptait que les perspectives à LT deviennent le cadre d’un développement
durable en Afrique. La même année, la Commission Economique des Nations Unies pour
l’Afrique (CEA) soutenait la même idée.

- Quels sont les enjeux de la prospective ?

▪ Elle favorise l’anticipation. Or, l’anticipation n’est guère répandue chez les dirigeants. Car
lorsque tout va bien, ils peuvent s’en passer et lorsque tout va mal, il est trop tard pour voir
plus loin que le bout de leur nez. C’est bien en raison du défaut d’anticipation d’hier que le
présent est encombré de questions, auparavant insignifiantes, mais aujourd’hui brulantes et
urgentes, qu’il faut régler à la hâte, quitte à sacrifier le développement à LT.

▪ Elle prémunie contre la réactivité. Or, la réactivité n’est pas une fin en soi, elle n’est pas
souhaitable à CT ; elle ne mène nulle part si elle n’est pas orientée vers des objectifs de LT
car comme l’a fait remarquer Sénèque, ‘il n’y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait
pas où il va’. L’action qui n’a pas de but n’a pas de sens. L’anticipation éclaire l’action et lui
donne un sens avec le double sens du mot : direction et signification. S’il n’a pas de sens
futur (finalité), le présent est vide de sens (signification). Aussi, le rêve ne s’oppose pas à la
réalité, il la féconde et le projet animé par le désir est le moteur de l’action.

▪ Elle favorise la mise en place d’un système d’anticipation des changements, de gestion de
l’incertitude, de traitement de la complexité, de collecte et d’analyse des informations
stratégiques. Si ce système est mis en place, les opportunités futures augmentent, les
chances de réussite augmentent et le progrès s’installe.

▪ Elle plaide en faveur d’un large front qui sera un cadre de concertation à l’échelle
internationale. Cela est semble-t-il la réponse appropriée aux problèmes planétaires et
globaux actuels, dont la résolution dépasse les capacités d’un pays ou d’une région. Aucun
pays ne gère aujourd’hui les conséquences des actes qu’il est seul à poser. Et quelle que soit
la puissance d’un pays, il ne peut faire face seul au défi du changement climatique par
exemple. Un choc, où qu’il se produit (région, pays, marché, etc.) est susceptible d’affecter
l’ensemble des pays du monde.

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▪ Elle est enfin un outil de régulation : économique, démographique, les ressources naturelles
et énergétiques, etc.

- Quels défis faut-il relever ?

Pour asseoir un système d’anticipation du futur et de gestion des incertitudes efficace, il faut
remplir deux critères :
▪ disposer d’une bonne lecture des réalités, ce qui est difficile dans le cas de l’Afrique où la
base d’information est généralement réduite, non fiable et peu solide (défi majeur n°1).

▪ et se doter de capacités d’exploration des futurs (capacités en matière de construction des


scénarios, de modèles mathématiques/économétriques, d’analyse sélective des variables, des
modèles de simulation et des modèles conçus selon la théorie des jeux, etc.). Tout comme
la maîtrise des données statistiques, l’expertise en cette matière est très peu développée en
Afrique (défi majeur n°2).

- Etat des lieux des analyses prospectives en Afrique et dans le monde

▪ Des études prospectives ont été menées dès la fin de la Seconde Guerre mondiale mais c’est
seulement dans les années 60 que la notion de futur a pris un réel essor. Au départ, ce
problème n’intéressait qu’une poignée de ‘futuristes’. Dans les pays comme les Etats-Unis, ce
thème a joué un rôle essentiel dans les travaux de certaines commissions telles que la
Commission 2000 de l’Académie américaine des sciences, de groupes de réflexion tels que la Rand
Corporation et l’Hudson Institut et de départements universitaires tels que le Centre des études
intégrées de Binghamptom ou le system Science Group de l’Université d’Etat de Portland, Oregon.
Dans certains pays, la prospective relève de la compétence d’un service ministériel
particulier tel que la délégation à l’Aménagement du Territoire (DATAR) en France ou le
Secrétariat for Futures Studies en Suède. Il s’est même créé des mouvements internationaux
dans ce domaine tels que Humanité 2000 en Norvège et en Belgique ou la Fédération
internationale des études prospectives.

▪ A l’échelle continentale, en 1980, le Plan d’action de Lagos et l’acte final de Lagos ont été
élaborés : ces documents ne sont pas en soi des « études prospectives », mais représentent
une image officielle, politiquement admise, de l’avenir de l’Afrique telle qu’elle est exprimée
par les chefs d’Etat et de gouvernement africain. Plus récemment, on a beaucoup parlé du
NEPAD issu des plans MAP et Oméga conçus respectivement par la RSA et le Sénégal. Plus
récemment encore, en 2003, une étude prospective a été réalisée pour l’Afrique, ‘Afrique
2025 : quels futurs possibles pour l’Afrique au sud du Sahara ?’;

▪ on estime à une vingtaine le nombre de pays africains ayant réalisé au cours des 15 dernières
années avec l’appui technique du programme Futurs africains du PNUD, des « études
prospectives » sur un horizon temporel de 25 ans, soit le temps séparant deux générations
(ce qui n’est pas le cas de l’horizon retenu par le PNUD dans le cadre des OMD);

▪ au titre des études prospectives régionales, on en dénombre cinq (5), la plus récente
remontant à 1988, L’Afrique sub-saharienne : de la crise à une croissance durable due à la Banque
Mondiale.

10
II Cadre théorique et historique de l’analyse prospective
2.1 Historique de la prospective

La présentation du cadre conceptuel de la prospective impose d’insister d’une part sur


l’importance de la notion de temps et d’autre part sur les différentes formes de visualisation du
futur qui varient selon l’époque le lieu et le cadre historique et culturel.

Les méthodes visant à comprendre, à prévoir ou à imaginer le futur ainsi que les instruments et la
terminologie appropriés se rattachent à un processus historique. Quoique dynamique, ce
processus est très normatif, car lorsque les hommes pensent au futur, ce sont souvent leurs vœux
ou leurs craintes du moment qui dictent leur réflexion.

La réflexion prospective a de tout temps eu sa place dans l’histoire de l’humanité. Dans l’antiquité
et le Moyen-âge, certains philosophes ont eu recours à un modèle utopique pour prévoir l’avenir :
- la ‘République’ de Platon (427–347 av. J.-C)1 ;
- la ‘Cité de Dieu’ évoquée par Saint - Augustin (354-430)2 ;
- l’Utopia de Thomas More (1478-1535)3 ;
- l’Etat idéal de Francis Bacon (1561-1626)4 .

Les utopistes scientifiques du XIXe siècle avaient foi dans le progrès et ils étaient convaincus que
le développement des sciences ouvre la voie à un avenir meilleur. En 1770 Sébastien Mercier a
décrit l’an 2440. Par la suite Karl Marx et Sigmund Freud ont évoqué la capacité d’évolution de la
condition humaine, le premier s’étant intéressé aux aspects aux questions psychologiques et
individuelles et le second à la lutte des classes (mat. Historique)

Pour Avicenne (980-1037), autre théoricien du futur vivant à Bagdag, l’univers évolue autour
d’une intelligence libérée, seule façon d’interpréter la prophétie du Coran selon laquelle la réalité
venait en fait de Dieu lui-même. Ce point de vue était attaqué par Al- Ghazali (1058-1111) qui
établissait une distinction entre la philosophie et les prophéties contribuant ainsi à la constitution
de la doctrine Soufie. Le philosophe arabe Averroes (1126-1198) a posé le principe de
l’intelligence.

2.2 La notion du temps

« La notion du temps joue un rôle essentiel dans toutes les cultures et occupe une place centrale
dans leur conception du monde » écrivait John McHale. Il a également dit que ‘le futur du passé est
le futur ; le futur du présent est dans le passé ; le futur du futur est dans le présent’. Le passé et le futur sont
malléables ; c’est dans le présent que l’on cherche à ordonner le passé tandis que le futur est
toujours le résultat de l’anticipation à partir du présent. L’analyse selon McHale doit partir de
l’hypothèse que le passé est inaltérable et que l’avenir n’est jamais bien connu. C’est aussi

1
La ‘République’ était un univers dans lequel la justice, alors valeur fondamentale, constituait le principe du
pouvoir et de l’autorité.
2
Société fondée sur l’amour et condamnée à coexister avec la cité terrestre gouvernée par l’orgueil, De Civitate
Dei.
3
Il décrit une dans laquelle les biens sont mis en commun et ou la communauté est plus importante que les
individus qui la composent.
4
Dans sa new Atlantis (nouvelle Atlantide), l’auteur décrit l’Etat idéal dont le développement repose sur des
hommes ; il présente une vision du futur lié aux valeurs de l’époque.

11
pourquoi selon le même auteur on doit envisager le temps dans une perspective culturelle car la
notion du temps varie selon les cultures.
Un autre effet important de la notion du temps est sa subjectivité. Les concepts relatifs au
progrès jouent aussi un rôle essentiel à cet égard. Les cultures de l’antiquité, telles que celles de la
Perse, de l’Egypte, de l’Iran et de la Chine, étaient imprégnées d’intemporalité. L’idée selon
laquelle le progrès serait un mouvement dans le temps vers un avenir meilleur est relativement
neuve, même si elle était présente dans la pensée grecque et dans la vision de Platon. Au XX e
siècle, la physique d’Einstein a bouleversé la notion de temps. Le processus du changement s’est
encore accéléré à notre époque qui est caractérisée par un phénomène de dissonance et de
discontinuité temporelle.

2.3 Le désir, force productive d’avenir

Le désir est entretenu par l’existence de manques réels et virtuels, c’est-à-dire d’écarts entre la
réalité présente ou anticipée et les aspirations. C’est parce qu’il y a une transformation
permanente des ‘besoins aspiration en besoins obligation’ (P. H. Chombart de Lauwe, 1969) que
‘les besoins sont sans bornes et extensibles’ selon la belle formule de Karl Marx. Ainsi, Henri
Lefebvre (1970), le désir est réhabilité comme force productive.
Reconnaître le désir comme force productive d’avenir, c’est par la même occasion réhabiliter le
subjectivisme et l’utopie et réconcilier l’imagination avec le raisonnement scientifique, c’est
finalement comprendre pourquoi la structure des rapports sociaux éclate dès qu’un certain ordre
de contraintes entre en contradiction avec le désir et devient intolérable. L’objet de la prospective
est alors d’effacer la coupure entre le possible et le réel, de combattre l’absurde, ce divorce entre
l’esprit qui désire et le monde qui déçoit’ (Albert Camus, 1942).

2.4 L’avenir, raison d’être du présent

Le désir part à la conquête du futur pour donner un sens au présent. Ce dernier peut être riche ou
pauvre de l’avenir qu’il a devant lui : c’est ‘l’avenir raison d’être du présent’ de G. Berger.

Pour se situer par rapport à l’avenir, il faut d’abord le faire par rapport au passé. Or, ce que nous
regrettons dans le passé, c’est l’avenir qu’il avait devant lui.

Pour une bonne part, ce qui est subi dans l’avenir résulte des actions passées, ce qui est voulu
explique les actions présentes. En clair, ce n’est pas seulement le passé qui explique l’avenir, mais
aussi l’image du futur qui s’exprime dans le présent. Exemple : la consommation d’un individu à
un moment donné ne dépend pas que de ses revenus antérieurs (épargne), mais aussi des revenus
futurs qu’il anticipe (crédit), comme l’a su bien démontré M. Friedman dans sa théorie du revenu
permanent.

2.5 L’avenir ouvert aux projets d’acteurs

L’avenir ne doit pas être envisagé comme une ligne unique et prédéterminée. La pluralité de
l’avenir et les degrés de liberté de l’action humaine s’expliquent mutuellement.

Le présent est d’autant plus riche que l’avenir reste ouvert à un large éventail de futurs possibles
dans lequel le souhaitable pourra s’épanouir. Comme l’écrivait G. Berger (1967) : ‘La vieillesse,

12
c’est le rétrécissement du champ des possibles’, ce qui n’est plus possible dans l’avenir est le fruit
de notre action passée, ce qui restera possible dépend de notre action présente.

La prospective doit contribuer à conserver le maximum de degré de liberté, puisque ce qui est
subi, ce sont les degrés de liberté épuisés à tort, ce qui est voulu, ce sont les degrés de liberté que
l’on sème pour en récolter d’autres. En particulier, la prospective doit guider nos actions de
manière à ne pas compromettre notre avenir de manière irréversible (songer à cet effet à
l’écologie).

2.6 Réactivité – préactivité – proactivité

Face à l’avenir, les hommes ont le choix entre quatre attitudes, définies par Ozbekhan, pour
lequel la réunion de la préactivité et de la proactivité est l’exacte définition de la prospective :

- l’autruche passive qui subit le changement ;


- le pompier qui attend que le feu soit déclaré pour tenter de l’éteindre ;
- l’assureur préactif qui se prépare aux changements prévisibles, car il sait que la réparation
coûte plus cher que la prévention ;
- et enfin, l’entrepreneur voire le conspirateur proactif qui agit pour provoquer les
changements souhaités.

On retrouve ces quatre attitudes en utilisant l’image du footballeur :

- le joueur réactif (passif) court comme un diable après le ballon qui lui échappe
généralement ; il ne dure jamais sur le terrain ;
- le joueur préactif essaie d’anticiper les coups pour bien se placer. C’est déjà intelligent, mais
c’est insuffisant puisqu’il est toujours sur la défensive. De plus, il se trompe souvent. Or, le
problème, c’est de déjouer les ruses de l’adversaire, ne pas se laisser emporter par des faux-
semblants et des illusions collectives sur les changements attendus ;
- pour mener le jeu et marquer des buts, il faut être du côté de l’offensive. Lorsque vous êtes
proactif, ce sont les autres qui deviennent réactifs.

En conclusion, à l’endroit des décideurs : quand ils font des plans d’actions, ils doivent ouvrir
trois (3) colonnes : une pour la réactivité, une pour la préactivité et une pour la proactivité.
Aucune ne doit être ni trop vide, ni trop remplie.
Il y a une autre attitude de prospective : la prospective-mix qui est un bon dosage des trois (3)
attitudes élémentaires tournées vers l’action. Naturellement, dans un contexte de crise, la
réactivité l’emporte sur le reste alors que pour retrouver la croissance, il faut anticiper les
changements et les provoquer, notamment par l’innovation.

2.7 Comment faire la prospective ?

Pour anticiper correctement, il est saint de garder à l’esprit quelques-uns des constats et réflexes
intellectuels acquis en un quart de siècle de pratique prospective et qui ont permis de cultiver le
bon sens, d’être plus clairvoyant et sans génie aucun, de se tromper moins que les autres.

Cinq (5) idées sont décisives à ce sujet :

13
Les forces d’inertie

Ce sont toujours les hommes et les organisations qui font la différence, mais la nature
humaine ne change pas. Les hommes aspirant aux progrès, mais ils peuvent toujours
basculer dans la barbarie. L’histoire ne se répète pas, mais les comportements se
reproduisent. Au cours du temps, les hommes conservent de troublantes similitudes de
comportements qui les conduisent, placés devant des situations comparables, à réagir de
manière quasi identique et donc en partie prévisible.
Les structures et les comportements sont caractérisés par de fortes inerties qu’il ne faut
pas sous-estimer par rapport aux forces de changement potentielles. En matière de
prospective, on a trop souvent tendance à imaginer ce qui pourrait éventuellement
changer en oubliant de recenser systématiquement ce qui, de toute façon, a de grandes
chances de rester inchangé surtout si l’on ne fait rien contre cela.
Certaines forces d’inertie freinent l’adaptation et l’évolution puis deviennent des
rigidités si le changement (voulu ou non) n’a pas été préparé longtemps à l’avance. Mais
d’autres forces d’inertie jouent un rôle salutaire : le frein est le comportement
indispensable de l’accélérateur.

Des acteurs clés aux points de bifurcation

Comment reconnaître les points de bifurcation ? Quels événements, quelles innovations


vont rester sans conséquences, quels autres sont susceptibles d’affecter le régime global,
de déterminer irréversiblement le choix d’une évolution, quelles sont les zones de choix,
les zones de stabilité ? (Ilya Prigogine, 1990).
Ces questions sont aussi celles de la prospective. Identifier l’éventail des futurs possibles
par les scénarios, n’est-ce pas aussi reconnaître le diagramme des bifurcations ? Les
paramètres de bifurcation ne sont-ils pas aussi les variables clés de l’analyse
prospective ?

Se méfier des idées reçues

Trop souvent on s’évertue à répondre à des questions mal posées, à des fausses questions.
Or, il n’y a pas de bonne réponse à une mauvaise question. Mais, comment se poser de
bonnes questions ?
La lumière crée l’ombre. En effet, si les projecteurs de l’actualité sont si puissamment
braqués sur certains problèmes, c’est pour mieux en cache d’autres que l’on en veut pas
que l’on voit. Les idées reçues et à la mode, qui dominent l’actualité, doivent être
regardées avec méfiance, car elles sont généralement source d’erreurs d’analyse et de
prévision. La tyrannie des idées dominantes, il faut la dénoncer ! L’information est
souvent bâillonnée par le conformisme du consensus qui pousse à se reconnaître dans
l’opinion dominante et à rejeter l’avis minoritaire. Finalement, celui qui voit juste a peu de
chance d’être entendu.

De l’anticipation à l’action par l’appropriation

La vision globale est nécessaire pour l’action locale, chacun à son niveau doit pouvoir
comprendre le sens de ses actions, c’est-à-dire les replacer dans le projet plus global dans
lequel elles s’insèrent. La mobilisation de l’intelligence est d’autant plus efficace qu’elle
s’inscrit dans le cadre d’un projet explicite et connu de tous. Motivation interne et stratégie
sont donc deux objectifs indissociables qui ne peuvent être atteints séparément.

14
C’est par l’appropriation que passe la réussite d’un projet. En raison de sa transparence, la
mobilisation collective ne peut porter directement sur les choix stratégiques, par nature
confidentiels. C’est donc la réflexion prospective collective sur les menaces et opportunités
de l’environnement qui donne un contenu à la mobilisation et permet l’appropriation de la
stratégie.
L’appropriation intellectuelle et affective constitue un point de passage obligé pour que
l’anticipation se cristallise en action efficace. On retrouve ainsi les trois composantes du
triangle grec : Logos (siège de la pensée, de la rationalité, du discours, …), Epithumia (siège
du désir dans tous les aspects nobles et moins nobles), Erga (siège des actions, des
réalisations). Le mariage de la passion et de la raison, du cœur et de l’esprit est la clé du
succès de l’action et de l’épanouissement des individus (le corps).

Anticipation Action
Réflexion Volonté stratégique
prospective

Appropriation
Motivation et mobilisation
collective

Fig. : Triangle grec

Toute réflexion qui n’est pas appropriée par ceux qui sont concernés et devront la porter
aura du mal à se cristalliser en action de changement. A l’inverse, il faut un ‘contenu’ pour
incarner l’appropriation. La motivation et la mobilisation individuelle et collective sont
d’autant plus durables et fortes qu’il y a une volonté au service d’un projet futur.

Des outils simples pour penser le complexe

Il faut des outils suffisamment simples pour rester appropriables. Mais avec de tels outils, il
y a un risque de rester à la surface des choses. Ce n’est pourtant pas ce qu’enseigne l’histoire
et ce que montrent les grands esprits qui avec des lois relativement simples ont permis de
comprendre l’univers. Il n’y a qu’à songer aux principes de la thermodynamique, à la théorie
de la relativité. Trop souvent, on confond complexité et complication et c’est de cette
confusion que naissent des modèles et des théories inappliquées et inapplicables. Maurice
Allais (1989) disait à juste titre : ‘une théorie dont ni les hypothèses ni les conséquences ne
peuvent être confrontées au réel est dépourvue de tout intérêt scientifique’. N’a-t-il pas
raison de dire qu’entre 2 modèles, le meilleur est toujours celui qui, pour une approximation
donnée, représente le plus simplement les données de l’observation ?
Aborder la complexité avec des outils simples et nécessaires pour faciliter l’appropriation
par les utilisateurs. Avec des outils savants et difficiles à comprendre, le rejet est
généralement au bout du chemin tant pour l’usage que pour les éventuelles conclusions.

15
2.8 Conduire les changements

Pour conduire le changement et ne pas le subir, les organisations doivent non seulement
anticiper correctement (ni trop tôt, ni trop tard) les virages techniques, concurrentiels,
réglementaires, mais aussi exceller dans leurs activités et innover sans cesse.

Crise ou mutation pourrait-on dire ?


Cette question n’a guère de sens pour une entreprise dans la mesure où les situations de crise
résultent en général de l’incapacité des organisations à faire évoluer les structures, les
comportements, les règles du jeu en fonction des mutations de l’environnement politique,
technique, économique et social.

2.9 Les entreprises face aux mutations

Il y a rarement de mutation sans crise car peu de systèmes sont capables de se transformer en
douceur. Cependant, les crises, conséquences des rigidités, constituent aussi des moments
privilégiés pour procéder aux adaptations nécessaires et entreprendre les réformes en
profondeur qui autrement seraient restées entravées par de multiples résistances au
changement : les crises sont porteuses d’espoir de changement social et organisationnel et
sont nécessaires aux mutations. En effet, c’est souvent dans les structures, les comportements
et la qualité des hommes qu’il faut chercher l’explication des difficultés.
Nombre de recettes qui permettent aux entreprises performantes d’améliorer encore plus
leurs résultats, ne conviennent pas nécessairement aux entreprises en difficulté : le repas
équilibré d’un homme bien portant n’a en général pas grand-chose à voir avec le régime qu’il
faut imposer à un malade. Pour une entreprise en difficulté, le meilleur moyen pour s’en sortir
est rarement de se comporter comme si elle était en bonne santé. A l’inverse, les entreprises
qui ont toujours bien vécu sont plus fragiles que d’autres lorsque soudainement des difficultés
apparaissent. On peut avancer plusieurs explications à ce phénomène : dans les épreuves, les
tempéraments se forgent et les individus se sélectionnent alors que la facilité n’est guère
propice à la réactivité. Sans oublier que ce n’est pas le même type de management qu’il faut
pour gérer la croissance ou surmonter la crise.
C’est pourquoi dans les stratégies de développement des entreprises, on relativise toujours
l’importance des solutions techniques, économiques et financières. Une stratégie fondée sur la
seule modernisation technique n’est qu’une fuite en avant dont l’inconvénient majeur est de
détourner l’attention des vrais problèmes de compétitivité (qui implique beaucoup de
choses !).

2 .10 Motiver les hommes

L’entreprise n’étant pas réductible à une machine chargée de produire des valeurs ajoutées, la
productivité ne garantit pas la compétitivité. Il faut aussi la qualité et l’innovation (technique
et commerciale) qui dépendent d’abord du comportement, de l’initiative et de l’imagination
de chacun à tous les niveaux de l’entreprise.
Le vrai pouvoir d’un chef ne se mesure pas au travers de la domination qu’il exerce sur les
autres, mais à la capacité à développer l’initiative et la responsabilité de ses subordonnés. Ceci
oblige les cadres et dirigeants à faire une véritable ‘révolution mentale’ visant à asseoir

16
l’autorité non plus sur la fonction et les titres mais sur la compétence et la capacité
d’animation.

2.11 Les clés de l’excellence

Le principal facteur de compétitivité et d’excellence des entreprises est le facteur humain et


organisationnel. Mais pour impliquer les hommes, susciter leur motivation, il faut un
processus. L’exemple du Japon et de la Corée du sud montre que les processus sont
changeants et contingents (succès et échecs). Le principe de contingence domine la littérature
du management. Selon P. Lawrence et J. Lorsh (1968) : ‘il n’y a pas de structure qui est
meilleure, mais plutôt différentes structures qui sont meilleures dans différentes conditions’. Il
n’y a pas de facteurs clés de succès universels valables en toutes circonstances. Le zéro stock
et les flux tendus ont été des objectifs rentables pour certaines entreprises mais aussi moins
coûteuses pour d’autres. En management, il ne faudrait pas oublier les leçons de la statistique
et ne pas confondre corrélation et causalité. Il faut reconnaître le principe de contingence et
admettre qu’il y a des combinaisons de facteurs humains, organisationnels, techniques et
financiers qui sont efficaces dans un contexte donné et qui ne le sont plus dans d’autres. Ces
combinaisons sont multiples et changeants au cours du temps.
Le seul facteur clé de succès dont la permanence peut être avancée, c’est évidemment le
principe du changement, ‘source de diversité’. La variété est un stimulant indispensable à la
motivation tandis que ‘l’ennui naquit de l’uniformité’. Le souvenir de l’expérience d’Elton
Mayo (1933) dans les années 30 : en augmentant puis en diminuant l’intensité de la lumière
dans les ateliers de Western Electric, il améliorait à chaque fois le rendement.

Conclusion paradoxale : la clé universelle de l’excellence n’existe pas : elle doit être
remodelée en permanence au gré des évolutions de l’environnement et contre les habitudes
qui figent les organisations dans un sommeil parfois mortel. Il y a mille et une clés pour
l’excellence (principe de contingence) et il faut sans arrêt en changer (principe du
changement).

Le management avisé est celui qui introduit régulièrement des ‘facteurs briseurs d’habitudes’.
Pour rester motivé, l’homme a besoin d’être stimulé en permanence par des enjeux d’autant
plus mobilisateurs qu’ils sont nouveaux, d’autant plus pertinents qu’ils s’inscrivent dans une
trajectoire cohérente.

17
III La prospective au cœur des grands débats contemporains
3.1 La prise de conscience de l’insuffisance/épuisement des
ressources

Une terminologie particulière aux études prospectives s’est progressivement constituée à partir
des années 60. L’emploi de cette terminologie est déterminé par l’évolution des facteurs
philosophiques, idéologiques et géographiques. C’est ainsi que sont apparues les notions de
‘forecasting’, de ‘futuribles’, de ‘futures studies’, de ‘futurologie’, de ‘pronostic’, etc. En réaction à ces années
de quête d’identité, la notion d’études prospectives a beaucoup évolué au cours des années 70
sous l’impulsion des changements technologiques et de leurs effets ambivalents sur la société 5.
C’est à ce moment précis, alors qu’éclatait la crise internationale du pétrole (1er choc) qui a remis
en cause nombre de projections économiques du futur, que le ‘Club de Rome’ publia son 1er
rapport, qui est un véritable cri d’alarme contre la croissance rapide de la population, la mauvaise
utilisation des ressources, les effets néfastes de l’industrialisation (pollution, gaz à effet de serre,
pesticide, fongicide, insecticide, etc.) et l’insuffisance de la production agricole.
Depuis lors, sous l’impulsion de cette première étude prospective, le débat sur l’insuffisance des
ressources par rapport à la croissance démographique n’a cessé de prendre de l’ampleur. Le risque
d’épuisement des ressources stratégiques et l’accumulation des nuisances liées au modèle de
croissance font peser sur le développement une grave menace qu’on a résumé par l’expression,
croissance zéro.

3.2 Les limites des stratégies de développement basées sur la


croissance économique

Tout en rendant compte du débat sur le NOEI, les études prospectives ont permis de s’accorder
sur une chose : tous les problèmes de développement ne pouvaient être résolus par la seule
accélération de l’industrialisation et donc par l’augmentation de la croissance. On s’accorde en
effet à reconnaître que même l’Etat-Providence ne saurait tout régler !
Ce faisant, de nombreuses idées reçues sont ébranlées (telle que l’aptitude de l’industrialisation à
atténuer les clivages et les risques de conflit entre l’Est et l’Ouest), et de nouvelles se mettent
progressivement en place, conformément à la nouvelle vision du monde. D’après cette dernière,
ce qui compte c’est la satisfaction des besoins fondamentaux, c’est-à-dire l’amélioration des
conditions de vie humaine (meilleure alimentation, logement décent, plus d’éducation, emploi
pour tous, etc.). Conséquemment, attachés à la justice, certains futuristes demandent la remise en
cause du modèle de développement basé sur l’industrialisation. Au contraire, d’autres demandent
le maintien de la société industrielle, quitte à repenser les incidences du développement
technologique sur l’environnement.

3.3 La prise de conscience des enjeux culturels


Au début des années 80, les études prospectives sont passées du débat d’idées des années 70 à
l’analyse des problèmes culturels du monde en développement. Dans cette perspective, de
nombreuses études ont été publiées. La plupart, partagées par les conservateurs et les marxistes,
défendent le point de vue selon lequel les cultures traditionnelles et routinières, dont les
paradigmes diffèrent de ceux de l’occident, freinent le processus de développement et la

5
« L’évaluation des technologies » a fait son apparition et les méthodes de prévision et de projection linéaire ont
été expérimentées pour tenter d’expliquer l’impact social du changement technologique.

18
modernisation. Les pays en développement, et particulièrement les pays d’Afrique, restent perçus
dans la perspective générale des ‘colonisateurs contre les colonisés’. Les préjugés ont de profondes
racines dans l’histoire, les perceptions raciales étant transmises par la famille mais aussi par les
livres et plus récemment par la télévision. Même si les programmes d’aide des anciennes
puissances coloniales, des Etats-Unis et d’organisations telles que la Banque Mondiale reposent
sur le postulat que les PVD sont responsables de leur planification, force est de constater que
cette assistance extérieure est marquée par la démarche occidentale qui veut que les PVD doivent
procurer des bénéfices au reste du monde.

Sans faire l’inventaire de ces études et des critiques dont elles ont fait l’objet, on peut d’ores et
déjà inférer qu’un domaine infini du développement est en train d’être défriché et que de
nouvelles perspectives de changement s’ouvrent pour les PVD.

3.4 Les études prospectives d’aujourd’hui et de demain


Les notions de vision, d’options et de pouvoir sont très importantes à ce sujet.

Premier concept : la vision du futur comme stimulant de l’évolution du présent. Fred Polak disait que le futur
est l’antithèse du présent et que la réalité est le fruit de ce dualisme.

La vision (représentation, conception) saisit l’évolution du présent et modifie l’attrait du futur.


Celui-ci est l’antithèse du présent et la vision du futur est en rupture avec ce dernier. En même
temps, c’est la vision du présent qui porte en elle les semences de l’avenir.

Les visions ne sont pas faciles à concevoir. Une fois la créativité et l’imagination détruites, la
vision risque de disparaître et c’est peut être ce qui se passe en Occident aujourd’hui. Il est permis
de se demander si l’acuité sur ce plan est le signe du déclin d’une société ? Est-il vrai que la
vigueur d’une culture se manifeste par l’énergie et la sensibilité de sa vision du futur ? Pour
répondre à cette question, la notion de temps est encore très importante, dans de nombreuses
cultures. Mais on doit reconnaître que le temps, en tant que processus linéaire et donc
caractéristique de la pensée occidentale, n’est pas partout indispensable pour penser l’avenir. La
vision peut avoir un rôle d’anticipation susceptible de se transformer, lorsqu’elle est corroborée
(renforcée, donner un appui à quelque chose), en un rôle politique qui peut même prendre la
forme d’une stratégie. Les visions sont multiples et diverses mais une seule vision peut produire
un phénomène de cristallisation. Enfin, il faut noter qu’une vision reflète les désirs ou les peurs
de son auteur et qu’il ne faut pas négliger l’importance des valeurs à cet égard.

Deuxième concept : il existe de nombreux futurs possibles. Il y a autant de futurs que d’êtres humains.
C’est la même idée que Roy Amara exprime lorsqu’il décrit les 6 objectifs des études
prospectives : (i) ‘identifier et examiner les futuribles’ ; (ii) ‘caractériser le degré d’incertitude qui
se rattache à chaque possibilité ou futurible’ ; (iii) ‘identifier les éléments clés qui laissent présager
certains futurs possibles ou mettent en garde contre ceux-ci’ ; (iv)‘examiner diverses informations
puis les successions des faits’ ; (v) ‘apprendre à connaître les processus fondamentaux du
changement’ ; (vi) ‘mieux connaître et comprendre nos propres préférences’.

Le futur ouvre un éventail de possibilités dont la concrétisation dépend de nos actions et de nos
choix. La liberté présuppose que nous faisons des choix et que par conséquent nous devons avoir
un système de valeurs et de préférences qui nous fait privilégier telle ou telle possibilité. Mais, ces
valeurs évoluent avec le temps en fonction de situations sociales particulières. Ne pas en tenir
compte peut nous conduire à faire des choix qui « s’adressent » à des situations appartenant déjà
au passé en raison de la lenteur avec laquelle les valeurs évoluent et prennent effet. L’efficacité de

19
nos actions risque donc d’être limitée tant que nous nous contentons de réagir aux situations
plutôt que d’essayer de les devancer.

Troisième concept : le pouvoir et ses rapports avec la liberté et avec les choix. Nous avons d’une part
l’imprévision et d’autre part les dangers extérieurs et intérieurs aux pays en développement. Cette
façon de penser est à bannir, au contraire les africains doivent apprendre à reconnaître les
situations au moment où elles se dessinent et où il est encore possible de les façonner pour éviter
qu’elles ne deviennent des contraintes écrasantes.

20
IV Méthodologie des études prospectives

La définition de la méthodologie des études prospectives est par essence complexe, le champ des
EP étant large et ses concepts nombreux et empruntés à plusieurs disciplines des sciences humaines et des sciences de
la nature.
Par méthodologie, on entend tous les moyens nécessaires pour rattacher les évènements passés et
présents à un futur possible. Nous y verrons d’abord, les méthodes les plus rigoureuses, dites
scientifiques, en particulier les méthodes quantitatives de prévision.

On peut bien conjecturer sur l’avenir aussi bien à partir des données fournies par un modèle
formalisé faisant intervenir de multiples équations qu’en se laissant aller aux superstitions les plus
communes. De nombreux gouvernants, dans le passé, s’en remettaient largement à des
superstitions et à des prédictions d’oracles (réponse qu’une divinité donnait à ceux qui la
consultent) pour arrêter leur ligne d’action. Il serait certes assez difficile de faire admettre aux
gens, de nos jours, que leur avenir dépend de la couleur des entrailles d’un poulet, mais des
superstitions du même ordre subsistent et subsisteront sans doute tant que des moyens plus sûrs
de prévoir l’avenir ne seront pas imposés.

Dans les civilisations qui n’avaient pas connu la révolution copernicienne, ceux qui étaient
vraiment capables de prévoir l’avenir dans un certain domaine (astronomie par exemple) en tiraient
un prestige qui leur permettait d’exercer sur les autres une certaine influence. C’est ainsi qu’ils
réussissaient, dans certains cas, à faire croire qu’ils étaient capables de prévoir l’évolution des
sociétés. Il n’est pas exclu que de tels abus se produisent encore aujourd’hui. Le fait que les
scientifiques aient percé les secrets de l’atome, de l’ADN et des quasars (source céleste d’ondes
hertziennes) et qu’ils soient capables de faire des prévisions rigoureuses, ne signifie pas
nécessairement que la ‘science’ offre toujours des moyens valables de prévoir l’avenir dans
d’autres domaines.

Dans quels domaines aujourd’hui les EP permettent-elles de nous renseigner sur ce que l’avenir
nous réserve ?

C’est ce que nous allons voir en 2e position dans cette partie.

4.1 Les prévisions à long terme : une science et un art

Les EP portent souvent sur l’avenir à long terme (une dizaine et une cinquantaine d’années), Olaf
Stapledon, dans Last and First Men, va jusqu’à envisager une période de 200 millions d’années.

Les études sur le futur de type traditionnel6 ont un caractère visionnaire et prophétique (visions
littéraires, utopiques ou apocalyptiques), faisant une large place à l’imagination et à la fiction.

Au contraire, au XXe siècle, en particulier depuis la Seconde Guerre mondiale, les prévisions et
les études sur le futur font une place de plus en plus large aux méthodes dites ‘scientifiques’. On
peut donner à cet effet deux exemples : The Year 2000 où Herman Kahn a eu recours, pour
décrire sa vision du futur, à une technique proche de l’analyse des scénarios (technique narrative)

6
1984 de George Orwell, Le déclin de l’Occident de Spengler ou Grundriβe de K. Marx peuvent être considérés
comme d’admirables exemples d’études sur le futur.

21
et Limits to Growth, où les membres du Club de Rome décrivaient le futur que laisse prévoir un
modèle construit sur leur initiative.

De nombreuses études prospectives sont assez directement liées aux activités de planification
d’un gouvernement (horizon, 5 ans) :

Cas des Etats-Unis, qui ne pratiquaient pas de planification, mais faisaient des prévisions à
long terme.
La France a toujours disposé d’un service de planification à long terme avec un horizon
temporel de 25 ans.
La Hollande et la Suède disposaient respectivement d’un Conseil scientifique et d’un
Secrétariat pour le futur.
L’OCDE, la Banque mondiale et l’ONU procèdent régulièrement à des prévisions à long
terme, à caractère essentiellement économique.
L’Afrique : le Plan d’action de Lagos et la Déclaration de Monrovia constituaient les seules
tentatives ambitieuses dans le sens, avant les travaux récents.

Il est souhaitable que les responsables politiques africains orientent leurs actions (technologie
nucléaire, lutte contre la déforestation, mise en valeur des ressources humaines à travers
l’éducation et la santé, etc.) en fonction des besoins des générations futures.

4.2 Que peuvent attendre les planificateurs de la recherche prospective ?

Tout planificateur fait plus ou moins appel à des prévisions. Pour le prévisionniste, aborder les
EP revient à adopter un horizon plus lointain (au–delà de 5 ans, horizon retenu par les
planificateurs) ou à élargir le champ de ses observations (on ne le dira jamais assez, les EP ont un
caractère ‘global’, embrassant simultanément plusieurs aspects d’un problème).
Il est légitime de se demander si la planification peut être véritablement efficace hors de la
perspective à long terme et du contexte élargi qu’offrent les EP.

Il est certes impossible de définir précisément ce que sera l’avenir lointain, mais des méthodes de
prévision convenablement choisies et appliquées peuvent contribuer à ordonner le débat
complexe qui se déroule dans les services de planification et ailleurs au sujet des futurs possibles
et cela à 3 égards :

- primo, en augmentant la précision et la rigueur de l’analyse des informations disponibles en


facilitant la prise en compte de toutes les données principales d’un problème et en offrant un
cadre plus adéquat pour analyser l’interaction des politiques;
- secundo, en fournissant un moyen d’expérimentation qui facilite l’évaluation des diverses politiques
possibles ;
- tierso, en fournissant aux chercheurs des grilles conceptuelles et en facilitant la communication des idées
entre chercheurs, décideurs et grand public.

4.3 Les méthodes quantitatives : de l’extrapolation à la construction de modèles


‘holistiques’

De nombreuses prévisions sont des estimations chiffrées de la valeur future d’une variable, si
incertaines qu’elles puissent être. Cette variable peut être l’effectif de la population ou le revenu

22
national d’un pays. L’estimation quantitative peut être implicite : exemple, prévoir des tensions
sociales ‘excessives’. Il est bien évident que le degré de certitude d’une prévision quantitative est
l’un des critères qui permettent d’en évaluer la valeur ‘méthodologique’ et l’utilité pratique.
Empiriquement, une prévision est dite utile si les incertitudes qu’elle comporte ne sont pas
suffisamment graves pour justifier l’adoption d’une stratégie qualitativement différente.

Quelle est l’utilité pratique des prévisions ?


Il est difficile de l’évaluer en se fondant sur l’expérience. Tout au plus peut-on comparer une
prévision avec une autre. Mais une chose est sûre, la plupart des prévisions tendent à modifier les
attitudes du public et des dirigeants (l’établissement d’un plan de développement). Dans d’autres
cas, présentées comme ‘ce qui risque d’arriver’ si l’on ne suit pas telle ou telle politique elles sont
empreintes de partialité et délibérément exagérées. Il est symptomatique de remarquer que quelle
que soit sa nature (croissance rapide de la population ou annonce de catastrophes), la prévision
est accompagnée d’exhortations à appliquer des politiques rigoureuses. C’est ce phénomène
qu’illustre la figure 1 : les prévisions faites entre 1965 et 1975 de l’évolution de la population
mondiale au XXIe siècle sont très divergentes7 selon les auteurs et les méthodes utilisées. Les
chiffres avancés pour 2000 vont de 3 à 6 milliards d’habitants et pour 2100, ils vont de 2,5 à 40
milliards.

Il faut aussi relever le fait que si impartiale soit l’analyse, les prévisions ne peuvent jamais être
absolument sûres. L’incertitude tient à la mauvaise qualité des données, aux insuffisances
théoriques, aux erreurs systématiques, au manque de rigueur dans l’exploitation des données et le
maniement des hypothèses. Ce dernier facteur influe particulièrement sur l’efficacité des
techniques de prévision.
Une politique consiste la plupart du temps à ‘planifier l’incertain’ et à répartir au mieux des
ressources insuffisantes. Pour réduire autant que possible la marge de risque, il est indispensable
d’évaluer les chances de réussite de la politique considérée, et l’évaluation est presque aussi
importante que l’objectif même de la politique.

4.4 Construction de modèles simples : projection et tabulations


Les études prévisionnelles ont recours, selon les fins poursuivies, au classement (ex. matrice de
comptabilité sociale) et à la tabulation des données (présentation des données dans un tableau) qui mettent en
évidence les structures (aspects essentiels), ou aux graphes qui établissent les relations entre
structures, paramètres et variables.

Les méthodes les plus simples consistent à extrapoler un ensemble de données historiques.
Idéalement, les données historiques devraient couvrir une période au moins aussi longue que celle
sur laquelle portent les prévisions. Lorsque cela n’est pas possible, l’extrapolation aboutit à des
projections plutôt qu’à des prévisions véritables. Les projections sont toujours fondées sur
certaines hypothèses, même dans les cas les plus simples8.

La figure 2 illustre par un exemple simple l’importance de ces hypothèses. Les données portent
sur la demande d’un produit de base à des intervalles de 5 ans compris entre 1965 et 1980. Si l’on
suppose que les données sont exactes et que la croissance de la demande obéit à une fonction
exponentielle, on obtient pour 1990 par exemple, un éventail très large de projections. Afin de
réduire la marge d’incertitude, on peut ‘affiner’ l’interprétation. Par exemple, si on juge que la
demande en 1970 était anormalement faible en raison des troubles politiques dans un pays voisin,

7
Méthodes de projection : extrapolation exponentielle de Heilbroner et modèles informatiques à variables
multiples utilisés par le Club de Rome.
8
Exemple, toute projection exponentielle d’une variable repose sur l’hypothèse d’un taux de croissance constant.

23
ou que la demande s’est trouvée déprimée en 1980 sous les effets de la crise économique
mondiale, on peut retenir la projection supérieure comme étant la plus vraisemblable. En
revanche, si on considère que cette récession mondiale risque de se prolonger, on retient la
projection faible.

Ces exemples montrent qu’une méthode si élaborée soit-elle, n’autorise que ce que les hypothèses
dictent. La prévision dépend donc dans une large mesure des hypothèses et de l’interprétation des
résultats.

Lorsqu’on veut faire une prévision, on commence d’abord par des méthodes simples. Lorsque les
données sont insuffisantes, on se contente des méthodes quantitatives approximatives et
rudimentaires. Sous réserves du maintien des tendances actuelles, les projections démographiques
les plus simples donnent des indications utiles sur la structure de la population et de l’économie
d’ici 10 ou 20 ans, ou à tout le moins annoncent des contradictions.

Exemple illustratif de l’interaction de certaines des variables dont dépend la réalisation des objectifs
d’autosuffisance énoncés dans le Plan d’action de Lagos. Ces variables mettent en lumière les principaux
aspects de la structure socio-économique d’un petit pays en développement lourdement tributaire
de ses exportations de matières premières, dans un secteur dominé par des sociétés
transnationales, et du tourisme international. Le tableau indique la répartition entre profits et
salaires, la part des bénéfices rapatriés, la pression fiscale, etc. Si on veut affiner l’analyse, on fait
une distinction entre ménages urbains et ruraux, entre secteur privé et public, entre grandes et
petites entreprises.
Première matrice : matrice de comptabilité sociale d’un pays en développement à économie
ouverte.
RES TOUR RESTE TRAV CAP ADM PRIV CAPP CAPSP ETR TOTAL
RES 76 3 989 4 065
TOUR 38 205 243
RESTE 62 83 381 45 439 9 49 69 1 137
TRAV 65 44 172 99 380
CAP 302 25 268 595
ADM 3 10 40 55 71 71 250
PRIV 380 235 34 649
CAPP 72 72
CAPSP 39 10 29 96 62 236
ETR 3 594 71 171 305 5 63 187 4 396
TOTAL 4 065 243 1137 380 595 250 649 72 236 4 396 0
Explication : les lignes de la matrice correspondent aux recettes de chacun des secteurs économiques
retenus, et les colonnes leurs dépenses. L’économie considérée a 3 secteurs productifs : un secteur
RESsources aux mains des sociétés ETRangères, orienté vers l’exportation ; un secteur TOURisme ; le
RESTE du secteur privé local.

TRAV : facteur de production travail ;


CAP : facteur de production capital ;
Les ADMinistrations et les institutions PRIVées consomment et investissent, ces dernières représentées
par les symboles CAPP et CAPSP.

Ex. : la ligne RES signifie que le secteur des ressources a fait une recette de 4065 millions de F
provenant des achats du secteur privé local pour 76 millions et des exportations pour 3989
millions.

24
La colonne RESTE signifie que le secteur privé local a dépensé au total 1137 millions de F
décomposés comme suit : achats au secteur ressources pour un montant de 67 millions, achats à
lui-même pour 381 millions, dépenses des salaires pour 172 millions, paiement d’intérêts pour
268 millions, paiement d’impôts pour 40 millions et enfin consommation et investissement des
administrations et institutions privées pour 29 millions.

Ce tableau indique ‘l’allure’ générale de l’économie. Le fait de rassembler toutes de données dans
une grille unique fournit un moyen précieux de vérification de la cohérence. La construction de
matrices de ce genre, tout comme l’établissement de projections simples, sont parmi les méthodes
les plus employées par les services de planification. Dans le cas des EP, le champ
d’expérimentation peut être élargi ou l’horizon plus lointain et l’on peut se contenter
d’estimations plus vagues des variables difficilement pondérables et de l’interaction des
paramètres. Si les données sont rudimentaires, on peut se borner, au lieu de chiffrer les éléments
de la matrice, à indiquer par ‘oui’ ou par ‘non’ s’ils interviennent.

Des manipulations expérimentales simples de cette matrice de comptabilité sociale permettent de


déterminer les effets de certaines modifications hypothétiques des structures de production,
résultant par exemple de l’introduction des techniques nouvelles ou du changement de mains
d’une partie de l’appareil de production, ou encore de différents taux de croissance possibles, ce
qui amène à aborder d’autres questions telles que le style de développement, le renforcement des
liens interindustriels ou la répartition sociale.

Deuxième matrice : répartition des besoins fondamentaux dans un pays en développement à


faible revenu.

LUXE COUR EQUIP. QUAL NON CAPITAL REV. FAIBLE EXPORT. TOTAL
QUAL. ELEVE REV.
LUXE 17 16 10 83 42 -9 159
COUR 15 19 9 71 53 5 172
EQUIP. 7 6 5 47 11 -21 55
QUAL 25 16 16 57
NON 28 48 3 79
QUAL.
CAPITAL 67 67 12 146
REV. 57 126 18 201
ELEVE
FAIBLE 79 20 7 106
REV.
TOTAL 159 172 55 57 79 146 201 106 0 975

Cette matrice de comptabilité sociale rend compte de la production et de la consommation de


biens de luxe, de biens de consommation courante (COUR.) et de biens d’équipement (EQUIP.).

Les lignes indiquent les recettes de chaque secteur économique et les colonnes ses dépenses. La
production de biens de luxe et de biens d’équipement exige davantage de main-d’œuvre qualifiée
(QUAL.) et de capital (CAPITAL) que la production de biens de consommation courante. Les
biens de consommation courante constituent l’essentiel de la consommation des ménages à faible
revenu (FAIBLE REV.), catégorie dans laquelle se range la main-d’œuvre non qualifiée (NON
QUAL.).
Cette matrice est envisagée pour mettre en évidence la répartition de la consommation entre
ménages riches et ménages pauvres dans les pays peu avancés. La distinction retenue, aussi bien
pour la consommation que pour la production, est fondée sur le concept de ‘panier minimum’,
c’est-à-dire l’ensemble des biens et services considérés comme indispensables à un minimum de

25
bien-être matériel et psychologique. Ce concept, pour vague qu’il puisse paraître, se prête
néanmoins à une quantification qui est utile pour prévoir l’évolution des besoins fondamentaux.

4.5 La construction des modèles dynamiques et les méthodes de simulation


Par-delà les techniques quantitatives relativement simples évoquées tantôt, jusqu’où peut-on
aller ? Cette question est cruciale tant pour les planificateurs que pour les prospectivistes.

Pour les 1ers, la réponse dépend des limitations inhérentes aux données et aux hypothèses. La
validité de certaines hypothèses peut être par exemple mesurée par des indices de signification
statistique. Comment calculer ces indices ? Il n’y a pas de règle commune, la validité d’une
hypothèse tient moins à une théorie qu’à un jugement et à l’intuition. Mais de nombreux services
de planification grâce à l’influence des organisations internationales et des consultants étrangers et
malgré l’insuffisance de données statistiques, utilisent des modèles macroéconomiques
dynamiques plus robustes. Ces modèles offrent certes un instrument utile pour la manipulation
de tout jeu d’hypothèses, mais on ne doit pas oublier qu’ils procèdent d’une idéologie étrangère
aux intérêts du ‘sud’ et des ‘africains’. Au lieu d’être utiles à la prévision, ils risquent d’élargir le
fossé culturel et perpétuer la situation de dépendance du tiers-monde.

Pour les 2nds, les difficultés sont d’ordre méthodologique, car avec un horizon plus long et faisant
intervenir une gamme plus étendue de variables non économiques par rapport aux modèles
classiques et ceux employés par les planificateurs, les modèles prospectifs sont plus exigeants. La
période pour laquelle on dispose de données historiques est souvent beaucoup plus courte que
celle sur laquelle portent les prévisions, et les mesures des variables supplémentaires ainsi que les
hypothèses concernant leur interaction sont généralement moins sûres que celles considérées
dans un modèle économique classique.

4.6 Modèles holistiques9 et analyse de scénario


Les prospectivistes se sont longuement penchés sur les méthodes à suivre pour rendre compte de
l’interaction entre phénomènes sociaux, économiques, technologiques et naturels. Ces méthodes
s’inspirent entre autres de l’analyse de systèmes et des méthodes des sciences politiques ; elles
vont de la réalisation de modèles ‘holistiques’ formalisés à la construction, à l’aide de techniques
diverses ou à l’aide d’une série de discussions, de scénarios semi - quantitatifs.

Les modèles de simulation ‘holistiques’ tentent de rendre compte par un modèle unique de
l’interaction de tous les phénomènes concomitants. Ils sont fondés non pas sur une base
empirique et théorique, mais sur une vision de la réalité propre à leur auteur. Le modèle bien
connu employé par le Club de Rome sur les limites de la croissance (Limits to Growth) en est un
exemple. La figure 5 reprend ses principales interactions et la figure 6 indique les conclusions
auxquelles il a permis d’aboutir.

Critiques : on a reproché à ce modèle, le fait de laisser de côté certains processus culturels et


sociaux essentiels. C’est pourquoi certains préfèrent les modèles ‘à variables hiérarchisées’ qui

9 Holistique ou holiste, relatif à holisme, doctrine en sciences humaines qui ramène la connaissance du particulier,
de l’individuel à celle de l’ensemble, du tout dans lequel il s’inscrit. Concept philosophique opposé au
réductionnisme. Alors que le réductionnisme préconise que le tout peut être décomposé et analysé en termes de
ses composantes considérées comme fondamentales, le holiste pense que c'est le tout qui est fondamental et que
celui-ci ne peut être déduit de l'étude de ses composantes, le tout étant souvent plus grand que la somme des
composantes.

26
intègrent différents types de variables et distinguent les variables économiques ‘rigides’ des facteurs
sociaux et politiques ‘fluides’ (ou ‘décisions sociales’).

Contrairement aux modèles de simulation, l’analyse de scénario adopte une démarche discursive
(qui procède par raisonnements successifs, s’oppose à intuitif), prenant appui sur une théorie ou
sur une conception particulière. En tant que méthode quantitative, son inconvénient est de
masquer l’influence que des facteurs idéologiques ou certains jugements de valeur peuvent avoir
sur les résultats des prévisions. Ce fait est illustré par la figure 7, où sont reprises diverses
projections des possibilités de redistribution des activités économiques dans le monde au cours
du XXIe siècle. On constate que les projections de la variable clef sont directement liées aux
préférences idéologiques de leurs auteurs. Cette remarque est aussi valable pour les projections
démographiques données en exemple précédemment.

La figure 8 reprend les prévisions des mêmes auteurs concernant la croissance à LT de


l’économie mondiale. Ces prévisions ne valent qu’à la condition que la stratégie du
développement mondial préconisée par leur auteur soit appliquée. On pourra s’étonner que ces
prévisions soient si différentes et semblent parfois se contredire, mais le plus important est de
savoir que les projections à LT établies par les organisations internationales telles que la Banque
mondiale ou l’OCDE sont constamment révisées à la hausse ou à la baisse et reposent
habituellement sur des hypothèses ‘optimistes’ ou ‘pessimistes’ admises, que l’on peut juger
d’arbitraires. Il est évident que les auteurs des EP prennent bien souvent leurs désirs pour des
réalités. Ce n’est pas le cas des planificateurs, car une étude ou un plan d’apparence scientifique
qui aboutit à des conclusions pessimistes peut se révéler nuisible (démoralisatrices qui incitent
particulièrement au fatalisme). En revanche, une vision du futur plus optimiste, quelque peu
imaginaire voire fantaisiste, peut se révéler constructive si elle attire l’attention sur des problèmes
clés, par exemple sur la situation des ressources humaines et contribue à mettre une société sur la
voie qui lui permettra d’atteindre les buts qu’elle s’est fixés.

L’analyse de scénario peut contribuer à rendre beaucoup plus explicites les hypothèses
invérifiables ou subjectives sur lesquelles repose une prévision. La figure 9 présente un tableau
de différentes ‘visions du monde’ qui sont des théories ou explications du fonctionnement du
système éco - politique mondial et des types de questions auxquelles chacune de ces théories
tente de répondre. Bien que schématique, ce tableau aide à comprendre certains conflits réels,
permet d’orienter les discussions sur le futur et peut être transposé pour rendre compte des
problèmes concrets de tel ou tel pays en développement.

Chaque théorie de développement privilégie certains phénomènes dont elle fait la clef de l’avenir.
La figure 10 esquisse sommairement différentes suites d’événements qui, selon les 3 systèmes de
pensée dont les théories sont illustrées par la figure 9, aboutiraient à un ordre mondial plus
équitable. La figure 11 expose les 3 ‘images du futur’ très différentes qui correspondent aux 3
schémas de développement esquissés à la figure 10. Cette présentation a un grand mérite, elle fait
ressortir les incohérences et les contradictions que comporte chaque scénario.

4.7 L’organisation des méthodes prospectives


Toute prévision dépend naturellement de la personnalité de son auteur, des convictions politiques
et du type d’organisation qu’il représente. Si sérieux que puisse être le travail, ses résultats
dépendent des jugements de valeur, des hypothèses et des méthodes sur lesquels il repose. Il est
donc dangereux de s’en remettre aveuglement aux prévisions des autres. Ceci vaut surtout pour
l’Afrique qui passe pour être un terrain d’expérimentation. L’UA et la CEA qui s’emploient à
définir une politique du développement de l’Afrique, devraient pouvoir se faire des opinions

27
informées et être capables d’établir leurs propres prévisions ou d’analyser minutieusement les
incidences des prévisions provenant d’autres sources.

Il est impossible à une seule organisation, pour des raisons pratiques de déterminer la validité de
toute une gamme de solutions possibles. Il est de même impossible de déterminer le degré
d’incertitude de l’évolution future de telle ou telle question ou tendance d’après une étude isolée.
Même ‘l’analyse de sensibilité’ appliquée à un modèle prévisionnel ne permet pas de déterminer très
précisément le degré d’incertitude des prévisions, elle fournit tout au plus une indication de la
marge d’erreur imputable à la mauvaise qualité des données ou à des facteurs exogènes. Elle n’est
d’aucun recours lorsque la théorie de départ n’est pas valable.

Pour se faire une idée des différentes voies qui s’offrent pour l’avenir, il vaut mieux étudier des
prévisions fondées sur des hypothèses, des conceptions du monde et des théories différentes. Le
meilleur moyen d’évaluer le degré d’incertitude d’une prévision consiste à étudier les prévisions à
LT de la même variable pour les décennies passées et les méthodes employées. Pour ces diverses
raisons, il importe de multiplier les contacts et les échanges d’informations, aux plans national et
international, entre différents groupes de spécialistes du secteur public et du secteur privé. Ces
échanges renforcent les assises de ceux qui ont décidé d’opter pour une approche
multidisciplinaire et favorisent le travail en équipes interdisciplinaires.

4.8 Relations avec les pouvoirs publics


Le manque de temps et le besoin urgent d’informations semblent être des traits caractéristiques
des gouvernements modernes.

Confrontés à des questions difficiles et urgentes, les politiciens sont rarement disposés à attendre
que celles-ci aient fait l’objet d’analyses approfondies et exhaustives.

Du fait de la nature du processus de définition des politiques, même si une technique est adaptée
à l’analyse d’une question, il peut s’avérer impossible de l’employer. De nombreuses questions
politiques cruciales ont des aspects nouveaux qui justifieraient le recours à des méthodes
d’analyse nouvelles, mais on n’en fait pas recours faute de temps. Aussi, lorsqu’il s’agit de
résoudre d’urgence une question de principe, ce sont souvent les méthodes de prévision les plus
simples qui sont employées, en dépit de leurs faiblesses bien connues. De ce fait, les analyses
sérieuses des effets à LT des politiques sont souvent réalisées après que des décisions importantes
aient été prises.

La communication revêt une importance capitale à l’intérieur des équipes de chercheurs et des
groupes de spécialistes ou avec l’administration.

28
V L’analyse des scénarios : les différentes visions du futur
Quelle est la nature des scénarios ? Quelles sont ses différentes acceptions et quelles sont les
méthodes employées pour les élaborer ? Quels sont les différents usages de l’analyse des
scénarios ? De quelle façon les scénarios servent à l’élaboration des stratégies et des plans ?

5.1 Qu’est-ce qu’un scénario ?


Ce terme a acquis une certaine notoriété dans le domaine des EP grâce aux travaux du chercheur
américain Herman Kahn qui définissait le scénario comme suit : ‘Une succession hypothétiques
d’événements conçues en vue d’attirer l’attention sur les rapports de cause à effet et les nœuds de
décision’ (Kahn et Wiener, 1967, p.6).

Contrairement à de nombreuses techniques de prévision, l’analyse de scénario ne met pas


seulement l’accent sur les diverses tendances et leur interdépendance ; d’après cette définition,
l’analyse porte également sur les structures fondamentales et sur les ruptures éventuelles.

Des distinctions sont faites entre certains termes voisins du scénario tels que les ‘profils’ et les
‘images’.

Par ‘profil’ du futur, on entend une description très schématique, à l’aide d’une ou de plusieurs
variables clés, d’une période à venir. Exemple : tracer le profil du futur en décrivant un pays qui
aura dans 20 ans 50 millions d’habitants et un revenu réel par tête de 6 000 $US.

Freeman et Jahoda (1978) avaient tracé quatre (4) profils selon que l’économie mondiale
enregistrera une croissance forte ou faible et que les inégalités internationales iront en diminuant
ou en s’accentuant. Ils avaient commencé par tracer ces profils avant de présenter des scénarios.

Au vu de ce qui précède, un scénario correspond à une succession de mécanismes ou


d’événements qui amènent une entité donnée (un continent, une région, un pays, une partie d’un
pays, etc.) à évoluer vers un état futur.

On distingue souvent deux (2) catégories de scénarios :

- le scénario exploratoire qui vise à examiner le type de futur auquel pourrait donner lieu le
prolongement de certaines tendances ou surveillance de certains événements ;
- le scénario normatif qui au contraire a pour objet d’envisager les types de tendances ou
d’événements qui pourraient aboutir à un futur particulier.
BN : Herman Kahn a adopté la démarche exploratoire qui consiste à envisager des
grandes tendances en même temps qu’un ensemble d’événements différents.
Freeman et Jahoda ont au contraire adopté la démarche normative en cherchant à
déterminer les événements qui permettraient d’aboutir aux quatre profils.

La notion d’‘image du futur’, quant à elle, dépasse le stade des simples variables identifiées par
le profil du futur. De façon relativement détaillée, elle présente le type de futur auquel pourraient
aboutir les actes et démarches qui en étaient porteurs ou encore le scénario qui a été élaboré.
Cette image peut être exprimée de différentes façons.
Exemple : Kahn a recours à un récit alliant la fiction et une certaine forme de journalisme et des
essais sur les incidences des facteurs évoqués. Freeman et Jahoda ont rédigé des exposés portant
sur les principales questions soulevées et ils ont aussi procédé à des comparaisons entre chacune
de leurs images du futur à l’aide de matrices pour lesquelles les caractéristiques principales étaient
succinctement évaluées.

29
NB : ces distinctions ne font pas l’objet d’un accord unanime, mais les spécialistes de la
prospective emploient généralement le terme de ‘scénario’ en lui donnant le sens qu’il a
ici.

On parle souvent ‘d’analyse multi-scénarios’ pour souligner un des avantages que présentent
beaucoup d’études de scénario, car elles envisagent d’autres futurs possibles, leurs caractéristiques
et le processus dont ils constituent l’aboutissement. A l’inverse, certains travaux présentent une
vision du futur comme s’il s’agissait d’un phénomène inévitable ou de la seule possibilité
souhaitable.

Il arrive très souvent que de prétendus scénarios, dans le domaine de la prévision touchant aux
questions économiques et à l’énergie, n’attachent guère d’importance aux nœuds des décisions,
aux rapports de cause à effet, ni à différents événements. De tels scénarios s’assimilent aux
‘images du futur’ dont on a fait cas précédemment, c’est-à-dire des études théoriques qui
associent simplement plusieurs tendances et contiennent une brève analyse de l’interdépendance
de ces tendances ou de leurs contradictions. Ces scénarios sur la croissance économique, les
tendances démographiques ou la demande d’énergie peuvent sans doute rendre de grands
services à la planification, mais ils sont le résultat de techniques limitées de prévision plutôt que
d’études prospectives. Ces scénarios peuvent être élaborés pour donner une idée des implications
plus générales des tendances en question mais par eux-mêmes ils ne recouvrent pas une gamme
suffisamment diversifiée de questions pour présenter une image utile de l’avenir ainsi projeté.

5.2 La conception des scénarios

De nombreuses études prospectives entreprises en dehors du cadre de l’analyse des scénarios


peuvent être facilement placées dans cette perspective/ Exemple : PAL 1980-2000. C’est un
document de planification (énumérant différents objectifs à atteindre dans divers domaines :
agriculture, industrie, ressources naturelles, ressources humaines, alimentation, etc. Exemple,
porter d’ici 2000, la production industrielle de l’Afrique à 2% de la production industrielle
mondiale ; et déterminant les besoin à prendre en compte au niveau national, sous-régional et
international). Ce programme n’est-il pas le produit d’une intuition d’une poignée de personnes
appliquée à des éléments matériels ? Considérer ce programme comme un scénario, n’est-ce pas
une manière de réduire la conception des scénarios à de simples récits de science-fiction ?

En fait, les auteurs de prévisions utilisent tout d’abord leurs connaissances pour déterminer le
cours le plus plausible des événements, puis le présentent de façon compréhensible. Ce scénario
‘plausible’ est évidemment conçu grâce aux seules facultés d’analyse de son auteur, qui reposent
sur sa connaissance du monde contemporain ainsi que sur sa décision de retenir tel profil du
futur ou des tendances et des événements particuliers.

BIBLIOGRAPHIE

30
• Francis GIRAUD, ELF-Aquitaine, "Prospective et Management stratégique du groupe
industriel ELF-Aquitaine", in Les Cahiers de l'ENSPTT, n°1, juin 1996

• Jean-Pierre WARNIER, ethnologue, professeur d'anthropologie à l'Université Paris V -


René Descartes, 1997

• Prospective, débat, décision publique, Avis du CES sur le rapport présenté par J.P.
BAILLY au nom de la Commission spéciale du Plan - juillet 1998.

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