Vous êtes sur la page 1sur 152

Les lettres de Kanaouenn

Pas et mesures juste derrière l’horizon

Bernard MARTIN
Avertissement
Ce document, déposé à la BNF,
(tout l’ensemble de ce fichier PDF et tous les contenus)
est protégé par les droits d’auteur en usage.

Il est diffusé dans cadre des règles de licence « Creative Commons »

Vous avez le droit de le dupliquer et de le diffuser en respectant les règles suivantes :


Lorsque vous de diffuser, vous devez mentionner l’auteur.

Interdiction formelle de le vendre ou d’en faire le moindre argent directement ou


indirectement.

Le document doit être diffusé « en l’état ». Aucune modification n’est permise et il est donc
également interdit d’en tirer des extraits (texte et/ou photo) sans l’autorisation de l’auteur.

ISBN : 978-2-9554939-6-0
Dépôt légal Septembre 2019

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tout pays.


Crédit photos © Bernard Martin sauf mentions spécifiques
A Loïc.
Les lettres de Kanaouenn

Partie Un

Lettre n°1 – Maroc et Mauritanie. Page 1

Lettre n°2 – Nord Sénégal. Page 25

Lettre n°3 – Dakar et le Saloum. Page 38

Lettre n°4 - Sud Sénégal. Page 61

Lettre n°5 – Dans le Saloum pour VSF. Page 82

Lettre n°6 – Casamance et Saloum. Page 98

Partie Deux

Lettre n°7 – Une Page se tourne. Page 123


Partie Un

Un accordéon au Sénégal
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°1 – Maroc et Mauritanie.
Novembre 2018
Samedi 24 Novembre.
Quand commence le voyage ? Dès que l’idée prend forme et se transforme en décision ? Quand la liste des
choses à faire prend forme en s’organisant avec les trois catégories classiques : Important, très important,
fondamental ? Les travaux sur Kanaouenn ont bien
avancés. Le safran est au bon soin de Francis, le capot de la
baille à ceux de Marie, Margorie s’occupe du Lazy bag et la
Génois est chez Voilerie Service. Les œuvres vives
respirent, la quille est bien protégée par une sous couche
étanche et le haut brillerait presque. Kanaouenn se repose,
il l’a bien mérité. Il attend patiemment, il sait le faire, cela
aussi.
Vers midi, la porte du « Château » est claquée. Un
vénérable chaix qui héberge le fidèle Berlingo et tout un
brin à brac aux neuf dixièmes totalement inutile mais
souvent chargé de souvenirs qui me font les garder. Ce
sont certainement les routes intérieures qui sont les plus difficiles à parcourir. Sur le bord du trottoir, à l’arrêt
du bus, les sacs au dos ou à l’épaule, le moment où le loquet a basculé est déjà derrière. Si une chose a été
oubliée, il faudra soit trouver une solution de rechange ou apprendre à s’en passer.
Une dame est là, qui attend le bus. « Bonjour », pas de réponse. Un jeune arrive un peu après. « Bonjour »,
pas de réponse. On est bien en France, certains détails ne trompent pas. J’ai abandonné mon billet de bus
pour le train car les gilets jaunes ont l’air assez actifs sur Bordeaux. Peine et argent perdu ! Le train est bloqué
à un passage à niveau et plus tard, j’apprendrais que le car, qui venait d’Orléans, est très bien passé en
empruntant des petites routes de campagne ! Mais avec la marge je suis largement à temps. La nuit tombe et
le froid suit. Je vais me réfugier dans la gare Saint Jean car je suis habillé trop léger pour ces températures
mais ce serait se charger inutilement pour la suite. Le bus Euroline tarde à venir. Un coup d’œil sur le billet, il
est en fait estampillé Euroline et IsiBus. Bizarre, il va falloir ouvrir l’œil. Un bus CTM, la grande compagnie
Marocaine, arrive. Je demande au chauffeur : « C’est bien cela ». Il ne faut pas chercher à comprendre, le
chauffeur prend mes bagages et les trois marches me font monter directement au Maroc. En dehors d’une
jeune Franco-Gabonaise, tous les passagers sont des Marocains qui sont très habitués à ces allers retours avec
le pays. A un arrêt, un Monsieur m’explique que maintenant on peut trouver des avions encore moins cher
que le car (Comment font-ils ?) mais que ces compagnies à bas coût n’acceptent pas les bagages.
Le car roule dans la nuit, j’essaye de savoir où on est en cherchant les panneaux de signalisation … quand je ne
dors pas. Les arrêts sont assez réguliers. Heureusement car il
n’y a pas de toilette dans le bus. La stratégie est très simple :
ne pas boire – ou à minima - et prendre ses précautions à
chaque arrêt ! Les aires de service choisies doivent être
toujours les mêmes car tout y est écrit en arabe et les selfs
ne proposent quasiment que de la cuisine marocaine. Au
jour, le sud de l’Espagne est couvert d’oliviers à perte de vue
et on arrive à Algeciras en fin d’après-midi. On attend sur le
parking un autre bus qui arrive du sillon rhodanien. On doit
traverser ensemble et les passagers des deux bus seront
ensuite répartis entre ceux qui poursuivent vers l’Est, Fès etc.
et ceux qui vont vers l’Atlantique, Rabat-Casablanca. Dans
cette attente ou les pauses précédentes certains parlent de visa à rafraichir régulièrement, de permis de
séjour à renouveler tous les dix ans. Les « Vieux » avec lesquels j’ai discuté ont tous fait toute leur carrière en
France où ils sont arrivés dans les années soixante-dix. On passe la frontière Espagnole rapidement et le ferry
sort du port à la tombée de la nuit. Le passage de la frontière marocaine est un peu plus tatillon. La Franco-
Gabonaise se fait une frayeur : depuis peu, il lui faut une sorte d’Esta. Bien sûr elle a tout bien fait et tout
préparé mais les policiers ne sont pas au courant de cette nouvelle règle. Appels téléphoniques de tous les
côtés et stress à la clé. Il est très confortable d’être blanc, Français « de souche » comme on disait à une

Page 1
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°1 – Maroc et Mauritanie.
Novembre 2018
sinistre époque et de surcroits plus trop jeune pour éveiller des suspicions. Les passages devant les
Z’authorités n’en sont que plus simple !
Le détroit de Gibraltar ? Rien vu dans la nuit! Le Nord du Maroc ? Rien vu dans la nuit ! Et le bus me dépose à
une heure du matin à Rabat. Au jour levé, passage à la banque pour me procurer des Dirhams et dame
providence me fait entrer dans la gare routière voisine pour simple curiosité : Il y a une consigne ! Je peux me
débarrasser de mon barda et billet pris, arrosé par un premier thé à la menthe, j’ai la permission de quinze
heures pour me balader en ville.

Premier thé à la menthe, avec le pain, à lui seul il vaut


La noria de camions à Algeciras. le déplacement.

Rabat, la grande ville et ses embouteillages. Remarquez le prix de l’essence et du gaz oïl. Mais si on rapporte
au cout de la vie locale cela ne doit pas être du tout la même chose ! A droite, on est en pleine Medina. Une
fois de plus, je m’y suis de-orienté. Qui plus est, suivi d’une grossière erreur de lecture d’un panneau
d’avenue : une heure de marche en prime pour retrouver le point de départ !

Page 2
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°1 – Maroc et Mauritanie.
Novembre 2018
Le front de mer et le phare. Les remparts de la vieille ville fortifiée.

Un cimetière, vraiment immense. Pour le plaisir des yeux.


C’est reparti pour une nouvelle nuit de bus et on arrive avant le lever du jour dans Tan-tan endormie.
J’attends que le bureau de l’autre compagnie de bus ouvre en jouant de l’accordéon sur le trottoir. Ce n’est
pas évident de m’y remettre, surtout que ce nouvel instrument à des touches un peu plus grosses et donc un
peu plus espacées. Sans parler du quatrième rang manquant et parfois bien pratique, c’est cela aussi de
voyager « léger ». Quoique si j’avais vraiment voulu voyager léger, je ne l’aurais pas pris ! En tout cas, jouer
après avoir mangé des dattes n’aide pas et fait trouver les touches un peu collantes ! La musique résonne
dans le silence matinal et les rares passants font des signes amicaux puis la ville se réveille, le trafic couvre la
musique et il faut jouer plus fort pour s’entendre. Le bureau ouvre mais le prochain car pour Tarfaya n’est que
ce soir. L’homme m’appelle donc un « Petit Taxi » pour être emmené à la gare routière locale. Il y a déjà une
femme dans la 206. Il la dépose dans un quartier, prend en charge une maman et son fils, les dépose à l’école,
puis après ces deux détours qui me font visiter la ville, enfin, me dépose à la gare routière en se renseignant
pour moi. Le car part dans une demi-heure. Billet pris, un policier me demande mon passeport, le prend et va
à sa guérite. Je l’y rejoins et pendant que j’attends qu’il note tous les renseignements un homme en civil, sous
couvert d’une aimable conversation, me pose tout un tas de questions. Du temps de Feu Hassan II, le
royaume était truffé d’espions et d’indicateurs de tous poils. Le fils, tout en calmant le jeu, n’a peut-être pas
abandonné toutes les habitudes de son père. J’ai le temps de prendre un thé. On est dans le sud, le thé à la
menthe est remplacé par le thé Touareg : petit verre, thé fort et très sucré.

Les deux verres, c’est pour mélanger…


et faire la mousse pour ceux qui savent !
La route passe entre la mer et le désert. Le bus est très local. Les roulements grondent, surtout dans les côtes.
Le paysage est plat, des montagnes se dessinent au loin sur la gauche. La végétation faite de petits buissons
éparts se transforme progressivement en mottes d’herbe rase.

Page 3
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°1 – Maroc et Mauritanie.
Novembre 2018

Quelques collines de sable, magiques, annoncent le mythique Sahara. Le soleil monte et heureusement
quelqu’un trouve une bouteille d’eau vide pour maintenir le capot du toit entre-ouvert avant que
l’atmosphère ne devienne complètement suffocante. En fait, pour descendre, il faut trouver un siège sur le
côté tribord le matin, et donc Babord l’après-midi afin d’éviter le soleil tapant. En faisant route vers le Nord, il
doit donc falloir faire l’inverse ! Pause dans un village au milieu de nulle part. Pour manger, c’est très simple :
vous trouvez un étal de boucher avec un foyer de braise devant. Vous commandez ce que vous voulez, en
l’occurrence un quart de kilo de côtelettes de mouton, et l’apprenti vous grille cela sous vos yeux. Comme
juste à côté il y a un café, il est très simple d’acheter un pain, de commander un thé et de s’assoir en
attendant que cela cuise.

Trace du passage de l’ex-rallye.

Avis aux amateurs de pêche.


C’est tout juste cuit que le car klaxonne. Mais mon voisin me dit qu’il n’y a pas de quoi s’affoler. Je fends tout
de même rapidement mon pain en deux et y loge les trois côtelettes grossièrement désossées pour me faire
un sandwich de fortune à manger dans le car. Mon voisin me fait signe que les tranches de tomates sont
parfaites pour mettre avec. « C’est très bon » me dit-il ... « avec du Coca » : Le message est clair. J’en mets

Page 4
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°1 – Maroc et Mauritanie.
Novembre 2018
donc une seule dans le sandwich sachant qu’elle est quand même à moitié cuite. Je branche mon voisin à
propos des splendides tatouages qu’une passagère a sur les mains. Il me fait remarquer qu’elle en a aussi sur
les pieds, tout aussi beaux. Je commence à lui parler de photos, espérant une ouverture car je me vois mal
demander la main d’une Marocaine voisine de car, même pour en prendre juste une photo ! Mais le car re-
klaxonne pour la troisième fois et maintenant avec une certaine insistance : il faut embarquer.
Tarfaya est un haut lieu de l’aventure de l’aéropostale (Cap Judy à l’époque) et a été également le point de
ralliement puis de départ de la Marche Verte de 1975.

Le célèbre fort, les pieds dans l’eau, comme Fort


Boyard. A se croire à l’Ile d’Aix.

Toute la côte n’est qu’une grande plage sur des


centaines de kilomètres.
Le patron de l’hôtel El Ghazi, endroit paisible que je recommande, (prononcez Rrazy, un peu comme la Jota
espagnole) m’a raconté que les « Marcheurs » étaient regroupés à 4-5 kilomètres au Nord de Tarfaya. Ils
étaient trois cents cinquante mille, chiffre voulu par Hassan II
car il correspondait à l’accroissement annuel de la population
Marocaine. Ils ne sont pas allé très loin, ils ont juste traversé
la frontière jusqu’au premier village du Sahara Espagnol
(Tahaa, si j’ai bien compris). Cela a suffi pour que l’Espagne
jette l’éponge. Restait le problème du front Polisario … Cet
homme, dont le père a combattu sous le drapeau français en
39-45 et en Indochine (combien d’Africains sont mort là-
bas ?) a été très étonné quand je lui ai dit que j’étais à
Marrakech pour le départ de cette colonne de camions verts
remplis d’hommes très remontés. Je ne suis pas près d’oublier le discourt du futur Mohamed IV, alors âgé de
plus ou plutôt moins d’une quinzaine d’année. Quelle force dans cette diatribe et dans la bouche d’un enfant
si jeune, retransmise par hauts parleurs dans toute la ville.

Page 5
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°1 – Maroc et Mauritanie.
Novembre 2018

Dans la rue principale de Tarfaya. Et aux alentours.

Vertige interdit.

Suite de la séquence Transports : Un vénérable SG2


Ce qui est en train de remplacer la charrette et l’âne. en parfait état.

Et fin :
Chez nous, pour refaire une culasse, il faut aller chez
un spécialiste, et payer fort cher. Ici, un morceau de
papier de verre et un peu de dextérité suffisent. Bien
sûr les résultats ne seront pas les mêmes, mais je suis
sûr que cette brave Land-Rover (premiers modèle)
finira par démarrer au quart de tour, montera tout de
même les côtes et arrivera à bon port avec toute ses
cargaisons.

Page 6
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°1 – Maroc et Mauritanie.
Novembre 2018
Au deuxième passage, le Musée Saint Exupéry est ouvert :

Superbe musée, d’une grande qualité de contenu et de présentation, sur l’aventure de l’Aéropostale et sur un
homme de grand esprit.

Avec quelques superbes affiches, je vous passe les détails techniques sur les avions et tout le reste !

Page 7
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°1 – Maroc et Mauritanie.
Novembre 2018

Et un grand merci à Ayach pour son accueil.


Mercredi 28.
Une bonne nuit dans un lit ! Après trois nuits dans des bus ou
sur une chaise de salle d’attente, cela change. Sur la route, il
faut savoir se passer de ce qu’on n’a pas et profiter de ce qu’on
a. Fort de cela, j’apprécie la douche matinale pourtant glacée
mais qui a l’avantage de bien réveiller. Pour ne rien vous
cacher, le savon que j’ai trouvé hier en ville est à la mandarine !
Une douche à la mandarine, pourquoi pas ? Deuxième tour de
ville. Cette fois-ci, j’avance un peu plus dans le bâtiment du
front de mer. A l’étage, un homme est en pause dans une salle
dont l’immense table est couverte de victuailles : profusion de
gâteaux de toutes sortes et de je ne sais quoi. Il y a
effectivement un musée au Rez de chaussé. L’homme va « LES BANCS DE LA LIBERTE sont mis à
chercher la clé, m’ouvre la porte et fait le guide : La salle est votre disposition pour rencontrer les
surtout une galerie de photos qui illustre les étapes historiques textes, les mots et les pages, et découvrir
de la création du Maroc : Les luttes d’indépendance contre des auteurs, d’ici et d’ailleurs. »
l’Espagne et la France (Désole, les photos sont de mauvaise
qualité car mon appareil prend mal en lumière tamisée).

Visite royale en Espagne, lors des négociations avec Délégation Marocaine lors des négociations avec la
Franco pour l’indépendance du Nord. France.

Page 8
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°1 – Maroc et Mauritanie.
Novembre 2018

Annonce du
lancement de la
marche verte par
feu SM Hassan II.

Réception des représentants des tribus Sahraouies


par SM Mohamed VI, 31 Aout 1999.
Ben Abdelkrim EL
KHATTABI
(Plus abituellement
appelé chez nous
Adbelkrim) ,
qui m’a été présenté
comme l’inventeur
de la guerre de
guerilla et comme un
inspirateur de Mao.

Galerie des portraits de la dynastie, je vous passe les


détails mais c’est la même depuis 1631 !
Un grand classique : Un tour au port s’impose.

Les barques ont l’avant extrêmement défendus. Départ d’un chalutier.


En ville, je croise mon logeur, il me vante le courbine (ou tourbine, j’ai un doute) qui est pour lui le meilleur
des poissons. De retour à l’hôtel, à un moment, il me dit que le repas est près … Il n’y a même pas besoin de
commander. Je vais finir par être presque plus que chez moi ici ! C’est un Tajine de Courbine. Ce poisson
correspond peut-être Tioff Sénégalais. L’eau, dans tout le sud Marocain provient de désalinisation. Au début,
à Tarfaya, via un système à base d’électricité (cracking ou quelque chose comme cela) qui produisait très peu
et maintenant il y a une station par osmose inverse qui alimente toute la ville.
Le jour s’efface pendant l’attente du bus, l’appel de la prière, visiblement, ne bouscule ni le quotidien ni la vie
dans la rue. Le car fini par arriver puis il file dans la nuit sous un ciel aux étoiles intenses. On croise des champs
d’éolienne qui clignotent.

Page 9
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°1 – Maroc et Mauritanie.
Novembre 2018
Le 29.
On passe rapidement à Laâyoune et il fait encore nuit quand on arrive à Addakhla. La gare routière est à
l’extérieure de la ville et les environs sont déserts. Le jour est levé quand l’autre bus arrive. C’est reparti. On
fait une pause petit déjeuner un peu plus loin. Il y a juste une station-service et un café-boutique de
premières nécessités. L’ambiance est très « Bagdad café » pour ceux qui connaissent. On est bien sûr au
milieu de nulle part. Personne ne parle français ou même espagnol, par geste j’arrive à commander un thé et
un pain, c’est ce que prennent d’ailleurs les autres passagers, agrémenté pour eux par une soucoupe d’huile.
Cela fait du bien, je n’ai rien mangé depuis hier midi et quasiment pas bu. Les visages sont durs, l’ambiance
est silencieuse et distante. Il n’y a aucune femme dans le bus. La route reprend, entre la mer et le désert.

Station-service à Bir Gandouz.


La côte est parfois en falaise et à d’autres moments descend en pente douce. Il y a souvent des hauts fonds
qui déferlent au loin. Il y a quelques postes de contrôle de police sur la route et systématiquement à l’entrée
de chaque ville. Le car les passe rapidement sauf une fois où un policier est monté jeter un œil et une autre

Page 10
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°1 – Maroc et Mauritanie.
Novembre 2018
fois où il a parcouru tout le bus et a pris note de mon passeport. Le sable, progressivement apparait. La
sècheresse et la lumière piquent les yeux, et chaleur et la poussière piquent la gorge, il faut du temps pour
s’adapter. Ce qui n’occulte pas que mes voisins subissent ce climat en permanence. Deux-trois autres pauses
où des voisins finissent par signe par m’expliquer si on peut descendre ou pas et nous voilà à Gargarate, le
terminus, en tout début d’après-midi. Le car remonte l’interminable file de camions qui attendent leur tour.
Le passage de la frontière se fait à pied.

Côté marocain, l’accueil est chaleureux, le gardien me donne la classique fiche de renseignement à remplir et
me désigne le poste où faire tamponner le passeport. A la guérite, il faut attendre, cela doit être la pause. Les
passeports sont posés sur le rebord de la fenêtre, bien alignés dans l’ordre d’arrivée. Le soleil tourne et
l’ombre rétrécie. Une jeune femme voilée arrive. Les hommes la font passer devant. Ce n’est pas la première
fois que cela se produit. Par la fenêtre entrouverte, les passeports entrent, puis ressortent. Je récupère le
mien assez rapidement car j’étais dans les premiers, en même temps que la jeune femme. En route pour
passer la douane. Je laisse passer la jeune femme devant mais, visiblement pas à l’aise, elle préfère me laisser
passer devant, très probablement pour voir comment cela se passe. Le douanier regarde vite fait dans un de
mes sacs sans grande insistance ni grande conviction. Terminé, côté Maroc. De l’autre côté de la barrière, la
file de camions en attente est tout aussi dense. Des taxis collectifs attendent les clients. Les changeurs
d’argent et des vendeurs de cartes téléphoniques s’activent. La route est à deux voies. Une est occupée par la
file de camions en attente, et sur l’autre, un pingouin n’a pas trouvé meilleur place pour s’arrêter !
Heureusement, les taxis sur le côté laissent un peu de place pour
éviter l’embouteillage. Après la classique attente de je ne sais
quoi nous partons pour la traversée du No Man’s Land. Cinq
kilomètres de ce qui n’est même pas une piste. Les traces,
comme dans le désert, sont nombreuses et s’entrecroisent sans
arrêt. La route est en roche très dure, l’avance est lente, plus
d’une demi-heure pour faire la traversée. Des carcasses de
voitures trainent un peu partout en divers états de
cannibalisation. Nous ne sommes que deux passagers dans la
voiture. Arrivé à la frontière Mauritanienne, mon chauffeur me
demande mon passeport et me dit qu’il faut commencer par le
faire vérifier au poste de police. Je le suis, dans la file d’attente il y a un français que je ne reverrais pas. Il
devait aller vers le Nord. Il me confirme discrètement qu’on n’a pas besoin d’agent pour passer et qu’il faut se
méfier des arnaques. La première fois, il a laissé cent cinquante Euros dans la plaisanterie ! Le policier est, là
aussi, très aimable et je veille à récupérer moi-même mon passeport. Puis dehors, je paye mon chauffeur de
taxi qui voulait continuer à m’accompagner en lui disant que je vais passer à pied. S’il veut me reprendre
ensuite pour faire la course jusqu’à Nouadhibou, pas de problème. La deuxième étape est l’obtention du visa.
Là aussi il y a la queue. Des gens cherchent à resquiller. A chaque fois reconduit à la porte par un des deux
policiers. Le temps passe. A des moments des agents font passer leurs clients devant en allant même jusqu’à
nettoyer la cafetière des policiers, jusqu’où vont-ils ? A d’autres moments les deux policiers sortent et vont en
face dans une espèce de cuisine … Un collègue d’attente, ex-voisin de bus, murmure « Bakchich » un peu
amèrement. Il faut attendre. Un des trois jeunes allemands qui attendent devant moi, se mets à faire ses

Page 11
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°1 – Maroc et Mauritanie.
Novembre 2018
ablutions en plein milieu de la cour, demande à quelqu’un l’orientation, puis fait, ostentatoirement une très
longue prière toujours en plein milieu de la cour. Comme dans toutes les gares routières et tous les lieux
publics, il y a, là également, pourtant une salle de prière juste à côté … Bref. Et toujours cette atmosphère de
tentative de resquille. On se met bien d’accord avec mes deux collègues devant moi, nous sommes bien les
trois suivants. La jeune voilée, toujours la même est après, puis ensuite sera le tour du touriste accompagné.
Quand vient mon tour, la prise des photos et des empreintes sont rapides, l’ambiance est cordiale. Voilà le
plus dur est fait, en à peine plus de trois heures d’attente et de resquille. Au poste de sortie, c’est le dernier
contrôle des papiers avant d’être libre de circuler en Mauritanie. « Bonjour Patron, ça va bien ? », « Bonjour
Monsieur, oui, ça va très bien, merci. Et vous, vous allez bien ? ». Etc. Deux-trois échanges de ce type sur le
mode « Patron » auquel je réponds à l’aide d’un respectueux « Monsieur » bien marqué. J’ai horreur de ce
type de mascarade à la nauséabonde odeur de colonialisme, soit primaire, soit ironique, peu importe. Les
temps ont changés et ce n’est pas en maintenant ce genre de clichés qu’on avance. De l’autre côté de la
frontière, mon taximan a disparu. Soit il s’est lassé, soit il n’a pas pu passer la barrière. Mes deux collègues
d’attente aux visas sont sur le bord de la route. Ils vont, eux aussi, à Nouadhibou.

En dehors de ce vieux panneau, il n’y a rien de tout


Ca y est, toutes les barrières sont franchies. ce qui se raconte encore impunément par-ci par-là.
Ils me disent de patienter. Et comme tout fini par arriver, nous voilà partis. Le chauffeur ne connait pas le
camping de la baie du lévrier mais m’assure qu’il demandera en route et me déposera. Un des passagers, à un
moment d’absence du chauffeur, me dit que je n’ai pas payé cher car une autre fois un touriste a payé le
double… Avant un des contrôles de police, le chauffeur me demande mon passeport. D’après ce que je
comprends suite aux propos du chauffeur, d’avoir un blanc à bord ne facilite pas les choses. En fait c’est plutôt
le chauffeur qui insiste pour que le policier regarde mon passeport en lui courant presque après. Puis on
repart. Après quelques instants, le chauffeur a toujours mon passeport … J’attends quelques minutes
patiemment, puis avec l’index tapote sur l’épaule du chauffeur qui immédiatement me rend mon document
en s’excusant. La place de mes documents est dans ma poche et non dans les mains d’un inconnu, même
aimable. Trois contrôles de police plus loin - j’apprendrais vite qu’il vaut mieux compter comme cela, plutôt
qu’en temps ou en kilomètres, c’est plus
concret - le taxi me dépose au camping. Une
cour de sable, une tente maure, une pièce
commune avec des tables, dans un coin des
sanitaires et les chambres un peu comme des
cellules monacales. Le système monétaire a
changé récemment. Cent Ouguiyas
anciennement, valent dix maintenant. Un peu
comme pour nos anciens et nouveaux Francs.
Sauf que le nom d’Ouguiya est resté
exactement le même. Toute la monnaie et les
billets ont changés mais les gens parlent
toujours comme avant. Au début il y a de quoi
faire des bons quand on vous annonce le prix
de quelque chose. Mais on s’y fait très vite, il

Page 12
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°1 – Maroc et Mauritanie.
Novembre 2018
ne faut pas se poser de question, il faut commencer par diviser le prix par dix, puis, et seulement ensuite,
réfléchir à la valeur de la chose ! Je dépose mes affaires au campement rapidement et les formalités faites, je
vais faire un tour en ville. Au bout de cent mètres je me retrouve avec une gamine d’environ trois ans, pas
plus, littéralement cramponnée à ma manche. Elle me demande de l’argent avec une insistance
phénoménale. Si je levais le bras je pourrais facilement la soulever tellement elle s’est accrochée. Je fini par la
décrocher doucement mais non sans difficultés. Deux cent mètres plus loin, alors que je m’approche d’un étal
de mandarines, je me retrouve entouré de quatre ou cinq jeunes d’une douzaine d’année qui me sollicitent.
Le commerçant les éloigne rapidement. Le premier contact est plutôt désagréable. Le pénible souvenir du
nord du Maroc en 75 ou on ne pouvait pas faire un pas sans être sollicité en permanence me revient à l’esprit.
En fait, ce bout de rue est truffé de galeries marchandes et de petits supermarchés, lieux de convoitises
évidents. La gamine est en fait la fille d’une jeune qui, tout en restant assise au coin de la rue, lui fait faire la
manche. La première fois, elle a dû l’exciter au maximum. La deuxième fois, la gamine m’a sollicité de
nouveau mais avec moins d’insistance (ou de conviction) et les fois suivantes je passais tranquillement. Je
cherche le port de pêche mais visiblement je n’ai pas compris les explications car je tombe dans un quartier
sans intérêt particulier. Le soir le gendre du patron m’invite à boire un thé, encore une fois on me dit qu’il y a
beaucoup de problèmes en France. Une image des gilets jaunes à Paris avec des barrières et un peu de fumée
a fait la une au moins sur la chaine El Arabia qui, comme toutes ces chaines d’information « moderne »,
tourne en boucle. Tous les quarts d’heure au moins, entre des images de guerre au Moyen Orient, l’effet est
au rendez-vous.
Le 30.
A l’autre bout de la baie, à l’écart, se trouve le quartier dit Cansado, ancien quartier des cadres expatriés de la
société des mines, du temps des Français. Le quartier est donc très cossu. Entre les deux, il y a la fameuse
plage avec les multiples épaves.

Tente Mauritanienne.

Phare du Cap Blanc, Qui porte bien son nom (en face c’est Nouadhibou).

Page 13
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°1 – Maroc et Mauritanie.
Novembre 2018

Dernier carrefour avant le terminal minéralier.

Il parait qu’il y a beaucoup moins d’épaves qu’avant car les locaux découpent la ferraille qui est ensuite
réexpédiée en Europe. Cette fois-ci, en tournant du bon côté, je trouve le port de pêche.

Une pirogue neuve en fibre sort du chantier.

Page 14
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°1 – Maroc et Mauritanie.
Novembre 2018

Atelier de confection des caisses à glace. Du poisson, à gogo.

Ici aussi, le travail, c’est de l’autre côté de la rue. Nuée de chalutiers en attente.
L’ambiance est étonnement tranquille. Je me balade entre les gens, les pirogues et tout le fourbi. Je prends
des photos. Personne ne s’occupe de moi. Aucun regard spécial comme s’est souvent le cas au Sénégal ou
ailleurs. Les touristes sont en général pas bien vus dans ces lieux de travail intense. On me dira plus tard que
les pirogues sont bloquées au port car les Japonais n’achètent plus les calamars depuis un mois. Les frigos
sont archi pleins et le gouvernement Mauritanien a donc fait arrêter la pêche. « Du coup, en ce moment, plus
aucune pirogue n’est construite » : toute une économie est ainsi bloquée. Plus au large, une autre nuée : des
dizaines et des dizaines de chalutiers sont mouillés dans la baie, souvent à couple. Il parait qu’ils attendent
l’ouverture de la pêche, prévue pour le 5 décembre. C’est informations sont des « on dit » non vérifiés … Mais
les chalutiers et les pirogues sont bien là !

Des dizaines de milliers de pirogues à touche-touche à perte de vue jusqu’aux bâtiments au fond, incroyable.
Très probablement trahi par mon ombre, cette photo a failli me créer quelques réels ennuis, profitez en bien !

Page 15
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°1 – Maroc et Mauritanie.
Novembre 2018
Le 1er décembre.
A sept heures et demie, comme convenu, je suis à l’entreprise de transport pour Nouakchott. De bon matin, la
fraicheur et le calme sont très impressionnants et tranche avec hier. Il n’y avait toujours pas d’eau au
campement, comme hier matin et hier soir, il suffit de s’en passer. Heureusement j’ai ce qu’il faut pour boire.
En fait de bus, ce sont deux Toyota Hiace qui sont prévus.
Quatre rangées de sièges pour les dix-sept personnes -
ou plus - occupent tout l’intérieur, les bagages sont tous
sur le toit. Le chargement est long et minutieux, un gros
téléviseur, après plusieurs essais, ne trouve pas place.
Trois employés Chinois arrivent pour prendre le
deuxième Hiace, accompagné d’un collègue chargée de
l’organisation qui remet à chacun une très épaisse liasse
de papier pour la route. Le jeune couple de japonais
croisé au campement hier est là lui aussi. Au final, seule
la fille voyage. Au moment de partir, la dame de
l’agence, qui a elle aussi les mains et les pieds
entièrement tatoués, distribue à chacun un croissant et
une bouteille d’eau pour la route. C’est un standing et une attention au client de type d’Air France chez 28
Novembre Transport. J’ai de la chance, je suis sur la deuxième rangée, juste derrière le conducteur, côté
fenêtre donc. Le véhicule roule à vive allure et le paysage défile au son d’une longue mélopée à base de
monocorde et de Kora un peu dans le style du groupe Tiraniwen, sans la guitare électrique. Les contrôles de
police sont réguliers. Une fois la Japonaise est questionnée, en tant que français, je suis plus tranquille. On
m’a demandé qu’une seule fois la copie de mon passeport. J’en ai un stock en prévision.

Je ne vous dirais pas où c’est … !

Pause à l’agence de transport. Où le thé sous la tente mauritanienne est gratuit.

Page 16
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°1 – Maroc et Mauritanie.
Novembre 2018

Arrivé à Nouakchott, à l’agence de transport, les taximans sont pressants. Je cherche à me renseigner pour
continuer la route demain ou après-demain. Cela à l’air bien ailleurs, je ne sais où. Un taximan veut me faire
monter dans sa voiture et comme je veux d’abord discuter de la destination et du prix avant – ce qui est une
évidence – se fâche et part en criant. Le deuxième ne sait pas du tout où est le campement dont je parle, et
comme - erreur d’organisation locale – je n’ai pas le numéro de téléphone de ma destination, il ne peut pas se
renseigner. Je discute avec la Japonaise, elle me dit qu’elle va dans un hôtel pas cher. Pour simplifier la
situation, je top pour le même. A l’hôtel, je me renseigne pour aller à Kiffa. Ils m’indiquent où est le « Garage
Kiffa » et m’explique très gentiment et précisément comment y aller. Les taxicos, comme à Cuba et ailleurs,
ne font que des allers retours dans une seule avenue. Il faut donc d’abord aller au carrefour dit « Clinique »,
endroit grouillant et hyper marchand, puis aller à celui appelé « Madrid ». Tout ce passe exactement comme
décrit. Les gens sont étonnement gentils, serviables et prévenants. Je suis pourtant un peu tendu, j’ai fait la
très grossière erreur de ne pas bien noté le nom de l’hôtel, pas de numéro de téléphone non plus et je n’ai
qu’un vague nom de quartier dont je ne suis pas bien sûr. Il ne faut absolument pas que je me perdre, sinon,
c’est la galère qui est assurée.

Photos sont prises là où il n’y a pas trop de monde, sinon c’est délicat (ou plutôt vécu comme très indélicat).

Page 17
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°1 – Maroc et Mauritanie.
Novembre 2018
Heureusement la ville est en plan très carré et en mémorisant bien, j’ai mes chances. Le deuxième taxi me
dépose à une compagnie de transport. En fait ce n’est pas là et le gars de la compagnie m’accompagne à pied,
pendant presque un quart d’heure, à la bonne compagnie. Il s’assure que tout va bien avant de me dire au
revoir et bon voyage. Merci et chapeau. Je rentre en prenant soin que garder exactement le même itinéraire !
Il y a des erreurs à ne pas faire pourtant. L’hôtel est d’accord pour garder mes bagages, mais ils ont eu des
soucis une fois. Le touriste a affirmé en reprenant ses affaires qu’il manquait un IPhone. Je n’ai pas tout
compris comment cela c’était terminé au poste de police mais en tout cas ils sont très soupçonneux, ce que je
comprends. Ils veulent un papier décrivant ce qu’il y a dans le sac avec, bien évidemment, contrôle à la clé.
Pour simplifier la procédure je garde avec moi l’ordinateur et les téléphones. C’est un peu fastidieux mais
s’avèrera très confortable pour ce rapide aller-retour à Kiffa.
Le 2.
Il faut être à sept heures trente à la compagnie de transport. Il fait encore nuit quand je sors de l’hôtel. La rue
est fermé par des barrières. Au premier carrefour, il y a une escouade de militaires casqués et solidement
armés. Au premier carrefour sur le boulevard, à cinquante mètres, pas plus, une deuxième escouade tout
aussi équipée. De chaque côté, à cinquante mètres, une voiture de police avec des policiers. D’autres sont au
milieu du rond-point. Le boulevard en face, dans le noir total car pas éclairé non plus, est lui aussi fermé par
des barrières. Drôle d’ambiance. De toutes premières lueurs éclairent un peu le ciel. Pour prendre la
température du lieu et attendre un peu de clarté j’attends au carrefour. Aucun des policiers, pourtant
proches, ne me pose la moindre question et n’ont pas l’air de me porter attention. De rares voitures passent.
Une s’arrête au carrefour que les policiers font promptement circuler. Deux trois piétons. Le boulevard sort de
l’encre, tout est calme, il est temps. J’avais prévu d’aller à pied à Clinique, de toute façon, à cette heure-ci,
dans ce quartier, il n’y a pas de taxi. Sur le deuxième boulevard, là où il y avait tant d’étals à même le trottoir,
toutes les marchandises sont là, sous des bâches et ont passées la nuit comme cela dans la rue. Je suppose
qu’il doit bien y avoir des gardiens qui trainent, mais quand même, c’est très surprenant. A Clinique, la ville
commence à se réveiller et le taxi pour Madrid se rempli rapidement. A l’agence, le chargement des bagages
est, comme hier, très soigneusement fait. Les bagages sont bien callés, recouvert d’une bâche et bien
maintenu dans un solide filet très tendu. Les gens de l’agence me donnent une chaise pour que j’attende
assis. Encore une fois, cette attention prévenante est étonnante. Pendant ce temps, un mendiant aveugle
passe, accompagné d’un enfant. Un des Messieurs qui attend autour du Hiace et que j’ai repéré lui donne une
pièce. Je fais de même sauf que je donne à l’enfant. J’espère ne pas avoir fait d’erreur… Arrive une vieille
femme et sa file - ou même peut-être sa petite fille - avec deux très gros bagages. Sans sourciller, les trois
jeunes défont la moitié du chargement pour caser les nouveaux paquets et tout bien recaler. Le fourgon ne
démarre pas. L’homme de l’art doit s’y connaitre car après une demi-heure à œuvrer dans le moteur, ce
dernier démarre au quart de tour à la première sollicitation. On est parti, cette fois-ci pas de croissant, je suis
tout derrière mais coté fenêtre, là où la banquette a tout de même un peu de rembourrage, mais le Hiace
sent autant l’essence. Pour se loger à sa place, il faut enjamber des deux lignes de dossiers précédents,
excellente gymnastique matinale car le plafond parait particulièrement bas dans ces moments-là. Les cartons
sous les sièges dépassent sous les pieds, à quatre derrière, il n’y a pas de doute, on est bien calé. Avec tout
cela, on part avec deux heures de retard. Les vitres sont teintées par un film pastique qui protège bien des
ardeurs du soleil et un petit trou permet de voir un peu mieux dehors. Le chauffeur roule vite. La route est
souvent dégradée et le fourgon tremble sur les cahots. Une zone de travaux nous fait redécouvrir les joies de
la tôle ondulée. Un arrêt, le chauffeur me propose un gâteau, un voisin a des mandarine et me dit où il les a
trouvé. L’air chaud, très sec et poussiéreux pique le nez, les yeux et la gorge. Les gens boivent régulièrement
une simple et petite gorgée d’eau à la fois qu’ils avalent lentement. Autre arrêt, le chauffeur plonge dans le
moteur. Un quart d’heure plus tard, redémarrage au quart de tour. C’est reparti. A la pause, il est deux heures
de l’après-midi, on est à Boutilimit. Un coup d’œil sur la carte montre qu’on a fait à peine le quart du trajet.
On n’est pas arrivé ! Le chauffeur me propose de partager son repas, je lui dis que j’ai déjà mangé mais ne
refuse pas. Une cuvette en plastic en forme d’évier avec un porte savon et un emplacement centrale pour
l’incontournable bouilloire d’eau en plastique, est là pour se laver les mains. Le plat contient un énorme
morceau de mouton sur un lit de couscous à très gros grains. Le morceau de viande est en fait de l’échine où il
y a bien plus d’os qu’à manger et l’épaisseur du couscous est très fine, sans sauce et très huilé. Je n’en mange
qu’un tout petit peu, juste pour honorer l’invitation. Le chauffeur mange sa part et le troisième larron fini tout
en raclant soigneusement les os. Ensuite, c’est le seul type de plat que j’ai vu manger sur le bord de la route.

Page 18
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°1 – Maroc et Mauritanie.
Novembre 2018
Le paysage devient de plus en plus désertique et sableux. Autres pauses, c’est étonnant, quand le chauffeur
fait signe de repartir, personne ne se presse et le chauffeur attend. Sauf une fois, on s’était arrêté pour la
prière du soir, celle avant le coucher du soleil. Beaucoup avaient pris le temps de manger aussi. Tout le monde
était prêt à repartir. A ce moment-là, la vieille femme et la jeune fille commandent de la viande au couscous à
l’échoppe d’à côté. Je ne sais pas ce qu’a dit le chauffeur toujours est-il qu’on est reparti sans que les femmes
aient mangé. Dans certains pays, le temps donne l’impression de passer nonchalamment. Ici, il donne
l’impression de ne pas exister du tout. Pourtant le soleil se lève et se couche, la lune croit et décroit, les
saisons tournent. Mais le temps qui passe à l’air sans aucune importance. A moins que le temps appartienne à
Dieu et ne soit donc pas de ce monde…On arrive finalement dans la ville quasiment sans lumières. Je suis très
étonné de constater que je suis le seul à m’arrêter à Kiffa, tout le monde continue. Le chauffeur, très étonné à
son tour de me savoir sans bagage, me présente au responsable de l’agence et me confie à lui. Ce dernier me
dit où je peux manger, où dormir : « Soyez le bienvenu ». Le chauffeur me souhaite bon voyage et retourne à
ses clients. Le lieu de couchage est un auvent en dur, avec une salle sur le côté. Des femmes bavardent sous
l’auvent, très probablement après un thé. Je vais donc dans la salle qui pour l’instant est vide, trouve une
vague mousse fine et m’installe pas trop près d’une prise électrique qui dans la nuit parait bien trafiquée. Les
étoiles brillent intensément et le sommeil vient très vite.
3 décembre.
Je suis réveillé par le muezzin accompagné de chants de coq. On est ainsi à la deuxième prière et le jour est
donc bien levé, je n’ai rien entendu de la première. Un de mes deux voisins dort encore, l’autre est parti il y a
quelques temps déjà. C’est l’heure du photographe.

Continuer vers le Nord, vers le Sud ou vers l’Est : il n’y a que l’embarras du choix.

Page 19
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°1 – Maroc et Mauritanie.
Novembre 2018

A kiffa, vous traversez la rue … Et vous changez


carrément le monde : qui dit mieux ! Gros triporteurs chinois.

C’est juste une roue de secours. Les roues principales


Il y a beaucoup de transport de foin, est-ce la saison ?
sont en bien meilleur état.
L’idée me vient de rentrer en Mercedes. Il y en a tellement ici que ce serait dommage de ne pas en profiter.
En plus je devrais mieux voir le paysage que coincé au fond d’un fourgon. Et en voiture cela devrait être plus
rapide. Près de l’agence, on me fait une proposition, banco. Et la Mercedes m’emmène au grand carrefour de
Kiffa, lieu de départ de taxicos pour la capitale. Ce sont des Espaces ! Perdu. L’affaire est tout de même
conclue, il reste deux places à trouver pour remplir le véhicule. Il ne reste plus qu’à attendre. A un moment,
un policier m’aborde. « Bonjour, vous allez bien ? », « Oui, merci. Et vous. », « Bien. Vous devez venir au
commissariat pour vous présenter, ce n’est pas loin. Prenez vos bagages avec vous ». Que se passe-t-il ? Je
suis donc l’homme en question en faisant signe à mes acolytes que je ne comprends pas ce qui ce passe. Deux
pâtés de maison plus loin, nous voilà devant une véranda en dur. Deux hommes y sont installés. Ils sont en
chemises bleues, preuve que ce sont des gradés. « Bonjour, installez-vous » me disent-t-ils en me faisant signe
de m’installer sur le tapis, en face d’eux. Je m’assois sur le bord du tapis en laissant mes pieds chaussés à
l’extérieur. Après un court silence : « On vous a vu prenant des photo dans la rue », « Oui ». « En Mauritanie, il
est interdit de prendre des photos », « Désolé, je ne savais pas ». « Il faut une autorisation du ministère de la
communication, montrez-moi vos photos ». Je lui allume l’appareil et le règle en conséquence. Il regarde

Page 20
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°1 – Maroc et Mauritanie.
Novembre 2018
lentement et longuement les photos pendant que lui redis que je ne savais pas, que ce sont juste des photos
sans conséquences, des clichés vagues et larges. Bref j’essaye de minimiser l’outrage manifeste. Appel
téléphonique. L’homme du taxi qui nous avait suivi de loin, se renseigne de la situation. Le temps passe,
pendant lequel je fini par me demandé si le mieux ne serait pas que je lui propose de tout effacer. Puis il finit
par me dire qu’on va aller voir le commissaire. Il se lève. Le commissaire est arrivé et est devant, dans sa
voiture. Ils échangent quelques paroles. Il me demande mon passeport, le donne au commissaire et me rend
mon appareil photo. C’est déjà cela, mais il faut maintenant récupérer le passeport. Le commissaire l’épluche
sans un mot. A un moment il murmure « Panama ». J’ai déjà été plusieurs fois soupçonné d’espionnage et me
suis fait cuisiné une fois presque deux heures en sortant d’Algérie pour le sud de la Tunisie, il ne faudrait pas
que cela dégénère. Quelques questions banales, dont « vous êtes depuis combien de temps en
Mauritanie ? ». Il vérifie avec le tampon d’entrée puis me rend mon passeport en me disant que je ne dois pas
prendre de photos. Message reçu ! Puis il me souhaite très poliment la bienvenue en Mauritanie. De retour à
la voiture, je suis chaleureusement accueilli par mes acolytes soulagés que tout se termine bien. Ils me
demandent s’ils m’ont fait effacer les photos, puis ils me disent que dans les grandes villes il ne faut pas
prendre de photos, mais à la campagne et dans les villages il n’y a pas de problème. On finit par partir en
changeant de véhicule. Ne me demandez pas pourquoi. Je suis devant, on est bien évidement à deux sur la
place passager. Mon voisin est un jeune Malien qui va au Sénégal par Rosso. A l’aller, un des voisin, un jeune,
allait au Mali et disait qu’il n’y avait pas de problème, un autre a répondu que le Mali n’était pas bon en
faisant des signes de fusil. Qui croire ? Sur la deuxième banquette, il y a quatre jeunes, et derrière, à côté d’un
moteur, il y a une très jeune femme - pour ne pas dire une jeune fille
- avec un enfant de quatre ans environ. Durant tout le trajet, le
chauffeur, un monsieur assez âgé, accompagnera la jeune femme
comme si elle était de sa famille éloignée. La voiture ne peut pas
cacher son état, digne d’un clando Sénégalais pur jus. La voiture n’a
plus du tout d’amortisseurs, roule et tangue à qui mieux-mieux en
zigzagant au rythme de son jeu dans la direction. Le chauffeur, qui a
l’air de très bien connaitre la voiture roule à la vitesse de ses freins. Il
a l’air de connaitre très bien la route aussi, et presque par cœur
chaque nid de poule. On est donc parti. J’abandonne très vite toute L'inspecteur des travaux à la
idée de mettre moins de temps qu’en fourgon. Je voulais voir le station-service.
paysage, de ce côté-là c’est particulièrement réussi. D’autant plus qu’on crève rapidement. Les goujons ne
sont pas grippés, la roue de secours est en bon état. Le cric hydraulique fonctionne. On repart donc
rapidement. Deux contrôles de douanes rapidement franchis puis un autre de police rapide également bien
que le policier tique un peu à propos de mon jeune voisin Malien. Avant de faire monter ce dernier, l’homme
de la voiture, pas le chauffeur, celui à qui on paye et qui organise le transport, .lui avait demandé ses papiers
d’un air soupçonneux … Au suivant, le policier demande mes papiers, puis me demande de descendre. Bon, il
me reste un confortable stock de photocopies, mais les questions fusent. « Vous venez d’où ? », « De Kiffa ».
« Vous venez du mali ? » « Non ». « Vous êtes entré par le Sénégal alors », « non, je suis rentré par la Maroc ».
En étant sur la route qui vient du Mali, c’est effectivement un peu étrange. « Vous travaillez à Kiffa », « Non ».
« Vous travaillez où alors ? », « En France, et je suis à la retraite ». « Vous avez de la famille à Kiffa », « Non, j’y
suis allé juste pour visiter ». La situation est un peu surréaliste et le policier est visiblement incrédule. « Vous
habitez où ? », « En France, à La Rochelle ». « Près de Marseille, de Lyon ? ». Je pars dans un petit topo
géographique pour expliquer où est La Rochelle à l’aide que quelques gestes significatif. Je ne suis plus sur un
terrain glissant et tout va mieux. L’homme de l’art est convaincu par mon topo et me rend mon passeport en
me souhaitant la bienvenue en Mauritanie. Et nous voilà finalement encore repartis. Au début je suis côté
fenêtre, je peux donc prendre des photos.

Page 21
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°1 – Maroc et Mauritanie.
Novembre 2018

Plus tard, je me retrouve au milieu. Deuxième contrôle où on me demande de descendre, quelques questions,
toujours les même et le jeune policier part avec mes papiers pour les donner à son chef qui est allongé sur un
tapis sous un abri de l’autre côté de la route, je le suis. Le chef y jette un coup d’œil et le document fait le
trajet inverse (le chef-le policier, le policier-votre serviteur), ces deux derniers retraversent la route. Le
policier, bredouille courtoisement un « bon voyage », je lui souhaite à mon tour une bonne journée et tout se
termine encore une fois en bons amis. Je n’ai pas dénombré la quantité des postes de contrôle, mais à
l’entrée de Nouakchott, ils y en a eu trois en moins de cinq kilomètres. L’arrêt le plus long a été au carrefour
de Rosso, là où mon voisin est descendu. Un policier a vite été très véhément à priori contre quelque chose
sur le devant de la voiture. J’ai sur le coup imaginé un problème de plaque minéralogique. Pendant ce temps,
son collègue me demande encore de descendre et m’accompagne vers son chef qui est affalé dans la maison
de garde. Toujours les mêmes questions, je commence à en être fatigué. Il me demande si j’ai une copie. J’ai
une copie. Est-ce que j’ai un stylo. Oui, j’ai un stylo. Est-ce que je peux écrire « Nouakchott » sur la copie. Oui,
je peux écrire « Nouakchott » sur la copie. C’est fini, mais cela devient un peu limite. Le chauffeur n’est
toujours pas là. Il est en grande conversation avec un policier. Le jeune Malien est avec eux. Cela va durer
trois quarts d’heure, un record. Un homme avec une valise rigide cherche une occasion pour la capitale et
attend à côté de la voiture. Etrangement, le chauffeur ne le prend pas alors qu’il y a maintenant une place de
libre à l’avant. Par contre, il prend un autre passager un peu plus loin, qui s’avèrera être un homme à roue de
secours pour une voiture à plus de cinquante kilomètres plus loin. La nuit est tombée depuis quelques temps,
avec, comme hier, des dégradés d’ocres extraordinaires. On s’est, comme il se doit, arrêté pour la prière du
soir suivi d’un bricolage pour faire fonctionner les phares avant. Les quelques pas sur le bord de la route en
attendant révèlent encore plus de vaches en état de squelette ou de momie qui ne parait de la voiture.
Etrange, il n’y a quand même pas tant de vaches que cela à se faire renverser par les voitures. Dans un village,
le chauffeur s’arrête pour acheter une brassée de pains. Fait-il ses courses pour demain. Pas du tout, il en
propose un à chacun de passagers et on repart dans la nuit. Les phares éclairent timidement la route. Celui de
gauche éclaire plutôt le ciel. Ce qui nous vaut des bordée de pleins phares venant des voitures que nous
croisons et qui éblouissent à ne plus rien voir du tout. A chaque fois, le chauffeur temporairement aveuglé lui

Page 22
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°1 – Maroc et Mauritanie.
Novembre 2018
aussi fait une embardée magistrale vers le bas-côté. La tôle ondulée de la zone de travaux est passée à vingt à
l’heure maxi. Sur les parties dégradées on ne doit pas dépasser les quarante à l’heure et le reste du temps on
doit être toujours bien en deçà des quatre-vingt. Mais les lumières de la grande ville finissent toujours par
apparaitre aux yeux du voyageur patient ! Dans les faubourgs de Nouakchott, un des passagers descend. Cinq
cent mètres plus loin les autres suivent, mis à part la jeune femme et l’enfant. Deux cents mètres plus loin, le
chauffeur s’arrête, me dit qu’il doit tourner à droite, que le carrefour Madrid n’est pas loin. Il me donne deux
pièces de cent (donc de dix si vous avez bien suivi), une pour aller à Clinique et une autre pour aller là où je
dois. Vous avez déjà vu un chauffeur de taxi qui vous donne de l’argent ? En fait je ne trouve pas d’occasion
pour Clinique directement car Madrid, qui est avant, est en fait assez loin. Dès que je demande à aller à
Madrid je trouve très rapidement. Pour aller ensuite à Clinique, il y a une voiture qui attend et qui me prend.
Le chauffeur cherche un autre client en vain et part aussitôt. Je me demande s’il ne va pas me faire le coup de
la course privée puisque je suis seul. Pas du tout, et je paye avec la pièce normale. Qui plus est, comme il
tourne à droite lui aussi, il me reprend après le carrefour pour m’emmener gratuitement au suivant. Ma
marche à pied s’en trouve divisée par deux. Sympa. Il est plus de onze heures et demie. Le restaurant
Marocain qui deviendrait vite ma cantine est encore ouvert. Cette journée bien remplie se termine devant
une théière fumante de thé Mauritanien à la menthe bien revigorant.
5 décembre.
Hier a été une journée de pause consacrée essentiellement à l’écriture de cette lettre. Je suis courbaturé de
partout et j’ai les épaules et le cou complètement bloqués. La route de Kiffa, mille deux cent kilomètres aller-
retour a un prix évident. Les heures tassé, tordu et cramponné tout en essayant de bouger un peu quand
même pour se dégager un peu d’un ressort dans une fesse ou d’une barre dans une côte qui insistent et
cisaillent implacablement dans les cahots finissent par se payer. Ce matin, il est un peu moins tôt que avant-
hier, il fait jour cette fois-ci. Le carrefour est tout à fait calme aujourd’hui. Il devait y avoir quelque chose de
spécial pour qu’il y ait un tel service de sécurité. En prévision du passage de la frontière qui a mauvaise
réputation car il y aurait beaucoup de gêneurs, j’ai changé des Francs CFA. Ainsi, normalement, je n’ai rien à
demander à personne, ce qui limitera les risques d’embrouilles. A clinique, une Mercedes était déjà quasi
pleine et on part donc tout de suite. Un peu plus loin, le chauffeur s’arrête. Je suppose que c’est le pneu
arrière gauche, il était très dégonflé au départ et c’est lui qui doit frotter juste sous moi. Non, c’est juste le pot
d’échappement qui nécessite une rapide intervention. Plus loin, le chauffeur décharge tous les colis du coffre
dans une boutique. Je lui demande si le garage pour Rosso est loin. Etonné, il me répond qu’on l’a passé
depuis longtemps ! Il me dit de remonter dans la voiture en me faisant signe qu’il n’y a pas de problème. Un
peu plus loin, il parle à un voisin de circulation puis me dit qu’il a une occasion pour Rosso. Au terminus, le
chauffeur me fait signe de le suivre. Il sort mes sacs du coffre, les porte à la voiture avec laquelle il avait
discuté. Le nouveau chauffeur me donne un prix qui est très honnête d’après mes informations. L’ancien me
souhaite très aimablement bon voyage. C’est étonnant comme tout est toujours simple en Mauritanie (mis à
part quelques rencontres policières un peu longuettes). Nous sommes trois dans cette nouvelle voiture d’un
confort étonnant et très reposant. Les amortisseurs sont à bout de souffle mais les sièges vraiment moelleux.
Tout le tableau de bord fonctionne. L’autre passager, sur le siège avant droit, est buriné avec de profondes
rides entouré d’un chèche qui lui entoure le visage. Du chauffeur, le chèche ne laisse apparaitre que les yeux.
Le revêtement de la route serait bon s’il n’y avait pas autant d’énormes nids de poules. Au point que tous les
véhicules, parfois, préfèrent rouler sur le côté. Dans ces cas-là, la piste en sable dur est roulantes mis à part
quelques rares et courts passages de sable mou qui ne seraient pas évidents à négocier en deux roues.

Page 23
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°1 – Maroc et Mauritanie.
Novembre 2018

La photo de droite, c’est la redoute qui commence à livrer les cadeaux de Noël. Vous pouvez offrir ce que vous
voulez à qui vous voulez. Mais, entre nous, je pense que pour quelqu’un qui vit en appartement ce n’est peut-
être pas l’idéal. Assez encombrant tout de même. Avec une baignoire, un crocodile est quand même plus
pratique et ne nécessite pas de promenades. Le dromadaire, c’est au moins trois promenades par jour et il
faut que l’escalier soit assez large. Par contre le succès est garanti dans les parcs.
L’autre passager descend et du coup le chauffeur discute avec moi. Il est né à Dakar, en 1956, puis est arrivé à
Saint Louis vers l’âge de huit ans. Il y a fait ses études puis sa vie … Jusqu’en 1989. Il s’est fait expulsé pendant
les évènements. Il m’a dit avoir laissé deux fours à Saint Louis dans cette histoire. Je lui demande si
maintenant tout cela est fini. La réponse est nette. Non, c’est allé trop loin, la confiance n’est plus là et n’est
pas prête de revenir. « Ce ne sera plus jamais comme avant » conclut-il. Pourtant ce n’est pas du côté
Sénégalais que cela a été le plus voilent. Et de loin. Plus tard il me dit que le Sénégal est le pays le plus
démocratique d’Afrique mais pas sûr. Le plus sûr est la Mauritanie. Il me montre le côté de la route en me
disant : « vous pouvez dormir là, personne en vous embêtera ». Je ne pense pas qu’il exagère, bien que je ne
le ferais pas dans un coin isolé. Des animaux peuvent tout de même toujours rôder. Encore plus tard, il loue la
Téranga Sénégalaise … Entre rancœur et/ou nostalgie ?
Un autre passager monte, puis la ville frontière arrive vite. Au dernier carrefour, le chauffeur me dépose.
J’entre-aperçois le fleuve au loin. La frontière est entre les deux.
Mais ceci sera une autre histoire !
Je vous souhaite un festival de jaune … le vrai : Celui du soleil qui inonde le Monde.
Et … Bises aux filles !
A Bientôt,
Bernard.

Page 24
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°2 – Nord Sénégal.
Décembre 2018
5 Décembre, à Rosso.
Sur cette frontière, là aussi, la file de camion est immense. Toute la file de droite de la route en est occupée.
Du carrefour à la frontière, il n’y a guère plus de deux cents mètres à parcourir. J’étais prévenu pourtant, et
heureusement. Trois gars m’accostent et me proposent de me faire passer la frontière. Je les remercie et leur
disant que je vais la passer moi-même. Dans mon dos une voix gronde : « Tu me parles correctement ou je te
casse la gueule ». Ayant parlé correctement je ne réponds pas à cette provocation grossière dont le seul but
est de tenter de me déstabiliser pour ensuite espérer de me manipuler. Ils cherchent par tous les moyens à
prendre possession de mon passeport, qu’évidement je ne lâche à aucun prix. Le premier policier demande
bien sur mes papiers. D’une vitesse phénoménale, un des gars le récupère. Après coup, il serait possible de se
demander comment le document est-il passé si vite de la main du policier à cette du type mais, bref, passons.
Il faut aller au poste suivant pour le tampon. C’est un guichet. Le type est bien devant le guichet et bouche
tout accès. Commence l’attente. Au bout d’un moment, un autre type me dit qu’il faut soixante-dix mille CFA
pour passer la frontière pour attester qu’on a assez d’argent. Je lui réponds que je m’occupe d’abord du
passeport. Il insiste en me disant qu’il faut l’argent pour le tampon et qu’il n’y a pas de problème, il y a un
distributeur juste à côté et que le chef du poste va m’y accompagner pour plus de tranquillité. Je fais deux
trois pas pour voir le type qui est effectivement habillé en kaki mais n’a aucun insigne. Pour un chef de poste
la ficelle est grosse. Je retourne devant le guichet en répondant à chaque sollicitation que je m’occupe
d’abord de mon passeport. Mon voisin a un peu bougé, les vingt centimètres de gagnés me permettent de
voir à l’intérieur et de communiquer avec le policier qui commence à s’occuper de mon cas. Les questions
d’usage viennent comme de bien entendu. « Vous avez l’air fatigué » (traduisez : contrarié), je lui réponds très
aimablement que la route pour venir a été un peu fatigante. Il commence à tamponner le passeport, j’ai la
main à travers le guichet qui empêche toute autre intrusion. Il est cette fois-ci hors de question que qui que ce
soit mette la main sur mon document. Le passeport est tamponné, récupérer un peu de force mais la mission
est accomplie. Le bac est justement en train d’approcher. Mes « serviables » voisins lâchent l’affaire. En haut
de la cale, il y en a bien un dernier qui cherche à vouloir m’accompagner je ne sais où pour me faire acheter je
ne sais quel billet pour le bac gratuit, mais il n’insiste pas. Au début de la passerelle, le dernier policier fait la
dernière vérification et c’est l’embarquement. Tout cela n’a pas duré très longtemps mais la tension était
intense. Sur le bac, il y en a encore un qui cherche à me driver mais pas avec la même conviction. Le bac ne
prend qu’un semi-remorque à la fois, ce qui explique l’attente bien qu’il y ai deux bacs qui se croisent et
fassent la navette. Le camion a du mal à monter sur le bac, il patine longtemps au raccord entre la pente de la
cale et cette de la rampe du bac. Mais à force d’essayer, il finit par embarquer lui aussi et le bac part tout de
suite car l’autre attend la place.

Côté Sénégalais, au débarquement, un policier me prend mon passeport et me dit de me rendre au bâtiment
ou flotte le drapeau national. Là, surprise, on me demande mon carnet de
vaccination. C’est la première fois depuis belle lurette. Je lui présente. Est-ce
qu’il a vu que la date du vaccin était périmée, savait-il que médicalement parlant
il est considéré comme à vie, ou s’en fichait-il ? Toujours est-il qu’il me le rend
en m’indiquant le poste de passage. Là c’est rapide : prise des empreintes et de
la photo, coup de tampon et « Bienvenue au Sénégal ». Voilà, c’est tout. A la
grille de sortie, les conducteurs de Jakarta et de taxi se pressent pour me
prendre. Les vendeurs de crédit téléphonique et les changeurs d’argent sont là aussi. Mais j’ai plutôt envie de

Page 25
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°2 – Nord Sénégal.
Décembre 2018
calme, de marcher un peu et d’être tranquille, traverser lentement le village jusqu’au garage qui n’est qu’à un
kilomètre en se ré-imprégnant de l’ambiance. Acheter quelques mandarines, etc. Bref, tout simplement
atterrir et « être là ». Au garage les 505 sont redevenues reines, les Mercedes mauritaniennes sont restées sur
l’autre rive ! Un peu d’attente dans le fourgon, l’ambiance est tonique, la sono du fourgon se mélange aux
trois ou quatre musiques de portables et aux conversations à voix d’autant plus haute qu’il faut couvrir le
« fond » sonore : Bienvenu au Sénégal ! Sur la route, les contrôles de gendarmerie sont débonnaires, autre
détail qui prouve encore qu’on n’est plus en Mauritanie. Le Fleuve est une étonnante frontière climatique. Au
Nord l’ambiance est sableuse et désertique, ici c’est la savane, arborescente et pleine de vie.

Dagana n’est pas loin et la route est bonne. Le confort du fourgon dix-sept places (enfin … officiellement !) est
d’un confort inouï par rapport aux heures de route Mauritanienne dont mon dos en sait encore quelque
chose. Il faut trouver la maison des enseignants. J’arrive en fait à l’improviste car j’ai perdu le téléphone avec
la Sim Sénégalaise qui contenait tous mes contacts locaux. La politesse la plus élémentaire aurait été de
prévenir Sheick avant. Le conducteur de la charrette, en fait, ne sait pas du tout où se trouve la maison. Je lui
indique le quartier mais je n’en sais pas plus. En demandant de porte en porte et comme on n’est pas très
loin, on finit par trouver.

En Ferrari sur la voie de gauche de la Nationale N°2 ! La maison des enseignants.


Sheick est là, certains de ses collègues d’il y a deux ans aussi et d’autres sont de nouvelles têtes. Surprise,
accueil, on est au Sénégal. Au hasard de la conversation, il se rappelle du pillage des maisons de Maures (sic) à
Saint Louis pendant les évènements de 89. Il était gamin et se rappelle qu’il en profitait pour récupérer des
bonbons. Il dit qu’à son âge, il ne se rendait pas compte de ce qui se passait mais se rappelle aussi que
certains Sénégalais accueillaient chez eux les Mauritaniens mis à la porte. Il est clair que les violences ont été
bien moindres au Sénégal qu’au pays de Ould Taya.
6 Décembre.
Sheick, d’un naturel très matinal, est déjà parti depuis longtemps lorsque je me réveille. La nuit à la (très)
belle étoile sur la terrasse a été fraiche et le duvet a été le bienvenu. Je le rejoins à l’école.

Page 26
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°2 – Nord Sénégal.
Décembre 2018

C’est l’heure de la corvée d’eau à la borne publique. Le cours d’éducation physique se termine.

La cour de l’école a maintenant un préau ombragé. Micro maraichage pour alimenter la cantine.
C’est l’anniversaire d’une du groupe. Deux autres enseignants ont sorti les tam-tams et le chant de
circonstance accélère au rythme des percus toniques. Le collègue de Cheick m’embauche pour une séance de
pratique du français. Sujet : se présenter. Le groupe est assis en rond et chacun à tour de rôle doit se
présenter. Je réponds comme la règle de politesse le demande … en bredouillant quand même un peu
certains prénom auxquels je ne suis pas habitué. Tout le monde se prête au jeu avec plus ou moins de brio
sauf le dernier qui est hyper timide d’après l’enseignant qui n’insiste pas plus que nécessaire. Dans un coin de
la cour, il y a des tables de micro-jardinage. La Directrice m’explique que depuis la fin du projet d’aide
alimentaire, qui était sur trois ans, ces cultures participent au fonctionnement de la cantine. C’est le gardien
qui s’en occupe. Il est actuellement en formation de trois mois au centre de formation local. Une vingtaine
d’écoles font partie d’un projet de micro-jardinage organisé par un référent à Saint Louis dont elle me donne
les coordonnées. Comme Dame Providence fait bien les choses, Cheick connait le formateur en maraîchage du
centre de formation local. Un coup de téléphone, une course en Jakarta et Monsieur NDiaye me reçoit. A
l’objection sur la taille des surfaces exploitées par cette technique qui est en générale modeste, il me dit que
je peux voir de très grandes surfaces jardinées de la sorte à Dakar (à la Patte d’oie et à Liberté 6) et à Sokone.
Si vous voulez en savoir plus, vous pouvez, entre autre, consulter les Tutos de Corentin de Chatelperron sur
goldofbengal.com, un des spécialistes du Low Tech.

Page 27
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°2 – Nord Sénégal.
Décembre 2018

La photo est en contre-jour et plutôt mauvaise, mais


comment ne pas honorer l’héroïne du Fouta qui a
préféré s’immoler que de perdre sa liberté. Les quais de Dagana … éternels.
Suite à - encore - une réclamation, voici : « Couchers de soleil sur le Fleuve », © 2018 !

La pause à la maison commune permet de refaire encore une fois un peu le monde. La télévision retransmet
en totalité toute la cérémonie d’inauguration du Musée des Cultures Noires de Dakar, clôturée par le discourt
du Président Macky Sall. Il a l’air très actif en ce moment, les élections sont pour le vingt-quatre Février.
J’hésitais à faire un crochet par Podor mais j’ai appris en ville que ce week-end, il y a le festival « Les blues du
Fleuve ». La balance a donc penché pour Podor. Tard le soir, un des colocataires arrive de Saint Louis. Il est
infirmier, c’est-à-dire qu’en brousse, il a fonction de médecin. Il raconte les nombreux cas de paludisme dans
la région cette année. C’est un peu la saison. Le Sénégal a été mis en exemple depuis plusieurs années pour sa
lutte contre le paludisme qu’il avait quasiment gagné. Mais la maladie est devenue résistive aux traitements
classiques. Les traitements actuels sont beaucoup plus complexes et ne peuvent plus se pratiquer n’importe
où. Il faut déplacer les malades, ce qui complique la situation. Les cas de décès ne sont pas rares. Après avoir
consulté le collègue malade, ils vont tous les deux à l’hôpital. En allant me coucher, je croise l’infirmier qui
vient de rentrer, il me fait un petit signe pour dire que tout va bien.
Le 7.
Cheick m’accompagne jusqu’au garage avant de retourner à l’école. J’attends sur le bord de la route. Un
chauffeur me propose d’affréter son dix-sept places, rien que cela ! Je fini par m’installer de l’autre côté de la
route, du bon côté. Un bus passe sans s’arrêter. Le dix-sept place de tout à l’heure est plein et part en
direction de Richard-Toll. Un Hiace s’arrête sur le bord de la route, il est vide. Le
gars me propose un très bon prix pour Ndiayène, le carrefour sur la nationale
pour Podor, pose mon sac sur le toit en me disant qu’on part dans un quart
d’heure puis disparait. Une demi-heure plus tard, je suis toujours tout seul, à
poireauter à côté du fourgon vide. Aucune trace du chauffeur. Je décharge tout
et repose mes sacs sur le bord de la route. Une Nevada passe et s’arrête à mon
signe. La banquette arrière est vide, presque incroyable. Cerise sur le gâteau, le
prix proposé est très honnête : affaire conclue. Après quelques temps de route,

Page 28
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°2 – Nord Sénégal.
Décembre 2018
un bruit bizarre, fort et très court se fait entendre dans l’habitacle. Au bout de plusieurs fois je fini enfin par
l’identifier, il y a un mouton dans le coffre. En fait, ils sont deux, en dessous des ballots qui remplissent le
coffre jusqu’au toit, ils ne doivent pas avoir froid. A Ndiayène, cela ne doit pas être le jour de marché car les
étals si colorés de l’autre fois ne sont pas là. Podor n’a pas l’air d’avoir changé d’un pouce.

C’est écrit dessus, vaste programme.


En suivant les indications, je trouve l’école facilement. Omar, qui était prévenu, m’attendait. Le hasard,
encore lui, fait que le directeur de l’école est – ni plus ni moins – que le frère de Baaba Maal, la tête d’affiche
du festival. Et il est aussi un des piliers de l’organisation.

Le passeur pour la Mauritanie. Rue commerçante près du marché.


Le soir, sur les quais, c’est la première soirée d’ouverture du festival. La place est archi-comble. Omar aperçoit
son Directeur, et, le hasard continuant à être ce qu’il est, ce dernier sort de sa poche des invitations et on
peut ainsi entrer sur l’esplanade centrale pour mieux voir.

Ils sont venus de tout le Sénégal et des pays


limitrophes. Au-devant, des Diolas de Casamance. Défilé de pirogues décorées.

Page 29
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°2 – Nord Sénégal.
Décembre 2018

Baaba Maal natif de Podor et Maitre Moussa Diop,


Arrivée des piroguiers. parrain du festival.
Le mystère du distributeur de billet est finalement levé par le gardien. Juste un détail de manipulation,
heureusement car je peux rester ainsi tranquillement à Podor. Avec Omar, on passe une grosse partie de la
journée sur son ordinateur, Word puis Excel sont au menu. Dans la concession, il y a Omar et sa petite famille
(sa femme et sa fille), son grand frère et sa sœur chacun avec leur petite famille. Un de ses neveux s’est lancé
dans l’élevage. Il suit une formation de plusieurs mois en ce sens et a commencé avec les poulets. Il espère
ensuite se développer en augmentant sa production et en élevant ensuite des moutons. La femme de Diop,
qui vient d’avoir un enfant et qui normalement vit à Saint Louis chez sa belle-famille (c’est la tradition) pour
s’occuper de ses beaux-parents est parti à Dakar se reposer chez ses parents après l’accouchement (c’est la
tradition). Le soir, dans la bande qui vient regarder la télévision de Omar dans la cour, il y a un jeune qui ne
parle pas français. Il a fait un stage de fabrication de jus de fruit et me dit qu’il veut aller faire des jus en
France. J’essaye de lui expliquer que la fabrication de jus est différente en France et que sans papier, sans
qualification et en ne connaissant personne, on ne peut pas s’installer comme cela en France. J’essaye de lui
raconter la situation, mais il est évident que, enfermé dans son rêve, il ne me croit pas. Tout le monde est
scotché devant la série qui a l’air de faire fureur au Sénégal et dont j’ai bien sûr oublié le nom. On en est à la
saison trois. Les dialogues sont en Woloff, il est évident que ce sont des histoires de famille et de couple à
n’en plus finir. Omar m’explique que l’intrigue repose sur le problème que le personnage principal rencontre
pour prendre une troisième femme. La première lui met des bâtons dans les roues car il lui a fait trop
confiance en lui donnant les manettes de ses affaires. De quoi effectivement alimenter encore quelques
saisons à loisir ! Omar parle d’un fait divers relatant une tentative de meurtre d’une femme contre son époux
qui voulait prendre une deuxième femme. Elle a essayé de mettre le feu à la chambre. Omar en conclut en
rigolant que la vie d’homme devient difficile, surtout s’il faut se mettre à dormir avec toujours un extincteur à
portée de la main ! A la réflexion murmurée par sa jeune femme on peut facilement deviner quelle ne goute
pas la plaisanterie - pour le moins - de la même manière…

Page 30
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°2 – Nord Sénégal.
Décembre 2018
8 Décembre.
Les séances matinales de qi gong pour débloquer le dos et surtout le cou ont fini par remettre tout d’aplomb
et opérationnel. Les stigmates des routes Mauritaniennes s’estompent. On repasse la matinée devant Excel,
les tris font un peu de résistance.

En ville, la campagne électorale, pourtant pas encore


ouverte, bat son plein. A gauche, ce n’est que le siège
des partisans. Hier soir, dans la rue principale, de
retour de la cérémonie d’ouverture du festival, il y
avait un défilé avec plusieurs énormes 4x4, des
danseuses sur-vitaminées, musique et sifflets
rythmiques. Le tout encadré par des colosses tout
aussi impressionnants que les véhicules. La force de
frappe électorale de Macky Sall est évidente.

Intrigué par ce panneau, je vais au bord du fleuve, là où les pirogues accostent d’en face.
Il y a effectivement un poste de Police et de Douane. Je demande s’il me serait possible
de rentrer au Sénégal ici une prochaine fois. Le douanier est un peu ambigu. A priori,
côté Sénégalais, cela devrait être possible, mais il me dit que de l’autre côté il devrait y a
voir des problèmes. Entrée en Mauritanie ici doit certainement poser un problème pour
le visa car il serait étonnant qu’ils soient équipés pour. Mais dans l’autre sens, c’est peut être tentable, à
condition d’arriver pas trop tard pour avoir le temps de rebrousser chemin et de trouver un point de chute
avant la nuit en cas de refus.

Page 31
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°2 – Nord Sénégal.
Décembre 2018

Ces affiches sont présentes sur les portes


ou dans certains magasins. Un des
problèmes est que les plus accrocs au
départ sont justement souvent ceux qui
ne savent pas lire et en plus ces affiches
sont en français. Mais les images parlent
quand même.

L’après-midi Omar part pour l’éternel thé avec ses amis du côté du marché et je reste à la concession.
L’accordéon est de sortie. Les enfants approchent puis quelques femmes aussi. Quelques pas de dance puis la
musique accompagne les conversations féminines qui coulent doucement à l’ombre du mur d’en face. Il y a
un autre concert ce soir au stade, il commence vers
minuit. Je crains que ce soit un peu tard pour moi, le
voudrais partir demain matin pour Saint Louis. Le frère de
Omar, qui travaille au poste de santé, est de garde
demain de bonne heure. Le soir, je suis invité à manger
chez eux. Dans une concession, le repas de chaque petite
famille est ouvert à tous les autres membres de la
concession et aussi à tous ceux qui sont là à ce moment-
là. Il serait donc tout à fait possible de manger plusieurs
fois, autant de fois qu’il y a de famille ! Entre les limites
physiques de l’estomac et la politesse de faire honneur
au plat, la marge est parfois étroite. Le soir on discute Aminata, la fille de Omar et de Houreye, avec
longuement avec la belle-sœur de Omar. Elle me raconte sa grande cousine.
un peu la vie d’ici et insiste sur sa volonté que sa fille fasse des études, qu’elle ait un travail et qu’elle puisse :
« Aider son mari au besoin de la maison ». A priori, ici, contrairement à beaucoup d’endroit au Sénégal, les
femmes n’ont aucune activité économique. Les seules occupations sont ménagères et elles n’ont donc
absolument aucune autonomie. Par contre, contrairement à plus dans le sud, les pères s’occupent des
enfants. Il n’est pas rare et parait tout à fait naturel de les voir sur leurs genoux ou dans leur bras. Ce qui est -
pour le moins - plus qu’exceptionnel ailleurs.
Dimanche.
J’ai beau me réveiller plutôt tardivement, la concession est encore d’un calme total. Il y a juste une femme
que je ne connais pas, avec un enfant dans le dos, qui balaye la cour. Ce qui est, si j’ai bien compris, la
première tâche féminine du début de journée. Omar fini par émerger et n’a vraiment pas l’air dans son
assiette. En fait il est rentré à plus de cinq heures du concert et il finit par me dire que sa femme est partie en
urgence de bonne heure à Ndioum. Un des fils de sa sœur est mort, accident de Jakarta, encore un. Les
Jakartas ont très mauvaise réputation. Elles ne sont pas plus dangereuses qu’un autre deux roues, mais
comme ce sont les moins chères, ce sont les engins des jeunes … qui sont parfois loin d’être prudents sur la
route. L’ambiance est naturellement un peu plombée. Je fais le tour de la concession pour remercier et dire
au revoir à tous ceux qui sont là et qui m’ont si bien reçu. Je peux encore le confirmer : la Teranga Sénégalaise
n’est pas une légende et est vraiment impressionnante.

Page 32
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°2 – Nord Sénégal.
Décembre 2018

Les canaris sont poreux juste comme il faut pour Tableau en bois pour noter les départs. C’est plus
rester humide à l’extérieur. Il y a juste une petite solide que du papier et moins cher : quand c’est
goutte qui tombe en dessous de temps en temps. plein, un coup de papier de verre suffit.
L’eau est toujours fraiche. L’organisation du garage a mis une taxe (500 F) sur
chaque départ. Cela paye le garage et alimente un
fond de soutient si un chauffeur a un problème.
Le fourgon se rempli tranquillement, et on part pour Ndiayène. L’avantage du fourgon sur les sept places est
qu’en hauteur, on voit mieux le paysage. On traverse des bras du Fleuve. Il y a d’immenses champs
maraîchers dans les zones de décrue. A Ndiayène, il est mine de rien déjà tard pour circuler, aussi on est
dimanche et il y a moins de trafic. Il n’y aucune occasion pour aller directement à Saint louis. Il y a que la
possibilité d’aller à Richard Toll. L’autre toubab du fourgon espère du coup y trouver ensuite une occasion
directe pour Dakar, sa destination. Le sept places se rempli finalement assez rapidement. Je suis
exceptionnellement devant, la place la plus confortable car au Sénégal on est seul à cette place-là. Cela doit
être l’heure des troupeaux car il y en a beaucoup qui traversent la route. C’est peut-être les retours de
messe ? Plus sérieusement, on est en terre Peule.
A Richard Toll, l’attente est longue, au moins deux heures et demi. Le soleil tape. Ma collègue de couleur n’a
rien trouvé d’autre que cette voiture pour Saint Louis. Il faut attendre. J’en profite pour manger un peu.
Richard Toll, pour l’instant, à ma palme de la déglingue pour les sept places, il y a même encore des 404
plateau.

Indestructible ? Canne à sucre en fleur, bien plus jolies en vrai.


Encore en place avant, en plus la voiture est en bon état, le voyage est de type « Pullman ». On a bien roulé,
ma co-citoyenne qui désespérait d’arriver de jour à destination reprend espoir quand elle apprend qu’il n’y a
que deux cent cinquante kilomètres pour Dakar - retenez ce chiffre, il pourrait être utile... A Saint Louis, je ne
trouve pas les repères que m’a fourni Cheick. J’ai un gros doute sur le point de départ. Soit les gens d’ici m’ont
pas compris ma question, soit ils se sont trompé, en tout cas je ne reconnaissant pas du tout la description
faite, je ne dois pas être au terminus des cars pour Pikine. Et comme je n’ai toujours pas de Sim locale pour

Page 33
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°2 – Nord Sénégal.
Décembre 2018
débrouiller le sac de nœud je laisse tomber et prend un taxi pour chez Pierrot, le gite des grands hommes.
Endroit bien paisible où il y a même le wifi. Un tour sur l’ile n’est pas si loin que cela à pied.

Pour lire : Zoomez.


Tout à fait par hasard, je passe devant l’historique Ecole des otages dont parle tant Hampâté Bâ et qui est un
des chefs d’œuvres de l’administration coloniale (!). Je ne parle pas du bâtiment, je parle du concept.

L’ancienne gare. L’emblème de la ville va bien, merci pour lui.

CRDS (Centre de Recherche et de Documentation du


Sénégal), salle sur la préhistoire.
La cathédrale est en rénovation, comme certains bâtiments de l’ile. Les choses avancent. Le CRDS est (enfin)
ré-ouvert. Le bâtiment a été restauré mais pas la présentation des collections qui sont pourtant de grande
qualité de contenu. La salle contemporaine est occupée par un colloque, que deviendra-t-elle ? Il faudra
revenir … A Saint Louis, ce n’est pas une grosse contrainte, en tout cas, il y a pire.
Le 10 Décembre.
Finalement, il n’est pas si tôt que cela. En ville les muezzins sont très matinaux et jamais loin. Les premiers
donnent une petite introduction vers cinq heures. Vers six heures, les trompettes du seigneur donnent à

Page 34
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°2 – Nord Sénégal.
Décembre 2018
plein. A chaque fois, je me rendors rapidement, on s’y fait vite, heureusement. Mais du coup, il est déjà huit
heures. Le garage Bango est juste à côté et le dix-sept places est déjà plein. Il y a beaucoup de femmes qui ont
l’air d’aller au marché avec beaucoup de bagages. Mais on arrive toujours à tasser un peu plus pour que tout
et tout le monde rentre. A Fass, toutes les commerçantes descendent, ce qui libère plus de la moitié du
fourgon. A Mpal, Yatma, comme convenu, est à la station essence. Le collège où il travaille n’est pas loin. On
passe saluer ses collègues à la salle des profs et dans leurs bureaux. Il y a quatre classes par niveau et plus de
soixante à soixante-dix élèves par classe. Les 3èmes sont privilégiées, il y n’y a qu’un peu moins de soixante
élèves par classe. La discipline doit donc être ferme. Les enseignants le disent, surtout les femmes. Il faut, tout
de suite en début d’année, instaurer les règles de vie. Si ce n’est pas fait dans la première quinzaine, l’année
scolaire est fichue. Et la réputation d’un enseignant, chez les élèves, est vite ancrée.

Le collège de Mpal. Yatma dans son bureau, avec son fils.


Entre autre, Yatma s’occupe maintenant de la bibliothèque scolaire. Il n’y a pas un manuel scolaire par élève
et la bibliothèque possède soixante livres pour plus de mille cinq cents élèves. Ensuite, on ne va pas chez lui
car il est en train de faire construire sur la périphérie de la ville et il m’emmène sur le chantier. La famille est
là qui y campe toute la journée et ne rentre dans la concession que le soir. Yatma m’explique qu’il construit
« pour être vraiment chez moi avec ma famille ». Le terre appartenait à son oncle, il se rappel y a voir
travaillé, gamin, dans les champs ici même. Les parcelles sont délimitées et bornées. La maison est bien
avancée. Les maçons sont en train de faire les enduits au plafond, en ciment. Rude travail, sans compter la
chaleur. La maison est haute avec de grandes pièces et elle est entourée de hauts murs d’environ deux mètres
cinquante de haut. Je lui demande ce qu’il faut faire administrativement pour faire construire. Il suffit de faire
une déclaration de chantier et de payer la taxe correspondante. Il ajoute qu’il ne s’est occupé de rien. Le
chantier avance par phases au fur et à mesure des finances. Il espère que la maison finie lui revienne à pas
beaucoup plus que dix millions, carrelée, etc. Douze maximum, au pire treize. Ils vont bientôt faire une pause
en attendant que la trésorerie remonte. L’eau ne passe pas loin, mais Yatma me dit qu’il a des difficultés à
obtenir l’autorisation de branchement. Les deux évènements administratifs sont-ils liés ? La conversation
roule à l’ombre des arbustes. Son fils, qui est en 6ème me presse de question sur la navigation et le rythme de
vie en solitaire. Sa fille ainée, qui est en 3 ème, souhaite devenir architecte. Aby, la dernière, a quatre ans. Je
n’ai plus d’électricité dans l’appareil photo qui est au trois quarts en panne, il n’y a donc aucune photo de
l’après-midi. On discute de l’école de Birane Gaye, où Yatma a longtemps été directeur avant ses ennuis. Ils
aimeraient bien clôturer l’école qui se trouve sur le chemin entre le village et les puits. Les bêtes passent
entre les bâtiments et c’est parfois dangereux. Par curiosité, je lui demande combien cela coute. Le maçon est
là, il égrène les différents postes et on arrive à plus de six millions. Je suis un peu étonné qu’un mur de cent
mètres de long et un mètre vingt de haut coute plus de six millions alors qu’une maison entière dans un mur
de quatre-vingt-quatre mètres et deux fois plus haut coute environ pas plus du double. Sachant qu’il est plus
que deux fois plus couteux de faire un mur de deux mètres cinquante qu’un de un mètre vingt (ceintures
intermédiaire et en haut). Bon. Le soleil baisse vite et il est temps de rentrer. Le petit âne patine dans le sable
mou de la piste. Il avance mieux sur la route lisse mais redevient vite très lent. Les passants, qu’on double tout
de même car ils marchent tranquillement, nous raillent. Finalement on descend de la charrette pour finir à
pied. Le Boucicaut qui ne porte maintenant plus que les bagages et les enfants trottine allègrement devant au
grand bonheur de ses jeunes conducteurs ! C’est visiblement encore un retour de marché et le fourgon est

Page 35
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°2 – Nord Sénégal.
Décembre 2018
déjà plus que plein. Mais à cette heure tardive, ce n’est plus le moment d’avoir des états d’âme. On tasse, on
se tasse, et tout le monde est bien content que le véhicule nous ramène dans la nuit.

Page 36
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°2 – Nord Sénégal.
Décembre 2018
Le 12 décembre
Selon la tradition, je pars tôt de chez « Pierrot ». Au garage Bango, il n’y a pas de service pour le garage pour
Dakar. Mais on me dit que le bus passe au carrefour, juste devant. Le bus est quasiment vide et est d’un
rapport qualité-prix imbattable. Au garage, l’idée me vient de prendre cette fois-ci un autocar, ce que je n’ai
jamais fait. Je crois qu’on les appels « les horaires ». Pour cela, je rentre par la porte de derrière pour éviter la
pression commerciale des sept places. Et là, comment faire une bourde pareil ? Je le savais pourtant. Un
voyage Mpal-Dakar hyper long et fatigant m’avait fait me jurer que je ne recommencerais plus : plus de longs
trajets en fourgon, sauf obligation. C’est à peine moins cher que des sept places pour être largement plus de
deux fois plus lent. Un gars me fait une proposition. Est-ce la propreté exceptionnelle du fourgon qui m’a
décidé ? En tout cas, en plus il est vide ! Il faut être sacrément mal réveillé pour ne pas s’en rendre compte !
Bref, deux heures d’attente qu’il se remplisse et j’arriverais à plus de cinq heures à Dakar- beaux maraichers.
Mon jeune voisin de banquette avant est de Guinée Bissau. Il veut aller en Espagne, encore un. Il vient de se
faire refoulé à la frontière Mauritanienne car il n’a pas de passeport. N’étant pas de l’espace CDAO sa carte
d’identité ne suffit pas. Il va à Thiès, dans de la famille, pour demander le prix du passeport qu’il compte
obtenir à Dakar. Il me dit qu’il ne veut pas entrer en Espagne en fraude. De ses propos, il est clair qu’il ne fait
pas cela pour lui mais pour sa famille. Son objectif est d’envoyer de l’argent pour subvenir aux besoins des
autres. Derrière un immigré, clandestin ou pas, il y a quasiment toujours toute une famille qui attend, qui
espère. Le taxi qui m’emmène au CVD (Club de Voile de Dakar) a pratiqué un surcoût à cause des bouchons.
On m’avait prévenu. Dans notre sens de circulation, on est dans le standard Dakarois classique des mauvais
jours. Mais en face, c’est pire que tout. Les voitures et camions sont complément arrêtés. Même les Jakarta
ont du mal à avancer. De la folie furieuse. Mais j’arrive quand même avant la nuit ! A peine plus de dix heures
pour faire les deux cent cinquante kilomètres. Moyenne à mettre dans les annales ! Au CVD, je ne sais plus qui
me dira par la suite que normalement il met un quart d’heure pour embaucher le matin et qu’en ce moment il
met au minimum deux heures !

Mais ceci sera, encore une fois, une autre histoire !


Il me reste à vous souhaiter un bonheur fluide et paisible … et bien plus que cela si possible !

A Bientôt,
Bernard.

Bonus (il reste de la place !) :

Prise à Dagana, juste comme cela. Peut-être parce Première image à l’arrivée au CVD,
qu’on n’a pas cela tous les jours devant sa porte.
En tout cas, pas pour faire plaisir à Brigitte Bardot !

Page 37
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°3 – Dakar et le Saloum.
Décembre 2018
Dakar.
En Arrivant au CVD, on a un peu l’impression d’arriver dans une grande concession de motos ! Fara s’est
développé d’une façon extraordinaire et occupe bien l’espace. Tant mieux pour lui, il a d’ailleurs l’air très
content de la tournure de son affaire, ce qui n’a pas dû être facile. Mais, passée l’entrée, le CVD est toujours
là, fidèle à lui-même. Une belle tonnelle ombrage maintenant la terrasse. Toute l’équipe est là, toujours en
forme. A part Famara, au bureau, qui a « un peu » mystérieusement « un peu » disparu « un peu » du jour au
lendemain … Je n’en dirais pas plus, c’était un ami (!).

Aruna est content, le chariot de sortie d’eau est réparé, ce qui apporte de l’activité. Une dame qui fait de la
restauration a remplacé les plats proposés par la cuisinière du club par une carte de … pizzas. Cherchez
l’erreur. D’autant plus que les prix ne sont plus du tout les mêmes. On finit par se contacter avec Fred 1 et on
se retrouve donc devant … une pizza sénégalaise, original, non ? Lui, le jeune ingénieur d’une école française,
spécialiste des technologies modernes et rompu aux méthodes modernes de management et de gestion de
projet, trouve donc très originales les méthodes de travail locales. Deux mondes tellement différents !
Dakar évolue. En y arrivant par Thiès, on passe près de l’immense zone industrielle de Diamniadio. Un
chantier gigantesque. Le TER qui doit relier la ville, la zone industrielle et l’aéroport est en chantier. Les
travaux font une immense saignée dans cette partie de la ville et la coupe en deux. En coupant, en même
temps la circulation. Les embouteillages de Dakar étaient réputés, mais là, on ne peut même plus parler
d’embouteillage tellement la circulation est bouchée. Du coup, je circule peu. Ce qui n’est pas gênant car j’ai
aussi envie de me reposer. La fatigue physique du trajet n’est pas encore évacuée. Le vendredi, on finit par se
contacter avec Souleymane - l’agronome - mais vu l’état de la circulation on renonce à se déplacer l’un et
l’autre et on en reste à une conversation téléphonique. Ce sera peut-être pour une prochaine fois. Le samedi,
cela roule mieux, et même bien le matin. Je pars à pied vers la plage du Galon d’Or et fini en taxi pour le
centre-ville.

1
Un de la bande du voilier Karrakela, le proto de huit mètres cinquante rencontré à Santiago, Horta, Groix et Lorient (Cf
saison 2).

Page 38
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°3 – Dakar et le Saloum.
Décembre 2018

Fermée pour travaux, donc sans voitures ! Une rue Mobilier inventif et très beau, à base de futs de
du quartier de Hann plage. récupération. Le low-tech, c’est l’avenir.
J’ai, je ne sais plus où, surpris une conversation entre deux dakarois qui philosophaient sur une nouvelle
classe moyenne qui était en train de se constituer au Sénégal. Les logements sur la photo haut-dessus et les
publicités ci-dessous poussent à y croire. Si j’en crois les publicités, le rêve des coquettes sénégalaises ne
serait que de s’éclaircir la peau. Les publicités de crèmes en ce sens sont nombreuses. Il y en a même à la
bave d’escargot. Il faut vraiment être motivée et y croire ! Avis aux amatrices ?

Serait-ce un début ? La célèbre gare, en réfection totale.

Page 39
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°3 – Dakar et le Saloum.
Décembre 2018

Pour ceux qui ont raté les épisodes précédents : Tout comme les vendeuses de rue.
Dupont et Bamba sont toujours là !

Je ne fais aucun commentaire : le TER est trop au Le fameux Musée des Cultures Noires. Inauguré,
cœur des polémiques électorales dans la campagne mais toujours fermé. Il ouvrira … On ne sait pas
présidentielle qui prend son envol. quand dixit le gardien.

Juste en face : le tout aussi célèbre et tout neuf La mairie, avec le compteur de jours
grand théâtre. d’emprisonnement de son maire et opposant à
Macky Sall.
Même que des partisans de Macky murmureraient parfois en bafouillant un peu que la raison de son emprisonnement serait, disons … ben, en fait,
heu, … il n’a rien détourné, … de la prison pour une vague histoire de détail de procédure administrative … Aurais-je bien
entendu ?
On se retrouve en ville avec Sanoussi. Il me parle du Fonio. Une céréale traditionnelle du sud du pays aux
multiples vertus remarquables. Sans rapport avec le riz, surtout celui de basse qualité qui est parfois (et trop
souvent) importé au Sénégal. Sa récolte étant aux environ de Septembre, elle pousse l’art d’arriver au
moment de la soudure.

Page 40
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°3 – Dakar et le Saloum.
Décembre 2018

Le quartier chinois prend de l’ampleur, comme leur Les mythiques goélettes, même s’il y en a moins,
implantation dans le pays. sont toujours là et toujours aussi splendides.
Entre l’un dont j’ai perdu le numéro de téléphone et l’autre qui est rentré momentanément en France, je n’ai
plus rien à faire dans cette ville insupportable pour l’instant. Hop-la-zou, demain : en route pour le Saloum !

16 Décembre.
Au fait, avant de quitter Dakar, et avant que certains s’en inquiètent. Comment cela se passe-t-il côté lessive ?
Certains espéraient peut-être qu’en quittant le bateau j’oublierais d’en parler, mais la réalité reprends
toujours le dessus ! Donc, avant de partir du CVD et de passer à autre chose :

Lessive : Première.
Ceci est étant fait, l’objectif de ce levé matinal est Beaux-Maraichers, le garage pour le sud, mais …
Puisqu’il est tôt, J’en profite pour vous présenter le lever du jour et du soleil sur le CVD, © 2018.

Page 41
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°3 – Dakar et le Saloum.
Décembre 2018

De bon matin, ainsi donc, en allant prendre les éléments pour mon petit déjeuner (un café – surtout pas
Touba1 – et un pain au Chocopain2) à la boutique du coin, je tombe sur Nango. Il est disponible jusqu’à neuf
heures. Je boucle rapidement mes sacs et la route, à cette heure-ci et dans ce sens, est libre. A l’approche du
garage3, la circulation se bouche au point qu’il vaut mieux pour moi de finir à pied et pour Nango de faire
demi-tour pendant qu’il le peut encore. De bonne heure ainsi, les voitures se remplissent vite et la route est
rapide. On traverse Mbour, la présente d’un quasi hypermarché et d’un autre supermarché y est surprenante.
La proximité de Sally et de la petite côte y est probablement pour quelque chose. A Fatick, il faut changer de
voiture. Sur cette portion courte, la fois précédente, la voiture était pire qu’un clando.

On n’en est encore pas très loin cette fois-ci non plus. A Foundioune, les autres passagers du sept places
n’attendent pas le bac et empruntent une pirogue. Je les suis, cela gagne bien du temps.

Le pont est bien avancé. Il est construit par les coréens et la fin est prévue pour l’été 2021.

1
Café épicé. Certains aiment … Pourtant après plusieurs essais, je boycotte systématiquement, surtout le matin.
2
Pate au chocolat, rien à voir avec l’infâme pâte à tartiner industrielle dont je tairais le nom bien que mondialement
connue hélas. « Chocopain, c’est le copain de ton pain » ! (sic).
3
Puisque que je suis dans les notes : un « Garage », c’est la gare routière.

Page 42
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°3 – Dakar et le Saloum.
Décembre 2018
Je pause rapidement mes affaires au Baobab (de terre pour ceux qui connaissent.). Famara, le gérant, me dit
de ne pas utiliser l’eau du robinet ni de la douche, pour quoi que ce soit. Il ouvre le
robinet pour me montrer. A la couleur, il est presque difficile de dire que c’est de
l’eau tellement elle est marron. Il me dit, désolé, qu’il y a un problème avec le
forage qui alimente de château d’eau de la ville. Je lui demande depuis combien
de temps : « Depuis plusieurs mois ». Il n’y a pas de problème, il y a un seau plein,
un boc et une bouilloire en plastique. Il ne faut pas plus pour prendre une douche,
non ? Il y a un peu de pression aux boutiques de l’embarcadère et les Le logo de La Rochelle, ici !
commerçantes essayent de placer des prix un peu fous. Un jeune me hèle, en fait il est du bureau
d’information touristique que je n’avais pas vu. On parle du pont, il est évident que cela va fluidifier la
circulation mais du coup, tous les commerces liés au bac vont disparaitre, c’est la conséquence du progrès. Je
me mets en mode « Mission » pour VSF et pars pour Mbam en Jakarta. Je sais plus qui, ici même, m’a encore
parlé d’un accident. Je demande au conducteur de bien rouler tout doucement. Il me répond qu’il conduira à
la vitesse que je veux. Et part … tout doucement. Il tient vraiment bien compte des souhaits de son client. A
guère plus de vingt à l’heure, il n’y a pas de doute, j’ai le temps de regarder le paysage ! Au bout d’un
moment, je lui dis qu’il peut rouler un peu plus vite quand même ! A-t-il entendu ou bien tient-il à honorer sa
mission comme il faut jusqu’au bout ? Mais Mbam n’est pas loin. Il se renseigne
ensuite de ma destination et me dépose juste devant la porte du poste de santé.
Mission accomplie. Je suis venu là pour visiter des filtres à eau qu’un voilier à
déposer dans la région. Ces filtres permettent de rendre l’eau potable par simple
filtrage, donc sans aucun additif chimique. Un seau pour mettre l’eau à filtrer, la
gravitation fait le travail et l’eau potable est réceptionnée dans un autre seau. Le
chef de poste s’en sert en permanence et en est très content. Il a eu juste un
problème de joint qu’il a résolu en en trouvant un mieux sur place. On est
dimanche et il est un peu tard. Tous les autres lieux sont fermés et il n’est pas là
demain. Il me confie à une aide-soignante qui me drivera demain sur les autres
sites. Rendez-vous pris, ma « journée de travail » est terminée.

Le monument aux morts et un bel ancien entrepôt. L’étonnant immeuble-bateau près du quai.

Page 43
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°3 – Dakar et le Saloum.
Décembre 2018

Ici les cochons remplacent les chèvres ! Pour le plaisir des yeux.
Au campement, je croise Louis. Il est en mission sur, justement, un projet de réfection du système
d’alimentation de l’eau de la ville. La situation de l’eau, ancienne,
est en ce moment vraiment critique. Les gens de Foundioune
vont chercher l’eau dans les villages environnants, qui n’ont pas
de quoi fournir toute la ville. Les autorités font venir des camions
d’eau potable de la région de Sokone. Les distributions gratuites
sont rapides et ne suffisent pas non plus. Louis a rendez-vous
demain matin en mairie et projette de faire une ballade en
pirogue l’après-midi pour découvrir un peu les environs avant de
rentrer chez lui. Cela le ferait passer devant Rofangué. Comme la
pirogue villageoise (le courrier) hebdomadaire n’est que le
surlendemain, je lui demande s’ils ne pourraient pas m’y déposer
au passage moyennant participation. Cela me ferait gagner un jour, et le lendemain il serait possible
d’attraper le courrier hebdomadaire, qui me refait gagner juste … une semaine ! Le principe est acquis, si
possible car il n’y a pas que des problèmes d’eau ici, il y a aussi un problème de carburant qui a l’air d’être
difficile à trouver en ce moment.

Bateau idéal et superbe pour voyager dans le


Le sangria d’il y a deux ans est toujours là. Saloum, de quoi pour tirer des plans sur la comète !...
Le soir, tous les restaurants près de l’embarcadère sont déjà fermés. Je trouve à manger finalement en ville et
en rentrants des ombres furtives longent les murs et traversent les chemins, toujours ces cochons
omniprésents.
Lundi 17.
Rien ne vaut un trajet en Jakarta à travers la campagne et à la fraiche pour bien commencer cette journée du
dix-sept.

Page 44
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°3 – Dakar et le Saloum.
Décembre 2018

Tronçonnage d’un baobab pourtant encore petit.


La matinée passe vite à visiter les cinq autres points de dépôt des filtres. Les résultats sont divers surtout
parce que certains sont arrivés à destination d’une façon indirecte et l’information sur l’utilisation n’a pas
toujours suivi. Au campement, en début d’après-midi, avec Louis on attend le piroguier qui est en quête
d’essence. A un moment, il arrive, furieux. Tout ce qu’il a trouvé est à dix-huit mille francs le bidon, alors que
le prix normal est dix mille. Il dit qu’il va aller se plaindre au service des Douanes. On n’est pas partis ! Certains
profitent allègrement de la pénurie. Son problème est aussi qu’il a donné le prix pour la balade avant ce
contre temps. On se met d’accord avec Louis pour faire un effort si l’achat d’essence se termine à ce prix et,
comme souvent en Afrique, on attend en n’ayant rien d’autre à faire qu’espérer. Et comme souvent en
Afrique, encore une fois, les choses trouvent une solution. L’embarquement est ensuite immédiat.

Pas un souffle d’air sur le fleuve. Les déconvenues n’ont pas entamé les morals.
Louis, qui travaille sur de gros projet et du coup est toujours dans les villes, est tout content de débarquer et
de nous accompagner jusqu’à l’école qui est de l’autre côté du village. Son cours fini, Mr Mamadou Bayo, le
directeur m’emmène voir Mr Gorgui Ndong surnommé « El Adj » pêcheur de son état et qui, en tant que
responsables des récupérateurs d’eau de pluie (REP), a pris en charge les filtres. La réunion dure un peu, le
temps de réfléchir ensemble à une solution pour sortir du blocage, Mr Bayo fait l’interprète et du coup
participe à la réunion. Ensuite, avec un de ses collègue, il m’accompagne jusqu’à
Baout, un village à une bonne demi-heure de marche. On passe à la maison des
enseignants, ils se connaissent tous très bien. Mr Bayo en profitent pour laisser
son ordinateur en charge car à Baout il y a de l’électricité. Puis on va rencontrer la
présidente du groupement des femmes. Elle propose d’organiser une réunion
demain à neuf heures. On retourne passer quelques instants avec les enseignants
et on est de retour de nuit mais pas vraiment tellement la lune éclaire. Un pêcheur
de crevette rentre avec le fruit de son travail. Ici ils pêchent à deux en tirant un filet d’environ deux mètres de
large. On est en fin de saison, il n’a qu’une douzaine de kilos. La soirée se passe en grande famille à la lueur du
feu de bois parfois secondée par les lampes de téléphones portables.
Le 18.
La petite marche à pied matinale est vraiment fabuleuse et le calme de la brousse est majestueux.

Page 45
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°3 – Dakar et le Saloum.
Décembre 2018

Petit déjeuner dans la chambre, à côté des réserves


d’eau.

Là, VSF m’a demandé de faire un tour du village pour mieux le connaitre. Je commence comme prévu par
l’école puis avance pour être à la réunion avec le groupement des femmes. Beaucoup d’homme sont
pêcheurs, au point que pendant les périodes de pêche, certains villages sont quasiment sans hommes. Les
femmes ont la charge de toutes les autres activités économiques, en plus de leurs charges domestiques. Elles
sont organisées en GIE (Groupement d’Intérêts Economique) au fonctionnement communautaire qui est au
cœur des organisations villageoises. En route, je fais la connaissance du chef du village qui vient également à
la réunion. Les salutations chaleureuses et respectueuses étant faites, il me touche la barbe - qui entre nous a
bien poussée depuis le départ en absence de paire de ciseaux - et il hoche la tête d’un air satisfait. Je suppose
qu’il s’est assuré qu’elle était vraie. Je vous rassure tout de suite, je n’ai surtout pas rendu la pareil à ce
respectable notable ! Un minimum de correction tout de même. La situation était bien cocasse et en fait très
conviviale. Une vingtaines de femmes sont là, quelques hommes aussi. La présidente parle français et traduit.
La réunion commence par la rituelle petite prière commune puis les femmes expliquent ce qu’elles font : la
récolte d’huitres et de coquillages ; la transformation de ces produits par fumage ou séchage ; un peu de
maraîchage sur tables et en pleine terre ; elles parlent aussi d’élevage de poulets. Elles expriment aussi
quelques besoins. Mon voisin de gauche, qui parle très bien français, fini par me dire qu’il a fait sa carrière en
France. Il partage maintenant sa retraite entre le village et Lorient. J’écoute, je note et la réunion est clôturée
par une autre petite prière commune. Ensuite, un petit groupe me fait visiter les installations. Autres
échanges apparemment plus informels mais qui permettent de compléter et de concrétiser ce qui a été dit
pendant la réunion. Quelques digressions permettent également d’en apprendre aussi sur la vie au village et
de faire un peu plus connaissance.

Page 46
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°3 – Dakar et le Saloum.
Décembre 2018

La « salle » de réunion, il y a pire comme lieu de travail.

Madame Salimata Diouf la Présidente et Mr Thior le


chef du village.

La case de santé, avec son récupérateur d’eau de


pluie et le robinet extérieur d’eau d’adduction.
Après une petite pause rapide pour honorer l’invitation chez Mr Sarr, le Lorientais, je retrouve la Matrone à la
case de santé. Le système de santé est hiérarchisé en Cases de santé, Postes de santé et, en haut de la
pyramide, l’hôpital. Dans les villages, le personnel s’occupe principalement des premiers soins, de la
vaccination, de statistiques et aussi beaucoup d’information préventive. En cas d’urgence, l’évacuation se fait
sur le poste de santé sauf cas grave où le malade est directement envoyé à l’hôpital de Foudioune. Pour les
évacuations, il y a ici un moteur de VSF, mais il faut trouver une pirogue et, encore et toujours, l’essence, qui
coute cher - traduisez : L’évacuation se fait vraiment qu’en cas de grande urgence, d’autant plus que le
carburant est à la charge de la famille. Cette visite de Baout est faite sans traîner car le courrier doit passer à
Rofangué vers les quatorze heures. En fait, le courrier convoité ne s’arrête pas à Rofangué, c’est pourquoi,
avec Mamadou Bayo, un piroguier local nous emmène sur le fleuve pour l’intercepter, un peu façon bateau
stop. La bonne pirogue est accostée et le transfert est vite fait. Au revoir Rofangué et Baout. J’ai à peine
débarqué à Diamniadio qu’un jeune m’accoste pour m’emmener à l’école, magie du téléphone. Le directeur
me fait tout de suite la visite car, lui aussi, cela doit être la saison, part demain pour une formation à
Foundioune. Puis il me confie à son adjoint, Cheikh Diakhate, qui contacte sans tarder les groupements de
femmes. Ces différents allers et venues dans le village me font le découvrir. Le centre du village a des ruelles

Page 47
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°3 – Dakar et le Saloum.
Décembre 2018
étonnement très étroites. Alors que sur les extérieurs, les rues sont larges et les concessions très grandes.
Beaucoup de maisons sont en construction, surtout dans le quartier dit « Des émigrés ». Là aussi l’adduction
d’eau potable est arrivée il y a une grosse année, mais le forage est toujours, là aussi, très utilisé. Déjà parce
que l’eau du forage est moins chère, mais aussi parce que les femmes préfèrent cette eau pour la lessive.
Entre spécialistes, sachez que cette eau fait consommer moins de savon et mousse mieux ou pas trop – je ne
sais plus très bien. Là, vraiment, je ne peux que reconnaitre un sacré amateurisme de ma part (ce qui
n’empêche pas la passion !) face à ces réelles spécialistes. Plus sérieusement, il faut les voir faire pour
immédiatement comprendre qu’on ne joue pas du tout dans la même cours. Bref, les rendez-vous sont pris
pour le lendemain. La centrale solaire est, là comme presque partout en panne. Déjà, il est évident que,
depuis le temps, les batteries sont archi mortes. Par ailleurs, des comportements étranges du système
permettent d’avoir quelques doutes sur la qualité des installations faites avec l’appui des Espagnols. Cheikh se
demande aussi pourquoi, lorsque quelqu’un a branché son groupe sur sa maison, il a éclairé tout le village.
Une a fonctionné un an, une autre deux, bref. Ici, ils sont, en plus, dépités car un réparateur est venu, il a fait
un devis de deux millions cinq1, il est venu travaillé deux jours puis est reparti avec deux millions en poche
sans laisser de trace alors que son travail n’a tenu que trois jours. Entre nous, un projet photovoltaïque qui ne
prévoit pas un quelconque système pour remplacer les batteries, qui sont d’un coût énorme dans ce genre
d’installation, est voué à terme à l’impasse évidente. Heureusement, elles sont toutes équipées d’un groupe.
En se cotisant, le village peut se payer le gaz oïl pour, en général et si tout va bien, trois heures d’électricité
par soirée.

Un exemplaire de ces fameuses centrales. Le forage et derrière un des robinets de l’adduction.

Le « Gîte des enseignants » (c’est écrit dessus) que


j’appelais « le château ». Une brodeuse à l’œuvre.
La soirée commence dans la maison des enseignants à discuter avec les uns et les autres et se termine pas loin
du Fleuve, autour du thé aux étoiles du Saloum.
Mercredi 19 décembre.
Sur la route de la réunion, avec Cheikh qui est venu pour m’accompagner et pour servir d’interprète car mon
Sérère ne dépasse toujours pas les « Bonjours, comment allez-vous, cela va bien, merci » archi minimalistes,

1
De francs CFA (Un Euros = 650 F CFA), soit environ 3 800 Euros, une belle fortune.

Page 48
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°3 – Dakar et le Saloum.
Décembre 2018
on passe devant le poulailler communautaire du groupement en question. On est reçu uniquement par la
présidente qui s’excuse en expliquant qu’à cette heure-ci, les mamans sont très occupées et doivent préparer
le repas de onze heures. Elle me dit que si la réunion avait eu lieu l’après-midi, elles auraient pu venir et
comme d’habitude auraient fait un accueil avec des chants. Je l’en remercie donc d’autant plus de prendre de
son temps pour me recevoir. Là aussi elles pratiquent toutes les activités féminines traditionnelles liées à la
mer, mais ces pratiques ne durent pas toute l’année et par ailleurs elles sentent bien elles aussi que la
ressource diminue. Il faut trouver des activités complémentaires. Au cours de la conversation, très
discrètement et progressivement des femmes arrivent, et la réunion se termine avec une vingtaine de
présentes. La présidente m’explique que le GIE a été soutenu par une ONG pour l’installation d’un jardin
potager qui a de gros problèmes. L’espace clos est très grand. Les planches de cultures sont protégées par le
dessous par des bâches en plastique pour contrer les remontées de sel. A côté des problèmes techniques, le
point d’eau le plus proche est très loin et l’arrosage est ainsi un travail éreintant.

Les tables et les planches sur bâches.

L’autre grosse activité est le séchage de poisson, l’installation est conséquente et demande des
aménagements.

Les fumoirs sont inactifs, ce n’est pas la saison. Les tables de séchage, elles aussi attendent, rangées.
La réunion a durée plus que prévu mais radio-village a bien fonctionnée et l’autre groupe de femmes n’est pas
là à poireauter. On va donc dans la salle retenue à l’école et tout le groupe arrive tranquillement. Il y a
beaucoup de monde, entre trente et quarante femmes. Elles font principalement du maraîchage et de
l’élevage de poulets. La voisine de la présidente parle français, ce qui facilite le dialogue. Un petit groupe
s’occupe de ruches.

Page 49
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°3 – Dakar et le Saloum.
Décembre 2018

Seule à peine un quart de l’espace à leur disposition est utilisé, elles ont le projet donc d’agrandir le potager.
Les sacs de coquilles d’arachides qui sont une des bases du substrat des tables et qui sont stockés dans un
coin en témoignent.

Comme déjà remarqué ailleurs, elles ont une grande peur des abeilles au point qu’au début, elles ne
voulaient même pas qu’on aille voir les ruches. Sous la promesse de rester à bonne distance, avec un petit
groupe on va quand même les voir. Je rentre un peu dans la mangrove pour prendre des photos et à la sortie
elles me demandent de les prendre en photos.

La présidente est la troisième à partir de la gauche. Heureusement, la marée était basse.

Page 50
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°3 – Dakar et le Saloum.
Décembre 2018

Puis on visite un poulailler.


Le groupe est très organisé, il y a même un cahier de présence de tenu. Je leur demande quelles relations il y
a entre les deux associations de femmes. En fait, j’aurais dû le remarquer, c’est juste une question de classe
d’âge. Ce deuxième groupe est celui des femmes plus jeunes. Elles me disent qu’il n’y a pas de concurrence
entre les deux groupes qui s’entendent très bien au point que la présidente, avant même le début de la
réunion, a eu un compte rendu de la première réunion de la part de l’autre présidente. Radio-village, encore
elle.
En fin d’après-midi, on va avec la sage-femme au poste de santé. L’infirmier chef de poste (ICP) est à
Foundioune pour une réunion. Elle est arrivée récemment (en terme d’années). On visite le poste qui n’a pas
d’électricité. On se pose dans son bureau et elle me raconte un peu ses conditions de travail. Une grosse
partie du personnel de soin est en grève
nationale depuis sept mois pour des
raisons de salaires mal ou pas payés.
Bien évidemment, ils assurent les
urgences et des accouchements, mais
ils ne s’occupent plus des campagnes de
vaccinations et de sensibilisation et
boycottent toutes les tâches
administratives, de veilles sanitaire et
statistiques. Elle me dit que depuis
qu’elle est là les femmes viennent plus
volontiers au suivi gynécologique qui
avant était avant assurées par l’ICP, un
homme. Beaucoup de maris d’ailleurs
s’y opposaient. Elle raconte l’état de
certaines femmes en accouchement qui arrivent tardivement des villages voisins après un long voyage en
pirogue. Je préfère vous épargner les détails. Les accouchements quasiment toujours de nuit - la nature est
ainsi faite – à la lueur de son téléphone portable et la peur de l’accident. Etant extérieure au village elle en
craint les conséquences relationnelles qui pourraient en résulter. Pour se couvrir au mieux elle en réfère au
maximum à Foundioune. En sortant du poste on passe devant les affiches de propagande en faveur la
déclaration d’état civil des naissances déjà vues partout. Cheikh, en tant qu’enseignant, peste car cela leur
pose beaucoup de soucis lors des inscriptions des élèves. Au moment de la naissance, comme chez nous, tout
est simple, l’attestation de naissance fournie par le poste de santé suffit. Plus tard, il faut faire des recherches
avec des preuves et des témoignages de la part de gens qui font autorité comme les chefs de villages ou
autres référents.

Page 51
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°3 – Dakar et le Saloum.
Décembre 2018

Deux pirogues en construction. Le soir, quand la fraicheur revient.


En soirée, je passe un long moment avec un des enseignants dont j’ai bien sûr déjà et encore oublié le nom. Il
a fait des études de droit mais n’a pas trouvé de travail dans ce secteur. Il avait le projet, avec un ami collègue
de promotion et qui venait de ce secteur, de créer une entreprise agricole. Mais l’ami en question est parti sur
une autre voie et lui est entré dans l’éducation nationale parce qu’il faut bien vivre. Une jeune femme passe,
entre nous elle a l’air très coutumière du fait et je soupçonnerais bien quelques idées galantes mais … que
ceci reste entre nous ! Il me dit : « tu vois, elle a fait une formation à Dakar en commerce international. Que
veux-tu qu’elle trouve comme travail dans ce secteur au village ? Il y a pourtant tant à faire dans le secteur
primaire. ». En fin de soirée, Cheick vaque à ses occupations et je sors l’accordéon devant la maison où je
loge, des voisins viennent écouter cet instrument nouveau pour eux. La nuit y apporte sa touche de proximité
magique. La pirogue est prévue pour huit heures, il faut faire sonner le réveil.
20 décembre.
Le réveil sonne à sept heures et je commence à me préparer. On tape à la porte, c’est pour me prévenir que la
pirogue est prête à partir ! Je boucle « taf taf » mes bagages, comme on dit ici et file à l’embarcadère en
disant plus que rapidement au revoir et mille mercis à Cheick qui est en train de se laver à côté de l’autre côté
du mur. Il y a du monde à bord, on embarque mes bagages, le chargement se termine et la pirogue démarre
sous le ciel qui s’éclairci. Une voisine me tape à l’épaule pour me faire signe : Cheikh est en train d’approcher
de la rive, les bras s’agitent, encore un départ prématuré. La pirogue remonte à Foundioune d’où doit partir,
en début d’après-midi, le courrier pour Moundé qui fera une halte à Djirnda. A Fioundioune, je me renseigne
sur le quai : il faut attendre. Des pêcheurs pèsent leurs bassines de crevettes : Quarante-cinq kilos ! Une
pirogue me dit qu’elle va aller à Djirnda, mais avant elle doit monter je ne sais plus où pour charger du gaz oïl
et qu’elle n’est pas sure d’en trouver aujourd’hui. A suivre donc. Un camion bien chargé est dans la file
d’attente pour le bac, la boite de vitesse posé sur le bitume. On me dit que ce n’est pas un problème, qu’ils
ont l’habitude. Tout en attendant, curieux, je garde un œil sur les travaux. Le temps d’aller rapidement en ville
pour manger, au retour la boite est remontée et le camion sera parti depuis longtemps quand la pirogue
démarrera !

Page 52
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°3 – Dakar et le Saloum.
Décembre 2018

Je profite de la place libre pour vous présenter une Jakarta. Cent centimètres cube, quatre vitesses à
embrayage automatique. Vitesse de pointe peut être un peu supérieure à soixante-dix - mais vitesse réelle de
croisière entre cinquante et soixante à l’heure – et un appétit d’oiseau. Sur le quai, elles font des va et vient
pour amener ou emmener les passagers des pirogues et du bac. Pour le fret, ce sont des charrettes à cheval
qui assurent la liaison. Finalement, la bonne pirogue arrive comme de bien entendu. L’embarquement dure
mais, comme de bien entendu, on finit par partir. Bonne nouvelle car le long de la paroi du bac qui réverbère
et à l’abri du vent la chaleur est intense. Le bon air du fleuve est le bienvenu. On s’arrête deux fois. Devant
Fambine les bouées de navigation vue il y a quatre ans ont disparues. Puis Djirnda et son quai apparaissent. Je
demande s’il est possible de prendre une charrette pour Dghadior, on me dit que non. Une voisine de pirogue
m’indique le chemin en me disant de bien redemander à la sortie. A la sortie, là où une belle centrale solaire
est en construction. Apparemment toujours du même modèle, sachant qu’elle est construite cette fois-ci par
les Allemands, peut-on espérer qu’elle fonctionnera moins mal que les autres? Des jeunes m’indiquent le
chemin, il y en a pour une bonne heure dans la brousse. Au début, le chemin est dans une grande zone lisse,
nue, de sable dur et très salé. Et j’arrive au fameux pont qui est un des projets VSF et comprends vite
pourquoi les charrettes ne passent pas. De l’autre côté il y a un beau pont au-dessus d’un petit bolon mais de
ce côté, ce n’est, pour l’instant, qu’une planche au-dessus d’une rigole de boue (c’est marée basse). Deux
jeunes arrivent sur ces entrefaites d’en face et me proposent de m’aider à traverser. Je comprends là aussi
ensuite pourquoi : la planche d’à peine plus de vingt centimètres de large est largement branlante. Tout seul
et chargé comme je suis-je ne serais jamais passé sur la poutre. J’aurais misérablement pataugé dans la boue
plusieurs fois pour faire passer mes bagages ! Le pied sur la planche pour la caller le temps que je passe a été
bien secourable. Je remercie bien les deux lycéens qui sinon, il me semble bien, m’auraient accompagnés
jusqu’au bout, c’est-à-dire leur point de départ ! Presque la moitié de fait, il fait encore bien chaud au point
que je ne prends pas de photos pensant aussi que je pourrais bien le faire au retour. Dommage pour vous car
le chemin se met à serpenter dans une savane de toute beauté. Le minaret grossi progressivement puis les
abords du village apparaissent. A la première maison, je demande où habite Seydou. La dame le connait très
bien, et tout naturellement me guide à travers le village jusqu’à chez lui en me disant qu’elle s’occupe de la
coopérative scolaire. La Teranga, c’est cela aussi. Seydou est le correspondant VSF pour la région. Je lui
expose mon projet. Et là, le petit détail qui tue tombe comme un couperet : « Bernard, cela va être difficile,
après demain commence les vacances scolaire. Jusqu’au trois janvier ». Oups. Malaise de se sentir quelque
peu en décalage avec certaines réalités pourtant évidentes. Finalement, il ajoute qu’on peut quand même
tenter demain de visiter quelques REP même si, avec les contraintes des pirogues, certains peuvent être
même déjà partis. Ok, ce qui ne dispense pas d’échafauder un plan B pour rattraper la bourde, ni de passer
une paisible soirée en petite famille.
Vendredi 21.
Rassurez-vous, je ne vais pas vous faire un reportage technique et détaillé de la visite des REP, ce serait long
et sans intérêts pour vous. En échange, quelques photos :

Page 53
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°3 – Dakar et le Saloum.
Décembre 2018

Nghadior, côté bolon. Et côté forêt.

A l’entrée de Tialane.
A l’école c’est le grand nettoyage général de la cour pour retrouver une école toute propre à la rentrée. Cette
participation collective des enfants, qui au Sénégal est tout à fait courante et banale, me fait toujours sourire
en pensant au scandale que font certains parents d’élèves pour bien moins que cela chez nous !
A Bassar, les enseignants - ils sont douze - évoquent leur problème de Logement. Trois sont logés sur place
dans des conditions vraiment rustiques. Les autres sont chez l’habitant. Ils rêvent, eux aussi d’avoir une
maison commune. Seydou précise qu’ici c’est très particulier car, contrairement à partout, ils sont très mal
accueillis par la population au point, par exemple, que même les jeunes ne jouent pas au football avec eux, ce
qui est pourtant une institution. Max de VSF me confirmera ensuite qu’il y a effectivement une ambiance
spéciale dans ce village. Avec Seydou, on fait donc la tournée prévue et on fait ce qu’on peut quand les gens
sont présents. Peu après notre retour, arrivent comme prévu Denis, un agriculteur à la retraite qui intervient
depuis longtemps au Burquina Fasso, accompagné de Badoun, un collègue Burquinabé. Bien sûr la
conversation roule sur les projets de maraîchage dans le Saloum, c’était le but. Encore de bons moments
d’échange bien sympas avec ces hommes d’expérience et de terrain. Bloqué dans mon élan par cette histoire
de vacances scolaire je ne peux que me résoudre à abréger ce passage dans la région. Je vais donc raccourcir
ce temps pour revenir plus tôt. Un simple décalage de timing. Je vais donc juste aller à Diogane, où il a un
courrier le lendemain pour Niodior, et de là le courrier hebdomadaire va, le jour suivant, à Sokone, porte de
sortie sud des îles et où le goudron reprend ses droits. Dans la région, il faut vraiment jongler avec les
occasions de transports.
Samedi 22 (premier jour des vacances scolaire donc !)
Pour partir à Diogane avec Seydou, il doit attendre le retour de son fils parti déposer une roue de la charrette
crevée. L’attente dure et une légère inquiétude finie par planer. Enfin il arrive, soulagement, et on file. De loin
on voit le bâtiment du nouveau poste de santé en construction, un gros projet VSF. Les incontournables Salif
et Ibé sont là. Il y a beaucoup plus de pirogues que d’habitude, avec de grands filets. Salif m’explique que c’est
la période pendant laquelle les pêcheurs rentrent faire une pause. Les poteaux des jouets extérieurs de la
Case Des Tous Petits (CDTP, une crèche), œuvre des Apprentis Nomades de La Juliane d’il y a deux ans, n’ont
pas résisté aux termites. Au moment de repartir chez lui, Seydou apprends qu’un pêcheur qui est de son

Page 54
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°3 – Dakar et le Saloum.
Décembre 2018
village s’est fait piqué par une raie. Il est au poste de santé pour les soins, dont une piqure anti tétanique. Il
l’attend et partent sans trainer ensemble à la nuit tombante. La pleine lune éclairera leur route. La soirée se
passe comme toujours à Diogane en petit comité autour du feu de bois où la conversation suit le rythme des
thés.
Le lendemain matin, presque d’évidence, Ibe me fait visiter le chantier où les maçon sont à l’œuvre.

Tous les matins du Monde…

Le poste de santé en construction.


Sur le chemin du retour, on croise trois hommes dont un, plus jeune, est un « Navigateur ». C’est-à-dire qu’il
travaille sur un de ces gros chalutiers senneurs, souvent espagnols, qui traquent le poisson, souvent des
thons, sur tous les océans et en particulier dans l’Indien. En fait lorsqu’on dit que untel « est en Espagne »,
c’est comme quand « il est en Lybie », cela veut dire qu’on ne sait pas où il en est. Sinon, on dit ce qu’il fait. Le
jeune a une grosse sacoche en bandoulière à laquelle il donne l’air de faire attention, il a également l’air
d’être légèrement « taquiné » par les deux autres. Plus tard, Salif me reparle de son idée d’unité de
transformation des produits forestiers et on en arrive au fonctionnement actuel que je ne comprends
toujours pas. Il finit par me dire : « Mais, tu es train de faire l’inventaire d’une société ! » (sic) et part chercher
tous les cahiers de compte, les recettes et les dépenses qu’il me décortique. Je comprends enfin qu’un GIE
n’est pas seulement une organisation communautaire du travail avec un souci d’entraide et d’amélioration
des pratiques, mais est aussi une fondamentale organisation de perception pour collecter de quoi financer les
projets du village. Avec comité de gestion spécifique et même un comité de vigilance pour que les règles de
cueillette soit respecté par tous. Plus tard Ibé revient. Il a un gros carnet à souche et n’a pas l’air de s’amuser.
Il est en train de collecter les impôts locaux, une somme fixe par famille. Il fait cela pour son père, le chef du
village, qui en tant que tel, en est chargé par l’administration. Il y a une indemnité pour cette tâche, mais qui
n’est versée que si les impayés ne dépassent pas les vingt foyers, si je me souviens plus bien. Pour certains il
faut un peu insister. Quand il faut insister plus, c’est son chef de père qui va « taquiner » (sic) les récalcitrants.
Le soir, un groupe important se masse autour du feu. Le sujet est l’organisation du tournoi de foot inter-
villages. L’affaire est très sérieuse et le débat intense. Il en ressort une feuille de matchs. Les débats
continuent calme, respectueux, mais toujours aussi passionnés. Au bout d’un moment Ibé intervient puis
m’explique – tout se passe en Sérère -.que le problème est qu’une équipe n’a pas assez de joueurs et qu’il

Page 55
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°3 – Dakar et le Saloum.
Décembre 2018
vient de proposer que les joueurs de cette équipe soit répartis dans les autres pour qu’ils aient aussi leurs
chance d’être sélectionner pour le championnat de niveau supérieur. Le débat continuant, je vais me coucher.
Lundi.
La pirogue est de bonne heure. Je vais donc l’attendre au quai avec mes bagages.

Pleine lune sur Diogane.

Un de plus ! Taille idéale, bien construite : le coup de cœur ?


Au bout d’un moment Ibé arrive et me dit que le mieux est d’aller prendre le petit déjeuner. Des jeunes du
village sont partis à la sous-préfecture, dans l’autre direction donc, pour aller faire valider la manifestation
sportive et doivent ensuite aller à Niodior pour une autre autorisation. Il sera plus confortable pour moi
d’aller avec eux directement à Niodior même, alors que le courrier ne me laisserait que de l’autre côté de l’île,
où il faudrait ensuite trouver une charrette, etc. Cap sur le petit déjeuner donc ! On y retrouve Salif et Ibe
disparait aussi discrètement qu’il était arrivé. L’eau chauffe, Nescafé, sucre, un peu de lait, du pain cuit au feu
de bois, tout frais et encore chaud, Chocopain et même de la margarine, plus qu’il en faut pour un petit
déjeuner trois étoiles. On discute musique et il me passe des MP3 en Bluetooth. Tout est calme et Salif part
dans une longue confidence à propos de problème qu’il a pour faire avancer certains projets qu’il a à cœur. Le
temps passe doucement et tranquillement, c’est-à-dire un peu comme souvent par ici.

Page 56
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°3 – Dakar et le Saloum.
Décembre 2018
Ibé vient annoncer l’arrivée des jeunes, retour donc à
l’embarcadère et sans transition mais non sans au
revoir, en route pour Niodior. La pirogue est toute
petite donc très instable. Il ne faut pas trop bouger,
sauf pour équilibrer lorsque celui qui ne conduit pas
écope. Ce qui est fréquent. L’eau suinte à plusieurs
endroits et je comprends pourquoi Salif a
soigneusement mis mes bagages tout à l’avant, c’est-
à-dire un peu en hauteur, le seul endroit au sec. On
prend de jolis raccourcis en empruntant des chenaux
étroits dans la mangrove et on accoste sur une petite
plage isolée qui est juste derrière les premières
maisons

On va dans une concession toute proche. Dans cour, il y a un petit groupe qui prend le thé. « Bonjour » etc,
une chaise est approchée, « Installez-vous », toujours ce même accueil. Les deux jeunes me disent qu’ils vont
tout de suite s’occuper des papiers, qu’ils reviendront ensuite ici et filent. Je me retrouve donc avec de
nouveaux inconnus, autour du thé, sans projet particulier car toutes les personnes que je devais voir sont
absentes actuellement. La conversation démarre timidement. Pour lancer une perche, je demande à mon
voisin de gauche ce qu’il fait. Il me répond qu’il est en train de démarrer, avec deux associés, une activité de
miel. Ils ont l’air très organisés. Puis de fil en aiguille, Boubacar en arrive à me dire qu’il est le neveu de
l’agronome Souleymane , après des études supérieures qui l’on mené à rien (encore un), il sort récemment
d’un BTS en Conduite et gestion d’exploitation agricole (recrutement national par concourt pour seize places)
et qu’il fait des pépinières et du maraichage. Rien que cela ! Mon jeune voisin de droite fait de la musique, il
est le fils de Niominka Bi que les amateurs doivent fatalement connaitre 1 et qui est décédé tout récemment.
Je suis donc entre deux « Fils de » qui marchent sur les traces de leurs ainés. Puis Boubacar me propose de
visiter ses pépinières.

1
Pour les autres, une simple recherche sur Google vous fera le découvrir.

Page 57
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°3 – Dakar et le Saloum.
Décembre 2018
La pépinière est splendide et conséquente. Dans un ancien enclos à mouton, donc de terre très bien
amandée, il y a un petit potager pour la consommation familiale. Toujours dans la concession, sur le côté, il y
a son potager personnel pour la vente. Dehors il me montre une ruche dans un arbre, il y a un naissain juste à
côté et il fait tout son possible pour que les abeilles adoptent la ruche. Il m’explique qu’il a beaucoup à faire
ici, qu’il y a des opportunités ici pour ces jeunes qui prennent tant de risque à tenter l’aventure hasardeuse
de l’Espagne. Avec ses connaissances techniques, il est prêt à soutenir tous ceux qui veulent. Puis il me
propose d’aller visiter le jardin communautaire des femmes si cela ne m’embête pas de marcher un peu.
Chemin faisant, il m’explique qu’il aide par ses conseils techniques un certain Omar Kadafi (Le hasard des
noms est ainsi !) qui est en train de démarrer un très gros projet de jardin. Ce sera un peu plus loin. Et
ensuite on ira visiter une ruche dans la mangrove dans laquelle, il n’a pas plus tard qu’hier, il a installé un
Naissain. Le matériel est dans le sac que porte le gamin qui nous accompagne.

Sur la route des jardins. Le jardin communautaire.

Rangées de Nébédays (dit aussi Morenga). Voisinage.


Le jardin est à bien trois quart d’heure de marche. Il est immense, vous ne voyez là qu’une infime partie. Il
fait au moins un hectare, au-delà, je suis incapable d’évaluer, c’est trop grand pour moi ! Il a un puits équipé
d’une pompe solaire sans batterie, donc sans soucis. Le groupement est en train de démarrer un projet de
Nébédays, les feuilles sont connues pour leurs bienfaits. A côte, il y a encore d’autres jardins, très grands
également. Ensuite, on marche jusqu’au jardin de Kadhafi (le bon, pas l’autre). C’est totalement saisissant. Il
vient juste de tout clôturer, tout seul. Là aussi, la taille est non évaluable pour moi.

Page 58
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°3 – Dakar et le Saloum.
Décembre 2018

Pour vous donner une idée, l’autre côté est au fond.

L’homme, un ancien lutteur à la carrure plus qu’athlétique, est une force de la nature et de caractère
colossale ainsi que d’une volonté d’entreprendre hors du commun. Il faut le voir biner un carré en un clin
d’œil pour en être convaincu. Les plans de salade plantés hier souffrent sous la pleine chaleur de l’après-midi.
Boubacar est confiant, ils replaceront les plans qui n’ont pas repris. Que la Providence accompagne ce projet
qui le mérite.
Puis nous allons visiter la ruche. Boubacar s’équipe mais rajoute par-dessus une combinaison pour épaissir la
protection car hier il s’est fait piqué au bras à travers l’épais tissu. Il nous interdit de nous approcher d’une
certaine limite qui est très loin en disant que les abeilles sauvages sont bien plus virulentes que les abeilles
domestique. Et il s’enfonce dans la mangrove est suivant le ruisseau.

D’un seul coup, Boubacar sort en courant et nous criant de partir vite, en courant. Lui va à l’opposé. Au bout
d’un moment on finit par se retrouver plus loin. Il nous demande si on a vu le nuage d’abeilles qui le suivant.
On était très loin, mais l’alerte à l’air d’avoir été chaude. Il enlève son équipement qui doit être un vrai sauna.
La vie d’apiculteur n’est pas un long fleuve tranquille !
On rentrant, on porte mes affaires dans un magnifique logement dans une grande et luxueuse concession.
J’apprends que je suis dans la maison de Niominka Bi, une de ses affiches est sur un mur. Une fois installé,

Page 59
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°3 – Dakar et le Saloum.
Décembre 2018
Boubacar m’emmène me présenter à la maitresse de maison et s’éclipse rapidement. Elle m’a été présentée
uniquement en tant que présidente du GIE. Pendant les politesses d’usages je prends quand même le risque
de demander des nouvelles de ses enfants, demande à laquelle elle répond très gentiment. Devant cette
jeune veuve, je quitte rapidement le sujet familial. Elle me parle des activités du GIE, principalement du jardin
(ce sous-groupe à lui seul fédère sept cent cinquante membres) et de l’unité de transformation des produits
forestiers. Le GIE a été primé lors d’un concours international. Elle est allé chercher le prix, avec l’ancienne
présidente, à New York. Elle a participé également à la COP 2x (je m’y perds dans toutes ces COP), celle qui
s’est déroulée au Maroc. Elle travaille à une synergie entre le GIE et les jeunes qui, en apportant leur soutien
aux femmes, peuvent y trouver une activité. En arrière-plan, plane toujours ce chômage des jeunes et cette
émigration. Elle me dit grand bien de Boubacar, là elle prêche un convaincu. Et cherche, elle aussi, des
activités alternatives aux traditionnels travaux liés à la mer. Car, en plus de la raréfaction des ressources, elle
s’inquiète des risques de pollution liés au projet d’exploitation pétrolière qui est en train de se mettre en
place pas loin, juste devant le Saloum. Il émane de cette jeune femme une volonté communautaire, une
lucidité sereine et une énergie peu commune. Ayant pris congé et comme elle me l’avait dit, les jeunes
revienne peu de temps après pour aller manger dans la concession d’arrivée. Il fait déjà nuit. C’est
l’anniversaire de la petite dernière de la famille, son premier. En fin de repas, un soda pétillant est servi dans
des flutes de verre : bon anniversaire !
On ne veille pas trop, le piroguier a dit qu’il fallait être à cinq heures au quai ! Je dis aux jeunes que je vais y
aller tout seul. Mais non, ils disent qu’ils viendront. Cela ne sert à rien d’insister.
Mardi 25.
Le réveil a sonné, les affaires étaient prêtes d’hier. Toc toc toc, et on est parti dans la nuit à travers le village
endormi. Je suis désolé de les faire lever si tôt, ce n’est pas un horaire de « d’jeuns ». Au quai, je les remercie
encore et leurs dis qu’à cette heure-là, il est encore temps pour eux de se recoucher. Ils ne disent pas non et
s’en retourne. L’attente est longue car il y a trois pirogues en partance. On est à couple, à un moment les
passagers doivent débarquer, puis on réembarque tous. Puis la pirogue manœuvre pour venir contre la grève
et charger une charrette et son âne. Il vient tenir compagnie à deux chèvres et un gros mouton. On part et le
jour se lève :

Si vous le voulez bien, ce sera mon cadeau de Noël !


L’arrivée à Sokone et le retour sur le continent étant pour une autre histoire :
A Bientôt !
Bernard.

Page 60
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°4 - Sud Sénégal.
Décembre 2018- Janvier 2019
Mardi 25.
Cette lettre commence sur l’eau. Ce qui devrait être normal et j’espère venger un peu ce pauvre Kanaouenn
qui doit se morfondre sur son ber, dans le froid, et les fesses en plein vent. Le courrier hebdomadaire fait la
liaison entre Niodior et le marché du Mercredi à Sokone. On descend le long de la pointe de Sangomar et au
loin, on voit très bien les brisants du côté de l’ancienne passe par où était passé Chouchen, un des valeureux
prédécesseurs de Kanaouenn, en 1984, avant que la mer ouvre la nouvelle passe près de Djifère. En se
rapprochant de Sokone, les rives se resserrent et on retrouve la mangrove.

A Sokone, mes sacs étant au fond, j’attends le déchargement complet de la pirogue, même celui de l’âne.
Désolé, la photo est prise un peu tard car cela a été un peu sportif et ils n’étaient pas trop de quatre pour
assister maître Bourricot. Sur le quai, les occasions sont rares et il est plus rapide de prendre une Jakarta pour
aller au garage d’où les départs sont plus fréquents. Grande première pour l’accordéon. Le pied de cocotier ne
voyagera pas sous le nez du conducteur, il finira entre lui et moi. Le sept place en partance pour Kaolack n’est
pas plein, j’en profite pour aller manger au resto d’à côté.

Au menu : fricassé de viande, pomme de terre et oignon, puis café au lait.

Page 61
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°4 - Sud Sénégal.
Décembre 2018- Janvier 2019
J’ai tout juste terminé que quelqu’un vient me dire que le taxi est prêt à partir. Belle organisation. La route est
bonne et la voiture confortable. Pourtant le jeune garçon qui est sur les genoux de son père vomi à qui mieux
mieux dans un sac plastique. Papa n’a pas l’air d’apprécier et jette quelques regards excédés vers Maman qui
pourtant subit déjà l’inconfort de la troisième banquette. Bon, un sept places ne s’arrêtant quasiment jamais,
on arrive quand même à Kaolack. Là, le garage est incroyablement immense. Je demande mon chemin :
« c’est loin, prends un taxi, c’est huit cent-huit cent, grand maximum ». Le taximan, en fait, ne connaissait pas
la Maison des Œuvres car il me dépose au diocèse. Le prêtre en soutane m’explique le chemin en me disant
que si je me perds, c’est juste à côté de la RTS (RadioTélévision Sénégalaise) que tout le monde connait.
Précision finalement inutile car ses explications ont suffies.

Le lieu est d’un calme de chapelle, cela tombe parfaitement bien car j’ai l’intention d’y rester deux jours pour
faire une halte écriture (Lettre et début du compte rendu). Ce qui n’empêche pas les pauses pour au moins
manger et aussi visiter la ville.

En lisant les journaux, il y a un article éloquent à propos de dégradation des grillages qui protègent la
nouvelle autoroute par des villageois. L’autoroute coupant leurs chemins habituels, ils ont ré ouvert le
passage pour s’économiser du chemin. L’article cite un responsable de l’autoroute qui dit que c’est du
vandalisme inadmissible et dit qu’ils ont prévu des tunnels de passage tous les dix kilomètres environ. Mais
un détour de dix kilomètres fois deux pour des enfants qui vont à l’école à pied, c’est infaisable. Emergence
et ruralité : deux mondes si différents. Kaolack et la capitale de l’arachide. Ces camions en sont les témoins.
Celui de droite a-t-il trop braqué où est-il tombé dans un trou en plein virage ? Toujours est-il que la
remorque est soutenue par des vérins et qu’elle sera entièrement déchargée pour terminer le virage.
L’Alliance Française est fermée, je ne vous dit pas pourquoi … Kaolack est toujours présentée comme une
ville sans intérêt et personne ne s’y arrête. C’est juste un carrefour bien que ce soit une ville très importante.
Au marché artisanal, qui est du coup tout petit et où on y trouve les mêmes choses qu’ailleurs, les vendeurs
sont de fait assez désabusés. Le centre-ville n’est pas très grand et parfaitement gérable à pied. J’y ai trouvé
une ville particulièrement agréable car les relations y sont simples, fluides et naturelles, ceci dans une ville
très animée. On me dira ensuite que le marché serait l’un des plus importants de toute l’Afrique de l’Ouest.
Effectivement, le matin et le soir, l’ambiance autour du marché est magistrale, il faut se faufiler entre les

Page 62
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°4 - Sud Sénégal.
Décembre 2018- Janvier 2019
gens, les deux roues klaxonnant, les voitures quasiment à l’arrêt sans parler des camions ni des bus. Les rues
regorgent d’étals en tous genres. Les hauts parleurs publicitaires se faisant concurrence. Ambiance garantie !
Et les oreilles quand même parfois un peu saturées.

L’Alliance Française. Le marché, côté tissus.

Côté viande-poisson. Côté Fringues. La couleur bleue c’est l’éclairage.

Etals de rue qui occupent la moitié de la chaussée. Des légumes à gogo.

Page 63
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°4 - Sud Sénégal.
Décembre 2018- Janvier 2019

Et les omniprésents sacs d’arachides. Vieux clocher ou beffroi.


Il faut un peu connaître pour manger. Certains lieux sont ouvert le midi et pas le soir, d’autre que le matin,
etc. Je me suis mis au petit déjeuner Pain Mayonnaise-Oignon. La première fois, nous qui avons l’habitude de
petits déjeuners sucrés, cela surprend, mais on s’y fait très vite. Le mieux c’est mayo-oignons-sauce poisson,
mais cela ne se trouve pas tous les jours ! Mais le jour où il n’y aura que de la confiture, cela ira aussi très
bien. Et quand il n’y a « que » du Chocopain, je ne me plains pas.
Pendant que je suis dans les détails de la vie courante, sachez que
vous avez raté une très belle lessive : même pas eu le temps de la
photographier qu’elle était déjà sèche. Entre l’air très sec et le
petit vent, en moins de trois heures tout est archi sec comme du
parchemin. L’autre détail d’intendance est l’accordéon qui n’a pas
dû apprécier le dernier transport. Côté main gauche, c’est plutôt
délicat car l’organisation et la mécanique est de type « Usine à
gaz » mais en cherchant et un ajoutant un bout de fil à surlier, le
rafistolage tiendra peut-être jusqu’à une réparation plus
sérieuse ?
Le 29 Décembre.
Journée de transition. L’objectif est juste d’aller à Tambacounda, histoire de couper la route en deux étapes.

En montant dans la voiture - à Loto-garage, j’ai gagné la place tout à droite sur la troisième rangée – c’est
étrange, il n’y a pas la hauteur sous barreaux habituelle. Pourtant le coussin n’est pas plus épais que
d’habitude, et même plutôt moins. Impossible de s’assoir correctement, il faut rester plié en deux. De plus il y
a un gros jour entre la vitre et le montant de la vitre. Il y a manifestement eu un « reshappage » des lignes
arrière du bolide. Les Cinq cent cinq vieillissent et aucun autre modèle n’a l’air de pointer son nez pour les
remplacer. Même les Logan restent en ville. Pourtant ces vénérables Peugeot ne sont pas éternelles. Que va-
t-il se passer ? Heureusement, mon voisin de devant est, lui aussi, penché en avant … peut-être pour les
mêmes raisons ? La boite de vitesse craque à chaque changement de vitesse et pas qu’au rétrograde. Il ne
doit plus y avoir de synchro du tout. Les trous à la jonction de la fenêtre apportent de l’air plus qu’il n’en faut

Page 64
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°4 - Sud Sénégal.
Décembre 2018- Janvier 2019
et ceux dans la joue de roue déclenchent des geysers de poussière quand la voiture roule sur la terre. Dans la
vie, il est très important de toujours bien rester en contact avec son environnement. Il y a énormément de
camions sur la route. Des Sénégalais en majorité mais aussi beaucoup de Maliens. C’est l’axe, pour ne pas dire
le cordon ombilical du Mali. Il y a aussi beaucoup de camions sur le côté de la route, en panne, ou plutôt en
réparation, et certains aussi sur le côté d’eux même … Certains manifestement roulent en convois,
probablement pour s’entraider en cas de pépin.
« Tamba » comme il se dit parfois dans les conversations, est une ville très étalée qui n’a pas de centre
d’intérêt particulier. Le logement est très bien et le restaurant d’à côté est d’un rapport qualité-prix tout à fait
exceptionnel.

Ici, il y a encore des quatre cent quatre et des Berliet, et en bon état. J’ai vu aussi deux Renault douze en
superbe état. Je les photographie, est-ce par hasard, la photo est ratée. Un Monsieur sur l’autre côté de la rue
couine : « Non, pas de photo ! ». « Vous allez la mettre sur Facebook et on ne veut pas de cela ».Je
m’approche et lui dit que je n’ai pris que les voitures, qu’il n’y a personne sur la photo et que de toute façon je
ne mets pas les gens sur Facebook, que des paysages et des lieux. Ceux qui me suivent (comme on dit) sur
Facebook ont dû le remarquer (sauf une ou deux exceptions qui confirment la règle. Cuba-Si !). Il a l’air
convaincu, la conversation roule sur la gamme de Renault et nous nous quittons bons amis. Il faut reconnaitre
que s’il y a va peut-être un peu fort il n’a pas tort sur le fond. Certains de se gênent pas pour braquer leur
appareil sans aucun respect.
30 Décembre.

Tamba : Voie de l’ancien chemin de fer Dakar-Kayes. Déco-déco.


La route Tambacounda-Kedougou est, au début, excellente, lisse, neuve et vraiment parfaite. Le sept places
est en état nettement meilleur qu’hier quoique, étant encore à l’arrière, la joue de roue
soit autan ajourée. Ce qui, au début n’a aucune importance. Très vite le paysage
change, il y a plus d’arbres et le sol est légèrement ondulé, ce qui est totalement
inhabituel dans un pays d’un naturel si plat. Les concessions sont des groupements de
cases rondes en terre aux toits en végétal closes de palissades faites le plus souvent en
gros pieux de bois. On traverse le côté du parc du Niokolo-Koba. A l’approche d’un

Page 65
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°4 - Sud Sénégal.
Décembre 2018- Janvier 2019
village, il y a des singes en bord de foret, et un peu plus loin, un très gros phacochère avec d’énormes bajoues
gris claires. La route devient vraiment très neuve, et même de plus en plus neuve au point qu’il n’y a plus de
marquage au sol. Et ce qui devait arriver … arriva. Route coupée, panneaux de travaux, la route sera neuve …
pour bientôt ! La piste est en latérite ultra poussiéreuse. Ce qui était des geysers de poussière dans la figure
hier est devenu totalement indescriptible. Peut-être une lance à incendie de poussière ? En tout cas c’est
quelque chose comme cela. On a tous quelque chose devant la bouche et le nez, qui un tissu ou autre chose
du type ou sinon le t-shirt est déjà mille fois mieux que rien. Quand on croise un camion, ce n’est pas encore
le pire.

Autocar dit « Horaire ».


C’est quand il faut doubler un camion que le sport et l’ambiance est à son
maximum. La visibilité devient nulle par le nuage soulevé par le véhicule qui
recouvre tout. Les passages de tôle ondulée sont fréquents. Le conducteur
adopte la méthode « rapide ». La période d’accélération est parfaite pour
vérifier la qualité de vos plombages si vous en avez. Mes deux voisins sont
Polonais. Ils veulent aller ensuite aux mêmes endroits que moi, on décide
donc tout naturellement de faire route ensemble. Au garage on trouve un
taxi qui ne nous emmène pas au logement convenu mais ailleurs en nous
disant que c’est moins cher. Le grand bâtiment est en mauvais état mais cela n’empêche pas que la cour en
travaux ne soit qu’un grand trou pour … construire une piscine. Totalement incongrue dans cet hôtel où il n’y
a pas de clientèle touristique dans un lieu où l’eau n’abonde pas.

Page 66
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°4 - Sud Sénégal.
Décembre 2018- Janvier 2019

Le marché. La mosquée.

La campagne, officiellement, n’est pas ouverte ;


enfin, pas pour tout le
Le bon goût près de chez vous ! monde.
On négocie avec le taximan la tournée du lendemain et la soirée passe
tranquillement.
31 Décembre.
On attend dans la nuit le taximan qui n’arrive toujours pas. Au bout d’une heure
et demie, on finit par aller sur la route et on en trouve un autre rapidement. Le petit déjeuner pris, en route
pour Ibel et Iwol.

La piste arrive au pied des collines. A l’entrée du hameau, un homme nous propose de faire le guide pour
monter à Iwol. Le chauffeur nous incite à le prendre et nous voilà partis à pied sur un chemin caillouteux très
raide et dur pour les jambes et le souffle. Des singes furtifs sont dans les taillis au loin. Derrière le col Iwol,
village Bedik, apparait dans le vallon.

Page 67
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°4 - Sud Sénégal.
Décembre 2018- Janvier 2019

« Petit » Baobab.

Avec Jean-Baptiste Keïta. Du fonio, enfin sous les yeux.

A un moment un esclandre éclate. Une femme est très en colère contre notre guide. Elle essaye de le frapper
avec une pierre à la main puis prend un énorme gourdin. On s’éloigne discrètement et prudemment. Notre

Page 68
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°4 - Sud Sénégal.
Décembre 2018- Janvier 2019
chauffeur nous explique qu’il y a un litige d’argent avec une précédente visite. Il est évident qu’en passant par
le guide on shunte l’activité du village qui demande deux mille francs par visiteur, participation tout a fait
légitime. La prochaine fois, j’irais seul. Le chemin qui part derrière l’école est près bien marqué, il n’y a aucune
raison de se perdre et en arrivant seul au village, on paye directement au village et en plus si c’est Jean-
Baptiste qui nous accompagne dans son propre village les relations et les renseignements doivent être bien
plus précis et plus proches.

En redescendant, l’air est toujours très chargé. A l’abri, sous un grenier suspendu.
On reprend la voiture pour Dinfedelo en passant, entre autre par Ségou..

On The Piste Again ! Quelques beaux champs de petites termitières.

Entrée de Dinfedélo. Les montagnes, toujours là.


L’endroit, inscrit au Patrimoine de l’Unesco, est organisé en éco-village. Les visites sont organisées et
obligatoirement encadrées. A l’entrée du village et donc du site, il y a un petit musée et beaucoup
d’explications très intéressantes.

Page 69
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°4 - Sud Sénégal.
Décembre 2018- Janvier 2019

Pour ceux que cela intéresse. A gauche, du mil. A


droite du Fonio. Les deux photos sont à peu près à la
même échelle. Le mil est déjà une graine petite, vous
pouvez en déduire la taille du Fonio.

Il faudrait bien trois à quatre jours pour bien profiter du site. Encore un endroit à inscrire sur la liste des lieux
à revisiter ! Mais voici la balade à la cascade : Un minimum.

Page 70
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°4 - Sud Sénégal.
Décembre 2018- Janvier 2019
Un bain inoubliable dans une eau cristalline et si fraiche.

Manguier majestueux. Sur le chemin du retour.

Pics de porc épic. Il parait que c’est ultra protégé et


interdit à la vente et à l’exportation.
(la photo a été prise ailleurs … je protège mes sources !)

Et sur la route du retour : belle termitière.


1er janvier.
Il faut reprendre la route de Tambacounda. Au garage, il reste juste deux place dans la Peugeot. Les deux
Polonais les prennent donc et j’attends le remplissage de la suivante. Du coup je suis en première place,
devant, le grand confort ! Cette fois-ci le chauffeur adopte la stratégie lente sur la tôle ondulée. Et toujours
ces camions qui, dans ce sens, remontent à vide.

Page 71
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°4 - Sud Sénégal.
Décembre 2018- Janvier 2019

Que les étourdis mal réveillés fassent un peu Beaucoup de bois en vente sur le bord de la route, et
attention à ne pas se tromper de véhicule ! beaucoup foin aussi.

Ouvriers allant embaucher aux mines d’or de Mako.


A Tamba, le changement a été particulièrement long. Il reste une place à remplir pour partir. Un homme est
pressé et s’impatiente. Au bout d’un moment, il organise une collecte pour la septième place. Je participe et
on attend encore, je ne sais pas pourquoi. Peut-être qu’il a du mal à compléter le montant nécessaire. Arrive
d’une autre voiture une dame avec énormément de bagages, on dirait qu’elle déménage. Elle prend la place
restante puis une attente interminable commence. En fait la
négociation pour les bagages bloque. Et puis, d’un seul coup,
enfin, tout se débloque. Je soupçonne que l’homme pressé
n’étant pas loin d’arriver au but, la femme a craqué car sinon il lui
faudrait attendre une autre occasion. Ce qui, à cette heure-ci, peu
prendre pas mal de temps. L’homme rend l’argent collectée à
tous et on attend encore un sacré bout de temps que tout
l’énorme chargement soit bien ficelé sur le toit. Pendant toute
l’opération, je garde un œil sur l’accordéon qui fait partie de
l’étage supérieur de la voiture. Pendant l’attente un gars me dit : « Tu viens de Kedougou, ça se voit ! ». Mon
t-shirt, censé être bleu est marron de poussière. Et il le restera après plusieurs lavages.
Que ceux qui font une étude sur la déco des goélettes le sachent : bien que ce soit la majorité, elles ne sont
pas toutes dans les tons jaune et bleu.

Page 72
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°4 - Sud Sénégal.
Décembre 2018- Janvier 2019

2 janvier.
Au fait, je ne sais pas si vous avez remarquez, mais on a changé d’année. Si, ce n’est pas une blague. Et même
que c’était Noël il y a quelques jours. Il parait que ce sont des jours remarquables et marqués. Ici, tout a été
très calme et donc tout s’est passé parfaitement bien, dans une totale indifférence. Fin de cet aparté
calendaire et retour à la réalité.
Sur la route de Kolda, il y a beaucoup de contrôles de police et de l’armé. On m’a même demandé mon
passeport à l’un d’eux. On se croirait presque en Mauritanie. Le chauffeur manque de la diplomatie la plus
élémentaire. Il s’est même payé le luxe de ne pas ralentir à l’approche d’un contrôle et est très discourtois
avec les autorités. Résultat, il se fait enquiquiner à chaque fois et pendant ce temps, on attend. Les postes de
contrôle ont du se donner le mot car, à chaque fois il se fait embêter pour ceci ou pour cela. On n’est pas
tombé sur un bon. En discutant avec mon voisin de gauche pendant une attente, on tombe d’accord en
concluant qu’avec l’âge, peut-être qu’il finira par comprendre. Le pire est l’arrivée de nuit en ville. Il y conduit
comme un fou et il me fait plusieurs fois peur pour les Jakartas qu’il frôle. Ma voisine de droite a vécu trois
ans en France et est revenu ensuite au pays : « Tu le sais, toi, que c’est mille fois mieux ici ! ». Mille fois, peut-
être pas, mais elle n’a pas tort. La voisine de devant est de Podor, on en discute un peu et m’y invite ! On est
au Sénégal. A Kolda, l’objectif est atteint : Voir la décortiqueuse mécanique spéciale Fonio mise au point par
Sanoussi Diakité. Invention pour laquelle il a reçu plusieurs prix dont le prix international Rolex. La fabrication
est par lots et l’atelier est en ce moment en inter-chantier.

Page 73
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°4 - Sud Sénégal.
Décembre 2018- Janvier 2019

Vous voulez des cacahouètes pour l’apéro ? Trois


pelletés ou deux sacs ?
Puis je file directement sur Ziguinchor. Le Perroquet, QG historique, est complet. Finalement cela tombe bien
car, venant de la brousse, je n’ai aucune envie de me retrouver parmi tous ces touristes qui n’ont pas quitté
un pouce de leurs habitudes européennes. Je trouve un petit hôtel pas loin, moins cher, plus tranquille et
parfait, avec même un Wifi de très bonne qualité. Je suis dans la grande salle quand arrive une jeune
française. Elle est très énervée et passablement « fatiguée ». Elle dit avoir été sans arrêt harcelée du côté de
Abéné, près de la frontière Gambienne, où elle était allée pour un festival. On discute un bon bout de temps,
elle est réellement à bout. Il faut reconnaitre, qu’une jeune européenne, se baladant, seule, en débardeur très
« été », dans ce lieu réputé pour son tourisme sexuel féminin, n’est certainement une idée très adaptée. Mon
doute augmente quand elle dit aussi ne pas s’en sortir non plus avec les talibés. Se comporter dans une
société différente que la sienne, cela s’apprend si on veut bien regarder un peu autour de soi. Elle prend
l’avion demain pour aller sur la petite côte. Un lieu certainement plus adapté pour elle. Lors de mon
précèdent passage, j’avais été désolé de l’état du mémorial du Joola. Le site est maintenant quasiment rasé et
un panneau annonce la reconstruction d’un beau bâtiment commémoratif. Le Sitoé Diatta est là, prêt pour
une nouvelle rotation.

Je passe au débarcadère pour me faire confirmer l’heure de la pirogue pour demain puis monte jusqu’à
l’alliance française en repassant par le marché.

Page 74
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°4 - Sud Sénégal.
Décembre 2018- Janvier 2019
Le marché aux légumes, près du port. Grosses pirogues de pêche.
Le 3 janvier 2019.
L’arrive un peu en avance à l’embarcadère et attend tranquillement tout en regardant la vie locale suivre son
cour, dans un coin à l’ombre et adossé au mur. A un moment, un homme que j’avais repéré être de la pirogue
s’approche de moi « C’est pour vous » et me tend son téléphone. C’est Hyacinthe : « Bernard, tu es à
l’embarcadère ?», « Oui, j’arrive, je n’ai pas pu te contacter, je suppose que le numéro de téléphone que j’ai
n’est pas bon », « Pas de problème, on est au courant et on t’attend, tu as une chambre de réservée et elle
est prête ». Radio village me sidèrera toujours. Comment a-t-il su ?

Pour débarquer sans marcher dans la boue, c’est très


Une Jakarta passe partout, même en pirogue. simple, vous passez par la branche.
Sur la pirogue, quelqu’un note les noms et les pièces d’identité de tout le monde. Cela ne rigole plus. La liste
sera donnée aux militaires de la pointe Saint Georges. Le courant étant avec nous, on arrive vite devant
l’entrée du bolon de Niomoune. C’est la cinquième fois que je viens ici, et la deuxième en pirogue, l’émotion
est toujours la même.

Au ponton, Nestor est là. Je l’aide à débarquer les courses pour le campement. Il y a aussi Alain. Au
campement, je retrouve Moussa et bien sur le maitre des lieux, Hyacinthe. Les rares autres clients sont tous
des habitués qui connaissent bien la région. Que dire de Niomoune. La magie du lieu est indescriptible.
S’endormir aux sons des grillons, être vaguement réveiller au petit jour par un court silence, vite remplacer
par le chant des oiseaux, et finir sa nuit dans une symphonie paisible. Je suis venu pour y faire une pause, on
ne peut pas rêver mieux. La beauté et le calme du village organisé en quartiers au point qu’il faudrait presque
parler de plusieurs villages rapprochés rivalise avec le campement de Hyacinthe.

Page 75
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°4 - Sud Sénégal.
Décembre 2018- Janvier 2019

Le soir au bord de l’eau. Plus un au compteur.

Il a même dit un soir que la pirogue était bien


rentrée. Au campement Alouga.

L’église restaurée. Le chantier du nouvel appontement.

Page 76
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°4 - Sud Sénégal.
Décembre 2018- Janvier 2019

Ronier tout
en fruits.

Retour de la pirogue villageoise. Elie-Charles à la


barre.
Un soir, je vais voir la reine avec laquelle j’avais pris rendez-vous. Je cherche à comprendre un peu son rôle. Je
n’obtiens que de longs silences accompagnés de longs regards aimables. J’ai beau tenter par différentes
méthodes d’en savoir au moins un tout petit peu. Peine perdue, je suis en face d’un mur, d’une force paisible
et insondable. Il y a un vieux qui reste en retrait mais qui assiste à la scène. Il y a aussi un jeune. Il est le chef
de chantier du ponton en court de construction. Il me montre des films des travaux et m’explique que ce n’est
pas comme je fais qu’il faut procéder. Il faut venir directement au village, demander l’hospitalité au chef du
village ou à la reine et, ainsi en vivant au milieu des gens, c’est comme cela qu’on peut découvrir comment
cela se passe ici. Je n’ai pas le temps pour cela et je ne veux pas faire brutalement faux bon à Hyacinthe. Mais
pour une prochaine fois ?

- « Allo, Rosny-sous-bois ?»
- « Il y a un embouteillage sur la rocade Ouest de
Niomoune. » Intérieur de la maison de la Reine.
- « De durée probablement indéterminée. »
Voici mon bureau de travail et la vue qui en résulte : comme open-space, il y a pire non ?

Page 77
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°4 - Sud Sénégal.
Décembre 2018- Janvier 2019
Mon poste de travail est aussi un poste d’observation : juste devant il y a un abreuvoir à oiseux et, comme je
bouge peu, c’est le défilé permanent. Je suis resté un jour de plus car la pirogue villageoise a été
réquisitionnée par le prêtre pour emmener les jeunes à un regroupement. Du coup je pars le lendemain avec
Hyacinthe qui doit aller à Elinkine. Alain et N’Doya sont aussi du voyage.

Arbre du voyageur à l’entrée (ou la sortie, c’est comme vous voulez) du campement.

Page 78
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°4 - Sud Sénégal.
Décembre 2018- Janvier 2019
Lundi 7 janvier.
A Elinkine, les grosses pirogues de pêche Guinéennes sont toujours aussi actives. Avant de débarquer, il faut
se présenter à l’appontement des autorités pour se signaler et présenter ses papiers.

Hyacinthe, en homme organisé, a réservé un taxi pour nous tous. Il nous attend sur la rive. Sur la route, tout le
monde est étonné de beaux champs de maïs et de tournesol. La luxuriance de la Casamance m’étonnera
toujours. Retour à Ziguinchor où je commence, là aussi, à avoir quelques habitudes. Quelques courses,
toujours les mêmes, au marché. Toujours aux même marchandes qui commencent à me connaître. Demain il
faudra se mettre en route pour retourner dans la Saloum.
Le 8.
Je pars à l’aube de l’hôtel, un taxi m’emmène au garage qui est assez excentré. Je négocie encore sur le prix
des « bagos » (les bagages) car je trouve cette pratique un peu trop facile et progressivement coutumière.
Durant l’attente, un gars me dit qu’il a deux hectares de terre mais qu’il ne fait rien car il cherche un
partenaire pour une pompe à eau. Qu’il pourrait gagner beaucoup d’argent, de quoi acheter plusieurs taxis,
etc. Pourquoi ne commence-t-il pas avec les moyens du bord sur cette terre si propice plutôt que d’attendre ?
Sur les conseils de Nestor, je ne prends pas un sept places direct pour Kaolack, mais simplement pour le bac
en Gambie. On traverse Bignona, ville où Boubacar a suivi sa formation et où opère une potière
mondialement connue et la frontière arrive. Le chauffeur m’indique ce qu’il faut faire. C’est très simple et
rapide : tampon de sortie du Sénégal, puis tampon d’entrée en Gambie. Ce dernier étant simplement
agrémenté d’un petit billet de cinq mille CFA. Bon. Contrairement aux autres passagers, je lâche la Peugeot là
et remonte à pied toute la file d’attente. Le bac est sur le départ, je saute à bord alors que les moteurs sont
déjà en marche. Merci Nestor pour ces deux à trois heures d’attente évitées.

En route pour la Gambie. La frontière Gambienne.

Page 79
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°4 - Sud Sénégal.
Décembre 2018- Janvier 2019

Le pont est presque fini.


Sur le bac, on me fait des propositions un peu pressantes que je refuse. Je n’aime pas les propositions
pressantes, c’est comme ça. Erreur stratégique car de l’autre côté, c’est un peu le bazar et je ne trouve pas
d’occasion, pourtant il doit bien y en avoir. Le bus que j’avais refusé de prendre sur le bac me boude,
certainement une petite vengeance, mais, en fait pas rancunier, finalement m’accepte. A la frontière de sortie
de la Gambie, il faut refaire tamponner le passeport. Le colosse
au bureau me redemande cinq mille francs. C’est un peu fort. Je
lui demande un reçu. Le colosse fait un bon jusqu’au plafond et
devient tout vert. Il y a plus de cinquante personnes dans le bus
qui m’attendent. Je mets court à la situation en sortant
promptement le billet convoité en me disant que, si j’en ai
l’occasion, la prochaine fois, j’irais jusqu’au bout. Dix mille francs
pour rester environ une heure dans un pays, tous les records sont
battu. La ré entrée sur le sol Sénégalais nécessite la procédure
habituelle : prise des empreintes et photo pour chacun. C’est long
car il y a deux bus en même temps, soit plus de cent personnes.
En tant que français, je dois faire tamponner mon passeport. Procédure qui se fait dans un bureau à part,
après un petit interrogatoire pas tout à fait de routine… Mais le bus m’attend patiemment.

Je ne vous parle pas de Kaolack, vous connaissez déjà. La mayonnaise ? Elle va bien merci. On ne se tape pas
encore sur l’épaule avec le gardien, mais s’en est pas loin. Voilà comment j’arrive le lendemain à Sokone pour
prendre la pirogue du Mercredi, retour du marché pour ceux qui suivent. Le conducteur de la Jakarta qui me
mène au port fait d’un seul coup demi-tour et prends des chemins détournés. Il y a un policier dans le coin, là
aussi radio-village fonctionne très bien. C’est un clando et on n’a – comme presque toujours – pas de casques.
Il roule très vite dans le sable mou, la moto guidonne comme une folle et je n’aime pas cela du tout. J’ai bien
du mal à le faire un peu ralentir. Il me dépose à l’écart du port, discrètement. Le jeu consiste maintenant à
trouver la bonne pirogue. Après quelques réponses parfois fantaisistes, il y en a une qui charge et charge une
montagne de sacs de fourrage : c’est elle. Sur le quai je tombe sur la maman de Seydou. Justement je dois
l’appeler. Pendant la conversation, je lui propose de lui passer sa Maman mais je ne la trouve plus. Entre-
temps, elle a embarqué dans la pirogue pour Nghadior. J’ai bien essayé de m’approcher mais je gênais les
hommes en train de charger de lourds paquets. Les passagers montent sur la montagne de foin. L’avantage
est que c’est très confortable, et le moteur démarre. Au moment de payer, de jeunes voisins réagissent.
L’homme de la pirogue leur répond en français que j’ai des bagos pour se justifier. Les jeunes m’ont défendu
face au prix excessif que l’homme de la pirogue me fait payer. Sympa.

Page 80
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°4 - Sud Sénégal.
Décembre 2018- Janvier 2019

Cette fois-ci, c’est un beau cheval qu’il faut faire embarquer. Rude affaire. Il est bien monté une fois mais a
fini par ressortir de l’autre côté. Là, c’est le deuxième essai. L’animal, stupide et peureux comme presque
tous ses congénères, est hyper stressé. Je ne sais pas s’ils y sont arrivés car on est partis avant la fin de
l’opération délicate, un coup de sabot peu faire des dégâts.

Cette lettre a commencée sur l’eau, entre Niodior et Sokone,


et se termine sur l’eau, entre Sokone et Niodior.
La boucle est bouclée.
Il me reste donc à vous tirer ma révérence en vous disant : « A Bientôt ».
Je vous souhaite le meilleur du meilleur du meilleur, et un peu plus si possible.
Et, sans oublier : Bises aux filles !
Bernard.

Page 81
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°5 – Dans le Saloum pour VSF.
Janvier 2019

Mercredi 9 Janvier.
A Niodior, comme dans les autres villages, les pêcheurs sont
venus faire la pause annuelle et effectuent les travaux d’entretien
des pirogues. Repeintes à neuf, elles sont au top. Beaucoup de
jeunes hommes sont donc là, c’est l’occasion pour le championnat
de foot local. C’est aussi l’occasion pour certaines fêtes de
familles car les pêcheurs sont là, et de l’argent frais aussi. J’ai
repris ma casquette VSF (Voiles Sans Frontières) et j’ai téléphoné
à Monsieur Camara, le directeur de l’école primaire, et il
m’attend. L’objectif est de faire le point sur les ordinateurs qui
sont là depuis quatre ans et inutilisés pour une sombre histoire de
conflit local à propos duquel le directeur est impuissant. En
général, les enseignants ne sont pas du village et les autorités villageoises sont parfois plus fortes que
l’autorité hiérarchique de l’éducation nationale, même à l’intérieur de l’école. C’est ainsi. Avec Monsieur
Camara, on vérifie les machines qui, bien stockées, fonctionnent encore toutes correctement. Monsieur
Camara me confirme que la situation est toujours aussi bloquée et qu’il ne voit pas de solution. Je lui
demande si je peux quand même rencontré de Président du Comité de gestion. Il me propose même de
provoquer une réunion avec tout le monde. Je lui dis que je pense qu’elle ne servira à rien si la situation est
aussi bloquée que cela et qu’elle risque juste de raviver inutilement les litiges. Du coup je ne verrais pas le
Président du comité de gestion. Facétie, quand tu nous tiens. On tombe d’accord pour les déployer ailleurs
pour qu’elles servent pour les enfants et il me fait une grosse publicité pour l’école de Mundé. Monsieur
Camara vit en famille dans le logement de fonction, ce qui est une situation assez rare. La soirée en famille est
particulièrement sympa, agrémentée de conversations très instructives. La petite dernière de deux ans,
éveillée et curieuse comme une puce est adorable. Lendemain, Mr Camara doit partir chercher des
fournitures à Foundioune. Je passe le plus clair de la journée avec sa femme à parler de tout et de la vie au
Sénégal. Le couple est très attentionné sur l’éducation de leurs enfants, d’un neveu et d’une nièce dont ils
s’occupent aussi. Le jeune vise une école accessible via un concourt où les places sont chères. Sérieux comme
il est, je ne peux que lui souhaiter de réussir. Je passe à l’unité de production de transformation de produit
forestiers et y achète un sirop de citron totalement exceptionnel.

Je retourne aussi saluer Madame Sarr, la présidente du GIE, qui m’explique les
difficultés de cette unité et je n’arrive pas à retrouver la trace du filtre à eau qui
devrait être du côté du laboratoire médical. Chaque fois que Madame Camara
apprend que j’ai acheté quelque chose, elle me demande combien j’ai payé pour
vérifier les prix qu’on m’a pratiqués. A la boutique du coin, le propriétaire me dit qu’il
est le cousin de Fatou Dione, l’écrivaine locale1, et me montre un de ses livres qu’elle a
réalisé en collaboration avec Titouan Lamazou. Mr Camara (El Adj) ne rentre pas si
tard que cela de son aller-retour et la deuxième soirée est aussi sympa et

1
Bien sûr, Le ventre de l’atlantique, mais aussi Celles qui attendent ; Inassouvies, nos vie ; etc.

Page 82
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°5 – Dans le Saloum pour VSF.
Janvier 2019

enrichissante que la première. La nuit venue, Boubacar passe me prendre pour assister aux combats de lutte.

J’en avais vu déjà à Siwo. Mais là, ce sont des poids plus légers et les combat sont plus acrobatiques et donc
plus spectaculaires. La finale est gagnée par celui que je supportais, super. On quitte les lieux pour rentrer
lorsque les hauts parleurs annoncent qu’il y a une réclamation et que le combat doit être refait. Boubacar,
contrairement aux autres, ne rebrousse pas chemin mais on apprendra le lendemain que le gagnant est resté
le même. Tout est bien qui finit bien !
Le 10.
Le matin, avant de partir pour Dionewar, El Adj m’invite au démarrage de la journée. Dans son bureau, tous
les enseignants défilent pour le saluer et pour montrer leur plan de travail de la journée. Le Directeur
prodigue quelques conseils. Il me montre les manuels qu’il est allé chercher hier. Ce sont les outils
d’apprentissage de la lecture et de l’écriture en langue Sérère pour les premières classes (CI-CP). L’idée est de
démarrer cet apprentissage en langue maternel. Ce qui sera bien plus accessible pour les élèves et bien plus
efficace.

Mr Camara m’a bien réservé une charrette, mais le charretier a un problème de je ne sais plus quoi et au bout
d’une heure et demi d’attente je pars à pied pour tenter ma chance sur le chemin. Une charrette déjà bien
chargée passe. On se tasse un peu plus et elle me dépose à l’école de Dionewar après être passé entre autre
sur la célèbre passerelle qui relie les deux iles. Ce n’est vraiment pas large, il y a tout juste la largeur de la
charrette et des jeunes qu’on croise sont obligés de monter sur le parapet pour nous laisser passer. Le chemin
est très accidenté et il faut bien se tenir pour ne pas tomber de la charrette, ce qui a été limite plusieurs fois.
L’accordéon est à la même enseigne et m’inquiète beaucoup. Bref, on arrive sans dégât.
Les enseignants sont en pause et en train de manger, le directeur me reçoit dans son bureau. Salutations
d’usage et je lui donne le pot de lait qu’il avait oublié dans la pirogue hier et que Camara m’avait confié pour
lui. Puis on va dans la salle où se trouvent les ordinateurs, qui là aussi ne sont plus utilisés. C’est le jour et la
nuit par rapport à Niodior. Les ordinateurs sont stockés n’importe comment et manipulés avec une
inattention brutale. Je nettoie, vérifie et refais quelques contacts. Seuls trois sur les six ont résistés. Ce qui
n’est pas si mal en fait. Lors d’une réunion informelle j’insiste sur l’objectif que est de redéployer les machines

Page 83
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°5 – Dans le Saloum pour VSF.
Janvier 2019

pour qu’elles soient utilisées « par les enfants » car il est évidents que certaine velléités personnelles
voulaient se mettre en place de la part du Directeur et du responsable informatique. L’installation électrique
est complètement déglinguée elle aussi, tout est à l’abandon. Puis on va au logement des enseignants, ils ont
loué une petite concession.

Pour vous donner une idée, et ce n’est qu’un détail. Belle carte des royaumes.
L’enseignant qui m’accueille, a un logement de deux pièces, un luxe étonnant. La première pièce est une pièce
à vivre et sa chambre est derrière. Il part pour la prière et, étant seul, je sors l’accordéon pour me changer les
idées. J’en ai vraiment besoin. Il revient puis on discute autour du plat. C’est un Peul de plus haut que Podor, il
en a le physique et le caractère. Il est enchanté par la musique ! Ensuite, il m’accompagne avec son directeur
jusqu’à chez Denis qui est à une demi-heure de marche par la plage.

Cohabitation artistique. Coucher de soleil Niominka.


Super bain de mer juste devant chez Denis, ce serait bête d’aller plus loin. Son installation électrique à base de
panneaux solaire et de batterie ? Bien évidement à plat, sans commentaire. Mais qu’importe, on n’a pas
besoin de lumière (électrique !) pour discuter.
Le lendemain, Seydou vient enfin nous rejoindre, puisqu’il a finalement réussi à trouver de l’essence, rengaine
des îles. Et on retourne en ville pour trouver une charrette pour redescendre à Niodior.

Page 84
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°5 – Dans le Saloum pour VSF.
Janvier 2019

L’érosion est ici flagrante.

Ancien bois sacré des femmes de Niodior,


La langue de sable qui renferme le port de Dionewar. abandonné … (?).
On est magistralement bien accueillis par la dynamique Alimatou. Cette animatrice, spécialiste en vie
associative, met l’ambiance à elle toute seule ! Elle tient exactement le même discourt que Boubacar et
Madame Sarr du GIE, en le développant plus. Il faut développer des activités économiques pour permettre
aux jeunes de rester. Et pour qu’ils arrêtent de rêver et d’aller ailleurs, ce qui vide le pays de ses forces vives
et de son avenir. Comme les deux autres, à propos de l’aide aux activités économique, elle insiste sur le fait
qu’il ne faut aider que ceux qui ont déjà commencé quelque chose car un attentiste restera toujours un
attentiste. Eviter les effets d’aubaine qui sont contre productifs et désastreux en terme d’image et de
message envoyé. Les projets doivent venir d’en bas, des gens eux même ; et non d’en haut, parachutés. A
table, il y a un touriste Dakarois. C’est la première fois que je croise un touriste Sénégalais, signe des temps
qui changent ou exception à la règle ? On a même droit à un topo sur les différences historiques et culturelles
entre ceux du Siné et ceux des iles, en gros ceux de la rive droite et de la rive gauche du Fleuve Saloum. Le
temps passe vite autour de la table, heureusement que Boucacar est patient ! Le moment devient enfin
propice pour qu’il puisse venir. Les présentations faites, le courant passe tout de suite entre lui, Alimatou et
Denis. On va visiter les jardins dont celui de Kadafi et l’idée d’une mise commun des énergies émerge tout
naturellement. Le principe d’une réunion est retenu pour samedi prochain, Denis et Alimatou vont s’en
occuper.

Page 85
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°5 – Dans le Saloum pour VSF.
Janvier 2019

De gauche à droite : Alimatou, Denis, Seydou, une


demoiselle, Elle ne nous a pas été présentée, j’aurais bien la vague
impression qu’elle serait un peu la petite amie de Boubacar mais … mais
et Boubacar.
sans preuve, motus ! Tout pousse chez le colossal Kadafi ! C’est lui qui
Voilà, vous connaissez tout le monde. trône en plein milieu.
En chemin, Alimatou me dit qu’elle cherche à fédérer les gens et les différentes associations de la région pour
qu’il y ait un contrôle local de l’installation pétrolifère en projet juste au large. Comme Madame Sarr, elle fait
partie de ces gens qui s’inquiètent des risques écologiques. Quand on sait comment cela s’est passé et
comment cela se passe encore au Gabon, en Côte d’Ivoire et ailleurs (pas en Europe bien sûr !), il y a de quoi.

Autres jardins, à côté du jardin communautaire. Dans le village, il y a ici de l’internet tous les jours.
Boubacar nous avait réservé une charrette pour rentrer. Et, chez Denis, il me semble qu’il y avait un peu
moins d’électricité que la veille, c’est-à-dire plus du tout. Mais, vous l’avez compris déjà d’hier, nos cerveaux
n’en n’ont pas besoin pour briller ! La bouteille de rouge de la boutique d’à côté – Je n’aurais jamais imaginé
une seconde que cela puisse se trouver ici - a peut-être aidé… ?
Le lendemain, on ne part relativement tôt de chez Denis. J’ai des choses à faire à Diogane et Seydou, lui aussi,
souhaite ne pas rentrer trop tard chez lui.
A Diogane, là aussi, l’idée est de faire le point de la salle informatique, ce sera pour demain, lundi. On
rediscute avec Salif de traitement des produits forestiers, je reviens plusieurs fois sur le blocage de l’unité de
production de Niodior qui pourtant, à priori, n’a pas mal d’atouts en main. Avec Salif on essaye d’analyser la
situation. La conclusion est qu’il faut encore retourner à Niodior pour creuser l’étude. L’affaire du jour, dans le
village, est le match de demi-finale de la coupe des îles, ceci est plus que sérieux car, bien évidemment, je
parle de football.

Page 86
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°5 – Dans le Saloum pour VSF.
Janvier 2019

Départ des supporters. Séchage de coquillages, c’est la saison.

Les enfants jouent avec cette belle maquette. En pleine réunion avec La directeur de l’école à
propos des problèmes électriques, à un moment, le
ciel fait le spectacle.
Vous voulez une bonne nouvelle ? Diogane a gagné ! Le retour, à la nuit tombée, de l’équipe et des
supporters déchainés est spectaculaire. En début de la soirée, la foule passe de maison en maison des
joueurs pour chanter et danser à leur honneur. En fait ce sont surtout les filles et les femmes qui mettent
l’ambiance. Et croyez-moi, elles savent faire !

14 Janvier.
La journée commence par le lever de soleil, ce qui est peut-être
d’une banalité affligeante pour certains mais qui reste un
moment toujours important pour les marins et ceux qui restent
connectés avec certains fondamentaux. Je passe à l’école, à
l’ouverture, pour reprendre contact avec l’équipe. Au Sénégal,
la semaine commence avec la levée du drapeau. Rendez-vous
pris, je passe saluer Seynabou, la jeune responsable de la CDTP
(Case Des Tous Petits, l’équivalent d’une crèche-maternelle)

Page 87
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°5 – Dans le Saloum pour VSF.
Janvier 2019

que je connais depuis le tout début du projet. Depuis lors mariée, la jeune maman va très bien. La CDTP,
construite et équipée par VSF est toute belle. Ce qui n’empêche pas une étonnante et brutale chute des
effectifs.

Sur la pirogue fraichement repeinte, le blason d’un célèbre club de football est symptomatique. Canal Plus est
arrivé au Sénégal et même ici à Diogane. Les amateurs de football en sont comblés. Mais le chaine apporte
aussi les « séries » occidentales et la télé soit disant réalité où les gens n’ont que des belles voitures, de belles
maisons, de beaux habits, de beaux ceci et de beaux cela et où personne ne paye. Un beau monde où l’argent
a l’air de ne même pas exister. Elle apporte aussi toutes ces pubs présentant un monde merveilleux et ces
images déjà tellement irréelles chez nous. Le choc culturel est immense et le mensonge permanent des
messages de l’idéologie consuméristes est d’un surréalisme hallucinant sous les belles étoiles du village avec
très peu (et parfois pas) d’électricité et où l’eau est encore un problème. L’adduction est bien là depuis un an
mais la pompe du forage est en panne depuis plusieurs mois car la pièce est difficile à trouver. Ils cherchent
une autre solution en récupérant et bricolant la pompe de l’ancien dé-salinisateur. Je rassure les amateurs de
belles photos « Typique », les femmes et les filles vont donc toujours chercher l’eau près du collège (environ
un kilomètre ?) en portant - non sans grâce parfois et toujours avec le sourire - le bidon de vingt litres sur la
tête pour faire la lessive, le ménage, etc.
Je retourne à la CDTP avec l’accordéon pour une courte session, et tout le monde fini par taper dans les
mains, sauf le petit timide du fond ! A la pause, avec Moussa, le nouvelle électricien
local en formation, on retourne à l’école pour faire le point sur la salle informatique.
Pour les ordinateurs, je ne pense pas trop vous étonner, il faut de l’électricité … Et
nous revoici donc dans les problèmes électriques ! Combien de fois l’installation est
« tombée en panne ». Combien de fois VSF est intervenu ou a fait intervenir
l’électricien de Dakar pour la remettre en route ? Tout cela à cause de mauvaises
pratiques. Il est temps de parler franc et de mettre les gens devant certaines réalités.
Je retrouve Jean-Noël, l’enseignant responsable de l’informatique. Quand ils avaient
de l’électricité, ils ont mis en place des plages de fonctionnement en dehors des temps
scolaires (et bénévolement) pour les élèves de l’école et même ceux du collège.
Moussa fait, d’un seul coup, miraculeusement fonctionner toute l’installation. Le
directeur est tout étonné d’entendre la sonnette de la cour se remettre à tinter et on
peut donc faire le tour des ordinateurs.
Les deux qui ne fonctionnaient pas il y a deux ans faute de driver adapté sont bien sûr au même point, mais
les autres sont fidèles au poste. On commence un essai de tenu dans le temps de la salle, les batteries et
l’installation ont l’air de résister. Moussa va faire un essai complet cet après-midi pendant que j’irais à Diouré
pour le filtre à eau.

Page 88
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°5 – Dans le Saloum pour VSF.
Janvier 2019

Moussa dans la salle informatique. La pirogue à rame au ponton de Diouré.


Je rediscute encore longuement avec Salif à propos de son idée de valorisation des produits forestiers. Lors de
mon passage précédent, il m’avait expliqué comment était organisée le récolte et avait fini par me
décortiquer la comptabilité de l’opération. Cette fois-ci la conversation tourne encore autour de la recherche
des causes de l’arrêt du fonctionnement de l’atelier de Niodior, que Salif connait assez bien, afin d’analyser
les écueils et les difficultés de ce genre d’opération. En fin d’après-midi, la chaleur passée, avec trois enfants,
on va en petite pirogue jusqu’au petit village de Diouré, à environ trois quart d’heure de pagaie. Le chef de
Diouré, croisé l’autre fois, n’y sera pas. Il est je ne sais plus où, suite au décès d’un de ses vieux amis. Le village
est très calme. Il y a une case en structure bois à étage particulièrement étonnante.

Le problème de l’eau y est très important. L’eau des puits n’est même pas limpide, il faut la laisser reposer et
la filtrer dans un linge. Les puits se tarissent lors de la soudure, c’est-à-dire pendant plus ou moins deux mois
selon les années. Il faut alors chercher (et payer) l’eau à Diogane, en
pirogue. Le filtre Arkema déposé par le bateau Caretta (Sail For Water)
a été accidentellement cassé. Je découvre enfin le mode d’emploi qui
était le grand absent des autres sites. Le besoin ici est évident. Le
temps de trouver une personne parlant français pour faire
l’interprète, puis de retrouver les informations et les restes du
matériel, on rentre à la nuit tombante avec ces enfants si curieux de
tout et de conversation si intéressante, qui va de la première guerre
mondiale aux traces que laissent les avions dans le ciel en passant par
les fleurs de coton, etc. Cela faisait aussi quelques temps que je
n’avais pas pagayé, sensation bien agréable. Pendant la soirée autour
du feu la conversation avec Bernard Cissé, le professeur d’histoire du Histoire sans parole.
collège, tourne en un magistral cour d’histoire. L’érudit a, en plus, de réelles qualités de conteur.
Le 15.

Page 89
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°5 – Dans le Saloum pour VSF.
Janvier 2019

Comme tous les jours, le soleil se lève. Pour ceux qui en doutent, cette photo en atteste. Avant de partir, je
passe à l’école pour une histoire de récupérateur d’eau et
y découvre un potager pédagogique. Encore un potager.
Un rentrant au « Foyer », j’en parle innocemment à Ibé.
Lui, le fils du chef du village, qui maintenant parle en
dernier lors des réunions des anciens et qui fait bien
attention à ponctuer ses prises de paroles et ses propos
de légers silences me coupe quasiment la parole pour me
demander vivement : « Et tu as vu celui de l’école
coranique ? ». Teint donc, encore un indice sur la
concurrence entre les deux écoles … pour le moins. Celui
de l’école française est plus grand que celui de l’école
coranique, mais celui de l’école coranique est
techniquement de meilleure maitrise et plus avancé. Ce
qui est vrai. Un point partout donc et la diplomatie est sauve. Je m’en sors bien !
Le cheval qui mène la charrette pour Munde est un vrai caractériel. Déjà, monsieur refuse de marcher dans le
sable mou. Il est vrai que c’est un peu dur mais ce n’est pas une raison de nous mettre dans les branches
basses. Ensuite, sans raison, monsieur s’arrête et cherche à faire demi-tour. A force d’insistance, les deux
cochers arrivent à continuer à le faire tourner jusqu’à ce que le tour soit complet ! Combien de fois comme
cela ? Je me suis demandé à plusieurs moments si on allait vraiment arriver ! Mais bon, avec de la patience on
arrive à l’école avant la récréation de onze heures, ce qui me laisse le temps d’aller saluer Fatou SARR, la
dynamique responsable de la CDTP qui est juste à côté. A un moment, elle me dit « On a aidé les filles, puis on
a aidé les femmes, maintenant il faut aider les garçons. ». Le message est clair. Dans cette école aussi, il n’y a
plus d’électricité : en panne. Ils arrivent à se dépanner pour les photocopies chez Fatou. Les deux
rétroprojecteurs et le piano électrique, gagnés lors des concours académiques, prennent la poussière. Cela
n’empêche pas l’école d’être connue pour l’excellence de ses résultats aux examens. Avec le directeur, ont
fait un rapide point de la situation et des solutions sont vite évoquées pour permettre l’installation des
ordinateurs. Le volontarisme de l’école et des parents d’élève est évident. Les deux récupérateurs d’eau sont
également visités mais Mr Ndong, l’apiculteur n’est pas là. Le colis que je devais déposer à je-ne-sais-plus-qui
étant remis à la femme du destinataire, je cherche une charrette pour Siwo. Pas facile en début d’après-midi.
L’attente est longue. Les fillettes qui me tiennent compagnie en me posant quarante milliards de questions
me fatiguent un peu. Une plus âgée me dit qu’elle est épileptique. Je finis par comprendre qu’elle a, du coup,
du mal à se marier, destin traditionnel de toutes les filles du Saloum. Les deux jeunes charretiers sont très
intrigués par ce Toubab qui voyage en pleine chaleur et qui ne respecte donc pas les coutumes locales. Il
doute aussi que je connaisse Siwo. A l’arrivé, à l’intensité de nos retrouvailles, ils sont encore plus étonnés et
filent sans demander leur reste ! Deux enseignants ont obtenu une mutation cette année. Avec Farba il y a
deux ans, cela fait trois départs et un seul enseignant est arrivé (Moussa). Avec ce manque d’enseignants, les
deux qui ont les petites sections gèrent deux classes en même temps. Dans la maison des enseignants,
l’électricité est … en panne ! Alassane, l’électricien, est en train de préparer une tournée, il va avoir du travail.
Après avoir consulté Alassane, ils ont acheté un régulateur et se sont fait fourguer un vieux matériel. On
essaye de faire fonctionner l’installation mais, en plus, le régulateur ne fonctionnement pas, piètre achat. Il y
a deux ans, il y avait un policier, envoyé par l’administration. Il était hébergé dans la maison commune des
enseignants car le chef du village avait refusé de le loger. Il n’est plus là. Pour blaguer je demande « Mais qui
fait donc la police alors ? ». Très sérieusement, on me dit « le chef du village », comme une évidence. La
boucle est bouclée.
Le village a été éliminé de la coupe de foot. Ils avaient
gagné contre Bassar (ou Bassoul, je ne me rappelle plus),
un village bien plus grand. Sacrilège. Ils ont donc été
disqualifiés sur l’accusation d’avoir truffé le terrain de
grigris. Je ne sais plus qui m’a dit que c’était
particulièrement injuste car, de toute façon, tout le
monde fait cela. Du coup, ils organisent un championnat
intra-village. Je soutiens l’équipe « Siwo Family » dans
L'équipe "Siwo Family" pendant l'hymne national
Page 90
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°5 – Dans le Saloum pour VSF.
Janvier 2019

laquelle joue Ibra. Le coach est le directeur de l’école coranique.


Ousmane m’emmène faire un tour du village et me montre les « potagers de case » que les femmes cultivent
dans les concessions avec l’eau douce de l’adduction, qui est là depuis un an. Le jardin communautaire ne
fonctionne plus par manque d’eau mais le savoir-faire, suite à la formation, reste utilisé. Si on ajoute les
petites surfaces exploitées, on doit être sur la même surface exploité que celle prévue à l’origine par le jardin
pédagogique et communautaire. Certains pensent que le projet d’origine est en échec, mais l’objectif de
jardinage est tout de même atteint même si le projet a dévié et a fait sa route indépendamment de l’idée de
départ qui était une collaboration entre l’école et les femmes. On en profite pour passer à la boutique pour
acheter des bougies. L’équipe, réduite, est vraiment amoindrie. Pendant deux conversations personnelles,
Ibra et Ousmane évoquent spontanément, chacun à leur manière, la difficulté du vivre ensemble dans ce huis
clos permanent. La bonne entente est maintenue grâce aux efforts et à l’intelligence de chacun. Le projet de
formation informatique tombe à l’eau car sans électricité les enseignants m’apportent même plus leurs
ordinateurs portables. La soirée, dans le noir complet, est assez étonnante et plutôt décousue.
Le lendemain, Ousmane qui s’occupe les CI et des CP inaugure les nouveaux manuels d’apprentissage de la
lecture1 et de l’écriture en Sérère. Il me confie pendant un moment les CP. Heureusement que les enfants
parlent bien Sérère (!) car ma prononciation est complètement nulle. Je suis beaucoup plus à l’aise en calcul.
Les mathématiques, comme la musique, est un langage universel. Je suis sollicité dans certaines classes avec
l’accordéon car, comme à Diogane, des « Toulaillé oh Toulaillé » - Refrain d’un chant de marin chanté pendant
les missions précédentes et qui est devenu un Tube - fusent fréquemment quand je croise des enfants.
L’après-midi, je vais visiter, seul cette fois-ci, le célèbre grand potager créé par trois femmes. Il est vraiment
impressionnant.

Tout y est beau, même l’implantation en arc de cercle qui rappellerait presque Villandry. Si à Villandry les
planches n’étaient pas toutes, bêtement, parallèles ! En plus, elles savent donc mettre de l’art dans leur
quotidien. Au retour, je visite l’école coranique, le Directeur n’est pas là mais les jeunes enseignants
m’accueillent très gentiment. L’école est toute récente et organisée comme toutes les écoles Sénégalaises. Il y
a quatre ans, il n’y avait que deux salles sans tables où les élèves étaient tassés sur des bancs. Que de chemin
parcouru. Ensuite, je monte jusqu’à l’ancien potager communautaire, la marée est assez haute et le
Charrette-stop me permet de passer les pieds et les genoux secs. La marée descend et le retour sera plus
facile. Il ne reste plus rien sur l’ancien emplacement. Même le dernier puits s’est enfoncé tout seul.

1
Il est écrit dessus « Conçu et réalisé grâce à la générosité du peuple américain ». Faut-il philosopher sur le caractère
généreux des copains de Trump ou sur la compétition acharnée entre les USA et la Chine dont un des théâtres est
l’Afrique ?

Page 91
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°5 – Dans le Saloum pour VSF.
Janvier 2019

Sous les Manguiers en fleurs.


Le nouvel emplacement est clos mais il n’y a, pour l’instant, pas d’eau et cela n’a pas l’air évident. Pourtant,
autour, il y a d’autres jardins avec des puits... Siwo Family a joué très brillement, il surclassait de très haut
l’autre équipe avec une classe évidente. Mais comme ils n’ont pas dû mettre assez de grigris sur le terrain, ils
ont donc perdus. Injustice flagrante. Je ne doute pas une seconde qu’ils étaient les meilleurs. J’apprends ainsi
ma nouvelle condition de supporter … être subjectif. Il n’y a pas de raison ! Ibra fait le point des livres de la
bibliothèque et à force de discuter on dissipe tout à fait par hasard un quiproquo. Comme quoi on ne discute
jamais assez et qu’il ne faut pas hésiter à se dire les choses. Autour du feu, Ousmane raconte en rigolant que,
dans son village, ils ont eu la visite d’un candidat aux élections. Il a été obligé de l’accueillir et donc de faire
son éloge, c’est la coutume, lui qui est d’un camp opposé. Il a ensuite conseillé aux villageois d’inviter le
maximum de candidats, de prendre ce qui est distribué à l’occasion, puis de voter ce qu’ils veulent ensuite.
C’est cela avoir l’esprit pratique. Le jeudi après-midi, alors que j’annonce mon départ pour demain matin,
Seck saute en l’air, « Mais ma classe t’attend, tu es allé dans toute les classes, sauf eux ». Oups, je n’ai pas pris
de note et suis au bord du gouffre et de la gaffe diplomatique grave. On ménage une plage horaire à la va-vite
et la session est vraiment sympa avec un groupe très attentif. Cela aurait été effectivement dommage de rater
cela. Seck filme les chants, encore un beau souvenir.

Page 92
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°5 – Dans le Saloum pour VSF.
Janvier 2019

Vendredi 18 janvier.
Pour aller de Siwo à Bassar, il faut changer à Thialane. Ousmane s’est renseigné, la pirogue part vers huit
heures. Il m’y accompagne après un rapide petit déjeuner. Les gens arrivent progressivement et la pirogue est
finalement quasiment complète. Ousmane me dit de me mettre à l’avant, c’est la place des hommes. Au
débarquement, deux dames me disent avec insistance en Sérère quelque chose que je mets du temps à
comprendre : Mon pied est à dix centimètre de deux énormes tessons de bouteille. Merci Mesdames. Je
traverse le village en demandant plusieurs fois mon chemin pour l’autre embarcadère, celui qui mène à
Bassar. Le chemin passe devant l’école qu’on avait visitée avec Seydou juste avant les vacances. Je ne peux
pas décemment passer devant sans dire bonjour. Deux nouveaux enseignants viennent d’être nommés, ce qui
va leur changer la vie et la qualité de leur travail. Un des enseignants est en partenariat VSF avec une école
française mais il n’est pas possible de faire quelque chose au pied levé. Si j’avais su et donc prévenu, il aurait
peut-être été possible de mettre en place un échange. Ils me font visiter la classe et j’en prends juste une
photo. Je ne les dérange pas plus et vais attendre la navette à l’embarcadère.

Les trois « anciens » de l’école de Thialane. La classe en partenariat scolaire.


J’arrive à l’école juste à l’heure de la pause et l’équipe est réunie autour d’un plat de Lâ ou Laakh (Mil au Lait
caillé). Un délice pareil ne se refuse pas ! L’école de Bassar est remarquablement belle. Ils ont tout ce qu’il
faut pour accueillir des ordinateurs et mettre en place des ateliers pour les enfants. L’école à la forte
réputation d’être très bien organisée. La réunion est donc rapide et je vais flâner dans le village.

La « Place des puits » : quatre d’un coup. La boulangerie avec son four à bois.

Page 93
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°5 – Dans le Saloum pour VSF.
Janvier 2019

Concassage de maïs pour faire du Couscous. Le poste de santé.


Je suis logé au poste de santé, où l’accueil est plutôt distant. Pendant la soirée avec quelques enseignants, j’ai
droit à une longue sortie contre la politique africaine de la France. La charge est violente et justifiée, incisive
et concrète. Elle résonne étrangement dans cette pleine nuit sur le perron. J’ai beau chercher le dialogue, la
conversation est plus une diatribe qu’un échange. Puis on m’invite poliment à me retirer. J’obtempère sans
résistance, pas fâché de retrouver le calme.
Le 19.

La nuit porte conseil, dit le dicton. Je me rappelle que c’est là que Nicolas et Océane ont apporté deux
ordinateurs, ce sont occupé de la mise en place et de la formation1. Je vais aux nouvelles, plein d’espoir d’en
donner à l’équipage de Life. On appelle cela « faire du suivi » dans le jargon local. L’infirmière chef de poste
me dit très désinvoltement que lors d’un déplacement en pirogue à Foundioune, le temps était mauvais et ils
ont pris des embruns. Les deux ordinateurs, d’un coup (ben oui, les deux personnes étaient toutes les deux
convoquées en même temps, donc elles ont pris la même pirogue et les ordinateurs ont donc pris la même
vague.) qui prennent le grand air et se désintègrent dans l’indifférence la plus totale. Pas de cadavre, donc pas
de crime … circulez, il n’y a rien à voir. A dire non plus ? J’attends tranquillement Seydou à l’embarcadère. Le
soleil monte et commence à réchauffer l’air très frais du matin. L’accordéon, dans la fraicheur, a encore un
son légèrement cristallin qui s’accorde bien avec la brise qui se lève. Un petit groupe écoute discrètement à
côté. Un jeune s’approche et veut comprendre comment fonctionne cet instrument étrange. Le soufflet, les
touches, il essaye pour réaliser. L’accordéon est totalement inconnu par ici et il intrigue toujours le curieux.
Un petit point orange grossi entre la mangrove, Seydou arrive. Il me prend au passage. On part sans transition
pour Diogane pour prendre Salif, pour ensuite nous rendre à Niodior, à la réunion organisé par Alimatou et
Denis. A Diogane, l’hospitalité veut qu’on en reparte pas l’estomac vide et l’inertie, énorme cette fois-ci, étant
parfois ce qu’elle, on part bien tardivement pour Niodior. Seydou est visiblement encore plus agacé que moi.
Se lever tôt et faire toute cette route pour arriver - presque exprès - si en retard juste « parce qu’il faut
manger » frôle la mauvaise foi suspecte.

1
Lettre de Kanaouenn, Saison 2, « Comme sur les ailes d’un papillon », Page 42.

Page 94
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°5 – Dans le Saloum pour VSF.
Janvier 2019

L’équipe en route pour Niodior.


Je vous passe les détails de la réunion qui se clôture plus tôt qu’il faudrait, mais Boubacar et Alimatou vont
continuer. En off, la conversation revient encore sur les
garçons. Ce sont eux qui, plus perméables aux « idées
nouvelles », mettent la pression sur les mamans et ainsi
déstabilisent la famille. Toute une société villageoise ainsi
bousculée sans ménagement. Ils arrêtent trop souvent
leurs études pour tenter leur chance dans l’espoir
d’argent présenté comme « facile » par certains canaux
d’information. Le soleil décline et il est temps de rentrer à
Diogane. Les ânes et les charrettes font de même sur la
passerelle qui mène à Dionewar.

Le Dimanche 20 janvier.
Ce matin, à Diogane, il y a des obsèques. Ibé me dit de venir. Dans la concession, un grand Tivoli est installé.
Les femmes sont autour. Il y a énormément de monde mais on nous fait une petite place à l’ombre de la toile.
C’était « un Vieux » comme on dit ici. Je suis avec Salif et Ibé, Moussa n’est pas loin. On est juste à côté du
chef du village de Diouré, cet homme si gentil est très affecté, c’est l’ami auprès duquel il était il y a quelques
jours. Le sont-ils vraiment ? Mais on dirait que tous les Imams du Saloum sont là, même celui de Foundioune.
La cérémonie est présidée par l’Imam de Diogane, le père de Salif. Il donne la parole aux uns et aux autres, en
sollicite parfois certains. Tous évoquent la vie du mort et/ou lui rendent hommage quitte à faire rire
légèrement parfois l’assistance. Tout est, bien évidemment, en Sérère. Ibé m’explique à voix basse ce qui ce
passe, me dit qui est qui et me résume sobrement les propos. A un moment, un âne rentre dans la cours. La
divagation des animaux n’est pas une gêne uniquement pour les cultures. La cérémonie se termine par une
distribution d’une pochette de petits gâteaux pour chacun, suivie d’un couscous pour tous. Avec Ibe, on
mange juste ce qu’il faut pour être polis et on file.
La pirogue villageoise qui ramène ceux de Siwo est pour le milieu de l’après-midi. Mes voisins me disent
d’aller tout à l’avant, à côté de l’ancre. On attend les traditionnels retardataires puis la pirogue remonte le
bolong à marée basse. On voit très bien les bancs qui émergent ou affleurent. Intéressant. Comme il n’y a pas
d’eau, la pirogue accoste un banc de sable vasard et tout le monde descend. On marche jusqu’à la rive. Arrivé
là, la majorité s’enfonce dans un semblant de chemin dans la mangrove. Quelques-uns longent la rive. Cette
dernière option me parait plus courte. Belle erreur ! Il faut traverser des rigoles où je m’enfonce dans la vase
parfois jusqu’aux genoux. Je suis trop chargé pour ce genre de situation. Je trébuche plusieurs fois. Pour
avancer dans ce genre de terrain, une seule solution, être pied nus. Les
chaussures font ventouse et il est impossible dans ce cas de relever les
pieds. Mon voisin de galère m’a pris un de mes sacs, puis me le rend
arrivés sur la terre ferme. Le chemin arrive aux premières maisons, un
homme du groupe me demande si je suis de l’armée (?), un autre, dont la
tête m’est familière mais que je ne connais pas particulièrement, me dit :
« Tu vas où ?», « A l’école.», « Voilà ma maison, la prochaine fois tu
viendras chez moi.». J’arrive à l’école dans un état plus que pitoyable.

Page 95
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°5 – Dans le Saloum pour VSF.
Janvier 2019

Ousmane me prépare une grande bassine d’eau. Je m’y rince puis me change. Je suis enfin présentable ! La
soirée peut commencer. Alassane est là, avec une grande quantité de matériel pour toute sa tournée.
L’installation électrique de la maison est vraiment à piteux état. J’aide Alassane à changer le régulateur et le
convertisseur, il modifie quelques branchements et il faut attendre pour voir si la batterie accepte de charger.
Je ne suis pas très optimiste mais il faut quand même tenter. En attendant, on échange nos impressions sur
les différents sites. La conversation tourne à un délire de fou rire. On s’échange une ombre de congélateur
contre un fil tiré vers la structure voisine qui fait suivre à la structure d’après… Etc. Et tout le reste. On
échange aussi nos cigarettes. Toutes ces installations électriques par terre. Cela fait du bien de défouler
toutes ces malversations, tout ce gâchis, cet agent en fumée et ces travaux à peine perdue. Cela ne change
hélas pas grand-chose mais au moins on s’est bien marré. Séance de catharsis salutaire devant les enseignants
un peu médusés d’en apprendre de si belles. Il y a encore un match de foot, que je suis de loin cette fois-ci.
Comme de coutume, la nuit termine le match. Le Coach est là lorsqu’on fait l’essai. De voir la lumière
s’allumer lui fait presque sortir les yeux des orbites ! Incroyable. La batterie est à plat mais on a quand même
le minimum : Un peu de lumière sur le circuit douze volts. Comme par magie, la lumière reforme le groupe et
on passe une soirée commune « comme avant ». Siwo est redevenu Siwo !
Le 21.
Il faut rentrer à Dakar. Déjà. La charrette villageoise est très matinale pour être à huit heures à l’embarcadère
de Falia. Le village est très calme ce matin et il n’y a pas moyen de trouver ni un café ni de quoi manger. Un
peu d’attente le temps que la pirogue soit chargée. La Jakarta demande un peu de main d’œuvre mais c’est
quand même bien plus simple et docile qu’un âne !

A Falia, toujours ces très jolies petites pirogues que les


femmes utilisent pour la pêche aux coquillages.
A Djifère, retour à la civilisation, avec son goudron, ses
voitures, le monde et les boutiques, qui font encore et
immédiatement regretter le calme des iles. Je tombe à pic
pour compléter le sept places et c’est parti sans transition.
Le changement est je ne sais plus où et c’est l’arrivée en
milieu d’après-midi dans les embouteillages de Dakar.
Voyage rapide.
Retour à la grande ville et passage au deuxième étage de la
civilisation où la campagne présidentielle continue. Le cher
président en place est toujours aussi actif.

Page 96
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°5 – Dans le Saloum pour VSF.
Janvier 2019

Les travaux du TER qui bloque toute la circulation rend la vie impossible pas uniquement aux chauffeurs de
taxi. Le CVD est normalement complet mais il y a toujours un arrangement possible et j’ai finalement une
petite place !

A Dakar, c’est l’occasion de faire quelques courses. Dans la capitale, on trouve de tout ! Je rate Sanoussi, il se
devait d’être chez lui, à Kolda, lors du passage de la caravane présidentiel. Je repasse à l’ITA pour Salif. Le
directeur de la formation me reçoit sans rendez-vous. Il a vécu plusieurs années en France et me dit être
rentré « pour ne pas perdre mes racines ». La conversation roule à propos du développement économique et
les relations Nord Sud, passionnante.

A droite, le très beau carrefour des civilisations, tout un programme.


Claudine ne va pas tarder, je passe à la gare maritime pour réserver deux places sur l’Anguene pour
Ziguinchor. Sur le côté de la vitre du comptoir, il y a cette petite affichette :

Je vous laisse à votre méditation ?


Vous pouvez aussi varier et décliner en remplaçant « Injustice » et « Oppresseur » par d’autres mots.
A Bientôt,
Bises aux Filles !
Bernard.

Page 97
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°6 – Casamance et Saloum.
Janvier-Février 2019
Dakar, le 25 Janvier.
Sans aucun doute, quand je vous dis « Dakar », immédiatement, vous vous dites : « mais ainsi donc, où en
sont les travaux de restauration de l’ancienne gare anciennement dite ‘Malienne’ ? ».
Sous une telle pression voici donc, toute affaire cessante, des nouvelles du chantier.

Le chantier touche à sa fin, les échafaudages sont démontés. Cette restauration à l’authentique en façade est
superbe. Derrière, côté rails, juste derrière les bâtiments d’origines qui donc restent en l’état, un bâtiment
neuf et fonctionnel prend le relai. Bamba et Dupont ont maintenant une bien belle voisine 1.

A force de chercher, on finit par trouver ! Voici une


librairie bien achalandée.
La photo de droite est de mauvaise qualité. Elle est prise à la volé du taxi : « Tout reste entre nous »,
« Planifier mes grossesses », « Construire ma famille », « Comment faire ? ». Un numéro vert. Tout est dit.
Le musée des Civilisations Noires est toujours fermé. L’ouverture est dite prochaine mais personne n’a la
moindre idée de quand. Tant pis, cela n’empêche pas d’aller demain à Gorée. Au Cercle de Voile de Dakar, on
échange les dernières nouvelles du front VSF avec l’équipe qui vient d’arriver par avion. On parle bien sûr
d’électricité avec Max et des autres choses aussi. La situation de la Case Des Tous Petit (CDTP) de Diogane est
préoccupante. Mick aura à creuser l’affaire. On devrait se recroiser à Diogane prochainement.
Le 26.
Je vous passe le Fort d’Estrée et son musée historique très intéressant, déjà évoqué dans une (ou deux)
lettre(s) précédente(s). A côté il y a la place de l’Europe et la plage des amoureux. Avec l’esplanade des droits
de l’homme, il y a décidément tout ce qu’il faut à Gorée !

1
Petits détails : Il est écrit maintenant sur le fronton : «Les chemins de fer du Sénégal » et « Gare de Dakar ».Avant
c’était juste « Régie des chemins de fer du Sénégal ». Certaines couleurs, au niveau de la pendule, n’ont pas été
respectées. C’était : « le jeu des 7 erreurs » !

Page 98
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°6 – Casamance et Saloum.
Janvier-Février 2019
On commence directement par l’église ?
Ben oui, il n’y a pas que des mosquées au Sénégal. Et
d’ailleurs, tous les témoignages concordent : Les
communautés religieuses cohabitent très bien. Le
pays de la Téranga est aussi celui de la tolérance.

Retourner à la maison des esclaves reste un incontournable.

Il y a beaucoup de monde cette fois-ci. Les beaux appartements du premier étage.

Et les cellules du rez-de-chaussée.


Au fil des ans, le discours change. On est passé de la dénonciation à la réconciliation. C’est effectivement une
bonne chose car le passé est le passé. Mais il ne faudrait pas non plus en occulter les responsabilités et les
causes, c’est-à-dire une certaine réflexion historique. Pour l’anecdote, il se dit par-ci par-là que la maison en
question n’aurait jamais été une « esclavagerie ». Mais peu importe au fond, car l’essentiel est qu’il y ait un
lieu de mémoire fort, et celui-là est parfait.

Page 99
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°6 – Casamance et Saloum.
Janvier-Février 2019

La maison des esclaves, du temps où elle n’était


qu’une paisible maison d’habitation.
Ces bâtiments en attente de restauration sont fantastiques. On peut s’y promener en toute liberté. Quand ils
seront restaurés, il est fort à parier qu’ils deviendront fermés. Il faut en profiter.

Gorée, c’est aussi cela.


Voici le Musée de la Mer … On ne se refait pas ! Le contenu est loin d’être exclusivement maritime.

L’histoire du Sénégal n’est pas un fleuve tranquille !

Donc, en gros, une petite boite de thon correspond à


10 Kilos de zooplancton … Impressionnant.
Célèbre pâté de la soit-disante invincible armée
coloniale.

Et celle de Aline Sitoé Diata.


D’autres sources, qui font référence, parlent de mort
Evocation de la fin de El Adj Omar dont parle souvent
par épuisement dans un camp de déportation au
Hampaté Bâ dans ses mémoires.
Nord du Mali. Ce qui est le plus probable.

Page 100
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°6 – Casamance et Saloum.
Janvier-Février 2019

Une des pierres lyre.


Evocation des pierres levées du Rip qui sont au
programme.

Evocation, là aussi, de la période de l’esclavage.


Les fabricants de boites de sardines n’ont rien inventé… Sauf que c’était des gens.

Le lendemain, je veux quand même aller faire un tour du


côté du marché Sandaga. A deux cents mètres, on se fait
déjà alpagué par un rabatteur. « Vient voir ma boutique »,
« Merci, je suis juste en balade et je n’ai rien à acheter »,
« Comment, tu veux aller chez les libanais, tu es raciste ».
Et il commence à parler fort sur ce thème. La ficelle de la
manipulation est grossière. On s’en va. Je ne voulais plus
aller ici car il est devenu impossible d’y être tranquille.
Cette fois c’est la dernière fois que je mets les pieds dans
le quartier. Il y a bien d’autres marchés aussi intéressants
et tellement plus tranquille.
La cathédrale, puis l’alliance française sont bien plus
calme !

Page 101
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°6 – Casamance et Saloum.
Janvier-Février 2019

Du côté de Hann Pêcheurs. Du côté du Parc Zoologique.


Bel échantillon de requins et de raies.

Le charme discret de l’autruche de service. Le vaisseau du désert est au garage.


Le Lundi 28.
Ce n’est pas le tout mais on a embarqué sur l’Anguene hier en fin de journée. Le bateau est plus petit que
l’Aline, et du coup bien plus agréable. Les passagers sont répartis en plusieurs cabines et comme le bateau
n’est pas plein, on peut s’allonger sur les banquettes, et aussi un peu par terre. Au soir, le marin que je suis, et
qui ne pers quand même pas le Nord comme cela, trouve que les prieurs du soir sont – toutes vérifications
faites - carrément tournés à l’envers. Inutile de les interrompre pour cela, et pourquoi risquer une polémique
inutile ? Et Allah doit juste sourire un peu s’il les voit !

Un lever de soleil en mer, cela faisait bien longtemps. Arrivée à Ziguinchor et le familier Perroquet.
Petit déjeuner pris, on file sur Enampore.

Page 102
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°6 – Casamance et Saloum.
Janvier-Février 2019

La belle case à impluvium n’est quasiment plus habitée. Il ne reste plus que deux ou trois anciens. Des filles
du collège passent faire à manger pour eux. Que va-t-elle devenir ? Qui va l’entretenir ? C’est pourtant
probablement la plus ancienne, la plus grande, et la plus authentique de toute la région.

Une des portes d’entrée. Le puits central, puits à lumière aussi.

Accès direct à un jardin de case mitoyen. Une des habitations intérieure et jonction avec la
toiture.

Page 103
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°6 – Casamance et Saloum.
Janvier-Février 2019

Le patio. Grenier à riz.

Une habitation. Bancs en bois massifs.


Au garage, la seule occasion est un fourgon Mercedes, un peu étonnant mais bon, il faut bien faire avec. Je
n’ai rien contre la célèbre marque Allemande mais, un vingt et un places, c’est bien plus long à remplir. Et il
fait vraiment chaud. Par contre il y a du monde et donc toujours quelqu’un avec qui discuter. On en apprend
toujours quelque chose. On s’arrête à Oussouye, le grand carrefour de la basse Casamance.

Champs de riz, récoltés. A l’ombre d’un fromager.

Page 104
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°6 – Casamance et Saloum.
Janvier-Février 2019

Le 29 Janvier.
Le sept places matinal, après une longue et mystérieuse pause à l’entrée du village, nous dépose au centre de
M’Lomp, capitale des cases à étages et des fromagers ! On tombe par hasard, ou plutôt par chance sur Julio1,
qui est le guide « officiel » du lieu. Grace à lui on va pouvoir visiter l’intérieur de la case à étage qui est au
bord de la route. Mais avant, en attendant qu’on puisse entrer (les gens y vivent tout de même !), on va au
petit musée qui est juste après l’immense fromager.

La place, le fromager et le petit musée derrière. L’intérieur du musée.

La fameuse case à étage. A l’intérieur, admirez la construction.

1
Pub : 77 250 32 22 !

Page 105
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°6 – Casamance et Saloum.
Janvier-Février 2019

Une autre case à étage. Exactement du même plan


que la première. Il y en a sept dans le village, les
La face arrière. autres sont plus petites.

Promenade dans le village : l’ancien et le nouveau.


Vous avez besoin d’une porte pour votre maison ? Une tranche de fromager fera l’affaire. Et l’arbre
reconstruira la partie manquante. Pratique non ?

Pour construire une maison, la terre étant argileuse, vous pouvez la prendre directement pour faire les
briques et monter les murs. Pas de matériaux à faire venir, à payer, etc. Quel beau pays.

Page 106
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°6 – Casamance et Saloum.
Janvier-Février 2019

Bye Bye M’Lomp !

Sur la route … Qui ramène au fleuve.

Mise à l’eau d’une grosse pirogue de pêche.

Camion, chargé à block de poissons séchés, en

Page 107
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°6 – Casamance et Saloum.
Janvier-Février 2019
Les célèbres sechoirs de Elinkine, immenses. partance pour le Ghana.
Au campement villageois d’Elinkine :

Dédicace
spéciale Salif :

La chasse
a été excellente,
merci !

La nuit, il fait encore chaud dans la case. Je vais dormir dehors sur un des transats en bois. Les hyènes hurlent
sur deux côtés, des fois j’ai l’impression qu’elles ne sont pas si loin que cela. Mais le vent frais de la nuit est si
doux, le ciel, le fleuve juste à côté, les odeurs, … la Casamance.
30 janvier.
Si vous voulez faire des emplettes tranquillement au Sénégal, je l’ai déjà dit, profitez d’un passage à
Ziguinchor. Le choix est largement suffisant, le marchandage est plus facile et l’accueil paisible est au rendez-
vous. Entre le marché de frais près du quai, le marché artisanal et le marché Saint Maur, il y a tout ce qu’il faut
à Ziguinchor. Pendant que j’y suis, celui de Kaolak vaut aussi le détour.

Les Martin ? Une grande famille sans frontières ! Tissage traditionnel.

Page 108
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°6 – Casamance et Saloum.
Janvier-Février 2019

Encore cette impressionnante précision et finesse de


travail avec si peu d’outils. En passant par l’alliance Française.
Jeudi 31 Janvier.
On part très tôt de l’hôtel si tranquille et si sympa où j’ai mes habitudes maintenant. C’est bien qu’un jour le
Perroquet ait été complet. Bien qu’on n’aille pas jusqu’au bout, le plus simple est de prendre deux billets pour
Kaolack. Il fait encore nuit au garage. Je fais l’erreur de ne pas donner clairement le montant à l’affréteur. Le
joyeux drille, avec une rapidité et une dextérité parfaite fait glisser deux billets du fond du paquet dans son
autre main et me fait remarquer qu’il manque de l’argent… Je le regarde droit dans les yeux. Il a compris. Je
lui dis qu’un coup comme cela, on me le refera plus. Son silence est un aveu, mais l’erreur est faite, il ne me
reste qu’à payer. Un voisin a pigé le coup : la nuit, tous les chats sont gris ! Au passage de la Gambie, Claudine
paye les deux fois cinq milles pour son premier transit. Etant déjà
tamponné, j’ai le privilège de ne me faire racketter que de mille francs. Les
Douaniers Gambiens sont un peu nerveux. On a droit à une fouille
complète de nos bagages. Le chauffeur de taxi s’énerve. Ce n’est pas bon.
Deux autres passagers essayent de le raisonner. Il faut effectivement
calmer le jeu avant que les douaniers s’énervent vraiment eux aussi. La
façon dont ils fouillent les bagages montre qu’ils cherchent de la drogue. Il
faut rester calme et diplomate bien qu’ils soient franchement
désagréables. On cherche surtout à passer le plus vite possible, la journée
est chargée. Finalement, ils auraient pu être bien plus tatillons, comme parfois. La voiture est rechargée et on
repart. Le bac, c’est fini ! Cela fait drôle de passer ainsi directement par le pont tout neuf, sans attente ! La
rentrée au Sénégal, avec enregistrement des données biométriques prend, cette fois-ci aussi pas mal de
temps, mais pas trop quand même. Et on se fait déposer à Nioro du Rip. C’est un village au bord de la route,
une station-service comme repère, une mission catholique un peu plus loin, bref, pas un centre du monde. On
négocie assez rapidement et assez facilement deux Jakartas. Les jeunes chargent nos bagages et c’est parti sur
la piste. Jusqu’à Darou Salam c’est assez large et lisse, ensuite la piste devient étroite, assez rocailleuse avec
des passages de sable. Les deux jeunes, en fait, ne savent pas très bien où c’est et demandent fréquemment
le chemin. Encore une fois, ils roulent assez vite malgré mes rappels fréquents. Et, comme de bien entendu,
on finit par arriver quand même !
Le site est désert. Tout est clôturé mais les murs ne sont pas hauts. Une seule solution : passer par-dessus.

Page 109
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°6 – Casamance et Saloum.
Janvier-Février 2019

Le site est immense. On circule entre toutes ces pierres dans un silence à peine perturbé par le vent dans les
grandes herbes. Impressionnant mystère de nos ancêtres. Bernard Cissé a mis un post explicatif très
intéressant sur mon Facebook. Je n’arrive pas à vous donner le lien direct mais vous le trouverez au 30 Mars
(19 !). Ce site est au Nord de tout un ensemble qui va jusqu’en Gambie.

Les jeunes découvrent en même temps que nous. Il n’y a absolument rien sur le site. Pas une explication,
aucune mise en valeur. Les spécialistes sont pourtant tous d’accord pour dire qu’il est bien plus important que
le surmédiatisé Stonehenge. Quel gâchis. Cela finira bien par venir un jour.
On fait une pause à côté des Jakartas et sous la semi ombre d’un arbuste, la chaleur commence à monter. Un
gros 4x4 arrive, aux couleurs de TFM, la chaîne de télévision de Youssou Ndour. Un cameraman, un
journaliste, le chauffeur et la belle femme de service. Du coup, un gardien arrive, qui ouvre le portail et la
porte de la petite maison d’entrée. L’exposition est modeste.

On discute avec le gardien qui se désole, lui aussi, du manque de mise en valeur de ce site exceptionnel. Il dit
qu’il faudrait au moins un fléchage efficace ; et ici, un campement pour que les visiteurs puissent s’arrêter

Page 110
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°6 – Casamance et Saloum.
Janvier-Février 2019
pour la nuit ou pour juste une simple pause. Il ne perd pas le Nord en nous faisant payer l’entrée. On n’est
pourtant pas entré sous ses yeux dans le site, mais il ne doit pas être dupe ! On repart donc. La chaleur est
bien là. La fatigue monte insidieusement, pour nous les passagers, mais aussi et surtout pour les conducteurs.
Cela se voit de plus en plus. La conduite nécessite de la concentration et de l’adresse. Il faut faire quelque
chose car cela commence à devenir dur pour tout le monde. A l’approche d’un village qui est peut-être Touba
Saloum ou Daga Sekko, je prétexte le besoin d’acheter de l’eau fraiche, ce que je n’achète jamais. Les deux
jeunes trouvent une boutique et la pause est la bienvenue pour tous. Les deux conducteurs descendent leur
poche d’eau à vitesse grand V ! Ils avaient vraiment soif. Reposés, la fin de la route redevient sympa. Ils nous
redéposent au garage. Au départ, j’avais trouvé le prix de la course pas trop excessif. Au regard de tout ce
qu’ils ont fait, c’était en fait très correct.
Le sept place est vide mais on n’attend pas trop et on arrive vite à Kaolak, la grande ville carrefour. Le garage
est noir de monde, comme d’habitude. On se faufile entre les voitures garées parfois à touche-touche et on
décide d’aller à pied à la Maison des Œuvres. Ce n’est pas si loin que cela et cela fait traverser le cœur de ville
et passer le long de ce qui est, selon certains dires, le plus grand marché du Sénégal. L’ambiance est en
général garantie. D’habitude, on arrive quand même à se faufiler dans la foule, mais là, c’est pire que tout.
D’autant plus que certaines voiture ont eu la « bonne » idée de se garer là. L’embouteillage est monstrueux et
il est difficile d’avancer, même à pied ! Il est vrai que nos bagages ne facilitent pas. Je m’arrête pour acheter et
gouter à la fameuse et si traditionnelle noix de cola. Je suis peut-être mal tombé, mais c’est positivement
infect. Il faudra en parler à des connaisseurs à l’occasion. On va déposer nos bardas à la Maison des œuvres
en se demandant si on restait ou pas une journée ici. Les voix du seigneur ont décidé pour nous : demain,
c’est complet. On s’installe donc rapidement et on file nous
balader près de ce marché si fantastique. Les hasards du
calendrier font que la foire de Kaolak est hélas déjà finie.
Cela devait être assez spectaculaire. Il n’y reste que les
affiches. En parlant d’émergence. Cela ourdissait de façon
récurrente dans les journaux depuis pas mal de temps. Le
président avait pourtant promis que le dossier de
l’exploitation du pétrole ce ferait dans la plus totale transparence. La société civile réclamaient plus
d’informations depuis bien longtemps. Ca y est, la vérité, dans le pays de l’émergence, ne peut que finir par
émerger elle aussi. C’est le nom du frère du Président qui émerge, avec la main dans le sac, passez-moi
l’expression … jusqu’au cou. Maintenant que les contrats sont signés, il ne reste plus qu’à espérer que
l’exploitation restera tout de même propre, car le Saloum est un biotope et une économie vraiment très
fragiles.
Pour le moment, on a plutôt un problème d’estomac : Tous les petits restos de quartier sont fermés alors qu’il
fait à peine nuit. Heureusement il y a des vendeuses de beignets ou de trucs comme cela.
1er Février.
Attaquer le Saloum par la face Nord à l’avantage d’avoir des pirogues tous les jours. C’est bien pratique côté
emploi du temps. Le sept places se rempli vite : il va à Dakar. On change à machin-chouette (NDiosmone ?) où
après quelques recherches on trouve un Espace. Cela change des vénérables 505, d’autant plus que le
véhicule est plutôt confortable. En passant dans la rue principale de Ndangane-Campement, je pense bien
évidement à Laïty. Fait-il parti des meneurs ou s’est-il
fait entrainé comme je le suppose fortement ? Le crime
était-il prémédité ou est-ce plutôt une « correction » ou
plus prosaïquement et plus probablement un vol -
commandité par qui savait qu’il aurait à ce moment-là
beaucoup d’argent sur lui ? - qui a mal tourné. Un
accident ? Toujours est-il que Laïty en a pour longtemps
à pourrir en prison. Et d’après ce qu’on m’a décrit, les
prisons Sénégalaises ne sont pas très plaisantes. La vie
d’un jeune, intelligent, compétant et entreprenant qui a
de fortes chances d’être gâchée à jamais.
A l’embarcadère, on comprend vite que l’attente sera

Page 111
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°6 – Casamance et Saloum.
Janvier-Février 2019
longue. Ma cantine est toujours là : cafés, sandwichs. Le tenancier ne parle pas un mot de français mais on y
arrive quand même ! Le préau d’à côté, au bord de l’eau, est toujours aussi sympa. Savoir attendre, une des
clés de l’adaptation locale. Ce rapport au temps, est une des différences majeures entre nos deux cultures. Ici,
il n’est pas de l’argent, il est autre chose. Il passe donc. Il se passe toujours quelque chose, il y a toujours
quelque chose à regarder, quelque chose qui alimente la
réflexion. Suivant certains conseils, on finit par quitter
l’embarcadère pour aller un peu en amont, de là où
partira la pirogue. Le piroguier habite (ou est logé) juste
au-dessus et nous a repéré. Il nous a même proposé de
manger avec lui. Boa Vista, le voilier de La Rochelle est
bien là, mais, visiblement, il n’y a personne à bord. La
musique des jeunes voisins est un peu lancinante,
comme la chaleur et l’air qui en vibre. Deux-trois
personnes finissent par passer de temps en temps à la
pirogue. Puis, le chargement commence et d’un seul
coup, encore une fois, on nous dit qu’il faut embarquer.
Et la pirogue va à l’embarcadère : retour à la case
départ ! Les passagers et tous leurs bagages sont rapidement embarqués. Dans les passagers il y a deux
touristes bobos qui sont très occupées à bien faire remarquer à tous qu’elles « Connaissent ici ». Il y a aussi,
Jacques, un routard expérimenté (et bien plus discret). Il est resté longtemps du côté du pays Bedik. On en
discute. La conversation roule sur le voyage en général et le Sénégal en particulier. Il connait un campement
sympa. N’ayant qu’une vague idée d’où aller, on y va aussi.

Bien sûr, l’église. Pourquoi est-elle si célèbre ? Il y en a pourtant bien d’autres dans la région.
La place avec ses trois arbres symboliques, dont le mort. Le marché. On va plus à l’extérieur. Un puits. Des
jeunes puisent de l’eau. Je regarde à l’intérieur du puits, ce qui est devenu presque un réflexe. Les deux
mamans, dans une concession non loin nous appellent. On avance et nous voilà invités à prendre le thé, c’est-
à-dire aussi, et surtout, à passer un moment ensemble et à discuter. Les deux sœurs font leurs lessives
ensemble ici, chez l’une des deux, car le puits n’est pas loin. Heureusement pour les collégiens qui, pendant
leur pose, font la noria entre le puits et les grandes bassines. Les tas de linge sont colossaux. Les deux filles, et
surtout une, sont d’une maigreur saisissante. Les mamans parlent de leurs vies, de la gestion de la maison et
bien sûr des enfants.

Page 112
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°6 – Casamance et Saloum.
Janvier-Février 2019

Sur la place centrale, des mamans vendent des confitures et des sirops. Bien sûr, la conversation s’engage, et
nous voilà invités demain matin à neuf heures, à l’unité de production.

Greniers (reconstitution). Le soir, à l’embarcadère de Mar Lodj.


Juste pour le plaisir des yeux :

2 Février.
On est bien avant l’heure devant le centre de production car (et on l’avait dit hier) la pirogue pour repartir est
ensuite à dix heures. Juste à côté, flotte un immense drapeau Breton ! Je m’approche pour prendre la photo.
Je suis appelé de la maison. Je m’approche et nous voilà invité à entrer. On se faufile entre les deux bergers
allemand, puis le maitre de lieu, à la tête du plus pur breton traditionnel (celle qui est sur les cartes postales !)
nous invite à boire … Un whisky. De bon matin, ainsi donc !

Page 113
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°6 – Casamance et Saloum.
Janvier-Février 2019

Merci Amigo ! Mais il est quand même un peu tôt. L’invitation est maintenue pour une prochaine fois. On
retourne devant le centre de production. Toujours personne. Au bout d’un moment, il devient déraisonnable
d’attendre plus si on ne veut pas rater la pirogue pour N’Dandane, car l’objectif est d’aller à Mundé. A
N’Dangane, la pirogue pour Mundé ne sera en fait que dans l’après-midi. On n’aura certainement pas le
temps d’aller ensuite, comme prévu à Diogane. Les charrettes ne circulant jamais la nuit et la marée ne sera
plus bonne. J’appelle le Directeur de l’école de Mundé pour savoir s’il y a une possibilité d’y passer la nuit. Il
n’est pas sur place mais me donne le numéro de téléphone de son adjoint. Ce dernier me dit tout simplement
« Oui, on vous attend ». En fait, la pirogue s’arrêtera à Mar Lodj pour y déposer du matériel au passage ! Si on
avait su …

On arrive tard à Mundé. Des commerçants nous soufflent la charrette qui devait nous prendre. Mais
qu’importe le beau cheval, un brave bourricot nous emmène très bien jusqu’au village ! Dans une ruelle, on
double Fatou. J’ai le temps de lui demander s’il n’est plus possible d’aller à Diogane, sans aucune hésitation
elle me dit qu’il est trop tard. Ensuite, c’est tout juste si je peux lui demander si on peut passer la voir demain
matin. Demain Dimanche, ne travaillant pas, ce sera chez elle. Le charretier connait très bien le logement des
enseignants et nous y voilà. L’accueil y est d’une simplicité et d’un naturel confondant. Dans toute l’équipe, il
y a deux jeunes fraichement arrivés. Le témoignage de leur découverte des îles, eux les citadins, est très
intéressant. Celle qui est la nouvelle adjointe de Fatou me demande ce qu’est VSF. C’est la première fois
qu’on vient ici et la qualité de l’accueil et de la rencontre est vraiment magique. L’adjoint (qu’il me pardonne,
je ne retrouve pas son nom, mais que le Ciel le bénisse) nous cède son logement pour dormir dans la salle
commune qui n’a pas l’air bien utilisée. Je lui dis qu’on peut parfaitement y dormir et qu’on y sera bien. Peine
perdu, on ne peut rien faire contre la Teranga. Thé, gouté, conversation. Le soir, ils vont manger dans la cour
d’à côté. Bien sûr, nous sommes invités. Mais on décline, la fatigue ; et aussi, vraiment, on est sidéré par
l’accueil et jusqu’où ne pas aller trop loin ? Je remercie très sincèrement notre hôte de nous avoir hébergés
comme cela, à la volée. Et là, comme pour s’excuser, il m’explique que, de toute façon, il était obligé. Vous
savez, la Teranga, ma réputation, etc… Bref, il n’y est vraiment pour rien. La classe.
3 Février.
On passe, comme convenu, voir Fatou Sarr. Je voudrais discuter de deux-trois choses avec
elle car elle est pour moi quelqu’un d’éclairée, lucide et au parlé direct. A propos de la CDTP

Page 114
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°6 – Casamance et Saloum.
Janvier-Février 2019
de Diogane (c’est elle qui a formé Seynabou), elle m’étonne en allant dans le même sens que Seynabou.
J’évoque vraiment à très demi-mots - il vaut mieux être le plus diplomate possible pour que la conversation
avance au mieux- ce que je ressens de la situation globale qui entoure le problème là-bas. Elle comprend au
quart de tour et me dit, d’un ton étonnement affirmé, qu’à Djirda, c’est pareil. Sans m’en dire plus. Je laisse
rouler la conversation, mais mes deux tentatives de revenir sur le sujet seront vains. Ensuite, elle nous
emmène voir Monsieur Ndong, l’apiculteur, qui est là cette fois-ci. L’entrevue est assez surréaliste. Nous
sommes assis en ligne, sur des chaises, contre un des murs de la pièce. Dans l’ordre, Mr Ndong, moi, Claudine
et Fatou. Monsieur Ndong parle à voix basse. C’est la deuxième fois qu’on se rencontre, c’était il y a trois ans.
Je dois tendre l’oreille pour comprendre. Plus je tends l’oreille et plus il baisse sa voix. Claudine me dira plus
tard qu’elle n’entendait quasiment rien. Il est difficile de ne pas en conclure que Monsieur Ndong ne voulait
pas que Fatou entende ce qui se disait. La conversation est d’ailleurs un peu lourde, je dois sans arrêt la
relancer bien que mon interlocuteur répond volontiers, même si ce qu’il m’explique est parfois un peu
étrange. Fatou, visiblement mécontente, quitte la pièce au bout d’un moment. Pourquoi va-t-il mettre
certaines de ses ruches si loin et dépenser tant de carburant pour les visiter ? Ce ne sont pourtant pas les
emplacements proches qui manquent. Quels sont ces problèmes de sécurité qu’il évoque sans vouloir les
expliciter ? Au final, il me montre son installation électrique individuelle qui est simple et très bien adaptée,
techniquement et financièrement parlant.
La marée est bien basse, on peut donc sans problème prendre la charrette pour Diogane. Cette fois, le cheval
est vraiment un bon, le cocher aussi d’ailleurs. Ceci expliquerait peut-être cela. Et réciproquement ? A
l’arrivée, je parle à Salif du caractériel de l’autre fois. Il connaissait bien la bête car il sourit en me disant :
« Oui, moi aussi je me suis demandé si vous arriveriez ! ». Yobalema est là, lui aussi, avec toute l’équipe qu’il
transporte et héberge. Ils sont tous actuellement à bord. On passe la soirée en grande conversation avec Salif,
puis avec Bernard, autour du feu qui doit fumer un peu pour éloigner les moustiques et les moutmouts
(équivalent des nonos).
Le lendemain. A la nuit, je vais au fournil pour avoir, tout simplement, du pain. C’est à cette heure-ci qu’on en
trouve. Je dépose mon butin au Foyer, puis vais à la boutique pour acheter de quoi petit-déjeuner. Elle n’est
pas ouverte. On attend. Le groupe de mamans à attendre grossi progressivement. Il y a deux guichets de
vente dans cette boutique. A l’ouverture, immédiatement, sans que je fasse quoi que ce soit, deux queues se
forment, une devant chaque guichet. Une d’homme, c’est-à-dire ma pomme et toutes les femmes sont à
l’autre. La règle de la majorité fonctionnant (et peut-être aussi celle des relations locales !), le boutiquier sert
toutes les femmes. Intéressant. Je suis très étonné des achats et surtout des montants dépensés. Les types
d’achats illustrent ce que disait Bernard, mais les montants sont en totale contradiction avec les difficultés
économiques évoquées hier soir. Ce ne sont peut-être pas les mêmes mamans ? Ou bien elles ne sont pas
représentatives ? Est-ce temporaire car nous sommes en tout début de la saison des coquillages qui bat son
plein et les pêcheurs sont là ? Le sujet mériterait bien d’être creuser. Ces interrogations ne m’empêchent tout
de même pas de rentrer au foyer, et de constater que le pain s’est envolé. Quiproquo qui me fait retourner au
fournil ! Là, il y a un très gros attroupement de femmes qui attendent. Tout le pain est vendu et la prochaine
fournée cuit. Les femmes, progressivement, me font entrer. On attend que la cuisson se termine. La fournée
est largement insuffisante pour tout le monde. Visiblement, certaines avaient réservé. Elles sont servies en
première. Puis plusieurs femmes me poussent à être servi. Je leur dit que je suis arrivé après mais rien n’y fait
et le boulanger me sert sous l’injonction de certaines. Je remercie et retourne au foyer avec mon butin. J’en
parle. On me dit que c’est normal. Etant le seul homme, je devais donc passer en premier. Si cela avait été
l’inverse cela aurait été pareil, la femme serait passée la première. Ah bon … L’eau bout vite sur le réchaud et
le petit déjeuner est lumineux, presque éblouissant sous le soleil qui monte et irradie déjà.
Tout l’équipage de Yobalema débarque. Petit point de la situation et on se re échange les informations et les
impressions. On mange ensemble, puis, la chaleur passée, avec Claudine, on part à YangYang, à pied, pour
prendre notre temps, profiter de la savane et « être là ». L’objectif est d’évaluer le besoin éventuel en filtre.
Moussa se propose de nous accompagner, sympa : En route donc !

Page 115
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°6 – Casamance et Saloum.
Janvier-Février 2019

Sur la route de YangYang. A gauche, l’enclos


communautaire, comme à l’abandon. A droite, un
Yobalema, et une grosse pirogue de pêche. enclos privé, bien entretenu.

Moussa.
Superbe balade dans la savane. A un moment, un chacal fuit devant nous. YangYang, n’est pas vraiment un
village, plutôt un campement temporaire en dur. Il est pour l’instant totalement inutilisé, et visiblement,
depuis pas mal de temps. Le puits, un peu à l’écart, est tout beau et l’eau y est belle et fraiche.
On rentre en passant par un bras de bolong et l’énorme amas coquiller, une véritable colline.

Au bord du petit bras de mer. Comment récupérer un récupérateur d’eau abimé !


En rentrant, en passant devant la concession ou vit la famille de Ibé, on y voit Philippe. On s’approche. Ils sont
en grande conversation d’intendance. Ibé avait prévu un grand plat d’huitres pour tout le monde, mais sur
Yobalema, le repas est déjà lancé. Philippe est un peu agacé de cette organisation « sur le fil ». Ibé à l’air fort
déçu. Il y a de quoi, car le soir, on a droit à un immense plat d’huitres cuites en sauce totalement fantastique.
Il a dû nécessiter un travail énorme en préparation, sans parler du prix qu’il représente. On se le partage avec
tous ceux qui sont là. Les absents ne savent pas ce qu’ils ratent !
4 Février.
Il nous faut partir. Nous devons rentrer prochainement, tout en repassant par Siwo. Les distances ne sont pas
si importantes mais vous vous en doutez bien maintenant, ici, pas de TGV, pas d’autoroutes, etc … !

Page 116
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°6 – Casamance et Saloum.
Janvier-Février 2019
A Diogane, le soleil se couche derrière le village, derrière la colline et le collège. On n’a donc pas droit aux
couchés. Ce sont donc, encore, que des levés.

Je ne savais pas laquelle choisir. Vous avez donc les deux. Tout bonus non ?
Cette fois-ci, c’est le vrai départ. Il y a un peu d’émotion dans l’air. La charrette et le cheval attendent le temps
des aux revoir, puis la piste familière défile aux sons du trot du cheval et de la conduite du cocher.

L’énorme baobab de Siwo.


A Siwo, Ousmane n’est pas là. L’objectif est juste de déposer quelques
courses et de caler deux trois détails. On passe une soirée tranquille avec
ceux qui sont là. La charrette villageoise part le lendemain, à l’heure pour
attraper la pirogue courrier de Maya-Djifère. A Djifère, alors qu’on cherchait
un établissement pour le petit déjeuner, on tombe sur Max et Ibé qui ont,
apparemment, l’estomac aussi vide que nous. Petit déjeuner en commun
donc. Café au lait et sandwich à l’omelette pour eux. Je reste sur mes
tartines mayo-oignon. On ne change pas un menu qui gagne ! Sept places,
changement à Mbour, et arrivée à Dakar. Les embouteillages sont toujours La grande mosquée de Mbour,
aussi monstrueux. Le chauffeur se faufile dans des quartiers parallèles entre Qui mériterait bien une visite.
la nationale et la côte, ce qui nous fait gagné pas mal de temps. Au CVD, on retrouve Nango, avec lequel le
rituel du café matinal se ré-installe immédiatement.
6 Février.
Le Musée de l’IFAN est en travaux, mais il y a une très belle exposition photographique moderne sur les fêtes

Page 117
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°6 – Casamance et Saloum.
Janvier-Février 2019
traditionnelles.

Le musée des Civilisations Noires étant toujours au même point, on se rabat sur le Musée des Forces Armées
Sénégalaise. Les militaires ne sont pourtant pas mon centre d’intérêt principal, loin de là. Le musée est
normalement fermé, mais, devant notre dépit, un jeune gradé très courtois nous fait finalement une visite
guidée très documentée. Il connait très bien son sujet. A travers son armée comme fils conducteur, on suit
toute l’histoire moderne du pays.

Léopold, homme de lettre et poète, savait être martial à ses heures.


Sans transition on file retrouver Alassane qui est dans le quartier et on fait un débriefing dans une espèce de
cafétéria à l’occidental, très Dakaroise.
Le lendemain, c’est le dernier jour. On fait les dernières courses dans un parfum d’une page qui va se tourner.
Bien sûr brutalement, avion oblige. On voulait aller jusqu’au musée Leopold Sedar Senghor, mais on a la
flemme d’aller si loin. On passe à la poste pour les traditionnelles cartes postales. Au guichet, le postier nous
donne de grands et beaux calendriers cartonnés. On n’a pas la monnaie, lui non plus. Du coup on paye que
partiellement les timbres. Et comme pour nous remercier de notre visite, il nous redonne d’autres timbres !

Page 118
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°6 – Casamance et Saloum.
Janvier-Février 2019
Comment fait-il sa caisse en fin de journée !?!

Il n’y a aucun doute possible, le 77 705 31 31, c’est le numéro à retenir. A mon avis, au regard de la
multiplicité de leurs compétences, quoi que vous ayez, tentez le coup, vous ne risquez pas grand-chose... A
part peut-être une plus ou moins jolie somme d’argent !

Une des très rares affiches, autres que celles de


l’omniprésent président, du seul réel concurrent. Les
autres sont en prison. Et depuis que Seck fait un
Quand le train de marchandise croise la nationale
score notable, comme par hasard, il commence à
sur-embouteillée : le camion fini quand même par
avoir des soucis avec la justice. Inquièterait-il tant
réussir à reculer et libérer le passage.
que cela Macky ?
On traine du côté de la grande mosquée, mais la confrérie qui la gère a décidé qu’elle ne serait pas visitable.
C’est bien dommage. Une maison de Dieu, quelle que soit la religion, est pourtant, dans le principe, un lieu
d’accueil. Il s’en devrait d’être ouvert.

Juste à côté de la
Grande Mosquée :

Infos pour ceux que


cela intéresse.

Vendredi 8 Février.
Nango nous dépose à l’aéroport de très bonne heure. Au revoir à la Sénégalaise : ce sera le dernier. Procédure
d’embarquement classique et on s’installe dans la salle d’attente. On est déjà en Europe. L’environnement et
l’ambiance sont déjà là. Même la pub.

Page 119
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°6 – Casamance et Saloum.
Janvier-Février 2019

Quel est le pourcentage de ces plastiques, qui sont une véritable catastrophe, provient justement de Kirène ?
En tout cas très largement plus de cinquante pour cent. Une infection dans tout le pays. Cette solution pour
avoir « la pureté d’une eau naturelle » est hors de portée financière de la population villageoise représentée
sur cette « belle » affiche. La solution ne passe pas nécessairement, non plus, par l’engraissement de cette
brillante entreprise, à moins que la « bénédiction » soit justement cela. Quand à l’affiche de droite, désolé,
mais je n’ai pas vu le moindre véhicule de Candia collecter du lait où que ce soit. Je crains que le pourcentage
de lait Candia diffusé au Sénégal provenant d’un des braves Peuls représenté en référence par cette deuxième
affiche soit bien mince. Les mensonges publicitaires deviennent de plus en plus intolérables. Avant
d’embarquer, je passe les derniers SMS avec ma puce locale. Quelques morceaux d’accordéon en réveillent
quelques-uns dans cet univers glacial de hall d’attente et de voyageurs « sérieux », puis c’est l’embarquement
et le décollage.

La côte Mauritanienne vue d’en haut. La malbouffe et le plastique dans tous ses états !
En quelques heures, nous revoilà en occident. Le choc est indescriptible. J’ai beau revenir « chez moi » et
avoir grandi et vécu ici, certaines « évidences locales » deviennent incompréhensibles. Au fil du temps, au fil
des étapes en bateau où l’eau, le gaz, l’électricité, le frais et la cambuse sont limités et sont à gérer avec
parcimonie où - comme disait Moitessier - les règles sont simples et/mais strictes ; au fil de cette
imprégnation dans une société du parfois tout juste nécessaire, pourtant à quelques heures seulement de
nous - avec ces avions qui téléportent plus qu’ils ne transportent-, les repères changent.

Page 120
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°6 – Casamance et Saloum.
Janvier-Février 2019

Juste une simple illustration par cette photo d’un marché de banlieue. Historiquement le lieu était populaire,
mais maintenant il est bien plus élitiste au regard de la qualité ostentatoirement présentée et des prix
pratiqués. La liste de la placide insouciance dans notre monde aux défis si immenses serait trop longue.
Je préfère vous laisser discrètement.
En vous souhaitant de cheminer sur les voies les plus heureuses possibles, pour le moins, évidement.
Et sans oublier, comme toujours : Bises aux Filles !!!
A Bientôt,
Bernard.

Page 121
Partie Deux

Kanaouenn Changede peau


Kanaouenn Saison 3, Lettre n°7 – Une Page se tourne.
Février - Juin 2019
Kananouenn attendait sagement à Rochefort, son safran séchait. L’ami Francis lui ajustait des sabots en inox
aux petits oignons tandis que Sophie et Marjolaine cocoonent le Lazy bag et le capot de baille à mouillage.
18 Février, remontage du safran.

Il a fallu sortir les forceps ! Et voilà, tout beau tout neuf !


Finitions, travaux de carénage, polisher sur la coque, démâtage-remâtage pour changement des haubans, je
vous passe les détails et Kanaouenn re-barbotte enfin.

Il était question d’une balade en Irlande et Ecosse pour cet été, après cette révision de Kanaouenn. Au
printemps, à la sortie des travaux, une grosse envie de faire une pause s’est imposée : « Y-a pas d’raison
d’marcher toujours » dit la chanson1. Les mails et le téléphone, c’est bien. Les moyens de communication
modernes sont bien sympas et efficaces pour garder le contact mais rien ne vaut le vivre ensemble et surtout
le faire ensemble. Passer du temps avec les amis et la famille pour ne pas perdre ses racines. Du coup, ayant
du temps, pourquoi ne pas en profiter pour réaliser l’idée qui me traine en tête depuis quelques temps ?
Celle de changer de bateau pour un plus petit. Plus petit en taille et en poids pour être plus léger pour le
bonhomme et son porte-monnaie. A notre époque qui vante encore et toujours le « Toujours plus » ou le
« plus possible » malgré les cris de douleur de notre planète et ceux de mal-être de tant de ses habitants
occidentaux « évolués » embarqués dans ce tourbillon infernal, une peu de « juste ce qu’il faut » est bien
agréable. Le juste ce qu’il faut s’est arrêté, pour moi, à huit mètres cinquante, à chacun ses critères. Ce qui
n’empêche pas de belles balades sachant que je ne suis pas un navigateur des extrêmes et que je ne cherche
pas à réaliser un quelconque exploit ou à repousser je ne sais quelle limite. Il y a déjà assez d’endroits
passionnants à découvrir sur la planète dans des lieux accessibles au commun des mortels. Et il faut vivre
avec son budget. En arrière-plan de ces considérations physiques, matérielles et « politiques » rode une
autre dimension. Un besoin de tourner une page. Déjà, réaliser ce qui était un rêve de gosse peut être
dangereux en termes d’aboutissement, et le Melody, pour des raisons personnelles, est un bateau du passé.
Comme de garder de l’eau à courir, Il faut garder de la place pour continuer à écrire sur le grand tableau
blanc de la vie.
Ceci étant décidé, l’assemblée générale de Voiles Sans Frontière, à Lorient, est l’occasion idéale pour une

1
François Béranger : « Ça doit être bien » : https://youtu.be/L5rQQ6eWJKM .

Page 123
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°7 – Une Page se tourne.
Février - Juin 2019
remise en jambe de Kanaouenn et de reprendre un bon bol d’air maritime qui commençait à manquer.
Mercredi 20 Février
Dame météo donne le feu vert. L’ami Francis, toujours partant, arrive le panier plein de spécialités
concoctées par sa cuisinière préférée, ce qui améliore la cambuse sacrément. L’idée est de monter sur Groix
pour entrer en rade de Lorient avec la marée de vendredi pour être sur zone et disponible samedi. A l’abri
derrière la capote, étonnement, il ne fait pas si froid que cela pendant les quarts nocturnes. Kanaouenn taille
gentiment sa route sans forcer. On n’est pas pressés. A Port Tudy, en cette saison, il n’est pas difficile de
trouver une place au ponton et de mettre un peu de chauffage pour la nuit. On est vraiment en mode
cocooning !

C’est reparti pour les couchers de soleil aussi ! Balade sur Groix : Port Lay.

A Port Lay, ici, un Tiki ! Splendide et de belle taille.


Symbole de la filiation culturelle de toutes les iles du
monde. Cœur très maritime de l’église de Port Tudy.

Et ses ex votos. Entrée en rade de Lorient, côté Kernevel cette fois-ci.

Page 124
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°7 – Une Page se tourne.
Février - Juin 2019
Lundi 25.
La marée n’attend pas dit le dicton. L’étale de huit heures donne le top-départ pour retourner à La Rochelle.

Ce qui sera la dernière photo sous voile … Et dernier coucher de soleil à bord.
Eh oui, bien sûr, cela trainait dans l’air et tout était prêt, mais vendredi matin, avant de partir de Groix, je me
suis enfin décidé. J’ai mis, un peu brutalement, l’annonce en ligne…
Le retour au portant a été rapide, les deux ris ont quand même été nécessaires en début de nuit pour
soulager le pilote. Une dernière navigation calme avec un équipier paisible et compréhensif pour garder son
énergie et la concentration vers un adieu serein. Arrivée dans la lumière matinale de l’hiver et sur une mer
plate en baie de La Rochelle endormie. Un beau trait final.
Le Melody est parti très vite, même si la procédure a été ensuite assez longue. Il a fallu vider tout le bazar
accumulé après toutes ces années ! A la vue de la flottaison bien remontée, un calcul à la louche donne entre
une tonne et une tonne et demie de matériel sortie. La liste serait pire que celle de Prévert. Le voyage impose
du matériel pour être le plus autonome possible en cas de pépin dans des endroits isolés, mais il y avait aussi
pas mal de choses totalement inutiles. Cette surcharge n’était pas majeure sur le Melody, mais sur un bateau
plus petit et plus léger il va falloir être très sélectif. Ce qui imposera à se concentrer uniquement sur
l’essentiel. Au-delà de l’aspect pratique, la démarche est intéressante et certainement formatrice et
enrichissante.
C’est comme cela qu’un beau jour, je me retrouve sans toit. Le Bernard l’Hermite sans coquille ou le crabe qui
vient de muer doivent avoir cette même impression bizarre. Bien sur les propositions fusent pour ne pas me
laisser à la rue mais la question n’est pas là. Il me faut un nouveau logement et un nouveau compagnon de
route. What does-it feel ? Me demande François, grand amateur de Dylan. Mais la pierre de la vie roule
toujours ! Il n’y a pas grande chose dans ce que je cherche et surtout des dériveurs lestés en Atlantique. Il faut
aller chercher des quillards en Méditerranée. Et là, c’est le folklore. Par exemple, un bateau en vente a un
rafistolage louche dans les fonds au niveau de l’épontille et le pont est affaissé au pied de mat, j’interroge de
vendeur qui bougonne qu’il n’y connait rien et me fait comprendre que ma question est sans objet, voir
saugrenue. Un autre vendeur m’envoie l’expertise dans laquelle il est indiqué des trous de balles dans le
bordé (véridique !) … là on est en Corse ! Bref, finalement, un Arcadia se morfond sur son ber près de Toulon.
Le vendeur accepte ma proposition et vend à grand regret l’historique bateau, partenaire de la famille depuis
trente ans. A ma charge de le faire revivre dignement.
Il fallait un bateau bon marcheur à toutes les allures, construit sérieusement et agréable à vivre. l’Arcadia de
(encore) chez Jeanneau correspondait à ces critères. La filiation est évidente au niveau de la construction,
même si on n’est plus sur les échantillonnages assez exceptionnels du Melody. Les aménagements sont
fonctionnels bien qu’il y aura du travail d’amélioration pour les rendre adaptés à un logement principal. Pour
la marche du fier navire, l’avenir dira s’il est à la hauteur de sa réputation ! J’ai eu de la chance de trouver ce
qui me convenait. De dépit j’avais commencé à regarder d’autres bateau mais au niveau conception et
construction - je préfère ne pas en dire plus au risque d’en vexer certain et de déclencher des polémiques
avec d’autres – j’en suis vite revenu à l’Arcadia.

Page 125
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°7 – Une Page se tourne.
Février - Juin 2019

Dernière photo avant la remise des clés.


Echouage (pas très réussi !) pour l’expertise. Adieu compagnon.

Et première photo du petit nouveau. Son voisin est … un Melody, certainement un signe. Ce qui n’empêche
pas les travaux de démarrer immédiatement en attendant les papiers officiels et le transporteur.

Intermède « Chantier » où Kanaouenn change de peau.


Non, je ne vais pas vous faire le reportage de tous les travaux, ce serait fatigant pour vous et bien monotone.
Juste un rapide diaporama et une devinette car cela faisait bien longtemps.

Ponçage de la coque et changement des passe-


coques et des vannes. Réfection de la carène.

Page 126
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°7 – Une Page se tourne.
Février - Juin 2019

Exfiltration du pauvre méditerranéen. Arrivée en terre Charentaise et donc en Atlantique.

Dimitri retrouve Maison. Maï-son !

La lune, bienveillante, encourage. Petit jour sur l’eau qui n’est pas loin.

Page 127
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°7 – Une Page se tourne.
Février - Juin 2019
Le flambeau est repris. Après trois ans à terre…

Kanaouenn, dans son élément. Mais ne pas oublier le mat ! Il devrait servir.

Première Navigation :
Traversée en une étape et en solo de tout le bassin de Rochefort,
Mer calme et vent modéré dans la passe Ouest.

Tout n’est pas au point, loin s’en faut, mais il y aura le nécessaire pour convoyer le chantier à La Rochelle.

Et voilà la devinette : C’est quoi ? Cette concrétion était derrière la grille d’aération
haute du moteur. Un nid de quel insecte ? La construction fait environ douze
centimètres de haut et le trou d’accès en bas fait un gros centimètre.
Un indice qui peut avoir son importance, l’animal vivait dans le sud.

Plus sérieusement, si quelqu’un pouvait éclairer ma lanterne, par curiosité, je suis


ardemment preneur.

Page 128
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°7 – Une Page se tourne.
Février - Juin 2019
Samedi 18 Mai 2019
Première sortie du Canard !
C’est l’occasion de lui faire découvrir sa nouvelle région : Les Pertuis. Toute une éducation est à refaire.

Le pont transbordeur en fin de rénovation. Fort Boyard, vous devez connaitre il me semble.

Un petit détour pour présenter le Pont à Monsieur. Une « ligne d’eau » remarquable.
Plan de pont, électricité, électronique, moteur, etc. Il y a longtemps déjà, Voiles & Voiliers avait édité un très
joli poster intitulé « Comment naissent les voiliers ». C’était beau. C’était poétique. Le graphisme et les
couleurs pastelles y étaient aussi pour quelque chose. La réalité est parfois plus prosaïque. Pour Kanaouenn,
cela a été (encore !) de longues journées à consommer de l’huile de coude à gogo. Mais le résultat est là.
Kanaouenn est « raisonnablement » prêt à naviguer comme il se dit.
Jeudi 30 Mai.
Pour un premier vrai départ, ne voulant pas attendre
samedi, il est temps. La météo annonce du vent …
contraire, mais faible. C’est l’occasion de tester en réel
l’Arcadia et les travaux réalisés.
La célèbre phrase de la Bible1 du bord « Le près est un
compromis entre la cap et la vitesse » a beau être
éternellement juste, il faudrait y ajouté que c’est aussi un
compromis entre l’avancement et le confort. Confort de
l’équipage et surtout celui du bateau. Jusqu’à quel point on
est prêt à faire travailler la coque et le gréement ?
Kanaouenn étant un peu sous toilé avec le foc endraillé, le
génois est remis en service. J’ai beau ne pas vouloir forcer
sur des haubans de peut-être trente-cinq ans, il faut bien
Essai du Foc endraillé.
avancer quand même.

1
Le déjà cité Cours de Navigation des Glénans – Deuxième édition.

Page 129
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°7 – Une Page se tourne.
Février - Juin 2019

On The Road Again ! Cap sur la Bretagne. Vous pouvez le constater, le temps est très calme.

Tellement calme que les


outils sont de sortie.

Avant, Après !

Sur la côte Ouest de Yeu, au Nord du vieux château,


cette grande croix est en hommage à tous les
naufragés.

Un coucher puis un lever plus tard, la pointe sud de Belle Ile est là.

Page 130
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°7 – Une Page se tourne.
Février - Juin 2019

Pause à Sauzon après un louvoyage de quarante-cinq heures pour faire en gros cent vingt milles en route
directe. Soit une moyenne de deux nœuds six. C’est un début !
Voilà une petite série de photos du Kanaouenn nouveau, juste pour vous habituer.

Un aller en bus au Palais et un retour par le sentier des douaniers est une bonne façon de profiter de Belle Ile.

Page 131
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°7 – Une Page se tourne.
Février - Juin 2019

Non, elle n’est pas en plastique, et pas payée par


L’arrière port du Palais. l’office du tourisme non plus, mais très fière.

En bien plus léger (quoi que, cela


dépend du niveau auquel on se
La citadelle, qui a été pendant une sinistre époque place) : Probablement un des meilleurs kouign aman
un bagne pour enfants particulièrement terrible. de Bretagne (et donc du monde, évidement).

Côte intérieure de Belle Ile. Comme une allée d’honneur !

Page 132
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°7 – Une Page se tourne.
Février - Juin 2019
Vue plongeante sur Sauzon.

Pause nocturne à Port Tudy (Groix).

Au mouillage devant le port : Quel accueil ! Il y a presque la même photo lors de la descente en
Aout dernier avec le Melody !
Le lendemain, ce n’est pas un temps pour aller au Glénan. Le passage de la pointe de Trevignon sous trois ris
en témoigne. L’étape se termine donc à Concarneau.

Kanaouenn. Le « Marche Avec » devant ce qui est devenu un


Juste devant la ville close. centre européen de formation maritime.

Affichette vue à la capitainerie de Concarneau.


Pendant ce temps, aux Minimes, combien de plaisanciers rincent
abondement leur bien très cher bateau …
Lieux différents, mentalités différentes, conscience ou je m’en foutisme
bien différents.

Page 133
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°7 – Une Page se tourne.
Février - Juin 2019

Au large de Belle Ile, Gitana 17, à une vitesse déjà


folle dans ce petit temps.

A l’aller, Kanaouenn découvrait et y est allé doucement. Mais au retour, il savait où il allait et en a profité
pour se lâcher et faire une démonstration de ce qu’il savait faire.

Kanaouenn, est visiblement un tailleur de route. Le Ciel est avec lui.


J’étais parti au plus vite de
Concarneau, espérant éviter
le vent de sud annoncé. Il
nous a pris devant Saint
Martin de Ré.
Heureusement que le vent
était bien soutenu sous le
pont de Ré car le courant
contraire était vif. En rasant
la première pile, cela ne
Et les dauphins, ces envoyés de Neptune,
passait pas à la deuxième et
l’accompagnent.
la troisième est passée très
juste, quelques minutes
intenses et un peu longues ! Liston dans l’eau, à
Cet Arcadia est, sans aucun doute, bien né.
bourrer dans le clapot, écrasé par les surventes et le
génois trop creux, Kanaouenn sait se défendre.

Page 134
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°7 – Une Page se tourne.
Février - Juin 2019

Pour illustrer l’arrivée, une photo bien classique.


Mais il est des choses dont on ne se lasse pas.

Cette première navigation a aussi fait s’allonger la liste des travaux, mais les choses importantes fonctionnent.
Je vous passe encore la litanie des travaux (Merci JP pour les chandeliers !) dont la saga du guindeau qui n’est
toujours pas opérationnel et partons pour le Bono. C’est dans ce petit village du Morbihan qu’est enterré
Bernard Moitessier. Le 21 juin correspond à la date de son arrivée à Tahiti après sa longue route et à cette de
son décès. De là a été donné de coup d’envoi de la longue route 2018 et il y aura des skippers sur le retour.
Mercredi 19 juin.
J’ai mal calculé mon heure de départ, beaucoup trop tôt. Le mauvais souvenir du passage du pont m’a fait
partir avant la marée pour ne pas avoir de courant contraire sous le pont mais ce n’était pas le paramètre le
plus important. La suite me le rappellera.
La monté au bon plein puis travers jusqu’à l’ile d’Yeu a été tranquille. Le soir nous trouve devant Port Joinville
et la perspective d’une bonne nuit sous la couette est bien attirante. Devant le port est mouillé Alyzée II de
Francis. Je vais le saluer sous grand-voile seule dans le
calme du soir. Malgré de peu de vent et la faible vitesse
du bateau, Kanaouenn reste étonnement manœuvrant
ainsi. A creuser.
La bonne nuit s’est payée le lendemain ! Le Sud-Ouest
d’hier est devenu Nord-Ouest et c’est reparti à tirer des
bords. A la nuit tombante (rond sur la carte), nous ne
sommes toujours pas à Hoëdic. Il y a quarante milles sur
la route directe et le totalisateur du GPS affiche quatre-
vingt-quatre milles ! Le dicton « Double route, triple
peine » n’exagère pas. Je ne suis pas très chaud pour
arriver de nuit à Port Argol où il faut faire une manœuvre
avec amarrage à couple plus porter une amarre sur le
coffre. Je continue donc. Au Nord de Houat, je mets en
« Quasi panne » en enroulant le génois. Fort de
l’expérience d’hier, Kanaouenn avance tout doucement
sous grand-voile seule et reste au cap ainsi en continuant
à répondre au pilote électrique. Je vais dormir, comme
lors de la montée à Concarneau, par tranches de six
minutes. Pendant cette pause, le vent tourne et le bord
prévu direct sur l’entrée du Golfe se transforme en
louvoyage … Eole est facétieux en ce moment !

Page 135
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°7 – Une Page se tourne.
Février - Juin 2019
Dernier virement en poussant dans la baie de Kerjouano, puis l’entrée dans le golfe du Morbihan en longeant
la côte (Plage des Govelins, pointe du Grand Mont, entrée du Crouesty, plage et pointe de Port Navalo, tous
ces lieux où trainent quelques vieux souvenirs) entre chiens et loups et au près sur mer lisse est totalement
magique.

Pointe et phare de Port Navalo. A remonter la rivière d’Auray.

Bonjour Belenos ! Ambiance presque Canadienne.

Il suffit de passer le pont ! Et pouvoir le sentir bouger et l’entendre grincer. Ce pont est vraiment vivant.

Page 136
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°7 – Une Page se tourne.
Février - Juin 2019

« Murale » Breton. Cela vaut certaines croutes de Pour le plaisir des yeux.
Rivera (Oups, je vais me faire des ennemis !).

Le port d’échouage. En amont sur la rivière.

Passage au cimetière, « Salut et Fraternité ».

Page 137
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°7 – Une Page se tourne.
Février - Juin 2019

Un des panneaux sur la très belle et assez complète évocation de Bernard Moitessier.

Ouverture du bal. Arrivée de Joshua.

Arrivée de Alyzée II. Accueil des skippers à la Polynésienne.

Page 138
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°7 – Une Page se tourne.
Février - Juin 2019

Passage rapide à Saint Goustan. L’ancien lavoir du Bono.

A la médiathèque, exposition qui retrace la grande


saga de l’huitre dont Le Bono a été une plaque
tournante.
En redescendant la rivière d’Auray.
Juste en face du Golfe, vous ne pouvez que tomber dessus en sortant, ce trouve Hoëdic.

Kanaouenn, si proche du Centre du Monde. A Hoëdic, c’est-à-dire au cœur du Grand Tout.

Page 139
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°7 – Une Page se tourne.
Février - Juin 2019
Les immortelles commencent tout juste à fleurir. Ciel un peu tourmenté sur le retour.
Le retour dans les Pertuis a été tranquille, entre travers et portant.
Pause devant La Flotte. Je
me suis amusé à prendre le
coffre à la voile pour
renouer avec de vielles
pratiques et mieux connaître
Kanaouenn. Cela faisait
longtemps : il a fallu m’y
reprendre à dix fois !
Se remettre au pied du mur
fait du bien, remet les
pendules à l’heure et les
choses à leurs places.

Loufoc.

Loufoc vient rejoindre Kanaouenn et le lendemain, bord à bord, sur la


mer plate du vent de terre, les deux bateaux tirent des bords de toute
beauté pour rentrer à La Rochelle. Avec Dominique, on en profite pour
faire une grosse séance photos. Celle-ci, qui risque de devenir
d’anthologie, a bien failli nous couter cher. Juste après, l’abordage a été
évité de grande justesse !

Page 140
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°7 – Une Page se tourne.
Février - Juin 2019
4 Juillet.
Adieu veaux, vaches, cochons et aussi boite à outils. Kanaouenn ne connait toujours pas les Glénan, c’est déjà
une raison suffisante, non ? Et plus haut si affinité. Le plein d’eau est fait et la cambuse est approvisionnée,
donc tout est prêt.

Le soir nous trouve près de Yeu. Et le soir du lendemain, voilà Penfret – au Glénan.

Fort Cigogne, QG historique de l’école de voile. Sans commentaire.

En baie d’Audierne, Merci les dauphins pour ce si


beau et si long accompagnement. Raz de Sein, La Plate presque alignée sur La Vieille.

Page 141
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°7 – Une Page se tourne.
Février - Juin 2019

Longue remontée sportive en Mer d’Iroise. Les Tas de Poix.

Camaret, le cimetière des langoustiers, témoins de Une quantité d’ex-voto vraiment exceptionnelle.
leurs glorieux passé
Au départ de Douarnenez, le vent est trop faible pour avoir le temps de passer par le Chenal du Four avant la
renverse. Kanaouenn passe donc au sud de Ouessant, sans rien voir. La brume s’invite, parfois dense. On
croise une nuée de voiliers en régate qui vont remonter le Chenal du Four contre vent et le courant. Bon
courage ! Heureusement, ils ont tous l’AIS. L’électronique moderne est vraiment fabuleuse dans ces cas-là !

Traversée du rail, sans brume, c’est mieux ! Et arrivée aux Scilly.

Page 142
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°7 – Une Page se tourne.
Février - Juin 2019

Au Scilly, j’étais aussi en mission : Boire une Guinness à la santé d’amis qui me l’avaient demandé avec
insistance et empressement. J’ai donc été « Obligé » d’aller toutes affaires cessantes au Mermaid. Je ne suis
pas un grand amateur de bière, mais une Guinness pression, c’est tout un monde de délectation.
Santé à vous tous donc ! Et bonne route à Imaca, Inook et Voyage.

Voilà deux vues générales pour vous donner une idée de l’archipel des Scilly.

Endroit So British et très cosy. Hyper privilégié, même par le climat. Vous faites vos courses au détour du
chemin et payez dans le tronc. Parfois vous avez même accès à la caisse pour faire votre monnaie.

Page 143
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°7 – Une Page se tourne.
Février - Juin 2019

Les Scilly, c’est aussi l’archipel des fleurs et d’une végétation impressionnante.

Entrée du Fort.
Un retour direct sur trois jours, le temps de bien prendre le rythme de la mer, ou tout du moins en reprendre
un échantillon. Au départ, je pensais que le cap serait tenu avec de la marge, il manquait en fait bien vingt
degrés. Heureusement la bascule est arrivée, comme la météo l’avait prévue, avant de virer la pointe de la
chaussée de Sein. Voilà trois photos de la descente, trois photos de mer. Certains terriens vont peut-être
trouver que c’est toujours la même chose. Une photo ne rend pas l’harmonie du temps en mer. Une photo ne
transmet pas l’énergie qui émane d’un bateau heureux, de l’horizon qui déroule les vagues, du chant des
voiles1 et du vent. Une photo est muette de la route qui approche l’escale toujours plus ou moins attendue.

Comme la dernière fois, je fais une pause devant l’Ile de Ré. Cette fois, le coffre est pris du premier coup. Mais
cela ne prouve pas grand-chose car les conditions étaient trop faciles ! Une pause, un peu comme un sas de
re-compression avant de retourner dans le Grand Bain. Et j’ai du temps, je suis très en retard dans mes
écritures et il me faut un peu d’isolement pour cela. J’ai même eu droit à au moins cinq feux d’artifices en
même temps. Vu de loin, il se ressemblent étrangement. Il parait que les caisses publiques sont vides,
visiblement pas toutes.

1
Le chant des voiles, de Christophe Houdaille. Un bon complément aux textes de mer de Jacques-Yves Le Toumelin et,
pendant que j’y suis, sans oublier les bonnes pages de Bernard Moitessier, bien sûr.

Page 144
Kanaouenn Saison 3, Lettre n°7 – Une Page se tourne.
Février - Juin 2019

Je vous laisse méditer sur la comparaison entre un lever de lune et un lever de soleil. Pour ne pas fausser
l’analyse, sachez que les deux photos sont prises exactement du même endroit, à l’évitage prêt.

Retour à La Rochelle et retour à une certaine réalité - un peu spéciale tout de même - en ouvrant le poste de
radio. Coupable non condamnable, de dispense de peine, arrestation préventive, certains cherchent un
prénommé Steve, d’autres cherchent de l’eau et s’en étonnent, une parachutée cherche des voix qui la
légitimeraient, etc. Bon retour !

Mais il vaut mieux finir cette lettre avec ce bouquet de couleurs.


Que je vous offre pour vous souhaiter, au-delà de tout, le meilleur bonheur possible … Et encore plus !

A bientôt,
Et bises aux filles !!

Bernard.

Page 145
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tout pays.
Crédit photos © Bernard Martin sauf mentions spécifiques.

ISBN : 978-2-9554939-6-0
Dépôt légal Septembre 2019

Vous aimerez peut-être aussi