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Cissé Youssouf. Notes sur les sociétés de chasseurs malinké. In: Journal de la Société des Africanistes. 1964, tome 34
fascicule 2. pp. 175-226.
doi : 10.3406/jafr.1964.1383
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jafr_0037-9166_1964_num_34_2_1383
NOTES
SUR LES SOCIÉTÉS DE CHASSEURS MALINKÉ
PAR
YOUSSOUF CISSÉ
Introduction.
1. Le fusil est également doué de vie ; il est autant que son propriétaire exposé aux méfaits du
nyama, du siri ; d'où la nécessité de le « tremper », mï, afin que, même sous l'action des influences
extérieures, il puisse continuer de fonctionner normalement.
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II y a quelques décennies — il en est probablement ainsi dans cer
taines régions du Manding, le dia sigi, tout comme les autres réunions
à caractère cultuel, se déroulait dans le bois sacré des chasseurs,
dôso tu, auquel fait allusion le dicton « on n'entre pas sous la touffe
des chasseurs avant d'avoir tué un oiseau ». Le nouvel initié n'avait
donc rien à craindre de la traversée d'une agglomération qui présente
un certain risque de « souillure », notamment les mauvaises rencontres
(vue d'une femme, d'une personne à mauvais œil, etc.).
S'il court aujourd'hui ce risque, c'est que le Malinké de la haute
vallée, devenu musulman depuis peu de temps, admet de moins en
moins que se déroulent au grand jour certaines manifestations rela
tives à l'ancien culte. Cela explique le transfert de la brousse au vil
lage du pôle du culte de Sanin et Kontron. Il explique davantage
encore pourquoi le mot meleke — ange en arabe — a remplacé dya,
double, dans dya sigi.
Un chasseur nouvellement islamisé, à qui je faisais timidement
remarquer que le concept de l'ange gardien était trop pauvre pour
pouvoir rendre les multiples manifestations du dya, me répliqua avec
gravité : « chacun de nous a sur l'épaule droite un ange qui note ses
bonnes actions et sur l'épaule gauche un autre ange qui note ses mauv
aises actions. Ces actes, kewale, seront mis le jour du jugement der
nier, kïri dô ou dô-dô, dans le plateau de la balance, dya (allusion au
double de l'âme).
Voici un exemple parmi tant d'autres du syncrétisme forcené dont
le Malinké musulman sait faire preuve.
Quoique cette tendance domine la vie religieuse de la haute vallée
du Niger, il est relativement aisé de faire la part des deux religions —
l'Islam et l'Animisme — dont les concepts se côtoient sans toutefois
se mêler.
1. En 1962, un des dirigeants du parti Sawaba en exil à Bamako était sauvagement assassiné par
un tueur à gages qui parvint à échapper à la police et à se terrer dans la montagne, du côté de
N'Gomi. Les chasseurs de cette petite bourgade proche de la capitale malienne firent de cet événe
ment une question d'honneur, et ils devaient en moins de vingt-quatre heures tirer l'assassin de sa
retraite.
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tiques. Ils détiennent la clé de la magie et de la pharmacopée
locales; ce qui n'est pas peu dire dans un pays où la médecine
européenne est considérée comme un luxe et jugée par ailleurs incom
pétente dans certaines formes de maladies.
L'immunité dont jouissait le chasseur est comparable à celle du
forgeron, du marabout, du « marchand du Nord », du griot, dont la
fonction était initialement de recueillir, de diffuser et de perpétuer
dans les chroniques et les chants les principaux événements de la vie
du Manding.
« On n'assaille pas un chasseur muni de son sifflet, un forgeron
tenant à la main son marteau, un griot portant en bandoulière sa
guitare, un marabout chargé de ses reliques. Quant au marchand, il
amène plus facilement la guerre qu'il n'importe le sel. »
A rencontre des griots, des marchands et des marabouts, véritables
phénomènes urbains qui ne se produisent, ne s'arrêtent et ne se fixent
que là où il y a foule, profit et honneur, le dôso était l'homme des cam
pagnes, du peuple dont il partageait les souffrances et aussi les joies.
Ce n'est pas par hasard que des chasseurs se sont trouvés à la tête du
mouvement qui dressa le Manding contre ses envahisseurs du Sosso,
ou que l'empire du Mali, dès les premiers jours de son existence,
recueillit l'approbation de tout le pays s'étendant du Niger aux pla
teaux des monts mandingues.
Un tel succès ne saurait s'expliquer que par l'audience des dôso
auprès de leur peuple.
Mme G. Dieterlen a rapporté dans un article riche de données tant
ethnologiques qu'historiques consacré aux mythes et organisations
sociales du Soudan, de précieux renseignements sur l'armée de Soun-
diata, le libérateur du Manding. Les « esclaves archers », totadyô 1, de
cette armée qui avaient pour noms Konaté, Kamara, Traoré, Koné,
Bereté, etc., étaient les représentants des clans déjà en place à cette
époque dans la haute vallée du Niger.
Ils n'étaient pas, comme leurs titres pourraient le laisser supposer,
des esclaves au sens strict du terme, mais des jurés d'une cause sacrée.
Il s'agissait en fait, comme les traditions s'accordent à le recon
naître, d'une confédération de chasseurs qui a drainé dans ses rangs
toutes les forces vives du Dô, du Sankaran et du Kri qui consti
tuaient alors une véritable entité culturelle.
L'événement est de taille et il marque dans l'histoire de l'Ouest
africain l'avènement d'un système politique nouveau. Désormais, les
dôso, conscients de la force de leur Société, vont pousser leur conquête
1. totadyô, de ta = arc ; la = prendre ; dyô — esclaves = les esclaves qui prennent l'arc.
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jusqu'à l'Océan. Après eux, tous les bâtisseurs soudanais de royaume
de culture mandingue auront recours à l'organisation politico-mili
taireet religieuse qu'est la dôso tô pour atteindre leur but.
1. Dans les milieux islamisés on substitue généralement au tonyo les mots arabes djur umu (faute)
et hakè (péché) ; et djurumu-bo et hakè-bo remplacent le nyama-bo.
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1. M. Delafosse écrit dans son dictionnaire de la langue mandingue à propos de kâna : « pâte dont
on enduit ou frictionne les parties du corps piquées par les scorpions et les serpents en vue d'an
nihiler l'effet du venin... ; préservatif, cercle magique destiné à empêcher un être ou une maladie
de nuire. »
2. Les Bamakois attribuent la prospérité que connut à partir des années 1925-26 l'entreprise
commerciale Paul Larieu, à la présence d'un albinos, en l'occurrence le célèbre commandant Mori,
dans cette maison.
A en croire la petite histoire, Paul Larieu, arrivé de France aussi misérable qu'un bûcheron n'héi
sita pas, ne serait-ce que pour se faire admettre par ses compatriotes qui le fuyaient comme la peste,
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la population étaient signalés aux autorités dès leur jeune âge, et con
duits, à dix ans environ, en élevage dans la cour du fâma pour être
sacrifiés, à leur majorité, à Makùkoba, le fétiche tutélaire du royaume.
Le chasseur et le nyama.
« Tout tort, aussi léger soit-il, toute mise à mort qui n'entre pas dans
le cadre d'un sacrifice, sera sanctionné par le nyama qui, selon sa pro
venance et les causes qui l'ont déterminé, est plus ou moins agissant,
nocif. »
Faire périr un être étant le tort suprême qu'on puisse lui causer, le
chasseur, de par ses activités, s'attire donc constamment le nyama du
gibier. L'ennui est qu'il lui est impossible d'obtenir par la parole le
nyafa — extinction du nyama — à ses victimes qui ont déjà cessé de
vivre. Si le chasseur, et plus particulièrement le grand chasseur, dôso
ba, dôso y ana, est considéré comme impur, taré, c'est à cause de l'abon
dance du nyama dont il est chargé, et qui, pour cette raison — et non
point à cause de sa nature qui n'a rien de particulier — agit à la
manière du nyama provenant des êtres supérieurs (génies, diables) et
des ruptures d'alliance.
En effet, le chasseur, outre le danger de folie, paralysie, troubles
physiologiques de toutes sortes, qui pèse sur sa propre personne,
risque, s'il n'est pas frappé de stérilité, d'avoir des enfants anormaux,
monstres, idiots, fous, perclus, stériles, etc., ce qui signifie pour lui
l'extinction à brève échéance de sa lignée г. Pour le Malinké, cela
signifie la fin de tout : « L'homme qui meurt sans laisser de postérité
ne fait pas que mourir, il se termine, il finit, bâ, car il n'aura plus per
sonne sur terre pour entretenir par des sacrifices son âme durant son
éternel séjour dans l'Au-delà, ma fuw be 2. » N'est-ce pas pour éviter
ce mal sans rémission que les sages opposent à l'antique et éternelle
devise du Manding : « Plutôt la mort que la honte 3 », la réflexion su
ivante : « C'est le déshonneur qui est préférable à la mort : il peut
porter une promesse d'enfants 4 ? »
à consulter un devin. A sa grande surprise, ce dernier lui dit que sa fortune, une fortune immense,
reposait sur la tête d'un albinos, et de conclure : Plus il sera prodigue, plus vous vous enrichirez.
Paul Larieu rencontra un jour son homme, qui se révéla un agent publicitaire chevronné et un
mandarin dont les griots chantent encore les louanges.
1. Deux termes désignent généralement la descendance : ko = dos, après, postérité ; si =
semence, lignée.
2. Le séjour des morts est appelé ma fun be, personnes, rien, toutes : toutes les personnes deve
nues rien, néant.
3. saya ka fisa malo ye : la mort est préférable à la honte, au déshonneur.
4. malo dé ka fisa saya yé ; de Ы se ka boro : c'est le déshonneur qui est préférable à la mort ; un
enfant pourrait en sortir. Cette réflexion est dite à l'adresse de ceux qui n'ont pas connu le bonheur
d'être père.
NOTES SUR LES SOCIÉTÉS DE CHASSEURS MALINKÉ 205
Avant d'aborder l'étude des moyens et pratiques mis en œuvre par
le chasseur pour conjurer le nyama, voici la classification des êtres —
ceux qui peuvent être l'objet d'une chasse — selon l'intensité de leur
nyama force vengeresse :
— les diables malfaiteurs (sigi fi ou djiné),
— l'homme (en cas de guerre),
— le pangolin (ko sô kâ sa) qui, aux dires des chasseurs, ne se
rencontrerait plus que rarement dans le Manding.
— le fourmilier (tîba) 1 qu'on dit être le seul avec l'hyène, à con
naître « les coutures de la terre » et à pouvoir les défaire pour dispa
raître sous terre lorsqu'il est poursuivi.
— les fauves (ward) : lion, hyène, panthère.
— l'éléphant et l'hippopotame (sama et ko sama : éléphant des
mares),
— le buffle et les grandes antilopes,
— les singes,
— les biches,
— les oiseaux.
Cette classification n'est que générale, car diverses considérations
influent sur le nyama d'un animal.
Ainsi, un buffle, un lion, un gorille et un éléphant solitaire auront
des nyama identiques : le facteur âge est déterminant tout comme chez
les personnes.
Le vautour, duga, l'oiseau du Ciel, du jour, du savoir clair, de la
guerre et de la mort, est en vénération au Manding et le chasseur ne le
tue jamais. L'hyène 2, sumku ou nama, l'animal de la terre, de la nuit,
du savoir profond, de la culture — le travail des champs — de la
fécondité, est réputée pour la ténacité et l'ardeur de son nyama.
Rites funéraires.
Les pratiques évoquées jusque-là tendent toutes à écarter moment
anément ou à parer au nyama et non à l'exorciser réellement. D'où la
nécessité de soumettre les cadavres — et notamment ceux des chas
seurs — à des rites spéciaux dont l'importance n'échappe à aucun
Malinké.
Le chasseur et l'Islam.
1. Dieu étant l'unité par excellence, l'un de ses principaux attributs est la solitude. L'homme se
comparerait donc à l'être suprême en restant solitaire, attitude périlleuse pour une créature. « On
n'entreprendra rien seul, de peur d'imiter Dieu ; c'est pourquoi on se fait assister d'un témoin dans
tous les actes de la vie. »
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Conclusion