Vous êtes sur la page 1sur 42

UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES

SOLVAY BUSINESS SCHOOL

MASTERE SPECIAL EN GESTION FISCALE

QUESTIONS APPROFONDIES D’IMPOT DES PERSONNES PHYSIQUES

DEUXIEME PARTIE

LES REVENUS DIVERS –


LES PLUS-VALUES REALISEES PAR LES PERSONNES PHYSIQUES

Pascale HAUTFENNE

Année académique 2013-2014

1
I. INTRODUCTION

Le présent chapitre est consacré à la détermination des conditions dans


lesquelles une personne physique qui réalise un profit dans le cadre de
la gestion de son patrimoine privé est taxable.

Comme l’ont écrit COPPENS et BAILLEUX, depuis la réforme de 1962, il


y a trois domaines et deux frontières à délimiter.

1. Le domaine de la gestion normale d’un patrimoine : le principe


demeure l’absence de tout impôt sur le profit qui sera réalisé (par
exemple : le gain occasionnel en bourse d’un père en famille).

2. A l’opposé, il y a le domaine des occupations lucratives qui


deviennent professionnelles par les moyens qui sont mis en
œuvre et par leur fréquence.

3. Entre ces deux domaines, la loi a inséré les occupations lucratives


occasionnelles qui sont à mi-chemin entre les actes de gestion
patrimoniale simple (non taxés) et les occupations lucratives
professionnelles (taxées à plein tarif). Il s’agit de « revenus
divers » qui bénéficient d’une taxation adoucie (taux de 33% pour
les revenus visés par l’article 90,1°).

D’où un problème de nuances : à partir de quelle fréquence, à


partir de quelle importance, la spéculation occasionnelle devient-
elle une exploitation professionnelle ? (COPPENS et BAILLEUX,
L’impôt des personnes physiques, Larcier, 1992, pp. 254-255).

II. REVENU PROFESSIONNEL

(a) La plus value est certainement professionnelle lorsque le


bien à l’origine de la plus value était affecté à des fins
professionnelles.

Les plus values imposables au titre de revenus professionnels à


l’impôt des personnes physiques visent en effet les
accroissements d’avoirs affectés l’exercice de la profession
(Articles 24 et 27 CIR 1992).

2
Les biens affectés à l’exercice de l’activité professionnelle sont :

1. les immobilisations acquises ou constituées dans le cadre de


cette activité professionnelle et figurant parmi les éléments de
l’actif ;
2. les immobilisations en raison desquelles des amortissements
ou des réductions de valeur sont admis fiscalement ;

Exemple jurisprudentiel :

La Cour d’appel de Bruxelles admet ainsi la taxation comme


revenu professionnel de la plus value immobilière réalisée dans
les circonstances suivantes.

Le requérant avait acheté la moitié indivise d'un immeuble sis rue


des Palais - Outre Ponts à Bruxelles le 7 août 1986 pour (800.000
frs. : 2=) 400.000 frs. L'autre moitié indivise était acquise par
Monsieur Michel Bu..

Il a exercé une activité de garagiste dans ce bâtiment, avec


Monsieur Bu., depuis la date de son achat jusqu'en octobre 1988,
époque à laquelle les intéressés ont transféré leur lieu d'activités à
1120 Bruxelles, Val Marie.

Le requérant et Monsieur Bu. ont donné l'immeuble litigieux de la


rue des Palais - Outre Ponts en location à la sprl. «M.et A.A» du
1er janvier 1989 jusqu'au 31 décembre 1991.

Le requérant a déclaré le loyer annuel de 108.000 frs au titre de «


revenu immobilier - loyer professionnel et a poursuivi
l'amortissement du bâtiment litigieux de la rue des Palais jusque
fin 1991 (12.000 frs par an).

Ce bâtiment a été vendu à des particuliers le 18 mars 1992, qui le


destinaient à l'habitation ; le prix obtenu s'élevait à 3.600.000 frs
dont (3.600.000:2=) 1.800.000 frs revenait au requérant. Cette
somme est à l'origine de la plus-value litigieuse.

Le 31 mars 1992 le requérant a cessé ses activités de garagiste


indépendant et est devenu l'associé actif de la sprl. S.-C..

3
Discussion

Le requérant soutient que le bâtiment litigieux est entré dans son


patrimoine privé dès le transfert du lieu d'activités vers l'immeuble
du Val Marie à 1120 Bruxelles, fin 1988, de sorte que la plus-value
réalisée en mars 1992 ne serait pas taxable.

Il résulte des pièces que des amortissements sur le prix d'achat


ont été revendiqués et admis pour le bâtiment de la rue des Palais
jusque fin 1991. Les frais de réparation de la toiture en 1988
(250.000 frs : 2 = 125.000 frs) ont également fait l'objet de 4
amortissements de 25.000 frs jusque fin 1991.

Le bâtiment doit donc, en vertu de la loi, être considéré comme


ayant été affecté à l'exercice de l'activité professionnelle jusqu'au
moment de la réalisation de la plus value litigieuse (Bruxelles, 27
novembre 2001, RF 1995/FR/44).

En revanche, la Cour d’appel de Gand a ainsi jugée non taxable


comme revenu professionnel la plus value réalisée dans les
circonstances suivantes : Un boucher met un terme aux activités
qu'il a exercées durant de nombreuses années pour devenir
directement agent immobilier. En cette qualité il vend deux ans
plus tard un immeuble à appartements. L'administration taxe la
plus-value à titre de bénéfice. Le contribuable conteste ce point de
vue et estime qu'il ressort de la gestion normale de son
patrimoine. La Cour estime que le fait que le contribuable soit
devenu agent immobilier après l'achat de l'immeuble ne suffit pas
pour conclure que la plus-value a un caractère professionnel.
L'administration n'établit pas l'usage professionnel de l'immeuble.
De plus le contribuable n'a jamais déduit les intérêts qu'il a payés
à titre de frais professionnels au cours de laquelle il en a loué l'
immeuble. La Cour décide en conséquence de dégrever la
taxation querellée (Gand, 17 janvier 2001, AR 1992/FR/4129).

b) Opérations liées à l'activité professionnelle du contribuable

Dans le même ordre d'idées, le profit d'opérations isolées, même


occasionnelles est imposable comme profit dès que l'opération
précitée est étroitement liée à l'activité professionnelle du
redevable (Bruxelles, 19 octobre 1995, FJF 92/36).

4
La Cour d’appel de Liège a par exemple jugé comme suit dans le
cadre d’une plus-value sur immeuble réalisée par un menuisier et
son épouse.

Les faits étaient les suivants:

- le contribuable S. disposait d'une qualification professionnelle


certaine en matière de travaux immobiliers puisqu'il était menuisier
au moment où l'opération a été réalisée et il a passé de
nombreuses journées à remettre l'immeuble à l'origine du litige en
état (travaux de carrelage, maçonnerie, plafonnage,), ce qui lui a
permis de dégager une plus-value supérieure même au revenu
procédant de son activité déclarée exercée à titre principal ;

- son épouse a souscrit un emprunt pour réaliser l'acquisition du


bien à l'état de ruine mais aussi ses aménagements ;

- les requérants ont acquis successivement plusieurs immeubles


(dont celui en cause ravagé par un incendie, « ce qu'un bon père
de famille n'entreprendrait manifestement pas » selon la Cour
d’appel) en recourant à l'emprunt pour les deux premières
acquisitions et à l'autofinancement pour le troisième ; ils ont
procédé au réinvestissement des sommes obtenues dans
l'entreprise après dégagement de la plus-value, (installation d'un
funérarium dans le dernier immeuble acquis) et utilisé pour la
remise en état de l'immeuble cédé avec plus-value des matériaux
d'aménagement et de réfection acquis par l'entreprise du
requérant et refacturés le dernier jour de l'exercice comptable
après la vente de l'immeuble en question.

La Cour juge indifférent dans ces circonstances pour l'appréciation du


litige que les requérants n'aient pas amorti le bien en question, ne
l'aient pas investi dans l'activité professionnelle de l'époux ( la Cour
se demande du reste comment ils l'auraient pu puisqu'il fut revendu
six mois après l'acquisition!) ou que l'opération litigieuse ait été une
vente unique dans la mesure où elle s'inscrit dans le cadre
d'opérations spéculatives en relation étroite avec l'activité
professionnelle du requérant.

La Cour d’appel de Liège rejette le recours et admet la taxation


comme revenu professionnel (Liège, 2 février 2000, F.J.F., 200/99 ;
voy. également Liège, 13/12/2001).

5
c) Enfin, si l’activité ayant généré la plus value peut être
considérée comme continue et habituelle, les revenus seront
taxés à titre de revenus professionnels - cas de l'activité
lucrative

Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, une activité


professionnelle suppose l’existence « d’un ensemble d’opérations
suffisamment fréquentes et liées entre elles pour constituer une
occupation continuelle et habituelle » (Cass., 6 mai 1969, Pas.,
1969, I, p. 803 ; Cass., 7 décembre 1973, Pas., 1974, I, p. 378 ;
Anvers, 30 juin 1987, FJF, n° 88/2).

La taxation de la plus-value au titre de revenus professionnels


implique en principe la taxation de celle-ci à l’impôt des personnes
physiques, au taux progressif de l’impôt des personnes physiques.

Ainsi, la plus-value que retire un contribuable d'une opération doit


être considérée comme un revenu professionnel imposable
comme tel dès lors qu'il apparaît des circonstances de la cause
(ex. : emprunts souscrits pour acquérir les biens revendus,
succession d'achat et de reventes d'immeubles avec plus-
value...), que l'opération entreprise traduit une volonté de lucre
incontestable qui dépasse les limites de la gestion d'un patrimoine
privé, et est en relation certaine et étroite avec son activité
professionnelle.

La Cour d'Appel d'Anvers a ainsi récemment admis la taxation à


titre d'activité lucrative des opérations suivantes (arrêt du
08.10.2013, Fiscalnet):

Le contribuable a réalisé dans un délai de quatre ans 24


opérations immobilières, à savoir l'achat et la vente de douze
immeubles, et chaque fois sur une très courte période entre
l'achat et la vente des immeubles en question, que sur les ventes
d'importantes plus-values ont été réalisées et que les plus-values
réalisées représentaient une importante source de revenus pour le
contribuable.

La Cour observe qu'il ne ressort d'aucun élément que le revenu


cadastral des immeubles en question ait été repris dans la
déclaration fiscale à l'impôt des personnes physiques.

6
Cela indique que ces immeubles étaient considérés comme des
marchandises, plutôt que comme des investissements.

La nature des opérations, leur fréquence et leur rapidité impliquent


la mise en œuvre de moyens professionnels, comme la
nécessaire connaissance en matière de financement, la publicité
en matière d'achat et de vente et une organisation commerciale.

Il ne s'agit pas à ce propos seulement d'un nombre élevé


d'opérations sur le plan quantitatif, mais aussi d'un ensemble
cohérent d'opérations similaires qui implique d'agir de manière
professionnelle.

Par conséquent, l'administration a, sur la base de l'ensemble des


éléments de fait démontré à suffisance que l'appelant a agi de
manière professionnelle et que les revenus doivent être
considérés comme des bénéfices au sens des articles 23, § 1er,
1°, et 24, alinéa premier, 1°, du C.I.R. 1992(Cour d'appel d'Anvers
- Arrêt du 8 octobre 2013 - Rôle n°2012/AR/361, Fiscalnet).

III. L’ARTICLE 90 : REVENU DE SPECULATION OU D’OPERATION


S’ECARTANT DE LA GESTION NORMALE DU PATRIMOINE PRIVE

1) Principes

Selon l’article 90, 1, du CIR 92, « les revenus divers sont :

« 1° sans préjudice des dispositions du 8° et du 9°, les bénéfices ou


profits, quelle que soit leur qualification, qui résultent, même
occasionnellement ou fortuitement, de prestations, opérations ou
spéculations quelconques ou de services rendus à des tiers, en dehors
de l’exercice d’une activité professionnelle, à l’exclusion des opérations
de gestion normale d’un patrimoine privé consistant en biens
immobiliers, valeurs de portefeuille et objets mobiliers ». Ces revenus
sont taxables au taux de 33%.

L’article 90, 9° inclut par ailleurs depuis la loi du 11 décembre 2008 parmi
les revenus divers, outre l’article 90, 1° :
« 9° Les plus-values sur actions ou parts qui :

7
- Soit, sont réalisées à l’occasion de la cession à titre onéreux de
ces actions ou parts, en dehors de l’exercice d’une activité
professionnelle, à l’exclusion des opérations de gestion normale
d’un patrimoine privé ;
- Soit, sont réalisées à l’occasion de la cession à titre onéreux, en
dehors de l’exercice d’une activité professionnelle, à une personne
morale (non résidente) dont le siège social, le principal
établissement ou le siège de direction ou d’administration n’est
pas situé dans un Etat membre de l’Espace Economique
Européen, d’actions ou parts représentatives de droits sociaux
d’une société résidente si, à un moment quelconque au cours des
cinq années précédant la cession, le cédant, ou son auteur dans
les cas où les actions ou parts ont été acquises autrement qu’à
titre onéreux, a possédé directement ou indirectement, à lui seul
ou avec son conjoint, ses descendants, ascendants et collatéraux
jusqu’au deuxième degré, inclusivement et ceux de son conjoint,
plus de 25 % des droits dans la société dont les actions ou parts
sont cédées ».1

Sont dès lors imposables les bénéfices et profits, qui résultent, en


dehors de l’exercice d’une activité professionnelle, de

- prestations
- opérations, ou
- spéculations, ou
- services rendus à des tiers ;

à moins qu’il ne s’agisse d’opérations de gestion normale d’un


patrimoine privé consistant en biens immobiliers, valeurs de portefeuille
et objets mobiliers.

Il y a donc lieu de se demander si :

1 1
La loi du 11 décembre 2008 modifiant le CIR en vue de le mettre en concordance avec la directive 90/434/CEE (directive fusion), entrée
en vigueur le 12 janvier 2009, a modifié l’article 90 et ajouté ce nouvel article 90, 9°, afin de contrer une jurisprudence de la cour de
cassation du 30 novembre 2006 décidant que:
"l'article 90, 1°, du CIR ne soumet pas à l'impôt la plus-value réalisée à l'occasion d'une vente excédant les limites de
la gestion (normale) du patrimoine privé, mais uniquement le bénéfice ou profit qui résulte d'une telle opération ".

En l'occurrence, la base imposable devait dès lors être réduite, conformément à l'arrêt de cassation, "à la différence entre le
prix de vente des parts sociales et leur valeur intrinsèque au moment de la vente des parts ".

Suivant l'interprétation de l'article 90, 1°, consacrée par cet arrêt, lorsqu'une vente d'actions d'une société était considérée
comme excédant les limites de la gestion normale d'un patrimoine privé, il fallait rechercher quel était le bénéfice ou profit qui
"résultait" de l'opération jugée anormale.

A supposer que la cession puisse être considérée comme une opération "anormale" au sens de l'article 90, 1°, le profit
taxable se limitait au profit qui "résulte" de l'opération anormale, c'est-à-dire à la différence entre le prix de vente des
actions et leur valeur normale au moment de la vente.

8
- cette « situation » peut correspondre à une opération, spéculation,
prestation ou service visés ;

- et s’il entre dans le cadre de la gestion normale d’un patrimoine privé


consistant en biens immobiliers, valeurs de portefeuille et objets
mobiliers.

La gestion normale ou simple d’un patrimoine se distingue de l’exercice


d’une occupation lucrative professionnelle ou occasionnelle, tant par la
nature des biens que l’on trouve coutumièrement dans un avoir familial
(immeuble, valeurs de portefeuille, objets mobiliers) que par la nature
des actes que le « père de famille » accomplit sur ces biens.

Afin de répondre à ces diverses questions, il y a lieu d’analyser les


travaux préparatoires de la loi du 20 novembre 1962, qui a introduit
l’article 90, 1°, tel que nous le connaissons, le commentaire administratif
et la jurisprudence.

2) Analyse des travaux préparatoires de la loi du 20 novembre


1962

La catégorie de revenus divers visée à l’article 90, 1° a été introduite par


la loi du 20 novembre 1962 (article 17, § 1er, 1°).

Les travaux préparatoires citent comme exemples de revenus visés « les


prestations au profit d’un tiers, opération de nature commerciale ou
industrielle, spéculation sur marchandise, conseil occasionnel, etc., mais
il est entendu que les bénéfices ou profits résultant d’opérations qui
s’intègrent dans le cadre d’une activité professionnelle régulière ne sont
pas visée en l’occurrence.

Par ailleurs, il est expressément souligné que les résultats d’opérations


de gestion normale d’un patrimoine privé consistant en immeubles, titres
ou objets mobiliers, ne seront pas soumis à l’impôt » (Pasin., p. 1334.)

Les travaux préparatoires précisent que la preuve incombe toujours à


l’administration, en cas de contestation quant à l’application de l’article
90, 1° C.I.R./1992 (Pasin., pp. 1454 et 1702).

Il y est également précisé que la gestion du patrimoine se distingue


d’une opération lucrative (professionnelle) ou de la spéculation, « tant
par la nature des biens – c’est-à-dire immeubles, valeurs de portefeuille,

9
objets mobiliers (tous biens dont se compose normalement un patrimoine
privé) – que par la nature des actes accomplis relativement à ces biens :
ce sont les actes qu’un bon père de famille accomplit, non seulement
pour la gestion courante, mais aussi pour la mise à fruit, la réalisation et
le remploi d’éléments d’un patrimoine, c’est-à-dire des biens qu’il a
acquis par succession, donation ou par épargne personnelle ou encore
en remploi des biens aliénés » (Pasin., p. 1702).

Selon l’administration fiscale, on peut admettre qu’une opération est une


opération de gestion normale d’un patrimoine privé si cette opération
n’est pas faite dans un esprit de spéculation et si elle n’acquiert pas, en
raison de la fréquence avec d’autres opérations, le caractère d’une
occupation lucrative (Comm. IR, 90/4), auquel cas elles ont un caractère
professionnel.

3) Charge de la preuve

Sur le plan de la charge de la preuve, c’est à l’administration fiscale de


prouver qu’un acte s’écarte de la gestion normale d’un patrimoine privé
(Sénat, Rapport Commission des Finances, Doc. 366, p. 148).

Cela ressort des travaux préparatoires, et c’est admis par l’administration


fiscale, étant entendu toutefois qu’il est arrivé que l’administration fasse
valoir que compte tenu de la généralité de l’article 90, il y aurait « une
véritable présomption dans la législation fiscale en vertu de laquelle le
profit est en principe soumis à l’impôt excepté lorsque la preuve est
apportée que ce profit résulte de la gestion normale et diligente du
patrimoine privé et que c’est au redevable qu’il incombe d’apporter la
preuve que le profit querellé résulte de telles opérations ».

A l’appui de cette thèse, l’administration fiscale invoque un arrêt de la


Cour de cassation du 2 février 1972 (J.P.D.F., 1972, p. 50, note M.B.),
mais, cet arrêt se borne à énoncer que « si l’administration a la charge
de prouver que les revenus qu’elle entend imposer rentrent dans un des
catégories visées dans le Code des impôts sur les revenus, il incombe
au contribuable qui veut se soustraire à l’imposition, de combattre par la
preuve contraire les arguments avancés pour la justifier ».

L’arrêt cité n’a dès lors pas la portée que lui attribue l’administration
fiscale (cf. la note M.B., n° 3, sous cet arrêt, J. KIRKPATRICK, Examen
de jurisprudence, 1968-1982, Les impôts sur les revenus et les sociétés,
R.C.J.B., 1984, p. 692 ; DASSESSE et MINNE, Droit fiscal, 4ème éd.,
1996, p. 520 ; Th. AFSCHRIFT, Traité de la preuve en droit fiscal, p. 76).

10
C’est dès lors bien à l’administration fiscale qu’incombe la charge de la
preuve sous la réserve de l’obligation pour le redevable de « s’expliquer
sur les circonstances que l’administration invoque pour faire cette
preuve » (cf. note M.B., sous l’arrêt précité) (voy. Civ. Bruxelles, 16 mai
2001, RG n° 2000/208/A).

4) Commentaire administratif

Le commentaire administratif énonce qu’ « il ressort de ce texte que des


opérations peuvent être considérées comme s’intégrant dans le cadre de
la gestion normale d’un patrimoine privé visé à l’article 90, 1°
C.I.R./1992, que si elles remplissent simultanément les deux conditions
suivantes :

1° être relatives à des biens immobiliers, valeurs de portefeuille et


objets mobiliers, c.-à-d. des biens déterminé par la loi,
normalement compris dans un patrimoine privé ;

2° constituer des actes qu’un bon père de famille accomplit


habituellement en vue de l’accroissement ou de la conservation
d’un patrimoine défini au 1°. » (Com. IR/1992, 90/5.).

Le commentaire précise que « des cas douteux ne manqueront pas de


se présenter en matière d’opérations immobilières ou (d’achats et ventes
de valeurs mobilières).

Le COM.IR/1992 énumère certains cas où il doit y avoir imposition à titre


de revenus divers :

« 1°les revenus provenant de prestations, opérations ou services


occasionnels ou fortuits au profit de tiers, d’opérations isolées quelle
qu’en soit la nature, de spéculations isolées portant sur des
marchandises ou autres biens quelconques non compris dans un
patrimoine privé, de prestations artistiques occasionnelles » ;

« 5° les profits sans caractère professionnel, réalisés non seulement à la


faveur de spéculations, mais aussi par « simple gestion » de patrimoine
privé pour autant qu’il ne s’agisse pas de biens immobiliers, de valeurs
de portefeuille et d’objets mobiliers, mais, p. ex. de valeurs ou biens
incorporels, tel que la connaissance technique, les relations
commerciales, et la clientèle acquise par l’exercice d’un quelconque
délassement ou hobby (voir Cass., 24.10.75, De Winter, Bull. 552, p.
1267), les brevets d’invention, les procédés techniques, etc. ;

11
Toute la question est de déterminer ce qu’est un acte qu’un bon
père de famille accomplit habituellement en vue de faire fructifier
son patrimoine.

Nous allons voir que ce concept est éminemment évolutif.

5) Analyse de l’article 90 - Opération - Spéculation

Pour que la taxation à titre de revenus divers puisse intervenir,


l’administration doit démontrer que des bénéfices ou profits
résultent d’opérations, spéculations ou services.

La définition de l’opération ne figure pas dans les travaux


préparatoires.

Le dictionnaire LAROUSSE définit le terme « opération » comme


une « affaire dont on évalue le profit financier. Exemple :
opération de bourse : actions d’acheter ou de vendre des valeurs
de bourse.
Action concrète et méthodique individuelle ou collective, qui vise à
tel résultat ».

Le dictionnaire PETIT ROBERT, quant à lui définit l’opération


comme « 2° acte ou série d’actes (matériels ou intellectuels)
supposant réflexion e combinaison de moyens en vue d’obtenir un
résultat déterminé.

6° affaires, spéculations. Opérations commerciales, opérations de


bourse, ventes et achats réalisés dans une bourse de
marchandises ou de valeurs ».

L’opération qui est la plus couramment visée est l’achat d’un bien
visé et la revente de celui-ci avec plus-value.

Néanmoins, « les termes généraux dans lesquels cette disposition


légale est rédigée implique qu’un apport en société peut constituer
une opération visée par cette disposition et cela même si l’apport
a pour objet un bien incorporel » (Cass., 24 octobre 1975, Bull
contr., 552, p. 1268).

La notion de spéculation sera également définie ci-dessous.

12
Précisons d’emblée que la Cour de cassation la définit comme
« l’acquisition de biens avec le risque de subir des pertes mais
avec l’espoir de réaliser des bénéfices en cas de hausse du prix
du marché ».

La Cour de cassation a confirmé sa position par un arrêt du 15


mai 1987 où elle dispose que la spéculation consiste entre autres
« dans l’achat de biens au risque de subir une perte, mais dans
l’espoir de réaliser un bénéfice à la suite d’une hausse de leur
valeur marchande ».

Par exemple, dans le cadre de la cession de titres qui ne sont pas


cotés en bourse, la jurisprudence considère qu’il y a spéculation
lorsque le contribuable a acquis dans le but de revendre à court
terme avec bénéfices (Anvers, février 1993, Courrier fiscal, 1993,
p. 450).

Nous verrons que la jurisprudence rendue en la matière a souvent


tendance à décider que dès lors qu’il y a spéculation, l’acte ou
l’opération ne relève pas de la gestion normale du patrimoine
privé, ce qui n’est pas exact en réalité.

Par exemple, la Cour d’appel de Bruxelles, a ainsi jugé que « le


fait d’escompter une évolution ultérieure favorable lors d’un
placement, tout en acceptant un risque important est le propre de
l’acte spéculatif et n’entre pas dans le cadre d’une gestion
normale d’un patrimoine privé » (Bruxelles, 19 juin 1992, F.J.F.,
1993, n° 93/8, pp. 17 et 18).

La jurisprudence a tendance à exclure la spéculation de la gestion


normale d’un patrimoine privé, mais cette exclusion automatique
est contraire au libellé même de l’article 90, 1°.

En effet, celui-ci dispose que pour que les revenus soient


taxables, il faut que les « prestations, opérations ou spéculations
quelconques, « desquels (les revenus) résultent, soient obtenus
par le contribuable « à l’exclusion des opérations de gestion
normale d’un patrimoine privé ».

Pour que la taxation au titre de revenu divers puisse intervenir, il


faut donc qu’il y ait une prestation, un service, une opération ou
une spéculation, et d’autre part qu’elle ne rentre pas dans le cadre
de la gestion normale d’un patrimoine privé.

13
6) Nature des biens visés par l’exonération relative au
patrimoine privé

Les revenus ne seront exemptés de la taxation à titre de revenus


divers, que si les prestations, opérations, spéculations ou
services, sont réalisés dans le cadre d’opérations de gestion
normale d’un patrimoine privé consistant en biens immobiliers,
valeurs de portefeuille et objets mobiliers.

Seuls les immeubles, valeurs de portefeuille et les objets mobiliers


sont visés.

Les valeurs incorporelles ne peuvent bénéficier de cette


exonération, selon une jurisprudence constante de la Cour de
cassation.

7) Principaux critères retenus par la jurisprudence en vue de la


taxation comme revenu divers

Les critères habituellement retenus par la jurisprudence sont les


suivants (M. ANDRE, « Les limites fiscales de la gestion normale
d’un patrimoine privé », BC n° 719, p. 2275 ; G. STEFFENS,
« Spéculations immobilières et gestion normale d’un patrimoine
privé : critères de différenciation », R.G.F., 1983, p. 167).

Si l’on reconnaît au « bon père de famille » le droit de faire des


placements, y compris dans le domaine immobilier, on considère
en revanche qu’un particulier qui se livre à un ensemble
d’opérations suffisamment liées entre elles donne naissance à une
activité économique dont les bénéfices sont taxés au titre de
revenus privé ou même d’activité lucrative.

Etant donné que la loi est muette à ce sujet, on se réfère à la


doctrine et à la jurisprudence dont quelques exemples sont
reproduits ci-dessus.

Pour que l’opération soit qualifiée de lucrative, la jurisprudence a


retenu quatre critères de fait :

- le nombre et la rapidité des opérations : ce sera le cas si


l’achat et la revente sont faits dans un court laps de temps
ou encore si un particulier effectue très régulièrement des
transactions ;

14
- le mode d’acquisition du bien : lorsqu’il provient d’une
succession ou d’une donation, lorsqu’il a été acquis à la
suite d’une épargne personnelle, on peut raisonnablement
exclure toute intention spéculative au départ ; ce ne sera
pas le cas lorsqu’on a eu recours à l’emprunt ou à un achat
conjoint.

- la nature de l’opération : lorsqu’elle est d’une complexité


certaine (lotissement avec voiries, canalisation et multiples
constructions) et entourée d’une publicité à large échelle.

- la profession de l’acquéreur : l’administration fiscale a


tendance à se montrer plus pointilleuse à l’égard des
placements de personnes ayant des connaissances ou une
expérience professionnelle, comme les marchands de
biens, les entrepreneurs et leurs sous-traitants, les
marchands de matériaux de construction, les notaires, les
architectes, les agriculteurs, les professionnels de
l’urbanisme, etc.

En règle, la présence d’un seul critère ne suffit pas à démontrer


l’intention spéculative.

(a) Les circonstances de l’acquisition

Si le bien a été acquis par succession, donation, épargne


personnelle, ou en remploi de biens aliénés, l’acquisition est jugée
normale, c’est-à-dire que le bien a été intégré dans le patrimoine
privé du contribuable et l’opération ultérieure porte sur un
patrimoine préexistant.

Ce critère est le plus important d’après M. ANDRE parce que dans


la majorité des cas pour lesquels la jurisprudence admet que
l’opération reste dans les limites de la gestion normale d’un
patrimoine privé, le bien a été acquis normalement (M. ANDRE,
op. cit., p. 2349).

Si le bien est entré dans le patrimoine du contribuable par


succession, donation, épargne personnelle ou en remploi de biens
aliénés, on peut admettre que le contribuable n’avait pas
l’intention dès l’acquisition du bien, de réaliser une opération
spéculative. L’aliénation ou la valorisation ultérieure constitue en

15
principe, la gestion normale d’un patrimoine privé.

(b) L’intention spéculative

Le bon père de famille qui gère son patrimoine recherche


logiquement un profit. L’existence d’une intention spéculative est
légitime et n’implique pas ipso facto l’imposition du produit de la
spéculation au titre de revenus divers. La spéculation dont les
revenus sont imposables comme revenus divers implique que le
bien a été acheté en vue de le revendre dans un bref délai pour
réaliser un bénéfice (M. ANDRE, op. cit., p. 2304).

Lors de l’acquisition du bien, le contribuable avait déjà l’intention


de le revendre en réalisant un bénéfice, de sorte que ce bien n’a
pas été intégré de manière durable dans son patrimoine.
L’aliénation ultérieure de l’immeuble sera dès lors considérée
comme suspecte.

« Les opérations immobilières s’inscrivent dans le cadre de la


gestion normale d’un patrimoine privé lorsque l’intention
spéculative n’apparaît qu’au moment de la réalisation du bien ou
longtemps après son acquisition” (M. ANDRE, op. cit, p. 2351).

Lorsqu’un court laps de temps s’est écoulé entre l’acquisition et la


revente du bien, le contribuable peut établir qu’il n’avait pas
d’intention spéculative en invoquant que le bien a été vendu pour
des raisons personnelles, de santé, par besoin de liquidités pour
faire face à des difficultés financières, ou pour aider ses enfants à
s’installer (G. STEFFENS, op. cit., p. 168).

(c) L’emprunt

Le seul recours à l’emprunt est insuffisant pour exclure l’opération


de la gestion normale d’un patrimoine privé. Un contribuable a
parfaitement le droit de ne pas disposer des fonds suffisants pour
acquérir un immeuble et d’emprunter le solde. Ici encore,
l’administration devra établir par d’autres indices que l’intention
spéculative était présente dès l’acquisition, que le contribuable n’a
pas acheté l’immeuble pour l’intégrer de façon durable à son
patrimoine privé, mais pour le revendre assez rapidement en
réalisant une plus-value.

(d) La valorisation du bien

Le fait de réaliser des travaux pour valoriser le bien n’empêche


pas en principe que l’opération s’inscrive dans le cadre de la

16
gestion normale d’un patrimoine privé. Un bon père de famille peut
restaurer un immeuble dont il n’a plus besoin pour le revendre
dans des conditions favorables.

La valorisation du bien est considérée comme étrangère à la


gestion normale d’un patrimoine privé lorsque d’autres critères
font apparaître dans le chef du contribuable une intention
spéculative présente dés le départ. Dans une affaire où un
contribuable avait réalisé d’importants travaux d’infrastructure
étalés sur une période de quatre ans pour la création d’un
camping, la Cour d’appel de Bruxelles a jugé que ces travaux ne
relevaient pas d’une activité professionnelle, mais de
I’optimaIisation d’un patrimoine privé, lorsque le contribuable n’a
pas presté de services au bénéfice du locataire et que la cantine
du camping était exploitée par un tiers pour son compte
(Bruxelles, 22 février 1989, F.J.F., 89/123).

(e) La chronologie des opérations

Lorsque le contribuable achète des immeubles qu’il revend


rapidement, la jurisprudence présume en général qu’il avait
l’intention de se dessaisir de ses biens à court terme, en réalisant
une plus-value et que l’on est donc en dehors de la gestion
normale du patrimoine prive.

Même si les ventes d’immeubles sont espacées et paraissent


raisonnables, il faut examiner si le contribuable n’a pas
intentionnellement ralenti la fréquence des opérations pour
échapper à la vigilance de l’administration.

Le fait d’acheter un terrain à bâtir et de revendre plus de 80 % des


parcelles en l’espace de trois ans excède les limites de la gestion
normale d’un patrimoine privé.

Les plus-values réalisées sont dès lors imposables au titre de


revenus divers (Cass. 18 mai 1977, Pas. 1977, 1, 957; par contre
l’achat d’un terrain sans recourir à l’emprunt et la revente de six
parcelles en six ans n’est ni une occupation lucrative ni une
spéculation occasionnelle Gand, 21 avril 1972, JPDF 1972, p.
132).

La Cour d’appel de Mons a décidé que la vente de trois maisons


après que le contribuable les ait agrandies et transformées lui-
même reste dans les limites de la gestion normale d’un patrimoine
privé (Mons, 26juin 1987, FJF, 88/54).

17
Dans cette affaire, l’administration a considéré que le contribuable
exerçait une activité de marchand de biens et a taxé la plus-value
réalisée sur la vente de ces immeubles. Le contribuable avait
acquis les maisons successivement, les avait restaurées lui-même
et y avait habité.

D’après la Cour d’appel, ces opérations n’ont pas été réalisées


dans un but spéculatif, mais pour obtenir les capitaux nécessaires
à la construction de l’habitation familiale.

Ces opérations faisaient donc partie de la gestion privée et les


plus-values ne devaient pas être taxées, même si le contribuable
était inscrit au registre de commerce pour l’exercice d’une activité
commerciale d’affaires immobilières qui constituait sa profession.

(f) Les moyens mis en oeuvre

L’utilisation de connaissances personnelles que le contribuable a


acquises dans le cadre de l’exercice de son activité
professionnelle ou le recours à des professionnels de l’immobilier,
font parfois présumer de l’existence d’une intention spéculative.

Des entrepreneurs qui exerçaient leur profession en association


achètent un terrain à titre privé sur lequel ils construisent un
immeuble qu’ils revendent six ans après.

La Cour d’appel de Liège a considéré que la plus-value était


imposable au titre de revenus divers (Liège, 30 avril 1986, cité par
M. ANDRE, op. cit. p. 2371).

Dans un arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles du 12 décembre


1989, un notaire avait acheté en indivision avec notamment deux
sociétés commerciales, un bois pour y réaliser un lotissement.
Après l’acte de partage, le notaire est resté en indivision avec les
deux sociétés commerciales et a réalisé d’importantes plus-values
sur la vente des parcelles du lotissement.

L’administration a estimé que les deux sociétés commerciales ont


formé une association momentanée dont le notaire était membre à
la suite de l’indivision, et que celui-ci devait en conséquence être
taxé sur la plus-value comme marchand de biens ou comme
professionnel en transactions immobilières. La Cour d’appel a
rejeté cette argumentation “pour examiner si/es opérations
immobilières s’inscrivent dans une exploitation commerciale dans
le chef du (notaire) et si celui-ci doit être taxé comme, (…) un
professionnel en matière de transactions immobilières, il faut

18
prendre notamment en considération la fréquence et l’importance
des achats et ventes d’immeubles, la souscription d’emprunts,
l’obtention d’ouverture de crédit, etc. Le seul fait d’être en
indivision avec deux sociétés commerciales ne permet pas de
conclure que le (notaire) ait réalisé une entreprise commerciale et
ait pour ce faire formé une association momentanée avec ses co-
indivisaires. L’opération immobilière n’a fait l’objet que d’un seul
achat la fréquence des ventes s’expliquant par le lotissement, et le
requérant n’a conclu aucun emprunt pour celle acquisition, (…)
L’acquisition d’un terrain unique en vue de le lotir seul ou en
commun avec plusieurs personnes, n’entre pas dans le cadre de
l’activité professionnelle d’un notaire. La connaissance du marché
immobilier acquise dans l’exercice de la profession ne permet pas
de considérer le notaire en soi comme un marchand de biens. La
fréquence des ventes provient uniquement de la division en
parcelles d’une seule acquisition immobilière; les bénéfices
réalisés au fur et à mesure des ventes au cours des années
trouvent leur source dans une seule opération et non dans une
série d’achats en vue de la revente; le fait pour un contribuable
d’être nota ire ne peut le priver de gérer son patrimoine privé d’a
prés toutes les connaissances qu’il peut en avoir et au mieux de
son intérêt” (Bruxelles, 12 septembre 1989, FJF 89/189).

L’analyse de cette jurisprudence montre que le seul critère de la


spéculation est en réalité le critère le plus utilisé par
l’administration pour considérer que l’on est en présence d’un
revenu divers.

Nous allons voir qu’en réalité, la spéculation n’est qu’un critère


parmi d’autres pour permettre la taxation sur pied de l’article 90.

La spéculation n’implique pas ipso facto la possibilité pour


l’administration de taxer la plus-value sur pied de l’article 90.

8) Examen approfondi d’un critère : Problématique de la spéculation -


Jurisprudence

1. Principes

La notion de spéculation est définie comme suit dans le Petit


Robert :

19
« 1° la spéculation est une opération financière ou commerciale
qui consiste à profiter des fluctuations naturelles du marché, pour
réaliser un bénéfice ;

2° la spéculation est également la pratique de ce genre


d’opérations ».

Dans ce contexte, la question a été posée de savoir si cette notion


et celle de « gestion normale d’un patrimoine privé » sont
incompatibles.

La spéculation peut en effet très bien motiver un bon père de


famille qui, à un moment déterminé par des circonstances
exceptionnelles, réalise tout ou partie de son patrimoine privé en
vue de l’accroître, de le faire fructifier, surtout si ce patrimoine a
été acquis par succession, par donation ou par remploi d’épargne
personnelle (M. ANDRE, « Les limites fiscales de la gestion
normale d’un patrimoine privé », Bull. contr., n° 719, p. 2303).

En effet, comme l’écrit DE PAGE, l’acte de gestion du bon père de


famille est défini comme tout acte quelconque, fût-il de disposition,
qui a pour but de faire fructifier et d’augmenter son patrimoine (DE
PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, Tome II, n° 175, p.
164).

La jurisprudence admet que la recherche d’un profit est le


caractère essentiel d’une sage gestion d’un patrimoine (Gand, 15
juin 1973, cité par ANDRE, ibidem).

De même, la Cour d’appel de Mons a énoncé que la spéculation


n’est pas incompatible avec la gestion d’un patrimoine privé
(Mons, 18 mai 1989, cité par ANDRE, ibidem).

Selon la Cour de cassation, il convient d’interpréter le concept de


spéculation au sens de l’article 90 du Code des impôts sur les
revenus « en fonction de l’intention que chaque investisseur,
administrateur d’un patrimoine privé, a de faire fructifier ses
investissements ».

La spéculation peut dès lors, être fiscalement définie comme un


achat intentionnel en vue de revendre avec bénéfice dans un délai
plus ou moins long (Cass., 18 mai 1977, Bull. contr., 572, p. 591).

20
La spéculation est également définie par la Cour de cassation
comme « l’achat de biens au risque de subir une perte, mais dans
l’espoir de réaliser un bénéfice à la suite d’une hausse de leur
valeur marchande » (Cass., 15 mai 1987, et Cass., 6 mai 1988,
cité par ANDRE, ibidem).

C’est ainsi qu’ANDRE écrit : « A notre sens, la notion de


« spéculation » définie par la Cour de cassation doit être
interprétée comme étant un achat intentionnel en vue de revendre
avec bénéfice dans un délai relativement court. En d’autres
termes, la haute Cour admet qu’une opération normale de gestion
d’un patrimoine privé puisse être effectuée dans un esprit de
spéculation, pour autant que l’intention spéculative ne se traduise
dans les faits qu’assez longtemps après les acquisitions »
(ibidem).

Il est en tout cas certain que l’on peut rechercher un profit et que
ce concept n’est pas incompatible avec la gestion normale d’un
patrimoine privé. C’est ainsi que le Code civil, à propos de la
gestion de biens d’un tiers protégé, comme un mineur, admet que
la mission du tuteur est de « conserver, faire fructifier et
augmenter le patrimoine dont il a l’administration » (art. 450 du
Code civil).

Or, la recherche d’une gestion profitable est d’autant plus normale


lorsqu’il s’agit de la gestion de ses propres biens, sur lesquels on
dispose, à la différence du tuteur, de tous les pouvoirs
d’administration et de disposition (voy. Th. AFSCHRIFT et D.
DANTHINE, « De la licéité de principes des ventes simultanées
d’actifs et d’actions d’une société dans le but d’éviter l’impôt »,
J.D.F., 2000, p. 200).

L’article 90, 1°, utilise explicitement la notion de spéculation


lorsqu’il se réfère aux opérations et spéculations quelconques,
mais il excepte néanmoins de la taxation même s’il s’agit
d’opérations ou de spéculations, les opérations relevant de la
gestion normale d’un patrimoine privé.

Ceci permet de constater que le seul fait qu’il y ait spéculation ne


permet pas en soi d’écarter la gestion normale d’un patrimoine
prive.

21
En effet, la spéculation peut rentrer dans la gestion normale d’un
patrimoine privé

Le bon père de famille qui gère son patrimoine recherche


logiquement un profit, de sorte que l’existence d’une intention
spéculative est en soi légitime et n’implique pas ipso facto
l’imposition du produit de la spéculation à titre de revenus divers
(AFSCHRIFT, L’impôt des personnes physiques, Kluwer, 1995, n°
380).

Selon l’enseignement de la Cour de cassation, la personne qui


spécule achète, avec intention de revendre en réalisant un gros
bénéfice, tout en prenant le risque de subir une perte (Cass., 15
mai 1987, Pas., 1987, I, p. 1.118; Cass., 6 mai 1988, Pas., 1988, I,
p. 1.092).

Ainsi, la spéculation peut rentrer dans la gestion normale du


patrimoine privé, mais en sort lorsque le contribuable gère son
patrimoine en posant des actes inconsidérés, risqués, et
incompatibles avec le comportement d’un gestionnaire compétent
et avisé (voyez ANDRE, op. cit., p. 1.034 ; VAN ORSHOVEN,
Behoorlijke rechtsbedeling bii geschillen over direkte
rijksbelastingen, Antwerpen, 1987, p. 185).

2. Analyse de décisions

a) Un arrêt de la Cour d’ appel de Bruxelles du 5 février


1999 (RG 1995/FR/311) se base sur l’arrêt de la Cour de
cassation du 6 mai 1988 (Cass., 1988, Pas., 88, I, p.
1092) pour distinguer deux conditions pour qu’il y a ait
spéculation.

La première condition objective est celle de l’existence d’un


risque important lors de l’achat du bien.

Elle considère en l’espèce que l’absence de risque financier


(acquisitions réalisées au moyen de fonds propres (épargne
personnelle)), n’a pas mis en péril le patrimoine privé du
requérant ou de sa famille.

Cette absence de risque financier exclut selon la Cour toute


idée de spéculation de la part du requérant au moment où il
va acheter des titres.

22
La seconde condition «plus délicate car subjective », est «
celle relative à l’intention de l’investisseur lorsqu’il effectue
son achat; pour qu’il y ait une spéculation, l’acte d’achat,
réalisé de plein gré, requiert l’espoir d’une évolution
favorable en vue de réaliser par la revente un bénéfice
substantiel et la conscience d’un risque important que
l’opération engendre ».

Cette intention spéculative doit être prouvée par


l’administration (Bruxelles, 5 février 1999, RG 1995/FR/311).

L’arrêt de la Cour d’appel rappelle également les éléments


matériels dégagés habituellement par la jurisprudence et qui
permettent de présumer existence d’une spéculation.

«- La fréquence des opérations, le court laps de temps


séparant l’acquisition et la revente, le mode d’acquisition des
biens, les méthodes employées lors de l’opération, tel que le
recours à l’emprunt ou la publicité;

- La contiguïté de l’opération avec la profession exercée par


l’investisseur en raison de son expérience, la connaissance
d’une plus-value imminente, la faible importance des autres
revenus et, a contrario, le fait que l’opération ait été imposée
au contribuable parles circonstances ».

Cet arrêt doit être approuvé en ce qu’il met à juste titre


l’accent sur l’absence de risque encouru pour décider que la
plus-value réalisée n’est pas taxable.

- (b) Dans son arrêt du 21 mai 1999 (Bruxelles, 21 mai 1999,


RG 1991/FR1363), la Cour a considéré « que le choix de
l’investissement ainsi que la spécialisation ne font pas
nécessairement la preuve de la volonté de spéculer du
requérant mais peuvent tout aussi aisément s’interpréter
comme le signe d’une grande prudence dans la constitution
d’un patrimoine privé à l’aide de revenus tirés d’autres
activités ».

En l’espèce, il s’agissait d’un cinéaste habitant en URSS,


réfugié politique qui s’était constitué une collection d’icônes
antiques au lieu d’investir dans un monnaie qui risquait de
fort se déprécier.

Arrivé en Belgique et ayant besoin de ressources, il avait

23
vendu sa collection personnelle.

La Cour constate que « ces oeuvres sont restées dans le


patrimoine du requérant entassés dans des coffres sans
aucune manipulation jusqu’au jour de la vente. La fréquence
des opérations, une des caractéristiques permettant de
déceler l’intention spéculative fait en l’espèce totalement
défaut pour ce qui doit être considéré comme un
investissement à long terme ».

Cet arrêt doit bien entendu être approuvé sauf à nouveau


dans sa formulation qui laisse présumer que s’il y avait eu
spéculation, la plus-value aurait été taxable sans constater
qu’elle sort de la gestion normale de patrimoine privé.

- (c) Un arrêt de la Cour d’appel de Gand (Gand, 12


décembre 2000, RG 1994/FR/114) conclut à l’intention
spéculative de l’opération suivante, de sorte que celle-ci ne
puisse être classée sous la gestion normale d’un patrimoine
privé et doit donc être taxée sur base de l’article 90, 1° du
CIR 1992, l’opération suivante :

Un contribuable avait acquis le 21 août 1980 un bien


immobilier, en l’occurrence un château avec conciergerie,
étangs et jardins pour le prix de 6.000.000 BEF.

Le 30 septembre 1982, il avait revendu ce bien immobilier à


une société étrangère, ayant son siège à Singapour pour le
prix de 15.444.000 BEF.

L’administration a considéré que cela ne correspondait pas


à la réalité, et qu’il existait un dessein spéculatif manifeste,
d’autant que ce bien immobilier fut revendu au bout d’un
laps de temps de deux ans, avec une plus-value
considérable et à une société dans laquelle le contribuable
était gérant.

On peut d’emblée se demander en quoi la réalité de


l’opération peut être mise en doute par l’administration, qui
de l’autre côté s’en prévaut pour taxer la plus-value réalisée
lors de cette vente à la société établie à Singapour.

D’autre part, la Cour d’appel de Gand fait un amalgame


entre l’intention spéculative et la gestion normale d’un
patrimoine privé.

24
Le fait de revendre avec une plus-value de près de
9500.000 BEF même dans une intention strictement
spéculative ne s’écarte pas de l’attitude qu’adopterait un
bon père de famille saisissant l’occasion de faire fructifier
son patrimoine.

- (d) Dans un arrêt du 12 octobre 2000, la Cour d’appel de


Bruxelles (Bruxelles, 10 octobre 2000, RG 1997/FR/202),
conclut à la taxation à titre de revenus divers de la plus-
value dégagée par les contribuables, à l’occasion de la
revente de lots quelques mois après l’engagement
irrévocable d’acheter le lotissement.

Les faits soumis à la Cour étaient les suivants.

Le 24 novembre 1988 les requérants se sont engagés


irrévocablement à acheter à la société anonyme E. au plus
tard le 30 juin 1990 un lotissement pour une somme de 35
millions et de passer l’acte authentique au plus tard le 31
octobre 1990.

La société anonyme E. concéda cette option avec


promesse irrévocable d’acheter en exigeant une garantie
bancaire pour le montant du prix d’acquisition.

Les requérants avaient constitué le 18 novembre 1988 une


garantie bancaire de la Générale de Banque en faveur de la
société anonyme E. à concurrence de ce montant.

Les requérants soutiennent sans être contredits quant à ce


par l’administration qu’ils ont réalisé cette opération avec
Monsieur RM chacun pour une moitié indivise.

Après la signature de l’option les requérants ont entrepris


des frais de viabilisation dans le lotissement pour la somme
de 4.447.303 F et ce sans en être les propriétaires.

Ils ont également avec Monsieur M vendu avec un bénéficie


considérable une série de lots à des acquéreurs pendant
les six premiers mois de l’année 1989 tel qu’il résulte des
compromis de vente qui se retrouvent dans le dossier
administratif sous les n° B1 78 et B1 82.

Les 21 et 27 juin 1989 les requérants et Monsieur M ont


passé avec la société anonyme E les actes authentiques de
vente.

25
Les requérants se sont réservés les lots 10 et 12 et ont
passé les actes authentiques de vente avec les autres
acquéreurs le même jour ou dans les jours suivant ces
actes authentiques.

Les requérants ont vendu la villa qu’ils occupaient à


l’époque le 13 septembre 1989 et soutiennent que le fruit
de cette vente aurait servi à financer l’opération, sans
toutefois le démontrer alors que le fruit de cette vente n’a
en tout cas pas pu servir au financement des
investissements antérieurs.

La Cour d’appel rappelle que la gestion normale d’un


patrimoine privé n’exclut pas un risque normal, mais bien
des opérations à risque, en vue d’un bénéfice plus
important que celui qui résulterait d’un placement
« normal », et raisonnablement risqué.

«La gestion d’un patrimoine privé comporte les actes


accomplis par un bon père de famille dans le cadre de la
gestion courante de ses biens et ceux entrepris dans le but
de la mise à fruit, la réalisation ou le remploi d'éléments de
son patrimoine à savoir ceux acquis par succession,
donation, épargne personnelle ou remploi de biens aliénés.
Cette gestion n'exclut pas le risque normal encouru lors
d'une opération de gestion entreprise dans le but de faire
fructifier son capital mais bien les opérations à risque
passées en vue d'un bénéfice beaucoup plus important
que celui recueilli par un placement intelligent à risque
raisonnable »

Après examen, la Cour rejette finalement ce recours


estimant que la complexité des faits de la cause, les
conditions d'organisation et surtout de risque dans
lesquelles s'est déroulée l'opération litigieuse démontrent à
suffisance que cette dernière dépasse la simple gestion
normale d'un patrimoine privé. L'application du régime
distinct se justifie donc pour la Cour.

Nous pouvons pleinement nous rallier à la motivation de


cette décision qui considère qu’une opération, fût-elle
spéculative, en vue de faire fructifier son patrimoine rentre
dans la gestion normale du patrimoine privé.

26
Toutefois, en l’espèce, la Cour a jugé le risque pris
déraisonnable, par rapport à la gestion que se doit de
donner un bon père de famille.

Selon les faits portés à notre connaissance, toutefois, il


nous semble que la mise en péril du patrimoine des
requérants n’est pas suffisamment établie.

- (e) La Cour d’appel de Gand dans un arrêt du 10 février


2000 (Gand, 10 février 2000, RG 1994/FR/144) a décidé
que l’achat volontaire d’une part dans une indivision
résultant d’une succession et la revente avec d’importants
bénéfices entraînaient la taxation de la plus-value à titre de
revenus divers.

En l’espèce, la Cour considère en soi que l’achat d’une part


dans une indivision résultant d’une succession est un acte
inhabituel de gestion d’un patrimoine privé.

De plus, le bon déroulement de l’ensemble de l’opération à


savoir la vente d’une surface de dunes, a exigé la
collaboration de plusieurs personnes et entreprises qui se
sont impliquées activement dans la discussion de la gestion
financière.

La gestion des biens immeubles par des agents immobiliers


professionnels et l’importante organisation commerciale
mise en place pour gérer l’indivision et préparer les terrains
à la construction afin de vendre ceux-ci avec d’importants
bénéfices, démontre à suffisance que le contribuable a agi
dans un but spéculatif de sorte que la plus-value doit être
imposée.

Dans ce cas d’espèce, la Cour a été choquée par les


moyens mis en oeuvre, quasi-professionnels, pour réaliser
le projet.

La question qu’il convenait selon nous de se poser n’était


pas de savoir si une intention spéculative animait
l’acquéreur, mais uniquement si un bon père de famille
aurait dans les mêmes circonstances acquis cette part de
l’indivision et investi des sommes aussi importantes.

27
3. Conclusions sur le critère de la spéculation – Concept
de « bon père de famille » et de patrimoine privé

C’est à notre avis le seul critère déterminant pour établir qu’une


opération, prestation ou spéculation, sort de la gestion normale du
patrimoine privé.

Il faut d’une part établir qu’il y a spéculation et d’autre part que


celle-ci sort de la gestion normale du patrimoine privé en ce
qu’elle met en péril le patrimoine privé de la personne qui a réalisé
la plus-value.

Le caractère normal d’une gestion doit s’apprécier en fonction de


l’importance et de la nature des biens privés faisant partie de ce
patrimoine.

Un patrimoine important, ou composé d’actifs naturellement


compliqués à gérer, devra faire l’objet d’une gestion plus
complexe et plus active, sans pour autant que cette gestion
devienne « anormale ».

Cet aspect « subjectif » du critère de normalité de la gestion


résulte du recours à la notion de « bon père de famille » qui
s’apprécie en fonction des situations concrètes dans laquelle se
trouve la personne concernée (Th. AFSCHRIFT et D. DANTHINE,
ibidem, p. 210, n° 23).

Le critère du « bon père de famille » est en effet un concept


d’ordre civiliste.

Le « bon père de famille » (bonus pater familias) est défini, dans le


vocabulaire juridique de l’Association Henri CAPITANT comme le
« type de l’homme normalement prudent, soigneux et diligent,
auquel se réfère le Code civil pour déterminer notamment les
obligations qui pèsent sur celui qui a la conservation,
l’administration ou la jouissance du bien d’autrui, en supposant
chez le père de famille, érigé en modèle, la vertu moyenne d’une
gestion patrimoniale avisée ; référence traditionnelle comparable à
celle de personnes raisonnables » (CORNU, Vocabulaire
juridique, Association Henri CAPITANT, PUF, 8ème éd., février
2000).

28
Ainsi que l’a écrit HAELTERMAN à propos de l’hypothèse de
l’actionnaire qui détient 55 % des actions d’une société et souhaite
les céder à ses trois enfants en vue de sa succession et crée une
holding nouvelle avant de céder la participation dans le holding à
ses enfants : « On soulignera tout particulièrement le fait que
l’opération n’est pas inspirée d’abord par des motifs fiscaux. Elle
l’est davantage par des motifs d’organisation du patrimoine
familial. L’opération est compliquée certes, mais cette complexité
n’est-elle pas purement la conséquence de la nature des
éléments du patrimoine en jeu ? Celui qui possède une
participation de contrôle souhaite conserver la valeur de contrôle.
Le fait de s’organiser dans ce but paraît relever d’un objectif
normal » (HAELTERMAN, op. cit., p. 3).

La complexité croissante des opérations qui peuvent être


réalisées dans le cadre de la gestion d’un patrimoine implique que
l’administration fiscale ne puisse se référer à un concept de bon
père de famille qui se bornerait à acquérir et à revendre des
actions.

Il faut tenir compte de la complexité des éléments du patrimoine


pour apprécier si en l’occurrence le contribuable s’est comporté
comme un bon père de famille.

Le critère du bon père de famille ne peut être utilisé, comme cela,


sans égard à l’ensemble des circonstances propres en jeu.

Il convient en effet de tenir compte de l’évolution de la législation


et du monde financier et éviter de considérer que la constitution
par exemple d’une société holding familiale relève du montage.
Ceci correspond à une conception relativement surannée des
choses ; comme l’a écrit BOURS, « le contribuable d’aujourd’hui
n’est plus le pater familias du 19ème siècle, investissant de
préférence dans l’immobilier et n’achetant que prudemment des
actions. Il est devenu un justiciable n’hésitant pas à constituer
une société professionnelle si celle-ci lui permet de payer moins
d’impôts, investissant dans les sicavs de capitalisation plutôt que
de distribution si il y a quelqu’intérêt, sensibilisé par les
assurances de la branche 23 (…) ».

Que ce contribuable, propriétaire depuis de nombreuses années


d’actions dans une société familiale, conçoive l’idée de les céder à

29
une holding qu’il a constitué, n’a non plus rien d’extravagant, mais
ne dénote rien non plus qui relève là de l’opération spéculative
justifiant une taxation. Il n’a rien fait d’autre que de faire fructifier
son patrimoine en prenant des décisions avisées.

D’autres l’ont fait et le font encore - sans être taxés - en


s’entourant de conseils pour acheter et revendre, par exemple,
des œuvres d’art à caractère hautement spéculatif.

En cette aube du 21ème siècle, il faut accepter d’admettre que la sphère de la


« gestion normale » s’est sérieusement élargie (JP. BOURS, 25 mai 2000,
L’écho).

On notera à cet égard que l’idée selon laquelle la notion de bon père de famille
n’est pas « l’homme de la rue », fait son chemin : le tribunal de première
instance de Bruxelles, dans un jugement du 10 octobre 2008 (RG n°
2004/7683/A) : « le critère du bon père de famille normalement prudent et
diligent doit s’analyser en fonction des circonstances concrètes (…) ; que (le
requérant) se soit rendu compte qu’il faisait une « bonne affaire » comme l’a
souligné le défendeur, cela ne fait aucun doute. Mais « faire une bonne affaire »
n’est pas synonyme, automatiquement de fraude fiscale ».

Dans le même ordre d’idées, un arrêt de la Cour d’appel de Mons du 18 juin


2008 énonce (RG n° 2004-78) : « contrairement à ce que soutient
l’administration fiscale, il peut parfaitement être admis que l’intimée, qui est
administrateur de sociétés et dispose d’un patrimoine important, ait pu créer
une société afin de réorganiser son patrimoine sur le plan successoral ou de le
but d’alléger sa charge fiscale, sans pour autant sortir de la gestion normale du
patrimoine privé que tout bon père de famille peut accomplir pour la mise à fruit,
la réalisation ou le remploi de ses avoirs ; qu’au contraire, en l’espèce, la
création d’une société holding propre et l’apport d’actions d’une société
d’exploitation constituent des opérations normales dans le cadre de la gestion
normale du patrimoine privé ; de même, l’importance sur la hauteur de la plus-
value réalisée est dépourvue de toute pertinence pour apprécier la nature et la
qualification fiscale de cette plus-value réalisée lors de la vente des actions
litigieuses au regard d’une gestion normale du patrimoine privé (…). L’intimé n’a
fait que recourir à la licéité du choix de la voie la moins imposée en posant des
actes juridiques dont il a accepté toutes les conséquences, sans violer aucune
obligation légale, afin de structurer son patrimoine de façon telle que les avoirs
industriels puissent être destinés à son fils né d’une première union conjugale,

30
tandis que sa fille née d’une seconde union se verrait attribuer des avantages
financiers de son patrimoine ».

Cette jurisprudence montre une nette tendance à interpréter largement la notion


de

Le tribunal de première instance de Bruxelles, dans un jugement du 13 février


2009 (RG2007/14798/A et autre) a censuré comme suit l’idée administrative
selon laquelle la gestion « normale » d’un patrimoine privé doit être simple : « le
défendeur considère que la gestion incriminée sort de la gestion normale du
patrimoine privé, en ce sens qu’elle ne serait pas « simple ». Certes il est
évident que les opérations réalisées ne peuvent être qualifiées de « simple » ».

Toutefois, le défendeur ne peut être suivi, lorsqu’il estime qu’une gestion


« normale » de patrimoine privé doit être comprise en ce sens que cette gestion
devrait être « simple », et que toute gestion ou organisation plus complexe (ce
qui est assurément le cas en l’espèce) ne ressortirait plus du domaine de la
gestion du patrimoine privé. (…). L’appréciation du caractère normal de la
gestion d’un patrimoine privé doit se faire en comparant l’opération incriminée
au comportement d’un bon père de famille placé dans la même situation que
celle des requérants. Il ne peut être requis d’un bon père de famille qui gère son
patrimoine de manière « simple » si une gestion plus « complexe » s’impose
aux fins de faire fructifier son patrimoine.

Un contribuable disposant de 500 € dans son patrimoine privé, ne gèrera pas


ce dernier de la même manière que celui qui dispose de plusieurs millions
d’Euros, et la normalité des opérations réalisées doit donc s’analyser au cas par
cas, en fonction des circonstances du cas d’espèce (…). Il est normal pour un
bon père de famille de recourir aux conseils du spécialiste lorsqu’il souhaite
retirer un profit. En effet, la recherche d’un profit n’est pas incompatible avec
une saine gestion du patrimoine privé, que du contraire.

A cet égard, la recherche d’une charge fiscale moindre dans le respect de la loi
est le comportement normal d’un bon père de famille qui gère son patrimoine
privé.

La réalisation de cet objectif par des opérations qui permettent dans le respect
de la loi et en l’absence de la moindre simulation, de réduire la charge fiscale
relève du comportement normal du bon père de famille qui gère son patrimoine
privé et le tribunal de conclure : «En conclusion, le défendeur ne démontre pas

31
qu’il y aurait eu une gestion « anormale » de patrimoine privé dans le chef de
chacun des requérants.

Tout bon père de famille qui serait placé dans les mêmes circonstances
aurait agi de la même manière : éviter, autant que faire se peut, de devoir
payer des impôts, mais ce, en toute légalité, et pour ce faire, recourir à
des mécanismes, certes complexes, mais légaux, et garder le contrôle
d’une activité particulièrement florissante, en vue de pouvoir continuer à
gérer sainement, et sans contrainte, un patrimoine privé qui, compte tenu
de son importance, est censé rapporter de nombreux fruits » (Civ.
Bruxelles, 13 février 2009, 32ème Chambre).

9) Critère d’ »opération anormale » selon l’administration

a) Evolution de la position du ministre des finances

L’administration a par ailleurs, ces dernières années, adopté


une position plus stricte que celle définie dans son
commentaire administratif afin d’imposer les plus-values sur
actions. Plus précisément, l’administration considère que
même lorsqu’il n’y a pas de spéculation, elle peut taxer sur
pied de l’article 90,1°, lorsqu’une opération est anormale à ses
yeux. Le critère de normalité auquel l’administration fait alors
référence correspond à une absence de besoins légitimes de
caractère financier ou économique. Or, on notera d’emblée
que cette notion, qui existe dans d’autres dispositions du
Code, n’est pas prévue par l’article 90, 1, et est dès lors
illégale dans ce cadre.

Cette position administrative, sans préjudice du fait qu’elle est


critiquable au regard de l’article 90, 1° du CIR, impliquait une
insécurité juridique importante, raison pour laquelle des
députés et sénateur ont interrogé à plusieurs reprises le
ministre.

Il convient au préalable de souligner que les parlementaires


ne sont en général que la voix de particuliers qui souhaitent
interroger le ministre sur leur cas précis. Le ministre peut
toutefois estimer opportun d’apporter une réponse plus
générale, qui aura alors un champ d’application important.

Ainsi, le député Karel Pinxten a posé une question orale au


ministre des finances, estimant que c’est à tort que

32
l’administration impose généralement la plus-value réalisée à
l’occasion de l’apport ou de la vente d’actions à une société
holding. L’administration exige d’après le député que
l’opération réponde à des besoins légitimes de caractère
financier ou économique, alors que cette condition n’est pas
exigée par l’article 90, 1° du CIR 92.

Le ministre précisa à l’occasion de cette réponse qu’ « il ne


doit pas être question de spéculation pour qu’on applique
l’article 90 du CIR 92 ».

Il ajouta, de manière assez étonnante, que « les


considérations non fiscales ou les considérations d’ordre
familial sont étrangères à la gestion normale d’un
patrimoine privé », alors que la doctrine et la jurisprudence
étaient unanimes et sont encore unanimes pour considérer
que des considérations d’ordre familial sont un élément, parmi
d’autres, tendant à démontrer que l’opération entre dans le
cadre de la gestion d’un bon père de famille.

La sénatrice Schamphelaere et le député Van Campenhout


ont alors réinterrogé le ministre, respectivement le 5 novembre
2004 et le 29 mars 2005, sur la question de l’apport d’actions
dans une société holding propre, notamment si le but est
d’obtenir l’exonération des droits de succession conformément
à l’article 60bis du Code des droits de succession-Région
flamande (ce qu’on peut considérer comme un but fiscal et
d’une certaine manière familiale afin que les enfants ne
doivent pas vendre l’entreprise pour payer les droits de
succession).

Afin de répondre à ces questions, et de mettre fin à l’insécurité


juridique qui règne depuis plusieurs années quant à
l’application de l’article 90, 1° du CIR notamment aux plus-
values réalisées à l’occasion de l’apport d’actions à une
société holding propre, le ministre a demandé à son
administration de procéder à un examen de cette question, ce
qui a abouti à une nouvelle position du ministre : les plus-
values réalisées à l’occasion de l’apport d’actions à sa société
holding propre ne sont pas imposables comme revenus divers
si un moratoire de trois ans est respecté.

La position du ministre, bien qu’elle fut prise à l’occasion d’une


réponse à une question parlementaire portant sur l’apport
d’actions à une société holding propre afin de bénéficier de

33
l’exonération prévue par l’article 60bis du Code des droits de
succession, avait une portée générale .

Le ministre déclara en effet que « après étude des


conclusions de l’administration concernant l’enquête
(relative à la taxation des plus-values lors de l’apport
d’actions dans un holding propre), il peut être admis que
les plus-values qu’une personne physique réalise lors de
l’apport à sa propre holding d’actions constitutives d’une
participation majoritaire ou de contrôle dans une société,
ne doivent pas être considérées comme des revenus
divers au sens de l’article 90, 1° CIR 1992, si les
conditions suivantes sont remplies.

Selon le ministre, il fallait :

« 1. qu’aucune réduction de capital ne soit effectuée par la


société holding pendant une période de trois ans à compter de
l’apport ;

2. qu’aucune réduction de capital ne soit effectuée par la


société opérationnelle en liquidation pendant une période de
trois ans à compter de l’apport, sauf si ces moyens sont
utilisés par la société holding dans le cadre par exemple de
nouveaux investissements ou du financement d’autres
sociétés de groupe ou d’entreprises liées, sans que ces flux
puissent bénéficier aux actionnaires personnes physiques ;

3. que pendant une période de trois ans à compter de l’apport,


la distribution de dividendes par la société opérationnelle ne
soit pas modifiée par rapport à précédemment (à savoir avant
l’apport à la société holding). Des dividendes plus élevés
peuvent toutefois être distribués s’il est démontré que ces
dividendes sont utilisés dans le cadre par exemple de
nouveaux investissements ou de financement d’autres
sociétés du groupe ou d’entreprises liées. Les dividendes
supplémentaires ne peuvent cependant pas être distribués
aux actionnaires personnes physiques. Les dividendes
supplémentaires peuvent également être utilisés pour le
paiement d’actionnaires qui souhaitent se retirer pour autant
que les distributions de dividendes soient utilisées pour le

34
remboursement d’un prêt ou l’apurement d’un compte-courant
qui a été contracté pour racheter les parts de certains
actionnaires. Le remboursement du prêt ou l’apurement du
compte-courant doit toutefois être étalé sur une période
suffisamment longue ;

4. que pendant une période de trois ans à compter de l’apport,


les management-fees, rémunérations de dirigeants
d’entreprise, etc. payés par la société opérationnelle,
correspondent aux rémunérations antérieures des dirigeants
d’entreprise. Les flux financiers de la société opérationnelle
vers la société holding peuvent être supérieurs aux
rémunérations antérieures des dirigeants d’entreprise s’il
apparaît qu’ils rémunèrent des prestations effectives (par
exemple comptabilité, personnel, etc.) qui étaient effectuées
auparavant au niveau de la société opérationnelle et qui sont
dorénavant effectuées par la holding (éventuellement avec
transfert du personnel concerné) et qui sont évaluées
conformément au marché ».

Ces conditions ont été critiquées par la doctrine parce qu’elles


sont relatives à des actions postérieures à l’opération (et
n’endiguent donc rien quant à une éventuelle spéculation
antérieure à celle-ci) et concernent des opérations de la
société, et non de la personne physique venderesse.

Elles ont toutefois été reprises par le Collège du Service des


décisions anticipées, dépendant du Service public fédéral
Finances, dans un avis public publié sur leur site internet.

Aujourd’hui, cependant, le SDA a explicitement fait valoir que


ces conditions n’étaient plus nécessaires et a développé une
nouvelle approche (cf. infra, point 10).

Ce Collège rend, à la demande du contribuable, une «décision


anticipée », lui permettant de connaître le point de vue de
l’administration, quant à une opération qu’il se propose de
réaliser, avant d’accomplir les actes qui entraîneront des
conséquences en droit fiscal (Th. AFSCHRIFT, « Le respect
du principe de la légalité de l’impôt par le service des

35
décisions anticipées », R.G.C.F., 6/2008, p. 443). Cette
procédure a été mise en place par une loi du 24 décembre
2002 théoriquement pour assurer une plus grande sécurité
juridique.

La décision anticipée est définie comme étant un acte


juridique par lequel le Service public fédéral Finances
détermine conformément aux dispositions en vigueur
comment la loi s’appliquera à une situation ou à une opération
particulière qui n’a pas encore produit d’effet sur le plan
fiscal (article 20, alinéa 2, de la loi du 24 décembre 2002).

b) Décisions préalables - Rulings

La Commission des rulings a déjà rendu une centaine de décisions


estimant que l’apport d’actions à une société holding propre n’est pas
imposable sur la base de l’article 90, 1° du CIR 92, vu l’engagement des
contribuables de respecter un moratoire de trois ans (autrement dit, les
contribuables s’engagent notamment à ne pas réduire le capital de la
société holding pendant un délai de 3 ans).

Les motivations de ces décisions sont variées et ne couvrent pas


uniquement des motivations d’ordre strictement économique ou financier,
mais également des motifs d’ordre familial et même indirectement d’ordre
fiscal (constitution d’une holding afin d’obtenir l’exonération sur la base de
l’article 60bis du Code des droits de succession - Région flamande).

Parmi ces motivations:

 Il convient tout d’abord de noter que le fait d’apporter à une société


holding nouvellement constituée les actions d’une société qui a elle-
même un rôle principalement de holding n’est pas rejeté par la
Commission des rulings.

Une décision positive concerne ainsi l’apport des actions d’une SPRL
holding, qui détenait exclusivement une participation dans une BV
néerlandaise, à une SCA à créer, qui aurait pour seul but de détenir
la participation de la SPRL holding (décision 500.312 du 22
décembre 2005).

36
 Plusieurs demandes concernent l’apport d’actions d’une ou de
plusieurs sociétés, détenues par plusieurs personnes (un couple, des
frères et sœurs, un père et certains de ses enfants, etc.) à une seule
société holding.

Les motivations invoquées sont les suivantes :

- centraliser au niveau du holding diverses activités, telles que le


management financier, le marketing, la gestion du personnel,
l’administration, l’assistance informatique, etc. ;

la possibilité de mener une gestion cohérente et unique ;

le recentrage de l’activité et la mise à disposition d’une assise


financière plus stable afin de financer les activités de la société
holding et/ou de ses filiales ;

assurer une synergie entre les différentes filiales et ce à un coût


moindre ;

centraliser la gestion d’un groupe de différentes sociétés en


Belgique ;

- la scission des risques entre la ou les sociétés opérationnelles


et la société holding ;

- le traitement égalitaire des intérêts des actionnaires ;

- assurer la pérennité de l’entreprise, notamment en évitant qu’un


tiers ne puisse acquérir les actions de la société ;

- des raisons familiales (non autrement précisées) ;

le retrait d’un des membres de la famille de l’entreprise familiale


(la sœur qui ne souhaitait plus continuer son activité dans les
sociétés opérationnelles a vendu ses actions à la société
holding, tandis que ses frères ont apporté les actions des
sociétés opérationnelles à cette même holding) ;

la possibilité, pour deux frères qui ont une vision différente de la


gestion et de l’avenir d’une entreprise, ce qui peut mener à des
tensions et à une immobilisation dangereuse de l’entreprise,
d’établir une structure dans laquelle chacun d’eux peut avoir
ses propres activités, notamment en permettant de reprendre
une entreprise ou d’en commencer une nouvelle ;

37
- l’apport des actions à une SCA dans un but d’organisation
successorale (le père qui gère la société peut déjà donner les
actions à ses enfants, tout en restant gérant statutaire jusqu’à
son décès) ;

- assurer la pérennité de l’entreprise familiale, en donnant le


contrôle de celle-ci à certains membres de la famille et en
diminuant le risque de conflits éventuels entre les héritiers

- organiser sa succession à un niveau fiscal, notamment grâce à


la constitution d’une société holding en Flandres, permettant
d’obtenir l’exonération des droits de succession sur la base de
l’article 60bis du Code des droits de succession – Région
flamande.

(voy. en ce sens décisions 300.274 du 23 juin 2005, 400.159 du 9


juin 2005 ; 400.266 du 17 novembre 2005, 500.036 du 4 août 2005,
500.153 du 8 septembre 2005, 500.155 du 11 août 2005, 500.157 du
24 novembre 2005, 500.211 du 17 novembre 2005, 500.262 du 19
janvier 2006, 500.275 du 22 décembre 2005, 500.284 du 22
décembre 2005, 500.285 du 22 décembre 2005, 500.290 du 22
décembre 2006, 500.292 du 15 décembre 2005, 500.315 du 22
décembre 2005, 500.358 du 9 mars 2006).

 Une décision porte sur l’apport d’actions de différentes sociétés


appartenant à deux personnes (un couple) à deux holdings à
constituer (un holding par personne) (décision 500.304 du 2 mars
2006).

La constitution de deux holdings distincts est justifiée par la volonté


de chacune des deux personnes de pouvoir développer de nouveaux
projets d’investissement, non au sein des sociétés opérationnelles
existantes, mais bien au sein de leurs nouvelles holdings
respectives, d’une part afin de ne pas mélanger les activités
existantes et les nouvelles activités, et d’autre part, afin de laisser la
possibilité pour chacune des deux personnes de profiter
individuellement de nouvelles opportunités et d’agir de manière
indépendante l’une de l’autre. L’époux souhaitait notamment
développer des nouveaux projets d’achats et de ventes de biens
immobiliers, contrairement à son épouse qui ne souhaitait pas (ou
plus) effectuer de telles opérations ;

La Commission admet comme motivation la possibilité grâce aux


deux holdings de développer des nouvelles activités, telles que la
prise de participations, ainsi que de nouvelles stratégies de manière
indépendante et ce, sans impact négatif sur les activités existantes.

38
 Certaines demandes ne contiennent qu’une description des
opérations envisagées, sans motivation à tout le moins explicite
(décisions 400.294 du 9 juin 2005, 400.322 du 23 juin 2005, 500.174
du 8 septembre 2005, 500.266 du 24 novembre 2005).

D’autres demandes sont motivées essentiellement sur la base des


termes mêmes de l’article 90, 1° du CIR, considérant que l’apport
des actions à une société holding doit bien être considéré comme
une opération mais que cette opération n’est pas spéculative et que
les actions sont des valeurs de portefeuille et appartiennent au
patrimoine privé du demandeur. Sur la base de ces éléments,
aucune imposition n’est possible sur base de l’article 90, 1° du CIR
(voy. notamment décision 500.312 du 22 décembre 2005).

c) Qu’en penser ?

Ainsi qu’exposé ci-dessus, ces prises de position ministérielles et


cette jurisprudence du Service des décisions anticipées sont
critiquables en tant qu’elles ajoutent à la loi en exigeant des besoins
légitimes de caractère financier ou économique alors que le texte de
l’article 90 ne contient pas cette notion.

Au demeurant, le délai de 3 ans fixé par l’administration ne repose


non plus sur aucun texte légal.

Sur le plan pragmatique, il est certes clair toutefois que dès l’instant
où le respect des conditions fixées par le SDA n’est pas un problème
pour le contribuable, il est prudent et aisé de s’y confirmer afin de
bénéficier de la tolérance administrative, quoi que l’on puisse penser
de sa légalité…

10) Nouveaux avis du SDA

Le SDA a publié en novembre 2013 un avis relatif aux plus-values


sur actions remplaçant ses précédents avis en la matière.

Ici également, il ne s’agit que d’une position administrative qui n’a


aucune valeur légale, mais elle peut servir de guide en matière de
planification puisque cet avis reflète l’avis de l’administration fiscale
et que le contribuable sait à l’avance comment celle-ci jugera son
opération.

39
A l’examen des critères de la jurisprudence, pour l’appréciation de la
gestion normale d’un patrimoine privé, il n’est pas fait de distinction
selon qu’il s’agit d’une opération
d’apport ou d’une opération de vente d’actions ou parts.

Il peut être déduit de la jurisprudence que les critères mentionnés ci-


dessous, certes pas pris isolément mais combinés avec un ou
plusieurs autres critères peuvent conduire à la conclusion qu’une
opération relève ou non d’une gestion normale d’un patrimoine privé.

1. L’existence ou l’absence de motifs économiques


2. Le caractère complexe ou ingénieux de l’opération
3. L’(les) opération(s) implique(nt) des sociétés récemment
constituées (qu’il s’agisse de la
société d’exploitation ou de la holding)
4. L’importance de la plus-value
5. Le mode de financement et les éventuelles cautions
6. La capacité de financement de la société acquéreuse
7. La distribution de dividendes entre le moment de l’acquisition des
actions des sociétés
concernées par l’opération et le moment de l’opération projetée
8. L’(les) opération(s) doit(vent) être appréhendée(s) dans sa (leur)
globalité, qu’il soit fait
usage ou non de sociétés qui sont contrôlées par le demandeur, ou
qu’il soit fait recours
ou non à des spécialistes. Il est question plus particulièrement
d’analyser la façon dont
est géré le patrimoine privé
9. L’estimation des parts (rapport révisoral) (Avis du SDA du 26
novembre 2013).

Le SDA suggère des engagements particuliers:


Des moratoires de 5 ans pour le payement du prix et la durée de
l’emprunt (si cadre familial), de 3 ans pour la réduction de capital
dans la holding ou l’opérationnelle et de 3 ans pour le changement
de politique de gestion (dividendes, rémunérations).

Le SDA s’assurera en général que l’opération n’a pas pour but la


distribution, sans taxation, des liquidités engrangées auparavant au
sein des sociétés opérationnelles.

La politique de distribution de dividendes doit rester cohérente avec


le passé.

Par ailleurs, le SDA développe une nouvelle approche a posteriori :

40
« Eu égard à la portée de l’actuel article 344, § 1, CIR 92, il est
indiqué, en particulier au moment d’une réduction de capital
ultérieure, de confronter, d’une part, les motifs invoqués à l’occasion
de l’apport d’actions à un ou plusieurs holdings ayant conduit à une
décision favorable (concernant l’application de l’article 90, 1° et/ou
90, 9°, premier tiret, CIR 92) à, d’autre part, ce qui est avéré à ce
même moment. Dans le même esprit, le SDA évaluera les
justifications relatives, tant au maintien qu’à l’utilisation des
placements et des liquidités excédentaires.

Compte tenu de cette approche selon laquelle une opération


ultérieure, telle une réduction de capital, sera examinée à la lumière
des dispositions du nouvel article 344, § 1, CIR 92, le SDA est d’avis
qu’il est dorénavant superflu que le demandeur prenne certains
engagements (voir à ce sujet la QP n° 657 du représentant Van
Campenhout dd. 23.2.2005 – Questions et Réponses, Chambre,
2004-2005, n° 095, p. 16865-16867). Plutôt que de prendre des
engagements (limités dans le temps), il sera accordé plus
d’importance à ce qu’une motivation détaillée soit fournie afin
d’étayer la justification (en règle générale) de l’opération d’apport tout
comme – en ce qui concerne spécifiquement la problématique des «
liquidités excédentaires » - la justification des placements existants
et la destination future des liquidités excédentaires. » (Avis du 26
novembre 2013).

Conclusion sur la notion de gestion normale de patrimoine privé et


l’hypothèse de plus-values internes
Nous avons pu constater que le SDA a modifié son approche de la question
des plus-values internes, se fondant notamment sur la modification de l’article
344, § 1er, du CIR.
Le SDA précise lui-même que les anciens critères, qu’il avait pourtant intégrés
dans sa doctrine, ne sont plus applicables.
Pourtant, des décisions comme par exemple la décision 2013.308 du 4 février
2014 font encore référence à ces anciens critères (aucune réduction de capital
dans le délai de trois ans à compter de l’apport).
Il est dommage sur le plan de la sécurité juridique que le SDA ait ainsi modifié
sa position.
Certes, la position antérieure ne reposait sur aucune justification légale et
résultait de purs critères d’appréciation du Service des décisions anticipées.
Néanmoins, lorsqu’un contribuable se trouvait dans une situation où il pouvait
respecter les conditions posées par le SDA, il y avait une sécurité juridique et le
contribuable pouvait considérer que l’opération ne serait pas taxée.

41
Depuis la fin 2013, et le changement de la position en raison du nouvel article
344, § 1er, on constate que le SDA fait intervenir des critères qui sont sans lien
avec la notion de gestion normale du patrimoine privé.
Il en va ainsi des notions de caractère complexe ou ingénieux de l’opération, de
l’existence ou non de motifs économiques ou de l’intervention de sociétés
nouvellement constituées.
Ces notions sont sans aucun lien avec la notion de gestion du patrimoine privé.

42

Vous aimerez peut-être aussi