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BEVERIDGE OU BISMARCK, QUELLES CONSÉQUENCES SUR LE BIEN-

ÊTRE D'AGENTS HÉTÉROGÈNES?

Stéphane Rossignol, Emmanuelle Taugourdeau

Presses de Sciences Po | « Revue économique »

2003/3 Vol. 54 | pages 541 à 550


ISSN 0035-2764
ISBN 2724629515
DOI 10.3917/reco.543.0541
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-economique-2003-3-page-541.htm
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Beveridge ou Bismarck,
quelles conséquences sur le bien-être
d’agents hétérogènes?

Stéphane Rossignol*
Emmanuelle Taugourdeau**

Nous comparons les taux de cotisation optimaux et le bien-être des agents


pour deux systèmes de protection sociale différents : un système beveridgien et un
système bismarckien. Les taux des prélèvements sociaux sont décidés par un vote
majoritaire dans les deux cas. Dans un modèle où les agents se différencient par
leur revenu, nous déterminons quelles classes d’agents préfèrent l’un ou l’autre des
systèmes.

BEVERIDGE OR BISMARCK, WHAT CONSEQUENCES


ON WELFARE OF HETEROGENEOUS AGENTS?

We compare the optimal insurance contribution rate and welfare levels for two
opposite social insurance systems: a beveridgean one and a bismarckian one. The
social contribution rates are decided by majority voting rule in both cases. In a
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model where agents earn heterogeneous incomes, we determine which system is
preferred by which class of agents.

Classification JEL : D7, H5

INTRODUCTION

La question des disparités entre les systèmes de protection sociale et de leurs


incidences sur le bien-être des agents a fait l’objet de plusieurs études depuis une
dizaine d’années. On est en effet amené à s’intéresser aux mérites des systèmes
de protection sociale plus ou moins redistributifs, étant donné les divergences
des systèmes de protection sociale au sein même de l’Europe. La France et

* EUREQua, université Paris 1, Maison des sciences économiques, 106-112 boulevard de


l’hôpital, 75647 Paris cedex 3. E-mail : rossign@math.uvsq.fr
** EUREQua, université Paris 1, Maison des sciences économiques, 106-112 boulevard de
l’hôpital, 75647 Paris cedex 3. Email : taugour@univ-paris1.fr
Nous remercions Carine Franc et le groupe de travail « Économie politique » de EUREQua pour
leurs commentaires fructueux. Nous restons néanmoins seuls responsables des erreurs qui peuvent
subsister.

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l’Allemagne sont considérés comme étant des pays « bismarckiens » alors que
les Pays-Bas sont considérés comme « beveridgiens »1.
Les taux de cotisation des systèmes de protection sociale sont très souvent
étudiés dans des modèles de vote. Cette approche a été initiée par Browning
[1975] qui a développé un modèle dans lequel les agents se différenciaient par
leur âge. Le critère de l’âge est un élément crucial dans l’analyse des politiques
sociales et notamment concernant les retraites (cf. Tabellini [2000]). Mais il est
maintenant reconnu que l’analyse de la politique de protection sociale doit
prendre en compte d’autres degrés d’hétérogénéité des agents considérés comme
aussi essentiels dans l’analyse. La distribution des revenus est notamment un des
éléments capitaux dans la détermination de la politique sociale et, en particulier,
lorsque les prestations ne dépendent pas des cotisations individuelles des agents
(système de protection sociale de type beveridgien).
L’objet de cet article est de comparer deux cas polaires de systèmes que nous
qualifions ici de purement beveridgien et purement bismarckien. Les systèmes
bismarckien et beveridgien se différencient par plusieurs aspects : le premier
s’adresse exclusivement aux travailleurs et a une logique assurantielle. Il fonc-
tionne dans le cadre d’un groupe professionnel et est géré par les partenaires
sociaux. En revanche, le système beveridgien repose sur une logique de solida-
rité. Trois principes le caractérisent : l’uniformité des prestations, l’universalité
et l’unicité. L’État gère en effet l’intégralité des risques de tous les agents et les
travailleurs ne sont plus les seuls individus couverts par l’assurance sociale.
Dans notre modèle, nous opposerons les termes beveridgien et bismarckien en
confrontant les notions d’assurance et d’uniformité. En effet, la société simpli-
fiée que nous représentons ici ne différencie pas les travailleurs des autres indi-
vidus et ne divise pas la société en groupes professionnels capables d’autogérer
leur système d’assurance sociale.
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Dans cet article, nous cherchons à déterminer les conséquences de l’adoption
de tel ou tel système par les gouvernements sur le bien-être des agents lorsque le
taux de prélèvement des cotisations sociales est choisi par un vote à la majorité.
Le but de cette étude est en particulier de répondre à la question suivante : les
agents les plus pauvres préfèrent-ils toujours un système de type beveridgien à
un système bismarckien, et, si oui, en dessous de quel niveau de revenu? Pour
répondre à cette double question, nous utilisons un modèle dans lequel les agents
sont hétérogènes par leur revenu. En revanche, nous gardons un modèle statique
et ne faisons pas intervenir de différences intergénérationnelles2. Nous montrons
que la politique sociale appliquée dans un système beveridgien dépend du degré
d’aversion pour le risque des agents alors que ce n’est pas le cas pour un système
de type bismarckien.
La détermination d’un système de protection sociale optimal fait l’objet de
l’article de Casamatta, Cremer et Pestieau [1998] dans lequel le système est
déterminé à une étape constitutionnelle préalable au vote concernant le taux
d’imposition. Dans cet article, nous ne nous intéressons pas spécifiquement à
cette étape, mais nous montrons que si l’électeur médian choisit préalable-

1. Voir Johnson [1998]. Voir aussi Join-Lambert [1994] pour une explication plus détaillée des
systèmes beveridgien et bismarckien.
2. Voir Myles [1995] pour un survey portant sur les modèles de vote concernant la politique
sociale avec agents d’âges différents.

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ment le système de protection sociale, il préfère toujours un système de type


beveridgien.
Cet article s’organise de la manière suivante : la deuxième section présente le
modèle. Les taux de cotisation optimaux et l’analyse des niveaux de bien-être
sont présentés dans la troisième section. La dernière section nous permet de
conclure.

LE CADRE DU MODÈLE

Nous considérons un modèle dans lequel les individus sont regroupés en M


classes de revenus homogènes. On note N j le nombre d’individus de la
jème classe, la population totale est donc Nj = N . ∑j
Les agents peuvent être dans deux situations différentes :
• Soit ils sont dans le bon état de la nature. Ils gagnent alors un revenu exogène
w j avec j = 1, …, M . Ces revenus sont identiques par classe d’agents avec
w 1 < w 2 < … < w M , ce qui implique que le revenu moyen est compris entre w 1
et w M .
• Soit ils sont dans le mauvais état de la nature. Ils ont alors recours à l’assu-
rance sociale publique qui leur fournit un revenu b j , avec j = 1, …, M . On
peut qualifier de mauvais état de la nature le fait d’être au chômage, en arrêt
maladie ou à la retraite.
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On suppose que l’individu a une probabilité p de se trouver dans le bon état
de la nature et une probabilité ( 1 – p ) de devoir recourir à l’assurance sociale,
où p est donné.
L’espérance d’utilité d’un agent de revenu w j est donc :
pU ( c j ) + ( 1 – p )U ( b j )
où c j représente le revenu disponible net dans le bon état de la nature, et b j , le
montant versé par l’assurance sociale publique dans le mauvais état de la nature.
U est une fonction croissante, deux fois dérivable et concave1. Le système de
protection sociale est financé par un taux de prélèvement t, ce qui implique :
c j = w j(1 – t )
La contrainte budgétaire de l’organisme de protection sociale s’écrit :

p ∑j N j w j t = (1 – p) ∑j N j b j
Deux systèmes de protection sociale peuvent être appliqués. Ils s’opposent
par leur logique d’assurance et de solidarité. Étant donné les caractéristiques de

1. Cette formalisation de la protection sociale a déjà été utilisée par Cremer, Pestieau et Casa-
matta [2000b] entre autres.

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notre modèle, cette simple opposition recouvre la distinction classique entre


systèmes beveridgien et bismarckien. On a donc :
• Soit un système de protection sociale de type beveridgien, c’est-à-dire où les
prestations sociales sont forfaitaires pour tous les agents. On a donc, compte tenu
de la contrainte budgétaire de l’organisme de protection sociale :
p
b BE
j = ------------ t BE w
1– p
Les prestations dépendent uniquement du revenu moyen de l’économie w où
1
w = ---- ∑N w . Il s’agit d’un système d’assistance plus que d’assurance. On
N j j j
peut le qualifier de redistributif.
• Soit un système de protection sociale du type bismarckien où les prestations
sociales dépendent directement des cotisations. C’est en effet ainsi que nous
traduisons la logique assurantielle d’un tel système. Compte tenu de la contrainte
budgétaire de l’organisme de protection sociale, on a alors :
p BI
b BI
j = ------------ t w j avec j = 1, …, M
1– p
Ce système de protection sociale de type assurance n’est pas redistributif.

Le choix du niveau de prélèvement finançant les prestations sociales est déter-


miné par un vote majoritaire, c’est-à-dire par la classe médiane. Nous montre-
rons, en effet, que les préférences des électeurs sont concaves. La classe médiane
contient le ou les électeurs médians et elle est supposée unique. Nous supposons
enfin que le revenu médian est inférieur au revenu moyen ( w > w m ) . Cette hypo-
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thèse est réaliste car vérifiée dans tous les pays. Nous verrons, par la suite, que,
dans le système bismarckien, toutes les classes d’individus sont d’accord sur le
choix du taux de prélèvement. En revanche, cela n’est plus valable pour un
système beveridgien.
Examinons tout d’abord quels sont les individus qui préfèrent un système
redistributif (beveridgien) à taux de cotisation donné.

PROPOSITION 1. À taux de cotisation t fixé, les agents moins riches que la


moyenne ( w j < w ) préfèrent un système de protection sociale de type beve-
ridgien et les agents plus riches que la moyenne ( w j > w ) préfèrent un
système de protection sociale de type bismarckien.

Démonstration
pU ( w j ( 1 – t ) ) + ( 1 – p )U  ------------ tw > p U ( w j ( 1 – t ) ) + ( 1 – p ) U  ------------ tw j
p p
1 – p  1 – p 

wj < w


Ce résultat est naturel étant donné l’aspect redistributif du système beverid-


gien. Les agents moins riches que la moyenne gagnent à la redistribution.

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Stéphane Rossignol, Emmanuelle Taugourdeau

LA POLITIQUE OPTIMALE

Choix du taux de prélèvement


Le taux de prélèvement préféré par un individu du groupe j est celui qui maxi-
mise son espérance d’utilité, i.e :
arg max W i ( t i, w j ) (1)
ti
avec i = BI, BE

W BE ( t BE, w j ) = pU ( w j ( 1 – t BE ) ) + ( 1 – p )U  t BE w ------------
p
 1 – p
pour le système beveridgien ( BE ) et

W BI ( t BI, w j ) = pU ( w j ( 1 – t BI ) ) + ( 1 – p )U  t BI w j ------------
p
 1 – p
pour le système bismarckien ( BI ) .
Comme U est concave, W BE (resp. W BI ) est une fonction concave en t BE
(resp. en t BI ).
Les conditions du premier ordre nous donnent pour BI :

– pw j U′ ( w j ( 1 – t BI ) ) + pw j U′  t BI w j ------------ = 0
p
 1 – p
et pour BE :
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G ( t BE, w j, w ) = – pw j U′ ( w j ( 1 – t BE ) ) + pwU′  t BE w ------------ = 0
p
 1 – p
Les conditions de second ordre sont vérifiées par concavité de W BE et W BI .
Cette concavité nous permet de respecter la condition de single peaked ou
d’unimodalité et d’appliquer le théorème de l’électeur médian.
Pour résoudre ce programme, nous utilisons une fonction d’utilité de type CES
d’élasticité de substitution σ. Cette fonction d’utilité nous donne un coefficient
1
d’aversion relatif pour le risque constant et égal à --- . Nous avons donc :
σ
1
1 – ---
x σ
U ( x ) = ------------ pour σ ≠ 1
1
1 – ---
σ
U ( x ) = ln x pour σ = 1
En introduisant cette fonction dans les conditions du premier ordre, nous obte-
nons pour BI :
t BI * = 1 – p pour σ = 1
1
t BI * = --------------------------- = 1 – p pour σ ≠ 1
1 +  ------------
p
 1 – p

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et pour BE :
t BE * = 1 – p pour σ = 1
j

1
t BE
j - pour σ ≠ 1
* = -------------------------------------------------
 w –σ  p 
1
1 + ----- ------------
 w j  1 – p

Ces résultats nous indiquent tout d’abord que le taux de cotisation choisi dans
le cas où le pays applique un système de protection sociale bismarckien ne
dépend pas du type des agents. En revanche, si un système beveridgien est
1
appliqué, lorsque l’aversion relative pour le risque --- est supérieure à 1, plus les
σ
agents sont riches et plus le taux de cotisation qu’ils préfèrent est élevé. En effet,
un agent riche qui a une aversion pour le risque élevée ( σ < 1 ) choisit de lisser
son revenu entre son bon état et son mauvais état de la nature. Il préfère donc un
taux de cotisation relativement élevé, mais qui implique une forte redistribution
des revenus entre les riches et les pauvres. Si son aversion pour le risque est rela-
tivement peu élevée ( σ > 1 ) , son objectif de lissage est faible. Il préfère donc un
faible taux de cotisation, qui implique peu de redistribution. Le mécanisme
s’inverse pour un agent pauvre. Si σ < 1 , il souhaite fortement lisser ces deux
états, mais comme son revenu w j est inférieur au revenu moyen w , cela
implique un faible taux de cotisation et donc, peu de redistribution. Pour σ > 1 ,
son objectif de lissage est faible, il privilégie alors la redistribution, d’où un taux
de cotisation élevé.
De façon analytique, on a :
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dG ( t BE, w j, w )
= – p  1 – --- U ′ ( w j ( 1 – t BE ) ) <> 0 pour σ <> 1
1
----------------------------------- (2)
dw j  σ

d G ( t BE, w j, w )
----------------------------------- = 0 pour σ = 1 (3)
dw j

Nous savons que c’est la classe médiane qui détermine le taux de prélèvement
appliqué pour le système beveridgien. Son niveau est donc donné par :
t BE * = 1 – p pour σ = 1
1
t BE * = --------------------------------------------------- pour σ ≠ 1 (4)
w –σ  p 
1 +  -------
1
------------
 w m  1 – p

Le taux de prélèvement optimal est une fonction décroissante de l’indice


w
d’inégalité ------- pour σ < 1 . Plus l’inégalité est forte et plus le taux de cotisation
wm
appliqué par un système de type beveridgien est faible. C’est l’inverse pour
σ>1.
Nous pouvons également comparer les taux appliqués dans les deux systèmes.

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PROPOSITION 2. Le système de type bismarckien implique un taux de cotisa-


tion supérieur (resp inférieur) au système de type beveridgien si l’aversion
1
relative pour le risque --- est supérieure (resp inférieure) à 1.
σ

Démonstration. Comme par hypothèse, w m < w :


w 1–σ
Pour σ < 1 , on a  ------- > 1 , ce qui implique t BE * < t BI *
 w m

w 1–σ
Inversement, pour σ > 1 , on a  ------- < 1 , ce qui implique t BE * > t BI * 
 w m

Lorsqu’un système bismarckien est adopté, le taux de cotisation ne dépend


pas de l’indice d’inégalité. Par hypothèse, cet indice est supérieur à 1. Lorsque
le degré d’aversion pour le risque est supérieur à 1 (i.e. σ < 1 ), les agents les
plus riches préfèrent un taux de prélèvement plus élevé. Le médian étant moins
riche que la moyenne, il préfère un taux moins élevé que lorsque celui-ci est
choisi unanimement dans un système bismarckien. C’est le cas inverse lorsque
σ > 1 car l’électeur médian préfère un taux de prélèvement relativement élevé
puisqu’il est moins riche que la moyenne.

Comparaison des niveaux de bien-être

La comparaison des niveaux de bien-être lorsque les politiques sont détermi-


nées par l’électeur médian nous donne la proposition suivante.
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PROPOSITION 3. Les agents dont le bien-être est plus élevé lorsqu’un système
de type beveridgien est appliqué, sont ceux dont le revenu est inférieur à un
w
revenu seuil w̃ . On a w m  w  w et le rapport ---- croît avec l’indice
w
d’inégalité de l’économie si l’aversion relative pour le risque est différente
de 1.
Si l’aversion relative pour le risque est égale à 1, le revenu seuil est toujours
égal au revenu moyen.

Démonstration. Voir Annexe.

Corollaire. L’électeur médian préfère toujours un système beveridgien.

Deux effets expliquent ces résultats. On les voit apparaître en décomposant la


différence des utilités de la manière suivante :
W BE ( t BE *, w j ) – W BI ( t BI *, w j )
= [ W BE ( t BI *, w j ) – W BI ( t BI *, w j ) ] + [ W BE ( t BE *, w j ) – W BE ( t BI *, w j ) ]
Le premier crochet montre un effet « système de protection sociale » qui a
déjà été présenté dans la proposition 1 : à taux de cotisation donné, les plus
pauvres que la moyenne préfèrent un système plus redistributif.

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Le deuxième crochet montre un effet « cotisation » qui met en avant le taux


préféré lorsqu’un système beveridgien est appliqué. Le taux t BE * est celui choisi
par le médian alors que t BI * serait le taux choisi par un individu de revenu w
dans un système beveridgien. Cet effet est donc positif pour l’agent de revenu
médian et négatif pour l’agent de revenu moyen. Comme de plus, il s’agit d’une
fonction décroissante du revenu, cet effet s’annule pour un agent de revenu ŵ
compris entre w m et w .
Les deux effets sont donc positifs pour un agent de revenu inférieur à ŵ (et
donc pour le médian), négatifs pour un revenu supérieur à w . Ils se compensent
exactement pour un agent de revenu w̃ avec w m  ŵ  w̃  w . Si le système
de protection sociale est choisi à la majorité à une étape constitutionnelle préa-
lable au vote sur le taux de cotisation, le système adopté est alors beveridgien et
ce, quel que soit le taux de cotisation t BI choisi dans le système bismarckien.
Enfin, plus le décideur est pauvre ( w m petit) et plus il faut être pauvre pour
préférer un système beveridgien.

CONCLUSION

Dans cet article, nous avons comparé les niveaux de bien-être des agents issus
de systèmes de protection sociale diamétralement opposés : un système dit
bismarckien et un système dit beveridgien. Lorsque les agents diffèrent par leur
revenu, nous avons montré que les plus pauvres ont un niveau de bien-être plus
élevé dans une économie qui applique un système beveridgien mais que la fron-
tière entre les « riches » et les « pauvres » dépend notamment de l’indice
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d’inégalité du pays. Nous montrons également que le niveau des prélèvements
sociaux dépend du degré d’aversion pour le risque des agents. Si le degré d’aver-
sion pour le risque est supérieur à 1, les agents riches préfèrent un taux de coti-
sation très élevé pour maintenir un pouvoir d’achat suffisant dans le cas où ils
auraient recours à l’assurance sociale. Dans ce cas, le taux appliqué dans un
système bismarckien (qui ne dépend pas de l’aversion pour le risque) est supé-
rieur au taux appliqué dans un système beveridgien. C’est l’inverse lorsque
l’aversion pour le risque est inférieure à 1.
De plus, on a pu remarquer que l’électeur médian préfère toujours une protection
sociale beveridgienne. Si le système de protection sociale est choisi à la majorité
lors d’une étape constitutionnelle préalable, le système adopté sera beveridgien.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

BROWNING E. [1975], « Why the social security insurance budget is too large in a
democracy? », Economic Inquiry, 13, 373-388.
CASAMATTA G., CREMER H. et PESTIEAU P. [2000a], « The political economy of social
security », Scandinavian Journal of Economics, 102, p. 503- 522.
CASAMATTA G., CREMER H. et PESTIEAU P. [2000b], « Political sustainability and the
design of social insurance », Journal of Public Economics, 75, p. 341-364.

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Stéphane Rossignol, Emmanuelle Taugourdeau

JOHNSON P. [1998], « Pension, provision and pensioner’s income in 10 OECD


countries », mimeo ISF, Londres.
JOIN-LAMBERT M.-T. [1994], Politique sociale, coll. « Amphithéâtre », Presses des Sciences
Po et Dalloz (chap. 8).
MYLES G. [1995], Public Economics, Cambridge, Cambridge, University Press.
TABELLINI G. [2000], « A positive theory of social insurance », Scandinavian Journal of
Economics, 102, p. 523-545.

ANNEXE

PREUVE DE LA PROPOSITION 3

Comme t BI * = 1 – p , on définit pour w fixé :


K ( w j ) = W BE ( t BE *, w j ) – W BI ( t BI *, w j )

= pU ( w j ( 1 – t BE * ) ) + ( 1 – p )U  t BE * w ------------ – U ( w j p )
p
 1 – p
avec
K′ ( w j ) = p ( 1 – t BE * )U′ ( w j ( 1 – t BE * ) ) – pU′ ( w j p )
Pour une utilité CES avec σ ≠ 1
K′ ( w j ) < 0
1 –1
1 – --- ------
⇔ ( 1 – t BE * ) σ < pσ
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• Si σ < 1
K′ ( w j ) < 0
1
------------
⇔ t BE * < 1 – p 1 – σ
or nous avons vu que pour σ < 1, t BE * < t BI * = 1 – p , ce qui nous donne
1
------------
t BE * < 1 – p < 1 – p 1 – σ
K′ ( w j ) est donc négatif.
• Si σ > 1
K′ ( w j ) < 0
1
------------
⇔ t BE * > 1 – p 1 – σ
or nous avons vu que pour σ > 1, t BE * > t BI * = 1 – p , ce qui nous donne
1
------------
t BE * > 1 – p > 1 – p 1 – σ
K′ ( w j ) est donc négatif.
De plus
K ( w̃ ) = 0
1
w˜ 1 – p ------------
⇔ ---- =  ------------ σ – 1 R ( t BE * )
w  p 

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avec
t BE *
R ( t BE * ) = -------------------------------------------------------------
σ
-
–1 1
1 – --- ------------
 p ----- -
σ – ( 1 – t BE * ) σ σ – 1
 
et
R′ ( t BE * ) > 0 ⇔ t BE * < 1 – p
soit R′ ( t BE * ) > 0 ⇔ σ < 1
Ainsi pour w fixé :
• Si σ > 1 , le revenu seuil est décroissant avec le taux de cotisation qui est lui-même
croissant avec l’indice d’inégalité. Au total, le revenu seuil décroît avec l’indice d’inéga-
lité.
• Si σ < 1 , le revenu seuil est croissant avec le taux de cotisation qui est lui-même
décroissant avec l’indice d’inégalité. Au total, le revenu seuil décroît avec l’indice
d’inégalité.
• Si σ = 1 , d’après la proposition 1, w̃ = w car t BE * = t BI * .

Enfin, pour un indice d’inégalité égal à 1, on a t BE * = 1 – p , d’où ---- = 1 
w
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Revue économique — vol. 54, N° 3, mai 2003, p. 541-550

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