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L’INNOVATION FRUGALE PEUT-ELLE ÊTRE DISRUPTIVE ?

Souhaila Kammoun, Christian Le Bas

De Boeck Supérieur | « Innovations »

2020/3 N° 63 | pages 179 à 199


ISSN 1267-4982
ISBN 9782807394209
DOI 10.3917/inno.063.0179
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VARIA

L’innovation frugale
peut-elle être disruptive ?1
Souhaila KAMMOUN
IHEC, CODECI
University of Sfax (Tunisia)
souhaila.kammoun@yahoo.fr

Christian LE BAS
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Sciences and Humanities Confluence Research Center – UCLy – ESDES
ESDES Lyon Business School
ESDES Institute of Sustainable Business and Organizations (France)
clebas@univ-catholyon.fr

RÉSUMÉ
Dans cet article, la question traitée consiste à déterminer si l’innovation
frugale constitue une innovation disruptive. L’article contribue à la littéra-
ture portant sur l’innovation en mettant en relation deux champs quasiment
toujours séparés : celui qui traite de l’innovation frugale et celui qui ana-
lyse l’innovation disruptive. On part de la définition de Christensen et al.
(2015) : la disruption commence non pas quand les innovateurs entrent dans
l’industrie sur les marchés délaissés par les insiders, mais au moment où ces
nouveaux entrants réussissent à se faire une place sur le territoire des entre-
prises en place. Nous défendons l’idée que le type d’innovation alimentant
la disruption ne peut pas être l’innovation frugale. Les auteurs s’interrogent
également sur la place des modèles d’affaires dans le processus de disruption
et examinent le contexte et les conditions de possibles disruptions causées par
l’innovation frugale (comme écart à la loi générale).
MOTS CLÉS : Innovation frugale, Disruption, Firme insider, Business Model
CODES JEL : O1, O14, O33, Q5

1.  Nous tenons à remercier les rapporteurs de la revue pour leurs fructueuses remarques.

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ABSTRACT
Can Frugal Innovation Be Disruptive?
In the paper we address the issue: is Frugal Innovation disruptive? We con-
tribute to the Innovation Studies by putting in relation two fields until now
separated: the first dealing with Frugal Innovation and the second analyzing
Disruption caused by Innovations. Our analysis starts with de definition
of disruptive innovation given by Christensen et al. (2015): the disruption
process begins, not when new innovators come in the industry through the
markets neglected by the insiders, but when they chase on the insiders terri-
tory. We support the view that the innovations driving the disruption process
cannot be frugal. The authors address as well the impact of Business Models
in the disruption and examine the contexts and the conditions of possible
disruptions caused by frugal innovations (as exceptions to the general trend).
KEYWORDS: frugal innovation, disruption, insider, Business Model.
JEL CODES: O1, O14, O33, Q5
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Dans la période récente, les recherches sur l’innovation technologique
témoignent d’une prise en compte de façon plus systématique des impacts
sociaux et environnementaux des changements techniques mis en œuvre
(Martin et al., 2015). À côté de l’innovation sociale (Schot, Steinmueller,
2018 ; Smith, 2017 ; van der Have, Rubalcaba, 2016), de l’innovation envi-
ronnementale (entre autres Kemp, Foxon, 2007 ; Rennings, 2000 ; Horbach
et al., 2012) et soutenable (voir en particulier : Ketata et al., 2015 ; Nidumolu
et al., 2009), émerge un concept singulier d’innovation : l’innovation frugale.
Avec cette variété d’innovation, l’objectif de l’innovateur est de proposer un
produit plus simple et moins coûteux de manière à provoquer la demande
solvable de consommateurs ayant de faibles revenus. Parce que cette propriété
d’inclusion dans la consommation de nouveaux agents économiques vient
perturber le fonctionnement des marchés et les termes de la concurrence, un
rapprochement a été fait avec la catégorie d’innovation disruptive popularisée
par Christensen (voir principalement Christensen et al., 2015)2. Ce modèle
explique comment certains types d’innovation, obéissant très souvent à une
logique low-cost, viennent modifier le cœur des schémas de concurrence et
transformer en profondeur l’équilibre des forces entre acteurs au sein d’une
industrie. Le rapprochement entre les deux types d’innovation (frugale et

2.  Nous avons pris le parti de ne pas traduire le terme disruptive et donc de conserver cette expression. Le
terme français qui est souvent associé est « perturbatrice ». Toutefois, il ne nous semble pas rendre totale-
ment compte des idées de Christensen. De la même façon, nous avons gardé le terme de disruption. Nous
suivons en cela une grande partie de la littérature de langue française. In fine, notons que Christensen
lui-même reconnaissait que ce terme produit des confusions (Christensen, 2006, p. 46). Le récent livre de
Sarazin (2019) utilise toutefois le terme d’innovation de rupture pour disruptive innovation.

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disruptive) a donc du sens. Mais, il n’est pas encore réellement fait dans la
littérature3. Nous contribuons à la recherche récente sur les formes atypiques
d’innovation en mettant en rapport ces deux courants de la littérature qui se
sont développés de façon séparée. L’innovation frugale change nombre d’as-
pects du management de la technologie et des rapports de l’innovation aux
marchés (Tiwari, Herstatt, 2014), elle est souvent le point de départ de l’in-
novation inverse que génèrent les firmes multinationales (Burger-Helmchen,
Hussler, 2017), elle est un levier potentiel du développement économique
(Tiwari et al., 2017b). Elle peut apparaître dans certains contextes comme
perturbant le jeu de la concurrence, et donc les positions de marché des
acteurs. Le travail de Christensen et al. (2006) définissant un type d’inno-
vation nouveau, l’innovation catalytique, de type low-cost dont les propriétés
sont clairement disruptives, a fait beaucoup pour associer frugalité technolo-
gique et disruption. Les propriétés de l’innovation frugale ne suffisent toutefois
pas pour faire d’elle une innovation disruptive. C’est la thèse que nous nous
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proposons d’étayer dans cet article.
Nous présentons nos idées de la manière suivante. Une première sec-
tion définit en détail ce qu’est l’innovation frugale, une seconde reprend le
modèle de l’innovation disruptive qui se fonde sur une définition précise du
processus disruptif d’innovation (Christensen et al., 2015). Nous défendons
ensuite l’idée que le type d’innovation alimentant la disruption ne peut pas
être l’innovation frugale (Section 3). Les deux dernières sections abordent
des thèmes qui sont souvent associés à la frugalité ou/et à la disruption. La
section est consacrée à une discussion sur la place des modèles d’affaires dans
le processus de disruption. Enfin, dans la section 5 nous prenons du recul par
rapport à notre thèse centrale en examinant le contexte et les conditions de
possibles disruptions causées par l’innovation frugale4.

Qu’est-ce que l’innovation frugale ?

L’innovation frugale dans la littérature


Comment définir l’innovation frugale ? Ce point est important si l’on
veut examiner son rapport à l’innovation disruptive. Il y a une conséquente
littérature sur ce thème5. Selon Basu et al. (2013) : ‘Frugal Innovation is a

3.  Ainsi les articles de Christensen et al. (2006, 2015) qui analysent l’innovation disruptive low-cost ne font
pas référence aux travaux sur l’innovation frugale.
4.  Nous remercions les rapporteurs pour avoir suggéré cette remarque.
5.  On pourra se reporter à des surveys récents de la littérature : Fagbohoun, (2016) ; Tiwari et al. (2016) ;
Hossain, (2018) ; Pisoni et al. (2018).

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design innovation process in which the needs and the circumstances of citizens
in the developing world are put first in order to develop appropriate, adaptable,
affordable, and accessible services and products for emerging markets’ (ibid.,
p. 130). Le mot important ici nous semble être « affordable », abordable en
français. D’une certaine façon, l’innovation frugale est reliée à de nouveaux
segments de marchés correspondants à de nouveaux besoins (Eagar et al.,
2011 ; Haudeville, Le Bas, 2016 ; Tiwari et al., 2017a). Il est généralement
admis qu’elle diffère de l’innovation Jugaad, un type proche d’innovation,
popularisée par Radjou et al. (2013, p. 45), qui vise la création de nouveaux
produits grâce à des savoir-faire d’une plus grande simplicité destinés à aider
les populations les plus marginales6.
Woolridge (2010) avait noté que l’innovation frugale implique de revoir
la conception des produits de façon à réduire les coûts de fabrication. La
littérature traite essentiellement de produits nouveaux frugaux, mais en géné-
ral ceux-ci sont manufacturés de façon aussi frugale (Brem, Wolfram, 2014 ;
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Moore, 2011). Ces innovations frugales de procédés sont référencées dans
la littérature comme relevant du frugal engineering, ou des constraint-based
innovations (Brem, Wolfram, 2014). Outre cette réduction de coûts, les inno-
vations frugales sont réalisées à travers une concentration des fonctionna-
lités du produit sur les plus essentielles, les core functionalities, (Weyrauch,
Herstatt, 2017). En conséquence, les produits frugaux sont moins sophistiqués
(Brem, Wolfram, 2014).

L’innovation frugale comme nouveau


paradigme technologique
Ces derniers aspects donnent de la consistance à l’hypothèse que la fru-
galité correspond bien à un nouveau paradigme technologique (Le Bas, 2017).
La notion de paradigme technologique a été construite par Dosi (1982) : ‘a
‘pattern’ of solutions of selected techno-economic problems based on highly selec-
ted principles derived from natural sciences...’ (Dosi, 1982, p. 152). Le paradigme
technologique constitue research program (Dosi, 1982), une puissante heuris-
tique fournissant un modèle permettant de sélectionner (ou de rejeter) des
améliorations qui vont dans les directions du paradigme. Il guide les efforts
des chercheurs et des ingénieurs. Comme tel, il constitue une technologie
générique pour produire du changement technique (generic knowledge tech-
nology for producing technological change).

6. L’innovation grassroot constitue une autre dénomination proche. On la définit rapidement mais juste-
ment, en disant qu’il s’agit d’innovation pour les pauvres faites par les pauvres (Gupta, Wang, 2009). Sur les
types d’innovations proches de l’IF, on peut se reporter à Haudeville et Le Bas (2016).

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Le paradigme de la frugalité technologique correspond à la fabrication
de produits ayant moins de fonctionnalités que leurs équivalents sur le mar-
ché mais possédant les fonctionnalités essentielles (core functionalities) et une
qualité de fonctionnement minimum (en termes de puissance, longévité, etc.).
Lorsque l’on désire diminuer le nombre de fonctionnalités inévitablement la
structure et le fonctionnement du produit sont impactés. Dans ce contexte,
Moore (2011) a noté que l’innovation frugale (de produit) permet d’accroître
l’efficience de toute la chaîne d’approvisionnement sans l’usage de technolo-
gies sophistiquées mais avec une adaptation continue à l’environnement. Il
s’agit là d’une conséquence de la diminution de la complexité technologique
des produits sur le processus de manufacturing qui devient lui aussi moins
complexe avec des coûts d’information réduits.
La notion de complexité technologique qui est au cœur de l’analyse peut
être définie comme le montant de l’information nécessaire pour le bon fonc-
tionnement d’un système (Ayres, 1987). Elle est corrélée au nombre d’élé-
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ments que le système contient. L’IF repose sur une complexité technologique
plus faible due au fait que le nombre de fonctionnalités a été diminué tout en
maintenant un niveau minimal de performance. Les performances de toutes
les fonctionnalités essentielles et des caractéristiques techniques de base du
produit (vitesse, puissance, durabilité, précision) sont bien entendu conser-
vées. En d’autres termes, le produit frugal doit correspondre à une qualité
reconnue comme standard (Tiwari, Herstatt, 2012). Les produits frugaux sont
moins complexes technologiquement et sans doute également moins techno-
logiquement performants. En cela, ils sont très différents de leurs « concur-
rents » qu’on trouve sur les marchés. En effet, les produits non frugaux se
caractérisent en général par une complexité et des performances techno-
logiques plus hautes qui constituent un levier pour un pricing plus élevé et
la recherche de consommateurs « high tech ». Les produits frugaux doivent
nécessairement atteindre les niveaux de performances qui sont demandés par
les marchés et qui peuvent dépendre des conditions locales (et sociétales).
C’est une condition pour qu’ils puissent tenir la comparaison par rapport aux
autres produits disponibles et en particulier ceux qui sont « over-engineered »
(Weyrauch, Herstatt, 2017). Ces propriétés devront être prises en compte
dans la discussion du phénomène de disruption. Retenons in fine que les pro-
duits frugaux ne peuvent concurrencer que marginalement les produits over-
engineered dans un état donné des gouts et des besoins des consommateurs7.

7.  On peut trouver des similitudes entre l’IF et l’innovation architecturale. Cette dernière vise à chan-
ger rapidement la nature des interactions entre les composants de base, tout en renforçant les principes
essentiels de conception (Henderson, Clark, 1990 ; Tushman, Smith, 2002). Henderson et Clark (1990)
la définissent comme un changement de l’architecture d’un produit sans en changer les composants mais
implique des changements dans les sous-systèmes et/ou les mécanismes de liaison. L’IF parce qu’elle remet

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L’innovation frugale en économies développées
Alors que dans le passé, l’IF était pensée comme pouvant structurer une
dynamique de croissance pour les économies émergentes (l’Inde en particu-
lier), on insiste maintenant sur l’idée que cela pourrait être vrai également
pour les économies industrielles développées (Tiwari et al., 2016). À cause
de la crise économique et du contexte de croissance lente dans le Nord, la
frugalité technologique se trouve avoir une importante valeur sociétale pou-
vant accroître la consommation des catégories du « bas de la pyramide ». En
d’autres termes, elle est conçue comme constitutive d’une offre spécifique aux
segments de marché des consommateurs à bas revenus (Nunes, Breene, 2011).
Si l’IF peut être en cohérence avec des marchés reliés à de nouveaux besoins
(Eagar et al., 2011), elle est centralement performante pour les consomma-
teurs les plus pauvres (Nunes, Breene, 2011) y compris ceux du Nord (Zeschky
et al., 2011).
Une analyse proche de la frugalité technologique a été donnée par
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Christensen et al. (2006) à travers la notion d’innovation catalytique, laquelle
a pour finalité la satisfaction dans les économies du Nord des besoins des
plus pauvres avec des solutions adaptées8. Christensen et al. (2006) mettent
en avant les caractéristiques de ce type d’innovation9. Elle vise à satisfaire
les besoins de consommateurs peu ou mal satisfaits grâce à des produits et
services nouveaux de type low-cost avec des performances réduites. Le sec-
teur social est particulièrement visé par ce type d’activités nouvelles. Ayant
en tête la définition de l’innovation frugale, on voit combien les deux types
d’innovation sont proches. Elles diffèrent en ce que Christensen et al.
(2006) étudient essentiellement les répercussions de ce type d’innovation
dans le secteur social. Il prend comme exemple emblématique le cas des
MinuteClinics10. Mais les vols low-costs dans le transport aérien et sans ser-
vices associés constituent également des exemples bien connus11.
Les secteurs des appareils médicaux, du matériel agricole, des biens de
consommation, des technologies de l’information sont des secteurs dans

en cause le nombre de fonctionnalités et donc les relations entre les sous-systèmes des produits, et qu’elle
diminue la complexité technologique, pourrait être considérée comme un cas particulier d’innovation qui
affecte l’architecture du produit.
8.  Donc, d’une certaine façon, l’innovation catalytique est une innovation frugale. Elle est aussi fonda-
mentalement inclusive.
9.  Ces auteurs ne citent jamais les travaux sur l’innovation frugale. Leur approche est née semble-t-il de
façon autonome.
10. ‘MinuteClinic is a catalytic innovator. The for-profit company’s 87 clinics are located in ten states in CVS
stores and other retail locations and provide fast, affordable walk-in diagnosis and treatment for common health
problems, as well as vaccinations’ (Christensen et al., 2006, p. 3).
11.  Sanchez (2017) offre un point de vue empreint de scepticisme sur leur efficacité profonde sans dévalori-
ser pour autant leur impact financier de court terme sur les populations pauvres.

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lesquels l’IF est particulièrement importante12. On trouve parfois dans la lit-
térature la référence à deux catégories de produits frugaux: bas de gamme
(frugal low-end) et haut de gamme (frugal high-end). Bien que peu d’exemples
soient donnés, on peut illustrer cela à partir de ce qui se fait dans l’industrie
automobile. En Inde, la voiture Nano du constructeur Tata est vendue autour
de 2500 $. Elle vise la clientèle à très faibles revenus qui veut abandonner le
transport en scooter à 2 roues. Nombre d’experts ont avancé qu’elle ne pas-
serait pas les tests de sécurité du Nord. Elle ne serait donc pas candidate à un
processus de « reverse innovation ». Les choses sont différentes pour la Kwid
lancée en 2015 à 3500 euros (4000 $) en Inde par Renault-Nissan. Beaucoup
plus confortable et remplit parfaitement certaines normes environnementales
ou de sécurité (Midler et al., 2017). Elle est maintenant vendue au Brésil (en
2017). Si elle devait être vendue en Europe, de nouveaux équipements de
sécurité et anti-pollution seraient nécessaires. La Tata Nano peut être consi-
dérée comme un produit frugal bas de gamme et la Kwid un produit frugal
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haut de gamme.

Ce que dit la littérature sur le


modèle d’innovation disruptive
Le modèle d’innovation disruptive que l’on mobilise ici est issu des tra-
vaux de Christensen (2015). En réalité, le premier exposé sur ce thème
se trouve déjà dans Christensen (1997). Il revient également sur ce sujet
quelques années plus tard (Christensen, 2003). La définition de l’innovation
disruptive qu’il donne alors nous paraît quelque peu « naïve » : ‘a disruptive
innovation is cheaper, smaller, simpler and convenient to use’. Cette définition
est presque identique à celle d’une innovation frugale. Les deux types d’inno-
vation seraient alors confondues. C’est d’ailleurs sur la base de cette défini-
tion que Rao (2013) construit son analyse des caractéristiques « disruptive de
l’innovation frugale »13. Nous pouvons noter que la référence à une dimension
stratégique au cœur de la disruption est absente.
Néanmoins, le modèle que décrit Christensen et al. (2015)14 sur lequel
nous nous appuyons ici s’avère plus riche d’implications en termes de mana-
gement stratégique. La concurrence entre les entreprises en place et les nou-
veaux entrants représente l’élément essentiel de ce modèle qui a le mérite de

12.  Quelques exemples : ChotuKool un tout petit réfrigérateur utilisant le système de refroidissement des
computers, GE Lullaby une couveuse pour nouveau-né, gThrive des stations météorologiques avec internet
sans fil à la disposition des fermiers installés à différents endroits donnant des informations en temps réel.
13.  On remercie un rapporteur d’avoir attiré notre attention sur ces points.
14.  Voir la figure 1.

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réhabiliter un sujet ancien de l’Économie industrielle et quelque peu oublié,
l’impact de l’entrée de firmes nouvelles dans l’industrie. Une deuxième hypo-
thèse importante est que les entreprises en place concentrent leurs efforts sur
les clients les plus exigeants et ignorent les besoins des autres. Ils laissent ainsi
la place libre aux nouveaux entrants, qui avec de nouvelles technologies,
ont des opportunités de s’implanter dans l’industrie considérée en offrant
de nouvelles fonctionnalités à certains clients, souvent à des prix plus bas.
Ces nouveaux entrants, après avoir consolidé leurs parts de marché sur les
franges de l’industrie, montent en gamme et s’installent sur d’autres segments
de manière à satisfaire les principaux clients traditionnels. Les disruptions
apparaissent au moment où les nouveaux entrants réussissent à se faire une
place sur le territoire des entreprises en place (‘chasing on the territory’). En
d’autres termes, « lorsque les clients grand public commencent à adopter les offres
des entrants » (Christensen et al., 2015, p. 4). Précisons que le phénomène
de disruption doit s’analyser de façon relative par rapport aux technologies
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ou modèles d’affaires d’autres firmes. Malheureusement, beaucoup d’auteurs
considèrent toute innovation poussée par un entrant comme disruptive. Ce
qui ne correspond pas au modèle d’innovation disruptive de Christensen
Figure 1 – Le processus de disruption (adapté de Christensen et al., 2015)

Note : Le marché est stratifié en 3 : bas de gamme, dominant, haut de gamme. L’entrée de
nouveaux offreurs avec de nouveaux produits sur le marché bas de gamme ne gêne pas les
firmes en place qui sont sur le marché dominant. Elles commencent à être menacées quand
les nouvelles firmes (maintenant insiders) montent en gamme et les concurrencent sur le
segment des produits dominants (trajectoire disruptive).

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et al. (2015). L’entrée d’un innovateur a certainement un effet disruptif mais
ne correspond pas à une réelle disruption qui commence lorsque les nouvelles
firmes en place se renforcent et menacent les insiders. L’important ici est de
ne pas confondre le pouvoir disruptif (au sens de perturbant) de toute inno-
vation en tant que processus émergent avec le processus de disruption que
dépeint Christensen15.
Donnons plus de précision sur ce dernier processus. Les nouveaux entrants
commencent à explorer l’industrie à travers deux types de marchés :
1. L’innovateur disruptif offre des produits suffisamment bons aux clients
finaux bas de gamme parce que les entreprises en place (bien que solide-
ment établies sur le marché) accordent peu d’importance à ce type de
clients,
2. Les innovateurs disruptifs peuvent créer un segment de marché qui
n’existait pas avant la mise en œuvre de la nouvelle technologie (les pho-
tocopieurs personnels constituent un bon exemple d’innovation disrup-
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tive selon Christensen). Par conséquent, la disruption est un processus
de transformation du pouvoir de concurrence d’un innovateur. Dans une
certaine mesure, ce n’est pas l’innovation en tant que telle qui est disrup-
tive, mais le processus stratégique par lequel l’innovateur « navigue » dans
l’industrie, des marchés bas de gamme aux marchés moyen de gamme. Ce
faisant, il donne satisfaction à de nouveaux groupes de clients. C’est donc
l’évolution du produit dans le temps qui compte.
Il a été noté que l’innovation technologique est un élément important qui
tire le processus de disruption. Mais, un point crucial est de savoir si l’inno-
vation technologique joue un rôle déterminant dans les disruptions. On peut
avancer que toutes les innovations ne sont pas disruptives. Par conséquent,
ce n’est pas la nature de l’innovation qui est disruptive. Seules quelques innova-
tions le sont. Cela dépend fortement de la stratégie de l’innovateur. Dans ce
contexte, la question pertinente est de savoir si les innovations frugales ont
des caractéristiques spécifiques sur lesquelles l’innovateur peut prendre appui
pour mener une stratégie disruptive.
La littérature récente a mis en évidence que le processus de disruption pour-
rait être plus complexe que ce que Christensen et al. (2015) ont décrit. Deux
éléments doivent être ici pris en compte. D’une part les grandes entreprises en
place peuvent, dans certains contextes, créer la base d’un processus d’inno-
vation disruptive, ce qui n’est pas admis dans le schéma de base de l’innova-
tion disruptive de Christensen. Par exemple, Renault, le plus grand concur-
rent français de l’industrie automobile mondiale, a lancé un programme de

15.  On trouve aussi souvent l’erreur de confondre innovation disruptive avec l’innovation radicale.

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voitures à bas prix (avec la Logan) afin de s’attaquer aux marchés des clients
à faibles revenus (Midler et al., 2017). D’autre part dans l’économie globali-
sée, la géographie est importante. L’entreprise (souvent multinationale) peut
déployer sa stratégie partout, en utilisant le monde comme terrain de jeu pour
un processus essai-erreur (Midler, 2013). Par exemple, Renault a commencé
à expérimenter la conception et la fabrication de voitures à bas prix (Logan)
en Europe centrale et orientale : lesquelles peuvent réapparaître ensuite avec
succès en Europe occidentale (Midler, 2013 ; Govindarajan, Trimble, 2012).

L’innovation technologique au cœur


du processus de disruption ne peut
pas être fondamentalement frugale
La littérature qui envisage de positionner l’IF comme une innovation
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disruptive ne retient pas en général une définition élaborée de la disruption,
celle que propose Christensen et al. (2015). Par exemple, Rao (2013) reprend
explicitement pour définir l’innovation disruptive la phrase ‘cheaper, smaller,
simpler and convenient to use’ de Christensen (2003). Quant à Zeschky et al.
(2014), ils emploient le mot « disruptive » sans le définir, sans mettre une
seule référence à des publications. Ils ne citent aucun papier de Christensen
et s’en remettent à une vision « grand public » de ce terme. Ainsi, beaucoup
d’auteurs utilisent une définition simple, triviale et populaire, non cadrée
analytiquement de l’innovation disruptive16. Or, nous avons vu que le modèle
d’innovation disruptive de Christensen et al. (2015) sur lequel on s’appuie est
précis et tout à fait différent.
Etudions donc à présent si l’IF peut entrer dans le cadre du modèle d’inno-
vation disruptive au sens de Christensen et al. (2015). Quelles sont les tech-
nologies maîtrisées par les nouveaux entrants qui pourraient être au moins
potentiellement disruptives ? Dans son papier, Christensen s’intéresse aux
technologies ayant une « nouvelle fonctionnalité » qui peuvent fournir de nou-
veaux services par rapport aux produits fournis par les entreprises en place.
Ce sont les leviers de la disruption. On sait que les produits qualifiés de fru-
gaux ont au contraire moins de fonctionnalités (voir les développements ci-
dessus), en conséquence ils ne sont pas naturellement candidats à la disrup-
tion. Toutefois, dans la vie de l’innovation frugale il y a bien deux effets qui
ont rapport avec ce qui se passe dans le processus de disruption.

16.  Très récemment, Martinez-Vergara et Valls-Pasola (2020) ont proposé un survey des publications sur la
théorie de l’innovation disruptive de 1942 (l’innovation dite de Schumpeter) à 2003.

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L’innovateur/entrepreneur dit frugal vise les clients pauvres (parfois les
plus pauvres) pour lesquels les entreprises en place ne fournissent pas de pro-
duits à des prix suffisamment bas pour attirer cette clientèle. Parce que ce
type d’innovation est inclusive, elle tend à créer un marché (ou un nouveau
segment de marché) pour les clients pauvres. C’est la première étape du pro-
cessus de disruption. La seconde, la plus importante, correspond à la montée
en gamme (du bas de gamme au moyen de gamme, c’est-à-dire au produit plus
standard). Les innovateurs disruptifs visent les marchés des clients tradition-
nels. Christensen (2015) ne traite pas de l’IF mais insiste fortement sur le
fait que les nouveaux produits lancés par les entrants sont considérés comme
inférieurs par les clients traditionnels. Ces innovateurs préfèrent attendre que
la qualité du nouveau produit augmente avant d’en changer. Il s’agit là d’une
question importante : un produit de type frugal ne deviendra jamais high-
tech ou suffisamment riche en termes de qualité pour mettre en place une
offre pertinente pour les clients finaux disposant de revenus moyens ou pour
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les clients traditionnels. L’innovation frugale n’est pas faite pour produire une
offre pertinente à cette catégorie de clients. L’innovation frugale n’est pas conçue
pour remettre en cause les produits courants (standards) au sein d’une indus-
trie. Il se peut néanmoins que très marginalement le produit frugal concur-
rence le produit traditionnel de l’industrie17, et donc mord marginalement
sur les marchés standards des firmes en place. Il pourrait s’agir, par exemple,
d’un nouveau produit frugal économe en fonctionnalités qui serait amélioré
par l’ajout d’un plus grand nombre de fonctionnalités. Le produit peut être
considéré comme moins frugal mais plus complexe. Par exemple, la voiture
Kwid de Renault Nissan contient plus de composants par rapport à la voiture
frugale de Tata (la nano car) mais reste peu coûteuse, contenant moins de
fonctionnalités, et ne deviendra pas une voiture de haute technologie et de
haut de gamme. Ce type de voiture neuve économe et modernisée s’adresse
aux clients des économies émergentes qui ne sont pas des clients traditionnels
dans les économies développées. Toutefois, la Kwid pourrait être vendue dans
le Nord développé une fois améliorée par des fonctionnalités imposées par
les normes plus strictes du Nord. Dans ce cas, elle peut entamer des parts de
marchés réservées aux voitures plus standards, mais somme toute margina-
lement. Nous avons noté dans la toute première section que la voiture Tata
Nano pouvait être considérée comme un produit frugal bas de gamme, alors
que la Kwid était un produit frugal haut de gamme. Seule la seconde pour-
rait être candidate à durablement concurrencer les produits standards de ce
secteur. C’est à ce moment que le processus de disruption pourrait avoir lieu.

17.  L’exemple type que donne Christensen et al. (2006) est celui des services low-cost dans le transport
aérien qui sont considérés comme disruptifs.

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Le produit bas de gamme ne le peut pas. Toutefois, l’orientation du secteur
automobile vers plus de « soutenabilité » imposera de revoir de façon consi-
dérable les normes antipollution et anti CO2, et donc propulserait le passage
au moteur électrique. Les enjeux de concurrence se noueraient sur ce point et
moins sur les dimensions frugales des produits.
Compte tenu de cette analyse on ne peut pas exclure que sur certains mar-
chés, des produits frugaux montant en gamme puissent constituer des produits
concurrençant durablement les produits standards du secteur. Ils enclenche-
raient alors un processus de disruption. Remarquons que s’ils devenaient
disruptifs c’est beaucoup plus parce qu’ils rejoindraient les normes environne-
mentales, de confort, et de sécurité des produits phares de l’industrie et non
directement à cause de leurs caractéristiques frugales.
L’innovation disruptive affecte les préférences des consommateurs (von
Pechmann et al., 2015). Le modèle qui pourrait être ici opératoire pour décrire
la compétition entre innovations est le modèle évolutionniste des marchés de
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niche (Kemp et al., 1998 ; Windrum, Birchenhall, 1998). Il a été élaboré pour
expliquer que des produits à grande qualité environnementale (les produits
verts) sont vendus plus chers, mais peuvent toutefois concurrencer les produits
non verts moins chers. L’idée de base est que la compétition entre la techno-
logie verte et la technologie standard dont les produits occupent le cœur des
marchés de l’industrie considérée, est possible lorsque les nouveaux produits
sont expérimentés dans les franges de marché (Windrum, Birchenhall, 1998 ;
Malerba et al., 2007). L’existence de niches de marché permet aux firmes uti-
lisant la technologie verte de survivre jusqu’à ce que les progrès techniques
d’amélioration rendent leurs produits compétitifs par rapport aux produits
standards. Au sein d’une telle niche, progrès et expérimentations se font par
de constantes interactions et des coévolutions entre les firmes qui produisent
les améliorations et les utilisateurs qui en quelque sorte, testent les nouveaux
produits, les normes techniques et sociales (Kemp et al., 1998 ; Schot, Geels,
2008). On pourrait penser que ce modèle serait opérationnel pour traiter de
la concurrence dans l’industrie entre produits frugaux et produits standards.
Ce modèle est pertinent dans le cas de nouveaux produits verts portant
de nouvelles normes environnementales et apparait moins réaliste dans le
cadre de technologies frugales qui est le nôtre ici. En effet, la concurrence
entre produits verts et produits standards se structure sur des goûts et des
attitudes des consommateurs devant l’impératif de soutenabilité. On suppose
que les consommateurs ne sont pas contraints par leurs ressources. Cette
hypothèse ne tient plus dans le cas de l’innovation frugale. Celle-ci naît du
fait que certains consommateurs ne peuvent pas acheter les produits stan-
dards. Dit autrement, les produits standards et les produits frugaux ne sont en

n° 63 – innovations 2020/3 DOI: 10.3917/inno.063.0179 190


concurrence que pour une assez faible fraction de consommateurs. Une autre
façon de dire que l’innovation frugale ne peut pas à elle seule enclencher un
processus significatif de disruption18.

L’innovation frugale, le modèle


d’affaires (« Business Model »)19
et le processus de disruption
La relation entre les modèles d’affaires (BM pour « business model » par
la suite) et l’innovation frugale est double. Il y a, d’une part, une question
cruciale : est-ce que les nouveaux produits frugaux (associés à des innovations
technologiques frugales) nécessitent des BM spécifiques ? Autrement dit, l’in-
novation frugale impose-t-elle la mise au point de BM différents de ceux qui
s’appliquent aux produits standards ? Un second problème est de savoir s’il y a
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des innovations frugales qui peuvent affecter directement les BM proprement
dit et avoir des implications pour les populations à faibles ressources comme
le pensent Gupta et Wang (2009)20.
Reprenons ces deux points. L’innovation frugale a des modèles d’affaires
spécifiques (Rosca et al., 2017). Un innovateur qui adopte un état d’esprit fru-
gal doit reconsidérer (réviser) tout son modèle d’affaires (Yunus et al., 2010).
La distribution pour la livraison d’un produit frugal doit être performante
mais faite avec un coût extrêmement faible (Immelt et al., 2009). On n’ima-
gine pas un produit frugal être associé à un BM complexe et coûteux. Les
recherches empiriques de Rosca et al. (2017) montrent que les entrepreneurs
et les entreprises qui proposent des produits frugaux parviennent à combi-
ner les éléments du modèle d’affaires de manière perspicace afin de créer
une valeur économique, sociale et environnementale21. Par conséquent, il
est important du point de vue du management d’étudier les caractéristiques
des BM qui accompagnent les solutions technologiques frugales. D’autre
part, second point, des innovations dans le sens d’une plus grande frugalité

18.  Le cas du secteur des services nécessiterait une attention spéciale. Le transport aérien low-cost peut
correspondre à un service frugal et est donné par Christensen et al. (2006) comme un exemple de produit
disruptif en ce qu’il peut plus facilement concurrencer les positions des firmes en place sur le segment des
produits standards.
19.  On parle aussi de modèle économique. Il décrit la façon dont l’entreprise s’y prend pour créer, délivrer
et capturer (durablement) de la valeur dans le contexte de son secteur. Le terme de business model innovation
signifie la modification entreprise sur le modèle économique. Sur ces points voir notamment Osterwalder
et Pigneur (2010).
20.  Ces deux auteurs avancent aussi que l’innovation frugale peut affecter les services reprenant l’idée
originelle de Christensen et al. (2006).
21.  C’est un véritable défi que de développer un modèle économique frugal, en particulier dans les pays
pauvres. Nous n’abordons pas ce sujet dans le cadre de ce travail.

n° 63 – innovations 2020/3 DOI: 10.3917/inno.063.0179 191


affectent les BM (Gupta, Wang, 2009), qui deviennent plus frugaux. La litté-
rature est toutefois moins abondante sur ce dernier point.
Par ailleurs, les BM sont également au cœur des processus disruptifs.
Christensen notait qu’en réalité ce n’est pas l’innovation ou la technologie
qui est disruptive mais bien plutôt le « business model » dans lequel la tech-
nologie est déployée qui doit affecter les firmes en place (Christensen, 2006).
Les innovateurs disruptifs construisent un BM différent de ceux des entre-
prises en place (Christensen et al., 2015). Un nouveau BM ne doit pas être
confondu avec l’innovation produit. Il vise certes à redéfinir le produit mais
aussi la manière dont il est fourni aux clients et comment ces derniers le
payent. Il tend rapidement à élargir le marché soit en attirant de nouveaux
consommateurs, soit en encourageant les clients existants à en consommer
davantage (Markides, 2006). Un nouveau BM soutenu par des entrants peut
envahir un marché et concurrencer efficacement le BM existant mis en
œuvre par les entreprises déjà en place. Ces dernières se heurtent à deux
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difficultés principales : 1) il n’est pas facile de reconnaître les avantages du
nouveau BM, de sorte que les entreprises établies n’ont pas les incitations (et
les moyens) de changer les éléments de leur propre BM, 2) il est extrêmement
difficile de gérer la coexistence de deux BM différents au sein d’une même
entreprise. L’une des leçons importantes à retenir des recherches menées sur
les nouveaux BM est qu’ils parviennent que rarement à envahir l’ensemble
du marché d’une industrie (Markides, 2006). La capacité disruptive d’un BM
semble ainsi moindre que celle de l’innovation technologique. Ajoutons sim-
plement que les entreprises établies doivent répondre à la menace issue de
l’apparition d’un nouveau BM, mais cela ne signifie pas pour autant qu’elles
sont obligées de l’adopter.
Ces remarques nous permettent d’avancer que les nouveaux produits fru-
gaux nécessitant un BM spécifique (en rapport avec les ressources des popu-
lations les moins riches) ne peuvent que rarement entrer en concurrence avec
les produits standards de l’industrie qui ont leur propre BM. Ce qui signifie
que le BM pour les produits frugaux doit être aussi frugal, c’est à dire occasion-
ner des coûts limités permettant de faire des propositions de prix abordables.
En élargissant notre investigation au BM, nous avons encore confirmation
que l’innovation frugale ne peut être en soi de nature disruptive.

n° 63 – innovations 2020/3 DOI: 10.3917/inno.063.0179 192


Le contexte et les conditions de possibles
disruptions causées par l’innovation frugale
Jusqu’ici, notre point de vue était que des facteurs structurels empê-
chaient l’IF d’entrer dans un processus de disruption, c’est-à-dire de menacer
les firmes en place sur des segments de marché standards. Sans totalement
rejeter cette idée on doit s’interroger sur les contextes et les facteurs qui pour-
raient conduire les innovateurs frugaux sur une trajectoire disruptive. Deux
volets doivent être envisagés.
Dans notre argumentaire nous avons supposé que l’IF en économies en
développement et en économies développées avait les mêmes formes et provo-
quaient des conséquences quasi identiques. Il nous faut prendre de la distance
par rapport à cette hypothèse de travail. En effet, la notion même de pauvreté
et ses niveaux ne sont pas équivalents dans ces deux types d’économies. En
économies en développement, il reste que les IF sont relatives à des marchés
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soutenus par la demande des consommateurs les plus pauvres. Elles ne gênent
pas (autrement peut être qu’à la marge) les marchés des firmes occupant les
créneaux des produits standards. Ce qui ne peut être le cas s’agissant des éco-
nomies développées.
Développons ce point plus avant. Dans les économies développées, le
modèle d’innovation disruptive de Christensen et al. (2015) doit être revu ou
réapprécié en tenant compte de deux ensembles de faits qui n’ont pas (ou peu)
été intégrés à notre connaissance dans le schéma de disruption. En premier
lieu, les producteurs low-cost au lieu de menacer les autres producteurs sur
d’autres gammes de produits ou de services ont pu être mis en situation de
concurrence exacerbée entre eux. Par exemple, dans le transport aérien, les
succès commerciaux des pionniers du low-cost ont déclenché, d’une part une
riposte des compagnies en place se mettant aussi sur ce créneau, mais aussi,
d’autre part, des entrées d’autres compagnies low-cost créant une offre low-
cost trop forte, aboutissant à des « sorties » de firmes. D’autre part, le modèle
de concurrence par l’innovation disruptive de Christensen et al. (2015) ne
prend pas en compte le fait que les insiders peuvent aussi se saisir des inno-
vations bas de gamme, et, à travers des stratégies d’imitation investir dans
les technologies potentiellement disruptives et les maîtriser. Dans l’industrie
automobile par exemple, on voit que Renault a été pionnier en Europe sur le
créneau du low-cost, et qu’aujourd’hui avec la Kwid (mais non encore présente
sur les marchés des économies développées) qualifié de « produit frugal haut
de gamme », Renault a encore un temps d’avance s’agissant d’inclure dans
son offre des véhicules frugaux (Midler et al., 2017). Une firme insider offrant
des produits standards peut aussi construire une offre sur de l’innovation

n° 63 – innovations 2020/3 DOI: 10.3917/inno.063.0179 193


frugale. Un autre exemple, celui de la couveuse pour nouveau-né GE Lullaby,
illustre encore le fait que des produits nouveaux frugaux peuvent prendre
la place de produits non frugaux mais cette substitution est réalisée par des
firmes insiders. La couveuse GE Lullaby, de General Electric, vendue 3000
dollars (contre 12 000 pour les produits de la gamme supérieure), a été lancée
en Inde en Mai 2006. Elle est maintenant vendu dans 62 pays (Belgique et
Italie inclues). Durabilité, simplicité, performance sont ses principales quali-
tés. Le produit apparait moderne aux yeux des patients qui lui manifestent
une grande confiance. Visiblement, elle peut concurrencer les couveuses clas-
siques. Toutefois, elles semblent les remplacer que pour une partie du parc au
sein des pays développés. Là encore, la firme innovante, General Electric,
appartient au Nord développé et possède une gamme de produits plus sophis-
tiqués22.
Avec ces deux exemples (Renault et General Electric), on voit que les
grandes firmes en place peuvent générer de l’IF pour renouveler leur propre
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offre sans mettre en péril leurs avantages compétitifs relativement à leurs
produits standards. D’autres recherches seraient nécessaires pour vraiment
apprécier si avec ce cas de figure nous sommes en face d’un réel processus de
disruption (de menaces sérieuses sur les marchés des firmes en place) ou un
exemple de concurrence sur les marges des marchés des produits standards23.
Nous sommes ainsi enclins à penser que l’IF n’a sans doute pas le pouvoir de
disruption (au sens où on l’a défini), mais tend plutôt à renouveler la structure
d’offre des firmes en place.
Un autre aspect mérite une investigation sérieuse. Les consommateurs
contraints par leurs ressources des pays en développement optent pour les
produits frugaux qui améliorent leur niveau de vie alors que les aspects envi-
ronnementaux n’entrent pratiquement pas en considération. Il en va diffé-
remment dans les économies développées. Brem (2017) a défendu l’idée que
sur les marchés du Nord voire les marchés globaux, l’IF peut changer de
signification passer d’une innovation bon marché (ce qu’elle reste dans le
Sud) à une innovation « resourceful » permettant une utilisation minimale
des principales ressources naturelles comme l’eau, l’énergie et le temps. Elle
constitue une innovation soutenable permettant des propositions de valeur

22.  En 2011 la gamme Lullaby a été perfectionnée pour traiter par photothérapie l’hyperbilirubinemie
infantile grâce une solution technique qui économise des couts. Voir :
https://www.marketscreener.com/GENERAL-ELECTRIC-COMPANY-4823/news/General-Electric-
Company-GE-Healthcare-sings-a-new-Lullaby-in-developmental-care-for-infants-13873102/
23.  Ce processus de montée en gamme peut se pratiquer à travers un processus de reverse innovation qui
comme l’ont montré Burger-Helmchen et Hussler (2017) incorpore un processus de diffusion géographique
de l’innovation (en général du Sud vers le Nord) mais aussi une évolution des cibles stratégiques (du bas vers
le moyen de gamme, par exemple).

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plus élevée (meilleure qualité, plus grande accessibilité). En cohérence avec
cette tendance, Tiwari et Kalogerakis (2019, p. 50) notaient ‘an increasing
number of (potential) buyers of frugal innovations, especially in the industrialised
economies, are motivated by a desire to reduce their ecological footprint and to
lead a moderate lifestyle. The frugality is by choice. We therefore developed an
integrated framework for frugal innovations […] we propose a new definition that
is based on the idea of ‘affordable green excellence’. Ainsi nous serions en face
d’une extension des caractéristiques de la frugalité qui aurait toujours une
dimension économique mais aussi environnementale. En clair, les proprié-
tés environnementales de l’IF aujourd’hui clairement établies (Le Bas, 2020)
pourraient constituer un facteur supplémentaire de disruption (en plus du
prix) menaçant les produits (non frugaux) des firmes en place. Notons que
ces dernières peuvent également élaborer des solutions écologiques avec de
nouveaux produits mais localisés dans des niches et non sur des segments plus
standards (Schot, Geels, 2008). Aussi, de telles solutions sont nécessairement
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coûteuses, faisant déplacer les prix vers le haut. Ce qui redonne aux « produits
frugaux green » une attraction plus forte et alimenterait la tendance en faveur
de la disruption.

Conclusion
Dans cet article, nous contribuons à la recherche sur les implications des
formes récentes d’innovation, en réunissant deux chapitres disjoints de la
littérature, celui traitant de l’innovation frugale d’un côté, et celui de l’inno-
vation disruptive de l’autre. Les travaux sur l’innovation frugale restent plus
ancrés dans l’économie du développement et secondairement sans celui du
management de l’innovation. En revanche, la littérature sur l’innovation
disruptive apparait très fortement « accrochée » au Management stratégique
(et plutôt spécifique aux pays du Nord). Notre question de recherche avait
pour but de déterminer si l’innovation frugale a des propriétés d’innovation
disruptive. La littérature a trop souvent confondu les dimensions atypiques
de l’innovation frugale avec des capacités de perturbation des marchés, alors
qu’elle vise plutôt à en élargir l’échelle. Par ailleurs, l’innovation disruptive a
été assimilée à un simple levier d’agitation des marchés et de la concurrence.
Il est vrai que toute innovation modifie le circuit économique et introduit un
élément de changement structurel.
La solidité et la pertinence de notre recherche tient à ce que nous sommes
partis de l’exacte définition de l’innovation disruptive fournie par Christensen
(2015). Notre principal résultat est que l’innovation frugale n’est pas

n° 63 – innovations 2020/3 DOI: 10.3917/inno.063.0179 195


disruptive par nature24 et nous avons montré pourquoi. Nous contribuons
aussi à l’analyse du processus de disruption en indiquant les conditions de
l’impact disruptif de l’innovation frugale. Pour cela, nous avons clairement
distingué les économies en développement des économies développées du
Nord. Une limite de notre travail est qu’il est principalement analytique et
n’intègre pas de nouveaux matériaux empiriques. Il se peut que dans des cas
très particuliers des innovations frugales aient une capacité disruptive. Ces
cas particuliers s’ils existent ne remettraient toutefois pas en cause la « loi
générale », puisque constituant des exceptions. Il y a néanmoins une thé-
matique qui mériterait de plus amples investigations dans la problématique
qui est la nôtre dans ce papier. Celle de l’innovation inverse déjà beaucoup
investiguée dans la décennie passée (pour un survey de littérature : Burger-
Helmchen, Hussler, 2017). L’idée qu’il serait pertinent de développer est de
savoir si certaines innovations frugales du Sud qui donnent lieu à un schéma
d’inversion peuvent posséder un pouvoir disrupteur.
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